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L'anthropologie du langage peut se définir par les pratiques linguistiques, les styles de
communication, les codes et les normes qui sous-tendent la production et la réception du langage
dans une culture donnée. Les anthropologues s'intéressent également aux différences et aux
variations linguistiques que nous évoquerons plus loin, à la manière dont le langage est utilisé pour
construire des relations de pouvoir, à comment il est transmis de génération en génération ainsi qu'à
la manière dont il est utilisé dans des contextes sociaux et culturels spécifiques. Durant les années
50-60, la linguistique structurale a également beaucoup influencé l’anthropologie sur sa perception
du rôle clé qu’est la langue dans la culture. Selon Mauss, elle met en avant l'importance des
structures sociales, symboliques et culturelles dans la compréhension des sociétés humaines, en
mettant l'accent sur les normes, les valeurs, les croyances et les pratiques d'échange qui sont
profondément enracinées dans la culture et la société. De cette façon, le langage transmet non
seulement des concepts et des idées à travers un muscle buccal, mais aussi des valeurs morales, des
croyances et des normes. Par ces différents aspects, le langage peut se manifester culturellement à
travers la symbolique de l’esprit, par l’expression de l’Art, mais aussi par la musique. Par exemple,
la capacité des humains à partager des mythes allégoriques et des légendes permet de transmettre
des connaissances sur une culture et son histoire. Les mots et les expressions utilisés dans un
langage donné peuvent apporter des valeurs et des normes sociales. Les conversations et les
interactions verbales sont essentielles pour la création de relations sociales et pour l'instauration de
rapports mutuels entre les individus. L’étude du processus d’acquisition de connaissances par le
récit mythologique, via l’étude ethnolinguistique, est un aspect intéressant du partage des pensées
et des croyances que nous développerons en première partie. Nous verrons dans une deuxième
partie que le langage permet également la transmission de connaissances et de savoirs d'une
génération à l'autre par des transmissions complexes à travers les pratiques alimentaires en tant que
phénomènes culturels. En somme, le langage joue un rôle fondamental dans l'étude anthropologique
du partage, de la participation, de l'instauration de rapports mutuels et de la transmission des
connaissances. Cette étude, comme nous allons le voir, contribue à l'analyse des questions
anthropologiques liées à la diversité culturelle, à la formation de l'identité collective, ainsi qu'à
l'élaboration et à la transmission des traditions culturelles.

Le mythe a été porté par l'anthropologie dans la deuxième moitié du vingtième siècle
comme un récit qui met en scène des personnages qui ne sont plus là, des êtres étranges (des esprits,
des animaux qui parlent, des humains qui se métamorphosent) qui font des choses étranges et assez
baroques et qui vivent des événements que le commun des mortels ne vivra pas. Pourtant, les gens
sont attachés à ces histoires et pensent qu’elles permettent de comprendre le monde qui les entoure
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ou du moins de le penser et de réfléchir à ce qui explique que les choses sont telles qu'elles sont. «
Le mot épopée se dit essentiellement d’une histoire ou d’un conte (il dérive du mot grec epos, «
parole »). Mythes et épopées tombent dans la catégorie « littérature orale ». Mythes et épopées
partagent donc des points communs : ils sont en général de longs récits où le merveilleux peut jouer
une place et où ces récits sont centrés sur des personnages fondateurs ou destructeurs du monde. Le
mythe apparaît comme un reflet de la logique sociale, quant à l’épopée elle se veut modèle car elle
introduit à un univers de normes. Pour Boas, l’analyse du mythe s’opère en recensant les
oppositions qui le rapprochent d’autres mythes. Son intuition part du principe que les oppositions
qui structurent un mythe peuvent se retrouver dans d’autres, car l’esprit humain fonctionne comme
un générateur d’oppositions duales, ce qui n’empêche aucunement la diffusion des récits. Pour
Lévi-Strauss, c’est en transformant les récits des sociétés voisines que les membres d’un groupe
forgent les leurs. Ils écoutent et transforment l’histoire racontée par le fait d’opérations mentales qui
échappent à notre conscience. Ces transformations sont motivées par des raisons qui tendent au
fonctionnement de l’esprit humain, enclin à étoffer des structures abstraites à partir de l’expérience
concrète, tout en explorant les variations auxquelles ces structures se prêtent. L'ambition de Lévi-
Strauss était de démontrer l’unité intellectuelle de l'humanité trouvant des invariants psychologiques
au sein de la pensée de l'homme. La méfiance est donc de prime pour l’analyse du mythe qui tend
trop rapidement à faire du récit mythique un reflet direct de l'organisation sociale. Les opérations
mentales n’apparaissent pas à ceux qui les font mais elles peuvent apparaître à celui qui compare ou
qui sait lire entre les lignes. Le principe de Boas sur le sujet semble donc très pertinent mais il limite
les possibilités de comparaison de grande ampleur. Lévi-Strauss vouait une admiration au travail de
terrain de Boas mais il était aussi irrité par ces limites. Ce dernier voulait forger des outils de
comparaison de grande ampleur en mettant l’accent sur un principe venant de la linguistique
structurale. Le principe observatoire de Boas pourrait donc sembler très pertinent dans ce contexte,
mais il limite les possibilités de comparaison. Notons qu’auparavant, l’analyse des relations entre
les textes était une méthode qui servait aux philologues pour tenter de reconstituer un texte original
à partir de différentes versions de ce dernier. Ici, Lévi-Strauss l’utilise pour mettre au jour le
fonctionnement de l’esprit humain, pour révéler la structure de la pensée symbolique. Explorons un
exemple de l’analyse du mythe dans le rôle que ce dernier joue dans la chasse chez les Sibériens.
Dans la perspective d’Hamayon1, pour comprendre le rôle du mythe il faut avant tout retrouver ces
normes dans la trame dense du récit épique. Ces normes concernent les principes de l’alliance, elles
sont homologues à celles qui fondent les règles de la chasse et du système chamanique. Elles disent
ce qui « doit être » dans le schéma de la pensée. Par son analyse, Roberte Hamayon réalise ainsi une

1. La chasse à l’âme. Esquisse d’une théorie du chamanisme sibérien. R. HAMAYON. Ed. Société d’ethnologie. 1990.
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série de relations homologiques entre la structure du récit épique, la chasse et le vaste système
d’échange de force vitale que constitue le chamanisme sibérien dans les sociétés de chasse. Son
hypothèse est celle-ci : l’épopée a remplacé la séance chamanique qui préparait à la chasse mais elle
a gardé cette même fonction rituelle.

Ayant abordé le langage depuis la perception du mythe à celle de l’épopée, nous pouvons en déduire
dès à présent que le langage est un outil de partage, de transmission orale et de valeur au sein d’une
culture et que cette dernière est influencée par la manière dont est transmis le récit mythologique.
Nous allons à présent observer le rôle du langage depuis un point de vue pratique d’autant plus
complexe que représentent les traditions culinaires.

La tradition culinaire et l'anthropologie du langage se croisent étroitement dans la mesure où


elles sont intimement liées à la culture humaine. La nourriture est souvent un élément central de
l'identité culturelle, de la symbolique sociale et des rituels de nombreuses sociétés. La tradition
culinaire est utilisée pour nommer et décrire les aliments, les techniques et les pratiques
alimentaires. Elle est également utilisée pour transmettre les connaissances culinaires, mais aussi
des tabous qui sont liés aux traditions familiales de génération en génération. Nous pouvons
mentionner le fait que certaines cultures ont des mots pour décrire une odeur ou un goût qui n’existe
pas dans d’autres langues. Ainsi, ces tabous sont véhiculés dans de nombreuses traditions par
l’interdiction de consommer certains types d’aliments pour des raisons ancrées depuis des
millénaires, tel que le tabou du sang menstruel chez les Shipibo-Conibo d’Amazonie, où le contact
du sang menstruel risquerait d’empoisonner la nourriture si ce dernier venait à la toucher 2. Selon
Nicole Belmont3, anthropologue du laboratoire d'anthropologie sociale à l'École des Hautes Études
en Sciences Sociales (EHESS), le langage est utilisé dans les cultures alimentaires pour
communiquer et négocier les normes et les pratiques entourant la nourriture. Les discours, les récits,
les descriptions culinaires, les proverbes et autres formes de langage sont utilisés pour exprimer les
croyances, les valeurs, les significations symboliques et les pratiques sociales liées à l'alimentation.
Le langage permet ainsi de partager et de transmettre les connaissances culturelles sur les pratiques
alimentaires, les tabous, les rituels et les significations associés à la nourriture. En outre, Nicole
Belmont souligne que le langage alimente le questionnement anthropologique sur la participation à
l'instauration de rapports mutuels au sein des communautés. Le partage des repas, par exemple, est
souvent considéré comme une pratique sociale qui facilite la création et le renforcement des liens

2. Chamanisme féminin « contre nature » ? Menstruation, gestation et femmes chamanes parmi les Shipibo-Conibo… A.M. COLPRON
3. Les mutilations des corps masculins et féminins dans les contes de transmission orale et leurs effets symboliques. N. BELMONT
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sociaux. Le langage utilisé pendant les repas, les conversations, les échanges verbaux et non
verbaux entre les convives contribuent à la construction des relations sociales, à la création de
solidarité et à l'établissement de rapports mutuels au sein d'un groupe. Notons que le langage
alimentaire peut également être utilisé pour exprimer l'inclusion, l'exclusion, la coopération, la
compétition et d'autres dynamiques sociales lors des repas, contribuant ainsi à la compréhension
anthropologique du rôle du langage dans les traditions culinaires. Ainsi, les savoirs, les traditions et
les pratiques culinaires sont souvent transmis de génération en génération par le biais du langage,
qu'il s'agisse de recettes, de techniques de cuisson, de savoirs sur les plantes comestibles, ou d'autres
connaissances liées à l'alimentation. Le langage oral ainsi que d'autres formes de communication
verbale et non verbale sont utilisés pour transmettre ces connaissances culinaires au sein des
communautés, contribuant à la perpétuation des traditions alimentaires. Nicole Belmont aborde
donc le langage comme rôle central dans le questionnement anthropologique des traditions
culinaires sur le partage et met en corrélation la participation à l'instauration de rapports mutuels,
ainsi que la transmission des savoirs. Par conséquent, le langage alimente notre compréhension des
pratiques alimentaires en tant que phénomènes culturels complexes et contribue à l'étude des
dynamiques sociales et symboliques liées à l'alimentation dans différentes sociétés et communautés.

Pour conclure, nous avons vu comment, depuis les années 1950, l’anthropologie a joué un
rôle majeur dans la conception du langage au sein de la culture en tant qu’outil de perception. Puis,
à travers le mythe, nous nous sommes aperçus que ce dernier jouait un rôle fondamental dans la
construction psychique de certaines ethnies mais aussi dans son influence cognitive à travers les
métaphores et les croyances. Enfin, nous avons vu que le langage pouvait aussi prendre des aspects
pratiques, comme ceux entourant la nourriture. Les discours, les récits, les descriptions culinaires,
les proverbes et autres formes de langage utilisés pour exprimer les croyances ont une importance
culturelle majeur dans le rôle de la transmission et du partage. Le langage peut revêtir plusieurs
formes comme l’énonce Wei Hung dans sa préface au Livres de Poésies : « Lorsqu’une émotion
nous étreint intérieurement, nous l’exprimons en paroles ; trouvant les mots inadéquats, nous
l’exprimons par des soupirs ; non content de cela, nous la chantons dans un poème ; toujours pas
content, nous dansons involontairement avec nos mains et nos pieds ». Le langage, du point de vu
anthropologique, peut alors se résumer par un rôle cognitif constructeur au sein de la pensée
humaine à travers le partage, l’introspection et l’inconscient collectif.

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