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INTRODUCTION

1. « HUMANITÉS, LITTÉRATURE ET PHILOSOPHIE »

Qu’entend-on par « humanités » ?

A. Le mot des Anciens : le terme latin « humanitas » et ses deux sens consécutifs.

Tout d’abord : l’humanité, la nature humaine, l’ensemble des qualités qui font l'homme supérieur à la bête.
- « vim omnem humanitatis perspicere » (Cicéron, De l’Orateur, I, 12, §53), « étudier à fond ce qui constitue
essentiellement la nature humaine »

Par voie de conséquence : la culture générale de l'esprit.


- « in omni parte humanitatis perfectus » (Cicéron, De l’Orateur, I, 16, §71), « excellent dans toutes les
branches de la culture humaine »

Une synthèse remarquable d’un Latin du IIe siècle :

« Humanitatem » non significare id quod uolgus putat, « Humanitas » n'a pas le sens que lui donne le vulgaire.
sed eo uocabulo, qui sinceriter locuti sunt, magis Ceux qui ont parlé purement ont donné à ce mot
proprie esse usos. Qui uerba Latina fecerunt quique his l'acception qui lui est propre. Ceux qui ont créé la
probe usi sunt, « humanitatem » non id esse uoluerunt langue latine, et ceux qui l'ont bien parlée, n'ont pas
quod uolgus existimat quodque a Graecis donné au mot « humanitas » l'acception vulgaire qui est
« φιλανθρωπία » dicitur et significat dexteritatem synonyme du mot grec « φιλανθρωπία
quandam beniuolentiamque erga omnis homines » (philanthrôpia), ce qui signifie une complaisance
promiscam, sed « humanitatem » appellauerunt id active, une tendre bienveillance pour tous les hommes.
propemodum, quod Graeci « παιδείαν » uocant, nos Mais ils ont attaché à ce mot le sens de ce que les Grecs
eruditionem institutionemque in bonas artis dicimus. appellent « παιδείαν » (paideian), de ce que nous
Quas qui sinceriter cupiunt adpetuntque, hi sunt uel appelons éducation, connaissance des beaux-arts. Ceux
maxime « humanissimi ». Huius enim scientiae cura et qui pour cette étude montraient le plus de goût et de
disciplina ex uniuersis animantibus uni homini datast dispositions sont aussi les plus dignes d'être appelés
idcircoque « humanitas » appellata est. Sic igitur eo « humanissimi ». Car, seul entre tous les êtres, l'homme
uerbo ueteres esse usos et cumprimis M. Varronem peut s'adonner à la culture de cette étude qui pour cela a
Marcumque Tullium omnes ferme libri declarant. été appelée « humanitas ». Tel est le sens donné à ce
mot par les anciens et particulièrement par M. Varron et
— (Aulu-Gelle, Nuits Attiques, XIII, 17) par M. Cicéron ; presque tous leurs ouvrages en offrent
des preuves.

B. Les Renaissants, héritiers des Anciens : « humanitas », humanité, humanisme & humanistes.

Lorsque, au XVIe siècle, plusieurs maîtres, particulièrement enthousiastes du retour des textes grecs (depuis la
chute de Constantinople, en 1453, et l’affluence conséquente de voyageurs et d’érudits en Europe), comme des
premières éditions savantes des grandes œuvres antiques, leur appétit et leur passion les conduisirent vers une voie
nouvelle.
Considérant en effet l’enseignement des Universités, en quelque sorte, décharné, privé d’art, de pensée créatrice et
de vie, ils décident de réagir contre cette ancienne méthode, et, imposent, en tout premier lieu, la lecture des chefs
d’œuvre de la littérature antique, latine et grecque. On se met, pour tout dire d’un mot, à l’école des Anciens.
Le mot « humanitas » désignant (cf. supra) en latin la culture, ils nomment alors leur enseignement lettres
d’humanité, et bientôt on les nommera eux-mêmes humanistes.
Mais ce beau terme d’« humanitas » évoque aussi une élégance morale, une politesse, une courtoisie, inséparables
de toute culture accomplie ; autrement dit, tout ce qui fait un homme vraiment homme. De là que l’humanisme soit,
avant tout, un projet pour l’homme, à la hauteur de l’homme, déterminé, en fin de compte, et comme commandé par la
dignité de l’être humain lui-même.
Le grand Montaigne, pour ne citer que lui, à la fin de ce même XVI e siècle, affirme ce projet de formation et
d’accomplissement de l’homme en lequel consiste, au moyen de la littérature et de la philosophie principalement, la
mission « humaniste » comme le premier en dignité : « Il n’est rien si grand et si légitime que de faire bien l’homme et
dûment. » (Essais, III, 13)

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2. PREMIER OBJET D’ÉTUDE ANNUEL : « LES POUVOIRS DE LA PAROLE »

Qu’est-ce que la « parole » ?

La première réponse qu’il faut donner, c’est celle-ci : la parole, c’est le fait ou la capacité de parler,
autrement dit, le langage ; or, le langage, avant toute chose, c’est l’oral. Ce n’est pas sans raison que, de même qu’on
retrouve « parler » dans « parole », on retrouve « langue » dans « langage » : la langue est évidemment l’organe qui,
principalement, permet l’oral, et, par conséquent, le langage. Et qu’est-ce que le langage ? Des sons qui forment sens.

A. Le mot de l’Académie : Dictionnaire de l’Académie française, 9ème édition (actuelle) : « parole », n, f

Origine : (attesté au XIe siècle). Issu du latin chrétien parabola, « comparaison ; parabole », puis « parole ».
I. Faculté, pouvoir, façon de parler (en ce sens, s’emploie toujours au singulier).
1. Faculté, propre à l’homme, d’user du langage articulé pour exprimer sa pensée, pour communiquer avec autrui. Les organes
de la parole. L’apprentissage de la parole. Perdre, recouvrer l’usage de la parole ou, simplement, perdre, recouvrer la
parole. Se faire comprendre par le geste et la parole, par la parole et par l’exemple. Rester sans parole, rester interdit et ne
pouvoir parler, sous l’effet de la surprise, de la crainte, etc.
▪ Expr. Il ne lui manque que la parole, se dit d’un portrait très vivant dont on jurerait qu’il va parler ; s’emploie aussi à
propos d’un animal dont on veut souligner l’intelligence.
2. L’exercice de cette faculté ; l’action de parler. Surtout dans des locutions. Prendre, reprendre la parole, commencer,
recommencer à parler. Adresser la parole à quelqu’un, engager une conversation. Couper la parole à quelqu’un, l’interrompre
dans son discours.
▪ Dans une assemblée. Droit de parole, droit de parler qui est défini par les dispositions du règlement. Avoir, demander la
parole. Accorder, refuser la parole. Vous n’avez pas la parole. Renoncer à la parole. Passer la parole à
quelqu’un. Respecter, dépasser son temps de parole, le temps imparti pour parler.
▪ La parole est à…, se dit pour indiquer à quelqu’un qu’il doit ou qu’il peut parler. La parole est au rapporteur. La parole
est à l’accusation, à la défense, dans un procès. Fig. La parole est aux armes, à la force, il est temps d’y recourir, il a été
décidé d’y avoir recours.
▪ Spécialement. À certains jeux, l’action de proposer une annonce ou une enchère. À vous la parole ! Passer la
parole, renoncer à annoncer, à enchérir (dans ce cas, on dit aussi parfois simplement Parole).
▪ Prov. La parole est d’argent et le silence est d’or.
3. Façon de parler propre à chacun, en fonction de sa voix, de son élocution, de son débit, etc. Avoir la parole brève, lente. Sa
parole est embarrassée, difficile. Avoir la parole haute, équivalent vieilli d’Avoir le verbe haut. Avoir la parole facile, parler
avec aisance, abondance, aimer à parler.
4. Art de parler, éloquence, diction de celui qui parle facilement, avec bonheur. Posséder le don, le talent de la parole. L’art
de la parole a été très cultivé chez les Anciens. Le charme, l’autorité, le pouvoir de la parole. Céder à la parole de quelqu’un,
à la puissance de sa parole.

II. Ce qu’on énonce ; mot, suite de mots dont on use pour faire entendre sa pensée ou exprimer ce que l’on ressent.
Il n’a pas prononcé une seule parole. Il répète ce qu’on lui a dit parole pour parole. Ce sont ses propres paroles. Rapporter,
travestir les paroles de quelqu’un. S’étourdir, se griser de paroles. Un flux, un flot, un déluge de paroles. Être avare de
paroles, parler très peu, comme à regret. Histoire sans paroles, désigne un dessin ou une suite de dessins dont le sens apparaît sans
qu’il soit besoin de légende, de dialogue. Au pluriel (MUSIQUE) : Mots constituant le texte d’une chanson, le poème d’une
cantate, le livret d’un opéra, d’un air. Je me souviens de l’air mais j’ai oublié les paroles. Composer de la musique sur les paroles
d’un couplet, d’un refrain.
▪ Loc. et expr. fig. Il faut lui arracher les paroles de la bouche, on ne le fait parler que difficilement. Boire les paroles de
quelqu’un, l’écouter avec attention et admiration. Un moulin à paroles (fam.), une personne très bavarde, qui ne peut
s’empêcher de parler. Vieilli. Se prendre de parole, échanger des propos aigres, offensants. Ils ont eu des paroles (on dit
plus couramment aujourd’hui Avoir des mots). Faire rentrer à quelqu’un ses paroles dans la gorge, l’obliger à désavouer
les propos offensants qu’il a tenus.
▪ Prov. Les paroles s’envolent et les écrits restent.
▪ Ces mots, ces suites de mots qualifiés en fonction de la façon dont ils sont énoncés ou choisis, de l’intention ou du
message qu’ils expriment, de l’effet qu’ils tendent à produire. Paroles distinctes, confuses, bredouillées. Des paroles
entrecoupées de soupirs, de sanglots. Paroles éloquentes, habiles, convaincantes. Paroles inutiles, oiseuses. Paroles
obligeantes, courtoises, amicales, affectueuses. Paroles ambiguës, équivoques. Paroles dures, insolentes,
outrageantes. Paroles doucereuses, mielleuses.
▪ Paroles rituelles, magiques, auxquelles certains attribuent un pouvoir mystérieux. Paroles sacramentelles, que le prêtre
prononce lorsqu’il administre un sacrement.
▪ Iron. ou péj. Des paroles vagues, vaines, des paroles en l’air, qui s’opposent aux actes, aux réalités. De belles paroles, de
grandes promesses qu’on n’a pas dessein de tenir. Renvoyer quelqu’un avec de bonnes paroles. On dit, dans le même
sens, Payer, régaler quelqu’un de paroles. Il réclame de l’argent, il ne se contentera pas de paroles.

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B. La parole par rapport à l’écrit :

Ce qu’il faut savoir : c’est évidemment l’oral qui a précédé l’écrit.

 État des connaissances actuelles : L’Homo habilis, deux millions d’années avant notre ère, présentait déjà
une aire de Broca (l’une des zones du cerveau responsables du traitement du langage) ; ce qui amène les
scientifiques à penser qu’il fut le premier hominidé à disposé d’un langage articulé. Cependant, l’usage de la
parole en tant que langage construit, tel que nous l’entendons aujourd’hui, remonterait à l’Homo Sapiens
moderne, il y a 35 000 ans environ. Or (et si l’on ne tient pas compte des premières peintures rupestres) les
premiers systèmes d’écriture, quant à eux, ne seraient apparus qu’entre 5 500 et 3 300 avant J.-C.

L’écrit, naturellement, permet de laisser une trace, de conserver de manière fixée (au moyen d’un support matériel)
l’oral, qui, lui, nécessite absolument la mémoire, pour survivre. (Cf. la locution latine bien connue : « verba volant,
scripta manent » : « les paroles s’envolent, les écrits restent ») Et c’est ainsi que Platon, le grand élève de Socrate,
faisait remarquer ceci :

PLATON, Phèdre
« Le mythe de Theuth »

[274] […] — SOCRATE : Ce qu'on m'a donc conté, c'est que, dans la région de Naucratis en Égypte, a vécu un des
antiques dieux de ce pays-là, celui dont l'emblème consacré est cet oiseau qu'ils nomment l'ibis, et que Theuth est le
nom de ce Dieu ; c'est lui, me disait-on, qui le premier inventa le nombre et le calcul, la géométrie et l'astronomie, (d)
sans parler du trictrac et des dés, enfin, précisément, les lettres de l'écriture. Or, d'autre part, l'Égypte entière avait pour
roi en ce même temps Thamous, qui résidait dans la région de cette grande ville du haut pays que les Grecs appellent
Thèbes d'Égypte, comme Thamous est pour eux le dieu Ammon. Theuth, s'étant rendu près du roi, lui présenta ses
inventions, en lui disant que le reste des Égyptiens devrait en bénéficier. Quant au roi, il l'interrogea sur l'utilité que
chacune d'elles pouvait bien avoir, et, selon que les explications de l'autre lui paraissaient satisfaisantes ou non, (e) il
blâmait ceci ou louait cela. Nombreuses furent assurément, à ce qu'on rapporte, les observations que fit Thamous à
Theuth, dans l'un et l'autre sens, au sujet de chaque art, et dont une relation détaillée serait bien longue. Mais, quand
on en fut aux lettres de l'écriture : « Voilà, dit Theuth, la connaissance, ô Roi, qui procurera aux Égyptiens plus de
science et plus de souvenirs ; car le défaut de mémoire et le manque de science ont trouvé leur remède ! » À quoi le
roi répondit : « Ô Theuth, découvreur d'arts sans rival, autre est celui qui est capable de mettre au jour les procédés
d'un art, autre celui qui l'est d'apprécier quel en est le lot de dommage ou d'utilité pour les hommes appelés à s'en
servir ! [275] (a) Et voilà maintenant que toi, en ta qualité de père des lettres de l'écriture, tu te plais à doter ton enfant
d'un pouvoir contraire de celui qu'il possède. Car cette invention, en dispensant les hommes d'exercer leur mémoire,
produira l'oubli dans l'âme de ceux qui en auront acquis la connaissance ; en tant que, confiants dans l'écriture, ils
chercheront au dehors, grâce à des caractères étrangers, non point au-dedans et grâce à eux-mêmes, le moyen de se
ressouvenir ; en conséquence, ce n'est pas pour la mémoire, c'est plutôt pour la procédure du ressouvenir que tu as
trouvé un remède. Quant à la science, c'en est l'illusion, non la réalité, que tu procures à tes élèves : lorsqu'en effet,
avec toi, ils auront réussi, sans enseignement, à se pourvoir d'une information abondante, ils se croiront compétents en
une quantité de choses, (b) alors qu'ils sont, dans la plupart, incompétents ; insupportables en outre dans leur
commerce, parce que, au lieu d'être savants, c'est savants d'illusion qu'ils seront devenus ! »

Ces premiers éléments généraux posés, on en arrive donc à la grande distinction suivante :
- l’oral « vole » (et ne reste pas, sans technique d’enregistrement du moins) : il est éphémère, évanescent, mais,
par rapport à l’écrit, il apparaît comme « vivant » (la voix, ses modulations, le souffle, la personne qui parle,
précisément : celle qui donne sa voix) ;
- l’écrit « reste » (et ne s’envole pas, même s’il faut prendre en compte la nature corruptible du support
matériel) : il est fixé, permanent, et, par rapport à l’oral, il a quelque chose de « mort » (un texte, sans lecteur,
est en effet muet comme le serait un mort) ;

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