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Sade, la volonté de destruction de soi et la frénésie

sadique
In La littérature et le mal, George Bataille

On voit qu’un auteur et un livre ne sont pas immanquablement les heureux résultats d’un temps
calme. Tout se lie dans la cas présent à la violence d’une révolution.
C’est que l’essence de ses ouvrages est de détruire : non seulement les objets, les victimes, les
mis en scène, mais l’auteur et l’ouvrage lui-même.

Les analyses de Klossowki le montrent bien. Par l’intermédiaire de créatures de roman, tantôt
Sade développe une théologie de l’Être suprême en méchanceté. Tantôt il est athée, mais non de
sang-froid : son athéisme dé e Dieu et jouit du sacrilège. Il substitue généralement à Dieu la
nature à l’état de mouvement perpétuel, mais il en est tantôt le dèle et tantôt l’exécrateur : « Sa
main barbare, dit le chimiste Almani, ne sait donc pétrir que le mal : le mal la divertit donc » (in
Correspondance).

Sade, en e et, qui aima le Mal, dont l’oeuvre entier veut rendre désirable le Mal, ne pouvant le
condamner, ne pouvait pas non plus le justi er.

« L’âme chrétienne prend conscience d’elle-même devant Dieu. Mais si l’âme romantique, sui
n’est plus qu’un état nostalgique de la foi, prend conscience d’elle-même en posant sa passion
comme un absolu, en sorte que l’état pathétique devient chez elle fonction de vivre, l’âme
sudiste, elle, ne prend plus conscience d’elle-même que par l’objet qui exaspère sa virilité et la
constitue à l’état de virilité exaspérée, laquelle devient également une fonction paradoxale de
vivre : elle ne se sent vivre que dans l’exaspération. » Klossowki
L’objet donc il s’agit n’est pas donné comme Dieu l’est au dévot. L’objet comme tel serait encore
indi érent. Il faut le modi er a n d’obtenir de lui la sou rance voulue. Le modi er, c'est-à-dire le
détruire.

Sade eut pour n d’atteindre la conscience claire de ce que le déchainement atteint seul, à savoir
de la suppression et de la di érence entre le sujet et l’objet.

Sade n’eut en sa longue vie qu’une occupation, qui décidément l’attacha, celle d’énumérer
jusqu’à l’épuisement les possibilités de détruire des êtres humains, de les détruire et de jouir de la
pensée de leur mort et de leur sou rance.
Seule l’énumération interminable, ennuyeuse, avait la vertu d’étendre devant lui le vide, le désert,
auquel aspirait sa rage.

L’ennui se dégage de la monstruosité de l’oeuvre de Sade, mais cet ennui lui-même en est le
sens. Ses interminables romans, plutôt qu’aux livres qui nous amusent, ressemblent aux livres de
dévotion. La méthode accomplie qui les ordonne est celle du religieux qui met son âme devant le
mystère divin. Il faut les lire comme ils furent écrits, avec le souci de sonder un mystère qui n’est
ni moins profond, ni peut-être moins divin, que celui de la théologie.

Cet homme se borne dans ses livres à un exercice invariable, où une tension aiguë; indé niment
égale à elle-même, se dégage dès l’abord des soucis qui nous limitent.

Un mouvement mène invariablement les objets du désir au supplice de la mort.

DU DÉCHAÎNEMENT À LA CONSCIENCE CLAIRE

Mais Sade était dans cette situation morale. Il connut des états de déchaînement et d’extase qui
lui parurent de beaucoup de sens à l’égard des possibilités communes. Ces états dangereux,
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auxquels le conduisaient des désirs insurmontables, il osa les regarder bien en face et il se posa
la question abyssale qu’ils posent en vérité à tous les hommes.

Jamais l’esprit humain ne cessa de répondre parfois à l’exigence qui mène au sadisme.

La frénésie éloignait la conscience. Il voulait l’impossible et l’envers de la vie.


Sade se fonde sur une expérience commune : la sensualité, qui libère des contraintes ordinaires,
est éveillée, non seulement par la présence, mais par une modi cation de l’objet possible. Une
impulsion érotique étant un déchaînement est déclenchée par le déchaînement concordant de
son objet.
« Le secret n’est malheureusement que trop sûr et n’y a pas un libertin un peu ancré dans le vice
qui ne sache combien le meurtre a d’empire sur les sens »
« Le crime a par lui-même un tel attrait » (Blangis, voir quel roman de Sade…)
Ce qui détruit un être le déchaîne aussi ; le déchaînement d’ailleurs est toujours la ruine d’un être
qui s’était donné les limites de la bienséance.
Le désordre sexuel décompose les gures cohérentes qui nous établissent, pour nous-mêmes et
pour les autres, en tant qu’êtres dé nis.
Il y a dans la sensualité un trouble et un sentiment d’être noyé, analogue au malaise que les
cadavres dégagent. En contrepartie, dans le trouble de la mort, quelque chose se perd et nous
fuit, un désordre en nous commence, une impression de vide, et l’état dans lequel nous entrons
est voisin de celui qui précède un désir sensuel.

Mais nous ne pouvons de toute façon réduire l’impulsion sexuelle à l’agréable et au béné que. Il y
a en elle un élément de désordre, d’excès, qui va jusqu’à mettre en jeu la vie de ceux qui la
suivent.

Personne à moins de rester sourd n’achève les Cent Vingt Journées que malade : le plus malade
est bien celui que cette lecture énerve sensuellement.
L’horreur morale aiguise la douleur, cette mère que la ruse et la terreur amènent à l’assassinat de
son ls ; tout à la n concourt à la nausée.

En vérité, ce livre est le seul où l’esprit de l’homme est à la mesure de ce qui est. Le langage de
Cent Vingt Journées est celui de l’univers lent, qui dégrade à coup sûr, qui supplicie et qui détruit
— la totalité des êtres qu’il mit à jour.

Dans l’égarement de la sensualité, l’homme opère un mouvement d’esprit où il est égal à ce qui
est.

Rien ne nous semble mieux assuré que ce moi qui fonde la pensée. Lorsqu’il atteint les objets,
c’est pour les modi er à son usage : il n’est jamais égal à ce qui n’est pas lui. Ce qui est extérieur
à nos êtres nis est tantôt, nous subordonnant, un in ni impénétrable, tantôt c’est l’objet que
nous manions, qui nous est subordonnée.

L’individu peut encore se subordonner à un ordre ni qui l’enchaîne à l’intérieur d’une immensité.
Il n’est égal à son objet qu’en s’enchaînant dans un ordre qui l’écrase. Il n’est qu’un moyen en
son pouvoir d’échapper à ces diverses limites : la destruction d’un être semblable à nous.

« Il est reçu parmi les véritables libertins, remarquait Sade, que les sensations communiquées par
l’organe de l’ouïe sont les plus vives. »
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