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Le Printemps 2005 au Liban

Comprendre le Moyen-Orient
Collection dirigée par Jean-Paul Chagnollaud

Anne-Lucie CHAIGNE-OUDIN, La France dans les jeux


d'influence en Syrie et au Liban, (1940-1946), 2009.
May MAALOUF MONNEAU, Les Palestiniens de
Jérusalem. L'action de Fayçal Husseini, 2009.
Mohamed ABDEL AZIM, Israël et ses deux murs. Les
guerres ratées de Tsahal, 2008.
Michel CARLIER, Irak. Le mensonge, 2008.
Nejatbakhshe Nasrollah, Devenir Ayatollah. Guide
spirituel chUte, 2008.
Mehdi DADSETAN et Dimitri JAGENEAU, Le Chant
des Mollahs: la République islamique et la société
iranienne, 2008.
Chanfi AHMED, Les conversions à l'islam fondamentaliste en
Afrique au sud du Sahara. Le cas de la Tanzanie et du Kenya,
2008.
Refaat EL-SAID, La pensée des Lumières en Égypte, 2008.
El Hassane MAGHFOUR, Hydropolitique et droit international
au Proche-Orient, 2008.
Sepideh FARKHONDEH, Société civile en Iran. Mythes et
réalités,2008.
Sébastien BOUSSOIS, Israël confronté à son passé, 2007.
Ariel FRANÇAIS, Islam radical et nouvel ordre impérial,
2007.
Khalil AL-JAMMAL, L'Administration de l'Enseignement
Public au Liban, 2007.
Dr. Moustapha AL FEQI, Les Coptes en politique égyptienne.
Le rôle de Makram Ebeid dans le Mouvement National, 2007.
Mohamed Anouar MOGHIRA, Moustapha KAMEL l'égyptien.
L 'homme et l'œuvre, 2007.
Jean-Paul CHAGNOLLAUD, Palestine, la dépossession d'un
territoire, 2007.
Benjamin MORIAMÉ, La Palestine dans l'étau israélien, 2006.
Rita Chemaly

Le Printemps 2005 au Liban

Entre mythes et réalités

L' Harmattan
<0 L'Harmattan, 2009
5-7, rue de l'Ecole polytechnique; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
harmattan] @wanadoo.fr
diffus ion.harmattan@wanadoo.fr

ISBN: 978-2-296-07999-1
EAN : 978229607999]
LIMINAIRE
Avant-propos

Essayer de mener une recherche objective et scientifique


concernant l'identité nationale libanaise, à l'épreuve des remous du
Printemps 2005, peut paraître aisé au premier abord.
Mais des limites se sont érigées comme des barrières
infranchissables, aussi hautes que la ligne de démarcation qui, dans les
années 1970, a divisé la rue libanaise et qui, lors de ce Printemps
2005, a partagé la société libanaise en deux camps opposés.
Pour une jeune libanaise - préparant les examens de fin
d'année académique de juin 2005, voyant à la télévision les images de
son professeur assassiné, son rêve d'union des Libanais brisé par les
élections et le Printemps qui l'avait occupée à plein temps restant en
plan... à la limite de l' «inachevé »1 -, travailler sur le sujet d'une
façon objective peut paraître relever d'une mission impossible.
Mais à Beyrouth, toute mission impossible peut devenir possible avec
un minimum de bonne volonté et de caractère.
C'est ce qui m'a poussée à traiter un sujet d'actualité, un sujet qui a
été l'objet de nombreuses récupérations tant journalistiques que
politiques, mais un sujet qui n'a pas souvent fait l'objet d'une
recherche sérieuse sur ses causes, son déroulement ou même son
impact sur l'Etat de droit.
Active durant mes années universitaires dans le combat pour la
souveraineté du Liban, faire abstraction de ma subjectivité et surtout
me délier de mon combat personnel pour mener la recherche n'a pas
été facile. C'est en prenant en exemple la directrice de Sciences Po,
Mme le Professeur Fadia Kiwan, que j'ai pu me soustraire de mon
implication personnelle et des liens qui me liaient au mouvement
étudiant, mais surtout me distancier par rapport au Printemps libanais
auquel j'avais participé. Je ne peux qu'exprimer ma plus profonde
gratitude à Mme Kiwan qui m'a été d'un grand secours; elle qui par
son expérience de femme active dans le domaine public et politique
mais aussi par sa compétence académique de directrice d'un Institut

I L'Orient-Express, « Hommage à Samir Kassir », Le Printemvs inachevé, Hors


Série, Automne 2005, 162 p.
de Sciences Politiques, a pu jongler avec des domaines tellement
divers qui ont fait d'elle une femme de caractère.
Pour mener une recherche scientifique, j'ai dès la première
année en Sciences Politiques pris des cours de méthodologie en
sciences sociales, des cours qui m'ont permis d'apprendre comment
mener des enquêtes, et qui m'ont mis sur la piste de la recherche. Il est
bien vrai qu'en sciences sociales, à la différence des sciences exactes,
les résultats et données ne sont pas des « paroles d'Evangile ».
Pour cela, en menant mon humble contribution à la compréhension de
la société libanaise, j'ai voulu expressément confronter diverses
sources, et surtout m'éloigner autant que possible des discours
officiels et de la «langue de bois ». Non seulement je cherchais à
construire un texte riche en références bibliographiques, mais aussi à
étayer ma propre analyse du Printemps libanais par une enquête de
terrain qui me servirait à vérifier mes hypothèses de départ.
Il faut souligner le fait qu'un certain laps de temps s'était écoulé entre
les événements et mes entretiens. L'actualité du sujet et les
transformations quotidiennes des positions politiques au Liban
peuvent avoir influé sur les données collectées auprès de certains
répondants durant cette enquête. Même si les souvenirs étaient plus
frais, ils peuvent avoir été ternis par les partis pris de l'après-
événement.
En effet, j'ai en quelque sorte reconstruit l'objet de mon étude,
en allant à la recherche d'acteurs et de divers protagonistes de la
période étudiée. Avec ces acteurs et observateurs, j'ai mené des
entretiens semi dirigés, d'une période d'une heure trente à deux
heures. Ces entretiens dans leurs bureaux, espaces de travail ou
maisons, m'ont permis de mieux confronter les informations que je
recevaIS.
Comme beaucoup sont des hommes et femmes impliqués dans la
politique libanaise (ministres ou députés), j'ai éprouvé des difficultés
non seulement à prendre rendez-vous mais surtout à les faire parler et
collecter des informations non journalistiques relatives à une
recherche scientifique.
Pour certains, je n'ai pu les rencontrer qu'en faisant preuve d'une
volonté opiniâtre et surtout en utilisant mon sésame: je suis
l'étudiante de Mme Kiwan.
Mes questions les laissaient perplexes: elles étaient loin du style
journalistique et des discours tous prêts qu'ils étaient habitués à
donner en de tels cas. En effet, cherchant à faire l'analyse des
8
discours, j'ai mis des indices communs dans mes guides d'entretiens,
indices qui m'ont permis de procéder à l'analyse comparative si chère
aux sciences sociales.
Ce sont les étudiants et jeunes actifs du mouvement qui étaient les
plus prolixes. Ce sont les étudiants appartenant à plusieurs tendances
politiques que j'ai essayé de rencontrer.
Non seulement, ils répondaient à mes questions avec enthousiasme,
mais me donnaient force détails et me motivaient pour continuer mon
travail. Un grand nombre de ces entretiens ont été menés en anglais ou
arabe.
Les jeunes, étudiants ou non étudiants, connaissaient les réseaux: non
seulement, ils m'y ont introduite mais ils me contactaient aussi après
l'entretien pour me demander des nouvelles du travail entrepris et s'il
manquait à mon échantillon de personnes entretenues, certaines
tendances politiques.
Il faut noter que, par mes entretiens, j'ai voulu toucher les différents
acteurs de la scène libanaise et m'entretenir avec la plupart des
groupes qui forment notre société: non seulement les divers partis
politiques, du Parti Socialiste Progressiste (PSP) au Courant
Patriotique Libre (CPL) en passant par les Forces Libanaises et autres,
mais surtout les organisations civiles avec AMAM, et les autres petits
groupes de la société civile qui se sont constitués durant ou après cette
période.
Pour les étudiants, je me suis adressée aux amicales et différents
bureaux des universités: Libanaise, USJ, AUB, ALBA et LAU. C'est
en faisant une étude comparative de leurs réponses que j'ai pu vérifier
mes hypothèses de départ.
Les sources journalistiques et périodiques ont constitué par
ailleurs, une autre source de base de mon travail. Une lecture
événementielle de la presse de l'époque, tant nationale
qu'internationale, m'a servie de base de données principale.
Les articles répertoriés vont de février 2005 à juin 2005 et au-
delà. Malgré le manque de temps et de moyens, j'ai collecté tous les
articles concernant le mouvement de rue, quel que soit le support sur
lequel ils avaient été publiés. J'ai été à la recherche d'articles de
spécialistes et de la presse quotidienne, passant par les pages des
revues mondaines, dans les différentes langues (française, anglaise ou
arabe). Ainsi, j'ai confectionné avec acharnement une ample base de
données englobant toutes sortes d'informations volatiles pouvant
servir ultérieurement à d'autres ouvrages sur le sujet.
9
Il faut ajouter que j'interroge le rôle de cette source médiatique
(la presse) ainsi que le rôle des transmissions télévisuelles et
radiophoniques dans la mobilisation et la construction du Printemps
libanais. Mais comme Pierre Bourdieu l'a dit: « l'on ne peut pas
compter sur les patrons, les évêques ou les journalistes pour louer la
scientificité de travaux qui dévoilent les fondements cachés de leur
domination »1,j'ai voulu interroger moi-même ces sources pour saisir
leur rôle et leur impact sur la société libanaise lors du Printemps 2005.
Mon hypothèse de départ donne le rôle primordial dans la création du
Printemps libanais à la communication; c'est la médiatisation accrue
qui est à la base de la nouvelle dynamique née au Liban.
Enfin pour la partie « Observation », j'ai utilisé une source
innovante qui a joué un rôle important dans la mobilisation lors de la
période février-mars 2005 : « les blogs. »2
Je m'arrête sur ce point pour remercier M. Christophe Varin, directeur
du CEMAM qui travaille sur les blogs dans le monde arabe, pour
m'avoir fourni des informations sur ce sujet et surtout pour m'avoir
poussée à utiliser cette source de communication nouvelle.
Pour certains sceptiques, les informations qu'on y trouve ne sont pas
fiables. Pour d'autres, qui préfèrent les méthodes classiques des
sciences sociales, c'est un leurre de s'appuyer sur de telles sources.
Sans entrer dans de telles controverses, j'ai utilisé ce « média de
masses »3 en m'y référant comme observation « officieuse» du terrain
par des gens qui ont écrit sur le sujet dans leur page personnelle; leurs

I
BOURDIEU Pierre, Questions de sociolorzie, éditions Cérès, Tunis, novembre
]993, p. 7.
2 BLOG définition: A la base, un blog est un journal personnel ou un carnet de
voyage disponible sur le web. Sa mise à jour (blogging), normalement quotidienne,
est effectuée par un utilisateur (blogger) n'ayant pas forcément un profil technique.
Des logiciels (Blogger, Movabletype, Ublog...), accessibles via le web, permettent
de créer et de maintenir facilement le blog. Sites personnels à l'origine, les blogs
sont de plus en plus nombreux (plusieurs millions) et sophistiqués, à tel point qu'ils
font leur apparition dans le monde de l'Entreprise développement des blogs textuels
qui contiennent des fichiers audio ou vidéo. Basés sur des mécanismes du type RSS
ils sont "poussés" vers les usagers finaux qui peuvent soit les visualiser, les écouter
ou même les télécharger. On trouve de la même manière des photos blogs, des news
blogs.. .Copyright i!J Inventerm, 2005.
3 DE ROSNA y Joël, auteur de La Révolte du prolétariat, Fayard, 2006, place
les « Blogs » dans les médias de masses en opposition aux mass médias habituels et
montre que les médias des masses s'appuient sur les blogs, le téléphone gratuit de
type Skype, les wikis, le podcasting, les journaux citoyens... référence l'article:
Internet. dix ans de révolution, LEMONDE.FR 19-01-06.
10
observations et commentaires rédigés durant la période février-mars
2005 justifiant ou non mes hypothèses de départ.
Le blog concernant le Printemps libanais m'est paru une source
nouvelle qui a joué un rôle primordial; en atteste leur prolifération
quantitative lors de cette période. Les Libanais de la diaspora, ayant
créé des sites et pages web ou même s'étant exprimés sur leur propre
page, reflètent des opinions qui, un jour je l'espère, feront l'objet
d'une recherche plus poussée dans le domaine.
Une des limites à cette source, c'est que de nombreuses pages ont été
délaissées ou même fermées par les Webmasters. Beaucoup sont
tombées dans l'oubli peu après le 14 mars 2005. Les mises à jour
n'ayant pas été assidues et les visiteurs de moins en moins nombreux,
ce qui a poussé de nombreux Hosts à les enlever de leurs serveurs.

Ainsi, cet ouvrage est le fruit de plusieurs années de recherche


assidue, sous la direction du Professeur Mme Kiwan. Durant une
année, j'ai mené les entretiens, fini la recherche de terrain et surtout
rédigé le corps du sujet.
Je ne peux que remercier mon éditeur, Jean Paul Chagnollaud,
qui a bien voulu publier un ouvrage qui, je l'espère, pourrait lever le
voile sur une période charnière de I'histoire du Liban contemporain.

11
Remerciements

Je ne peux conclure cet avant propos sans remercier les mentors qui
m'ont soutenue lors de la préparation de cette recherche et de sa
publication. L'appui moral de ma famille et de mes amis a accru ma
motivation concernant ce sujet. Et c'est en constatant l'intérêt qu'ils
portaient à cette problématique que je me suis passionnée encore plus
aux problèmes récurrents qui entravent la création d'une identité
nationale commune à tous les Libanais.
En premier lieu, je remercie mes parents qui ont eu à me
supporter entre le stress d'une enquête de terrain avec ces entretiens
annulés ou remis et des dates de dépôt souvent changées. Boucler ce
travail sans l'encouragement perpétuel de mon entourage n'aurait pas
été chose facile. Pour la relecture orthographique, j'ai été
constamment aidée par mes amis, notamment Catherine Le Thomas,
Cynthia Chamat, Marie-Chantal Sundberg, Floriane Mercier, David
Leclerc et Patrick-Elie Daccak qui ont lu de larges parties de ma
recherche en y apportant d'inestimables corrections.
En second lieu, je ne peux oublier le CEMAM1 et toute son
équipe, avec un clin d'œil spécial à Nada Chalhoub, qui m'ont offert
un cadre propice à la rédaction et à la recherche avec d'utiles
confrontations lors des pauses café. Sans oublier l'encouragement
continu de la part du directeur, Christophe Varin, qui a plus d'une fois
aiguillonné mon analyse par ses opinions et recherches sur le Liban.
Ma reconnaissance va aussi au Père John Donohue qui m'a permis de
travailler au CEMAM, dès juillet 2005, tout en préparant cette
recherche.
J'aimerais, en troisième lieu, exprimer ma reconnaissance à
tous ceux qui ont bien voulu me donner de leur temps pour répondre à
mes sollicitations: Ziad Majed qui a répondu à mes mails, Nora
Joumblatt qui m'a très gentiment reçue chez elle, à Mokhtara, avec
son mari Walid Joumblatt pour une visite, puis dans son bureau au
Stareo où elle a répondu de façon détaillée à toutes mes questions.
Fady Halabi qui a bien voulu m'accorder un entretien où il décrit ses
impressions sur sa participation à la manifestation du 14 mars et qui a
surtout mis à ma disposition sa liste de contacts des jeunes actifs des

I
CEMAM : Centre d'Etudes du Monde Arabe Moderne, centre de recherche fondé
en 1971 à l'Université Saint Joseph de Beyrouth.
partis politique libanais. Nader el Nakib qui m'a reçue à Koraytem
pour un long entretien qui s'est vite transformé en une discussion
politique; Chérine Abdallah que j'ai rencontrée plus d'une fois et qui
m'a permis de découvrir la piste concernant la venue des activistes
d'OTPOR au Liban en mai 2005; Alain Aoun qui, malgré son agenda
politique et professionnel chargé, a pu m'entretenir durant une heure
et demie; lad Ghostine qui s'est personnellement déplacé au
CEMAM pour me décrire l'activité et l'organisation du Camp de la
liberté; Nabil Abou Charaf, Alia Habli et toutes les autres personnes
qui ont bien voulu m'accorder un entretien.
En amont de tous, je ne peux que remercier mes professeurs à
Sciences Po Beyrouth envers qui ma dette est immense. Leur
enseignement m'a énormément servi, et ce travail n'est que
l'accomplissement de leur mission. D'ailleurs, j'utilise de nombreuses
pistes qu'ils nous ont présentées en cours pour affiner mon analyse.
Ce travail existe grâce à ces sources d'inspiration et leur apport
qualitatif sur la façon de mener une recherche de ce genre.
Enfin, je ne peux qu'exprimer ma plus profonde gratitude à la
directrice de Sciences Po Beyrouth, le Professeur Fadia Kiwan, sous la
houlette de qui cette recherche a été menée. Ses mises au point,
encouragements et nombreuses remarques sont le pilier de ce travail.
Il va de soi que les imperfections et les erreurs qui seront
restées dans cet ouvrage malgré tous les apports sont miennes.

14
Méthodologie suivie pour la présentation de l'ouvrage

Note sur la transcription

Le système de transcription phonétique utilisé dans cette


recherche a été considérablement simplifié par rapport aux modèles en
usage dans les œuvres spécialisées:
-Le q ou le k ainsi que le c ont pu être utilisés dans les prénoms des
personnes citées. Nous avons veillé à garder la même forme pour le
même prénom. Mais des formes différentes peuvent être trouvées dans
des sources différentes.
Exemple: Nakib - Naqib ; Rafik - Rafic - Rafiq.
-Le son OU en langue arabe peut être retranscrit: par U dans certaines
sources ou par OU dans d'autres:
Exemple: Moustaqbal - Mustaqbal.
-Le el ou al l'article défini en langue arabe peut aussi différer entre les
sources, certaines allant même jusqu'à l'enlever.
-
Exemple: Rafic el Hariri - Rafic al Hariri Rafic Hariri.
-La lettre hamza : peut figurer par un apostrophe' ou un 2.
-Le son guttural ain : figure par un 3 ou par les lettres ain, sauf quand
les noms standardisés en langue française rendaient ce rajout inutile
(comme pour le prénom Omar).
Les notes de bas de pages traduisent les expressions et citations
utilisées en d'autres langues.

Note sur les citations et les sources

Les sources bibliographiques utilisées dans l'ouvrage sont


citées de la façon suivante:
Les notes de bas de pages:
Dans les notes de bas de pages de chaque chapitre et dans la liste
finale des sources et orientations bibliographiques:
-Les titres de revues ont été soulignés et mis en italique.
-Les titres d'ouvrages ont été soulignés et mis en italique.
-Les titres d'articles de revues ou d'ouvrages ont été mis entre
guillemets et en italique.
Pour reconnaître l'auteur, son nom et prénom précèdent les titres des
articles ou ouvrages que nous avons utilisés. Le nom est écrit
entièrement en lettres majuscules.
Dans les notes de bas de pages, les pages indiquent la ou les pages
d'où la citation a été prise. Pour connaître le nombre de page du livre
ou revue, il faut aller à la liste finale des sources bibliographiques.
Certaines notes de pages sont des citations en langue anglaise, ou des
transcriptions en langue arabe d'expressions utilisées qui nous ont
paru importantes à citer aussi dans la langue d'origine. Notre
traduction ou transcription pouvant ôter le cachet spécial de
l'expression utilisée.

La liste des sources

A la fin de cet ouvrage, dans la partie « références bibliographiques »,


les ouvrages et revues sont cités par ordre alphabétique du nom de
l'auteur.
Le nom de l'auteur est suivi du titre de l'ouvrage, souligné et mis en
italique, suivi du pays d'édition, la date d'édition et le nombre de
pages totales de l'ouvrage ou de la revue.
Il faut noter que, pour certains manuels nous avons utilisé deux
éditions différentes, la pagination pouvant différer d'une édition à
l'autre.
Ainsi pour le manuel de sociologie politique de Philippe Braud: la
Sème édition et la 7ème édition ont été utilisées.
Les sites Internet ou les pages utilisées ont été cités par ordre
alphabétique avec l'URL complète de la page utilisée.
Chaque page citée est suivie d'une présentation de son contenu que
nous avons rédigé en italique pour introduire au lecteur le contenu et
lui faciliter la compréhension du travail.
La liste finale des références bibliographiques est divisée en parties
qui servent à classer les sources selon leur type:
les ouvrages ou livres utilisés.
Les sites Internet utilisés, tous les sites sont précédés par
http://www.
Les revues, magazines ou articles de presse utilisés.
Il faut noter que certaines sources en langue arabe ont été
calligraphiées en alphabet latin puis retranscrites en arabe.
Les sources en langue anglaise ont été citées comme telles.

16
Abréviations

ALBA: Académie Libanaise des Beaux Arts.


AUB : American University of Beirut.
UL : Université Libanaise.
USJ : Université Saint Joseph.
LAU : Lebanese American University.
FL : Forces Libanaises.
PSP : Parti Socialiste Progressiste.
PNL : Parti National Libéral.
PSNS : Parti Syrien National Social.
CPL : Courant Patriotique Libre.

17
Introduction

Pour arriver au soulèvement civil du lundi 14 mars 2005, un


long processus s'est mis en marche dès l'assassinat de l'ancien
Premier ministre Raflc Hariri, le lundi 14 février 2005. Le Printemps
libanais ou la Révolution du Cèdre ont commencé, encouragés par un
contexte international favorable et un contexte national exacerbé par
de multiples repositionnements sur la scène politique.
Dès septembre 2004, une recomposition des cartes sur la scène
politique interne a commencé à prendre forme, au lendemain de la
prorogation du mandat du Président de la République Emile Lahoud,
qui est intervenue à l'issue d'un bras de fer entre le camp pro-syrien
au Liban et le camp des opposantsl auquel a adhéré le bloc druze de
Walid Joumblatt2. Quant à Raflc Hariri, opposé à la reconduction, il
avait pourtant signé le décret demandant au Parlement le vote d'un
amendement constitutionnel ouvrant ainsi la voie à la prolongation,
sous les pressions syriennes3. Le basculement de Walid Joumblatt
dans le camp de l'opposition a changé la donne politique, et après
l'assassinat de Raflc Hariri, la jonction politique de trois
communautés a fait changer l'identité de l'opposition et « lui a offert
visibilité et latitude d'expression. »4 Est-ce que cette jonction

1 Dès décembre 2004 une opposition rassemblant le bloc parlementaire de Walid


Joumblatt, le rassemblement de Kornet Chehwan, le courant interdit des FL, le CPL,
la gauche et le Forum démocratique a pris forme, autour d'un programme commun
qui réclame entre autres: un Liban indépendant et souverain de toute ingérence
étrangère et surtout libre des services de renseignements syriens qui ont transformé
le pays en Etat policier, une loi électorale assurant une représentation de toutes les
sensibilités politiques libanaises, le retour du Général Aoun et la remise en liberté de
Samir Geagea.
2 Marwan Hamadé a échappé de près, en octobre 2004, à un attentat à la voiture
piégée: il avait voté contre l'amendement constitutionnel pour la prolongation du
mandat d'Emile Lahoud.
3 « The story goes that last September Hariri was on the verge of voting against the
extension of Lahoud's presidential term-until he was threatened and insulted by
Bashar el Assad and Rostom Ghazaleh, Syria's security chief in Lebanon. Hariri's
parliamentary bloc changed track and cast its votes in favor of the amendment, but
Hariri concluded that the time had come for Syria to leave the Lebanese to govern
themselves. » GLASS Charles, "An assassin 's land", in London review of books, 4
August 2005, p. 16.
4 HADDAD Marwan, «Dossier spécial: l'opposition libanaise a-t-elle une chance
de tenir tête à la mainmise syrienne? », in Proche-Orient. Info, 21 février 2005.
politique, qui peut paraître conjoncturelle, a été suffisante pour
construire une réelle cohésion nationale entre ses adhérents? Quels
sont les moyens d'action qui ont été utilisés pour raffermir l'idée de
l'unité nationale?
On ne peut parler du Printemps de Beyrouth sans aborder
l'importance de l'appui international aux Libanais: d'une part, le
soutien à cette unité de la part de la société internationale avec
l'adoption par l'ONU de la résolution 15591 réclamant la fin de la
tutelle syrienne sur le Liban, et d'autre part, celui de la France et des
Etats-Unis avec des déclarations quasi quotidiennes en faveur de la
souveraineté libanaise. L'internationalisation du dossier libanais,
l'affaiblissement du régime syrien, la conjoncture politique nouvelle
ainsi que les précédents en Ukraine et en Europe de l'Est ont aidé à
préparer le contexte d'une révolution pacifique.
Les stratégies de mobilisation et moyens utilisés lors du
mouvement de libération ont-ils créé une identité politique nouvelle
commune aux citoyens libanais?
La mobilisation populaire durant plusieurs semaines a été
mythifiée comme l'esprit de changement et de transformation d'une
société conflictuelle2 en une société où la réconciliation nationale et le

1 Par la résolution 1559, adoptée le 2 septembre 2004, le Conseil de Sécurité de


l'ONU:
-
« demande à nouveau que soient strictement respectées la souveraineté, l'intégrité
territoriale, l'unité et l'indépendance politique du Liban, placé sous l'autorité
exclusive du gouvernement libanais s'exerçant sur l'ensemble du territoire libanais;
-
« demande instamment à toutes les forces étrangères qui y sont encore de se retirer
du Liban;
-
« demande que toutes les milices libanaises et non libanaises soient dissoutes et
désarmées;
-
« soutient l'extension du contrôle exercé par le gouvernement libanais à l'ensemble
du territoire du pays;
-
« se déclare favorable à ce que les prochaines élections présidentielles au Liban se
déroulent selon un processus électoral libre et régulier, conformément à des règles
constitutionnelles libanaises élaborées en dehors de toute interférence ou influence
étrangère;
-
« demande instamment à toutes les parties concernées de coopérer avec lui
pleinement et sans attendre afin que la présente résolution et toutes les résolutions
relatives au plein rétablissement de l'intégrité territoriale, de la souveraineté et de
l'indépendance politique du Liban soient appliquées intégralement (...). )}
2 « La guerre civile libanaise met en évidence qu'au sein d'une même population,
homogène, arabe, les structurations confessionnelles héritées du passé ont pu
déclencher des conflits d'une haine paroxystique. C'est sur la base de cette
20
pluralisme confessionnel priment. La construction d'un mouvement de
libération nationale rassemblant de nombreuses communautés s'est
inscrite comme un tournant primordial dans la vie politique et sociale
libanaise. Durant plusieurs semaines, de nombreux Libanais de tout
âge, ont pris la responsabilité citoyenne non seulement d'être les
témoins « d'une conscience identitaire globalisante et
transconfessionnelle »1 mais surtout d'être les acteurs d'une lutte
nationaliste libaniste active. La société civile libanaise, formée de
groupes (politiques, sociaux...) hétérogènes, portant chacun des
demandes personnelles et des espoirs divers,2 a édifié une mobilisation
sans précédent et incité le milieu politique à la suivre dans la voie
choisie et à la relayer dans ses choix politiques. Ainsi, le 14 mars, de
multiples acteurs se sont regroupés en une manifestation géante pour
« mettre sur le tapis» des demandes diverses. La confluence de tous
ces facteurs a entraîné la construction d'un mouvement de libération
nationale, mouvement de mobilisation populaire accompagné d'un
patriotisme exacerbé. A partir de ces observations, nous nous sommes
interrogés sur l'élaboration, lors du Printemps libanais, d'une
communauté nationale libanaise unie autour d'une même vision du
Liban. Ainsi, est-ce une opinion publique unie s'est créée ou bien, par
le biais des différents acteurs les ayant portées, des opinions publiques
avec plusieurs demandes et prises de positions ont émergé? Opinions
et positions qui mettent à nu ce que certains ont appelé « la poudrière
libanaise. »3 En reconsidérant les événements et surtout les stratégies
menées par les citoyens libanais, peut-on voir en filigrane de cette
manifestation l'apparition d'une identité citoyenne commune ou, au
contraire, le Printemps libanais souligne plutôt les fractures au sein de
la société libanaise? En d'autres termes, fait-il éclore un melting pot
à l'américaine, un melting pot qui réussit pour une période courte et
bien déterminée mais qui évolue en salade balkanique avec le
premier orage venu, notamment celui des élections? Ces

différence confessionneIle que se sont entretuées des populations.» THUAL


François, Les conflits identitaires, éditions ellipses, 1995, p. 93.
I DUBOIS Christophe, La survie libanaise ou l'exvérience de la différence. Presses
Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 2002, p. 131.
2 Pour certains c'est la vérité quant au dernier assassinat, pour d'autres la sortie de
leur chef de prison, pour d'autres encore, c'est le retour d'un dirigeant exilé...
3 RAMONET Ignacio, « La poudrière libanaise », in Le Monde Diplomatique, mars
2005. http://www.monde-diplomatique.fr/2005/03/RAMONET /11966.
21
interrogations nous ont conduit à examiner la Communauté nationale1
libanaise à l'épreuve du Printemps 2005, entre mythe et réalité, sujet
qui nous a servi de ligne de mire au long de cette recherche.

Pour essayer de déterminer les effets des stratégies menées


lors de ces événements sur l'identité politique des Libanais, il est
indispensable de rechercher la signification et la portée des vocables
utilisés, mais aussi d'évoquer sommairement l'état de la société civile
avant le 14 mars 2005.

I Le terme « communauté» est utilisé dans le jargon usuel comme synonyme du


terme confession où de communautés religieuses plutôt que synonyme de société
civile. Sans entrer dans le débat, nous avons voulu étudier le peuple libanais en tant
que communauté civile unie dans son rapport avec l'entité nationale.
22
A- La notion de Printemps libanais, essai de définition

Le Printemps libanais, plus maladroitement désigné par le 14


mars 2005, a vu s'exprimer depuis le 14 février au soir une partie de la
société civile libanaise d'une façon créative et volontaire. Nous nous
empressons de dire que la notion de « 14 mars» retrouvée dans de
nombreux articles ou même utilisée par de nombreux politiciens pour
désigner le Printemps libanais, peut nous entraîner dans une
simplification des événements qui ont eu lieu, simplification qui
risque d'enlever une grande partie des outils d'analyse appropriés à
une période qui couvre plusieurs mois de mobilisation générale. En
effet, notre recherche couvre la période allant du 14 février au soir
jusqu'aux élections législatives de mai - juin 2005 ; la journée du 14
mars marquant le pic de la mobilisation. Dans cette étude, nous avons
choisi d'utiliser l'expression Printemps libanais, pour désigner la
période allant de février à juin 2005 en passant par l'événement
marqueur de la journée du 14 mars 2005.1 Ainsi, nous avons éloigné
les vocables utilisés par certaines sources parce qu'elles n'englobent
qu'une partie de l'événement et peuvent ainsi diminuer la portée de
certaines périodes qui ont précédé ou même suivi l'apogée du 14 mars
2005.2
Il est vrai que la période du printemps commence en mai au Liban
mais cette métaphore de changement et de renaissance de la nature
nous a semblé la plus appropriée pour couvrir les événements qui ont
débuté en mars 2005. Une grande partie de la société civile sortant du
silence ou d'un état de désaffection et se mobilisant pour changer la
situation politique nous a paru comme voulant créer une situation

1 Nous avons utilisé dans cette recherche le terme « Printemps 2005 », ou


« Printemps libanais », pour désigner le soulèvement populaire qui a débuté le 14
février au soir, par des manifestations pacifiques au Ground Zero (comme a été
nommé le lieu où a été assassiné, par une explosion, l'ancien Premier ministre Rafic
Hariri), qui s'est illustré par son apogée durant la journée du 14 mars 2005 et qui a
perduré jusqu'en mai 2005 avec la levée du Camp de la liberté érigé par les jeunes
autour de la statue des martyrs.
2
Cette mise au point terminologique nous permet de faire attention aux nuances:
dans cette recherche nous analysons toute la période allant de février 2005 à juin
2005 (date de la fin des élections législatives). Le 14 mars, en tant que manifestation
populaire géante, est analysé comme un mouvement de foule d'une journée. Nous
n'y désignons pas, comme le font certains auteurs, toute la période par la génération
ou acteurs du 14 mars.
nouvelle. Les manifestations du Lundi qu'organisait l'Opposition
pouvaient facilement être associées aux bourgeons du Printemps. Pour
ce qui est de l'Opposition, nous utilisons ce terme dans son acception
propre et non commune, pour désigner l'ensemble politique qui a pris
cette dénomination lors du Printemps 2005, par rapport aux
Loyalistes. De même, cette initiative d'une grande partie de la société
civile de manifester et de se mobiliser pour la cause nationale peut être
interprétée comme la renaissance naturelle d'une société qui a hiberné
durant plusieurs années et qui, après un long hiver, se réveille et
reprend en main les rênes d'une situation qu'elle avait perdue durant
son assoupissement. En effet, après des années de mutisme ou
d'acceptation d'un ordre préétabli, un éveil s'est accompli et les
personnes sont sorties de leurs tanières pour refaçonner leur pays
selon leur vision.
Certaines sources désignent le Printemps libanais par la Révolution
des Cèdres, l'Intifada de l'Indépendance ou les Journées de
Beyrouth!, nous avons sciemment décidé de ne pas utiliser ces
expressions pour ne pas entraîner les lecteurs dans des confusions
terminologiques : certes la mobilisation a eu lieu à Beyrouth, mais les
personnes venant des villages de la montagne, du Sud ou même du
Nord, se sont activées. Restreindre cet effort quasi-national à la seule
capitale nous a paru inéquitable pour désigner l'événement dans son
ensemble. Le terme « libanais» paraissant plus ample et mieux
approprié et pouvant couvrir toute l'échelle étudiée. De même, la
métaphore des cèdres ou du cèdre pouvait entraîner des réticences
chez certains lecteurs, cette métaphore étant inspirée de la presse
occidentale.2 Nous ne l'avons utilisée que rarement, à des fins
littéraires ou pour enjoliver le texte, dans des parties où aucune
confusion ne risquait de perturber le lecteur.
Enfin, nous avons rarement utilisé les expressions Intifada 2005, à
connotation palestinienne ou même Indépendance 2005 qui a été le
logo des journées qui ont suivi le 14 mars, car elles sont nées durant

I
Il faut noter que la terminologie utilisée dans les différentes sources pour designer
cette période est très hétérogène: certains utilisent l'expression Révolution du
Cèdre, pour d'autres c'est la Révolution des Cèdres, Intifada 2005, Indépendance
2005, les Journées de Beyrouth, ...
2
"Cedar Revolution" has become the Western media's most commonly used name
for the chain of demonstrations and popular civic action in Lebanon (mainly Beirut)
triggered by the assassination of former Lebanese Prime Minister Rafic Hariri on
February 14,2005. http://www.lebaneselobby.org/.
24
les événements, et nous voulions en fait un terme qui puisse couvrir
les moments de leur création et de leur utilisation. Le Printemps
libanais a débuté, par les initiatives privées, le soir du 14 février 2005,
alors que l'Indépendance 2005 n'a été déclenchée publiquement
qu'après la réunion de l'Opposition libanaise. Ainsi, quelques
expressions retrouvées dans certaines sources peuvent incommoder
l'analyse; celles d'Indépendance 2005 ou Intifada 2005 nées durant la
période étudiée. Nous avons donc opté dans cette recherche pour une
expression générale pouvant couvrir toute la période observée.
Etudier la stratégie des acteurs libanais lors du Printemps 2005
nécessite leur présentation: qui sont les acteurs qui se sont mobilisés?
Pourquoi à ce moment et pas à un autre? Et enfin, est-ce qu'ils ont
fait preuve de maturité politique et d'une réelle volonté de changer
l'ordre des choses ou bien le Printemps libanais n'était pas un
mouvement constructeur de la nation mais un simple instrument pour
porter au pinacle une présupposée unité nationale? Brièvement, nous
allons introduire les principaux acteurs de la société libanaise: les
acteurs politiques, sociaux et économiques. Puis, nous allons débuter
la radioscopie de la société libanaise avant et durant le Printemps
libanais. Notre étude aura pour but de répondre à de nombreuses
interrogations concernant l'impact de ce Printemps et de déterminer si
les acteurs avaient pensé l'après-événement qu'ils ont créé. Le
mouvement de l'Intifada 2005 décortiqué mène à l'analyse des
acteurs, leur stratégie de participation, mais aussi à l'étude de la
manière dont la citoyenneté est perçue à travers le prisme de la
démocratie participative.

25
B- Présentation des acteurs libanais du Printemps 2005

Avant d'ébaucher l'étude du Printemps libanais et notamment


des moyens qui ont aidé à sa naissance, une mise au point est
nécessaire: définir les acteurs de la société civile qui ont joué un rôle
majeur lors de cette période.

Avec l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri,


nous assistons à une crise politique avec des manifestations et des
mobilisations contre le gouvernement en place: une mobilisation de
toutes les branches de la société, non seulement des partis politiques
mais aussi des organisations sociales, culturelles ou même civiques.
Pour le choix des acteurs, nous nous sommes penchés sur le choix que
fait Fadia Kiwan dans son étude sur « la société civile libanaise dans
l'après-guerre» parue dans la revue Corifluences Méditerranéel, et
celle d'Antoine Messarra, dans son étude sur la polarisation des
engagements de la société libanaise d'après-guerre? Ces articles,
analysant la période de l'après-guerre au Liban, soulignent le côté
engagé et défendent les actions communes. Dans cet ouvrage, nous
avons pris en compte la nouvelle conjoncture des années 2000-2005
dans le choix des acteurs que nous avons choisi de détailler. Il faut
dire que, pour notre recherche, nous nous sommes entretenus avec des
leaders d'opinion et des personnes responsables lors du Printemps
libanais. Ce sont les personnes qui ont aidé à l'organisation des
événements et des manifestations non violentes qui ont eu lieu. Au
cours de cette étude, nous les désignerons souvent comme les artisans
du Printemps libanais. Nous soulignons en effet leur rôle d'architectes
et de concepteurs dans la construction du Printemps libanais dans son
ensemble et celle du 14 mars en particulier. Au Liban, les moyens
pacifiques ont été utilisés par la population d'une façon spontanée
dans un effet boule de neige. Mais souvent, derrière l'apparente
spontanéité des événements et des manifestations non violentes qui
ont eu lieu, des cellules organisatrices s'acharnaient au bon

I
KIW AN Fadia, « Consolidation ou recomposition de la société civile d'après-
guerre? », in Confluences Méditerranée, Liban: Etat et société: la reconstruction
difficile, L'Harmattan, No. 47, Automne 2003, pp. 67-78.
2 MESSARRA Antoine, « Les partis politiques: une expérience arabe pionnière et
en déclin », in Le Pacte libanais: le messar:e d'universalité et ses contraintes.
Librairie Orientale, Beyrouth, 2002, pp. 89-109.
déroulement des manifestations et voulaient assurer toute la logistique
et les moyens de base (bougies, drapeaux, T-shirts, logos, fleurs etc.).
Mme Émeraude Ghazali, avec qui nous avons eu un entretien informel
en mai 2006, se souvient avoir distribué le matin du 14 mars, en moins
de 15 minutes, 75 kilos de douceurs arabes (pâtisseries) à
l'intersection de Dar el Sayyad. Lors de cette étude, nous allons
essayer de voir qui était derrière tout cet activisme.1 Comme en
Serbie, Biélorussie, Géorgie ou même en Ukraine, où des
organisations avec des activistes prenaient en charge la préparation
des mouvements de contestation,2 le Liban a aussi été le témoin de
l'activisme de personnes indépendantes ou soutenues par des partis
politiques ou des organisations sociales.
Au Liban, des personnes de la société civile, intellectuels, étudiants,
responsables dans des partis politiques ont essayé de mener la barque
du Printemps libanais à un moment donné. Par la suite, ils ont senti
que le mouvement se faisait tout seul et que leurs attentes s'étaient
trouvées dépassées par le flot humain?
Dans l'échantillon des personnes avec lesquelles nous avons choisi de
nous entretenir, nous avons essayé de contacter des Libanais
appartenant à des tendances politiques différentes mais aussi à des
communautés religieuses différentes. Nous avons interrogé des druzes,
des sunnites, des maronites et des orthodoxes. Malgré les
imperfections de l'échantillonnage et de l'enquête de terrain, nous
avons pu collecter une idée globale des perceptions libanaises. Nous
n'avons expressément pas choisi un échantillon shiite qui appartient
au camp du 8 mars - non pas que les shiites le soient de facto,

l
"The second part of February witnessed thousands of Lebanese chanting for
freedom, amid all the paraphernalia remembered from Europe 1989: guttering
candles; female students with democratic logos lips ticked on to foreheads; hastily
mass-produced flags; the strumming of guitars and the endless felt tip scrawling of
slogans on T-shirts and walls. It certainly has the choreography of a revolution." In
The Middle East, The Winds or Change, issue 355, April 2005, p. 10.
2 « Les faiseurs de révolutions ». entretien avec Aleksandar Maric, conduit par Milos
Krivokapic, (in Politique Internationale, No. 106, hiver 04-05, AIS NANCY France,
pp. 321-339). Dans cet article, Maric détaille la minutie de l'organisation des
révolutions non violentes. Il est intéressant d'approfondir ce sujet dans des
recherches ultérieures, notamment la visite effectuée par des membres d'Otpor et de
Freedom house, au Liban, en mars et en avril 2005.
3 Entretien avec madame Nora Joumblatt, épouse du leader druze Walid Joumblatt,
active dans la société civile et dans l'Organisation du Printemps libanais. Le jeudi 15
décembre 2005 au Starco.
28
d'ailleurs - car la problématique de notre recherche est axée autour de
la stratégie des acteurs du Printemps de Beyrouth. Lors des entretiens,
de nombreux enquêtés ont été dérangés et même surpris par la
question concernant leur confession. Ce point est important à relever
car au Liban, un des vecteurs de socialisation qui peut imprégner la
personne est la communauté religieusel et cette volonté chez les
répondants libanais de vouloir occulter cette appartenance de leur
identité nationale nous a paru justiciable d'une analyse. Cet indice
permet-il de conclure que les Libanais artisans du Printemps 2005 ont
une nouvelle vision de leur identité; vision qui s'éloigne de leur
communauté et se rapproche d'une identité plus citoyenne? Nous
allons déterminer à travers les axes étudiés concernant le Printemps
2005 si ces prises de positions orales sont pensées et réellement
voulues par les Libanais. Car nonobstant leur discours citoyen lors du
Printemps libanais, les prises de positions identitaires et
communautaires ont primé après la liesse du moment du 14 mars.
Nos entretiens2 sélectifs avec des personnes-clés du Printemps
2005 nous ont permis d'asseoir notre analyse sur des témoignages et
d'effectuer une étude comparative de certains éléments à travers la
lecture des événements par des acteurs appartenant à des tendances
politiques différentes, et surtout représentant une opinion précise. Pour
les entretiens, nous avons fait en sorte de reconstruire l'objet de notre
recherche en choisissant des acteurs qui ont participé activement et
surtout qui représentent une tendance ou un groupe de la société
libanaise (parti ou courant politique / communauté religieuse /
association civile / médias).

1 En nous référant à Nawaf SALAM, on ne peut que constater que si les


particularismes des communautés s'enracinaient au début dans le religieux, ou plutôt
dans le cultuel, ce qui garantit aujourd'hui la cohésion de ces groupes confessionnels
ne réside plus dans une fidélité au contenu du dogme originel qui commanda leur
constitution, mais bien dans le sentiment du vécu par leurs membres d'être unis par
la religion ainsi qu'une forte endogamie intracommunautaire, le tout, étant relayé par
des institutions distinctes: religieuses, politiques, éducatives. Ainsi en raison de la
conscience de corps exclusive, on peut affirmer selon l'expression de Marcel Mauss
que les communautés religieuses au Liban constituent « des phénomènes sociaux
totaux» assurant un encadrement continu de leurs membres. Pour avoir une image
globale de ce que les acteurs ressentaient lors du Printemps libanais, nous avons
essayé autant que possible de nous entretenir avec des personnes appartenant à des
communautés différentes et à des partis politiques différents.
2 Voir la liste des entretiens à la fin de l'ouvrage.

29
L'entretien avec Nora Joumblatt était primordial pour la
recomposition des événements du Printemps et pour connaître les
rapports entre les politiciens engagés dans l'organisation et la
population. Mme Joumblatt a pu aussi nous introduire aux perceptions
des druzes, étant elle-même de cette communauté, et nous a fait part
des impressions des jeunes du PSP qui travaillaient avec elle pour la
préparation des événements. Quant à Walid Joumblatt qui nous a
accueillis dans son fief à Mokhtara pour une longue visite, ses
réponses ont remis le Printemps libanais dans son contexte national.
Les entretiens consécutifs avec la responsable des relations publiques
du quotidien en langue arabe Al-Nahar nous ont non seulement permis
de découvrir la piste des activistes venant de l'étranger mais aussi de
retracer et de comprendre le rôle de certains médias dans le Printemps
de Beyrouth. L'entretien avec Alain Aoun, membre du CPL, a été
nécessaire pour avoir non seulement un point de vue politique de la
situation, mais aussi pour essayer d'avoir le point de vue d'un
opposant qui a accepté le ralliement à d'autres factions libanaises qui
se sont repositionnées sur la scène politique (du camp des pro-syriens
au camp des opposants).
Nous nous sommes entretenus longuement aussi avec deux sunnites
qui ont été personnellement impliqués lors de ce Printemps, et qui sont
d'importants relais d'opinions puisqu'ils sont responsables dans un
courant politique (le Courant du Futur) et dans une association de
diplômés: Nader el Nakib et Alia Habli.
Enfin, nous avons pu entrer en contact avec les principaux jeunes du
Camp de la Liberté, qui nous ont décrit avec force détails les
impressions des jeunes Libanais qui étaient au cœur de l'action. Jad
Ghostine et Nabil Abou Charaf représentent les jeunes Libanais actifs
lors du Printemps, et surtout responsables au Camp de la Liberté.
Pour ne pas oublier les indépendants, on a eu la chance de discuter
avec Fady Halabi : un Libanais qui n'était pas aussi actif avant février
2005. Il est le prototype d'un Libanais gagné par la déception
politique qui a touché certaines couches sociales après TaeJ, et qui
s'est décidé à participer activement au Printemps.
Des indices communs insérés dans les questions de chaque
entretien nous ont permis d'analyser d'une façon comparative les
perceptions de ces principaux acteurs. Et surtout d'examiner, après
l'expérience du Printemps 2005 les transformations dans leur vision
du politique, de l'Etat de droit et de la citoyenneté effective. Est-ce
que les revendications de démocratie réelle sont restées un mythe
30
souhaité ou ont-elles pris pied dans les esprits d'une façon qui peut
être concrétisée?

Avec la mobilisation et les manifestations de la société


libanaise contre la présence syrienne et contre le gouvernement, nous
constatons un changement perceptible dans les positions des
Libanais: la crise n'est pas communautaire mais politique par essence.
Les Libanais s'expriment contre l'anticonstitutionnalisme de certains
événements politiques, mais aussi contre un gouvernement qui a tardé
à prendre ses responsabilités politiques.
Un retour à la vie politique normale était voulu, une vie politique
suivant les règles de la démocratie, la souveraineté du pays et surtout
respectant la liberté des citoyens. A ce sujet, Fouad Ajami écrit dans le
Foreign Affairs de mai-juin 2005 que les Libanais ont voulu reprendre
leur destin en main après des années de peur et de réticence:
« If Hariri 's assassins sought to make an example of him for his
growing defiance of Syrian power, the aftermath of the crime mocked
them. A country forgotten and consigned to the captivity of its eastern
neighbor shook off its fear and reticence. For the span of a
generation, Lebanon was merely an appendage of Syrian power: for
all practical purposes, the small republic left the world of independent
nations. But now the Lebanese were clamoring for a return to
normalcy, calling their spontaneous eruption the "independence
Intifada. »1
Qui sont les acteurs libanais qui ont activement participé au
Printemps libanais?
De prime abord, on peut citer les indépendants: « Il ne fait guère de
doute que le mouvement a été initié par des groupes indépendants de
la classe politique, par des étudiants, des membres des professions
libérales (avocats, architectes et médecins). »2 Ce sont des personnes
qui se sont investies individuellement sans être chapeautées par un
parti politique. De nombreuses personnes se sont retrouvées au
Ground Zero3 le premier soir, et le mouvement de contestation a ainsi

1
AJAMI Fouad, "The autumn of the Autocrats", in Foreign Affairs, May-June 2005,
An Arab svrinz?, volume 84 , No.3, pp. 20-21.
2 MONGlN Olivier, « Le Liban n'est pas J'Ukraine », in ESPRIT, De J'Irak au
Liban. un vrintemvs fragile, mai 2005.
3
Le lieu en face du Saint Georges où a été assassiné par une explosion l'ancien
Premier ministre Rafic Hariri, l'appellation Ground Zero a été donnée par les jeunes
31
débuté par des prières, des pétitions et des bougies allumées sur les
barrières de sécurité mises autour du lieu de l'assassinat.
Outre les indépendants, on peut citer les communautés et les blocs
parlementaires:
Pour une fois, les communautés druzes et sunnites se rallient aux
communautés chrétiennes qui demandent la sortie des Syriens. Sous la
houlette du leader Walid Joumblatt, les druzes de la montagne ont été
véhiculés et mobilisés contre la présence syrienne. Nora Joumblatt,
lors de son entretien, souligne bien que des bus ont été affrétés à cet
effet.l Quant aux sunnites, ils préparaient le jour de la fidélité au
président martyr Rafic Hariri. L'état de choc après l'assassinat
invraisemblable a poussé les jeunes sunnites à « y mettre le holà» et à
participer activement aux mouvements de rue. Surtout après la
manifestation du 8 mars 2005 qui a rassemblé le Hezbollah et des
partis qui soutiennent la Syrie. Une manifestation qui a poussé les plus
récalcitrants des jeunes et moins jeunes de cette communauté à
participer à la manifestation du 14 mars.
Les blocs parlementaires et certains parlementaires indépendants ont
pris l'initiative de pousser les jeunes à se mobiliser.2
Quant aux étudiants, il faut dire qu'ils ont laissé tomber leurs cours,
pour participer aux manifestations ou au camp de la Place des
Martyrs. Certains sont indépendants, d'autres appartiennent à une
université ou à un groupe politique.3
Il ne faut pas oublier les professionnels qui ont appelé à la grève et à la
mobilisation aussi. Jim Quilty relève cet activisme chez les
professionnels et leur appel à la démission du Premier ministre en
poste Omar Karamé. Les Libanais ont-ils compris que la
responsabilité politique était une obligation que leur doivent les
représentants politiques?
"In a rare show of activism, Lebanese business leaders announced a
lock-out for the same day, to add their voices to the demand that
Karami 's government step down. The statement, signed by Lebanon 's
association of bankers and industrialists, as well as the chamber if

actifs du Camp de la liberté, en rappel à la dénomination Ground Zero de la place


laissée par le World Trade Center, après l'attentat du Il septembre 200l.
I Entretien avec madame Nora Joumblatt, op. cil.
2 Ghinwa Jalloul Walid Ido, Bahia el Hariri, Ghassan Moukhaiber, les députés de
Komet Chehwane, etc.
3
Le mouvement étudiant: universitaires et collégiens ont installé leur quartier
général à la Place des Martyrs.
32
commerce and industry, called for a "total closure in memory of Rafiq
,,1
el Hariri.
On constate d'après le texte appelant à la grève que c'est en mémoire
de la personne du Premier ministre que les cercles professionnels se
sont mobilisés. Il est intéressant de se demander si des changements
dans la perception des Libanais envers une responsabilisation des
politiciens leur permettraient de devenir des citoyens à part entière;
mais même lors du Printemps libanais, le culte de la personne a primé.
Il est vrai que le choc qui a suivi l'assassinat était grand, mais est-il
suffisant d'organiser des manifestations en mémoire de la personne,
ou aurait-il été plus valable de la part des professionnels d'appeler à
une grève contre ce type d'assassinat violent?
Il est notable que de nombreux Libanais ne se sont pas mobilisés en
mémoire de Rafic Hariri2, même le 14 mars 2005 ; les personnes
interrogées ont tenu à nous préciser lors de l'entretien pour quelles
causes elles se sont mobilisées. Nous avons inclus dans nos
questionnaires cette question de façon directe. Nous ne voulions pas
de réponses nuancées. Lors du Printemps libanais, certains ont voulu
être des «participants influents» dans les choix fondamentaux du
pays. Les personnes interrogées des partis politiques comme le CPL,
les FL, ou même de nombreux indépendants ou membres
d'organisations sociales nous ont répondu que le 14 mars était un jour
où ils pouvaient militer contre l'ingérence étrangère au Liban et l'arrêt
des assassinats violents. A la différence des deux responsables du
Courant du Futur et de l'Association Hariri, qui nous ont répondu que,
dès le 14 février, toute leur action avait pour but de commémorer la
mémoire du « président» martyr.3 Le 14 mars était pour eux« le jour
de fidélité en mémoire du président martyr. » Les autres causes étaient
certes importantes mais pas primordiales.

I
QUILTY Jim, "The Cedar Revolution", in Middle East International, A victory for
Lebanon, No. 745, 4 March 2005, p. 5.
2 « Le 14 mars n'est pas un plébiscite en faveur de l'ex-premier ministre, et la
tragédie qui en fait un martyr ne fait pas de son bilan politique un succès pour
autant; Loin de là. » A. N, « Le roi est mort. Vive le roi », in Tribune Libre, le
Monde Edition Proche Orient, p. 2.
3 Entretien avec Nader el NAKIB, responsable des jeunes du Courant du Futur, le
vendredi 20 janvier 2006 à Koraytem.
Entretien avec Alia HABLI, responsable des diplômés de l'Association Hariri, le
vendredi 20 janvier 2006 à Koraytem.
33
Ces différences notoires marquent le fossé qui existait entre les
participants au Printemps libanais. D'ailleurs, dans les discours qui
ont précédé le 14 mars, on constate cette ambivalence dans les
discours des leaders politiques qui appelaient à la mobilisation.
On peut, après ce passage rapide sur les principaux groupes qui ont
participé, dire que le Printemps libanais a été un grand mouvement de
foule, rassemblant aussi bien des jeunes que des personnes âgées,
femmes et hommes, toutes classes confondues et de toutes les
communautés. Pour Antoine Messarra, il est normal que le
mouvement public soit mené par ce qu'il appelle les cadres de
polarisation du débat public: « les partis et forces politiques sont, en
plus des diverses associations volontaires, universités organisations
sociales et médias, des cadres de polarisation des débats publics et des
engagements» dit-il.

34
C-Radioscopie de la société civile libanaise

Le 14 mars 2005 représente à de nombreux degrés le début


d'une ère nouvelle, un tournant dans la vie politique des Libanais: une
volonté de sortir de la culture de sujétion vers une culture de
participation. La première remarque qui doit nous interpeller, avant de
continuer la vérification de cette hypothèse, concerne la justesse des
expressions utilisées: est-ce que le mot de culture de participation ou
culture de sujétion se trouve justifié dans cette hypothèse ou bien le
terme état de sujétion et état de participation se trouve mieux
approprié? La deuxième remarque concerne l'état de la société civile
avant le tournant qui débute avec le 14 février 2005. Pour ce, il serait
intéressant de se pencher sur les études menées par de nombreux
intellectuels, notamment dans les années 1990.

- Désaffection et démission de la chose publique dans les années


d'après-guerre

Dans un contexte national imprégné par la présence syrienne


omniprésente, la société libanaise d'après-guerre paraît souffrir
« d'une désaffection par rapport au politique en soi ou du politique tel
qu'il s'exerce sur la scène publique. »1
Ainsi, une grande partie des Libanais a souvent préféré l'absentéisme
et la « non participation» à certaines activités politiques.2 Non
participation qui a même permis un laisser faire au niveau politique.
Absentéisme allant jusqu'à déséquilibrer le rapport de forces, après le
boycott3 proclamé par certains milieux. C'est une tendance de «dé-
participation par rapport à la chose publique. »4 Pour certains
analystes c'est 1'« IHBAT».

1
MESSARRA Antoine, op. cil., p. 102.
2 « It seems there has been a change in Lebanese political life. Here, the public was
previously known for the quiet devotion, patience or quiescence with which it bore
its rulers political maneuverings, » QUILTY Jim, "Peiformance politics in
Lebanon" in Middle East International, Lebanon at the crossroads, No. 746, 18 mars
2005, p. 4.
3
Le Liban auiourd'hui, sous la direction de Fadia Kiwan, Editions CNRS, Paris,
1994, p. 70.
4
MESSARRA Antoine, op. cil., p.102.
Ce terme est expliqué par Joseph Bahout dans la revue Esprit comme
la démission de certains de la vie politique libanaise. Démission
politique qui « fait référence à la désillusion, au désespoir, voire à la
dépression clinique. »1 Donc, 1'« IHBAT» s'expliquait par «le
sentiment de dépossession du pouvoir» ressenti par certains à la fin de
la guerre une fois certaines figures prééminentes mises à l'écart.
Pour d'autres,!'« IHBAT» se traduit par un «désengagement
populaire de la vie politique sous l'effet des désillusions »2 que la
Deuxième République3 n'arrivait pas à résorber: définition à caractère
plutôt psychologique. La question qui se pose alors est de savoir si
cette démission est le fruit d'une culture politique intrinsèque à la
société libanaise ou celui d'un état transitoire temporaire: est-il l'effet
de conjonctures?
Il faudrait de prime abord définir la notion de culture politique, et voir
surtout si ce type de culture s'applique à l'attitude des Libanais. Selon
Philippe Braud, « la culture politique est constituée d'un ensemble de
connaissances et de croyances permettant aux individus de donner
sens à l'expérience routinière de leurs rapports au pouvoir qui les
gouverne, et aux groupes qui leur servent de référence identitaires. »4
De même, Almond et Verba la définissent comme un «ensemble de
savoirs, de perceptions, d'évaluations, d'attitudes et de dispositions
qui permettent aux citoyens d'ordonner et d'interpréter les institutions
et processus politiques ainsi que leurs propres relations avec ces
institutions et processus.» 5 Après cette définition de la culture
politique, nous allons nous baser au début sur la distinction que font
Almond et Powell entre les trois types de culture politique: la culture
paroissiale, la culture de sujétion, et la culture de participation, pour
essayer d'y appliquer ensuite le phénomène libanais.
En décrivant la période de liesse de février-mars 2005, beaucoup
d'observateurs ne peuvent que l'opposer à la période où le manque de
mobilisation marquait les esprits. On peut citer à cet égard l'éditorial
de Proche Orient Info, où Elisabeth Schemla présente les Libanais

1 Entretien avec Joseph Bahout, « Le réveil de Beyrouth », in ESPRIT, De l'Irak au


Liban, un vrintemvs fragile, No.3 14, mai 200S, p. 119.
2
Le Liban auiourd'hui, op. cit., p. 71.
3 La Deuxième République étant le système politique né après la signature à Taëf en
Arabie Saoudite, de l'accord du nouveau consensus national entre les libanais.
4 BRAUD Philippe, Sociolofde Politique, Sème
édition, L.G.D.J., p. 234.
5 ALMOND Gabriel, VERBA Sidney, The civic culture Revisited, Boston, Little
Brown, 1980, p. 340, in BRAUD Philippe, op. cit., p. 234.
36
comme un peuple apathique qui préfère s'accommoder des exactions à
son égard plutôt que de les combattre: « les Libanais ne sont pas un
peuple de résistants. Ils peuvent haïr la botte qui les soumet, ils ne
trouvent pas en eux le ressort pour la combattre et préfèrent
s'accommoder, par tempérament.» Ou même son éditorial du 23
février 2005 où elle reprend cette même idée de peuple moins porté à
la libération nationale qu'à autre chose: « Probablement, cette alliance
Bush-Chirac-ONU et ces dernières heures marquent-elles un
basculement pour les Libanais. Ce peuple composite, dont le génie le
porte bien plus au commerce et aux affaires qu'à la résistance, avait
besoin du soutien extérieur de Grands pour se lancer sur la voie de la
libération. Laissé à lui-même, il n'en avait pas les moyens. »2 Si pour
certains, ce point de vue est exagéré, nous le partageons. Tout au long
des années d'après guerre, sous la tutelle syrienne, des formes de
mobilisation ont émergé.

- Des exceptions dans un contexte d'absentéisme politique

Il est vrai qu'après la guerre et sous la tutelle syrienne, la


mobilisation de la société paraît viciée et quasi inexistante mais ce
constat ne peut pas être généralisé à tous les acteurs de la société. En
effet, des formes de résistance ont souvent germé dans l'état de
désaffection qui paraissait ambiant. On peut citer le mouvement
estudiantin qui prenait souvent les devants de la scène pour exprimer
haut et clair la dissidence contre l'état de fait imposé, ou même le rôle
tenu par le Courant Patriotique Libre, ou même les Forces Libanaises,
qui ont, tous deux, représenté la partie la plus active sur le plan de la
mobilisation sociétale lors des années de tutelle. Atteste de cette
mobilisation qui se déroulait sous la botte syrienne, la description de
l'état des lieux avant la phase de février 2005, dans l'Appel du comité
« Liberté Liban» : « l'assassinat de l'ancien Premier ministre Raflc
Hariri le 14 février 2005 a déclenché une mobilisation populaire sans
précédent. Cela a amplifié un courant de protestation jusqu'ici
cantonné aux universités, aux ordres professionnels et à différents

I
Proche Orient Info, Editorial de Elisabeth Schemla, Ie 15 février 2005
http://proche-orient.coml.
2 Proche-orientinfo, 23 février 2005, la chronique d'Élisabeth Schemla, En
partenariat avec RCJ, « La libération de velours du Liban, dite rouge et blanche,
pourrait bien être en marche », http://proche-orient.coml.
37
cercles d'opposition politique ou intellectuelle. »1 D'ailleurs dans
nombreux de ces articles, Michel Hajji Georgiou, journaliste à
L'Orient le Jour, a souvent couvert l'action étudiante et a bien
rapporté la place que ceux-ci occupaient presque seuls au milieu de
l'arène face aux équipes militaro-judicaires sous l'emprise
syrienne: « C'est une jeunesse, d'abord aouniste, puis indépendante,
et rejointe progressivement par les autres formations politiques
ployant sous les effets de l'occupation qui devait, clandestinement,
puis d'une manière un peu plus organisée, descendre défier dans la rue
la terreur de l'appareil sécuritaire libano-syrien. La résistance
estudiantine face aux pratiques totalitaires était née. »2
D'autres organes ont montré leur résistance à l'état de fait en se
mobilisant et en combattant d'une façon indirecte, ou directe. Nous
allons nous contenter d'en citer quelques uns, comme le Courant
Patriotique Libre (CPL), ou certains intellectuels libanais, qui à travers
leurs écrits ont souvent dénoncé les exactions que le système politique
ou la classe politique commettaient. (Comme Samir Kassir dans ses
éditoriaux, ou le Rp Selim Abou en lançant le thème de la résistance
culturelle). Ce sont certains exemples de résistance et de mobilisation
de parties de la société civile à l'ordre ambiant. Mais ce qui fait du
Printemps libanais un tournant réel, c'est le fait que de grandes parties
de la société qui « collaboraient» ou même qui ne trouvaient pas dans
la lutte ou la mobilisation une façon d'arriver à se faire entendre, ont
adopté lors du Printemps libanais, et surtout après la mort de l'ancien
Premier ministre d'une façon atroce, le choix de la mobilisation active
et l'utilisation de la rue.
Si dans l'après-guerre des formes de sous-cultures sont nées, elles sont
le résultat d'un état de fait. Avec la reconstruction du pays, menée par
les gouvernements qui se sont succédés à la tête du Pouvoir et les
tractations3 qui ont été faites parmi les agents pour une place ou une
autre au sein de l'équipe dirigeante, des political subcultures sont
apparues. Les gens se détournant de l'Etat Nation pour se tourner vers
un sous-système plus limité, plus local. Pour affiner encore plus

I
Appel du comité « Liberté Liban », in ESPRIT, De l'Irak au Liban. un printemps
fragile, No. 314, mai 2005, pp. 117-118.
2 HAJJI GEORGIOU Michel, « Le mouvement estudiantin au défi de la
citoyenneté », in L'Orient le Jour du 17 octobre 2005.
3 « Il fallait faire de la place à tout le monde, chacun voulant la plus grande part
possible» souligne Fadia Kiwan dans son article sur les forces politiques nouvelles,
in KIW AN Fadia (dir.), Le Liban auiourd'hui. Editions CNRS, Paris, 1994, p. 58.
38
l'analyse, on pouvait observer qu'un état de sujétion prédominait.
Qu'elle sorte de sujétion? Et surtout est-ce que le mot sujétion est
bien valable dans ce cas? Pour répondre à ces questions, nous allons
nous baser sur l'étude de la «nouvelle géométrie politique »1 de
l'après-Taef. Avec des nominations2, des tractations, un «package
deal» entre les Syriens3 et les anciennes forces politiques libanaises,
on ne peut que constater que l'enjeu d'un choix politique moderne et
libre, dans le sens d'un choix rationnel, empirique, est remis en
question dans le Liban de l'après-Taef.
Peut-on qualifier cette attitude de culture de sujétion? Pour répondre à
cela, il faut se référer à la définition de la culture de sujétion que
donnent les manuels de sociologie: selon le manuel de
Schwartzenberg, dans une subject culture on connaît l'existence du
système politique, on en a conscience mais on reste passif à son égard.
D'après cette définition, les sujets espèrent les bienfaits du système
politique qu'ils subissent « sans pouvoir participer à son action. »4
Est-ce que cette définition s'applique au cas libanais? Avant le 14
février peut être, mais après le choc subi par les images vues par toute
la société, une transformation viscérale s'est opérée.

A travers cette recherche, nous allons essayer de sonder la


profondeur de cette transformation en exposant les stratégies de
formation et de déroulement d'un mouvement qui a constitué une
étape importante, non seulement dans la politique libanaise mais aussi
dans le rapport des Libanais à la politique et la citoyenneté.
D'une part, nous allons passer en revue la formation lors du
Printemps libanais des identités opposantes et rebelles, avec la mise en
œuvre de la symbolique politique et de la stratégie de fusion collective
avec tout ce qu'implique un mouvement de foule, puis étudier le
processus de la construction d'un imaginaire uni et structuré5 autour
du rejet d'un adversaire commun. Nous allons essayer de vérifier dans

1
KIWAN Fadia, op. cit., pp. 57-72.
2 Ibid., p. 59.
3 « C'est le net déplacement du centre de décision vers Damas, devenue allocataire
de ressources politiques », ibid., p. 59.
4 SCHW ARTZENBERG Roger Gérard, Sociologie volitiaue 5ème édition
Montchrestien, Paris, 1998, p. 117.
5 BUCAILLE Laetitia, « Israël et Palestine: Les imaginaires croisés », in
L'imaf!inaire des conflits communautaires. colI. Logiques Politiques, L'Harmattan,
2002, p. 227.
39
un premier chapitre, si un groupe politique cohérent peut naître autour
d'une identité politique partagée à travers le mouvement, né d'une
émotion spontanée commune à de nombreuses parties et surtout d'une
identification politique nouvelle, émanant d'une action
pluriconfessionnelle en réaction à la figure de l'ennemi.
D'autre part, nous nous sommes penchés sur l'étude des
symboles utilisés lors de la période février-mars 2005 pour essayer
d'éclaircir leur efficacité dans la construction du Printemps libanais, et
leur rôle dans l'affirmation d'une identité communel. Les symboles et
objets utilisés lors du Printemps libanais ont-ils pu asseoir les
multiples composantes de la société libanaise sur une identité qui
transcende les clivages partisans et communautaires vers une
intégration nationale et citoyenne?
Enfin, nous avons interrogé le degré de spontanéité et de
volontarisme des Libanais dans la mobilisation pour la cause
nationale. Pour ce faire, nous avons tenté d'étudier le rôle de la
communication comme vecteur privilégié pour la mobilisation,
comme agent de production de représentations collectives, et enfin
comme principal acteur de la période concernée.
Il faut dire que nous n'avons pas introduit le contexte national
et international2 d'une façon détaillée, préférant centrer l'analyse
autour du mouvement de foule et de la mobilisation en tant que telle,
en tablant sur les opinions libanaises et l'identité politique commune.
Le contexte politique international a eu un rôle important à jouer,
comme nous l'expliquerons à maintes reprises au cours de l'analyse et
dans les notes de bas de pages, mais dans cet ouvrage, nous avons
préféré privilégier la problématique de la participation de la
population libanaise à un projet commun, fédérateur d'un Etat de
droit.

1 Inspirés par des auteurs comme Durkheim nous avons essayé de montrer
l'importance des symbolisants dans la création du Printemps libanais: « L'emblème
n'est pas seulement un procédé commode qui rend plus clair le sentiment que la
société a d'elle même: il sert à faire ce sentiment; il en est lui même le symbole
constitutif. » DURKHEIM Emile, Les formes élémentaires de la vie relifJieuse. le
svstème totémiaue en Australie, Librairie Félix ALCAN, 1937, p. 329.
2 Reconduction du Président Emile Lahoud, 1559, Interférence Américaine et
française au sujet du Liban...
40
Chapitre 1

Exacerbation émotionnelle et polarisation au service de


quelle identification?

Après avoir détaillé l'état de la société civile avant et lors du


Printemps libanais, nous pouvons continuer à essayer de chercher
l'impact des événements sur la ligne libanaise. Y a t-il eu avec les
événements libanais une transformation dans les esprits des acteurs de
la société, transformation qui puisse changer leur rapport au politique
et à leur identité nationale? Les événements, ont-ils prévu une réelle
réconciliation nationale ou servaient-ils de prétexte aux acteurs,
prétexte qui leur permet de se positionner sur l'échelle nationale et de
compter leurs forces? Le mythe de révolution et de transformation
sociétale, né de l'exacerbation émotionnelle peut-il engendrer une
identification politique concrète? Pour répondre à ces questions, nous
devons d'abord définir les événements qui ont eu lieu lors du
Printemps libanais: pour certains, c'était une date charnière où la lutte
nationale, souverainiste et patriotique a atteint son apogée. Pour
d'autres, c'était un moment issu d'une émotion violente qui exprime
un « ras-le-bol» général et un rejet de la situation politique et sociale
dans laquelle vivait le pays.
Nous allons évoquer d'une part l'analyse du Printemps libanais
comme un mouvement de foule, mouvement né d'une opinion
publique portée à s'engager dans la lutte, en nous interrogeant sur la
profondeur et l'acharnement qu'une telle foule peut exercer pour
arriver à ses fins, et sur l'efficacité d'une telle mobilisation dans la
création d'un changement réel dans les perceptions libanaises. D'autre
part, nous allons étudier le Printemps libanais comme un mouvement
né d'une frustration qui rejette non seulement l'ingérence étrangère,
l'ordre politique et la situation politique du Liban, mais aussi la vision
que l'Autre a du Liban. Cette recherche est guidée par des
questipnnements perpétuels sur la rationalité d'un tel rejet, son impact
sur l'Etat de droit, et surtout sur son impact dans la création d'un
Liban creuset d'une union voulue réellement.
A- FUSION COLLECTIVE ET IMAGE SYMBOLIQUE DE
L'INTIFADA 05

Pour Le Bon dans son ouvrage Psvchologie des foules,


« l'opinion des foules tend à devenir de plus en plus le régulateur
suprême de la politique ».1 Lors du 14 mars, on a constaté que le
mouvement spontané, né du choc des émotions violentes, a pu
engendrer une réaction chez les politiciens et les a poussés à suivre la
vague populaire. Mais le mouvement mené par certains artisans était
calculé au centimètre près pour provoquer une fusion collective et
l'union de la société libanaise. Comme le présume Moscovici, la
stratégie de participation active de chacun peut mener à la création de
l'image symbolique que défend Sfez: « Chacun des symboles et
l'ordre de leur entrée en scène ont pour but de revivifier les émotions,
de charger l'atmosphère, comme on dit. Ils portent la fusion collective
à son paroxysme. La participation de chacun est requise, qu'il s'agisse
de défiler, de chanter de crier des slogans. C'est une condition du
passage à l'action. » En premier lieu, nous allons voir la façon dont le
mouvement de foule s'est cristallisé pour donner une image unie et en
second lieu, nous allons étudier la stratégie de mythification du
Printemps libanais et ses retombées sur l'identification et la
catégorisation des acteurs libanais.

A-a) Cristallisation du mouvement de foule


a-I) Faiblesse de l'Etat

Dans la préface, qui n'a pas été changée depuis la publication


de son œuvre en 1895, Le Bon affirme que « les foules ont toujours
joué dans l'histoire un rôle important, jamais cependant aussi
considérable qu'aujourd'hui. » Les manifestations géantes qui ont eu
lieu au Printemps 2005 au Liban et les mobilisations en Europe de
l'Est nous font constater que les suppositions de Le Bon, affirmées il y
a un siècle et demi, sont encore confirmées.
On peut se demander quel est l'impact des foules dans le Printemps
libanais. Pour cela, une radioscopie de l'état des choses est

I
LE BON Gustave, Psvchologie des foules, Presses Universitaires de France, 1895,
5èmeédition, mai 1995, p. 88.
nécessaire: le système politique libanais sous la tutelle syrienne
rendait l'âme après la reconduction du président Emile Lahoud.!
Le système, qui a longtemps pu se tenir debout a été fissuré.
D'ailleurs, lors d'une conférence de presse, Walid Joumblatt lance à
ce propos: «nous sommes dans un Etat qui se tient de l'extérieur,
mais qui est démantelé à tous les niveaux intérieurs.»2 De ce fait,
une grande partie de la société libanaise, avec l'aide et le soutien d'un
contexte international favorable aux libérations démocratiques3, a pu
arriver à ses fins lors du Printemps libanais. D'ailleurs, Le Bon, en
pariant des foules, dit:

I Pour Walid Joumblatt: « C'est l'atteinte à la Constitution libanaise, à travers la


prorogation du mandat présidentiel d'Emile Lahoud, qui a provoqué
l'internationalisation du dossier Syro-libanais». «Desserrer l'étau Syrie »,
entretien avec Walid Joumblatt conduit par RIZK Sibylle, in Politique
Internationale, No. 106, hiver 2004-2005, p. 57.
2 PERRIN Jean-Pierre, Liban: « Quand Damas va trop loin...», in Politique
Internationale, ibid, p. 49.
3 La politique américaine et la politique française concernant le Liban avaient
changé: la résolution 1559 est adoptée le 2 septembre 2004 par le Conseil de
Sécurité. (Par neuf voix pour et six abstentions).
C'est la première fois, depuis les accords de Taej. que la question libanaise revient
sur le devant de la scène onusienne. Bien à l'avance, des petits pas ont été ébauchés
par ces deux puissances concernant l'Indépendance libanaise: « Déjà, le 30 avril
2003, Dominique de Villepin avait estimé « nécessaire que le Liban retrouve
rapidement son indépendance et son entière souveraineté. » « Peu après l'occupation
de l'Irak, Colin Powell va employer un terme qui n'a jamais figuré dans son
vocabulaire: « l'occupation» du Liban. Dorénavant, le pouvoir syrien est considéré
comme une menace. (En note de bas de page, PERRIN souligne: Proches des
« faucons» américains, deux lobbies anti syriens, le Lebanese-American Council
for Democracy et New England Americans for Lebanon, militent pour que la Syrie
soit intégrée dans l'axe du mal de Georges W. Bush). Ecarté en 2002 par le président
Georges W. Bush, un projet de loi visant à sanctionner la Syrie refait surface l'année
suivante sous une autre appellation. Voté par le Congrès en novembre 2003, le
Syrian Accountability and Sovereignty Act est ratifié le lImai 2004. Il impose à la
Syrie un régime de sanctions particulièrement sévères, comparable à l'embargo
décrété contre Cuba. » PERRIN Jean-Pierre, « Quand Damas va trop loin ...», in
Politique Internationale, ibid, pp. 37-53.
"On the morning of September Il 2001, U.S priorities in the Middle East changed.
Suddenly, the Bush administration came to see democratization, which it had
previously ranked below security and stability in its list of concerns for Arab world,
as the critical means by which to achieve these other goals." COOK Steven, "The
right way to promote Arab reform", in Foreign affairs March-April 2005, Talking on
Teheran, vol. 84, No.2, p. 91.
44
«Par leur puissance uniquement destructive, elles agissent comme ces
microbes qui activent la dissolution des corps débilités ou des
cadavres. Quand l'édifice d'une civilisation est vermoulu, les foules
en amènent l'écroulement. C'est alors qu'apparaît leur rôle. Pour un
instant, la force aveugle du nombre devient la seule philosophie de
1
I'histoire. »
Une première remarque est à faire: la force des foules et des
manifestations menées lors du Printemps libanais vient donc non
seulement d'elles-mêmes, mais surtout de l'état de faiblesse voire de
décrépitude dans lequel gisait le système libanais. En atteste la
faiblesse d'un système où le Président de la République non seulement
ne fait pas l'unanimité, mais dont l'élection est mise en doute par de
nombreux partis. En outre, on peut associer l'état de plusieurs cercles
administratifs au Liban au corps débilité ou cadavérique dont parle Le
Bon. L'exemple du Conseil constitutionnel qui, depuis des années, est
lui-même statutairement inconstitutionnel et non réglementaire en
atteste.
Il faut noter d'autre part que le Printemps libanais a suscité non
seulement une mobilisation massive, mais surtout une prise en charge
de cette foule par elle-même. Il est vrai que ce Printemps avait de
nombreux artisans, mais il était unique car aucune figure montante n'a
pu résumer ce Printemps ou le tenir en bride. Un leader ou un chef
n'existait pas. De telle sorte que nous pouvons rapprocher le
mouvement de foule du Printemps libanais de l'analyse de Canetti
dans Masse et vuissance2 où il montre que la constitution de l'être
collectif se fait plus par peur de la mort violente (assassinat de Hariri
et images de Bassel Fleyhane en flammes) que par irruption d'un
homme qui s'impose par sa capacité de décider. Lors du Printemps
libanais, c'était moins la peur que le «ras-le-bol» d'une situation
politique et sociale insoutenable qui a poussé la masse à former un
même être collectif qui se bat pour une même cause. Le Printemps
libanais était teinté d'un « ras-le-bol» émotif et d'un défi face à la
peur.

1
LE BON Gustave, op. cil., p. 4.
2 BOURETZ Pierre, op. cil., p. 209.
45
a-2) La guerre des effectifs

Quant à la deuxième remarque qui peut être formulée, elle


vient de l'observation du recours au nombre lors du Printemps
libanais. Après les funérailles nationales organisées pour l'ancien
Premier ministre Rafic Hariri, tous les lundis l'opposition qui s'était
formée lançait des appels à la mobilisation et à la manifestation contre
la tutelle syrienne et contre le gouvernement en place. Les journaux et
les autres médias comptabilisaient le nombre de manifestants, et la
réussite d'une manifestation s'appréciait au nombre de participants
qu'elle avait pu réunir. D'ailleurs, la polémique quant au nombre de
manifestants pour le 8 et le 14 mars en atteste: la philosophie de
l'histoire donnait gagnant le groupe qui avait pu monopoliser le plus
grand nombre de personnes. Etait-ce en milliers, en millions ?l A ce
propos, Nadim Labaky correspondant de Libération2 explique
comment après la manifestation des pro-syriens la guéguerre des
manifestations de rue se faisait ressentir: «les chefs de file,
essentiellement druzes et chrétiens maronites, de l'opposition doivent
réussir leur manifestation de lundi s'ils veulent contrecarrer
l'impression de force donnée par le Hezbollah. »
La question qui se pose, lorsqu'on a recours à la rue pour faire passer
des revendications nationales, reste entière: le recours à la rue permet-
il de dépasser les clivages chez les artisans d'un même groupe, ou au
contraire souligne-t-il les différences au sein du même groupe et les
renforce-t-il? La stratégie de manifestation et contre-manifestation
peut-elle être l'embryon d'une renaissance active de la société? Les
observateurs du Printemps libanais sont restés sceptiques face au
mouvement de rue et à la guerre des effectifs:
"And now the Cedar Revolution is sweeping through Lebanon,
although the jury is still out on exactly where it might lead us, since

1 ~\ y\j.:>. ~\." ,-,."ill r~\


~')Y"' ~ ~ ~.)L.:W\ ~~ ~ti r~ ~\ ()\ .)c. ()~\yJ\ ~\."..
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iJA~."..)"'~\ ûL:..L.J1 ~I.)I ()~I
~I."
.'I~WI ~t:;)I:;!1
EL CHARK EL AWSAT, JARlDAT EL ARAB EL DOUWALlYA, mardi 15 mars
2005, No. 9604, copyright: ] 978-2005 @ H. H. Saudi Research & Publishing
Company (SRPC).
2 LABAKI Nadim, « L'opposition libanaise se mobilise à Beyrouth »,
www.Liberation.fr.
46
the early days have largely concentrated on the size of demonstrations
organized by pro-syrian Hezbollah on the one hand, and those that
want Syria out now, on the other. (...),,1
Il faut noter que leur scepticisme est justifié car l'opposition entre
deux rues lors du Printemps libanais, n'était pas une simple opposition
politique, marqueuse d'une diversité des choix politiques, mais une
opposition fondamentale dans les choix politiques pour une Nation
libanaise. Les deux rues avaient deux dialectiques opposées sur leur
vision du Liban. En outre, certains observateurs, encore plus
sceptiques, parlent de monologue mené par chaque rue, monologue
qui ne peut mener à aucune sortie de crise: "Optimists term the
present cycle of demonstration and counter-demonstration as a
"political dialogue." In fact, it stilllooks more like monologue by
,,2
turns.
Lors du Printemps libanais, deux mouvements de rues s'opposaient.
Les deux avaient recours à la foule et au défi du nombre pour
renforcer leurs positions sur l'échiquier politique. Or, ce recours à la
rue, s'il a pu déstabiliser le gouvernement et le mener à démissionner,
ou s'il a pu entraîner la sortie des syriens, n'a pas pu réconcilier les
Libanais entre eux: le constat est effarant avec les élections
législatives et les zizanies et les marchandages qui en ont résulté. Ces
comportements politiques ont donné naissance à une déception chez
de nombreux jeunes, plus de 60% des questionnés de notre enquête.3
Lors des élections législatives de mai-juin 2005, certaines listes se
sont créées symboliquement pour montrer une unité et un changement
profond des mentalités, mais le système ne s'est pas transformé en un
système plus démocratique et l'Etat libanais n'a vu après le Printemps
libanais qu'une nouvelle équipe utilisant pour ces intérêts propres les
mêmes règles du jeu dont bénéficiait la précédente équipe. Les
personnes interrogées nous ont affirmé pour la plupart qu'ils n'étaient
pas dupes du changement illusoire qui avait été effectué. Pour eux, le
Printemps libanais a pu montrer que l'union des acteurs de la société
pouvait entraîner les politiciens à suivre le mouvement. Deux des
leaders d'opinions que nous avons interviewés nous ont affirmé que
ce sont les jeunes qui ont ébauché le mouvement du Printemps

1
The Middle East, The Winds orChange, Issue 355, April 2005, p. 10.
2 QUILTY Jim, "Performance politics in Lebanon", in Middle East International,
Lebanon at the crossroads, No. 746, 18 mars 2005, p. 4.
3 Cf. La liste des entretiens.
47
libanais, les politiciens n'ont que récupéré un mouvement lancé par la
société.
Comment les artisans du Printemps libanais ont-ils pu arriver à
mobiliser les Libanais, et quel a pu être l'impact du Printemps
libanais? Nous allons exposer ces points en étudiant le mouvement
dans une optique de mythe d'une part et selon une approche
fonctionnelle de l'autre.

A-b) Mythification et suggestion collective créatrices d'effet de


contagion

Qu'est-ce que le 14 mars, et surtout comment peut-on


expliquer la dynamique qui a débuté avec le Printemps libanais?
Pour certains, le 14 mars est un mouvement civique où les Libanais
ont osé dire publiquement ce qu'ils pensaient mais surtout ont exprimé
leur volonté d'un Etat politique nouveau. Cette définition du 14 mars a
été retrouvée chez de nombreux leaders d'opinion que nous avions
interviewés et qui ont été déçus, par la suite, par la tournure des
événements.
Donner au Printemps libanais une telle ampleur relève d'une vision
simpliste ou du moins très optimiste. Simpliste car le renouveau du
système politique libanais fait face à la complexité de sa politique
communautaire, à son imbrication dans des dettes publiques et à sa
situation géopolitique dans une région houleuse. Il ne peut s'affirmer
par une simple manifestation grandiose car de nombreuses causes, qui
entravent une réelle unité, apparaissent.
Georges Corm dans l'introduction de son article dans le Monde
diplomatique en relève:« La prégnance de profondes divisions
confessionnelles, le poids de la guerre civile et le contexte régional
marqué par les incertitudes en Irak et en Palestine. »1
Nous allons voir, d'une part, que le mouvement de mythification de
l'idée de révolution et de changement, conduit par les artisans du
Printemps libanais ne pouvait être constructif d'une communauté
nationale réelle basée sur un projet politique nouveau. Mais ce
mouvement leur servait de «processus de catégorisation» qui leur
permettait de grossir les rangs. D'autre part, nous allons voir par
l'étude fonctionnelle du « 14 mars» s'il était, de par sa fonction,

1
CORM Georges, « Crise libanaise dans un contexte régional houleux », Le Monde
diplomatique, avril 2005, pp. 16-17.
48
porteur de tant de perspectives politiques qualitatives. Nous
exposerons, de prime abord, le rôle que joue la cristallisation
émotionnelle dans la construction du mouvement et surtout dans
l'illusion unitaire.

b-l) Emotion génératrice d'unité mais aussi de fausses illusions

Quel est l'impact qu'ont pu avoir le Printemps libanais et les


manifestations de masse sur l'identité libanaise? Le changement,
prôné par les foules, était-il réellement voulu et pensé? Les
révolutions menées par elles pouvaient-elles mener à un changement
radical des perceptions identitaires des Libanais?
Le « 14 mars 2005» est devenu un mot marqueur sur lequel se
focalise «une projection intense. »1 Un mot, qui porte en lui même
une pléthore de significations, mais il a été jusqu'à la période des
élections, une sorte de symbole marquant une volonté de changement.
Le « 14 mars» ou « le Printemps libanais» sont des expressions qui
se sont inscrites dans le lexique journalistique et usuel, désignant
comme le dit Beauchart « un être virtuel» qui s'affirme « comme une
puissance d'images communes. »2
Mais qu'elle est l'essence de ce mouvement, et est-ce qu'il aurait pu
avoir d'autres retombées que la levée de boucliers entre les parties
libanaises? Il faut noter de prime abord une nuance primordiale pour
la compréhension des événements libanais de 2005 : après l'assassinat
de Rafic Hariri, une émotion publique a pu pousser les gens à se
mobiliser, et les a unis autour d'une cause, d'où la naissance d'une
opinion publique commune à tous les artisans.
La nuance entre émotion et opinion est grande. Il nous a paru
important de la relever. Le mouvement de foule était porté par une
émotion commune à tous, émotion née chez certains après la vue des
images choquantes de l'assassinat. Cette émotion s'est traduite en une
mobilisation et une volonté de participation, et surtout une volonté
d'action chez de nombreux Libanais; comme le traduit Le Bon: « des
milliers d'individus séparés peuvent à un moment donné, sous
l'influence de certaines émotions violentes, un grand événement

1
BRAUD Philippe, op. cit., p. 94.
2 BEAUCHARD Jacques, Penser l'unité /Jolitique entre fondements. turbulences et
mondialisation. colI. Administration et aménagement du territoire dirigée par Jean
Claude Néméry, L'Harmattan, 2001, p. 64.
49
national, par exemple, acquérir les caractères d'une foule
psychologique. » 1
D'une part, nous allons voir que, lors du Printemps libanais, une
même opinion et une même volonté ont été formées lors des
manifestations pour la liberté et la souveraineté du pays.
L'enthousiasme patriotique des Libanais a entraîné une certaine
cohésion nationale autour d'un patriotisme et libanisme d'un genre
nouveau. Patriotisme qui s'allie à un optimisme sans pareil pour un
futur social et politique et un libanisme « égocentrique» qui
s'identifie par rapport aux autres. Tarde parle de ce patriotisme
exacerbé qui peut stimuler, sous le choc des émotions, une action
spontanée: « L'enthousiasme patriotique a aussi souvent inspiré
généreusement les foules, et, s'il ne leur a jamais fait gagner des
batailles, il a eu parfois pour effet de rendre invincible l'élan des
armées exaltées par elles. »2
Lors du Printemps libanais, et même durant les funérailles nationales
de Rafic Hariri, un libanisme exacerbé est apparu. Avec les veillées au
centre ville, puis les manifestations du Lundi, cette action spontanée a
persisté.
Les idées communes ont germé avec le choc violent de l'assassinat
d'un homme politique qui, certes, ne faisait pas l'unanimité au niveau
populaire, mais dont la mort tragique et violente a entraîné une
réaction immédiate chez de nombreuses parties libanaises. Tarde parle
de la foule de deuil, qui suit, « sous l'oppression d'une commune
douleur, le convoi d'un ami, d'un grand poète, d'un héros national?
Celles-là, pareillement, sont d'énergiques stimulants de la vie sociale;
et, par ces tristesses comme par ces joies ressenties ensemble, un
peuple s'exerce à former un seul faisceau de toutes les volontés. »3
Lors du Printemps libanais, on a relevé que la rue libanaise s'est
mobilisée après le choc de la mort violente de Rafic Hariri et ses
compagnons. Fadia Kiwan lors d'une communication à l'Institut du
Monde Arabe à Paris explique que cette mobilisation émotionnelle est
la réaction naturelle à cette sorte d'événement: « L'expression de la
solidarité a résisté aux aléas de toutes les politiques et ce qu'on
appelle la rue arabe, expression courante pour désigner les sensibilités
fortes de l'opinion publique dans les différentes sociétés arabes,
1
LE BON Gustave, op. cil., p. JO.
2 TARDE Gabriel, L 'ovinion et la Foule. Les Presses universitaires de France, avril
1989, 1ère édition, Collection Recherches politiques, Paris, pp. 60-61.
3 TARDE Gabriel, op. cil., p. 61.
50
exprimées le plus souvent par des mobilisations émotionnelles en
réaction à de grands événements, reflète une similitude dans les états
d'âme et l'on peut croire même à un effet de contagion. »1
Lors du Printemps libanais, nous constatons que par la tristesse et le
« ras-le-bol» ressentis par une grande partie de la population, cette
même population a pu se réunir en un même mouvement. Nous allons
voir dans notre étude que de nombreuses stratégies symboliques et
médiatiques ont aidé à la création de cette image commune, mais il ne
faut pas oublier la force de l'émotion qui ajoué un rôle important lors
du Printemps libanais, et qui est un facteur cité par la plupart de nos
questionnés.
L'émotion stimule un enthousiasme patriotique sans pareil et pousse à
un même moment de nombreuses parties à s'unir. Les nombreuses
parties qui, souvent, ont chacune mené un combat indépendant,
s'unissent pour une même cause entraînant la création d'une
allégeance concordante avec des valeurs communes. C'est ainsi que
Durkheim explique la création d'une société civile en acte:
« C'est que la société ne peut faire sentir son influence que si elle est
en acte, et elle n'est en acte que si les individus qui la composent sont
assemblés et agissent en commun. C'est par l'action commune qu'elle
prend conscience de soi et se pose; elle est avant tout une coopération
active. »2

b-2) L'effet de contagion, né de la mythification symbolique du


Printemps

Lors du Printemps libanais, nous constatons deux phases


distinctes dans le mouvement de mobilisation qui s'est déclenché
après le 14 février 2005.
Le tournant apparaît le 8 mars 2005, et non pas comme beaucoup le
pensent le 14 mars 2005.
En effet, lors des manifestations du lundi qui ont précédé le 8 mars
2005, les manifestants emportaient chacun son drapeau partisan, et la
plupart venait au centre ville portant ses propres martyrs à bout de
bras.

1 Communication de Mme le Professeur Fadia KIW AN au I er Forum du Dialogue


Euro-Arabe, sur le thème « Perspectives et contenu d'un partenariat stratégique
euro-arabe », les 26-27-28 avril 2006, à l'Institut du Monde Arabe à Paris.
2 DURKHEIM Emile, op. cil., p. 598.
51
Cela nous montre qu'avant le 8 mars et le choc perçu par une grande
partie de la population libanaise à la vue de la grande manifestation
organisée par les pro-syriens au Liban, la réelle volonté de mettre en
commun toutes les demandes ne s'était pas affirmée. La confluence
des mobilisations vers le centre ville aurait pu créer une image d'union
ou de mobilisation commune. Mais ces mobilisations sporadiques
n'étaient pas suffisantes, les artisans avaient besoin d'affirmer avec
tous les moyens possibles le « ras-le-bol» qu'ils ressentaient et
surtout cherchaient à impliquer le plus grand nombre de personnes.
Par conséquent, ils ont mené une stratégie de symbolisation par
l'image de l'Intifada, image symbolique qui, comme le souligne Sfez
« considère rassemble et fortifie le modèle en place. »1
Après le choc des images du 8 mars, une autre dynamique s'est
déclenchée. Notre enquête de terrain nous a aidés à percevoir le
tournant qui s'est fait à travers les explications des responsables du 14
mars que nous avons interviewés. Les propos de Jad Ghostine et Nora
Joumblatt sont précis sur cette transformation. Après le 8 mars, la
vraie campagne de mobilisation et de symbolisation pour la
préparation d'une grande contre-manifestation a commencé. En
premier lieu, la formulation d'idées communes et celle de slogans
exprimant un idéal commun a débuté. Cette stratégie concorde avec
les propos que nous a tenu Walid Joumblatt: il fallait un slogan
unificateur, et une idée porteuse d'ambition pour mobiliser la rue.
Pour rassembler comme l'affirme Durkheim: « Une société ne peut ni
se créer ni se recréer sans du même coup, créé de l'idéal. »2 Par
conséquent, les artisans - que ce soient des acteurs de la société
civile, des politiques ou des publicistes - ont mis en commun leurs
forces pour créer cet idéal et l'image de cet idéal: Nader el Nakib
affirme, lors de son entretien, avoir lui-même créé le slogan: vérité,
liberté, union nationale. Mme Joumblatt amplifiant l'idée d'une image
homogène avec des drapeaux communs et des signes communs. Sfez,
décrivant cette opération symbolique, montre l'homogénéité parfaite
et la vision unie que souligne cette stratégie: « l'opération symbolique
vient sonner le rappel et montre, comme une magie, la vision d'un
accord total, d'une transmutation parfaite. »3

1
SFEZ Lucien, La volitiaue svmbolique, Quadrige/ Presses universitaire de France,
avril 1993, p. 142.
2 DURKHEIM Emile, op. cil., p. 603.
3 SFEZ Lucien, op. cil., p. 267.
52
En deuxième lieu, après le 8 mars, il fallait coûte que coûte préparer
un lieu pour recevoir les gens mobilisés, et choisir une date dont le
symbolisme puisse avoir un effet catalyseur sur de nombreuses
personnes. Ce sont des stratégies appliquées par instinct par les
artisans du Printemps libanais, alors que ce sont des stratégies
détaillées par les théoriciens des mouvements de foule comme
Moscovici, Tarde ou Le Bon. D'ailleurs, concernant le lieu choisi pour
les manifestations (la Place des Martyrs) et l'effet symbolique de ces
lieux sur la population libanaise, la description de Moscovici vient à
point: « Pour se réunir et agir, les foules ont besoin d'espace. La mise
en représentation donne à cet espace un relief et une forme. Des lieux
sont créés afin d'accueillir les masses. »1
Nous avons vu que le 14 mars est devenu une image symbolique
durant sa construction. L'idée de révolution et de transformation réelle
a été le leitmotiv de la population qui s'est mobilisée. L'image du
pluralisme, formée par une foule soudée, a conduit à la mythification
de ce Printemps: «l'image symbolique est liaison fortifiée des
contraires, pluralisme, mythe. »2
Après avoir constaté le rôle de l'émotion dans la création d'une foule
et surtout la cristallisation de cette foule autour d'objectifs communs,
nous allons voir si l'impact d'une telle stratégie peut être remis en
cause. Il est vrai que la mobilisation a été éphémère après le 14 mars
2005, mais après ce jour, ce soulèvement populaire a laissé « en se
retirant, la puissance d'un événement symbolique qui illustre une
identification collective. »3 Quelles sont donc les conséquences de
cette fusion collective, et cette contagion où plusieurs demandes ont
convergé, a-t-elle pu changer les perceptions politiques libanaises?

b-3) Démystification du 14 mars

Nous avons vu que le mouvement de foule s'est construit sous


l'effet de l'émotion. Par la suite, les artisans du mouvement de
libération ont mis en œuvre de nombreux moyens pour édifier une
image symbolique et mythique de fusion et d'homogénéité. Après
avoir passé en revue certains des moyens utilisés par les manipulateurs
du mouvement de foule, nous allons essayer de mener une approche
1
MOSCOVICI Serge, L'âge des foutes. un traité historique des vsvchotoflies des
masses, Fayard, France, 1981, p. 190.
2 SFEZ Lucien, op. cit., p. 142.
3 BEAUCHARD Jacques, op. cil., p. 64.
53
fonctionnaliste de ce mouvement pour sonder sa profondeur et son
sérieux. Si nous voulons expliquer le 14 mars selon une rhétorique
fonctionnelle, nous allons essayer de lui appliquer certaines fonctions
énumérées par Almond et Powell, notamment les fonctions d'inputs
décrites par eux, en expliquant le fonctionnement interne du système
politique.
De prime abord, on peut noter que le mouvement qui a mené au 14
mars 2005 est le résultat d'une articulation d'insatisfactions et de
demandes diverses qui se sont illustrées lors de la manifestation
grandiose du 14 mars 2005.
Du 14 février 2005 au 14 mars 2005, une série de manifestations de
rue, de distribution de tracts, de signatures de pétitions, de veillées, de
sit-in, ont exprimé les demandes des Libanais. Ainsi durant la période
de février-mars 2005, la fonction « d'expression des intérêts »,
qu'Almond et Powell appellent la fonction « d'articulation des
intérêts» est apparue: la première étape de la rhétorique fonctionnelle
s'applique donc à ce mouvement qui a fait couler beaucoup d'encre.
Les individus et les groupes sociaux (tels que les ordres de médecins,
avocats, syndicats, mouvements étudiants, mouvements de femmes...)
ont formulé des demandes auprès des « décideurs politiques. » Pour
illustrer cela, nous pouvons nous référer à l'article de Nada Merhi où
la journaliste décrit l'atmosphère de la mobilisation qui a eu lieu:
« Toutes les composantes de la société libanaise s'étaient retrouvées
Place des Martyrs pour réclamer le « retrait syrien total », « la
liberté », «la souveraineté », « l'indépendance et la vérité sur les
circonstances de l'assassinat de Rafic Hariri. »
Dans une seconde étape, nous avons observé que les députés de
l'opposition et les meneurs du mouvement d'opposition lors de cette
période ont essayé d'articuler les diverses demandes et intérêts, en un
effort d'homogénéisation et de simplification. Les demandes multiples
des individus en liesse dans la rue ont été réduites, harmonisées et
converties en « demandes en termes de politique générale» ; ce
qu'Easton nomme « la combinaison des demandes. » En effet, lors de
toutes les veillées et lors des manifestations, les meneurs demandaient
à la foule de scander un slogan unifiant toutes les demandes: « vérité,
liberté, unité nationale. » D'ailleurs, dans un entretien, Walid
Joumblatt a bien souligné que pour la création d'un tel mouvement,
leur premier objectif était de trouver et de lancer un slogan unificateur.
Il faut noter que chez Easton l'orientation qui banalise le système
politique s'est vérifiée, par l'étude qu'il entreprend sur les fonctions
54
du système. De même l'étude des fonctions du« Printemps libanais »,
contribue largement à le démystifier. Car la pièce maîtresse de ce
mouvement n'est pas sa fonction, puisqu'elle ne s'avère être qu'une
demande de participation réelle des citoyens aux choix politiques du
pays, mais sa structure: une mobilisation sans précédent d'acteurs qui
pendant longtemps avaient préféré la passivité politique à l'action
active.
Ainsi, lors du Printemps libanais, la liesse et l'émotion ont soulevé de
nombreux espoirs chez les Libanais qui pensaient pouvoir changer le
régime et surtout libérer le pays. Mais l'essoufflement du mouvement
de mobilisation a été rapide avec la satisfaction de ces demandes
immédiates. Après la fusion du mouvement de foule et l'unité formée
par la pluralité des acteurs, une réfraction a commencé avec les
élections, de sorte que la théorie de Canetti dans Masse et puissance
sur l'illusion unitaire dans les mouvements de masse peut être
appliquée.
Les Libanais se sont rétractés en retombant lors des campagnes
électorales dans des discours communautaires, voire réfractaires, qui
auraient pu paraître dépassés lors du Printemps libanais:« La
dynamique civique a laissé la place à un phénomène régressif de repli
sur soi, à une quasi-confédération de communautés. »1 Ou comme le
dit Canetti: « Pour une part en effet, cette fusion n'est qu'illusion, et
chacun doit retourner à son enfermement. »2
Après l'allégresse et la force de transformation radicale qui
transparaissaient lors du 14 mars, retomber dans les luttes
politiciennes et la récupération politique est un revers difficile à
accepter. Après qu'une union matérielle entre plusieurs communautés
et une identification première au Liban ont été consommées, la
récupération politique a entraîné les artisans de cette union matérielle
à se réfracter dans des positions communautaires, voire idéologiques
d'un temps passé. Les impairs mais aussi la récupération de la
mobilisation par la classe politique professionnelle ont entraîné une
déception amère chez de nombreux Libanais, notamment chez les
jeunes. La déception qui a suivi le moment historique du
« soulèvement populaire pacifique », pour reprendre l'expression
d'Elias Abou Assi3, n'est-elle pas un sentiment naturel après tout
I
HAJJI GEORGIOU Michel, op. cil.
2 BOURETZ Pierre, op. cil., p. 206.
3 ABOU AS SI Elias, «Le 14 Mars, un bilan en demi-teinte », in L'espoir en lettres
de san?: le 14 février 2005-14 février 2006, la Révolution du Cèdre en marche, de
55
mouvement de liesse? « L'expérience historique prouve que
l'identification qu'effectue un acteur social est toujours contextuelle,
multiple, relative », raisonne Bayard.! Un Libanais se définit comme
Libanais face à un Syrien, et lors de la période du Printemps libanais,
tous les Libanais se sont définis comme tels par rapport aux étrangers
et pour se différencier d'eux. En attestent les pancartes « 100%
Libanais ». Si l'on applique la définition de Bayard au mouvement du
14 mars, il nous paraît être un « acte identificatoire » qui ne se fait que
par son énonciation et le truchement des actes ou symboles le créant.
Pour Bayard, « quiconque étudie une société concrète rencontre
constamment de tels passages voire de telles sautes d'un registre
identitaire à un autre. »2 La déception chez certains jeunes Libanais
vient du fait que la séquence de variation identitaire a été très brève,
mais intense dans la forme. L'image rouge et blanche d'un peuple uni
a créé dans les esprits une illusion parfaite d'unicité et d'identité
commune. La déception est devenue amère avec le temps, cette image
s'effritant peu à peu dans l'arène politique mais restant dans les esprits
des citoyens comme un souvenir réel.
Cette attitude paraît normale pour les théoriciens qui ont observé le
mouvement de masse, comme Moscovici. D'ailleurs, son analyse
rejoint celle de Le Bon. Pour eux:
« Il ne faut pas prendre pour argent comptant, se laisser leurrer par ces
foules qu'on voit monter aux barricades et brandir des drapeaux
rouges, ces foules qu'on entend crier des slogans révolutionnaires.
Elles sont en réalités tenaillées par le désir d'un retour au fond
archaïque. »3
Dès juin 2005, les Libanais ont commencé à avoir conscience non
seulement de « l'incroyable frivolité politique libanaise» selon la
formule du quotidien Asharq AI-Awsat, mais aussi de la stabilité rigide
d'un « système de pouvoir interconfessionnel et inter-élitaire »4 selon
la formule de Fadia Kiwan. La rupture, espérée par les Libanais avec

L'Orient le Jour, p. 79. Elias Abou Assi qualifie « d'impairs» les fautes commises
après le 14 mars et qui ont mené à une certaine déception alliée de refus chez les
Libanais, il cite dans son article deux primordiales: l'alliance quadripartite qui s'est
faite durant les élections législatives, qu'il décrit comme « contre nature », suivie de
la mauvaise gestion gouvernementale « notamment sur le plan sécuritaire. »
I
BA YARD J. F., L'illusion identitaire, Fayard, L'Espace du politique, 1996, p. 98.
2
BA YARD J. F., ibid, p. 99.
3
MOSCOVICI Serge, ibid., p. 157.
4 KIWAN Fadia, op.cit., pp. 57-72.
56
le tournant de Mars 2005, est retombée avec les discours politiques
des élections, mais aussi et, il est nécessaire de le relever, les discours
politiques de la période du 14 mars, discours qui étaient en déphasage
total avec les aspirations de la foule.1
Carlos Eddé2 explique que lors des élections, la menace ressentie a
entraîné les Libanais à se replier sur soi: « quand on se sent menacé,
la tendance naturelle est de se replier sur ses instincts. Or au Liban les
instincts sont confessionnels. »3
Si son explication peut paraître évidente, nous ne la partageons pas:
après la fusion et la cohésion nationale apparue chez le peuple
mobilisé lors du 14 mars, quelle menace pouvait tenir la route face à
ce rassemblement voulu et même réalisé par la masse? Le fossé
existant entre les politiciens et le peuple est grand. La levée de
boucliers qui s'est déclenchée par les tiraillements entre les politiciens
lors des élections de 2005, n'a pu qu'entraîner un dégout chez le
peuple, et l'esprit d'unité et de réconciliation, qui avait poussé des
centaines de milliers de Libanais de toutes les confessions à réclamer
ensemble le départ syrien, a cessé d'exister.
Essayer d'expliquer la déception chez certains acteurs après le 14
mars nous amène à l'étudier dans le contexte de sa mission. A quoi
servait le Printemps libanais? A resserrer les liens d'une alliance
politique ponctuelle ou à formuler l'expression d'une réconciliation
politique autour d'une identité libanaise partagée sur le long terme?
Quel a été le rôle du 8 mars et de la Syrie dans les nouvelles alliances
formées?

1 « Tant au plan local qu'international, tout s'était progressivement mis en ordre


pour que la scène finale puisse enfin se jouer, place de la Liberté. Restait cependant
un seul « hic» : le décalage formidable, et parfaitement perceptible, entre le
phénomène de changement constitué par le déferlement populaire, civique, et la
présence d'une majorité de tribuns peu en phase avec le mouvement, déjà dépassés
par ce qui devait, ou ce qui devra déboucher, sur « autre chose» : un renouvellement
des élites politiques, un véritable rajeunissement de la classe politique. » HAJJI
GEORGIOU Michel, op. cit.
2 Carlos Edde est le doyen (Amid) du Bloc National Libanais, qui fait partie de
l'opposition libanaise. Carlos Edde a succédé à son oncle Raymond Edde à la tête du
Bloc National en 2000. Il s'est présenté aux élections législatives de 2005, pour le
siège maronite de Byblos (Jbeil) au sein de l'alliance qui avait pris le nom de
l'Alliance du 14 mars.
3 Cité par HENNION Cécile, « L'esprit d'unité et de réconciliation du « Printemps
libanais» a cessé d'exister », in Le Monde Edition Proche Orient, No. 298, 17 juin
2005, p. 2.
57
B- POLARISA TION ET DIABOLISA TION POUR
RESSERRER LES LIENS

Lors du Printemps libanais, une des stratégies menée par les


organisateurs consiste à resserrer les rangs de la foule en la
« braquant» contre le gouvernement, contre les alliés des Syriens et
contre la tutelle étrangère. Cette stratégie de rejet pouvait être
spontanée. Rejet contre de nombreuses situations: l'ingérence
syrienne dans les affaires libanaises d'une part, rejet contre la violence
perpétrée lors des assassinats politiques qui rappellent la guerre, rejet
contre la manifestation du 8 mars.
Analysant d'une part la stratégie de diabolisation menée lors du 14
mars, nous allons d'autre part essayer de vérifier si une union de
tendances différentes contre quelque chose de précis peut transformer
ces tendances en une union en vue d'un projet commun.

B-a) La figure de ['ennemi pour consolider une opinion


publique

Les théoriciens et les auteurs, qui ont observé les mouvements


de foule, montrent que, pour affirmer la fusion de la foule autour des
mêmes idées, l'image de l'ennemi est nécessaire. « Ce processus
fonctionne (...) dans les luttes politiques internes pour faciliter le
resserrement des rangs au sein d'un camp, et si possible en élargir les
frontières. »1

a-I) Antinomie génératrice d'unité

En s'identifiant par rapport à l'Autre, la foule resserre les


rangs, et le rejet permet la création d'un corps uni refusant l'Autre.
Pour assurer les valeurs d'une opinion commune là où l'opinion
commune peut être difficilement créée, la création d'un adversaire
peut permettre à une opinion commune d'émerger. D'ailleurs, lors du
14 mars, un point commun a pu lier la grande foule mobilisée: le rejet
de la tutelle syrienne. Les différentes tendances de la société, qui
avaient chacune ses martyrs, et ses propres revendications, avaient en
commun le rejet syrien, désigné comme seul ennemi pour pouvoir

I
BRAUD Philippe, op. cil., p. 94.
rapprocher toutes les tendances présentes. Pour démontrer cela, nous
avons eu recours au manuel de sociologie politique de Philippe Braud
et aux écrits des théoriciens en la matière.
Selon Le Bon, Tarde et Moscovici, la figure de l'ennemi, de
l'adversaire, permet à la foule de retrouver son unité mentale d'une
part, et surtout pousse les membres de cette foule à resserrer les rangs
de l' autre.
Beauchart, en observant ce qui s'est passé en Yougoslavie, montre
comment la figure de l'ennemi a permis à une opinion publique unie
de se créer face à la menace. Une même identité apparaît.
« D'emblée le pouvoir est en scène, la figure de l'ennemi lui permet
de se ré-identifier. Face à la menace, l'opinion publique se cristallise,
des émotions et des rumeurs rendent possible ici et là des
soulèvements. On se rassemble des défilés s'annoncent. Face au
danger, la réaction grégaire affirme les valeurs même d'une identité
politique. Ce fut le cas en Yougoslavie. L'ennemi cause essentielle
d'unanimité, fit retour un instant, réinscrivant par réaction une
idéologie et des valeurs au cœur de la société(. . .). »1
Cette même description peut s'adapter au cas libanais. L'ennemi, la
Syrie ou la manifestation du 8 mars, a permis de réinscrire la libanité
dans les perceptions de toutes les parties qui participaient. Le message
de Hassan Nasrallah le 8 mars a entraîné une grande partie des
Libanais qui ne sont pas d'accord avec ce message à s'identifier à un
groupe différent. Le groupe de ce qui allait être le 14 mars. Une
identification que Fabiola Azar explique en citant Tajfel? En
répondant à la question relative aux ressentis du 14 mars, les

I
BEAUCHARD Jacques, op. cit., p. 12.
2 « Nous déclarons à la Syrie, pour reprendre les termes de votre président, Bashar
Al-Assad: Au Liban, votre présence n'est pas matérielle ou militaire. Vous êtes
présents dans l'âme, le cœur, l'esprit, le présent, le passé et l'avenir (oo.) Je vous le
dis, nul ne peut faire sortir la Syrie du Liban, de son esprit, de son cœur et de son
avenir. » « Si certains estiment qu'ils peuvent faire tomber le pays, son régime, sa
sécurité, sa stabilité et ses choix stratégiques, avec leurs connexions, leurs positions
et leurs soutiens, avec quelques manifestations, foulards, slogans et médias, ils se
trompent. » Dépêches spéciales, No. 878, MEMRI.
3 TAJFEL H, Human groups and social catefJories, Cambridge University Press,
1981 Cambridge, in AZAR Fabiola, Construction identitaire et a{)f)artenance
communautaire au Liban, L'Harmattan, 1999, p. 20: les individus tentent de
maintenir une identité sociale positive ou d'y accéder. Pour y parvenir, ils établissent
des comparaisons entre leur groupe d'appartenance (l'endogroupe) et certains autres
groupes (les exogroupes).
60
personnes interrogées nous ont tous sans exception
répondu qu'après la manifestation du 8 mars et le choc ressenti par
une manifestation qu'ils ressentaient fabriquée, ils ont voulu affirmer
leur vision du Liban: Le « ras-le-bol» devait s'exprimer et les mots:
« Assez, cela suffit» marquent tous les entretiens que nous avons eu
avec les artisans du Printemps libanais qui nous décrivaient leurs
impressions d'alors. De telle sorte qu'on se demande si ce n'est pas le
8 mars qui a créé le 14 mars. Ou si l'unité libanaise des chefs de file et
de leurs adeptes n'a été construite que par rapport à la manifestation
des pro-syriens: est-ce que l'action de l'unité ne s'est créée que par
rapport à l'adversité ressentie face à la manifestation du 8 mars?
Cette question rejoint l'analyse que mène Tarde, selon lui: « Pour les
foules le besoin de hair répond au besoin d'agir. Exciter leur
enthousiasme ne mène pas loin; mais leur offrir un motif et un objet
de haine, c'est donner carrière à leur activité. »1 La manifestation du 8
mars a offert un motif et a été le catalyseur de la mobilisation de
nombreuses personnes. Ils n'ont compris que leur action était
nécessaire que face à l'ennemi. Lors d'une discussion informelle au
CEMAM, nous nous sommes posés la question de voir si Hassan
Nasrallah est en quelque sorte l'intellectuel organique du 14 mars
2005, notamment avec sa création d'un 8 mars. Il a entraîné la
construction par effet pervers d'une réponse sans pareil à son discours,
donnant la possibilité à l'opposition d'unifier les rangs et de répliquer
à son mouvement. C'est après le 8 mars que l'opinion commune et
l'image commune se sont illustrées lors du 14 mars, avec des appels à
unifier les drapeaux et les slogans, et des appels pour une mobilisation
sans pareil de toutes les branches et parties de la société, pour le
partage d'un même discours2 qui puisse répondre à la grande
manifestation du 8 mars. En effet lors des manifestations de
l'opposition tous les lundis précédant le 8 mars, on a constaté que
l'unité autour d'une même valeur n'était pas suivie par les
manifestants. Chacun prenait le micro pour louer ses propres martyrs,
chacun utilisait les manifestations pour chercher à faire entendre ses

I
TARDE Gabriel, op. cit., p.69.
2 ,üjti!1 ~~I ~.)Y.J ~I.,.JI ylj:.'1I." ."1J.,, «..1!1yj:.»
F .)c. .)t......J i! J.) ~t;...ill
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..,.;u.lll J.,,~I ~).:.. ()o ü~~ ~w.... 1.,,1~ ~j:. ~."I «~y:;~» ü~ ÜA.,ilij." ~U~I
..,.....6 y)wI».-! yjt;..~1 ù,1...lyJl
.->""""~I.,, ~~4 «..,.....6 'Y'U:..JII."ï...o."
EL CHARK EL AWSA T, JARIDA T EL ARAB EL DOUW ALlY A, No. 9604, op.
cil.
61
propres revendications. Ce n'est qu'après la manifestation du 8 mars
qu'un besoin de s'unir avec un même slogan est apparu. La quantité
de SMS appelant à la mobilisation contre le 8 mars en atteste. La
figure de l'ennemi a permis de recentrer les forces, et de mener un
combat uni contre lui et les valeurs qu'il prône. Par conséquent on unit
nos discours et on cherche à trouver les valeurs communes pour
lesquelles on peut tous militer. L'opinion publique devait paraître
commune et partagée par le plus grand nombre; d'où les appels à
l'unification des slogans et des drapeaux sous la même bannière
libanaise, et contre l'ingérence étrangère. En quelque sorte, c'est par
réaction à l'ennemi et à ses actions que les acteurs du Printemps
libanais ont fait l'effort de s'allier pour un même combat en essayant
d'unifier leur action. Faut-il remercier pour cela « l'ennemi» qui,
inconsciemment peut-être, a mené à cette unification contre lui? Au
Liban, la valse des manifestations et contre-manifestations est
habituelle, on est habitué à voir émerger une formation politique pour
en faire un pendant antinomique à une autre.l
Les organisateurs du 8 mars ont-ils oublié ce fait? Où ne
s'attendaient-ils pas à une réplique unifiée de tous les autres contre
eux? La réplique des organisateurs du 14 mars a utilisé les moyens
symboliques pour monter les esprits contre le danger d'une telle
manifestation de masse. L'obligation de participer et d'aller à la
recherche des Libanais tièdes qui ne s'étaient pas encore mobilisés n'a
pas été aussi difficile que lors des organisations des autres
manifestations des lundis.

I Ainsi, contre « Kornet Chehwan», il y a eu « Khalliyat Hamad»; puis, la


« Rencontre consultative» (loyaliste). A la « Rencontre du Bristol» ayant rassemblé
des symboles de l'Opposition plurielle, s'est opposée celle de « Ain el-Tiné. »
L'initiateur de ce rassemblement, en l'occurrence le Président de la Chambre, Nabih
Berri, a prétendu que ce dernier n'était pas dirigé contre les « gens du Bristol ». Pour
confirmer son assertion, il a lancé un appel « à un congrès national, en vue d'un
dialogue dont aucune partie ne serait exclue» (...) Tout en affirmant que le but de la
rencontre était de s'opposer à la résolution 1559 et de sauvegarder, en la renforçant,
la concomitance libano-syrienne.
Cf. L'Enquête de EL-FAKIH Bariha, La « Rencontre de Aïn el-Tiné », « besoin
national» ou « réplique au Bristol »? ln La Revue du Liban, No. 3989, du 19 au 26
février 2005.
62
a-2) Volontarisme politique facilitateur d'une participation active

Une grande partie des Libanais, qui restait passive avant le


choc émotionnel subi avec la mort violente du Premier ministre, a eu
assez des exactions commises. Les Libanais se sont transformés en de
véritables citoyens actifs selon la définition du manuel de sociologie
politique, ils « entendent agir sur le système politique. » Une grande
partie des Libanais qui dans la période post 14 février se renfermait
dans un défaitisme et une désaffection politique, s'est associée aux
groupuscules d'étudiants et autres mouvements qui défiaient le régime
sous tutelle. Ainsi une nouveauté est apparue, des partiesl -qui se
sont longtemps cantonnées en un silence voire à un compromis avec
les politiques menées par le régime sous tutelle- se sont mobilisées
pour une véritable participation au jeu démocratique, cherchant à
infléchir l'action politique, par les pétitions, et manifestations
grandioses qu'elles ont organisées. En attestent les propos passionnés
recueillis lors de notre entretien avec Alia Habli, responsable des
diplômés de la fondation Hariri. Cette jeune femme nous a expliqué
que le «Président» cherchait toujours la solution la plus
diplomatique, il trouvait que le recours à la rue n'était pas une bonne
solution2. Ce n'est qu'après avoir vu sa mort atroce, qu'Alia et ses
amis ont dit « Stop », son expression libanaise « Fini », montre qu'elle
est excédée3. Elle a compris que pour que l'ingérence étrangère
s'arrête, il fallait qu'elle se mobilise et s'active avec ses amis. Sous le
coup de l'émotion, elle a décidé d'agir, rejointe en cela par de
nombreux jeunes. La foule psychologique s'est créée, une foule
friande de tous les moyens qui peuvent lui donner une activité. Les

1 Lors de son entretien avec des étudiants de l'USJ le Il décembre 2005, le leader
Druze Walid Joumblatt a bien noté que durant de nombreuses années il était obligé
de faire un compromis politique et de se taire sur de nombreux sujets, comme
l'assassinat de son propre père Kamal Joumblatt. Après la mort de Raflc Hariri, il est
devenu un des leaders de l'opposition anti-syrienne.
2 « A un député de l'opposition qui protestait contre la déclaration politique
générale, à l'automne 2000, Raflc Hariri répondait avec vivacité que « blâmer la
Syrie pour les problèmes du Liban ne correspond pas à la réalité» et qu'il affirmait
ceci « uniquement pour rendre justice à la vérité... car sans [la Syrie] il aurait été
impossible de parvenir à la stabilité» (voir le texte intégral dans le quotidien An-
Nahar du 3 novembre 2000). 11 s'agit là d'une position constante qu'avait prise
Raflc Hariri dès le premier gouvernement constitué par lui en 1992, et jusqu'à son
assassinat. » CORM Georges, op. cit.
3 Entretien avec Alia HABLI, op. cit.
63
divers moyens utilisés peuvent illustrer le basculement radical des
Libanais dans une culture ou « état» de participation que
Schwartzenberg nomme « participant culture. » Lors des veillées au
centre ville dans les tentes, les jeunes voulaient absolument orienter
l'action politique: d'ailleurs le lundi 28 février 2005, sous la pression
de la rue, Omar Karamé chef du gouvernement a présenté sa
démission. Cet exemple illustre bien la transformation qui a eu lieu, de
l'état passif à un état actif, un état de participation sans pareil qui avait
pour scène la rue et le Parlement.!
Dans cet ordre d'idées il nous a paru intéressant d'approfondir la
stratégie des acteurs du mouvement février-mars 2005, et surtout de
mettre l'accent sur la créativité et l'esprit novateur dont ils ont fait
preuve, dans le choix des moyens. « Lan Touaad. Cela ne se répètera
pas. » C'est autour de ce slogan que les étudiants de l'Université Saint
Joseph avaient fondé leur campagne lorsqu'ils avaient pris le chemin
de la Place des Martyrs, en février 2005. Ils faisaient allusion à la
violence et à la guerre, et exprimaient ainsi, dans une formule
hautement civique, leur volonté de barrer la route à toute résurgence
de la barbarie? Ils ont entendu agir sur le système et donner leur avis
sur les choix cruciaux que devait faire le pays. Ils ont surtout voulu
affirmer et consolider leur droit à la participation et leur statut de
« citoyens actifs ».
Les élections législatives de 2005 en attestene ; dans ce cadre, il serait
intéressant d'approfondir l'étude de plusieurs variables qui permettent
de mesurer le degré de transformation de l'état de la participation aux
choix du pays et de la relation au politique.
Si le taux de participation électorale a été faible à l'échelle nationale,
cela est en partie expliqué par les alliances électorales entre diverses

1
Non seulement des dizaines de milliers de libanais ont défié le pouvoir, dans la rue
en manifestant leur désaccord au régime en place, alors qu'une interdiction de
manifester avait été décrétée par le gouvernement; mais aussi à l'Assemblée, la
verve de certains a fustigé le pouvoir: « L'annonce de M. Karamé a été suivie d'un
tonnerre d'applaudissements de l'Assemblée, réunie à la demande des députés de
l'opposition qui font assumer au gouvernement la responsabilité de l'assassinat de
l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, le 14 février.» note un journaliste de la
télévision suisse. http://www.tsr.ch/tsr/index.html?siteSect=20000 1&sid=55675 87.
2
HAJJI GEORGIOU Michel, « Sur les Campus - On achève bien les 14 mars ... ».
in L 'Orient le Jour, vendredi 24 juin 2005.
3
Les élections ont débuté, le 29 mai, dans la région de Beyrouth, puis le 5 juin, au
Liban-Sud. ElIes se sont poursuivies le 12 juin au Mont-Liban et dans la valIée de la
Bekaa, et le 19 juin, au Liban-Nord.
64
coalitions de candidats.) Certains électeurs étaient d'avis que le
processus électoral et les lois comprenaient des anomalies; ils ont par
conséquent décidé de ne pas se rendre aux bureaux de vote. Mais il
faut noter un taux de participation élevé, par rapport au taux
d'absentéisme mesuré dans certaines régions où la campagne
électorale était disputée férocement par des candidats et des listes
adverses? Cela montre la volonté implacable des Libanais d'agir dans
la nouvelle phase qui s'ouvrait pour leur pays. Etre des acteurs en
bonne et due forme; des acteurs qui veulent faire un choix précis dans
cette nouvelle période.
D'autre part, on a pu observer un panachage moins marqué que lors
des élections précédentes. En 2005, dans certaines régions, les
Libanais ont voté pour des listes complètes, obligeant de ce fait des
figures emblématiques de la scène politique à une retraite forcée
(exemple Nassib Lahoud).3 Mais aussi votant pour des listes où les
candidats n'étaient pas nécessairement des figures prééminentes
habituelles, mettant ainsi les fameuses «pointures à clientèle» en
dehors du Parlement libanais, leur préférant de facto des figurants
moins célèbres. Pour Antoine Messarra, «la confiance dans le
politique et la politique est ébranlée »4, mais avec les derniers
bouleversements de l'année 2005, on assiste à la perte de confiance
des Libanais, «moins envers le système lui-même qu'envers les
détenteurs des rôles politiques. »5

I «Les drôles d'alliances entre les ennemis historiques, ont laissé de nombreux
libanais perplexes ». KHALIFE Paul, « Les ennemis d'hier, alliés d'aujourd'hui »,
le 17-05-2005, article pour Radio France Internationale:
http://www.rfi.fr/actufr/articles/065/article _36213 .asp.
2 http://64.233.161.1 04/search?q=cache:xOnZTf'L XhOJ:www.acdi-
cida.gc.calcida jnd.nsf/0/8633 B899BA95C 15C852570BC00491 BO1%3FOpenDocu
ment+resultats+elections+legislatives++ 2005+liban&hl=fr.
3 HENNI ON Cécile, dans son article du Monde daté du 15 juin 2005, explique que
les alliances électorales de juin 2005, n'ont pas empêché les électeurs à voter
massivement les listes du CPL: «Ces alliances contre nature n'ont pourtant pas
dissuadé les électeurs, même si nombre d'entre eux ont ouvertement exprimé leur
incompréhension, voire leur mécontentement. Ils ont voté massivement pour le
général Aoun, battant même des records de participation dans les circonscriptions à
majorité chrétienne, au détriment de tous les leaders chrétiens de l'opposition,
emportés par le raz de marée aouniste. Des ténors comme Nassib Lahoud n'y ont pas
résisté. »
4
MESSARRA Antoine, op. cil., p. 104.
5 SCHWARTZENBERG Roger Gérard, op. cil., p. 118.
65
a-3) Le symbolique pour dramatiser une menace extérieure

La menace et le fossé existant entre les perceptions des camps


du 8 mars et ceux qui allaient devenir le camp du 14 mars ont entraîné
les organisateurs de l'opposition à mettre tout en œuvre pour réussir le
défi posé par la manifestation du 8 mars mais aussi par le discours de
Bachar el Assad sur les relations syro-libanaises. Lors du 14 mars, les
Libanais ont fait preuve de créativité en produisant des slogans et en
pensant à des affiches tournant des personnes politiques au Liban ou
en Syrie en dérision: les expressions utilisées contre le gouvernement,
les chefs de sécurité ou même le Président de la République pro-syrien
avaient pour but d'éveiller un sentiment commun chez les
manifestants. Pour Braud « la force ultime des rhétoriques, des mythes
et des liturgies politiques réside dans leur capacité à éveiller des
émotions tendanciellement fusionnelles au sein du groupe visé, le cas
échéant en lui désignant un adversaire commun. »
D'autres auteurs partagent le même point de vue. En effet, Moscovicil
dans L'âge des foules cite Tarde en montrant comment la figure de
l'ennemi et l'utilisation de cet ennemi par la symbolique politique
permet le resserrement et la fusion des rangs au sein de la foule. Bref,
la construction d'une opinion publique commune émulsionnée par des
adversaires communs: « Dans le public, le besoin de haïr quelqu'un
ou de se déchaîner contre quelque chose, la recherche d'une tête de
Turc ou d'un bouc émissaire, correspondait selon Tarde, au besoin
d'agir sur ce quelqu'un ou quelque chose. Susciter l'enthousiasme, la
bienveillance, la générosité du public ne mène pas loin, ne le met pas
en branle. En revanche susciter sa haine, voila qui le passionne et le
soulève et lui procure une occasion d'activité. Lui révéler, lui jeter en
pâture un tel objet d'aversion et de scandale, c'est lui permettre de
donner libre cours à sa destructivité latente, à une agressivité dirions
nous, qui n'attend qu'un signe pour se déclencher. Par conséquent
braquer le public contre un adversaire, un personnage, une idée, est le
plus sur moyen de se mettre à sa tête et de devenir son roi. »2 Sachant
tout cela les publicistes ne se privent pas de jouer sur ces sentiments,
ce qui fait « qu'en aucun pays, en aucun temps, l'apologétique n'a eu
autant de succès que la diffamation. »3 D'ailleurs Nora Joumblatt nous

I
MOSCOVICISerge,op.cit., p. 273.
2 Idem.
3
TARDE Gabriel, op. cil., p. 70.
66
a expliqué la mise en place d'affiches avec les photos des chefs de
sécurité libanais et leur distribution aux manifestants. Il fallait coûte
que coûte rassembler les manifestants dans un rejet commun des
anciens responsables de la sécurité au Liban. L'action de transformer
les personnes en boucs émissaires à déchoir permet de montrer que la
mobilisation sert à quelque chose et peut avoir des effets directs. De
même, braquer le public contre la Syrie était facile, pour ceux qui ont
émis des discours. La difficulté a résidé dans les discours plus nuancés
de Bahia El Hariri, qui, pour de multiples raisons, a utilisé des
expressions nuancées et un langage diplomatique en remerciant la
Syrie... Mais son discours n'a pas fait la une chez les manifestants qui
ont préféré les allocutions émotives qui leur offraient des adversaires
communs. A ce sujet, Philippe Braud dit: « le travail du symbolique
consiste souvent à dramatiser une menace extérieure, à désigner des
adversaires pour mieux réactiver l'exigence d'unité du groupe. La
forme paroxystique en est le processus de diabolisation. Cela signifie
que l'ennemi ainsi désigné n'aura d'autre caractéristique identifiable
que d'être un ennemi. » On peut aussi illustrer cette cristallisation de
la haine du public, par les déviations racistes qui ont eu lieu lors du
Printemps libanais: notamment la haine exprimée par certains slogans
contre le peuple syrien! : on ne peut oublier que le discours nuancé de
Samir Kassir lors d'une veillée au centre ville a été hué par les jeunes
emportés par leurs émotions. Kassir voulant leur montrer la différence
entre le régime et le peuple syrien et ayant voulu lire coûte que coûte
une lettre des intellectuels syriens concernant certains écarts qui ont
pu prendre forme lors du Printemps libanais.

B-b) La polarisation au service de l'identité commune

Avec l'image de l'adversaire une identification grégaire se


ressent face à lui. La polarisation en deux camps permet plus
facilement d'unifier les membres de chaque camp. D'ailleurs, lors du
Printemps libanais, la polarisation entre les deux camps Bristol et Ain
el Tiné, loyalistes et opposants, a permis les répliques mais surtout
l'identification commune face aux autres. D'une part, une union des
slogans face à l'adversaire; d'autre part, une volonté de participation
active à l'alimentation de cette union.

I
« El chaab el souri chaab hmar » le peuple syrien est un peuple idiot.
67
b-l) L'après 8 mars: D'une Açabiyya au sens Khaldounien à une
solidarUé Durkheimienne

En menant la lutte contre la présence syrienne et en unifiant les


discours et les slogans contre les exactions syriennes au Liban, les
leaders ont pu unir la rue, afin de montrer une solidarité ou pour
simplifier, un esprit de corps qui rassemble les nombreuses tendances
de la population.l
Ainsi, soulignant cette solidarité chez les artisans de ceux qui allaient
devenir le 14 mars, une identité libanaise, réclamée par les Libanais de
ce 14 mars, leur a permis de s'identifier et se singulariser par rapport
aux autres, notamment les manifestants du 8 mars:
Cette fixité contre le même ennemi permet de mieux intérioriser le
message et pousse les acteurs à le défendre âprement. D'ailleurs, dans
un entretien avec nous, Walid Joumblatt assure que le fait d'être dans
le même camp qu'un adversaire commun a pu rassembler les parties
libanaises. Leurs différences et leurs visions du Liban n'ont pas été
changées pour autant, mais elles se sont unifiées pour un même
combat au moment crucial:
«Heureusement, nous ne sommes pas monolithiques! Nous ne
formons pas un parti unique, mais un rassemblement de sensibilités
diverses» (...) «et le simple fait de nous retrouver (...) dans le
collimateur des Syriens nous réunit. »2
Moscovici explique que « la polarisation chez les foules correspond au
besoin d'éviter les doutes et les incertitudes. Elle permet de retrouver
l'unité mentale autour d'un point fixe, en se ralliant à un jugement
stable. Fixité et stabilité portent mieux aux extrêmes. »3
Lors du Printemps libanais, une polarisation entre deux camps s'est
vite ressentie: avec le rassemblement des forces politiques en deux
camps: le Bristol d'une part et le camp d'Ain el Tiné de l'autre. Cette
polarisation illustrait le défi existant entre les pro-syriens d'Ain el
Tiné et les défenseurs de la souveraineté libanaise réunis au Bristol.
Cette polarisation au niveau politique s'est accentuée dans la rue et a

1
ETIENNE Bruno, Ibn Khaldun, in Dictionnaire des œuvres Dolitiques,PUF, 2001,
p. 489 : L'auteur soutient qu'Ibn Khaldoun a décrit la solidarité avant Durkheim et
qu'il forgea des concepts dont le plus célèbre est celui de l'Açabiyya.
2 «Desserrer l'étau syrien », entretien avec Walid Joumblatt conduit par RIZK
Sibylle, in Politique Internationale, No. 106, hiver 2004-2005, p. 62.
3 MOSCOVICI Serge, op. cil., p. 156.
68
pris de l'ampleur avec la grande manifestation organisée le 8 mars par
les pro-syriens.
Dans les jours qui suivirent ce 8 mars, on a ressenti que le peuple était
presque divisé, les défenseurs du Printemps libanais ont commencé
leur campagne de mobilisation à outrance. D'ailleurs, lors de
l'entretien avec Jad Ghostine, celui-ci nous affirme que c'est la
période de l'après-8 mars qui a témoigné des plus grands efforts de
militantisme. Dans son entretien, il nous explique qu'après le 8 mars,
tous les acteurs qui se disaient « opposants» se sont réunis pour
essayer de contrer le 8 mars en une manifestation d'un autre genre.
Les manifestations précédentes, avec 150.000 personnes, devaient
s'étendre à tout le Liban. L'identité libanaise a été utilisée à outrance
comme catalyseur des rassemblements. La solidarité entre les divers
artisans s'est accrue avec l'identification par rapport à un tiers, ennemi
de surcroît: la Syrie. Solidarité qui s'est affermie à la levée des
drapeaux libanais par toutes les parties pour former une image unie.
Utilisée par la suite comme image mythique en rouge et blanc de ceux
que certains médias ont nommé la Révolution du Cèdre.

b-2) La Polarisation comme catalyseur d'action commune

Après le 8 mars, les jeunes du camp de la liberté se sont


activés d'une façon peu commune, nous décrit Jad Ghostine, pour
préparer la manifestation du 14 mars. Le but était de montrer que le 8
mars ne représentait pas l'opinion des Libanais, et surtout que la
majorité de la population libanaise voulait la sortie des Syriens et
l'indépendance réelle du pays. Ainsi, une campagne commune menée
de front par des Libanais de toutes les confessions pour caricaturer les
slogans de la manifestation du 8 mars ou même pour ridiculiser le
camp pro-syrien au Liban a commencé. Une action commune qui a
débuté par des prises de positions communes à de nombreux jeunes
appartenant à des partis différents, de même un matraquage
médiatique que nous allons détailler dans une partie ultérieure. Ainsi,
ceux qui n'avaient pas encore rallié le mouvement de protestation de
tous les lundis, « les tièdes» se sont transformés en des militants
actifs.
C'est lorsqu'ils ont vu une telle masse lors du 8 mars, que les
sentiments identitaires se sont aiguisés. C'est ce qu'implique l'avis de
plusieurs de nos questionnés mais aussi l'avis de certains

69
journalistes: en atteste l'éditorial d'Elisabeth Shemla du 14 mars 2005
dans Proche-Orient info.!
Sans un 8 mars, il n'y aurait pas eu de 14 mars d'une telle ampleur.
Cette expression est revenue dans les propos de huit personnes avec
lesquelles nous avons eu des entretiens, 8 personnes appartenant à
différents partis qui ont participé à la préparation du 14 mars 20052 :
Nora Joumblatt, Nader el Nakib, Jad Ghostine, Fady Halabi, Alia
Habli et Nabil Abou Charaf, Alain Aoun, et Chérine Abdallah. Les
Libanais qui organisaient le mouvement étaient conscients que c'est
par réaction à la manifestation du 8 mars que l'unité s'est faite, et que
c'est grâce au rejet des slogans scandés par les autres que la
mobilisation a commencé et que l'union des artisans de ce qui allait
devenir le 14 mars s'est réalisée. La plupart, durant les manifestations
des lundis précédents, gardaient leurs drapeaux partisans et souvent
scandaient des slogans concernant leurs propres chefs de file. Mais le
tournant a eu lieu après l'impact de la manifestation du 8 mars.
Le soir du 8 mars, des milliers de SMS ont été envoyés par de
nombreux activistes de l'opposition les uns aux autres, pour se
motiver mutuellement et surtout pour affirmer leur contrat tacite
contre cette manifestation. Lors du moment historique précis du
Printemps 2005, les Libanais ont effectué une sorte de passage à une
identification nouvelle. « La réaction de différenciation par rapport à
l'Autre (ta'aassab) est première, et la solidarité avec les siens n'en est
que le ricochet, selon le vieil adage« avec mon frère contre mon
cousin, avec mon cousin contre mon voisin, etc. »3 Cette identité
sociale est expliquée par Fabiola Azar à travers le terme
« d'endogroupe» différencié et distinct de «I 'exo¥roupe» qui
caractérise l'Autre et le catégorise comme condamnable.
Cette polarisation n'a pas seulement entraîné une identification
commune nouvelle, elle a aussi et surtout fait que de nombreux jeunes
se sont sentis responsables. Lors de nos entretiens avec les « opinion
makers» de ce qui allait être le 14 mars, on constate qu'ils ont poussé

1 « Ce 14 mars a donc été soigneusement préparé, après le relatif succès de la


manifestation du Hezbollah et des pro-syriens la semaine dernière. » in 14 mars
2005 L'Éditorial de Élisabeth Schemla Proche-orient.info : « Quel rôle de Chirac et
de Bush pour ces journées historiques au Liban? »
2 Voir la liste des entretiens menés, entre juin 05 et mars 06, pour la préparation de
cette recherche.
3 BA YARD Jean-François, op. cit., p. 98.
4
AZAR Fabiola, op. cil., pp. 15-34.
70
les jeunes à avoir des initiatives personnelles (exemple: la Future TV
a poussé les jeunes à montrer leur amour pour la personne de Rafic
Hariri et pour le Liban en créant une sorte de concours artistique où la
meilleure initiative allait être couverte médiatiquement et financée par
l'Association Hariri. Par exemple, la campagne des Cœurs bleus
préparés par une fillette avec sa maman et ses amies d'école, les
chansons où des enfants de toutes les communautés chantaient etc.)
La polarisation qui a eu lieu a poussé à la construction d'une
citoyenneté offensive libanaise d'opposition, où chaque personne
prend à son compte de propager une dynamique de mobilisation
contagieuse: «Quand chaque citoyen se considère concerné,
responsable, prend des initiatives, n'attend personne, se prend en
charge, a conscience de son pouvoir si minime qu'il soit, mais qu'il
exerce quand même. »1
On l'a constaté à travers l'enthousiasme de Fady Halabi qui nous a
expliqué que malgré son handicap et son fauteuil roulant, il a pu lors
de la manifestation du 14 mars passer à travers la foule vers les tentes.
Cet acte minime marque la volonté et l'opiniâtreté d'un homme qui a
voulu souligner par sa présence et son courage une citoyenneté active.
Plus encore, lors de son entretien il nous détaille la préparation des
slogans qu'il a brandi avec certains amis, des slogans fabriqués par
eux spécialement pour ce jour. La préparation de la manifestation du
14 mars, notamment les slogans, a pris comme sujet d'une part la
libanité affirmée, mais d'autre part elle a pris comme cible soit le 8
mars et le discours de ses acolytes, soit la Syrie et le discours de
Bachar el Assad.2 La polarisation a conduit les Libanais dans la
stratégie de l'action et contre action.

I
MESSARRA Antoine, La gouvernance d'un système consensuel, Librairie
Orientale, Beyrouth, p.347.
2 M. Srage donne l'exemple de la manifestation du 8 Mars, place Riad el-Solh,
organisée par le Hezbollah, et celle du 14 Mars, qui est devenue le symbole du
Printemps de Beyrouth, et explique le concept de « slogan et contre-slogan ». « Dans
certains slogans, les manifestants du 8 Mars ont voulu répondre aux leitmotivs de la
foule qui se rassemblait tous les lundis Place des Martyrs », indique-t-iI. Ainsi « la
Syrie dehors », slogan des souverainistes, devient pour les partisans du Hezbollah et
d'Amal « L'Amérique dehors », ou encore « Nous voulons dire la vérité, nous ne
voulons pas de la Syrie» pour les premiers, devient « Nous voulons dire la vérité, la
Syrie est notre sœur» pour les seconds. Nader Srage a étudié les slogans et ses
supports du Printemps libanais, pour lui le 14 Mars dernier a couronné une «Intifada
linguistique», cf. L'article de KHODER Patricia, Lundi 13 mars 2006 in L'Orient le
Jour.
71
Or, cette citoyenneté commune, nouvelle par cet aspect
volontairement commun et fusionnel après des années de désaffection,
a montré certaines failles, surtout qu'elle a été générée par un rejet
commun et non pas par une volonté constructive. L'action commune
qui est née de ce rejet a une durée momentanée contre ce rejet. Et avec
la fin de la polarisation, de nouveaux alignements allaient prendre
forme souvent aux dépends du discours commun qui a été scandé lors
du 14 mars. Transformant en mythe, l'union nationale tant espérée.

Ainsi, lors du Printemps libanais, nous avons constaté que le


rejet de la tutelle syrienne a permis à de nombreux acteurs d'avoir un
point commun pour lequel ils pouvaient tous militer. D'ailleurs, dans
un entretien pour la revue Politique Internationale, Walid Joumblatt
évoque ce sujet: « Nous sommes tous Libanais. Nous nous trouvons
tous sur la même longueur d'onde: Indépendance, Souveraineté et
Liberté. Bien sûr, nos aspirations divergent sur de nombreux points,
mais nous sommes d'accord sur l'essentiel. })l Le fait d'être dans le
collimateur des Syriens, et de se mobiliser contre le discours de
Bachar el Assad, a permis à de nombreuses parties de la société de
rallier le mouvement de manifestations qui avaient lieu chaque lundi,
et surtout de rallier le mouvement de protestation contre la Syrie.
Cette montée aux extrêmes dans le discours des protestataires lors du
Printemps libanais résultait des réponses et des caricatures faites par le
Président syrien, mais aussi par la manifestation du 8 mars 2005.
Le premier rejet contre l'ingérence syrienne durant de longues années
au Liban s'est manifesté par des slogans, des logos, des affiches
caricaturales?
Ce rejet commun à de nombreux partis leur a permis de se rassembler
autour d'une cause commune: la lutte patriotique et souverainiste.
Mais les rejets respectifs de la tutelle syrienne, de l'ingérence
étrangère et des assassinats politiques, ont conduit à une action
commune en vue d'une identification ponctuelle, mais non pensée à
long terme. En effet, le cumul de causes communes rejetant quelque
chose peut-il mener à la construction d'un nouvel ordre libanais et
surtout d'une identification à un Liban uni?

I
RIZK Sibylle, op. cil. p. 61.
2 Zoom lN Zoum OUT, Faja 'nakoum mouu? Gros plan, zoom avant, zoom arrière,
on vous a surpris, non? Les slogans et notamment le « Faja 'nakoum mouu ? » sont
en dialecte syrien.
72
En disant non à la Syrie, non à la manifestation de masse du
Hezbollah et de ses alliés, les Libanais du « 14 mars» ont rejeté tous
le même jour les mêmes choses. Mais ce jour là les Libanais se
mirent-ils d'accord sur un nouveau projet politique les rassemblant?
La réponse à cette question est négative. Les opinion makers du 14
mars que nous avons interviewés nous ont bien expliqué que, durant la
période allant du 8 au 14 mars, ils pensaient surtout à la mobilisation
et au nombre de personnes qui allaient manifester. Ils n'avaient pas de
projet politique en vue. De toute façon, le résultat est apparu frappant
lors de la période des élections mais aussi transparaissait lors du
Printemps libanais, comme aucune figure politique nouvelle avec un
projet politique nouveau ne s'est présentée. Bien au contraire, après la
mort du Premier ministre, son fils Saad a été choisi par sa famille
comme successeur de son père, et ce choix quasi féodal n'a pas
intrigué les foules qui commençaient pourtant à se mobiliser au
Liban.!
Cette remarque nous rappelle l'expression « deux négations ne font
pas une nation. » Est-ce que le rejet successif de plusieurs choses qui
gênaient lors du Printemps libanais permet de créer à partir de ce
Printemps un tournant qui fait un Liban nouveau, voulu par tous?
La réponse est mitigée. Même Walid Joumblatt, dans un entretien,
explique que, malgré les différences, le 14 mars n'a été que le cumul
ou la confluence d'acteurs qui rejetaient les mêmes choses mais dont
chacun avait ses propres demandes et ses propres projets d'avenir et
menait la lutte selon ses propres valeurs.

1 L'observateur ne peut qu'être frappé par ce fait explique Alain Gresh: les mêmes
dirigeants responsables de la guerre civile, dont la plupart ont collaboré avec la Syrie
avant de retourner leur veste, se maintiennent sur le devant de la scène. Pas une
figure politique nouvelle n'est apparue ces derniers mois, et les Gemayel, Joumblatt,
Hariri, Frangié, Chamoun, etc., continuent de dominer le jeu. Aucun d'entre eux
n'avance la moindre proposition pour réformer un système politique fondé sur le
confessionnalisme, le clanisme et la corruption. Leur seul slogan - « Les Syriens
sont responsables de tous les maux du Liban» - s'alimente aux rumeurs les plus
folles -800 000 familles syriennes seraient branchées sur le réseau électrique
libanais sans jamais payer leur consommation... Et la corruption? «Nous
l'attribuons aux seuls Syriens, confie un économiste, comme nous rejetions tous nos
malheurs sur les Palestiniens en 1983. Et. du coup, personne ne s'interroge sur les
sommes volées par des responsables libanais. Comment la dette a-t-elle pu passer,
entre 1992 et 1998, sous le premier gouvernement Hariri, de 3 à 18 milliards de
dollars? ». GRESH Alain, « Les vieux parrains du nouveau Liban », Le Monde
diplomatique, juin 2005, pp. 12-13.
73
Mais en même temps, des affiches brandies montrant la croix
(symbole du christianisme) et le croissant (symbole de l'islam) sur une
même pancarte, ou des affiches affirmant la libanité (100% Libanais),
ou des affiches mettant les grandes communautés en une équation
numérique avec pour somme le Liban, tous ces symboles brandis lors
du 14 mars ne montrent-ils pas qu'une identité nationale commune
non communautaire était défendue par les manifestants?

Après avoir vu l'importance de l'émotion dans la création


d'une fusion collective lors du Printemps libanais, et l'importance de
l'identification à travers l'image symbolique ou imaginaire que l'on
construit même par rapport à l'Autre, nous allons approfondir
l'analyse des symboles fétiches utilisés lors du Printemps 2005. Ces
symboles ont-ils aidé à cimenter le mouvement de foule, ou au
contraire ont-ils montré la fragilité de la communauté nationale
libanaise qui se mobilisait?

74
Chapitre 2

L'utilisation du symbolique pour stimuler la cohésion


sociale

Après avoir vu la transformation des sujets libanais en des


citoyens actifs, nous allons nous attarder sur les moyens utilisés par
les acteurs du mouvement de février-mars 2005 pour échafauder un
soulèvement populaire uni qui s'est construit pendant des semaines
pour atteindre son paroxysme lors de la célèbre manifestation du 14
mars 2005. Durkheim a expliqué le rôle important des emblèmes dans
la construction de sentiments collectifs; nous allons essayer d'établir
en premier lieu une comparaison entre la réalité du terrain, avec
l'étude de cas du Printemps libanais, et ses recherches sur le
symbolisme.
Nous allons examiner en second lieu les actions collectives et
individuelles, menées par les Libanais durant la période février-mars
2005, pour édifier un mouvement patriotique cohérent et tenter
d'homogénéiser son image de mouvement uni. Pour cela, nous allons
nous pencher sur l'étude des symboles utilisés lors de la période
février-mars, pour essayer d'éclaircir leur efficacité dans la
construction d'une unité politique, mais surtout leur rôle dans
l'affermissement d'une identité commune. Dans cette partie, où nous
nous attachons à étudier les symboles et moyens utilisés par les
acteurs du mouvement, une clarification sur la méthode adoptée pour
le classement des symboles et leur analyse est de rigueur. Nous avons
été inspirés pour cette étude par la méthode de Ghassan Slaiby dans
son article sur les actions collectives de résistance civile à la guerrel,
et des 198 méthodes d'action non violente qu'a collectées Gene Sharp
dans son livre publié en 1973, The Politics or Non-violent Aetion2.

I
SLAIBY Ghassan, « Les actions collectives de résistance civile à la guerre », in
KIWAN Fadia (dir.), Le Liban auiourd'hui, Editions CNRS, Paris, 1994, pp. 119-
136.
2 SHARP Gene, The Politics of Nonviolent Action (3 vols.), Extending Horizons
Books, Porter Sargent Publishers Inc., 1973.
Les 198 méthodes d'action non violentes sont citées dans le volume 2:
http://www.aeinstein.org/organizationsl03a.html.
Il se peut que, pour certains, cette analyse des moyens paraisse futile,
voire superflue, mais ces procédés n'ont pas seulement aidé à cimenter
le mouvement, le rendant plus homogène, mais surtout ils ont été son
pilier principal: l'image gardée de la Révolution libanaise est celle
créée par la foule en rouge et blanc: « Il faut donc se garder de voir
dans ces symboles de simples artifices, des sortes d'étiquettes qui
viendraient se surajouter à des représentations toutes faites pour les
rendre plus maniables: ils en sont une partie intégrante (...)>> I
souligne Durkheim.
Cette étude des moyens symboliques comme facteur primordial du
Printemps libanais nous permet d'analyser avec plus de nuances la
spontanéité du mouvement populaire, et en extrapolant les résultats
obtenus, de voir si ce mouvement populaire aurait pu être la base
d'une société civile active par la suite.

1
DURKHEIM Emile, op. cil., p. 331.
76
A- LE ROLE DU SYMBOLIQUE DANS LA
CONSTRUCTION DU PRINTEMPS LIBANAIS

Etudier les moyens symboliques qui ont construit la


Révolution libanaise nous pousse à souligner deux niveaux d'analyse:
D'une part l'utilisation de symboles communs pour créer le
mouvement, d'autre part l'utilisation du symbolique comme signe de
ralliement et d'identification (foulard rouge et blanc, les logos
indépendance 2005, le drapeau libanais.. .).
Dans cette partie, nous avons intercalé la théorie professée par certains
auteurs comme Durkheim, et la pratique illustrée lors du Printemps
2005, que les interviewés lors de l'enquête nous ont dévoilée.

A-a) Le symbolique: l'élément constitutif du mouvement

«L'emblème n'est pas seulement un procédé commode qui


rend plus clair le sentiment que la société a d'elle même: il sert à faire
ce sentiment; il en est lui même le symbole constitutif. »]
Les slogans scandés (zoom in, zoom out, Syria out...), les foulards
portés, les drapeaux utilisés lors de ce Printemps 2005, ont suscité le
«sentiment profond de convictions partagées ,\ui effaçaient ou
relativisaient les motifs subalternes de division.» Dans une foule
aussi chamarrée, les dissensions pouvaient paraître plus nettes, or les
slogans, pancartes et mots utilisés ont permis de dépasser les
dissonances pour créer un mouvement uni, qui a surtout conscience de
son unicité et de sa mission. Les symboles utilisés contribuent donc à
former le mouvement et surtout à faire prendre conscience à la foule
de la mission dont elle porte la cause. Les symboles que Durkheim
nomme « les intermédiaires matériels »3 servent ainsi à la constitution
même du mouvement. Lors du Printemps libanais, après l'enterrement
populaire de Rafic Hariri du 16 février, les organisateurs des
«manifestations du Lundi» ne savaient pas si le mouvement de
protestation allait tenir la route. «Au Liban, ce genre de mouvement
n'est souvent qu'un feu de paille. Ça ne dure pas et en plus, c'est un

1
DURKHEIM Emile, ibid., p. 329.
2 5ème édition, L.G.D.J,
BRAUD Philippe, Sociologie Politique, p. 94.
3
DURKHEIM Emile, ibid., p. 330.
jour ouvrable»1 C'est pour cela que les organisateurs ont travaillé
avec minutie les symboles fétiches. « D'ailleurs, explique Durkheim,
sans symboles, les sentiments sociaux ne pourraient avoir qu'une
existence précaire. Très forts tant que les hommes sont assemblés et
s'influencent réciproquement, ils ne subsistent, quand l'assemblée a
pris fin, que sous la forme de souvenirs qui, s'ils sont abandonnés à
eux même, vont de plus en plus en pâlissant; car, comme le groupe, à
ce moment, n'est plus présent et agissant, les tempéraments
individuels reprennent facilement le dessus. Les passions violentes qui
ont pu se déchaîner au sein d'une foule tombent et s'éteignent une fois
qu'elle s'est dissoute, et les individus se demandent avec stupeur
comment ils ont pu se laisser emporter à ce point hors de leur
caractère. Mais si les mouvements par lesquels ces sentiments se sont
exprimés viennent s'inscrire sur des choses qui durent, ils deviennent
eux même durables. Ces choses les rappellent sans cesse aux esprits et
les tiennent perpétuellement en éveil; c'est comme si la cause initiale
qui les a suscités continuait à agir. »2
Lors des entretiens menés pour la présente étude, nous avons observé
que tous les entretenus sans exception ont gardé un souvenir du
Printemps 2005: certains un foulard rouge et blanc, d'autres un
autocollant Indépendance 05 collé au mur de leur bureau, d'autres
encore un pin's, un bracelet en plastique4 ou un ruban bleu. Ces
symboles permettaient d'inscrire dans la durée les émotions et
l'activisme suscités lors du Printemps libanais. Nabil Abou Charaf5,

1
TOUMA Joëlle, « Vers le 14 mars », in L'Orient-Express. Hommage à Samir
Kassir. Le Printemps inachevé, Hors Série, automne 2005, p. 77.
2 DURKHEIM Emile, ibid, pp. 330 -331.
3
Pins's (pins) anglicisme, qui renvoie à une sorte de broche, « badge qui se fixe au
moyen d'une pointe retenue par un embout» définition du Dictionnaire Hachette
encyclopédique, édition 2001, p. 1460.
4
Lors du Printemps libanais les Pin's et bracelets (bleus « el Hakika », la vérité,
« al/for Lebanon », tous pour le Liban, orange, rouge avec « love Lebanon », j'aime
le Liban, « Liban ») ont été distribués en grande partie par certains organisateurs
comme le PSP, mais aussi vendus dans des tentes (comme ceux du CPL pour
préparer le retour de Aoun en mai 2005) ou au bord des routes, à des prix modiques.
(3.000 Livres libanaises un bracelet, le prix d'un foulard varie entre 3.000 et 15.000
Livres libanaises selon sa largeur) entretien avec Abou Wajdi, vendeur ambulant à
l'intersection des routes menant au Port Saïfi et Gemmaysé, le mercredi 21
septembre 2005.
5 Entretien avec Nabil ABOU CHARAF, président de l'Amicale des étudiants de la
faculté de droit et des sciences politiques (2002-2003), militant au sein de
l'association AMAM (Al Moujtamah Al Madani: la société civique) depuis mars
78
un militant qui fait partie d' AMAM1, garde le foulard rouge et blanc
dans sa voiture et assure qu'il ne l'a même pas lavé. Son foulard lui
rappelle perpétuellement son militantisme et sa participation au
mouvement.
Pour illustrer les propos théoriques de Durkheim, on peut prendre
aussi l'exemple de la polémique autour des tentes, «camp-city »,
dressées à la Place des Martyrs: après le retrait de l'armée syrienne,
certains manifestants ont voulu enlever les tentes, et arrêter de ce fait
le sit-in commencé avec le début du Printemps. Mais comme certaines
demandes n'ont pas été réalisées, la controverse au sujet du
campement a commencé: fallait-il ranger les tentes et plier bagage, ou
garder le campement symbolique jusqu'à la réalisation de toutes les
demandes? Selon Durkheim, garder les objets matériels, rend les
choses plus durables, et tient les esprits en éveil. Surtout quand
l'émotion se fane, laissant place à la réflexion critique. Pour
Durkheim, les symboles ne servent pas uniquement comme un centre
de ralliement et ne font pas que cimenter la cohésion d'un groupe.
Nader el Nakib2, qui a vécu le dilemme des jeunes campeurs, a bien
montré la difficulté qu'ils avaient de garder cet esprit de veille et de
vigilance sans les tentes de la Place des Martyrs. Les tentes
cristallisaient un esprit nouveau, de volonté unificatrice. Le camp « de
la Place de la Liberté »3 symbolisant une unité sans pareille, entre des
adversaires qui ont baissé leurs armes, pour cohabiter ensemble, dans
le but d'arriver à des fins communes. D'ailleurs, Braud retient aussi
cette notion: « le travail du symbolique autour des représentations du
groupe ou des représentants eux-mêmes, contribue à faire exister ces
groupes, au cœur des mentalités, comme des réalités objectives et
même comme des acteurs sociaux. »4 Le camp en tant que symbole
d'unité et d'alliance permettait aux jeunes campeurs de visualiser et de
garder en esprit cette trêve signée en vue d'arriver à certains buts.

2005, entretien ayant eu lieu le samedi 18 mars 2006, à l'Université Saint Joseph,
Huvelin.
1 El Moujtama3 al Madani. Un groupe démocratique, indépendant de femmes et
hommes de la société civile, bénévoles, toutes confessions confondues et non affiliés
à un parti politique. Le groupe a été formé spontanément après le 14 février 2005.
http://www.05amam.org.
2 Entretien avec Nader el NAKlB, op. cil.
3
La Place des Martyrs a été nommée par les journalistes et le jargon quotidien,
Place de la Liberté depuis février 2005.
4 BRAUD Philippe, ibid, p. 91.
79
De même on ne peut que citer le Darih1, l'emplacement où ont été
enterrés le Premier ministre et ses compagnons: l'endroit choisi a été
le pied de la Grande Mosquée Al-Amine, en face de la Statue des
Martyrs au centre ville de Beyrouth. Le symbolisme de cet endroit est
fort en significations politiques et sentimentales. De plus, le Courant
du Futur, à l'aide de personnes bénévoles, assure le maintien et le
renouvellement de plusieurs expositions de photos sur la vie des
martyrs reposant là-bas, transformant de ce fait les tombes en un
sanctuaire national avec une exposition quotidienne.
Ainsi, les emblèmes (symbolisant) servent à faire le groupe: « c'est en
poussant un même cri, en prononçant une même parole, en exécutant
un même geste concernant un même objet qu'ils (les individus) se
mettent d'accord. (...) elles (les représentations collectives) supposent
que des consciences agissent et réagissent les unes sur les autres; elles
résultent de ces actions et de ces réactions qui elles-mêmes ne sont
possibles que grâce à des intermédiaires matériels. Ceux-ci ne se
bornent donc pas à révéler l'état mental auquel ils sont associés; ils
contribuent à le faire. Les esprits particuliers ne peuvent se rencontrer
et communier qu'à condition de sortir d'eux-mêmes; mais ils ne
peuvent s'extérioriser que sous la forme de mouvements. C'est
l'homogénéité de ses mouvements qui donne au groupe le sentiment
de soi et qui, par conséquent, le fait être (...) »2
D'ailleurs, dans tous les entretiens avec les acteurs qui ont participé au
mouvement de février-mars 2005, on constate, qu'ils relèvent en
premier lieu l'importance de l'utilisation d'emblèmes et de symboles,
servant à s'identifier et à rendre l'action plus homogène. Ainsi, Nora
Joumblatt3 a bien insisté sur l'importance de la fabrication de ces
moyens, et l'insistance des manifestants qui voulaient un exemplaire

I
Darih: mot arabe signifiant « tombeau », « tombe» qui s'est transformé en
« sanctuaire» lieu protégé, préservé, édifice sacré. (Définition du Dictionnaire
Hachette encyclopédique, édition 2001, p. 1691). Les journalistes montrent
comment s'est transformé le lieu du cimetière en un endroit symbolique pour
exprimer l'unité confessionnelle et nationale: Joëlle Touma, décrit comment après
le 16 février, jour de l'enterrement populaire, les gens ne « décollent plus» du
Darih. « Soudain la gigantesque Mosquée Al-Amine qui bouffe le paysage urbain ne
dérange plus personne: c'est là que Hariri repose. (...) des centaines de milliers de
gens défilent devant le Darih, allument des bougies, lisent la Fatiha ou font le signe
de croix. » TOUMA Joëlle, « Vers le 14 mars », in L'Orient-Express, HommGf!e à
Samir Kassir, Le Printemvs inachevé, Hors Série, automne 2005, p. 77.
2 DURKHEIM Emile, ibid., p. 330.
3
Entretien avec Madame Nora Joumblatt, op. cit.
80
de chaque symbole. « Samir Kassir avait préparé le logo « 05 » avec
Saatchi and Saatchi... Dès Lundi, pour la marche du Ground Zero
au Darih, tout le monde voulait ces écharpes, tout le monde s'est mis
à appeler les usines, on a commencé à commander, les gens se sont
mis àfaire leur propre foulard. »
Cette même idée a été retrouvée dans les propos de Fadi El Halabil,
qui affirmait avoir mis et utilisé la plupart des emblèmes de la
libération: ce n'est qu'après avoir collé un logo indépendance 05 sur
sa chaise roulante, le foulard rouge et blanc autour du cou, un drapeau
libanais à la main, qu'il était prêt à participer à la libération de son
pays.
Les nombreux articles décrivant «l'arsenal» symbolique du
Printemps libanais, marquent aussi l'importance de ces symboles dans
la création du mouvement.2

A-b) Le symbolique pour cimenter les rangs

Depuis l'assassinat de Hariri, et les multiples manifestations


« du lundi », une profusion d'emblèmes est apparue: du logo
autocollant « indépendance 2005» à la volonté des meneurs de
synchroniser un mouvement uni sous la seule bannière du drapeau
libanais à l'exception de tous les autres, on constate la généralisation
de l'emploi des symboles emblématiques. Cette utilisation sert à deux
choses, d'une part construire le mouvement en soi, d'autre part à
affirmer l'unité et la cohésion du mouvement. Qu'un emblème soit,
pour toute espèce de groupe, un utile centre de ralliement, c'est ce
qu'il est inutile de démontrer, affirme Durkheim. «En exprimant
l'unité sociale sous une forme matérielle, il la rend plus sensible à
tous, et pour cette raison déjà, l'emploi des symboles emblématiques
dut vite se généraliser une fois que l'idée en fut née (...) »3 Madame
Nora Joumblatt4 a bien affirmé que des milliers de drapeaux libanais
ont été commandés pour répondre aux demandes du mouvement
populaire, elle a même ajouté que les gens se sont mis à créer leur

1 Discussion avec Fadi el Halabi, psychologue et ancien étudiant à la Faculté des


Lettres et des Sciences Humaines de l'USJ, le mercredi 18 janvier 05.
2 Nous avons dénombré plus de 37 articles dans L'Orient le Jour décrivant les
symboles du Printemps libanais durant le mois de Mars 2005.
3 DURKHEIM Emile, ibid., p. 329.
4
Entretien avec Madame Nora Joumblatt, op. cit.
81
propre foulard rouge et blanc, ce qui illustre bien l'effet de
généralisation et de propagation du symbole dont parle Durkheim.

En rendant une action commune palpable aux citoyens,


l'emblème sert à créer une même conscience issue de l'utilisation de
ce dernier. « Même les idées et sentiments collectifs ne sont possibles
que grâce à des mouvements extérieurs qui les symbolisent» I
explique Durkheim en parlant d'une société agissante. Pour lui, les
éléments emblématiques sont à la base de tout sentiment d'unité.
Ainsi, non seulement les symboles servent à constituer matériellement
un mouvement uni, mais aussi l'utilisation de signes communs permet
à faire réaliser aux individus leur unité morale. Mais pour que cette
unité morale puisse aboutir, il faut que les emblèmes qui l'illustrent
soient rassemblés et unifiés: «En effet, par elles-mêmes, les
consciences individuelles sont fermées les unes aux autres; elles ne
peuvent communiquer qu'au moyen de signes où viennent se traduire
leurs états intérieurs. Pour que le commerce qui s'établit entre elles
puisse aboutir à une communion, c'est-à-dire à une fusion de tous les
sentiments particuliers en un sentiment commun, il faut donc que les
signes qui les manifestent viennent eux-mêmes se fondre en une seule
et unique résultante. C'est l'apparition de cette résultante qui avertit
les individus qu'ils sont à l'unisson et qui leur fait prendre conscience
de leur unité morale. »2 D'ailleurs, les meneurs du 14 mars ont été
intransigeants sur les bannières brandies: le drapeau libanais rouge et
blanc uniquement. Walid Joumblatf l'a affirmé clairement lors de sa
réponse à la question sur la mobilisation: une telle masse a besoin
d'un slogan unificateur pour être bien cimentée. Sa femme va même
avouer avoir obligé les jeunes du parti socialiste progressiste à baisser
les drapeaux partisans. Chose que de nombreux autres dirigeants de
partis ont fait aussi. De même, le responsable des jeunes du
mouvement Futur (ou Moustakbal de Haririi dit clairement que les
moyens utilisés sont un souvenir matériel qui reste et qui avait permis
à la masse de créer une telle union.

1
DURKHEIM Emile, ibid, p. 598.
2 DURKHEIM Emile, ibid., p. 329.
3 Entretien du Leader druze Walid Joumblatt, avec des étudiants de l'USJ, le Il
décembre 2005 à Mokhlara.
4 Entretien avec Madame Nora Joumblatt, op. cil.
5 Entretien avec Nader el NAKIB, op. cil.
82
Enfin, l'on peut conclure que le symbolique renforce le lien
social, et permet l'unité et la cohésion du groupe. Il lui sert
d'identifiant. D'ailleurs, Philippe Braud explique que « l'activité de
symbolisation est particulièrement intense lorsqu'il s'agit de susciter
I
ou renforcer des liens sociaux. » En reprenant l'affirmation de
Balandier2, il montre que partout l'activité de symbolisation est une
sorte de vecteur de légitimation d'idées nouvelles qui facilite leur
intériorisation par les personnes. En effet après l'assassinat de Rafic
Hariri, on pouvait observer une profusion d'emblèmes: que le
sociologue nomme « symbolisant» : des vignettes autocollantes pour
les voitures, des pins à l'effigie du martyr, des rubans bleu ciel, des
foulards rouge et blanc etc Ces éléments utilisés lors de la période
février-mars, pour raffermir la cohésion du groupe, ont été rapportés
par les « bloggeurs » dans leur page personnelle, et souvent ont été
décrits minutieusement par les observateurs, ce qui révèle sans
contestation l'importance que ces simples artifices ont pu avoir au sein
de ce mouvement. L'illustration de la réconciliation nationale apparaît
flagrante dans la description très détaillée que fait Joëlle Tourna de la
manifestation du lundi 28 février 2005 qui a vu apparaître une volonté
spontanée de créer des symboles communs: « Le soir, les Chabebs (les
jeunes) de Tarik Al-Jdidé viennent avec un tambour, ils dansent en
brandissant la photo de Hariri. Un homme s'approche d'eux, il porte
une grande image de la Vierge. Un des Chabebs vient le chercher, il
colle la photo de Hariri sur l'image de la Vierge, de manière à ce que
le regard de la madone soit penché vers lui. Ils continuent à danser
ensemble. »3
Après avoir vu l'importance stratégique des emblèmes et symboles,
nous allons essayer de dénombrer les moyens utilisés lors du
Printemps 2005.

I
BRAUD Philippe, ibid., p. 105.
2 « Le pouvoir ne peut s'exercer sur les personnes et sur les choses que s'il recourt,
autant qu'à la contrainte légitimée, à des outils symboliques et à l'imaginaire» :
BALANDIER Georges, Le Détour. Pouvoir et modernité. Paris, Fayard, 1985, p. 88,
in BRAUD Philippe, op.cit., p. 105.
3 TOUMA Joëlle, op. cit., pp. 78-79.
83
B- LES MOYENS UTILISES LORS DU PRINTEMPS 2005

A ce stade de l'analyse, des clarifications s'imposent


concernant la méthode adoptée en classifiant les «intermédiaires
matériels» utilisés. Sans négliger les imperfections de la technique de
collecte suivie pour recenser les actions collectives et individuelles
menées lors de période février-mars 2005, nous avons relevé d'une
part, l'utilisation pratique de l'élément utilisé, d'autre part, son
interprétation théorique. Pour la collecte des données, nous avons
travaillé sur les archives des journaux An-Nahar et L'Orient le Jour,
les observations de terrain, et surtout les descriptions données lors des
entretiens et dans les blogs des internautes. Pour l'analyse théorique,
nous nous sommes inspirés des études de différents auteurs sur le
sujet!. Ainsi, pour dénombrer les moyens utilisés lors du Printemps
2005, nous nous sommes basés sur les réponses reçues lors des
entretiens avec les principaux acteurs du mouvement, et sur les
observations des acteurs qui les ont détaillées dans les blogs, dans les
journaux ou revues, puis nous les avons retranscrites en langage
théorique selon les auteurs qui ont travaillé sur les actions collectives,
mais surtout sur la conceptualisation des actions non violentes qu'a
faite Gene Sharp2. Cet exercice permet de décortiquer le mouvement
pour analyser sa profondeur, ses limites, et surtout distinguer ses
spécificités.

B-a) Les symboles matériels ou objets fétiches


a-I) Les symboles matériels unificateurs objet d'un investissement de la
société libanaise

Plusieurs « symbolisants », objets matériels investis


affectivement et chargés de mémoire ont été utilisés. Ce sont les objets
« fétiches» de la période février-mars 2005.3 Gene Sharp place ces

I
Durkheim, Sharp, Boustany, Slaiby et autres...
2 SHARP GENE, From dictatorshiv to democracv. a Concevtual Framework for
Liberation. The Albert Einstein Institution, 2nd edition June 2003, Boston, 67 p.
3 Un des articles qui détaille l'utilisation des symboles, est celui de BOUST ANY
Omar « En rouge et blanc, Intifada 05 », in L'Orient Express, le Printemvs inachevé,
hors série, Automne 2005, pp. 99-103.
objets dans la catégorie « Symbolic public Acts» 1 ou actes publics
symboliques, et l'on constate que les 13 actions qu'il énumère ont été
utilisées par les Libanais lors du Printemps 05. Dans cette partie, nous
allons détailler les objets choisis par les Libanais, pour mieux
comprendre la dynamique de leur action et surtout essayer d'évaluer
les récurrences possibles.

-Le IOf!o de l'Intifada de l'Indévendance

« Indépendance 05 ». Il existe en badges « le o-five », en


banderoles, en autocollants, mais surtout, il est traduit en trois langues,
l'arabe, l'anglais et le français, ce qui montre bien que les Libanais
veulent faire passer leur message au plus grand nombre par le biais
des médias internationaux. D'ailleurs, même les badges « el Hakika»
sont traduits dans les 3 langues. La campagne, « Indépendance 05 », a
été réalisée en collaboration avec différents professionnels de la
communication, mais surtout elle a été menée par des intellectuels
libanais. Le Mouvement de la Gauche Démocratique libanaise, a
révélé après l'assassinat de Samir Kassi~, un de ses membres
fondateurs, que le terme désignant ce Printemps, « Intifadet el
Istiqlal» est né lors d'une réunion, qui s'est tenue au lendemain de
l'assassinat de Rafic Hariri, au centre de la Gauche Démocratique à
Corniche el Mazraa. Ziad Majed3 relate comment l'intellectuel
libanais, proposait que le terme «Intifada» (à connotation

1 Symbolic Public Acts 18. Displays of flags and symbolic colors 19. Wearing of
symbols 20. Prayer and worship 21. Delivering symbolic objects 22. Protest
disrobings 23. Destruction of own property 24. Symbolic lights 25. Displays of
portraits 26. Paint as protest 27. New signs and names 28. Symbolic sounds 29.
Symbolic reclamations 30. Rude gestures: SHARP Gene, The Politics of Nonviolent
Action (3 vols.), Extending Horizons Books, Porter Sargent Publishers Inc., 1973.
Les 198 méthodes d'action non violentes sont citées dans le volume 2
http://www.aeinstein.org/organizationsI03a.htmI.
2 Samir Kassir, éditorialiste au quotidien libanais An-Nahar, professeur à l'Institut
des Sciences Politiques de l'Université Saint-Joseph et auteur entre autres d'un essai
«Considérations sur le malheur arabe» publié en 2004, «Une Histoire de
Beyrouth» publié en 2003, et d'un ouvrage sur la guerre du Liban publié en janvier
1994.
3 MAJED Ziad, «Alors... Camarades », in L'Orient Express, le Printemvs inachevé,
hors série, Automne 2005, p. 18.
86
palestinienne) figure dans l'appel à la révolte, et Hikmat Eidl, a par la
suite formulé l'expression. Ziad Majed relève que Samir Kassir était
préoccupé aussi bien par la victoire politique et éthique de cette
« Intifada» que par ses aspects esthétiques. Avec ses amis de Saatchi
& Saatche, il a conçu le logo rouge et blanc et a présenté le célèbre
slogan «indépendance 05 ». Ces informations se croisent avec les
informations collectées par la journaliste Carmen Abou Jaoudé:
« Samir Kassir, entouré d'amis journalistes et de spécialistes de la
communication, dont Elie Khoury, de Saatchi and Saatchi, ainsi que
de Nora Joumblatt particulièrement active et présente durant toute
cette période, se mettent à travailler l'image de l'Intifada et ses objets
fétiches: le foulard bicolore, l'emblème « indépendance 05 » et toute
l'image de marque du mouvement. »3
Si les sources journalistiques se recoupent sur la création de l'image
de l'Intifada, une dimension analytique manque dans les articles: en
effet, on décrit la création de l'image rouge et blanche, qui a
commencé lors des réunions de l'opposition dite « Bristol 1» en
Octobre 20044, mais aucun article de la période ne relève la mise en
place de cellules rassemblant des intellectuels, des étudiants, des
publicistes pour la « fomentation» ou la préparation de certains
changements. Dans la presse, les articles s'arrêtent à la description, et
n'analysent pas l'impact que pourraient avoir de telles réunions.
Ce point nous parait très important car en Serbie, en Ukraine et dans
d'autres pays où des soulèvements similaires ont eu lieu, nous
constatons que des réunions pareilles ont préparé le terrain au
changement. Cette remar~ue nous a été inspirée après la découverte de
films et spots télévisuels laissés par les investigateurs de la chute de

I Avocat, membre fondateur du Mouvement de la Gauche Démocratique libanaise


en octobre 2004, faisant partie du Comité exécutif avec Anju Rihan, Ziad Majed,
Ziad Saab, Elias Atallah et Nadim Abdel Samad.
2 Saatchi & Saatchi est une agence de publicité mondiale (150 bureaux dans 86
pays), qui a également un bureau au Liban.
ABOU JAOUDE Carmen, « Al -Mujtmah al Madani », in L'Orient-Express, Le
Printemps inachevé, Hors Série, automne 2005, p. 92.
4
AZOURl HABIB Médéa,« Blanc sur fond rouge », in L'Orient-Express, op. cil.,
p. 101.
S
Nous avons eu accès aux films: Brin~ing down a dictator, et A force more
powerful (tome 1-2-3) par le biais de Shirine Abdallah au Nahar qui n'a accepté de
diffuser les 5 DVD qu'après l'assassinat de Gebrane Tueni le 12 décembre 2006.
Ces films sont une source qui à notre avis peut être qualifiée de subversive,
87
Milosevic en Serbie, après leur bref séjour au Liban en mars-avril
2005.

-Le foulard rouge et blanc

Signe visible, le rouge et le blanc sont les deux couleurs


dominantes du drapeau libanais. A la question du choix de l'utilisation
des foulards par le mouvement naissant, madame Joumblattl n'a pas
donné une réponse claire. « Pourquoi des foulards? Je ne sais pas...
c'était dans l'air, tout le monde parlait de ça. » Samir Franjieh note
avec un sourire aux lèvres que Nora Joumblatt était arrivée avec un
grand carton plein de foulards mal tissés le 18 février lors d'une
réunion du Bristol. L'objet foulard a été choisi car il est visible. Cette
notion est importante à souligner, les symboles du Printemps libanais
ont été pensé dans un esprit « Marketing» et pour assurer une grande
visibilité. Quant aux couleurs choisies, il est intéressant de noter que
les planificateurs ont hésité parmi différentes couleurs, pesant le pour
et le contre de chaque couleur. En essayant de trouver les couleurs du
compromis qui permettraient en même temps de faire adhérer tout le
monde et de donner une plus grande visibilité. « On ne pensait pas du
tout à Aoun... orange, on ne voulait pas que ce soit ukrainien: en plus
les tanks israéliens sont entrés avec de l'orange, blanc c'est trop
islam, vert aussi, rouge, c'était socialiste ou communiste des gens ne
marcheraient pas avec...le bleu n'était pas une couleur... C'était
UN.» En essayant de se rappeler le choix des couleurs et les
tractations qui ont été faites avant le choix du rouge et blanc, Mme
Joumblatt pèse ses mots en répondant à notre question. En effet, le
symbolisme des couleurs prend toute son ampleur après le Printemps
libanais, plusieurs catégories de personnes ont mis la main à la pate
dans le choix des couleurs du compromis qui peuvent représenter le
plus grand monde sans rebiffer certains. Ainsi, les couleurs et
l'emblème avaient été profondément pensés par les organisateurs du
Printemps libanais. D'ailleurs, c'est l'action commune - des
intellectuels, publicistes, et activistes - qui a permis de créer l'image
finale du Printemps libanais.

encourageant à la lutte pacifique et montrant la manière de mener un soulèvement


populaire et la préparation du terrain.
I Entretien avec Madame Nora Joumblatt, op. cit.
2 Samir FRANJIEH: Parlementaire libanais.
88
-Le draveau libanais sur les balcons

Le Printemps libanais a fait émerger un sentiment de


patriotisme dans la société. Ce sentiment collectif de liesse nationale
s'est incarné lors du Printemps libanais, par un patriotisme qui a
cherché à s'afficher de différentes manières, mais surtout par le fait de
pendre des drapeaux sur les balcons et fenêtres des maisons.
D'ailleurs, Durkheim montre bien que « les sentiments collectifs
peuvent également s'incarner dans des personnes ou dans des
formules: il y a des formules qui sont des drapeaux; il n'y a de
personnages réels ou mythiques qui sont des symboles. »1 Un groupe
de jeunes libanais, accompagné des caméras des chaînes télévisées, est
passé dans certaines maisons de la capitale accrocher les drapeaux
dans des quartiers comme Gemmayzé. Il faut noter que ces actions ont
été couvertes par des courts reportages, diffusés en direct sur plusieurs
chaînes locales et internationales aux heures de pointe, ce qui a
encouragé de nombreuses personnes à s'exprimer pour la première
fois. Le drapeau a eu un regain d'importance dans la société, attisant
la flamme patriotique ou nationaliste. L'élément matériel « le
drapeau» est un objet constituant le support du patriotisme libanais.
Or, sa dimension symbolique s'est accrue lors du Printemps 2005,
avec le « travail continu de régulation et d'enrichissement du sens,
mené par des autorités légitimes au sein du groupe. »2 Le drapeau
libanais pendant la période 15 février 2005 et 8 mars 2005 était
devenu une façon de distinguer les pro-syriens des anti-syriens3. Le
drapeau libanais étant l'emblème brandi par tous depuis l'appel du
Bristol 1 au soulèvement populaire. Il faut noter qu'avec l'utilisation
par les manifestants du 8 mars du drapeau libanais comme preuve de
la libanité de leur causé, ce sont les autres symboles communs et
notamment les slogans et pancartes qui ont servi à désigner les deux
groupes.

I
DURKHEIM Emile, op. cil., p. 332.
2 BRAUD Philippe, op. cil., p. 103.
3 « Il y a les loyalistes et les opposants, les pro et les anti-syriens, les méchants et les
gentils» description de Joëlle Tourna, op. cil., p. 77.
4 « Le Hezbollah et les partis pro-syriens font une démonstration de force sur la
place Riad el Solh. (...) Pour une fois, le mot d'ordre est de manifester avec des
drapeaux libanais, pas un seul drapeau jaune du Hezbollah. Il s'agit bien de cela: le
parti veut affirmer haut et fort sa libanité. » TOUMA Joëlle, ibid, p. 80.
89
a-2) Des symboles matériels moins communs à tous

Si certains objets étaient là pour exprimer une identité


commune « entre compagnons de lutte », certains emblèmes et
symboles permettent de reconnaître la différence de ceux qui étaient
rassemblés au sein du mouvement: les écharpes oranges au cou des
Aounistes, les bleues au cou des partisans de Hariri, la croix barrée
affichée par les Forces Libanaises... Nous allons nous arrêter sur ce
point pour montrer que l'image médiatisée du Printemps libanais était
une image « rouge et blanche» où les Libanais étaient unis. Or, il s'est
avéré que, sous cette union affichée, une désunion bouillonnait entre
les différents acteurs. Les acteurs voulaient faire transmettre une
image unifiée à travers l'utilisation à outrance de symbolisants
communs, mais reconnaissaient entre eux que l'image était moins
homogène qu'ils ne voulaient le faire paraître. Pour faire plus simple,
on peut schématiser le Printemps libanais en une maison de deux
étages: le premier, formé de toutes les multitudes qui connaissent
leurs différences, qui en ont conscience et qui les affichent entre eux et
seulement entre eux, et le deuxième, un étage visible aux autres: une
union de la différence, où l'unité et la cohésion apparaissent sans faille
ni zébrure. Nonobstant ces différences, tous les interviewés de notre
enquête, acteurs et organisateurs du Printemps libanais ont affirmé que
l'union nationale prédominait. La confluence de plusieurs groupes
avec des demandes différentes et des symboles différents! a formé le
grand mouvement de contestation. Est-ce que la formation de ce grand
mouvement est issue d'un « effet de réalité» qui se situe au niveau
des représentations? En d'autres termes, les pratiques et symboles
créés par des individus lors du Printemps libanais ont-ils produit le
Printemps en lui-même? Nous pouvons répondre à cette question en
remettant le Printemps libanais dans le prisme de l'étude de la sphère
politique.
Raymond Boudon parle d'effet pervers, lorsque se produisent des
effets non intentionnels qui peuvent être perçus soit comme positifs,

1 « Les Hakika, ils sont en bleu, écharpe, presque pas de slogans, de la tristesse, les
Tayyar, GE-NE-RAL, ils sont en écharpe orange, super-entrainés, les PSP de
Joumblatt, ils n'ont pas d'écharpe, parfois leur drapeau, pas mal de slogans, les FL,
pouvez pas les rater. Y en a toujours un quelque part et il s'arrange pour être
méchamment visible. Hakim oblige. Interdiction du parti aussi. » BOUST ANY
Omar « En rouge et blanc, Intifada 05 », op. cil., pp. 102-103.
90
soit comme négatifs.1 Or, on constate que les actions individuelles, qui
ont entraîné par la suite des actions de mobilisation collective lors du
Printemps libanais, ont été voulues et a fortiori calculées par
l'ensemble des acteurs libanais. Le Printemps libanais, qui avait
commencé par des symboles particuliers à chaque groupe et peu
nombreux, a entraîné par effet boule de neige la profusion de
symboles et d'actions collectives ou individuelles. Mais ces « objets »,
loin de rester communs à tous, ont été créés par les parties et ont
donné à ces dernières une identité particulière visible et
« réfractaire. »2 Lors de la manifestation du 14 mars 2005, on constate
une certaine répartition territoriale des manifestants. D'ailleurs, même
les slogans et objets fétiches (pin's et autres), nous allons le voir, ont
marqué le retour vers les appartenances partisanes de base. Est-ce que
le Printemps libanais a échappé au contrôle de ses acteurs notamment
avec l'amplification des «effets émergents» des pratiques sociales
durant cette période? Le Printemps libanais ou le mouvement collectif
a-t-il eu lieu parce qu'il est une compilation d'actions individuelles et
non le produit de la volonté nationale? Pour répondre à cette question,
nous avons analysé le contenu des actions individuelles et collectives
pour essayer de voir jusqu'à quel point elles étaient insérées dans une
réflexion à long terme d'une volonté nationale commune.

- Slogans et musiques

Un signe matériel, utilisé fréquemment lors de toutes les


manifestations du « lundi» et celle du 14 mars, a été celui des slogans
et chansons patriotiques.3
Ces slogans qui ont fait l'objet de nombreux articles journalistiques
mais aussi d'une étude menée par Ken Seigneurie professeur à

1
BRAUD Philippe, op. cit., p. 653.
2 Fadia Kiwan utilise le vocable « rétraction paroissiale» pour marquer la perte de
terrain des formations politiques nationales face aux prises de positions paroissiales,
dans son article «Consolidation ou recomposition de la société civile d'après
guerre?» in CONFLUENCES Méditerranée, Liban, Etat et société: la
reconstruction difficile, No. 47, Automne 2003, L'Harmattan, p. 71.
3 Gene Sharp place dans la rubrique Drama and music: « humorous skits and pranks.
Performance of plays and music. Singing. » Alors que les « Symbolic sounds» qui
Jors du 14 mars ont été par exemple la façon de huer ou d'applaudir, il les place dans
les « Symbolic Public Acts. » SHARP Gene, op. cil., pp. 69-70.
4 Entretien avec le Professeur Ken Seigneurie (associate professor of English and
comparative literature, Humanities division Lebanese Arab University) à la salle des
91
l'Université Arabe de Beyrouth. Les slogans, loin d'unir, ont montré
les particularités des acteurs du Printemps libanais. Dans notre
enquête de terrain, nous avons observé, à travers les questions posées
et l'observation, que les enquêtés ne scandaient pas tous les même
slogans; certains n'acceptaient pas de répéter le slogan d'un autre
groupe politique même s'il était créatif et s'appliquait à la situation du
moment. L'exemple du Courant du Futur qui a créé un nouveau
slogan «vérité, liberté, union nationale» différent du slogan attribué
au Courant Patriotique Libre «liberté, souveraineté, indépendance»
en atteste. Pour Alain Aoun 1, ce nouveau slogan n'a pas eu autant
d'impact que le premier. Une « guéguerre » de slogans et de chansons
patriotiques a débuté entre les différents acteurs. Les voitures avec des
chansons partisanes passaient dans les ruelles de la capitale, essayant
par ce biais de mobiliser le plus grand nombre de personnes possible.
On ne peut passer outre la « cantonnisation » des manifestants lors des
manifestations qui avaient lieu. L'observateur qui arrivait à se faufiler
entre les manifestants pouvait aisément remarquer que les slogans
n'étaient pas unifiés et que des joutes se faisaient entre les différents
groupes. Dans le périmètre des tentes: les « abou baha' » répondaient
aux «abou taymour» qui étaient défiés par les «hakim» ou les
slogans des partisans du Général Aoun2...
Il nous faut constater que dans les articles concernant le mouvement,
ces joutes n'étaient pas soulignées. Les journalistes préféraient parler
de cohésion, d'union et d'homogénéité du mouvement. Ce n'est que
bien après le 14 mars que certains journalistes laisseront entendre,
entre les lignes une certaine dispersion du mouvement même lorsqu'il
était à son summum.
Si certains des acteurs reconnaissaient ce manque d'union sur
les slogans, d'autres n'y trouvaient pas matière à problématiser. Pour
eux, il était certain que le 14 mars avait pour titre: « le jour de fidélité

conseils du CEMAM, au sujet de ses recherches sur la littérature de guerre et son


utilisation lors de lajoumée du 14 mars 2005. Le vendredi 28 octobre 2005.
1 Entretien avec Alain Aoun, responsable du bureau politique du Courant Patriotique
libre (CPL), à son bureau le lundi 6 février 2006.
2 Au Liban on interpelle souvent, dans certains milieux, une personne à partir de sa
première filiation, en utilisant le nom de son premier né :Abou Baha " ou le père de
Baha' désigne Rafic Hariri. De même Abou Taymour ou le père de Taymour désigne
Walid Joumblatt, dont le premier né s'appelle Taymour quant au Hakim, ou
docteur, cette appellation désigne Samir Geagea car il a suivi certaines études dans
le domaine médical.
92
au Liban et au Président martyr Rafle el Hariri »1, ce sont notamment
les responsables et partisans2 que nous avons rencontrés du Courant
du Futur qui nous ont affirmé cela.
Cette façon qu'avaient certains acteurs du Printemps libanais de
penser que leur définition des événements s'appliquait à toutes les
autres parties, ouvre une grande problématique sur la reconnaissance
de l'Autre et sur la perspective et la mission que les acteurs du
Printemps libanais donnaient à leur action. Nous pouvons analyser les
réponses des Libanais interviewés lors de notre enquête, en classant
ceux qui reconnaissaient la différence de l'autre et l'intégraient à leur
propre discours d'une part, ceux qui pensaient que leur vision des
choses était partagée par tous les Libanais et enfin ceux qui voulaient
être différents des autres et garder le discours habituel de leur ligne
politique sans englober les autres. Lors des entretiens menés en
français ou en arabe, il était intéressant de noter la façon
« autoritaire» de définir le 14 mars et une sorte d'appropriation du
mouvement que faisait chaque partie à son bénéfice. Certains
utilisaient l'argument d'autorité en répondant à nos questions sur le
sujet, d'autres ne citaient pas les autres acteurs, ou minimisaient
l'impact de leur action.
En extrapolant l'étude des chansons et slogans comme symbole du
Printemps libanais, ce même Printemps montre qu'une confluence de
volontés était en présence, volontés qui se voulaient différentes et qui
ne se sont unies le temps de quelques manifestations que pour donner
un impact plus profond à leur volonté propre. L'exemple le plus
poignant de cette compilation de demandes et de volontés, est la
description faite par Elie Karamë - dans son article «Proclamons
l'union sacrée» - de la communion libanaise qui s'était faite selon
lui, à travers le cumul des slogans.

l
"Yaoum el wala' Ii loubnane wal el wala' !il ra 'iss Rafle el Hariri".
2 Les propos de Alia Habli et de Nader el Nakib sont radicaux concernant le sujet:
pour eux c'était une journée en mémoire de Rafic el Hariri qu'ils qualifient de
président « ra'iss» une personne qui a porté le Liban à bout de bras durant des
années, jusqu'à mourir pour lui. Ces propos recueillis lors d'un entretien en janvier
2006 sont empreints de subjectivité et de jugements de valeurs. Jugements qui nous
permettent de réaliser la fracture profonde entre les groupes politiques en présence
après le 14 mars et qui ont fait le Printemps libanais.
3 « Cette communion libanaise fut un moment de bonheur pur: une même adhésion
à la partie de la liberté en Orient, les mêmes slogans pour tous: liberté, souveraineté,
indépendance et vérité.» Karamé Elie est un ancien chef du parti Kataeb,
actuellement chef de l'Opposition Kataeb.
93
- Pin 's. logos et foulards

La perception de la motivation des acteurs lors de ce Printemps


libanais nous est apparue dans l'étude des symboles qui les
différencient. Symboles qu'ils affichaient sciemment pour marquer
cette différence entre eux. Symboles qui permettent leur identification
à leur groupe d'origine, à leur camp, ou qui leur permettent de
s'affilier à un leader politique.
Les exemples les plus flagrants sont ceux des Forces Libanaises, du
Courant Patriotique Libre ou même du Courant du Futur: avec la
vente de colliers à croix barrées, de symboles Omega, des pin's à
l'effigie de Hariri ou même des bracelets bleus.
Le port de ces symboles permettait aux responsables de chaque parti
de compter leurs adhérents, pour ainsi s'assurer de la représentation
effective sur le terrain. Interviewés lors de notre enquête, certains
délégués des jeunes dans les partis nous ont dévoilé que des paris se
faisaient entre les responsables.
Une autre clé d'analyse apparaît en examinant les symboles du
Printemps. C'est notamment l'identification aux causes libanaises:
est-ce que les militants ont arboré les emblèmes des autres affirmant
ainsi la cohésion nationale? Ce postulat s'est avéré erroné, les
symboles et emblèmes ont servi à bien identifier les acteurs et les
cantonner dans un camp. Nous pouvons prendre l'exemple des rubans
bleus avec la photo de Hariri en Pin's: Il faut noter que beaucoup de
Libanais n'ont pas arboré ces rubans bleus, il leur suffisait comme l'a
affirmé Fadi el Halabi, de porter les couleurs de l'indépendance du
Liban.
D'autres ont été plus nets: comme Jad Ghostine, qui a avoué ne s'être
jamais mobilisé car c'était le jour de la «fidélité à Rafic Hariri mais
car c'était le jour où l'on disait non à la Syrie, non à toute ingérence
extérieure, oui au Liban uni. »
Comme nous l'avons souligné dans l'étude des slogans, très peu de
symboles inspirés d'un courant ont été adoptés par les autres courants.
Les manifestants ont gardé souvent leurs opinions politiques, même
s'ils ont décidé de se mobiliser tous ensemble le même jour.
D'ailleurs, en observant le 14 mars et en se promenant entre les
manifestants cette « cantonnisation » est palpable, chaque groupe étant
rassemblé autour d'une tente, les mélanges ne se sont faits que le soir,
dans le Camp City autour du feu.
94
Ainsi, étudier la « guéguerre» des symboles « fétiches» du
Printemps libanais au prisme de l'analyse symbolique de parsonsl,
nous amène à constater que c'était l'un des enjeux du Printemps
libanais, les organisateurs de chaque groupe cherchant à relever
certains défis: mobiliser le plus grand nombre, comme l'a montré
Alain Aoun, propos retrouvés aussi durant l'entretien avec Nora
Joumblatt. Le CPL et le PSP ont mobilisé toutes leurs assises sociales
pour aider à créer une manifestation réussie, ce qui dans le jargon des
Libanais veut dire une manifestation où le nombre de personnes est
important. De plus, on a constaté que certaines « bases» ont mis en
œuvre leurs propres forces pour mobiliser d'autres bases. Comme les
bases partisanes du CPL et PSP qui ont prêté leurs bus aux partisans
du Courant du Futur. C'est là où la thèse de Parsons peut paraître se
vérifier.
Un autre exemple qui illustre cet esprit est le choix des couleurs de la
Révolution 2005. Nora Joumblatt raconte avec forces détails le temps
et la difficulté du choix. Voulant à tout prix faire accepter la
révolution au plus grand nombre sans nécessairement chercher à
marquer des points dans l'échiquier des autres participants du même
mouvement. Non seulement, ils ont voulu se démarquer mais aussi
faire contagion. Ainsi, essayer de gagner le public des autres était
possible lors du Printemps libanais, mais cette analyse ne parait pas
assez pertinente: pour penser la sociologie politique du Printemps
libanais, on peut douter que la mécanique et l'addition de groupes ne
soient adéquats pour le qualifier. Le Printemps a montré à travers ses
slogans et son image de marque une complexité difficile à restreindre
dans le cadre d'une analyse mathématique.

B-b) Les actions collectives

Non seulement des symboles ont été utilisés, mais les acteurs
du Printemps libanais ont eu aussi recours à des actions collectives qui
leur ont permis de raffermir l'unité et la conscience commune d'une
I Parsons contredit l'idée du pouvoir politique comme jeu à somme nulle en dépit de
son caractère évident. (Tout ce que gagnent ceux qui ont le pouvoir est perdu par
ceux qui n'ont pas le pouvoir). Talcott PARSONS, Social Structure and the
svmbolic media of interchanf!e (1975) et Death in the Western World (1978), tous
les deux, in P. Hamilton, Readings From Talcott Parsons, Tavistock Publications,
1985, in COLAS Dominique, SociolOfde politique, Quadrige/puf 1994, p. 15.
95
« libanité» à préserver. En suivant la méthode simple de Ghassan
Slaibyl, nous avons essayé de construire notre propre classification de
ces actions pour permettre leur présentation et une meilleure analyse
de leurs effets sur le corps social. Après avoir listé les symboles, nous
avons relevé les actions collectives en présentant les organisateurs de
ces actions, et en cherchant qui étaient les participants. Le but était de
voir si un mouvement populaire de raffermissement des bases de la
société civile était mis en place.

b-l) Les activités culturelles et sportives

Les activités culturelles que nous avons dénombrées lors du


Printemps libanais sont nombreuses. Nous avons relevé: les journées
pour la commémoration de la guerre, des activités culturelles faites par
Offre Joie et autres associations, les activités sportives comme le
Marathon de Beyrouth, la lecture de poèmes et textes présentés par
des élèves d'écoles publiques et religieuses ou des associations de
scoutisme qui ont organisé des jeux au centre ville. Nous n'allons
détailler que deux cas d'activités dont l'importance nous a paru
primordiale dans la compréhension des manifestations libanaises, et
qui permet de replacer l'étude dans un cadre géopolitique plus large.

- Camp City

Ce sont des militants pour la souveraineté du Liban qui se sont


inspirés de la méthode des révolutionnaires Ukrainiens; ils ont dressé
leur tente au centre ville, au pied de la Statue des Martyrs, un haut-lieu
symbolique de la résistance libanaise.
Ces jeunes ont été mus par une volonté de changement, et surtout par
la volonté de transmettre leur message au plus large public possible.
Pour attirer l'attention des médias, ainsi que celle de l'opinion
libanaise, ils se sont inspirés des révolutions pacifiques qui venaient
de se faire en Europe de l'Est. Lors de nos entretiens et par une
reconstruction faite à travers les réponses de personnes interrogées
durant l'enquête, il a paru que Samy Gemayel2, un militant, a été le
premier à dresser une tente à la Place des Martyrs. Pour faire un

1
SLAIBY Ghassan, op. cil., p. 123.
2 Fils de Amine Gemayel ancien Président de la République Libanaise, et militant
actif contre la présence syrienne surtout depuis son entrée à l'université.
96
« statement» selon Jad GhostineI, responsable du Bureau2 des
étudiants à l'ALBA. « Toute la soirée, nous dit-il, les gens du An-
Nahar, attendaient l'arrivée des gendarmes pour arrêter les jeunes,
qui étaient assis là et qui surtout dormaient là. » En effet, on ne peut
que rappeler que les étudiants libanais ont été habitués à se faire
tabasser par les forces de l'ordre, lors des manifestations étudiantes
organisées lors de la commémoration de l'indépendance du Liban, ou
pour soutenir la cause des Libanais détenus dans les geôles syriennes.
Dans un climat de répression des plus contraignants sur les libertés
d'expression et d'action, les étudiants après les années 1990
s'attendaient lors de chaque manifestation à un affrontement imminent
avec les forces de l'ordre.
Il faut noter que les jeunes voulaient surtout transmettre leur vision du
Liban. À la question qui était ces jeunes, Jad Ghostine répond sans
sourciller: « tous ceux qui avaient envie de passer à la télévision. »
C'est ainsi que nous pouvons constater le but premier de cette action:
se faire remarquer. Les jeunes Libanais recherchaient une façon de se
faire entendre, et il nous apparaît que leur action était mue par la
volonté de s'afficher.

- Les Workshop ou ateliers de travail

Ce sont des sessions de formations, qui n'ont pas été


médiatisées, mais au contraire sont demeurées confidentielles et
secrètes par les organisateurs et les participants.
Les formations destinées aux responsables du « Camp City», ont été
organisées par Gebrane Tuene et la chargée des relations publiques au
journal An-Nahar, Mme Chérine Abdallah, dans les locaux de
l'immeuble du Nahar au centre ville de Beyrouth. Il faut noter de
prime abord que ces « Workshop» étaient confidentiels, les

I Entretien avec Jad GHOSTINE, responsable du bureau étudiant de l'Alba, diplômé


en architecture, entretien fait le lundi 30 janvier 2006 à la Faculté des Lettres.
2 Définition d'une Amicale Etudiante ou Bureau des Etudiants: Les amicales
regroupent les étudiants d'un même campus ou d'une même faculté, école ou
institut, cette organisation est le catalyseur principal de la vie étudiante à
l'université, elles organisent des activités culturelles, sociales, politiques et
coordonnent et proposent des services quotidiens aux étudiants qu'elle représente
auprès des instances publiques et universitaires.
3 Tueni Gebrane directeur du Journal An-Nahar, et député libanais depuis juin 2005,
a été assassiné par une explosion le 12 décembre 2005.
97
participants étant tenus de rester sous le sceau du secret. Lors d'un
entretien avec l'un des participants à ces workshops, celui-ci a en «off
record» parlé de ces formations. Ce n'est qu'après l'assassinat de
Gebrane Tueni, que son assistante nous a dévoilé les journées qui se
sont déroulées au sein du Nahar, et nous a donné la liberté de les
évoquer pour affiner notre recherche.
En faisant une reconstruction, car les papiers ont été détruits par souci
de sécurité, nous avons appris que Ivan Marovich un des fondateurs
du mouvement Otporl, était venu le 19 mars 2005 au Liban et avait
rencontré - après son arrestation par les services de sécurité libanais
- dans une des tentes, les jeunes responsables Libanais du camp.
L'arrivée de militants comme Ivan, pose la question de
l'indépendance de la dynamique libanaise. Le 14 mars 2005 a-t-il été
calculé et préparé à l'aide d'associations étrangères, voire d'Etats
étrangers? Nous allons répondre succinctement à ces questionnements
dans cette partie, les trouvailles et preuves réunies lors de nos
recherches n'étant pas finalisées. Mais avec le bout de l'iceberg qui
émerge, nous pouvons répondre sûrement que les militants d'Otpor ne
sont venus qu'après le grand soulèvement populaire, ils n'ont pas été
sollicités par des Libanais mais bien au contraire, ils ont été intéressés
par le soulèvement populaire et sont venus observer de plus près ce
que les Libanais ont fait sans l'aide des habitués, créateurs de tels
soulèvements. D'ailleurs, Nabil Abou Chara-f, membre d'AMAM et
présent à la rencontre avec Ivan, nous a expliqué lors de son entretien
que les séminaires ont donné «un second soujJle» au mouvement
grâce à la présence des militants Ukrainiens. Le mouvement libanais
était « en perte de vitesse », et par leur présence, et leur motivation, les
résistants d'Otpor ont donné une impulsion aux jeunes libanais. Jad
Ghostine3 utilise les mêmes termes, et ajoute qu'aucune aide
technique n'a été offerte lors de ces ateliers, l'aide offerte étant plutôt
morale.

1
Entretiens avec Mme ABDALLAH Chérine au Nahar, le mardi 14 mars 2006 et le
vendredi 31 mars 2006 dans son bureau au Nahar.
2 Entretien avec Nabil ABOU CHARAF, op. cit.
3 Entretien avec Jad GHOSTINE, op. cit.
98
b-2) Les activités de campagne: des actions symboliques mues par des
individus

De nombreuses actions directes menées par des personnes


influentes de la société civile comme Nora Joumblatt, par des
associations de jeunesse ou par les Amicales étudiantes, ont utilisé le
symbolisme pour créer l'image du Printemps libanais.
Alors que les partis politiques ont aussi mené leur propre campagne de
mobilisation en créant leurs propres rubansl (foulard bleu pour le
Courant du Futur, orange pour les partisans du CPL), en distribuant
des images imprimées2 et des slogans déjà préparés.
Nous avons constaté que de nombreux moyens « adéquats et
efficaces »3 étaient mis à la disposition des militants. Non seulement
les techniciens de l'Intifada, comme les publicistes4, les concepteurs
de slogans, ont proposé leur aide, mais de nombreux individus ont mis
aussi la main à la pâte. « L'Intifada est la résultante des apports
spontanés d'intellectuels, de cadres politiques, de publicitaires, ou de
simples citoyens dont la seule motivation était leur engouement pour
une cause noble. » Aide créative, aide financière, sans parler de l'aide
des restaurants libanais qui ont offert gratuitement l'eau et la
nourriture aux jeunes de la Place des Martyrs tout au long de leur
présence au camp. Cette entraide qui est apparue lors du Printemps
libanais montre que malgré les différences et les idées souvent mal

1
L'autocollant: « la vérité », « the truth », « el hakika» : en lettres blanches sur
fond noir. Selon Nader el Nakib c'est le mouvement Moustaqbal qui les a créés. Il
faut noter que les mêmes slogans ont été repris en plusieurs langues. Les Libanais
voulant faire parvenir leur message à des publics étrangers.
Quant au ruban bleu: l'idée vient de la campagne contre le Sida, la couleur bleue a
été choisie car elle était la couleur préférée de Hariri, et cela symbolise la paix. Cf.
entretien de Nader el Nakib, op. cit.
2 Le financement des drapeaux imprimés (10.000 pour le 15 février), des portraits
(500.000 de Rafic Hariri) des slogans et objets (10.000 slogans et pins vérité et
indépendance 2005) a été pris en charge par l'Association de Beyrouth pour le
développement social, créée par Rafic Hariri et dirigée par Saleh Farroukh.
3 SLAlBY Ghassan, op. cit., p. 132.
4 Dans son étude sur la loi de polarisation du prestige, Serge MOSCOVICI, donne le
rôle principal au publiciste « qui maitrise l'art de la presse» (p. 271) mais dont la
force principale tient selon MOSCOVICI « à leurs dons d'hypnotiseurs », mais aussi
à « leur connaissance à la fois intuitive et informée du public. Ils savent ce qu'il
aime et ce qu'il déteste. » (p. 273). MOSCOVICI Serge, op. cit.
99
accordées, une volonté de participation active et d'entraide s'est
formée, une atmosphère significative du Printemps libanais.
Par le biais d'actions symboliques simples, des individus ont voulu
marquer des événements particuliers d'une signification pacifique.

- Distribution de fleurs. lJosters et bouflies

Nous pouvons prendre l'exemple des fleurs distribuées le


premier jour, le 15 février.! Action que nous retrouvons lors de la
guerre libanaise: « notamment des barrages de personnes distribuant
des fleurs »2 nous relate Slaiby dans son article. D'ailleurs lors de son
entretien, Nora Joumblatt affirme avoir acheté des milliers de roses
blanches, informations qui recoupent les observations de terrain. A la
question de savoir qui finançait ces actions, souvent restée sans
réponse lors du Printemps libanais, la réponse est dorénavant d'ordre
public: une organisation créée par Hariri3 et les partis politiques
comme le PSP de Walid Joumblatt.
Les fleurs, symbolisent la paix, et surtout ancrent le mouvement de
protestation dans la mouvance des actions non violentes.
Quant aux bougies et portraits de Hariri distribués, il faut noter que
dès le premier jour, jour de l'assassinat, les jeunes de son parti, qui
travaillaient de près avec l'équipe du ministre, d'une façon spontanée,
sous le choc de l'assassinat, ont repris une tradition libanaise
d'illuminer les balcons et les bords des routes par des bougies placées
dans des sacs en papier remplis de sable.
Il faut noter que seule Alia Habli et Nader el Nakib, sunnites du
Courant du Futur, ont dès le premier soir (le 14 février) illuminé avec
les gens de leur parti certaines ruelles autour du château de Koraytem
où vivait le Premier ministre Rafic Hariri.
Cette action spontanée n'a pas été reprise le soir même par d'autres
partis ou dans d'autres régions libanaises.
Alors que la tradition de manifester avec des bougies a été plus tard
(après l'enterrement) reprise par de nombreux acteurs qui allaient se

1
Les manifestants qui ont distribué « des roses rouges et blanches(...) aux soldats
complices, et heureux» BOUST ANY Omar, « En rouge et blanc Intifada 05 », op.
cil., p. 103.
2 SLAIBY Ghassan, op. cil., p. 123.
3
L'association de Beyrouth pour le développement social, créée par Rafle Hariri et
dirigée par Saleh Farroukh.

100
recueillir au Darih ou effectuaient des marches et manifestations le
soir du Ground Zero au Darih. Des bougies ont été allumées sur les
barrières de protection, et des prières communes à différentes
communautés ont été élevées depuis le Darih en mémoire des
victimes. Ce sont des actions menées par des gens qui n'étaient pas de
la même obédience que Hariri, qui ont par la suite financé et organisé
ces marches. (Par exemple les partis comme le CPL, FL, PSP... sans
oublier les indépendants ont collaboré au financement).
Ces actions montrent qu'une fois le choc passé, les Libanais avaient
une volonté de s'entraider, une volonté de s'unir pour dire non à une
mort aussi tragique. Et surtout, ce facteur peut montrer que les
Libanais ne s'embarrassaient pas de la communauté de la victime.
Pour eux, l'acte était sauvage, que ce soit un sunnite, un shiite ou un
maronite, aucun n'a à mourir de cette façon. C'est le «ras-le-bol»
commun à toutes les communautés qui a poussé certains activistes à
placer une grande banderole en papier au sol, qui s'est rapidement
transformée en pétition.

- Les manifestations hebdomadaires

Outre les actions collectives très créatives et issues des


traditions et coutumes libanaises, une action collective de
manifestation hebdomadaire a été entreprise par certains Libanais.
Pour Samir Kassir, il fallait entretenir la flamme, et préparer peu à peu
des «méga-manifs» qui rassemblent de plus en plus de personnes.
D'ailleurs, les appels à la mobilisation étaient quasi quotidiens, depuis
le lancement par le Bristol de « lntifadet el lsteklal. » Nous allons citer
l'exemple de ces manifestations hebdomadaires et surtout celles «du
Lundi» :
Après le 14 février, chaque Lundi, les jeunes arrêtaient leur cours, et
de nombreuses personnes se retrouvaient au centre ville pour
manifester leur «ras-le-bol », et s'exprimer contre la présence
synenne.
Ces manifestations du Lundi ont aidé à préparer le terrain à la « méga
manif », la manifestation du 14 mars 2005.
Mais il faut s'arrêter sur les acteurs ayant participé à ses
manifestations: les lundis qui ont précédé le 14 mars, la plupart des
manifestants appartenaient à la communauté maronite et à la
communauté druze. Les leaders qui haranguaient la population et
l'encourageaient à manifester trouvaient de la difficulté à côtoyer la
101
communauté sunnite, moins habituée à avoir recours à la rue pour
faire entendre ses demandes. D'ailleurs, Alia Habli, la responsable des
diplômés de l'association Hariri, a clairement expliqué qu'avant la
mort de Hariri, les sunnites pensaient que le recours à la rue ne menait
nulle part. Pour eux, le Liban avait besoin d'une décision politique
concernant l'occupation israélienne et le quiproquo sur les
interférences syriennes au Liban. Elle continue, «après la mort du
Ra 'iss: que devait-on faire. Regarder? Tout le peuple était là /1
Fini / » Nonobstant la vision partisane active d'Alia, sa communauté a
eu du mal à réagir et à répondre à l'appel de ses dirigeants: lors des
entretiens avec les organisateurs, outre la facture des moyens de
transports mis à la disposition de certaines régions, régions où les
habitants ne se sont mobilisés qu'après moult encoura~ements, ils ont
souligné la difficulté de mobiliser leur masse populaire.
D'ailleurs, ce qui a fait de la manifestation du 14 mars une
manifestation spéciale a été la participation des communautés
sunnites.
On ne peut passer outre les vecteurs de socialisation qui ont joué un
rôle dans la mobilisation des communautés: les prêches des curés
dans les paroisses chrétiennes maronites.
Les théâtres et activités culturelles qui étaient mis au service de
l'opposition. En effet dans une pièce de théâtre à grand public, le
scénario a été presque changé et a servi à mobiliser le public à
manifester les lundis.
Les leaders d'opinion que sont les artistes célèbres, appréciés par le
public (les chanteurs, les critiques, les «monologuistes », les
danseurs...) la plupart ont aidé à véhiculer un message subversif
poussant à la mobilisation et au soulèvement populaire pour la liberté
et l'union des Libanais. Et surtout, une image « rouge et blanche» qui
symbolise la manifestation massive des Libanais pour leur liberté.

Pour conclure cette partie nous pouvons relever que même si


nos postulats de départ qui affirmaient que le Printemps libanais
offrait une image unie « rouge et blanche », avec une réelle union et
cohésion de ses acteurs, se sont avérés nuancés dans la pratique, le
Printemps libanais a fait la preuve de la créativité des Libanais, dans la

I
Dans le sens: tout le peuple se mobilisait.
2 Nader el Nakib nous affirme qu'il a eu de nombreuses difficultés à mobiliser les
masses de sa communauté, les masses étant habituées à ne pas manifester.
102
création de symboles capables d'agir comme catalyseurs et surtout
auxquels peuvent s'identifier une grande partie des acteurs. Trouver
en quelque sorte un dénominateur commun qui puisse convenir au
plus grand nombre possible de Libanais sans être l'apanage d'un
groupe précis. Ce compromis à trouver ou le même slogan unificateur
comme l'a simplifié Walid Joumblatt, était créé pour maintenir aux
yeux des autres une cohésion du mouvement. Quand à la réalité, les
Libanais voulaient faire partager au grand public une illusion, ou pour
être moins radical dans le jugement, une sorte de vision espérée du
Liban. Une même identité politique pluriconfessionnelle et multi-
partisane. Les Libanais qui ont participé au mouvement avaient
conscience des différences profondes qui les éloignaient les uns des
autres. Différences politiques, communautaires, et même sociales.
Cela ressort notamment des propos des jeunes qui ont participé au
Camp City et qui ont tenu à révéler que les sujets de bonne entente
étaient les blagues sur les chanteuses en vogue, mais que les sujets
politiques ou concernant l'identité et l'histoire ont déclenché des
discussions sérieuses où chacun a reconnu sa différence et au moins a
eu vent de la différence de l'autre, sans pour autant l'accepter. La
« cantonnisation » lors des manifestations où chaque personne restait
avec les siens, que ce soit ses amis, son groupe politique, ses collègues
du travail ou son village (sachant que des bus ont transporté des
populations de villages entiers comme ceux du Akkar, ou ceux venant
de Kosba...) est une réaction normale, cette répartition vient du fait
que des groupes sont descendus manifester. Une certaine assimilation
a été engendrée de fait, mais la réelle intégration a souvent été freinée
par des problèmes de fond: comme une mémoire commune, des
souvenirs partagés entre certains qui se rappelaient que les autres
(dont font partie des acteurs actuels) ont collaboré avec le régime
contre lequel on manifeste aujourd'hui.
L'étude des symboles est passionnante, elle permet de comprendre les
fractures de la société civile par le biais de simples artifices, qui dans
leur sens, signifient beaucoup plus qu'ils ne le paraissent. Est-ce que
le retour à l'utilisation d'un symbole convergent comme le drapeau
libanais va permettre à la longue, comme une stratégie d'usure, de
rassembler la population libanaise autour d'une libanité commune?
Un symbole porté et brandi peut-il, à lui seul, permettre de colmater
les plaies passées d'une population qui a enduré beaucoup, et lui
insuffier une identité commune? A cette question, Philippe Braud
répond que « les symboliques les plus efficaces sont celles qui
103
réussissent à façonner des définitions identitaires collectives réputées
invariantes. Elles joueront en effet le rôle d'un levier particulièrement
efficace de mobilisation pour mettre en œuvre des solidarités
agissantes. »1
Le Printemps libanais en est une illustration par le biais de ses
symboles communs, ses objets fétiches, si divers soient-ils, qui
permettent efficacement de tisser les liens d'une toile commune, qui
assemble entre ses filets des affiliations diverses, ornant cet
assemblage d'une intégration et d'une assimilation réelle à une même
idée du Liban.

L'étude des symboles comme stratégie qui permet d'unifier


l'image de l'Intifada 2005 nous pousse à étudier un des vecteurs de
socialisation qui a été utilisé lors du Printemps de Beyrouth pour
mobiliser les masses et entretenir l'image symbolique d'une action
volontariste révolutionnaire: la communication. Nous exposerons
cette stratégie en essayant de sonder le degré de son implication dans
la création de la vie nationale libanaise et surtout dans la direction des
perceptions libanaises:
Est-ce que la communication a permis en tant que vecteur de
mobilisation de transformer les esprits vers une acceptation réelle de
l'Autre?

I
BRAUD Philippe, op. cit., p. 107.
104
Chapitre 3

Le rôle primordial des médias dans la création du


Printemps libanais

Après avoir étudié le rôle de divers acteurs de la société civile


lors du Printemps 2005, nous allons examiner plus particulièrement le
rôle de la communication comme vecteur privilégié pour la
mobilisation, comme agent de production de représentations
collectives et enfin comme acteur principal de la période concernée.
Nous allons étudier le rôle de la transmission en direct et durant
plusieurs heures consécutives, des événements et activités qui avaient
lieu à la Place des Martyrs. Quel impact cette utilisation de la
communication a-t-elle pu avoir dans la création des images
collectives du « Printemps libanais» ?
Avant de présenter l'hypothèse de départ, nous devons noter que si le
degré de modernité et de développement d'un pays se mesure à des
indicateurs tels que le nombre de ses internautes, et l'utilisation des
médias et nouvelles technologies de masse, on peut, de prime abord,
dire que le Printemps libanais a pu illustrer non seulement la créativité
des acteurs libanais mais aussi un degré de technicité bien avancé dans
un pays que beaucoup placent dans un tiers monde peu avancé.
Pour essayer de mesurer l'impact des médias dans la
divulgation et la création des événements libanais, nous sommes partis
du postulat que c'est la mise en œuvre du marketing politique et
surtout le mode d'action audiovisuel! qui a poussé une grande tranche
de Libanais à rallier les principes que professaient certains acteurs,
créant ainsi le Printemps libanais.
Cet appui moral et technique offert par les moyens de communication
libanais mais aussi étrangers, la volonté de la part des Libanais de
paraître et de s'afficher sur les écrans et à la Une des moyens de
communication, a ainsi mené à la grandiose manifestation de la
société civile le 14 mars 2005. C'est surtout cette couverture

1
MAAREK Philippe J., Communication et marketing de ['homme Dolitiaue,
Editions Litec, Paris, 2001, p. 137: l'auteur classe les instruments de communication
qu'utilise le marketing politique en modes d'action « classiques », modes d'action
audiovisuels et enfin les procédés du « marketing direct» et les nouveaux médias.
médiatique qui diffuse un message convergentl durant toute la période
du 14 février au 14 mars et qui a poussé un grand nombre de Libanais
à résister, et leur a donné une volonté et une sorte de feu vert pour
exprimer tout leur mécontentement. Nous avons voulu évaluer, à
travers l'étude des effets des moyens de communication, le degré
d'engagement véritable de la société civile dans un projet pour le
Liban.
Pour vérifier la véracité de cette hypothèse, nous nous sommes basés
d'une part, sur l'étude comparative des questions posées lors des
entretiens menés auprès d'une palette de personnes qui ont participé
au Printemps libanais, et qui ont utilisé divers canaux pour
communiquer; d'autre part, notre argumentaire s'appuie sur des
travaux concernant le rôle des médias dans la création d'un
mouvement de foule. Ce qui nous permet de vérifier la stratégie de
communication du Printemps libanais à travers le prisme des
théoriciens en matière de communication politique. Il faut noter que le
cours de Communication politique et systèmes d'information donné
par le Professeur Carole Al Sharabati à l'Institut des Sciences
Politiques de Beyrouth, a énormément inspiré la formulation des
postulats de ce chapitre, ainsi que la façon de traiter l'hypothèse.

I
KIW AN Fadia, « Consolidation ou recomposition de la société d'après guerre? »,
op. cit., p. 76.
106
A- Tous les moyens sont bons pour faire passer le message...

Typologie des canaux utilisés durant le Printemps 2005

Après l'assassinat du Premier ministre Rafic Hariri, on a


constaté une utilisation de la communication dans tous ses canaux
pour mobiliser la rue dans un but précis. Nous allons examiner ces
intermédiaires et surtout le processus de leur pilotage! par les
différents acteurs. Pour vérifier le postulat qui présume que la
couverture médiatique a joué un rôle primordial dans la création du
mouvement, et surtout qu'elle est le pilier principal du Printemps
2005, nous avons procédé à un contrôle du message médiatique, dans
quatre de ses branches: la radio, la télévision, la presse, mais enfin et
surtout Internet. En essayant de compter les canaux par lesquels
passaient les messages concernant le Printemps 2005, nous avons
constaté leur multitude quantitative d'une part, leur diversité
qualitative d'autre part. (Les publicités écrites et orales, les grandes
affiches sur les bords des grands axes routiers, l'envoi de messages
courts sur les téléphones portables et enfin la prolifération de
l'utilisation de l'outil Internet comme nouveau medium2).

A-a) LA PRESSE ECRITE et AUDIOVISUELLE


a-I) La presse écrite

De nombreux journaux et quotidiens libanais, régionaux ou


même internationaux, ont couvert les événements du Printemps
libanais, du 14 février, avec la mort de Hariri, jusqu'aux élections.
Non seulement les pages consacrées par les journalistes à l'Intifada
2005 étaient plus nombreuses, mais les pages de la presse ont aussi été
ouvertes à l'apport des citoyens qui voulaient bien s'exprimer.

1
Louis Couffignal montre dans une définition qui s'inspire de la Cybernétique,
comment l'action médiatique est instrumentalisée. C'est, dit-il, « l'art de rendre
efficace l'action ». COUFFlGNAL Louis, La Cybernétique, Paris, 1966, p. 23, in
SCHW ARTZENBERG Roger-Gérard, op. cil., p. 126.
2
Le terme medium correspond à tout ce qui est susceptible de véhiculer un message,
Mac Luhan considère le medium comme étant un instrument de communication.
MAC LUHAN Marshall, Pour comvrendre les médias : les prolonflements
technolofliaues de l 'homme, éditions Seuil, 1968, 404 p.
Plusieurs quotidiens ont été «les porte-paroles du mouvement de
contestation », de même que des revues mondaines et magazines
People, qui ont réservé de nombreuses pages aux événements libanais.
Avec tous les événements qui se déroulaient à la Place des Martyrs, on
a constaté que durant cette période, les gens attendaient les nouvelles
du soir, lisaient de plus en plus les journaux, qui pour beaucoup ont
été distribués gratuitement à la Place des Martyrs (par exemple: Daily
Star, An-Nahar); et durant les longs mois qui ont suivi la mort de
Hariri, la politisation excessive, qui généralement s'accroît en
situation de crise, a entraîné des discussions sur la politique dans tous
les milieux, et s'est illustrée dans la réservation de pages concernant le
Printemps libanais dans des revues mondaines.) Cette notion, qui se
trouve vérifiée lors du Printemps libanais, ad' ailleurs été abordée par
Moscovici qui soutient que « le pouvoir de la presse semble presque
illimité en temps de crise. Lorsqu'un danger se profile à l'horizon,
tous les citoyens se transforment en lecteurs, guettant ce qui va sortir
de la plume des journalistes. »2 De telle sorte que la presse devient le
« maître à penser» des citoyens.3
Une question intéressante à examiner consiste à voir si c'est
l'événement qui a obligé le support à lui réserver un créneau, une sorte
de mimétisme qui s'est créé, ou si c'est le média qui a voulu ré-
agencer son agenda setting. La presse, par l'espace qu'elle octroie à
chaque nouvelle montre-t-elle aux gens ce à quoi ils doivent penser ?4
De toute façon, il est important de noter que la couverture médiatique
lors du Printemps libanais n'était pas assez objective, les médias
prenant un rôle effectif et déterminant d'acteur et pas seulement
d'accompagnateur des événements. Ce positionnement a été soit
matériel par l'aide offerte aux mouvements de contestation,
(locaux...) ou même moral par le soutien d'une visibilité assurée.

I L'exemple du Magazine Aîshti est une iIlustration parfaite de magazine mondain


qui a réservé un encart dans sa publication aux événements du Printemps libanais. Il
a dans son numéro 17, des mois avril et mai 200S, octroyé une grande partie de son
espace, 10 pages, aux photos et collages du Printemps libanais. GEBRAN Carla,
"Building the Lebanese nation page", in AISHTI Magazine, No. 17, avril-mai 200S,
fP.238-248.
MOSCOVICI Serge, op. cit., p. 2S3.
3 DEBBASCH Charles et PONTIER Jean Marie, Introduction à la oolitique, Dalloz
Sèmeédition, Paris, octobre 2000, p. 237.
4 BRAUD Philippe, La socialisation oolitique, p. 237 (presse écrite et
audiovisuelle).
108
Nous pouvons citer en exemple le quotidien libanais en langue
française, L'Orient le Jour, qui a souvent ajouté des suppléments avec
les photos des manifestations. De nombreux journaux ont aussi élargi
l'espace réservé aux lecteurs: L'Orient le Jour a créé une rubrique
« les lecteurs ont voix au chapitre », le quotidien An-Nahar « a ouvert
ses pages aux jeunes du camp de la liberté »1 mais c'est surtout Le
Monde, édition du Proche Orient qui a ajouté un supplément « Tribune
Libre» où les questions libanaises (relatives au Hezbollah, à la tutelle
syrienne, à la guerre libanaise, aux élections législatives) ont été
débattues en long et en large par des articles de chercheurs,
professeurs, étudiants, ou intellectuels.2
Ainsi, «la presse en général a sympathisé avec le mouvement de
révolte », non seulement en lui offrant un espace pour s'exprimer,
mais aussi, en soutenant moralement et matériellement l'Intifada: «le
bâtiment du Nahar, situé à quelques encablures de la Place des
Martyrs, s'est transformé le temps de l'Intifada, en une véritable ruche
(...). Il a également mis à la disposition des organisateurs du
mouvement ses locaux, ses moyens techniques et de communication:
ordinateurs, téléphones, fax, Internet. »3 D'ailleurs, de nombreux
jeunes gardent en souvenir les séminaires et tables rondes4 organisés
par le Nahar, qui a invité de nombreux intervenants pour « penser»
les événements, et redonner un souffle aux «jeunes du camp» qui
commençaient à perdre leur motivation après le 14 mars. Ces
séminaires, organisés par le responsable du Nahar, Gebrane Tueni, qui
a invité les intervenants étrangers à sa charge, les a conduits et les a
gardés sous sa responsabilité lors et après leurs arrestations par les
responsables de la sécurité au Liban pour problème de visa, ont joué
un rôle important dans la préparation des jeunes aux soulèvements
pacifiques. Cela marque l'importance de l'investissement des

1
ABOU JAOUDE Carmen, La presse et L'Intifada, L'Orient-Express, Hommage à
Samir Kassir. Le Printemps inachevé, Hors Série, automne 2005, p. 97.
2 Si nous observons deux suppléments du Monde Edition Proche Orient, par
exemple les numéros 298 ou 300, du 17 juin ou du 1er juillet 2005, nous constatons
que des articles rédigés par Edmond Rabbath, Georges Corm, Nicolas Shenaoui,
Tania Hadjithomas et autres ont été publiés. Cette tribune libre a été un espace où le
cas libanais a été analysé en profondeur par des chercheurs, des professeurs ou
même des jeunes comme Mazen Kerbaj.
3 ABOU JAOUDE Carmen, op. cit., p. 97.
4 Entretien avec Jad GHOSTINE, op. cit.
S
Par le biais de Mme Chérine Abdallah nous avons eu accès aux listes restantes des
jeunes participants aux ateliers de travail. Il faut rappeler que les papiers ont été
109
journalistes et des responsables médiatiques dans la réussite du
soulèvement pacifique qui avait lieu. Asma Andraos, jeune femme qui
fait partie du noyau de « AMAM »], assure: « nous avons investi le
bâtiment du Nahar pendant près de 70 jours. »
Les journalistes ont été contactés dès le premier soir par les
organisateurs des premières manifestations: Nora Joumblatt se
rappelle avoir demandé à Fares Khacchane, journaliste du MustaqbaP,
de couvrir la première veillée sur le lieu l'explosion, en face du Saint-
Georges3, le 15 février 2005.4
De plus, après la manifestation du 8 mars, nous avons pu constater
une effervescence chez les organisateurs du Printemps libanais: les
opposants au 8 mars ont entrepris des démarches multiples et
pressantes pour contacter les médias et demander leur soutien:
Après le 8 mars 2005 et la manifestation du Hezbollah, les acteurs de
la société civile ont voulu utiliser tous les canaux pour la mobilisation.
Le climat était offensif durant cette période de participation très active
et de mobilisation extrême nous relate Jad Ghostine.5
Cette stratégie «push» ou d'impulsion, utilisée lors du Printemps
libanais et surtout durant la semaine qui a suivi le 8 mars et la
manifestation remerciant la Syrie, rappelle les stratégies menées par

détruits. Mme Abdallah n'a pu nous remettre que les fiches de base avec les noms,
prénoms et numéros de téléphone des jeunes participants avec qui elle a gardé
contact. A travers un fax retrouvé nous avons découvert qu'An-Nahar avait réservé
des chambres d'hôtels à certains intervenants venus d'Ukraine, de Serbie, et
d'Afrique du Nord. A travers les factures et le fax de l'hôtel, nous avons pu
connaître le lien fort qu'avait tissé le responsable du quotidien libanais An-Nahar et
les activistes pour la liberté et la démocratie en Europe de l'Est. Ces liens l'ont
encouragé à les inviter pour consolider la confiance des jeunes libanais dans le
mouvement qu'ils avaient mené depuis février mais qui, après l'apogée du 14 mars,
perdait son souille.
1 « Al Mujtamah el Madani» : un groupe démocratique et indépendant de femmes et
hommes de la société civile, des bénévoles et volontaires toutes confessions
confondues et non affiliés à un parti politique. Le groupe a été formé spontanément
après le 14 février 2005. http://www.05amam.org.
2 Le quotidien en langue arabe El Muslakbal qui appartient à la famille Hariri.
3 Le Saint-Georges est l'hôtel en face duquel l'attentat contre le convoi du Premier
ministre Hariri a eu lieu.
4
Entretien avec Madame Nora Joumblatt, op. cil.
5 Entretien avec Jad GHOSTINE, op. cil.
110
les responsables du marketing politique, comme lors de la préparation
des campagnes présidentielles en France.1

a-2) La presse audiovisuelle

La télévision et la radio sont les deux autres médias qui ont


couvert les événements du Printemps libanais: {(Lebanese television
channels, some of which are available on satellite, also intensively
covered this story, as did radio stations and print media that reached
regional and global audiences through the Internet. »2
La télévision locale avec ses diverses chaînes, que les principaux
actionnaires ont largement instrumentalisées selon leur propre
orientation politique, a très souvent utilisé une politique qui adoptait et
accompagnait le mouvement de contestation. D'ailleurs, certains
médias ne faisaient à longueur de journée que {(battre le rappel des
troupes », se transformant en l'espace d'un mois en un média de
propagande pure. Avec des {(clips »3 louant le président martyr, des
chansons patriotiques exclusivement créées pour l'occasion, où l'unité
est symbolisée par des musiciens, chanteurs et chorégraphes de tous
bords se mettant ensemble pour chanter le Liban. Joëlle Tourna
souligne qu'après l'enterrement le 16 février 2005, {(on est
insatiables, on regarde sans arrêt la Future TV, clips, morceaux de
discours, bouts d'interviews, chansons composées en son honneur,
rien ne semble excessif.» 4 Les médias, que ce soit les chaînes
télévisuelles locales (Future TV, LBCI, New TV) ou même les chaînes
de télévisions étrangères (CNN, BBC, Euro News, TV5...) qui ont
couvert les événements, n'ont-ils pas incité la société libanaise à se
mobiliser?5 En diffusant les images des protestations en Ukraine ou

1 « Les trois dernières semaines (...) vont témoigner d'un climat beaucoup plus
offensif avec affiches, tracts, journal de quatre pages largement illustrés» ESTIER
Claude, De Mitterrand à Jospin. 30 ans de campagnes présidentielles, éditions
Stock, Paris, janvier 1996, p. 293.
2 SEIB Philip, "Reconnecting the World: How New Media Technologies May Help
Change Middle East Politics ", in TBS journal, Transnational Broadcasting Studies,
published by the Adham Center for Electronic Journalism, the American University
in Cairo and the Middle East Centre, St. Antony's College, University of Oxford,
UK, p. 2, www.tbsjournal.com/seibPF.html.
3 Spots publicitaires.
4 Joëlle Tourna, op. cil., p. 77.
5 Elie Karamé souligne qu'il a « contacté le député Ahmad Fatfat pour lui demander
que la télévision du Futur contribue à la mobilisation» pour la manifestation du 28
III
en retransmettant sans arrêt l'image des visiteurs du « Darih »\ des
manifestations et des activités qui avaient lieu au centre ville, les
médias ne grossissaient-ils pas les événements, influençant ainsi le
public libanais? En montrant des images sur la taille des
manifestations et en faisant des reportages sur le dynamisme des
protestataires, une telle couverture médiatique a entraîné une
mobilisation de la population:
"Media tools have been put to use in political protests in Lebanon,
Egypt, and elsewhere. Transnational satellite television, for example,
can-to a certain extent-evade controls imposed on news coverage
within a country. The 2005 "Cedar Revolution" in Lebanon
demonstrated how this can work on two levels. Regional/international
coverage-such as is provided by Al Jazeera and Al Arabiya, among
others-could provide information to Lebanese audiences with less
concern about political repercussions that might deter some
indigenous media organizations. By showing the size and energy of
the protests, such coverage helped fuel the demonstrations and
2
encouraged broader pressure for Syrian withdrawal."
D'ailleurs, quelques médias audiovisuels, Future TV dans un premier
temps, et la LBC ensuite, se sont mis carrément au service du
mouvement de contestation. L'écran de plusieurs télévisions était
divisé en deux pour montrer au public tout ce qui se passait au Liban,
d'une part les condoléances de l'autre les manifestations ou les prières
3
au Darih. Des journalistes ont oublié leur fameuse objectivité et ont
appuyé, même conseillé, les jeunes militants du camp.4 Le combat des
jeunes s'est transformé en un combat personnel des journalistes.5 En

février. Il continue en racontant qu'ils ont lancé des appels à la mobilisation du lieu
du sit-in, appels qui ont été diffusés toute la soirée. » TOUMA Michel, « 27 février,
la nuit où tout a basculé... », in L'Orient le Jour, L 'esDoir en lettres de sanf!: le 14
février 2005-14 février 2006. la Révolution du Cèdre en marche, supplément de
L'Orient le Jour, paru le 13 février 2006, 128 p.
I Une chaîne satelIitaire financée par le Mouvement du Futur retransmettait sans
interruption 24 h/24 les visites qui avaient lieu au Darih.
2 SEIB Philip, "Reconnecting the World: How New Media Technologies May Help
Change Middle East Politics", op. cit., p. 1.
3
"Three days after his killing, there was a meeting. The television was on without
sound. The screen was split in two. Part was the condolences at Hariri's house. The
other part was people praying at the tomb." GLASS Charles, "An assassin 's land',
in London review of books, 4 august 2005, p.16.
4 ABOU JAOUDE Carmen, op. cit., p. 97.
5 « Notre combat était leur combat. Les journalistes libanais comme les étrangers
sympathisaient avec notre mouvement» affirme Khodr Ghodbane à L 'Orient-
112
ressort le constat que les « médias ont acquis une véritable capacité de
. 1
contre-pouvOIr. »
En outre, cette couverture médiatique a été recherchée par les
manifestants: Nora Joumblatr a bien souligné lors de notre entretien
que la première demande des personnes rassemblées spontanément à
la Place des Martyrs et qu'elle a rencontrées le 14 février au soir, était
son aide dans le contact des médias. Les jeunes essayaient d'apparaître
à la télévision le plus possible, dans des Talk-Shows, ou même dans
des émissions créées spécifiquement lors de cette période pour prendre
l'avis des jeunes sur leur pays, la classe politique, le
confessionnalisme politique (courts métrages diffusés par la LBCl où
des jeunes universitaires parlaient de leur vision du pays). Lors de nos
entretiens avec certains des jeunes qui ont participé au mouvement,
tous sans exception se rappellent avoir parlé à un reporter, donné leur
avis lors d'une émission, ou même avoir été les invités d'une émission
spéciale. Une deuxième observation peut être faite sur la
multiplication des reporters affectés à la Place des Martyrs. Et même
des émissions télévisées qui ont été filmées en direct. (El Horra3 avec
Ziad Njeim4, Marcel Ghanem5 sur la LBC, et Future TV avec des
transmissions directes et émissions, politiques, culturelles et sociales,
filmées de la Place des Martyrs).
La radio aussi a joué un rôle éminent. En voiture les gens ne perdaient
rien des événements. La diffusion en direct, avec des messages de
propagande et des slogans retentissants, ne s'arrêtait que très peu, pour
faire passer des publicités, qui elles aussi reprenaient le thème du
moment: les slogans de la Place des Martyrs. On a pu entendre
également des chansons patriotiques et des spots publicitaires axés sur
le Liban, créés spécialement pour la période.
Les chaînes télévisées internationales couvraient les événements de
manière massive ce qui a raffermi la volonté des manifestants et les a
poussés à garder un esprit de veille. D'ailleurs, Malek Chebel dans son

Express. Quant à Jad Ghostine, lors de notre entretien, il raconte comment les
responsables au Nahar mettaient toute leur motivation au service des jeunes.
I BRAUD Philippe, op. cil., p. 234.
2 Entretien avec Madame Nora Joumblatt, op. cil.
3 Chaîne de télévision satellitaire, diffusant en langue arabe des informations sur le
monde arabe.
4 Ziad NJEIM est un dentiste de formation, journaliste et ex-présentateur d'un talk
show politique célèbre au Liban (El shater yehki : Que le brave ose parler).
5 Marcel GHANEM est un journaliste et un célèbre présentateur d'un talk show
politique (Kalam El Nass : Ce que disent les gens) sur la chaîne de télévision LBCI.
113
analyse sur le rôle de la télévision, souligne l'importance du concours
médiatique dans la propagation des idées et slogans humanistes aux
Etats-Unis. Mais si l'on suit la même méthode et si on applique son
analyse au cas libanais, on peut se demander ce que serait devenu le
Printemps libanais, «sans le fantastique drainage des masses»
libanaises «par les chaînes privées et leurs relais dans le monde
entier. »1
D'ailleurs, dans son article dans le supplément du journal L'Orient le
Jour, Michel Tourna, souligne:« le fait que certains pôles de
l'opposition et les jeunes aient passé la nuit autour du camp de la
liberté et que le sit-in ait été retransmis en direct à la télévision a
provoqué un effet boule de neige qui a été crescendo au niveau de la
mobilisation populaire. »2
Ainsi, la force du médium qui propage des messages «qui se
transforment en thèmes vedettes »3 est une des caractéristiques que
nous ne pouvons qu'évoquer en étudiant le Printemps libanais. Le
medium transportant «l'idéologie et sa langue de bois (...) en
colmatant les trous de la représentation à coups d'incantations,
d'images partagées et de rythmes. »4 Les chaînes télévisées nationales
et internationales transmettant les mêmes images ont renforcé chez les
Libanais et le grand public le mythe d'une révolution en marche.
Selon Bougnoux, c'est l'effet de « l'extase technologique », où « le
réel se montre, mais lissé sous des images qui entretiennent la clôture
narcissique, et alimentent un rêve gardien de l'homéostase sociale. »5

I
MALEK Chebel, La formation de l'identité volitiaue, Petite Bibliothèque Payot,
1998, p. 132. L'auteur parlait du slogan humaniste des « Droits de l'Homme» de
l'ex-président des Etats-Unis, qui a été diffusé partout par les chaînes privées et
leurs relais.
2 TOUMA Michel, op. cit., p. 35.
3
MALEK Chebel, op. cil., p. 132.
4
BOUGNOUX Daniel, La communication var la bande. introduction aux sciences
de l'information et de la communication. éditions La découverte, p. 252.
5 Idem.
114
A-b) INTERNET: BLOG1 et SM~

Au Liban, pays où l'ostentatoire et la culture du Kitsch3


paraissent monnaie courante, même pour les moyens de
communication, les Libanais ne se sont pas contentés des médias
existants, mais ont utilisé à profit les progrès techniques, pour
transmettre leurs opinions et démontrer leur créativité. Ainsi, ils ont su
mettre à leur service, les « nouveaux médias » comme l'Internet, les
SMS et les Blogs pour diffuser leurs opinions:
"In Lebanon, text messages (and e-mails) were used to mobilize anti-
Syrian demonstrators in March 2005.,,4 Le nombre d'internautes au
Liban s'élève de plus en plus, et le nombre des Blogs répertoriés5
concernant le 14 mars atteste de leur importance durant cette période,
comme lieux d'expression libre. Pour certains, les informations qui
figurent dans ces médias ne sont pas fiables. Pour d'autres, utiliser une
telle source pour une recherche scientifique la rend plus vulnérable
aux critiques des sociologues qui préfèrent et de loin les sources
« classiques.» Pour nous, examiner l'apport de ce moyen est une
nécessité; sans lui, le portrait dressé du Printemps 2005 serait
incomplet. Nous aborderons donc ce média en nous demandant si
l'utilisation de ce nouveau médium permet un changement dans la
perception de l'Etat de droit et surtout de la démocratie participative.
La réponse à cette question est plutôt mitigée: s'exprimer en utilisant

1
BLOG définition: A la base, un blog est un journal personnel ou un carnet de
voyage disponible sur le web. Sa mise à jour (blogging), normalement quotidienne,
est effectuée par un utilisateur (blogger) n'ayant pas forcément un profil technique.
Des logiciels (Blogger, Movabletype, Vblog...), accessibles via le web, permettent de
créer et de maintenir facilement le blog. Sites personnels à l'origine, les blogs sont
de plus en plus nombreux (plusieurs millions) et sophistiqués, ils peuvent contenir
des fichiers audio ou vidéo. On trouve de la même manière des photos blogs, des
news blogs.. .Copyright cg Inventerm, 2005.
2 SMS définition: Messages courts ou SMS (Short Message Service) :
Service de messages courts que peut offrir un système de communication sans fil
(transmis via les canaux de signalisation du réseau mobile GSM), permettant aux
usagers d'envoyer ou de recevoir des messages alphanumériques courts (autour de
160 caractères), qui s'affichent à l'écran de leur terminal mobile. Copyright cg
Inventerm,2005.
3 KASSIR Samir, Histoire de Bevrouth, Editions Fayard, 2003, p. 21.
4 SElB Philip, op. cil., p. 6.
5 Référence à la fin de l'ouvrage: les sites et blogs, concernant le 14 mars,
répertoriés pour la présente étude.
115
Internet, ou l'envoi de milliers de SMS, en moins d'une journée,
permet de montrer que la mobilisation existe, mais jusqu'à quel point
cette mobilisation peut se traduire en action effective, ou participer à
l'éveil d'une conscience nationale? Trouver une réponse à cette
question est plus difficile. Lors d'une conversation informelle avec
Christophe Varin 1, celui-ci a bien souligné le fait que les Blogs sont à
son avis, non pas un « mass média » au sens classique du terme mais
surtout un média « périphérique» qui sert paradoxalement à conserver
le système. Il est utilisé comme « défouloir. » Les bloggeurs préférent
s'exprimer sur un blog plutôt qu'avoir une action active qui puisse être
un «input» pouvant remettre la politique du gouvernement sur ses
rails? A la différence de Joël de Rosnay 3 qui, dans son livre écrit en
collaboration avec Carlo Revelli, énonce une théorie qui place le web
dans une dynamique plus active du changement politique4:
« S'organisant en une seule entité, le Web peut faire émerger une
intelligence et même une véritable conscience collectives. Il met ainsi
en question les relations de pouvoir verticales qui régissent
aujourd'hui les sphères de l'économique et du politique. (00')il devient
en fait un outil puissant entre les mains des citoyens pour faire naître
une économie et une démocratie nouvelles. » Pour De Rosnay, « une
nouvelle démocratie est en train de naître, inventée grâce aux
nouvelles technologies ou médias de masse (Internet, blogs, SMS,

I Christophe VARIN est le directeur du CEMAM (centre d'études sur le monde


arabe moderne) depuis septembre 2005, et coresponsable du programme SIPO
(société de l'information au Proche Orient). Il axe ses recherches sur l'Internet et les
gouvernements dans le monde arabe.
2 MAAREK souligne aussi ce danger « encore plus insidieux pour le fonctionnement
normal de la sphère politique: il (le marketing direct fait par Internet) laisse une très
grande latitude d'action aux commanditaires de ce procédé, c'est-à-dire aux
organismes centraux des partis ou des groupements politiques. Le pouvoir
d'influence des individus isolés répondant à ce type de sollicitations est en effet bien
plus faible que s'ils avaient rejoint les structures militantes traditionnelles, dont le
mode de fonctionnement habituel relativement démocratique leur accorde plus de
prise. (...) Ayant moins l'impression d'exercer une influence personnelle sur la
structure qui le contacte par ce biais, le destinataire se lasse plus vite (...) A
l'inverse, la tentation d'utiliser Internet pour s'abstraire des partis politiques
« traditionnels» et de leurs contraintes est grande. » Communication et marketinfJ de
{'homme oolitique, Editions Litec, Paris, 2001, p. 254.
3 De ROSNA y Joël, La révolte du oronétariat : Des mass média aux médias des
masses, Editions Fayard, 2006.
4 CLOUTIER Jean-Pierre, De Rosnay et Ie pronétariat, in
http://www.pronetariat.com/2006/01/de_rosnay_eUe.html.
116
chats...) par les citoyens du monde. »1 En effet, lors du Printemps
2005, et surtout quelques jours après le 8 mars 2005, on ne peut que
relever la multiplication du courrier électronique envoyé, des blogs
créés, et l'envoi de SMS (pour inviter à manifester lors du 14 mars
2005, ou pour parodier la manifestation du 8 mars, ou le discours de
Bachar el Assad.. .). Or, c'est avec l'idée de conservation du système
et du changement du centre en périphérie de Christophe Varin, que se
recoupe l'acception de Patrick Champagne dans son Ouvrage Faire
l'opinion. Le nouveau ieu politique? Dominique Colas3 explique que
Champagne a conclu un chapitre consacré à l'analyse de deux
manifestations à Paris, par des remarques générales à partir de l'écart
de ces manifestations sans violence et largement commandées par la
recherche et l'obtention d'un accès aux médias en affirmant qu' «on
est loin des jacqueries qui plaçaient directement face à face les classes
les plus dominées et le pouvoir politique en place. » Les techniques
modernes auraient selon Champagne modifié la définition de l'action
politique efficace, en multipliant les agents interposés entre les
groupes sociaux; ces techniques absorbent «un peu d'énergie
sociale» qui sans elles, se trouverait dispersée, diluée. Lors du
Printemps libanais, le risque était que l'action par SMS, Blog, ou autre
nouveau médium soit créatrice d'une communication qui diminue
l'action politique effective, et l'action de pression sur le centre. S'il est
vrai que le haut degré de couverture médiatique a permis aux citoyens
de s'exprimer en public, cela n'a-t-il pas eu comme effet pervers de
diminuer la force de l'action politique de pression des citoyens?

1 http://www.pronetariat.com/.
2 «On considère généralement que les moyens modernes de communication (la
télévision, notamment), qui informent de mieux en mieux les « citoyens », ainsi que
les technologies importées des sciences sociales (comme les enquêtes d'opinion), qui
permettent de mieux connaître la « volonté populaire », constituent autant de progrès
pour la démocratie. L'analyse sociologique de la pratique des sondages d'opinion,
des débats politiques à la télévision et des manifestations de rue montre qu'en fait,
s'il y a progrès, c'est surtout dans la sophistication croissante des «technologies
sociales» visant à faire croire que l'on donne la parole au peuple. Paradoxalement,
en effet, le champ politique tend à se refermer sur lui-même.» CHAMPAGNE
Patrick, Faire l'opinion. Le nouveau ieu politique, Les éditions de Minuit, collection
Le sens commun, octobre, 1990, 320 p.
3 COLAS Dominique, Sociolof!ie politique, Quadrige/P.U.F., 1994, pp. 200-201.
117
Une communication horizontale rapide a été menée en un temps
record), invitant les Libanais à se solidariser lors des manifestations.
Or, ceux qui utilisent cet outil, sont pour de Rosnay des « citoyens du
monde », mais au Liban où certaines couches socioculturelles n'ont
pas accès au réseau, et surtout ne sont pas équipées, pour quelque
raison que ce soit, ce médium ne peut pas être le médium de base. Au-
delà de cette limite matérielle se pose la question de l'impact politique
de ce médium: « Internet exige une démarche volontaire », ce que les
anglo-saxons appellent «une technologie pull », par rapport à la
« technologie push» 2 qui parvient au destinataire sans qu'il ait besoin
de faire des efforts. « L'usager est un lecteur, pas un observateur, car
le Web n'est pas, contrairement à la télévision un média passif. La
navigation et la lecture sont des attitudes actives, qui demandent un
effort de concentration et une certaine maîtrise de la logique des
interfaces. » 3
Les Libanais ont créé des pages, ont envoyé massivement des
emails, et surtout des «forwards »4 avec des images des
manifestations du lundi ou même des images du Darih. Or ceux qui
envoient de tels emails sont plutôt des jeunes qui réagissent et
décrivent une action, plutôt qu'ils n'essaient de former consciemment
une culture de participation active.
Mais dans cet ouvrage, nous nous intéressons non seulement à
l'existence de ces blogs en tant que moyen stratégique utilisé par un
acteur du Printemps libanais, mais aussi à leur contenu, et surtout, fait
très important à relever, à leur déclin et leur oubli après les moments
de mobilisation intense.
Pour prendre en exemple un blog, celui de «Baron et Baron »5, blog
crée à la suite de la mort de Hariri le 14 février, on constate que les
premières semaines sont décrites avec minutie, jour par jour, alors que

I « L'universalité du langage numérique et la pure logique de la mise en réseau du


système de communication ont ainsi créé les conditions technologiques d'une
communication horizontale globale» : M. Castells, L'ère de l'information, tome 1,
La société en réseau, Fayard, 1998, in DEBBASCH Charles et PONTIER Jean-
Marie, Introduction à la IJolitique, Dalloz, Sèmeédition, Paris, octobre 2000, p. 240.
2 MAAREK Philippe J., op. cit., pp. 242-243.
3 BAZAN Stephan, « Ecrire pour le Web », in Travaux et jours, USJ, Printemps
2004, No. 73, p. 206.
4
Définition du Forward: Anglicisme, de l'anglais: faire suivre, notamment des
messages électroniques, c'est-à-dire reprendre un message reçu pour l'envoyer à
d'autres destinataires. Copyright @ Inventerm, 200S.
5
http://www.baronbaron.com/liban/beyrouth-place-Iiberte.html.
118
après le 14 mars, les détails sont moins nombreux, et les mises à jour
de plus en plus rares. La plupart des autres blogs sont dans une
situation semblable: nous pouvons prendre l'exemple du web site
« pulse of freedom 05 »1, qui n'a plus été remis à jour depuis le 14
mars à l'exception des élections législatives. Les jeunes s'amusaient à
se répondre et à polémiquer de façon hargneuse contre tel ou tel
candidat. Ainsi, on constate que ce médium accompagne l'événement,
il ne le précède pas et ne résiste pas à la démotivation qui suit toute
période de liesse. Ainsi, si les blogs peuvent faire exister l'inspiration
qui précède ou accompagne la prise de position, l'action en elle-même
ne peut passer par ce moyen. Un seul média permet plusieurs types de
communication, mais cette richesse est encore loin d'être exploitée
dans le fond. Le blog peut décrire2 une réalité, il peut critiquer3 et
devenir un espace où s'exprime un malaise ou les protestations des
citoyens, mais le blog ne peut pas devenir une action en lui-même:
"Blogs amplify voices that may have previously gone unheard. As
such they foster a degree of democratic parity at least in terms of
expanding audience access for those who feel they have something
worthwhile to say.,,4
Le blog ne devient une action que pour ceux qui veulent s'exprimer et
qui veulent faire changer les choses. Il faut pour cela traduire
l'inspiration en action matérielle et physique qui puisse infléchir le
système. Traduire le contenu du blog en un Input qui puisse entrer
dans la Boîte noire (le système) et en ressortir, le blog se transformant
en un espace où le Feedback s'exprime.
Au Printemps 2005, les Blogs sont devenus un espace où les Libanais
de tout âge et surtout des jeunes universitaires pouvaient partager leurs
photos, s'exprimer et décrire les événements qui se déroulaient au
centre ville:
"In 2005, bloggers in Lebanon and elsewhere spurred debate about
the perpetrators and aftershocks of the assassination of Rafiq Hariri-
a debate that could be joined by anyone with Internet access,

I
http://www.pulseoffreedom05.org/.
2 En atteste le Blog d'un étudiant français de passage à Beyrouth: François
Parchemin décrit avec minutie la réalité libanaise et les manifestations auxquelles il
participe. http://parch.skyblog.com/5.html.
3
Le Blog de la personne qui use du pseudonyme BaronBaron critique et ne ménage
pas de ses commentaires acerbes la réalité libanaise, et surtout les événements qui
ont lieu. http://www.baronbaron.com/liban/beyrouth-place-liberte.html.
4 SEIB Philip, op. cil., p. 5.
119
regardless of some governments' desire to stifle these discussions.,,1
Les commentaires s'élèvent à plus de 38 par blog, ce qui montre que
les gens cherchaient un espace où discuter. Mais cet outil exploité au
2
maximum dans sa forme ne l'a pas été quant au fond.
De toute façon, et toujours s'inspirant des remarques de Christophe
Varin, on peut souligner que généralement les bloggeurs sont des
jeunes de 15 à 22 ans, alors que la population qui peut activement
changer et transformer une demande ambiguë, en une demande en
termes politiques, est la tranche d'âge des jeunes de 25 à 35 ans.
Tranche d'âge qui peut utiliser d'autres médiums pour faire passer ses
revendications.
Il faut noter que, malgré ces points qui contestent l'importance des
blogs en tant que média à effet direct, nous ne pouvons que souligner
la multiplication de ce moyen comme outil servant à exprimer les
revendications et un certain malaise populaire.
La recherche qui approfondit le rôle des blogs en tant que média
périphérique et surtout leur impact sur la politique d'un Etat est encore
à un stade conceptuel. Dans cette recherche, nous ne pouvons que
constater l'importance de l'apport de telles sources sur la
problématique de la citoyenneté active qui utilise de nouveaux moyens
pour s'exprimer. S'ajoutant à l'influence des moyens de
communications dits classiques, l'Internet a, durant le Printemps
2005, contribué à faire exprimer une grande partie de la population et
surtout à alimenter la propagande d'informations de dernières
minutes:
"Supplementing television's influence, the Internet increasingly
contributed to the new sense of intellectual community: From
Lebanon, "blogging beirut" provided real-time Web video of the
"Cedar Revolution" demonstrations against Syria's presence in the
country. This demonstrated how the speed and pervasiveness of the
Internet make it a valuable mobilization tool,' along with cell phones
it can keep reople abreast of what is happening and bring them into
the streets."

I/dem.
2 D'ailleurs, Philippe MAAREK dans sa section concernant« l'emploi de nouveaux
médias » par le marketing politique », pp. 238-256, arrive à la même conclusion, ce
média est une « richesse qui est encore loin d'avoir été totalement exploitée par la
communication politique », p. 241.
3 SEIB Philip, op.cil., p. 8.
120
L'utilisation par les Libanais des divers et multiples canaux
médiatiques pour transmettre leur opinion aux autres souligne pour
certains sceptiques leur volonté de faire du « show off» ; mais si on
creuse plus profondément, on constate que les Libanais ont voulu
profiter de « la participation des moyens d'information» nationaux et
internationaux qui les ont encouragés et qui leur ont permis d'affirmer
et de montrer activement leur volonté de changer le cours des choses.
L'événement intéressait les médias, par conséquent les «liens
privilégiés» I que les acteurs ont entretenus avec eux, ont permis de
garder cet esprit de veille. Nous allons donc essayer de démontrer que
les médias, vecteurs de la socialisation, sont un des acteurs du
Printemps libanais, et constituent la base de tout le mouvement de
l'Intifada 2005.

1
LEMOINE Maurice, Dans les laboratoires du mensonf!e au Venezuela, Le Monde
diplomatique, août 2002, pp. 16-17.
121
B- La communication: simple participant ou acteur
principal?
Le rôle des médias dans le succès du Printemps 05

Les moyens classiques de propagande ont été utilisés lors du


Printemps libanais pour mobiliser les acteurs, mais surtout pour
impliquer certaines branches de la société dans la prise de position
active. Avec l'essor des modes de communication audiovisuels,
l'Intifada 05 a bénéficié d'une visibilité accrue. Cette visibilité a
dépassé largement le contexte local, pour atteindre une étendue
internationale. Après avoir vu que les acteurs ont utilisé la
communication dans tous ses canaux pour faire passer leur message.
Dans le détail, nous avons décrit comment chaque moyen a été utilisé
par une tranche de la société civile, et essayé d'analyser le rôle actif de
chaque medium. Il serait donc intéressant de voir comment les médias,
« qui ont une histoire riche en actions d'accompagnement des
initiatives de la société civile»] peuvent créer, par un effet de
mimétisme l'événement lui-même. En d'autres termes, élucider quel a
été le concours de la presse, de la télévision et de la radio dans la
création et la construction de l'Intifada, est la matrice de cette sous-
partie.

B-a) L'UNIFORMITE DE L'INFORMATION AU SERVICE


DE L'INTIFADA
a-I) L'« agenda setting» et l'effet d'encerclement

D'une part, nous ne pouvons que nous rapporter au rôle qu'a


joué l'information, dans la préparation de l'Intifada 05: avec la
multiplication des bulletins d'information, les diffusions en direct des
événements qui avaient lieu, la société libanaise ne pouvait que se
rallier à la culture de « fronde» véhiculée par tous les médias.
D'ailleurs, Ellul dans son ouvrage Propagandes, montre bien que
l'état de surabondance informationnelle, « loin de prémunir contre la

I
CONFLUENCES Méditerranée, Liban. Etat et société: la reconstruction difficile,
No. 47, Automne 2003, L'Harmattan, p. 76.
propagande, lui prépare le terrain.» 1 Un effet pervers aurait pu
apparaître: les gens se bloquant au message médiatique émis par les
nombreux Flash (bulletins d'informations en direct). Mais avec la
stratégie suivie d'émettre la même information par des mediums
différents, la propagande ne pouvait que gagner du terrain. On ne peut
que souligner que cette stratégie n'a pas été voulue et pensée en
premier temps, elle est le résultat d'une action spontanée qui a
concordé dans le temps. Dans un second temps, après le 8 mars, et
l'ancrage de l'idée de soulèvement populaire dans les esprits, la
stratégie de propagande bien planifiée s'est développée.
D'autre part, la propagande et l'effet d'encerclement qui
transparaissaient à travers la stratégie médiatique suivie peuvent être
expliqués par la convergence du discours et des images transmises par
les divers et multiples médias libanais. Les artisans du Printemps
libanais ont suivi la stratégie de suggestion collective qui permet
d'arriver à une fusion collective avec une opinion commune:
« imposées à titre de vérités absolues, réitérées par une suggestion
continue, les croyances deviennent imperméables au raisonnement, au
doute, à l'évidence des faits contraires. »2
Maarek, en analysant l'effet d'agenda, explique que « le téléspectateur
qui se livre au «zapping» se retrouvera face aux mêmes images et à
des commentaires similaires, et ne pourra donc pas y échapper. »3
« Au même moment, les mêmes représentations, les mêmes modes de
penser ou d'agir nourrissent la totalité des grands médias. »4 Certains
théoriciens relèvent la lenteur des effets des messages transmis par les
médias audiovisuels, en parlant de « l'effet agenda» des médias de
masses.5 Or « la redondance empiriquement effectuée par la reprise
consécutive des mêmes communications par les différents médias »6,
ne peut qu'encourager la société à penser d'une certaine manière.
Nous savons que «le concept de «socialisation» engloberait (...)
toutes les influences émanant du socius et qui, d'une manière ou d'une

1
BALLE Francis, Les médias el la sociélé, Montchrestien, collection Domat
rolitique, l1ème édition, 2003, p. 771.
MOSCOVICI Serge, op. cil., p. 161.
3
MAAREK Philippe J., op. cil., p. ]76.
4 BALLE Francis, op. cil., p. 768.
5 Mc COMBS et D. E. SHAW cités par MAAREK Philippe J., op.cil., p. 176.
6
MAAREK Philippe J., op. cil., p. ] 75.
124
autre, visent à imprimer une tendance, un schéma, un moule. »1 Le
vecteur de socialisation change et influe grandement sur la société ou
même sur l'individu. Ainsi, nos remarques sur l'influence d'un des
vecteurs de socialisation « les médias », sur la société libanaise,
apparaissent justifiées. Par « l'effet grossissant des médias »2, et la
notion de culture de masse « patriotique» et libaniste véhiculée lors
du Printemps 2005, avec « l'uniformité ou une certaine cohérence des
thèmes diffusés» sur toutes les antennes, la sollicitation de la société
civile par les médias ne peut qu'engendrer une mobilisation qui
réponde au moule, concernant « les représentations collectives, les
types de comportements et les mythes »3, fabriqués par les médias.

a-2) Interdépendance et implication personnelle des émetteurs des


messages

Si on a constaté que les médias influencent la société par leur


effet grossissant et avec le jeu de l' « agenda setting », il faut dans le
même ordre d'idées évoquer l'influence entre les médias eux-mêmes.
C'est ce qui peut expliquer que le Liban ait fait la Une, des médias
internationaux, durant plusieurs mois: Ce qu'Elihu Katz nomme le
« flux à deux temps »4 : les leaders d'opinion (ceux qui permettent à
l'information de véhiculer rapidement) sont les plus exposés à subir
l'emprise des messages des autres leaders Gournalistes, hommes
politiques.. .). Les médias eux-mêmes, presse écrite et audiovisuelle,
constituent une sorte de système interactif où les journalistes
politiques spécialisés, responsables de rubriques ou d'émissions
politiques se lisent et s'écoutent, s'influençant mutuellement et,
surtout, se montrant interdépendants les uns des autres dans leurs
présentations et commentaires. »
En d'autres termes, c'est la même information que tout le monde veut
analyser, comme lors du Printemps libanais où même les responsables
des émissions télévisées pour enfants ont parlé des manifestations de
rue et de l'importance de la mobilisation et de la participation dans un

1
MALEK Chebel, La formation de l'identité politique, Petite Bibliothèque Payot,
1998, p. 132.
2 BALLE Francis, op.cit., p. 780.
3 Ibid., p. 768.
4 Two step flow of communication, en collaboration avec Paul Lazarsfeld, Personal
Influence, Glencoe, Free Press, 1955, cité par BRAUD, Sociologie volitiaue, p. 286.
125
état démocratique. Le Printemps libanais était le « piment» ajouté à
toutes sortes d'émission, tout public confondu.
Pour les médias, comme la communauté politique internationale était
intéressée par le cas libanais, comme les manifestations et
mobilisations étaient un sujet à «la mode» après les événements
d'Ukraine, et comme la société internationale et les manifestations
libanaises étaient un sujet qu'on pouvait couvrir facilement, mettre sur
leur agenda la question libanaise était un créneau qui leur est
profitable. De même ce créneau pouvait détourner l'attention du
public des pays voisins où les journalistes vivaient en insécurité
(exemple: en Irak où des explosions, des enlèvements et d'autres
événements rendaient le travail des journalistes plus difficile). De plus
cela leur permettait de trouver une autre bête noire, la Syrie, un pôle
sur lequel on pouvait fixer tous les maux que désignent des nouveaux
défenseurs de la société internationale.
Ces guides d'opinions qui diffusaient les mêmes messages donnaient
plus d'ampleur au code culturel à suivre. Dans le cas libanais: la
mobilisation civile.
On constate que non seulement «la société libanaise» a été la
principale cible des médias, mais aussi les autres relais d'opinions, et
surtout les autres médias. Jean Baudrillard1 parle du jeu de la
communication, qui crée une interaction entre le médium, le message
et le public: « les agents sociaux». Dans le cas libanais l'idée de
Baudrillard se trouve vérifiée: le jeu de la communication, «le
simulacre généralisé »2 a été opérationnel: tous les agents sociaux se
sont pris au jeu du Printemps libanais. Le J4 mars, la Révolution du
Cèdre, et le Printemps libanais « ont fait croire» à quelque chose de
nouveau. Ils ont créé leur propre dynamique, à partir de la fonction
phatique de la communication. Par conséquence ont été influencés les
autres agents sociaux (de média à média), mais aussi le public (de
médias à la société libanaise/ de médias à la société internationale et
de médias aux autres relais d'opinions et agents sociaux).

1 Jean BAVDRILLARD, né en 1929, est un sociologue et un philosophe français qui


a consacré son œuvre à la compréhension de la société contemporaine.
(Postmoderne). Il est professeur de philosophie de la culture critique des médias en
Suisse.
2 BAUDRILLARD Jean, L'ère de la facticité, in L. SFEZ, G. COUTLEE,
Technolof!ies et svmboliclUes de la communication, Grenoble, PUG, 1990, p. 39, cité
par BRAVD, Sociolof!ie politiaue, p. 288.
126
B-b) MONOPOLISATION DE LA COMMUNICATION ET
JEU DE L'AFFECTIF
b-l) Le message médiatique entre monopolisation et manipulation
Les acteurs du « 14 mars» ont su que, pour mobiliser la rue et
avoir un réel soutien de la population, ils devaient leur transmettre leur
message par tous les canaux. Ils ont surtout tablé sur l'utilisation de
l'audiovisuel qui permet de mieux manipuler les esprits. Par la
compilation de l'image, du son et du message, l'effet de l'audiovisuel
est fort. Future TV, comme nous l'avons vu, a mis en branle toute son
équipe pour créer des émissions et des spots qui permettaient de
repasser le même message à longueur de journée. Le but étant de
garder une emprise sur les esprits pour que leur message devienne le
leitmotiv des consciences libanaises. Or, l'influence de la télévision
sur le subconscient des personnes ne fait plus l'objet de controverses.!
Les organisateurs du Printemps libanais ont compris l'importance de
la communication, mais il ne suffit pas « de manipuler les images et
les messages, de séduire les médias pour obtenir l'adhésion des gens.
S'il est vrai que la communication politique peut donner de l'ampleur
à la parole publique, il faut encore que celle-ci fasse sens, qu'elle
puisse être intégrée par une multitude d'où une interférence complexe
dont dépend le devenir de l'unité politique. »2
Il fallait montrer aux Libanais que tout le monde pensait comme eux,
qu'ils n'étaient pas seuls dans leur combat et que chaque participant
devait, par le biais de la communication, se sentir soutenu et
encouragé par l'action des autres. Tarde, dans son œuvre L'opinion et
la Foule, souligne que la couverture médiatique d'un fait, donne
l'impression aux acteurs que tous les autres acteurs partagent les
mêmes convictions. « La conscience possédée par chacun d'eux que
cette idée ou cette volonté est partagée au même moment par un grand
nombre d'autres hommes. Il suffit qu'il sache cela, même sans voir ces
hommes, pour qu'il soit influencé. »3
Les effets de la communication en politique ne sont plus à justifier.
Moscovici en concluant son chapitre sur l'opinion, le public et la
foule, le dit clairement: « dans une société, les moyens de

1 « La télévision est pour ainsi dire, devenue notre subconscient collectifle plus
déterminant.» MALEK Chebel, op.cil., p. 132.
2 BEAUCHARD Jacques, op. cil., p. 61.
3
TARDE Gabriel, op. cil., p. 32.
127
communication sont l'élément déterminant. » Il arrive à montrer qu'ils
« façonnent autant la psychologie que la politique d'une époque. »1
L'importance de la suggestion collective dans la création d'un
mouvement de foule est d'ailleurs étudiée par Moscovici qui pense
que « l'évolution des moyens de communication détermine celle des
groupes et leur méthode de suggestion collective. »2
Au Liban, le problème fondamental des médias est leur financement
par des hommes politiques. Ainsi, lors du Printemps libanais, ces
médias se sont transformés en arme de manipulation et de suggestion,
tout comme les médias de propagande qui ont participé au coup d'Etat
au Venezuela, en 2002.3 Le fait est que les principales chaînes
télévisées libanaises, (Future TV, LBC, New TV), avec l'aide d'au
moins trois grands journaux (An-Nahar, L'Orient Le Jour, Mustaqbal)
ont soutenu les agissements de l'opposition, et que tous les moyens
(enquêtes, interviews, comptes rendus, commentaires...) sont allés
dans le même sens afin d'atteindre un seul et même objectif:
délégitimer le pouvoir en place, et augmenter la mobilisation
populaire. Tous les moyens ont été utilisés pour discréditer le
gouvernement en place (celui d'Omar Karamé), même les fausses
rumeurs véhiculées par un député libanais (Nayla Mouawad a lancé la
rumeur d'une démission des ministres du gouvernement), ou le
nombre élevé de conférences de presse diffusées en direct.

1
MOSCOVICI Serge, op. cil., p. 274.
2 Idem., p. 246.
3 LEMOINE Maurice, op. cil., pp. 16 -17.
128
b-2) Le jeu émotif pour la fixation d'une idée

La communication impose ses propres règles aux agents. En


effet s'ils utilisent les «médias froids» ou les «médias chauds »1,
l'influence du message change de degré. Pour Moscovici, si «la
communication est le processus social par excellence », un
changement de sa forme ou de ses moyens modifiera aussitôt la nature
des groupes et l'exercice du pouvoir. Selon lui, « on aurait tort de la
considérer comme un simple instrument entre les mains d'hommes qui
s'élancent à la conquête des foules. En vérité, elle leur impose ses
règles qu'ils sont bien obligés de respecter. »2 D'ailleurs, le jeu de la
télévision ou de la presse en est un exemple typique. La
communication télévisuelle, après le 14 février, était «moins
intellectuelle, et surtout sensorielle »3 basée sur l'émotion suscitée par
les émissions en direct, et l'image transmise en soi. L'actualité
télévisée et les flashs diffusés chaque heure ne pouvaient que
renforcer l'émotion par leur intensité temporelle d'une part, leur
image d'autre part, et enfin leur message. Ils contribuaient à fixer
lentement mais sûrement l'idée que la mobilisation et la participation
active pouvaient mener à un changement radical au Liban.
« L'affirmation et la répétition ont pour résultante la suggestion
collective. Elles se combinent en un courant de croyances qui se
propage à la vitesse d'une épidémie. »4

« Ces médias tirent leur puissance et leur capacité d'influence


moins de ce que dit le locuteur que de cette sorte d'hypnose qui
accompagne la séduction exercée par le son et, surtout, par l'image. »
La télévision impose en quelque sorte un subjectivisme, qui lors de la
période février-mars 2005, a été utilisé par les agents pour mieux
marquer les esprits. Comment la télévision peut influencer les
opinions? Beauchard y répond en décrivant la façon dont la rumeur

1 L'utilisation des « médias chauds» réunit les individus dans un « village global»
comme la nomme J. Beauchard, ou « village planétaire» selon l'appellation de Mac
Luhan.
2 MOSCOVICI Serge, op. cit., p. 246.
3 MAC LUHAN Marshall, Pour comorendre les médias : les vrolon'i!ements
technologiques de l'homme. éditions Seuil, 1968, cité par BRAUD, Sociolo'i!ie
volitiaue, p. 287.
4 MOSCOVICI Serge, op. cit., p. 200.
129
ou une idée est prise en charge par le message médiatique: « Elle met
en scène, donne à voir, révèle et cherche à séduire un grand nombre
d'individus plus ou moins isolés et distraits, à distance, qui se laissent
saisir par l'événement et l'émotion du message médiatique. Une
affectivité d'origine événementielle se constitue. Les faits et les
sentiments se mélangent, l'un portant l'autre, ce qui accroche et
provoque tantôt l'adhésion, tantôt le rejet et finalement un parti pris
sensible. »1
Mac Luhan souligne aussi cette idée. Pour lui, «la capacité
d'influence des médias se situe moins au niveau de l'information
ponctuelle qu'ils apportent qu'à celui des mythologies, symboles et
modèles d'achèvement qu'ils mettent perpétuellement en scène.»
Durant la période février-mars 2005, ce sont «les images et les
émotions qui commandaient» le lien social, l'intégration et la
mobilisation se faisaient d'autant plus facilement que, l'actualité se
nourrissait de sentiments. «Tout était personnel, vécu proche,
immédiat. »2 Ce sont les stratégies de la propagande et de la
suggestion collective que détaille Moscovici et qui se sont très bien
vues appliquées lors du Printemps libanais: « elles (Les stratégies de
la propagande) sont destinées à convertir les individus en une foule et
à les entraîner vers une action précise. »3

Enfin, pour conclure ce chapitre, nous pouvons constater que


la couverture médiatique intensive du Printemps 2005 a certainement
contribué à son succès.
« Les organisateurs de l'Intifada ont su très tôt, l'importance de cet
instrument et son impact sur les opinions et les gouvernements du
monde. Dans toutes les actions qu'ils ont entreprises, les médias
étaient toujours pris en considération. »4 Être à l'antenne des chaînes
internationales et sur la Une durant plusieurs semaines consécutives
peut être un des accomplissements réussis de la société libanaise. Mais
est-ce que les médias ont réussi à travers le message convergent d'une
image commune à entraîner les Libanais à former cette image unie
dans la réalité? Lors du Printemps 2005, ils ont pu donner le change
en montrant sur les écrans une image commune de Libanais

I
BEAUCHARD Jacques, op. cil., p. 62.
2 CA YROL Roland, Médias et Démocratie. La dérive, Paris, Presses de la Fondation
Nationale des sciences politiques, 1997, cité par BEAUCHARD, op. cil., p. 69.
3 MOSCOVICI Serge, op. cil., pp. 187 à 206.
4
ABOU JAOUDE Carmen, op. cil., p. 97.
130
brandissant le même drapeau: la communauté nationale libanaise en
pleine cohésion. Mais après le Printemps libanais, ce drapeau a laissé
place à d'autres revendications qui sont moins nationales que
particulières et réfractaires. C'est surtout cette culture politique de la
participation et de l'activisme qui peut être l'apanage du rôle des
médias lors de ce printemps de Beyrouth. Les reportages ont montré
des enfants, des adolescents, des hommes et des femmes mûrs, et des
personnes âgées se mobilisant lors des manifestations, avec des gros
plans sur leur participation active. Aussi des reportages ont mis
l'accent sur l'unité nationale et ont poussé à la mobilisation et
encouragé la participation active de tous les citoyens. (Des gros plans
sur les pancartes avec la croix et le croissant, ou une personne qui lit la
Fatiha et une personne faisant le signe de la croix au mausolée, Darih,
de Hariri). En donnant la parole aux jeunes, en les invitant à des
émissions et en diffusant en direct, sans arrêt, tous les appels à la
mobilisation qui étaient lancés par des leaders d'opinion de la place
des sit-in, les médias nationaux et internationaux ont encouragé les
Libanais à faire de ce printemps une réussite.

131
CONCLUSION

Le 14 février 2005, l'assassinat de Rafic Hariri plonge le pays


dans une nouvelle dynamique de politisation extrême avec un
mouvement de contestation inédit. A la Place des Martyrs, une
dimension sociologique est à souligner, une évolution importante se
ressent dans la façon dont les Libanais pensent la politique. Après des
années de démission des citoyens libanais, on observe qu'ils ont repris
en main la destinée de leur pays en participant activement pour
affirmer la démocratie mais surtout leur place sur l'échiquier politique
interne. Jean Pierre Dubois, dans une étude sur la citoyenneté et la
démocratie, remarque que « la citoyenneté est affaire non de réforme
juridique mais de combat politique. »1 Cette expression s'applique à la
lutte menée par les Libanais durant des mois pour affirmer leur vision
du Liban et surtout collaborer et participer activement aux choix
politiques qui décident de l'avenir de leur Etat. Nous avons passé en
revue les stratégies menées par les Libanais pour réussir le combat
politique du Printemps libanais. La question sous-jacente à laquelle
nous avons essayé de trouver une réponse est celle de la formation
d'une communauté nationale commune à laquelle s'identifient les
acteurs du Printemps libanais. Comment, de la levée des drapeaux et
de l'unité prônée durant des mois, les acteurs du 14 mars sont-ils
passés à la levée de bouclier, à un état de lutte politique et surtout à un
état de déception amère? Jusqu'à quel point le mythe de l'union et de
la réconciliation autour d'une identité politique nationale s'est-il
entretenu après le Printemps libanais, et s'est-il réalisé matériellement
par l'action citoyenne des Libanais?

Dans le premier chapitre, nous avons voulu sonder la volonté


réelle des acteurs libanais du 14 mars de former une identité nouvelle:
une identité où le « libanisme » prime sur les aspirations partisanes
et/ou communautaires.
L'histoire du Liban a souvent été controversée par des
identifications multiples à des sous-ensembles qui forment en réalité la
structure libanaise. Des sous-ensembles qui ont souvent vécu en
conflit, chacun cherchant à dominer l'Autre ou à lui imposer une

1 Refonder la citovenneté, éditions Le bord de l'eau, sous la direction de VERGIAT


Marie Christine et DUBOIS Jean Pierre, Bordeaux, novembre 2003, p. 34.
histoire, ou sa propre vision du pays. Fabiola Azar décrit dans son
approche multidisciplinaire de la réalité libanaise que «les
communautés se déchaînent l'une contre l'autre pour marquer des
points, obtenir une reconnaissance de leurs singularités ou affirmer
leurs statuts particuliers. Leurs relations sont basées sur la méfiance
réciproque et chacune d'elles guette les circonstances lui permettant
d'atteindre son but. »1 De même, l'historien Kamal Salibi a souvent
décrit le Liban comme une maison formée de plusieurs demeures.2
Les écrits sur l'histoire irréconciliable des Libanais sont multiples, de
même que les ouvrages sur le système politique qui devrait gérer du
mieux possible cette pluralité.
Or, la réconciliation entre les communautés s'est inscrite
durant une journée mémorable, celle du 14 mars, où des Libanais,
toutes confessions confondues, ont décidé d'exiger la souveraineté et
la liberté réelle, et non point formelle, de l'ensemble qui les unit. Cette
exceptionnalité d'un rassemblement de Libanais, avec des exigences
communes, a-t-elle pu créer une dynamique nouvelle cassant le carcan
« des problématiques stériles autour du communautarisme
hégémonique »3 et ouvrir la voie à des revendications nouvelles
concernant la pleine citoyenneté, une responsabilisation politique,
voire un réel Etat de droit respectant les droits et les statuts de tous les
citoyens?
Pour analyser en profondeur le Printemps libanais et son
impact sur la création d'un Etat de droit, nous avons essayé
d'identifier les causes qui ont conduit à un tel rassemblement de
Libanais toutes confessions et âges confondus. Dans un premier
chapitre, nous avons essayé de voir si les Libanais ont fait œuvre
novatrice de leur plein gré, dans le but de créer une dynamique
nouvelle et un projet politique nouveau, basés sur une réelle entente et
réconciliation communautaire et surtout, basés sur une identification
libaniste affirmée et défendue, même sans adversaire commun.
Nous avons examiné le mouvement de foule en essayant de
nous interroger sur l'efficacité d'une opinion portée au pinacle par une
masse qui paraît compacte. Et c'est à travers les œuvres des
théoriciens en la matière que nous avons pu constater qu'une foule

I
AZAR Fabiola, op. cil., p. 5.
2 SALIBI Kamal, A house of many mansions. The history of Lebanon reconsidered,
LB Tauris, London, 2003, 247 p.
3 CORM Georges, Le Liban contemvorain. histoire et société, éditions La
Découverte, Paris, 2003, p. 297.
134
psychologique, sous l'influence de certaines émotions, peut se créer,
formant un seul faisceau de volontés. Mais l'efficacité de l'action
d'une telle masse est, non seulement remise en doute, mais surtout
limitée dans le temps. L'effet de contagion dans la création des
sentiments patriotiques s'est ressenti lors du Printemps libanais, et
l'oscillation entre les aspirations nationales et les réflexes partisans a
souvent repris forme lors des manifestations. Les observations de
terrain nous ont permis de constater que chaque parti gardait ses
propres revendications et que même si l'unité autour du drapeau
libanais s'est concrétisée visuellement, chacun maintenait
consciemment ses identifications partisanes. Plus encore, les jeunes
scandaient des slogans se rapportant à la génération de la guerre et
exprimant des allégeances à des personnes et non point à une idée ou à
un programme.
Il est vrai que la cristallisation du mouvement de foule autour
du drapeau libanais et surtout autour de revendications communes est
un grand pas que les Libanais avaient effectué vers une réconciliation
nationale. Mais l'événement symbolique d'une foule compacte ne peut
s'inscrire dans la durée. Le mouvement de foule, lors du Printemps
libanais, manquait surtout de perspectives d'avenir et de projet
politique nouveau.
Si le 14 mars marquait une rupture dans l'histoire
contemporaine du Liban, il était, il ne faut pas l'oublier, une des
réactions politiques habituelles que vivait le pays sous la tutelle. La
vague de manifestations et contre-manifestations n'aurait pu inciter à
construire les piliers d'une démocratie nouvelle. Cette vague aura
réussi à entraîner les Libanais à participer activement et à défendre
leurs points de vue, et elle aura surtout servi à faire tomber le
gouvernement en place. Une émotion commune a conduit à la création
d'une même opinion publique, mais nous avons vu que des barrières
s'élèvent face à cette spontanéité patriotique: après un choc ressenti,
des solidarités peuvent apparaître et peuvent refléter une similitude
dans les états d'âme des participants. Or, lors du Printemps libanais,
cet effet de contagion a permis de rassembler diverses parties le même
jour, mais chaque partie gardait son propre discours et ses propres
revendications. Chaque partie a porté ses propres demandes sur la
place publique le même jour que les autres, formant, comme la
nomme Mme Kiwan «une rue» libanaise, offrant l'illusion d'une
société en acte avec des valeurs communes. Les obstacles qui se sont
érigés face à l'union de la rue libanaise, qui vont de la
135
communautarisation, au poids de la guerre passant par la dette
publique et la situation sociale précaire, ont pu, avec les élections,
conduire à une « réfraction» communautaire et à la perte de confiance
des jeunes libanais dans la dynamique à laquelle ils ont œuvré et
participé: la dynamique de symbiose et d'image de société
réconciliée.
La dynamique de l'union et de la réconciliation nationale s'est
ressentie, après le choc de la manifestation du 8 mars 2005, mais aussi
après le discours de Bachar El Assad. En réaction à cette
manifestation, l'image symbolique de l'Intifada 2005 a pris forme
pour rassembler et fortifier l'image mythique de révolution. Le
soulèvement populaire pacifique s'est renforcé face à la menace
syrienne et en réponse à la manifestation du 8 mars. Ces deux
événements ont permis de consolider les liens d'une alliance politique
mais surtout de resserrer les rangs des Libanais qui se sont mobilisés.
Comme l'explique Moscovici, « en choisissant un pôle, idole ou bouc
émissaire, on élimine flottements, doutes et divergences qui
risqueraient de créer des frictions et de disloquer la multitude. »1
Les émotions fusionnelles ont été éveillées dans le camp de
ceux qui allaient former le 14 mars par la désignation d'un adversaire
commun. Cette polarisation nouvelle, qui a coupé la rue libanaise en
deux rues opposées, permet-elle de parler de communauté nationale
libanaise commune? Il faut dire que les deux rues ont brandi le
drapeau libanais, même si chaque rue avait une politique précise et se
caractérisait par une manifestation et des valeurs distinctes. Mais
l'évolution de l'année 2005 permet de montrer qu'une communauté
nationale brandissant le drapeau libanais a pu exister au Liban malgré
sa division en deux camps distincts. De toute façon, même le camp de
ceux qui formaient le 14 mars et qui pensaient être à eux seuls
représentatifs de la communauté nationale dans son ensemble, était
divisé et était comme le dit Walid Joumblatt « un rassemblement de
sensibilités diverses. » A travers ce travail, nous avons constaté que le
8 mars et le 14 mars, par la mobilisation et la volonté de participer aux
choix du pays, forment à eux deux la communauté nationale libanaise.
Lors du premier chapitre, nous avons néanmoins insisté sur la
formation du camp du 14 mars, par la stratégie de polarisation et de
rejet commun des exactions syriennes au Liban.

I
MOSCOVICI Serge, op. cil., p. 155.
136
Tout au long de cette partie, nous avons entrepris d'analyser
les éléments qui peuvent avoir construit une unité entre les acteurs
libanais. Étudier le « ras-le-bol» nous a poussés à observer avec
minutie l'état des lieux avant la sortie des Syriens pour voir que les
acteurs qui ont cherché à manipuler le Printemps 2005, en tenant ses
ficelles, ont exacerbé les sentiments des gens: d'une part, en jouant
sur l'émotion née de la mort tragique du Premier ministre, d'autre
part, en choisissant la stratégie du rejet et du « ras-le-bol» contre la
Syrie et les chefs de renseignement de l'ordre libanais! ; et enfin, en
pratiquant un jeu de polarisation et de catégorisation, né après le 8
mars 2005 et la manifestation orchestrée par le Hezbollah.
Allant de I'hypothèse que le fondement du Printemps libanais
n'était pas bâti sur des valeurs communes constructives de l'identité
nationale, mais bien au contraire, l'unité du Printemps 2005 était
basée sur le refus de l'autre vision du Liban, professée par le
Hezbollah et ses acolytes, nous nous sommes posé la question de voir
si, lors du Printemps libanais, un « oui» à un Liban nouveau a été
prononcé.
Le Printemps libanais et plus précisément l'esprit du 14 mars
ont fait la une des journaux pendant une longue période. Les
journalistes parlaient de réconciliation nationale, de symbiose
communautaire et d'unité nationale. Le déferlement d'articles, mais
aussi la récupération politique de l'esprit du 14 mars dans la course
aux élections, montrent que la société était en manque d'un mythe et
notamment d'une fiction simpliste qui lui permettait de montrer une
transformation radicale de la période de la guerre. Quels sont les
ingrédients qui ont permis la confection de ce mythe d'esprit unitaire
et quel est l'impact de ce mythe sur la société civile et surtout sur la
cohésion de cette société autour d'images et de valeurs communes?
Pour répondre à cette question, nous avons voulu examiner,
dans un deuxième chapitre, le rôle des emblèmes dans la construction
du Printemps libanais et surtout dans la construction de sentiments
nationaux communs à tous les participants.

1 « Plus que jamais le pouvoir syrien agit au Liban comme un acteur interne. Grâce à
la prolifération des mukhabarats, (services de renseignement), il pénètre la société
libanaise jusqu'aux tréfonds comme il l'avait fait avec la société syrienne, tout en
maintenant avec l'une et l'autre la distance de la peur. » KASSIR Samir, « La lutte
vour la démocratie en Syrie et l'indépendance libanaise», in CONFLUENCES
Méditerranée, Un Printemps syrien, No. 44, Hiver 2002-2003, L'Harmattan, p. 91.
137
L'unité nationale, observée lors du rassemblement massif de Libanais
sur une place symbolique, et prônée par tout un arsenal de symboles
affichés et d'objets fétiches faisant la particularité du Printemps
libanais, cache difficilement les visions contradictoires concernant le
passé, les dissensions confessionnelles, le cloisonnement de la
population ou « le cantonnement communautaire» pour reprendre le
terme de Boutros Labaki.! En outre, de nombreux obstacles
s'élevaient devant cette présumée unité nationale: des failles, qui sont
apparues lors de ce Printemps libanais qui, malgré tout, a été promu
comme l'union nationale des Libanais démocrates et libéraux. Or,
durant ce Printemps, deux rues s'opposaient et l'unité autour d'un
même projet politique n'a pas été conçue, même dans le champ d'une
même rue. De même, on ne peut parler d'unité nationale ou surtout
d'union communautaire en vue d'un rassemblement acommunautaire
puisque le 14 mars et le Printemps libanais, s'il a été plus ou moins
transcommunautaire dans la participation de plusieurs parties de la
société, n'a jamais été acommunautaire. Bien au contraire, des
sensibilités communautaires étaient visibles. On ne peut que reprendre
cette idée antagonique que présente Georges Corm, dans un article où
il parle du Printemps libanais et surtout de la faille existante dans la
société libanaise entre les deux rues du 14 mars et du 8 mars. Faille
idéologique qui entrave la construction réelle d'une unité nationale
voulue: « La violence des discours politiques libanais qui s'expriment
depuis le 15 février dernier est là pour nous rappeler un trop plein de
patriotisme mal réfléchi, souvent construit sur des bribes décousues,
soit des discours non moins musclés sur la lutte contre l'hégémonie
commune des Etats-Unis et d'Israël au Moyen Orient.
Malheureusement, ces deux discours recouvrent aussi, dans une assez
large mesure, mais non point totalement, des sensibilités
communautaires. Sans réconciliation de ces deux sensibilités, la
réforme de l'Etat restera utopique et nos institutions politiques
resteront des fiefs d'influences fermés et contradictoires. »2
De plus, l'unité nationale libérale et spontanée qu'aurait pu
montrer le Printemps libanais s'est avérée déclenchée par le ralliement
de deux communautés qui souvent ne tenaient pas le même discours

1 Boutros LABAKI, Khalil ABOU RJEILI, Bilan des guerres du Liban 1975-1990,
L'Hannattan, Paris, novembre 1993, p. 212.
2 CORM Georges, « La reforme démocratique n'est pas une tache impossible au
Liban », in Le Monde Edition Proche Orient, Vendredi 17 juin 2005, p. 6 de la
Tribune Libre.
138
avant ce Printemps libanais. Or, le ralliement des Druzes et Sunnites
au mouvement ne s'est pas fait de la base comme pourrait le croire
l'observateur. Après l'enquête de terrain, nous avons appris que les
appels des chefs ou leaders de certaines communautés ont poussé les
gens à se mobiliser. Cette juxtaposition d'appels à la mobilisation
rappelle moins l'image d'un Liban nouveau, basé sur des relations
citoyennes saines, qu'un Liban de « Zaamats » où les gens répondent
à l'appel de leurs chefs respectifs. Cette convocation par les proches
de la famille Hariri ou par Walid Joumblatt, le leader druze, pour
rassembler des personnes dans les veillées au centre ville ne montre
pas un sens civique nouveau, ni une évolution des mentalités de l'Etat
« Zaamat» à l'Etat citoyen, même lors du Printemps libanais. Les
réponses données par Nora Joumblatt et même Nader el Nakib sont
frappantes à ce sujet: «Ils (les Sunnites) ne voulaient pas
descendre », « des bus ont été affrétés de la montagne pour simplifier
le rassemblement des gens et surtout augmenter le nombre.» La
réactivation de solidarités de groupe pour entraîner les gens à
participer montre, comme le souligne Corm, que les Libanais
manquent de civisme et que lors du Printemps libanais, leur affluence
à la Place des Martyrs ne portait pas un projet politique nouveau.
D'autre part, lors du Printemps libanais, un des slogans
scandés était la liberté et une demande de démocratie et de libéralité,
choses qui faisaient défaut sous la tutelle syrienne, les jeunes ayant
souvent été tabassés lors de leurs mobilisations. Or, cette même liberté
scandée et voulue par l'équipe du 14 mars a été mal vue par eux
quand l'équipe du 8 mars s'est aussi mobilisée. Cet antagonisme ne
peut être passé sous silence. Rendre illégitime le 8 mars, en montrant
dans les premières pages des journaux des camions transportant des
Palestiniens et des Syriens, peut paraître un jeu politique, mais que les
politiciens qui se disent démocrates et libéraux lancent des remarques
difficilement acceptables dans une optique démocratique, ouvre une
question sur les représentants des Libanais et leur degré de civisme et
de citoyenneté.l Dire que le mouvement de libération de la société a
été accompli par le 14 mars reste simpliste. Il est vrai que les Syriens
sont sortis et que plusieurs communautés se sont senties plus patriotes
à un moment donné. Mais la société n'a pas fait d'avancée sérieuse
dans sa façon de penser la politique et surtout dans sa capacité de tenir
responsables ses dirigeants. La déception des jeunes étudiants que

I Pierre Gemayel a parlé de la différence « entre la quantité et la qualité ».


139
nous avons interviewés est parue grande. Leurs propos amers
concernant la campagne électorale et la récupération politique
de l'Esprit du 14 mars et concernant la classe politique sont sévères.
Une autre conclusion s'impose. Elle concerne l'unanimité de la
volonté des demandes lors du Printemps libanais. Il est vrai que le
drapeau libanais faisait l'unanimité lors du 14 mars, et même lors du 8
mars, mais les revendications diverses et les slogans que scandait
chaque parti pour marquer des points et rendre un hommage à ses
propres martyrs, montrent que la juxtaposition d'acteurs libanais et la
création de symboles pour cimenter les rangs n'a pas entraîné un
rapprochement des positions pour un projet politique nouveau; le 14
mars a plutôt créé un assemblage de demandes diverses, de slogans et
d'emblèmes marquant en fait le pluralisme de la société formant le
tissu libanais.
L'image rouge et blanche à laquelle ont travaillé les artisans du
14 mars porte en elle des nuances profondes, nuances nées de
dissensions entre les Libanais, héritées de la guerre, et perpétuées au
grand dam de certains intellectuels! par les discours émotifs d'une
jeunesse qui répète les slogans d'une génération passée, sans
comprendre que les temps ont changé et que le contexte de ces slogans
est dépassé. Les Libanais ont voulu partager l'illusion d'une entente
politique pluri-communautaire et pluri-partisane. Or, les obstacles nés
d'une mémoire commune biaisée par des plaies non colmatées, d'un
système éducatif qui porte en lui les germes d'une éducation civique et
historique non complète, ne permettent de faire de cette image qu'une
illusion d'optique. Le fond, qui transparaissait derrière les
symboliques qui auraient dû façonner une identité collective à tous les
Libanais, était troublé par les zizanies du camp de la Liberté et autres
problèmes apparus lors de la construction des symboles du 14 mars.
Malgré les nuances, il ne faut pas oublier que le drapeau
libanais et l'image unie a marqué les esprits et qualifié la révolution
libanaise de révolution rouge et blanche: il est vrai que des nuances
sont apparues, mais pour marquer l'entente nationale autour de valeurs

1
CORM Georges: «il est temps que la jeunesse abandonnela soumissionà
différentes formes de culte de la personnalité envers des protagonistes de la guerre
qui a déchiré le Liban entre 1975-1990 ou l'allégeance aux notabilités
traditionnelles pour penser en termes de programmes et d'orientations de réforme et
non plus en terme de slogans. » «La réforme démocratique n'est pas une tâche
impossible au Liban », in Le Monde Edition Proche Orient, Vendredi 17 juin 2005,
p.7.
140
communes. L'image de l'Intifada a été étudiée bien à l'avance par de
nombreux Libanais. Ils ont voulu tracer l'image symbolique d'un
sentiment patriotique commun à tous. Pour cela, de nombreuses
personnes ont uni leurs forces et leurs expériences pour dessiner les
contours de l'Intifada. Nous avons vu en détail que les acteurs du
Printemps libanais ont même eu recours aux actions collectives et
individuelles pour raffermir la conscience commune et surtout
amplifier le sentiment patriotique.
L'effet de contagion et la convergence des symboles en un
symbole commun, n'auraient à eux seuls pu mener à une telle
mobilisation de Libanais. Pour entretenir l'image créée, des vecteurs
de socialisation ont été utilisés, non seulement pour la maintenir
vivace dans les esprits, mais surtout pour inviter à la participation
active, participation qui est l'apanage d'une démocratie participative
réelle et non point formelle.
Dans un troisième chapitre, nous nous sommes penchés sur la
stratégie de communication lors du Printemps libanais, partant de
l'hypothèse que, sans la large couverture médiatique, la révolte qui
s'est illustrée lors du Printemps libanais n'aurait pas eu la même
ampleur, pour prouver que lors des mois de février à mars, il y a eu
manipulation pour la création d'une image commune et non point d'un
réel projet politique commun. C'est la construction du mythe du 14
mars, avec une récupération tant politique que médiatique du
mouvement spontané de l'après mort de Hariri. Dans les premières
semaines qui ont suivi l'assassinat, les manifestations spontanées à la
Place des Martyrs ont été l'apanage d'une population portée par une
émotion forte. Dans un deuxième temps est venue la réaction à la
manifestation du 8 mars, avec la journée du 14 mars et la guerre des
effectifs. Par la suite, et après le pic de la journée du 14 mars, les
artisans du 14 mars ont essayé d'entretenir le mouvement de
contestation qui s'essoufflait en créant des événements pour maintenir
la mobilisation et en utilisant la stratégie de matraquage médiatique
pour conserver l'esprit de révolution et de changement.
D'une part, nous avons dressé la typologie des moyens de
communication utilisés pour mobiliser la rue lors du Printemps
libanais, en détaillant entre autres une source nouvelle d'information
et de communication: les sites web, que de nombreux Libanais ont
utilisés, pour s'exprimer et donner leur avis sur les événements
auxquels ils participaient.

141
Dans cette première partie, nous avons décrit les liens
privilégiés entretenus avec les médias, et surtout nous voulions
affirmer leur rôle dans la mobilisation et l'encouragement à la révolte,
en d'autres termes, comment, par effet de mimétisme, les médias vont
entraîner à la construction de l'événement lui même. D'ailleurs, nous
appuyons notre analyse sur les études de certains théoriciens qui ont
examiné l'action des moyens de communication dans la formation des
opinions. Tarde par exemple, qui souligne le rôle de la presse dans la
mobilisation et l'encouragement à la prise de position: «ce sont les
journaux qui attisent la vie nationale, qui soulèvent les mouvements
d'ensemble des esprits et des volontés en leurs quotidiennes
fluctuations grandioses. » 1
D'autre part, nous nous sommes intéressés à la stratégie de
propagande usant de la surabondance informationnelle pour créer un
effet d'encerclement et uniformiser les représentations collectives
autour du thème de l'Intifada 2005.
L'effet grossissant des médias, mais aussi l'implication
personnelle des émetteurs de messages dans l'information, a non
seulement ciblé la population libanaise, mais aussi, a influencé
d'autres agents sociaux comme d'autres médias et d'autres relais
d'opinion. Les moyens de communication ont permis, par le biais de
la suggestion collective, « de façonner la psychologie et la politique »2
du Printemps libanais. Le jeu émotif, combiné à la transmission
consécutive et durant plusieurs heures du même message, a permis la
constitution d'une affectivité événementielle, et surtout l'exacerbation
émotionnelle autour d'idées patriotiques communes.
Les moyens de communication ont souligné, avec la stratégie
de symbolisation et de polarisation, une identité commune aux
nombreux manifestants de la Place de la Liberté. La dynamique de
changement a été amorcée dans les esprits des Libanais, dont
beaucoup ont rêvé d'une citoyenneté active dans un Etat qui protège
les intérêts de tous. Avec leur lutte opiniâtre pour le retrait syrien, ils
ont affirmé aussi leur volonté de vivre en commun et surtout leur
volonté de gagner le défi d'une réconciliation certaine, illustrée par
des manifestations communes sans heurts.
La vigilance des Libanais venus des quatre coins du pays, qui
se sont retrouvés à la Place des Martyrs durant plusieurs jours, ne s'est

1
TARDE Gabriel, op. cil., p. 85.
2 MOSCOVICI Serge, op. cil., p. 246.
142
pas arrêtée à une simple manifestation. Leur action de citoyens actifs,
unis autour d'une même identification nationale, s'est illustrée par
l'image unie des Libanais brandissant le drapeau libanais. Encore plus,
les slogans et les affiches préparées minutieusement par les
participants marquent leur détermination à faire unanimement, avec
un sens patriotique affiné, les choix politiques de leur Etat. Dans un
écrit sur la citoyenneté, des auteurs se sont rassemblés pour expliquer
que de petites actions et prises de positions soulignent une activité
politique: « La vie politique est faite de participation, jour après jour,
à de petites décisions, à de petites concertations, qui fait qu'on est déjà
un homme politique, un citoyen actif, simplement parce qu'on a
participé à de petites réunions. »1
Il est évident que le 14 mars 2005 restera dans la mémoire
collective comme un jour exceptionnel dans l'histoire politique du
Liban, du fait de la mobilisation massive dont il a témoigné. Mais le
projet d'une communauté nationale autour d'une image unie a été un
idéal rêvé, une vision commune souhaitée.
Lors du Printemps libanais, non seulement une participation
active a formé un tournant dans la vie politique des citoyens libanais,
mais un autre acquis s'est illustré par la volonté de former une image
unie et autour d'une vision commune. Toutefois, le projet d'une vie
commune réelle n'a pas été amorcé, on s'est limité à l'image unie
autour d'un mythe souhaité. Déplacer le mythe vers une réalité
citoyenne active dans un Etat de droit n'est pas chose facile. Les
Libanais, face à cette difficulté ont ressenti une déception, d'autant
que leur mouvement a été récupéré par la classe politique habituelle.
Non seulement les politiciens sont impliqués dans l'éloignement des
Libanais de leur statut de « citoyen» qui défend des causes sociales,
mais aussi, les communautés et le système sont imbriqués dans une
complexité qui l'éloignent ostensiblement du cercle de la politique
participative réelle.
En effet, le rôle du citoyen libanais envers son Etat a souvent
été mis à distance durant les décennies précédentes, par « les rapports
multiples qu'entretiennent les communautés religieuses avec le
système politique» mais aussi, et surtout, parce que les citoyens ont
souvent laissé de côté les revendications concernant leur vie
quotidienne et étatique, les oubliant au service de revendications
idéologiques plus larges. Georges Corm parle de ce « peuple éponge»

1
VERGlA T Marie Christine et DUBOIS Jean Pierre, op.Cil., p. 85.
143
qui aime exprimer ses «passions politiques sous formes de grandes
causes à l'échelle régionale ou internationale. »1
Mais après le Printemps libanais et la volonté de participation
dont il a fait preuve, est-ce que le Libanais est toujours « un citoyen
empêché dans un Etat inachevé» comme le dit Nawaf Salam dans sa
préface de la Condition libanaise? 2
Avec l'assassinat de Raflc Hariri, un raz-de-marée de Libanais
s'est mobilisé pour exiger la vérité quant à l'assassinat, et surtout
réclamer une liberté réelle dans un état démocratique. La révolte et
l'émotion ont permis la jonction de plusieurs communautés autour de
valeurs communes, mais ont surtout permis la cohésion des Libanais,
toutes confessions confondues, autour d'une opinion politique
nationale et patriotique.
Après la liesse et la ferveur populaire qui ont porté les Libanais à
s'exprimer et à faire des choix politiques qui entraînent les politiciens
à les suivre durant le Printemps libanais, qu'est-ce qui a conduit à la
chute dans la désillusion?
Nous avons vu lors de cette recherche de nombreuses limites au
Printemps libanais.
D'une part l'action menée par les manifestants était sous-
tendue par une volonté de dire non à plusieurs choses: exprimer le
« ras-le-bol» et le rejet formait le sous-bassement du mouvement de
révolte né spontanément d'une émotion commune.
Lors du Printemps 2005, les Libanais s'activaient et participaient pour
former une image unanime face à un adversaire commun. Ils ne
pensaient pas à l'après-événement. Par conséquent, le mouvement de
mobilisation s'est essoufflé en partie parce que ses
revendications libertaires et de justice ont été satisfaites.3 En outre,
avec l'approche des élections législatives, la classe politique
traditionnelle a récupéré la mobilisation qui a eu lieu, avec un « retour
au jeu politique. » Les éléments qui ont entraîné un dégoût chez les
jeunes ont été non seulement les alliances électorales « contre nature»
qui ont été faites, mais aussi la récupération par les politiques d'un

I
CORM Georges, op. cit., p. 25.
2 NA WAF Salam, La condition libanaise. Communautés. citoyen. Etat, éditions Dar
An-Nahar, 2001, 129 p.
3 « Avec le retrait des forces syriennes, et l'adoption en avril de la résolution 1595
qui confie à une commission internationale le soin de faire la lumière sur l'assassinat
de Rafic Hariri, ses slogans (Les slogans du mouvement de contestation) se
retrouvent pour ainsi dire usés. » BAHOUT Joseph, in Esprit, op. cit., p. 125.
144
événement et d'un moment construit par le peuple. Déçue d'avoir été
ignorée par la suite, la jeunesse est retombée dans une nouvelle
dépolitisation, qui rappelle les années précédentes: « Cette léthargie
est particulièrement évidente dans notre vie publique, et les citoyens,
surtout les jeunes, ont tourné le dos aux rixes quotidiennes des gens du
pouvoir, lesquelles réduisent au pire des cas la politique à des
manifestations d'humeur ostentatoires et au mieux, transforment le
paysage public en un partage malsain de postes et de rescousses. »1
Cette description que faisait Chibli Mallat en 1998 se retrouve dans les
discours des jeunes en 2005, la déception ressentie est poignante dans
leurs articles.2
Le renouveau au niveau des élites politiques était très difficile, et une
des limites du Printemps libanais réside dans le fait qu'il n'a pas laissé
paraître de nouveaux visages dans la politique libanaise. Occasion
manquée ou manque de confiance? Lors de l'entretien avec Nader el
Naqib, nous avons ressenti que la culture politique d'allégeance à une
famille politique est plus forte qu'une culture politique de l'alternance
et de la nouveauté, chez ce responsable des jeunes du Courant du
Futur. Pour lui il était normal que Saad el Hariri prenne le relais de
son père. L'éducation civique dès l'école devrait montrer l'importance
du changement et du renouveau dans la classe politique, alors qu'au
Liban, les réformes de l'éducation civique tardent à prendre corps et le
statisme, au niveau de la classe politique, permet à un groupe de
conserver comme une chasse gardée les positions-clés de l'Etat.
En outre, la « réfraction» confessionnelle née avec les
élections et surtout, les crispations extrémistes dans la lutte pour une
loi électorale assurant l'équilibre communautaire, peuvent montrer
qu'un dépassement des clivages communautaires vers une identité
nationale ne s'est pas concrétisé lors du Printemps libanais. Thual, en
étudiant les conflits identitaires, montre que « les passions identitaires
collectives ont la vie dure, surtout lorsqu'elles sont alimentées par des
références et des structures confessionnelles.»3 Ainsi, du temps est
requis pour effacer les cicatrices du passé et faire le deuil des querelles
anciennes pour pouvoir aller de l'avant.

1
MALLAT Chibli, Défis vrésidentiels, 1998,p.7.
2 «Les marchandages en coulisse, le «fromagisme politique» et la maladive
tentation du pouvoir l'ont emporté sur la volonté de changement», Amine
ASSOUAD, 21 mai 2005, www.tribunelibanaise.com.
3 THUAL François, op. cit., p. 95.
145
La vision idyllique du 14 mars d'une foule disparate
rassemblée sous la Statue des Martyrs pour témoigner d'une réelle
réconciliation est loin de la réalité. En effet, comme le dit Joseph
Samaha, «nous n'avons pas assisté à l'émergence d'un sens nouveau
de l'unité nationale, mais plutôt à des démarches parallèles des
différentes communautés qui ont créé l'illusion optique de l'unité. »1
De même, pour Joseph Maila, « le 14 mars, nous n'avons pas cherché
à jeter les bases d'une nouvelle République ou à nous intéresser à
l'avenir démocratique du pays. Les Libanais étaient là pour autre
chose, en l'occurrence ce périmètre national à redéfinir. »2
En effet, le développement de réformes administratives n'a pas été
amorcé, un renouvellement de la classe politique non plus, sans parler
d'une volonté réelle de réconciliation nationale. Mais ces nombreuses
limites, si elles ont pu faire sombrer le Printemps libanais dans le
désenchantement, ne pourront jamais effacer l'ivresse du sentiment
patriotique ressenti par tous les participants lors de cette période. De
même le 14 mars 2005, ce jour où les Libanais ont levé le drapeau
pour sauver leur pays d'une tutelle étrangère, restera à jamais un
événement historique dans I'histoire du Liban contemporain.
Pour conclure, nous allons emprunter cette expression
d'Antoine Messara qui a souvent pensé la reconstruction du Liban.
Selon lui, «pour contrer le pessimisme ou la frustration, sinon la
fatigue ou la lassitude ou le simple sentiment d'impuissance à
infléchir le cours des choses, il faut s'acharner de patience. L'histoire
est patiente. La démocratie est une œuvre continue et de longue
haleine, fruit d'un cumul d'actions historiques. »3 A Prague, le
printemps a été écrasé par les chars. Au Liban, le mouvement
populaire qui conjugua, pour un certain temps, l'émotion d'un peuple
occupé et celle de certains dirigeants, ne devrait pas être
instrumentalisé et récupéré comme un moment historique propre à
certains. Défini ainsi, nous l'écrasons et l'éclaboussons de tournures
qui ne lui appartenaient pas. Lorsque le courage d'une population lui
permet d'envahir les rues pour réclamer la liberté, lorsque la

1
SAMAHA Joseph éditorialiste du Safir, in GRESH Alain, « Les vieux parrains du
nouveau Liban », juin 2005, in le Monde diplomatique.
2 MAILA Joseph, allocution donnée à l'initiative de la Fondation Michel Chiha et de
l'université Saint Joseph au campus des sciences humaines sur « Les conditions du
renouveau libanais », le 18 octobre 2005.
3 MESSARRA Antoine, Le Pacte libanais: le message d'universalité et ses
contraintes, Librairie Orientale, Beyrouth, 2002, p. 15.
146
persistance des Libanais à revendiquer leur droit leur permet de faire
tomber un gouvernement, cette population devrait comprendre que le
basculement historique qu'elle seule a pu faire, n'est pas juste un
mythe rêvé mais s'enracine aussi dans une réalité difficile mais
possible à réaliser. Une réalité de réconciliation nationale réelle, où les
Libanais se transforment en citoyens à part entière s'ils s'arment de
patience et continuent à se mobiliser pour des causes nationales
communes pour construire à coup de boutoir, une identité politique
nouvelle, une identité qui se forme comme le suggère Malek Chebel,
« par paliers, schème après schème, quotidiennement au contact de la
réalité. » 1

1
CHEBEL Malek, op. cil., p. 136.
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Politique Internationale, No. 106, hiver 2004-2005, AIS Nancy,


France, 503 p.

Politique Internationale, No. 108, été 2005, AIS Nancy, France, 472 p.

The Middle East, Iraq brave new bef!inninf!s?, May 2005, issue 356,
AN IC Publication, 66 p.

The Middle East, The Winds ofChanf!e, Apri12005, issue 355.

Travaux et jours, USJ, Printemps 2004, No. 73, 241 p.

El Chark el Awsat, Jaridat el Arab el Douwaliya, (le Moyen Orient, la


revue internationale des arabes), mardi 15 mars 2005, No. 9604.
EL CHARK EL AWSAT, JARIDAT EL ARAB EL DOUWALlYA,
copyright: 1978-2005 «J H. H. Saudi Research & Publishing
Company (SRPC).

155
Webographie avec la liste exhaustive des blogs

http://blog.france5 .fr/Libanlindex.php/2006/0 1113116805-1iban-


pub lication -dune-nouvelle-liste-dopposants-antisyriens-a-abattre.
http://blog.france5 .fr/Liban/index.php/Dossiers.
Un Blog créé pour le Liban et analysant certains événements clés de
la Révolution du Cèdre.

http://hebdo.ahrarn.org.eg/arab/ahrarnI2005/3/16/1eve2.htrn.
Hebdomadaire égyptien en langue française en ligne, cet article
concerne le discours du Président syrien Bachar el Assad.

http://isranews.com/cal_2005 .htrn.
Un site israélien qui fait le compte rendu des événements libanais
avec des commentaires personnels.

http://lebaneselobby .org/
Une définition de la Révolution du Cèdre en langue anglaise.

http://libanlibre.skyb Iog.coml
Le Blog d'un libanais émigré en France, ce blog contient plus de 208
articles et plus de 469 commentaires sur les événements libanais.

http://rnobi-rnania.com/ dotclear/#rnain.
Espace du bloggeur qui a publié sous le nom de Ziad T: des photos
avec une description quotidienne des événements et dernières blagues
à caractère politique lors du Printemps libanais.

http://parch.skyblog.com/5 .htrn I.
Blog d'un étudiant français qui a voyagé autour de la méditerranée et
qui était présent au Liban lors des événements du Printemps libanais.
Il a écrit 118 articles à ce sujet avec des photos illustrant les
événements clés qu'il commente à sa manière.

http://proche-orient.com/
Un site avec des nouvelles du proche orient.

156
http://renseignement. blogspot.com/
Le 10 mars 2005, un certain bloggeur qui a choisi le surnom de
"coldipeccio" expose et analyse la situation du Liban, comme Etat
tampon après la manifèstation du Hezbollah le 8 mars 2005.

http://sylvainattaI.blogspot.com/2005_03_01_sylvainattal_archive.htm
Le blog de Sylvain un jeune qui décrit à sa manière les événements du
printemps libanais.

http://www .05amam.org/
Le site de l'organisation non gouvernementale, AMAM, qui s'est
créée au cours du Printemps libanais.

http://www.aeinstein.org/ organizations 103a.html

http://www.alistiklaI05.com/

http://www.asharqalawsat.com/default.asp.
Revue arabe internationale.

http://www.baronbaron.com/l ibanlbeyrouth-p lace-l iberte.html.


Blog personnel avec des textes et des photos de Gregory Buchakjian,
Tamara Haddad (3,5-7),2005-2006, et Baron & Baron.

http://www.cIemi.orglcredam/conCbaIIe.html#top.
Conférence de Francis Balle, Dimension politique de l'éducation aux
médias -8 mars 2001 au Centre de Recherches sur l'Education aux
Médias.

http://www.cmylebanon.com/images/thumbnails. php?album=lastup&
cat=-32.
Les images de la Révolution du Cèdre publiées avec des
commentaires: la plupart des affiches et pancartes apparaissent dans
les clichés pris par de nombreuses personnes.

http://www .hayyabina.orgl

http://www .ilebanon.org/ilblog/
Le premier réseau social libanais qui permet à ses membres de créer
leur propre communauté d'amis et de collègues et de famille: « Nous
157
essayons d'établir la plus grande communauté Libanaise et nous ne
pouvons pas le faire sans vous. Joignez maintenant et renseignez-vous
sur la puissance des réseaux sociaux! Exprimez-vous en créant et en
partageant votre propre Blogs personnel! Joignez notre communauté
maintenant. »

http://www.inlebanon.net/

http://www.inventerm.com/
Pour la définition des termes techniques comme Blog, SMS, Web
page, Forward...

http://www.lci.fr/news/monde/0..3 202493- VU SWXOlEIDUy ,00 .html.

http://www.libanvision.com/entretien.htm.

htp://www.libanvision.com/hariri.htm.

http://www.memri.orglbin/french/articles.cgi?Page=arch ives&Area=s
d&ID=SP8780S.

http://www.mobi-mania.com/fermer .php.
Un blog fermé pour maintenance après l'apothéose de 28
commentaires par message publié, après juin 2005 les commentaires
se sont raréfiés.

http://www.monde-diplomatique.fr/200S/03/RAMONET/11966.

http://www .pulseoffreedomOS .org/

http://www .reseauxcitoyens-st -etienne.org/article.php3 ?id _articleS 79.

http://www.senat.fr/rap/r96-111/r96-11126.html.

http://www.tbsjoumal.com/SeibPF .html.
SEIB Philip, "Reconnecting the World: How New Media
Technologies May Help Change Middle East Politics ", in TBS
journal, Transnational Broadcasting Studies, published by the Adham
Center for Electronic Journalism, the American University in Cairo

IS8
and the Middle East Centre, St. Antony's College, University of
Oxford, UK 13 p.

http://www.tribune-libanaise.com/tribune/article. php3 ?id_article=24.

http://www.tribune-Iibanaise.com/tribune/article. php3 ?id_article=26.

http://www.tsr.ch/tsr/index.html?siteSect=20000 1&sid=5 567587.

http://www.voltairenet.org/articleI6663.html.
Ce réseau de presse non aligné présente un article sur la mort de
Rafik Hariri,« à qui profite la déstabilisation du Liban?» par
Vladimir Alexe.

http://yaleglobal. yale .edul disp lay .article?id=6262.


Article concernant les soulèvements pacifiques, notamment au
Caucase à Tbilissi.

159
LISTE DES ENTRETIENS

Entretien avec Mme Nora JOUMBLATT, épouse du leader druze


Walid Joumblatt, active dans la société civile et dans l'organisation du
Printemps libanais. L'entretien a eu lieu le jeudi 15 décembre 2005 à
son bureau au Starco, à Beyrouth.

Discussion avec Fadi el HALABI, psychologue et ancien étudiant à la


Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de l'Université Saint
Joseph (USJ). L'entretien a eu lieu le mercredi 18 janvier 2005 au
CEMAM, à Beyrouth.

Entretien avec Nader el NAKIB, responsable des jeunes du Courant


du Futur, le vendredi 20 janvier 2006, au bureau des jeunes du
Courant du Futur, à Koraytem, à Beyrouth.

Entretien avec Alia HABLI, responsable des diplômés de


l'Association Hariri, le vendredi 20 janvier 2006, au bureau des jeunes
du Courant du Futur, à Koraytem, à Beyrouth.

Entretien avec Jad GHOSTINE, président du bureau des étudiants de


l'Académie Libanaise des Beaux Arts (ALBA) (2004-2005), diplômé
en architecture, entretien fait le lundi 30 janvier 2006 au CEMAM, à
la Faculté des Lettres, à Beyrouth.

Entretien avec Alain AOUN, responsable du bureau politique du


Courant Patriotique libre (CPL), le lundi 6 février 2006, à son bureau
à Sassine, à Beyrouth.

Entretiens avec Mme Chéri ne ABDALLAH, responsable des


Relations Publiques au Nahar, le mardi 14 mars 2006 et le vendredi
31 mars 2006, dans son bureau au Nahar, à Beyrouth.

Entretien avec Nabil ABOU CHARAF, président de l'Amicale des


étudiants de la Faculté de droit et des sciences politiques (2002-2003),
militant au sein de l'association AMAM (Al Moujtamah Al Madani)
depuis mars 2005, entretien ayant eu lieu le samedi 18 mars 2006, à
l'Université Saint Joseph, Huvelin.

160
TABLE DES MATIERES

LIMINAIRE 7

Avant-propos ... 7

Remerciements 13

Méthodologie suivie pour laprésentation de l'ouvrage 15

Introd uction 19

A- La notion de Printemps libanais, essai de définilion 23

B- Présentation des acteurs libanais du Printemps 2005 27

C-Radioscopie de la société civile libanaise 35


-Désaffection et démission de la chose publique dans les années d'après-
guerre 35
- Des exceptions dans un contexte d'absentéisme politique 37
Chapitre 1 41
Exacerbation émotionnelle et polarisation au service de quelle identification?

A- FUSION COLLECTIVE ET IMAGE SYMBOLIQUE DE L'INTIFADA 43


A-a) Cristallisation du mouvement de foule .4
a-I) Faiblesse de l'Etat 43
a-2) La guerre des effectifs 46

A-b) Mythification et suggestion collective créatrices d'effet de contagion .4


b-I) Emotion génératrice d'unité mais aussi de fausses illusions 49
b-2) L'effet de contagion, né de la mythification symbolique du Printemps 51
b-3) Démystification du 14 mars 53

B- POLARISATION ET DIABOLISATION POUR RESSERRER LES LIENS. 59

B-a) La figure de l'ennemi pour consolider une opinion publique 59


a-I) Antinomie génératrice d'unité 59
a-2) Volontarisme politique facilitateur d'une participation active 63
a-3) Le symbolique pour dramatiser une menace extérieure 66

B-b) La polarisation au service de l'identité commune 67


b-I) L'après 8 mars: D'une Açabiyya au sens Khaldounien à une solidarité
Durkheimienne ... 68
b-2) La Polarisation comme catalyseur d'action commune 69
Chapitre 2 75
L'utilisation du symbolique pour stimuler la cohésion sociale

A- LE ROLE DU SYMBOLIQUE DANS LA CONSTRUCTION DU


PRINTEMPS LIBANAIS 77

A-a) Le symbolique: l'élément constitutif du mouvement.. 77

A-b) Le symbolique pour cimenter les rangs 81

B- LES MOYENS UTILISES LORS DU PRINTEMPS 2005 85


B-a) Les symboles matériels ou objets fétiches 85
a-I) Les symboles matériels unificateurs objet d'un investissement de la
société libanaise.. 85
-Le logo de l'Intifada de l'Indépendance 86
-Le foulard rouge et blanc 88
-Le drapeau libanais sur les balcons 89
a-2) Des symboles matériels moins communs à tous 90
-
Slogans et musiques 91
-
Pin's, logos et foulards 94
B-b) Les actions collectives 95
b-I) Les activités culturelles et sportives 96
-
Camp City 96
-
Les Workshop ou ateliers de travail...
b-2) Les activités de campagne: des actions symboliques mues par des
97
individus 99
- Distribution de fleurs, posters et bougies 100
- Les manifestations hebdomadaires 101
Chapitre 3 105
Le rôle primordial des médias dans la création du Printemps libanais

A- Tous les moyens sont bons pour faire passer le message


Typologie des canaux utilisés durant le Printemps 2005 107

A-a) LA PRESSE ECRITE et AUDIOVISUELLE 107


a-I) La presse écrite 107
a-2) La presse audiovisuelle III

A-b) INTERNET: BLOG et SMS II5

B- La communication: simple participant ou acteur principal?


Le rôledes médiasdansle succèsdu Printemps 05 /23
B-a) L'UNIFORMITE DE L'INFORMATION AU SERVICE DE
L' INTIFADA 123
a-I) L' « agenda setting» et l'effet d'encerclement.. 123
a-2) Interdépendance et implication personnelle des émetteurs des messages
125

162
B-b) MONOPOLISATION DE LA COMMUNICATION ET JEU DE
L'AFFECTIF 127
b-I) Le message médiatique entre monopolisation et manipulation 127
b-2) Le jeu émotif pour la fixation d'une idée 129

CONCLUSION 133

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 149

Ouvrages cités 149

Revues et quotidiens 154

Webographie avec la /iste exhaustive des blogs 156

LISTE DES ENTRETIENS 160

TABLE DES MATIERES 161


L'HARMATTAN,ITALlA
Via Degli Artisti 15; 10124 Torino

L'HARMATTAN HONGRIE
KOnyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16
1053 Budapest

L'HARMATTAN BURKINA FASO


Rue 15.167 Route du Pô Patte d'oie
12 BP 226
Ouagadougou 12
(00226) 76 59 79 86

ESPACE L'HARMATTAN KINSHASA


Faculté des Sciences Sociales,
Politiques et Admilllstratives
BP243, KIN XI , Université de Kinshasa

L'HARMATTAN GUINÉE
Almamya Rue KA 028
En face du restaurant le cédre
OKB agency BP 3470 Conakry
(00224) 60 20 85 08
harmattangui neel(/)yahoo. fr

L'HARMATTAN CÔTE D'IvOIRE


M. Etien N'dah Ahmon
Résidence Karll cité des arts
Abidjan-Cocody 03 BP 1588 Abidjan 03
(00225) 05 77 87 31

L'HARMATTAN MAURITANIE
Espace El Kettab du livre francophone
N° 472 avenue Palais des Congrés
BP 316 Nouakchott
(00222) 63 25 980

L'HARMATTAN CAMEROUN
BP 11486
(00237) 4586700
(00237) 976 61 66
harmattancam'd'\
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