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MUSIQUE & HANDICAP

V
MUSIQUE ET SURDITÉ
Du « sourd » au « Sourd », histoire et représentations
de la surdité
HISTOIRE

Le terme surdité fait référence à une altération de la fonction auditive et désigne


généralement une diminution de l’audition.

La surdité peut être définie comme « la conséquence d’une atteinte pathologique de la


fonction auditive » (B. VIROLE, 2006), agissant sur la faculté de percevoir, de discriminer
et d’identifier les éléments acoustiques existants au sein d’un environnement.

D’un point de vue médical, ce qui est altéré est l’état de la fonction auditive au regard
d’une norme. Une norme qui, bien qu’ayant subie de nombreuses variations, existe
depuis des millénaires et participe à forger, comme pour le handicap en général, des
représentations et des croyances multiples à travers les sociétés et l’histoire.
HISTOIRE

Les premières traces écrites relatant de personnes sourdes remontent par exemple
jusqu’à 3300 avant J.-C. en Mésopotamie ancienne (F. BERTIN, 2010).

Le terme signifiant « sourd » et distingué de celui de « muet » mais les deux sont
associés. Le terme « sourd » désigne aussi une personne « stupide, bouché, hébété,
inculte ».

Cet amalgame entre surdité, mutité et stupidité sera présent dans les représentations
des civilisations antiques en Occident.

À l’instar du handicap en général, la surdité a été l’objet de pensées et de


considérations ambivalentes : tantôt magnifiée, tantôt diabolisée.
HISTOIRE

Les Perses et les Égyptiens de l’Antiquité accordaient une qualité divine aux personnes
sourdes, porteuses d’une « faveur céleste » (F. BERTHIER, 1840).

Dans les sociétés antiques occidentales en revanche, les sourds (surdité = mutité),
bien que reconnus, étaient considérés, du fait de leur absence de communication
orale, comme des êtres inférieurs à l’Homme, dénués de raison et de faculté de
penser.

Par exemple, pour PLATON, la raison et la parole sont étroitement liées (le terme
« logos » désignant à la fois la parole, le discours et la raison en rhétorique) et, bien
que le philosophe ait reconnu l’existence d’une communication gestuelle et
signifiante, il considère ce langage et les sourds comme irrationnels (PLATON, Cratyle).
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Dans ce sillage, ARISTOTE propose une théorie de hiérarchisation des êtres vivants, dans
laquelle les Hommes, êtres pourvus de logos, de la vue et de l’ouïe, dominent les animaux et
les sourds qui exploitent seulement la vue (ARISTOTE, De Anima).

De plus, ARISTOTE associa également la surdité à la mutité (cf. médecine grecque antique) en
stipulant que « les hommes qui sont sourds de naissance sont aussi tous muets,
[…] » (ARISTOTE, Histoire des animaux). Une croyance qui perdure encore de nos jours.

Cette croyance est également présente dans la civilisation romaine, par exemple chez PLINE
l’ancien dans son Naturalis historia (vers 77 ap. J.-C.).

Il faudra attendre La Renaissance, puis les Lumières et l’éducabilité, pour que ces postulats
commencent à être réfutés. De plus, on remarque que les représentations de la surdité sont
alors davantage fondées sur la capacité à acquérir un langage que sur l’altération même de
la fonction auditive.
HISTOIRE
La première catégorisation législative de la surdité apparaît dans l’Antiquité tardive sous
l’empire romain d’Orient : le Code Justinien, dans lequel les droits des sourds sont établis à
partir de leur maîtrise de la langue vocale.

Avec le christianisme, comme pour le handicap en général, les représentations des sourds
vont évoluer autour de l’acte de foi. La surdité est considérée comme un signe de Dieu et
une affliction que seul un miracle peut soigner.

La société chrétienne autorise ainsi les sourds à participer au culte et à accéder aux
sacrements chrétiens. De plus, de Saint AUGUSTIN à Saint JÉRÔME, la communication gestuelle
est progressivement étudiée en tant que socle de l’enseignement ecclésiastique.

Avec les règles monastiques de Saint BENOÎT, les premières réflexions sur la communication
gestuelle vont forger les débuts d’une langue gestuelle monastique (A. DE SAINT-LOUP,
1994), qui influencera réciproquement les systèmes de communication gestuelle utilisés
par les sourds .
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Ainsi, même si la parole reste la modalité dominante des sociétés moyenâgeuses, les
sourds adultes, non porteurs d’une altération physique visible, constituent une main
d’œuvre nécessaire et peuvent donc travailler et participer au maintien de la société (cf.
Peste noire en Europe).

Les enfants sourds peuvent être accueillis au sein des monastères et y être éduqués.

Mais, d’autre part, la parole reste la modalité prédominante pour l’interprétation des
textes bibliques. Les sourds sont aussi perçus comme des monstres ou des abominations
porteurs de la marque diabolique.

La pensée aristotélicienne perdure toujours (cf. animalité) et le code Justinien est


toujours en vigueur. L’écriture et la parole déterminent les droits civiles (ex : propriété).
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À la Renaissance, les sourds sont considérés comme des individus dont la fonction auditive
est défaillante, faisant des XVe, XVIe et XVIIe siècles une ère de revirement de la pensée vers la
réfutation des représentations antiques de la surdité, conduites par PLATON et ARISTOTE.

L’éducation des « sourds-muets » devient alors une problématique sociétale (noblesse) et


l’objectif de nombreux éducateurs (précepteurs). C’est à partir de cette période que va se
développer la pensée l’éducation des sourds par et à la parole.

L’éducation à la parole est premièrement motivée par la volonté d’adapter les sourds au Code
Justinien toujours en vigueur, afin que ces derniers accèdent à des droits et à la propriété.

Le moine espagnol Pedro PONCE DE LEÓN (1520-1584) fut par exemple l’un des premiers
éducateurs a avoir pris en charge des enfants sourds par une méthode basée sur l’éducation à
l’écriture et à la parole, et à proposer des démonstrations publiques de ses résultats.
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Les travaux de Ponce de Leon seront repris et


améliorés, notamment par Juan Pablo BONET qui,
dans son ouvrage Réduction des lettres à leurs
éléments primitifs et art d’enseigner à parler aux
muets (1620), proposera la première méthode
pédagogique d’éducation des sourds à la parole.

De plus, dans cet ouvrage, BONET décrit un alphabet


manuel qui serait à l’origine de l’alphabet
dactylologique moderne encore employé de nos
en Langue des Signes Française.
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HISTOIRE

Si l’éducation à la parole s’instaure progressivement comme un modèle dans l’éducation


des sourds, la communication gestuelle existe cependant en parallèle mais n’a, dans ce
cadre, qu’une utilité réduite qui doit servir la finalité de l’apprentissage du langage oral
(signes monastiques + alphabet manuel = auxiliaires d’apprentissage ).

Ainsi, le XVIIIe siècle (« siècle d’or ») et la pensée des Lumières (cf. éducabilité) enterrerons
par la critique la relation entre la parole et la pensée. Toutefois, une ambivalence
s’installe entre le développement de la communication par signes et gestes, propre aux
sourds, et la méthode d’éducation à la parole défendue par les éducateurs.
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Etienne DE FAY (1669-1747), éducateur sourd congénital, instaure une classe collective
d’instruction destinée à des enfants sourds, en s’appuyant et en compilant les signes
monastiques avec les signes propres aux sourds.

Jacob Rodrigues PEREIRE (1715-1780) reprend les travaux de Bonet, l’alphabet manuel et
s’initie aux signes monastiques pour développer sa méthode d’éducation et son alphabet
dactylologique. L’objectif est de permettre aux sourds « d’exprimer leur pensée grâce à la
parole » (ENCREVÉ, 2012).

Grâce à de nombreuses démonstration publique, la méthode de Pereire obtient une


reconnaissance royale et sa célébrité se répand en Europe. Le début de ce siècle est donc
marqué par la multiplication des méthodes d’éducation des sourds en France.
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La première méthode gestuelle destinée à l’enseignement et l’éducation des jeunes sourds
apparaît et se construit autour de « signes méthodiques », élaborés à partir des signes utilisés
auparavant par les sourds et agrémentés de signes nouveaux destinés à se rapprocher du
français oral (désignant des objets, des concepts, etc.).

L’auteur de cette méthode, l’abbé Charles-Michel DE L’ÉPÉE (1712-1789), obtiendra un succès


rapide à travers l’Europe et sa méthode, destinée à l’origine à aboutir à l’apprentissage du
français, est institutionnalisée (première école publique pour sourd où l’enseignement est
gratuit). Elle nourrira une siècle plus tard une volonté d’émancipation et de reconnaissance
identitaire d’une communauté de sourds, qui élèvera la communication par signes au rang
de forme de communication privilégiée.

Malgré le succès de cette méthode, l’opinion des éducateurs se divisent entre gestualisme et
oralisme, ce qui, après la mort de l’abbé DE L’ÉPÉE et au XIXe siècle, annoncera une période de
conflits à venir.
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Nachor GINOUVRIER, Une leçon de l’abbé de l’Épée, Huile sur toile,1891.


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De nombreux instituts et écoles voient le jour (Marseille, Lyon, Clermont-Ferrand) dans le but de
répandre le gestualisme (aussi qualifié de « méthode française »). L’Institution des Sourds-
Muets de Paris (devenue aujourd’hui l’Institut Nationale des Jeunes Sourds) est créée en juillet
1791 et s’installe (en 1794) rue Saint-Jacques dans l’actuel cinquième arrondissement.

En parallèle, la pensée oraliste (« méthode allemande ») se développe dans une perspective


médicale (cf. hygiéniste + redressement) dans le but de « réparer » la surdité, et finira par
investir l’Institution des Sourds-Muets sous la tutelle du médecin en chef Jean Marc Gaspard
ITARD (1774-1838), dont les conclusions mènent vers la suppression totale de la langue
gestuelle pour l’acquisition de la langue parlée.

Inspirée par des conceptions aristotéliciennes de la surdité, l’oralisme est une idéologique
construite à partir de la pensée de plusieurs précepteurs qui élèvent la parole comme unique
modalité apte à l’instruction des sourds (J.-C. AMMAN ; S. HEINICKE).
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Le siècle suivant sera marqué par la révolution industrielle, le capitalisme de masse,


l’industrialisation croissante et la mécanisation. Dans ce contexte politique et social empreint de
principes hygiénistes, la science doit répondre aux besoins de dispositifs d’assistance de la
société et fournir des solutions à la « dégénération » de l’espèce humaine (cf. cours).

La médecine devient la discipline garante du progrès et on lui confère un enjeu social : celui de
redresser les populations et de guérir les anomalies. l’influence des médecins sur les décisions
politiques va conduire à une montée en puissance de l’oralisme en Europe.

La communication gestuelle des sourds est considérées comme une entrave au progrès et à
l’exercice de la parole (ENCREVÉ, 2012).

L’éducation des sourds à la parole devient une préoccupation politique canalisée par la quête
d’égalité et de liberté (cf. Révolution française).
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C’est dans ce contexte d’opposition des deux méthodes d’éducation gestualiste et oraliste
qu’adviendra un évènement majeur de l’histoire des Sourds : le « congrès de Milan », qui
marquera la domination de la période de « l’audiocentrisme ».

En effet, une série de congrès internationaux portant sur l’éducation des jeunes enfants
sourds-muets voit le jour à partir de 1878, date à laquelle le premier congrès est organisé
dans le cadre de l’Exposition Universelle de Paris, puis un an plus tard, en 1879, à Lyon.

Ces congrès ont pour but d’aboutir à une réforme portant sur plusieurs aspects :
l’instauration officielle de la méthode oraliste, le rattachement de l’éducation des sourds au
ministère de l’Instruction publique, et réduire le pouvoir éducatif de l’Église au sein de la
Troisième République.

Si ce premiers congrès n’a pas obtenu un succès immédiat et a été le terrain de désaccords, le
second, tenu du 6 au 11 septembre 1880 à Milan, sera quant à lui décisif.
HISTOIRE
Présidé en partie par Eugène PEREIRE, arrière-petit-fils de Jacob Rodrigues PEREIRE,
industriel français à la tête d’une compagnie de transport transatlantique et fervent
partisan de l’oralisme, le « congrès de Milan » réunit 256 participants, en majorité des
éducateurs, (158 Italiens, 67 Français, 13 Anglais, 7 Allemands, 6 Américains, un Belge,
un Canadien, une Norvégienne, un Suédois et un Russe), dont 4 sourds.

L’écrasante majorité de ces membres étant en faveur de l’oralisme (notamment les


Italiens et les Français), l’aboutissement est brutal : le congrès déclare que la méthode
orale pure (sans complémentarité ou superposition de signes) doit être privilégiée au
sein des institutions éducatives sur la méthode gestualiste, considérée comme un
langage de « singe ».

L’usage de la langue des signes, comme d’autres langues minoritaires auparavant, est
progressivement bannie de l’école, et les nouveaux élèves sont placés dans des classes
spéciales où l’enseignement est dispensé exclusivement à l’oral (F. ENCREVÉ, 2008).
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Considéré comme un véritable « coup monté » (C. CUXAC, 1984) ou un « génocide culturelle/
linguistique » chez les sourds, les conséquences de ce congrès sont encore largement
perceptibles aujourd’hui, et le congrès de Milan fait office de véritable symbole d’oppression
idéologique dans l’histoire des Sourds.

Les raisons et arguments qui ont poussé cette éviction de la langue des signes sont multiples :
• la chute du Second Empire en 1870 suite à la guerre franco-prussienne, qui a motivé la
Troisième République à engager l’unification de la Nation au nom de la réadaptation sociale
et du capitalisme, propagée notamment par l’éducation (cf. cours I) ;
• les connaissances médicales portées notamment par ITARD, qui postulait que l’absence de la
parole provoquait une atrophie pulmonaire qui pouvait conduire à la tuberculose ;
• l’argument religieux fondé sur une interprétation biblique fallacieuse : « au commencement
était la Parole [ou le Verbe], et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu » (Évangile selon
Saint Jean).
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De plus, le congrès de Milan aura pour effet d’exporter massivement l’oralisme aux USA,
portée notamment dans le pays sous l’influence d’Alexander GRAHAM BELL qui, épousant
également l’idéologie eugéniste, craint l’apparition d’une nouvelle « race sourde » (« homo
surdus »).
Par ailleurs, des campagnes de stérilisation des personnes sourdes sont menées au début du
XXe siècle, campagnes qui inspireront le régime nazi entre 1933 et 1945, qui stérilisera à son
tour plus de 40 000 sourds dans l’objectif d’empêcher le développement des familles
sourdes (Y. CANTIN, 2014).

Toutefois, en s’associant à l’otologiste Clarance Blake en 1874, l’inventeur conçoit une


machine dérivée du phonautographe d’E. L. S. de Martinville appelée « Phonautographe à
oreille », dont le mécanisme de visualisation du son sur une plaque de verre est constitué
d’une véritable oreille humaine prélevée sur un cadavre (J. STERNE, 2003). Cet appareil était
destiné à renforcer l’apprentissage de la méthode oraliste auprès d’enfants sourds.
HISTOIRE

« Le Phonautographe à oreille », dans T. DU MONCEL, 1878.


HISTOIRE
Bien que plus mesurées, les conséquences immédiates sont aussi désastreuses en
France : les élèves sourds n’ayant pas de prédispositions à être instruit à l’oral,
prédisposition établie par un certificat médical, sont interdits d’accès à certaines
institutions (dont l’Institut Nationale des Sourds-Muets de Paris) ou exclus de l’éducation.

Considérés comme « idiots » ou « arriérés », ces élèves sont alors placés dans des
institutions spécialisées, agricoles, voire même des asiles d’aliénés. Les professeurs, quant
à eux, sont renvoyés si ces derniers sont sourds ou n’ont pas été suffisamment efficace
dans le replacement des élèves ayant reçus une éducation gestualiste.

En réponse à cette censure de la langue des signes, des sourds vont organiser à leur tour
une série de congrès, notamment dès 1889 à Paris, pour célébrer le centenaire de la mort
de l’abbé de l’Épée et le retour de la méthode « mixte » (bilingue), fondée sur l’oral et les
signes. Ces congrès n’auront pas d’impact significatif sur le cadre législatif en France.
HISTOIRE
À ce stade, la langue des signes peine à se transmettre, malgré la tolérance de certains
professeurs qui autorisent son utilisation exclusivement entre les élèves.

C’est donc officieusement, grâce à l’organisation militante de « banquets » (A. BENVENUTO,


D. SÉGUILLON, 2013) ou d’évènements festifs, souvent en l’honneur de l’abbé DE L’ÉPÉE, que
les « noétomalaliens » (du grec « noetôs » et « alalie », qui désigne les sourds signeurs) se
réunissent pour faire perdurer la pratique de la Langue des Signes.

Il faudra attendre 1991, date à laquelle l’Assemblée Nationale accepte l’amendement


« Fabius », pour que l’éducation bilingue (LSF + oral) soit de nouveau réintroduite ; et
enfin la loi de 2005 pour que la LSF soit officiellement reconnue et introduite comme
choix possible dans l’enseignement public.

Cette période d’oppression oraliste entamera son déclin tardif par les actions militantes
des Sourds menées durant la période historique du « Réveil Sourd » des années soixante-
dix (S. KERBOURC’H, 2012).
HISTOIRE

Banquet en hommage à l’abbé DE L’Épée, Le Monde illustrée, 1887.


HISTOIRE

« La langue des signes française est reconnue comme une langue à part entière. Tout
élève concerné doit pouvoir recevoir un enseignement de la langue des signes française.
Le Conseil supérieur de l'éducation veille à favoriser son enseignement. Il est tenu
régulièrement informé des conditions de son évaluation. Elle peut être choisie comme
épreuve optionnelle aux examens et concours, y compris ceux de la formation
professionnelle. Sa diffusion dans l'administration est facilitée. »

Article L.312-9-1 du Code de l’éducation, introduit par la Loi no2005-102 du


11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées.
Texte intégral disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/
HISTOIRE
Le Réveil Sourd, qualifié a posteriori par Y. DELAPORTE, désigne une période de mouvements
sociaux et de revendications culturelles et linguistiques de la communauté Sourde qui
s’opère alors en France dans les années soixante-dix.

Via l’émergence des Deaf Studies et les travaux du linguiste William STOKOE, cette période
s’inscrit dans le sillage des mouvements identitaires menés aux USA depuis les années
soixante, ainsi que dans ceux des XVIIIe et XIXe siècles en France. Elle vise la reconnaissance
sociale, politique et académique de la culture sourde et des langues des signes.

En France, le sociologue Bernard MOTTEZ fut l’un des premiers chercheurs à s’appuyer sur les
travaux anglo-saxons et à se consacrer à l’étude de la communauté sourde d’un point de vue
socioculturel et ethnolinguistique. La LSF devient un objet d’étude à part entière.

Si la surdité était jusqu’alors une affaire principalement médicale, celle-ci devient


progressivement un champ de recherche abordé par les Sciences Humaines et Sociales. Du
terme « sourd » se distingue désormais le terme « Sourd ».
HISTOIRE
Le terme « sourd » (du latin « surdus ») a progressivement supplanté la désignation
« sourd-muet » ou « muet » (audismes) au cours du XXe siècle, désignation qui qualifiait à
l’origine les sourds congénitaux (« sourd » était utilisé au XIXe siècle pour la surdité
acquise).
Aujourd’hui, ce terme renvoi à la condition physiologique des individus porteurs d’une,
ou plusieurs, déficiences auditives sévères, profondes ou totales selon les critères de
l’échelle normée de référence audiométrique définis par le Bureau International
d’AudioPhonologie (BIAP).
Comment la surdité est-elle déterminée

?
OTOLOGIE DE L’AUDITION
L’évaluation du fonctionnement du système auditif, appelée bilan audiologique, est
effectuée par un médecin oto-rhino-laryngologiste (ORL) et s’appuie sur deux méthodes :

• la méthode objective (empirique et fonctionnelle), permettant de déterminer les


possibles altérations de la fonction auditive,
• la méthode subjective (implique l’appréciation du sujet sur ses capacités auditives),
permettant de déterminer leurs incidences sur la perspective auditive de l’individu.

La méthode objective repose sur quatre examens médicaux : l’impédancemétrie


(mesure de la résistance du tympan et de la chaîne tympano-ossiculaire);
l’électrocochléographie (mesure des réactions électriques des cellules ciliées
cochléaires); la mesure des potentiels évoqués auditifs (mesure de l’activité électrique
des structures cérébrales liées à l’audition) ; et les oto-émissions acoustiques (mesure de
la réponse acoustique des cellules ciliées cochléaires).
OTOLOGIE DE L’AUDITION
L’évaluation du fonctionnement du système auditif, appelée bilan audiologique, est
effectuée par un médecin oto-rhino-laryngologiste (ORL) et s’appuie sur deux méthodes :

• la méthode objective (empirique et fonctionnelle), permettant de déterminer les


possibles altérations de la fonction auditive,
• la méthode subjective (implique l’appréciation du sujet sur ses capacités auditives),
permettant de déterminer leurs incidences sur la perspective auditive de l’individu.

La méthode subjective repose sur deux méthodes fondées sur la communication et


l’autoévaluation des capacités auditives d’un individu : l’acoumétrie (vocale ou
instrumentale, elle consiste concrètement à savoir si le sujet à perçu un stimulus) et
l’audiométrie (tonale ou vocale, consiste à déterminer les seuils fréquentiels de
perception via les réactions du sujet à des stimuli auditifs).
OTOLOGIE DE L’AUDITION
C’est notamment en fonction des résultats audiométriques que l’on détermine le degré
d’audition d’un individu. L’audition est ainsi hiérarchisée en fonction de l’échelle du BIAP :

0 à -15 dB = normale
et subnormale

-15 à -25 dB = DA très légère ; personne malentendante


de -25 à -40 dB = DA légère
-40 à -70 dB = DA
moyenne

-70 à -90 dB = DA sévère personne sourde

-90 à -120 dB = DA
profonde
< -120 dB = DA totale ou
« cophose »
OTOLOGIE DE L’AUDITION
Il existe également d’autres catégorisations de la surdité, par exemple :

• la catégorisation clinique, fondée sur la nature clinique de l’altération : entre surdité


dite « de transmission » (oreille externe et moyenne) et « de perception » (oreille
interne et cortex auditif).
OTOLOGIE DE L’AUDITION
OTOLOGIE DE L’AUDITION

endolymphe (K+ ;
+80 mV)

périlymphe
(Na+Cl-)
strie vasculaire
(génère
Potentiel d’action
(PA) vers les voies l’endolymphe)
auditives primaires
et secondaires

nerf auditif
OTOLOGIE DE L’AUDITION

ORGANE DE CORTI

Endolymphe (canal cochléaire)


Membrane tectoriale
2. Hyperpolarisation des CCE

3. Dépolarisation des CCI Stéréocils

Lame réticulaire 1. Électromotilité (contraction

CCI CCE des CCE par dépolarisation)

Cortilymphe
Cellules de soutien

Nerf auditif (fibres


afférentes)
4. Libération
neurotransmetteur
Membrane basilaire
Ganglion spiral
(glutamate) et Périlymphe (rampe tympanique)
potentiel d'action
OTOLOGIE DE L’AUDITION
Il existe également d’autres catégorisations de la surdité, par exemple :

• la catégorisation linguistique, établie selon la période d’acquisition de la surdité en


fonction de l’acquisition du langage vocal.

Annie DUMONT, Orthophonie et surdité : communiquer, comprendre, parler, Issy-les-Moulineaux, Elsevier-Masson, 2008, p. 14.
HISTOIRE
Le terme « sourd » (du latin « surdus ») a progressivement supplanté la désignation
« sourd-muet » ou « muet » (audismes) au cours du XXe siècle, désignation qui qualifiait à
l’origine les sourds congénitaux (« sourd » était utilisé au XIXe siècle pour la surdité
acquise).
Aujourd’hui, ce terme renvoi à la condition physiologique des individus porteurs d’une,
ou plusieurs, déficiences auditives sévères, profondes ou totales selon les critères de
l’échelle normée de référence audiométrique définis par le Bureau International
d’AudioPhonologie (BIAP).
Le terme « Sourd », quant à lui, est issu de la traduction française du terme initialement
introduit par le sociologue américain James WOODWARD en 1972, et désigne des individus
qui revendiquent leur appartenance et qui s’identifient à une communauté culturelle et
linguistique spécifique, basées sur une langue, une histoire et des valeurs communes.
HISTOIRE
Ainsi, durant les années soixante-dix, la LSF devient le marqueur d’une « identité sourde »
(C. GAUCHER, 2010), forgée auparavant sur une altération physiologique spécifique de la
condition auditive selon une perspective « biomédicale » (cf. audiocentrisme).
Si la LSF permet l’émancipation intellectuelle et culturelle d’une communauté de
personnes, elle se présente également dans cette période comme une caractéristique
ontologique des Sourds (Sourds = LSF).
À la quête de reconnaissance se greffe alors une quête identitaire et militante qui, en
s’appuyant sur des spécificités et nourrie par l’héritage du « mythe » de Milan, alimente
un différentialisme avec « l’entendant » (surdisme) majoritaire et, ainsi, engendre
pendant cette période une tendance au repli identitaire chez les Sourds.
On parle « d’essentialisme » ou de « primordialisme » pour désigner cette tendance au
communautarisme Sourd fondée sur le rôle hégémonique de la LSF et du sens de la vue
(oculocentrisme) en général (« peuple de l’œil », « êtres visuels », etc.).
HISTOIRE
Selon ce paradigme : « être Sourd signifie donc, pour plusieurs primordialistes, être confiné
dans le monde de l’image, […] et toutes tentatives pour étendre ou augmenter les
capacités sensorielles des Sourds [telles que l’implantation cochléaire] est un acte de
négation de la différence sourde, voire un geste ethnocidaire visant à éradiquer la culture
sourde » (C. GAUCHER, 2013).

Or, les études récentes, en particulier les travaux menés en sciences cognitives et en
neurologie, nous révèlent que ces paradigmes (audiocentrisme et oculocentrisme) reposent
sur des idéologies et des idéaux-types qui ne reflètent pas le caractère multimodal de la
réalité neurosensorielle/physiologique des S/sourds en interaction avec leurs
environnements.

Ainsi, un nouveau changement paradigmatique est en cours depuis la dernière décennie, qui
tend à sortir des idéaux sensoriels sur lesquelles se fondent les représentations antérieures
de la surdité (l’ouïe pour l’audiocentrisme et la vue pour le l’oculocentrisme) au profit d’une
vision plus réaliste, centrée sur le corps dans toutes ses dimensions.
HISTOIRE
Toutefois, si ce changement est actuellement au cœur des discussions scientifiques sur le
sujet, les S/sourds, comme pour le handicap en générale, rencontre encore de
nombreuses difficultés, générant des réalités qui démontrent que la loi de 2005 peine à
être appliquée partout en France est reste encore largement perfectible.

Si les points de rencontre et les barrières symboliques entre Sourds et entendants tendent
à se neutraliser en France, de nombreux Sourds militent encore en faveur de leur égalité,
de leur reconnaissance en tant que citoyens, ou encore de l’inscription de la LSF dans la
Constitution.

Cependant, l’obligation du dépistage néonatal de la surdité en France depuis 2012,


cumulée à une généralisation de l’éducation bilingue au sein des établissements
scolaires, pourraient permettre aux personnes de réellement choisir le mode de
communication le plus approprié et, ainsi, de sortir des injonctions actuelles orientant les
personnes sourdes vers des circuits médicaux (cf. perspective réadaptatrice).
MUSIQUE & HANDICAP

? Alban BRICENO
Chargé de cours
Doctorant (5ème année)
EN CAS DE QUESTIONS Musicologie (Faculté des Humanités)
CEAC — SCALab
📧 alban.briceno@univ-lille.fr ou Moodle

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