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Au-delà de l'état

solide, liquide
ou vapeur
Gerald Pollack est docteur en
ingénierie biomédicale, professeur et
chercheur universitaire à Seattle,
fondateur et rédacteur en chef de la
revue Water. Il a reçu de très
nombreuses récompenses internatie
nales dont la médaille Prigogine, un
doctorat honoris causa de l'université
d'état Ural de Ekaterinburg (Russie),
une chaire honoraire de professeur à
l'académie des sciences de Russie,
ainsi que la plus haute distinction de
l'Université de Washington, le Faculty
Lecturer Award et le Transformative
R01 Award des mains du directeur du
National Health lnstitute américain. Il
est membre de nombreuses sociétés
savantes comme la Srpska Academy,
l'American lnstitute of Medical and
Biological Engineering, l'American
Heart Association et la Biomedical
Engineering Society.
Amené à étudier l'eau via la biochimie,
ses découvertes sont révolutionnaires
car elles expliquent enfin bon nombre
de mécanismes de l'eau jusqu'ici
ignorés, survolés, ou mal compris.
Le quatrième état de l'eau est son
troisième livre (chacun ayant été
primé), et son premier publié en
français.
Ce qu'ils en disent

« Le livre de science le plus intéressant que j'aie jamais lu. Cela m'a
montré qu'il est encore possible d'établir quelque chose de vraiment
nouveau dans la science. »
- Zhiliang Gong, Université de Chicago.

« La découverte scientifique la plus importante de ce siècle. Ce qui me


frappe avant tout, c'est l'élégante simplicité de l'approche expérimentale
[de Pollack]. Beaucoup d'expériences peuvent être faites sur une table
de cuisine, et vous n'avez même pas besoin d'un microscope pour voir les
résultats. »
- Mae-Wan Ho, auteur, Living Rainbow H20; directeur, lnstitute of
Science and Society, Londres.

« L'un des pionniers dans ce domaine, on peut s'attendre à ce que ses


découvertes aient des implications importantes. »
- Brian Josephson, Prix Nobel, Université de Cambridge.

« Des idées révolutionnaires. Ce qui m'impressionne le plus, c'est que les


expériences sont visuellement accessibles instantanément. »
- Helmut Roniger, médecin consultant

« Je blâme Pollack pour mon manque de sommeil chronique de


la semaine dernière. Dévorer son livre m'a inspiré un nouvel élan
d'enthousiasme pour la science. »
- Jason Gillen, massothérapeute, Sydney Australie.

« Le penseur le plus original que j'aie jamais rencontré. »


- Csaba Galambos, Université du Colorado

« Einstein n'a rien de plus que Pollack. Pollack possède une habileté
étrange pour identifier les bonnes questions et saisir des idées simples. »
- Cap. T.C. Randol/, auteur, Forbidden Healing
«C'est comme avoir de nouvelles lunettes! La clarté est stupéfiante. »
- Charles Cushing, scientifique

«Imprescriptible. »
- Nigel Dyer, Université de Warwick, Royaume-Uni.

« Aussi captivant qu'un roman de Dan Brown ... ce livre a un style


folklorique qui, je le sais, sera très populaire. »
- David Anick, Université de Harvard

« Au chapitre 5, f étais sous le charme. À la fin, f ai été tellement captivé


par les implications que f ai souhaité pouvoir recommencer dans la
science et suivre la nouvelle voie que ce travail a tracé. »
- Kathryn Devereaux, rédactrice scientifique, UC Davis

«Avec équilibre et grâce, Pollack semble s'être rapproché le plus d'une


vision «unifiée» de la matière à travers le point de vue de l'eau. »
- John Fellows, scientifique indépendant

« Ce livre étonnant a changé ma compréhension de tous les processus


qui se déroulent dans l'eau et que f étais sûr de connaître - la
compréhension qui a dicté mes nombreuses années d'enseignement et
organisé mes recherches. Je dois maintenant accepter la démonstration
selon laquelle l'eau n'est pas seulement un milieu dans lequel se
produisent la physique et la chimie, mais une machine qui alimente et
gère la physique et la chimie. »
- Martin Canny, Université nationale australienne

«Brillant ! Lisez d'abord le dernier chapitre. »


- Molly McGee, Université de Washington
LE
'
QUATRIEME
,
ETAT
DE LEAU
LE
'
QUATRIEME
,
ETAT
DE L'EAU

Au-delà de l'état
solide, liquide ou vapeur

GERALD H. POLLACK
préface de Marc Henry
Collection « Recherches» dirigée par Médéric Degoy

Copyright© 2013 Gerald H. Pollack


Pour la traduction française © 2019 par les Éditions Extraordinaires
Traduit de l'anglais (américain) par Médéric Degoy et Renaud Joseph ; relu par
Catherine Ruff.
Composé en Arsenal 10,4pt
Illustration de couverture: Ethan Pollack; graphisme: Christine Degoy
Mise en page : Christine Degoy, Amanda Fredericks et Ethan Pollack
Illustré par Ethan Pollack

Publié par les Éditions Extraordinaires, Place Ramon Lull 66500 Prades, France
www.editionsextraordinaires.fr- +33 (0)977400595 - contact@edextrao.fr
Edition de octobre 2019; dépôt légal octobre 2019
Achevé d'imprimer Par Spektar en août 2019 ; imprimé en Europe, distribué par
Pollen.

ISBN 978-2-490769-04-9

Tous droits réservés. Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée
dans un système de recherche documentaire ou transmise sous quelque forme ou par
quelque moyen que ce soit, électronique, mécanique, photocopie, enregistrement ou autre,
sans le consentement écrit préalable de l'éditeur.
À Gilbert Ling

qui m'a appris que l'eau dans une cellule


n'avait rien à voir avec celle dans un verre,

et dont le courage a été pour moi


une source d'inspiration constante.
Remerciements
Comme un enfant élevé par une communauté, la rédaction de ce livre n'a été
rendue possible que par le dévouement d'un grand nombre de personnes plus ou
moins liées les unes aux autres.
Il faut citer au premier plan Gilbert Ling qui fut le premier à éveiller mon
intérêt pour l'eau grâce à ses contributions monumentales. Ling est largement en
avance sur son temps. Son travail d'avant-garde a ouvert les yeux de nombreux
scientifiques sur le fait que l'eau n'était pas un simple support pour les molécules
de la vie, mais qu'elle jouait un rôle central dans tous les processus de la vie.
Malheureusement, ses nombreuses contributions n'ont pas été reconnues, et sa
volonté de remettre en cause des principes scientifiques a fait de lui un paria.
Ce chercheur n'a jamais cessé de m'inspirer depuis la première fois que je l'ai
rencontré au milieu des années 1980 ; si quelqu'un est responsable de la création
de ce livre, c'est bien Gilbert Ling.
La deuxième est Vladimir Voeikov, de l'Université de Moscou. Il existe peu de
domaines scientifiques au sujet desquels Vladimir n'est pas un érudit, et je dois
avouer qu'un grand nombre des questions traitées dans ce livre tirent leur origine
de conversations avec lui. Ses vastes connaissances ont élargi mon champ de
vision. Je tiens également à le remercier pour les merveilleux plats russes qu'il m'a
fait découvrir lors de mon séjour à Saint Pétersbourg; l'association des pelmeni
(raviolis Russe à pâte fine) et de la vodka a réveillé ma créativité avec tant de force
que l'on a dû s'en rendre compte jusqu'à Chicago.
Je souhaite également remercier trois personnes dont je dresse la liste par
ordre chronologique de leurs contributions.
La première, Brandon Reines, m'a aidé avant même que nous nous rencon-
trions. Brandon et moi correspondions depuis longtemps déjà pour discuter de
science quand, un jour, il souleva une question délicate ; je lui suggérai alors de
lire la première ébauche de mon futur livre où il pourrait trouver sa réponse. Bran-
don accepta de relever le défi. Une fois qu'il eut fini, il m'écrivit pour me dire que ce
livre était trop appétissant : si un sundae nappé de chocolat chaud constitue un
dessert parfait, en engloutir une quinzaine devient mauvais pour la digestion. La
participation « culinaire » de Brandon vous épargnera la lecture de chapitres sur
des sujets allant de« Comment les oiseaux volent-ils?» (pas comme vous le pen-
sez) jusqu'à« Pourquoi la durée de vie des espèces varie-t-elle de quelques jours à
plusieurs milliers d'années?» Je réserve ces questions et divers autres sujets pour
des livres à venir. Brandon s'est révélé incroyablement utile pour rendre la lecture
de chaque chapitre agréable, pour trouver des titres qui ne provoquent pas de
bâillements, et pour tout un tas de raisons qui ont apporté une vraie différence.
Pour cela, mes lecteurs et moi lui sommes très reconnaissants.

X
La seconde personne est un artiste, mon fils Ethan Pollack. Dessinant déjà
à l'âge de quatre ans, Ethan a poursuivi dans cette voie en étudiant la sculpture
à l'Université de Syracuse puis il a profité d'un séjour à Florence pour développer
son talent; Ethan a également étudié à New York auprès de Jeff Kaons, un artiste
de classe mondiale, avant de finalement retourner vivre à Seattle. Travailler à
ses côtés a été un pur délice. Ethan a montré une grande compréhension des
concepts scientifiques évoqués, une grande sensibilité, une créativité inhabituelle
et une aptitude particulière à prêter attention aux détails, et il n'a cessé de se
dévouer à la réussite de ce projet. Si vous trouvez que les concepts abordés dans
ce livre sont clairs et agréablement illustrés, c'est Ethan que vous devez remercier.
Enfin, j'aimerais exprimer mes remerciements à mon éditeur, Don Scott. Don
est sans conteste l'une des personnes qui s'expriment le mieux dans mon entou-
rage. Philosophe par éducation et avocat de formation, Don a un goût particulier
pour les mots. Sans réellement comprendre comment il faisait, il a toujours su
deviner ce que j'essayais maladroitement d'exprimer, et m'a aidé à reformuler les
phrases lourdes que j'avais tenté de rédiger. Don a montré une faculté troublante
à saisir la logique dans des domaines qui n'appartiennent pas à son champ
d'expertise. Si vous jugez qu'il demeure des points obscurs dans ce livre, c'est
probablement à cause de mon entêtement à ne pas tenir compte de ses conseils.
En plus de ces principaux contributeurs, j'ai bénéficié des avis de trois
cohortes de relecteurs dont l'une se composait de mes propres collègues de labo-
ratoire. Ces derniers ne se sont jamais gênés pour me montrer les parties du livre
avec lesquelles ils n'étaient pas d'accord. Plusieurs d'entre eux ayant manifesté un
certain embarras vis-à-vis de conclusions qui leur paraissaient peu orthodoxes,
j'ai voulu être clair sur le fait que cette responsabilité m'incombait totalement.
Les commentaires incisifs qu'ils ont exprimés lors de pauses déjeuners ainsi que
leurs annotations m'ont aidé à affiner la version finale, notamment plusieurs des
chapitres les plus difficiles. Il va sans dire que leurs nombreuses contributions
expérimentales forment le squelette de ce livre.
Certains étudiants se sont également révélés précieux. Mon laboratoire attire
un groupe assez considérable de chercheurs bénévoles encore étudiants. Pour
nombre d'entre eux, l'expérimentation ressemble davantage à un jeu qu'à du tra-
vail : nous fournissons les jouets, et ils se servent de leur imagination pour réaliser
des expériences que les scientifiques « adultes » n'oseraient peut-être même pas
imaginer. Les étudiants adorent ces expériences, et plusieurs d'entre eux ont
obtenu des résultats totalement inattendus, parfois même fondamentaux. Ce
livre présente ces découvertes en détail. En plus de leurs contributions expéri-
mentales, de nombreux étudiants ont pris la peine de lire et critiquer des versions
successives de ce texte, et je leur adresse mes plus sincères remerciements.

xi
Outre ces deux groupes de relecteurs, un grand nombre de collègues à travers
le monde ont lu les premières ébauches de ce livre. Ces collègues sont chimistes,
physiciens, ingénieurs ou biologistes et certains même non-scientifiques ; beau-
coup y ont consacré des heures. Leurs conseils collectifs m'ont évité de m'égarer
trop loin ; ils m'ont également aidé à structurer cet ouvrage, une tâche moins
simple qu'il n'y paraît. Certains m'ont dit que l'objectif de ne faire qu'un seul livre
pour expliquer la totalité de la science de l'eau était impossible : chaque chapitre
pourrait faire l'objet d'un livre entier, et trouver un juste équilibre entre lisibilité et
longueur s'est avéré particulièrement difficile.
Je tiens à remercier les membres de ma famille pour tout un tas de raisons
différentes. À ma partenaire dans la vie, Emily Freedman, je dois faire des excuses
publiques: je n'ai pas tenu la promesse que j'avais faite dans mon précédent livre,
à savoir que le suivant serait plus court et qu'il prendrait moins de mon temps.
Ce livre est plus long, et d'autres sont déjà en cours. Emi s'est montrée excep-
tionnellement compréhensive face aux exigences d'un projet de cette ampleur,
et elle a montré la patience d'un ange. Les autres membres de ma famille m'ont
également apporté leur soutien : Mia, qui s'est pratiquement fait un devoir de
détacher son père d'un ordinateur parfois hypnotique ; Ethan, qui a toujours
gracieusement accepté de retoucher ses dessins à chaque fois que je le lui ai
demandé sans jamais se départir de sa bonne humeur; et Seth, qui s'est amusé de
me voir répondre à toutes ses questions par cette réponse:« eau structurée». Je
ne vois pas comment ma famille aurait pu m'encourager davantage durant cette
longue aventure.
J'ai évoqué plus haut ces cohortes de relecteurs, et j'aimerais dresser la liste
de ceux qui m'ont aidé à rédiger le présent livre : étudiants, chercheurs, scien-
tifiques et profanes. L'.aide qu'ils m'ont apportée dépasse souvent leur statut
académique ; je vais donc citer ces contributeurs par ordre alphabétique, et s'il
m'arrivait d'omettre un nom, que l'on veuille bien m'en excuser.
Je remercie les personnes suivantes : Peter Allen, Brandon Bowman, Brian
Biccum, Frank Borg, Binghua Chai, Ruying Chen, Daniel Chiang, Chi Chuang, Cara
Comfort, Charles Cushing, Ronnie Das, Ken Davidson, James deMeo, Aparajeeta
Duttchoudhury, Nigel Dyer, Collin Eddington, Xavier Figueroa, Herb Fleschner, Ben
Flowers, Emily Freedman, Gonzalo Garcia, Karl Gatterer, Matthew Gel ber, Krystal
Ginter, Matias Gonzalez, Ron Griffin, John Grigg, Zhanna Grigoryan, Emmanuel
Haven, Mae-Wan Ho, Arie Horowitz, Linda Hufnagel, Breanna Huschka, John
Hwang, Federico lenna, Hiromasa lshiwatari, Tengiz Jaliashvili, Mana! Jmaileh,
Konstantin Korotkov, Ethan Kung, Kurt Kung, Victor Kuz, Alysia Letourneau,
Zheng Li, Molly McGee, Lior Miller, Francesco Musumeci, Kylie van Nguyen, Derek
Nhan, Gabriela Patilea, Bernard Pennock, Ari Penttila, Orion Polinsky, Ethan Pol-
lack, Seth Pollack, Sylvia Pollack, Leo Ramakers, Randy Randall, Sudeshna Sawoo,

xii
Rainer Stahlberg, Clint Stevenson, Heather Swain, Masaaki Takarada, Shrutee
Tandon, Yolene Thomas, Tony Thomson, Merry Toh, Gerard Trimberger, Karoly
Trombitas, Outi Villet, Vladimir Voeikov, Jacob Waller, Jeff Yang, Hyok Yoo, et
Rolf Ypma. Trois d'entre eux, Cara Comfort, Charles Cushing et Rolf Ypma, y ont
consacré un temps et des efforts considérables.
Enfin, je remercie Amanda Fredericks pour sa créativité et le soin qu'elle a
porté aux détails.
La réalisation de ce livre a nécessité les efforts combinés d'une vaste commu-
nauté d'individus consciencieux et réfléchis, et j'aimerais remercier tous ceux qui
y ont participé.

xiii
Préface

Cette traduction française du livre de Gerald H. Pollack concernant le


quatrième état de l'eau était attendue depuis 2013, date de parution de l'édition
anglaise à Seattle. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, rappelons que
Jerry est célèbre dans le monde entier pour avoir découvert la zone d'exclusion
ou« ZE » (abrégée EZ en anglais pour« Exclusion Zone») qui se développe dès
que l'eau entre en contact avec une surface hydrophile. Pour bien marquer les
esprits, Jerry appelle cette forme d'eau liée aux interfaces « l'EZ-water » qui se
prononce phonétiquement« iziouateur ». Ceux qui parlent anglais reconnaîtront
là un humour typiquement anglo-saxon, puisqu'une telle expression anglaise qui
peut se traduire en français par « eau de la zone d'exclusion », peut aussi être
phonétiquement interprétée comme « easy-water », c'est à dire une eau qui ne
pose pas de problème. Lorsqu'on connaît véritablement /'histoire de l'eau ZE,
appelée autrefois « eau liée », rien n'est plus faux, d'où une certaine ironie du
terme qui s'apparente à un oxymore. En effet, l'eau est en fait un liquide très
complexe dont les propriétés étonnantes ne peuvent être vraiment comprises que
dans le cadre de la physique quantique relativiste et lui accoler le mot « easy »
suggérant une idée de simplicité ou de facilité pourra faire sursauter de surprise
plus d'un expert de l'eau. Pour ceux qui ne le savent pas encore, /'inspirateur de
Jerry était le physiologiste cellulaire et biochimiste Gilbert Ling, dont les idées
révolutionnaires ont été introduites et propagées en France par la biologiste
Pascale Mentré via son excellent livre intitulé « L'eau dans la cellule » (Masson,
1995). À cette époque, l'EZ-water s'appelait encore « eau interfacia/e » ou
plus rarement « eau vicinale » et Jerry n'avait pas encore découvert toutes les
propriétés extraordinaires de ce quatrième état de l'eau sans lequel aucune forme
de vie ne pourrait exister. C'est ma rencontre avec Pascale Mentré en 2003 dans
le cadre des premières journées toulousaines de l'eau magistralement organisées
par le vétérinaire Jean-Yves Gauchet, rédacteur en chef de la revue« H2o mon
amour » qui m'a fait découvrir ce nouvel état de l'eau. Suite à /'insistance du
vidéaste Rodolphe Forget de donner un nom moins barbare à cette eau, source
de vie, elle fut rebaptisée pour le public français « eau morphogénique » en
2012, juste avant la sortie du livre de Jerry. Les lecteurs intéressés par cette
histoire pourront consulter le livre « L'eau qui nous relie » publié par Rodolphe en
2018 et qui retrace /'histoire de notre collaboration démarrée avec les journées

xiv
toulousaines de l'eau de septembre 2009. Les plus scientifiques pourront quant à
eux consulter le chapitre 2 de mon livre intitulé « L'eau et la physique quantique »
(Dong/es, 2016).

Tout ceci pour dire ma grande satisfaction de voir ce livre consacré au


quatrième état de l'eau (qu'elle soit El ou morphogénique) enfin traduit en
français, et qui devient donc accessible à un public francophone ne maîtrisant
pas les subtilités de l'anglais. Baignant dans le sujet depuis 2003, je me
permettrais de faire un petit rappel historique qui aura le mérite de bien recadrer
la contribution de Jerry à une biologie du XX/ème siècle basée sur la science de
l'eau et défendue avec acharnement par des personnages aussi illustres que
Barry Ninham en Australie, Ernst Zürcher en Suisse, Gilbert Ling et Gerald Pollack
aux USA, Giuliano Preparata (t), Emilio de Giudice (f) et Giuseppe Vitiello en
Italie ainsi que Jacques Benvéniste (f) et Luc Montagnier en France.

L'affaire démarre dans les années 1920-1930 avec les expenences de


l'agronome américain Ross Aiken Gortner qui dirigea la division de chimie agricole
de l'université du Minnesota de 1917 à 7942. Dans une expérience cruciale, il prend
des graines de lampourde glouteron (Xanthium strumarium var. glabratum) qui
contiennent 8 à 9% de poids d'eau et dont la teneur en sels ne permet de fournir
qu'une faible pression osmotique1 et constate avec stupeur que ces graines sont
capables d'extraire l'eau d'une solution saturée de chlorure de lithium2 présentant
une pression osmotique cent fois plus forte3. JI remarque aussi que la sève de
certaines plantes peut développer des pressions osmotiques dues aux solutés
é/evée4, mais que cette dernière semble ne jouer qu'un rôle très mineur dans
certains xérophytes extrêmes comme le cactus, capables de capter l'eau même
dans des conditions très sèches. De fait, si après avoir coupé des tiges de cactus
et scellé à la cire les zones coupées, on place ces tiges pendant 6 mois dans un
dessiccateur contenant de l'acide sulfurique concentré, on ne constate qu'une
perte d'eau de l'ordre de 10% du poids sans aucune altération des capacités
germinatives de la plante. Ceci met bien en évidence que l'eau dans une cellule ne
se comporte pas du tout comme de l'eau liquide : si cela était vrai, notre pauvre
cactus devrait être complètement déshydraté en quelques jours... D'où l'idée de
/'existence d'une certaine forme d'eau intracellulaire qui sera qualifiée par Gortner

1. Pression des échanges à travers les membranes cellulaires; ici,« faible» indique une
pression de quelques atmosphères seulement, soit quelques fois plus que la pression
ambiante normale
2. solubilité de 832 g·L- 1
3. voisine de 966 atmosphères, soit près de 1000 fois plus que la pression ambiante normale
4. parfois aussi élevée que 172 atmosphères

XV
d'eau « liée » par opposition à l'eau « libre » que l'on trouve dans les vacuoles des
cellules végétales.
Mais l'affaire se corse en 1930 lorsque Je prix Nobel de médecine (1922)
Archibald Vivian Hill démontre de manière « définitive », à J'aide d'expériences
sur des muscles de grenouilles, que /'existence d'une eau intracellulaire ayant des
propriétés différentes de l'eau liquide était en fait une chimère. En fait, lorsque
les mêmes mesures furent refaites en 1970 par Gilbert N. Ling sur toute la gamme
d'activité de J'eau 5, ce dernier trouva en fait qu'il n'y avait nulle trace d'eau
liquide dans le muscle. Le drame fut que 40 années s'étaient écoulées depuis
les expériences " définitives » de A. V. Hill, durant lesquelles toute une nouvelle
génération de biologistes était apparue, acceptant le dogme du petit sac d'eau
liquide délimité par une membrane semi-perméable obéissant à la rassurante
équation de van't Hoff. Un tel dogme a bien évidemment très vite rendu obligatoire
dès 1941 la notion de pompes ioniques fonctionnant 24h sur 24 au moyen d'ATP
et assurant le passage des ions à travers la membrane : il se trouve que le milieu
intracellulaire est riche en ions potassium6 et pauvre en ions sodium ou chlorure,
alors que le milieu extracellulaire est au contraire pauvre en ions potassium 7 et
riche en ions sodium ou chlorure. Le problème soulevé à l'époque par Gilbert Ling
est que si l'on compare l'énergie disponible en ATP dans la cellule et le travail
nécessaire pour pomper les ions sodium contre le potentiel membranaire, on
constate des déficits énergétiques compris entre 1500 et 3000%. Des mesures
indépendantes faites concernant le transfert du potassium ont confirmé que le
coût de fonctionnement d'une pompe ionique était démesuré, compte tenu des
capacités de production d'ATP de la cellule.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, cette violation flagrante du premier
principe de la thermodynamique par la cellule n'est évoquée et discutée en France
que dans le livre de Pascale Mentré et dans les livres de Gilbert N. Ling et de Gerald
H. Pollack aux USA. En fait la solution à ce paradoxe est extrêmement simple et
repose sur le fait que l'eau intracellulaire est structurée en multicouches et
ne se comporte donc pas du tout comme l'eau liquide que nous connaissons
tous. L'ion sodium se trouve spontanément exclu du milieu intracellulaire: pour y
pénétrer, cela supposerait qu'il perde sa première couche d'hydratation fortement
liée. À J'inverse pour l'ion potassium, sa première couche d'hydratation étant
beaucoup plus labile, il peut se frayer un chemin dans l'eau interfaciale polarisée
en multicouches pour venir s'adsorber sur les sites chargés des résidus glutamate
et aspartate des protéines. Dans cette optique, les pompes ioniques, véritables
5. 0,043 ~ aw ~ 0,996
6. ions potassium 140 mM; ions sodium 5 mM; ions chlorure 5-15 mM
7. ions potassium 5-15 mM, ions sodium 145 mM, ions chlorure 110 mM

xvi
démons de Maxwell de la cellule, sont donc parfaitement inutiles : la membrane
n'est pas là pour empêcher la fuite du potassium vers le milieu extracellulaire
mais simplement pour définir des véritables postes frontière (protéines inter-
membranaires) destinés à contrôler et réguler le passage des électrolytes. Cette
vision des choses est cohérente avec l'expérience du muscle coupé de Gilbert N.
Ling qui montre que le potassium reste dans le milieu intracellulaire même si l'on
retire la membrane cellulaire.

C'est dans ce contexte que Gerald Pollack et son équipe de recherche vont
étudier les propriétés de l'eau interfaciale, rebaptisée« El-water» dès 2010 suite
à /'observation au microscope optique d'une zone d'eau au voisinage de polymères
hydrophiles excluant de manière systématique les col/aides et les sels. Jerry est
très intrigué par ce phénomène inexplicable dans Je cadre d'une chimie colloïdale
conventionnelle qui prévoit qu'une telle zone d'exclusion devrait s'étendre sur
quelques couches moléculaires tout au plus. Or il observe dans son microscope
des zones faisant au moins un quart de millimètre d'épaisseur, correspondant
donc à plusieurs centaines de milliers de couches moléculaires. Pollack et ses
collègues vont ainsi éliminer une à une toutes explications conventionnelles. Ils
démontrent aussi que /'El-water (eau-lE en français) présente un maximum
d'absorption de la lumière à une longueur d'onde de 270 nanomètres et émet
moins de radiations infrarouge que l'eau normale. Cette eau possède aussi une
viscosité plus élevée ainsi qu'un plus fort indice de réfraction et présente un
pH acide, signe de /'existence de protons en excès venant contrebalancer une
charge négative intrinsèque. Pour Jerry, toutes ces expériences l'amènent à la
conclusion que la zone d'exclusion contient de l'eau sous la forme d'un cristal
liquide constitué de feuillets hexagonaux de molécules d'eau empilés les uns
sur les autres et présentant un rapport oxygène sur hydrogène de 2:3. Par des
expériences très ingénieuses, Jerry et son équipe montrent que la séparation de
charge est provoquée par des rayonnements infrarouges (la zone d'exclusion
disparaît dès que /'échantillon est protégé des radiations extérieures).

Tout ceci est très bien expliqué dans ce livre et permet à Jerry de réexaminer
à la lumière de sa nouvelle théorie des faits que l'on croyait bien compris comme
la formation des nuages, l'action capillaire, la formation de givre ou de bulles, le
mouvement Brownien ou encore la tension superficielle. Le lecteur trouvera dans
ce livre des explications nouvelles et très originales de tous ces phénomènes et de
bien d'autres qui pourraient sembler extraordinaires voire inexplicables. Toutes
les nouvelles explications avancées par Jerry ont le mérite de ne pas faire appel à
des forces supernaturel/es ou paranormales. La question se pose donc de savoir
pourquoi ce quatrième état de l'eau reste ignoré de la plupart des scientifiques.
La raison semble tenir au fait que si la théorie de Jerry s'avère exacte, alors il

xvii
convient de réhabiliter des scientifiques vilipendés dans le passé pour avoir
suggéré que l'eau pouvait exister dans un état différent de ceux reconnus
conventionnement (vapeur, liquide ou solide). Il conviendrait donc de réhabiliter
les travaux de Nika/ai Fedyakin et Boris Oerjaguin dans les années 1960 sur
l'eau polymérisée, ou encore ceux de Jacques Benvéniste dans les années 1980
suggérant que l'eau pourrait bien avoir une mémoire. Ce livre contribue donc à un
changement de paradigme considérable qui pourrait révolutionner la biologie
cellulaire, la physiologie des plantes, la signalisation chimique et bien sûr la
médecine telles qu'elles sont pratiquées aujourd'hui. En effet, même si Jerry ne le
mentionne pas explicitement, le nouveau paradigme sous-tendu par ce livre est
que toute matière hydratée possède de manière intrinsèque une certaine forme
de« conscience», ce qui nous renvoie à une vision chamanique et holistique du
monde que l'on croyait avoir définitivement vaincue et éradiquée au dix-septième
siècle avec /'avènement de la science moderne. Pour une grande majorité des
scientifiques (dont je ne fait pas partie évidemment) un tel retour en arrière
vers une vision animiste du monde est non seulement insupportable mais aussi
inacceptable.

Toutefois, comme Jerry est un scientifique reconnu, et l'un des meilleurs


qu'il m'ait été donné de connaître, la seule manière de ne pas propager ses idées
révolutionnaires serait de leur associer le qualificatif de« pseudo-science », terme
dérivé du vocabulaire positiviste ou néo-positiviste introduit par Rudolf Carnap et
Otto Neurath en 1928 à propos de "pseudo-énoncés», des propositions logiques
qui relèvent d'un langage étranger à la science physique ou qui ne renvoient
pas à des expériences sensibles. Il ne faut donc pas tomber dans le piège des
positivistes qui veulent nous faire croire que tout est matière et que tout ce qui
se passe hors de notre regard est pure invention, charlatanisme ou escroquerie.
L'enjeu est ainsi considérable entre ceux qui rejettent l'idée que l'invisible puisse
agir sur le visible et ceux qui pensent au contraire que cela est non seulement
possible mais aussi que la matière est une illusion tenace dont il est bien difficile
de se débarrasser. Le livre de Jerry, bien ancré dans le concret et le réel d'un côté
mais aussi ouvrant des portes vers le subtil et le non matériel, est un parfait
exemple de ce que sera la science de demain : une science ouverte à tous et
capable de voir dans des phénomènes très ordinaires des choses extraordinaires
et merveilleuses se déroulant en arrière-plan dans un monde inaccessible à nos
sens physiques. Bonne lecture et bonne science.

Marc Henry, professeur à l'Université de Strasbourg


Strasbourg, mai 2019

xviii
xix
Sommaire

Remerciements X

Préface xiv
Préambule xxiii
Bestiaire xxxii

1ère partie: Un pavé dans la mare: présentation des faits


1. Les mystères nous entourent 3
2. Le comportement social de Hp 13
3. L'énigme de l'eau interfaciale 25

2ème partie: La vie secrète de l'eau


4. Un quatrième état de l'eau ? 45
5. Des batteries à base d'eau 71
6. Recharger la batterie à eau 85
7. L'eau, moteur de la nature 103

3ème partie: Ce qui agite l'eau agite le monde


B. Un attracteur universel 125
9. La danse de Brown : quand l'énergie produit des mouvements 747
10. Chaleur et température: un nouvel éclairage sur des anomalies thermiques 163
11. Osmose et diffusion ne se réalisent pas toutes seules 183
4ème partie : Formes aqueuses dans la nature
12. Le pouvoir de l'eau protonée 203
13. Gouttes et bulles, les sœurs aqueuses 221
74. Naissance d'une bulle : le passage à la maturité 233
15. Des nuages au-dessus de votre café : la remarquable nature de /'évaporation 255
16. Trampolines aquatiques: les couches de surface 281
17. Glace et chaleur 305

5ème partie : En somme : les clés des mystères du monde


18. Les lois secrètes de la nature 329

Références 342
Crédits photos 349
Glossaire 350
Préambule

Un lauréat du Nobel était assis dans mon salon. Il semblait mal à l'aise et
j'étais moi-même intimidé, une situation parfaite pour créer un certain embarras ;
c'était un peu comme essayer de parler de la pluie et du beau temps avec Einstein.
Qu'auriez-vous fait?
Sir Andrew Huxley était un Nobel parmi les Nobel. Il avait effectué des travaux
sur les membranes cellulaires, et lorsqu'eut lieu notre entrevue, il était devenu
la référence dans le domaine de la contraction musculaire. Sir Huxley avait de
nombreux titres et il était notamment président de la Royal Society et doyen du
Trinity College de Cambridge; en outre, la reine d'Angleterre l'avait élevé à l'ordre
du Mérite. Il était également membre de la prestigieuse famille Huxley, une famille
qui a vu naître le fameux biologiste Thomas Henry Huxley (« le bouledogue de
Darwin » ), et !'écrivain visionnaire Aldous Huxley. Et c'était chez moi, dans mon
humble salon, qu'était assis cet imposant aristocrate scientifique.
Aucun d'entre nous n'osa aborder de front la question qui fâchait pendant
ce moment embarrassant : nos résultats expérimentaux obtenus en laboratoire
démontraient que la théorie de mon invité était peut-être erronée, et lui-même
était venu vérifier nos travaux réalisés plus tôt dans nos installations. Ainsi, alors
que nous bavardions dans mon salon, nous évitions d'évoquer ce sujet épineux
pour parler du temps qu'il faisait et d'autres banalités. Même après quelques
verres de sherry à fin de lubrification sociale, il était vraiment difficile de se lan-
cer; après tout, Huxley était un oracle scientifique, presque une divinité.
Des personnages imposants comme Huxley sont toujours intimidants ; tou-
tefois, il ne faut pas oublier que même les scientifiques les plus renommés restent
des êtres humains: ils mangent les mêmes choses que nous, partagent les mêmes
passions, et sont sujets aux mêmes manies. Nous pouvons nous émerveiller de
leur perspicacité et de leurs contributions, mais nous ne devons pas nous sentir
obligés de considérer leurs travaux comme dénués d'erreur ou absolus; il est rare
qu'un énoncé scientifique soit sacré.
Considérer un énoncé scientifique comme sacré est une grave erreur. Un cadre
de référence doit reposer sur de solides fondations basées sur des observations
expérimentales plutôt que sur des énoncés sacrés, faute de quoi le produit fini
pourrait bien ressembler aux subtiles impossibilités de Maurits Cornelis Escher,
quelque chose que personne ne souhaite. Même les modèles qui existent depuis

xxiii
longtemps restent vulnérables s'ils ne parviennent pas à apporter une compré-
hension simple et satisfaisante des phénomènes observés. L.'.histoire de Galilée
nous enseigne que lorsqu'un modèle bien établi a besoin du soutien d'« épicyles »
élaborés pour s'accorder aux observations empiriques, il est temps de chercher
un modèle plus simple.
Ce livre a pour objectif d'élaborer une base solide pour une nouvelle science
de l'eau, qui tire son origine de récentes découvertes. Ces nouvelles conceptions
permettent de proposer un cadre de référence doté d'un fort pouvoir prédictif :
les phénomènes de tous les jours deviennent parfaitement explicables sans avoir
recours à des tours de passe-passe. Mais ce n'est pas tout : en élaborant ce
nouveau cadre, nous avons établi quatre nouveaux principes scientifiques qui
ne s'appliqueront peut-être pas seulement à l'eau mais aussi à l'ensemble de la
nature.
L.'.approche que je propose ici n'est donc pas une approche conventionnelle.
Elle n'est pas construite selon les principes de « l'opinion dominante » ; elle n'ac-
cepte pas non plus aveuglément tous les principes fondamentaux actuels comme
intrinsèquement valides. Au lieu de cela, elle revient aux sources de la science et
repose sur des observations, une logique simple, et les principes chimiques et
physiques les plus élémentaires. Un exemple : lorsque vous observez la vapeur
qui s'élève de votre tasse de café, vous pouvez réellement voir les volutes de
vapeur. Que cela vous dit-il à propos de la nature du processus d'évaporation ?
Les principes fondamentaux actuels suffisent-ils à expliquer ce que vous voyez?
Ou doit-on commencer à chercher ailleurs? (Vous comprendrez de quoi je parle
en lisant le chapitre 15).
Certains pourront trouver cette approche quelque peu irrévérencieuse du fait
qu'elle ne rend pas hommage aux« dieux» de la science; pour ma part, je pense
qu'elle constitue la meilleure voie pour une compréhension intuitive de la nature,
une compréhension que même les profanes pourront apprécier.
Je ne suis pas né avec une mentalité de révolutionnaire; en fait, j'étais même
quelqu'un de très conventionnel. Lorsque j'étudiais le génie électrique, je prenais
soin de venir habillé correctement en cours et veillais à me montrer toujours
respectueux des autres. Lorsqu'il y avait une fête, je portais une cravate et une
veste, comme mes pairs. Nous ressemblions autant à des révolutionnaires qu'à
des membres d'un club de couture pour grand-mères.
C'est seulement lorsque j'ai fréquenté l'Université de Pennsylvanie que
quelqu'un a planté en moi les graines de la révolution. À l'époque, mes études
portaient sur la bio-ingénierie. Si je trouvais la composante ingénierie plutôt
rébarbative, la partie biologie apportait une bouffée d'air bienvenue. Celle-ci me
paraissait prometteuse : une science très dynamique et pleine de promesses pour

xxiv
l'avenir. Néanmoins, aucun de mes professeurs de biologie ne nous a jamais laissé
entendre que des étudiants comme nous pourraient un jour être à l'origine de
découvertes majeures ; notre rôle allait consister à ajouter de la chair fraîche sur
un squelette déjà existant.
Je pensais donc que faire de la science consistait à annexer des morceaux
de chair de temps à autre, jusqu'à ce qu'un collègue déclenche un voyant rouge.
Tatsuo lwazumi est arrivé à l'Université de Pennsylvanie peu de temps avant que
j'obtienne mon doctorat. J'avais réalisé une simulation grossière de la contraction
cardiaque sur ordinateur en me basant sur le modèle d'Huxley, et lwazumi devait
continuer mes travaux. « Impossible ! » me dit-il. Manquant de la déférence si
caractéristique de la plupart des Japonais que je connaissais, lwazumi me déclara
sans détour que ma simulation ne servait à rien : étant donné qu'elle reposait
sur la théorie acceptée de la contraction musculaire, le mécanisme théorique ne
pouvait pas fonctionner. «Ce mécanisme est intrinsèquement instable, continua-
t-il, si un muscle fonctionnait réellement de cette manière, il s'envolerait lors de
sa toute première contraction. »
Waouh ! Remettre en question la théorie du muscle d'Andrew Huxley ?
Impensable.
Bien que (feu) lwazumi fut un étudiant brillant dans tous les domaines et
qu'il arrivait avec des références impeccables de l'Université de Tokyo et du MIT,
il n'était manifestement pas d'accord avec le légendaire Sir Andrew Huxley. Com-
ment un prix Nobel si distingué aurait-il pu se tromper? On nous avait appris que
les mécanismes scientifiques énoncés par ces sages étaient des vérités aussi bien
théoriques que pratiques, et voilà que ce jeune étudiant japonais effronté me
disait que cette vérité particulière était non seulement erronée, mais impossible.
Malgré ma réticence, il me fallut bien admettre que l'argument d'lwazumi était
plutôt convaincant: clair, logique et simple. Pour autant que je le sache, personne
ne l'a contesté à ce jour. Ceux qui découvrent cet argument pour la première fois
en saisissent rapidement la logique, et nombreux sont ceux qui s'avouent surpris
par sa simplicité.
Pour moi, cette rencontre a constitué un tournant dans ma vie. Elle m'a mon-
tré qu'un argument logique pouvait l'emporter sur un système de croyance ancien
suivi par une armée de fidèles. Une fois réfutée, une théorie est morte, finie ;
le système de croyance s'effondre pour toujours. Adhérer éternellement à une
idée s'apparente à de la doctrine religieuse, non à de la science. Ma rencontre
avec lwazumi m'a aussi appris que réfléchir par soi-même n'était pas qu'un cliché ;
c'est un ingrédient nécessaire dans la recherche de la vérité. Et c'est précisément
cet ingrédient qui m'a amené à rencontrer Sir Andrew Huxley au sujet de notre
désaccord sur la contraction musculaire (question qui n'a jamais été résolue).

XXV
S'attaquer aux dogmes n'est pas une partie de plaisir, je suis bien placé pour
le savoir. On pourrait penser que les membres de l'establishment scientifique
accueillent chaudement toute nouvelle approche apportant un éclairage iné-
dit sur un sujet ancien, mais la plupart du temps il n'en est rien. Les nouvelles
approches dérangent l'opinion dominante. Les scientifiques conventionnels vont
se mettre sur la défensive à chaque fois qu'une initiative de ce genre menacera
leur réputation. Par conséquent, la route du trublion se révélera traîtresse, pleine
de virages dangereux et d'obstacles formidables.
J'ai réussi à survivre à ces premières années malgré ces obstacles. En équi-
librant savamment irrévérence et science conventionnelle, et en y ajoutant même
une certaine mesure d'obéissance, j'ai pu avancer et m'en sortir indemne. Même si
nos intentions étaient parfaitement claires, nous avons inauguré des techniques
qui se sont avérées suffisamment étonnantes pour permettre à mes étudiants
de dénicher de bons postes à travers le monde entier, certains d'entre eux se
hissant aux plus hauts niveaux académiques. C'est en acquérant une certaine
respectabilité que j'ai survécu au destin funeste que connaissent la plupart des
perturbateurs.
Mes centres d'intérêt ont commencé à s'élargir lorsque je suis arrivé au milieu
de ma carrière. Je me suis mis à ratisser plus large dans différents domaines scien-
tifiques, et j'ai constaté que les contradictions abondaient. Certaines des remises
en question que d'autres chercheurs soulevaient dans leur spécialité semblaient
aussi importantes que celle de la contraction musculaire.
L'un de ces défis concernait l'eau, le sujet de ce livre, et l'agitateur le plus
illustre de l'époque était Gilbert Ling. Ling avait inventé des micro-électrodes en
verre qui ont révolutionné l'électrophysiologie cellulaire. Cette contribution aurait
dû lui valoir un prix Nobel, mais Ling a commencé à avoir des ennuis quand les
résultats de ses travaux lui ont fait dire que les molécules d'eau au sein de la
cellule étaient alignées de façon ordonnée. Il était inenvisageable d'admettre
l'existence d'un tel alignement pour la majorité des biologistes et des physiciens.
Ling ne s'est pas montré avare dans le partage de ses conclusions, en particulier
avec les chercheurs susceptibles de penser différemment.
Ainsi, pour cet affront et d'autres hérésies annoncées avec force, Ling est
tombé en disgrâce. Les scientifiques les plus conservateurs l'ont qualifié de pro-
vocateur, mais moi, j'ai pensé autrement. J'ai trouvé que ses propos sur la cellule
étaient aussi cohérents que les idées d'lwazumi sur la contraction musculaire.
Il restait des points à éclaircir, mais dans l'ensemble, sa théorie paraissait fon-
dée sur des données factuelles, logiques, et il se pouvait qu'elle ait un jour une
grande portée. Je me souviens avoir invité Ling à venir faire une conférence à mon
université. Un collègue plus âgé m'a demandé d'y réfléchir à nouveau ; prenant

xxvi
une attitude très paternaliste, il m'a averti que si j'apportais mon soutien à une
figure aussi controversée, cela risquait de compromettre irrémédiablement ma
propre réputation. J'ai décidé de prendre le risque, même si cette mise en garde
m'a tracassé un bon moment.
Le cas de Ling m'a ouvert les yeux. J'ai commencé à saisir pourquoi les gens
de son espèce connaissaient tous le même destin : à chaque fois, les idées qu'ils
apportaient provoquaient un certain embarras parmi les partisans de la science
orthodoxe, et ces derniers allaient à leur tour lui causer des problèmes. J'ai aussi
pris conscience que ces remises en question étaient plus fréquentes que ce que
l'on pense généralement. Non seulement l'eau et la contraction musculaire étaient
en crise, mais on pouvait également entendre des voix dissidentes s'élever dans
des domaines très divers s'étendant de la neurotransmission à la gravitation cos-
mique. Plus je cherchais, et plus j'en trouvais. Et je ne parle pas de contestations
douteuses émises par des illuminés en quête de renommée, mais de désaccords
rationnels exprimés par des scientifiques sensés et professionnels.
Ce type de remises en questions sérieuses abondent dans la science. Il est
fort possible que vous n'en entendiez jamais parler, tout comme ce fut le cas pour
moi jusqu'à une époque assez récente, pour la bonne raison que ces discussions
passent le plus souvent inaperçues. L.'.establishment n'a pas intérêt à laisser voir
qu'il y a un défaut dans la cuirasse, et c'est pourquoi ces controverses ne sont
jamais médiatisées; il se peut même que les jeunes scientifiques débutant dans
leurs domaines respectifs ne sachent pas que leur spécialité est l'objet de pro-
fonds désaccords.
Les contestations suivent un schéma prévisible. Troublé par la complexité
d'une théorie qui s'avérerait en outre en désaccord avec ses propres observations,
un scientifique se lève pour signaler qu'il a constaté un problème, et il propose
souvent une théorie de remplacement. L.'.establishment réagit généralement en
ignorant l'intéressé. Ce procédé condamne la plupart des nouveaux modèles à
disparaître dans les ténèbres. Les quelques discussions qui connaîtront une suite
seront le plus souvent traitées avec brutalité : l'establishment écartera le trublion
avec mépris, l'accusant souvent d'avoir perdu la raison.
Il est facile de prévoir la suite: la science maintiendra le statu quo, et l'affaire
s'arrêtera là ; le cancer n'est pas guéri. La science continuera à se développer
sur des fondations de moins en moins sûres, parfois même branlantes, ainsi qu'à
produire des modèles laborieux et des manuels toujours plus lourds et bourrés
de détails parfois dénués de tout intérêt. Certains domaines sont à présent si
complexes qu'ils en sont devenus pratiquement incompréhensibles. De nombreux
scientifiques assurent que c'est ainsi que doit être la science moderne : compli-
quée, isolée et séparée de l'expérience humaine. Pour eux, le très simple lien de

xxvii
cause à effet est une caractéristique appartenant au passé qu'il faut rejeter en
faveur des corrélations statistiques complexes et modernes.
J'ai appris beaucoup à propos de notre complaisance envers la complexité
scientifique en lisant QED, le livre de Richard Feynman sur l'électrodynamique
quantique. Nombreux sont ceux qui considèrent Feynman, une figure légendaire
de la physique, comme le Einstein de la fin du 2oème siècle. Dans l'introduction de
l'édition anglaise de 2006, un physicien de premier plan écrit que le lecteur ne
comprendra probablement pas de quoi il est question dans ce livre mais qu'il faut
tout de même le lire car cela est important. J'ai trouvé cette remarque quelque
peu décourageante, mais finalement pas aussi décourageante que ce que déclare
Feynman dans sa propre introduction : « C'est mon rôle de vous convaincre de ne
pas vous détourner de ce livre parce que vous ne le comprenez pas. Vous savez,
mes étudiants en physique ne le comprennent pas non plus. Cela parce que je ne
le comprends pas moi-même. Ni personne. »
Le livre que vous tenez entre les mains propose une approche qui réfute l'idée
que la science moderne doit se situer au-delà de la compréhension humaine.
Nous nous sommes efforcés de rester le plus simple possible. S'il s'avère que les
principes actuellement acceptés par la science orthodoxe sont incapables d'ex-
pliquer facilement des observations que nous faisons tous les jours, je déclare
qu'il est temps que les masques tombent, car il se peut que ces principes soient
inadaptés. Même si nous avons parfois hérité ces principes fondamentaux de
grands noms de la science, nous ne devons pas écarter la possibilité que de nou-
veaux concepts pourraient nous aider à mieux comprendre le fonctionnement de
ces phénomènes.
Notre objectif premier est de comprendre l'eau. Pour le moment, l'eau semble
être quelque chose de compliqué. La compréhension des phénomènes du quo-
tidien nécessite souvent des entorses complexes aux grands principes et des
explications contre-intuitives, et, malgré cela, nous ne parvenons toujours pas à
en obtenir une compréhension satisfaisante. Il est possible que l'origine de cette
complexité insatisfaisante soit la base sur laquelle repose actuellement la science,
à savoir un assemblage ad hoc de vieux principes émanant de divers champs
d'études. On pourrait penser qu'une base plus judicieuse, élaborée directement
à partir de l'étude de l'eau, permettrait d'en obtenir une compréhension plus
simple : telle est la direction que nous avons choisie de suivre.
Vous n'avez aucunement besoin d'être un scientifique vous-même pour lire ce
livre; il a été écrit de manière à pouvoir être lu par quiconque possède les connais-
sances scientifiques les plus basiques. Si vous comprenez le fait que le positif
attire le négatif et si vous avez déjà entendu parler de la table périodique des
éléments, vous devriez en saisir le message. En revanche, ceux qui ont l'habitude

xxviii
de tourner en dérision tout ce qui remet en question les dogmes actuels trouve-
ront certainement notre approche agaçante en cela qu'elle pose de nombreuses
questions pertinentes. Cet ouvrage est un livre atypique, une saga présentant de
nombreux problèmes auxquels nous apportons des solutions que vous trouverez,
je l'espère, satisfaisantes, et peut-être même amusantes, à lire.
Je me suis limité à citer les sources lorsque cela me paraissait absolument
nécessaire, et lorsqu'un fait est généralement connu ou facilement vérifiable, je
les ai volontairement omises, l'objectif étant de fluidifier le texte pour en faciliter
la lecture.
Enfin, j'avoue ne pas me faire d'illusion sur le fait que parmi les idées présen-
tées dans ce livre, toutes ne seront pas nécessairement des vérités de demain,
certaines d'entre elles n'étant que des spéculations. J'ai voulu écrire un livre de
science, pas de science fiction, mais comme vous le savez, une simple observation
peut parfois suffire à démolir la plus belle des théories. En rédigeant cet ouvrage,
j'ai fait tout mon possible pour assembler honnêtement les données actuellement
disponibles pour en faire un cadre de référence interprétatif. Il ne s'agit pas d'un
cadre conventionnel, et je sais déjà que certains scientifiques ne sont pas d'ac-
cord avec tout ce que j'énonce, mais mon objectif premier n'a jamais été autre
chose que de créer de la compréhension là où il y en a si peu.
Maintenant, le temps est venu de plonger dans ces eaux troubles et de voir si
nous réussirons à en extraire quelque lumière.

GHP

Seattle, septembre 2012

xxix
« Découvrir consiste à voir ce que tout le monde avait vu
et à penser ce que personne n'avait pensé. »

Albert Szent-Gyorgyi,
Prix Nobel (1893-1986)
GrnoE TOURISTIQUE SUR LE S E SPÈCE S TAPIES
DANS LES RECOINS DU MYSTÈRIEUX MONDE DE L 'EAU.

M OLÉCULE D'EAU E AU ENVBAC

-- -~- ..

La molécule d'eau familière, compo- L'état standard des molécules d'eau


sée de deux atomes d'hydrogène et en phase liquide, dont l'arrangement
d'un atome d'oxygène. est encore en discussion .
•.......................................................................................................................:.............................................................................................................................•

Z ONE D'EXCLUSION (ZE)

eau en vrac

matériau hydrophile (qui aime l'eau)

La « zone d'exclusion » (ZE), zone d'eau étonnamment large se formant


au contact de nombreux matériaux immergés, doit son nom au fait qu'elle
exclut pratiquement tout. La présence de ZE implique une charge électrique,
et son comportement diffère de celui de l'eau en vrac. On l'appelle parfois le
quatrième état de l'eau.

xxxii
É LECTRON E T PROTON

Particules élémentaires de charge identique et opposée


(l'électron étant négatif et le proton, positif) ; ils s'attirent
donc comme des aimants. Les électrons et les protons
jouent un rôle central dans le comportement de l'eau, bien
plus que vous ne pourriez le penser.

La molécule d'eau est neutre. Son oxy- Un proton (c'est à dire, un atome
gène porte deux charges négatives, d'hydrogène privé de son électron)
s'accroche à une molécule d'eau pour
tandis que ses deux atomes d'hy-
former un ion hydronium. Imaginez
drogène portent chacun une charge une molécule d'eau chargée positive-
positive. ment : vous avez un ion hydronium.
Les espèces chargées comme les
ions hydronium sont très mobiles et
peuvent faire beaucoup de ravages. ~

xxxiii
B ATIERIB JNTERFACIALE É NERGIB RAYONNANTE

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1
+

eauZE : eau en vrac

Cette batterie est formée de la zone L'énergie rayonnante charge la bat-


d'exclusion et de la zone d'eau en terie. Cette énergie provient du soleil
vrac adjacente. Ces deux zones sont et d'autres sources de rayonnement.
chargées de manière opposée, la sépa-
L'eau l'absorbe, et cela charge la
ration étant maintenue comme dans
une batterie ordinaire . batterie.

........................................................................................................................r··················································· .. ····································································•

CoucHE EN NIDs-n'ABEJLLES G LACE

La structure atomique de la glace


ressemble fortement à la structure
La couche en nids-d'abeilles est
atomique de la zone d'exclusion.
la structure unitaire de la ZE. Les
Cette similitude est plus qu'une
couches s'empilent parallèlement à la simple coïncidence, et on passe
f _ surface du matériau pour construire rapidement de l'une à l'autre.
~ZE.

xxxiv
G OUTl'E BULLE
- -~ . .;;. -
'- , ~ + + +·+-
.;- + + + + + + +~:
#"+ + + +~
-· + + + + +,.
111+ + + -
'l + + + + + + + +:..:
: + + + vapeur + + +.:.
-+ + + + + + +_
+ + + + + ...
,_ + + + + + + +-
- + + + +-
-: + + + -
~ +++++_-
.,, _._ --

La goutte d'eau se compose d'une La bulle se structure comme une


enveloppe de ZE qui entoure de l'eau goutte à la différence qu'elle ren-
en vrac. Ces deux composantes sont ferme un gaz à l'intérieur. Générale-
de charges électriques opposées. ment, ce gaz est de la vapeur d'eau.

•····· ............................................................................................................................................................................................................. ··········•

VÉSICULE

Étant donné que les gouttes et les bulles sont structurées sur le
même modèle, nous introduisons le terme générique de vésicule.
Une vésicule pourra désigner une goutte ou une bulle selon l'état
de l'eau qui se trouve à l'intérieur. Une goutte qui absorbe suffi-
samment d'énergie peut se transformer en bulle.

XXXV
' .
1ere partie

Un pavé dans la mare :


présentation des faits
1 Les mystères nous entourent

B échers en main, deux étudiants traversèrent précipitamment la salle pour


me montrer quelque chose d'inattendu ; malheureusement, le résultat qu'ils
venaient d'observer s'était évanoui avant même d'avoir pu y jeter un coup d'œil.
Le phénomène réapparut le lendemain, et je compris pourquoi cette expérience
avait suscité autant d'enthousiasme parmi mes étudiants : ils avaient été témoins
d'un phénomène défiant toute explication au sujet de l'eau.
L'eau reçouvre la plus grande partie de la planète. Elle est présente dans
nos cieux. Elle remplit nos cellules dans une mesure bien supérieure à ce que
vous pourriez penser. Le volume de vos cellules se compose au deux tiers d'eau ;
toutefois, une molécule d'eau est si petite que, s'il vous prenait l'envie de compter
chaque molécule de votre corps, 99% d'entre elles s'avéreraient être des molécules
d'eau. Ce nombre de molécules d'eau est nécessaire pour remplir les deux tiers du
volume de nos cellules. Vos pieds ne sont autre chose que deux gigantesques sacs
renfermant principalement des molécules d'eau.
Que savons-nous au sujet de ces molécules d'eau ? Certes, les scientifiques
les étudient, mais ils semblent peu se soucier des grands ensembles de molécules
d'eau que l'on trouve dans les béchers. Au lieu de cela, la plupart des scienti-
fiques préfèrent se focaliser sur une seule molécule et ses voisines immédiates,
dans l'espoir de pouvoir extrapoler ce qu'ils observent aux phénomènes à plus
grande échelle que nous connaissons. Tout le monde cherche à comprendre le
comportement apparent de l'eau, c'est-à-dire comment ses molécules agissent
« socialement ».

Mais comprenons-nous vraiment le comportement social de l'eau ?


Étant donné que l'eau est omniprésente, vous pourriez raisonnablement pen-
ser que nous la comprenons parfaitement ; je vous mets au défi de prouver cette
idée reçue. Je vous livre ci-dessous une série d'observations quotidiennes ainsi
que quelques expériences simples réalisées en laboratoire. Voyez si vous pouvez
les expliquer. Si vous le pouvez, j'ai perdu : vous pouvez arrêter la lecture de ce
livre. Mais si vos explications demeurent vagues même après avoir consulté les
abondantes sources disponibles, je vous demanderai alors de bien vouloir recons-
idérer l'idée selon laquelle nous savons tout ce qu'il y a à savoir au sujet de l'eau.
Je pense que tel n'est pas le cas. Voyons où nous en sommes.

3
C>D1:>1·1·111 S

Mystères de la vie quotidienne


Voici quinze observations que nous faisons quo-
tidiennement. Êtes-vous en mesure de les expliquer?
• Sable mouillé et sable sec. Lorsque l'on marche
sur du sable sec, on s'enfonce profondément, mais
difficilement dans celui humide qui borde une éten-
due d'eau. En vérité, ce sable est si ferme que l'on
peut s'en servir pour construire de solides châteaux
ou faire des sculptures. Il est évident que l'eau joue un
rôle de colle. Mais comment l'eau agglomère-t-elle ces
particules de sable ensemble? (La réponse est révélée
au Chapitre 8.)
• Vagues de l'océan. Les vagues se dissipent
généralement après avoir parcouru une distance re-
lativement courte. Toutefois, les vagues de tsunami
peuvent faire plusieurs fois le tour de la Terre avant
de mourir. Pour quelles raisons persistent-elles sur de
telles distances? (Tenez jusqu'au chapitre 16.)
• Gélatine. Les desserts à base de gélatine se
composent essentiellement d'eau. Avec toute cette
eau à l'intérieur, on pourrait penser qu'ils couleraient
(Fig. 1.1). Or, il n'en est rien. Même pour des gélatines
contenant jusqu'à 99.95% d'eau1, il n'y a pas d'écoule-
ment. Comment se fait-il que de l'eau ne goutte pas?
(Solidifiez vos connaissances aux chapitres 4 et 11.)
• Couches. Tout comme les gélatines, les couches
peuvent contenir une grande quantité d'eau : plus de
50 fois leur poids d'urine et 800 fois leur poids d'eau
Fig. 1.1 Qu'est-ce qui
pure. Comment peuvent-elles contenir autant d'eau?
empêche l'eau de couler
(Gonflez vos neurones au chapitre 11.)
depuis la gélatine ?
• Caractère glissant de la glace. Les matières solides ne glissent générale-
ment pas facilement l'une sur l'autre; pensez à vos chaussures dans une rue pen-
tue: la friction les empêche de glisser. Toutefois, si cette pente est verglacée, vous
devrez faire très attention à ne pas tomber. Pourquoi la glace se comporte-t-elle
si différemment de la plupart des autres solides? (Glissez jusqu'au chapitre 12.)
• Gonflement. Votre amie se casse la cheville lors d'une partie de tennis ; sa
cheville va enfler et doubler de volume en l'espace de quelques minutes. Pourquoi
de l'eau arrive-t-elle si rapidement au niveau de la blessure? (Le chapitre 11 pro-
pose une réponse.)
• Geler de l'eau chaude. Un collégien précoce fit un jour une curieuse obser-
vation en classe de cuisine : il remarqua qu'en versant de l'eau chaude sur de la
crème glacée en poudre, il obtenait une friandise glacée plus rapidement qu'avec
de l'eau froide. Cette observation paradoxale est aujourd'hui célèbre. Comment
cette eau chaude peut-elle geler plus rapidement que de l'eau froide ? (Réga-
lez-vous au Chapitre 17.)
• Élévation de l'eau. Les feuilles ont soif. Pour remplacer l'eau perdue par
évaporation dans les plantes et les arbres, l'eau monte des racines par de petites
colonnes étroites. Généralement, on explique ce phénomène en disant que c'est le
sommet de ces capillaires qui attire vers le haut l'eau qui se trouve plus bas. Mais
cela devient problématique pour des arbres comme le séquoia atteignant une
centaine de mètres de hauteur : le poids de l'eau amassée dans chaque capillaire
suffirait à rompre la colonne. Une fois brisée, une colonne ne peut plus puiser de
l'eau dans les racines. Comment la nature s'y prend-t-elle pour éviter une telle
catastrophe? (Étanchez votre soif de savoir grâce au chapitre 15.)
• Casser du béton. Il arrive que des trottoirs en béton se fissurent sous
l'action de racines. Les racines des arbres se composent essentiellement d'eau.
Comment est-il possible que des racines contenant de l'eau puissent exercer une
pression suffisante pour briser des blocs de béton ? (Consultez le chapitre 12.)
• Gouttes sur une surface. Les gouttes d'eau vont perler sur certaines sur-
faces et s'étaler sur d'autres. Il se trouve que le degré d'étalement peut servir à
classifier différentes surfaces. Assigner une classification n'explique cependant
pas pourquoi les gouttes s'étalent, ni jusqu'où elles s'étalent. Quelles forces font
qu'une goutte d'eau va s'étaler? (Rendez-vous au Chapitre 14.)
• Marcher sur l'eau. Peut-être avez-vous déjà vu des vidéos de lézards « Jé-
sus-Christ» en train de marcher sur l'eau ; on remarque que ces lézards ne cessent
de courir tout du long. On pensera à la grande tension de surface de l'eau comme
explication possible, mais si cette tension de surface dérivait uniquement des
molécules d'eau des couches supérieures, elle devrait être faible. Quelle est donc
cette propriété de l'eau (ou du lézard) qui permet d'effectuer un tel déplacement

5
- qui n'est pas sans rappeler un miracle biblique? (Li-
sez le chapitre 16.)
• Nuages isolés. De la vapeur d'eau s'élève des
immenses étendues ininterrompues des océans.
Cette vapeur devrait être partout ; pourtant, des
nuages blancs floconneux formeront souvent des
entités séparées qui ponctueront un ciel par ailleurs
bleu (Fig. 1.2). Quelle force dirige la vapeur qui s'élève
de manière diffuse vers ces sites spécifiques ? (Les
chapitres 8 et 13 abordent cette question.)
• Articulations qui grincent. Généralement, les
profondes révérences ne provoquent pas de grince-
ment, ceci parce que l'eau assure une excellente lu-
brification entre les os (en réalité, entre les couches
Fig. 1.2 Qu'est-ce qui dirige
de cartilage qui recouvrent les os.) Comment et par
la vapeur qui s'élève des
quelle caractéristique l'eau permet-elle de diminuer
océans vers des endroits
les frictions? (Voyez le chapitre 12.)
précis?
• Flottaison de la glace. La plupart des subs-
tances se contractent en refroidissant. t..'.eau se
contracte également, jusqu'à 4°C ; en-dessous de
cette température critique, l'eau entre en expansion,
et d'autant plus lorsqu'elle se transforme en glace.
C'est la raison qui fait que la glace flotte. Qu'a donc
de spécial cette température de 4°C, et pourquoi la
glace est-elle à ce point moins dense que l'eau ? (Le
chapitre 17 répond à ces questions.)
• Consistance du yaourt. Pour quelles rai-
sons les yaourts restent-ils aussi fermes ?
(Dévorez le chapitre 8.)

Mystères observés en laboratoire


Nous allons à présent nous pencher sur quelques
simples observations de laboratoire, en commençant
par celle qui a poussé mes étudiants à venir vers moi
en courant pour me montrer ce qu'ils avaient décou-
vert.

6
1) Le mystère des microbilles migratrices
Ces étudiants venaient d'effectuer une expérience simple. Ils avaient déversé
une grande quantité de petites billes (que l'on nomme « microbilles ») dans un
bécher rempli d'eau, agité le récipient pour s'assurer que le mélange se fasse cor-
rectement, couvert le bécher pour minimiser l'évaporation, avant de rentrer chez
eux passer une bonne nuit de sommeil. Le lendemain matin, ils étaient revenus
examiner le résultat.
Selon la pensée dominante, il n'aurait rien dû se produire de plus qu'un pos-
sible dépôt au fond du bécher. Les microbilles en suspension aurait dû donner
une eau uniformément trouble, un peu comme si on avait versé quelques gouttes
de lait dans de l'eau avant de secouer le tout vigoureusement.
L'eau semblait en effet uniformément trouble ... dans sa plus grande partie,
car au centre du bécher (en regardant par le dessus), on pouvait voir un cylindre
d'eau claire inexplicable allant du sommet au fond du récipient (Fig. 1.3). La
limpidité de ce cylindre signifiait que l'eau le composant était dépourvue de
microbilles : une force mystérieuse avait écarté les microbilles en dehors d'une
colonne centrale vers les bords du récipient. Si vous avez vu 2007, L'Odyssée de
/'Espace et l'étonnement des hommes-singes lorsqu'ils voient pour la première fois
le monolithe aux lignes parfaites, vous pouvez vous faire une idée de la manière
dont nos mâchoires se sont décrochées ; c'était vraiment quelque chose à voir.

Zone dépourvue de microbilles

Fig. 1.3 Le centre du récipient ne


contient pas de microbi/les en
suspension. Pourquoi ce cylindre
dépourvu de microbilles est-il apparu
spontanément ?

Ces cylindres sont apparus aussi longtemps que les conditions initiales sont
restées dans une fenêtre bien définie, et nous avons pu en produire à volonté2.
Question : qu'est-ce qui provoque la migration contre-intuitive centrifuge de ces
microbilles? (Le chapitre 9 l'explique.)

7
2) Le pont d'eau
Le « pont d'eau » est un autre phénomène curieux
obtenu en laboratoire par lequel on peut voir de l'eau
relier deux béchers séparés l'un de l'autre. Bien que
le pont d'eau soit une curiosité qui a aujourd'hui plus
d'un siècle, Elmar Fuchs et ses collègues ont réalisé
des travaux au retentissement mondial.
Fig. 1.4 Le pont d'eau. Un
La démonstration débute en remplissant d'eau
pont fait d'eau couvre la dis- deux béchers pratiquement jusqu'en haut puis en les
tance qui sépare deux béchers plaçant côte à côte, les bords en contact. Une élec-
remplis d'eau. Qu'est-ce qui trode plongée dans chacun des béchers créera une
soutient ce pont ? différence de potentiel de l'ordre de 10 kV; immédia-
tement, l'eau de l'un des béchers va sauter par-dessus
son rebord pour rejoindre l'autre bécher. Une fois le pont formé, il est possible
d'éloigner lentement les deux béchers ; le pont ne se rompra pas, il continuera
à s'allonger et à couvrir la distance qui sépare les deux récipients même lorsque
leurs bords seront éloignés de plusieurs centimètres (Fig. 1.4).
Étonnamment, le pont d'eau a du mal à s'affaisser et présente une solidité
qui rappelle celle de la glace, même lorsque l'expérience a lieu à température
ambiante.
Je vous conseille de résister à la tentation de reproduire cette expérience à
haute tension sauf si vous pensez être immunisé contre les électrocutions ; il est
plus sage de regarder une vidéo de ce phénomène époustouflant.w1 Question :
Comment ce pont uniquement constitué d'eau tient-il ? (Voyez le chapitre 17.)

3) Ces gouttes d'eau qui flottent


L'eau devrait se mélanger instantanément avec
de l'eau. Toutefois, si vous laissez tomber quelques
gouttes d'eau d'un tube étroit positionné juste
au-dessus d'une assiette remplie d'eau, il arrivera
souvent que ces gouttes flottent quelque temps à
la surface de cette eau avant de s'y dissoudre (Fig.
1.5). Parfois, ces gouttes peuvent subsister jusqu'à dix
secondes. Encore plus paradoxalement, ces gouttes
ne se dissolvent pas comme des événements unitaires
Fig. 1.5 Les gouttes d'eau
persistent un certain temps à
la surface de l'eau. Pourquoi ?
simples mais comme une succession de projections dans la flaque en-dessous3 ;
leur dissolution ressemble à une danse programmée.
On peut voir dans la nature des gouttes d'eau flotter si vous savez où regarder.
Le bon moment est juste après une averse, quand de l'eau goutte d'une avancée
de toit dans une flaque, ou du rebord d'un bateau dans un lac. Même les gouttes
de pluie flottent parfois lorsqu'elles entrent directement en contact avec de l'eau
au sol. La question évidente est : puisque l'eau se mélange naturellement avec
l'eau, quelle caractéristique fait que l'on peut observer un retard dans la coales-
cence naturelle? (Lisez les chapitres 13 et 16.)

4) La décharge de Lord Kelvin

Enfin, la Fig. 1.6 nous décrit une observation qui donne de quoi se gratter la
tête. De l'eau provenant d'une bouteille renversée ou d'un robinet ordinaire est
répartie entre deux tuyaux. Des gouttes tombent de chacun de ces tuyaux, passent
à travers des anneaux en métal, puis retombent dans des récipients métalliques.
Des fils électriques assurent une connexion croisée entre les anneaux et les réci-
pients comme on peut le voir sur le dessin. Des sphères métalliques reliées aux
récipients en métal se font face avec un vide de plusieurs millimètres entre elles.

Fig. 1.6 Le générateur électros-


goutte à goutte 0 goutte à goutte tatique de Kelvin. Le niveau
de l'eau qui monte crée une
décharge de haute tension. Pour
quelles raisons ce phénomène se
produit-il ?

Initialement conçue par Lord Kelvin, cette expérience produit un résultat sur-
prenant. Une fois que suffisamment de gouttes sont tombées, on commence à
entendre un crépitement, puis, peu après, on observe un flash de décharge dans
le vide accompagné d'un craquement audible.

9
Une décharge électrique ne peut se produire que s'il y a une grande différence
de potentiel électrique entre les deux récipients ; cette différence de potentiel
peut aisément nécessiter 100 000 volts suivant la longueur du vide. Pourtant, le
grand écart de charge électrique nécessaire pour créer cette différence de poten-
tiel provient d'une unique source d'eau.
Il est possible de construire l'un de ces appareils exotiques à la maisonw2 ;
néanmoins, cela reste beaucoup plus simple de regarder la décharge obtenue en
vidéo. Un bel exemple est celui du professeur Walter Lewinw3 qui effectue une
démonstration devant une classe pleine d'étudiants de première année du MIT
stupéfaits; il invite ensuite ces étudiants à expliquer ce phénomène en guise de
devoir à la maison. Pouvez-vous expliquer pourquoi une simple source d'eau peut
provoquer un écart de charge si important? (Lisez le chapitre 15.)

Leçons que l'on peut tirer de ces mystères


Les phénomènes présentés dans la présente partie rejettent toute explication
simpliste. Même les éminents spécialistes de l'eau que je connais sont incapables
de proposer des réponses satisfaisantes, la plupart d'entre eux n'allant pas au-de-
là des explications les plus superficielles. Il est évident qu'il manque quelque
chose dans notre compréhension actuelle des choses, sans quoi ces phénomènes
seraient facilement explicables ; or, il se trouve qu'ils ne le sont pas.
Je voudrais souligner une nouvelle fois que nous ne parlons pas de l'eau au
niveau moléculaire, mais d'une grande quantité de molécules d'eau. Il ressort de
tout cela que nous ne comprenons pas les interactions entre molécules d'eau, ce
que l'on pourrait appeler le comportement « social » de l'eau.
Le comportement social est le domaine d'études des sociologues et des clini-
ciens. L'un de mes amis, qui est psychiatre, m'a dit un jour que pour comprendre
le comportement humain, il fallait s'intéresser aux excentriques et aux gens
bizarres ; mon ami était d'avis que leurs expériences extrêmes nous livraient des
clés pour mieux comprendre les comportements plus subtils du reste de la popu-
lation. Le même raisonnement peut s'appliquer ici : les exemples que nous avons
vus décrivent des situations où l'eau montre des comportements « sociaux »
extrêmes; par conséquent, ils fournissent des indices pour mieux comprendre les
comportements plus ordinaires des molécules d'eau.
Ainsi, plutôt que de nier notre incapacité à expliquer les phénomènes pré-
sentés, analysons-les pour révéler les clés qu'ils renferment. Tournons notre
ignorance à notre avantage. Vous verrez où cette nouvelle façon de penser nous
conduira lorsque nous atteindrons le milieu de ce livre.

10
Le prochain chapitre se révélera particulièrement utile : il revient sur ce que
nous connaissons déjà sur le comportement social de l'eau tout en se penchant
sur ce que nous ne savons pas, mais il expose surtout les raisons surprenantes
qui font que nous en savons si peu sur la substance la plus abondante sur Terre.

11
2 Le comportement social de Hp

L 'eau est essentielle à la vie, tellement essentielle qu'Albert Szent-Gyorgyi, père


de la biochimie moderne, déclara un jour : « La vie, c'est l'eau qui danse au
rythme des solides. »
Sans cette danse, il n'y aurait pas de vie.
Sachant le rôle crucial que joue l'eau, vous pensez sûrement que les scienti-
fiques du 21ème siècle savent déjà tout ce qu'il y a à savoir à son sujet ; toutes les
questions devraient maintenant avoir une réponse. Pourtant, le chapitre précé-
dent nous a montré le contraire - et à quel point nous savons peu de choses sur
cette substance si présente et si familière.
Voyons ce que Philip Ball a à dire sur le sujet. Ball est l'un des meilleurs écri-
vains scientifiques de notre époque, auteur de Hp : A Biography of Water, et un
conseiller scientifique de longue date pour le journal Nature. Voici comment Ball
présente les faits 1 : « Personne ne comprend réellement l'eau. C'est embarrassant
de l'admettre, mais cette chose qui couvre les deux-tiers de notre planète demeure
un mystère. Pire, plus nous l'examinons, plus les problèmes s'accumulent : les
techniques modernes qui permettent de plonger plus profondément dans l'ar-
chitecture moléculaire de l'eau liquide ne cessent de soulever de nouvelles ques-
tions.»
La molécule d'eau en elle-même est très bien comprise. Gay-Lussac et von
Humboldt ont défini sa nature essentielle il y a plus de deux siècles, et on en sait
aujourd'hui davantage sur son architecture. Schématiquement, la molécule d'eau
se compose de deux atomes d'hydrogène et d'un atome d'oxygène arrangés selon
une configuration que vous avez peut-être déjà vue dans des manuels (Fig. 2.1).
Par contre, nous savons encore peu de choses sur
la façon dont cette molécule interagit avec d'autres oxygène
molécules d'eau ou d'un autre type. Les non-experts
posent rarement des questions de cette nature ; il
suffit au plus grand nombre de savoir que les molé-
cules d'eau sont liées d'une manière ou d'une autre
avec les autres molécules d'eau. C'est tout. Les biolo-
gistes considèrent par exemple souvent l'eau comme
la vaste mer moléculaire dans laquelle baignent les
molécules nécessaires à la vie. On ne se représente
pas les molécules d'eau en train d'interagir de manière
significative avec quoi que ce soit.
Fig. 2.1 Représentation d'artiste
d'une molécule d'eau.
Mais les molécules d'eau doivent interagir entre elles. Songez donc aux
simples gouttes d'eau : au moins quelques-unes des milliards de molécules d'eau
qui composent la goutte doivent être liées les unes aux autres, car faute de cohé-
sion, il n'y aurait pas de goutte. Ces interactions cohésives ne peuvent pas être
statiques : il s'y produit des changements lorsque deux gouttes fusionnent, mais
aussi lorsqu'une goutte s'étale sur une surface. Même une simple goutte ne peut
être comprise si l'on ne comprend pas les interactions eau-eau.
Nous posons donc cette question : quelle est la nature de ces interactions?

L'état actuel des connaissances


Bien qu'elle soit un véritable pêle-mêle, la liste à la Prévert qui suit nous fournit
une courte description des tentatives qui ont été faites récemment pour expliquer
le comportement social de l'eau. Les théories sur les interactions eau-eau sont
complexes, et même les spécialistes de l'eau ont parfois des difficultés à saisir
les idées de leurs collègues ; c'est pourquoi je ferai court sur le sujet. J'invite les
lecteurs intéressés par une compréhension plus complète à lire un article détaillé
de Philip Ball2, et je me contenterai d'exposer ici les grandes lignes des théories
sur les interactions entre molécules d'eau émanant de sept groupes d'éminents
scientifiques (Fig. 2.2).

Fig. 2.2 Interaction entre


molécules d'eau. La nature de
cette interaction n'est toujours
pas bien comprise.

La vision classique des interactions eau-eau est le modèle dit des «grappes
vacillantes » introduit en 1957 par Frank et Wen. Dans ce modèle, des grappes de
molécules d'eau se formeraient à partir de l'eau environnante. Un rétroaction po-
sitive ferait grossir les grappes jusqu'à une taille critique où elles finiraient par se

14
disperser spontanément. Tout ceci se passerait sur une échelle de temps allant de
m-10 à m- 11 secondes, ce qui explique le « vacillement » des grappes. Bien qu'elle
soit obsolète, cette théorie figure encore dans de nombreux manuels.
• Martin Chaplin, de l'Université de South Bank de Londres en Angleterre,
défend un modèle légèrement mieux organisé. Chaplin suggère que l'eau liquide
se composerait de deux types de nanograppes combinées : l'une vide, comme
une coquille, et plus ou moins effondrée; l'autre plus solide et plus régulièrement
structurée. Les molécules d'eau passeraient rapidement d'un état à l'autre, mais
sous certaines conditions, le nombre moyen de molécules de chaque catégorie
restant le même. Ceux que ce modèle intéresse trouveront davantage de préci-
sions, et beaucoup d'autres informations sur l'eau, sur le site très intéressant de
Chaplin.w1
· Une vision bien différente ressort des travaux d'Anders Nillson de l'Uni-
versité de Stanford et de Lars Petterson de l'Université de Stockholm. Leur mo-
dèle repose également sur le postulat qu'il existerait deux types d'eau coexistant :
des chaînes organisées comme la glace qui contiendraient jusqu'à une centaine
de molécules, et une forme désorganisée enveloppant ces amas. Les auteurs
évoquent une sorte de mer désorganisée qui contiendrait des anneaux et des
chaînes d'atomes d'hydrogène et d'oxygène.
• Le modèle de l'Université de Milan se caractérise par des grappes bien plus
grandes. En s'appuyant sur la théorie quantique des champs, del Giudice propose
l'existence de liaisons submicroniques dans l'eau, chacune pouvant impliquer plu-
sieurs millions de molécules. Ces liaisons entre les molécules d'eau pourraient
être vues comme des antennes qui recevraient de l'énergie électromagnétique
extérieure, grâce à laquelle elles pourraient libérer des électrons, rendant ainsi
possibles des réactions chimiques.
· Gene Stanley, de l'Université de Boston, a conçu un modèle populaire à
partir des associations inhérentes à tous les modèles précédents. Stanley suggère
que l'eau aurait deux états distincts, l'un avec une densité basse et l'autre avec
une densité haute. Cette distinction apparaîtrait plus clairement avec de l'eau en
surfusion. leau à basse densité présente une structure tétraédrique ouverte, tan-
dis que l'eau à haute densité montre une structure plus compacte. leau passerait
dynamiquement d'un état à l'autre.
• Un autre modèle à deux états insiste sur l'existence possible des molécules
d'eau sous la forme d'images en miroir; autrement dit, une partie des molécules
d'eau serait dite gauchère, l'autre droitière. Les principaux partisans de ce mo-
dèle sont Sergueï Pershin de Russie, Meir Shinitzky et Yosi Scolnik d'Israël. Ils ex-
pliquent que les proportions relatives de ces deux types de molécules pourraient
expliquer différentes caractéristiques de l'eau.

15
• Le modèle le plus structurellement complexe, mis en avant par Rustum Roy,
ce regretté pionnier de la science des matériaux, souligne l'hétérogénéité de la
structure de l'eau, mais également la facilité qu'ont les molécules d'eau d'échan-
ger entre elles, celle-ci ne requérant que très peu d'énergie. La Figure 2.3 est un
dessin de structures représentatives.

À ce stade, vous en avez sûrement assez des


Fig. 2.3 Structure de l'eau modèles de structures ; sachez tout de même qu'il ne
liquide suggérée par Rustum s'agit que d'un échantillon représentatif d'un plus grand
Roy et ses collègues. 3 Les nombre de modèles qui font constamment l'objet de
grappes sont délimitées en discussions. Notre compréhension de l'eau reste frag-
noir. mentaire, et Philip Ball n'hésite pas à dire que « l'eau
demeure un mystère».
En revanche, il ressort de la plupart de ces modèles
un point commun: des états multiples. L'opinion commune est que l'eau liquide n'a
pas qu'un seul état, et bon nombre de ces modèles avancent en effet l'idée d'états
supplémentaires. Plus loin dans ce livre, nous verrons des preuves concrètes de
l'existence d'un état robuste de l'eau visuellement détectable et doté de caracté-
ristiques bien définies.

16
Pourquoi nous en savons si peu
Peut-être trouverez-vous cela difficile à croire, mais peu de scientifiques étu-
dient l'eau. Comme les profanes, la plupart des chercheurs présument que l'on
doit déjà tout savoir sur ce corps chimique si courant et qu'il n'y a plus aucun défi
scientifique à relever ; c'est pourquoi ils estiment qu'il est préférable de faire des
recherches en biologie moléculaire ou dans le domaine des nanosciences que de
plonger dans des eaux qui promettent de se révéler ennuyeuses.
Les scientifiques rechignent à étudier l'eau aussi pour une seconde raison.
L'eau semble parfois avoir un caractère presque mystique, et les gourous des
anciennes religions pensaient que l'eau renfermait des pouvoirs de guérison
extraordinaire; songez à « l'eau bénite». Ce côté mystique des choses rend les
recherches sur l'eau quelque peu risquées : toute découverte anormale pourrait
être perçue comme l'œuvre du diable plutôt que de la science, et il n'est jamais
bon de se retrouver confronté à ce type d'accusations.
Malgré ces deux obstacles, l'eau a autrefois occupé une position centrale
dans la recherche scientifique. La science avait des priorités différentes à celles
d'aujourd'hui durant la première moitié du 20•m• siècle : plutôt que d'amasser des
connaissances toujours plus approfondies dans des champs d'études étroits, les
scientifiques cherchaient à découvrir des principes généraux applicables à l'en-
semble de la nature. L'ensemble revêtait plus d'importance que ses composantes
moléculaires, et cet ensemble devait inclure l'eau puisqu'elle est virtuellement
partout.
C'était aussi une époque où les chercheurs s'intéressaient beaucoup aux col-
loïdes, ces particules submicroscopiques en suspension dans un liquide. Convain-
cus que les colloïdes étaient à la base de la vie, un grand nombre de scientifiques
pensaient que l'on pourrait mieux comprendre la chimie propre à la vie en perçant
les mystères des interactions entre l'eau et les colloïdes. Cette focalisation sur
les colloïdes, associée à une approche holistique, plaçait l'eau au centre de la
recherche scientifique.
Mais, au milieu du 20•m• siècle, deux choses ont fortement compromis une
moisson qui s'annonçait prometteuse. La première est une évolution vers la spé-
cialisation de la recherche ; cette tendance a poussé les scientifiques à s'intéres-
ser davantage aux molécules, reléguant l'eau à un rôle secondaire. Les molécules
étaient alors très en vogue et apparemment, mieux on comprenait une molécule,
plus on s'approchait de la vérité scientifique. Fatalement, les recherches sur l'eau
ont fini par paraître désuètes et ont progressivement perdu de leur importance.
L'autre cause qui a conduit les scientifiques à ne plus s'intéresser à l'eau tire
son origine de deux incidents socio-politiques dont chacun s'est traduit par un
terrible coup de frein sur les progrès de notre compréhension de l'eau.

17
Le premier incident, que l'on a appelé « le scandale de l'eau polymérisée », a
commencé durant la Guerre Froide vers la fin des années 1960, lorsque les Russes
ont annoncé avoir fait une découverte extraordinaire; de l'eau enfermée dans des
tubes capillaires très fins semblait se comporter d'une manière différente que de
l'eau en vrac : ses molécules vibraient différemment, sa densité était anormale-
ment élevée, et il était difficile de la faire geler ou s'évaporer. De toute évidence,
on avait ici affaire à une forme exotique d'eau. Comme ses propriétés incluaient
une haute stabilité commune à de nombreux polymères, les chimistes ont pensé
qu'il s'agissait d'une eau-polymère et l'ont donc baptisée du nom funeste d'« eau
polymérisée».
La découverte de l'eau polymérisée a déclenché beaucoup d'enthousiasme
dans la communauté scientifique : rendez-vous compte, une nouvelle phase de
l'eau. Mais cette découverte s'est également heurtée à un certain scepticisme, et
les Russes se sont finalement montrés très embarrassés quand des scientifiques
occidentaux ont constaté la présence d'impuretés. En effet, la prétendue eau
pure qui se trouvait à l'intérieur des tubes capillaires s'est avérée contenir du sel
et de la silice provenant des tubes eux-mêmes, et c'étaient manifestement ces
impuretés qui étaient à l'origine des caractéristiques si particulières que l'on avait
observées. Même Boris Derjaguin, le légendaire chimiste responsable de la plu-
part des études initiales, a dû finalement reconnaître publiquement qu'il y avait
bien présence d'impuretés. Les sceptiques ont pu justifier leur première réaction
en disant qu'ils avaient trouvé l'eau polymérisée« difficile à avaler».
Je reviendrai par la suite sur l'affaire de l'eau polymérisée. J'ajouterai sim-
plement ici que les « contaminants » constituent des menaces dans tous les
domaines de la recherche scientifique. Tout chercheur aimerait travailler avec des
éléments purs, mais il est souvent difficile d'obtenir une pureté absolue. Dans
le cas de l'eau, atteindre la pureté est virtuellement impossible étant donné sa
propension à absorber toutes sortes de molécules étrangères ; l'eau est un sol-
vant naturel pour pratiquement tout. Nous comprendrons donc que l'eau contient
naturellement des contaminants, et que leur présence dans des quantités limitées
n'implique pas qu'il faille rejeter systématiquement une caractéristique particu-
lière observée.
Cependant, le mal était fait. Au début des années 1970, les Russes furent
accusés de mener leurs expériences à la légère. Le préjudice fut disproportionné
par rapport à la portée de l'inculpation, notamment en raison du retentissement
extraordinaire dont l'eau polymérisée avait fait l'objet lorsque la presse s'était
emparée de l'histoire. Pensez-donc, nous suggérait-elle : une seule goutte d'eau
polymérisée jetée dans la mer pouvait agir comme n'importe quel catalyseur poly-
mérique et transformer toute l'eau de la Terre en une seule masse informe, ce qui
aurait signifié la fin de toute vie. Cela semblait en effet dangereux (Fig. 2.4).

18
Le grand public a donc été soulagé d'apprendre
que ces observations n'étaient dues qu'à une simple
contamination de l'eau, tandis que des chercheurs
moins paranoïaques se sont montrés déçus que
cette nouvelle découverte scientifique prometteuse
ne soit rien d'autre qu'une erreur expérimentale.
Dans tous les cas, les spécialistes de l'eau ont été
perçus comme des incompétents.
Il n'est pas difficile de s'imaginer l'impact catas-
trophique qu'a eu cet incident sur toute la recherche
sur l'eau. Si le premier chimiste de Russie pouvait
aussi facilement se laisser induire en erreur, qu'en Fig. 2.4 Le spectre de l'eau
était-il alors des scientifiques ordinaires ? Une polymérisée.
menace de discrédit planait sur les carrières, et de
grands scientifiques qui auraient pu s'intéresser au
domaine de l'eau ont choisi des sujets plus sûrs afin d'éviter toute possibilité de
se retrouver eux-mêmes polymérisés.
C'est ainsi que la recherche sur l'eau s'est arrêtée brutalement, principalement
par peur. Quelques chercheurs courageux ont bien continué, notamment dans le
domaine de la biologie, mais l'élan initial fut définitivement brisé. Les mystères
brumeux de l'eau furent laissés à d'autres, dans un avenir plus ou moins lointain.

Le scandale de la mémoire de l'eau


Deux décennies plus tard, les recherches sur l'eau montraient des signes d'un
début de reprise quand un événement encore plus terrible se produisit : l'affaire
de la prétendue« mémoire de l'eau». Cette fois-ci, la figure centrale était Jacques
Benveniste, scientifique et immunologiste français renommé. Presque par acci-
dent, Benveniste et ses collègues ont obtenu des preuves que l'eau pouvait
conserver des informations sur les molécules avec lesquelles elle avait interagi ;
comme si l'eau« se souvenait».
La preuve de l'existence d'une mémoire de l'eau s'était présentée lors d'ex-
périences portant sur des dilutions successives de substances biologiquement
actives. Prenez ce genre de substance, dissolvez-la dans l'eau, puis diluez-la.
Prélevez ensuite un peu de cette solution diluée et diluez-la une nouvelle fois;
répétez ce processus encore et encore. Lorsque vous l'aurez diluée suffisamment
de fois, il ne vous restera que de l'eau ; en effet, il ne subsistera statistiquement
rien de la substance originale. Benveniste et son équipe continuèrent à diluer bien
au-delà du seuil où rien de la substance ne demeure et observèrent pourtant que
la solution ainsi obtenue avait un impact biologique aussi fort que l'originale :
verser la substance concentrée ou celle progressivement diluée sur des cellules

19
provoquait la même réaction moléculaire. Il était donc manifeste que l'eau diluée
avait conservé une « mémoire » des molécules avec lesquelles elle était entrée
en contact, puisque seules ces molécules étaient suffisamment spécifiques pour
initier la réaction observée.
« Absurde » se dit Sir John Maddox, le rédacteur en chef de Nature. Comment
diable l'eau pourrait-elle retenir des informations? Mais tout le monde ne fut pas
forcément d'accord avec sa réaction apparemment rationnelle. Les homéopathes
se servent d'un procédé similaire lorsqu'ils préparent leurs remèdes, et certains
membres de la communauté homéopathique se réjouirent qu'un éminent scienti-
fique ait enfin réhabilité leur approche. Ceci dit, Jacques Benveniste s'intéressait
davantage aux sciences qu'à l'homéopathie. Nature ayant vigoureusement rejeté
ses observations, Benveniste riposta en demandant à des collègues travaillant
dans trois autres laboratoires de répéter ses protocoles expérimentaux pour véri-
fier s'ils obtiendraient les mêmes résultats.
Incroyablement, ce fut le cas. Ainsi, Benveniste fit parvenir à Nature un nou-
veau rapport sur ces observations ; le journal réagit de la même façon que la
première fois. Manifestement, quelque soit le nombre de laboratoires obtenant
les mêmes résultats, ces conclusions paraissaient si improbables qu'un troll
devait de toute évidence se dissimuler dans l'eau diluée. Avec l'affaire de l'eau
polymérisée encore présente dans tous les esprits, Nature pensait avoir flairé un
nouveau scandale.
Mis au défi d'agir dans les règles, le journal accepta finalement de publier les
travaux de Jacques Benveniste, mais à une condition: le rédacteur en chef se réser-
vait le droit de constituer une commission d'enquête qui regarderait par-dessus
les épaules des scientifiques français lorsqu'ils effectueraient leurs expériences,
après quoi la commission ferait son rapport aux lecteurs de Nature. Les Français
acceptèrent ces conditions. L'article de Benveniste fut rapidement publié, avec
une mise en garde teintée de scepticisme. Le rédacteur en chef indiquait qu'il
allait lancer une enquête : une commission de scientifiques allait déterminer ce
que les scientifiques français faisaient véritablement.
En réalité, la commission, dirigée par John Maddox en personne, allait se
composer de véritables inquisiteurs plutôt que de scientifiques. Pour ce faire, il
recruta deux autres personnes : Walter Stewart, enquêteur professionnel venu
d'un département spécialement dédié à la révélation des fraudes scientifiques à
l'Institut Américain de la Santé, et James Randi, connu également comme « Randi
le Stupéfiant ». Magicien de renommée mondiale, Randi devint célèbre en révé-
lant les trucs d'autres magiciens, comme lorsque Uri Geller avait prétendu pouvoir
léviter. À en juger par la composition de la commission de «scientifiques>>, il était
clair que Maddox suspectait davantage qu'une erreur innocente.

20
La commission se rendit à Paris pour observer
attentivement les expériences. Les premières séries
d'expériences se déroulèrent bien comme prévu, et
les Français semblèrent dominer les premiers rounds.
Mais lorsque l'un des visiteurs effectua lui-même les
dilutions, les choses ne se passèrent plus aussi bien.
Les visiteurs se concertèrent et arrivèrent rapidement
à la conclusion que si les Français obtenaient les résul-
tats annoncés alors qu'eux-mêmes n'y parvenaient
pas, il devait forcément y avoir un truc. Même si ces
objecteurs professionnels se montrèrent incapables
de déterminer la nature du« truc», le rapport qu'ils
rédigèrent à l'intention de la communauté scienti-
fique déclarait sans ambages que la mémoire de
l'eau relevait du «fantasme».
Cette histoire tumultueuse est pleine
d'anecdotes, et je recommande
deux livres pour ceux qui voudraient
en savoir plus. Le premier est le livre
de Philip Ball cité plus haut1 ; Ball
travaillait à l'époque pour Nature
et était un proche de Maddox. Le second est Memory
of Water4, du regretté physicien Michael Schiff. Celui- Fig. 2.5 La science fran-
ci travaillait pour le laboratoire français au moment de çaise dans l'embarras?
l'affaire. Comme vous pouvez imaginer, ces auteurs ont
des points de vue plutôt divergents. Pour vous faire une
idée juste, vous devriez lire les deux ouvrages.
Suite à ce fiasco, Benveniste subit une véritable humiliation. Celle-ci se tradui-
sit par la perte de budgets, la mise à l'arrêt d'une unité de recherche importante et
productive, des difficultés pour publier d'autres travaux scientifiques, et, comble
de l'ignominie, la double nomination au prix « lg-Nobel », remis par les étudiants
de Harvard pour les recherches improbables. Ce ne fut pas l'époque la plus glo-
rieuse de la science française (Fig. 2.5).
Mais le pire dans tout cela n'est ni la bassesse des méthodes employées, ni le
fait qu'une brillante carrière scientifique ait pris fin de cette manière ; le véritable
problème est l'impact que cette affaire a eu dans le domaine de la recherche sur
l'eau. Cette branche commençait tout juste à se remettre du scandale de l'eau
polymérisée quand elle a dû faire face à cette nouvelle épreuve encore plus
dévastatrice. La mémoire de l'eau est devenue la risée de toute la communauté

21
scientifique : « Vous avez du mal à vous souvenir des noms ? Buvez donc plus
d'eau. (Ha ha ha!) »
Lorsque l'on connaît l'histoire déjà trouble de la recherche sur l'eau, on en
devine les conséquences. Combien de scientifiques sains d'esprit auraient osé
entrer dans un domaine déjà sali par l'affaire de l'eau polymérisée, a fortiori deve-
nu le sujet préféré des plaisanteries scientifiques ? Très peu pour eux. Pourtant,
cette histoire n'est pas dénuée d'une certaine ironie quand on sait que des cher-
cheurs allaient confirmer par la suite les résultats de Benveniste5, et que d'autres,
parmi lesquels le prix Nobel Luc Montagnier, s'appuieraient sur la mémoire de
l'eau pour leurs travaux sur la transmission d'informations stockées dans l'eau. 6
Malgré cela, la mémoire de l'eau reste encore davantage un sujet de plaisanterie
plutôt que d'études scientifiques sérieuses.

Le mystère persiste
Je pense que vous êtes à présent en mesure d'apprécier le paradoxe: comment
se peut-il que nous en sachions si peu sur quelque chose qui nous est si familier?
Deux scandales successifs ont transformé une branche autrefois dynamique en
un domaine sournois que peu de scientifiques ont la témérité d'explorer.
La recherche actuelle sur l'eau tente de renaître des cendres de ces deux
scandales. Il serait très juste de dire qu'il s'agit d'un domaine schizophrénique.
D'un côté, les scientifiques de la pensée dominante ont recours à des simulations
informatiques et à des approches technologiquement sophistiquées pour en
apprendre davantage sur les molécules d'eau et leurs voisines immédiates ; ces
résultats définiront grosso modo le champ d'étude. Optant pour des approches
relativement sûres, ces chercheurs ont obtenu des avancées ayant contribué à
affiner les différents modèles décrits plus haut dans ce chapitre.
D'un autre côté, certains scientifiques explorent les phénomènes qui nous
déroutent, comme ceux que j'ai décrits dans le chapitre précédent. Le simple
fait de mentionner ces phénomènes provoquera souvent un ricanement chez les
scientifiques conventionnels qui considèrent ces observations comme bizarres et
très peu scientifiques ; certains iront même jusqu'à rejeter ces phénomènes en
parlant« d'eau étrange».
Il est rare que les partisans de ces deux points de vue se rencontrent. Les
scientifiques qui étudient les mystères de l'eau admirent la sophistication tech-
nologique des conventionnels mais trouvent souvent leurs approches lourdes
et impénétrables, et ils gardent leurs distances. De leur côté, les conventionnels
fuient les excentriques de l'eau étrange comme la peste, certains transpirant rien
qu'à l'idée d'un nouveau scandale lié à l'eau. Les phénomènes mystérieux de l'eau
se retrouvent donc en marge de la science - avec la fusion froide, les OVNls et

22
les énergies subtiles. Il est préférable de garder vos distances avec ces sujets-là si
vous souhaitez conserver une respectabilité scientifique.
Au vu de l'atmosphère de suspicion régnant dans cette branche, on comprend
que la recherche y est devenue un véritable challenge. Cela revient un peu à cher-
cher des pépites d'or dans la boue : on peut trouver des informations ici ou là,
mais le lent et laborieux travail se déroule dans un climat de suspicion qui interdit
de poser ne serait-ce que les bases d'une nouvelle compréhension.

Les chapitres qui suivent vont contourner ce bourbier trop fréquenté. Nous
tracerons notre propre chemin à partir d'indices ignorés des autres, et nous le par-
courrons pour progresser vers une meilleure compréhension. Nous affirmons que
le comportement social de l'eau ne devrait pas être aussi incompréhensible que
ce que nous pensons actuellement : si la nature elle-même est simple et intuitive
comme beaucoup de scientifiques semblent le penser, nous avons alors l'espoir
que sa composante la plus répandue soit également simple et intuitive.
C'est cette compréhension aisée que nous nous efforcerons de révéler.

23
3 Lénigme de l'eau interfaciale

T oute l'eau qui se trouve dans un verre semble identique. Regarder attentive-
ment dans le verre ne nous aidera pas à savoir si les molécules d'une région
s'arrangent différemment de celles d'une autre région. Après tout, de l'eau, c'est
de l'eau, non?
Les apparences sont parfois trompeuses. C'est seulement au cours de cette
dernière décennie que j'ai appris que les matériaux de surface pouvaient avoir
un impact sur les molécules d'eau à proximité - un impact tel qu'il change radi-
calement presque tout en elles. La quasi totalité des surfaces qui entrent en
contact avec de l'eau engendreront ce genre d'effets : le contenant, les particules
en suspension, et même les molécules dissoutes - des surfaces de toutes sortes
affectant les molécules d'eau à proximité.
J'aurais eu connaissance de cet impact des surfaces si je m'étais donné la
peine de faire des recherches dans la littérature spécialisée : un article de JC Hen-
niker1 vieux de cent ans cite plus d'une centaine de travaux publiés confirmant les
effets sur de longues distances que produisent diverses surfaces sur de nombreux
liquides, dont l'eau. Ces données sont facilement disponibles.
Toutefois, en ce qui me concerne, les effets sur de longues distances étaient
une véritable révélation. Je savais que certaines surfaces affectaient l'eau sur une
dizaine de couches de molécules d'eau, et j'ai même écrit un livre sur la pertinence
biologique d'une telle eau structurée2 . Néanmoins, l'idée d'un impact à véritable-
ment longue distance s'étendant sur des milliers ou même des millions de couches
de molécules était plutôt bouleversante. Si cela était exact, il devenait évident
qu'une si forte influence jouerait un rôle capital dans tous
les phénomènes impliquant de l'eau.
Je vais maintenant vous raconter comment nous
nous sommes d'abord montrés sceptiques à propos de ces
arrangements longue distance, et ce que nous avons fait
pour vérifier si tout cela était vrai. Tout a commencé grâce
à une rencontre fortuite lors d'une conférence scientifique.

Un déjeuner avec Hirai


À la fin des années 1990, participant à un séminaire
lors d'un été torride, je me hâtai de passer d'un bâtiment
à un autre lorsque j'eus la bonne fortune de percuter le
professeur Toshihiro Hirai de l'Université de Shinshu au
Toshihiro Hirai, Université de
Shinshu.
Japon. Nous échangeâmes longuement et j'en pro-
fitai pour lui parler du livre qui m'occupait alors sur
le rôle de l'eau dans le fonctionnement cellulaire
(Cells, Gels, and The Engines of Life). Le sujet retint
de toute évidence son attention, car lorsque nous
décidâmes de manger un morceau pour échapper
à la fournaise, Hirai me fit part d'une observation
apparemment pertinente que ses étudiants avaient
Fig. 3.1 Les scientifiques se
faite - du genre pouvant s'avérer fondamental
servent fréquemment de micro- pour la compréhension de l'eau.
bil/es. Hirai et ses étudiants étudiaient le flux des
vaisseaux sanguins. En fait de véritables vaisseaux,
ils se servaient de tunnels cylindriques creusés
dans du gel et de microbilles en suspension pour simuler le sang (Fig. 3.1). Dans
cette expérience, de petites billes en suspension dans l'eau et pompées à travers
des tunnels creusés dans du gel simulaient donc le flux sanguin à travers les vais-
seaux. Le gel utilisé étant transparent, les chercheurs pouvaient suivre le flux du
« sang» ; ils n'avaient besoin que d'un simple microscope.

Hirai me fit part de leurs observations avec enthousiasme. Je trouvais que ses
travaux sur la circulation du sang étaient intéressants, mais ce qui capta réellement
mon attention était sa description du comportement mystérieux des microbilles :
m'expliquant que les microsphères en circulation avaient évité la zone annulaire
qui longeait l'intérieur de la surface du gel, et qu'elles ne s'étaient déplacées qu'au
centre du tunnel (Fig. 3.2). Hirai ajouta qu'il n'avait pas vraiment prêté attention
à ce phénomène, se disant qu'il devait s'agir d'un effet secondaire. La possible
présence d'une zone d'exclusion près de la surface ne lui avait apparemment pas
traversé l'esprit.
Suite à cette rencontre, Hirai et moi échangeâmes de nombreux emails. M'ef-
forçant de ne pas outrepasser les limites de la bienséance japonaise, j'essayai de
persuader Hirai de publier ses découvertes tout en ayant l'espoir de les mention-
ner dans mon livre à venir. Mais cela n'arriva pas. Hirai se montra
à juste titre de plus en plus froid au fur

Fig. 3.2 Schéma illustrant la zone


dénuée de microbille à l'intérieur du gel
tunnel creusé dans le gel.

eau

26 eau+
microbi/les
et à mesure de mes emails incessants et me proposa
finalement de m'inclure comme coauteur de toute
future publication si je lui permettais de continuer
à son propre rythme.
Je crois savoir que les observations d'Hirai n'ont
jamais été publiées. Toutefois, contre toute attente,
un ancien de ses collègues de recherche qui avait
déménagé à Seattle se présenta à mon laboratoire
pour chercher du travail. J'embauchai aussitôt
Jian-ming Zheng (Fig. 3.3), et nous nous mîmes à
poursuivre les travaux d'Hirai.
J'avais raison de soupçonner que la tendance Fig. 3.3 Jian-ming "Jim" Zheng.
qu'avaient les microbilles à éviter la zone proche
de la surface du gel pouvait avoir une signification
importante. Il semblait possible que la surface du gel structure les molécules d'eau
contiguës ; cette structuration grandissante rejetterait ensuite les microbilles de
la même manière que la glace qui s'étend repousse les débris en suspension . Cette
hypothèse était peu orthodoxe ; cependant, mon livre de 2001 passe en revue de
nombreux indices qui vont clairement dans ce sens.
L'aspect le plus étonnant des observations d'Hirai concernait toutefois
l'échelle de l'expérience. La zone dénuée de microbilles s'étendait jusqu'à environ
un dixième de millimètre depuis la surface du gel, ce qui voulait dire que cet arran-
gement semblait s'appliquer à un empilement de centaines de milliers de molé-
cules d'eau. On pourrait comparer cela à un alignement de billes qui s'étendrait
sur plusieurs dizaines de terrains de foot. Même en tant qu'auteur convaincu de
l'idée que l'eau est structurée à l'intérieur de la cellule 2, j'eus du mal à me repré-
senter cette magnitude colossale : cette distance me paraissait trop importante.
Je me serais probablement montré un tantinet moins sceptique si je m'étais
penché comme je l'aurais dû sur d'anciens travaux scientifiques. Paru il y a plus de
soixante ans et basé sur de nombreuses sources publiées, l'article que j'ai évoqué1
présentait une conclusion similaire : les surfaces exercent une influence à longue
distance sur les liquides contigus en provoquant une importante réorganisation
moléculaire. Ignorant cela, nous continuâmes naïvement à tenter de réinventer la
roue.
Nous commençâmes avec des expériences initiales plus simples que celles
d'Hirai. Utilisant le même type de gel que celui dont il s'était servi, nous en
plaçâmes un morceau dans un récipient et nous le recouvrâmes d'une solution
aqueuse contenant des microbilles en suspension, puis nous regardâmes dans
le microscope pour voir ce qui se passait. Dès que le liquide entra en contact
avec le gel, les microbilles commencèrent à s'éloigner de sa surface en laissant

27
une zone dépourvue de suspensions large d'à peine
moins de 100µm (0.1 mm). Il y avait de l'eau dans
cette zone, mais pas de microbille. Une fois formée,
la zone resta intacte : même après plusieurs heures
d'observation, les microbilles n'y pénétrèrent pas. La
Figure 3.4 montre le développement de cette « zone
d'exclusion » dépourvue de microbilles.
Nos observations révélèrent que la zone dépour-
vue de microbilles constatée par Hirai n'avait pas
pour origine l'hydrodynamique du flux « sanguin » ;
notre dispositif ne comportait aucun écoulement, et
nous avions pourtant obtenu une zone d'exclusion
similaire. Il apparaissait que quelque chose au niveau
de la surface du gel poussait les microbilles à reculer
rapidement, qu'il y ait ou non présence d'un flux. Les
deux scénarios avaient produit le même résultat: une
très nette zone d'exclusion - ou, comme nous allions
la nommer,« ZE ».

Les prédictions de la chimie


conventionnelle
Le phénomène d'exclusion semblait enfreindre
les principes de la chimie moderne. Ce phénomène
n'était pas censé exister. On savait que les surfaces
pouvaient affecter les liquides adjacents, mais on
pensait généralement que cet impact ne se prolon-
Fig. 3.4 Zone d'exclusion (ZE) geait pas dans le liquide au-delà de quelques couches
dépourvue de microbilles le moléculaires (malgré les preuves que citait Henniker
long d'une surface de gel. La dans son article de synthèse).
zone s'élargit avec le temps puis Pourquoi un impact aussi limité ? !.:opinion
reste relativement stable après dominante s'explique par la présence théorique d'une
environ cinq minutes. « double couche » de charges. Selon ce modèle, une
surface chargée placée dans l'eau attirera les ions de
charge opposée dissous dans l'eau (Fig. 3.5). Au-delà
de cette couche d'ions se trouve une deuxième couche, dont la polarité est oppo-
sée à la première, qui s'étend de façon diffuse à travers le liquide. Et au-delà de
cette double couche doivent se trouver d'autres charges diffuses, etc. Finalement,
c'est la neutralité qui l'emporte. Un observateur situé plus loin que ces couches
neutralisantes ne devrait pas remarquer la présence de la surface, comme si celle-
ci n'existait pas.

28
[ ..,surface chargée

:+: Fig. 3.5 Théorie standard de


-- ..
:+: - + + la double couche. On s'attend
:+ : à ce que la surface chargée (à
- :+: - +
gauche) attire les contre-ions de
-- ..
:+:
charge opposée comme indiqué.
..
- :+ j - +
..
- :+:
- :+ : -
+ Ces contre-ions vont à leur tour
+ + attirer un nuage diffus de charges
-- ..
:+:
.. + + opposées, et ainsi de suite. Un
- :+; - + + observateur assis dans l'eau en
un lieu éloigné de l'interface ne
- - -_, \ contre-ions devrait pas ressentir la présence
de la surface, qui a été neutra-
On appelle la distance minimum d'insensibilité /isée.
« la longueur de Debye » en référence au chimiste
hollandais Peter Debye. La valeur de la longueur de
Debye reflète l'étendue du nuage de contre-ions. Bien
que la valeur exacte dépende de nombreux facteurs, les valeurs typiques sont de
l'ordre du nanomètre (10·9 mètre). Au-delà de ces quelques nanomètres, d'après la
théorie, tout soluté ou particule situé dans le liquide devrait rester insensible à la
présence du matériau de surface.
Ce n'est pas ce que nous avons observé (Fig. 3.4). Les particules ont réagi de
manière significative au matériau de surface, à une distance quelque 100.000 fois
supérieure à la longueur de Debye.
Cette observation jeta un certain trouble : la longueur de Debye et la théorie
de la double couche sont des concepts bien ancrés dans le domaine de la chimie
de surface. Remettre ces théories en question par le biais d'observations expéri-
mentales incompatibles impliquait que nous devions être sûrs de nous, et nous
assurer qu'aucune explication simple ou qu'aucun artefact (terme scientifique
pour désigner une erreur de perception) ne pouvait nous avoir induits en erreur.

Explication simple ?
Zheng et moi-même avons passé une année entière à chercher une possible
erreurY Nous avons reçu les avis de nombreux collègues qui ne se sont jamais
gênés pour nous dire que des maladresses pouvaient se dissimuler derrière les
interprétations. Parmi les nombreux problèmes soulevés, quatre nous parais-
saient particulièrement embarrassants.
• Le premier portait sur des mouvements de convection qui auraient pu être
générés par de légères différences de température dans différentes régions ; des
écarts de température auraient pu créer des tourbillons fluidiques, susceptibles
d'éloigner les microbilles de la surface. Nous avons observé des mouvements de
convection dans de nombreuses expériences, mais dans d'autres, toutefois, ces

29
mouvements étaient absents, et nous avons pourtant constaté la formation de
zones d'exclusion. Cela nous permet de conclure que les mouvements de convec-
tion ne peuvent servir d'explication générale pour rendre compte de toutes les
zones d'exclusion que nous avons observées.
· Un second problème était l'effet « brosse de polymère» : les gels se compo-
sant de polymères (c'est à dire de grosses molécules constituées de la répétition
d'unités structurales identiques), des chaînes pourraient se projeter au-delà du
gel proprement dit et pénétrer dans la solution environnante, à la manière des
poils d'une brosse. Des chaînes fines et peu nombreuses auraient pu échapper à
la détection microscopique et exclure les microbilles ; toutefois, le déplacement
d'une nanosonde ultrasensible parallèlement à la surface du gel ne révéla aucune
preuve de la présence de telles chaînes. L.'.hypothèse des chaînes de molécules
invisibles semblait donc être une fausse bonne idée.
Des expériences réalisées ultérieurement confirmèrent cette conclusion.
L.'.une de ces expériences mettait en œuvre des monocouches auto-assemblées,
c'est-à-dire des couches d'une seule molécule d'épaisseur fonctionnalisés avec
des groupes de charge. Les monocouches n'entraînent pas de projections de
polymères, mais nous avons pourtant vu se former des zones d'exclusion de
grande taille. 4 Nous avons également constaté la présence de grandes zones d'ex-
clusion à côté de plaquettes de silicium de type n, ainsi qu'à côté de surfaces en
métal, 5 qui, une fois encore, ne projetaient pas de chaînes de molécules. La Figure
3.6 en montre un exemple.
· Une troisième explication simple pour justifier l'exclusion de microbilles
évoquait l'idée d'une répulsion électrostatique. Si le matériau de surface et les
microbilles sont tous deux chargés négativement, ils doivent se repousser ; une
répulsion suffisamment forte pourrait éloigner les microbilles et créer ainsi une
zone d'exclusion. Nous avons envisagé cette hypothèse bien que la théorie de la
double couche prédise que ce type de répulsion est censée se dissiper au-delà de
quelques nanomètres, une distance 100.000 fois in-
férieure à ce que nous avions régulièrement observé.
Le test le plus simple pour vérifier l'hypothèse
de la répulsion fut de substituer des microbilles
chargées négativement par des microbilles chargées
positivement. Selon l'hypothèse électrostatique, des
microsphères chargées positivement auraient dû être
attirées vers la surface chargée négativement. Nous
avons parfois vu les microbilles chargées positivement
rompre la zone d'exclusion ; d'autres fois, la zone
Fig. 3.6 Zone d'exclusion à côté d'exclusion est non seulement restée en place, mais a
d'une surface de zinc (la couleur
verte provient de l'utilisation
d'un filtre vert au niveau du
microscope).
également conservé la taille qu'elle avait lorsque l'on
avait utilisé des microbilles chargées négativement. 3.4
Le résultat fut similaire en inversant la charge de
la surface. Pour ces expériences, nous eûmes recours
à des billes de gel dont la surface sphérique créait
Fig. 3. 7 Exclusion de microbilles
des zones d'exclusion en forme de carapace (Fig.
du voisinage d'une perle de
3.7) . Les microbilles chargées négativement furent
constamment exclues. Le fait que la surface des billes
gel chargée tel qu'observable
avec un microscope optique
contenait des polymères chargés négativement ou
(la couleur verte est due à
positivement ne sembla pas avoir eu d'importance. 6
/'utilisation d'un filtre) . Nous
La simple répulsion électrostatique ne pouvait suffire
avons positionné la perle
à expliquer les résultats observés.
sur une surface de verre sur
· Une quatrième hypothèse évoquait la possi- laquelle nous avons ajouté des
bilité que le gel émette des contaminants : une fuite microbilles en suspension. La ZE
de contaminants aurait pu repousser les microbilles a grossi progressivement pour
et générer une zone d'exclusion visible. Cependant, atteindre la taille vue ici.
les résultats observés lors d'expériences où l'on avait
employé des monocouches contredirent cette hypo-
thèse : ces couches qui n'ont qu'une seule molécule d'épaisseur produisirent d'im-
portantes zones d'exclusion, 4 bien qu'elles soient pourtant si fines que virtuelle-
ment rien ne puisse s'en échapper.
· Nous avons également tenté une autre approche en éliminant toute source
supposée de contaminants ; de puissants flux paral-
lèles aux surfaces de nucléation des zones d'exclu-
sion, quelle que soit leur force, ne purent éliminer les
ZE.7
· Enfin, nous avons observé des zones d'exclu-
sion trop grandes pour être expliquées par des fuites
de contaminants, dans de longs récipients cylin-
driques orientés horizontalement. Fixant un disque
de gel à une extrémité du cylindre avec des clips, nous
avons rempli le récipient avec des microbilles en sus-
pension pour voir ce qui allait se passer. Comme nous
nous y attendions, une zone d'exclusion en forme de
crêpe se forma à côté de la surface du gel et se déve-
loppa pour atteindre une épaisseur de plusieurs cen-
taines de microns. Mais sa projection ne s'arrêta pas
là (Fig. 3.8) : la ZE continua de s'étendre en prenant Fig. 3.8 ZE à longue projection.
une forme de bâton. Se ramifiant parfois, ces ZE en Le gel en forme de disque génère
forme de bâton se prolongent généralement jusqu'à la ZE discoidale qui poursuit
sa progression sous forme d'un
bâton. Une telle projection peut
s'étendre sur un mètre au moins.
atteindre l'autre extrémité de tubes d'un mètre de long. 8 Il est évident qu'une dif-
fusion de contaminants ne saurait expliquer ces zones d'exclusion ultra longues.
Ces vérifications, réalisées pendant une année, nous ont permis d'établir que
les zones d'exclusion observées ne pouvaient s'expliquer par des raisons simples.
À l'heure où j'écris ces lignes, des dizaines de laboratoires ont confirmé l'existence
des ZE. De plus (et pour notre plus grand malheur), il se trouve qu'un article
publié en 1970 et récemment redécouvert décrit dans les grandes lignes les mêmes
observations : des zones d'exclusion de microbilles de plusieurs centaines de
microns d'épaisseur juste à côté de surfaces de gel polymériques et biologiques. 9
Nous voyons donc que l'exclusion des microsphères ne relève pas du hasard ; il se
produit quelque chose qui n'avait pas été prédit et qui éloigne les microbilles de
certains matériaux de surface.
Si les expériences que nous effectuâmes pour détecter un possible artefact
nous prirent une grande partie de notre énergie, elles nous indiquâmes aussi
accidentellement une piste à explorer: nous réalisâmes que ces zones d'exclusion
longues d'un mètre devaient impliquer la présence d'une structure de type cristal,
puisque nous savions que les cristaux atteignent facilement de telles longueurs
(pensez aux stalactites). Les cristaux ont également la propriété de rejeter les
particules en s'étendant. L.'.idée que les ZE pourraient être des matériaux de type
cristal nous intrigua.
Les cristaux se développent généralement à partir de sites de nucléation,
c'est-à-dire de surfaces particulières. Il semblait donc important de déterminer le
type de surfaces qui nucléent des zones d'exclusion.

Dans quelle mesure les zones d'exclusion ont-elles un


caractere général ?
Nous commençâmes par examiner plusieurs types de gels de façon répéti-
tive. Tout (hydro)-gel contenant de l'eau produisit des zones d'exclusion, dont
des gels faits à partir de molécules biologiques et des polymères artificiels (Fig.
3.9a). Nous vîmes aussi des zones d'exclusion à côté de surfaces biologiques
naturelles, dont des endothéliums vasculaires (l'intérieur des vaisseaux san-
guins), des racines de plantes et des muscles (Fig. 3.9b). J'ai déjà mentionné les
monocouches (Fig. 3.9c). Observer des zones d'exclusion importantes à côté de
couches d'une seule molécule d'épaisseur nous apprit que l'épaisseur du matériau
n'avait pas de conséquences : il semblait possible qu'une zone d'exclusion n'ait
besoin que de l'épaisseur d'une molécule pour se former.
Différents polymères chargés ont également produit des zones d'exclusion, le
Nafion constituant un exemple particulièrement parlant (Fig. 3.9d). Le squelette
de type Teflon du Nafion renferme de nombreux groupes d'acides sulfoniques

32
chargés négativement qui font de ce polymère l'un
des plus puissants créateur d'exclusion. Étant donné
les importantes zones d'exclusion produites par le
Nafion et sa facilité d'utilisation, il en sera ultérieure-
ment fréquemment question dans ces pages.
La seule caractéristique étrange que nous obser-
vâmes étaient des brèches, c'est-à-dire des parties
de la surface atypiques qui étaient dépourvues de
ZE. Nous remarquâmes toutefois qu'elles appa-
raissaient régulièrement à côté de certains métaux,
ainsi qu'à côté de membranes polymériques lorsque
ces dernières étaient traversées par des solutions
de différentes concentrations, comme ce fut le cas
lors de nos expériences portant sur le phénomène
de l'osmose (voir chapitre 11). Ces ruptures dans la
zone d'exclusion prenaient la forme de trous dans la
barrière par ailleurs régulière de la ZE.
Les matériaux décrits nucléant des ZE tombent
dans la catégorie des « hydrophiles » (qui aiment
l'eau). Leur amour de l'eau semble suffisamment fort
pour exclure d'autres prétendants ; seule l'eau peut
rester. Les surfaces « hydrophobes » (qui détestent
l'eau) comme le Teflon s'avèrent au contraire inca-
pables de produire des zones d'exclusion. Il apparaît
que le phénomène d'exclusion est propre au groupe
des surfaces hydrophiles.
Cette première généralité établie, nous nous
demandâmes ensuite : qu'exclut la ZE ? N'exclut-elle
que des microbilles? Ou son action peut-elle s'étendre
à d'autres substances ?
Nous découvrîmes ainsi qu'un grand nombre
de substances étaient exclues, de la particule en
suspension aux solutés dissous de petite taille. 3
Des microbilles de toutes les tailles (de 10 µm à 0.1
µm) et de différentes matières furent exclues. Même
des globules rouges, plusieurs souches de bactéries Fig. 3.9 Exemples de zones
et des particules de poussière ordinaire le furent. d'exclusion de microbil/es vues au
Nous observâmes des zones d'exclusion avec la pro- microscope optique. (a) gel acide
téine d'albumine, tout comme avec divers colorants polyacrylique ; (b) muscle ; (c)
présentant des masses moléculaires aussi faibles monocouche auto-assemblée sur
de l'or; (d) polymère de Nafion
avec évolution dans le temps.
que 100 daltons, soit à peine plus qu'une molécule
de chlorure de sodium (sel de table). L'écart entre
les plus petites et les plus grandes des substances
exclues allait de un à mille milliards (Fig. 3.10).
Ces expériences montrèrent que les ZE
excluaient des substances de toutes tailles, de
la très petite à la très grande.
Nous n'avons pas pu tester de manière
catégorique les plus fins des solutés - ce
serait pour plus tard. Néanmoins, nous
pouvions d'ores et déjà conclure le
caractère général du phénomène de
l'exclusion : quasiment toutes les
surfaces hydrophiles peuvent géné-
rer une ZE, et cette ZE exclura pra-
tiquement tout ce qui est en suspension ou dissout
dans l'eau.
Fig. 3.10 Échelle des substances
exclues. Pourquoi les solutés sont-ils exclus ?
Cette vaste faculté d'exclusion laissait penser à
nouveau à une substance de type cristal puisque nous savons que les cristaux
excluent de manière importante. J'ai déjà évoqué une possible structure cristal-
line des zones d'exclusion : la surface hydrophile pousserait les molécules d'eau
se trouvant à proximité à s'aligner comme dans un cristal liquide. À mesure que la
zone structurée se développerait, elle rejetterait les solutés de la même manière
qu'un glacier qui s'étend rejette les pierres sur son chemin.
L'idée d'un tel arrangement moléculaire n'est pas nouvelle. L'article précedem-
ment cité de Henniker (et qui date de 1949) évoquait déjà de nombreux travaux
anciens montrant une importante réorganisation des molécules à proximité d'une
surface. La voix de Henniker ne resta pas perdue dans le désert : l'idée d'une
organisation de l'eau sur de longues distances fut reprise par un grand nombre
d'éminents scientifiques, dont Walter Drost-Hansen, James Clegg, et plus particu-
lièrement Albert Szent-Gyürgyi et Gilbert Ling. Szent-Gyôrgyi (Fig. 3.11) était un
visionnaire qui a remporté le prix Nobel pour sa découverte de la vitamine C. Une
des pierres angulaires de sa pensée était l'arrangement de l'eau sur de longues
distances qu'il considérait comme l'un des principaux piliers de l'édifice de la vie.
Gilbert Ling (Fig. 3.12) agréait. Il souligna le rôle central de l'arrangement de
l'eau dans la fonction cellulaire, forgeant ainsi un cadre révolutionnaire dans le
domaine de la biologie. Il écrivit cinq livres sur le sujet, le dernier en date étant

34
sa monographie de 2001, Life at the Cell and Below-
Cell Level. 1°Ce livre présente l'idée que les surfaces
chargées de la cellule ordonnent les molécules d'eau
situées à proximité, lesquelles vont à leur tour exclure
la plupart des solutés. D'après Ling, cet arrangement
explique précisément pourquoi la plupart des solutés
restent en faible concentration dans la cellule : ils
sont exclus par l'eau structurée de la cellule.
Le décor posé par ces géants, l'idée que des sur-
faces chargées ou hydrophiles puissent ordonner
des molécules d'eau sur des distances appréciables
devint plausible ; nous avions de solides précédents
expérimentaux à notre disposition. D'un autre
côté, l'idée contraire était également plausible : les
chimistes partisans du modèle théorique dominant Fig. 3.11 Albert Szent-Gybrgyi
affirment que ce genre d'arrangement est improbable dans ses dernières années.
puisque les molécules ont une tendance naturelle au
désordre. Néanmoins, certains mécanismes devaient
expliquer les importantes exclusions observées et
l'arrangement de l'eau paraissait une option viable ;
notre laboratoire se mit donc à explorer cette pos-
sibilité.

Autres preuves de l'impact des surfaces


sur l'eau environnante
Nous eûmes recours à toute une série de méthodes
pour déterminer la nature physique de la zone d'ex-
clusion. Chaque fois, nous mîmes en place une zone
d'exclusion (utilisant l'eau la plus pure possible) afin
de vérifier si la propriété particulière étudiée différait
entre l'eau dans la ZE, et celle au-delà de la ZE. De
cette manière, nous espérâmes non seulement détec-
ter une différence, mais aussi, avec un peu de chance,
établir la nature de l'eau dans la ZE. J'espère que vous
me suivrez dans la description un peu technique des Fig. 3.12 Gilbert Ling au début
six tests expérimentaux qui suit. de sa carrière.

(i) Absorption de lumière. Chaque substance


absorbe la lumière de manière différente. En dressant
le tableau de l'absorption des différentes longueurs d'onde (« les couleurs»), on
comprend comment une substance accepte l'énergie électromagnétique ; cela

35
Fig. 3.13a Mesure de l'absorp-
tion de la lumière. Déplacer
le récipient latéralement
nous permit d'examiner l'eau
à différentes distances de la
surface du Nafion.

nous renseigne sur la façon dont les molécules réagissent à l'énergie absorbée.
Nous espérions a minima constater que le spectre d'absortion de la lumière n'était
pas le même pour la ZE et pour l'eau en vrac.
Pour vérifier s'il existait de telles différences, nous réalisâmes l'expérience de
la Fig. 3.13a. Nous fixâmes un feuille de Nafion à l'intérieur d'un récipient translu-
cide standard que nous remplîmes ensuite d'eau. Comme le montre l'illustration,
nous plaçâmes le récipient sur la trajectoire d'une étroite fenêtre de lumière qui
pénétrait dans l'eau avant d'atteindre le spectrophotomètre; déplacer le récipient
permit d'étudier la lumière passant à travers la ZE ou dans des régions au-delà de
laZE.
La Figure 3.13b présente les résultats. Loin de l'interface Nafion-eau (au-des-
sus de 400 µm), le spectre resta plat: les longueurs d'onde absorbées de la lumière
visible ou proches du visible ne différaient pas de celles de l'eau en vrac normale
dénuée de surface créant une zone d'exclusion. Nous nous y attendions. Toutefois,
en déplaçant le récipient, nous notâmes un fort pic d'absorption lorsque la fente
de lumière se rapprocha de l'interface Nafion-eau et se retrouva donc dans la ZE.
La longueur d'onde était approximativement de 270 nm. Ce pic d'absorption à 270
nm s'éleva à mesure que l'on rapprocha la fenêtre de la surface du Nafion pour
finalement dominer le spectre d'absorption. Aucun pic de ce genre n'étant apparu
dans l'eau au-delà de la ZE, il devint évident que les caractéristiques d'absorption
de la ZE différaient grandement de celles du restant de l'eau en vrac.

3
Fig. 3.13b Spectre d'absorption distance:
mesuré à différentes distances du faisceau au Nafion (µm)

de l'interface Nafion-eau. Les )


distances décroissantes vont du
vert au rouge. Les nombres atta-
chés à chaque courbe indiquent
les distances utilisées.

200 250 300 350 400 450


longueur d'onde (nm)
(ii) Absorption de l'infrarouge. Il est égale-
ment possible de chercher des différences d'absorp-
tion dans la région infrarouge du spectre électroma-
gnétique ; ces longueurs d'onde plus grandes nous
renseignent sur la structure moléculaire. La Figure
3.14 nous montre un exemple de l'absorption de
l'infrarouge dans et autour d'un morceau de Nafion
triangulaire immergé. Les différentes couleurs
indiquent différentes magnitudes d'absorption. Loin
Fig. 3.14 Examen d'un morceau
du Nafion, le bleu uniforme indique un niveau d'ab-
triangulaire de Nafion plongé
sorption faible et uniforme. Le changement de cou-
dans de l'eau par absorption de
leur près du Nafion (vert) indique que l'absorption de
l'infrarouge. Les différences de
la ZE diffère de celle du reste de l'eau en vrac.
couleur indiquent des magnitudes
On aurait pu obtenir des informations plus pré- d'absorption différentes, la
cises en utilisant des échantillons plus fins, mais il est couleur bleue signifiant une plus
difficile de se procurer des spécimens exploitables et faible absorption.
leur utilisation peut nécessiter des avancées tech-
nologiques. Néanmoins, les différences d'absorption
constatées dans la présente illustration indiquaient
que la structure de l'eau en vrac différait bien de celle de la ZE.
(iii) Emission d'infrarouges. Notre troisième approche consista à utiliser une
caméra infrarouge afin de mesurer le rayonnement infrarouge (la« chaleur») émis
par le corps étudié. Si la nature de la zone d'exclusion différait de celle du restant
de l'eau en vrac, il aurait été logique de noter quelques différences au niveau de
leur radiation.
Pour mesurer ces émissions, nous plaçâmes un morceau de Nafion dans un
récipient d'eau peu profond. Laissant l'échantillon se stabiliser pendant une
heure, nous relevâmes le rayonnement infrarouge de l'objet puis établîmes son
rayonnement moyen à partir de nombreuses images. La Figure 3.15 nous montre
un résultat représentatif. La région sombre à côté du Nafion est la zone d'exclu-
sion ; elle est sombre du fait qu'elle irradie très peu. Les régions plus distantes
apparaissent plus brillantes.
Il est nécessaire d'avoir quelque connaissance sur ce qui détermine l'intensité
de l'infrarouge pour interpréter les résultats. Les substances chaudes émettent
plus d'infrarouges ; c'est de cette manière que les scanners thermiques des aéro-
ports détectent si vous êtes porteur de la grippe et si vous allez passer la semaine
qui vient en quarantaine plutôt que de vous prélasser sur la plage. Cependant,
la température n'est pas la seule à déterminer l'intensité de l'infrarouge : l'inten-
sité est en effet le produit de la température et de I'« émissivité »,cette dernière
indiquant la nature de la structure émettrice. Les structures ordonnées, comme

37
le cristal, émettent moins d'énergie infrarouge que
les structures désordonnées : la plus grande sta-
bilité de leurs composants moléculaires fait qu'ils
se déplacent moins énergiquement. Ainsi, une plus
faible émission d'énergie infrarouge peut signifier
soit une plus grande stabilité, soit une température
Fig. 3.15 Image de l'émission plus basse.
infrarouge de Nafion se trouvant
Une température plus basse n'explique pas la
dans de l'eau. L'échantillon était
faible émission d'infrarouge de la ZE que l'on observe
stabilisé à température ambiante.
à la Figure 3.15. Nous avons fait la moyenne des
La bande noire qui traverse l'image
mesures prises sur une longue période au cours de
horizontalement en son milieu
l'expérience, aussi toute différence de température
correspond à /'emplacement attendu
entre la zone d'exclusion et le reste de l'eau aurait
de la zone d'exclusion.
dû s'effacer. Une différence d'émissivité semble être
l'explication la plus plausible. La ZE plus sombre
indique une plus faible émissivité ; autrement dit, la ZE est davantage structurée
et cristalline que le reste de l'eau.
(iv) Imagerie par résonance magnétique. L'imagerie par résonance
magnétique (IRM) est une technique utilisée pour obtenir des images de tumeurs.
Raymond Damadian, le pionnier qui a breveté la technique, a basé son invention
sur le principe que l'eau change en fonction de l'environnement où elle se trouve;
c'est précisément cette caractéristique qui permet d'obtenir des images spatiales.
Dans notre expérience avec l'IRM, nous plaçâmes
un gel avec de l'eau dans la zone de test. L'IRM émit
un champ magnétique pulsé qui excita les noyaux
atomiques de l'eau dont les protons retrouvèrent
ensuite leur état initial. Le temps de relaxation
fournit des informations sur le degré de restriction
de mouvement par rapport aux molécules proches.
L'ordinateur de l'IRM exploite ensuite ces données
de restriction pour créer une image.
La Figure 3.16 montre une carte des temps de
relaxation. Les régions les plus sombres indiquent
des temps de relaxation plus courts, ce qui signifie
une plus grande restriction. Une bande sombre
traverse le milieu de l'image, qui coïncide avec la
Fig. 3.16 Illustration des temps de
largeur et l'emplacement de la ZE. Il apparaît donc
relaxation. La partie inférieure d'un
que les molécules au sein de la ZE sont soumises à
tube capillaire est remplie d'un gel
une plus forte restriction que les molécules d'eau se
d'alcool polyvinylique, tandis que la
situant au-delà.
partie supérieure est remplie d'eau.
La bande sombre, qui correspond à
la ZE du gel, indique une plus forte
restriction moléculaire.
1400
Fig. 3.17 Viscosité de fa ZE
1200
(partie ambrée). Nous avons
1000 mesuré fa viscosité de l'eau à
diverses hauteurs au-dessus
Ê
:i 800 d'une surface de Nafion (courbe
.....
:::J
2:::J rouge). Ainsi qu'une expérience
600
L
rel de contrôle (courbe verte) avec
400 une surface montrant peu ou pas
ZE de zone d'exclusion.
200

0
0 5 10 15 20 25
viscosité (g/m · sec)
Cette conclusion n'est pas unique. Une étude plus ancienne signalait égale-
ment le même type de restriction mais sur des distances encore plus longues
avec différents matériaux de surface, 11 et nous constaterons par la suite dans
notre propre laboratoire 12 que l'eau qui se trouve près d'une surface accuse un
«déplacement chimique», terme scientifique désignant l'implication d'une espèce
chimique différente. Les techniques de résonance magnétique révèlent des diffé-
rences marquées entre l'eau de la ZE et le reste de l'eau.
(v) Viscosité. Nous nous intéressâmes également à la viscosité, autrement
dit à la fluidité des zones d'exclusion ; le miel, par exemple, est plus visqueux que
l'eau. Pour déterminer si la viscosité de la ZE différait de celle du reste de l'eau,
nous eûmes recours à une technique appelée « viscosimètre à chute de bille».
Nous recouvrâmes le fond d'un petit récipient avec une feuille de Nafion avant
de le remplir d'eau, puis lâchâmes ensuite des billes en polymère dans celui-ci ;
nous observâmes ces dernières descendre à une vitesse grossièrement constante
avant de ralentir progressivement en entrant dans la zone d'exclusion (Fig. 3.17).
La réduction de vitesse constatée signifie une plus grande viscosité. Cette expé-
rience démontre que l'eau de la ZE est plus visqueuse que le reste de l'eau.
(vi) Caractéristiques optiques. Deux groupes russes ont mesuré indé-
pendamment l'un de l'autre les propriétés réfractives (courbure de la lumière)
de zones d'exclusion. 13•14 Chacun a montré que les ZE présentaient un indice de
réfraction d'environ 10% supérieur à celui du restant de l'eau en vrac. Un indice
de réfraction plus élevé indique généralement une plus forte densité; les résultats
obtenus suggèrent donc que les ZE ont une densité plus élevée que le reste de
l'eau.
!..'.ensemble de ces six expériences 4 a montré que les caractéristiques de l'eau
se situant à /'intérieur des zones d'exclusion diffèrent de celles concernant l'eau
située en dehors de ces zones. Les différences sont notables. !..'.eau des zones
d'exclusion est plus visqueuse et plus stable que le restant de l'eau en vrac ;
les mouvements de ses molécules sont plus restreints ; son spectre d'absorption
de la lumière diffère dans le domaine de la lumière visible, de l'ultraviolet et de

39
l'infrarouge ; enfin, elle a un indice de réfraction plus
élevé. Ces multiples différences montrent que l'eau
des ZE diffère de celle du reste de l'eau, et qu'elle
ressemble finalement peu à de l'eau liquide.

Structure et zone d'exclusion


Fig. 3.18 Mae-Wan Ho. L'hypothèse que nous privilégiâmes pour rendre
compte de la nature des ZE était que l'eau y est struc-
turée. Les résultats expérimentaux que nous venions
d'obtenir semblaient cohérents avec l'idée d'une eau structurée, mais ces expé-
riences n'abordaient pas directement le sujet de la structure proprement dite ;
pour cela, nous avions besoin d'autres types de preuves.
Nous avions de bonnes raisons expérimentales de suspecter l'existence d'une
structure. Le fabuleux livre de Mae-Wan Ho, The Rainbow and the Worm, 15 avait
déjà fourni des preuves d'ordre sur de grandes distances. Ho (Fig. 3.18) se ser-
vit d'un microscope polarisant très sensible. La microscopie polarisée est une
méthode standard pour détecter une structure, en particulier dans les minéraux.
Le principe est simple : pour des structures moléculaires s'alignant, les propriétés
optiques dans la direction de l'alignement différent de celles pour des directions
orthogonales ; c'est ce que l'on appelle la biréfringence. Ho a montré des aligne-
ments structuraux s'étendant sur de vastes régions du corps d'un ver, et conclut
que cet ordre que l'on observe provient largement du fait que l'eau y est structu-
rée. La Figure 3.19 est tirée de son livre.
Motivés par Ho pour explorer ce phénomène, nous installâmes notre propre
système de microscopie polarisante afin d'étudier l'eau située à proximité du
Nafion. Si certaines expériences ne révélèrent pas clairement de biréfringence,
peut-être à cause d'une sensibilité insuffisante, d'autres donnèrent des résultats
positifs et confirmèrent les observations de Ho. Dans la Figure 3.20, l'eau éloi-
gnée du Nafion est bleue, ce qui indique que les molécules n'ont pas d'orientation
préférée. La région structurée correspond à la zone d'exclusion située juste à côté

Fig. 3.19 Cette larve de drosophile fraîchement


éclose a été placée sous la lumière polarisante
d'un microscope pour détecter des états cristal-
lins liquides à partir des couleurs d'interférence.
Les couleurs indiquent que pratiquement
toutes les molécules, y compris d'eau, sont
alignées ; les couleurs particulières dépendent
de l'orientation de l'alignement moléculaire et
de son degré de biréfringence. Pour plus de
détails, lire le livre de Ho, '5 p.. 219-221.
Fig. 3.20 Observation par microscopie
polarisante d'un morceau de Nafion en pointe
de flèche (délimité par la ligne brisée) dans
l'eau. La couleur bleue indique une orientation
moléculaire aléatoire, et la couleur rouge le
plus haut niveau d'ordre moléculaire (voir
l'échelle sur la droite).

du Nafion. En d'autres termes, l'eau dans la zone d'exclusion est davantage struc-
turée que celle qui se trouve plus loin dans le récipient.
La zone structurée de la Figure 3.20 est énorme par rapport aux dimensions
moléculaires de l'eau ; songez à la taille microscopique d'une molécule d'eau qui
est de l'ordre de 0.25 à 0.3 nanomètre (soit moins d'un millionième de millimètre).
La zone structurée dans l'illustration correspond à un alignement d'approximati-
vement un million de molécules d'eau, ce que l'on pourrait comparer à un aligne-
ment de billes s'étendant sur des dizaines de terrains de football.
Deux articles traitent de la possibilité théorique d'un si long arrangement. On
doit le premier au regretté Rustum Roy, un pionnier de la science des matériaux.
Roy et ses collègues 16 montrèrent que certaines surfaces avaient un effet similaire
à un modèle: les matériaux liquéfiés se structuraient pour former de longs réseaux
cristallins. Utilisé généralement avec des matériaux semi-conducteurs comme le
silicium, ce procédé a rendu possible la fabrication des circuits intégrés modernes,
mais il arrive qu'on l'emploie également avec de l'aluminium en fusion; on observe
un processus similaire lors de la formation de la glace ordinaire. Ces observations
ont conduit Roy et ses collègues à suggérer un arrangement similaire des molé-
cules d'eau ; d'après eux, ce phénomène était inévitable.
Partant des lois de la physique-chimie et après avoir analysé les résultats obte-
nus dans de nombreuses expériences, Ling11 arriva à une conclusion similaire :
de longs arrangements de molécules d'eau générés depuis des surfaces ; et ce,
sur des distances gigantesques dans des conditions idéales. Autrement dit, la
propension à la structuration l'emporterait facilement sur la tendance naturelle
au désordre.
Ces deux articles constituent un support susceptible d'expliquer théori-
quement l'arrangement moléculaire que nous avons observé, et ils permettent
également de contrebalancer l'idée couramment admise de l'impossibilité d'un
arrangement moléculaire sur de longues distances. Malgré tout, il reste des ques-
tions sans réponses ; ni les preuves obtenues expérimentalement ni des consi-
dérations théoriques ne répondent à ces interrogations : comment les molécules
d'eau s'y prennent-elles exactement pour s'auto-ordonner? Les molécules d'eau
s'empilent-elles? Ou y a t-il à l'œuvre un système de réorganisation plus élaboré?
Des réponses à ces questions apparaîtront plus loin dans ce livre.

41
Matière à réflexions
Je reconnais que les lecteurs élevés aux manuels de chimie
moderne trouveront ici peu de choses entrant en résonance avec ce
qu'on leur a enseigné. Les manuels traitent de quelque chose de bien
différent de ce que nous avons observé. Leur attachement à la théorie
de la double couche laisse supposer qu'une structuration des molé-
cules d'eau ne peut dépasser quelques couches le long de surfaces
chargées ; au-delà de ces quelques couches, il ne devrait plus rien se
passer.
Mais parallèlement, des scientifiques ont commencé à admettre
que l'eau avait des propriétés qui n'étaient pas si dénuées d'intérêt. De
nombreux phénomènes liés à l'eau (dont on a vu un certain nombre
dans le premier chapitre de ce livre) résistent aux explications. Étant
donné ces difficultés, des chercheurs acceptent aujourd'hui de s'in-
téresser plus ouvertement aux caractéristiques insoupçonnées de
l'eau ; autrement dit, cette branche commence à se pencher sur les
curieuses découvertes faites récemment, l'une d'elles étant l'arrange-
ment des molécules d'eau sur de longues distances.
À partir des preuves obtenues à propos d'un tel arrangement
longue distance, les chapitres qui suivent vous révéleront une struc-
ture de zone d'exclusion qui ressemble étonnamment à de la glace.
Toutefois, il ne s'agit pas de glace. Cette structure de type glace
s'avère être comme la partie immergée de l'iceberg : il y a quelque
chose de profondément fondamental dans la zone d'exclusion qui
pousse l'eau à s'organiser. Le principe ici à l'œuvre s'avère être basé
sur une forme d'énergie courante dans la vie quotidienne, et suffi-
samment simple pour être compris par tout le monde.
' .
2eme partie

La vie secrète de l'eau

La partie précédente nous a montré que l'eau située à proximi-


té d'une surface différait de celle dans le reste du volume d'eau.
Nous allons à présent nous pencher sur ces différences: nous allons
identifier la structure de la zone d'exclusion et nous intéresser aux
caractéristiques de cette zone.
4 Un quatrième état de l'eau?

J e me souviens de l'émotion qu'a provoqué le lancement du premier satellite en


1957, époque où j'étais étudiant. Le Spoutnik était une incroyable prouesse
technologique. Les Soviétiques venaient de réussir un coup de maître qui avait
pris les Etats-Unis au dépourvu, et cela ne laissait rien présager de bon quand
on sait que les deux pays étaient alors en pleine Guerre Froide. Alarmé par ce
triomphe soviétique, le gouvernement américain a réagi en investissant massi-
vement dans la recherche scientifique et le développement technologique. Le
lancement de Spoutnik était exactement le type d'événement embarrassant que
le gouvernement ne souhaitait pas voir se reproduire.
Mais, une dizaine d'années plus tard seulement, une nouvelle humiliation
semblait imminente. Cette fois-ci, le problème ne tirait pas son origine de quelque
chose d'aussi fou qu'un satellite, mais de la science de l'eau : les Russes venaient
de frapper une nouvelle fois en ayant apparemment découvert un nouvel état de
l'eau. Des scientifiques russes, ayant placé de l'eau dans d'étroits tubes capillaires,
constatèrent que les propriétés de l'eau s'étaient modifiées de façon spectacu-
laire ; l'eau ne se comportait plus comme un liquide, mais pas comme un solide,
et, pendant un temps, on pensa réellement avoir mis en évidence un nouvel état.
La chimie nous enseigne que l'eau a trois états : solide, liquide, et gazeux. La
découverte des Russes impliquait l'existence d'un quatrième état, ou du moins de
quelque chose se distinguant des trois autres états. Souvenez-vous des décou-
vertes expérimentales décrites dans le dernier chapitre : l'eau qui se trouve à
côté de surfaces hydrophiles présente des propriétés différentes ; en effet, l'eau
au sein des zones d'exclusion est plus visqueuse, plus stable, et plus structurée
que celle du reste de l'eau. Bien que ne correspondant pas exactement avec ce
que les Russes avaient prétendu trouver, ces caractéristiques des ZE semblent
suffisamment proches pour faire naître l'idée que leurs découvertes et les nôtres
pouvaient se recouper.
Nous commencerons ce chapitre en nous intéressant à ce que les Russes ont
effectivement trouvé et en évoquant l'intérêt international que ces découvertes
n'avaient pas manqué de susciter. Nous verrons quelles leçons nous pouvons tirer
du scandale qui a suivi, puis nous nous concentrerons sur les zones d'exclusion :
la ZE est-elle un simple empilement ordonné de molécules d'eau, ou s'y trouve-t-il
une organisation du type cristal? Et cette structure constitue-t-elle réellement un
quatrième état de l'eau ?

45
Retour sur le scandale de l'eau
polymérisée
Comme nous l'avons dit au chapitre 2, l'histoire
commence quand un obscur scientifique russe du
nom de Nikolaï Fedyakin découvrit que l'eau, sous
certaines conditions, pouvait contre toute attente se
montrer étrangement stable : il devenait difficile de la
geler et tout aussi difficile de la faire s'évaporer; cette
eau semblait en outre plus dense et plus visqueuse
que de l'eau normale. Encouragé par cette stabilité
inhabituelle, Fedyakin fit part de ses observations au
chimiste le plus en vue de l'Union Soviétique, Boris
Fig. 4.1 Boris Derjaguin, un
Derjaguin (Fig 4.1), lequel se montra suffisamment
chimiste russe visionnaire.
impressionné pour mettre ses collaborateurs sur le
dossier.
Derjaguin comprit que les tubes capillaires n'étaient pas le seul matériau
pouvant interagir avec l'eau : tout ce qui entre en contact avec l'eau crée une
interface, depuis le simple verre contenant votre eau de boisson, jusqu'aux aux
protéines se trouvant au sein d'une cellule. Toutes ces interfaces génèrent de l'eau
« interfaciale » ayant des propriétés potentiellement aussi stables que l'eau se
trouvant dans des tubes capillaires. De toute évidence, Derjaguin comprit l'intérêt
de cette découverte: la compréhension de ce seul phénomène lui livrerait des clés
pour percer de nombreux mystères de la nature, et c'est pourquoi il se livra à une
exploration méticuleuse du phénomène. Pour s'assurer que l'eau utilisée dans ses
expériences était pure, il veilla à ce qu'on l'évapore puis qu'on la recondense à
l'intérieur de tubes capillaires scrupuleusement propres; c'est cette eau apparem-
ment pure qui présenta une stabilité si remarquable. Pourtant, c'est précisément
un problème de pureté qui allait finalement causer la perte de Derjaguin.
Bien que les travaux de ce chimiste avaient acquis une certaine notoriété
au sein de la communauté scientifique russe au milieu des années 1960, ce n'est
que plus tard que les chercheurs occidentaux commencèrent à s'y intéresser ;
les Etats-Unis et la Grande-Bretagne furent les premiers à étudier le sujet, puis,
bientôt, le monde entier se passionna pour ce type d'eau particulier.
Même la presse s'empara du sujet. Avec son habituelle tendance au sensa-
tionnel, la presse effraya la population en inventant une théorie selon laquelle une
simple goutte de cette matière jetée dans l'océan pouvait se comporter comme un
germe cristallin et polymériser toute l'eau de la Terre et n'en faire plus qu'une seule
masse difforme impossible à consommer... ce qui ne manquerait pas de causer
notre disparition.

46
Le monde, qui était alors plongé en pleine Guerre Froide, fut soulagé d'ap-
prendre que toute cette affaire d'eau polymérisée n'était due qu'à une bourde
expérimentale. En répétant ces expériences, les scientifiques occidentaux
découvrirent que l'eau contenait des traces de silice provenant probablement du
quartz des parois des tubes capillaires, ce qui voulait dire que l'eau était donc
finalement impure. Bien qu'il soit difficile d'affirmer qu'un grand bécher rempli
d'eau contienne des concentrations significatives du matériau du contenant, les
scientifiques travaillaient ici avec des tubes extrêmement fins présentant des
rapports surface/volume suffisamment élevés pour que la concentration de silice
dans l'eau dépasse le seuil de !'insignifiance ; en effet, cette concentration avait
atteint le seuil de détection. De la silice s'était apparemment dissoute dans l'eau,
et, une fois cette contamination révélée, les Soviétiques furent couverts de ridi-
cule (sinon de silice).
Par la suite, un autre scientifique occidental se fit une joie de signaler que
l'on pouvait observer des caractéristiques du type eau polymérisée lorsque l'on
ajoutait du sel à de l'eau pure, impliquant que les résultats obtenus par les Russes
pouvaient être dus à un simple phénomène de sudation de la part des laboran-
tins. Des rires tonitruants se firent alors entendre à travers toute la planète.
Derjaguin planta lui-même un clou dans le cercueil de l'eau polymérisée
en avouant finalement que son eau était en effet impure. Avec cet aveu public,
on comprit que les réserves d'eau mondiale étaient finalement à l'abri de toute
menace liée à une solidification polymérique. Le dossier était clos. Discréditer
l'eau polymérisé fut la réponse américaine à Spoutnik ; cette fois-ci, c'étaient les
Russes qui se retrouvaient dans le collimateur.
Bien que de nombreux livres décrivent ce célèbre incident, les dessous de
l'affaire méritent d'être racontés, et je vais vous en livrer quelques aperçus signi-
ficatifs. Je me suis récemment rendu en Russie où j'ai eu le plaisir de m'entretenir
avec le directeur d'un célèbre institut de biophysique qui se trouvait avoir été un
grand ami de Derjaguin ; ils avaient même été voisins de palier. Ce biophysicien
m'a raconté que tous les deux avaient l'habitude de discuter presque tous les jours
et m'a assuré que, jusqu'au moment de sa mort, Derjaguin s'est montré convain-
cu que les traces de contamination relevées ne constituaient pas un problème
déterminant malgré son autocritique. Par la suite, j'ai entendu la même histoire
de la bouche d'un autre éminent scientifique russe, l'un des derniers protégés de
Derjaguin. Derjaguin avait publiquement admis son erreur, mais en privé, il était
certain d'avoir été sur la bonne piste.
Pour quelles raisons un scientifique serait-il prêt à avouer une faute qu'il n'a
pas commise ? Le fier gouvernement soviétique fut certainement très contrarié
lorsque le monde accusa l'un de ses principaux scientifiques d'avoir effectué des
travaux bâclés, et cette faute semblait imputable aux Soviétiques. Vivant sous la

47
coupe d'un régime totalitaire, il est probable que Derjaguin subit des pressions
pour se rétracter; cette rétractation eut pour effet de jeter l'opprobre sur l'indivi-
du et non plus sur le régime. Blâmer Derjaguin, pas les Soviétiques.
De toute évidence, une telle pression politique était tout aussi vraie de l'autre
côté. Craignant une domination soviétique suite au lancement de Spoutnik, les
scientifiques occidentaux étaient réellement sur la défensive ; expliquer que de
la sueur avait contaminé l'eau de l'expérience devait être jubilatoire pour ces der-
niers.
Dans son livre Polywater, 1 Felix Franks raconte les événements qui ont entou-
ré cette fameuse affaire. Bien que Franks ne se pose pas la question de savoir si
la rétractation de Derjaguin est sincère ou non, le lecteur peut deviner les machi-
nations en coulisse de la part des forces politiques des deux camps qui ont pu
influencer l'issue de l'affaire. Le contexte politique rend difficile de savoir ce qui
est vrai et ce qui ne l'est pas (Fig. 4.2).

Fig. 4.2 Le spectre de la Guerre


Froide.

Ma propre intuition dit que les deux camps avaient raison. Au fil de toutes
ces années passées à étudier l'eau, il m'est apparu évident qu'obtenir une pureté
absolue est quasiment impossible : quelles que soient les précautions prises, une
contamination est inévitable du fait que l'eau est un solvant universel ; elle peut
dissoudre pratiquement tout. Leau de Derjaguin contenait probablement des
traces de silice mais peut-être aussi des traces de sel. Quoi qu'il en soit, il est clair
que les critiques atteignirent leur objectif.
Mais il est intéressant de noter que seule la pureté de l'eau est remise en
question dans les expériences de Derjaguin, non l'exactitude des observations
effectuées en utilisant cette eau. Supposons que l'eau de Derjaguin ait été impure;
on peut alors se poser la question suivante : en présence de contaminants, pour-
quoi l'eau prend-t-elle ces intéressantes caractéristiques?

48
Derjaguin, Fedyakin, et même de nombreux scientifiques occidentaux ont
décrit ces caractéristiques dans un grand nombre de travaux publiés. Pourquoi
alors ne pas s'intéresser à celles-ci ? Bien que je ne cautionne pas les expériences
menées à la légère, il faut comprendre que des traces de contaminants sont inévi-
tables et que leur présence n'interdit pas automatiquement de faire des explora-
tions plus approfondies. Pourquoi jeter le bébé avec l'eau du bain ?
Gardons ces considérations à l'esprit lorsque nous nous pencherons sur la
nature de l'eau des zones d'exclusion. L.'.eau de la ZE se situe près de surfaces,
tout comme l'eau polymérisée. Cette similitude pourrait-elle n'être qu'une simple
coïncidence ?

Possibles structures de l'eau proche de surfaces


Lorsque nous identifiâmes pour la première fois une zone d'exclusion, nom-
breux sont ceux qui pensèrent que l'on pouvait avoir affaire à un phénomène simi-
laire à l'eau polymérisée : il pouvait s'agir du même type d'erreur expérimentale.
Un éminent physico-chimiste m'en a suggéré la possibilité de façon plutôt directe
en expliquant qu'il voulait nous épargner le sordide destin de ceux qui s'étaient
retrouvés impliqués dans le scandale de l'eau polymérisée.
Nous ajoutâmes donc des contaminants à l'eau pour établir si ces derniers
étaient à l'origine des zones d'exclusion que nous avions observé, puisqu'on avait
accusé des contaminants d'être à l'origine de l'eau polymérisée. Nous observâmes
le contraire : pratiquement tout ce que nous ajoutâmes à l'eau eut pour effet de
diminuer la taille de la zone d'exclusion au lieu de l'étendre, les plus grandes zones
d'exclusion ayant été obtenues avec l'eau la plus pure.
Ces observations sous-entendaient deux possibilités : soit l'eau de la zone
d'exclusion n'était pas de l'eau polymérisée parce qu'elle se comportait diffé-
remment ; soit, si l'eau de la ZE était bien de l'eau polymérisée, les attaques sur
l'eau polymérisée pouvaient avoir été injustement motivées pour des raisons qui
dépassaient le cadre de la science. Quoi qu'il en soit, la peur d'un nouveau scan-
dale ne nous empêcha jamais de poursuivre nos travaux ; il nous semblait justifié
de pousser l'exploration de l'eau de la zone d'exclusion jusqu'au bout.
À propos, le nom «zone d'exclusion» a été forgé par mon ami australien John
Watterson, qui m'a aussi suggéré l'abréviation ZE. Maintenant que nous savons
que la zone d'exclusion fait plus que simplement exclure, ces surnoms ne sont pas
vraiment idéaux ; néanmoins, ZE sonnant bien, nous avons décidé de continuer
à utiliser ce terme. La principale question qu'il nous fallait résoudre concernait la
structure moléculaire de la zone d'exclusion. Nous pressentions que sa structure
devait être différente de celle de l'eau en vrac située loin de la ZE, car l'eau des
ZE était manifestement plus stable, plus visqueuse, et plus ordonnée. Mais quelle
était cette structure?

49
Fig. 4.3 Structure de la molécule
d'eau (à gauche) d'après les DIPÔLE
région
manuels ; on peut y voir la région électropositive
é/ectronégative et la région
électropositive créer une forme
tétraédrique. Les deux charges
sont habituellement représentées
sous la forme d'un simple dipôle
(à droite). région
é/ectronégative

Empilement de molécules d'eau dipolaires


Nous nous intéressâmes d'abord au candidat le plus évident : une simple
superposition ordonnée de molécules d'eau. Un tel empilement est possible
du fait que la molécule d'eau est un dipôle : elle contient un atome d'oxygène
électro-chimiquement négatif à une extrémité et deux atomes d'hydrogène élec-
tro-chimiquement positifs à l'autre (Fig. 4.3). Étant donné cette polarisation de
charge, les dipôles tendent naturellement à s'empiler, et il semble raisonnable de
concevoir la structure ordonnée des zones d'exclusion comme une superposition
de dipôles. La Figure 4.4 illustre ce modèle.
Cet empilement de dipôles constituerait une solution logique à notre pro-
blème. Dans ce modèle, les dipôles d'eau s'empileraient les uns sur les autres
à partir de la surface nucléante et se projetteraient de plus en plus loin de la
surface jusqu'à ce que les agitations du mouvement « thermique » (Brownien)
mettent un frein à cette croissance ordonnée. Diverses hypothèses ont été émises
concernant la longueur que peut atteindre ce type de structures; la plupart des
chimistes diront qu'elles ne s'étendront pas au-delà de quelques couches molé-
culaires, tandis que d'autres évoqueront un nombre
quasi illimité d'empilements. 2 •3
Le plus fervent partisan de ce modèle décrivant
une superposition de dipôles est Gilbert Ling. Scien-
tifique de renommée mondiale, Ling a élaboré une
théorie complète sur le fonctionnement cellulaire qui
repose sur la notion d'eau structurée et qui sous-en-
tend l'existence d'un arrangement dipolaire. 4 Sa
théorie sur le fonctionnement de la cellule m'a paru
particulièrement convaincante, ainsi qu'à d'autres
chercheurs, et je n'ai alors trouvé aucune raison
de remettre en question l'idée de base, à savoir un
simple empilement de molécules d'eau, en lisant les
Fig. 4.4 Superposition ordonnée
écrits relativement récents de l'époque. 5 En fait, cet
de dipôles dans l'eau. Il se peut arrangement moléculaire semblait être la seule option
que l'on observe une dégradation plausible.
dans la structure à mesure
qu'augmente la distance par
rapport à la surface en raison de
mouvements thermiques.
Par la suite, nous trouvâmes une raison de reconsidérer cette hypothèse. Bien
que le modèle de la superposition de dipôles puisse s'appliquer dans certaines cir-
constances, une nouvelle donnée indiquait qu'il ne pouvait s'agir d'un cas général.
Cette nouvelle donnée, sur laquelle nous reviendrons plus longuement dans ce
chapitre, était le fait que la zone d'exclusion possède une charge électrique ; les
dipôles restant neutres, ils ne peuvent former une telle zone étendue présentant
une charge nette.
À l'époque inconscients de la présence de charge dans
la ZE, nous nous sommes mis à évaluer des structures alter-
natives pour s'assurer de rester sur le bon chemin.

Eau cristalline
Un bon moyen de concevoir de possibles structures
est de commencer par chercher des précédents. Si le phé-
nomène de l'exclusion était dû à un arrangement molécu-
laire, une approche logique consisterait à s'intéresser aux
structures connues de l'eau : une variante de l'une d'elles
pourrait suffir à expliquer tout cela.
Nous avons vu que la glace constituait la meilleure
candidate ; sa structure est bien connue, et on sait que la
glace exclut: lorsqu'elle s'étend, elle repousse les molécules
et les particules, créant ainsi un cristal en grande partie
dépourvu d'impuretés. La structure de la glace pouvait-elle
nous donner des indications quant à la structure de la ZE ?
La glace ordinaire est formée d'unités hexagonales
(Fig. 4.5). La répétition de ces unités crée l'habituelle
structure en nids-d'abeilles qui se compose d'oxygène
Fig. 4.5 Modèle structurel de
et d'hydrogène. Les protons (image du bas) relient
la glace ordinaire vu sous deux
chaque couche à celles qui se trouvent au-dessus et
angles différents (les atomes
en-dessous d'elle. Ces protons font la liaison entre les
d'oxygène sont en rouge). Les
atomes d'oxygène et sont à l'origine de la rigidité de
atomes d'hydrogène (qui ne sont
la structure de la glace. Seul un atome d'oxygène sur
pas représentés) se situent à
deux est ainsi relié à un autre ; les atomes restants,
mi-chemin le long des lignes qui
étant électronégatifs, se repoussent l'un l'autre, ce
relient les atomes d'oxygène. Les
qui crée le léger plissement que l'on peut voir sur
protons interplanaires (en bleu
chaque couche.
dans l'image du bas) relient un
La zone d'exclusion n'est quant à elle pas rigide ; atome d'oxygène sur deux avec
elle se comporte plutôt comme un liquide visqueux. le plan adjacent. Ces liaisons
Cela signifie que la structure de la glace ne modélise provoquent un léger plissement
qui rend /'arrangement des
atomes moins plat et davantage
tétraédrique.
pas de manière adéquate la structure de la ZE ; toutefois, un petit ajustement
de la structure de la glace la transforme en candidat possible. La structure de
la ZE exige une certaine fluidité ; les liquides acquièrent leur fluidité lorsque les
couches les composant peuvent glisser les unes sur les autres. Ainsi, pour les
zones d'exclusion, un modèle qui pourrait être prometteur serait un empilement
de couches comme celles de la glace, mais dépourvues de protons interplanaires
venant rigidifier la structure : en l'absence de telles liaisons, les plans peuvent
glisser les uns sur les autres et donc conférer la semi-liquidité recherchée.

Le problème de la charge
C'est alors que se présenta le problème de la charge. La glace a une charge
nette neutre ; passer du modèle basé sur la glace à un modèle basé sur la glace
sans protons rigidifiants soulevait un problème : ce nouveau modèle exigeait que
la ZE possède une charge négative.
Nous avions décidé dès le départ d'éliminer tout modèle présentant une
charge nette car nous ignorions encore la négativité de la ZE. Après tout, une
zone d'exclusion pouvait atteindre jusqu'à un demi-millimètre de large, et il nous
semblait improbable d'obtenir des zones chargées aussi larges. La littérature spé-
cialisée sur l'eau penchait en outre de manière écrasante en faveur d'une charge
neutre, et le modèle dipolaire familier impliquait lui aussi une charge nette à zéro;
toutes nos expériences scientifiques semblaient suggérer qu'il était plus probable
qu'une zone d'exclusion soit non chargée que chargée, et nous pensions ainsi
éliminer facilement ce modèle du type glace ou tout modèle possédant une charge
nette.
Pour informer cette hypothèse, nous conçûmes une expérience simple pour
vérifier cette hypothèse (Fig. 4.6). Nous nous basâmes sur le protocole expéri-
mental de mesure du potentiel électrique des cellules vivantes pour mettre en
place des mesures dans et autour des gels, utilisant pour cela des microélectro-
des. Comme leur nom l'indique, les microélectrodes sont extrêmement petites
et permettent une résolution spatiale à l'échelle du micron. Nous plaçâmes une
microélectrode éloignée pour servir de référence ; un moteur rapprochait pro-
gressivement une autre microélectrode de la surface du gel pour déterminer le
potentiel électrique aux abords de la surface. Nous allions ainsi pouvoir établir si
la zone d'exclusion était chargée.
Et, à notre plus grande surprise, nous découvrîmes que la ZE était effective-
ment chargée - négativement. La Figure 4.7a présente des résultats parlants.
Lélectrode motorisée placée initialement loin de la zone d'exclusion (et donc dans
le restant de l'eau en vrac) indiqua une différence de potentiel nulle; c'était atten-
du. À mesure que l'électrode se rapprocha de l'interface, elle commença à mesurer

52
t Fig. 4.6 Installation expérimen-
tale pour mesurer les propriétés
électriques de la zone d'exclu-
sion. !.:électrode de'référence se

GJ. situe à droite.

un potentiel négatif dont la magnitude ne cessa de croître en se rapprochant de


la surface. À proximité immédiate du gel, le potentiel négatif monta à 120 mV puis
resta constant quand l'électrode continua à avancer à l'intérieur de celui-ci. Dans
l'expérience suivante, nous remplaçâmes le gel par une feuille de Nafion ; avec ce
dernier, la magnitude du potentiel négatif aux abords de sa surface s'éleva à 200
mV (Fig. 4.7b). (a) PAA Gel
La région du potentiel négatif s'étendait plutôt 50

loin de l'interface pour ces deux matériaux : sur


approximativement 200 µm pour le gel, et plus de
>
.s -50
500 µm pour le Nafion. Il apparaissait que ces ZE
a;
étaient porteuses de charges négatives. 'ê -100
Q)

Ce résultat était fort différent de la neutralité


g_
-150
attendue. Au lieu d'éliminer facilement le modèle du eau
type glace, cette charge négative le confortait. Paral- -1.000 -500 0
lèlement, elle disqualifiait le modèle dipolaire : les distance (µm)
dipôles ne possèdent pas de charge nette. (b) Nafion
Nous avions l'impression d'avancer dans nos 50

recherches mais mes collègues ne cessaient de me


mettre en garde contre une possible erreur. Ayant reçu
>
.s
une formation d'ingénieur en électricité, j'aurais dû le -50
a;
savoir, mais ce sont mes étudiants qui m'ont rappelé :g
Q)
-100

que des potentiels électriques négatifs pouvaient pro- 0c..


-150
venir d'une charge de surface négative : si le matériau eau
de surface était chargé, l'effet de cette charge pouvait
-1 .000 -500 0
se faire sentir à quelque distance. Ainsi, le potentiel distance (µm)
négatif relevé à l'intérieur de la ZE n'impliquait pas
nécessairement une charge nette. Ouch !
Fig. 4.7 Mesures de potentiels
Il me fallut quelques minutes pour me souvenir électriques à proximité d'un
que les matériaux se comportaient différemment gel d'acide polyacrylique (a),
dans l'eau. Les charges de surface ne peuvent étendre et d'une feuille de Nafion (b).
La zone de négativité concorde
avec la largeur de la ZE,
différente dans les deux cas.
leur influence très loin dans l'eau car des contre-ions présents dans l'eau se ras-
semblent et masquent inévitablement la charge de surface des matériaux; au-delà
d'une courte distance de la surface, vous devriez mesurer zéro. Cette considéra-
tion ne dépend pas de la théorie de la double couche ; les charges fixes attireront
toujours les charges opposées disponibles dans un liquide. Ainsi, la suggestion de
mes collègues pouvait s'appliquer au vide mais pas à des liquides comme l'eau, où
les charges mobiles perdront toute influence sur de longues distances.
Cependant, nous avions détecté la présence de charges négatives au sein de
la ZE. Un nouveau test devait déterminer si nous pouvions trouver une zone cor-
respondante chargée positivement ailleurs dans le liquide : une zone d'exclusion
se formant à partir d'une eau neutre, commencer avec une entité neutre et finir
avec une entité chargée négativement n'avait aucun sens ; puisque la ZE possé-
dait une charge négative, il devait sûrement y avoir une zone proportionnelle de
charge positive dissimulée quelque part.
Cette charge positive devrait apparaître sous la forme de protons, Ceux-ci
étant les seuls porteurs de charge positive de l'eau. Comme la ZE possédaient une
charge négative nette, nous devrions alors trouver une zone remplie de protons -
c'est-à-dire une zone avec un pH bas.
Comme détaillé au chapitre 5, nous cherchâmes ce pH
bas en introduisant un gel volumineux dans un bécher d'eau
(Fig. 4.8). Des zones d'exclusion se formèrent rapidement à
côté du gel. Une sonde à pH insérée dans l'eau au-delà de
la ZE montra que les valeurs de pH chutaient énormément,
atteignant des valeurs parfois aussi extrêmes que 2, voire
même 1. L.'.importance de cette chute était étonnante : ces
valeurs ultra basses signifiaient que l'eau au-delà de la zone
d'exclusion contenait des protons en énormes concentra-
tions.
La découverte de ces protons confirma la zone chargée
positivement attendue ; cette charge positive complète en
effet la charge négative des zones d'exclusion. Dans son
ensemble, l'eau semblait aussi neutre que l'eau utilisée
initialement pour former la ZE. Il semblait qu'à mesure que
se forme la ZE, les charges de l'eau se séparaient en consti-
tuants négatifs et positifs, et nous venions d'identifier ces
deux constituants.
Cette découverte nous sembla à la fois bonne
et mauvaise. C'était une mauvaise nouvelle car elle
Fig. 4.8 Mesure du pH de l'eau
confirmait que le modèle de Ling décrivant une super-
située à côté d'un gel immergé. Le position de dipôles, que j'avais soutenu dans mon
gel occupe une fraction impor-
tante du volume du bécher.
livre paru en 2001, ne fonctionnait pas ; les
modèles impliquant des dipôles ne possèdent
pas de charge nette. De toute évidence, je
m'étais trompé. En revanche, c'était une bonne
nouvelle car le modèle basé sur la structure de
la glace semblait prometteur : il était à même
d'expliquer la charge négative des ZE ainsi que leur Fig. 4.9 Structure moléculaire
nature semi-liquide. Mieux encore, ce modèle, qui de l'eau polymérisée, proposée
n'était pas sorti d'un chapeau comme par magie, avait par Lippincott et ses collègues. 6
un précédent. Les molécules d'oxygène sont
représentées par des cercles
Serez-vous surpris d'apprendre que quelqu'un vides, celles d'hydrogène par
d'autre a proposé exactement le même modèle, il des cercles pleins. Les couches
y a des décennies ? En 1969, ER Lippincott et des s'empilent pour former une
chimistes de l'Université du Maryland présentèrent, structure volumétrique.
dans un article du prestigieux journal Science, prati-
quement la même structure hypothétique ... pour l'eau
polymérisée. (L'illustration originale est reproduite à
la Figure 4.9.) Ce modèle de l'eau polymérisée n'a jamais évolué car on se souvient
que l'eau polymérisée perdit toute crédibilité quelques mois seulement après la
publication de cet article ; personne ne prit le risque de considérer de manière
plus approfondie la structure proposée, et les chercheurs renoncèrent rapidement
à étudier la nature de l'eau polymérisée.
Le modèle de l'eau polymérisée connaît aujourd'hui un regain d'intérêt, et on
veut en savoir davantage à son sujet. Qu'avaient donc appris ces scientifiques
avant que cette publicité négative n'interrompe brutalement leurs recherches?

L'eau polymérisée revisitée


Tout comme la structure de type glace étudiée, le modèle de l'eau polyméri-
sée se conçoit sous la forme d'un empilement de réseaux en nids-d'abeilles se
composant d'atomes d'hydrogène et d'oxygène. Les auteurs du funeste article
de Science avaient déduit cette structure à partir d'un large éventail de données
physico-chimiques amassées, en analysant des spectres Raman, des points de
congélation et d'ébullition extrêmes, et des hautes densités. La structure décrite
à la Figure 4.9 est celle qui s'ajuste le mieux aux données obtenues expérimen-
talement.
Plusieurs aspects de l'article de Science résonnèrent particulièrement. Tout
d'abord, l'article me rappela que la nature aimait les structures hexagonales que
nous retrouvons partout en chimie organique - par exemple dans le graphite,
où les feuillets hexagonaux qui le constituent (les graphènes) peuvent facilement

55
glisser l'un sur l'autre en provoquant une légère friction. Cette structure hexa-
gonale, retrouvée fréquemment dans la nature, semblait être une possibilité à
prendre en compte.
Ensuite, les auteurs affirmaient de manière fracassante que la substance en
question n'est pas de l'eau; la substance étudiée est assurément composée d'oxy-
gène et d'hydrogène, mais l'arrangement de ces atomes en un réseau hexagonal
présente peu de ressemblance avec leur arrangement dans une molécule d'eau.
Pour eux, cette nouvelle substance « ne devrait pas être considérée comme de
l'eau, ni même appelée ainsi - pas plus que l'on ne peut relier directement les
propriétés du polyéthylène aux propriétés du gaz éthylène. » De toute évidence,
ils considéraient cette entité comme chimiquement distincte de l'eau.
Un troisième point, qui m'intrigua réellement, était le ratio entre les atomes
d'hydrogène et ceux d'oxygène. Comme chacun le sait, le ratio est de 2 pour 1
dans un volume d'eau, mais dans cette structure plane, le ratio était de 3 pour 2.
Cette caractéristique peut ne pas sauter aux yeux, mais la Figure 4.10 permet de
le vérifier aisément.

Fig. 4.10 Co/eu/ de la charge


nette de chaque unité
hexagonale. Pour ce faire,
représentez-vous chaque atome
comme une tarte que l'on peut
couper en plusieurs parts, puis compte:
comptez toutes les parts situées
hydrogène X 6 = 3
à l'intérieur d'un hexagone, en
prenant soin de vous souvenir oxygène X 6 2
que la charge de l'oxygène de
la tarte est moins 2 tandis que
charge:
celle de /'hydrogène est plus 1.
Un obtient un ratio hydrogène/ hydrogène 3 X (+1) = +3
oxygène de 3 pour 2, et la charge oxygène 2 X (-2) = -4
nette de /'hexagone est de -1.
charge nette : -1

56
Ces valeurs sont importantes car la ratio habituel de 2 pour 1 confère une
neutralité. Deux atomes d'hydrogène électropositifs équilibrent un atome d'oxy-
gène électronégatif, et c'est pourquoi une molécule d'eau est neutre. Mais cette
nouvelle structure présente un ratio déséquilibré possédant une charge négative
par unité hexagonale.
Les auteurs de l'article ont rédigé une note spéciale sur cette caractéristique
dans le coin supérieur gauche de l'illustration (voir Fig. 4.9), mais semblaient
n'avoir prêté que peu d'attention à sa signification. De façon pratique, ils ont
présumé que les charges positives logeant entre les plans chargés négativement
neutralisaient la plus grande partie de la charge. Le point essentiel de ce modèle
était que les plans eux-mêmes sont chargés négativement.
Le modèle de l'eau polymérisée de Lippincott est dans les grandes lignes le
même que celui qui est présenté dans ces pages ; le modèle de l'eau polyméri-
sée dérivait de pures réflexions physico-chimiques, tandis que notre modèle tire
principalement son origine de précédents et de déductions logiques. Ces deux
chemins mènent essentiellement aux mêmes résultats : une structure en nids-
d'abeilles avec un ratio hydrogène/oxygène de 3 pour 2.
Ce ratio de 3 pour 2 a déjà été sous-entendu expérimentalement ; un article
dans un prestigieux journal de physique avait fait sensation en décrivant la décou-
verte de ce ratio précis : lorsque les protons et les neutrons rebondissent sur les
molécules d'eau, le motif de diffusion implique que l'on a ici affaire à une molécule
de type H1p, et non Hp, 7.wl (bien entendu, le ratio 1.5 pour 1 est le même que 3
pour 2).
La caractéristique clé de ces deux modèles étant l'arrangement hexagonal des
atomes, cela souleva la question de savoir si ces figures hexamériques (c'est-à-
dire hexagonales), sont observables expérimentalement. La réponse est oui. Des
chercheurs ont identifié des hexamères d'eau à côté de différentes surfaces, dont
des métaux, 8 des sous-unités de protéines, 9 le graphène, 10 et le quartz. 11 Des hexa-
mères ont également été détectés près de la surface dans de l'eau surfondue. 12 Et
de l'eau adsorbée sur du mica a montré une prépondérance d'angles de 120°, ce
qui a été interprété comme une preuve de trame hexagonale. 13 L'eau à proximité
de nombreuses surfaces est manifestement organisée en figures hexamériques, ce
qui s'accorde avec le modèle proposé.
À propos des indices tendant à prouver cette trame hexagonale, une étude
portant sur des gouttes d'eau encapsulées par une protéine mérite d'être com-
mentée.14 La protéine en question est la sous-unité c de l'ATP synthase, une vieille
camarade que l'on retrouve sans cesse en phylogénie. Dans un environnement sec,
cette protéine forme une enveloppe autour de l'eau, empêchant son évaporation.

57
La Fig. 4.11 montre deux exemples de ces
structures protectrices : des capsules sphériques
(illustration a), et des capsules géométriques (illus-
tration b). Les diagrammes de diffraction obtenus à
partir de capsules géométriques montrent que l'eau
qu'elles renferment possède une structure hexa-
gonale (illustration c). De plus, la taille d'une unité
hexagonale, 0.37 nm, est proche de ce que l'on peut
voir à la Figure 4.9. Nous pouvons donc observer un
arrangement hexagonal dans d'importants volumes
d'eau à proximité de surfaces.
Une autre caractéristique attendue de ces
modèles concerne l'absorption de la lumière ultra-
violette : l'absorption se produit à ou aux alentours
d'une longueur d'onde de 270 nm (UV) lorsque les
électrons sont « délocalisés», c'est-à-dire libres de
se déplacer à travers la structure. Cette situation se
rencontre le plus souvent dans des structures dites
aromatiques (anneaux) ou dans les « éthers cou-
ronnes», dont les structures hexagonales contenant
de l'oxygène sont similaires aux structures qui nous
intéressent. Ainsi, l'absorption confirmée des ZE à
270 nm (Fig. 3.13) plaide en faveur d'une structure
hexagonale.
Donc, l'absorption d'UV que l'on attendait fut
confirmée, les hexamères furent expérimentalement
détectables, et des données indépendantes nous
amenèrent au même modèle hexamérique. Ce fais-
ceau d'indices nous poussa à étudier ce modèle plus
sérieusement. Poursuivons donc.

Fig. 4.11 Eau encapsulée par Superposition des réseaux en nids-


une protéine. L'encapsulation
14
d'abeilles
produit des sphères (a)
Pour explorer la valeur explicative du modèle
(observées ici au microscope
proposé, il nous fallait tout d'abord déterminer com-
électronique à balayage), et
ment les réseaux en nids-d'abeilles se superposaient
des figures géométriques (b)
pour former une zone d'exclusion ; après tout, la ZE
(observées au microscope
est une entité à trois dimensions, et non une simple
électronique à transmission).
feuille. Nous devions aussi comprendre comment se
Les diagrammes de diffraction
(c) obtenus à partir de figures
géométriques montrent une
structure hexagonale.
Fig. 4.12 Décaler un plan par
rapport à un autre permet
d'opposer les charges et donc de
créer des attractions.

formait la couche initiale de la ZE. Mais commençons par la manière dont les
réseaux moléculaires s'empilent.
Le modèle de superposition le plus simple faisait coïncider les hexagones de
chaque plan : on peut voir à travers l'empilement des couches.
Cet arrangement était d'une simplicité séduisante ... mais impossible. Pour
comprendre pourquoi, regardez l'illustration du haut de la Figure 4.5 qui montre
un exemple de couches alignées. Supposez que vous retiriez les protons se trou-
vant entre ces couches (que l'on peut voir dans l'illustration du bas) ; cela remet
en question la possibilité de cette superposition, car le fait de retirer ces pro-
tons-« colle » entraîne la juxtaposition d'atomes d'oxygène chargés négativement
d'un plan avec ceux, également chargés négativement, du plan adjacent. Cela
créerait un nombre gigantesque de répulsions interplanaires, et une telle structure
s'éparpillerait immédiatement.
Les plans pouvaient s'assembler plus naturellement en décalage (Fig. 4.12).
Si les négatifs d'un plan se lient aux positifs du plan suivant, l'ensemble peut tenir
par attraction électrostatique.
Un tel déplacement est théoriquement réalisable de deux manières, mais seule
l'une d'elles peut aboutir (Fig. 4.13). La première possibilité implique un décalage
perpendiculairement à l'un des côtés de l'hexagone (illustration a) ; la seconde
décale dans l'axe d'un de ses côtés (illustration b). Dans le premier modèle, aucune
longueur de déplacement ne permet de trouver une superposition régulière de
charges opposées, et donc une adhérence suffisante. Dans le second modèle, un
déplacement de la moitié de la distance séparant deux atomes d'oxygène entraîne
la superposition de nombreuses charges opposées ; un tiers de toutes les charges
planaires adhèrent les unes aux autres. Cette forte adhérence confère une forte
cohésion, qui confère à son tour une forte densité à l'ensemble (voir le chapitre 3).
Ce second modèle semble ainsi fonctionner.

(a) (b)

Fig. 4.13 Possibles arrange-


ments de couches de structures
hexagonales impliquant des
déplacements linéaires. Seul le
déplacement présenté à droite
permet d'obtenir une structure
stable avec superposition de
charges opposées.
Le déplacement des plans génère également quelques répulsions : des
atomes proches, de même charge, se repoussent depuis leurs plans respectifs.
Toutefois, ces répulsions sont moins fortes que les attractions, et comme ces
forces éloignent les atomes qui se repoussent, cela réduit la force répulsive nette;
nos calculs ont d'ailleurs montré que les forces d'attraction l'emportent aisément.
Ce second modèle présente donc une structure stable possédant une adhé-
rence naturelle. Il est possible de faire des prédictions quant à son comportement
mécanique ; semi-solide lorsqu'il est seul, mais cependant Auide lorsqu'il est
soumis à une force de cisaillement. Son comportement rappelle le blanc d'œuf
gélatineux.
Des variantes de cette superposition simple constituent d'intéressantes
structures. La Figure 4.13b nous montre un décalage vers la droite, mais les plans
successifs pourraient tout aussi bien se décaler vers la gauche. Avec ces deux
options, il est possible d'édifier une structure inclinée vers la gauche ou vers la
droite. Ces variantes pourraient peut-être expliquer les constructions en miroir
évoquées au chapitre 2.
En fait, la direction du décalage ne se limite pas seulement à gauche ou à
droite ; des déplacements planaires peuvent se produire dans n'importe laquelle
des six directions correspondant aux côtés d'un hexagone, ce qui permet des
possibilités d'empilement infinies. Nous pouvons même imaginer un empilement
hélicoïdal (Fig. 4.14) : bâtir sur un plan de base, poursuivre en décalant le plan

------ 1
couche 0 - - - ..... . .. .. ______ :~;r:e décalage
les couches
Fig. 4.14 Décaler les plans suc- -1 - -
cessifs de 60° permet d'obtenir -2 - - -
une structure hélicoidale.

60
suivant le long d'un côté de l'hexagone, décaler le plan suivant de 60°, et ainsi de
suite ... Le motif hélicoïdal obtenu se compose d'une succession de six plans. De
plus grands motifs sont en théorie possibles, voire même des motifs irréguliers.
Ce type de structures hélicoïdales peut être particulièrement pertinent dans le
domaine de la biologie où l'eau de la ZE se trouve en interface avec des protéines
et des acides nucléiques enroulés en hélice.
En somme, le fait de verser de l'eau sur une surface hydrophile déclenche le
développement d'une ZE. L'eau est le matériau de base à partir duquel se forment
les couches en nids-d'abeilles. Ces couches dans la ZE peuvent glisser les unes sur
les autres si elles sont soumises à une force de cisaillement suffisante, mais les
plans adhèrent généralement les uns aux autres, créant la ZE observée à l'examen
macroscopique (Fig. 4.15).

Fig. 4.15 Les couches en nids


d'abeille se construisent À partir
d'eau en vrac. La surface hydro-
phile amorce la croissance de la
zone d'exclusion qui se construit
couche par couche.

La couche initiale
Mais comment débute donc le processus de construction de la ZE ? Les sur-
faces hydrophiles contenant généralement des atomes d'oxygène, ceux en surface
pourraient former un schéma moléculaire - une matrice. Si suffisamment de
ceux-ci avaient une position correspondant à celles des atomes d'oxygène de la
structure en nids d'abeille de la ZE, on pourrait alors considérer la surface elle-
même comme le premier plan de la ZE ; les plans supplémentaires viendraient
alors s'empiler aisément sur ce plan-matrice.
Bien entendu, aucun matériau de surface ne fournit une correspondance
parfaite. Les surfaces diffèrent en matière d'arrangement atomique et peuvent

61
présenter d'autres atomes chargés négativement au lieu d'atomes d'oxygène.
Certaines surfaces pourraient donc s'avérer moins adaptées comme point de
départ pour les zones d'exclusion : elles seraient alors considérées comme moins
hydrophiles.
Un implication subtile est que le plan-matrice transmettrait des informations
aux différentes couches de la ZE ; par exemple, s'il manquait de l'oxygène à un
endroit du plan-matrice, cela pourrait se répercuter par une absence correspon-
dante sur la première couche de la ZE, et ainsi de suite. Ainsi, la ZE contiendrait
des informations sur la nature de la surface nucléante; cette information pourrait
être exploitable tant que la ZE reste stable dans le temps.
Une autre implication est que la ZE n'aurait besoin que du plan-matrice pour
se développer, autrement dit d'une simple couche moléculaire. Cela expliquerait
pourquoi les ZE peuvent croître à partir d'une simple monocouche (Fig. 3.9).
Les matériaux de surface dénués de charge devraient en revanche avoir du
mal à amorcer des zones d'exclusion, tout comme les surfaces dont les charges
ne correspondent pas à la structure d'une couche en nids-d'abeilles standard.
Toutes les surfaces de ce genre devraient alors être classées comme hydrophobes
(détestant, ou craignant l'eau); seules les surfaces hydrophiles chargées peuvent
amorcer le développement de la ZE.
Même avec un plan-matrice convenablement chargé, la rugosité de la surface
devrait aussi être un facteur important à prendre en considération pour le déve-
loppement de la ZE. Une légère rugosité ne serait pas un problème: si une surface
n'était que légèrement rugueuse à une échelle moléculaire, la couche initiale de
la ZE devrait s'adapter aux bosses, trous et stries de cette surface ; l'empilement
adopterait une configuration légèrement ondulée. Une rugosité plus prononcée
pourrait introduire des discontinuités : au lieu d'une longue superposition de
plans, on verrait de nombreux mini-empilements se développer à partir de cha-
cune des inclinaisons de la surface ; des problèmes d'ordre stérique compromet-
traient alors le développement de la ZE. Ce genre de plans-matrices ne seraient
pas capables de générer une ZE aussi large que celles issues de surfaces plus
plates. Des constatations préliminaires effectuées dans notre laboratoire vont
dans ce sens.
Le plan-matrice lui-même n'est donc pas le seul agent définissant la taille
de la ZE. Un plan-matrice amorce le développement d'une ZE en fournissant des
correspondances atomiques convenables. Un plan-matrice fortement hydrophile
fournit de meilleures correspondances et initie donc une ZE plus solide ; tou-
tefois, la rugosité des surfaces et d'autres facteurs importants (voir ci-dessous)
influencent la taille finale d'une ZE. Le plan-matrice n'est qu'un des facteurs déter-
minant la taille parmi plusieurs autres.

62
Érosion de la trame et taille de la ZE
Jusqu'ici, tout va bien - mais voici que se présente un problème. Des plans
de ZE identiques devraient produire des potentiels électriques identiques ; en
réalité, le potentiel électrique de la ZE diminue à mesure qu'on s'éloigne de la
surface nucléante (Fig. 4.7). Les plans ne sont donc pas identiques. Pour rendre
compte de cette baisse, la charge planaire doit nécessairement diminuer avec
l'éloignement de la surface nucléante. Cette diminution peut se produire de deux
manières : en retirant de la charge négative ou en ajoutant de la charge positive ;
les deux sont possibles.
Retirer de la charge négative de la structure signifie éliminer des atomes
d'oxygène ; plus on retire d'atomes d'oxygène, moins la charge totale du plan sera
négative. La Fig. 4.16 montre qu'un retrait limité est structurellement tolérable:
tant que le nombre d'atomes d'oxygène enlevé n'est pas excessif, la trame du
plan ne se désintégrera pas. Même la perte d'un atome d'oxygène sur deux ne
compromettrait pas la structure car les attractions interplanaires peuvent assurer
la stabilité de l'ensemble. Si le retrait d'oxygène augmentait avec la distance par
rapport à la surface nucléante, les plans les plus distants deviendraient progressi-
vement moins négatifs.
Lérosion de la trame moléculaire est une façon de comprendre comment

Fig. 4.16 Diminution de la charge


planaire. L'exemple montre
comment un retrait d'atomes
d'oxygène de la structure
hexagonale peut avoir lieu sans
altérer l'intégrité de la structure.

se produit cette perte d'oxygène. Le fait que le réseau moléculaire possède une
charge négative pousse les protons chargés positivement à pénétrer à l'intérieur
de la ZE. En réalité, ce ne sont pas les protons eux-mêmes qui sont ainsi poussés,
car les protons ont une courte durée de vie ; ils viennent immédiatement se gref-
fer à des molécules d'eau pour former des ions hydronium. D'ordinaire, ces ions
hydronium ne peuvent entrer dans la trame de la ZE ; la maille serrée de celle-ci
interdit ce genre de pénétration.
Toutefois, des ouvertures comme celles représentées à la Figure 4.16 consti-
tueraient des sites propices à une invasion, de même que les irrégularités dans le
réseau dues à la rugosité de la surface. Des ions hydronium invasifs, se combinant

63
avec des atomes d'oxygène proches dans la trame, créeraient une molécule d'eau
qui éroderait la trame. L'érosion la plus forte se produirait là où les ions hydro-
nium ont pénétré dans la trame en premier : le plan le plus éloigné de la surface
nucléante verrait donc sa négativité la plus impactée ; cela correspond à ce qui a
été observé expérimentalement.
Des charges positives invasives pourraient également venir se loger dans
l'espace séparant les plans ; en particulier, si un proton se libérait d'un ion hydro-
nium, il pourrait venir lier deux atomes d'oxygène de plans adjacents (voir Figure
4.13b). Une fois encore, cela se produirait principalement là où les protons sont
les plus abondants, vers les plans de la trame les plus éloignés de la surface. En
ajoutant des charges positives, ces protons produiraient le même résultat que
l'érosion provoquée par l'oxygène : la réduction de la charge négative des plans à
mesure que l'on s'éloigne de la surface nucléante.
L'importance de l'érosion de la trame pourrait influencer la taille de la zone
d'exclusion. Les surfaces extrêmement hydrophiles présentant relativement peu
de défauts de trame devraient produire des ZE subissant une érosion limitée. Avec
des surfaces moins hydrophiles comptant davantage de défauts, les ions positifs
pourraient entrer plus facilement dans la trame, l'éroder et finalement limiter la
taille de la ZE. Ceci pourrait expliquer pourquoi les matériaux moins hydrophiles
génèrent de plus petites zones d'exclusion.
La présence de défauts dans la trame n'est pas sans rappeler les semi-conduc-
teurs; des défauts de trame dans des matériaux cristallins produisent des struc-
tures présentant un excès d'électrons ou un excès de« trous», ce que l'on appelle
respectivement des semi-conducteurs de type n ou de type p. La structure de la
ZE ressemble davantage au type n, avec un excès d'électrons transmis par les
atomes d'oxygène. Il serait donc raisonnable de penser que la ZE possèderait des
caractéristiques du type semi-conducteur, et nous verrons par la suite que tel est
bien le cas. Mais pour l'instant, contentons-nous de dire que les défauts de trame
jouent sur la taille de la ZE par le biais d'un phénomène d'érosion.

Des zones d'exclusion chargées positivement?


Le lecteur attentif aura noté un fait curieux dans la partie ci-dessus : la néga-
tivité globale de la trame diminue lorsque l'on retire des atomes d'oxygène ; plus
on élimine d'oxygène, moins la trame est négative. Cela nous amène à la question
évidente de savoir ce qui se passerait en cas de situation extrême. Retirer un
atome d'oxygène sur deux ferait passer la charge nette au-dessus de zéro jusqu'à
des valeurs positives. Faites l'exercice vous-même et vérifiez que la charge nette
par unité hexagonale d'une trame standard passe ainsi de -1 à+ 1.

64
À première vue, cette caractéristique semble
étrange car elle implique la possible existence de
zones d'exclusion chargées positivement; jusqu'à
présent, nous n'avons eu affaire qu'à des zones
d'exclusion négatives. Pourtant, si le modèle
proposé pour la ZE est correct, il faut s'attendre
à trouver également des zones d'exclusion char-
gées positivement ; leurs structures resteraient
la même si ce n'est qu'elles contiendraient moins
d'atomes d'oxygène.
Il se trouve que ce genre de zone d'exclusion
positive existe, bien qu'on les rencontre moins
souvent que les négatives. Nous en avons obser-
vé à côté de certains polymères et de certains
métaux. 15 Les billes de gel à échange d'ions en
fournissent en exemple. Couramment utilisées
pour la séparation physique, ces billes d'un
demi-millimètre de diamètre existent sous deux Fig. 4.17 Une zone d'exclusion
formes : anioniques et cationiques. Toutes deux enveloppe des billes chargées
initient des zones d'exclusion (Fig. 4.17), mais les négativement (haut) et positivement
ZE situées à côté de billes cationiques portent (bas).
une charge nette positive.
La Figure 4.18 nous montre l'existence de cette charge positive. Nous consta-
tons que la distribution spatiale du potentiel électrique à proximité de billes anio-
niques et cationiques sont pratiquement en miroir : l'un des tracés représente le
type négatif standard, l'autre un potentiel positif correspondant. Les régions en
dehors d'une zone d'exclusion chargée positivement présentent un pH plus élevé,
au lieu de l'habituel pH bas observé au-delà d'une ZE négative. 15

150

100
Fig. 4.18 Potentiels électriques
> 50
mesurés à côté de billes
.s cationiques et anioniques.
~
w 0 ·-~~~~:::=111111...........
----- -~ - --- --- - - --
0
CL -50

-100

0 100 200 300


65
distance depuis la surface de la bille (µm)
Ainsi, ces deux types de distribution sont possibles ; les caractéristiques
d'une zone d'exclusion chargée positivement semblent plus ou moins l'inverse de
celles d'une zone chargée négativement.
Une zone d'exclusion positive contenant bien moins d'oxygène, il serait
logique de penser que sa trame serait plus fragile, ce manque l'affaiblissant. Nous
avons confirmé cette fragilité. Une ZE positive est bancale et peut se rompre
relativement facilement à la suite de perturbations mécaniques mineures, et c'est
pourquoi mes collaborateurs ont hésité à les étudier en laboratoire ; néanmoins,
ces zones d'exclusion positivement chargées existent bel et bien.
Il semble donc bien que le modèle structurel proposé a une versatilité suf-
fisante pour décrire les deux types de zone d'exclusion, négative et positive ;
il n'est donc pas nécessaire d'invoquer des modèles structurels distincts. Cette
caractéristique est séduisante notamment quand on sait que la nature préfère la
simplicité. De plus, comme on verra plus loin que les ZE apparaissent fréquem-
ment, la fragilité des ZE positives pourrait expliquer leur relative rareté : en effet,
peu d'entre elles survivent.

Un quatrième état de l'eau


(et pourquoi certains chimistes ont des attaques d'apoplexie)
Une caractéristique significative du modèle de ZE proposé est sa similarité
avec la glace; cette similarité ne devrait pas nous surprendre car c'est à partir de
cette base que nous avons fait dériver cette structure. D'un autre côté, si la glace
remplit les conditions pour être considérée comme un état de l'eau, la ZE pourrait
également répondre aux mêmes critères et constituer le «quatrième état» suggé-
ré il y a un siècle déjà par l'éminent physicien chimiste Sir William Hardy.
Pour que la ZE soit considérée comme un état (ou «phase»), elle doit remplir
certaines conditions : la ZE doit être unique, spatialement limitée et on doit en
trouver une quantité significative. Ces critères semblent satisfaits pour les trois
états ordinaires de l'eau (même si les chapitres qui suivent soulèvent des ques-
tions au sujet de la vapeur). Ils sont aussi vrais pour la ZE : les zones d'exclusion
sont limitées, structurées de manière unique, et peuvent se projeter à partir d'une
surface sur des distances allant jusqu'à un mètre (voir la Fig. 3.8). Il semblerait
que la ZE soit tout aussi qualifiée que la glace pour être considérée comme un
état de l'eau.
De plus, évoquer les longueurs que la ZE peut atteindre peut parfois désta-
biliser un chimiste par ailleurs inébranlable. Comment une structure composée
de molécules d'eau pourrait-elle s'étendre sur des millions de couches à partir
de la surface qui l'a générée ? Formés à penser que les effets perturbateurs de

66
mouvements thermiques limiteront l'arrangement moléculaire observé à quelques
couches seulement, certains chimistes voient le concept d'un arrangement sur de
longues distances comme une ineptie: cela ne peut tout simplement pas avoir lieu.
Toutefois, nous ne sommes pas en train de parler ici d'une structure qui serait
une superposition de dipôles d'eau mais une superposition de plans ; il ne s'agit
pas de la même chose. Les chimistes peuvent concevoir un empilement de dipôles
comme un empilement de briques rendu instable par les effets du mouvement
thermique (Fig. 4.19, gauche) ; comme ces effets perturbateurs sont cumulatifs,
l'empilement ne peut aller bien haut avant de devenir branlant. Il faut impérati-
vement prendre conscience que nous n'avons pas affaire ici à un empilement de
dipôles mais de plans (Fig. 4.19, droite). Chaque plan a une certaine longueur, et
plus la structure sera étendue, moins il y aura d'agitation thermique. Ainsi, un effet
perturbateur devrait être bien moins prononcé dans une superposition de plans
qu'avec un empilement de dipôles. On peut donc espérer que ce modèle planaire
provoquera moins de réactions outragées parmi les chimistes.

Dans un autre ordre d'idées, le modèle planaire nous aide à régler un problème

Fig. 4.19 Le modèle de l'empile-


ment de dipôles peut conduire
à une instabilité et au désordre
(gauche) : toutefois, le désordre
est minimisé quand les éléments
sont interconnectés de manière
à former des structures planaires
étendues (droite).

que les chimistes n'ont jamais résolu : pour quelles raisons les gels retiennent-ils
autant d'eau ? Les gels gardent leur eau. Souvenez-vous que les gels ordinaires ne
fuient pas, même quand la proportion d'eau qui les compose dépasse 99.9 % de
leur masse totale (Fig. 1.1). Nous pouvons à présent nous hasarder à expliquer ce
phénomène. La matrice d'un gel renferme de nombreux éléments hydrophiles dont
les surfaces convertissent l'eau environnante en eau-ZE. Les plans constituant les
ZE adhèrent à ces éléments de départ mais aussi les uns aux autres; c'est comme
cela que la gélatine que vous mangez en dessert reste hydratée. t.:eau d'une ZE ne
goutte pas.
Enfin, la structure proposée explique pourquoi les zones d'exclusion excluent.
Elles excluent car c'est seulement par des ouvertures dans les hexagones que

67
des solutés peuvent pénétrer le réseau moléculaire des ZE ; ces ouvertures sont
étroites. Mais ce n'est pas tout: les plans successifs dans la ZE n'étant pas alignés
les uns au-dessus des autres, les ouvertures exploitables sont encore plus étroites
que les ouvertures hexagonales planaires (Fig 4.16). Le réseau moléculaire est
extrêmement serré, et il est très difficile pour des solutés d'y pénétrer ; seuls les
protons et les plus petites entités sont suffisamment petites pour pouvoir entrer.
Ceci dit, les protons n'existent généralement pas en tant qu'entités distinctes;
ils adhèrent aux molécules d'eau pour former des ions hydronium, qui sont bien
plus volumineux que les protons et sont donc exclus. Par la suite (chapitre 17),
nous verrons comment les protons se libérant de ces molécules d'eau peuvent
pénétrer dans la trame moléculaire de la ZE pour former de la glace.
Mis à part ces protons libérés, il semblerait que tous les solutés seraient
exclus - du moins, dans les régions de la trame moléculaire dépourvues de trous.
!..'.exclusion des ions hydronium pourtant hydrophiles, avec leur charge positive,
assure le maintien de la différence de potentiel électrique entre la ZE et l'eau qui
se situe au-delà; c'est pourquoi nous pouvons mesurer une différence de potentiel
stable sur de longues périodes de temps.

Cette séparation de charge qui perdure dans le temps entre la ZE et le restant


de l'eau en vrac implique des répercussions que nous allons étudier en détail dans
ce qui va suivre. Elle constitue une « batterie » ; la nature de cette batterie et de
l'énergie qui la maintient chargée se révèlera essentielle pour la compréhension de
pratiquement tous les phénomènes qui se rapportent à l'eau.

En résumé

Afin d'élaborer un modèle structurel de la zone d'exclusion, nous avons d'abord


considéré l'idée d'une superposition de dipôles. Bien que simples, logiques et
ancrés dans l'histoire, les dipôles restent obstinément neutres ; ils ne peuvent
servir à expliquer la charge nette de la zone d'exclusion. Nous n'avons donc pas
retenu ce modèle. Nous avons jugé le modèle basé sur la trame en nids-d'abeilles
plus prometteur, ses hexamères se liant en décalage avec ceux des couches
adjacentes. Ce modèle pourrait expliquer la charge nette de la zone d'exclusion ;
de plus, sa structure a l'avantage d'être très proche de celle de la glace.

68
Dans ce modèle en couches superposées, la charge locale dépend de la den-
sité des atomes d'oxygène électronégatifs. De ce fait, le potentiel électrique local
peut aller de valeurs extrêmement négatives à zéro, et même aux valeurs positives
caractéristiques de certaines zones d'exclusion. Ce cadre structurel de base est
suffisamment versatile pour décrire tous les types de zones d'exclusion.
Les ZE réelles diffèrent des ZE génériques. Les ZE génériques contiennent des
trames moléculaires hexagonales complètes. Les ZE réelles sont moins régulières :
il peut leur manquer des atomes d'oxygène et d'hydrogène à des positions reflé-
tant la distribution de charge de la surface de départ, et elles peuvent subir une
érosion.
Les zones d'exclusion semblent d'une part suffisamment grandes, et d'autre
part suffisamment distinctes, pour qu'on les considère comme un autre état de
l'eau. Nous n'en sommes qu'au début de la reconnaissance de ce « quatrième
état » ; mieux le comprendre promet d'apporter quelque lumière sur ce qui se
produit quand l'eau rentre en contact avec un autre élément, quel qu'il soit.

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69
5 Des batteries à base d'eau

L es cieux déchaînés crachent un éclair aveuglant et vomissent des centaines de


milliers de volts d'énergie brute vers la surface de la Terre. Ces éclairs se pro-
duisent si fréquemment autour de notre planète que, d'après les météorologues,
la surface de la Terre est incapable de dissiper la charge négative qui s'accumule,
ce qui a pour effet de la rendre électriquement négative. Debout, votre nez est
plus positif d'environ 200 volts que vos orteils. 1
Les éclairs et leurs conséquences électriques ne sont pas le sujet de ce cha-
pitre, mais la charge électrique nous concerne au plus haut point. Comme les
nuages, les ZE renferment des charges électriques concentrées. Ces charges sont
porteuses d'une énergie potentielle, tout comme les charges des nuages d'orage.
Et les conséquences peuvent être tout aussi impressionnantes.
Pensez à la biologie. Des entités chargées électriquement comme les
membranes, les protéines et l'ADN interagissant toutes avec l'eau, des zones d'ex-
clusion devraient apparaître en abondance. Ces ZE sont porteuses de charge, ce
qui signifie qu'elles possèdent une énergie potentielle. Comme la nature n'est pas
connue pour abandonner de l'énergie potentielle disponible, il est possible que
la charge de la ZE soit utilisée pour exécuter divers processus cellulaires comme
des réactions chimiques ou encore la circulation de fluides ; les possibilités ne
manquent pas.
En revanche, les charges isolées sont rares. Un corps chargé se retrouve géné-
ralement à proximité d'un corps de charge opposée, par exemple sur les faces
opposées d'une membrane biologique. Nous nous attendions donc à observer
un tel jumelage entre les charges concentrées d'une ZE et une accumulation de
charges opposées en dehors de la ZE.
Explorons donc ensemble si une ZE s'appaire avec un compagnon de charge
opposée (Chapitre 4), et examinons les conséquences.

Charges situées hors de la zone d'exclusion


Pour déterminer si le système d'une ZE comprend deux pôles et non un seul,
nous devons garder à l'esprit qu'une zone d'exclusion se forme à partir d'une eau
en vrac qui est donc neutre. Si une substance neutre donne naissance à la ZE
chargée, alors une charge égale et opposée doit se trouver quelque part, faute de
quoi la loi de la conservation de la charge serait violée; violer une telle loi ne nous
mènerait nulle part.

71
Trouver une zone de charge opposée à proximité de la ZE était donc attendu :
une charge négative se formant au sein de la ZE, une zone correspondante de
charge positive devrait se former juste à côté, dans une région qui récupèrerait un
grand nombre de protons. Une haute concentration de protons se distinguant par
un pH bas, nous suspections dès le départ qu'une zone avec un pH faible pouvait
exister dans l'eau extérieure à la ZE.
Pour vérifier cette hypothèse, nous plaçâmes un gel dans un bécher d'eau
et positionnâmes une sonde à pH juste à l'extérieur de la ZE du gel (voir Fig.
4.8). Nous eûmes été ravis de voir le pH chuter d'une unité, ce qui aurait indiqué
une concentration de protons dix fois supérieure ; mais (comme nous l'avons vu
dans le chapitre 4), nous obtenîmes un résultat encore plus spectaculaire : c'est
bien une chute de trois ou quatre unités de pH, et même parfois plus, que nous
observâmes régulièrement à proximité de la ZE d'un gel d'acide polyacrylique ;
l'échelle du pH étant logarithmique, cela impliquait une concentration de protons
dix mille fois plus élevée. Ce résultat nous stupéfia.
Nous découvrîmes que nous pouvions faire varier l'ampleur de la chute de
pH en modifiant l'installation, par exemple en changeant la taille du bécher par
rapport à celle du gel: en utilisant un bécher beaucoup plus grand que le gel, nous
ne mesurâmes qu'une baisse modeste de pH, mais en utilisant un bécher à peine
plus grand que le gel (les protons n'ayant donc pratiquement nulle part d'autre où
aller), nous obtînmes des chutes de pH plus impressionnantes.
Peu de choses dans la chimie classique pouvaient nous aider à comprendre ce
que nous observions. Les résultats étaient si sensationnels que les membres les
plus conservateurs de notre laboratoire commençaient à se montrer mal à l'aise.
Un garçon brillant, très versé en chimie classique, ne pouvant tout simplement
pas croire aux résultats observés, nous demanda à être affecté à un autre projet;
j'avoue ne pas avoir été du tout convaincu moi-même au départ.
Une méchante arrière-pensée nous taraudait: cette accumulation de protons
était-elle réellement une conséquence de la formation de la ZE ? Leur étonnante
accumulation perdrait toute signification si nous découvrions qu'ils s'étaient
simplement échappés du gel. Nous trouvâmes rapidement un solution pour véri-
fier cette hypothèse : si les protons provenaient bien du gel, leur accumulation
ne pourrait excéder certaines valeurs fixes ; après tout, aucun gel n'est capable
de fournir un nombre infini de protons. Le fait de pré-immerger le gel dans une
succession de bains d'eau dans le but d'éliminer tout proton séparable fit peu
de différence : nous observâmes des chutes de pH similaires lors des tests qui
suivirent. Il semblait donc bien que les protons se regroupaient pour former une
zone à part lorsqu'apparaissait la ZE, exactement comme nous l'avions suspecté.
Cette conclusion nous fit autant de bien qu'une boisson rafraîchissante par
une chaude journée d'été. Elle nous rassura également, la preuve d'une forte

72
positivité confirmant la présence d'une forte négativité correspondante au sein
de la ZE. Pour certains physiciens, cette concentration quasi-stable de charges
négatives sortait du cadre habituel et était donc difficile à accepter; découvrir des
charges opposées en un autre endroit nous rassura sur le fait que nous
étions sur la bonne piste.

Accumulation de protons
Pour déterminer la dynamique à l'œuvre dans cette accumulation de lOmm .a.
protons, nous utilisâmes une sonde à pH miniature suffisamment petite
pour mesurer des changements locaux de pH à diverses distances de Smm - •

la ZE (Fig. 5.1, haut). Pour l'échantillon, nous utilisâmes une feuille de lmm - •
Nafion fixée au fond d'un récipient ; nous remplîmes ensuite le récipient
d'eau pour observer le regroupement des protons. Nafion
7

6
Fig. 5.1 Evolution dans le temps
5 du pH après avoir versé de l'eau
4 sur une feuille de Nafion. Nous
:i:
c. mesurâmes à trois endroits
comme indiqué. Les tracés
2
suggèrent une arrivée progressi-
vement croissante de protons.
0
0 20 40 60 80
temps (secondes)

L.'.illustration du bas de la figure 5.1 montre les mesures des changements de


pH détectées à diverses distances à partir de l'échantillon. À 1 mm, le pH commen-
ça à diminuer en l'espace de quelques secondes, atteignant un point bas en 15
secondes puis remontant partiellement à mesure que les protons atteignaient des
régions plus lointaines. À 5 mm, le changement de pH démarra plus tard; à 10 mm,
encore plus tard. Finalement, le pH se stabilisa à une valeur approximativement
identique, plus basse que la valeur initiale, à tous les points de mesure.
La figure 5.1 montre des valeurs de pH changeant plus tard pour les mesures
prises plus loin de la surface de Nafion. Ces retards successifs montrent qu'une
vague de protons partant des abords de l'échantillon s'est diffusée dans le réci-
pient. Il est probable que cette vague soit issue du bord extérieur de l'échantillon
puisque que c'est là que se forme la ZE (Fig. 5.2). On pourrait prévoir un équilibre
dans le temps: les protons se repoussant les uns les autres, leur distribution finira
par être plus ou moins uniforme, du moins pour les protons hors de l'emprise de la
négativité de la ZE. Ce temps nécessaire à l'équilibre n'est pas fixé : il dépendra de

73
la nature physique du système et notamment de l'es-
pace dont disposeront les protons pour se répandre.

Distribution des protons : colorants


sensibles au pH
Ce problème des protons nous paraissant crucial,
nous eûmes recours à une autre méthode de détection:
Fig. 5.2 Protons générés par
les colorants sensibles au pH ; ces colorants, comme
le bord d'une zone d'exclusion
ceux du papier de tournesol, changent de couleurs en
grandissante. fonction du pH.
La figure 5.3 montre un exemple représentatif de
la distribution des couleurs au-delà de la zone d'exclusion. La couleur rouge-oran-
gé près de la ZE indique, selon le tableau de référence, une valeur de pH de trois
ou moins - soit la présence de nombreux protons. En s'éloignant de la ZE, le pH
était encore bas, mais moins spectaculairement. Ainsi, la technique des colorants
sensibles au pH confirma largement ce que la sonde à pH avait montré : une
abondance de protons dans l'eau située juste autour de la ZE. Encore un autre
résultat rassurant.
Nous essayâmes d'affiner les résultats obtenus grâce aux colorants pour cal-
culer le nombre de protons, mais ne parvînmes qu'à des estimations grossières,
bloqués par notre incapacité à calculer correctement le nombre de protons joux-
tant la ZE : la charge négative de la zone d'exclusion devait attirer de nombreux
protons positifs, mais l'échelle des mesures du colorant ne couvrait pas de si
fortes concentrations.
Fig. 5.3 Distribution des
protons autour de la zone
d'exclusion. Cette image (qui
montre le grand côté d'un
récipient étroit) a été obtenue
peu de temps après avoir versé
de l'eau contenant une solution ZE
de colorant sensible au pH ;
on constate que la ZE exclut le
colorant. La valeur du pH immé-
diatement à côté de la ZE est
de 3 ou moins (rouge-orangé), Ne nous laissant pas abattre, nous utilisâmes un
indiquant la présence d'un grand récipient comme celui de la figure 5.3 pour mesurer
nombre de protons. La plus ce que nous pouvions. Nous finîmes par estimer entre
forte concentration attendue de 10 15 et 1016 protons distribués dans tout l'espace
protons, au plus proche de la ZE,
sort des capacités de détection
du colorant.
au-delà de la ZE; pour comparaison, nous estimâmes également le nombre d'élec-
trons de la ZE en tenant compte de sa structure et de la distribution des mesures
de potentiel. Ce nombre, de 1018 à 10 19 , était substantiellement plus élevé que
le nombre de protons mesurés. Deux points d'ombre pouvaient expliquer cette
différence: les protons qui n'avaient pas été mesurés à proximité immédiate de la
ZE, ainsi qu'une charge négative réduite de la ZE à cause d'une occupation d'oxy-
gène moindre que la pleine capacité. Ainsi, nous ne pûmes répondre de manière
définitive à la question de la correspondance parfaite entre les charges positives
et négatives.
Par la suite, nous suivîmes les protons libérés selon une autre méthode : une
installation qui renouvelait sans cesse l'eau à proximité de la ZE (Fig. 5.4) à l'aide
d'un tube de Nafion évidé dont la surface intérieure nucléait une zone d'exclusion
en forme d'anneau, projetant ainsi les protons au centre du tube (a). Nous renou-
velâmes ces protons centraux en injectant en continu de l'eau à travers le tube
(b). La ZE annulaire ayant tendance à s'accrocher au matériau du tube, la plus
grande partie de l'écoulement se faisait au centre. Nous observâmes que l'eau
sortant du tube présentait un pH plus bas que l'eau y entrant ; supérieure à une
unité de pH, la différence ne diminua jamais, même après 30 minutes d'écoule-
ment en continu. 2 Même si nous ne pouvions toujours pas résoudre le problème
de la quantité, nous établîmes donc que l'eau transitant par le tube continuait à
recevoir des protons de la ZE annulaire sans diminution, même sur de longues
périodes de temps.
Nous trouvâmes également des indices d'une libération de protons avec des
microbilles en suspension. En tant qu'entités hydrophiles, ces billes sont censées
s'envelopper de zones d'exclusion, vraisemblablement comme des coquilles.
Conscients qu'une zone d'exclusion ayant cette forme pouvait être assez petite
pour échapper à la détection par microscope, nous pensions tout de même pou-
voir mesurer le changement de pH correspondant dans l'eau : plus le nombre
de microbilles était grand, plus le changement de pH devrait être important. La
figure 5.5 confirme cette attente.

Fig. 5.4 (a) La ZE annulaire


ZE
relâche des protons vers le
centre. (b) De l'eau pure qui
(a)
passe à travers le tube chasse
Tube en Nafion rempli d'eau les protons ainsi libérés.
protons

(b) +
+
+ + + +
eau ---;.- +eau protonée
pure _ ___,___ + + 75
+ +
+
+ +
Batteries cellulaires : nerfs, douleur et anesthésie

Aïe ! Vous vous êtes laissé sur-


prendre par la chaleur du réchaud ;
instinctivement, vous retirez votre main
pour éviter les conséquences fâcheuses
qui ne manqueraient pas de se produire
autrement.
Les nerfs font le lien entre ces deux
événements en donnant l'ordre à votre
cerveau de retirer rapidement votre
main. Ce signal mécanique est de type
électrique : les cellules nerveuses sont porteuses de charges négatives tandis
que les régions à l'extérieur de ces cellules sont chargées positivement. Les sti-
muli douloureux déclenchent une décharge locale qui se propage le long des
nerfs jusqu'au cerveau. Nous voyons donc que la séparation des charges est une
caractéristique centrale de la transmission d'un signal par les nerfs, chaque nerf
se comportant comme une batterie déchargeable.
Comment cette séparation des charges se produit-elle ? Selon l'opinion
dominante, la membrane des cellules nerveuses renferme des canaux ioniques
et des pompes qui permettent cette fonction et qui font que l'intérieur de la
cellule est négatif et l'extérieur positif. Mon dernier livre remet cette théorie en
question. 2
Un autre point de vue propose l'eau comme origine de cette séparation
des charges. Comme nous l'avons vu, toute eau qui se trouve à côté d'une
surface chargée ou hydrophile devient de l'eau de type ZE ; comme les cellules
contiennent une forte densité de surfaces chargées en leur sein, la plus grande
partie de l'eau des cellules est de l'eau de type ZE. Avec une eau principalement
de type ZE, la négativité de la cellule pourrait simplement refléter la négativité
des ZE.

§ 300
·v:;
::;:)
u
X
~ -~
-
200
Lidocaine
IJl
Cl)=
c n:l
2 E
~ ê 100
CJ)-
""O

0.34 0.85 1.7 3.4


concentration en Lidocaine {mM)
En plus d'expliquer la négativité cellulaire, l'hypothèse ZE explique également
la négativité des gels ; ceux-ci montrent généralement un fort potentiel négatif
similaire à celui des cellules ; pourtant, ils ne renferment aucune membrane
susceptible de pomper des ions. Vues sous cet angle, les membranes semblent
presque ne pas avoir de rapport avec le phénomène observé. Si c'est bien l'eau
des ZE qui est à l'origine de l'activité électrique de la cellule (et non un supposé
mécanisme faisant intervenir les membranes), les observations selon lesquelles
les cellules (y compris les cellules nerveuses) survivent souvent après avoir été
coupées en deux semblent moins paradoxales. 3
Si une batterie reposant sur le principe des zones d'exclusion est bien à la
base des transmissions de signaux, supprimer cette batterie devrait supprimer
les signaux ; le cerveau ne devrait jamais recevoir de message. Or, c'est exacte-
ment ce que font les anesthésiques locaux : la sensation de douleur ne parvient
pas jusqu'à votre cerveau. Nous vîmes là l'opportunité d'une vérification expéri-
mentale : si des ZE sont bien à l'origine des signaux, les anesthésiques devraient
alors les estomper.
Pour tester cette hypothèse, nous générâmes une ZE ordinaire à laquelle
nous ajoutâmes un anesthésique local. La lidocaïne et la bupivacaïne diminuèrent
de façon réversible sa taille, en fonction de la concentration de ces produits (voir
figure ci-dessous). Les anesthésiques locaux ont donc bien estompé les ZE -
exactement comme nous l'avions prévu. Ce résultat ne surprendra guère ceux
d'entre vous ayant connaissance d'anciens travaux effectués sur le sujet ; après
tout, Linus Pauling, le légendaire chimiste du xxème siècle, avait déjà suggéré un
lien étroit entre l'action des anesthésiques et l'eau. 4
Au-delà du mécanisme des anesthésiques, ces observations signifient
quelque chose de fondamental : l'activité électrique de la cellule reposerait sur
les zones d'exclusion. Il sera intéressant de voir si des recherches supplémen-
taires confirmeront que le potentiel négatif de la cellule provient de la charge
négative des ZE.

§ 300
·v;
::i
uX -
~ -83fJ> 200
Bupivacaine
CL>=
c: "'
::a
~
E
g 100
Cl..>-
"'O

0.07 0.175 0.35 0.7


concentration en Bupivacaine (mM)
Fig. 5.5 L'introduction de
microbil/es altère le pH de l'eau.
(a) Microbil/es carboxyliques,
J µm de diamètre. Augmenter L'ensemble des résultats décrits ci-dessus confir-
la concentration de microbil/es ma les mesures effectuées à l'aide du pH mètre : les
donne une couleur rouge au charges positives dans le restant de l'eau en vrac
colorant, ce qui indique un pH apparaissaient toujours à côté des charges négatives
plus bas. (b) Des microbil/es de la ZE. Les molécules d'eau se séparèrent effecti-
amines chargées positivement vement en zone négative et zone positive, créant
donnent une couleur verte au quelque chose qui ressemble étrangement à une bat-
colorant, signe d'un pH plus terie - une usine chimique avec des charges séparées.
élevé.

le moins le plus , le moins le plus


concentré concentre concentré concentré

Une séparation des charges de type batterie reste apparente même quand
la zone d'exclusion se développe pour prendre des configurations particulières ;
la Figure 5.6 nous en livre un exemple. Cette image provient de la même instal-
lation expérimentale que la Figure 5.3 mais a été prise plus tard. Les « bosses »
dans le Nafion proviennent du fait que l'hydratation
provoque des contraintes, mais cela n'affecte en rien
le résultat. Au moment où nous prîmes cette photo, la
ZE avait commencé à diffuser des projections du type
bâton similaires à celles de la Figure 3.7. Vous noterez
H+ que du rouge entoure chacune de ces projections ;
cette couleur représente la densité des protons à côté
\ des ZE en forme de bâton. Ainsi, nous constatâmes
~ ZE une augmentation du nombre de protons à proximi-
té de ZE non seulement dans le cadre de situations
ordinaires (Fig. 5.3) mais aussi lorsque les ZE se pro-
jetaient loin dans l'eau.
Fig. 5.6 Distribution des En d'autres termes, les charges se séparent là où
protons à un grossissement la ZE est présente. Une séparation des charges du
inférieurpar rapport à la Figure type batterie est le signe de la présence de la ZE.
5.3 et plus tard dans le temps.
Notez comment des zones au pH
bas (rouge) entourent chaque
projection verticale de ZE.
Récupérer l'énergie stockée dans la batterie à ZE
Si les charges séparées des ZE se comportent réellement comme une batterie,
on devrait alors pouvoir exploiter cette énergie électrique : placer une électrode
dans la ZE, une autre dans la zone à protons, et relier ces deux électrodes par une
résistance devrait produire du courant. C'est ce que nous trouvâmes : les charges
stockées créent du courant (Figure 5.7).
Il ressort de cela que ces charges séparées ne sont pas simplement des
sous-produits accidentels de la formation des ZE ; elles peuvent circuler et créer
du courant. Cette description ressemble à celle d'une
batterie ordinaire, mais avec une construction interne
plus simple : ici, une zone d'exclusion possédant une
charge négative se trouve à côté de l'eau en vrac
contenant une charge positive.
Pensez-y : peu après avoir plongé un maté-
riau hydrophile dans de l'eau, la ZE se forme et les
charges se séparent (la séparation des charges n'est
pas gratuite ; nous aborderons bientôt le sujet de
l'énergie nécessaire pour effectuer cette séparation).
Les charges séparées ont une forte propension à se
recombiner, mais elles resteront séparées par la den-
sité du réseau moléculaire de la ZE qui empêchera ces
charges libres de pénétrer dans la ZE de charge oppo-
sée. La séparation observée maintiendra une diffé-
rence de potentiel dont la magnitude n'atteindra que ZE
des valeurs faibles (de 100 à 200 mV seulement) ;
5
néanmoins, les zones respectives étant denses en
charges, l'énergie délivrable est considérable. ~ 4
...... 3
Ce type de batteries à base d'eau existe à c: n:l
chaque fois que des surfaces hydrophiles intera- ::; 0
2

gissent avec de l'eau. Cela se produit littéralement u


partout. Par exemple, les cellules contiennent une o +-~~~~~~~~~~~

grande densité de matériaux dont les surfaces 0 1OO 200 300 400

hydrophiles ordonnent l'eau environnante en ZE; temps (secondes)


de ce fait, une cellule contient un grand nombre de
nana-batteries. Des batteries à eau devraient exister Fig. 5.7 Production de courant
dans les suspensions et les solutions aqueuses, car entre des charges séparées dans
des ZE entourent les particules en suspension ou la ZE et l'eau située plus loin.
les molécules dissoutes (voir Fig. 5.5). Même les Le courant commence à circuler
récipients peuvent initier des séparations de charges immédiatement après immersion
à partir du phénomène des ZE. Tous ces scénarios des électrodes ; une valeur pla-
teau non nulle est maintenue sur
une longue période de temps.
produisent des batteries qui sont autant de manifestations du quatrième état de
l'eau.
Ces batteries pourront paraître déroutantes à tous ceux à qui l'on a appris
à raisonner conformément à la pensée conventionnelle ; toutefois, nous verrons
bientôt que ce concept simple a un immense pouvoir explicatif. Son potentiel se
révélera à mesure que nous étudierons de nombreux phénomènes liés à l'eau, de
l'osmose à la formation de la glace.

Transport de charges et production de travail


Comprendre comment l'énergie stockée dans ce type de batteries pourrait
être exploitée exige de connaître les entités qui transportent les charges; celles-ci
dépendront de la zone étudiée. Dans une zone d'exclusion, ce sont les électrons
qui transportent la charge ; on trouve les électrons dans les atomes d'oxygène
électronégatifs distribués à travers tout le réseau moléculaire de la ZE. Plus il y
aura d'atomes d'oxygène, plus il y aura d'électrons.
Ces électrons peuvent se déplacer facilement d'un point à un autre dans
le réseau moléculaire. Ce type de déplacement de charges produit du courant,
et nous avons confirmé l'existence de celui-ci. La Figure 5.7 montre un courant
circulant perpendiculairement aux couches de la ZE. Les charges peuvent aussi se
déplacer parallèlement à la ZE : la conductivité électrique mesurée parallèlement
à des surfaces qui génèrent habituellement des ZE est 100.000 fois plus élevée
que la conductivité mesurée dans le restant de l'eau en vrac. 5 Ainsi, nous voyons
que la charge des électrons peut se déplacer aisément dans toutes les directions;
un physicien dirait : exactement comme à travers la structure des semi-conduc-
teurs de type n.
Dans le restant de l'eau en vrac se trouvent les porteurs de charges posi-
tives. Ces porteurs sont des protons théoriquement libres; en réalité, dans l'eau,
les véritables porteurs sont les ions hydronium, des molécules d'eau chargées
positivement. Cela se passe ainsi car les protons libres, attirés par la négativité,
sont véritablement entourés de sites négatifs du fait de l'omniprésence d'atomes
d'oxygène électronégatifs dans l'eau ; les sites négatifs sont partout. Ainsi, les
protons se fixent rapidement sur la plus proche molécule d'eau pour former des
ions hydronium (Hp+). Les ions hydronium, qui transportent la charge positive
de la batterie, vont se mélanger aux molécules d'eau en vrac.
leau chargée positivement se gorge de potentiel. Comme les molécules de
même charge se repoussent, les ions hydronium se dispersent le plus loin possible,
ce qui produit une circulation dans le liquide ; d'un autre point de vue, tout site
éloigné et négativement chargé exercera une attraction sur ces ions hydronium,
ce qui génèrera une circulation additionnelle dans le liquide. Par la suite, nous

80
verrons comment ces forces attractives et répulsives consti-
tuent un moteur primitif du mouvement naturel de l'eau.
En d'autres termes, les électrons de la ZE et les ions
hydronium du restant de l'eau en vrac ont tous un potentiel
considérable pour accomplir du travail : les électrons ont la
capacité de se déplacer à travers le réseau moléculaire de
la ZE pour alimenter des sites contigus gourmands en élec-
trons, tandis que les ions hydronium peuvent générer des cir-
culations de liquide mais aussi des réactions nécessitant des
charges positives. Ainsi, ces deux entités chargées peuvent
délivrer une énergie abondante.

Extraction efficace de l'énergie


Comme nous venons de le voir (Fig. 5.7), il est possible
d'extraire de l'énergie électrique de l'eau en plaçant des élec-
trodes au niveau des zones de charge opposée de la batterie
à eau ; reste maintenant à déterminer s'il est possible d'ex-
traire efficacement cette énergie.
Cette question fut soulevée au cours d'une conversation
avec Andreï Klimov, un collègue russe qui m'avait parlé des
électrolyses ; Andreï suspectait que les électrolyses pou-
vaient servir à stocker dans l'eau de l'énergie sur de longues
durées (de la même manière que ce que nous allions observer
par la suite avec les ZE). Nous nous demandâmes s'il était
possible d'extraire facilement de l'énergie tirée du mécanisme
de l'électrolyse.
Dans une expérience simple d'électrolyse, des électro-
des en platine sont insérées en deux endroits d'un récipient
rempli d'eau, puis on fait circuler quelques volts (courant
continu) entre ces deux électrodes. Pour commencer, rien de
notable ne se produit, mais si on augmente la tension jusqu'à
un niveau suffisant, des bulles de gaz se forment sur les
électrodes. À des tensions plus basses, on ne voit pas
de bulles; pourtant, un courant électrique continue de
circuler entre les électrodes. Conclusion : les charges Fig. 5.8 Evolution dans le temps
peuvent se déplacer dans et hors de l'eau. de la distribution des couleurs à
mesure qu'un courant circulait
Pour comprendre ce qui se produit au cours de entre des électrodes plongées
ce transfert de charge, nous ajoutâmes un colorant dans un bain d'eau contenant
sensible au pH. Cela eut de l'effet (Fig. 5.8). Près de un colorant sensible au pH.
L'orange correspond à un pH
bas, le violet à un pH élevé.
la cathode, un changement de couleur indiquait un pH élevé;
près de l'anode, le colorant indiquait un pH bas. La différence
était facilement de six unités de pH, soit une différence de
concentration en protons de un pour un million. Les zones
de ces couleurs respectives s'étendirent progressivement ;
état initial peu de temps après, de vastes régions du récipient étaient
-~- soit d'une couleur, soit de l'autre. L'eau du récipient avait à
présent l'apparence d'une échelle de couleurs : une région
positivement chargée, avec un pH bas ; l'autre négativement,
avec un pH élevé (Fig. 5.8).
Les blocs de couleur restèrent visibles plusieurs dizaines
de minutes après avoir coupé l'alimentation électrique. 6 Nous
attendions une annihilation immédiate des charges si les posi-
tives et négatives avaient pu se combiner, mais la séparation
persista un temps considérable. Pendant ce temps, il était
pH bas toujours possible d'extraire du courant des deux électrodes,
les charges étant restées concentrées dans les deux zones.
- i- Pour déterminer quelle part de cette charge nous pou-
vions extraire, nous conçûmes une expérience orientée cette
fois sur l'aspect quantitatif (Fig. 5.9). Des électrodes plates
furent positionnées aux extrémités d'un récipient rectangu-
laire, dans le but d'appliquer une faible tension : le colorant
se divisa en deux blocs, comme on peut le voir dans l'illustra-
tion. Après coupure de l'alimentation électrique, force fut de
~ constater que l'on pouvait encore tirer du courant électrique.
-----~ ----- Nous pûmes en extraire à partir de la paire d'électrodes uti-
1 / .-- lisée pour introduire du courant, mais aussi à partir d'une
'.\(, ,- autre paire d'électrodes positionnées n'importe où ailleurs,
à condition d'emjamber la ligne centrale du récipient. Nous
réussîmes à récupérer jusqu'à 70% de la charge d'entrée. 7
Les couleur restèrent généralement séparées pendant
des dizaines de minutes: les charges ne se recombinent donc
pas facilement. Il est probable que ces charges se situent
dans des matrices de type ZE, car il fut possible de manipuler
les zones respectives (Fig 5.8) avec un aimant per-
Fig. 5.9 Evolution dans le temps manent, et de les déplacer ou les faire pivoter à l'inté-
de la distribution des couleurs rieur du récipient sans qu'elles changent vraiment de
à mesure qu'un courant circule forme. Ces zones se comportaient comme des mor-
entre des électrodes plongées ceaux de tissu. Le fait d'introduire des charges dans
dans un bain d'eau contenant un des matrices structurelles empêche de toute évidence
colorant sensible au pH. L'orange ces dernières de se recombiner.
correspond à un pH bas, le violet
à un pH élevé.
Nous venions de confirmer la présence de matrices structurées. Vous souve-
nez-vous du pic d'absorption à 270 nm qui caractérise les matrices des ZE (Fig.
3.13b) ? Les deux zones ont montré un pic d'absorption à 270 nm, la zone néga-
tive clairement et la zone positive plus légèrement. Ceci montre que les charges
stockées se situent dans des matrices structurelles et explique leur persistance
sur de longues durées.
Nous venons de voir que les batteries à ZE sont capables de délivrer des
charges. Elles peuvent également stocker des charges sur de longues périodes de
temps ; de plus, elles peuvent restituer une fraction significative de ces charges.
Dans les chapitres suivants, nous verrons comment cette charge peut fournir de
l'énergie pour exécuter diverses actions allant de réactions chimiques aux écou-
lements hydrauliques. En effet, la batterie à zone d'exclusion pourrait bien être à
l'origine de la production de la plus grande partie de l'énergie de la nature.

En résumé
Les régions aqueuses situées à côté de surfaces hydrophiles contiennent des
zones d'exclusion. Ces ZE séparent les charges. Les charges séparées constituent
une batterie (Fig. 5.10).
L'une des bornes de la batterie est la ZE, typiquement négative grâce au
grand nombre d'électrons venant de l'oxygène en surnombre qu'elle renferme; le
volume d'eau qui se situe au-delà de la ZE constitue l'autre borne de la batterie
et contient typiquement des ions hydronium positifs (contenant le proton restant
de l'oxygène ayant été privé de son électron) qui peuvent se disperser librement
conformément aux lois de l'électrostatique. Attirés par la négativité, de nombreux
ions hydronium vont s'accumuler à la frontière avec la ZE.
Même si le mécanisme de séparation des charges peut maintenant paraître
évident, son maintien dans le temps ne l'est pas. Tout comme la batterie de votre
téléphone portable, celle de l'eau va lentement s'épuiser à mesure que les charges
opposées vont se recombiner ; la batterie à ZE doit elle aussi être rechargée.
Comme la nature ne dispose pas de chargeur USB, une autre source d'énergie doit
être à l'œuvre.
Cette source nous échappa pendant des années ... jusqu'à ce qu'une décou-
verte fortuite nous mette sur la bonne voie. C'est le sujet du prochain chapitre.

eau ZE : eau en vrac


+
Fig. 5.10 Diagramme de repré-
+
+ sentation de la batterie à zone
+ +
+ d'exclusion. La surface hydro-
+ + phile est à gauche. Les charges
+
+ séparées sont exploitables.
+ +
:+ + + +
:+
. .. - . --:- #.
. ..
. .

.<t99 .
6 Recharger la batterie à eau

C 'est la nature décontractée et bon enfant de Jim qui nous aida finalement à
trouver la poule aux œufs d'or - ou du moins son équivalent : une source
d'énergie virtuellement gratuite et abondante.
Cela faisait un certain temps que Jim Zheng, mon stagiaire post-doc, et moi-
même cherchions désespérément à découvrir quel type d'énergie permettait de
maintenir la charge dans une zone d'exclusion; nous avions le sentiment que nous
ne trouverions jamais la réponse. Pour commencer, il fallait mettre en place la ZE,
la charger, puis réussir à maintenir sa négativité face à des ions positifs pressés
d'y entrer et de l'annihiler. En effet, de l'énergie est nécessaire non seulement
pour procéder à la séparation des charges initiale, mais aussi pour maintenir cette
séparation malgré une attrition inévitable.
En ce qui concernait la formation de la zone d'exclusion, de vagues soupçons
reposaient sur « l'énergie de surface » qui existe au niveau de toute interface
entre deux matériaux ; mais à la réflexion, ce coupable idéal ne semblait pas
convenir : on pouvait raisonnablement concevoir qu'elle puisse former la couche
la plus proche de la surface, mais les ZE peuvent comporter des centaines de
milliers, voire des millions de couches ou plus encore. Comment cette énergie,
qui ne se trouvait qu'à la surface, aurait-elle pu agir sur une si grande distance?
Quelque chose d'autre devait être à l'origine de cela.
En ce qui concerne le maintien dans le temps, il était évident que de l'énergie
devait faire perdurer la séparation des charges une fois que celle-ci avait eu lieu ;
ce maintien aurait été inexplicable sans un apport continu d'énergie pour contrer
l'usure naturelle. Mais la source de cet apport d'énergie était encore floue, du
moins pour nous.
Jim, succombant à un besoin naturel, allait nous indiquer accidentellement
la voie à suivre. Les laboratoires sont comme tous les autres environnements de
travail sur Terre : le soir approchant, les affres de la faim se faisant sentir, la clo-
che du dîner devient presque audible et il arrive que l'on oublie parfois de ranger
le matériel. C'est ce qui arriva à Jim un soir: il laissa son bécher sur la platine du
microscope, éteignit la lampe de l'instrument, et rentra chez lui pour dîner.
Lorsqu'il revint au travail le lendemain matin, il alluma la lampe du micros-
cope et constata que la zone d'exclusion avait diminué de moitié. Mais en l'espace
d'une ou deux minutes, la ZE reprit sa taille initiale ; c'était comme si la lampe

85
du microscope avait revigoré la zone d'exclusion. La
lumière semblait jouer un rôle (Fig. 6.1) .
Rétrospectivement, le rôle de la lumière aurait dû
nous paraître évident. Un jour où j'avais abordé ce
problème d'énergie lors d'une présentation en classe,
une main s'était levée et, d'une affirmation peu assu-
rée, un étudiant avait laissé échapper : « Et si c'était
la lumière ? » Il était tombé en plein dans le mille.
Dire que la réponse était venue naturellement à cet
étudiant (dont nous n'allions pas tarder à exploiter
Fig. 6.1 Zone d'exclusion les talents dans notre laboratoire) et qu'il nous avait
située Je long d'un morceau de fallu, nous, plusieurs années pour essayer de trouver
Nafion. En haut : contrôle. En la solution !
bas : après plusieurs minutes
Nous avions déjà établi avec une certaine certi-
d'exposition à la lumière.
tude que l'agent responsable était la lumière lorsque
ce cours eut lieu. Il me faut être clair : par « lumière »,
j'entends non seulement la partie visible du spectre
électromagnétique, mais aussi les domaines de l'ultraviolet et de l'infrarouge. L.'.ap-
port d'énergie se faisait par le biais de l'énergie électromagnétique rayonnante
que l'eau absorbe et exploite pour former les ZE et maintenir la séparation des
charges qui lui est associée.

La lumière pour carburant


Pour expliquer le mystérieux effet expansionniste de la lumière, nous
pensâmes d'abord à un possible artefact : une augmentation de température
induite par la lumière. En effet, il se pouvait que la lumière incidente chauffe le
récipient et soit à l'origine de l'expansion observée. Nous comprîmes rapidement
que cela était improbable : la ZE commençait à se développer rapidement après
allumage de la lampe - bien avant que l'eau du récipient ait eu le temps de se
réchauffer notablement. Des expériences réalisées ultérieurement confirmèrent
cette conclusion : même après une exposition de cinq minutes ayant produit une
expansion remarquable, la température de l'eau ne s'était élevée que d'une façon
insigniflante. 1 Apparemment, l'effet de la lumière n'était pas d'ordre thermique,
mais les photons mettaient leur énergie dans la croissance de la ZE.
Ce fut un moment exaltant : il apparaissait que la lumière du Soleil pouvait
fournir l'énergie nécessaire au mécanisme de structuration d'une zone d'exclusion
et à la séparation des charges ; l'environnement lui-même pouvait faire le travail.
Rendez-vous compte : l'énergie du Soleil pouvait charger la batterie à eau de la
même manière qu'elle permettait la photosynthèse. Waouh !

86
Une fois redescendus de notre petit nuage, une question évidente nous appa-
rut : quelles longueurs d'onde lumineuse permettaient de recharger la batterie ?
Les lampes de microscopes ordinaires (ainsi que la lumière solaire) génèrent tout
un éventail de longueurs d'onde qui vont de l'ultraviolet à l'infrarouge en passant
par la lumière visible. Notre question était donc de savoir si certaines longueurs
d'onde étaient plus efficaces que d'autres.
Pour répondre à cela, nous éclairâmes le récipient avec des lumières de lon-
gueurs d'onde différentes. Nous utilisâmes des diodes électroluminescentes (LED)
comme source de lumière, celles-ci émettant de la lumière à des longueurs d'onde
spécifiques, de l'ultraviolet à l'infrarouge en passant par le visible. En utilisant
ces LED une à la fois, nous fûmes en mesure de diriger la lumière produite vers le
récipient où se trouvait une bande de Nafion immergée dans de l'eau contenant
également des microbilles. Nous voulions voir dans quelle mesure l'exposition à
chacune de ces longueurs d'onde pouvait accroître la zone d'exclusion.
Les résultats confirmèrent que la longueur d'onde était importante. 1 La Figure
6.2 montre comment ont évolué des zones d'exclusion après une exposition de
cinq minutes à de la lumière de différentes longueurs d'onde. La lumière incidente
était suffisamment faible pour qu'à la fin de l'exposition, la température du réci-
pient ne se soit jamais élevée de plus d'1°C. L'axe vertical montre l'expansion de la
ZE ; par exemple, un ratio de 2 indique un doublement de taille.
La figure montre que toutes les longueurs d'onde provoquèrent une expan-
sion de la ZE, mais on constate que certaines longueurs d'onde furent plus effi-
caces que d'autres. L'ultraviolet (soit 270 nm) se révéla
la moins efficace, la lumière visible très efficace, et Fig. 6.2 Effets des longueurs
l'infrarouge encore plus, notamment à 3.000 nm, ce d'onde de la lumière incidente
54
sur la croissance des ZE.
'1
I 1 L'ordonnée indique le ratio de
I 1
53
1 la taille que présentait la ZE
1
1
à la fin d'une exposition de
52
1 cinq minutes à la lumière par
1 /
I
LU
N 51 I
1
\/
/ rapport à la taille qu'elle avait
~ /\ I avant cette expérience. Pour des
Q.J
-0 50
.!!:!
I
,,
\ I
raisons techniques, les données
~ du côté droit du graphique ont
3
~ été obtenues avec des sources
Q.J
-0 source lumineuses de faible intensité ;

;
0 2.5

9 )
:.:::;
~ des intensités similaires à celles
que l'on a utilisées pour obtenir
les résultats du côté gauche
1.5
aurait nécessité de modifier
l'échelle du graphique comme
0 200 400 600 800 2,000 3,000 4,000
la courbe en pointillées située
UV visible infrarouge au-dessus nous en livre un
longueur d'onde(nm)
aperçu.
qui nous surprit d'abord. Par la suite, nous réalisâmes que cette longueur d'onde
de 3.000 nm est celle que l'eau absorbe le plus fortement. Il ressort de ces obser-
vations que plus une longueur d'onde sera fortement absorbée, plus la taille de la
ZE augmentera ... une corrélation plutôt honnête.
Nous constatâmes également que des expositions plus longues et à des
intensités plus élevées pouvaient étendre les ZE encore davantage. Les résultats
présentés ci-dessus furent obtenus suite à des expositions de cinq minutes. Avec
des expositions plus longues à la même intensité,
nous avons par exemple pu facilement produire des
expansions de ZE de cinq à dix fois plus importantes;
lorsque nous éteignions la lumière, la ZE retrouvait sa
taille normale en l'espace de dix minutes.
Je vais expliquer la mystérieuse courbe en poin-
tillés que l'on peut voir en haut de la Figure 6.2. Les
sources infrarouges disponibles pour ces expériences
étaient peu puissantes : elles produisaient une inten-
sité 600 fois moindre que la lumière visible ou que
les sources ultraviolettes. Par conséquent, les don-
nées de la partie droite du graphique sont de toute
évidence inférieures aux valeurs qu'elles auraient pu
atteindre si l'on avait utilisé des sources de lumière
infrarouge aussi intenses que la lumière visible; cher-
cher à déterminer à quel point elles sont inférieures
reste hasardeux. La courbe en pointillés tente de
corriger cette disparité en proposant une estimation
réaliste de ces valeurs pour des sources infrarouges
équivalentes.
Il est évident que les longueurs d'onde de l'in-
frarouge sont prédominantes. Lultraviolet ne joue
presque aucun rôle. (Nous verrons plus loin les
conséquences de l'absorption par la ZE de toute cette
énergie ultraviolette.) La lumière visible joue un rôle
modéré dans le phénomène d'expansion, tandis que
les longueurs d'onde infrarouge (IR) sont de loin les
plus efficaces dans le développement des ZE.
Lénergie infrarouge a probablement été le fac-
teur déterminant dans l'expérience imprévue de Jim :
lorsqu'il éteignit la lampe de son microscope à la fin
Fig. 6.3 Réduire le rayonnement de sa journée de travail, Jim diminua le rayonnement
infrarouge incident diminue la infrarouge incident, ce qui à son tour réduisit la taille
taille de la ZE. Lorsque l'on retire
le récipient du vase Dewar, la ZE
retrouve sa taille initiale.
de la zone d'exclusion. Lorsqu'il ralluma la
lampe le lendemain matin et releva ainsi
le niveau d'infrarouge à celui de la veille,
la ZE retrouva rapidement la taille qu'elle
avait eue précédemment.
L'expérience fortuite de Jim nous
conduisit aussi à faire des recherches
plus approfondies sur les réductions de
ZE liées aux infrarouges (Fig. 6.3) en
Fig. 6.4 Même dans le noir, la
plaçant un récipient abritant une ZE totalement
lumière infrarouge est toujours
développée dans un container isolé nommé vase
disponible.
Dewar (récipient conçu pour fournir une très bonne
isolation thermique). De même qu'une bouteille iso-
therme maintiendra des boissons au frais en bloquant le rayonnement infrarouge
incident, les vases Dewar bloquent ce rayonnement avec encore plus d'efficacité.
Lorsque l'on plaçait le récipient 15 minutes dans un vase Dewar, la taille de la ZE
diminuait d'environ de moitié par rapport à sa taille initiale, et lorsqu'on en retirait
le récipient, la ZE retrouvait sa taille normale en l'espace de quelques minutes.
Nous voyons donc que l'infrarouge fonctionne dans les deux sens : augmenter le
rayonnement infrarouge étendra la ZE, tandis que diminuer ce rayonnement en
réduira la taille.
Pensez à ce que cela implique (Fig. 6.4). Sachant que l'énergie infrarouge est
la plus efficace pour former des ZE, et qu'elle est omniprésente, cela signifie que le
carburant pour développer des ZE est toujours disponible; en outre, ce carburant
est gratuit.
Contrairement à la lumière visible qui peut disparaître en actionnant simple-
ment un interrupteur, il est difficile d'éteindre la lumière infrarouge : les caméras
IR peuvent parfaitement filmer des chars en mouvement ou des foules humaines,
ceci même lorsque l'obscurité est totale (Fig. 6.5).
Même la pièce où vous vous trouvez émet des infrarouges. Les murs exté-
rieurs de votre domicile absorbent l'énergie rayonnante du Soleil et la réémet à
différentes longueurs d'onde ; à leur tour, les murs intérieurs vont émettre une

Fig. 6.5 Image infrarouge obte-


nue dans le noir. Les couleurs
les plus brillantes indiquent des
intensités comparativement
hautes.
grande quantité d'IR, que les lampes soient allumées ou éteintes. t.:infrarouge est
toujours présent. Voyez-y un cadeau de la nature ... totalement gratuit.

L'énergie incidente peut dissocier les molécules d'eau


Comment l'énergie lumineuse pourrait-elle construire une zone d'exclusion?
La lumière est polyvalente: en plus de produire des images, la lumière réalise
plein de choses extraordinaires du fait que l'énergie des photons se convertit faci-
lement en d'autres formes d'énergie. Exemples:
la longueur d'onde d'une lumière incidente se convertit en une autre
longueur d'onde et produit une fluorescence ;
la lumière alimente l'énergie de vibration qui gouverne les mouvements
browniens {cf. chapitre 9) ;
la lumière libère des électrons dans des semi-conducteurs pour produire
l'effet photoélectrique ;
la lumière catalyse les réactions ;
la lumière sépare les charges dans la photosynthèse.
Étant donnée la facilité qu'a la lumière à convertir l'énergie de si nombreuses
façons, découvrir que la lumière stimule la formation des ZE n'aurait pas dû être
une surprise totale. Cette construction ordonnée et la séparation des charges
qui lui est associée constituent simplement une des nombreuses transformations
induites par la lumière, et il n'y a là rien de si étrange, finalement. En fait, la struc-
turation provoquée par la lumière avait déjà été démontrée expérimentalement
au sein d'autres systèmes. 2 Par conséquent, la formation d'une zone d'exclusion
par la lumière n'est ni bizarre ni anormale; le véritable défi consiste à comprendre
le mécanisme sous-jacent.
Une piste intéressante à explorer fut de voir si des sources d'énergie autres
que la seule lumière pouvaient avoir un impact sur les ZE ; nous découvrîmes
par exemple que les ultrasons pouvaient également jouer sur la taille des ZE.
Nous émîmes des ultrasons à une fréquence de 7.5 MHz, utilisée en médecine
pour réaliser des échographies. Les ZE ont généralement réagi en rétrécissant,
conséquence peut-être d'un cisaillement mécanique dû à un frottement entre les
molécules. Toutefois, nous observâmes une expansion surprenante des zones
d'exclusion dès que nous cessions d'émettre ces ultrasons : celles-ci pouvaient
augmenter de cinq ou six fois leur taille initiale avant de finalement retrouver les
dimensions qu'elles avaient avant d'y être exposées. De toute évidence, l'énergie
acoustique avait affecté l'eau, provoquant une croissance différée des ZE - de
même que la lumière incidente qui pouvait augmenter leur taille.

90
La découverte que différents agents avaient la capacité de produire des zones
d'exclusion rendait peu probable le fait que la lumière génère directement des ZE
en séparant les molécules d'eau. Ce type de découpage ne pourrait probablement
avoir lieu qu'avec une valeur précise de longueur d'onde dont l'énergie agiterait les
molécules d'eau par résonance, mais nous observâmes au contraire qu'une vaste
gamme de longueurs d'onde, à la fois à l'intérieur et en dehors du spectre visible,
avait un impact sur ce phénomène. Par ailleurs, les photons dans les fréquences
infrarouges ont moins d'énergie que ceux dans l'ultraviolet, au point que les phy-
siciens considèrent le rayonnement infrarouge comme absolument incapable de
décomposer une molécule d'eau ; pourtant, les expériences montrent que ces
photons infrarouges sont les plus efficaces promoteurs des ZE.
Il apparaît que l'énergie incidente produit un effet plus subtil qu'une simple
décomposition de la molécule d'eau, et il est plus vraisemblable qu'elle la facilite
simplement; la séparation des charges n'aurait alors lieu qu'à une étape ultérieure.
Alors que la nature de cet effet plus subtil demeure encore incertain, on peut
raisonnablement penser que cette énergie sépare les molécules d'eau les unes des
autres (Fig. 6.6), autrement dit que l'énergie absorbée affaiblit les connexions
intermoléculaires. Il me semble inutile de spéculer davantage pour la bonne rai-
son que la structure de l'eau dans le reste du récipient demeure elle-même un
mystère ; nous savons simplement que les
molécules présentes doivent nécessaire-
ment adhérer les unes aux autres - faute de
quoi l'eau serait un gaz plutôt qu'un liquide.
Concernant la manière dont elles adhèrent
entre elles, certains scientifiques évoquent
des liaisons intermoléculaires transitoires
quand d'autres pensent que nous avons
affaire à des grappes ordonnées liées les
unes aux autres par des effets de mécanique
quantique (voir Chapitre 2) ; ces grappes
ordonnées pourraient se réorganiser pour
former les ZE, comme cela fut récemment
suggéré. 3
J)
Nous voyons donc que l'énergie inci-
dente pourrait affaiblir les liaisons entre
les molécules d'eau ou dans les grappes,
libérant ainsi les molécules d'eau pour de Fig. 6.6 Une énergie entrante
nouvelles opportunités « sociales ». Ceci pourrait dissocier les molécules
constituerait la première étape dans le pro- d'eau les unes des autres.
cessus de formation d'une ZE.
Assemblage de la zone d'exclusion
La deuxième étape implique une sorte d'assemblage. Les molécules d'eau,
dissociées les unes des autres, doivent maintenant s'assembler pour former la
structure de la ZE. Supposons que plusieurs couches en forme de nids-d'abeilles
soient déjà en place; demandez-vous alors comment des molécules d'eau fraîche-
ment libérées pourraient s'assembler sur la dernière couche de la ZE pour former
la suivante.
La molécule d'eau possède des pôles négatifs et positifs qui sont légèrement
séparés entre eux ; ces pôles devraient être attirés vers les pôles opposés sur la
surface extérieure de la structure (Fig. 6.7) ; magnétiquement, la molécule vient
s'assembler sur celle-ci. Une par une, les molécules d'eau viennent adhérer de
cette façon et agrandir ainsi la nouvelle couche en nids-d'abeilles.
Ce processus peut paraître simple mais il se présente pourtant un problème:
l'atome d'hydrogène qui pend au-dessus de la structure. La Figure 6.7 nous
montre que l'un des deux atomes d'hydrogène de la molécule d'eau pend libre-
ment une fois que cette dernière a intégré la structure ; la couche suivante ne
pourra pas se former si cet atome d'hydrogène reste en place. Par conséquent, le
développement de la zone d'exclusion ne pourra se poursuivre régulièrement que
si cet atome d'hydrogène inutile se dissocie de la structure; il est nécessaire de se
séparer du proton en question.
Cette séparation pourrait se produire naturellement. Pour comprendre com-
ment, pensez aux nuages d'électrons entourant la molécule d'eau (Fig. 6.8). Les
nuages d'électrons négatifs de l'oxygène sont attirés par la positivité (a). Lors-
qu'une molécule est isolée, ces nuages sont attirés vers le noyau d'hydrogène ;

hydrogène
~ se balançant
Fig. 6.7 Construction de la zone
d'exclusion. Les molécules d'eau
solitaires sont attirées vers la
dernière couche de la ZE car les
charges à sa surface attirent les
charges opposées que renferme
la molécule d'eau. Une fois l'as-
semblage effectué, on constate
qu'un atome d'hydrogène se
retrouve seul.
(a)
nuage
d'électrons

les liaisons OH qui en résultent maintiennent


l'intégrité de la molécule d'eau. Ce scénario
bien rôdé prend fin quand la molécule d'eau
se fixe sur la structure de la ZE (b) : lorsque la
molécule adhère à celle-ci, le nuage d'électrons
(b)
de l'oxygène se déplace au moins en partie
vers elle ; ce nuage est la colle qui contribue à
lier la molécule à la structure.
Toutefois, pour l'hydrogène isolé, cette
migration du nuage d'électrons est fâcheuse :
la colle qui liait cet hydrogène avec l'oxygène
pour former une molécule d'eau n'existe plus,
ayant désormais prêté allégeance à la struc-
ture de la zone d'exclusion. On peut dire que
~hydrogène
l'hydrogène isolé est décollé, libéré comme un (c) libéré
proton solitaire (c). \\
Il est également possible de considé-
rer ce processus de largage sous l'angle du
changement énergétique. À chaque fois
qu'une nouvelle molécule d'eau se fixe sur la
structure, de l'énergie est libérée. Une telle
libération a lieu ainsi : des entités de charges
opposées se trouvant à une certaine distance
l'une de l'autre renferment beaucoup d'énergie
potentielle; celle-ci est libérée dans le système lors-
Fig. 6.8 Le nuage d'électrons se
qu'elles fusionnent. Ce scénario rappelle celui des
déplace quand la molécule d'eau
pôles magnétiques séparés qui libèrent de l'énergie
se lie à la structure, ce qui libère
potentielle en s'unissant. Ici, cette énergie libérée va
le proton isolé.
produire son effet et libérer l'atome d'hydrogène qui
se retrouve ainsi seul.
Nous voyons donc que considérer la situation du point de vue structurel ou
énergétique conduit au même résultat : la libération d'un proton. Le proton perdu
est porteur d'une charge positive qui est à présent séparée de la structure négative
de la ZE. Autrement dit, la molécule d'eau s'est auto-décomposée en développant
le maillage moléculaire.
Par ce mécanisme, les charges des protons libérés s'accumulent juste au
bord extérieur de la ZE en expansion (voir Fig. 5.3). Certaines de ces charges, en
se repoussant les unes les autres, vont rapidement se diffuser dans le reste de
l'eau en vrac. Cette diffusion pourrait bien avoir une signification fonctionnelle :
si chacune de ces entités chargées positivement restait à la frontière de la ZE,

93
l'interface serait engorgée : les molécules du reste de l'eau en vrac ne pourraient
plus accéder à la zone d'exclusion, et celle-ci cesserait rapidement de croître.
Mais ce n'est pas tout. Comme je l'ai dit précédemment, les protons libérés
ont une courte durée de vie. Étant des agents libres porteurs d'une charge posi-
tive, ces protons seront attirés par tout ce qui possède une charge négative aux
environs, un peu comme un adolescent cherchant une fille alentour : presque
toutes les candidates feront l'affaire. Pour les protons porteurs de charges posi-
tives, l'oxygène électronégatif de la molécule d'eau se trouve être l'attracteur le
plus présent ; le proton se fixera sur lui, créant ainsi un ion hydronium Hp·. Cet
ion hydronium n'est rien de plus qu'une molécule d'eau chargée positivement, une
entité avec un potentiel considérable pouvant expliquer tous types de mouve-
ments d'eau, comme je le montrerai.
Ainsi, lorsque nous parlons de la dynamique des protons libérés, nous par-
lons en réalité de la dynamique des ions hydronium libérés. Les ions hydronium
ont une longue durée de vie et sont les entités qui diffusent.
Cependant, il faut comprendre que la séparation du proton d'avec la molécule
d'eau n'est qu'un événement secondaire qui ne se produit que lorsque la molécule
d'eau se fixe sur la structure de la ZE en développement. !..'.énergie rayonnante
absorbée autour de laquelle s'articule tout le processus ne sépare pas directement
le proton de l'eau : celle-ci pourrait simplement affaiblir la structure du restant de
l'eau en vrac, libérant des molécules d'eau individuelles ainsi disponibles pour
le développement de la ZE. C'est le mécanisme de fixation de la molécule d'eau
sur la structure qui va relâcher le proton isolé dans le reste de l'eau en vrac où il
tendra à former un ion hydronium. C'est de cette manière que la zone d'exclusion
continuera de se développer, et que la batterie à eau continuera de se charger.
Une question mérite d'être évoquée : comment une structure chargée néga-
tivement peut-elle continuer à emmagasiner davantage de négativité ? Ajouter
de la négativité à de la négativité semble contre-intuitif; néanmoins, ce n'est pas
tout à fait ce qui se produit. En réalité, les entités qui viennent s'ajouter à la struc-
ture négative sont des molécules d'eau neutre. Une molécule d'eau sera attirée
par le maillage alvéolaire de la ZE quand ses charges négatives et positives s'ap-
procheront de ses charges positives et négatives. Ces charges opposées seront
fortement attirées du fait de leur proximité, si bien que les molécules adhèreront
entre elles. C'est seulement après cela qu'a lieu la libération du proton positif,
suivant un processus énergétiquement favorable, abandonnant une structure
devenue par là-même encore plus négative. En procédant étape par étape, ce
mécanisme permet d'obtenir de fortes concentrations de charges négatives dans
la zone d'exclusion.
Cependant, ce processus de construction ne se poursuivra pas éternellement
et finira par s'arrêter. Certaines projections verticales pourraient continuer à

94
croître depuis la ZE, mais le corps principal de celle-ci atteindra finalement une
taille relativement stable. Ceci soulève une question : pour quelles raisons la ZE
cesse-t-elle de se développer? Et, comment et pourquoi la taille de la ZE diminue-
t-elle lorsque la lumière incidente diminue?

Désassemblage de la zone d'exclusion


Ici, comme partout, les forces de la nature sont à l'œuvre : des structures
ordonnées livrées à elles-mêmes finiront par se désassembler. Ce gain d'entro-
pie est une caractéristique fondamentale de la thermodynamique. C'est un peu
comme votre chambre : beaucoup de manières d'être en désordre, mais peu d'être
bien rangée. Obtenir un tel résultat demande de l'énergie (Figure 6.9). À moins d'y
consacrer continuellement de l'énergie, votre chambre finira inévitablement par
devenir aussi mal rangée que ... eh bien, la mienne.

Fig. 6. 9 Ranger nécessite une


importante quantité d'énergie.
Recréer le désordre original
demande moins d'énergie.

Il en va de même avec les zones d'exclusion ; l'ordre ne peut pas y perdu-


rer sans un apport continuel d'énergie. Les charges séparées vont lentement se
recombiner, et l'ordre cèdera la place au désordre. Les bords de la zone d'exclusion
s'effilocheront comme une plage victime de l'érosion. C'est ce qui se produisit acci-
dentellement cette fameuse nuit : la ZE de Jim rétrécit car un important apport
d'énergie fut coupé ; lorsque cet apport fut réactivé le lendemain matin, la ZE
retrouva sa taille initiale.
Pour comprendre ce qui détermine la taille d'une zone d'exclusion, il faut
s'intéresser à l'équilibre entre sa croissance, qui dépend d'un apport d'énergie,

95
et sa tendance naturelle à se décomposer ; lorsque
ces deux processus s'équilibrent, la ZE atteint une
taille stable. Nous avons déjà étudié la croissance
de la zone d'exclusion et les facteurs limitant son
développement comme la rugosité de la surface et
Fig. 6.10 Bords extérieurs irré- le degré d'hydrophilicité ; en revanche, nous n'avons
guliers de la zone d'exclusion. Les fait qu'effleurer le sujet de la décomposition : com-
ions hydronium pénètrent dans ment exactement la ZE s'érode-t-elle?
les creux situés entre les pics en Pour répondre à cette question, il faut nous
raison de l'attraction exercée par pencher sur les bords extérieurs de la zone d'exclu-
les charges négatives. sion, là où doit se produire l'usure. Ici, le potentiel
électrique se rapproche de zéro, ce qui signifie pro-
bablement que quelques protons libérés demeurent
prisonniers de la structure, et/ou que le maillage y
est relativement plus ouvert (Chapitre 4), voir Figure 6.10.
Une structure moins compacte implique une pénétration moléculaire facili-
tée. Les candidats les plus probables à la pénétration sont les ions hydronium,
car la charge positive dont ils sont porteurs les attire inéluctablement vers la forte
négativité qui règne au sein de la zone d'exclusion ; c'est ainsi qu'ils vont se préci-
piter dans ces creux, entre les pics de la ZE.
Cette invasion a des conséquences ; une fois à
Fig. 6.11 Érosion naturelle de l'intérieur de la ZE, ces ions positifs seront rapide-
la zone d'exclusion. La combi- ment capturés par les molécules environnantes char-
naison d'un ion hydronium avec gées négativement. Cela se traduira par la combinai-
une unité structurelle de la ZE son que j'ai évoquée plus haut : un ion hydronium
a pour effet de retrancher cette Hp+ se combinant avec une unité structurelle du
unité du réseau moléculaire et réseau (OH-) conduira à la formation de deux molé-
aboutit à la formation de deux cules d'eau (Fig. 6.11) . Cette action érosive affaiblit
molécules d'eau. le maillage hexamérique de la ZE.

eau
hydronium

+~ ~

96
Nous voici donc revenus à notre point de départ : un élément de la structure
de la ZE est redevenu de l'eau, et le système a fait un pas en arrière. Le système
atteint une taille stable quand les processus de création et de destruction s'équi-
librent, c'est-à-dire lorsque le développement, requérant un apport d'énergie,
s'équilibre avec l'usure naturelle de la ZE.
Cet équilibre se modifie quand les conditions environnantes changent.
Avec de l'eau acide, les nombreux ions hydronium présents dans l'eau en vrac ne
devraient cesser de grignoter la masse de la ZE et donc mener à une ZE plus petite.
Nous l'avons confirmé expérimentalement : un pH suffisamment acide diminue
effectivement la taille de la ZE. Le sel érode la ZE de la même manière. Songez
au chlorure de sodium (NaCI) : tandis que la composante Cl- peut se combiner
avec H30+ dans le restant de l'eau en vrac pour former HCI + Hp, le Na+ positif
peut pénétrer dans la structure négative et y former de l'hydroxide de sodium
(NaOH) en extrayant une unité OH- du maillage moléculaire. Dans ce cas, la zone
d'exclusion va s'éroder en ajoutant une molécule d'eau à l'eau en vrac. Et là où la
structure est ouverte, des ions positifs de toutes sortes peuvent entrer et provo-
quer l'érosion de la ZE.
En somme, nous constatons qu'une zone d'exclusion se rétracte suivant
un processus qui inverse celui de sa formation. Sa structure se développera en
attirant des molécules d'eau et en libérant des protons dont un grand nombre
se transforment aussitôt en ions hydronium ; elle se rétractera lorsque des ions
hydronium entrent par les ouvertures du réseau moléculaire et extraient des uni-
tés de celle-ci pour produire de l'eau. Le point d'équilibre dépendra de la quantité
d'énergie qui entre dans le système : plus l'énergie incidente sera importante et
plus les zones d'exclusion seront grandes, et moins cette énergie sera importante
et plus les zones d'exclusion seront de dimensions réduites.

Radicaux libres
Aucun processus n'est parfait, y compris cette dynamique usure-expansion
des ZE. L.'.unité structurelle OH- est essentielle à cette dynamique. La ZE va
s'agrandir en ajoutant une par une des unités OH- à la structure, et se rétracter en
les relâchant une par une dans le volume d'eau. Ce processus est donc réversible ...
enfin, plus ou moins. li l'est pleinement tant que des ions hydronium sont là pour
absorber chaque OH- libéré et ainsi créer de l'eau ; le système revient alors là où
il avait commencé.
Supposons toutefois que les ions hydronium soient localement en nombre
insuffisant et donc incapables d'effectuer le travail. Cela pourrait arriver si, par
exemple, un site chargé négativement, situé à une distance appréciable de la ZE,
avait déjà attiré à lui tous les ions hydronium. Alors, aucun partenaire n'étant dis-
ponible pour neutraliser l'unité OH- de la structure, le cycle ne serait pas terminé.

97
De même, on peut observer une perturbation dans le cycle si la ZE est elle-même
perturbée : supposons qu'un processus avide d'électrons attire certaines des
charges négatives de la ZE et laisse ainsi les unités libérées de la structure dépour-
vues de leur négativité habituelle; une fois encore, le cycle ne sera pas complet. Il
est possible que des problèmes de cette nature viennent troubler le cycle normal.
Lorsque cela se produit, le cycle réversible décrit ci-dessus ne sera pas aussi
net et régulier. Au lieu de produire de l'eau, on obtiendra la production de diverses
formes d'oxygène alternatives qui iront ensuite rejoindre le restant de l'eau en
vrac. La nature de ces formes d'oxygène alternatives dépendra de la situation.
Ces formes alternatives de l'oxygène sont communément appelées radicaux
libres, ou parfois, du fait de leur forte réactivité, espèces réactives de l'oxygène
(ERO). Le plus courant, l'ion superoxyde, comprend deux atomes d'oxygène avec
une seule charge négative (0 2·) ; un autre, le radical OH, ne possède aucune
charge ; il en existe encore un autre, Hp 2, ou peroxyde d'hydrogène. Tous
contiennent de l'oxygène, et tous peuvent avoir été théoriquement produits par
l'érosion de la zone d'exclusion.
La forte réactivité de ces entités chimiques peut constituer un problème; en
effet, cette forte réactivité entraine des liaisons instantanées avec toutes sortes
de substances, pouvant potentiellement les altérer. Dans les systèmes vivants,
ces réactions peuvent être toxiques : un radical superoxyde peut par exemple
potentiellement tuer des micro-organismes.
Sans surprise, la nature fait tout ce qui est en son pouvoir pour collecter ces
radicaux afin d'éviter ce genre de conséquences ; chaque cellule de notre corps
contient ainsi une enzyme dédiée à cette fonction, la superoxyde dismutase (ou
SOD). Les SOD neutralisent les radicaux superoxydes presque dès leur appari-
tion. L.'.omniprésence de cet enzyme a toujours été quelque peu énigmatique ;
mais si les radicaux libres sont des sous-produits naturels de la dynamique de
la ZE, l'omniprésence de ces enzymes devient alors compréhensible : des zones
d'exclusion se formant pratiquement partout, il est logique que l'on trouve des
SOD également partout.

Fig. 6.12 Vie au fond de la mer.


Ce poisson vit au fond du golfe de
Californie. Photo NOAA, Wikipé-
dia Commons.
La vie dans les profondeurs
Connaître le fonctionnement de ces processus énergétiques peut nous aider
à mieux comprendre certains mystères de la nature, et je ne peux résister à la
tentation de mentionner ici l'un d'entre eux : pourquoi le fond de la mer abrite-t-il
autant de créatures vivantes? Ces profondeurs ne sont pas seulement dépourvues
d'oxygène dissous, mais aussi de lumière; les organismes ne peuvent ni y respirer,
ni y réaliser la photosynthèse. Ces conditions devraient rendre la vie impossible ;
paradoxalement, elle y est très développée (Fig. 6.12). Les scientifiques identi-
fient de nouvelles espèces chaque fois qu'un échantillon y est prélevé. Même des
bactéries obligées de réaliser la photosynthèse se développent aisément dans un
environnement où règne l'obscurité. 4
Les mécanismes énergétiques décrits plus haut pourraient expliquer cette
énigme. Les profondeurs extrêmes manquent assurément de lumière visible ;
cependant, elles ne sont pas dépourvues de lumière infrarouge. L'énergie IR
rayonne de la Terre elle-même, notamment des sources hydrothermales qui
tapissent le fond des océans. Les longueurs d'ondes de l'infrarouge forment des
ZE et séparent les charges. Le processus de séparation des charges partage de
nombreuses similarités avec les premières étapes de la photosynthèse où l'on
observe une division des molécules d'eau ; il est donc possible que les bactéries et
les autres créatures qui peuplent les abysses exploitent ce mécanisme pour leur
énergie.
De plus, l'oxygène n'est pas du tout absent du fond des océans. Les zones
d'exclusion formées par le rayonnement infrarouge renferment une grande quan-
tité d'oxygène ; on peut donc en obtenir. Mon collègue Vladimir Voeikov a baptisé
ce processus la« combustion aqueuse». L'oxygène dissous dans l'eau a beau être
absent des fonds abyssaux, une forte quantité de celui-ci reste disponible dans les
ZE, permettant les processus vitaux.
Nous pouvons maintenant comprendre cette abondance de vie à ces pro-
fondeurs extrêmes en dépit de la désolation de cet environnement : l'énergie et
l'oxygène y sont en fait largement présents. J'ai lancé cette discussion sur les
fonds marins uniquement pour aiguiser votre appétit au sujet des merveilles de
l'énergétique : les mécanismes énergétiques sous-jacents sont fondamentaux non
seulement pour comprendre la vie dans les abysses mais aussi la nature en géné-
ral. Nous allons explorer les vastes implications de ces processus énergétiques
dans le prochain chapitre.

99
En résumé
La zone d'exclusion se forme à partir d'énergie lumineuse, en particulier de
l'infrarouge. Lénergie infrarouge est disponible même quand les lampes sont
éteintes, et l'énergie acoustique peut également accomplir cette tâche. Il est
plausible que ces énergies séparent les molécules d'eau les unes des autres et
préparent ainsi la voie à la formation de zones d'exclusion. Attirées vers la ZE en
expansion par les charges opposées, les molécules d'eau libérées vont se fixer sur
sa structure. C'est ce phénomène qui est à l'origine du développement de la ZE et
de la séparation des charges qui y est associée, et c'est de cette manière que se
charge la batterie interfaciale.
Le processus d'assemblage de la ZE répond aux interrogations du précédent
chapitre concernant l'étonnante densité de charges au sein des zones d'exclusion.
Les charges négatives se repoussant, la ZE devrait éclater ; cependant, les nuages
d'électrons collent chaque nouvel élément sur la structure en expansion, assurant
ainsi l'intégrité de l'ensemble. Ces nuages d'électrons peuvent se comparer aux
languettes qui maintiennent ensemble les pièces d'un puzzle (Fig. 6.13). Malgré
les problèmes de répulsion, les éléments restent fermement imbriqués les uns
dans les autres.

Fig. 6.13 Ajout d'un nouvel


élément à la structure. En dépit
de la répulsion, les éléments
restent liés ensemble par une
imbrication rappelant celle des
pièces d'un puzzle.

La ZE peut commencer à se désassembler si l'apport nécessaire en énergie


est insuffisant ; les charges séparées retournent alors inévitablement dans le
maillage. Lorsque cela se produit, les éléments de la structure se dégradent en
formant les mêmes molécules d'eau à l'origine de la formation de la ZE. Sans une
énergie incidente suffisante pour contrer cette érosion, le processus de croissance
s'inverse, et la batterie à eau se décharge.

100
Lorsque les conditions d'une telle inversion ne sont pas satisfaites, on observe
la formation de radicaux libres d'oxygène au lieu de la formation d'eau; ils peuvent
être néfastes. Pour contrer leur pouvoir de destruction, les systèmes biologiques
prennent des mesures spéciales et mettent en œuvre de nombreuses enzymes
pour les absorber aussi vite qu'ils se forment. lauto-préservation semble être
l'une des principales caractéristiques de la nature.
Peut-être vous demandez-vous ce qui arrive à toute cette énergie créée par la
ZE ? Va-t-elle finalement partir en fumée ? Ou quelque chose de plus utile va-t-il
se produire? Le chapitre suivant se penche sur cette question. Nous allons voir si
l'énergie contenue dans un modeste verre d'eau peut servir à quelque chose.

101
. . . ·... .
. .
7 L'eau, moteur de la nature

Mon collègue Vladimir Voeikov nourrit une véritable passion pour l'expéri-
mentation. Le visitant dans sa datcha dans la banlieue de Moscou, Vladimir me
montra fièrement un alignement de béchers remplis d'eau exposés à la lumière sur
un rebord de fenêtre, puis désigna le jardin arrière où une autre expérience était
en cours, celle-ci cette fois par sa femme et ses filles, portant pour l'occasion leurs
plus belles tenues de jardinage.
Le jardinage est une activité relativement nouvelle pour les Voeikov, qui ne
sont propiétaires de leur datcha que depuis peu. Les Russes semblent culturel-
lement passionnés par les légumes, et il tardait aux Voeikov de pouvoir enfin s'y
mettre. Cela faisait des générations que leurs voisins immédiats jardinaient, mais
chacun pouvait aujourd'hui constater que les plantations de Vladimir mesuraient
un bon tiers de plus que les leurs. Cette réussite quelque peu embarrassante ne
reposait sur aucun don particulier ni aucun dévouement hors du commun, les
mains des Voeikov n'étant pas plus vertes que d'autres ; il fallait chercher ailleurs
les raisons de leurs bons résultats.
Vladimir affirme que tout vient de l'eau. Dans le cadre de sa carrière profes-
sionnelle, il avait été amené à chercher et à tester des eaux naturellement« éner-
gisées » dans un rayon de 200 km autour de l'Université de Moscou. Le terme
« eau énergisée » pourra paraître un peu New-Age, mais il faut savoir que celle-ci
est devenue une composante essentielle d'un régime aujourd'hui fort réputé dans
la région de Moscou ; le lecteur ne sera donc pas surpris d'apprendre que c'est
cette eau dont se sert Vladimir pour faire pousser ses cultures.
L'eau peut-elle réellement contenir de l'énergie ?
Les pionniers dans le domaine, parmi lesquels Viktor
Schauberger et Rudolph Steiner, nous ont montré que
l'eau pouvait stocker et délivrer de l'énergie, et les scien-
tifiques contemporains commencent à reconsidérer
cette possibilité. Une idée reçue affirme qu'une bouteille
d'eau fermée sur votre table serait en équilibre avec son
environnement; l'environnement peut bien se réchauffer
et transférer de l'énergie à l'eau, mais à part ce lent pro-
cessus thermique, aucun mécanisme évident ne devrait
permettre à l'eau de recevoir et de stocker de l'énergie
- et encore moins d'en délivrer. Selon cette approche,
l'eau n'est que de l'eau ; elle présente aussi peu d'intérêt
qu'une poignée de porte et il est peu probable qu'elle
puisse stocker une énergie autre qu'une faible chaleur. Fig. 7.1 Vladimir voeikov, dans
Ou alors - le serait-elle? son bureau, en train de réfléchir
à sa prochaine expérience.
~eau comme convertisseur d'énergie
Lorsque l'eau reçoit de la lumière, l'énergie ainsi absorbée va façonner une
structure et initier une séparation des charges. Il est possible d'exploiter l'énergie
potentielle stockée : la séparation des charges peut produire un courant élec-
trique (Chapitre 5), et l'ordre structurel peut stimuler un travail cellulaire. 1 Ces
conversions confirment que l'eau a la capacité de stocker et de délivrer une éner-
gie potentielle.
Mais comment être sûrs du caractère général de cette conversion ? Même
si les chapitres précédents défendent sans ambiguïté la possibilité du stockage
d'énergie et de sa libération dans l'eau, cette affirmation ne repose que sur une
seule étude avec des expériences effectuées au sein d'un seul laboratoire, insuffi-
sante pour établir une généralité. Il est donc nécessaire de chercher de nouvelles
preuves montrant que l'eau absorbe de l'énergie de son environnement et qu'elle
la convertit à des fins utiles. Commençons par nous intéresser aux travaux d'un
prestigieux scientifique italien.

Le marathon de Piccardi
Lors d'un vol passablement ennuyeux entre Seattle et Francfort, je me suis
plongé dans la lecture particulièrement mémorable d'un ouvrage que l'on doit au
distingué chimiste Giorgio Piccardi (Fig. 7.2) . Un collègue m'avait recommandé ce
classique, mais je ne pouvais absolument pas concevoir comment un livre intituté
The Chemical Basis of Medical Climatology (Les bases chimiques de la climatolo-
gie médicale) 2 pouvait traiter du sujet de l'eau et de l'énergie. Cependant, une fois
la lecture entamée, même le ronronnement du réacteur d'avion n'aurait pu m'en
détacher.
Piccardi était intrigué par la variabilité statistique
des résultats qu'il obtenait par l'expérimentation : un
jour, une réaction pouvait prendre deux secondes, le
lendemain 2,5 secondes, le jour suivant 1,8 seconde, et
ainsi de suite. Pour en savoir davantage sur l'origine de
cette variabilité, Piccardi et ses collègues effectuèrent
une série d'expériences quotidiennes finalement
étalées sur une douzaine d'années (avec une courte
pause pendant la Seconde Guerre mondiale), réalisant
près d'un quart de millions de mesures. La question
cruciale était : pour quelles raisons les vitesses de
réaction varient-elles d'un test à l'autre ? Si tous les
expérimentateurs savent que ce phénomène est une
réalité, peu d'entre eux comprennent pourquoi .

Fig. 7.2 Le scientifique italien


Giorgio Piccardi (1895-1972).
Pour trouver une réponse, Piccardi s'intéressa à diverses réactions impliquant
toutes l'eau. Les tests portaient sur une simple précipitation chimique, la forma-
tion d'un polymère, et un changement d'état consistant à congeler une eau en
surfusion. !..'.aboutissement de ces réactions était suffisamment évident pour que
les expérimentateurs puissent mesurer avec précision le temps nécessaire à leur
réalisation. Chaque jour, avec une dévotion quasi-religieuse, Piccardi et ses asso-
ciés combinèrent minutieusement des réactifs et notèrent les temps de réaction.
D'autres paramètres, comme la température et la pression, restaient constants.
Toutes les expériences furent réalisées en double: l'une placée dans une pro-
tection métallique du type cage de Faraday ou sous un écran horizontal, l'autre
préparée de la même manière mais sans bénéficier de protection particulière (il
ressort que les protections contre les ondes électromagnétiques jouèrent un rôle
fondamental lors de ces expériences). Les membres de l'équipe mesurèrent les
temps de réaction dans ces deux situations pour chacun des réactifs.
Les temps de réaction variaient d'un jour à l'autre comme les chercheurs s'y
attendaient. Piccardi nota toutefois que la valeur moyenne des temps de réaction
dépendait du fait que les échantillons avaient bénéficié ou non d'une protection,
mais également que cette différence était constante. Ces observations condui-
sirent Piccardi à conclure qu'en plus des variables locales connues, certaines
caractéristiques de l'environnement devaient les influencer. Ces différences
s'avérant constantes pour tous les types de réactions étudiées, la conclusion était
que l'influence environnementale devait être une généralité ; mais aussi, d'après
Piccardi, que l'eau jouait également un rôle. Étant le seul élément commun aux
différents réactifs, il lui apparut que l'eau devait absorber une forme d'énergie
dans son environnement influençant ensuite les temps de réaction.
Bien que les chercheurs n'aient jamais réussi à déterminer avec certitude la
nature de cette énergie environnante, ils trouvèrent des indices prometteurs quant
à son origine ; en effet, ils constatèrent des cycles : chaque année, de décembre
à janvier, le degré de variation des temps de réaction diminuait drastiquement,
avant de recommencer à augmenter aux environs de mars pour atteindre son
paroxysme durant juin et juillet. Ce même cycle se répétait chaque année. Ils
notèrent également la présence d'autres phénomènes récurrents ; par exemple,
les temps de réaction variaient avec la périodicité naturelle de l'activité solaire,
en particulier avec les taches solaires et les éruptions ... ce qui indiquait de toute
évidence un lien avec l'énergie émise par cet astre.
Suite à des analyses systématiques et des vérifications approfondies, Piccardi
conclut que la seule explication plausible était que l'énergie rayonnante absorbée
par l'eau devait avoir joué un rôle dans ces réactions. Lorsque l'énergie incidente
variait, les temps de réaction faisaient de même. Les périodes de ces cycles étaient

105
cruciales car elles laissaient entendre que l'énergie impliquée pouvait provenir du
Soleil mais aussi, peut-être, du rayonnement cosmique.
Les travaux de Piccardi eurent un fort retentissement avec la création d'un
« Piccardi Group » au sein de la société scientifique internationale. Bien que les
membres de ce groupe se soient finalement dispersés, un éminent chercheur
russe poursuivit l'œuvre de Piccardi plus de quatre décennies durant.

Encore plus d'oscillations mystérieuses


Simon Shnoll et ses collègues dévièrent quelque peu de l'approche de Piccar-
di. Comme lui, ils étudièrent les temps de réactions biochimiques, mais également
la durée de phénomènes apparemment sans rapport, comme la désintégration
radioactive et certains comportements gravitationnels.
À partir des données recueillies, ils élaborèrent des histogrammes, des gra-
phiques mettant en évidence des similarités. Shnoll se concentra sur les « struc-
tures fines» des histogrammes, les gribouillis que l'on peut voir sur les courbes.
Généralement, ceux-ci présentent peu de similarité d'une courbe à l'autre ;
cependant, les données comparées avec un écart de 24 heures, ou de 27 ou 365
jours montraient une similarité remarquable. Celle-ci n'était pas une simple illu-
sion d'optique; une analyse réalisée en utilisant des méthodes objectives montra
qu'une cause due au hasard était très improbable. À partir des périodicités obser-
vées, Shnoll conclut que les phénomènes étudiés devaient être influencés par
des sources géophysiques ou cosmologiques ... rejoignant la conclusion à laquelle
était déjà arrivé Piccardi.
Les conclusions de Shnoll comme celles de Piccardi soulignent le rôle que
jouent des facteurs énergétiques additionnels à ceux pris habituellement en
considération. Si de telles énergies « exotiques » ont un effet, celles-ci doivent
d'abord être absorbées ; les expériences de ces deux chercheurs impliquant la
présence d'eau, il est fort probable qu'elle en soit la cible. Les conclusions de
Shnoll vont un peu plus loin encore en laissant entendre de manière insolente que
des systèmes physiques non aqueux pourraient également absorber ces énergies.

Toujours plus d'oscillations


Nous devons de nouvelles preuves sur l'absorption d'énergie rayonnante par
l'eau à Vladimir Voeikov dont j'ai déjà parlé. Il étudia la lumière qu'émettent les
solutions aqueuses ; l'intensité de celle-ci oscillait en fonction d'un cycle journa-
lier (Fig. 7.3a). !..'.expérience en question se déroula dans un récipient étanche
à la lumière, sous température contrôlée ; l'oscillation observée ne peut donc
être attribuée à une possible fluctuation thermique extérieure. !..'.oscillation de la
lumière émise était de toute évidence l'effet d'un rayonnement se situant au-delà

106
du spectre de la lumière visible, bloquée par le récipient. Le graphique indique
clairement que cette énergie rayonnante varie avec le cycle diurne, ce qui semble
désigner une influence de l'énergie solaire.
Un autre test allait encore nous en révéler davantage. Dans la Figure 7.3b,
notez la brutale déviation vers le haut au début de la courbe. Pour éliminer la
possibilité d'un pur hasard, Voiekov effectua des recherches et découvrit que cette
hausse soudaine coïncidait exactement avec le début d'une éclipse lunaire locale ;
cela suggérait que l'énergie cosmique pouvait impacter l'émission de lumière ; de
toute évidence, cet impact cosmique était suffisamment fort pour faire de l'ombre
aux fluctuations quotidiennes.
Cette corrélation entre l'éclipse de Lune et l'importante déviation de la courbe
aurait pu être fortuite, mais d'autres caractéristiques du graphique semblent
vouloir dire autre chose : vingt-quatre heures après l'éclipse, on note un début
de baisse modeste ; quarante-huit heures plus tard, une chute très marquée ;
soixante-douze heures plus tard, une nouvelle diminution tout aussi brutale. Si
ces états transitoires ne sont pas facilement explicables, il semble peu probable
que leur propension à se produire suivant un cycle de vingt-quatre heures après
l'éclipse soit due au hasard. Par conséquent, la conclusion ici est la même que celle
que Piccardi et Shnoll ont tirée : le rayonnement incident d'une source cosmique
semble affecter l'eau.

(a) 850

Q) V)
" ' Q)
::J "O
~ § 800
·- u
E °'
::J"'
-•Q) ----
"'

~ -5_ 750
.E:i E
c 0
·-~

700

24 48 72 96 120 144
temps (heures) Fig. 7.3 (a) Mesures d'émission
de lumière à partir d'eau
contenant des ions bicarbonate
(b) 700
et renforcée par du luminol
600 dissous. Notez la variation pério-
Q) V)
"' Q) dique de l'intensité. (b) Mêmes
al~ 500
c 0
·- u mesures que (a) mais durant une
E °'
::J"'
- ---- 400 éclipse de Lune.
~~
.,,_
~ ~ 300
cO
·-~
200

100
24 48 72 96 120 144
107
temps (heures)
Pour résumer, l'eau absorbe de l'énergie de son environnement. Aucune
autre interprétation plausible ne peut expliquer les périodicités observées dans
toutes ces études. Nous venons de voir des travaux expérimentaux confirmant
que l'énergie rayonnante incidente affecte l'eau et ceci vient compléter le chapitre
précédent concernant l'influence de la lumière incidente. Il ressort clairement que
l'énergie rayonnante incidente impacte de nombreuses caractéristiques de l'eau,
de la vitesse de réaction jusqu'à la production de lumière.
Ces résultats montrent sans conteste qu'une bouteille d'eau fermée sur une
table n'est pas un système clos; elle reste sous l'influence de son environnement.
L'.eau se comportera de la même manière qu'une plante placée à côté de cette
bouteille. La plante est un système ouvert utilisant l'énergie radiante qui tombe
incidemment à sa surface. Il se produit la même chose pour la bouteille d'eau.
Cette similarité ne devrait pas nous surprendre quand on se rappelle que les cel-
lules de la plante, après tout, se composent essentiellement d'eau.

Transformation d'énergie : le moteur de la nature


Si l'eau absorbe de l'énergie rayonnante, qu'advient-il alors de toute cette
énergie? L'.eau est-elle capable d'absorber de l'énergie sans fin ? Ou lui faut-il la
transformer ?
Comparons cela au gonflement d'un ballon : le fait d'augmenter la pression
interne va conférer une énergie potentielle au ballon, et si vous continuez à y
injecter de l'air, le ballon se mettra à virevolter en libérant cinétiquement cette
énergie potentielle ; l'énergie engagée s'est convertie en un autre type d'énergie.
Par contre, si vous continuez à gonfler le ballon et qu'il n'y a pas de libération
d'énergie, il se peut que le ballon finisse par éclater : toute l'énergie sera alors
relâchée avec fracas.
L'.eau, qui absorbe en continue de l'énergie
rayonnante en provenance de son environnement,
n'explose toutefois pas comme un ballon; il doit donc
se produire une sorte de libération d'énergie continue
dans le système. Pour reprendre l'exemple du ballon,
on pourrait dire qu'il doit y avoir en permanence un
filet d'air qui s'échappe (Fig. 7.4), un relâchement de
pression comparable à une longue crise de flatulence.
Fig. 7.4 Soupape de sureté. Un Comment, et sous quelles formes, cette énergie
relâchement continu d'énergie s'échappe-t-elle de l'eau?
permet au système de ne jamais
être surchargé et donc de ne pas
Vous en avez déjà vu quelques exemples plus
exploser.
haut, mais vous allez voir que ceux-ci appartiennent
à un éventail bien plus large, l'énergie pouvant

108
Fig. 7.5 Les solutions aqueuses
peuvent produire de la lumière
presque éternellement.

s'échapper de l'eau sous plusieurs formes : optique, physico-chimique, électrique


et mécanique. En d'autres termes, l'eau agit comme une machine qui convertirait
l'énergie rayonnante entrante en un grand nombre de types d'énergie sortante.

(i) Émission d'énergie optique


J'ai déjà évoqué les travaux de Voeikov mettant en évidence une émission de
lumière. Il a récemment développé ces expériences pour prouver que des émis-
sions se produisaient sur de longues périodes de temps. Pour cela, Voeikov remplit
des récipients d'eau dans laquelle il ajouta de petites quantité de bicarbonate
et de peroxyde, ainsi qu'une faible quantité de luminol dans le but d'amplifier la
luminescence, puis les scella et utilisa un photomultiplicateur pour analyser la
quantité de lumière émise au fil du temps.
Les résultats furent surprenants. Après avoir effectué les premières mesures,
Voeikov rangea les récipients dans des armoires dépourvues d'éclairage, ne les
testant plus qu'occasionnellement. Après plus d'un an de stockage dans le noir, les
mêmes récipients scellés continuaient à émettre de la lumière. Même si l'intensité
diminua légèrement, les récipients continuèrent à émettre de la lumière pendant
des temps incroyablement longs, comme si la lumière refusait de s'éteindre (Fig.
7.5).
On pourrait penser que la lumière émise est le résultat de réactions
chimiques ... mais après plus d'un an? Soit l'on a affaire ici à de la magie,
soit les solutions aqueuses continuent à absorber en permanence de
l'énergie rayonnante et à convertir cette énergie sous la forme d'une
émission pratiquement sans fin de photons. Il n'est pas nécessaire de
s'éterniser sur ce point : la solution d'eau agit comme une ampoule en
émettant une énergie photonique presque illimitée, sans autre source
manifeste que l'énergie stockée en son sein.
Nous pouvons voir une démonstration plus percutante de l'émis-
sion d'énergie optique avec l'eau qui s'enflamme. La Figure 7.6 montre
une expérience où un tube contenant de l'eau de mer se trouve sur un
support; cette eau salée est exposée à une énergie micro-ondes ou un
rayonnement radioélectrique, et voilà : nous obtenons de la lumière et
de la chaleur. 3 On peut constater ce phénomène dans une vidéow 1; cette
démonstration probante est la preuve que l'eau est tout-à-fait capable
de convertir un apport d'énergie en lumière.

Fig. 7.6 Eau de mer exposée à


de l'énergie électromagnétique.
La solution prend feu. 3
(ii) Effet physico-chimique
Délaissons la lumière et intéressons-nous à présent à l'énergie physi-
co-chimique. Imaginez un bécher rempli d'une eau qui contiendrait des particules
en suspension, comme des microbilles. Théoriquement, la suspension est d'abord
uniforme, mais après plusieurs heures, on note quelque chose d'apparemment
mystérieux : les microbilles gravitent vers la périphérie du bécher en laissant un
cylindre vertical près du centre exempt de microbilles (voir Fig. 1.3). Elles séparent
les états de l'eau et laissent une région riche en microbilles quand l'autre en est
totalement dépourvue.
Les systèmes livrés à eux-mêmes tendent généralement vers le désordre et
non vers l'ordre ; après tout, l'entropie est la flèche du temps. Mais le système
dont il est ici question semble aller du désordre vers l'ordre : initialement disper-
sées aléatoirement à travers l'ensemble de la solution, les microbilles vont finale-
ment se rassembler à la périphérie du récipient. Un tel regroupement reviendrait
à demander à un groupe de personnes en train de discuter de manière informelle
de se rassembler dans la moitié seulement de l'espace qu'elles occupent ; ce type
de regroupement ne se produit pas spontanément et demande détermination et
énergie.
On observe la même chose avec le rassemblement des microbilles: une forme
d'énergie doit être à l'œuvre; il s'agit de toute évidence d'une énergie rayonnante,
comme le chapitre 9 nous le confirmera. Toutefois, le principe est ici de moindre
importance que le résultat, à savoir une réorganisation quasi-déterministe condui-
sant à des arrangements plus condensés. Pour se réorganiser, les microbilles
doivent se déplacer à travers un milieu visqueux, et cela nécessite un travail ; les
séparations impliquent un travail.
Les séparations se produisent avec d'autres types de suspensions, et ce
travail a chaque fois lieu. Un tel travail devrait se trouver naturellement dans
les paragraphes à venir consacrés à l'action mécanique, mais on considère géné-
ralement les séparations dépendant de l'état de l'eau comme des phénomènes
physico-chimiques, et c'est la raison pour laquelle nous l'incluons ici. Quoi qu'il en
soit, les mouvements de particules observés fournissent la preuve qu'il existe une
autre forme d'émission d'énergie que la seule énergie optique.

(iii) Action électrique


Il est également possible d'extraire de l'énergie électrique de l'eau (Fig. 7.7).
Comme nous l'avons déjà vu au Chapitre 5, placer des électrodes au niveau de
régions de charges opposées dans la batterie à eau produit un courant électrique.
Qu'une telle production d'énergie puisse rivaliser avec les technologies existantes

110
/

Fig. 7.7 Production d'énergie


électrique à partir d'électrodes
placées dans la zone d'exclusion
et dans la zone située au-delà.

+
+

+
+

ZE eau en vrac

demeure incertain ; néanmoins, la batterie à eau prouve la possibi-


lité de produire de l'énergie électrique à partir d'un apport d'énergie
rayonnante.
En fait, nous avons également obtenu une énergie électrique
avec des zones de charges opposées formées électriquement (Fig.
5.9). En plongeant des électrodes au niveau de régions de charges
opposées, nous avons réussi à extraire une importante quantité
d'énergie ; presque autant que la quantité d'énergie électrique utili-
sée pour les former.
L'.eau est donc capable de délivrer de l'énergie électrique. Ima-
ginez-vous en train de vous servir d'eau pour faire fonctionner votre
téléphone portable! Cette perspective ne devrait pas constituer une
surprise totale puisque des batteries à base d'eau peuvent d'ores-
et-déjà produire suffisamment d'énergie pour faire fonctionner une
horloge (Fig. 7.8).

Fig. 7.8 Horloge à eau. Son


(iv) Action mécanique
principe de fonctionnement
Par action mécanique, je fais ici référence au diffère de ce à quoi les électro-
mouvement de l'eau, ou flux. La production d'un flux chimistes pourraient s'attendre
nécessite un apport d'énergie. Transporter de l'eau (voir Chapitre 12).
dans une montée vous demandera de l'énergie (vous
pourriez même transpirer) ; même déplacer de l'eau
dans un tube horizontal vous fera dépenser de l'énergie pour vaincre la friction
moléculaire (ou viscosité). Tout flux demande toujours une forme d'énergie.
À présent, supposez que ni vous ni aucune autre forme d'énergie ne soit
disponible pour générer le flux ; l'énergie nécessaire devra donc provenir de l'eau

111
Fig. 7. 9 On observe
un flux pratique-
ment incessant à flux continu
travers les tubes
hydrophiles immer-
gés dans l'eau.

tube en Naff ion

elle-même. C'est ce que je voudrais illustrer ci-dessous: la production d'un flux en


l'absence d'une source manifeste - à part des énergies subtiles stockées au sein
de l'eau. Voici trois exemples.
(a) Tubes. L'exemple le plus frappant est le flux que l'on observe à travers
des tubes hydrophiles (Figure 7.9). Pour le constater, placez un tube de Nafion
long d'un lmm dans un petit récipient d'eau en prenant soin de vérifier que l'eau
puisse pleinement rentrer à l'intérieur du tube, puis assurez-vous que le tube
repose bien à plat au fond du récipient; ajoutez des microbilles ou une goutte de
colorant pour détecter un possible écoulement.
On pourrait s'attendre à ce que rien n'arrive, mais il se produit quelque chose:
après quelques minutes de démarrage chaotique, on peut voir un flux constant
passer à travers le tube, exactement comme le fait le sang dans un vaisseau. On
ne peut prédire la direction avant chaque test, mais une fois que le mouvement
commence, il se poursuit avec une faible diminution pendant une bonne heure, 4 et
si l'on prend des dispositions concernant l'effet des protons s'accumulant dans le
récipient, le flux peut persister pendant plus d'une journée. 5 Également notable, le
flux maintiendra sa direction relative par rapport au tube, même si on le réoriente
en cours d'expérience.
Nous avons observé ce type de flux non seulement à travers des tubes en
Nafion mais aussi à travers des tunnels cylindriques creusés dans différents gels.
Les résultats sont similaires. Ainsi, plutôt que d'être spécifique à un seul type de
matériau, ce phénomène d'écoulement se produit apparemment en raison de la
nature hydrophile des matériaux utilisés. Les tubes réalisés en matériaux hydro-
phobes ne génèrent en effet pas de flux. De toute évidence, une forme d'interac-
tion locale entre les surfaces hydrophiles et l'eau est à leur origine.
Bien que le mécanisme ici à l'œuvre n'ait pas encore été entièrement établi, on
en connaît parfaitement certains aspects (Fig. 7.10). Une ZE se forme de manière
apparente sur la surface intérieure du tube (a). On peut mesurer que celle-ci
génère des ions hydronium au cœur du tube (b). Lorsque leur concentration est
suffisante, ces molécules chargées positivement doivent commencer à se diriger
vers une extrémité ou l'autre du tube pour s'échapper ; cela amorce le flux (c).
L'eau qui sort entraîne l'aspiration d'une eau pure à l'autre bout du tube ; celle-ci
fait alors l'objet d'une protonation, et l'écoulement se poursuit ainsi.

112
(a) ,Ç paroi du tube
+ + ~ ZE + Fig. 7.10 Mécanisme de
+ + + +
/'écoulement intratube.
L'élément clé est la formation
(b) d'ions hydronium au sein du
tube puis leur évacuation
++++++++++
+++++++++++ dans l'eau à /'extrémité.

(c)
r
~
7- +
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+ + + + + + + + ++ ++ ++
+ + + ++ + + + + + +
( - + +

Une fois l'écoulement démarré, la lumière va augmenter son débit. 5 La lumière


blanche renforce l'écoulement en fonction de son intensité ; quant à la lumière
ultraviolette, elle peut augmenter jusqu'à quatre à cinq fois le débit du flux. Nous
voyons donc que l'énergie à l'origine de cet écoulement intratubulaire provient
manifestement de la lumière ; la lumière libère probablement les protons, ce qui
meut le flux.
(b) Trous. L.'.écoulement intratube n'est pas l'unique manifestation d'écoule-
ment d'eau «spontanée». Pour ce deuxième exemple, représentez-vous un petit
trou perforé dans la paroi d'un tube de Nafion immergé ; l'eau va instantanément
pénétrer à l'intérieur du tube par ce trou (Fig. 7.11). Cet écoulement vers l'inté-
rieur, observable dès que l'on ajoute des microbilles comme marqueurs, s'effectue
à une vitesse étonnamment élevée. Bien que sa vitesse finira par se réduire, ce
flux persistera, contre toute attente, sur de longues périodes de temps. Il faut bien
qu'un type d'énergie permette cet écoulement, et de
nombreuses observations pointent une nouvelle fois
vers les protons libérés6 qui seraient attirés par la
charge négative régnant à l'intérieur du tube.
(c) Billes. Un troisième exemple d'écoulement
apparemment spontané a lieu autour de billes de
gel. Plaçons-en une d'un demi-millimètre au fond
d'un petit récipient, puis versons de l'eau de manière
à recouvrir à peine son sommet. Ajoutons quelques 200l'Ol
microbilles pour nous aider à visualiser l'écoulement.
Le comportement de ce flux est surprenant : dans la
couche d'eau la plus proche de la surface, l'eau va Fig. 7.11 Un trou perforé sur
s'écouler continuellement vers la bille depuis toutes la paroi du tube en Nafion
les directions (Fig. 7.12). En arrivant à proximité de produit un flux vers l'intérieur.
la bille (ou de la zone d'exclusion de celle-ci), l'eau va Représentation depuis le dessus
du récipient. Les microbil/es
en suspension entrant dans le
trou se dirigeront vers les deux
extrémités du tube.
descendre vers le fond du récipient, puis poursuivre
son trajet en s'éloignant. On constate que l'écoule-
ment circule autour de la bille, mû grâce à l'attrac-
tion des ions hydronium positifs par la ZE négative. 7
Nous avons observé l'existence d'un écoule-
ment avec différents types de billes et différents
types de récipients. Invariablement, le flux va se
Fig. 7.12 Une bille de gel (vue poursuivre sans faiblir plusieurs heures durant, au
du dessus) placée dans un moins jusqu'à ce que les microbilles soient tombées
récipient contenant de l'eau et des au fond du récipient et qu'on ne puisse donc plus
microbilles génère un écoulement suivre d'écoulement. Une forme d'énergie doit per-
constant autour d'elle. 7 mettre ce flux continu (vraisemblablement compor-
tant un gradient du haut vers le bas) ; le suspect
évident est l'énergie rayonnante absorbée par l'eau.
Observés à la lumière des paradigmes actuels, ces trois régimes d'écoulement
peuvent paraître mystérieux et ne sont pas sans rappeler les machines à mouve-
ments perpétuels. On pourrait théoriquement rationaliser ces flux s'ils résultaient
d'effets secondaires comme une différence de température, mais chaque étude
a fait l'objet d'un examen minutieux pour éliminer ce genre d'artefacts. Ces flux
semblent légèrement moins mystérieux lorsqu'on les observe dans le contexte
des zones d'exclusion : les ZE touchant les surfaces de ces matériaux libèrent des
protons. Même un faible gradient de protons (ou ions hydronium) génèrera un
flux, les gradients de charge cherchant toujours à s'équilibrer. Les gradients de
charge constituent de puissants moteurs pour tous les types d'écoulements.
Tout cela nous amène à la question de savoir ce qui arrive à ces écoulements
en l'absence d'un matériau pour les diriger. Imaginez qu'il n'y ait pas de tube,
de trou ou de billes pour organiser et diriger ces flux ; que se passe-t-il alors ?
Lénergie rayonnante continue d'entrer dans le système, mais comment toute
cette énergie se dissipe-t-elle en l'absence de quelque chose pour organiser les
écoulements?
Peut-être avez-vous déjà deviné que des mouvements pourraient toujours
se produire, bien que non dirigés. Des déplacements aléatoires se produisent
constamment dans l'eau. Connus sous le nom de mouvements browniens, ces
mouvements sont importants en physique et en chimie ; nous reviendrons sur le
sujet au chapitre 9 où nous verrons si les mouvements browniens peuvent être
guidés par l'énergie rayonnante incidente.
Pour le moment, il nous suffit de savoir que l'énergie électromagnétique
absorbée a des conséquences mécaniques en stimulant toutes sortes d'écoule-
ments.

114
Conversion d'énergie de type photosynthèse
De toute évidence, l'eau accomplit toutes sortes d'actions - chimiques,
optiques, électriques ou mécaniques. L'énergie potentielle qui permet cela pro-
vient de la séparation des charges, elle-même résultat de l'absorption d'énergie
rayonnante. L'énergie stockée sert d'intermédiaire et peut permettre toutes sortes
d'actions ou d'émissions d'énergie.
Cette chaîne d'événements présente une ressemblance frappante avec la pho-
tosynthèse. Dans le cas de celle-ci, l'énergie solaire rayonnante absorbée permet
des manifestations énergétiques similaires à de celles que nous venons de voir :
de l'énergie chimique (métabolisme) ou mécanique (courbure), un écoulement
(dans le phloème de la plante), et, dans quelques organismes, une production de
lumière. Cet apport d'énergie rayonnante produit différents types d'actions dont
vous pouvez voir des exemples tout autour de vous en observant des plantes
vertes ou des micro-organismes.
La première étape de la photosynthèse est la dissociation de l'eau. Cette
séparation en composantes positives et négatives est arbitrée par les chromo-
phores absorbeurs de lumière se trouvant à côté de l'eau. Ce scénario ressemble
à celui qui nous intéresse : une surface hydrophile touchant l'eau. Dans les deux
cas, la lumière dissocie les molécules d'eau. Il serait donc tentant de penser que la
séparation de l'eau induite par la lumière dans le processus de la photosynthèse
est similaire à celle induite aussi par la lumière dans le cas des zones d'exclusion.
cela signifierait que les chromophores photosynthétiques ne sont que des cas
particuliers de surfaces hydrophiles plus génériques. Dans les deux cas, la lumière
incidente sur les matériaux va produire une séparation de l'eau, avec toutefois
probablement plus d'efficacité pour les chromophores.
Si ces derniers ne sont rien de plus que des manifestations particulières
de matériaux hydrophiles génériques, les centres de réaction photosynthétique
devraient donc présenter le pic d'absorption à 270 nm caractéristique de la pré-
sence de la ZE. Les manuels scolaires parlent des pics d'absorption de la lumière
bleu-violet et rouge, mais les spécialistes de la photosynthèse évoquent également
un pic d'absorption particulièrement large à 280 nm. On élimine généralement
ce pic à 280 nm, le considérant comme une nuisance due à une contamination
de protéines, mais il est permis de se demander si ce pic nominal à 280 nm ne
pourrait pas être la même chose que le pic à 270 nm caractéristique de la ZE ? Si la
réponse à cette question est oui, cela indiquerait fermement la présence d'une eau
de type ZE au sein des centres de réaction photosynthétique. La ZE se situerait
donc à proximité des chromophores, et l'ensemble serait très similaire à ce qui se
passe près des surfaces hydrophiles génériques.

115
Comment photosynthétisez-vous, aujourd'hui?
Les plantes le font, les bactéries le font, différents organismes unicel-
lulaires le font. La photosynthèse est un processus si performant pour les
espèces situées au plus bas de l'arbre phylogénétique que l'on ne peut s'em-
pêcher de se demander si la nature ne l'aurait pas conservé en commençant
à créer des formes de vies plus complexes. Je ne suis pas nécessairement
en train de vous dire que vous réalisez la photosynthèse, car le but ultime
de ce processus biologique reste la production de substance organique; en
ce qui nous concerne, la nourriture nous fournit aisément les substances
dont nous avons besoin. Toutefois, il est possible que votre corps effectue
la première étape de la photosynthèse en exploitant la lumière incidente
pour séparer les charges de l'eau ; celles-ci pourraient être utilisées pour
stimuler divers processus physiologiques.
Lun d'eux pourrait concerner l'écoulement du sang dans les capillaires.
Nous venons de voir que la lumière stimule les flux dans les tubes hydro-
philes ; elle pourrait le faire de même dans vos capillaires superficiels qui
ne sont rien d'autre que des tubes hydrophiles. Une grande quantité de

116
lumière pénètre dans votre corps et pourrait assurer cette fonction, ce que
vous pouvez vérifier en allumant une lampe torche dans la paume de votre
main ; si vous faites cette expérience dans le noir, vous verrez sans peine
la lumière passer de l'autre côté. Il est donc plausible que la pénétration de
lumière dans votre corps contribue à permettre l'écoulement du sang dans
vos capillaires.
Il se peut que le sang exploite tout ce qui est à sa disposition pour
faciliter son écoulement. Chez des adultes en bonne santé, il arrive que
les globules rouges soient plus larges que les capillaires dans lesquelles ils
passent : 6 à 7 µm contre 3 à 5 µm respectivement ; il a été démontré que
ces globules rouges se déformaient pour pouvoir passer.w2 Imaginez-vous
en train de pousser un ballon de foot partiellement dégonflé à travers un
conduit d'évacuation et vous aurez une image de la situation : il faut une
pression considérable, même si la friction est faible. Bien au coutraire, des
mesures régulières montrent qu'il n'y a presque aucune baisse de pression
au niveau des capillaires, celle-ci se produisant plutôt au niveau d'artérioles
relativement plus grosses. Il ressort de ces observations que les capillaires
ne se comportent pas comme des conduits à résistance élevée attendus.
Il se pourrait qu'une forme d'énergie aide le cœur à assurer l'écoulement,
et elle pourrait bien proprovenir de l'énergie rayonnante que votre corps
absorbe.
Ainsi, Mère Nature ne nous aurait pas déçu. Dans sa grande sagesse,
elle a pu conserver un mécanisme servant d'ordinaire aux plantes et bac-
téries et l'adapter aux animaux, leur permettant de convertir la lumière
en force d'écoulement et autres fonctions. La première étape pourrait être
générique : transduction de lumière par une substance hydrophile à côté
d'eau. Même si de nouvelles branches ne poussent jamais de votre corps
et que vous n'avez pas besoin de vous pencher en direction de la lumière,
il est possible que vous exploitiez le même mécanisme de conversion que
celui dont se servent avec tant d'efficacité les plantes de votre rebord de
fenêtre.

117
En somme, la première étape de la photosynthèse pourrait bien être une
manifestation particulière du processus plus général décrit dans ces pages : une
dissociation de l'eau induite par la lumière et une séparation des charges. La sépa-
ration des charges comme au sein d'une zone d'exclusion est peut-être la première
étape générique de la photosynthèse.

L'équilibre de l'énergie
De nombreux exemples montrent que la ZE stocke de l'énergie potentielle pour
une utilisation ultérieure ; cependant, toute celle-ci ne reste pas disponible. Ceci
s'explique par le fait qu'une partie de cette énergie retourne à l'environnement,
dont une fraction sous forme de chaleur ; les caméras infrarouges, et parfois de
simples thermomètres, peuvent la détecter. Ainsi, la conversion ne consiste pas
seulement en travail, mais en travail et en rayonnement d'énergie.
Un bon moyen de résumer ce concept est de l'écrire sous forme d'équation :
apport d'énergie rayonnante
=libération d'énergie ou travail+ émission d'énergie rayonnante (1)
Léquation 1 fait référence à un état stable, et ne s'applique pas aux états
transitoires : par exemple, si l'apport en énergie rayonnante augmente brusque-
ment et commence à étendre la ZE, il serait nécessaire d'introduire un nouveau
terme pour décrire l'énergie stockée provisoirement. Toutefois, pour un état
stable, l'équation 1 devrait suffire.
Léquation exprime l'équilibre énergétique de l'état stable. Elle souligne que
l'efficacité de la conversion est inférieure à 100% puisqu'une partie de l'énergie
absorbée retourne dans l'environnement duquel elle provient ; seule la fraction
qui n'est pas restituée se convertira en énergie utile ou en effet. En revanche, cette
fraction non restituée est fantastiquement versatile : elle fournit de l'énergie pour
un grand nombre de processus.

Résumé et perspectives
Concluons cette partie du livre en réfléchissant aux notions auxquelles les
précédents chapitres nous ont amenés, et jusqu'où les nouvelles caractéristiques
de l'eau pourraient bien nous conduire.
Nous avons d'abord identifié une caractéristique inattendue de l'eau. Nous
avons vu que les molécules d'eau situées à proximité de surfaces hydrophiles
s'organisaient sous la forme de structures de cristal liquide capables de se pro-
jeter étonnamment loin de leur surface de nucléation. Tout comme les cristaux
de glace, ces cristaux liquides excluent de nombreuses substances qui vont de la
taille de particules colloïdales macroscopiques à des solutés submicroscopiques.

118
!..'.importance de cette propriété excluante est à l'origine du surnom de « zones
d'exclusion ».
Celles-ci possèdent généralement une charge négative, tandis que des zones
non identiquement ordonnées (« en vrac») situées plus loin dans le volume d'eau
renferment une charge positive complémentaire. Les deux zones présentent des
caractéristiques différentes : la ZE chargée négativement semble être constituée
d'une structure semi-cristalline constituée d'un empilement de maillages en nids-
d'abeilles, tandis que la zone chargée positivement est plus uniforme et contient
des ions hydronium libres de se disperser ou de former un écoulement en fonction
des caprices de l'électrostatique.
!..'.énergie nécessaire à la construction de la ZE et à la séparation des charges
provient principalement de sources rayonnantes ; la lumière infrarouge semble
particulièrement efficace ; elle est en outre omniprésente et disponible. !..'.énergie
acoustique semble également avoir cette capacité, bien qu'il reste des points à
clarifier. Toutes ces énergies peuvent dissocier les molécules d'eau présentes dans
le volume initial et leur permettre ainsi de venir agrandir les couches existantes de
ZE à la manière de briques que l'on placerait au sommet d'un mur partiellement
construit. Une molécule d'eau adhère naturellement à la structure, et ce faisant,
perd une charge positive dans le restant de l'eau en vrac. C'est de cette façon que
les charges se séparent et que la batterie à eau se charge.
Le flux d'énergie qu'implique ce processus n'est pas conventionnel en ceci
que l'énergie rayonnante absorbée ne se dégrade pas simplement sous forme de
chaleur, comme on le pense généralement (Fig. 7.13). Une partie de cette énergie
est convertie en énergie potentielle ; cette énergie potentielle peut être délivrée
sous différentes formes : chimique, optique, électrique, mécanique et peut-être
d'autres encore. Autrement dit, il existe deux filières énergétiques.

Fig. 7.13 Filières de l'énergie


l'énergie rayonnante
dans l'eau. L'approche conven-
tionne/le est le réchauffement;
la nouvelle approche, la création
d'une énergie potentielle déli-
vrab/e. Cette dernière pourrait
constituer la première étape de la
augmente la transmet de l'énergie photosynthèse.
température. pour introduire cfe
l'ordre et séparer les
(conventionnel) charges. _,
Nous voyons que l'eau agit comme un transducteur, absorbant une forme
d'énergie et la convertissant en d'autres. Celle-ci peut se produire instantané-
ment, comme avec la fluorescence, ou être mise en réserve en vue d'un usage
futur, ce qui vous permettra peut-être d'avoir des végétaux plus grands que ceux
de votre voisin.
On en arrive à la seconde équation :

E = Hp (2)

L'équation 2 souligne le fait que l'eau et l'énergie travaillent main dans la main.
Les puristes contesteront la non-concordance des termes de cette équation ; elle
m'est en effet impossible à défendre. Néanmoins, je pense que vous comprenez
ce que je veux dire : l'énergie et l'eau sont étroitement liées. Là où l'eau existe, de
l'énergie est stockée ; cette dernière peut effectuer toutes sortes de tâches.
Réfléchissez à ce que cela signifie. Vous introduisez de l'énergie dans l'eau
et vous obtenez d'autres types d'énergie (Fig. 7.14). L'eau est un convertisseur
d'énergie - une machine liquide si vous préférez.

Fig. 7.14 L'eau convertit


l'énergie.

l'énergie rayonnante
établit de l'ordre et
sépare les charges.

120
Songez que le fonctionnement de cette machine pourrait avoir un impact
sur pratiquement chacune des caractéristiques de l'eau. Prenons par exemple sa
capacité thermique. Celle-ci désigne la quantité de chaleur requise pour augmen-
ter la température d'un corps d'une valeur constante. La capacité thermique de
l'eau est plus grande que ce que prédit la chimie conventionnelle : l'eau chauffe
moins vite que le contenant dans lequel elle se trouve.
Cette grande capacité thermique de l'eau fait l'objet de débats, mais repor-
tez-vous à la Figure 7.13. Il est certain que l'énergie rayonnante élève la tempéra-
ture de l'eau, mais une partie de cette énergie rayonnante est utilisée pour former
une structure ; autrement dit, seule une partie de l'énergie qui arrive contribuera
à chauffer l'eau. De ce fait, l'eau a besoin d'absorber une quantité d'énergie rayon-
nante supérieure à ce qu'on pourrait penser, pour élever sa température.
La capacité thermique n'est qu'un aspect des nombreux problèmes liés
à l'énergie lorsque l'on s'intéresse à l'eau, car d'autres questions se posent, de
l'évaporation de l'eau chaude à la congélation de l'eau froide. Il se peut que vous
pensiez que tous ces phénomènes sont aujourd'hui bien compris, mais ce n'est
pas du tout le cas. Il demeure bon nombre d'anomalies, ce qui revient à dire que
n'avons absolument aucune idée de ce qui se passe réellement. L'eau recèle encore
un grand nombre de mystères.
Pour les résoudre, il faut commencer par chercher à comprendre ce qui se
passe au sein de l'eau lorsqu'on lui ajoute ou qu'on lui retire de l'énergie - et c'est
précisément là où nous emmène la prochaine partie de ce livre.

121
Commençons à nous servir de ce que nous avons appris au sujet
de l'eau pour examiner sous un nouvel éclairage un large spectre de
phénomènes naturels. Notre modèle de la zone d'exclusion nous permet
de revisiter des concepts établis il y a fort longtemps et, comme vous ne
manquerez pas de le noter, modifie radicalement notre compréhension
du monde.
' .
3eme partie

Ce qui agite l'eau


agite le monde
8 Un attracteur universel

S 'il y a bien une chose fondamentale en science, c'est la notion de charge : les
charges opposées s'attirent, et celles identiques se repoussent ; c'est assez
simple. Mais laissez-moi vous poser une question : supposons que vous retiriez
une particule chargée de votre poche gauche et une particule de même charge de
votre poche droite ; vous placez ces deux particules dans un bécher rempli d'eau
en les positionnant suffisamment près l'une de l'autre pour que chacune « sente»
la charge de l'autre. Que va-t-il se passer en matière de distance entre elles deux?
Lorsque je pose cette question lors de mes conférences, aucune main ne
se lève, en général. Soupçonnant un piège, les élèves craignent de donner une
mauvaise réponse qui aggraverait leur profond manque de confiance. Parfois,
un individu plus courageux que les autres lève la main et lance humblement :
« eh bien ... euh ... les particules de même charge vont évidemment se repousser
et s'éloigner. »
En réalité, elles vont se déplacer l'une vers l'autre.
Ne concluez pas trop rapidement que l'auteur de ce livre a pris de la drogue
et laissez-moi le temps de vous certifier que ce paradoxe n'est pas une halluci-
nation ; ce phénomène est connu depuis plus d'un siècle. Irving Langmuir, une
personnalité suffisamment importante dans le monde de la science pour avoir
donné son nom à un journal de chimie, le connaissait
bien. 1 Le célèbre physicien Richard Feynman a même
proposé par la suite une explication sensée qui ne
remet en question aucun des principes fondamen-
taux de la physique. 2
Alors, pour quelles raisons deux particules de
même charge voudraient-elles se rapprocher l'une
de l'autre ? Et quelles implications de ce phénomène
pour les sciences naturelles dans leur ensemble ?

Le mécanisme de l'attraction paradoxale


Feynman avait avancé une explication simple
pour rendre compte de cette attraction. Avec son
style inimitable, il avait inventé une expression pour
exprimer l'idée que les charges de même signe s'at-
tirent grâce à la présence de charges de signe opposé
entre elles ; c'est le principe du « qui se ressemble

Richard Feynman (1918-1988}


Fig. 8.1 Des particules chargées
négativement peuvent s'attirer si
un nombre suffisant de charges
positives se trouvent entre elles. + ++
++
++
+++

s'assemble » (dans ses mots, « like likes like » ou « même aime même » ). Une
charge positive intermédiaire rapprochera ainsi deux billes chargées négative-
ment en les attirant (Fig. 8.1)
Nous verrons dans ce chapitre plusieurs exemples que le principe du « même
aime même » fonctionne très bien. Nous aborderons les questions suivantes :
d'où proviennent ces charges contraires? Pourquoi se rassemblent-elles entre des
entités de même charge ? Et, enfin, qu'est-ce qui détermine la fin du processus
d'attraction ? Ce chapitre ne se contentera pas d'apporter des réponses à ces
questions mais montrera aussi que ce principe fournit un modèle simple capable
d'expliquer de nombreux phénomènes paradoxaux.
Si Feynman s'était trouvé dans l'audience lorsque j'avais posé ma question, il
aurait sûrement trouvé la réponse, bien que de manière conjecturale ; à l'époque,
on ne savait que peu de choses sur l'origine de ces charges opposées, et c'est
Norio Ise de l'Université de Kyoto qui allait par la suite confirmer l'intuition de
Feynman.
Ise étudiait les colloïdes. Les colloïdes sont des
mélanges relativement homogènes de particules et
de solvants, comme par exemples les yaourts, le
sang ou le lait (Fig. 8.2). Les particules sont plus
petites que des cailloux mais plus grosses que des
molécules ; généralement, à l'échelle du micron.
On peut détecter leur présence car les particules
dispersent la lumière et rendent donc la suspen-
sion opaque. Un microscope permet d'observer
les particules individuellement ; néanmoins, elles
sont présentes à travers toute la suspension et
épaississent aussi bien le lait que vous buvez que
le sang qui circule dans vos veines.
Ise s'intéressa aux colloïdes constitués de
microbilles et d'eau - le plus simple possible. Il
remarqua que s'il attendait suffisamment long-
temps après avoir mélangé les composants, les
particules se redistribuaient d'elles-mêmes pour
Fig. 8.2 Le lait est un exemple
ordinaire de suspension
colloïdale.
-. "
' •
former ce que l'on appelle des « cristaux colloïdaux » ,. •
..
.. ..J

dont la Figure 8.3 nous montre un exemple. Cette •


image présente les deux caractéristiques les plus • ~

remarquables de ce type de cristal : (i) les particules •• ..,,


sont régulièrement espacées ; et (ii) les particules • -.
restent séparées les unes des autres. Ces séparations '
peuvent paraître faibles, mais les distances entre les
Fig. 8.3 Distribution finale de
particules sont assez importantes pour permettre des
particules de latex : diamètre de
alignements de milliers de molécules de solvant.
0.4 µm, concentration de 2% en
Ise et ses collègues découvrirent que ces cristaux suspension aqueuse. 3
se formaient par attraction électrique. 4 Immédiate-
ment après avoir effectué le mélange, les microbilles
se dispersent à travers le solvant, mais avec le temps, elles s'attirent progres-
sivement les unes vers les autres en laissant derrière elles des zones vides de
microbilles autour des agglomérats (Fig. 8.4).
Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Le temps passant, les microbilles dans les
regroupements vont subir une condensation encore plus forte, pour finalement
former des réseaux réguliers comme celui que l'on peut voir à la Figure 8.3.
Ise et ses collègues poursuivirent leurs recherches en explorant les effets de
nombreuses variables sur la force d'attraction. 5· 6 · 7 À chaque fois, la prédiction de
Feynman fut vérifiée : les résultats obtenus ne pouvaient s'expliquer que si des
charges contraires se trouvaient entre des particules de charge identique. Ise et
ses collègues en arrivèrent donc à la conclusion que Feynman avait été sur la
bonne piste. Lattraction paradoxale observée dérivait effectivement de quelque
chose de très commun : une attraction entre charges contraires; nul besoin d'in-
voquer quoi que ce soit qui viendrait violer les lois fondamentales de la physique.
Pour la qualité de son travail, Ise a reçu la plus
haute récompense scientifique existante au Japon :
un dîner avec l'empereur. Je me suis laissé dire que Fig. 8.4 Les microbil/es
la nourriture tout comme la conversation furent s'attirent au fil du temps, en
exquises (Fig. 8.5). laissant de grandes zones qui
en sont totalement dépourvues.
Largeur du cadre : 10 µm. 4
Confirmation de l'attraction à longue
distance
Malgré sa simplicité, le principe de Feynman-Ise
ne reçut pas un très bon accueil auprès de certains
chimistes affirmant qu'une telle attraction était
Fig. 8.5 Noria Ise recevant la impossible, s'appuyant pour cela sur la théorie dite
plus haute récompense scien- DLVO excluant la possibilité d'interactions sur de
tifique du Japon. L'empereur et longues distances. DLVO est un acronyme tiré des
l'impératrice sont à gauche. Avec noms des scientifiques ayant formulé cette théorie :
l'aimable autorisation de l'Acadé- Derjaguin et Landau (Russie), Verwey et Overbeek
mie des Sciences du Japon. (Hollande).
La théorie DLVO décrit la force se développant
entre deux surfaces chargées se faisant face dans
un liquide, partant de la supposition que chacune
des surfaces chargées attirerait les contre-ions présents dans le liquide ; les ions
adsorbés recouvriraient la charge de surface, comme un linceul un corps (Fig.
8.6a, gauche). Ainsi, un observateur se trouvant dans le liquide à quelque dis-
tance de la surface pourrait difficilement « ressentir » la présence de la surface
chargée.
C'est la raison pour laquelle la théorie DLVO est incapable d'expliquer l'attrac-
tion des particules. D'après elle, les surfaces chargées se trouvant même à faible
distance l'une de l'autre ne pourraient s'intluencer, des contre-ions masquant les
charges; par conséquent, ces surfaces ne pourraient s'attirer. La distance critique
de séparation pour qu'il n'y ait plus d'attraction dépendrait de plusieurs facteurs
mais elle serait rarement supérieure à quelques dizaines de nanomètres et plus
souvent à seulement quelques nanomètres. À contrario, Ise observa des attrac-
tions avec des distances de séparation 100 fois plus grandes, et je vous montrerai
un peu plus loin que des attractions se produisent
pratiquement à l'échelle du millimètre. La théorie
Fig. 8.6 Différentes distribu- DLVO ne fonctionne pas avec de telles distances.
tions des charges. (a) Distri-
(b) constatation réelle
bution des charges présumée
selon la théorie DLVO, où des
contre-ions se regrouperaient
le long d'une surface chargée.
(b) Distribution des charges (a) la théorie DLVO
mesurée expérimentalement.

+
+
+ +
+

+
QJ
'Cl.l -
~-
0 - -
i3 - -
QJ -
-
+
+

+
+
+

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+

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+

+
( +
+
+

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+ +
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u - - -
+ +
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-- +
+
+
+
+
+ V)
+ + +
+ + + + +
+ - +
Elle comporte en fait un problème fondamental : en effet, elle prédit une
distribution des charges qui entre en conflit avec les distributions mesurées. La
Figure 8.6b représente une distribution des charges telle que mesurée expéri-
mentalement (voir aussi le chapitre 4) : on peut y voir une vaste zone de charge
qui s'étend de la surface jusqu'à une distance importante dans l'eau ; c'est la
charge de la ZE. La théorie DLVO ne prédit rien de ce genre (Fig. 8.6a) : les contre-
ions recouvrent la surface chargée et ne laissent passer que peu, sinon aucune,
charge nette au-delà de leur masquage. De ce fait, nous constatons que cette
théorie est en désaccord avec ce que l'on mesure en laboratoire.
Les chimistes continuent néanmoins d'adhérer fermement à la théorie DLVO.
Par conséquent, nombreux sont ceux qui doutent de l'existence des attractions
pourtant observées, et certains ont même brandi l'étendard du doute avec une
certaine agressivité. 8 Ise a toujours répondu vigoureusement aux critiques, 9· 10 et,
pour autant que je le sache, personne ne l'a jamais mis en difficulté.
Toutefois, il était tentant de voir si nous pourrions confirmer, et peut-être
même étendre, le phénomène d'attraction mis en évidence par Feynman et Ise ;
pour ce faire, nous procédâmes à des tests expérimentaux. Nous utilisâmes des
billes de gel comme particules; ces billes d'un demi-millimètre de diamètre, dont le
volume est donc des millions de fois supérieur à celui des microbilles généralement
utilisées par Ise ou d'autres chercheurs, constituent des masses monstrueuses, du
point de vue moléculaire. Leur plus grande taille nous aida à mieux observer ce
qui se passait réellement.
Nous plaçâmes deux billes de même charge à quelque distance l'une de l'autre
au fond d'un petit récipient contenant de l'eau pure, puis attendîmes pour voir ce
qu'il se passait. Il arriva que les billes se mettent spontanément à se déplacer
l'une vers l'autre, laissant ainsi entrevoir l'attraction que nous espérions observer;
mais la plupart du temps, elles restaient résolument à leur place. Il nous apparut
que la tendance des billes à adhérer au fond du récipient pouvait dissimuler une
possible attraction : nous introduisîmes dans le protocole un léger tapotement au
fond du récipient pour les en dégager; cette stratégie fonctionna (Fig. 8.7).
Après chaque tapotement, les billes se dégageaient du fond et pouvaient se
déplacer plus librement avant de retomber et d'y adhérer une nouvelle fois. Ce
protocole de tapotements nous permit de suivre l'évolution de la distance qui
séparait les billes.

Fig. 8.7 Technique expérimentale


pour décoller les billes du fond
du récipient.
Les résultats obtenus furent sans appel 11 : les billes furent constamment atti-
rées l'une vers l'autre (Fig. 8.8) ; même les billes initialement séparées de près d'un
demi-millimètre se rapprochèrent progressivement. Cette attraction se produisit
de manière uniforme, que ce soit avec des paires de billes chargées négativement
ou positivement. En fait, les billes positives adhéraient moins à la surface et elles
se sont fréquemment attirées sans avoir besoin de recourir à des tapotements.

Fig. 8.8 Séparation des billes E::l.


~ 250
en fonction du temps. Les "'
~
billes se sont rapprochées 15 200
"'
..9!
progressivement. Les images e: 150
du dessus correspondent aux cQ)

u
Q) 100
points indiqués sur le graphique c
2 50
en dessous. .!!1
"O

0 ••••
0 10 15 20 25 30

nombres de tapotements

Nous sommes donc parvenus à confirmer l'existence d'une attraction avec


le système le plus simple possible : deux grosses billes plongées dans de l'eau. Il
semblerait bien que le principe du « même aime même » continue de fonctionner
même avec des distances de séparation plus élevées - une conclusion que nous
trouvons particulièrement réjouissante.
Le dernier défi consistait à localiser les charges de signe contraire théorique-
ment nécessaires pour permettre cette attraction. Pouvions-nous être certains de
leur présence? Et d'où pouvaient-elles provenir?

Confirmation du rôle des charges de signe contraire


Une source possible de charges de signe contraire est la zone d'exclusion. Les
ZE se forment à côté de surfaces hydrophiles grâce à l'énergie rayonnante cap-
turée. Ces surfaces peuvent être plates ou sphériques (Chapitre 4). Le processus
de construction produit des charges de signe contraire plus loin dans le volume
d'eau (Fig. 8.9a). Ainsi, une bille chargée négativement en suspension dans l'eau
devrait être entourée par de nombreux ions de charge positive.
Nous avons confirmé expérimentalement la présence de ces charges posi-
tives. La Figure 8.9b montre une bille de gel immergée dans de l'eau contenant
un colorant sensible au pH. Au-delà de la ZE dépourvue de colorant, l'intense

130
+ + +
+ + + + + +
+ + + +
+
ta) + + + + + + + +
+ + + +
+ +
+ + + +
+ +
- + +
+ - + + + +
+
++ + ++++
+ + + ++ + + + +
+
+ + + + +
+ - + + + +

Fig. 8.9 SParticules sphériques


couleur rouge indique un pH extrêmement bas causé immergées dans l'eau. (a)
par une forte concentration d'ions hydronium. Nous Diagramme montrant les charges
constatons donc une parfaite correspondance entre environnantes. (b) Bille chargée
les deux illustrations. négativement (en sombre sur
l'image) immergée dans de
Supposons à présent qu'au lieu d'une seule
l'eau contenant un colorant
particule chargée négativement, nous en ayons une
sensible au pH. La région plus
paire; supposons en outre que ces deux particules ne
claire autour de la bille sombre
se trouvent pas trop loin l'une de l'autre (Fig. 8.10).
correspond à la zone d'exclusion
D'abondantes charges positives entoureraient alors
qui exclut le colorant sensible au
chacune des particules au-delà de leur enveloppe de
pH. La région rouge intense que
ZE; et c'est entre elles deux qu'on devrait logiquement
l'on observe au-delà indique un
trouver le plus grand nombre de charges positives,
pH bas, soit une forte concentra-
cette zone contenant les contributions additionnées
tion de protons.
des deux enveloppes de ZE.
Résultats ? Les billes se déplacent l'une vers
l'autre, autrement dit dans la direction de la plus forte charge positive.
Veuillez noter que ce mécanisme ne viole aucune des lois de la physique
conventionnelle: les charges de même signe ne s'attirent pas; ce sont les charges
opposées qui exercent cette attraction, comme vous l'avez appris en physique
au collège. Ces charges de signe opposé se présentent d'elles-mêmes en grand
nombre entre les particules ; celles-ci, abondantes, sont donc disponibles pour
exercer l'attraction, même à des distances de séparation étonnamment grandes
(Fig. 8.8).
Est-il réellement possible de détecter ces charges intermédiaires?
Avec des billes de dimensions macroscopiques, on put en effet vérifier leur
présence. 11 Nous procédâmes de deux façons. Tout d'abord, avec des colorants
sensibles au pH (Fig. 8.11) : la couleur du colorant confirma qu'en présence de

+ + + +
+ +
+ + Fig. 8.10 Distribution attendue
+
+ + des charges entre deux billes
+ + +
+ + + + situées à proximité l'une de
+ + +
+ + +
+ l'autre. Les charges positives
+ + + +
+ + + + se trouvant au milieu ne se
+ + + + + dispersent pas de manière signi-
+ + + + +
+ + + + ficative en raison de /'attraction
+ + + + +
+ exercée par la négativité des
+ + + zones d'exclusion.
+ +
+
+ + +
deux billes chargées négativement, la plus grande
concentration de protons se trouvait entre elles
(a) ; le colorant confirma aussi qu'avec deux billes
chargées positivement, la concentration en OH- (pH
élevé) était plus forte entre elles (b).
Ensuite, nous nous servîmes de fines microélec-
trodes qui, positionnées à divers emplacements à
travers toute la zone entre les billes, confirmèrent ce
que le colorant avait montré: un potentiel électrique
présentant une polarité opposée à celle de la ZE. 11
Ainsi, les charges opposées requises pour
exercer l'attraction sont effectivement présentes.
L'hypothèse de Feynman est validée.

Équilibre des forces : déterminer un


point d'arrêt
Avec un mécanisme établi pour expliquer les
attractions observées, une question reste : à quel
moment le mouvement de l'attraction prend-Hl fin ?
Les observations montrent que les billes arrêtent
généralement de se déplacer avant même d'être
entrées en contact l'une avec l'autre (Fig. 8.3); mais
comment cela se fait-il ? Pourquoi les particules ne
se heurtent-elles pas?
Fig. 8.11 Charges de signe
Le secret repose sur la force répulsive : les
contraire situées entre deux billes
charges de même signe se repoussent. Celle-ci est
de même charge. (a) Le colorant
faible lorsque des particules de même charge sont
montre des régions avec un pH
éloignées ; alors, c'est l'attraction qui domine. Mais
bas (présence de nombreux pro-
lorsque des billes chargées négativement se rap-
tons ou d'ions hydronium) entre
prochent l'une de l'autre, la répulsion négatif-négatif
deux billes chargées négative-
augmente. Lorsque cette force répulsive augmente
ment. À droite, échelle du pH. (b)
suffisamment pour contrebalancer la force attrac-
Région avec un pH élevé (charges
tive, le mouvement cesse.
négatives) se trouvant entre deux
billes chargées positivement. Un tel équilibre peut produire deux types d'ar-
Les charges négatives s'unissent rêts ; au cours de nos expériences, nous avons été
parfois pour former des structures témoins des deux. Pour les particules à l'échelle du
évoquant des ponts comme on micron dans de l'eau, le mouvement cesse lorsque
peut le voir ici. Sur toutes ces les particules se trouvent à quelque distance l'une
images, un phénomène de dérive de l'autre (Fig. 8.12, haut). Dans ce cas, répulsion et
au sein du fluide déplace les
charges de signe opposé légère-
ment hors du centre.
attraction s'équilibrent, produisant le cristal colloï-
dal standard que l'on a vu à la Figure 8.3.
Pour les plus grosses particules, comme des
billes d'un demi-millimètre de diamètre, l'attraction
peut se poursuivre et l'emporter sur la répulsion
même quand les particules se touchent. La raison
repose sur l'échelle : les régions bordant le point
de contact restent séparées par des espaces assez
grands (Fig. 8.12, bas), où de nombreuses charges
de signe opposé peuvent demeurer et maintenir
l'attraction. Parallèlement, la répulsion reste rela-
tivement faible du fait de distances de séparation
encore importantes entre les surfaces chargées
négativement. Avec une forte attraction et une faible
répulsion, l'attraction prédomine même quand les
billes entrent littéralement en collision, point où
l'attraction continue de les maintenir ensemble. Avec
un grand nombre de billes, ça tourne à l'agglomérat ;
l'ordre cristallin persiste, mais sans séparation entre
les éléments.
Quoi qu'il en soit, les cristaux se forment lorsque
Fig. 8.12 Points de stabilité
les forces répulsives et attractives s'égalisent. Les
pour les petites particules (haut)
nombreuses charges maintiennent le système dans
et les plus grandes (bas). La sta-
un équilibre serré même en cas de distance élevée
bilité survient quand l'attraction
entre les particules. Comme l'équilibre est contrôlé
s'équilibre avec la répulsion.
par les charges de signe opposé, on pouvait suppo-
ser que la lumière incidente jouait un rôle au niveau
de la distance de séparation. Des expériences le
confirmèrent12 : augmenter la lumière eut pour effet de rapprocher les particules.

Solutions versus suspensions


J'ai souvent utilisé le terme de « suspension » en parlant de particules col-
loïdales. Mais qu'est-ce réellement qu'une suspension ? Et quelle différence avec
des entités dissoutes ?
Les chimistes font une distinction claire entre ces deux phénomènes. Ils
considèrent que des molécules sont dissoutes lorsqu'elles interagissent avec
l'eau qui les environne ; autrement dit, les molécules possèdent «des enveloppes
d'hydratation ». Il n'en va pas de même pour les particules. Selon le point de vue

133
dominant, les particules se mélangent simplement
avec l'eau, avant de finir par retomber au fond du
\ _/ ~
hydration récipient.
Toutefois, les particules interagissent bien avec
l'eau : il a été démontré qu'elles formaient des zones
Fig. 8.13 Une hydratation d'exclusion que l'on pourrait qualifier « d'hydrata-
similaire entre la molécule et tion».
la particule implique que la
En ce sens, les particules en suspension se com-
dissolution et la suspension ont
portent comme des solutés dissous (Fig. 8.13). Les
des principes similaires.
mêmes mécanismes peuvent s'appliquer aux deux.
Pour mieux comprendre cette idée, imaginez-vous
une entité dont la taille se situerait à la limite entre
la particule et la molécule. Cette entité serait-t-elle en suspension ou dissoute ?
Quelles règles s'appliqueraient à son propos?
Si ces deux phénomènes dérivent d'un principe unique, les mêmes règles
devraient s'appliquer, et il se pourrait alors que les interprétations officielles
changent ; nous espérons ainsi voir un jour des explications plus simples rempla-
cer ces explications rébarbatives parsemant les manuels de chimie.

Implications
Le principal message de ce chapitre est que tout semble attirer tout. Nous
savions qu'une charge attirait son contraire, et nous venons de voir qu'elle pouvait
également attirer la même. Dans ce dernier cas, il peut être tentant de se souvenir
de la formule « même aime même », mais j'insiste sur le fait que les lois de la
physique conventionnelle demeurent inviolées : la physique fonctionne toujours
comme on vous l'a appris à l'école. lidée est que l'attraction est quasiment univer-
selle; du moins dans l'eau, où tout attire tout.
Toutefois, les mécanismes à l'origine de ces deux types d'attraction diffèrent,
notamment en terme d'énergie. Nous considérons l'attraction des charges de
signe contraire comme axiomatique : jusqu'à présent, rien n'a remis en question
l'idée que le positif attirait le négatif; l'exécution de cette attraction ne demande
aucune énergie. En fait, lorsque des particules de charge opposée s'approchent
l'une de l'autre, elles relâchent l'énergie potentielle associée à la séparation des
charges.
Par contraste, l'attraction « même aime même » est plus subtile. Ici, l'at-
traction provient en fin de compte de l'énergie absorbée : l'énergie rayonnante
absorbée forme des zones d'exclusion et sépare les charges intervenant dans
l'attraction. Plus la lumière absorbée sera intense, plus forte sera l'attraction. 12
L'attraction « même aime même » requiert de l'énergie : aussi longtemps que le

134
Cristaux de sucre candi

Les cristaux de sel et de sucre repré-


sentent les formes extrêmes du mécanisme
« même aime même». Pour produire des
cristaux de sucre, il faut dissoudre du sucre
(saccharose) dans de l'eau et chauffer la
solution en présence d'un germe cristallin
immergé. Lorsque l'eau refroidit lentement
et s'évapore, un cristal se forme. Ce cristal
« dur » est connu sous le nom de sucre
candi, et ce sont ses nombreuses charges placez un bonbon emballé dans la pince,
opposées qui lui confèrent sa solidité. baissez la lumière, et laissez vos yeux
s'ajuster à la pénombre; écrasez ensuite le
La présence de ces charges peut être cristal avec la pince et vous verrez le flash.
confirmée en écrasant le cristal dans le (Si vous ouvrez l'emballage à ce stade de
noir (voir photo). Lorsque le cristal se l'opération, vous pourrez goûter aux joies
brise, les charges séparées jaillissent par de la poudre de sucre candi.) Pour une
la cassure en produisant une décharge à rencontre plus personnelle avec la science,
la manière d'un éclair. déballez le bonbon et demandez à un ami
Il est possible d'observer ces étin- de le casser dans sa bouche : si la bouche
celles avec des confiseries du commerce de votre ami est suffisamment sèche, vous
en contenant. Munissez-vous d'une pince, observerez un éclair bleu.

Soleil continuera à en délivrer, les entités de même charge continueront de s'at-


tirer.
L.:attraction « même aime même » ne se limite pas aux particules colloïdales
en suspension dans l'eau. Le phénomène des zones d'exclusion se produit aussi
dans divers solvants polaires, comme l'éthanol ou l'acide acétique. 13 Le principe
« même aime même » devrait aussi s'appliquer avec des charges séparées ; en
théorie, ce principe pourrait s'appliquer non seulement dans les liquides, mais
également dans toutes les situations où l'énergie électromagnétique opère une
séparation des charges. Ce phénomène pourrait donc bien se produire de l'échelle
atomique à l'échelle cosmique.

135
Quelques exemples :
• Échelle atomique. Prenons l'hydrogène gazeux : deux atomes d'hydro-
gène à proximité partagent des nuages d'électrons pour former le gaz. Ainsi, des
charges négatives se trouvent entre deux noyaux de charge positive.
• Échelle physique. Des billes métalliques de même charge placées sur une
table isolante subissant de légères secousses s'arrangeront bientôt suivant un
ordre à deux dimensions; et bien sûr, des charges opposées sur le support isolant
séparent ces billes métalliques chargées. 14 Cette situation ressemble à un cristal
colloïdal à deux dimensions.
• Échelle biologique. Imaginez des biomolécules fraîchement synthétisées
s'assemblant automatiquement pour former des structures plus grandes com-
prenant filaments et vésicules. Ce mécanisme d'assemblage n'est pas pleinement
compris. Se pourrait-il que le mécanisme « même aime même » les réunissent?
• Échelle de l'organisme. On explique généralement le phénomène des
bancs de poissons en termes d'évolution; toutefois, il se trouve qu'une substance
gélatineuse et visqueuse recouvre la surface de chaque poisson. Les substances
du type gel génèrent des zones d'exclusion impliquant la présence de protons plus
loin. Les poissons ne pourraient-ils pas s'appuyer sur le mécanisme« même aime
même » pour s'organiser plus efficacement?
• Échelle cosmique. Des plasmas chargés sont très fréquents dans les phé-
nomènes cosmiques 15 ; on trouve des plasmas « poussiéreux» dans les anneaux
de Saturne, la queue des comètes, et de nombreux nuages interstellaires rem-
plissant l'espace. Les particules de ces plasmas poussiéreux s'arrangent d'elles-
mêmes pour former des structures ordonnées de type cristal. Ces cristaux de
plasma sont si similaires aux cristaux colloïdaux qu'on les appelle souvent des
« plasmas colloïdaux ».
Ainsi, nous constatons que le principe « même aime même » expliquant le
comportement paradoxal des particules colloïdales dans l'eau pourrait s'appli-
quer de l'échelle atomique à l'échelle cosmique -y compris dans des phénomènes
de tous les jours mais pas vraiment compris, et que nous ne penserions jamais à
expliquer avec le mécanisme du« même aime même».
Deux exemples :
• Les nuages. Imaginez un nuage blanc dans un ciel bleu dégagé (Fig. 1.2).
Les nuages sont constitués de gouttes d'eau. Des gouttes de même charge de-
vraient normalement se disperser, mais elles fusionnent de toute évidence pour
former les nuages individuels que l'on connait. Cette réunion pourrait parfai-
tement résulter du mécanisme « même aime même » où des charges opposées
maintiennent ces gouttes ensembles pour former des nuages compacts.

136
Certains mystères seraient résolus si ces gouttes étaient arrangées de
manière régulière comme dans un cristal colloïdal. Représentez-vous un rayon
de Soleil de fin d'après-midi frappant l'un de ces nuages ; les gouttes le consti-
tuant vont disperser la lumière incidente dans toutes les directions. Si ces gouttes
d'eau occupaient uniformément l'espace, la lumière se disperserait alors selon
des angles précis selon la longueur d'onde, organisée en phase. Le résultat? Un
splendide arc-en-ciel.
• Châteaux de sable. Ces robustes châteaux se dressant contre les flottes
menaçantes (chapitre 1) doivent leur rigidité au mécanisme« même aime même».
Ils ne sont pas constitués de sable uniquement ; ils contiennent également de
l'eau permettant la formation de zones d'exclusion autour de chaque particule de
sable (Fig. 8.14). Ainsi, des molécules d'eau protonée se situent entre les parti-
cules de sable entourées de ZE. Ces charges contraires constituent la glu mainte-
nant debout le château de sable.

Fig. 8.14 Les forces opposées


collent ensemble les particules
de sable.

1
1
1
1
1
\
\
\

Laissez-moi émettre l'hypothèse que le mécanisme « même aime même »


pourrait être universel. Au minimum, son existence même invalide l'instinct que
les charges de même signe doivent se repousser et le remplace par un modèle plus

137
nuancé d'interactions entre particules qui inclut des attractions. Si le principe
« même aime même » s'avère plus largement valide, de nombreux présupposés
pourraient bien s'effondrer.
Ne soyez donc pas surpris de voir le principe « même aime même » être fré-
quemment évoqué dans les chapitres qui suivent car ce principe explique bien des
phénomènes autrement incompréhensibles ; le mécanisme " même aime même "
pourrait potentiellement avoir une importance capitale pour toute la nature.

En résumé

Une charge enveloppe les particules en suspension en milieu aqueux. Cette


charge forme, à mesure que l'eau convertit l'énergie ambiante, des zones d'exclu-
sion structurées. Celles-ci possèdent une certaine polarité, alors que l'eau envi-
ronnante contient des charges de signe opposé. Ces dernières se concentrent la
plupart du temps entre des particules voisines, ce qui explique pourquoi celles-ci
s'attirent et se déplacent l'une vers l'autre. Cette attraction se produit naturelle-
ment.

<> -

Fig. 8.15 Les opposés peuvent


se réunir sous les bonnes
conditions.
Appelée mécanisme « même aime même», cette attraction résulte de la pré-
sence de charges de signe contraire entre des particules de même signe. Un signe
étant attiré par son contraire, les lois de la physique restent inviolées. Au niveau
le plus élémentaire, un signe préfèrera toujours bien son contraire.
Songez aux implications philosophiques de cette attraction. Dans la culture
japonaise (Le Dit du Genji, datant du 11ème siècle), la façon d'unir deux parties
opposées consiste à introduire entre elles une femme d'une grande beauté ; sa
présence réunira les hommes (Fig. 8.15). Le principe« même aime même» fonc-
tionne de manière similaire: l'opposé qui s'immisce crée l'attraction. Ainsi, l'attrac-
tion est plus ou moins universelle : les opposés s'attirent, les entités de mêmes
signes s'attirent. Si vous me permettez une licence poétique, je dirais qu'un monde
fait d'attractions devrait paraître quelque peu plus accueillant qu'un monde fait
de répulsions.
Le mécanisme « même aime même» forme la base du chapitre à venir traitant
du mouvement brownien : la danse énergique des particules en suspension.
C'est un paradoxe apparent qui a déclenché mon intérêt pour le phénomène
brownien : généralement, les particules en suspension dans l'eau dansent; cepen-
dant, une fois qu'une particule intègre un cristal colloïdal, son mouvement cesse
pratiquement : la particule reste alors sagement en place, à quelque distance de
ses voisines également quasi-stationnaires. Non seulement il est curieux de noter
cette transition d'un mouvement à une absence de mouvement, mais la danse
énergique elle-même est étonnante : les particules semblent posséder une sorte
d'énergie interne, un peu comme si elles étaient pratiquement vivantes.
Le problème n'a cessé de me hanter: pourquoi des particules donnaient-elles
l'impression d'être vivantes lorsqu'elles étaient en suspension et d'être comme
mortes dans une structure organisée ? Je ne pouvais m'empêcher de penser à
cela. Finalement, ces réflexions m'ont conduit à une nouvelle compréhension du
mouvement brownien dont je vous ferai part dans le prochain chapitre.

139
~ LA DANSE DE BROWN
9 La danse de Brown :
quand l'énergie produit des mouvements

A u début du 19ème siècle, le botaniste écossais


Robert Brown (Fig. 9.1) remarqua un phénomène
étrange. Lorsqu'il lâchait quelques grains de pollen
dans un récipient rempli d'eau, on observait une sorte
de mouvement dynamique : au lieu de rester sans vie
dans l'eau, les grains se mettaient à danser sans fin.
Il ne tarda pas à découvrir que ce mouvement n'était
pas propre aux pollens, mais qu'il s'appliquait aussi
aux spores, aux poussières, et même aux petits frag-
ments de verre.
Cette danse dynamique prit le nom de mouve-
ment brownien, même si d'autres scientifiques avaient
déjà fait des observations similaires un demi-siècle
plus tôt. La principale contribution de Brown fut
de démontrer que les entités biologiques n'étaient
pas seules à présenter ce mouvement apparemment Fig. 9.1 Robert Brown
auto-animé mais que celui-ci concernait également (1773 -1858).
des entités non biologiques ; autrement dit, il ressor-
tait que le mouvement brownien était une caractéris-
tique universelle de la nature.
Quelle est l'origine de l'énergie des « danseurs » browniens ? Pourquoi des
particules inertes se mettent-elles à se déplacer sans fin alors que le « mouve-
ment perpétuel » est censé être impossible ? Une certaine compréhension de ce
mouvement particulier a longtemps prévalu, mais cette compréhension ne prend
pas en considération l'énergie rayonnante absorbée de l'environnement. Nous
verrons dans ce chapitre si cette énergie absorbée peut apporter un éclairage
nouveau (et peut-être plus simple à comprendre) sur l'origine de ce mouvement.

Le mouvement brownien selon Einstein


Les observations de Brown avaient tout d'abord déconcerté les physiciens. La
production d'un mouvement nécessite de l'énergie, mais la source de l'énergie en
question n'avait pas été clairement établie. Il semblait peu plausible qu'il s'agisse
d'une énergie tirée de l'environnement car pour les scientifiques, un bécher rempli
d'eau posé sur une table depuis un certain temps est en équilibre avec son milieu ;
l'eau ne semblait pas pouvoir acquérir ce type d'énergie motrice. Les physiciens

141
eurent beau se gratter la tête, aucune réponse satisfaisante n'émergea de leur
esprit.
Puis Einstein arriva. Il effectua des travaux révolutionnaires dans trois
domaines pendant l'année phare que fut 1905 : la relativité restreinte, l'effet pho-
toélectrique et le mouvement brownien ; l'année fut bonne pour lui. lexplication
d'Einstein au sujet du mouvement brownien n'exige pas l'apport constant d'une
énergie motrice; au lieu de cela, elle repose sur une énergie interne omniprésente
qui s'exprime sous forme de température.
Einstein considérait que le mouvement brownien était essentiellement le fruit
de deux phénomènes : le frottement et l'osmose, phénomène au cours duquel
l'eau se déplace vers les solutés ou les particules, les concentrations cherchant
toujours à s'équilibrer. Einstein voyait un générateur de mouvement dans cette
faculté qu'ont les molécules d'eau à se déplacer.
Pour mieux comprendre cette idée, représentez-vous des particules en sus-
pension dans l'eau. Une particule individuelle constitue un endroit dépourvu
d'eau ; en vertu de la force osmotique, les molécules d'eau vont chercher à occu-
per cet espace. Il arrivera que des molécules d'eau heurtent la particule, ce qui
provoquera un mouvement.
Un tel mouvement doit vaincre la friction, et Einstein en était conscient. Etant
~ donné la résistance visqueuse, il se servit de l'équa-
I tion habituelle concernant le frottement, connue sous
• • le nom de loi de Stokes. Il établit la force osmotique

---· • /'
"._. • \ motrice égale à la force de résistance du frottement et
établit ainsi ce qui devint la compréhension moderne
du mouvement brownien.
! ,;.-- !
• Ce petit résumé minimise la sophistication de
• l'analyse d'Einstein. Einstein ne traita pas seulement
de l'origine du mouvement mais aussi de sa nature.
............ . Il établit un parallèle entre les mouvements des
molécules d'eau et ceux de celles de gaz. D'après une
\ théorie cinétique bien connue à l'époque, les molé-

• •
cules de gaz rebondissent aléatoirement ; on peut

i ! déduire leurs mouvements cinétiques à partir de leur



---· température. En effet, la température était considérée
comme une mesure de mouvement.
Fig. 9.2 Origine du mouvement Einstein décida d'étendre cette théorie sur les gaz
brownien selon Einstein. Les aux liquides. En partant du principe que les molécules
molécules d'eau bombardent liquides étaient analogues à celles de gaz, il s'imagina
continuellement la particule les molécules d'eau en train de danser énergiquement
avec une énergie mécanique;
c'est cette énergie qui provoque
le mouvement.
de manière aléatoire, en heurtant parfois des
particules en suspension et en les poussant
ici et là (Fig. 9.2).
Bien sûr, un choc unique ne produira pas beau-
coup de mouvement. La masse d'une molécule d'eau
est approximativement 10.000.000.000 fois infé-
rieure à celle de la particule à déplacer dont la taille
est de l'ordre du micron ; la collision aura donc peu
d'effet. Mon ami Emilio del Giudice la compare au
crash d'un moustique sur le pare-brise d'un camion. Il
est évident que le camion ne déviera pas tellement de
Fig. 9.3 La description du
sa course ; pour parvenir à un certain déplacement, il
mouvement brownien rappelle
faudra un grand nombre de moustiques.
celle d'un marin ivre.
Quoi qu'il en soit, en s'appuyant sur la théorie
cinétique des gaz, Einstein formula une équation
décrivant la dynamique brownienne (voir encadré plus loin). Cette équation pré-
dit la magnitude du déplacement d'une particule (en fait, la moyenne quadratique
du déplacement d'une particule) dans le temps.
Avec cette théorie, Einstein décrivit ce qui pourrait arriver à une particule en
suspension dans un bain de molécules d'eau. il pensait que les molécules d'eau
subiraient des mouvements aléatoires du type gaz, et qu'il arriverait que des
molécules heurtent la particule. Comme ces chocs se produiraient à des moments
aléatoires, la particule effectuerait des déplacements erratiques rappelant la
démarche d'un marin ivre (Fig. 9.3).
La théorie d'Einstein conduisit au concept de mouvement « thermique ».
Selon celui-ci (voir encadré), les excursions browniennes d'une particule plongée
dans un liquide devraient dépendre de la température : quand la température
s'élève, les excursions devraient suivre. En partant du principe d'une dépendance
à la température, Einstein décrivit ce phénomène par les termes « mouvements de
chaleur» ou« mouvements thermiques». Les physiciens en vinrent à considérer
la température comme un effet de ce mouvement : les atomes et les molécules
dansent avec une intensité se mesurant en terme de température.
Si les scientifiques acceptent aujourd'hui largement l'analyse d'Einstein, celle-
ci ne fut pas évidente au départ. Dans sa revue historique, Brush 1 nous livre un
récit agréable à lire de la résistance dont fit l'objet la théorie d'Einstein : les phy-
siciens exprimèrent leur scepticisme sur ce qu'ils considéraient comme des bonds
théoriques douteux. Par exemple, la loi de Stokes avait été formulée pour décrire
le frottement dans des systèmes macroscopiques, comme dans le mouvement
d'un pendule, mais Einstein supposa que cette loi s'appliquait également aux
entités microscopiques concernées par le mouvement brownien. De plus, certains

143
physiciens estimaient que les collisions entre les molécules d'eau (semblables à
des moustiques qui s'écrasent) ne produiraient pas suffisamment d'énergie pour
expliquer les mouvements de particules que l'on observait sauf si ces collisions
étaient coordonnées. D'autres scientifiques attirèrent l'attention sur le fait que
des hypothèses s'excluaient mutuellement : la théorie de l'osmose énonçait que
les molécules d'eau s'écrasent à la surface de la particule avant de rebondir,
quand la loi de Stokes énonçait que ces molécules devaient rester adjacentes à
la particule pour créer un frottement. Ces questions déroutèrent les scientifiques
de l'époque.
Brush poursuit son récit en évoquant un autre problème : l'approche générale
d'Einstein. Cette approche reposait sur une forme abstraite de mécanique statis-
tique que certains physiciens trouvent difficile à suivre.
Outre ces difficultés théoriques, certaines observations expérimentales
contredisaient les prédictions d'Einstein. Des contemporains comme Svedberg et
Henri observèrent des déplacements quatre à sept fois plus importants que ce
que prédisait l'hypothèse d'Einstein. Ces scientifiques n'hésitèrent pas à ébruiter
leurs résultats.
Néanmoins, la réputation d'Einstein grandissant, les résistances à sa théorie
s'éteignirent progressivement ; en quelques décennies, son hypothèse fut uni-
versellement admise. Aujourd'hui, le mouvement thermique est considéré comme
l'une des lois fondamentales de la nature. On pense que chaque atome, chaque
molécule et chaque particule effectuent cette danse thermique perpétuelle ; de
ces pas de danse découle notre compréhension moderne de la physique de la
matière condensée. Ce ne serait pas une exagération de dire que le concept de
mouvement thermique est devenu pratiquement aussi fondamental que les lois
du mouvement de Newton, ou que la théorie atomique de la matière.

Problèmes préoccupants
Les réticences des contemporains d'Einstein écartées depuis longtemps,
on pourrait penser que tous les problèmes liés au mouvement brownien ont
aujourd'hui reçu une réponse. Pourtant, tel n'est pas le cas, car la théorie ne cadre
pas avec au moins trois observations expérimentales récentes : (i) lorsque l'on
ajoute du sel dans l'eau; (ii) quand les concentrations de particules sont relati-
vement élevées, et (iii) lorsque la lumière est allumée. Laissez-moi vous exposer
brièvement ces trois scénarios.
À propos du premier cas (i), des chercheurs ont mesuré des excursions
browniennes dans de l'eau pure et dans de l'eau contenant diverses quantités de
sel. 2 Ajouter du sel a pour effet d'augmenter les excursions, c'est-à-dire d'inten-
sifier la nervosité des mouvements. L.'.analyse d'Einstein n'explique aucunement

144
pourquoi la présence de sel provoque une augmentation de la fréquence ou de
l'énergie avec laquelle les molécules d'eau entrent en collision avec les particules.
L'analyse d'Einstein ne prédit pas non plus une influence de la concentration
de particules (ii). À des concentrations élevées, il est fréquent que les mouve-
ments de particules voisines deviennent coopératifs : lorsqu'une molécule se
déplace, celles dans son environnement le font souvent dans la même direction. 3
On observe le même type de comportement synchrone avec les cristaux colloï-
daux4 et dans le cas de fortes concentrations de particules avec ajout de sel. 5
Cette synchronisation représente un problème pour la théorie classique qui prédit
des mouvements aléatoires ; il ne devrait y avoir aucune coordination.
Une solution serait de dire que la théorie classique ne s'applique pas dans les
situations de fortes concentrations : si la concentration de particules augmente
suffisamment pour chasser toute l'eau, on ne devrait trouver aucune molécule
d'eau pour percuter les particules, et l'hypothèse d'Einstein ne pourrait donc plus
s'appliquer. Toutefois, les concentrations de particules ont rarement augmenté
aussi haut dans les études citées ci-dessus : l'espace séparant les particules était
généralement de l'ordre du micron, suffisant pour aligner des milliers de molécules
d'eau; un grand nombre de molécules bondissantes d'énergie étaient donc là pour
faire le travail. La contradiction entre la théorie et l'observation reste probléma-
tique.
Cette synchronisation n'est pas le seul type de comportement non aléatoire
observé ; les chercheurs ont détecté un mouvement « sautillant » à de fortes
concentrations de particules. 6• 7 Une particule s'agite un certain temps dans un
foyer quasi-stationnaire, puis saute à un nouvel emplacement et y effectue à
nouveau des déplacements similaires. C'est comme si ces particules sautaient
d'une cage à une autre. Ce comportement montre un autre écart manifeste par
rapport aux attentes de la théorie qui énonce une proportionnalité directe entre
la moyenne quadratique de la distance parcourue et le temps.
Les effets de la lumière (iii) apportent une autre contradiction. Bien que des
études centenaires de Gouy niaient tout effet de la lumière sur les excursions
browniennes, des instruments plus modernes indiquent maintenant l'existence
d'effets importants et reproductibles; une augmentation même légère de la lumière
diminue les excursions de particules (Fig. 9.4) ; celle-ci, qui dépend de l'intensité
et de la longueur d'onde, peut
120% facilement atteindre 50%. 8
~ 100%
~
~ 80% Fig. 9.4 Déplacements de micro-
ëQ)
E 60%
billes mesurés sur une période de
~ temps déterminée à différentes
-[ 40%
•Q)
-0
intensités de lumière incidente.
20% Les intensités lumineuses les plus
fortes diminuent les déplace-
0 50 100 150 200 250
intensité lumineuse (unités arbitraires)
ments.
On pourrait ignorer ces effets s'ils n'étaient qu'une conséquence indirecte
d'une augmentation de la température induite par la lumière, mais l'élévation
de température dans les expériences dont il est question est restée inférieure à
1°C. En fait, la température ne peut servir d'explication théorique : l'hypothèse
d'Einstein prédit en effet que toute hausse de température devrait renforcer les
excursions de particules ; les observations ont montré que la lumière réduit les
excursions. Les résultats expérimentaux ne vont donc pas dans le sens de la théo-
rie d'Einstein.
Les effets induits par la lumière ne possèdent aucune explication dans le
cadre de compréhension classique, mais sont suffisamment frappants pour méri-
ter une explication ; nous reviendrons bientôt sur le sujet.
Mis à part les contradictions que nous venons d'évoquer, un quatrième pro-
blème se pose à propos de la nature incertaine de la force motrice. Pour Einstein,
l'osmose était le moteur du mouvement brownien ; à son époque, le mouvement
osmotique était présumé être une caractéristique fondamentale de la nature,
au même titre que, disons, l'attraction entre les charges négatives et les charges
positives. Toutefois, les scientifiques aujourd'hui émettent des doutes quant à la
mécanique osmotique et le débat continue; le chapitre 11 présente des éléments
de prouvant que la force osmotique est une conséquence de la séparation des
charges et non une caractéristique fondamentale de la nature comme l'affirme la
théorie classique.
Pour résumer, si la théorie d'Einstein sur le mouvement brownien est large-
ment acceptée et coïncide avec certaines observations expérimentales, il n'en
demeure pas moins qu'elle ne fonctionne pas avec d'autres, passées ou contem-
poraines ; ces échecs signifient au mieux que cette théorie est incomplète. Pour
moi, cette théorie n'est pas seulemènt incomplète mais inadéquate : elle ne tient
pas compte du dynamisme induit par l'énergie rayonnante absorbée qui peut
influencer, ou même provoquer, les mouvements browniens observés.

Systèmes hors d'équilibre : un autre problème brownien


L.'.hypothèse d'Einstein repose sur le présupposé d'un système en équilibre :
tant que la température ambiante reste stable, le système ne devrait jamais
gagner ni perdre d'énergie. Une casserole d'eau chaude perdra de toute évidence
de l'énergie au profit de son environnement, et il se peut qu'un verre d'eau froide
absorbe de l'énergie, mais un récipient d'eau couvert qui se trouverait depuis
quelque temps dans une pièce ne devrait plus perdre ni gagner d'énergie; voilà ce
que présume la théorie classique.
Toutefois, le chapitre 7 nous a montré que de l'eau à température ambiante
absorbait de l'énergie électromagnétique de son environnement. Cette énergie
absorbée structure et sépare des charges, ce qui crée une énergie potentielle

146
capable de réaliser par la suite de nombreux types d'action. En rendant possible
cette conversion d'énergie, l'eau fonctionne comme tous les moteurs ordinaires :
hors d'équilibre.
Ce déséquilibre caractérise même l'un des mécanismes les plus primitifs liés
à l'eau : la photosynthèse {Fig. 9.5). Dans celle-ci, les photons incidents vont
séparer l'eau et permettre ainsi le bon fonctionnement du métabolisme, la crois-
sance, l'écoulement de flux, etc. L.'.énergie lumineuse absorbée va continuellement
produire différentes actions - en d'autres termes, le système est hors d'équilibre.

Fig. 9.5L'énergie rayonnante


produit des actions dans les
plantes et dans l'eau. Les deux
processus sont conceptuel/e-
ment similaires: en transfor-
mant une énergie extérieure, ils
sont hors d'équilibre.

Ainsi, le présupposé d'un équilibre dans la théorie classique est en contra-


diction avec les observations qui montrent que /'eau est hors d'équilibre. L.'.eau et
les plantes (ces dernières étant essentiellement constituées d'eau) opèrent hors
d'équilibre : un apport continuel d'énergie permet d'effectuer des actions de la
même façon que l'essence fournira continuellement de l'énergie à votre voiture. Et
si l'eau est hors d'équilibre, alors toute compréhension du mouvement brownien
qui repose sur la supposition d'un équilibre doit être considérée comme suspecte.
La question est grave. Des particules se déplacent en permanence et effec-
tuent des actions, mais selon le point de vue classique, aucune énergie extérieure
n'est nécessaire ; l'énergie interne serait indéfiniment suffisante. Comment un

147
mouvement pourrait-il persister sans aide extérieure? Ce problème constitue un
défi à la compréhension ordinaire du mouvement brownien.

Une autre source pour le mouvement brownien ?


Lorsque nous prenons conscience des défis théoriques et expérimentaux
auxquels nous sommes confrontés, il est bon de faire un pas en arrière et de
réfléchir un instant. Un siècle s'est écoulé depuis qu'Einstein a émis l'idée de la
chaleur interne comme origine du mouvement brownien ; malgré la stature du
personnage, pouvons-nous être certains que sa proposition soit nécessairement
valide?
Permettez-moi de vous proposer une autre origine au mouvement brownien :
l'énergie électromagnétique incidente. L'énergie électromagnétique absorbée
étant à l'origine d'autres processus de transformation impliquant l'eau (Chapitre
7), pourrait-elle être également à celle du mouvement brownien?
L'écoulement de l'eau à travers des tubes hydrophiles nous donne un aperçu
du caractère prometteur de cette hypothèse si on les considère comme la somme
de nombreux mouvements browniens dirigés. Selon ce point de vue, le tube ne
ferait qu'organiser ces mouvements en un flux collectif. Puisque l'énergie électro-
magnétique est à l'origine du flux dans le tube, on peut logiquement penser qu'elle
est aussi à l'origine des mouvements individuels qui le forment collectivement
(Fig. 9.6).
Une origine extérieure du mouvement brownien a également du sens d'un
point de vue du flux énergétique. L'eau absorbe continuellement de l'énergie

Fig. 9.6 L'énergie incidente


génère des mouvements :
aléatoires en l'absence d'un
élément directeur (gauche),
ou coordonnés en sa présence

148
électromagnétique qui doit être dépensée: l'action brownienne serait alors comme
une sorte de soupape, une façon de l'extérioriser. Dit autrement, le mouvement
brownien pourrait être l'expression de l'absorption continuelle d'énergie électro-
magnétique dans l'eau.
Lidée d'une origine électromagnétique du mouvement brownien peut sem-
bler radicale, mais il existe des précédents. Plusieurs physiciens du 19eme siècle
pensaient que l'énergie électromagnétique pouvait provoquer indirectement les
mouvements observés, par production de chaleur. Plus près de nous, Max Planck,
le père de la mécanique quantique, pensa un temps pratiquement la même chose:
les interactions électromagnétiques seraient capables de provoquer des mouve-
ments moléculaires aléatoires. Planck prit finalement une autre direction quand
cette hypothèse ne se montra pas à la hauteur de ses espérances. Néanmoins, il
conserva l'idée de l'origine électromagnétique pendant deux décennies ; celle-ci,
non dénuée de logique, n'est pas aussi radicale qu'on pourrait le penser.

La force à l'origine du mouvement brownien


Si ces considérations peuvent nous aider à mieux comprendre le cadre de
fonctionnement des énergies browniennes, elles ne nous disent cependant rien
sur les forces en jeu. Quelle est la force qui meut les particules ici ou là? Si nous
acceptons provisoirement l'idée de l'énergie électromagnétique comme source, de
quelle manière celle-ci se transformerait-elle en mouvements?
Le principe du rasoir d'Occam nous invite à nous pencher sur certaines
implications. Si c'est l'énergie électromagnétique qui forme les zones d'exclusion,
différentes caractéristiques de la ZE devraient être prises en considération. Celle-
ci a deux principales caractéristiques : un ordre moléculaire et une séparation des
charges, et il est bon de s'arrêter sur chacune d'entre elles ; la charge notamment
peut générer des forces importantes qui pourraient tout à fait déboucher sur la
danse brownienne.
Pour voir comment la charge pourrait déplacer une particule, imaginons une
seule microbille en suspension dans l'eau. Celle-ci est entourée d'une enveloppe
de ZE. Si l'énergie était uniformément incidente de toutes les directions, alors la
ZE devrait être elle-même uniforme. Toutefois, dans la pratique, il est impossible
d'obtenir une uniformité absolue de l'énergie incidente, et comme dans tous les
cas d'enveloppe de ZE non uniforme, nous supposons une distribution non uni-
forme correspondante; voir Figure 9.7.
Dans cette figure, dans quelle direction la microbille en suspension se diri-
gera-t-elle? Lentité mobile n'est pas la microbille seule ; il s'agit de la microbille
mais aussi de la ZE qui l'entoure. Cet ensemble pourrait théoriquement se dépla-
cer dans toutes les directions ; mais, étant négativement chargé, il se dirigera

149
inévitablement vers la direction la plus positive. Ici, il se déplacerait vers le coin
supérieur droit.

+
+ + +
Fig. 9.7 Une énergie incidente + + + + +
+ + + + + +
plus intense (du coin supérieur + + + +
+ + +++++
droit) devrait provoquer une + + + +
+ + + +
distribution des charges asymé- + + + + +
+ + + + +
trique. Cette asymétrie génère
+ + +
une force électrostatique nette, +
déplaçant l'objet et sa ZE dans +
la direction de l'énergie incidente + .. +
maximum.
+ + +
+ + +

+ +

Nous parvînmes à reproduire l'asymétrie de la ZE de la Figure 9.7. La Figure


9.8 montre une bille de gel (d'un diamètre approximatif de 0.5 mm) reposant au
fond d'un récipient ; la zone d'exclusion enveloppe généralement la bille unifor-
mément. Toutefois, en éclairant la bille depuis une direction donnée, la ZE se mit
à grandir dans la direction de la lumière. Nous constatons donc que l'asymétrie de
la Figure 9.7 est physiquement réalisable.
Cherchant ensuite à vérifier si la ZE négative se déplaçait bien en direction
d'une charge positive, comme la Figure 9.7 le laisse entendre, nous mîmes au
point une installation différente : plaçant horizontalement dans un récipient un
long ruban fixé à seule une extrémité (Fig. 9.9, image a), nous positionnâmes un
tube de Nafion sur une face de l'autre extrémité restée
libre.
Lorsque nous exposâmes à l'eau l'assemblage
ruban-Nafion, la ZE grandit autour du Nafion en libé-
rant des protons comme à son habitude (image b).
Néanmoins, le ruban étant suffisamment large pour
bloquer la diffusion de protons, ces derniers restèrent
d'un seul côté de celui-ci. À mesure que les protons
libérés se propageaient, nous vîmes le levier se courber
de façon très nette dans leur direction (voir image c). 9
Cela confirma ce que nous pensions : les ZE chargées
négativement se déplacent vers les protons chargés
Fig. 9.8 Zone d'exclusion asy-
métrique autour d'une bille de
gel. Ce phénomène est provoqué
par une lumière incidente émise
depuis l'angle supérieur droit.
positivement - et ce, même si ceux-ci sont générés par les ZE elles-mêmes. Cela
vérifie le principe illustré à la Figure 9.7.
Attendons-nous donc à ce que des particules comme celles illustrées aux
Figures 9.7 et 9.8 se déplacent toujours dans la direction de la plus forte positi-
vité locale, en l'occurence l'angle supérieur droit. Tout ce dont nous avons besoin
est d'une asymétrie locale des charges, une condition quasi inévitable dans un
arrangement de particules soumises à une énergie incidente non uniforme. Il est
possible de voir le mouvement vers les charges positives comme l'unité de base
de /'excursion brownienne.

(a) temps= o

ruban

tube de Nafion

(b) le ruban dévie à mesure que la ZE grandit


Fig. 9.9 Déflexion de la ZE en
direction des protons. (a) Tube
de Nafion monté sur le côté d'un
+ + ruban ; (b) ruban se courbant
+ + vers des protons; (c) évolution
+++ - -+++ dans le temps de la déflexion.
++ +++++ +
+ + +
+ + + +

30
(c)
25

E' 20
2-
c
0 15
·~
a::
•Q) 10
"O

o +-~~~~~~~~~~~~~

0 . 6 8 10 12 14 16 18
temps (minutes)

151
Les particules se déplacent-elles réellement vers la lumière?

Si ce principe d'attraction vers la charge fonctionne vraiment, il faut s'attendre


à certaines conséquences, dont l'effet de la lumière incidente. Celle-ci forme des
ZE et sépare les charges autour des particules. Si la lumière provient essentielle-
ment d'une seule direction, les charges se sépareront davantage dans celle-ci que
dans les autres. Les particules en suspension devraient donc se déplacer vers la
lumière incidente.
Voici quatre exemples qui le confirment :
· L'attraction vers la lumière était manifeste, quoique subtile, dans le cha-
pitre précédent où je disais qu'une augmentation de la lumière avait pour effet
de rapprocher les particules colloïdales. La lumière agit en séparant les charges
qui participent au processus d'attraction. De ce fait, les régions qui reçoivent le
plus de lumière connaîtront une attraction et une condensation plus fortes. Cette
condensation attirera continuellement de nouvelles microbilles, ce qui revient à
dire que les microbilles sont attirées par la lumière.
· Un second élément de preuve de l'attraction de la lumière provient d'ex-
périences où l'on a réduit le faisceau de lumière incidente. Passant le faisceau de
lumière à travers un trou pour éclairer une suspension uniforme de microbilles,
celles-ci se déplacèrent vers la région éclairée, pour finalement se concentrer dans
l'étroite zone illuminée (Fig. 9.10).
Les bactéries agissent de la même façon (Fig. 9.11) ; elles se déplacent vers
la lumière proche de l'infrarouge exactement comme les microbilles de l'exemple
ci-dessus l'avaient fait vers le faisceau de lumière rétréci. Les chercheurs sup-
posent que ce déplacement des bactéries se produit grâce à un capteur infrarouge
situé à l'intérieur de la cellule. 10 Bien que cette hypothèse puisse être vraie, le
mouvement en direction de la lumière ressemble tellement à celui des microbilles
que l'on est en droit de se demander si le mécanisme physique à l'œuvre ici ne
serait pas le même.

Fig. 9.10 Attraction exercée par


la lumière sur les microbilles. La
lumière passe à travers un trou
au milieu d'un cache en alumi-
nium ; après quelque temps, les
microbil/es se trouvant dans le
récipient derrière le cache se
rassemblent au centre du trou.
· Troisième exemple : vous souvenez-vous du
cylindre vertical dépourvu de microbilles qui se forme
au centre d'un bécher? J'avais évoqué cette anomalie
au chapitre 1. Au départ, les microbilles sont distri-
buées uniformément dans tout le récipient, puis elles
migrent à sa périphérie en laissant un cylindre vertical
vide de microbilles (Fig. 9.12). Nous avons découvert
que ce qui avait attiré ces microbilles n'était autre que
la lumière se réfléchissant sur le bécher dans toutes
les directions ; cette lumière incidente avait attiré les
Fig. 9.11 Les cellules bacté-
microbilles à la périphérie du récipient et en avait vidé
riennes et les particules se
le centre.
déplacent vers le point de plus
Une fois le cylindre formé, nous pûmes faire des forte intensité lumineuse.
recherches plus approfondies sur les effets de la
lumière. Celle éclairant d'un côté y attirait les micro-
billes ; ce déplacement faisait progressivement bouger le cylindre vers le côté
illuminé, où il finissait par s'évanouir. Tout cela se passait en l'espace d'une minute
ou deux. 11

Fig. 9.12 Zone dépourvue de


microbil/es dans un bécher
(vue de dessus). S'étendant du
sommet au fond du récipient,
la zone claire se trouve près du
centre de la suspension aqueuse
de microbil/es.

Nous observâmes le même genre de déplacements induits par la lumière dans


d'autres configurations. Dans une expérience, fixant un disque de gel à une extré-
mité d'un grand récipient cylindrique ensuite rempli avec de l'eau et des microbilles,
nous plaçâmes le cylindre sur son flanc et observâmes le développement de la
zone d'exclusion. Celle-ci changea de forme : commençant sous celle d'un disque
(en reproduisant ainsi la forme du gel dont elle était issue), elle se rétrécit ensuite
pour adopter une forme grossièrement conique, avant de prendre finalement une
forme rappelant davantage un bâton pendant qu'elle continuait à s'étendre au
sein du cylindre. Nous avions souvent vu ces ZE en forme de bâton en utilisant une

153
La pince optique

L:attraction des particules par On décrit souvent ce phénomène


la lumière, comme dans ces quatre digne de « Star Wars » comme une soi-di-
exemples, est en réalité le principe de sant « pression » de rayonnement, mais
base d'un outil fréquemment utilisé le mécanisme présenté à la Figure 9.7
dans un cadre expérimental, la « pince fournit une explication alternative simple.
optique ». Les biophysiciens se servent Cette alternative pourrait s'appliquer
de celle-ci pour déplacer des particules non seulement aux basses intensités des
d'un point à un autre ; il leur suffit simple- expériences que je viens de décrire, mais
ment d'éclairer avec un faisceau lumineux aussi aux plus fortes intensités dont on
intense une particule ou une cellule, de se sert habituellement avec les pinces
déplacer le faisceau, et le tour est joué : optiques. Plus forte sera l'intensité, plus
l'objet illuminé suit le déplacement. En fort sera l'effet de capture ; toutefois, le
effet, la particule, qui cherche en per- principe sous-jacent pourrait bien être
manence le point d'intensité lumineuse le même pour toutes les intensités lumi-
maximale, se retrouve « piégée » par le neuses.
faisceau lumineux.

lampe-torche ou un faisceau laser ; à chaque allumage,


la ZE s'éloignait de la source lumineuse (Fig. 9.13). Il
semblerait que cet écartement soit une conséquence de
l'attraction qu'exerce la source lumineuse sur les micro-
billes environnantes, le phénomène décrit plus haut.
- Un quatrième exemple se rapporte à un phéno-
mène commun dans des suspensions ordinaires de
microbilles : la sédimentation. Après quelques temps,
les microbilles finissent généralement par retomber au
fond du récipient, formant une couche sédimentaire.
Nous découvrîmes qu'éclairer par le dessus retardait
Fig. 9.13 Déplacement induit la sédimentation, alors qu'elle s'accélérait en éclairant
par la lumière d'une zone par en-dessous. Une fois encore, la lumière attirait les
dépourvue de microbilles. microbilles.
Cette ZE se projette depuis une Ces multiples exemples éclairent bien le fait que les
surface de nucléation située particules en suspension se déplacent vers la lumière ;
sur la gauche. Le faisceau de cela confirme la réalité de la force induite par la
lumière passe du bas vers le lumière que l'on suppose être à l'origine du mouvement
haut. Les microbilles attirées brownien.
par la lumière provoquent
un décalage de la ZE dans la
direction opposée.
Dynamique de l'ensemble
Reste à savoir comment ces déplacements induits par la lumière génèrent les
mouvements apparemment aléatoires caractéristiques du phénomène brownien.
Nous ne nous sommes jusqu'alors intéressés qu'au cas d'une particule unique :
la lumière incidente crée une distribution des charges asymétrique autour de la
particule, ce qui va l'attirer vers la région possédant la charge positive la plus
élevée et donc vers la lumière la plus intense.
Considérant de nombreuses particules dans l'eau, le scénario devient plus
complexe {Figure 9.14). La zone d'exclusion d'une microbille génère des charges
positives; ces charges positives vont attirer les microbilles se trouvant à proximité,
lesquelles vont entrer en mouvement. Ces microbilles en mouvement se déplacent
avec leurs propres zones d'exclusion en accrochant des ions hydronium. Ces mou-
vements vont modifier la distribution régionale des charges, et peuvent également
masquer ou dégager l'accès à la lumière à d'autres microbilles, etc. La dynamique
devient si complexe qu'elle peut aisément donner l'impression d'être aléatoire.
Pour compliquer encore un peu plus la situation, les ions positifs libérés d'une
ZE peuvent affecter la taille de la ZE d'une autre microbille ; nous avons obser-
vé que la taille de la ZE dépendait de la concentration locale en ions positifs. Il
ressort qu'un scénario faisant intervenir un grand nombre de particules devient
suffisamment complexe pour rendre pratiquement impossible toute prédiction
déterministe de mouvements de particules.
En revanche, si nous sommes sur la bonne voie, la dynamique locale pourrait
être assez prévisible. Le déplacement d'une particule étant censé influencer le
déplacement de ses voisines, les mouvements de ces dernières devraient être
vaguement couplés. Ce phénomène devrait être encore plus évident avec de fortes
concentrations de particules, lorsque la charge d'une particule peut influencer
plus fortement la position d'une autre. C'est ce qu'ont confirmé nos expériences :
comme déjà vu, il existe bien un couplage, et cela se vérifie plus nettement avec

+ +
+ + Fig. 9.14 Distributions des
+
+ + + charges autour de microbil/es en
+ + + + +
suspension. Les flèches indiquent
la direction attendue des parti-
cules négatives en déplacement
+ + +
+ vers des régions à charge positive
+ +
+ + + maximale. Les directions vont
évoluer continuellement avec le
mouvement des particules.
+ +

+
+ + +++ + '. ::-,._- + + +
+ + + + +
+ +
de fortes concentrations de particules. Ces observations sont conformes à nos
attentes.

Mérites d'un mécanisme induit par la lumière


En dernier lieu, nous devons nous demander si le mécanisme brownien que je
propose a un meilleur pouvoir explicatif que le mécanisme classique.
La théorie classique fonctionne (malgré les importantes exceptions vues),
faute de quoi elle n'aurait pas survécu aussi longtemps. Cette théorie comprend
trois variables (voir encadré) : la viscosité du fluide, la température et la taille de
la particule. Les excursions browniennes devraient diminuer si l'on effectue l'une
des actions suivantes : accroître la viscosité du liquide, augmenter la taille de
la particule ou diminuer la température du liquide. L'expérimentation a confirmé
toutes ces prédictions; par conséquent, le modèle classique suffit à expliquer ces
variables élémentaires.
Mais d'une autre côté, la nouvelle théorie fonctionne également - pour
preuve:

La théorie d'Einstein
sur le mouvement brownien

L'équation originale d'Einstein décrit la constante de diffusion


D d'une particule dans un fluide :

D= -5!_
6Trf}Q

où Kb est la constante de Boltzmann, T la température abso-


lue, fJ la viscosité du fluide, et a le rayon de la particule.
À partir de la valeur D, il est possible de calculer le déplace-
ment x dans le temps grâce à :

x 2 =2Dt

où x2 est l'expression du carré de la distance parcourue et t


le temps. Cette équation prédit la distance que doit parcourir
une particule dans une période de temps donnée.
156
· Viscosité : comme vous l'aurez remarqué si vous avez déjà vu un bourdon
s'enfoncer dans un pot de miel, la viscosité ralentit ses mouvements. Ce ralentis-
sement devrait s'appliquer indépendamment de la nature de ce qui produit l'agi-
tation. Ce principe fonctionne aussi bien avec l'ancienne que la nouvelle théorie.
· Taille de la particule: les particules de grande taille devraient moins s'agi-
ter que les plus petites du fait que les plus grandes ont besoin de chasser da-
vantage de molécules d'eau pour avancer. Ce principe, que l'on retrouve dans
pratiquement n'importe quelle formulation théorique, s'applique également ici.
• Température : comme cela a été confirmé expérimentalement avec des
températures allant de 0 à 30°C, diminuer la température de l'eau augmente la
taille de la zone d'exclusion. Augmenter la taille de la ZE agrandit la sphère d'in-
fluence de la microbille ; tout cela donne une masse plus importante, ce qui signi-
fie que la particule ne pourra plus se déplacer aussi loin qu'auparavant dans une
fenêtre de temps donnée. Cet effet de la température fonctionne tout aussi bien
avec la nouvelle théorie qu'avec l'ancienne.
En plus de répondre à ces trois attentes fondamentales, le mécanisme de la
zone d'exclusion a également le mérite d'expliquer un curieux phénomène : les
microbilles cessent pratiquement de se déplacer en intégrant une trame cristalline
colloïdale. En effet, une microbille située juste à côté d'une structure ordonnée
s'agitera avec le même dynamisme que partout ailleurs, mais dès qu'elle y entre-
ra, elle s'arrêtera pratiquement de bouger (Fig. 9.15). Ce phénomène ne résulte
pas d'une quelconque contrainte physique imposée
par les microbilles environnantes, puisque l'écart
de quelques microns qui sépare généralement les
microbilles est suffisant pour y loger de nombreuses
molécules d'eau ; les microbilles ne cessent pas de se
déplacer à cause d'un manque d'espace entre elles.
La raison de ce quasi-arrêt des microbilles repose
sur des contraintes de type « même aime même ».
Le cristal colloïdal atteint sa stabilité une fois que
les puissantes forces attractives et répulsives ont
trouvé un ferme équilibre ; c'est cet étroit équilibre
qui va conférer la stabilité à la structure. Les micro- M.!l.C.i.!.11
billes à l'intérieur sont ainsi relativement à l'abri des
fluctuations de charges en dehors de la structure et
subissent donc moins de fluctuations browniennes. Fig. 9.15 Tracés des déplace-
Par conséquent, la nouvelle théorie explique de ments de particules sur une
manière plausible le comportement autrement para- période de temps donnée, à
doxal illustré à la Figure 9.15. la fois au sein d'une région
ordonnée (en bas à gauche) et en
dehors de cette région (en haut à
droite). Travaux Dosho et al. 12
Le nouveau mécanisme doit également expliquer les mouvements browniens
dans des liquides autres que l'eau. Des zones d'exclusion se forment dans de
nombreux solvants polaires, et leurs ZE séparent les charges. 13 La nouvelle théo-
rie ne nous déçoit pas ; elle prédit les mouvements browniens dans ces liquides
comme dans l'eau.

Pourquoi la poussière est-elle soumise


aux mouvements browniens ?

La poussière se compose essentiellement


de flocons de peaux mortes ou de cheveux ;
étant chargés négativement, ils se repoussent.
Cette répulsion s'amplifie quand la poussière
se trouve dans l'air car elle va alors se charger
de la même façon que vos cheveux se chargent
lorsque vous utilisez un sèche-cheveux ; c'est
l'effet triboélectrique. Plus le mouvement
relatif de l'air sera rapide et plus forte sera la
charge négative, et donc la répulsion.
De son côté, l'atmosphère contient des charges positives, en mesure de neutraliser
les charges négatives de la poussière. Ce processus prend un certain temps car les charges
présentes dans l'air ont besoin de temps pour se rassembler autour de la particule. Ainsi,
les particules lentes seront plus rapidement neutralisées que les plus rapides : la vitesse
des particules est un facteur important. La charge nette d'une particule sera donc très
dynamique, et cela conduira à la danse aérienne brownienne apparemment erratique
que l'on observe.
Vous vous demandez sûrement pourquoi les par-
ticules de poussière qui se déplacent semblent flotter
lorsqu'elles dansent. Étant plus denses que l'air, ces
particules devraient descendre régulièrement vers le
sol ; pourtant, elles flottent. C'est la charge négative
de la Terre qui est ici à l'œuvre, une caractéristique
bien établie mais dont il est rarement fait mention.
Cette charge négative va repousser celles également
négatives de la poussière et faire ainsi flotter les parti-
cules qui continueront à danser interminablement, se
posant rarement et ne se touchant jamais les unes les
autres en raison de leur répulsion mutuelle.
On doit aussi expliquer le caractère perpétuel des mouvements. Vous pouvez
laisser de côté un bêcher contenant de l'eau et des microbilles pendant une jour-
née, ou un an; les déplacements resteront inchangés, les particules continueront
de s'agiter (pourvu que les microbilles ne retombent pas au fond comme des
sédiments). Cette agitation ne connaîtra pas de fin car l'énergie la propulsant est
elle-même infinie : tant que le liquide continuera d'absorber de l'énergie électro-
magnétique, celle-ci continuera d'entretenir le mouvement brownien.

Implications
Le célèbre poème scientifique que Lucrèce écrivit en 60 avant Jésus-Christ,
De la nature des choses, contient une description mémorable du mouvement
brownien, bien qu'il s'agisse de particules de poussière :
« Regarde, en effet, quand la lumière du Soleil fait pénétrer un faisceau de
rayons dans l'obscurité de nos maisons : tu verras une multitude de corpuscules
s'entremêler de mille façons (... ). [Cette] agitation nous révèle les mouvements
invisibles entraînant les éléments de la matière (... ). Les atomes, en effet, se
meuvent les premiers par eux-mêmes [c'est-à-dire spontanément] ; c'est ensuite
au tour des plus petits corps composés : les plus proches des atomes par leur
force ; sous leurs chocs invisibles ils s'ébranlent, se mettent en marche et eux-
mêmes en viennent à déplacer des corps plus importants. c'est ainsi que part des
atomes le mouvement qui s'élève toujours et parvient peu à peu à nos sens, pour
parvenir enfin à la poussière que nous apercevons dans les rayons du Soleil, alors
même que les chocs qui la mettent en mouvement nous demeurent invisibles. »
Lucrèce nous livre ici une description prophétique de la conception contem-
poraine de l'origine du mouvement brownien. Chaque atome, chaque molécule,
chaque particule et chaque entité de plus grande taille effectue des déplacements
aléatoires : les plus petites vont heurter les plus grandes et les mettre ainsi en
mouvement. Cette action a été joliment décrite voilà deux mille ans, mais jusqu'à
la contribution d'Einstein, personne n'avait réellement compris l'origine de ces
mouvements. Pour Einstein, c'est la chaleur contenue dans le système qui jouait
le rôle de force motrice ; cette chaleur générait un mouvement, qui à son tour
produisait de la chaleur, qui générait un mouvement, etc. .. Ce processus pouvait
se poursuivre éternellement sans intervention extérieure.
À l'époque d'Einstein, les scientifiques étaient incapables de concevoir qu'une
simple suspension aqueuse puisse absorber de l'énergie extérieure au système et
exploiter cette énergie. Même si cela se produit sans cesse dans le monde végétal,
personne ne pouvait imaginer qu'un tel mécanisme puisse se produire dans des
systèmes non vivants, comme un récipient contenant de l'eau. Pourtant, les élé-
ments de preuves présentés plus haut montrent non seulement que c'est possible
mais que c'est précisément ce qui se produit : de l'énergie est continuellement

159
absorbée et dûment exploitée, l'une de ses « fonctions » étant la production de
mouvements browniens.
Si cette nouvelle explication des mouvements browniens s'avérait correcte,
il serait nécessaire de reconsidérer un grand nombre de phénomènes physiques,
dont un particulièrement important : le« mouvement thermique>>, terme habituel-
lement utilisé pour désigner le mouvement brownien. Jusqu'à présent, les scien-
tifiques pensaient que les mouvements thermiques des atomes et des molécules
étaient produits par l'énergie interne ; si, au contraire, c'est une énergie externe
qui produisait ces mouvements, cela impliquerait l'émergence d'un paradigme fort
différent avec des conséquences tout aussi différentes.
Une divergence essentielle entre ces deux approches concerne l'influence
des entités voisines (Fig. 9.16}. Selon Einstein, les mouvements d'une particule
dépendent uniquement des chocs que lui assènent les molécules d'eau situées
à proximité : toute particule se trouvant au-delà de ces molécules compte peu .
La théorie impliquant une zone d'exclusion affirme le contraire : des particules
situées à quelque distance d'une particule génèrent des charges variables pou-
vant influencer les déplacements de celle-ci. Ces effets peuvent se faire sentir sur
de longues distances. Ces deux propositions diffèrent donc fondamentalement,
au sujet de l'origine mécanique ou élettrique du phénomène, et au-delà.
Ainsi, les phénomènes paraissant anormaux d'après le paradigme d'Einstein
deviennent plus compréhensibles avec le modèle basé sur les zones d'exclusion.
J'ai déjà évoqué le couplage des déplacements de particules à proximité l'une de
l'autre et la quasi-absence de déplacements de celles au sein d'un cristal colloïdal.
Aucun de ces phénomènes ne peut s'expliquer avec le paradigme actuel, tandis
que le modèle des ZE fonctionne avec les deux. t.:agitation que provoque l'ajout
de sel ne trouve également aucune explication avec le paradigme classique ; pour
notre nouveau modèle, c'est une simple question de taille : en réduisant la taille
de la zone d'exclusion, 14 le sel diminue effectivement la taille de la particule, ce
qui permettra à l'ensemble des particules de danser plus énergiquement. Ainsi,

(a)

Fig. 9.16 (a) La théorie


d'Einstein souligne l'importance
de l'influence locale. (b) La
théorie fondée sur le principe

""
de la zone d'exclusion implique
(b)
une influence sur de longues
distances. \
\

)
J
quelques phénomènes difficiles à réconcilier avec le paradigme actuel trouvent
une explication naturelle avec le modèle de la zone d'exclusion.
Que le modèle de la zone d'exclusion explique entièrement toutes les carac-
téristiques du mouvement brownien reste à vérifier, mais je crois en son potentiel
car il incorpore une nouvelle donnée : l'apport d'énergie extérieure. Cette carac-
téristique pourrait nous demander de réévaluer la relation entre la croissance
de la ZE et l'entropie conventionnelle, mais d'un autre côté, elle semble pouvoir
répondre à un grand nombre de mystères irrésolus à propos de la dynamique
brownienne.
Toutefois, avant d'aller plus loin, je me sens le besoin de résoudre quelques
problèmes. Le concept de mouvements induits par la chaleur vous semble-t-il clair
après avoir lu ce chapitre ? J'espère que c'est le cas. Lorsque que l'on m'inculqua
que la chaleur interne produisait les mouvements browniens, j'avoue avoir été un
peu perdu : je ne pouvais pas comprendre comment la chaleur pouvait produire
un mouvement, même si je savais que les physiciens considéraient la chaleur et le
mouvement comme pratiquement synonymes. L'.association était familière, mais
le mécanisme sous-jacent me paraissait plutôt flou.
Chaleur et température sont des termes que nous utilisons librement, mais
j'en vins à penser que leurs significations étaient moins évidentes que ce que l'on
pense généralement. Une compréhension satisfaisante de ces concepts exigeait
une nouvelle réflexion, objectif dont se charge le chapitre qui suit.

En résumé
Selon l'opinion dominante, le mouvement brownien (thermique) dérive de
l'énergie cinétique moléculaire que l'on exprime ordinairement sous forme de
température. On estime que cette énergie déplace les particules indéfiniment
et de manière aléatoire (ou brownienne). Bien que cette théorie du mouvement
brownien soit enseignée universellement, un nombre surprenant d'observations
expérimentales ne rentrent pas dans son cadre.
L'.hypothèse alternative présentée ici suggère que l'énergie rayonnante inci-
dente est à l'origine des mouvements browniens. L'.énergie absorbée forme des
zones d'exclusion autour des particules et sépare ainsi les charges. Les charges
séparées génèrent des forces provoquant le mouvement des particules.
La cohérence de ce modèle alternatif avec l'observation expérimentale lui
confère une certaine consistance. Ce modèle est également facile à comprendre :
un apport d'énergie extérieure produit un travail. Nous voyons que ce modèle, qui
est plutôt simple, pourrait bien apporter des réponses aux nombreux paradoxes
qui entourent la danse brownienne, et permettrait enfin de comprendre pourquoi
ces particules s'agitent sans fin.

161
Chaleur et température:

10 un nouvel éclairage
sur des anomalies thermiques

J 'étais en train de manger dans un charmant restaurant situé


sur une île non loin de Seattle lorsque l'un de mes collègues fit
un commentaire qui capta mon attention ; ce dernier parlait de
température et dit que lorsque l'on fait tourner vigoureusement un
récipient contenant de l'eau de manière à former un tourbillon, l'eau
se refroidissait. « Impossible ! » m'exclamai-je. Un tourbillon induit
un frottement, et chacun sait qu'une friction provoque de la chaleur,
pas de la fraîcheur. Il devait se tromper.
Il s'avéra finalement que mon collègue avait raison. Après cette
conversation, je demandai à l'un de mes étudiants d'effectuer cette
expérience. Il me rétorqua avoir déjà produit des tourbillons à de
nombreuses reprises en laboratoire et bien observé un refroidisse-
ment de l'eau. J'entendis la même chose de la bouche d'un collègue
néo-zélandais qui s'était juré de déterminer jusqu'à quel point l'eau
pouvait se refroidir, sans jamais arriver à la faire descendre sous
4oc.
On observe des tourbillons dans la nature, les rivières et les
ruisseaux, mais aussi dans les lavabos ou encore en
tirant une chasse d'eau. La Figure 10.1 est un exemple
bien connu de tourbillon.
Fig. 10.1 Expérience classique
Pourquoi l'eau tourbillonnante se refroidit-elle? pour créer un tourbillon.
Le lecteur pourrait croire possible de comprendre
l'essentiel concernant la température et la chaleur en
se montrant rigoureux. D'une manière générale, il est bon d'être rigoureux, mais
comme nous l'avons vu dans le dernier chapitre, même une parfaite rigueur peut
ne pas produire de bons résultats si on l'applique à des prémisses contestables. On
a longtemps supposé que la chaleur était à l'origine des mouvements browniens,
mais même une exploration du phénomène par des scientifiques de renom ne per-
mit jamais d'en obtenir une compréhension pleinement satisfaisante ; plusieurs
aspects restent obscurs - certains d'entre eux, fondamentaux.
Ces éléments clés concernent la chaleur et la température. Les termes « cha-
leur », « température » et « entropie » sont au cœur de pratiquement toutes
les questions énergétiques; pourtant, ceux-ci sont étonnamment vagues, comme
nous allons le constater. Ils peuvent convenir dans la vie de tous les jours, mais il
peut s'avérer hasardeux de chercher à comprendre précisément un phénomène en

163
utilisant des termes vaguement définis; cela pourrait nous conduire à penser que
quelque chose devrait s'échauffer quand en fait il se refroidit.
À cause de ce risque, nous éviterons d'utiliser des termes vagues au profit de
termes qui sont plus rigoureusement définis. Lun d'eux: «énergie rayonnante »,
concerne la température et la chaleur, avec l'avantage de ne posséder qu'une
seule définition ; en revanche, certains le trouvent singulier. J'espère que vous
supporterez mon petit « tutoriel » en ouverture de ce chapitre ; un petit effort
peut apporter de grands bénéfices.

L'origine de l'énergie rayonnante


Lénergie rayonnante est une énergie électromagnétique. Elle englobe une
vaste gamme de longueurs d'onde, chaque segment du spectre présentant des
caractéristiques différentes (Fig. 10.2) : les ondes lumineuses sont visibles à l'oeil
nu ; les micro-ondes sont capables de cuire notre nourriture ; les ondes radio
nous aident à communiquer ; on utilise les rayons X pour produire des images ;
les ondes infrarouges peuvent nous réchauffer. Ces caractéristiques paraissent si
différentes les unes par rapport aux autres qu'il est facile d'oublier que ces ondes
appartiennent toutes au même spectre électromagnétique.
Pour comprendre le fonctionnement de l'énergie rayonnante, il est nécessaire
de comprendre d'où ces ondes électromagnétiques tirent leur origine : toujours

Fig. 10.2 Diverses sources


d'énergie rayonnante. L'énergie
rayonnante comprend une large
gamme de longueurs d'onde.

\$~~$;

164
--~----
Fig. 10.3 Génération
du mouvement de charges. La Figure 10.3 illustre (simplifiée) d'une onde électro-
cette idée. Imaginez une charge statique positionnée magnétique. Un mouvement de
quelque part dans l'espace (image de gauche). Il se va-et-vient de la charge crée
peut que vous (ou votre détecteur) la ressentiez si un champ électrique oscillant
vous êtes suffisamment près. Si elle se déplace, votre qu'un capteur sera à même de
relation à elle se modifiera alors (image du milieu) ; détecter.
prendre conscience de ce déplacement pourra prendre
quelque temps, selon la vitesse à laquelle l'information
se propage dans le milieu où elle se trouve. De la même manière, un mouvement
de va-et-vient de la charge créera une oscillation du même type (image de droite)
que vous ressentirez là encore après un court laps de temps. Vous êtes à présent
en train de ressentir la propagation d'une onde électromagnétique.
Toute oscillation de charge peut générer une onde. La charge oscillante peut
provenir d'un électron, d'un proton, d'un noyau, ou même d'une plus grosse entité
possédant une charge. Tous remplissent les conditions pour jouer le rôle de géné-
rateur. De même, le déplacement peut-être minuscule, comme dans le cas d'un
atome, ou bien colossal, comme avec une grande antenne émettrice. Toutefois,
le processus de génération d'ondes restera toujours le même: des charges effec-
tuant un mouvement de va-et-vient.

Interactions des ondes avec la matière


Imaginez à présent ce qui se produit lorsqu'une onde électromagnétique passe
à travers un matériau. Tous les matériaux contiennent des charges sur lesquelles
les ondes vont exercer des forces ; par conséquent, l'onde qui traverse un maté-
riau va pousser ou attirer les charges rencontrées sur son chemin. Ces charges
réagiront en se déplaçant. Si l'onde en question est périodique, les charges des
matériaux devraient alors se mettre à osciller à la même périodicité ; en effet, une
oscillation de charge entraîne une autre oscillation de charge. Chaque récepteur
devient le prochain générateur, et c'est ainsi que se poursuit le processus.
La façon dont il continue dépendra du milieu que traverse l'onde. Si le milieu
est le même tout du long, les principales caractéristiques de l'onde resteront
inchangées, bien qu'elle puisse s'atténuer. Si le milieu manque d'uniformité, le
caractère de l'oscillation se modifiera au fur et à mesure de sa progression. Par

165
intérieur . .. :
• 'Y
extérieur

).

;:···~ ·
...
~ "·
-----. exemple, l'onde pourra se propager plus rapidement
· : ~:· ~ à travers une région qu'une autre, ce qui signifie que
a•
, 1". ,
.. '
l'onde parcourra une distance plus longue dans un
même laps de temps entre deux pics : en d'autres
termes, sa longueur d'onde est plus grande. Une onde
peut donc voir sa longueur d'onde se modifier lors-
Fig. 10.4 Rayonnement qu'elle traverse un matériau.
électromagnétique passant à
Pour finir, l'onde sort du milieu traversé. Les ondes
travers un milieu complexe. Il est
émergentes peuvent différer des ondes incidentes en
possible que les caractéristiques
raison des changements que nous venons d'évoquer.
du rayonnement changent, et
Une onde incidente d'une longueur d'onde de 10 µm
que l'émission d'énergie à la sor-
pourra se propager à travers un milieu, être absor-
tie ne soit pas égale à l'énergie
bée, puis réémise à, par exemple, 5 µm ou 20 µm, en
entrante si le milieu contient de
fonction des caractéristiques du milieu. Les ondes qui
l'énergie et qu'il l'exploite pour
traversent un milieu complexe peuvent être réémises à
produire un travail.
des longueurs d'onde plus longues ou plus courtes (on
parle d'effets Stokes et anti-Stokes) ; voir Figure 10.4.
La fluorescence constitue un exemple de cet effet. La lumière incidente d'une
certaine longueur d'onde amène temporairement les électrons du matériau vers
de plus hauts niveaux d'énergie ; lorsqu'ils retrouvent leur niveau original, ces
électrons émettent à une plus grande longueur d'onde. C'est pourquoi une lumière
incidente bleue pourra faire qu'un matériau réémette une lumière rouge ; on dira
que ce matériau réagit en rouge.
Des changements spectraux se produisent également avec les longueurs
d'onde de l'infrarouge ; votre domicile en est un parfait exemple. La lumière du
soleil frappe les murs extérieurs, qui absorbent l'énergie incidente; ces murs vont
ensuite transmettre une partie de cette énergie aux murs intérieurs, qui vont à
leur tour l'émettre à l'intérieur des pièces, et c'est comme cela que vous sentirez la
chaleur. Les longueurs d'onde et leur amplitude qui émergent des murs intérieurs
peuvent être totalement différentes de celles de la lumière solaire.
Ces exemples illustrent une dynamique fondamentale : un rayonnement
pénétrant dans un système provoque un mouvement de charges, générant des
ondes électromagnétiques, provoquant des mouvements de charges, etc ... Finale-
ment, les ondes vont quitter le système mais seulement après avoir subi de mul-
tiples changements de longueurs d'onde et d'amplitude, et peut-être aussi après
avoir produit un travail (Chapitres 7 et 9). Nous voyons donc que le rayonnement
d'un matériau va dépendre non seulement de ce qui entre dans le système, mais
aussi des caractéristiques du milieu.

166
Rayonnement de
l'eau
En quoi les carac-
téristiques du milieu Fig. 10.5 Mur intérieur d'une
peuvent-elles nous aider à mieux comprendre ce qui pièce située juste à côté d'un
se passe dans l'eau ? couloir. Des photos de ce mur
Le caractère émissif d'un milieu est générale- ont été prises en lumière visible
ment exprimé par le terme « émissivité ». Les objets (gauche) et en lumière infra-
ayant une forte émissivité émettent plus d'énergie et rouge (droite).' L'image IR révèle
paraissent plus dynamiques que les objets présentant plus de détails sur la structure
une émissivité plus faible. Si leur rayonnement entre interne du mur.
dans la gamme de l'infrarouge, les objets à plus forte
émissivité apparaîtront plus brillants à une caméra IR
que leurs voisins présentant une émissivité plus faible.
Contemplez par exemple la Figure 10.5. L'image d'un mur de bureau en
lumière visible ordinaire (gauche) ne révèle que des détails sans intérêt. L'image
infrarouge (droite) nous en apprend davantage sur la structure sous-jacente. Une
partie de la richesse des détails provient des différences d'émissivité.
La Figure 10.6 nous montre une photo de nuages en infrarouge encore plus
frappante. Nous voyons que ces nuages génèrent un important rayonnement
d'énergie. Généralement, on relie directement l'intensité de l'infrarouge à la tem-
pérature (notez l'échelle de température à la droite de l'image). Ainsi, un expert
adhérant à la compréhension admise de ces phénomènes dira que ces nuages
sont plus chauds que le ciel hivernal qui l'entoure ; il pourra aussi dire que ces
nuages gris sont plus chauds que la cheminée qui fume que l'on voit en bas de
l'image. Cela aurait peu de sens ; on voit bien qu'il y a quelque chose qui cloche
avec les interprétations reposant sur la température.

Fig. 10.6 Image infrarouge


dans la gamme de 9 à 12 µm.
La température du sol était
approximativement de 0°C. La
cheminée et la cime des arbres
sont visibles en bas de l'image.
Selon l'échelle de température
fournie par le fabricant de la
caméra, les nuages dans le loin-
tain présentent une température
supérieure à J5°C malgré un air
environnant à -20°C; l'échelle
de température indique donc
paradoxalement un gradient de
température constant de 35°C.
À contrario, le cadre de l'énergie rayonnante implique que les nuages pré-
sentent une émissivité (capacité d'un corps, d'une surface à absorber et à émettre
l'énergie rayonnée) plus élevée que celle de leur environnement ; les charges se
déplaçant à l'intérieur des nuages génèrent simplement une plus grande quantité
d'énergie infrarouge. Les nuages paraissent « plus chauds », mais en réalité, ce
sont les charges en mouvement à l'intérieur qui se heurtent davantage.
Cette illustration nous prouve qu'avoir aveuglément foi en de vieux concepts
peut parfois nous égarer. Il est évident qu'un nuage dans un ciel froid ne peut
se comporter comme un four dans un réfrigérateur. Cette erreur d'interprétation
provient de l'usage que nous faisons de termes usuels comme chaleur et tempéra-
ture, et j'en profite pour dénoncer leur utilisation abusive.
Intéressons-nous à une troisième photo en infrarouge que vous avez déjà
vue (et que je reproduis ici pour des raisons de commodité). La Figure 3.14 nous
montre une image IR d'eau se trouvant à côté d'une surface de Nafion. Comme les
zones respectives de la zone d'exclusion et du reste de l'eau en vrac sont restées
longtemps l'une à côté de l'autre au moment où cette photo a été prise, toute
différence physique entre ces deux zones auraient dû s'équilibrer; malgré tout, la
zone d'exclusion apparaît plus sombre ; elle émet moins d'énergie infrarouge. On
pourrait simplement croire que la ZE a une« température» plus basse que le reste
de l'eau à côté, mais ce jargon nous induirait une fois de plus en erreur.
Pour quelles raisons une zone d'exclusion émet-elle moins d'énergie rayon-
nante que le reste de l'eau en vrac ? Songez aux mouvements des charges dans
ces zones respectives. Dans la ZE, les charges se sont
fixées à la structure ; elles peuvent sauter d'un point à
un autre du réseau moléculaire, mais pour la majorité
d'entre elles, ces charges restent fixes. Dans le volume
d'eau adjacent, les charges sont libres et peuvent se
déplacer facilement. Comme les charges se déplaçant
émettent un rayonnement d'énergie, il est normal que
le volume d'eau apparaisse plus brillant. Pour cette
raison, cette eau semble « plus chaude » que la zone
d'exclusion, mais à proprement parler, ce sont les
charges qui se trouvent à l'intérieur qui se déplacent
plus activement.
Fig. 3.14 Photo de l'émission Il ressort de ces constats que la brillance et l'obs-
infrarouge de Nofion se trouvant curité dans les images infrarouges n'impliquent pas
dans de l'eau. L'échantillon nécessairement des températures plus élevées ou plus
était stabilisé à température basses ; elles reflètent plus précisément l'intensité
ambiante. La bande noire qui plus forte ou plus faible des mouvements de charges.
traverse l'image horizontalement
en son milieu correspond à
/'emplacement attendu de la
zone d'exclusion.
Dire que les objets les plus brillants ont « une température plus élevée » peut
avoir un certain sens dans les conversations ordinaires ; mais dans un contexte
scientifique, il est préférable de ne pas utiliser« température» et «chaleur», et
de leur préférer l'utilisation du terme« énergie rayonnante».
Ce point constitue le message central de ce chapitre: un rayonnement reflète
l'intensité des mouvements de charges. Ceci est vrai pour toutes les longueurs
d'onde du spectre électromagnétique. Nous en tenir strictement à cette relation
sans succomber à la tentation d'invoquer la température ou la chaleur ne devrait
pas porter ombrage à notre volonté de mieux comprendre ces phénomènes.

Que sont alors exactement la température et la chaleur ?


Un mot au sujet de l'origine de ces termes familiers semble s'imposer. Pour
comprendre pourquoi ils sont parfois confus, il est nécessaire de connaitre leur
sens.
En ce qui concerne la« chaleur», il n'y a pas de définition simple qui prévale.
Souvent (mais pas toujours), « chauffer» décrit le transfert d'énergie d'un corps
physique à un autre, en excluant toute action effectuée sur ce corps; ainsi, vous
pourrez communiquer de l'énergie rayonnante à un corps et appeler cela de la
chaleur, mais vous ne pourrez pas transporter un rocher au sommet d'une mon-
tagne et appeler cela de la chaleur, car le travail ne compte pas. En principe, plus
vous communiquerez d'énergie rayonnante et plus vous ajouterez de chaleur.
Transposez à présent le problème de la chaleur au sujet de l'eau. Comme
d'autres matériaux, l'eau absorbe, transforme puis réémet une énergie rayonnante
incidente. Les longueurs d'onde les plus significatives se situent dans la partie
de l'infrarouge du spectre, et s'étendent notamment de 3 à 15 µm. Il peut y avoir
une raison à cela : les charges de la molécule d'eau sont séparées par certaines
distances caractéristiques : lorsqu'elles se mettent à osciller, elles préfèrent le
faire à des longueurs d'onde correspondant à ces intervalles définis, à savoir de
3 à 15 µm. L'eau préférera absorber et émettre des rayonnements à ces longueurs
d'onde de l'infrarouge.
Nous comprenons donc pourquoi « infrarouge » et « chaleur» viennent sou-
vent dans la même phrase lorsque l'on parle de l'eau. Absorbant l'infrarouge, elle
«se réchauffe»; émettant également de l'infrarouge, elle semble« chaude».
Toutefois, nous devons garder à l'esprit que « infrarouge » et « chaleur » ne
sont pas interchangeables. L'eau n'absorbe pas seulement des longueurs d'onde
de l'infrarouge mais aussi de nombreuses autres longueurs d'onde du spectre
électromagnétique. Même la lumière visible peut chauffer de l'eau si elle est
suffisamment intense - sans parler de l'énergie micro-ondes de votre four, très

169
efficace pour cela. Ainsi, chaleur n'est pas uniquement synonyme d'absorption
d'IR. Il n'est pas correct non plus d'affirmer que de l'eau chauffée émet seulement
des ondes infrarouges ; en effet, l'eau peut même émettre de l'énergie à des lon-
gueurs d'onde visibles (Chapitre 7).
En raison du lien flou entre énergie rayonnante et chaleur, c'est donc seule-
ment avec la plus grande prudence que nous nous servirons du terme « chaleur»
pour tenter de mieux comprendre ces phénomènes.
Penchons-nous à présent sur la« température». Lorsque l'eau est« réchauf-
fée » par de l'énergie infrarouge ou autre qu'elle absorbe, nous disons que la
température de l'eau augmente. Une fois encore, nous avons besoin de savoir ce
que nous entendons exactement par température.
Malheureusement, il n'existe là non plus aucune définition unique pour
« température» ; elle dépendra de la situation. En voici quelques-unes : degré ou
intensité de la chaleur présente ; capacité d'une substance à transférer de l'éner-
gie thermique à une autre substance ; mesu~e de l'énergie cinétique moyenne des
atomes ou des molécules d'une substance ; reflet d'un mouvement de particule
résultant d'un transfert, d'une vibration, ou d'une excitation au niveau énergé-
tique de l'électron ; et, pour les gaz, distribution de probabilité de l'énergie du
mouvement des particules de gaz.
Même les seuils de températures bien connus ne nous apportent aucun
éclairage. On dit que l'eau gèle à 0°C et entre en ébullition à 100°C. Vous pourriez
penser que ces références constituent des points de repère pour mieux com-
prendre la véritable signification de la température, mais ce n'est pas le cas, car
l'eau pure sous une pression ordinaire peut geler à des températures bien plus
basses que 0°C (en particulier dans des espaces confinés), et elle peut s'évaporer
à des températures supérieures, et parfois inférieures, à 100°C. 2 Nous pourrions
nous contenter de considérer ces différences comme des anomalies, mais peut-
être indiquent-elles une ambiguïté dans notre compréhension. Étant donné la
multiplicité de ses définitions, le terme « température» est tout aussi ambigu que
«chaleur».
Au-delà des questions d'ambiguïté des définitions se pose un problème plus
sérieux avec les systèmes hors d'équilibre, comme pour l'eau. Les thermodynami-
ciens nous enseignent qu'avec de tels systèmes, des mesures empiriques peuvent
diverger pour affirmer lequel entre deux corps est le plus chaud. Traduit en lan-
gage courant, cela veut dire que tout système hors d'équilibre ne possède pas
une température bien définie. C'est un problème grave en ce qui concerne l'eau,
et tant que nous ne l'aurons pas résolu, il ne sera pas possible de connaître la
signification des termes « température » et « chaleur».
Vous comprendrez maintenant pourquoi j'évite d'utiliser le plus possible ces
termes familiers. Dans la vie de tous les jours, « le four est chaud ! » convient.

170
Mais dans un contexte scientifique, des définitions approximatives donnent
inévitablement des résultats approximatifs, voire parfois erronés. Le mouvement
brownien en est un exemple ; les tourbillons, un autre ; dans chacun de ces cas,
nous sommes induits en erreur par le fait que l'on considère la température comme
une variable fondamentale.
En revanche, on peut envisager l'émergence d'une meilleure compréhension
si nous nous en tenons à des termes physiquement définissables, et l'un de ceux-
ci est « énergie rayonnante ». Voyons si celle-ci peut nous apporter quelques
réponses sensées à des questions tenaces.

Refroidissement, réchauffement et énergie rayonnante


Lorsque votre main tient un récipient contenant de l'eau, elle absorbe l'éner-
gie rayonnante qu'émet celle-ci (à travers le récipient). Si l'eau émet beaucoup
d'infrarouge, vous interpréterez cela comme de la chaleur; si elle n'en génère pas
trop, vous sentirez alors du frais. Votre main ressent l'émission d'un rayonnement,
envoie l'information à votre cerveau, et hop ! vous savez que c'est chaud (Fig.
10.7).
Les thermomètres fonctionnent de la même manière, avec deux modes de
perception : par rayonnement ou par conduction. On dit que ces modes sont
différents, mais je pense pour ma part qu'ils sont plus similaires que différents, et
je vais m'expliquer.
Les thermomètres dont le fonctionnement repose sur le rayonnement indique
la quantité d'énergie infrarouge qu'ils reçoivent ; ils fonctionnent en cela comme
votre main.
Les thermomètres qui s'appuient sur le principe de la conduction sont censés
au contraire «conduire» la chaleur. L.'.ampoule en métal
« conduit » la chaleur de ce qui se trouve à l'extérieur du
thermomètre par contact. S'il s'agit d'eau, les «vibrations
thermiques» de l'eau vont se transférer directement dans
le métal, ce qui déclenchera une vibration des électrons
de ce métal, puis celle d'électrons plus distants, etc. Fi na- -
lement, ces vibrations se propageront jusqu'au mercure
-
dont l'expansion permettra de lire la température sur une
échelle.
Il apparaît que ce mode de perception ne diffère que
très peu du mode reposant sur le rayonnement. À chaque
fois, une énergie rayonnante se propage à travers un
milieu et le résultat est indiqué sur une échelle. Votre

Fig. 10. 7 Votre main perçoit la


quantité d'énergie rayonnante
qu'émet l'eau.
L'énergie rayonnante véhicule-t-elle de l'information ?

Leau émet de l'énergie rayonnante. La plus grande partie de cette énergie provient
de l'eau en vrac, mais la zone d'exclusion en émet également, et ses longueurs d'onde
dépendront de sa structure.
Même si les structures de ZE ont un aspect commun {Chapitre 4), on peut prédire
l'existence de variantes. Les zones d'exclusion se formant à partir de surfaces présentant
des distributions de charges spécifiques, ces distributions uniques créeront nécessaire-
ment des variantes de la structure de base. Ainsi, l'énergie émise par une zone d'exclusion
pourrait contenir des informations spécifiques sur la surface nucléante.
Si tel est bien le cas, l'eau dont est formée la ZE pourrait émettre des informations,
comme les antennes de station de télévision émettent des informations. Lénergie émise
pourrait contenir plus que de l'énergie.
Que se passe-t-il lorsque de l'eau absorbe cette énergie émise ? Si celle-ci contient
de l'information, nous pourrions penser que cette information serait floutée, voire per-
due. Toutefois, si des modes vibratoires de cette énergie créaient de nouvelles variantes
structurelles dans les zones d'exclusion, il se pourrait qu'une partie de l'information soit
conservée. Toute mémorisation de ce type ne serait rien de moins qu'une transmission
électromagnétique d'information structurelle - une sorte d'e-mail aqueux.
Si ce genre de communication peut vous troubler, il faut connaitre les travaux éton-
nants du prix Nobel Luc Montagnier leur apportant du crédit {voir figures). Le professeur
Montagnier affirme avoir réussi à transmettre des signaux d'ADN structurel à de l'eau.
Dans son expérience, il a d'abord mis un échantillon d'ADN en suspension dans une
solution aqueuse, ensuite placée dans un récipient étanche à côté d'un second récipient
également étanche contenant de l'eau. Les récipients sont restés à côté l'un de l'autre
une longue période de temps pendant laquelle le professeur les a exposés à une source
d'énergie électromagnétique ordinaire.
Puis il a ajouté à l'eau fraîchement « informée » du second récipient des éléments
nécessaires à la synthèse de l'ADN ; cette opération s'est soldée par la création d'un
nouvel ADN. Des analyses ont montré que la séquence d'ADN ainsi obtenue n'était pas
aléatoire et qu'elle était identique à celle de l'ADN présent dans le premier récipient.
Bien que les deux récipients étaient parfaitement étanches et qu'ils n'aient jamais été en
contact physique, il apparaît de toute évidence que de l'information est passée de l'un
à l'autre. 3.4
Les travaux du professeur Montagnier ont d'abord été accueillis par un profond
scepticisme ; toutefois certains scientifiques, persuadés de la possibilité d'une transmis-
sion électromagnétique par les travaux de Gurwitsch 5 datant de près d'un siècle et ceux
plus récents de Benveniste6 , s'intéressent à ce phénomène. À l'heure où j'écris ces lignes,
deux laboratoires prétendent avoir confirmé les observations de Montagnier, et il sera
intéressant de voir où nous mèneront ces recherches.
i.
main fait grossièrement la même chose : plus
échantillon eau elle serrera fort et plus intense sera la sensation
d'ADN ' pure (autrement dit : l'eau paraîtra plus « chaude » ).
Tous ces modes de perception détectent
l'énergie rayonnante infrarouge, résultant de
vibrations de charge. J'espère que ces explica-
tions vous montreront le lien qui existe entre
ii. l'énergie rayonnante et les concepts plus vague-
ment définis de chaleur ou température.
Poursuivons en nous penchant à présent
sur l'énergie rayonnante; sous celle-ci coexistent
~ A
~ ~ deux phénomènes nous aidant à mieux com-

:::'/. ? \ \ ~
prendre les propriétés de l'eau :
• les protons libérés dans le volume d'eau
électromagnétique au cours de la formation de la zone d'exclusion
échange d'infor- constituent des charges mobiles générant une
mation importante énergie rayonnante ; celle-ci crée la
sensation de chaleur.

iii. • l'eau de la zone d'exclusion génère relati-


vement peu de rayonnement infrarouge du fait
du nombre limité de mouvements de charges.
Cette faible émission crée la sensation de froid.
Forts de ces expédients, nous allons main-
tenant nous intéresser à des problèmes ayant
éléments
précurseurs de /'ADN causé aux scientifiques quelque souci, dont deux
en particulier : (i) les mélanges, et (ii) les tourbil-
lons.

iv. (i) Mélanges

correspondance avec
L'affaire de la chaleur suspecte et du
le nouvel ADN EJ volume manquant
Nous observons parfois d'étranges réac-
tions en mélangeant certaines substances avec
de l'eau. Même en s'attendant à ce que rien de
particulièrement intéressant ne se produise à
part la dissolution, un mélange ordinaire peut
avoir de sérieuses conséquences (Fig. 10.Ba).

173
Par exemple, le simple fait d'ajouter quelques gouttes
d'eau à de l'acide sulfurique peut provoquer une
ébullition, des éclaboussures et même parfois une
explosion .
Mais ce n'est pas le seul résultat surprenant
susceptible de découler d'un mélange. Lorsque l'on
mélange des liquides avec de l'eau, le volume final
n'est pas toujours égal à la somme des deux volumes
de départ (Fig. 10.Bb) : il se peut que le volume final
soit plus important, mais il est le plus souvent infé-
rieur. Dans des cas extrêmes, la perte de volume peut
atteindre jusqu'à 20%. Mélanger des solides avec de
l'eau peut produire des résultats similaires: introduire
quelques pastilles d'hydroxide de sodium dans un
récipient d'eau réduira le volume original ; il faudra en
ajouter un grand nombre pour retrouver le volume de
départ.
Vous pouvez vous-même constater ces mys-
tères liés aux volumes en remplissant un verre d'eau
jusqu'au bord puis en y ajoutant du sel. Il ne débor-
dera pas, même si vous en ajoutez jusqu'à ce qu'un
tas s'accumule au fond; c'est comme s'il disparaissait.
Les chimistes connaissent bien ce phénomène.
Fig. 10.8 Mélanger des subs- Selon la théorie dominante, l'explosion de chaleur
tances avec de l'eau peut avoir provoquée par l'ajout d'un peu d'eau à de l'acide sul-
des conséquences inattendues. furique résulte de contributions thermiques de la part
de chacun des processus sous-jacents à la solvata-
tion ; leur somme produit la « chaleur d'hydratation »
qui échauffera l'eau. Le phénomène de changement
de volume a quant à lui une explication différente qui repose sur l'obtention, suite
à un mélange de molécules, d'une meilleure ou moins bonne connexion intermo-
léculaire qu'avant le mélange.
Ces explications paraissent plutôt simples mais il n'est pas facile de vérifier
si elles sont exactes ou erronées. En ce qui concerne le premier phénomène, les
contributions thermiques sont généralement le fruit de suppositions plutôt que
d'observations indépendantes. Pour le second phénomène, réussir à déterminer
comment des molécules s'assemblent à la manière de pièces de puzzle n'est pas
une science exacte, c'est le moins que l'on puisse dire. Nous voyons donc que la
réalité de ces explications demeure incertaine.

174
Lorsque j'ai commencé à m'intéresser à ces deux phénomènes, j'ai été surpris
d'observer une corrélation insoupçonnée : /'émission de chaleur et le changement
de volume semblaient liés. Lorsque de la chaleur était émise, il semblait se pro-
duire également un rétrécissement ; inversement, lorsqu'il y avait absorption de
chaleur, on notait une expansion. Je me suis alors demandé si les changements
thermiques et de volumes ne pouvaient pas avoir une origine commune.
Le facteur qui n'avait pas été pris en compte jusqu'alors nous est maintenant
familier : la zone d'exclusion. Il me semblait probable que le fait de mélanger un
soluté avec de l'eau affecterait les ZE d'une manière ou d'une autre ; par exemple,
si la substance était initialement déshydratée, ajouter de l'eau favoriserait la for-
mation de ZE puisqu'elle est à la base même de la dissolution (Chapitre 8).
Supposez que l'on observe une augmentation des ZE provoquée par le
mélange d'une substance avec de l'eau; comment cela pourrait-il affecter la« tem-
pérature» et le volume?
• À mesure que se forment les ZE, des protons sont libérés. Les charges de
ces protons se déplacent, générant une énergie rayonnante ; le mélange devrait
donc « chauffer ».
· Parallèlement, le mélange devrait rétrécir pour la bonne raison que la densi-
té de la ZE dépasse la densité de l'eau du reste du volume (voir Chapitres 3 et 4).
Le passage d'une eau en vrac à une eau de type zone d'exclusion entraînera donc
une diminution du volume.
La croissance de la ZE pourrait donc expliquer l'échauffement et la diminution
d'un volume, du moins théoriquement. Nous effectuâmes donc des expériences
pour vérifier si les zones d'exclusion se développaient réellement dans ces circons-
tances.

Résolution de l'énigme volume/chaleur


Nous cherchâmes d'abord à nous rassurer. Les phénomènes d'échauffement et
de diminution de volume paraissaient certes étroitement liés, mais il fallait d'abord
en être certains. Nous nous penchâmes donc sur sept dissolutions génératrices de
chaleur, et confirmâmes à chaque fois une corrélation entre chaleur et diminution
de volume. (L'un de ces cas s'avéra délicat techniquement, mais d'autres études
l'avaient déjà confirmé). Généralement, le rétrécissement se produisait en l'espace
de quelques dizaines de secondes ; de même pour l'atteinte de la chaleur maxi-
male. Comme attendu, ces deux phénomènes étaient parfaitement coordonnés.
Ensuite, nous voulûmes vérifier si ces dissolutions généraient des ZE. Le test
habituel pour détecter une eau de type ZE consiste à chercher la présence d'un pic
d'absorption à 270 nm qui en représente une signature. À chaque fois, le mélange

175
étudié révéla la présence de ce pic, ou proche : on
a pu parfois observer un pic décalé de 10 à 25 nm
dans une direction ou dans l'autre, ou deux sous-
pics à la place d'un pic unique, ou encore des pics
240 250 260 270 280 290 300
plus faibles ou plus forts que d'autres. Mais, dans
longueur d'onde (nm)
tous les cas, nous détectâmes quelque chose de
voisin au pic attendu. La Figure 10.9 nous montre
Fig. 10.9 Spectrophotométrie
un exemple représentatif.
UV-visible d'un mélange moi-
tié-moitié d'acide chlorhydrique et Ces résultats confirmèrent l'existence d'une
d'eau. Un pic apparaît à 278 nm. corrélation chaleur-diminution de volume, et
également la formation de ZE lorsqu'un mélange
provoquait chaleur et diminution de volume. Il
apparaissait que nous étions sur la bonne piste, du moins en ce qui concerne les
mélanges produisant chaleur et perte de volume.
Par contre, un refroidissement accompagné d'une expansion est beaucoup
plus rare. Pour étudier cette variante, nous prîmes un exemple bien connu : le
mélange de persulfate d'ammonium et d'eau. Le persulfate d'ammonium se pré-
sente sous la forme de cristaux en poudre. Lorsque la poudre se mélange avec de
l'eau en parts approximativement égales, le volume augmente plus que la somme
des deux volumes initiaux. Nous confirmâmes l'expansion attendue, bien que des
difficultés techniques nous aient empêchés de la quantifier. En revanche, il fut
facile de suivre l'évolution de la température à l'aide d'un thermomètre ; celle-ci
chuta à 8°C. Ainsi, le mélange se comporta comme prévu, en se refroidissant et
gagnant du volume.
Une question fondamentale était de savoir si ce mélange avait diminué les
ZE. La Figure 10.10 nous le montre: un large pic d'une impressionnante magni-
tude situé approximativement à 270 nm apparut tout d'abord, puis se réduisit
progressivement après chaque dilution.
Pour en comprendre la raison, il est bon de savoir comment les cristaux en
poudre comme le persulfate d'ammonium sont créés. Bien qu'il existe des méthodes
différentes, les cristaux se forment ordinairement à la suite d'une exposition à

<lJ
>
~
Fig. 10.10 Dissolution de ~ 2
c
0
Persulfate d'ammonium dans de
~
l'eau. À mesure que la dilution ès
~ 1
augmente (de la droite vers la "'
gauche), nous voyons la région
sous le pic d'absorption se 0
réduire.
200 300 400
longueur d'onde (nm)
Vodka et Viscosité
Dmitri Mendeleïev, le scientifique russe à l'origine de la table périodique des éléments,
a également étudié le mélange de l'éthanol et de
l'eau. Comme la plupart des mélanges, celle-ci pro-
duit chaleur et diminution du volume. Mendeleïev
a noté une autre caractéristique : une viscosité
trois fois plus importante. La raison en était restée
obscure, mais la forte viscosité des ZE (voir Fig.
3.17) pourrait bien expliquer ce résultat. L.'.éthanol
forme des zones d'exclusion comme l'eau ;7 ainsi, il
se pourrait qu'un mélange d'éthanol et d'eau pro-
duise des ZE entremêlées présentant une viscosité
très élevée.
Bien qu'il ne s'agisse là que de spéculations,
des applications pratiques furent tirées de ce
constat : Mendeleïev ayant établi que l'on obtenait
la plus forte viscosité avec un mélange à 40%
d'éthanol et 60% d'eau, le scientifique qu'il était a
vu là le rapport idéal pour fabriquer de la vodka ;
c'est le rapport toujours utilisé aujourd'hui. Cette Dmitri Mendeleïev 1834-1907
forte viscosité donne un « corps » satisfaisant à la
boisson - peut-être assez pour expliquer pourquoi
les Russes en sont si friands.

une intense énergie rayonnante (chaleur). L.'.énergie rayonnante formant des zones
d'exclusion, nous pouvons supposer que la grande quantité d'infrarouge néces-
saire à la production de ces matériaux génère d'importantes ZE avec présence
de protons autour de chaque molécule. Ces nombreuses attractions-répulsions
ordonnent les molécules qui formeront des cristaux lorsque la solution aura séché
(Chapitre 8, encadré). La poudre de cristaux apparemment sèche ne contient pas
d'eau liquide mais des matériaux de ZE en abondance, ce qui explique le pic d'ab-
sorption étrangement marqué à 270 nm (Fig. 10.10).
Plonger des cristaux de ce type dans de l'eau aura pour effet de diminuer l'ordre
cristallin, l'eau constituant un grand réservoir dans lequel les charges contraires
peuvent se disperser. La dispersion des protons diminuera les interactions entre
ces derniers ; une diminution des mouvements provoquera une réduction du
rayonnement infrarouge: la solution paraîtra plus froide. En même temps, lorsque
l'eau entrera dans la structure, les ZE rétréciront car leurs tailles initialement plus
grandes dépendaient d'un intense rayonnement d'énergie qui n'est plus là. La
diminution des ZE explique le rétrécissement du pic à 270 nm (Fig. 10.10).

177
Béton
Conformément à la méthode habi-
tuelle, on ajoute de l'eau à du ciment
pour fabriquer du béton, on mélange
vigoureusement, verse et le laisse prendre
un jour ou deux ; il finit par se solidifier.
Vous remarquerez que ce dernier émet
de la chaleur en durcissant. Pourquoi ?
Ajouter de l'eau au mélange crée La chaleur est une conséquence pré-
une sorte de pâte travaillable, comme du visible. La formation de la ZE provoque
sable mouillé. Cette consistance proche une libération progressive de protons. En
du mastic provient d'un mécanisme que se déplaçant, ces concentrations de pro-
nous connaissons désormais : des ZE se tons vont générer une abondante énergie
forment autour des particules humides, rayonnante, et c'est ce que l'on ressentira
et des protons libérés sont à l'origine sous la forme de chaleur.
d'une attraction du type « même aime
Cette énergie rayonnante contribue
même » ; les particules vont donc com-
parallèlement à achever le processus en
mencer à adhérer entre elles. Si elles permettant aux ZE de croître, de libérer
adhèrent faiblement au début, avec la davantage de protons, et donc d'obtenir
consistance du mastic, elles le feront de davantage d'attractions fortes ; c'est
plus en plus fermement à mesure que cela qui confère au béton sa solidité uni-
les charges continuent de se former et forme. Ce principe pourrait bien ne pas
que les forces d'attraction gagnent en s'appliquer au seul béton mais avoir une
puissance. portée plus générale.

Les particularités thermiques et autres mystères liés au volume sont mainte-


nant expliqués : la température chute du fait d'une diminution du rayonnement ;
le volume augmente car l'eau dense de type ZE se convertit en une eau de moindre
densité.
Le paradigme de la zone d'exclusion semble suffire pour expliquer non
seulement le régime échauffement/rétrécissement, mais aussi le régime refroi-
dissement/expansion, même si des études plus approfondies seront nécessaires
pour quantifier et systématiser ces observations. Peut-être comprendrons-nous
alors pourquoi l'acte apparemment innocent de faire couler de l'eau dans un bac
d'acide sulfurique est susceptible de provoquer une explosion.

178
(ii) Tourbillons

Pourquoi les tourbillons induisent-ils un refroidissement?


Nous nous penchâmes ensuite sur le second phénomène paradoxal: les tour-
billons. Pour quelles raisons une eau qui tourbillonne devrait-elle être plus fraîche
qu'une eau qui ne tourbillonne pas?
Les tourbillons d'eau sont discutés depuis les travaux de Viktor Schauberger,
le légendaire naturaliste autrichien. Celui-ci passa la plus grande partie de sa vie à
étudier l'eau, et ses observations de toute une vie le convainquirent que les tourbil-
lons conféraient à l'eau une« vitalité» particulière. Schauberger estimait que l'eau
provenant de cours d'eau rapides et pleins de tourbillons était plus« vivante» que
l'eau stagnante qu'il considérait comme morte; il affirmait également que l'eau qui
tourbillonnait était plus froide.
Les travaux de Schauberger, qui ont près d'un siècle, font suite à ceux d'un
autre Autrichien de légende, Rudolf Steiner, dont les divers centres d'intérêt
incluaient l'agriculture. Steiner est l'inventeur de la fameuse agriculture biodyna-
mique reposant essentiellement sur la formation de tourbillons ; des agriculteurs
et des producteurs de fruits affirment que l'eau tourbillonnée permet d'obtenir des
rendements étonnants sans avoir recours à des fertilisants.
Il est surprenant de voir à quel point les tourbillons restent populaires au sein
de certains groupes, encore de nos jours. Pourtant, au-delà d'observations empi-
riques censées montrer leurs différentes propriétés, il n'existe que peu de preuves
scientifiques sur lesquelles s'appuyer pour tenter de comprendre ce phénomène.
J'aimerais toutefois émettre l'idée que quelques-unes au moins des caractéris-
tiques d'un tourbillon pourraient dériver de la création d'une eau de type ZE. Des
expériences préliminaires ont confirmé la présence d'un pic d'absorption à 270 nm
(Fig. 10.11), ce qui laisse supposer que des zones d'exclusion sont bien présentes.
D'autres expériences sont actuellement en cours.
Si de l'eau de type ZE est présente, comme les observations préliminaires
le laissent entendre, alors ce que Schauberger appelait « vitalité » pourrait bien

0.08
QJ
>
~ 0.06
~ Fig. 10.11 Mesures spectrales
c:
0
d'une eau tourbillonnée. Des
~ 0.04
0 observations préliminaires
"'
.0

"' 0.02 montrent une augmentation de


la ZE.
0

250 270 300 350

longueur d'onde (nm)


correspondre à une énergie physique, les zones d'exclusion possédant bien une
énergie potentielle. Quant au refroidissement, si le fait de tourbillonner transforme
une partie de l'eau en ZE, alors l'ensemble pourrait paraître plus froid : on sait
que les ZE émettent moins d'énergie que l'eau en vrac ; un moindre rayonnement
d'énergie se traduit par une certaine fraîcheur.
(Le lecteur attentif soulèvera une possible objection : la ZE récemment créée
génère des protons qui pourraient contrer l'effet de refroidissement en produisant
une énergie rayonnante ; toutefois, ces protons se dilueront rapidement à cause
du grand volume d'eau au-delà du tourbillon, ce qui ne manquera pas de minimiser
leur contribution thermique. Le résultat net du tourbillon devrait donc être un
refroidissement.)
La formation de ZE par un tourbillon devrait paraître moins mystérieuse si
vous vous souvenez que l'eau de type ZE contient plus d'oxygène que le reste de
l'eau en vrac. Les remous mettant l'eau en contact continu avec de l'oxygène (celui
de l'air situé au-dessus ou des bulles piégées sous la surface), l'eau se mélange
en permanence avec celui-ci, ce qui permet la formation de zones d'exclusion. En
outre, les substances dans l'air environnant se chargent inévitablement négative-
ment (voir Chapitre 9) et des charges négatives favorisent également la formation
de ZE (Fig. 5.8). Tout ceci suggère que cela peut valoir la peine de chercher com-
ment un mouvement tourbillonnant peut former des zones d'exclusion, et donc
induire un refroidissement.
Résoudre à la fois les paradoxes tourbillons-refroidissement et dilution-vo-
lume apporte quelque lumière sur le thème central du chapitre : il est nécessaire
de revenir aux fondamentaux si l'on souhaite comprendre les caractéristiques ther-
miques de l'eau, et au cœur de ces fondamentaux se trouve la charge. Davantage
de mouvements de charges génère davantage d'énergie rayonnante, ce qui fera
paraître les substances émettrices plus « chaudes » ; moins de mouvements de
charges génère moins d'énergie rayonnante, ce qui les rend plus« froides».
Adhérer à ce concept fondamental m'aida à résoudre plusieurs anomalies et
nous permettra également de nous lancer dans l'exploration d'autres phénomènes
naturels.

En résumé
Les caractéristiques thermiques de l'eau étaient truffées d'anomalies et
de paradoxes. Pour les résoudre, nous fîmes machine arrière et délaissâmes les
explications classiques basées sur les concepts de chaleur et de température pour
revenir à des approches plus fondamentales; nous nous focalisâmes en particulier
sur l'énergie rayonnante.

180
L'énergie rayonnante provient des déplacements de charges. Les mouvements
de va-et-vient de celles-ci génèrent des ondes électromagnétiques se propageant
à travers les matériaux et en émergeant souvent avec des caractéristiques dif-
férentes. Dans le cas de l'eau, ce sont les longueurs d'onde de l'infrarouge qui
sont principalement concernées. L'eau absorbe et émet des quantités importantes
d'énergie infrarouge en raison de la structure atomique de la molécule d'eau. Les
longueurs d'onde infrarouge ont donc une importance particulière, ce qui nous
permit de mieux comprendre comment la chaleur et la température sont liées à
l'énergie rayonnante.
Une seconde caractéristique de notre approche fut de reconnaître la contribu-
tion des zones d'exclusion dans la production d'énergie rayonnante. La formation
de ZE génère des protons, dont les mouvements génèrent beaucoup d'infrarouge.
Nous ressentons cette énergie infrarouge sous la forme de chaleur. Une fois que
la ZE cesse de se développer et d'envoyer des protons dans le reste de l'eau en
vrac, le facteur le plus important devient la partie de l'eau devenue ZE. Une plus
grande part d'eau-ZE implique moins d'émission globale d'infrarouges, ce que l'on
ressent comme du froid.
Ces caractéristiques nous permirent d'expliquer pourquoi le mélange de cer-
taines substances avec de l'eau pouvait conduire à des changements de tempéra-
ture ou de volume. Elles nous ont aidèrent également à résoudre le paradoxe vu au
début de ce chapitre: pourquoi l'eau qui tourbillonne se refroidit.
Toutes ces découvertes furent rendues possibles en nous intéressant à l'éner-
gie rayonnante et en évitant de dépendre de termes vagues comme chaleur et
température. Bien qu'indispensables dans la vie de tous les jours, leur ambiguïté
en font des concepts peu fiables dans le cadre d'une compréhension scientifique
avancée.
Pour atteindre cette compréhension, continuons notre exploration sous l'angle
de l'énergie rayonnante; nous allons maintenant voir comment la notion d'énergie
rayonnante peut nous aider à comprendre les comportements quotidiens de l'eau.

181
11 Osmose et diffusion
ne se réalisent pas toutes seules

U n célèbre dessin nous montre Garfield, le chat obèse, avec une pile de livres
sur la tête, déclarant «J'apprends par osmose». losmose représente ici un
faux espoir de transfert de savoir sans peine où l'information passerait d'un réser-
voir de connaissances vers le cerveau d'un individu.
La véritable osmose à l'origine de cette métaphore est le processus décrivant
le transfert d'eau du milieu le plus dilué vers le milieu le plus concentré. leau
se déplace. Le mouvement osmotique de l'eau joue un rôle central dans la com-
préhension par Einstein du mouvement brownien, et ce chapitre me permettra
de tenir la promesse faite plus haut (Chapitre 9) de reconsidérer le mécanisme
osmotique.
Traiter de l'osmose sans aborder la diffusion peut sembler restrictif, ces phé-
nomènes étant le reflet l'un de l'autre. La diffusion couvre le mouvement de parti-
cules ou de molécules dans un fluide ; l'osmose, celui du fluide vers des particules
ou des molécules (en général à travers une membrane). Pour parler simplement,
on pourrait dire que ces phénomènes sont deux facettes. Tous deux réduisent les
gradients de concentration en déplaçant des substances vers des régions moins
concentrées, et sont les principaux véhicules dont se sert la nature pour déplacer
des choses.
Ce chapitre s'intéresse au fonctionnement de ces processus. Se produisent-ils
spontanément en tant que conséquences de quelque loi fondamentale de la
nature? Ou une énergie sous-jacente en est-elle à l'origine, de même que le vent
faisant tourner l'hélice d'un moulin?

Diffusion : une osmose à l'envers


Jetez une pincée de sel dans un bouillon de poulet : le sel se disperse. Tech-
niquement, il se diffuse, et la soupe sera finalement uniformément savoureuse.
La théorie de la diffusion suit la théorie dominante du mouvement brownien :
par l'intermédiaire de mouvements « thermiques », chaque molécule rebondirait
en effectuant un parcours considéré comme erratique, ce qui aboutirait à leur dis-
persion, comme des marins ivres sortant d'un bistrot et confinés à l'intérieur d'une
zone clôturée (et en l'absence de points d'intérêts). Ils finiraient par se disperser

183
Fig. 11.1 Des déplacements
erratiques aboutiront finalement
à une distribution statistique-
ment uniforme à /'intérieur d'un
espace défini.

d'une manière statistiquement uniforme (Fig. 11.1). De même, le sel se répandrait


dans l'ensemble du bouillon.
Bien que les déplacements erratiques puissent se dérouler comme cela, ils
nécessiteraient de l'énergie : si la diffusion était le résultat collectif des mou-
vements browniens, et que les mouvements browniens nécessitent de l'énergie
(Chapitre 9), il devrait en être de même pour la diffusion ; il ne pourrait d'ailleurs
en aller autrement. La diffusion peut donner l'impression d'être un processus
passif, mais une forme d'énergie doit nécessairement l'alimenter.
La théorie de la diffusion classique ne fait aucunement mention d'une source
d'énergie externe : elle décrit la propagation en terme de constante de diffusion,
D, qui dépend de divers facteurs physiques (voir encadré, Chapitre 9), mais ne
prend pas en compte d'apport d'énergie. Selon cette théorie, le flux de diffusion
se produirait spontanément.
Toutefois, il arrive souvent que cette théorie de la diffusion ne parvienne pas
à expliquer la propagation observée. Un exemple célèbre est celui de la diffusion
de polymères chargés dans une solution aqueuse : la diffusion peut s'effectuer
autant suivant le mode ordinaire que selon un mode extraordinaire.1 Celui préva-
lant dépendra de la concentration en sel ; une légère diminution de cette concen-
tration pourra provoquer un changement brutal d'une diffusion ordinaire - rapide
- à une diffusion extraordinaire - lente. La raison de ce comportement bistable
demeure énigmatique pour tous ceux restant englués dans le cadre de la théorie
classique.

184
Les divergences entre l'expérimentation et la théorie conduisent souvent à
des échappatoires comme« sous-diffusion» ou «super-diffusion»; par exemple,
on dit que les protéines montrent une sous-diffusion, 2 alors que les particules pré-
sentes dans les étoiles filantes subiraient une super-diffusion. 3 Ces termes ne font
que souligner que la théorie de la diffusion classique n'est pas aussi immuable
qu'on pourrait l'espérer; il est évident qu'il lui manque quelque chose.
Même des phénomènes quotidiens illustrent cette limitation ; par exemple,
lorsque l'eau d'un fleuve se mélange avec celle d'un océan. La théorie de la diffusion
classique prédit que les deux corps aquatiques devraient se mélanger immédia-
tement. Mais cette prédiction théorique ne se confirme pas : à certains endroits,
l'eau salée et l'eau douce peuvent rester séparées quasi indéftniment.w1 Même
deux eaux différemment salées ne se mélangeront
pas aisément : près de la ville balnéaire de Skagen,
au Danemark, où la mer Baltique rencontre la mer du
Nord, la ligne où ces dernières fusionnent reste visible
en permanence.w2 Voyez ci-contre une photo de cette
ligne de séparation.
Curieux de ces écarts bien connus par rapport à
la théorie, nous voulûmes en savoir plus en menant
nos propres expériences. Nous versâmes une solution
saturée en sel dans un bécher complétée ensuite
La fusion entre la mer du Nord
avec de l'eau pure. L'.eau pure située au-dessus
et la mer Baltique crée une ligne
contenait des colorants ou des microbilles pour voir
de séparation permanente.
comment les solutions du haut et du bas allaient se
mélanger. Le mélange ne se produisit pas pendant
un grand nombre d'heures ; il arriva même que des
jours s'écoulent avant que les deux solutions ne se mélangent de manière appré-
ciable. Nous observâmes la même chose avec l'expérience inverse (de l'eau salée
au-dessus d'une eau pure), également sans mélange apparent. Les résultats de
cette dernière expérience indiquent que les différences de densité ne peuvent pas
expliquer la séparation prolongée observée. La diffusion aurait dû déplacer les
molécules et les particules ; celles-ci ne se sont en fait pas mélangées aisément,
exactement comme les eaux des fleuves et des océans ne se mélangent pas faci-
lement.
Nous poursuivîmes nos expériences en injectant une goutte de colorant
dans l'un des angles d'un récipient pour voir comment celle-ci allait se diffuser.
Certaines observations nous choquèrent. Injecté dans un récipient d'eau pure, le
colorant se diffusa plus ou moins comme prédit par l'équation de diffusion : plutôt
lentement (Fig. 11.2, haut). Mais, injectant le même colorant dans une solution

185
EAU

1 seconde

1 heure concentrée en sel, il se diffusa si rapidement sur une


mince couche en surface que l'on ne put pas suivre sa
propagation à l'oeil nu ; en l'espace d'une seconde, il
EAU SALÉE avait couvert pratiquement la surface entière (bas).
Cette première phase terminée, le colorant se diffusa
à peine vers le bas de la solution - même après une
semaine.
Étonnés par ces résultats, nous approfondîmes
nos recherches pour voir si ces différences pouvaient
Fig. 11.2 Diffusion de bleu être dues à une singularité d'un colorant ou d'un sel
de méthylène. Longueur du particulier. Nous obtînmes des résultats similaires avec
récipient : 7,5 cm. Dans de l'eau plusieurs colorants, tout comme en le remplaçant par
pure, le colorant se diffusa une suspension de cellules d'algues. Que le sel soit du
lentement, comme prévu; dans chlorure de potassium ou d'autres sels communs n'eut
l'eau salée (4 M KCI), extrême- pas non plus d'influence : nous notâmes toujours une
ment rapidement. différence qualitative entre la diffusion dans l'eau pure
et dans l'eau salée.
Ces expériences nous montrèrent à quel point la diffusion réelle et la diffu-
sion théorique pouvaient différer. L.'.équation de diffusion est peut-être simple,
facile à appliquer et permet de faire des prédictions correctes dans certaines
conditions restrictives; il n'en demeure pas moins qu'elle est incapable de fournir
une explication générale de la propagation des molécules.
Quel est le problème avec cette théorie ?
L.'.équation de diffusion dérive du concept de mouvement thermique : les
substances se diffusent en raison de l'agitation des molécules qui les composent.
Cependant, si une énergie externe alimente cette agitation (Chapitre 9), elle
devrait alors également propulser la diffusion ; sans l'introduction d'un terme
énergétique, il ne faut pas s'attendre à ce que l'équation de la diffusion fonctionne
convenablement. Introduire cette notion d'énergie dans une théorie modifiée
pourrait constituer une première étape intéressante, bien que non évidente à
réaliser (Fig. 11.3, haut).
Une seconde étape serait de tenir compte des forces qui «détournent». Une
charge localisée détournerait les solutés de leur comportement normal comme
une femme séduisante attirerait l'attention des marins ivres (Fig. 11.3, bas). Les
solutés se déplaceraient dans des directions prévisibles : en s'approchant de la
charge localisée, ou en s'en éloignant.
La diffusion n'est donc pas simplement une question de température, de taille
de particules et de viscosité d'un milieu comme l'énonce l'équation de la diffusion

186
Fig. 11.3 Analogie de la
diffusion. Les mouvements de
diffusion sont dirigés par une
énergie externe (haut) et sujets à
des agents détournants (bas).

classique (Chapitre 9). Pour pouvoir faire des prédictions correctes, la théorie
doit tenir compte de l'énergie incidente absorbée, ainsi que de toutes les charges
détournantes susceptibles d'être présentes; c'est seulement sous ces conditions
que la théorie commencerait à refléter la réalité.
Imaginons à quoi devrait ressembler une théorie plus adéquate. Tout d'abord,
elle devrait s'intéresser au rôle central que joue l'énergie externe. L.'.énergie absor-
bée forme des zones d'exclusion autour des particules et des molécules. Ces ZE
séparent les charges, ensuite soumises aux caprices des charges détournantes ;
celles chargées positivement attireront les ZE négatives et tous les groupes OH-
disponibles, tandis que celles chargées négativement attireront les ZE positives
ainsi que les ions hydronium. Une énergie incidente plus élevée intensifiera ces
attractions. Pour faire court, ces attractions dépendantes d'une énergie sont plus
qu'un phénomène secondaire: des forces activées par une énergie et dépendantes
des charges dirigent largement les mouvements de diffusion.
Nous voyons donc que la diffusion d'un soluté s'apparente beaucoup à la
façon dont vont se disperser des matelots ivres : si vous voulez connaître la

187
Pourquoi l'eau pure et l'eau salée ne se mélangent-elles pas
facilement ?
La difficulté qu'a l'eau pure à se
mélanger avec de l'eau salée pourrait être
une conséquence du mécanisme « même
aime même ». Des zones d'exclusion enve- eau
loppent les molécules de sel ;4 lors de leur
formation, ces ZE génèrent des charges de
signe opposé qui vont se séparer, créant
ainsi des attractions du type « même aime ,_ .
même». Lorsque la concentration en sel est
suffisante, ces ZE s'assemblent de manière
à former des réseaux ordonnés comme des
cristaux colloïdaux (voir Chapitre 8). En
effet, de nombreuses preuves basées sur
la dispersion optique confirment que les
molécules de sel dissoutes se regroupent
sous forme d'amas massifs contenant de
l'eau ;5 ceux-ci peuvent rappeler des cristaux
colloïdaux.
L'eau ne peut pas facilement pénétrer
Avec de fortes concentrations de sel, dans un «cristal,, d'eau salée.
l'eau-ZE devrait dominer l'espace structurel. Les ZE excluent pratiquement tout, même l'eau
présente dans le reste du volume (voir Fig. 11.6 plus loin). Ainsi, toute eau se trouvant à
côté du réseau structuré par la présence de sel devrait en rester séparée, même après une
longue période de temps. Une telle persistance dans la séparation expliquerait la difficulté
qu'éprouve l'eau d'un fleuve à se mélanger avec de l'eau salée.

localisation des marins à un moment donné, il sera nécessaire de prendre en


compte l'énergie qui les anime et ce qui peut les distraire.

!!osmose : un autre phénomène incertain


Sachant à présent ce qu'est la diffusion, passons à présent à l'autre face du
phénomène : l'osmose, le mouvement de diffusion de l'eau elle-même. L'eau étant
une molécule, elle devrait se comporter comme toutes les autres molécules : ses
mouvements diffusifs devraient se conformer aux mêmes principes, y compris
ceux résultant de sources d'énergie externes et des distractions basées sur la
charge.

188

1

Fig. 11.4 Expérience classique


pour observer l'osmose. L'eau
peut traverser la membrane, mais
0 0

pas les solutés. L'eau se déplace


du compartiment contenant
0 •

la plus faible concentration en


solutés vers le compartiment
La théorie dominante de l'osmose ne prend pas contenant la plus haute
en considération la question de l'énergie mais elle concentration, ce qui a pour
tient au moins compte des forces détournantes, effet d'élever le niveau de l'eau à
les solides. On dit que les solides en suspension ou gauche.
dissous « attirent » les molécules d'eau, se diffusant
alors vers ces solutés. Ici, on ne conçoit pas l'attrac-
tion comme une force reposant sur la charge mais en terme de « concentration » :
les molécules d'eau se déplaceraient des régions où elles sont très concentrées
(comme l'eau pure) vers les régions où elles le sont moins en raison de la présence
de solides ; selon cette théorie, l'eau serait attirée par les solutés.
Suivant cette idée, des scientifiques, dont Einstein, ont adopté une approche
que l'on pourrait qualifier de « garfieldienne » de l'osmose: ils y voient un écou-
lement passif d'eau semblable à celui des connaissances évoqué à l'ouverture de
ce chapitre. La concentration de l'eau s'égaliserait comme celle en particules par
la diffusion. Toutefois, l'osmose ne peut pas être passive. Si des mouvements
diffusifs étaient à la base de l'osmose et si l'énergie absorbée les dirigeait, celle-ci
devrait alors y jouer un rôle ; la contribution de l'énergie absorbée ne peut tout
simplement pas s'évanouir pour des convenances théoriques.
Mais alors, pourquoi l'eau se déplace-t-elle?
La plupart d'entre nous ont appris à l'école les grandes lignes suivantes :
l'osmose se produit car tout tend vers l'équilibre, et l'eau « essaie » d'égaliser sa
concentration. Ainsi, lorsqu'une membrane sépare deux compartiments, les molé-
cules se déplacent vers le compartiment contenant le plus de solutés (Fig. 11.4).
Ceci se produirait car les molécules d'eau rebondiraient dans un mouvement
thermique sans fin ; si elles peuvent traverser la membrane, les concentrations
chercheraient à s'égaliser dans les compartiments respectifs, ce qui élèvera le
niveau d'eau dans le compartiment contenant les solutés.
Cette explication n'est pas la seule. Cela fait plus de trois siècles que les scien-
tifiques débattent du mécanisme de l'osmose, offrant tout un éventail de propo-
sitions toujours en discussions. Les différentes théories avancées évoquent : une
théorie de la concentration de l'eau ; une théorie du bombardement de solutés ;
une théorie de l'attraction des solutés ; une théorie de la tension de l'eau ; ainsi
qu'une variante de cette dernière dont il sera question dans un livre à paraître
d'un collègue australien, John Watterson. Des arguments méritoires viennent
étayer chacune de ces propositions, mais aucune d'elles ne semble en mesure

189
d'expliquer l'ensemble du phénomène ; de ce fait, aucune n'a jamais acquis une
reconnaissance universelle. Le résultat est que nous n'avons toujours aucune
explication claire pour rendre compte du phénomène de l'osmose.

L'osmose comme épiphénomène


Il est possible que le mécanisme osmotique soit resté imprécis pour la bonne
raison que personne n'imagina prendre en compte l'énergie absorbée dans ce
processus, les mouvements régis par l'énergie étant un concept étranger. Une
autre raison est que dans l'expérience standard avec une membrane servant à
étudier l'osmose, personne n'a manifestement réalisé que la membrane de sépa-
ration elle-même jouait un rôle décisif ; elle était considérée comme une barrière
passive bloquant les solutés tout en laissant passer d'un compartiment à l'autre
les molécules d'eau plus petites.
Nous savons maintenant que les membranes hydrophiles comportent des
zones d'exclusion. Si des ZE se forment de chaque côté de la membrane, cela
signifie que les deux compartiments contiennent de l'eau protonée. Et si les
concentrations en eau protonée diffère dans les deux compartiments, alors un
gradient de protons se situe au niveau de la membrane. Comme je vais le montrer,
un gradient de protons de ce type obligera des ions hydronium à traverser la
membrane, ce qui aura pour effet de déplacer de l'eau d'un compartiment à l'autre.
Nous voyons donc que la membrane elle-même pourrait être un protagoniste
important dans le phénomène de l'osmose, créant un gradient d'ions hydronium
propulsant le flux osmotique. En revanche, cet hypothétique mécanisme soulève
une question épineuse : cette paroi de ZE constituerait une barrière que les molé-
cules d'eau devraient nécessairement traverser pour passer d'un compartiment à
l'autre. Comment de l'eau pourrait-elle franchir une telle paroi?
Nous souhaitâmes vérifier l'hypothèse d'un gradient de protons, espérant
résoudre dans le même temps ce délicat problème de franchissement. Pour tes-
ter cette hypothèse, nous nous servîmes du kit standard : deux compartiments
contigus séparés par une membrane ordinaire (voir Figure 11.4). Nous utilisâmes
une membrane standard dont on présume les pores suffisamment larges pour
laisser passer l'eau mais pas les solutés. Nous pûmes ainsi suivre les mouvements
de l'eau en direction du compartiment contenant les solutés ; nous pûmes aussi
examiner les deux côtés de la membrane au microscope.
Ces observations nous permirent de confirmer ce que nous pensions. 6 Tout
d'abord, nous confirmâmes la présence de zones d'exclusion de chaque côté de
la membrane. Nous n'en vîmes pas seulement à côté de la membrane en acétate
de cellulose généralement utilisée dans les expériences d'osmose, mais aussi à

190

1
1
1
1
I'- +
+
•-· -
0
++
côté d'une membrane en Nafion qui produisit des flux
osmotiques similaires.
Cependant, dans les deux cas, les deux zones
+
<> +
eau salée
0
.-
1

eau
+
++

d'exclusion différaient en taille (Fig. 11.5). La surface


0
+ 0
+
- + +
+
de droite de la membrane, exposée à de l'eau pure, 0
+ +
+ +
0 + ~
aurait dû présenter une zone d'exclusion d'une taille +
ordinaire - ce qui s'avéra bien être le cas. La surface
de gauche faisait quant à elle face à une solution
d'eau salée ; on sait que le sel diminue la taille des Fig. 11.5 Expérience classique
ZE.7 De fait, la ZE de la partie gauche de la membrane sur l'osmose, avec des zones
s'avéra en effet bien plus petite. d'exclusion et des protons
Et les protons ? Le compartiment situé à droite distribués de façon asymétrique
devait contenir un grand nombre de molécules de chaque côté de la membrane
d'eau protonées du fait de la grande ZE jouxtant la séparatrice.
membrane. Celle de gauche, bien plus petite, devait
donc générer moins de protons. Des mesures de ten-
sion au niveau de la membrane confirmèrent que le compartiment de droite était
en effet notablement plus positif que celui de gauche. Ainsi, le gradient électrique
attendu s'avéra bien réel.
Réfléchissons à présent au destin des ions hydronium de notre partie
droite. En tant que molécules d'eau chargées positivement, les ions hydronium
se repoussent les uns les autres et cherchent à s'échapper du compartiment de
droite ; la destination évidente est le compartiment de gauche qui contient moins
de charges positives et possède donc un potentiel électrique inférieur. Les molé-
cules d'eau protonée doivent donc s'écouler vers la partie gauche, générant le
« flux osmotique » qui durera jusqu'à ce que le gradient à l'origine s'épuise.

Le scénario ci-dessus décrit un rôle de la membrane dans l'attraction osmo-


tique ; en effet, il nous montre comment l'asymétrie dirige l'écoulement de l'eau
protonée. Cependant, la membrane n'est pas le seul agent attracteur ; les molé-
cules de sel elles-mêmes facilitent l'attraction ; je vous apporterai plus d'explica-
tions dans un instant.
Ce modèle comporte de profondes implications énergétiques. L.'.énergie
rayonnante absorbée permet la formation de ZE qui séparent les charges et ali-
mentent ainsi l'écoulement. Nous voyons donc que l'osmose est propulsée par
l'énergie. Cette conclusion contraste fortement avec la compréhension du phé-
nomène que l'on retrouve dans toutes les théories rivales, à savoir que l'osmose
serait un processus passif ne nécessitant aucune énergie. Non, l'osmose a besoin

191
d'énergie. Obtenir quelque chose sans contrepartie est
un expédient que même la nature ne peut accomplir.

.:. __ ---~:. __~ _ --- -- Des barrages avec des trous


En ce qui concerne l'écoulement osmotique, nous
n'avons toujours pas résolu le problème de savoir
comment les ions hydronium parviennent à traverser
la barrière apparemment impénétrable des zones d'ex-
clusion.
Une pénétration directe est improbable en raison
de l'étroitesse des pores des ZE. L'hexagone unitaire est
déjà tout juste assez grand pour permettre le passage
Fig. 11.6 L'eau ne parvient pas à d'une molécule d'eau; l'ouverture réelle est encore plus
pénétrer dans la Zf réduite du fait que les plans contigus des trames de ZE
sont en décalage (Fig. 4.15), ce qui réduit d'environ
trois fois le passage ; une molécule d'eau ne pourrait
pas passer à travers.
Un accident confirma cette prévision. Un matin, un étudiant effectuant une
expérience sur l'osmose, se servant pour cela d'un dispositif semblable à celui
sur la Figure 11.5 remarqua avoir oublié de nettoyer son matériel en quittant le
laboratoire la veille au soir. Le compartiment contenant de l'eau salée s'était vidé
à cause d'un problème d'étanchéité ; celui de l'autre côté de la membrane était
quant à lui resté plein . La membrane n'avait pas permis le passage de l'eau pure.
Cela nous surprit tout d'abord, pour la bonne raison qu'il est évident que de l'eau
passe à travers la membrane au cours d'une expérience d'osmose.
Les expériences suivantes confirmèrent ce résultat : laissant vide depuis le
début de l'expérience le côté accueillant normalement l'eau salée, et remplis-
sant l'autre côté d'eau pure, nous ne constatâmes pas d'écoulement à travers
la membrane ; même en penchant le dispositif à 90° pour bénéficier des effets
de la gravité, l'eau refusa de descendre dans le compartiment resté vide situé en
dessous (Fig. 11.6).
Nous faisons face à un paradoxe : bien que la trame de la zone d'exclusion
soit apparemment trop fine pour permettre le passage de l'eau en vrac, celle-ci
pouvait évidemment s'écouler d'un compartiment à l'autre au cours de l'osmose.
Nous étions dans la confusion la plus totale.
C'est une observation visuelle qui résolut finalement ce paradoxe (Fig.
11.7). Bien que des zones d'exclusion couvrent généralement l'intégralité de la
membrane, ce n'est pas le cas dans les expériences d'osmose : une exploration

192
oc

ià a
0 +
+
Fig. 11.7 Brèches dans
+ + la ZE observées au
0 0
+ + microscope (gauche).
0 +
+
1EZ 0

0
0

I' EZ
+ + +
+
+
Ces brèches se forment
lorsque des charges
um ~ 1 + positives pénètrent
1 50
..~
0 6 1 1
+ + dans la ZE chargée
négativement et qu'elles
microscopique révéla la présence de brèches éton- l'érodent localement
namment grandes. 6 Ces brèches sont des sortes de (droite).
portails à travers lesquels l'eau peut facilement passer,
exactement comme à travers de trous creusés dans
une digue. Le paradoxe était résolu.
Qu'est-ce qui provoquait ces brèches? Les ZE se développant génèrent loca-
lement des protons. Ceux-ci peuvent traverser la membrane au niveau des régions
où des ZE n'ont pas encore commencé à se former pour rejoindre le compartiment
de gauche (Fig. 11.7, droite). Ce flux inhibe la formation de ZE dans ces régions
qui y resteront par conséquent incomplètes, comme observé.
Les brèches dans la zone d'exclusion ne sont pas propres au phénomène
de l'osmose; nous en avons également observées dans des ZE jouxtant certains
métaux (voir Chapitre 12) ; on les présume également autour des cellules, là où les
molécules doivent sortir ou entrer à travers une ZE par ailleurs enveloppante. En
fait, des gradients de charge entre l'intérieur et l'extérieur de la cellule pourraient
diriger un flux comme ils le font pour celui observé au cours de l'osmose.

L'attraction salée
Une autre question concerne le rôle des molécules de sel. Des ZE se forment
autour de celles-ci (ou d'autres solutés), et nous pouvons nous demander le rôle
qu'elles jouent dans l'attraction osmotique.
Considérez la Figure 11.8 Avec des ions hydronium positifs jouxtant la
membrane sur son côté droit, les particules de sel enveloppées de ZE chargées
négativement devraient s'agglomérer sur le côté
gauche ; c'est une simple question d'attraction. Ces + 0
0
+
ZE chargées négativement restent bloquées sur place,
+ 0 +
ne pouvant pas traverser la membrane. Leur présence 'o. q

attire les ions hydronium vers la gauche. Ce flux main- + +


o +
tient les brèches dans la ZE du côté droit et permet un + ~+ + +
écoulement continu d'ions hydronium à travers cette 0 0
+ + +
+ +
dernière. ·0 +
+ + D. D El +
Par conséquent, les ions hydronium se déplacent 0 +
de la droite vers la gauche non seulement parce que la 0 + 0 +
répulsion les chasse du compartiment de droite, mais
Fig. 11.8 L'agglomérat de ZE
contre la membrane attire des
ions hydronium vers la gauche.
aussi - et peut-être essentiellement - car des ZE négatives exercent une force de
traction renforçant leur écoulement vers la gauche.
Ce dernier mécanisme nous amène à une déclaration d'ordre général au
sujet de l'osmose. Nous avons décrit plus haut la configuration expérimentale
standard pour étudier l'osmose : deux compartiments remplis d'eau, l'un avec
forte concentration en sel et l'autre faible, le tout séparé par une membrane. Ce
dispositif génère un grand nombre d'ions hydronium dans l'un des compartiments
et un grand nombre de charges négatives de l'autre côté de la membrane. Cela
provoque un flux d'ions hydronium, élevant ainsi le niveau de l'eau dans le côté le
plus salé (Fig. 11.4).
Néanmoins, cette configuration particulière n'est pas la seule où des charges
sont séparées. Tout agglomérat d'ions hydronium séparé générera un écoule-
ment : ces molécules d'eau chargées positivement se déplaceront inévitablement
vers les ZE chargées négativement. Cet écoulement est le flux osmotique.
Nous voyons donc que les membranes ne sont pas nécessaires; une membrane
n'est finalement qu'un artifice pratique pour séparer les ions hydronium positifs
des charges négatives. Qu'il y ait une membrane ou non, le principal protagoniste
de l'osmose est l'ion hydronium, créé par /'absorption d'une énergie externe. Les
ions hydronium se déplacent toujours vers les charges négatives.
On peut se demander pourquoi ces gradients de charge électrique n'ont
jamais été détectés auparavant. Après trois siècles d'étude de l'osmose, on aurait
pu penser que quelqu'un les aurait observés. En fait, tel est bien le cas : dans
des expériences à présent célèbres effectuées il y a un siècle de cela, 8 Jacques

DIFFUSION
Fig. 11.9 Résumé
des mécanismes de
+
diffusion et d'osmose +
'"'°"'
des solutésde ZE
• fo<m•tioo

) (.
) +
soulignant leurs la charge +
énergie • séparation des charges externe
caractéristiques rayonnante + impacte la
• mouvements browniens dispersion
communes.
+ +
+

OSMOSE

formation de ZE autour
des solutés et des + +
• interfaces )
de la membrane
énergie ) charge t
++ + + laexterne
• séparation des charges (
rayonnante impacte
• un gradient électrique l'accumulation
dirige les ions hydronium +
+
Loeb a établi la présence d'une différence de potentiel électrique d'un côté de la
membrane osmotique par rapport à l'autre.
Malheureusement, cette découverte fondamentale semble être passée ina-
perçue dans l'enthousiasme suscité alors par les expériences à l'échelle molécu-
laire. Cette différence de potentiel électrique est clairement présente : comme
Loeb l'avait pertinemment pressenti en son temps, sa présence joue assurément
un rôle dans le mécanisme de la circulation osmotique.
losmose fonctionne ainsi essentiellement de la même manière que la diffu-
sion (Fig. 11.9). Des gradients de charge gouvernent ces deux types de flux ... et ils
tirent leur origine de l'énergie rayonnante absorbée.

Couches-culottes et gels
losmose se produit dans la vie quotidienne; des exemples ordinaires avec les
gels et les couches-culottes illustrent ces principes tout juste élucidés.
Les gels contiennent d'énormes quantités d'eau. Les desserts à base de géla-
tine se composent à 95% d'eau, et des gels utilisés en laboratoire en renferment
parfois jusqu'à 99.95%. 9 Les couches-culottes présentent des caractéristiques
similaires : elles peuvent absorber plusieurs fois leur poids en eau, et c'est tant
mieux pour des questions de confort. Cette capacité de rétention prend tout son
sens quand on sait que l'eau de type ZE peut s'accrocher aux surfaces hydrophiles
situées à l'intérieur de la couche et que ces ZE peuvent être de très grandes tailles.
linvasion débute lorsque la structure hydrophile et sèche du gel (ou de la
couche) se retrouve exposée à l'eau. leau fait plus que simplement remplir les
espaces vides de la structure ; elle étend cette dernière. En l'espace de quelques
secondes ou minutes, la structure va gonfler pour atteindre parfois des dimen-
sions impressionnantes. losmose est ici de toute évidence à l'œuvre puisque l'on
observe de l'eau s'écouler vers des solides.
Comment ce flux massif se produit-il?
Lorsque le gel sec est plongé dans de l'eau, les couches superficielles de la
structure et les brins de polymères qui dépassent commencent immédiatement à
s'hydrater. Des ZE se forment, et des ions hydronium commencent à s'accumuler
plus loin. Si le maillage possède une charge négative, les ions hydronium commen-
ceront à se déplacer vers l'intérieur, dans la structure proprement dite.
Une charge négative est typique des structures hydrophiles, pour plusieurs
raisons, entre autres car les polymères eux-mêmes sont généralement négative-
ment chargés ; de plus, même des polymères « secs » renferment un peu d'eau-
ZE pratiquement impossible à retirer. Par exemple, le papier (cellulose) contient

195
généralement 7 à 8 % d'eau ; même plusieurs jours de séchage dans un four ne
parviendront pas à l'éliminer. Ainsi, un grand nombre de charges négatives dans la
structure ne manqueront pas d'attirer ces ions hydronium à l'intérieur, entraînant
inévitablement à leur suite les molécules d'eau dipolaires contiguës. La structure
commence ainsi à se remplir d'eau et d'ions hydronium ; c'est un flux osmotique,
les ions hydronium se déplaçant vers les charges négatives.
Imaginez la suite des événements. L'eau qui entre four-
nit les matériaux nécessaires à la construction de nouvelles
couches de ZE ; à mesure qu'elles se forment sous l'action
de l'énergie incidente, elles libèrent des protons ; les molé-
cules d'eau protonées pénètrent plus profondément dans
la structure négative, en y apportant plus d'eau, et ainsi de
suite. Bientôt, tout le gel sera rempli d'eau. Arrivé à ce stade,
toutes les surfaces de la structure possèdent d'importantes
ZE avec des poches intermédiaires remplies d'eau protonée.
Comment l'afflux osmotique prend-il fin ? Certaine-
ment pas par la neutralisation de la charge de la structure,
car même les gels bien pleins restent négativement char-
gés. Des microélectrodes placées sur ces gels révélèrent
des potentiels électriques négatifs (voir l'exemple de la
Fig. 4.7). Par conséquent, même les structures gonflées
devraient conserver leur capacité à attirer de l'eau protonée
à l'intérieur.
Cet argument laisse entendre que le gel pourrait
s'étendre à l'infini ; néanmoins, des contraintes méca-
niques vont limiter son développement. Une structure
élastique pourra accueillir une grande quantité d'eau avant
d'atteindre ses limites d'élasticité et que le flux s'arrête,
une structure rigide atteindra ses limites d'accumulation
plus tôt ; dans tous les cas, lorsque la force de résistance
mécanique entrera en équilibre avec la force de traction
osmotique.
À ce stade, le gel renferme une grande quantité d'eau-
ZE ; les poches entre ces ZE contiennent de l'eau
Fig. 11.10 Gonflement induit protonée. Cette eau protonée va adhérer aux ZE
par hydratation. La structure négatives et restera à l'intérieur du gel jusqu'à ce que
hydrophile est initialement sèche ce dernier subisse une pression. Votre dessert à base
(haut). Le versement d'un peu
d'eau provoque une expansion
(deuxième image). Une fois
le cylindre déroulé, on peut
à présent s'essuyer les mains
(images du bas).
de gélatine se comportera de la même façon, tout comme les couches-culottes de
votre enfant.
Un incident amusant confirma la nature de l'attraction osmotique. Lors d'un
récent séjour à Pise, un collègue m'emmena dans un fameux restaurant local. Une
fois installés, nous pûmes voir la serveuse faire un véritable tour de magie en
plaçant cérémonieusement un petit cylindre blanc dans nos
assiettes (Fig. 11.10, haut). Comme ces choses étaient dans nos
assiettes, je pensai instinctivement qu'elles étaient comestibles
et qu'il s'agissait peut-être de quelque fruit de mer exotique.
Exotiques, elles l'étaient : lorsque la serveuse versa un peu
d'eau dessus, ces derniers s'animèrent comme si on les avait
aspergés d'eau bénite : ils se mirent magiquement à grossir
jusqu'à atteindre cinq fois leur hauteur initiale (Fig. 11.10, deu-
xième illustration).
Ces choses n'étaient finalement pas comestibles ; il s'agis-
sait en fait de rubans fibreux roulés en cylindres étroits et
ramassés. En se déroulant, le ruban hydraté se révéla n'être rien
d'autre qu'un linge humide pour se laver les mains (images du
bas). Ce matériau, rappelant ceux des couches-culottes, avait
été brillamment compressé de manière à former un cylindre
compact, prêt à l'emploi.
Le sujet du maillage revêtait un intérêt particulier car nous
avions récemment commencé à étudier son hydratation à l'aide
d'une caméra infrarouge : plaçant une goutte d'eau sur un tissu
plat ,pendant qu'elle s'étalait, la caméra infrarouge détectait en
permanence une zone « chaude » à sa limite ; autrement dit, le
bord de l'eau générait une grande quantité d'énergie infrarouge
(Fig. 11.11). Cette observation devient finalement logique, les
charges en mouvement générant de l'énergie infrarouge. Les
ions hydronium qui avançaient (les charges en mouvements au
bord de l'eau qui s'étale) étaient les responsables de cette forte
émission d'infrarouges. Ces charges ouvraient la marche.
Ainsi, les charges dirigent la pénétration de l'eau dans des
structures hydrophiles de polymères, comme pour les courants
d'eau vers les solutés. Dans ces deux phénomènes osmotiques,
on retrouve l'idée des ions hydronium attirés vers des charges
négatives. Et tous deux sont alimentés par une éner-
gie externe qui va séparer les charges responsables Fig. 11.11 Séquence d'images
de l'attraction osmotique. infrarouges d'une goutte d'eau
s'étalant sur une serviette;
Je bord extérieur présente
une région « chaude » durant
l'étalement.
Blessure et gonflement

L'osmose joue un rôle dans la fonc-


tion cellulaire. La cellule étant pleine de
protéines chargées négativement, il est
normal que le cytoplasme génère une
attraction osmotique (appellée commu-
nément pression osmotique) similaire à
l'attraction osmotique des gels, tissus
et couches-culottes. Les physiologistes
connaissent bien ce phénomène.
Exemple d'un gonflement après une blessure.
Toutefois, une caractéristique sur-
prenante des cellules est leur teneur en pour gonfler le tissu. À ce stade, nous
eau relativement modeste. Comparé au savions que l'expérience était fichue.
rapport 20 pour 1 de nombreux gels ordi-
Un gonflement se produit de la
naires, le rapport eau-solide de la cellule
n'est que de 2 pour 1. Les nombreuses même manière lorsque les tissus du corps
macromolécules chargées négativement subissent une blessure, notamment suite
de la cellule devraient générer une forte à une luxation. La blessure va désorgani-
attraction osmotique ; pourtant, la teneur ser les macromolécules fibreuses et leurs
en eau dans la cellule demeure faible. liaisons et éliminer ainsi les forces restric-
Cette teneur limitée en eau pourrait tives empêchant normalement l'osmose
être une conséquence de la rigidité des de se produire ; l'expansion osmotique
réseaux macromoléculaires ; composés peut dès lors se dérouler quasiment sans
entrave.
généralement de biopolymères réticulés
tubulaires ou à brins multiples, la rigidité La raison pour laquelle le gonflement
qui en résulte empêche le réseau cellulaire peut parfois être très impressionnant
de s'étendre à son plein potentiel osmo- est que la désorganisation survient pro-
tique. gressivement. La rupture d'une liaison
Cependant, si ces liaisons venaient provoquera une tension plus grande sur
à rompre, laforce d'attraction osmotique les liaisons voisines ; la désorganisation
prendrait pleinement effet ; le tissu pour- progresse ainsi comme une fermeture
rait alors s'étendre énormément. Lors Éclair. Lorsque cela se produit, l'afflux
d'expériences sur fibres musculaires, nous d'eau osmotique dans le tissu peut se
pûmes souvent constater cette expansion poursuivre presque indéfiniment. En
lorsque les pinces de l'expérimentateur résulte l'énorme gonflement que l'on voit
glissaient par inadvertance et que des souvent apparaître immédiatement après
blessures locales créaient un nœud une blessure. Le tissu reprendra un aspect
atteignant rapidement jusqu'à dix fois le normal seulement lorsque les liaisons se
diamètre du reste de la fibre. La structure seront réparées ; la structure retrouvera
était localement rompue, et de l'eau était alors sa configuration naturelle avec des
de toute évidence arrivée de l'extérieur restrictions normales.
En résumé

On pensait que le sel exerçait une attraction au cours des phénomènes d'os-
mose. Mais nous avons découvert que tel n'était pas vraiment le cas. Le sel ou
d'autres solutés/particules forment des ZE négatives autour d'eux, attirant ainsi
des ions hydronium positifs ; c'est ce gradient électrique qui va alimenter le flux
osmotique.
Le processus d'osmose est donc une conséquence de l'absorption d'énergie
rayonnante incidente. Cette énergie sépare les charges, ce qui va propulser le flux.
L'osmose n'est pas la force naturelle élémentaire que la théorie conventionnelle
du mouvement brownien prétend (Chapitre 9).
Comme l'osmose, la diffusion est un processus de mélange. La diffusion
concerne un mouvement de solutés plutôt que celui de solvants. La force motrice
à l'œuvre est une fois encore une énergie externe qui sépare les charges, et ce
sont là encore ces charges séparées qui vont propulser les excursions entrainant
le mélange.
On constate donc que les questions de l'osmose et de la diffusion sont simi-
laires : les deux nécessitent de l'énergie, et la séparation des charges produite par
l'énergie est centrale à ces deux types de mouvements. On pourrait voir l'osmose
et la diffusion comme sont des conséquences naturelles de l'énergie solaire.
Si la fréquence d'apparition au fil de ces pages des termes « énergie » et
« charge ,, vous a frappé, c'est que vous avez une bonne perception des choses ;
la partie suivante continuera dans la même veine. Nous commencerons par l'ex-
ploration de phénomènes simples du quotidien, allant de pourquoi la glace est
glissante à pourquoi vos articulations ne grincent pas. La séparation des charges
apportera des réponses étonnamment simples.

199
Cette partie débute par les fondamentaux et les développe afin de
déterminer dans quelle mesure les concepts précédemment établis peuvent
nous aider à mieux comprendre des phénomènes de la vie de tous les jours,
de la puissance de nos piles à la coalescence des bulles.
Si un grand nombre de ces nouvelles conceptions sont bien prouvées,
d'autres pourraient n'être que provisoires car il règne une telle obscurité
sur ces domaines qu'une nouvelle lumière ne saurait éclairer l'ensemble ; je
ne manquerai pas de vous prévenir à chaque fois que nous évoluerons sur
le terrain de la spéculation. Gardez à l'esprit le dessin ci-dessous qui vous
indiquera le niveau spéculatif d'une hypothèse.

pR\SE DE RISQUES
' .
4eme partie

Formes aqueuses
dans la nature
+ +

+
+
+
+ 1- + +
+ + + +
+ +
+
+ + ...
+ +
+
...
+ + +
+
+
+

...
+

+
+ +
12 Le pouvoir de l'eau protonée

A
' moitié assoupi au fond de la salle de chimie, je ne
parvenais pas à comprendre le message. J'étais
alors étudiant, et le sujet était le proton.
Toutes les personnes présentes savaient que les
protons sont des particules de charge positive étroi-
tement regroupées au sein de l'atome, mais le pro-
fesseur se mit à nous dire qu'un proton pouvait être
transmis. « Les acides, dit-il, donnent des protons ».
Ainsi, des protons devaient donc se trouver quelque
part à la périphérie de l'atome, ce qui m'ai lait très bien
si ce n'est que je ne voyais pas comment un proton
positif, qui adhérait déjà à un électron périphérique,
Un don pour la cause.
pouvait être aussi facilement « donné » ; je pensais
que des charges opposées seraient soudées comme
des aimants.
Le professeur poursuivit en décrivant toutes sortes de choses extraordi-
naires que ces protons pouvaient accomplir, allant de la réaction chimique au
fonctionnement d'une batterie, mais je ne pouvais toujours pas saisir la logique.
Manquant de confiance en moi et craignant de divulguer ma stupidité, je pré-
férai garder le silence, me condamnant ainsi à rester dans l'ignorance. Ce qu'un
chimiste ne devrait jamais faire ! Ces protons semblaient doués de toutes sortes
de mystérieux pouvoirs fonctionnels, mais en ce qui me concernait, la nature de
ces pouvoirs restait incompréhensible.
Il me fallut attendre de nombreuses années pour que les graines de la com-
préhension commencent enfin à germer; je vois à présent plus clairement ce qui
donne aux protons ces fameux pouvoirs. La magie repose sur trois caractéris-
tiques simples: tout d'abord, ils sont abondants, et la formation de ZE en génère
un nombre colossal. Ensuite, ces protons se fixent rapidement sur des molé-
cules d'eau, ces fusions moléculaires créant des molécules d'eau chargées qui
débordent d'énergie potentielle. Enfin, ces molécules d'eau à présent chargées
obéissent aux lois de la physique : elles vont se diriger vers les charges négatives
et s'écarter des charges positives.
Les pouvoirs des protons se réduisent en fait aux lois de l'électrostatique.
Celles-ci jouent un rôle clé dans le phénomène de l'osmose (Chapitre 11). Eten-
dons maintenant ce concept électrostatique simple afin de déterminer si une
demi-douzaine de phénomènes de la vie quotidienne résistant à l'explication

203
facile pourraient être compris en termes d'attractions
et de répulsions électrostatiques.

(i) La répulsion des protons réduit le


Fig. 12.1 Analogie de la friction. frottement
Lorsque la chaîne de montagnes Frottez deux surfaces lisses l'une contre l'autre ;
du haut entre en mouvement, la la résistance que vous sentirez provient d' « aspéri-
résistance crée de la friction. tés», microscopiques protubérances se projetant de
surfaces autrement lisses. Ces protubérances vont se
heurter, ce qui créera de la friction (Fig. 12.1).
Prenons le célèbre exemple du papier de verre. La Figure 12.1 illustre ce qui
se produit en frottant deux bandes de papier de verre l'une contre l'autre ; les
grains entreront en collision, et on dira que le coefficient de friction est élevé.
Toutefois, si on le frotte contre une surface lisse, le papier de verre présentera un
coefficient de friction plus faible ; une savonnette humide contre votre peau aura
un coefficient encore plus bas.
(a) Lorsque l'on regarde la Figure 12.1, il est facile
d'imaginer une méthode simple pour réduire la fric-
tion : il suffit d'éloigner les surfaces respectives de
manière à ce que les sommets n'entrent plus autant
en collision. Par exemple, supposons que les maté-
matériau hydrophile riaux en contact soient des polymères hydrophiles.
(b)
Sachant que les brins de polymères peuvent dépas-
ser des deux surfaces comme des poils de brosse, le
coefficient de friction sera important ; en effet, ces
brins ne peuvent faire autrement que de se percuter.
Néanmoins, si l'on introduit de l'eau entre ces sur-
faces polymériques, chacune comportera alors une
zone d'exclusion qui contribuera à écarter les maté-
riaux de surface ; cet écartement réduira la friction.
L.'.histoire eau-polymère ne s'arrête pas là: chaque
ZE de charge négative produira des ions hydronium
(Fig. 12.2) se repoussant les uns les autres ; ils
créeront une force répulsive capable d'écarter les
Fig. 12.2 Eau et frottement.
surfaces respectives. Si des mesures sont prises pour
(a) Les surfaces hydrophiles
empêcher ces ions hydronium de quitter la zone
peuvent contenir des aspérités
intermédiaire, les aspérités des surfaces pourraient
génératrices de frottement. (b)
rester pleinement séparées les unes des autres, ce qui
Lorsque l'on introduit de l'eau
donnerait ainsi un coefficient de friction très faible.
entre les deux, les surfaces
s'écartent sous l'effet des
forces répulsives entre les ions
hydronium.
Ces charges positives agissent collectivement comme des roulements à
bille. Elles empêchent leurs surfaces respectives d'interférer l'une avec l'autre, de
même que la répulsion magnétique empêche le Transrapid de Shanghai d'entrer
en contact avec les rails en dessous. Ici, les forces répulsives proviennent de
l'énergie rayonnante incidente : tant que de l'énergie rayonnante sera disponible
pour maintenir les zones d'exclusion et assurer la séparation des charges, des ions
hydronium rempliront l'intervalle et le frottement restera faible. Ainsi, la lubrifica-
tion à l'eau est moins onéreuse que celle à l'huile - pour ainsi dire gratuite si vous
savez exploiter correctement l'énergie du soleil.
Il existe cependant un danger : que ces ions hydronium s'échappent. Étant
donné qu'ils se repoussent les uns les autres, il est possible - et même probable
- qu'ils finissent par quitter l'espace étroit où ils se trouvent. Si suffisamment
d'ions hydronium s'échappent, le peu d'ions positifs qui resteront pourront très
bien coller ensemble les zones d'exclusion négatives et former ainsi une structure
cristalline qui s'étendra d'un matériau de surface à l'autre; une structure continue
de ce type pourrait effectivement coller ces matériaux ensemble.
Ce genre d'adhérence pourrait expliquer ce que l'on observe avec des lames
de verre : des lames de verre empilées face à face se séparent facilement si elles
sont sèches; en revanche, si une fine pellicule d'eau se trouve entre deux lames,
on risque d'avoir besoin de plusieurs chevaux pour les séparer (bien qu'il demeure
relativement facile de les faire glisser). L.'.effort conséquent nécessaire pour les
séparer pourrait refléter la formation d'une ZE continue d'une lame à l'autre et les
importantes forces (Chapitre 4) qui unissent ses couches.
En revanche, ces lames pourraient se séparer facilement si suffisamment
d'ions hydronium se trouvaient à mi-chemin entre les ZE respectives, mais il n'est
pas aisé d'arriver à cela avec la configuration des lames de verre en sandwich :
l'ouverture des bords permet à ces ions de s'échapper. Il est donc nécessaire de
maintenir ces ions hydronium en place si l'on souhaite obtenir un frottement
faible, et c'est précisément ce que font les systèmes aqueux à basse friction.
En fait, la lubrification à l'eau est loin d'être un phénomène étrange, et il
est possible d'en voir des exemples dans des situations de tous les jours ; nous
savons tous que les rondins humides sont glissants, et que les sols mouillés sont
plus dangereux que les sols secs. La lubrification à l'eau était la norme avant
l'arrivée des produits pétroliers, et elle fait aujourd'hui son retour. Une recherche
sur internet vous montrera toutes sortes de réponses, notamment dans l'industrie
alimentaire où la moindre contamination par du pétrole aurait de terribles consé-
quences ; en revanche, un peu d'eau dans de la nourriture n'aura pas vraiment
d'importance.

205
Pourquoi vos articulations ne grincent-elles pas ?

Les os exercent une pression mutuelle Pour qu'un tel mécanisme de répulsion
au niveau des articulations ; ils peuvent fonctionne réellement, il faudrait qu'un
également être amenés à faire des rota- barrage interne soit présent pour maintenir
tions lors de génuflexions ou de pompes. les ions hydronium en place, faute de quoi
On pourrait penser qu'une rotation sous la perte de charge compromettrait la lubri-
pression provoquerait une résistance fication. La nature a pensé à ce dispositif
frictionnelle avec moult grincements, mais de sécurité : une structure connue sous le
le frottement au niveau des articulations nom de capsule articulaire enveloppe l'arti-
reste remarquablement limité. Pourquoi ? culation. En restreignant la dispersion des
lextrémité des os est recouverte de ions hydronium, cette encapsulation main-
cartilage, et ce sont ces matériaux carti- tient un frottement faible. C'est pour cette
lagineux qui subissent véritablement la raison que vos articulations ne grincent
pression. Par conséquent, le problème du généralement pas.
frottement des articulations se réduit au
problème des surfaces cartilagineuses et
du liquide synovial qui se situe entre les
deux. Comment ce système se comporte-t-
il lorsqu'il est soumis à une pression?
Le cartilage se compose de matériaux
gélatineux ordinaires :, polymères forte- os
ment chargés et eau ; en d'autres termes,
le cartilage est un gel. Comme la surface capsule
des gels possède des zones d'exclusion, la ~articulaire
surface du cartilage devrait de même en _..P1r-- cartilage
comporter , et générer de nombreux ions liquide synovial
membrane synoviale
hydronium dans le liquide synovial. Ce
liquide lui-même pourrait créer des ions
hydronium supplémentaires à partir des
ZE se trouvant sur les molécules en son
sein. Ainsi, on trouverait de nombreux ions
hydronium entre deux surfaces cartila-
gineuses proches. La force répulsive des
ions hydronium devrait permettre de main-
tenir les surfaces du cartilage écartées, et En enveloppant l'articulation, la capsule empêche
certains scientifiques vont jusqu'à dire que la dispersion des ions hydronium présents dans
ces surfaces ne se touchent jamais. Cette le liquide.
séparation devrait expliquer le faible frot-
tement.
Des travaux modernes sur les polymères ont largement démontré l'efficaci-
té de la lubrification à l'eau. Des substances ordinaires glissant l'une sur l'autre
présentent généralement des coefficients de friction de l'ordre de 1 ; toutefois,
hydratées, ceux de ces surfaces polymériques peuvent descendre aussi bas que
0.00001. 1 L'hydratation peut réduire le frottement de plus de cent mille fois.
La raison de cet extraordinaire pouvoir de lubrification de l'eau était restée
obscure, mais nous pouvons à présent penser que les responsables sont les ions
hydronium : en se repoussant les uns les autres, ces ions positifs écartent les
aspérités entravant le glissement ; par conséquent, les surfaces peuvent glisser
l'une sur l'autre quasiment sans frottement.

(ii) Ecarter des surfaces


Cette « poussée des protons » peut non seulement réduire le frottement,
mais aussi écarter des surfaces.
Regardez les pyramides. La construction d'une pyramide nécessite de tail-
ler des blocs dans d'énormes masses de granit trouvés généralement dans des
carrières. Les Égyptiens avaient une astuce pour réaliser leurs découpes : ils insé-
raient dans les fissures des cales en bois qu'ils mouillaient ensuite (Fig. 12.3). Le
Soleil égyptien fournit une forte quantité d'énergie rayonnante attirant l'eau dans
le bois (Chapitre 11) ; les ZE en développement peuvent alors libérer des protons.
La pression produite par ces ZE en expansion, et notamment par la libération de
protons, était de toute évidence suffisante pour fendre une roche pourtant solide.
Si vous éprouvez quelques doutes quant à l'authenticité de cette ancienne
technique égyptienne, observez ce qui peut arriver lorsque
l'eau du sol fait gonfler les racines d'arbres plantés près
de trottoirs. Mon voisin Tom et moi-même avions planté
des ginkgos en face de nos maisons de style Tudor et nous
trouvions la présence de ces arbres très esthétique ... mais
pas les services de la ville de Seattle qui nous donnèrent
aussitôt l'ordre de les retirer; les agents nous expliquèrent
que les racines des ginkgo pouvaient exercer assez de
pression pour disloquer un trottoir. Ayant été personnel-
lement témoin du fait dans les quartiers très urbanisés de
Brooklyn où j'ai grandi, cela n'aurait pas été honnête de
ma part de vouloir négocier avec eux, même si je ne peux
m'empêcher de penser non sans une pointe de mélancolie
à quel point ces ginkgos auraient eu fière allure si on avait
bien voulu les laisser grandir...

Fig. 12.3 Fissuration de la roche


par mouillage.
La graine constitue un autre exemple simple de la pression exercée par les
protons. Les graines sont des plantes embryonnaires qui doivent briser leur
coquille en s'imbibant d'eau. La tâche est formidable: d'après les botanistes, 2 bri-
ser une coquille de graine exige une pression de plus de 40 kg par cm 2 - approxi-
mativement celle de trois hommes forts empilés sur un timbre poste.
Ayant à présent conscience de la magnitude de cette pression, vous com-
prendrez mieux la vérité derrière certaines légendes : des blocs de granit se fen-
dant sous l'action de jeunes plants de chêne poussant dans des fissures ; des
containers de métal se déformant lorsque les lentilles initialement sèches qu'ils
contiennent absorbent l'humidité de l'air; des navires se brisant en deux lorsque
de l'eau s'infiltre dans leur cargaison de riz. Dans chacun de ces scénarios, les
coupables présumés sont ces fichus protons. Tant que de l'énergie rayonnante
leur permettra de s'échapper, ces protons exerceront inévitablement une pression
qui pourra parfois atteindre des magnitudes étonnantes.

(iii) Rendre la glace glissante


Les protons peuvent aussi expliquer le caractère glissant de la glace.
Il se peut que vous vous représentiez la glace comme quelque chose de tota-
lement solide. En réalité, une fine pellicule d'eau s'étend à sa surface. Michael
Faraday a été le premier à suggérer la présence de ce film en 1842, faisant remar-
quer que cette eau pouvait expliquer la nature glissante de la glace. Depuis, de
nombreuses expériences ont confirmé la présence d'une pellicule. Il est certain
que l'on peut espérer patiner plus facilement si nos patins glissent sur de l'eau
liquide plutôt que de la glace solide.
Une abondance de protons dans cette couche d'eau réduirait encore plus le
frottement. Ceux-ci semblent bien être présents : la glace, si vous vous souvenez
du chapitre 4, se compose de couches de ZE maintenues ensemble par des pro-
tons. La glace fondue devrait donc contenir les mêmes éléments : des ZE et des
protons ; or, la présence de ZE dans la glace tout juste fondue a été confirmée. 3
Par conséquent, des protons devraient également être présents et contribuer à
réduire le frottement (Fig. 12.4) .
Toutefois, l'histoire ne s'arrête pas là. De nom-
breux protons supplémentaires sont créés par la
pression du patin. Tout le poids du patineur repose
+ + sur deux lames étroites, voire très souvent sur une
seule ; cela crée une pression équivalente à celle que
vous atteindriez en vous tenant debout, plusieurs
éléphants sur les épaules.
Fig. 12.4 Les protons séparent la
lame du patin de la glace dure.
La charge répulsive confère une
friction plus faible.
Appliquer une pression extrême peut compresser la glace et en éjecter les
protons situés entre les couches (Fig. 12.5, images a et b). Ceux-ci se retrouveront
alors à la surface de la glace, laissant des couches dépourvues de protons en
dessous. (Cette glace dénuée de protons est semblable à une zone d'exclusion ;
voir image c). Plus forte sera la pression, plus il y aura de protons extraits - une
propriété très intéressante quand on cherche à maintenir le caractère glissant
d'une patinoire.

(a) glace

notez l'emplacement
des protons (H')

(b) transition

les protons s'échappent;


les couches commencent à se réaligner

Fig. 12.S Effet de la pression sur


la glace. La pression extrait les
protons, ce qui convertit la glace
en eau-ZE.

(c) eau-ZE

209
En revanche, si les protons de surface sont perdus
par évaporation, il se peut que le côté glissant dispa-
raisse avec eux. Imaginez un cube de glace restant dans
un air sec quelques temps. Si vous vous saisissez du
cube, vos doigts y colleront. Si les protons ont été per-
dus par évaporation, la surface de la glace ne compor-
tera que des ZE chargées négativement ; cette charge
Fig. 12.6 Résultat malheureux négative générera une charge positive de valeur égale
d'une mésaventure à basse sur n'importe quelle surface proche, comme vos doigts ;
température. vos doigts vont donc adhérer à la glace. Si l'eau dans
votre peau vient en outre à geler, il se peut que la glace
et vous-même deveniez encore plus étroitement unis,
comme un enfant osant toucher un réverbère glacé avec sa langue (Fig. 12.6).
Ce scénario un peu collant me rappelle une histoire entendue de la bouche
d'un jeune couple de Seattle. Ces jeunes gens avaient prévu de se rendre en
plein hiver dans les Cascade Mountains pour boire quelques verres au milieu des
skieurs. La journée passa agréablement, mais le retour s'avéra plus long que prévu
et un besoin naturel se fit bientôt sentir. Quand la situation devint réellement cri-
tique, le conducteur n'eut pas d'autre choix que de se garer sur le bord de la route
pour permettre à sa nouvelle amie de faire ce qu'elle avait à faire. Galamment,
il détourna le regard lorsque celle-ci baissa son pantalon et s'appuya contre la

Les autres périls des icebergs


Les bateaux qui naviguent
dans des régions où des ice-
bergs sont en train de fondre
sont parfois ralentis, et même
dans certains cas, arrêtés de
force.wn La résistance qu'ils
rencontrent ne provient pas
nécessairement d'impacts
du type Titanic ; en fait, il se
trouve que l'eau fraîchement
fondue est épaisse et vis-
queuse. Il est possible que
cette forte viscosité soit due
à la forte concentration d'eau de type ZE provenant de la glace tout juste fondue qui
s'accumule. Les bateaux qui transitent par ces régions peuvent en être gênés dans leur
progression.
voiture gelée pour se soulager. Le soulagement fut bienvenu ... jusqu'au moment
où elle réalisa que le gel avait collé son postérieur contre le flanc de la voiture.
Si cette histoire peut vous faire sourire, vous devez aussi connaitre sa fin.
De toute évidence, la pauvre femme bouleversée ne pouvait pas rester là toute la
nuit. Pour libérer la demoiselle de ces chaînes inattendues, il fallait les faire fondre
rapidement, ce qui exigeait une source de liquide chaud. Avez-vous deviné où son
ami a trouvé celui-ci ?
Lidée principale est que la surface de la glace peut prendre deux formes
extrêmes : très collante, ou très glissante. La différence repose sur l'absence ou la
présence de protons à sa surface: l'absence de protons permettra aux substances
de coller en raison de l'adhérence électrostatique ; la présence de protons géné-
rera une force répulsive qui écartera les surfaces, ce qui produira le frottement
ultra-faible qui permet aux patins de pratiquement voler au-dessus de la glace.

(iv) Fonctionnement des batteries


Détournons-nous à présent des bassesses des fonctions urinaires pour le
domaine plus noble de l'énergie, et plus précisément celui des batteries. Celles-ci
délivrent de l'énergie électrique. Si les batteries modernes peuvent accomplir de
véritables prouesses, la batterie à base de pommes de terre, bien que peu puis-
sante, remplira essentiellement la même fonction : plongez simplement deux élec-
trodes en métaux différents dans une grosse pomme de terre (ou deux petites), et
voilà ! Vous avez suffisamment d'énergie pour alimenter une horloge numérique
(Fig. 12.7).
Il peut sembler surprenant que des matériaux aussi rudimentaires soient
capables de réaliser une grande partie de ce que les batteries modernes de
haute technologie accomplissent. Bien entendu, les
batteries artisanales généreront bien moins d'énergie
et elles dureront bien moins longtemps, mais elles
produisent de l'énergie à partir de composants simi-
laires : des électrodes différentes, l'une d'elles étant
en métal très réactif comme le zinc.
Même la batterie originale de Volta utilisait des
composants comparables. Inventée il y a plus de deux
siècles, la batterie de Volta se compose de disques
en zinc et en cuivre (puis par la suite en zinc et en
argent) séparés les uns des autres par des cartons ou
des linges gorgés d'eau salée. Ces couples métalliques
étaient ensuite superposés de manière à former une Fig. 12.7 Batterie à pomme de
terre. Les tomates fonctionnent
tout aussi bien, et si ces légumes
ne sont plus de saison, de l'eau
salée fera l'affaire.
Premiers concepts de
perceuse sans fil

~-~··CuivrtJ
~···· ~mkll•
- vvv
· ·~.ZJnc pile que l'on allait appeler fort à propos la pile
de Volta (Fig. 12.8).
Nous constatons qu'il existe des caracté-
ristiques communes aux différentes batteries,
qu'il s'agisse de l'invention originale de Volta,
des batteries à pommes de terre ou de nos
modernes piles alcalines : l'une des électrodes
flg. !83. - P ile de Volta. sera en zinc ou en tout autre métal réactif,
tandis que l'autre sera faite en une matière
Fig. 12.8 Pile originale dévelop- moins réactive. Entre les électrodes se trouve
pée par Volta. un milieu contenant des ions dont le rôle est de
maintenir la circulation d'un courant. On pense
généralement que la production d'énergie résulte de
réactions électrochimiques provenant de contacts entre les métaux : ces réac-
tions pousseraient les charges à travers le milieu contenant les ions et finalement
via les bornes, produisant ainsi l'émission d'énergie.
Bien que des réactions aient certainement lieu au niveau des interfaces, le
phénomène considéré plus haut dans ce livre pourrait avoir son mot à dire au
sujet de leur nature. Nous avons eu l'occasion de voir à de nombreuses reprises
l'énergie électromagnétique absorbée séparer les charges via le mécanisme de la
zone d'exclusion. Les batteries séparent également les charges. La question se
pose de savoir si la séparation des charges des batteries ne pourrait pas être une
séparation des charges de type zone d'exclusion.
Cette question a gagné en importance lorsque l'on a pris conscience de la
quantité d'énergie qu'une pile ordinaire pouvait délivrer. Prenons l'exemple de la
pile alcaline. On a utilisé des piles alcalines sous une forme ou sous une autre
depuis que Thomas Edison les a inventées il y a un siècle. Au cours de sa vie, une
pile AA alcaline peut délivrer jusqu'à lmA de courant pendant 1.400 heures. Le
produit de ce courant et du temps donne 5.000 coulombs; autrement dit, une pile
AA peut délivrer une charge de 5.000 coulombs. Un éclair ordinaire déchargeant
15 coulombs, nous voyons que la toute petite pile AA renferme suffisamment
d'énergie en son sein pour produire, en théorie, plus de 300 éclairs.
Est-il possible qu'une usine chimique
\JRI SE DE RISQUES aussi petite contienne autant d'énergie ?
Peut-être. Mais il se peut qu'une partie
de cette énergie provienne d'ailleurs,
c'est-à-dire des mécanismes d'absorption
d'énergie électromagnétique décrits plus
haut. Les produits de réaction pourraient
être les mêmes que ceux que l'on imagine
conventionnellement, mais l'énergie à l'origine de ces réactions proviendrait ici de
l'énergie électromagnétique absorbée de l'extérieur. Si la lumière visible est inca-
pable de traverser l'étui des piles, l'énergie infrarouge le peut. L'énergie infrarouge
absorbée par le revêtement de la pile est réémise à l'intérieur. Une telle énergie
pourrait-elle contribuer à ces performances remarquables observées?
Souhaitant savoir si des caractéristiques de type ZE apparaissaient à côté de
ces métaux réactifs, nous plaçâmes un morceau de zinc dans de l'eau. Ajoutant
des microbilles, nous vîmes aussitôt de grandes zones d'exclusion se développer
depuis sa surface (Fig. 12.9 a). Les ZE grossirent jusqu'à approximativement
200 µm. D'autres métaux réactifs ayant montré des caractéristiques similaires,
il semble plausible que la surface des métaux réactifs si communs dans les piles
pourrait séparer les charges comme d'autres ZE.
Nous vérifiâmes ensuite si les charges étaient véritablement séparées. Utili-
sant le même dispositif avec microélectrodes, nous fûmes récompensés en consta-
tant que les ZE étaient effectivement chargées. Les ZE situées à côté de métaux
réactifs étaient chargées positivement (Fig. 12.9 b): les colorants sensibles au pH
confirmèrent que l'eau au-delà de ces ZE contenait des charges négatives libres,
probablement sous la forme de groupes OH-. 4
Les charges étaient donc bien séparées près des surfaces de métaux réactifs,
même si la polarité était la moins habituelle. Nous réussîmes à obtenir des cou-
rants considérables à partir de ces charges séparées, 5 comme auparavant à partir
d'autres systèmes de ZE. Ce résultat nous parut fondamental : les piles exploitant
des métaux réactifs, et ceux-ci réalisant une séparation des charges basée sur le
principe des zones d'exclusion, cela implique qu'une partie au moins de l'énergie
de la pile pourrait provenir d'un apport d'énergie extérieure.
Une question demeurait : dans quelle proportion ? Nous considérons nos
piles modernes comme stockant toute leur énergie délivrable en leur sein, à la
manière d'une sorte d'entrepôt gardienné d'énergie chimique. Considérant la phé-
noménale émission d'énergie que produit une pile au
cours de sa vie, il est permis de se demander si tout
Fig. 12.9 Résultats obtenus avec une
cela est bien vrai. Il est certain que les piles absorbent
surface de zinc. 4 (a) Zone d'exclusion
détectée à côté du zinc. (b) Potentiel
(a) (b) électrique au sein de la ZE.

250

200

>
..§.
150

~ 100
c
0"' 50
o..

-50 213
0 100 200 300 400 500
distance depuis la surface de zinc (µm)
Fig. 12.10 Possible production métal non-
reactif
d'énergie électrique basée sur le
principe des zones d'exclusion
dans des piles ordinaires. L'éner-
gie électromagnétique absorbée
sépare les charges et contribue
donc à produire du courant.

de l'énergie électromagnétique, mais profitent-elles vraiment de cette abondance


ou la rejettent-elles? Il est plausible que ces usines chimiques miniatures appe-
lées piles produisent leur électricité en exploitant au moins une partie de cette
énergie électromagnétique incidente (Fig. 12.10).

(v) Les protons propulsent la catalyse


La catalyse est un processus apparemment mystérieux accélélérant les réac-
tions chimiques, parfois d'un facteur de plusieurs millions. Le catalyseur n'est pas
consommé ; il reste en place pour accomplir ses exploits incroyables, encore et
encore.
Les plus courants sont les catalyseurs acides
accélérant les réactions en mobilisant des ions ;
zone de d'autres agissent en mobilisant les groupes OH·. Ces
catalyseur catalyse groupes de charge pouvaient-ils provenir des ZE (Fig.
1. ..
1' . •
1'
+
12.11). Les zones d'exclusion produisant couramment
des H+ disponibles ou, moins couramment, des OH-
+ + + +
+
disponibles, les surfaces hydrophiles devraient être
+ +
des catalyseurs naturels - celles d'entre elles possé-
+
dant les plus fortes charges devant catalyser le plus.
+
+
Le Nafion, avec son fort pouvoir catalytique, devrait
entrer dans cette catégorie.
+
+ La catalyse basée sur les ZE aurait besoin
d'énergie. L.'.énergie rayonnante forme des zones d'ex-
Fig. 12.11 Catalyse basée sur le
clusion, générant à leur tour les groupes de charge
principe de la zone d'exclusion.
requis. Cette catalyse par les ZE est donc capable de
La surface du catalyseur favorise
produire quelque chose de potentiellement exploi-
l'expansion de la ZE, ce qui va
table, dont le paiement se fait en énergie.
résulter en une libération de
protons (ou OH-). Les protons (ou
groupes OH-) vont accélérer la
réaction cible.
Démarrer sa voiture par un matin froid 0"< \
La température extérieure est glaciale;
à cause du froid, l'huile de votre moteur à
la consistance du beurre de cacahuète.
Les pistons se heurtent à cette substance
visqueuse pendant que vous tentez vai-
nement de lancer le moteur. Persévérer
ne fera que décharger la batterie, et cette
dernière sera bientôt pratiquement morte ;
il est temps de renoncer et d'appeler une
dépanneuse.
faut maintenir leur charge pour pouvoir lui
Une stratégie différente pourrait vous en prendre. On peut recharger les ZE d'au
épargner beaucoup de frustration. Si vous moins deux manières : grâce au chargeur
décidez d'arrêter de pester et d'attendre de batterie portatif de la dépanneuse, ou
patiemment avant d'essayer à nouveau, par absorption de l'énergie rayonnante
il se peut que votre moteur démarre rapi- d'un moteur légèrement chaud ; cette der-
dement et que vous puissiez enfin vous nière approche demande du temps, et c'est
rendre où vous le souhaitiez. Le simple fait pourquoi attendre peut faire la différence.
d'attendre semble recharger votre batterie
comme par magie. Grâce aux ZE chargées par absorp-
tion d'énergie rayonnante et au beurre
En quoi le fait d'attendre ferait-il une de cacahuète fondu suite aux tentatives
différence? Une batterie de voiture contient précédentes, il se peut que votre voiture
de l'eau et de l'acide, combinaison formant finisse par démarrer. La patience peut
des ZE (voir Fig. 10.9). Si l'énergie des ZE s'avérer vertueuse ; ici, elle peut aussi vous
constitue une part de son énergie, alors il épargner la dépanneuse.

Si c'est l'énergie rayonnante incidente qui propulse finalement la catalyse,


il serait logique que la lumière joue un rôle essentiel dans au moins quelques
processus catalytiques ; il s'avère que tel est bien le cas. Le dioxyde de titane,
un exemple bien connu, montre une augmentation spectaculaire de son activité
catalytique lorsqu'exposé à la lumière ultraviolette.
Pour vérifier si cette caractéristique particulière repose sur la présence de
ZE, nous examinâmes des feuilles de dioxyde de titane immergées dans de l'eau.
Sans lumière incidente (autre que la faible quantité utilisée pour la visualisation),
aucune ZE n'était présente ; par contre, éclairant la feuille par de la lumière ultra-
violette avant de la plonger dans l'eau, nous détectâmes des zones d'exclusion
qui se développèrent jusqu'à approximativement 200 µm. Grâce aux colorants

215
sensibles au pH, nous confirmâmes la présence de nombreux protons dans le
restant de l'eau en vrac au-delà des ZE. Ainsi, des protons générés par les ZE
étaient prêts et disponibles pour accomplir leur catalyse; en fin de compte, c'était
la lumière incidente qui avait produit ces protons catalyseurs.
Nous ne réussîmes tout d'abord pas à mettre en évidence des zones d'exclu-
sion nettes avec le platine (un autre catalyseur commun}, à part quelques zones
proches de la surface présentant des concentrations réduites de microbilles. 4 Des
études ultérieures montrèrent des changements dépendant de la lumière dans
l'eau à proximité de la surface du platine, 6 ainsi que de nettes ZE lorsque le pla-
tine était électriquement relié à un métal réactif.5 Par conséquent, les charges
des ZE pourraient bien expliquer la catalyse du platine, bien que cette possibilité
demande des examens plus poussés.
Des catalyseurs existent également dans des milieux biologiques, sous forme
d'enzymes. Celles-ci sont de grosses protéines accélérant les réactions biolo-
giques. Le mécanisme catalytique est supposé aujourd'hui se produire au niveau
d'interactions spécifiques entre les enzymes et les molécules réagissantes. Cepen-
dant, jusqu'au début du vingtième siècle, une autre idée dominait : on présumait
que les enzymes provoquaient des changements dans l'eau qui les entourait,
celle-ci accélérant ensuite les réactions dans les molécules voisines. La surface
des enzymes possède fréquemment d'importantes charges négatives (comme
la plupart des surfaces de protéines) ; par conséquent, ces surfaces devraient
contenir des couches de ZE. Si tel était le cas, la catalyse biologique pourrait
ressembler à la catalyse d'une manière générale, n'impliquant rien de plus qu'une
forte concentration de protons générés par les ZE.

(vi) Les protons propulsent les flux


fluides
Enfin, pensez à comment ces protons mul-
ti-usages pourraient générer un flux.
Imaginez une bouteille d'eau hermétiquement
fermée plongée dans un grand bain d'eau (Fig. 12.12).
Supposez pouvoir infuser des protons à travers la
paroi de cette bouteille fermée ; les ions se repous-
seraient les uns les autres, créant une pression inté-
rieure. Si vous ouvriez la bouteille, ces ions hydronium
Fig. 12.12 Possible production
confinés s'échapperaient alors rapidement, comme
d'énergie électrique basée sur
l'air d'un ballon trop gonflé. L'eau protonée jaillirait
les zones d'exclusion dans des
hors de la bouteille, générant un flux mesurable. C'est
batteries ordinaires. L'énergie
de ce genre de flux dont il est question ici.
électromagnétique absorbée
sépare les charges et contribue
ainsi à produire du courant. ->
Augmentation de la pression
Des flux de cette nature peuvent perdurer indéfiniment si les protons et l'eau
sont continuellement réapprovisionnés. Si des ZE sont impliquées, le réapprovi-
sionnement en protons se fait alors naturellement, les ZE générant continuelle-
ment des protons tant que l'énergie ambiante reste disponible pour assurer leur
libération. Ces protons vont immédiatement former des ions hydronium, et ces
molécules d'eau chargées se déplaceront ensuite vers les régions de plus faible
charge. Par conséquent, il se produit inévitablement un flux d'eau continu dans
presque tous les scénarios impliquant des ZE et de l'énergie rayonnante.
Des expériences confirmèrent cette inévitabilité : nous observâmes des flux
d'eau continus dans diverses configurations où des ZE étaient présentes. Nous
avons déjà vu plusieurs d'entre elles (Chapitre 7), mais il est bon de faire un réca-
pitulatif collectif.
· La première configuration est le tube hydrophile (Fig. 12.13), à l'intérieur
duquel se forme la ZE en forme d'anneau générant des protons au centre du tube;
ces protons centraux provoquent un gradient d'ions hydronium entre le centre du
tube et ses ouvertures, ce qui va créer un flux dans un sens ou dans l'autre.

-- Aux continu
Fig. 12.13 Écoulement
" spontané » à travers un tube
hydrophile.

· La seconde configuration ressemble à la première, mais avec un trou dans


la paroi du tube. Lorsqu'un petit trou est perforé dans un tube hydrophile plongé
dans de l'eau, l'eau s'écoule de manière continue vers l'intérieur en passant par
ce trou (voir Fig. 7.11). Une fois encore, les gradients d'ions hydronium semblent
responsables du flux. 7
· Une troisième configuration avec des billes de gel montre la présence d'un
flux guidé par les charges (voir Fig. 7.12). Placée au fond d'un bain d'eau, une
bille hydrophile sera vite couverte d'une enveloppe de ZE ; des ions hydronium
se formeront plus loin. Ceux-ci se dirigent invariablement vers le bas, comme re-

217
présenté à la Fig. 12.14. La force motrice semble être un gradient vertical d'ions
hydronium qui pourrait être dû au fait que le haut de la suspension reçoit plus
d'énergie rayonnante que le fond. Le flux descendant attire donc l'eau du dessus,
de toutes les directions, vers la bille, remplaçant ainsi les molécules perdues par
le flux. Les molécules s'écoulant vers le bas ayant atteint le fond, elles n'ont pas

Fig. 12.14 Trajectoire d'un


flux continu autour d'une bille
hydrophile.

d'autres choix que de s'éloigner de la bille. !..'.eau circule ainsi, suivant un gradient
vertical d'ions hydronium.
On voit ainsi différentes configurations d'écoulements dirigés par des
charges; il suffit la plupart du temps d'avoir une surface hydrophile plongée dans
de l'eau. Les ZE qui en résultent génèrent des protons ; le gradient d'ions hydro-
nium obtenu génère, à son tour, un flux inévitable.
En fait, une partie des flux attribués intuitivement à des gradients de densité
d'origine thermique pourraient très bien être dus à des gradients de charge. Les
forces basées sur les charges sont beaucoup, beaucoup plus puissantes que les
forces basées sur la gravitation. Pour apprécier la différence, représentez-vous un
proton et un électron situés l'un près de l'autre, et demandez-vous quelle force
l'emportera : l'attraction électrostatique ou l'attraction gravitationnelle basée sur
la masse ? Vous direz sûrement que la force électrostatique l'emportera, mais ce
qui surprend davantage est la magnitude de la différence : un facteur de 1038 -
des forces basées sur la charge peuvent se révéler incroyablement dominantes.
Comme vu ci-dessus {et à nouveau lorsque nous parlerons de l'eau chaude au
chapitre 15), de faibles gradients de charge peuvent générer des flux importants.
Ces flux étant dirigés par des charges, on pourrait les qualifier d'osmotiques
{Chapitre 11). Les gradients d'ions hydronium constituent une puissante et univer-
selle force naturelle.

218
Résumé et réflexions

Le thème principal de ce chapitre est l'eau protonée, ces molécules d'eau


chargées positivement qui se forment inévitablement lorsqu'il y a présence de
zones d'exclusion. Ces molécules chargées peuvent causer des ravages ou accom-
plir de nombreuses fonctions : réduire le frottement, écarter des surfaces, rendre
la glace glissante, assurer le bon fonctionnement de batteries, réaliser la catalyse
ou alimenter de puissants flux. Il est possible que tous ces processus proviennent,
du moins en partie, des charges générées par la formation des ZE.
Je vous invite à mettre en parallèle cette nouvelle vision des choses avec
les théories prévalant au regard de l'origine de chacun de ces phénomènes. Les
nouveaux étudiants de mon laboratoire apprécient toujours avoir à contrôler ce
qu'enseignent les idées dominantes afin de comprendre le cadre général. Nom-
breux sont troublés par cet exercice ; désorientés par des difficultés d'interpré-
tation, ils ne se croyaient pas à la hauteur à cause de leur incapacité à assimiler
ce qu'ils pensaient être facile à comprendre pour les autres. Peut-être vous en
sortirez-vous mieux que ces malheureux étudiants?
Le message central de ce chapitre est que tous ces phénomènes pourraient
directement résulter de la présence de ZE. Lénergie rayonnante gouverne chacun
d'entre eux ; s'il est bien établi que les plantes exploitent de l'énergie rayonnante,
l'idée que divers systèmes aqueux puissent également l'exploiter sort de la vision
classique qu'ont certains chercheurs de ces phénomènes ; je crois que cette
lacune explique leur absence de progrès. Si la ZE est présente, il est nécessaire
d'en évaluer l'impact, et c'est ce que nous avons cherché à faire.
Les charges des ZE ont dominé nos réflexions au fil de nombreux chapitres,
et ce n'est pas encore fini : on va en arriver aux bulles et aux gouttes. Nous avons
tous vu des bulles se former dans de l'eau en ébullition, mais vous êtes-vous déjà
demandé comment celles-ci se formaient ? Les deux prochains chapitres traite-
ront de cette question : nous verrons comment des charges basées sur des ZE
jouent une fois encore un rôle central. Les bulles peuvent parfois paraître mysté-
rieuses, voire presque romantiques ; alors, si les chapitres qui suivent venaient à
les démystifier, je vous présente d'avance mes excuses.

219
13 Gouttes et bulles, les sœurs aqueuses

L a plupart des passagers du vol transatlantique dormaient. J'étais pour ma part


occupé à travailler sur mon portable. Les hôtesses remplissaient consciencieu-
sement les gobelets vides d'eau, comme si elles craignaient un risque de déshydra-
tation. J'acquiescai chaque fois avec reconnaissance, bus quelques gorgées, puis
glissai au pays des rêves.
Me réveillant quelques heures plus tard, je remarquai
l'aspect différent de mon gobelet encore à moitié rempli :
des bulles tapissaient maintenant les parois intérieures
(Fig. 13.1) ; cela m'interrogea: pourquoi ces bulles?
Une grande quantité d'air, probablement dissoute
dans l'eau durant mon sommeil, devait avoir suffi à créer
ces bulles. Non ?
Cette explication me parut satisfaisante jusqu'à ce
que je commence à m'interroger plus longuement : les
bulles que je voyais se mesuraient en millimètre ; les
molécules de gaz qui les remplissent sont à l'échelle du
nanomètre. Pour former une bulle de volume 10 18 fois
plus grand que celui des molécules de gaz la compo-
sant, il en faut un nombre gigantesque. Se posèrent
Fig. 13.1 Des bulles tapissent les
alors des questions évidentes : qu'est-ce qui dirige
parois de gobelets en plastique
ces nombreuses molécules de gaz vers les bulles en
remplis d'eau.
expansion plutôt que vers les espaces entre elles ?
Et pourquoi quelques bulles isolées, au lieu d'une
unique bulle plus grosse?
Perdu dans mes pensées et encore à moitié endormi, je me mis à rêvasser,
m'imaginant rapetisser jusqu'à la taille d'un proton pour observer ce qui se passait
dans le gobelet. Je n'éprouvai aucune difficulté à visualiser les molécules de gaz
dissoutes autour de moi, mais beaucoup plus à imaginer ce qui pouvait bien pous-
ser ces molécules à se diriger de préférence vers une bulle en formation dans le
voisinage. Et si d'aventure l'une de ces molécules de gaz s'approchait de cette belle
bulle accueillante, comment s'y prendrait-elle pour pénétrer l'interface eau-gaz en
tension? Une intrusion ne briserait-elle pas la bulle?
Poursuivant mon odyssée aquatique, je jetai un coup d'œil en haut, juste
au-dessus de la surface de l'eau, et vis des bulles s'accrochant également à la
paroi du gobelet - réalisant rapidement que j'avais probablement tort : au-dessus

221
de la surface de l'eau, ce sont des gouttelettes qui adhèrent aux parois, pas des
bulles. Les bulles et les gouttes peuvent parfois sembler étrangement similaires de
l'extérieur, mais les bulles contiennent du gaz tandis que les gouttes renferment
un liquide. Comment pourrais-je les distinguer?
Sortant de mes rêveries, je pris conscience que personne n'avait de réponse
facile à ces questions - même Einstein, célèbre pour ses « expériences de pen-
sée».
Pour la dernière question, au moins ( « Comment reconnaître une bulle
d'une goutte ? »), on pourrait penser que l'emplacement constitue un indice : on
trouve des bulles sous l'eau, mais normalement, pas de gouttes : comment pour-
raient-elles exister au sein d'une masse d'eau?
En fait, on peut paradoxalement trouver des gouttes dans l'eau, et je vous en
apporterai la preuve dans un instant. Celles-ci pourraient bien avoir une impor-
tance capitale, et leurs caractéristiques montrer la voie à suivre pour trouver des
réponses à mes questions, y compris la plus délicate : comment une bulle en
développement se remplit-elle de gaz?

Bulles et gouttes: les sœurs Vésicules


Tout commença lors d'une réunion hebdomadaire au laboratoire ; l'un des
membres de l'équipe ne cessait de se tromper, disant « goutte » quand il fallait
dire « bulle» et inversement; il commettait cette erreur si souvent que c'en était
devenu un sujet de plaisanterie : comment reconnaître une bulle d'une goutte?
La confusion naquit d'abord en observant les « bulles » se formant souvent
sous la surface aux abords de l'interface Nafion-eau, souvent rencontrées au
cours de nos expériences. Ces entités s'étant formées sous l'eau, nous les consi-
dérions intuitivement comme des bulles.
Toutefois, nous remarquâmes que ces soi-disant bulles se comportaient
davantage comme des gouttes. Il ne se produisait rien, la plupart du temps, en
les pénétrant d'une sonde pointue. Des piqûres font instantanément éclater des
ballons sous tension - mais rien de tel ici. De plus, des tractions ou pressions
extrêmes avaient un impact étonnamment limité ; les entités ainsi pressurisées
se révélèrent suffisamment cohésives pour retrouver rapidement leur forme à peu
près sphérique. Ces « bulles,, se comportaient différemment de toutes celles que
nous connaissions jusqu'à présent.
Poussant plus loin nos recherches, nous échafaudâmes une guillotine
immergée (Fig. 13.2). L.'.élément rebelle soumis à la question gisait en sécu-
rité, délicatement déposé dans un renfoncement de Téflon. Puis le couperet
tomba. Traversant la « bulle » de part en part, sa tête ne tomba point dans le

222
panier ; au contraire, cette curieuse protagoniste
retrouva son allure initiale, unique et intacte.
Elle semblait immunisée contre la décapitation.
Elle ne se comportait aucunement comme une bulle
ordinaire: la percer, l'étirer ou la serrer ne produisaient
que des effets passagers ; même la terrible guillotine
n'eut d'effet durable. Ce qui semblait assurément être
une bulle (en raison de sa présence sous l'eau) se Fig. 13.2 Guillotine à bulle.
comportait davantage comme une forme gluante de Nos tentatives pour diviser des
« bulles » immergées se sont
type gel - ou une sorte de goutte cohésive.
souvent avérées vaines; les
Ces résultats inattendus nous apprirent qu'il n'est
bulles se reformaient.
pas toujours possible de distinguer une bulle d'une
goutte en l'absence de tests adéquats, et que parfois
la réalité est le contraire de ce que l'on avait pu croire.
Nous venions d'observer des gouttes sous l'eau. Et les bulles qui se trouvent par-
fois à la surface de l'eau peuvent très bien être des gouttes : des gouttes d'eau
peuvent rester à la surface de l'eau assez longtemps sans se dissoudre (voir Fig.
1.5). Si vous n'aviez jamais vu auparavant ce genre de gouttes d'eau persistantes,
vous pourriez penser qu'il s'agit de bulles ... or ce sont bien des gouttes. Observez
les formes que l'on voit à la Figure 13.3 ; s'agit-il de
gouttes ou de bulles?
La confusion apparaît facile : les bulles res-
semblent à des gouttes ; les gouttes ressemblent
à des bulles - .comme des membres d'une même
famille avec un air de ressemblance. Cette similarité
nous poussa à adopter une nomenclature générique
pour parler de ces entités : des « vésicules », définies
comme des entités sphériques dont l'intérieur peut
renfermer du gaz ou un liquide. Par la suite, nous
vous apporterons la preuve que le liquide à l'intérieur
peut se sublimer en gaz. Fig. 13.3 De l'eau sur une poêle
Pour le moment, retenez surtout que les gouttes
chaude.
et les bulles présentent une ressemblance frappante.

En quoi les bulles et les gouttes sont-elles similaires ?


Un trait qu'elles ont manifestement en commun est leur membrane envelop-
pante. Pour les bulles, il est possible de les voir distinctement, par exemple au
cours de l'ébullition. Concernant les gouttes, nous supposons son existence, la

223
forme quasi-sphérique de la goutte pouvant s'expli-
quer par la présence d'une enveloppe tendue par la
pression interne (Fig. 13.4).
En l'absence d'une membrane tendue, les bulles et
les gouttes prendraient des formes aussi irrégulières
qu'une amibe, avec des bosses dépassant de partout.
Pour cela, les scientifiques acceptent le prérequis
Fig. 13.4 Forme d'une goutte. d'une sorte de gaine membraneuse. Des gaines sous
Les pressions extérieure et pression enveloppent toute vésicule.
intérieure s'équilibrent et Moins claire est l'origine de cette pression. Les
donnent une forme sphérique à scientifiques l'attribuent généralement à la rigidité de
la membrane. la gaine : une gaine solidifiée générerait la pression à
l'intérieur ; toutefois, même une gaine d'acier n'offre
aucune garantie de pression à l'intérieur. Nous ne
pouvons pas dire d'emblée si l'élément déclencheur est la rigidité de la gaine ou
le matériau enfermé à l'intérieur. L'origine de la pression reste à établir, ce à quoi
nous nous emploierons bientôt.
Quoi qu'il en soit, la forme quasi-sphérique de la goutte implique la présence
d'une sorte de gaine enveloppante - déduction plutôt logique. Ce qui pose pro-
blème en revanche, c'est le test de la guillotine : si une membrane sous pression
enveloppe bien la goutte, la rompre devrait lui être fatale et elle devrait se désinté-
grer. Pourquoi une goutte «guillotinée» se reforme-t-elle alors aussi rapidement?
Que certaines gouttes soient constituées de grappes de petites gouttes
apporterait une solution plausible (Fig. 13.5) ; ces mini-gouttes se regrouperaient
tout comme des bulles, et pourraient donc se recomposer après une séparation
mécanique. En effet, les gouttes sous de la surface de l'eau observées au micros-
cope ressemblaient parfois à des grappes, mais nous n'avons pas réussi à en
obtenir des photos suffisamment détaillées pour en
être certains.
L'idée des grappes gagna en popularité grâce à
des enregistrements vidéo à haute vitesse de chutes
de gouttes de pluie, en voyant de nombreuses écla-
ter en une myriade de mini-gouttes.w1 Ces dernières
pouvaient former des gouttes au cours de leur chute,
mais tout aussi bien préexister et se séparer lorsque
confrontées à différentes forces durant leur chute. Si
tel était le cas, les gouttes pourraient ressembler de
façon plus générale à l'amas de la Figure 13.5.
Fig. 13.5 Développement
d'une goutte par fusion. Un
grand nombre de mini-gouttes
fusionnent pour former une
goutte plus grosse.
À cet égard, le résultat observé suite au test de la guillotine prendrait tout son
sens : les forces appliquées vont séparer les sous-groupes composant la goutte,
mais les forces cohésives entre leurs surfaces pourraient les recombiner, de même
que des bulles que l'on sépare ont tendance à faire.
Ainsi, des gouttes peuvent se comporter comme des bulles. Ces dernières
peuvent exister sous forme de grappe ; les membres de celle-ci peuvent aussi
fusionner pour former une seule bulle plus grosse. De même pour les gouttes: une
goutte peut se composer d'une multitude de mini-gouttes, qui peuvent fusionner
en une seule unité plus massive. Toutes ces fusions résulteraient des propriétés
de la membrane qui les enveloppe.
La raison pour laquelle nous nous attar-
dons sur cette question dépasse la com- pR\SE DE RISQUES
préhension du comportement des gouttes
sous la guillotine. Nous n'avons aucune idée
sur la façon dont les gouttes ou les bulles
se forment. Il nous faut des indices. Notre
discussion nous fait réaliser que les bulles
et les gouttes contiennent toutes les deux
des membranes ; s'il s'avère qu'elles sont I~
faites du même matériau, une transition
goutte-bulle (ou inversement) devient alors
concevable. En d'autres termes, des bulles
pourraient naître de gouttes dont le liquide
intérieur s'est vaporisé. Des gouttes pourraient générer des bulles.
Pour aller plus loin dans cette réflexion, Il nous faut considérer les données :
d'abord, établir si des membranes enveloppent réellement ces deux structures
vésiculaires, comme notre théorie l'exige. Et si oui, quelle pourrait être leur com-
position? Il serait prometteur pour envisager une transition goutte-bulle que leur
comportement soit identitique.

Les gouttes contiennent des membranes de type ZE


La première preuve nous ayant conduit à envisager sérieusement que les
gouttes aient une membrane, provenait d'une expérience portant sur celles flot-
tant à la surface de l'eau (voir Fig. 1.5). On pense communément que les gouttes
tombant sur de l'eau s'y dissoudront aussitôt, mais nous observâmes une persis-
tance parfois de plusieurs secondes. 1 Manifestement, quelque chose retardait la
fusion ; la présence d'une membrane restrictive nous paraissait être une raison
plausible.

225
L'explication qui prévalait de cette fusion retardée avait été la présence d'un
film d'air invisible piégé entre la goutte qui tombe et la surface. Cependant, nous
rejetâmes cette notion en constatant que des gouttes pouvaient persister même
après avoir roulé au-delà du supposé coussin d'air piégé; en fait, rouler avait même
prolongé leur existence séparée. 1 Quelque chose d'autre que de l'air piégé était de
toute évidence responsable ; une gaine membraneuse serait alors
le candidat le plus probable. Il fallait que celle-ci se dissolve pour
permettre la fusion, ce qui pouvait prendre du temps.
En ce qui concerne la nature de la gaine, la réponse nous
parut évidente par déduction : les gouttes étant composées uni-
quement d'eau, toute gaine membraneuse devait être construite
à partir d'une forme d'eau. Les deux options possibles étaient de
l'eau en vrac et de l'eau de type ZE, cette dernière paraissant le
candidat le plus naturel compte tenu de la persistance observée.
Une gaine de type ZE était également sensée du point de vue
fonctionnel. Une enveloppe faite dans un matériau de type ZE
excréterait des protons. Ceux-ci venant à s'accumuler à l'intérieur
de la goutte, les forces répulsives pourraient alors générer la pres-
sion nécessaire pour expliquer la rondeur de la goutte. Tout ceci
semblait d'une élégance rare, et en parfait accord avec la théorie :
une étude théorique et expérimentale approfondie conclut qu'une
enveloppe de ce type chargée négativement était un prérequis
minimal à l'existence d'une goutte ;2 une enveloppe de type ZE
pourrait donc parfaitement y satisfaire.
Ces critères en tête, nous cherchâmes à identifier expérimen-
talement l'existence d'une telle enveloppe de type ZE, et trou-
vâmes trois éléments de preuve pertinents :
· Le premier élément issu des d'expériences réalisées sur une
suspension trouble de microbilles à la surface de laquelle nous
fîmes tomber des gouttes d'eau, partant du postulat qu'une en-
veloppe de type ZE pouvait se comporter différemment de l'eau à
l'intérieur de la goutte. L'idée était que cette dernière
pourrait passer à travers une brèche de l'enveloppe
Fig. 13.6 Observation au et intégrer directement la suspension de microbilles
microscope de la dissolution en dessous, mais que l'enveloppe en soit quant à elle
d'une goutte. Une goutte d'eau incapable et doive ainsi rester à la surface de la sus-
de JO microlitres a été lâchée pension. La Figure 13.6 confirme l'existence d'une
sur un volume d'eau contenant zone claire, apparaissant au début de la coalescence
des microbi/les carboxyliques de de la goutte et s'étendant vers l'extérieur pendant le
1µm. Une zone claire en forme
d'anneau laisse entendre qu'une
gaine de type ZE enveloppe la
goutte.
0.18

-
::::i
<l'.
0.15 ~PI C
~ 0.12
0
:g_ 0.09
0
V'>
.0 0.06
"' 0.03

O +-~....-~-.-~-.-~--.-~---,-~

240 270 300 330 360 390 200 300 400 500 600 700 BOO
longueur d'onde (nm) longueur d'onde (nm)

processus. Sa forme annulaire et sa clarté suggèrent


Fig. 13.7 Spectres UV/visible
les débris que laisserait une enveloppe de type ZE.
obtenus à partir de gouttes de
Un second élément de preuve nous vint pluie recueillies lors de deux
d'études sur l'absorption optique. Si les gouttes averses différentes. Un pic aux
contiennent des ZE, elles devraient alors présenter la environs de 270 nm apparaît
caractéristique d'absorption des ZE à 270 nm. Pour clairement sur les courbes
le vérifier, nous collectâmes des gouttes de pluie puis descendantes caractéristiques.
testâmes des échantillons dans un spectromètre UV/
visible. La Figure 13.7 confirme la présence de ce pic
d'absorption caractéristique avec des échantillons re-
cueillis lors de deux averses différentes.
· Une troisième observation concernait les résidus laissés par les gouttes sur
des lames de verre lorsqu'elles sèchent. Mon collègue Georg Schrbcker avait fait
de ces analyses une véritable passion. Les gouttes d'eau d'origine variée laissent
des résidus en forme d'anneau en s'asséchant (Fig. 13.8). Généralement, la zone
centrale est vide, ce qui signifie que l'eau s'y est complètement évaporée, contrai-
rement à la zone annulaire qui l'entoure : un résidu s'accroche à la surface du
verre hydrophile, du même type que celui qui proviendrait d'une ZE. De plus, ces
anneaux réagissent principalement en bleu-violet, tout comme les ZE. 3 En outre,
ces résidus forment parfois des couches à la manière de la ZE, bien que l'on soit
ici au-dessus de l'échelle de la molécule. Ainsi, ces en-
veloppes de gouttes séchées présentent les mêmes Fig. 13.8 Gouttes séchées
caractéristiques que celles attendues pour une enve- observées sous lumière noire.
loppe de type ZE. Gauche : eau de source; milieu :
Toutes ces observations renforcent l'idée des préparation homéopathique;
gouttes possédant une enveloppe de type ZE ; les droite : goutte de rosée. Notez
résultats obtenus ne sont pas des preuves mais sont la couleur bleue et les couches
fortement suggestifs. Si les protons générés par une concentriques.
zone d'exclusion venaient à se placer sur les confins d'une telle enveloppe, leur
présence pourrait expliquer la forme sphérique de la goutte, des protons se
repoussant créant une pression (Chapitre 12).

Des membranes de type ZE enveloppent les bulles


Nous voulûmes ensuite savoir si des membranes de type ZE enveloppaient
également les bulles. Celles-ci contiennent une sorte d'enveloppe membraneuse
apparaissant sous forme d'une coiffe hémisphérique dans l'eau bouillante, mais
nous ignorions s'il s'agissait de ZE.
Pour le savoir, nous cherchâmes une fois encore la présence d'un pic d'ab-
sorption à 270 nm. Chauffant lentement des casseroles d'eau juste sous le point
d'ébullition, de petites bulles se formèrent au fond du récipient, la plupart écla-

Fig. 13.9 Spectres d'absorption


d'une eau préalablement chauf-
fée juste avant ébullition avant
de la laisser se refroidir à 60°C
(bleu). Les mêmes conditions
ont été utilisées pour l'eau de la
courbe rouge, mais cette eau fut
d'abord portée à ébullition.
250 270 290

longueur d'onde (nm)

tant dans la masse de l'eau. Effectuant ensuite des tests spectroscopiques pour
déterminer si les débris de ces enveloppes éclatées contenaient des matériaux de
type ZE, les résultats le confirmèrent : tous les échantillons analysés présentaient
un pic d'absorption à 270 nm (Fig. 13.9)

En revanche, les échantillons portés à ébullition, amenant les bulles à éclater


à la surface de l'eau, ne présentèrent pas de tels pics (courbe rouge, Fig. 13.9). Ils
furent également indétectables en analysant de l'eau qui n'avait pas été chauffée.
Il apparaît donc bien que les enveloppes des bulles contiennent des matériaux de
type ZE.
Poursuivant notre enquête d'une toute autre manière, nous nous penchâmes
sur les interactions entres les bulles. Si celles-ci étaient encapsulées de ZE, les
interactions bulle-bulle devraient alors ressembler aux interactions particule-par-
ticule du fait de la présence dans les deux cas d'une enveloppe de ZE. Au cha-
pitre 8, nous nous étions intéressés à la « sociologie » particule-particule, les

228
attractions« même aime même» attirant l'une vers l'autre des particules de même
charge, formant des réseaux ordonnés et parfois une coalescence. Sur cette base,
nous raisonnâmes que des bulles encapsulées de ZE devaient se comporter de la
même façon: s'attirer les unes les autres, s'ordonner et peut-être même fusionner.
L'attraction bulle-bulle est fascinante en versant du café chaud ou de l'eau
chaude : les bulles ont tendance à s'agglomérer, laissant des zones dépourvues
de bulles entre elles; parfois, de petits amas se mettent à grossir. Des attractions
bulle-bulle sont également évidentes sous l'eau, comme dans de hautes colonnes
d'eau où l'on étudie le comportement de bulles libérées depuis le fond. Au cours
de leur ascension, les bulles s'attirent, certaines allant même jusqu'à fusionner
pour en former de plus grosses. Ce phénomène d'attraction a été bien étudié, sans
toutefois en expliquer clairement sa raison. 4
Avec le temps, les attractions de type « même aime même » entre les bulles

31.5
Fig. 13.10 Les bulles de surface
tendent à former des ensembles
31 ordonnés. Ces bulles ont été
créées en diffusant de l'air
dans une solution aqueuse de
30.5
détergent (TWEEN 20). L'échelle
est en Celsius.

30

29.5

peuvent les ordonner; la Figure 13.10 nous en montre un exemple, même s'il n'est
ici pas très précis, probablement car les bulles présentent des surfaces de diffé-
rentes tailles. Néanmoins, certaines zones de bulles de taille similaire s'espacent
régulièrement.
Dans ce cadre, les agents inhibant l'attraction du type « même aime même »
devraient inhiber les agglomérats. Prenons le sel par exemple. Il diminue la taille
des ZE 5 , réduisant par conséquent la quantité de charges séparées; le sel devrait
donc réduire l'attraction du type« même aime même». Ajouter suffisamment de
sel devrait logiquement avoir pour effet d'empêcher complètement les bulles de

229
fusionner - ce qui fut observé expérimentalement : en présence de sel, les petites
bulles libérées depuis le fond d'un récipient ne fusionnent plus pour en former de
plus grosses6 , mais restent séparées.
La propriété la plus caractéristique d'une enveloppe de type ZE est sans doute
son attirance pour la lumière : les particules entourées d'une ZE se déplacent
invariablement vers celle-ci {Chapitre 9). Les bulles font de même, vers la lumière
infrarouge7 ou la lumière visible. 8 Les chercheurs parlent d'un effet de « migration
thermocapillaire » quand bien même personne n'en a encore établi les bases. Il
apparaît que la lumière attire les bulles tout comme les particules. Si la sépara-
tion des charges induite par une ZE est responsable de l'attraction des particules
{Chapitre 9), elle pourrait alors l'être aussi de l'attraction des bulles. Autrement
dit, l'attraction des bulles implique qu'elles possèdent des enveloppes de type ZE.
lépaisseur de l'enveloppe de type ZE d'une bulle peut s'avérer difficile à
estimer. Bien des types de bulles ont des coiffes membraneuses en pénétrant
la surface du liquide, généralement, d'une épaisseur de quelques centaines de
nanomètres ; toutefois, il n'est pas rare d'en observer de l'ordre de 1.000 nano-
mètres.9 Une telle épaisseur contiendrait environ 40.000 couches moléculaires de
ZE, mais même une quantité inférieure constituerait déjà une membrane plutôt
robuste.
Enfin, il est bon de préciser que les enveloppes de type ZE s'adaptent natu-
rellement aux changements de volume car composées de plaques disposées en
couches pouvant, sous une pression suffisante, glisser les unes sur les autres,
permettant ainsi à l'enveloppe de s'étendre {avec une perte d'épaisseur). Les
enveloppes de type ZE peuvent donc s'agrandir en toute impunité contre la force
d'une pression dilatatrice considérable. En revanche, un affinement excessif pour-
rait mener à la rupture - ce qui pourrait bien se produire lors de l'ébullition.
Comme les gouttes, les bulles semblent donc posséder une enveloppe de type
ZE : le pic caractéristique d'absorption à 270 nm a été confirmé ; la « sociologie »
bulle-bulle concorde avec les attentes ; la lumière les attire de la même manière
que les particules enveloppées de ZE; enfin, les plaques en couches composant la
ZE forment une structure qui s'adapte naturellement aux changements de volume.
Tout ceci nous conforte dans l'idée que que les bulles et les gouttes sont simi-
laires d'un point de vue structurel, quand bien même une goutte renfermerait un
liquide et une bulle, du gaz. Cette similarité de structure s'avèrera fondamentale
pour comprendre comment se forment les bulles.

230
En résumé

Les gouttes et les bulles se ressemblent: toutes deux typiquement sphériques


et transparentes, elles peuvent aussi chacune exister au-dessus ou en dessous de
la surface de l'eau. Imaginant que ces attributs communs pourraient résulter de
la présence d'une gaine enveloppante, nous trouvâmes en effet des preuves de
l'existence d'une gaine membraneuse pour ces deux types de vésicules, contenant
des matériaux de type ZE.
La construction d'une zone d'exclusion générant des protons, ceux à l'inté-
rieur de la vésicule et qui ne cessent de se repousser les uns les autres pourraient
créer la pression nécessaire au maintien de sa forme sphérique. Ils pourraient
exister tant dans le liquide de la goutte que dans la vapeur de la bulle.
La production de protons exige l'apport d'une énergie extérieure. Une aug-
mentation de cette énergie extérieure devrait conduire à une augmentation de la
pression et donc une expansion de la vésicule, avec des conséquences prévisibles,
comme nous allons le constater dans le prochain chapitre. Croyez-vous en la pos-
sibilité d'une conversion de liquide en vapeur?

231
« AujoV~d'hui, Goutte., tu de.vie.Yld~a~ Su\\e.. »
14 Naissance d'une bulle:
le passage à la maturité

L es hivers sont souvent sombres à Seattle ; des nuages gris obscurcissent le


ciel et déversent si souvent leur contenu que nos anciens pourraient se voir
pousser des pieds palmés. Chacun apprécie le soleil de temps à autre pendant
l'hiver, mais ces périodes de répit apportent souvent des températures nocturnes
proches du gel.
En arrivant à ma voiture par une froide matinée, je remarque souvent qu'une
fine brume s'est accumulée sur la vitre. On dirait du givre ; il s'agit en fait de fines
gouttes d'eau qui s'en vont en frottant avec un chiffon. Curieusement, cette brume
n'apparaît que sur la vitre du côté conducteur et non sur celle du côté passager;
un mystère qui n'a cessé de m'intriguer pendant des années.
Le côté passager de ma voiture fait face à la maison de ma voisine, le côté
du conducteur à un terrain relativement dégagé. Faire face à un espace vide et
froid pouvait expliquer une perte de chaleur et donc une condensation, mais
j'étais incapable de comprendre plusieurs aspects du phénomène : pour quelles
raisons la condensation apparaissait-elle sous forme de gouttes ; pourquoi
adhéraient-elles aussi fermement à la vitre ; et surtout, pourquoi refusaient-elles
systématiquement de se former de l'autre côté de ma voiture, celui faisant face au
domicile de ma voisine; peut-être était-ce dû à son charme irradiant?
Ce chapitre abordera bien l'énigme de ces gouttes, mais plus généralement
des vésicules, autrement dit des gouttes et des bulles. Il reprend là où se finissait
le chapitre précédent : la similarité entre les gouttes et les bulles. De là, nous ver-
rons si elle a une signification fonctionnelle, et je vous proposerai que /es gouttes
sont les progénitrices des bulles.
Parmi les questions qui accompagneront ce chapitre figurent celles-ci :
• Comment des gouttes pourraient-elles se former dans un bain d'eau?
· Comment plusieurs gouttes fusionnent-elles pour en former de plus
grosses?
· Comment ces grosses gouttes pourraient-elles se transformer en bulles ren-
fermant un gaz ?
• Comment la coalescence de plusieurs bulles conduit-elle à l'ébullition?

Ce chapitre dépassera également le cadre de ces questions fondamentales


pour aborder des sujets de la vie quotidienne: pourquoi les bouilloires font-elles
autant de bruit lorsque de l'eau chauffe à l'intérieur? Pourquoi ce bruit devient-il

233
un sifflement quand elle bout? Et lorsque vous entrez dans une cuisine, pourquoi
pouvez-vous sentir l'odeur de la soupe qui mijote?

Le concept de la bulle embryonnaire


Les bulles contiennent du gaz. Pour comprendre leur formation, nous avons
besoin de savoir d'où ce gaz (ou cette vapeur) provient.
Je me souviens m'être posé cette question il y a plusieurs années de cela, lors
d'un superbe voyage en train de Vienne à Graz. Mon interrogation sur les bulles,
née lors d'un vol transatlantique (voir Chapitre 13), continuait à me hanter. Quel
mécanisme attirait donc toutes ces molécules de gaz vers des sites spécifiques
pour former des bulles séparées ? Et, admettant qu'elles y arrivent, comment
parvenaient-elles à pénétrer la membrane tendue de la bulle sans la faire éclater?
Bercé par le somptueux panorama
~R\SE DE RISQUES défilant sous mes yeux, j'eus soudain une
illumination. Supposons que les molécules
de gaz n'aient pas vraiment besoin « d'aller
là-bas ,, ; supposons que le processus qui
crée l'enveloppe de type ZE crée également
le gaz à l'intérieur? Ces problèmes embarras-
sants n'auraient alors plus aucun sens : les
molécules de gaz n'auraient plus à traverser
de membranes sous pression ni à se frayer
un chemin vers les bulles en expansion.
Bien que semblant résoudre les deux
problèmes, cette idée semblait un peu tirée par les cheveux : quel processus
créerait une membrane de ZE à partir d'eau ? Et comment pourrait-il créer le gaz
interne, à priori de la vapeur d'eau ? Voici des défis formidables ; néanmoins, ce
concept restait prometteur car il avait le mérite de contourner tout ce qui posait
problème, et il semblait pertinent de le garder à l'esprit.
C'est alors que j'eus une seconde illumination: les gouttes et les bulles conte-
nant toutes les deux des enveloppes de type ZE, il était concevable qu'une entité
se convertisse en l'autre. Imaginons d'abord la formation d'une goutte: elle pour-
rait se former si une surface hydrophile dans l'eau nucléait une zone d'exclusion;
si celle-ci venait à s'enrouler de manière à former une sphère, nous obtiendrions
une goutte couverte de ZE. Cette première étape paraissait plausible.
Puis vient la seconde étape : la conversion de la goutte en bulle. Si la goutte
absorbe suffisamment d'énergie rayonnante, il est concevable que l'eau à l'inté-
rieur de la goutte se transforme en vapeur ; cette goutte deviendrait alors une
bulle.

234
Arrivant en gare de Graz, cette nouvelle possibilité m'avait tellement enivré
(j'en avais presque le vertige) que je ne pouvais attendre plus longtemps pour
continuer à réfléchir à une goutte comme une bulle embryonnaire.

Création de la structure embryonnaire


Former une enveloppe de ZE demande une surface (hydrophile) génératrice
de ZE. Les sites de nucléation présents dans un verre d'eau diffèrent de plusieurs
façons de ceux que étudiés jusqu'à présent. Tout d'abord, un verre d'eau contien-
dra inévitablement des solutés dissous et des particules en suspension ; même
une eau « pure » contiendra un grand nombre d'éléments pour la bonne raison
que l'eau est un solvant universel. Ces diverses molécules restent non dissoutes,
en suspension, précisément parce que des ZE les enveloppent (voir Chapitre 8).
Par conséquent, pratiquement toute l'eau contient des sites de nucléation.
Un autre pourrait être le récipient lui-même : si le matériau dont il est fait
se trouve être du verre hydrophile, sa surface peut créer des ZE, notamment au
niveau des sites localement rugueux (voir ci-dessous). Si la surface est hydro-
phobe, elle est alors théoriquement incapable de produire des ZE ; toutefois,
des substances dans l'eau possédant une charge nette pourraient induire une
charge opposée à la surface du contenant de manière classique, puis y adhérer.
Ces substances adhérant à la surface constituent des aspérités susceptibles de
générer par la suite des ZE.
De ces sites de nucléation abondants, les ZE
peuvent se développer classiquement couche par Fig. 14.1 Étapes de la formation
couche, mais aussi s'étendre latéralement : nous d'une vésicule. Gauche : la ZE se
l'observons régulièrement en laboratoire en étudiant développe couche par couche,
de petites surfaces limitées plongées dans l'eau (Fig. mais aussi latéralement (flèches).
14.1, image de gauche), constatant que les ZE ne Les protons créent une charge
s'empilent pas seulement verticalement par rapport positive au-delà. Milieu : la ZE se
à la surface nucléante, mais qu'elles se développent déforme en raison de l'attraction
aussi latéralement, dépassant souvent les limites du exercée par la charge positive. La
nucléateur. flèche rouge indique la direction
Ce genre de ZE génère des protons suivant la de la déformation. Droite : une
manière habituelle, qui vont rapidement se trans- déformation continue forme la
former en ions hydronium, dont certains vont se vésicule.

+ +
+
+ + + +

+ + +

+ + + + + +
+ + + +++++ +
+ + ++ + + + + + + + + + ++ + +
. ."-.. + +~ + ++ + + + ++ + +: tt:+ . . . . .
··..:·· +1 ++++++ + + + ++++++.)+ <.....
.. + _+ + + + ± + + + + + + .

_ .___ nucléateur
disperser du fait des forces répulsives entre charges positives ; ces ions hydro-
nium seront perdus. Mais d'autres resteront près de la surface en raison de l'at-
traction exercée par la ZE négative (voir Chapitre 5). Cette attraction produit deux
réactions: un déplacement des ions hydronium positifs vers la ZE négative, et une
déformation de la ZE négative encore fine et flexible dans ses premiers stades
de développement en direction de ces ions hydronium positifs. Les flancs de la
ZE devraient donc être continuellement attirés vers la plus forte concentration
de charges positives (Fig. 14.1, image du milieu), ce qui fut expérimentalement
confirmé (voir Fig. 9.9).
Une telle déformation continue conduit inévitablement à une courbure (Fig.
14.1, image de droite). Tandis que se forment les ions hydronium et que la crois-
sance latérale se poursuit, les régions nouvellement créées de la ZE continueront
à se déformer vers les ions hydronium centraux. Les bords de la ZE finiront par
se rencontrer, créant ici une structure circulaire (bien entendu, la structure réelle
en trois dimensions est sphérique et non circulaire comme dans l'illustration en
deux dimensions). Les structures sphériques doivent se refermer naturellement
(Fig. 4.11). Ces structures sphériques fermées constituent de minuscules gouttes.
Chacune de ces mini-gouttes contiendra une membrane de type ZE chargée
négativement enveloppant de l'eau liquide et des ions hydronium. Ces derniers se
repoussent ; s'écartant les uns des autres dans toutes les directions, ils exercent
une pression sur la membrane de ZE et lui confèrent sa rondeur (Fig. 14.2). Une
bulle sphérique n'est pas encore née, mais une petite vésicule embryonnaire a été
conçue, prête à commencer son développement vers la maturité.
Il est bon de signaler que la charge positive inté-
rieure n'a pas nécessairement besoin d'être égale à
la charge négative de la ZE. Même si l'on attendrait
--
î
' . :r?:: .. =-:. volontiers un tel équilibre neutre, il se trouve que
:

,,.,,,,=>' + . <-' des ions hydronium se sont inévitablement échappés


--~
},V +++ " , \..
•.//,/ + \ +
~' "-. + .
/+ +
+ +,...,, ', •,
au cours de la formation de la vésicule, les forces
,r + ions + 11111 répulsives provoquant une dispersion (Fig. 14.1). Par
.1·1 +;. hydronium
•11:.
. +....,.+ ,.•./ '• conséquent, la vésicule n'est pas neutre. Une vésicule
\ tr +/ +1+ \ : + Il,;
.
+
+
+ + , fi
~ /.f/
fermée devrait posséder une charge négative. Nous y
reviendrons par la suite .
.. "
~ ;. .: - ?: , .
+ ..l, + 4 · ~

De la goutte à la bulle
La structure de la goutte embryonnaire décrite va
Fig. 14.2 Rondeur de la goutte. être fondamentale pour la suite. Mais avant de conti-
Les ions hydronium créent une nuer, cherchons d'abord à déterminer si la vésicule est
pression en poussant les parois
de la ZE; c'est cette pression qui
est à l'origine de la rondeur de
la goutte.
suffisamment résistante pour survivre ; en fait, les petites vésicules ne sont pas
particulièrement stables.
Il se peut que l'énergie absorbée altère la vésicule. Supposons que la vésicule
absorbe de l'énergie rayonnante ; la ZE va se développer, et à mesure, la concen-
tration en ions hydronium à l'intérieur grandira également. Ceux-ci, en plus grand
nombre, augmenteront la pression interne. La membrane de ZE soutiendra cette
pression accrue jusqu'à un certain point ; excédant un seuil critique, les couches
dont elle est formée commenceront probablement à glisser les unes sur les autres,
ce qui étendra la vésicule (Fig. 14.3).
L'expansion d'une vésicule n'est pas forcément catastrophique et peut se
dérouler progressivement. La couche la plus extérieure doit d'abord faire de la
place pour permettre aux autres couches sous pression de s'étendre. Une fois
rompue, les segments la composant peuvent glisser sur la couche inférieure et
se fixer sur l'un des nombreux sites où ils adhèreront à des charges opposées. La
structure se stabilise, puis le même processus reprend avec la couche suivante, et
ainsi de suite. De cette manière progressive, une vésicule pourra s'agrandir étape
par étape sans nécessairement se briser (bien que cela puisse se produire) et
atteindre une taille importante.
Que se passera-t-il ensuite?
Intéressons-nous aux molécules d'eau à l'intérieur. Simples spectatrices,
ces molécules d'eau se retrouvent au milieu des ions hydronium qui effectuent
le travail d'expansion. Ces molécules d'eau sont sous pression, la membrane
enveloppante exerçant une pression à l'intérieur comme un ballon sur le gaz qu'il
renferme. Si la membrane de la vésicule vient soudainement à s'agrandir, cette
pression diminue tout aussi soudainement, et les molécules d'eau à l'intérieur
subissent une réduction de pression.
Un changement de pression peut provoquer un changement d'état. Pressu-
riser de la vapeur pourra la transformer en liquide ; réduire la pression pourra
reconvertir ce liquide en vapeur. Le même principe simple peut s'appliquer ici :

Fig. 14.3 Expansion d'une


vésicule. Pour s'adapter à
l'augmentation de la pression
interne, les couches de la ZE
glissent les unes sur les autres et
se chevauchent partiellement.

237
la vésicule s'agrandissant diminue la pression sur l'eau qu'elle renferme, et l'eau
liquide peut se convertir en vapeur.
Conséquence de ce changement d'état : la goutte se transforme en bulle (Fig.
14.4).
Voilà quelques avancées - du moins, sur l'aspect théorique. Le point de
départ est la formation inévitabilité de ZE dans les récipients contenant de l'eau,
de laquelle naît la goutte, vient ensuite la conversion de celle-ci en bulle : si elle
absorbe suffisamment d'énergie rayonnante, sa charge interne va augmenter la
pression et la faire grossir, entraînant la transition de son contenu en vapeur et
créant une bulle. Ainsi naît une bulle.

Les bulles du champagne

Pour faire de jolis motifs avec les


bulles, les producteurs de champagne
gravent à dessein des défauts sur les
parois de leurs verres, car c'est de là que
naîtront les bulles, comme autant d'aspé-
rités présentes naturellement. Tous ces
sites comportant des défauts produiront -~ ..... ;.,,.. ~
des montées de bulles sans fin, comme .·.:. ~.:'"O 0 0

l'illustre la photo ci-contre. =Y:+~·. . .


~~:f
\

Dans le cas du champagne (ou de ·... ,, .


::r. ... :
l'eau gazeuse), les bulles ne contiennent
pas seulement de la vapeur d'eau mais
aussi du cor On obtiendra toujours
des bulles, grâce aux aspérités du verre .·
nucléant des ZE, et les protons libérés
attireront les ions HC0 3- négatifs formés
par la dissolution du co2; les bulles riches bulle
en co 2 qui en résultent n'ont plus qu'à
depuis un
emplacement
monter. fixe
Des aspérités placées avec goût sur le
verre, générant de beaux dessins formés
par les bulles, pourraient vous décider à
acheter davantage de champagne ...

238
Fig. 14.4 Transition de goutte
Reste à déterminer si cet enchaînement logique-
vers bulle. La pression agrandit
ment inévitable n'est pas qu'une simple vue de l'esprit.
la vésicule; les molécules d'eau
Cette suite d'événements a-t-elle réellement lieu ?
subissent une pression réduite, ce
Ayant déjà établi au chapitre précédent la présence
qui peut convertir l'eau liquide en
de l'une des deux caractéristiques nécessaires à celle-
vapeur d'eau.
ci (une enveloppe de type ZE), reste la seconde ques-
tion : ces membranes sphériques renferment-elles
réellement des charges positives ?

Y a-t-il véritablement des protons à l'intérieur des vésicules ?


La stratégie la plus directe pour sonder l'intérieur des vésicules est simple :
récupérer leur contenu pour voir si les molécules recueillies contiennent des
protons. Nous suivîmes cette stratégie en exploitant l'ébullition, où des bulles
éclatent à la surface de l'eau en expulsant leur contenu sous forme de vapeur; la
recueillant puis la condensant en un liquide, nous en mesurâmes le pH. Il en res-
sortit que le pH diminuait progressivement avec le temps d'ébullition, inpliquant
la charge positive de l'intérieur des bulles ayant éclaté (Fig. 14.5, courbe bleue).
Puisque le récipient perdait des charges positives, celless-ci devaient se
refléter dans le volume d'eau restant ; il serait donc logique que le pH de l'eau
résiduelle augmente progressivement; cela fut confirmé (Fig. 14.5, courbe rouge).
Des protons migraient donc de l'eau vers la vapeur, probablement lorsque les
bulles éclataient et déversaient leur contenu.

Fig. 14.S Résultats d'expériences


portant sur l'ébullition. La courbe
bleue indique le pH de la vapeur
recueillie après différents laps de
temps. La courbe rouge indique
le pH de l'eau restée dans le
récipient après l'ébullition.

0 1 2 3 4 239
numéro d'échantillon en séquence
Fig. 14.6 Image infrarouge de la
surface de bulles, créées en insuf- 30.5
flant de l'air dans une solution
tensioactive (TWEEN 20/eau).
L'intérieur de la bulle (orange)
émet plus d'énergie infrarouge
que l'extérieur (bleu). La mince 30
couche noire enveloppant les
bulles était attendue : les ZE
génèrent peu d'énergie infrarouge.
Échelle en °C. 29.5

29

Un second test concernant la présence de


protons à l'intérieur des bulles s'appuya sur l'ima-
gerie infrarouge. Si l'intérieur d'une bulle contient
uniquement de l'eau, sans protons, elle devrait
émettre un rayonnement très proche de celle dans
laquelle elle baigne ; toutefois, il s'avèra que l'in-
térieur de la bulle émettait un rayonnement bien
plus fort que l'eau en dehors (Fig. 14.6). L'obser-
vation d'une énergie rayonnante supplémentaire
laisse entendre un mouvement de charges plus
intense (Chapitre 10), caractéristique prévisible si
un grand nombre de protons s'y agitent.
Un troisième test consista à déterminer si la
rupture d'une bulle provoquait une dispersion de
protons. Si l'énergie rayonnante observée à l'inté-
31.5 rieur tirait son origine d'un artéfact expérimental et
non des protons, elle devrait tout simplement dis-
paraître lorsque les bulles éclatent. En revanche,
31 si elle provient bien des ions hydronium à l'inté-
rieur, la rupture d'une bulle devrait entraîner leur
dispersion. La Figure 14.7 confirme la réalité de
cette dispersion. Lorsqu'une bulle éclate, la zone
30.5 fortement énergisée s'étend avant de finalement
disparaître progressivement lors du mélange des

30
Fig. 14.7 Eclatement d'une bulle. Comme la Figure 14.6 à la
différence que l'on voit une bulle éclater spontanément. Notez la
dispersion de la zone fortement émettrice d'énergie rayonnante.
29.5
Échelle en °C.
protons avec l'eau. Il semble que l'énergie rayonnante observée provient bien
d'un matériau à l'intérieur de la vésicule.
À partir de ces preuves, il semble clair que des ions hydronium existent à
l'intérieur de la bulle. Pour le mécanisme proposé, la présence de cette charge
positive est cruciale car indispensable à la production d'une pression et à la
transition de goutte vers bulle.

Interactions entre vésicules : le mécanisme de la fermeture


Éclair
Ayant confirmé la présence de charges positives à l'intérieur de l'enveloppe
de ZE, il faut à présent nous intéresser aux étapes intermédiaires du processus
proposé de formation d'une bulle : comment les vésicules fusionnent-elles les
unes avec les autres?
La fusion de vésicule doit être une caractéristique essentielle du processus
de formation d'une bulle : des gouttes mesurant quelques microns ne peuvent
pas se transformer directement en bulles à l'échelle du centimètre ; l'écart de
taille est bien trop important. Une croissance par étapes est nécessaire, et la
coalescence entre alors en jeu. La combinaison progressive de petites vésicules
en crée de plus grosses, devenant finalement les bulles à l'échelle du centimètre
observées lors de l'ébullition.
Pour comprendre les principes sous-jacents à ce type de fusion, imaginez
d'abord ce qui se passe lors d'une situation plus simple : lorsqu'une goutte
unique rencontre une surface hydrophile. La plupart des surfaces hydrophiles
possédant déjà plusieurs couches de ZE en raison de l'humidité atmosphérique
(Chapitre 11), on en trouve donc à la fois autour de la goutte et sur la surface
hydrophile. Ainsi, l'interface goutte-surface est une simple interface ZE courbe-
ZE droite.
Imaginez cette goutte tombant sur la surface hydrophile : lors de son
approche, les charges positives et négatives des couches des ZE respectives
auront l'influence la plus grande (Fig. 14.8). Les charges opposées s'attireront,

gouttelette Fig. 14.8 Zf de la


goutte interagissant
avec la ZE de la
surface. Les charges
opposées s'attirent
et s'alignent.

241
surface hydrophile
Fig. 14.9 Adhérence d'une goutte
grâce à un mécanisme de type
fermeture Éclair. En raison des
forces d'attraction locales, la ZE
de la goutte fusionne avec la ZE
de la surface, formant un fond
plat.

faisant légèrement jouer la ZE de la goutte pour l'aligner avec la ZE de la surface:


la goutte adhérera à la surface grâce à la force d'attraction des charges opposées.
Pour commencer, l'adhérence n'aura lieu qu'à un seul point du fait de la cour-
bure de la goutte (Fig. 14.8), mais ce lien ténu n'est qu'un point de départ : les
charges qui flanquent ce point de contact attirent les charges opposées sur la ZE
leur faisant face; les surfaces respectives vont donc s'intriquer à la manière d'une
fermeture Éclair (Fig. 14.9). Leur fusion créera une zone plate.

Le paradoxe hydrophile-hydrophobe :
à quel point aimez-vous votre vésicule?

À ca stade, vous êtes probablement à l'aise avec la terminologie : les surfaces qui
étendent l'eau sont dites hydrophiles (c'est-à-dire qui aiment l'eau) ; l'eau s'y accroche
comme un amoureux étreint. En revanche, les surfaces transformant l'eau en gouttelettes
sont dites hydrophobes (elles détestent l'eau). Parfois, elles la détestent si intensément
que de l'eau fraîchement versée se rétractera en formant des billes parfaitement sphé-
riques. Un exemple classique est la feuille de lotus: l'eau qui tombe sur la feuille formera
des sphères se mettant aussitôt à rouler, laissant la feuille sèche.
Pour classer les différentes surfaces, les scientifiques ont recours à une méthode
basée sur la forme de la goutte. Si la goutte demeure sphérique, la surface sera classée
comme hydrophobe; si la goutte s'étale (en formant des couches de ZE), la surface sera
classée comme hydrophile. C'est assez simple. Toutefois, un problème embarrassant est
que la forme de la goutte se trouve le plus souvent entre ces deux extrêmes (voir figure).
La goutte gardera généralement une forme grossièrement sphérique, mais avec une cer-
taine extension latérale et un fond aplati (image du milieu).
La solution généralement admise consiste à spécifier le degré d'hydrophilicité, grâce
à la géométrie : le fond d'une vésicule s'aplatissant contre la surface, on peut construire
facilement des tangentes, qui à permettront de définir un angle de contact. Les faibles
angles de contact indiquent une forte hydrophilie (gauche) ; ceux élevés indiquent une
forte hydrophobie (droite).
C'est la pression à l'intérieur de la goutte qui définira la longueur de la
« fermeture Éclair ». La pression la fait tendre vers la rondeur alors que le
mécanisme de la fermeture induit la linéarité. La ZE continuera à s'assembler
jusqu'à ce que la force qui aplanit s'équilibre avec celle qui courbe. Le résultat
ressemblera au fond plat de la Figure 14.9.
Ce mécanisme de fermeture est fondamentalement l'opposé de celui géné-
rant des vésicules. Avec le mécanisme de type fermeture Éclair, la ZE sphérique
s'aplanit (Fig. 14.9) ; avec celui de génération de vésicule, la ZE plate devient
sphérique (Fig. 14.1). Ces deux processus semblent symétriques.
Ce type de fermeture constitue un mécanisme par lequel les membranes de
type ZE peuvent fusionner. Toutes les vésicules comportent des enveloppes de
type ZE. Par conséquent, le mécanisme de fermeture Éclair peut nous aider à
comprendre comment deux enveloppes se combinent pour former une vésicule
plus grosse, ou tout du moins la première étape de ce processus.

Vous comprenez maintenant pourquoi un angle de contact donne une mesure rai-
sonnable de l'hydrophilie. Si le matériau est très hydrophile avec une ZE fortement char-
gée, la capacité de fermeture Éclair sera alors élevée ; la goutte s'aplatira un maximum,
produisant un faible angle de contact (gauche). Si les charges de ZE sont plus rares, la
modeste force d'attraction produira alors un aplatissement plus limité (centre). Et si le
matériau est hydrophobe et qu'il ne contient pas de ZE du tout, il n'y aura pas d'aplatis-
sement, et dans ce cas l'angle de contact sera grand (droite). La classification reposant
sur l'angle de contact découle de cette compréhension fondamentale.
Cette explication de l'hydrophilie relative implique quelque chose qu'il est bon de se
rappeler: l'hydrophobie n'est rien de plus qu'une absence d'hydrophilie; autrement dit,
les surfaces hydrophobes ne parviennent pas à interagir de manière significative avec
l'eau pour former des ZE. L'hydrophobie n'est par conséquent pas une caractéristique en
soi ; elle reflète simplement l'absence d'une autre caractéristique.

hydrophile hydrophobe

Forme d'une goutte sur une surface extrêmement hydrophile (gauche),


intermédiaire (centre) et extrêmement hydrophobe (droite). L'angle de
contact est souvent utilisé comme mesure de l'hydrophilie d'une surface.
Fusion de vésicules
Nous venons de nous intéresser au cas d'une ZE courbe ren-
contrant une ZE droite ; mais les surfaces interagissant peuvent être
courbes toutes deux. Deux gouttes peuvent fusionner en une goutte
plus grosse, deux bulles en une plus grosse.
Ce type de fusion implique sans doute le même genre de méca-
nisme de fermeture entre deux ZE que celui décrit ci-dessus : ainsi
entremêlées, elles créeront un plan séparant les deux vésicules. Si
une seule vésicule plus grosse devait émerger de cette fusion, il fau-
dra d'abord que ce plan diviseur disparaisse.
Pour étudier ce processus de disparition, nous eûmes recours à
des enregistrements vidéo à haute vitesse. Recouvrant les surfaces
intérieures de deux plaques en verre avec un matériau produisant un
angle de contact avec l'eau d'environ 90°, nous les tînmes parallèle-
ment de manière à ne les séparer que légèrement avant d'introduire
deux gouttes d'eau entre les deux. La proximité des plaques et leur
revêtement forcèrent ces gouttes d'eau à prendre la forme de disques
aux contours nets, ce qui minimisa la déformation optique. Ce pro-
tocole nous permit de suivre la fusion de deux gouttes aplaties (Fig.
14.10).
La séquence de la Fig. 14.10 démontre que deux membranes de
type ZE fusionnent bien. Les ZE coalescentes forment rapidement
une frontière rectiligne entre les deux vésicules, probablement par un
mécanisme de type fermeture Éclair. Cette frontière semble devenir
beaucoup plus épaisse, mais il ne pourrait s'agir que d'une simple
illusion ; toute inclinaison du plan créerait l'apparence d'un épais-
sissement en raison de la grande profondeur du champ optique. Le
point important est que deux membranes de type ZE fusionnent le
long d'une seule frontière.
Puis, brutalement, nous voyons cette frontière se rompre. La rup-
ture commence généralement près de son point central ; on observe
le matériau la constituant se rétracter vers la périphérie.
Cette rupture résulte probablement d'une tension excessive.
Pour comprendre comment cela peut se produire, intéressons-nous
à l'équation régissant la tension sur une fine membrane. Pour les
membranes sphériques possédant des parois fines, la tension est
donnée par la relation de Laplace, T = Pr/2, où Test
la tension de la membrane, Pla différence de pression
Fig. 14.10 Images d'une vidéo entre les deux côtés de la membrane, et r le rayon.
à haute vitesse de la fusion de
deux gouttes. Voir le texte pour
la description.
Lorsqu'un plan courbe s'aplatit, le rayon de courbure, r, tend vers l'infini ; le
numérateur de l'équation peut donc être extrêmement grand. Même une moindre
différence de pression à travers la membrane, P, créera une énorme tension de
membrane. Ce petit différentiel de pression pourrait augmenter si l'une des deux
vésicules adjacentes reçoit un peu plus d'énergie rayonnante que son homologue;
toute différence de pression, aussi faible soit-elle, est capable de créer une ten-
sion énorme. Et puis, hop, la frontière se rompt.
Les vidéos confirment que le matériau de la membrane se rétracte bien vers
les bords de la frontière ; on y observe son accumulation. Ce qui advient ensuite
n'est pas immédiatement évident, mais nous pouvons faire quelques déductions.
Les ZE adhérant les unes aux autres, le matériau de ZE rétracté va probablement
se fixer à du matériau de ZE existant ; les parois de la vésicule devraient donc
s'épaissir et se rigidifier. Ce durcissement pourrait expliquer pourquoi des seg-
ments de parois autrement arrondis de la vésicule semblent se redresser après
rupture de la frontière (Fig. 14.10, dernière image).
Avec cette séquence d'actions, deux vésicules n'en forment plus qu'une. Les
interactions entre enveloppes dominent le processus. Le rôle de l'intérieur d'une
vésicule se limite essentiellement à pressuriser cette dernière et par conséquent
limiter le développement de la zone frontière. À part cela, l'intérieur ne compte
pas vraiment; qu'il soit liquide ou vaporeux, le processus de fusion est à peu près
le même. Ainsi, ce même mécanisme général devrait pouvoir expliquer autant la
fusion de gouttes que celle de bulles.
Cette universalité mécanique pourrait expliquer un phénomène curieux : les
gouttes à l'intérieur de bulles, et vice-versa (Fig. 14.11). Un processus commun de
type fermeture Éclair pourrait expliquer l'existence de ces structures combinées.
Au risque d'insister, un mécanisme de type fermeture Éclair pourrait donc
expliquer la fusion de vésicules. Une fois que deux d'entre elles entrent en contact,
leur fusion devient pratiquement inévitable; elles se fondront en une seule entité
plus grosse. Une succession de fusions explique ainsi comment de minuscules
vésicules peuvent finalement devenir les grosses gouttes ou les grosses bulles si
souvent observées.

Fig. 14.11 Vésicules combinées :


des gouttes à l'intérieur d'une
bulle. La grosse goutte en bas à
gauche résulte de la fusion de
plusieurs gouttes plus petites.
Des gouttes incomplètement
fusionnées pourraient expliquer
les concavités observées.

245
La fusion renforce la stabilité et l'inévitabilité
Le phénomène de fusion est important, non seulement parce qu'il permet
la croissance mais aussi parce qu'il favorise la durabilité. La raison est purement
géométrique : lorsque des vésicules de taille similaire fusionnent pour former une
vésicule unique plus grosse, la masse de l'enveloppe double approximativement.
Par contre, la surface de l'enveloppe augmente moins de deux fois (vous pou-
vez le vérifier par les mathématiques) : une partie du matériau des anciennes
enveloppes doit ainsi servir à épaissir l'enveloppe de la nouvelle vésicule. Cette
nouvelle vésicule possédant une enveloppe plus épaisse que celles de ses précur-
seurs, cela la rendra plus grosse et plus solide, apte à supporter de plus fortes
pressions sans se rompre. Une vésicule plus grosse devrait ainsi être plus stable.
Une possible faille, cependant : des parois plus robustes n'assureraient pas
une meilleure stabilité si la pression dans la nouvelle vésicule était plus impor-
tante que celle de ses précurseurs. Toutefois, ce n'est pas ce qui se produit. La
pression dépend de la concentration en charges. Lorsque deux vésicules à densité
de charge égale fusionnent, celle-ci ne change pas : le volume augmente de deux
fois; de même pour le nombre de charges. Ainsi, la pression dans la vésicule reste
inchangée.
Pour la nouvelle et plus grosse vésicule, pas de variation de pression interne,
mais des parois plus épaisses: cela va la stabiliser. Les effets s'ajoutant, sa stabili-
té ne cessera de s'accroître après chaque fusion. Cela pourrait expliquer pourquoi
les petites vésicules peuvent parfois être éphémères (et donc difficiles à observer)
tandis que les plus grosses sont faciles à étudier ; ces dernières peuvent en effet
se défendre bien mieux que les petites contre les forces destructives. Les plus
grosses vésicules sont plus robustes.
Ce paradigme est valable aussi bien pour les gouttes que pour les bulles. En
fusionnant, les petites gouttes gagnent en robustesse, comme les petites bulles.
Toutes ces fusions favorisent la durabilité, laquelle va, à son tour, augmenter la
probabilité de survivre à de nouvelles fusions. Sous les conditions appropriées
(voir ci-dessous), une croissance reposant sur la fusion devrait être incontour-
nable, les petites vésicules en produisant toujours de plus grandes.

Amener de l'eau à ébullition


La fusion, comme vous allez le voir, est ce qui rend possible l'ébullition. Si
vous observez attentivement ce qui se passe en augmentant la chaleur sous une
casserole d'eau, vous verrez les étapes successives conduisant finalement à l'ébul-
lition.
Tout d'abord, vous pourriez voir de petites vésicules semblant s'évanouir
mystérieusement ; on présume que ces dernières éclatent dans l'eau. Puis de

246
plus grosses commencent à apparaître en nombre, Bientôt i.
suffisamment robustes et concentrées pour fusionner en
d'encore plus grosses. Finalement, ces grosses vésicules se QÜ
convertissent en bulles qui viendront franchir la surface
et libérer dans l'air la vapeur qu'elles renferment. C'est le
Des vésicules se rencontrent.
signal pour nous de l'eau qui bout, un phénomène familier
qui n'empêche pas d'éprouver un sentiment de mystère en ii.
observant son développement, un peu comme d'observer
des sorcières préparer une décoction secrète.
· Comment s'effectue donc exactement la transition
de gouttes de quelques microns en bulles à l'échelle du Les vésicules fusionnent; les
ZE s'épaississent. De multiples
centimètre ? Le rapport entre ces diamètres étant d'envi- fusions augmentent leur volume.
ron 10.000, celui entre les volumes est par conséquent de iii.
1.000.000.000.000 : de toute évidence, bien trop grands
pour envisager une unique transition. Le développement
doit s'effectuer par étapes, et c'est alors que la caractéris-
tique de stabilité entre en jeu. Les vésicules ayant fusionné
étant plus robustes que leurs prédécesseurs, plus grandes La vésicule s'étend en raison
d'une forte émission d'énergie ; la
sont leurs dimensions, meilleures leurs chances de survie ; vésicule se convertit en bu/Té, avec
plus grosse la vésicule, plus grande la probabilité d'atteindre de la vapeur à l'intérieur.
l'étape de la conversion en bulle sans éclater. iv.
· Qu'une goutte atteigne ou non finalement ce point cri-
tique sera déterminé par les conditions ambiantes. Puisque
ce sont les fusions antérieures qui permettent de l'atteindre,

vo
et que celles-ci dépendent de la concentration en vésicules, il Des bulles se rencontrent.
faudrait obtenir la formation simultanée d'un grand nombre
de vésicules; cela dépendra du niveau d'énergie ambiante.
· Pour obtenir un grand nombre de vésicules, il faut suf-
fisamment d'énergie rayonnante, ce qui n'est pas nécessaire-
ment le cas en début de chauffe, lorsque l'énergie provient
de la seule source de chaleur. Toutefois, le processus de Les bulles fusionnent; de
nombreuses fusions accrois-
chauffe se poursuivant, de l'énergie rayonnante proviendra sent leur volume.
non seulement de la source de chaleur mais aussi de l'eau vi.
chauffée ; ces deux sources y contribueront. Lorsque leur
somme sera suffisante, un seuil sera franchi : les vésicules
deviendront alors suffisamment nombreuses pour permettre
des fusions successives et des transitions réussies en bulles,
RemP,lies de vapeur, les grosses
pouvant ensuite elles-mêmes fusionner et former de plus bulles viennent éclater à la
grosses bulles. !..'.ébullition est proche (Fig. 14.12). surface.

Fig. 14.12 Processus conduisant


à l'ébullition avec un fort apport
d'énergie rayonnante.
Il ressort de cette analyse que la variable fondamentale dans l'équation de
l'ébullition n'est pas la température; plus importante encore est la concentration
en vésicules. La concentration en vésicules pourrait bien atteindre fréquemment
le seuil critique à des températures proches de 100°C - mais pas forcément exac-
tement1.
Étonné de cette possibilité d'atteindre de très hautes températures sans
ébullition, mon étudiant Zheng Li se saisit d'un bécher en verre lisse dénué de
toute aspérité, et le remplit d'eau distillée déionisée de qualité de laboratoire, le
but étant de minimiser, voire d'éradiquer tout site de nucléation de ZE. Alors, il
chauffa le bécher. L.'.eau atteignit puis dépassa largement la température habi-
tuelle d'ébullition, sans que celle-ci soit observable ... jusqu'à ce qu'il introduise
quelques impuretés. L.'.introduction de ces sites de nucléation provoqua immédia-
tement l'ébullition, tout comme l'insertion d'un agitateur en verre provoqua une
ébullition instantanée.
Ces expériences montraient clairement que la température ne peut être le
facteur déterminant. Le fait d'introduire des impuretés dans de l'eau chaude en
réduisit forcément au contraire la température, et pourtant cela provoqua aussi-
tôt l'ébullition. Lintroduction de sites de nucléation avait de toute évidence per-
mis la formation de vésicules, qui à leur tour produisirent l'ébullition. Ainsi, une
production adéquate de vésicules semble plus importante que la température.
Cette conclusion se rapproche d'une curieuse observation faite à propos de
la soupe à l'ail (si vous n'en avez jamais goûté, je vous assure que ce plat est
étonnamment savoureux, épais, crémeux et délicieux). Versant des louches d'une
soupe bouillonnante de la marmite dans plusieurs bols en céramique à la surface
rugueuse, celle-ci se mit immédiatement à refroidir ; cependant, elle restait en
ébullition, ce qui persista même quand la soupe s'était suffisamment refroidie
pour atteindre des températures permettant de la consommer sans se brûler. On
présume que les aspérités présentes sur la surface rugueuse des bols en céra-
mique ont nucléé un nombre suffisant de vésicules pour que celles-ci fusionnent
en plus grosses bulles caractéristiques de l'ébullition, même à des températures
bien plus basses que sa température supposément standard.
Que la température ne joue qu'un rôle secondaire ne devrait pas être une sur-
prise lorsque l'on repense au Chapitre 10 : souvenez-vous que la température fait
l'objet d'une définition ambiguë. Il serait donc en effet surprenant que le facteur
déterminant de l'ébullition repose uniquement sur une valeur de température fixe.

248
\:>lurP \JlurP \:>lurP

~ oc
0 10 c
Il
ü "O 16
) 1

Le bruit de l'eau qui bout


Chauffez une casserole d'eau et écou- éclateront, plus ces sons deviendront plus
tez : le bruit commence lorsque vous voyez fréquents et nous sembleront plus forts.
des vésicules se former au fond de la cas- Ainsi, une eau plus chaude produira un fré-
serole. Plus les vésicules apparaîtront, plus missement plus intense.
le volume augmentera pour atteindre fina- Ce frémissement diminuera une fois que
lement un puissant frémissement. Ensuite, les vésicules cesseront d'éclater, lorsque les
juste au moment où l'eau approche de vésicules commencent à fusionner assez
l'ébullition, le frémissement se transforme rapidement pour se convertir en bulles. Les
mystérieusement en un gargouillis caracté- bulles produisent un son plus doux lors-
ristique à basse fréquence, comme si l'esprit qu'elles éclatent à la surface en délivrant
de l'eau protestait contre la terrible chaleur leur contenu dans l'air ; chaque rupture de
à laquelle elle est soumise, se mettant à bulle contribuera à ce gargouillis.
sangloter.
Puis arrive le sifflement. Si l'ébullition
Nous entendons ces sons si souvent que se produit dans une bouilloire à sifflet, vous
nous avons fini par les ignorer. Une bonne pourrez finalement entendre le son aigu
manière de vous rafraîchir la mémoire est de caractéristique ; votre eau est prête pour le
chauffer une petite quantité d'eau dans une thé. Curieusement, nous n'entendons aucun
bouilloire dotée de fines parois en métal. Les sifflement alors même que l'eau est sur le
parois fines amplifient le son. Le frémisse- point d'entrer en ébullition ; c'est seulement
ment ordinaire deviendra alors un véritable lorsque l'eau bout pour de bon que le siffle-
vacarme difficile à ignorer sans avoir recours ment commence à se faire entendre. C'est
à un casque ; le bruit peut parfois s'avérer très commode ... mais pourquoi donc ?
assourdissant.
Lorsque les bulles se rompent, elles
Qu'est-ce qui génère ces sons caracté- libèrent des protons. Ces protons génèrent
ristiques? immédiatement une pression répulsive à
Les sons proviennent de vibrations l'intérieur de la bouilloire. Cette pression
mécaniques. Lorsque l'on chauffe de l'eau, pousse la vapeur à grande vitesse à travers
des vésicules commencent à se former. le sifflet (on peut parfois observer la vapeur
Ces vésicules liquides peuvent fusionner émerger du bec de la bouilloire) en produi-
ou se rompre, chacun de ces événements sant un son comme une clarinette le fait. Ces
produisant des vibrations mécaniques ; une protons n'apparaissent qu'au moment précis
rupture émettra un bruit sec particulière- où l'ébullition commence. Ainsi, lorsque vous
ment sonore, un peu comme un ballon qui entendez le sifflement, vous pouvez être sûr
éclate. Nous interprétons ces ruptures sous que votre eau est véritablement entrée en
pression comme des sons. Plus les vésicules ébullition.
Le mystère des gouttes sur mes vitres de voiture :
le rayonnement de ma voisine

Plus haut dans ce chapitre, j'avais parlé des gouttes s'accumulant sur des
surfaces de verre froid, et nous avions vu que l'orientation avait un impact sur
le phénomène. À présent que nous avons quelque compréhension de la manière
dont se comportent les gouttes, je reviens sur le sujet pour voir si la question de
l'orientation peut en effet ou non découler du charme rayonnant de ma voisine.
Une question pertinente concerne la nature de l'humidité dans l'air. Bien que
le prochain chapitre traite de ce sujet, laissez-moi prendre un peu d'avance et
vous dire que l'humidité dans l'air existe essentiellement sous forme de vésicules,
même si on ne les voit pas du fait qu'elles ne dispersent que très peu de lumière.
Toutefois, on peut déduire leur présence lorsqu'elles se condensent sous la forme
de nuages visibles.
Ces vésicules aériennes peuvent également se condenser sur des surfaces
hydrophiles. La condensation se produit lorsque les enveloppes de type ZE res-
pectives s'accrochent (Fig. 14.8), phénomène observable sur les vitres froides
de votre voiture, ou encore aussi sur le miroir de votre salle de bain lorsque vous
soufflez dessus le matin avant d'allumer le chauffage. Les vésicules collent. Si
vous regardez attentivement, vous pourrez voir une myriade de gouttes dont
chacune adhère à la surface de verre.
Il faut de l'énergie rayonnante pour retirer ces gouttes de la surface: celle-ci
va former des ZE qui vont générer des protons internes ; ces derniers vont à
leur tour générer une pression conférant une forme plus ronde à la goutte. Cette
rondeur croissante va réduire la taille de la zone d'adhérence; une fois cette zone
presque réduite à néant, la vésicule ne pourra plus adhérer à la surface ; elle
retournera donc dans l'atmosphère, et la vitre sèchera.
L'expérience de la vitre de voiture dérive directement de cette interprétation.
La vitre côté conducteur fait face à un espace vide où rien ne produit une émission
significative de rayonnement; c'est pourquoi les gouttes restent collées à la vitre,
du moins jusqu'à ce que le soleil monte assez haut dans le ciel pour les chasser.
Le côté opposé de ma voiture reçoit un flux d'énergie rayonnante émis en continu
par la maison voisine maintenue chaude et douillette toute la nuit ; ainsi, toute
goutte qui viendrait se poser sur ce côté de ma voiture en est rapidement chassée.
Dans un certain sens, l'influence de ma voisine joue un rôle, même si je n'ai
jamais pensé à le lui dire.

250
Pourquoi peut-on sentir la soupe?

Qu'elle soit à l'ail, à l'oignon ou au pou-


let, vous sentirez son odeur en approchant
de la cuisine. Pourquoi ? On peut naturel-
lement penser que des molécules de soupe
se volatilisent avec l'eau qui s'évapore
lorsqu'on la chauffe ; celles-ci atteignent
ensuite votre nez et vous permettent de
sentir la soupe.
Cependant, un phénomène similaire se
produit en bord de mer alors même que l'on
ne peut pas invoquer l'excuse de la chaleur;
en effet, on réalise souvent qu'on se trouve
au bord de la mer grâce aux embruns.
Du sel parvient à s'échapper de la mer,
probablement par évaporation, et il arrive
fréquemment que ce sel volatilisé atteigne
les nuages. En fait, la quantité de sel qui Pour voir comment cela pourrait se
s'y trouve est telle que des scientifiques produire, pensez à la soupe. Lorsque les
ont émis l'hypothèse qu'elle était capable vésicules se forment, les enveloppes de
de donner naissance à une formation nua- ZE emprisonnent le liquide à proximité,
geuse. généralement de l'eau (avec des protons).
Néanmoins, des ingrédients de la soupe
Dans les deux exemples ci-dessus, du jour peuvent aussi se trouver près de la
quelque chose provenant d'une masse ZE en formation ; dans ce cas, les vésicules
d'eau se déplace jusqu'à un site distant ; contiendraient des molécules de la soupe.
si le premier exemple implique la chaleur,
ce n'est pas le cas pour le second. Si un S'étant développées à partir de ces
mécanisme de transport commun existe, il vésicules contenant de la soupe, les bulles
ne peut s'agir d'une évaporation provoquée matures qui viennent mourir à la surface
par la chaleur; il pourrait en revanche être peuvent alors relâcher les molécules aro-
lié aux vésicules. Des vésicules nucléées matiques ; vous pourrez alors la sentir.
par des aspérités se forment avec certi- Ces molécules peuvent également tout
tude dans la soupe bouillonnante, mais on simplement rester à l'intérieur des vésicules
trouve également des vésicules dans les qui s'évaporent et que vous respirez. Même
mers déchaînées sous la forme de gouttes lorsque la soupe (ou tout autre mets)
projetées par le vent. refroidit, vous pourrez continuer à sentir
son odeur si des vésicules continuent à
Ces vésicules pourraient-elles transpor- s'évaporer (Chapitre 15) ; ce sont elles qui
ter les molécules en question ? renferment l'odeur.

251
En résumé

Ce chapitre a principalement traité de fusion entre vésicules suivant le prin-


cipe mécanique de la « fermeture Éclair ». Les ZE des vésicules s'assemblent de
cette manière en créant une zone frontière plate entre les sphères.
Une telle frontière plate donnerait facilement lieu à la formation d'une seule
vésicule plus grosse dotée de parois plus épaisses, rendant ainsi la nouvelle vési-
cule plus robuste. La durabilité s'accroît avec chaque fusion successive, et les
vésicules augmentent leurs chances de survivre assez longtemps pour produire
des vésicules encore plus grosses; c'est la répétition de ce processus qui va main-
tenir leur croissance.
Il est possible que l'intérieur liquide d'une vésicule se transforme en vapeur à
un moment donné ; cela arrive lorsque la vésicule capture suffisamment d'énergie
rayonnante incidente. Cette énergie va augmenter le nombre d'ions hydronium au
sein de celle-ci, élevant ainsi la pression interne. La pression augmentant suffi-
samment, l'enveloppe cède, étendant la vésicule. Alors, toutes les molécules d'eau
à l'intérieur subiront une baisse brutale de pression susceptible de les convertir
en vapeur. Les vésicules remplies de vapeur s'élevant à la surface peuvent provo-
quer l'ébullition.
Le seuil critique de l'ébullition dépendra moins de la température que de la
concentration en vésicules. Lorsque des vésicules apparaissent en concentra-
tion suffisante, comme avec de l'eau chauffée intensément, il est fréquent de
voir celles-ci fusionner. Les vésicules qui fusionnent deviennent de plus en plus
robustes. À un certain moment, une croissance continue devient virtuellement
inévitable, puis les grosses bulles viennent éclater à la surface en créant le phé-
nomène de l'ébullition.
Le mécanisme de type fermeture Éclair qui gouverne la coalescence des
vésicules a également des conséquences pratiques. Lorsqu'une goutte repose sur
une surface plate, sa base s'aplatit en raison même de ce mécanisme ; plus cette
surface sera hydrophile, plus la goutte s'aplatira en abaissant son profil. Grâce à
la mesure de son angle de contact, la variation du profil d'une goutte fournit un
moyen commode pour juger du degré d'hydrophilie d'une surface.
Les vésicules sont fondamentales non seulement pour le phénomène de
l'ébullition mais aussi pour celui de l'évaporation ; le chapitre qui suit montre
pourquoi, en nous livrant des preuves inattendues.

252
253
... .
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254
15 Des nuages au-dessus de votre café :
la remarquable nature de l'évaporation

C e n'est pas Starbucks qui prépara la première tasse de café. D'après la légende,
cet honneur revient à un gardien de troupeau de chèvres éthiopien du 13ème
siècle du nom de Kaldi. Un jour, Kaldi remarqua que ses chèvres étaient anor-
malement dynamiques lorsqu'elles mordillaient des baies rouge vif ; il décida de
mâcher lui-même quelques-unes de ces baies et ne tarda pas à réaliser leur effet
énergisant.
Fier de cette découverte, Kaldi apporta des baies
au dignitaire religieux local. Mais le saint homme ne se
montra aucunement impressionné ; bien au contraire,
il manifesta violemment sa contrariété : au feu, les
baies 1
Les baies en train de chauffer laissèrent alors
s'échapper un arôme très agréable. Toujours curieux,
Kaldi retira subrepticement quelques-unes des baies
du feu, les ramena chez lui et les réduisit en une
poudre qu'il mélangea avec de l'eau chaude ... et voilà:
la première tasse de café du monde.
Le café chaud impacte tous nos sens, même la
vue lorsque des volutes de vapeur s'élèvent tels des
cobras du panier d'un charmeur de serpent (Fig. 15.1).
La photo de la Figure 15.1 ne vous étonnera pas, et
pourtant elle le devrait : selon la pensée convention- Fig. 15.1 La vapeur s'élève en
nelle, cette vapeur ne devrait pas être visuellement une série de bouffées et de
détectable puisqu'il est généralement impossible de minces filets.
voir les substances sous leurs formes gazeuses.
De quoi une chose a-t-elle besoin pour se rendre visible? La visibilité dépend
de la dispersion de lumière. La vapeur de café est visible car les vésicules qui
composent cette vapeur dispersent la lumière entrante, et vos yeux la détectent.
La quantité de lumière dispersée dépend de la taille de la vésicule : pour qu'une
vésicule diffuse une lumière perceptible, son diamètre doit être au moins égal à la
longueur d'onde de la lumière incidente, soit approximativement un demi micro-
mètre. Chacune des vésicules qui composent la vapeur devrait donc renfermer des
milliards de molécules d'eau.
Mais il y a plus. Si vous regardez la Figure 15.1, vous remarquerez que la
vapeur ne s'élève pas de façon uniforme, mais en « bouffées» flottant à la suite les

255
unes des autres; la surface semble expirer un nuage après l'autre, chacun conte-
nant un grand nombre de vésicules, chacune renfermant un nombre gigantesque
de molécules d'eau. Au final, un nombre astronomique de molécules d'eau s'élève
à chaque bouffée.
De petits filets de vapeur (visibles à droite de la Figure 15.1) s'échappent
également du liquide chaud. Si ces filets ressemblent à de fragiles spaghettis
que l'on sortirait du liquide, ils maintiennent toutefois leur intégrité en montant.
Comme ils sont visibles, ils doivent contenir de nombreux éléments dispersant la
lumière - peut-être des chaînes de vésicules renfermant de l'eau.
La vapeur ne prend pas cette forme particulière uniquement avec le café; un
de mes étudiants nota la même chose en prenant un bain en plein air en Asie :
des bouffées de vapeur s'élevaient directement de l'eau chaude et montaient les
unes derrière les autres en succession rapide. En fait, ce phénomène est courant :
toute boisson chaude produira une vapeur similaire caractérisée par des bouffées
distinctes s'élevant à la chaine, sans rien de notable entre elles.
Une idée reçue voudrait que les liquides s'évaporent une molécule après
l'autre: de façon aléatoire, l'énergie cinétique« propulserait» une molécule depuis
la surface du liquide, puis un grand nombre de celles-ci « se condenseraient »,
formant les nuages visibles s'élevant dans l'air plus froid au-dessus. Toutefois,
obscure reste la raison qui pousserait ces molécules éparpillées à se condenser
instantanément une fois dans l'air, tout comme celle poussant cette condensation
à prendre la forme de bouffées distinctes plutôt que celle d'un seul long nuage
continu.
Ce chapitre revisitera le processus de l'évaporation en s'appuyant sur ce que
l'on sait maintenant de la nature de l'eau. Nous étudierons d'abord l'anatomie
de ces nuages s'élevant de liquides chauds pour voir ce qui se trouve à l'inté-
rieur. Ensuite, ces nuages émergeant directement d'un liquide, il est naturel de se
demander s'ils ne sont pas le reflet de structures correspondantes dans l'eau. Si
oui, pourquoi s'élèvent-ils sous forme de bouffées séparées plutôt que de manière
continue? Et qu'arrive-t-il aux vésicules d'un nuage une fois dispersé?
Pour résumer, nous nous intéresserons à la nature fondamentale de l'évapo-
ration.

Anatomie de la vapeur
Afin d'étudier la vapeur en laboratoire, nous eûmes recours à l'illumination
laser : un prisme servant à transformer un faisceau laser en un plan lumineux
horizontal, nous le plaçâmes horizontalement au-dessus d'un récipient d'eau
chaude, aussi près que possible de celle-ci mais sans la toucher. Ce dispositif
nous permit d'obtenir des vidéos de vapeur juste à la sortie de l'eau. 1

256
Je me souviens encore de l'étudiant exubérant déboulant dans mon bureau
pour me montrer les résultats de l'expérience. J'étais sidéré : sa vidéo montrait
que les vapeurs s'élevant (Figure 15.1) n'étaient pas dénuées de forme : les
coupes transversales horizontales présentaient des motifs en mosaïque évoquant
les bretzels (Fig. 15.2), des structures annulaires accolées l'une à l'autre. Le reste
semblait vide, dépourvu de vapeur. Les lignes formant la mosaïque contenaient
toute l'eau en train de s'évaporer.
Bien que ces mosaïques semblaient individuellement plates, la séquence
d'images révéla autre chose : une forme de bretzel persistait durant plusieurs

Fig. 15.2 Exemples


de vapeur s'élevant
d'une eau chaude.
Les anneaux blancs
représentent les fortes
concentrations en
vésicules formant la
vapeur visible.

images, mon-
trant seulement quelques subtiles variations pendant généralement une à deux
secondes, après quoi le bretzel s'évanouissait. Puis un bretzel entièrement diffé-
rent apparaissait et restait encore visible une seconde ou deux pendant lesquelles
la vapeur passait à travers le plan de lumière.
Manifestement, chacun devait s'étendre verticalement, formant une pile de
bretzels. Autrement dit, un nuage de vapeur avait l'apparence d'un groupe de
tubes étroitement empaquetés s'élevant verticalement du liquide chaud.
Le motif dessiné par la vapeur s'élevant n'était pas figé. Subissant l'impact de
flux locaux de convexion, la structure multitubulaire se déformait inévitablement
en montant. À distance, cette structure ressemblait à un nuage informe, mais on
pouvait toujours détecter des vides sous forme de trous sombres (on les distingue
à peine dans le nuage le plus bas de la Figure 15.1).

257
Quand les dauphins font des anneaux
Des anneaux similaires aux struc-
tures annulaires de vapeur ont déjà
été observés ailleurs : les dauphins
produisent des anneaux vaporeux
avant de jouer sans fin avec eux,
apparemment à seule fin d'amuse-
ment. Lorsque ces anneaux finissent
par se dissiper, ils se brisent en une
myriade de minuscules vésicules.
Un charmant spectacle à voir en vidéo. wi

Abasourdis par ces observations, nous étions comme des enfants découvrant
le monde pour la première fois, attendant avec hâte d'autres surprises. Nous les
trouvâmes. Nous remarquâmes vite que les tubes ne provenaient que de régions
limitées de la surface. Une région pouvait émettre un nuage ou laisser s'échapper
un filet quand d'autres immédiatement adjacentes ne produisaient rien du tout -
aucune évaporation détectable. Les zones émettrices pouvaient se déplacer dans
le temps, mais, pendant un laps de temps donné, le nuage ne sort que de régions
limitées de la surface.
Ces observations nous étonnèrent : nous savions que la vapeur devait conte-
nir des vésicules de taille importante pour être visible, et nous avions également
l'impression d'avoir compris quelque chose au sujet de la structure de celles-ci
(Chapitre 14), mais ces images suggéraient quelque chose de plus. Ces vésicules
paraissaient s'assembler d'elles-mêmes pour former de longs tubes déjà structurés
en sortant de l'eau ; plusieurs tubes pouvaient de toute évidence rester groupés
en s'élevant dans les airs, même si les nombreuses vésicules les composant se
dispersaient sûrement lorsque le nuage visible se dissipait au-dessus du liquide.
Les formes tubulaires que prend la vapeur n'apparaissaient pas par magie.
Ces formes émergeant directement de l'eau, il était naturel de se demander si l'eau
ne renfermait pas des structures correspondantes engendrant ensuite ces formes
tubulaires observées. Une puissante curiosité nous motiva: se pouvait-il que l'eau
contienne ce genre de structures?

Structures spatiales dans l'eau


Vous avez déjà vu à de nombreuses reprises la surface d'une eau chaude, par-
faitement plate et dénuée d'intérêt ; pourtant, les observations expérimentales

258
montrent quelque chose de bien différent. Par
exemple, des images infrarouges prises au-des-
sus d'une eau chaude révèlent des structures
mosaïques de type annulaires évoquant celles
dans la vapeur ; la Figure 15.3 nous en livre un
exemple. Par la suite (Fig. 15.11), je vous présen-
terai la preuve que ces anneaux sont les sommets
de structures tubulaires se projetant dans l'eau. Fig. 15.3Image infrarouge prise
Les séparations sombres sur cette photo d'eau du dessus d'une surface d'eau
correspondent aux séparations lumineuses sur la chaude. Échelle des températures
photo de vapeur (comparez les Fig. 15.2 et Fig. 15.3). équivalentes à droite.
Dans les deux cas, les séparations contiennent de
l'eau. Si plusieurs des anneaux sombres visibles dans
l'eau pouvaient d'une quelconque manière se retrouver dans l'air situé au-dessus,
ils formeraient des structures de vapeur comme celles observées. Bien entendu,
l'eau dans le récipient existe sous forme liquide, tandis que le nuage au-dessus
est de la vapeur - un problème à résoudre. Il n'en demeure pas moins que la
correspondance entre les structures liquides et les structures de la vapeur sont
trop évidentes pour ne pas en tenir compte.
Il y a également quelques anneaux relativement petits (par exemple en haut
à droite de la Fig. 15.3) ; si de tels anneaux minuscules venaient à s'échapper du
liquide, ils formeraient les filets rappelant des spaghettis vus dans la vapeur (Fig.
15.1).
Ainsi, on retrouve dans l'eau les caractéristiques structurelles découvertes
dans la vapeur; cette correspondance est vraie dans une large plage de tempéra-
ture. À des températures élevées, les structures dans le liquide sont plus petites,
dynamiques et abondantes (Fig. 15.4), ce qui semble logique: les forts taux d'éva-
poration accompagnant les températures élevées
impliquent davantage de vésicules s'évaporant de
Fig. 15.4 Photos prises à partir
l'eau, et donc un nombre plus important de vésicules
d'une caméra infrarouge mon-
plus dynamiques à l'intérieur de l'eau. Nous voyons
trant les structures apparaissant
donc que les structures de vapeur et d'eau sont liées.
à la surface de l'eau à différentes
températures.

259
L'origine des structures en mosaïque de l'eau
Qu'est-ce qui pourrait bien créer ces structures en mosaïque dans l'eau?
Nous observâmes ces structures à l'aide d'une caméra infrarouge. Les zones
les plus sombres sur les photos représentant les régions en émettant le moins,
nous constatons que les séparations émettent moins d'énergie infrarouge que
les régions qu'elles renferment. Certains diraient que ces séparations sont « plus
froides».
En effet, l'interprétation conventionnelle des images infrarouges est fondée
sur la température. Cette interprétation est devenue tellement standard que les
fabricants de caméras infrarouges fournissent une échelle des températures
comme celle à droite de la Figure 15.3. D'après cette échelle, la température des
séparations de l'image devrait plafonner aux environs de 62°C, tandis que les
zones intérieures plus claires devraient avoir une température plus proche de 64
ou 65°C. L.'.échelle de référence permet de faire une interprétation commode ...
mais qui peut être erronée, comme je vous le montrerai dans un instant.
Des structures comme celles des Figures 15.3 et 15.4, appellées des cellules
de Rayleigh-Bénard, sont bien connues des spécialistes. Des scientifiques ont étu-
dié ce type de cellules dans de nombreux liquides, et, dans une moindre mesure,
dans l'eau. 2
On pense généralement que ces cellules reflètent des gradients élevés de
température pour la raison suivante : l'eau chauffée au fond du récipient devrait
être moins dense que l'eau au-dessus ; de ce fait, l'eau du fond devrait s'élever,
atteindre la surface et s'évaporer, refroidissant au passage les molécules d'eau à
proximité (l'évaporation est un processus de refroidissement). L.'.eau refroidie, plus
dense, retomberait rapidement au fond. La descente, se produisant à la périphérie
de chaque cellule de Rayleigh-Bénard, créerait les anneaux plus froids (sombres).
Ainsi, l'interprétation conventionnelle fournit un cadre de compréhension raison-
nable ; et en effet, on peut observer ces flux ascendants et descendants.
Toutefois, d'autres interprétations sont possibles, notamment quand on est
conscient des ambiguïtés liées à la notion de température (Chapitre 10). Une
alternative possible concerne l'ordre. Un matériau de séparation plus ordonné
rayonnerait moins que la région qu'il encercle : les charges se déplaçant moins
dans la zone ordonnée, cette restriction de leur mouvement produirait moins de
rayonnements infrarouges.
Pour consolider cette alternative, souvenez-vous de l'image infrarouge de la
Figure 3.14 : la ZE était plus sombre que l'eau adjacente car sa structure ordon-
née émettait moins d'énergie infrarouge. La même chose pourrait s'appliquer ici.
La séparation en mosaïque, plus sombre, pourrait se composer d'un matériau de

260
type ZE qui émettrait moins d'énergie infrarouge en
raison de sa stabilité cristalline liquide.
Pour déterminer laquelle de ces possibilités était
la plus prometteuse, nous optâmes pour une stratégie
simple : vérifier s'il était possible de voir la structure
en mosaïque à la lumière visible ordinaire. Les camé-
ras du spectre visible créent des images basées sur
des caractéristiques optiques et non thermiques. (En
fait, la température affecte légèrement les propriétés
optiques de l'eau, mais ces effets sont négligeables
sur l'écart de quelques degrés qui nous intéresse).
Quoi qu'il en soit, le fait de pouvoir voir la structure
en mosaïque à l'œil nu ou de la capturer avec une
caméra ordinaire ébranlerait les explications qui se
basent sur la température au profit d'explications
impliquant des matériaux de type ZE.
Les photos de la Figure 15.5 confirment que
ces structures sont parfaitement discernables à la Fig. 15.5 Structures en
lumière visible. Si ces structures peuvent paraître
mosaïque dans une casserole
moins distinctes que celles que l'on observe avec une
d'eau chaude (haut) et dans une
caméra infrarouge, il est toutefois possible de les voir
tasse d'eau chaude (bas). Ces
à l'œil nu ou de les photographier avec un appareil photos ont été prises avec des
ordinaire.
appareils ordinaires.

La photographie de la Figure 15.6 montre ces


structures encore plus clairement. Nous obtînmes
cette image d'une casserole d'eau chaude en l'éclairant avec de la lumière ordi-
naire sous un angle incident très réduit, le contraste étant lié à la dispersion de
lumière par les vésicules de surface dont la concentration était de toute évidence
différente dans les régions claires et sombres. Les
photos de structures en mosaïque obtenues de
cette manière étaient fondamentalement similaires
à celles obtenues simultanément avec du matériel
infrarouge. 1
Manifestement, les séparations visibles conte-
naient quelque chose de nettement différent du reste
de l'eau. Un bon candidat était l'eau-ZE. Les proprié-
tés optiques des ZE diffèrent de celles du reste de
l'eau en vrac d'au moins deux façons : d'abord, l'ab-
sorption de lumière est différente3 ; de plus, l'indice

Fig. 15.6 Structure en mosaïque


vue en utilisant un éclairage
ordinaire à faible angle incident.
de réfraction diffère, avec un indice de réfraction d'environ 10% supérieur à celui
de l'eau normale.4 ·5 Ces différences optiques pourraient aisément produire le
contraste visible entre des ZE et des régions dépourvues de ZE .
L'interprétation basée sur les ZE semblait tout à fait cohérente. Néanmoins,
il restait une chose à régler. Vous souvenez-vous des flux verticaux ? Ces flux
étaient essentiels à l'interprétation conventionnelle, et leur existence était avérée.
Mais ces flux trouvaient-ils leur place dans la nouvelle interprétation ? Si oui,
qu'est-ce qui les créait et quel rôle jouaient-ils?

Matériaux de ZE et flux caractéristiques


Afin de recueillir des données sur les flux verti-
caux, nous étudiâmes les structures en mosaïque
visibles dans divers liquides aqueux. Les soupes nous
parurent intéressantes, pouvant souvent y voir des
particules de nourriture en suspension dont on pour-
rait suivre l'évolution. La soupe miso chaude s'avéra
particulièrement adaptée, présentant des séparations
en mosaïque similaires à celles vues précédemment
(voir Figure 15.7).
L'observation de structures en mosaïque dans
cette soupe traditionnelle japonaise à base de
Fig. 15.7 Soupe misa chaude poisson et de soja fermenté devint une obsession
présentant une structure en au laboratoire ; tout le monde s'y mit. Un examen
mosaïque visible. minutieux révéla deux caractéristiques essentielles :
tout d'abord, les lignes de séparation étaient plus
transparentes que les zones qu'elles renfermaient ;
manifestement, ces séparations excluaient les parti-
cules de soupe, qui restaient par conséquent en sus-
pension à l'intérieur des cellules. Cette caractéristique
d'exclusion renforça immédiatement l'idée qu'elles
contenaient un matériau de type ZE.
Seconde observation : les particules de soupe
semblaient s'écouler continuellement, montant à l'in-
térieur de chaque cellule avant de redescendre à sa
périphérie, comme des bains à circulation. Les sépa-
rations en mosaïque n'y participaient manifestement
pas ; elles se contentaient de circonscrire chaque
région où elle avait lieu . Ainsi, les écoulements des-
Fig. 15.8 Structure en mosaïque
cendants attendus étaient donc bien présents ;
visible dans un mélange froid de
lait (1% de matière grasse) et de
lait d'amande.
cependant, nous semblait-il, ces écoulements se produisaient sans impliquer les
séparations. Les séparations« froides» et denses supposées s'écouler vers le bas
ne le faisaient pas.
Ces séparations étaient suffisamment nettes pour être observées même sans
aucun écoulement vertical. La Figure 15.8 montre un mélange moitié lait pur -
moitié lait d'amande, chacun prélevé dans le réfrigérateur juste avant mélange.
La structure est extrêmement stable. Nous ne détectâmes aucune circulation
descendante, même après de nombreuses tentatives. Un écoulement descendant
n'était pas une caractéristique obligatoire de la formation d'une mosaïque, au
moins dans certains liquides. L'écoulement serait une caractéristique secondaire,
apparaissant de manière plus évidente avec des températures supérieures.
Les différents liquides testés n'ont pas seulement servi à nous nourrir ; ils
ont également étanché notre soif de connaissance. De simples observations
révélèrent que les mosaïques étaient une caractéristique fondamentale et les
écoulements, une conséquence secondaire. De plus, la transparence des sépara-
tions dans la soupe miso indiquait que le matériau les constituant était dépourvu
de particules ; ces séparations excluaient vraiment.
Même si les écoulements verticaux ne semblaient que secondaires par rap-
port aux mosaïques, leur réalité leur conférait une importance potentielle, notam-
ment pour les liquides chauds présentant les flux les plus importants et les plus
fortes évaporations. Nous voulions comprendre comment ils s'intégraient dans le
processus général.
Mais avant tout, nous souhaitions déterminer la nature exacte du matériau
de type ZE constituant les séparations en mosaïque.

Composition des séparations en mosaïque de l'eau


Le matériau de séparation pouvait être constitué par une zone d'exclusion
standard, celle côtoyant généralement les surfaces hydrophiles - un choix plutôt
instinctif. Toutefois, le fait que le matériau standard formant la ZE ne dessine
habituellement pas de structures en mosaïque avec de grands anneaux nous fit
mettre cette option de côté.
Une seconde possibilité était une mosaïque construite à partir de nombreuses
vésicules, sur le modèle de celle de la vapeur. Enveloppées par des membranes
de type ZE, les vésicules pourraient exploiter le mécanisme « même aime même»
pour s'auto-assembler en de vastes arrangements et même former des réseaux
pouvant exclure. Les matériaux bruts nécessaires à leur construction devraient
être disponibles puisque l'eau chaude contient de nombreuses vésicules (Chapitre
14). L'eau extrêmement chaude en contient même une multitude - justement là

263
où les mosaïques étaient les plus nombreuses. L'op-
tion des vésicules semblait donc prometteuse.
En fait, on pouvait bien distinguer des vésicules
individuelles dans la mosaïque. La Figure 15.9a
montre les premières étapes de la formation d'une
mosaïque dans de l'eau chaude ; on peut y voir des
vésicules individuelles. D'autres sont également
visibles à la Figure 15.9b, de l'eau chaude prove-
nant d'un robinet ordinaire. Dans les deux cas, les
séparations annulaires des mosaïques semblent se
construire à partir de vésicules adjacentes.
Ce sont également des vésicules contiguës qui
forment les séparations dans la vapeur, comme vu
précédemment. Communément appelées gouttes en
suspension, ces vésicules dispersent la lumière et
confèrent à la vapeur sa visibilité. La Figure 15.10
confirme que la vapeur est constituée de vésicules :
un éclairage adéquat permet de voir que ce sont des
vésicules individuelles qui y forment les séparations.

Fig. 15.9 Naissance de Ainsi, les anneaux en mosaïque des liquides et


structures en mosaïque.(a) de la vapeur présentent des structures similaires ;
Eau chaude versée dans un dans les deux cas, ces anneaux se composent de
récipient. Un examen attentif vésicules contiguës. Nul besoin d'un effort de logique
de la partie en haut à droite extraordinaire pour déduire que l'arrangement que
révèle les anneaux en mosaïque l'on observe dans l'eau pourrait s'en échapper pour
se formant à partir de vésicules former l'arrangement similaire que l'on trouve dans
individuelles. (b) Eau de robinet la vapeur ; ceci est directement confirmé par des
à 60°C recueillie dons un bol de vidéos montrant des coupes de vésicules s'élevant
couleur claire. Un linge sombre des séparations en mosaïque de l'eau pour former
placé ou fond du bol renforce le les séparations en mosa·1que de la vapeur. 1 Ainsi, les
contraste. Des vésicules s'accu- mosaïques de l'eau sont à l'origine des mosaïques de
mulent près des séparations en la vapeur.
laissant les cellules relativement
vides.

Fig. 15.10 Vapeur ou-dessus


d'une eau chaude. L'éclairage
révèle la nature vésiculaire de Io
vapeur.
Structures profondes de la mosaïque
et circulation
Le nuage s'évaporant a une dimension verti-
cale et prend la forme de tubes qui s'élèvent. Si la
mosaïque de la vapeur provient de la mosaïque
de l'eau, la mosaïque de l'eau pourrait alors éga-
lement se prolonger verticalement ; dans ce cas,
une structure pourrait facilement donner nais-
sance à l'autre. Autrement dit, les mosaïques de Fig. 15.11 Vues oblique et de
l'eau pourraient s'étendre sous la surface. La Figure côté d'une eau chaude avec
15.11 confirme cette hypothèse : les lignes de sépara- une caméra infrarouge. Nous
tion sombres de la mosaïque dans l'eau se prolongent constatons la présence de lignes
en dessous de la surface, y créant des structures se projetant vers le bas.
tubulaires en mosaïque rappelant celles de la vapeur.
Ces lignes verticales étaient assez dynamiques.
Dans une eau qui s'évapore rapidement, elles pouvaient se courber ou onduler
vers le fond, comme si la partie basse de ces lignes se projetait librement depuis le
haut, dans un processus continu. Des vidéos nous apportèrent quelques pistes,
révélant qu'une importante quantité de matériau s'écoulait constamment vers le
fond le long de ces lignes verticales.
Ce matériau s'écoulant vers le fond était presque certainement vésiculaire.
Le récipient utilisé dans cette expérience contenant seulement de l'eau pure, une
partie de celle-ci devait être à l'origine de ce matériau s'écoulant vers le fond. Les
vésicules, abondamment présentes dans l'eau chaude, étaient les seules candi-
dates plausibles ; clairement, leur mouvement descendant le long des lignes de
séparation créait ce dynamisme manifeste.
On put déduire la nature de cet écoulement de vésicules à partir des obser-
vations faites sur la soupe miso (Fig. 15.12) ; en effet, nous avions découvert

Fig. 15.12 Flux circulatoires


observés dans de l'eau chaude .
... Les flux descendants se
...=~...
. concentrent à côté des sépara-
tions de la mosaïque.
...
..

265
que le miso montait vers la surface au centre de la cellule mosaïque et redes-
cendait vers le fond à proximité des séparations. On présuma que les vésicules
suivent un trajet similaire dans l'eau pure. Les vésicules, nucléées au fond ou
près du fond d'un récipient d'eau chaude (Chapitre 14), seraient prises dans le
flux ascendant. Celles-ci pourraient même gouverner le flux si une intense énergie
infrarouge évaporait le liquide à l'intérieur, réduisant leur densité ; ces vésicules
semblables à des bulles s'élèveraient logiquement. En fait, les vésicules en phase
ascendante généraient des monticules visibles au centre de la surface de chaque
cellule, observables en particulier dans la soupe miso chaude, comme un paysage
de petites collines saillantes.
Une fois la surface atteinte, les vésicules doivent bien aller quelque part.
S'évaporer dans l'air est une possibilité; mais les structures de la vapeur rendent
cette option improbable, l'évaporation se produisant uniquement depuis les
séparations et non depuis l'intérieur des cellules. La cause pourrait être un refroi-
dissement dû à la proximité d'un air plus frais ; revenues à leur état de vésicules
remplies de liquide, elles seraient incapables de s'envoler.
Une autre option pour ces vésicules est alors de retourner vers le fond. Atti-
rées vers les séparations par le mécanisme« même aime même», les vésicules se
déplaceront d'abord de côté. Atteignant les séparations, elles retomberont vers
le bas, peut-être poussées par toutes les vésicules alignées derrière elles. Ce flux
descendant se produit à côté des parois de séparation, exactement comme les
particules dans la soupe miso. Des photos mettent en évidence ces flux descen-
dants de vésicules que l'on voit attirées par les séparations où elles se concentrent.
Les vésicules descendantes jouent également un rôle essentiel: elles appro-
visionnent la mosaïque. La mosaïque existante perdant continuellement de la
matière vaporisée, il est nécessaire de la remplacer, rôle assuré par les vésicules
descendantes: attirées par le mécanisme« même aime même», elles se lient aux
parois de vésicules existantes. Grâce à cela, la mosaïque peut perdurer, et l'éva-
poration se poursuivre toujours aussi intensément. La structure de la mosaïque a
besoin de ces flux pour maintenir son existence.
Les flux verticaux ont aussi du sens d'un point de vue énergétique. L'eau
chauffe parce qu'elle absorbe de l'énergie rayonnante. L'énergie absorbée rompt
l'équilibre entre l'eau et son environnement. Pour le retrouver, elle doit perdre de
l'énergie, et pour cela soit la réémettre, soit accomplir un travail. Les flux font les
deux. Les molécules d'eau effectuent un travail en luttant contre le frottement
moléculaire pour s'écouler; cette action requiert une dépense d'énergie, exprimée
sous forme d'un travail. Un écoulement peut aussi diffuser de l'énergie lorsque les
vésicules chargées se déplacent rapidement à travers l'eau. Ces caractéristiques
feraient des flux verticaux un moyen pour l'eau de libérer un trop-plein d'énergie,
nous montrant ici un autre exemple du rôle de convertisseur d'énergie de l'eau
(voir Chapitre 7).
266
Deux points importants émergent de cette discussion. Premièrement, la
mosaïque de l'eau est une entité à trois dimensions, tout comme la mosaïque de
la vapeur; toutes les deux prennent la forme de tubes verticaux. Deuxièmement,
les tubules de la mosaïque de l'eau sont renouvelables : lorsque des complexes
tubulaires s'élèvent pour créer de la vapeur, de nouvelles vésicules descendent le
long des parois de la mosaïque pour réapprovisionner ces complexes; ce réappro-
visionnement permet à l'évaporation de se poursuivre.

L'évaporation
Mais alors, qu'est-ce qui déclenche chaque bouffée de vapeur?
Cette question amène à la question plus générale : quelle énergie gouverne
l'évaporation ? L'eau s'évaporant plus rapidement quand elle reçoit une plus
grande quantité de chaleur ou de lumière solaire, l'énergie rayonnante est un
bon candidat. Le chapitre précédent nous permet d'établir un scénario cohérent:
l'énergie rayonnante forme des ZE autour des vésicules ; les ZE augmentent le
nombre de protons à l'intérieur, élevant la pression interne; celle-ci agrandit les
vésicules et vaporise le liquide à l'intérieur; alors, les vésicules remplies de vapeur
s'évaporent. Ici, c'est l'énergie rayonnante qui produit l'évaporation.
Mais pour quelles raisons ces vésicules s'élèvent-elles dans les airs ? Les
vésicules pleines de vapeur sont assurément moins denses que les vésicules
remplies de liquide ; peut-être cette densité moindre les fait-elles s'élever ? La
diminution de la densité intérieure n'explique toutefois pas tout, les vésicules
possédant une membrane se composant d'un matériau dense de type ZE, bien
plus dense que l'eau liquide. En fonction du rapport de masse entre la membrane
et l'intérieur de la vésicule, celle-ci pourrait
facilement rester globalement plus dense que
l'air. Quelque chose de plus sûr qu'une densité ? R1s E DE R1SQU ES
réduite semble nécessaire pour les propulser
vers le haut.
Cet agent propulseur pourrait être la
charge. Permettez-moi une petite digression
explicative.
Imaginez des vésicules évaporées s'élevant
dans la haute atmosphère. Celles-ci, souvent
appelées « gouttelettes en suspension »,
peuvent se condenser pour finalement former
des nuages. L'eau dans ces nuages peut être très lourde ; un collègue spécialiste
des sciences atmosphériques estime le poids des nuages non en kilogrammes
mais en termes plus faciles à se représenter : en éléphants. Ainsi, pour un gros

267
Fig. 15.13 Les vésicules chargées
négativement sont repoussées de
la surface de la Terre.

-- -
î ERRE
cumulonimbus, le total des gouttelettes en suspension peut s'élever à quinze mil-
lions d'éléphants. Cela fait quand même beaucoup d'éléphants suspendus dans
les airs (et une très bonne raison de posséder un solide parapluie).
Ces quantités d'eau éléphantesques finissent par retomber sur Terre ; en
effet, il arrive qu'il pleuve. Les vésicules composant les nuages ont manifestement
deux options : tomber, ou ne pas tomber. Une chute doit impliquer une diminu-
tion de la force ascendante qui permettait à l'eau de rester en suspension haut
dans le ciel. Et si cette force ascendante était la même que celle propulsant la
vésicule verticalement, hors de l'eau ?
Cette force d'élévation pourrait être électrostatique, c'est-à-dire basée sur
les charges. Vous vous souvenez que les vésicules possèdent une charge nette
négative (Chapitre 14). Les charges négatives seules ne pourraient expliquer cette
ascension, mais la Terre possède elle aussi une charge négative (voir Chapitre 9).
La charge négative de la Terre pourrait repousser les vésicules, et les propulser
vers le haut. Cette force d'élévation pourrait contribuer à faire monter la vapeur
(Fig. 15.13).
Il est facile d'observer un exemple de cette force
ascensionnelle d'origine électrostatique dans les
chutes d'eau. leau qui tombe génère une brume de
gouttelettes s'élevant et formant des nuages. Ceux-
ci peuvent s'élever au-dessus du sommet des chutes
(Fig. 15.14). Comme il est mécaniquement impos-
sible que les gouttelettes rebondissent plus haut
que la hauteur de laquelle elles sont tombées, une
autre force est forcément à l'œuvre : probablement,
la charge électrostatique. La force ascensionnelle
Fig. 15.14 Chutes du Niagara.w2
Notez la présence permanente
d'un nuage de gouttelettes d'eau
en élévation.
provenant de la charge négative de la goutte pourrait être la même que celle
maintenant en l'air les nuages éléphantesques, et peut-être aussi que celle faisant
s'élever les structures tubulaires; ces dernières ont simplement besoin d'acquérir
suffisamment de charge négative pour faciliter leur ascension.
Avec ce mécanisme basé sur la charge, nous pouvons comprendre pourquoi
la vapeur s'élève en bouffées séparées. Les tubes en mosaïque possèdent une
charge nette négative, les vésicules qui les constituent étant elles-mêmes ainsi
chargées. Les protons entre les vésicules atténuent cette négativité ; cependant,
ces attracteurs du type « même aime même » s'apparentent un peu à des points
de soudure et n'apportent que peu de charges positives. Ainsi, la charge nette
des tubes reste négative. De plus en plus de vésicules s'adsorbant, la négativité
augmente et la répulsion interne devient plus forte. La force répulsive interne
dépasse alors un seuil critique et le tubule se déchire littéralement en deux à son
point le plus faible; la partie supérieure peut alors s'élever et s'éloigner de la Terre
négative, poussée par les vésicules chargées négativement restées en dessous.
Ce processus reposant sur la charge génère une bouffée solitaire. Le proces-
sus est catastrophique, c'est-à-dire qu'il se produit parce qu'une instabilité de la
charge déclenche la séparation d'une partie de la structure de la mosaïque. Il se
répétera ensuite et produira la succession de bouffées de vapeur bien connue,
comme par exemple dans votre tasse de café chaud.

Compléter le cycle d'évaporation


Ces nuages de vapeur s'élevant de votre café chaud finissent par s'évanouir
dans les airs ; il serait légitime de se demander pourquoi et comment ils dispa-
raissent, et également ce qui se passe ensuite.
Deux explications possibles viennent à l'esprit : la dissolution de l'agrégat
de vésicules, ou la dissolution des vésicules elles-mêmes. Même si cette seconde
option est concevable, une cause physique n'est pas évidente à imaginer. La dis-
solution de l'agrégat est plus simple à envisager, les charges positives liant les
vésicules pouvant facilement se disperser dans l'air. Les vésicules seraient ainsi
libérées, mais resteraient intactes.
Une fois libérées, ces vésicules devraient se disperser, échappant ainsi faci-
lement à la détection : bien qu'une vésicule solitaire réfracte de la lumière, vous
ne remarquiez probablement pas la faible quantité réfractée par des vésicules
largement dispersées - sauf dans l'air humide de l'été. De plus fortes concentra-
tions de vésicules réfractent la lumière de manière plus notable, ce qui explique
le brouillard fréquent de l'été. La lumière ainsi réfractée altère la vision lointaine,
comme si on essayait de regarder à travers un fin nuage.

269
Charge de vésicule et générateur électrostatique de Kelvin

ZAP ! Une décharge électrique claque entre deux réci-


pients métalliques remplis d'eau provenant d'une source
unique. Étrange ... mais c'est ce que produit pourtant le géné-
rateur électrostatique de Kelvin (Chapitre 1). Cette décharge
observable nous révèle la capacité des gouttes qui tombent à
transporter une charge.
Voici comment se produit la décharge. Supposez que goutte à
6 goutte
la première goutte qui tombe contienne juste une trace de
charge nette, disons négative. Si cette goutte tombe dans le
récipient de gauche qui aura alors une trace de charge néga-
tive.
Dans l'expérience de Kelvin, les récipients et les anneaux
sont métalliques, et donc conducteurs. Si le récipient de
gauche acquiert une charge négative, l'anneau de droite est
alors également chargé négativement (voir illustration). Cette -/ / 1 \ .....
charge négative de l'anneau de droite (et c'est la clé) induit
une charge égale et opposée dans la goutte en train de naître
juste au-dessus de lui (l'induction d'une charge opposée est l'une des bases de l'électros-
tatique). lextrémité de cette goutte d'eau, sur le point de tomber, devient donc chargée
positivement. Tombant dans le récipient de droite qui aura une trace de charge positive.
Cette charge positive du récipient de droite va à son tour conférer une positivité sur
l'anneau de gauche, ce qui induira de la négativité dans la colonne d'eau en dessous. Ainsi,
la goutte qui tombera à gauche possèdera une charge négative.

Ceci m'amène à une autre remarque : ces vésicules dispersées sont prêtes
à former des nuages, ayant seulement besoin de s'assembler (comme dans l'eau
chaude). Ce processus n'a rien de compliqué et ne nécessite rien d'autre que de
quelques charges positives, mais pour des raisons de concision, je reviendrai plus
tard en détail sur ce processus.
Nous avons vu que les vésicules permettent de pérenniser le cycle. Elles
se forment initialement dans l'eau, puis s'élèvent sous forme de vapeur, se dis-
persent, forment des nuages, et finissent par fusionner les unes avec les autres
pour créer des gouttes de pluie qui retombent sur la Terre pour compléter le cycle.
Ainsi, la dynamique des vésicules pourrait être une caractéristique fondamentale
du cycle de l'eau et par conséquent essentielle à la météorologie.

270
Ainsi, chaque goutte tombant dans le récipient de gauche y apporte une charge néga-
tive et chaque goutte tombant dans le récipient de droite, une charge positive. Les charges
s'additionnant dans chaque récipient, et donc dans chaque anneau, l'effet d'induction
devient plus fort. Finalement, les récipients deviennent si fortement chargés qu'il se produit
un arc entre eux.
Mis à part le claquement impressionnant, le comportement dynamique des gouttes
constitue un phénomène intéressant. Les gouttes réagissent à la charge qui augmente et
se mettent à dévier du récipient ; il arrive même que des gouttes remontent et ratent le
récipient-cible (voir illustration ci-dessous). Cela montre clairement que les effets de charge
sont assez puissants pour défier la gravité.
Cette dernière observation renforce l'idée que l'élévation des vésicules depuis une eau
chaude pourrait être d'origine électrostatique ; des forces électriques peuvent manifeste-
ment propulser des gouttes vers
le haut.

Gouttes tombant dans l'un des


récipients de l'appareil de Kelvin éclai-
rées à la lumière rouge. Lorsque les
récipients acquièrent suffisamment de
charge, les gouttes qui tombent sont
repoussées vers le haut.

Moustiquaires et flux d'air


Malgré la tentation de clore ici ce chapitre, j'aimerais me pencher ne serait-
ce que brièvement sur ce qui arrive aux vésicules dispersées dans l'air. Certaines
de ces vésicules pourraient finalement se condenser sous forme de nuages, et
vous pourriez légitimement penser que toutes les autres restent en suspension,
flottant librement et indépendamment, comme des bulles de savon que soufflent
les enfants.
Aussi charmante que puisse être cette image, le scénario du flottement
libre paraît irréaliste ; une forme d'interaction entre les vésicules et l'air semble
probable pour au moins deux raisons. Tout d'abord, chaque vésicule est chargée
et sera donc inévitablement attirée par toute charge opposée et y adhérera ; or,
l'atmosphère contient un grand nombre de charges opposées. Deuxièmement, les

271
--
molécules d'air elles-mêmes présentent des signes de
connexion, pouvant aisément impliquer nos vésicules
chargées. C'est cette dernière possibilité que je vou-
drais évoquer dans les paragraphes suivants, car ces
connexions constituent une surprise.
Pour confirmer l'existence de ces liaisons,
faites l'expérience suivante (Fig. 15.15) : par un jour
humide, prêtez attention à l'agréable brise qui souffle
Fig. 15.15 Une moustiquaire
à travers une fenêtre ouverte de votre domicile, puis
ordinaire réduit davantage que
encadrez-y ensuite une moustiquaire ; remarquez
prévu la puissance d'un flux d'air
alors la baisse de la force du vent. Plusieurs collègues
humide.
me rapportèrent avoir fait les mêmes observations.
Dans l'expérience réalisée chez moi, la vitesse du
vent chuta notablement, environ de moitié d'après un
indicateur rudimentaire. On pouvait s'attendre à cette diminution de vitesse, le
matériau utilisé bloquant partiellement le passage de l'air, mais ma moustiquaire
ne couvrait que 10 à 15% de la surface totale de la fenêtre, ce qui n'est pas du tout
proportionnel à la chute de vitesse. Quelque chose d'autre semblait jouer un rôle.
Laissez-moi vous exposer ce scénario d'un point de vue plus quantitatif. Les
molécules d'air se mesurent en nanomètres, tandis que les ouvertures de la mous-
tiquaire se mesurent en millimètres ; le rapport est d'un million.
Pour apprécier la différence d'échelle, représentez-vous une moustiquaire,
chacune de ses ouvertures ayant la taille d'une montagne. Imaginez à présent
y découper un gigantesque rectangle et le dresser verticalement (Fig. 15.16).
Si vous lanciez maintenant des balles de golf à travers son ouverture, vous

Fig. 15.16 Analogie de la


moustiquaire. Même si /'ouverture
est très large, la présence de
l'écran ralentit le passage des
balles de golf

272
constateriez que la simple présence de cet écran serait suffisante pour ralentir
toutes les balles passant à travers ; si vous retiriez cet écran, les balles retrouve-
raient leur vitesse normale. Aussi bizarre que cela puisse paraître, c'est exactement
qui se produit lorsque des molécules d'air passent à travers une moustiquaire. Le
rapport de taille est identique.
Des turbulences et des tourbillons pourraient jouer un rôle dans ce retard
d'écoulement, mais la diminution de la vitesse est bien trop importante pour être
expliquée par un seul effet si localisé. Il semble que quelque chose d'autre se pro-
duise. Voici une possibilité non conventionnelle : supposons les molécules d'air
liées les unes aux autres, formant un vague filet; alors, toute molécule heurtant
le matériau de la moustiquaire ralentirait l'ensemble d'entre elles.
Bien sûr, en théorie, les molécules d'air ne sont pas liées : l'indépendance
des molécules est précisément la définition d'un gaz, du moins d'un gaz idéal.
Toutefois, ce que l'on observe avec la moustiquaire nécessite une explication,
et il semble intéressant d'explorer cette possibilité de molécules théoriquement
indépendantes mais peut-être finalement liées. Une entité évaporée pourrait-elle
créer ce genre de liaisons ?

Liaisons dans les airs ?


Les entités évaporées incluent à la fois les vésicules et la colle de protons
s'élevant avec elles. Si les vésicules se dispersaient, les protons devraient faire de
même. À première vue, ces protons semblaient être des candidats idéaux pour
nos liaisons : leur charge positive pourraient lier des sites électronégatifs présents
sur les molécules d'azote et d'oxygène de l'air. Mais malgré cet aspect prometteur,
les liaisons à base de protons ne peuvent créer que des paires moléculaires. Des
paires ne suffiraient pas; le résultat obtenu avec la moustiquaire impliquait d'im-
portantes liaisons dans l'air.
Travailler sur de possibles liaisons grâce aux protons me conduisit néanmoins
à repenser à un paradoxe classique qui retrouvait soudain tout son intérêt : le
rapport constant azote/oxygène. En volume, l'air sec contient 78.09% d'azote et
20.95% d'oxygène, un rapport de 3.727. Alors que les concentrations en dioxyde
de carbone et en gaz rares comme l'argon peuvent largement varier selon le lieu
et le temps, le rapport azote/oxygène reste obstinément constant, jusqu'au qua-
tri!ème chiffre après la virgule.w3 En fait, c'est un rapport horriblement constant.
Cette constance semble être valable partout, dans les villes, dans les fermes,
au sommet de montagnes, dans les déserts, au-dessus des océans ... Même dans
des endroits aux climats extrêmes comme la Sibérie, où il est certain que la
photosynthèse fournit bien moins d'oxygène que dans les jungles de l'Amazo-
nie, ce rapport est toujours le même. En fait, ce rapport est si invariant que les

273
spécialistes de l'atmosphère travaillent assidûment à développer des instruments
dont la précision passera de quatre chiffres significatifs à cinq ; s'ils y parviennent,
cela pourrait faciliter la recherche de différences en oxygène même insignifiantes.
Une explication possible pour cette constance est que le taux de renouvel-
lement de ces gaz sur Terre est insignifiant comparé à ceux composant l'atmos-
phère ; autrement dit, la vaste flore générant de l'oxygène et couvrant la Terre
pourrait bien ne pas avoir vraiment d'importance. Même si cela était possible,
cette idée n'est pas facile à concilier avec la compréhension actuelle énonçant que
l'oxygène atmosphérique provient bien de la flore.
Une autre possibilité - et je m'enfonce ici
très loin dans la spéculation - est que l'azote
pR\SE DE RISQUES et l'oxygène forment des complexes stoechio-
métriques, c'est-à-dire renfermant des rapports
fixes d'oxygène et d'azote. Nous connaissons ce
genre de complexes sous le nom de clathrates.
Ces gaz contiennent généralement un nombre
fixe de molécules de gaz piégées à l'intérieur
de cages faites d'eau. Dans le cas présent, les
complexes contiendraient des nombres fixes
de molécules de nitrogène et d'oxygène, entités
électronégatives maintenues ensemble par des
protons positifs.
Combien de molécules ?
Les clathrates en contiennent ordinairement plusieurs dizaines. Dans l'air,
le rapport azote/oxygène est proche de 4 pour 1 en volume ; si le rapport molé-
culaire était exactement de 4 pour 1, le clathrate pourrait contenir seulement
cinq molécules (Fig. 15.17). C'est une possibilité. D'autres rapports basés sur un
nombre entier produiraient des arrangements différents avec plus d'éléments,
mais l'essence resterait la même : des complexes stoechiométriques d'azote et
d'oxygène.
En outre, si les probabilités de former de tels complexes étaient élevées, alors
quasiment toutes les molécules d'azote et d'oxygène de l'air pourraient s'arranger

Fig. 15.17 Schéma simplifié


de possibles liaisons gazeuses
(échelle non respectée). Les nitrogène
protons pourraient relier des
- - - - proton
sites électronégatifs présents
sur l'oxygène et le nitrogène, - - - - oxygène
créant des liaisons stoechiomé-
triques comme ici. Il y aurait en
réalité un plus grand nombre de
molécules.
0 0

--- 0 0

- vesicle
: :
Fig. 15.18 Les vésicules
pourraient relier des complexes
azote-oxygène et former une
structure souple continue.

---
:
- vesicle :
. - -- .
ainsi ; le rapport azote/oxygène resterait donc fixe dans l'espace comme dans le
temps - exactement ce que l'on observe.
L'hypothèse des clathrates a l'avantage d'attribuer un rôle à la charge de
l'atmosphère, connue comme positive. Les scientifiques connaissent cette charge
positive mais ignorent tout de son origine. Elle pourrait la tirer des protons libé-
rés au cours de l'évaporation, pouvant créer des liaisons moléculaires et aider à
comprendre cette constance du rapport entre les gaz.
Mais même s'ils résolvent ce problème, les protons ne nous permettent
toujours pas de résoudre celui posé concernant les liaisons étendues entre les
molécules du gaz. Ici, d'autres entités s'évaporant pourraient entrer en jeu : les
vésicules. Des vésicules chargées négativement recherchent toujours la positivité.
La plus abondante source de charges positives est la face exposée des molécules
d'azote des bords extérieurs des clathrates (voir Fig. 15.17) . Les vésicules néga-
tives se fixant sur ces sites positifs pourraient ainsi créer de longues liaisons (Fig.
15.18).
Bien que ces liaisons supposées méritent de sérieuses explorations expéri-
mentales, elles permettraient d'expliquer ce que l'on observe avec la moustiquaire.
Ce genre de liaisons devraient être suffisamment faibles pour échapper à une
détection accidentelle, mais avoir suffisamment de force pour expliquer pourquoi
l'air chargé d'humidité est couramment décrit comme« lourd». Les nombreuses
liaisons de vésicules expliqueraient aussi pourquoi les moustiquaires ralentissent
davantage les flux d'air lorsque le taux d'humidité est élevé.

Conductivité atmosphérique et frottement


Au-delà de résoudre le problème de la moustiquaire, les liaisons propo-
sées pourraient aussi nous aider à comprendre deux phénomènes paradoxaux

275
apparemment sans lien. Le premier est la remarquable capacité de l'atmosphère à
transmettre les ondes radio.
Enfant, je me demandais comment les ondes radio générées en Australie
pouvaient atteindre Brooklyn ; j'arrivais à capter ces signaux lointains avec ma
radio, comme mon voisin avec la sienne. D'une manière ou d'une autre, de l'éner-
gie émise depuis l'autre côté de la Terre emplissait l'atmosphère locale. Même si
ces ondes rebondissaient de nombreuses fois entre l'ionosphère et la Terre, je ne
pouvais toujours pas comprendre comment elles pouvaient rester suffisamment
puissantes, ayant parcouru de telles distances.
Ma radio primitive à galène se révélait presque aussi impressionnante ; elle
aussi pouvait capter des signaux radio émis à grande distance. Pourtant, elle
n'avait pas de batterie. Ces signaux voyageant sur de longues distances devaient
donc renfermer une énergie nécessaire assez puissante pour faire fonctionner
mes écouteurs. Incroyable! À ma connaissance, il reste à trouver une explication
satisfaisante à ce fait étonnant.
Déterminer si les liaisons entre molécules
d'air évoquées pourraient résoudre les pro-
pR\SE DE RISQUES blèmes liés à la transmission reste du domaine
de la spéculation, plus encore que l'existence
même de ces liaisons. Toutefois, ce genre de
liaisons fournirait une continuité électrique. Un
signal envoyé d'Australie pourrait voyager le
long de ces « câbles » atmosphériques comme
il le ferait le long de câbles en cuivre. Les
signaux pourraient ainsi voyager virtuellement
partout. On pourrait s'attendre à des pertes,
mais l'énergie rayonnante incidente alimentant
continuellement les vésicules, ils pourraient servir de nœuds de ré-amplification
des signaux et les renforcer en tout point, comme les transistors le font. Dans
ce cas, le signal serait élevé et pourrait même faire fonctionner des récepteurs
passifs.
Toujours dans la même veine spéculative, je me permets d'aller encore un
peu plus loin pour suggérer que ces liaisons pourraient résoudre une autre
énigme atmosphérique sans rapport : la raison du déplacement synchronisé de
l'atmosphère avec la Terre. Songez-y : la Terre tourne sans fin autour de son axe,
à 1.500 km/h par rapport à l'univers, soit deux fois la vitesse d'un jet. De toute
évidence, l'air autour de vous se déplace à la même vitesse, faute de quoi vous
seriez confronté en permanence à un vent terrible (Fig. 15.19).

276
1500 km/h

Fig. 15.19 Couplage Terre-at-


mosphère. L'atmosphère se
déplace avec la surface de la
Terre (haut). En l'absence de
couplage entre les molécules
d'air, il se pourrait que l'atmos-
phère ne bouge que très peu
(bas). Un observateur situé
sur Terre ressentirait alors en
permanence un vent d'est en
ouest d'une très grande violence.

Okm/h

1500 km/h

Pour comprendre pourquoi l'air se déplace en même temps que la Terre, vous
devrez admettre ... que c'est comme ça. Lorsque la Terre s'est formée, l'air se serait
mis à tourner avec elle, et, sur cet élan, la vitesse de l'air n'aurait jamais diminué,
pas plus que celle de la Terre. Cependant, cette explication n'est pas suffisante :
en effet, la vélocité de l'air change parfois en l'espace d'une minute ; par consé-
quent, d'autres facteurs doivent l'emporter sur une supposée continuité inertielle.
Il existe une autre explication à cette rotation synchronisée : le couplage
mécanique, où les composantes atmosphériques resteraient faiblement liées, et
l'entité atmosphérique ainsi connectée serait couplée à la Terre par frottement.
Dans ce cas, les régions vallonnées, les grands bâtiments et les hautes montagnes
entraîneraient dans leur déplacement l'air proche de la surface. Si les molécules
d'air les plus hautes n'étaient pas liées aux molécules plus bas, elles feraient par-
tie du cosmos. Pour un observateur se trouvant sur Terre, ces molécules atmos-
phériques défileraient à une vitesse supersonique dans la direction opposée à la
rotation de la Terre. Mais cela n'arrive jamais.
Il en ressort que l'air et la Terre doivent être mécaniquement couplés, même
à haute altitude ; ces deux entités doivent tourner comme une seule unité. Il
paraît difficile d'expliquer un couplage sans que les molécules d'air soient, ne

277
serait-ce que lâchement, liées les unes aux autres. Ainsi, les molécules basses
se déplaçant avec la Terre entraînent celles situées plus haut. Ce couplage est
bienvenu ; sans lui, nous aurions droit à des visions infernales de super-ouragans
éternellement déchaînés. Imaginez un vol Chicago-New York luttant contre ces
vents incessants !
Le couplage des molécules d'air pourrait aussi nous aider à comprendre pour-
quoi son niveau de friction est si élevé : songez aux météorites se consumant en
passant dans l'atmosphère, aux avions consommant autant de carburant, et aux
objets tombant d'un grand building et plafonnant à une vitesse maximale. Tout
ces phénomènes proviennent du frottement de l'air, résultant lui-même d'une
connexité.
Naturellement, le couplage air-Terre concerne plus que des liaisons et du
frottement. J'hésite à digresser encore dans ce chapitre consacré à l'évaporation,
mais il m'est tout simplement impossible de ne pas mentionner un fait évident: la
Terre est négative; l'atmosphère, positive. Elles s'attirent. Il reste à définir si cette
force d'attraction est assez forte pour coupler l'air à la Terre : il pourrait s'agir
d'un facteur déterminant, et ce pourrait même être l'explication de la soi-disant
pression de l'air.
Je me suis permis ces derniers paragraphes éminemment spéculatifs avant
tout pour soulever des questions plutôt qu'y apporter des réponses. Le prin-
cipal message de ce chapitre est la description des événements si peu connus
et si surprenants séquençant le processus d'évaporation. J'espère que nous les
comprenons à présent mieux, et notamment ces grappes de vésicules s'élevant
régulièrement de l'eau sous l'apparence de bouffées de vapeur.

En résumé

Les vésicules s'assemblent d'elles-mêmes dans l'eau grâce au mécanisme


«même aime même», y formant des structures très organisées ressemblant à des
mosaïques vues du dessus ; cependant, ces mosaïques sont en réalité des tubes
s'enfonçant profondément dans l'eau. S'ils absorbent suffisamment d'énergie
rayonnante, ils peuvent acquérir assez de charge négative pour s'échapper de
l'eau individuellement ou collectivement. Les structures qui s'élèvent, vues comme
des bouffées de vapeur, émergent de la surface en séquence. Ces bouffées émer-
gentes sont les éléments essentiels de l'évaporation.
Comment ces événements évaporatoires sont-ils liés aux processus de géné-
ration de vésicules étudiés au chapitre précédent ? C'est l'apport d'énergie qui
est crucial. Avec un apport d'infrarouges (chaleur), des vésicules se forment en
grand nombre puis se déplacent verticalement, agrandissant ainsi les mosaïques

278
tubulaires pouvant alors s'élever sous forme de vapeur. Un apport d'énergie plus
important se traduira par une formation plus rapide de vésicules et une élévation
également plus rapide des mosaïques ; autrement dit, un apport d'énergie plus
important accélère l'évaporation.
Avec un apport encore plus élevé d'infrarouges, la production de vésicules
peut devenir si rapide que les vésicules ont alors moins de chances d'intégrer une
mosaïque; la plupart vont alors simplement fusionner, se convertir en bulles, et
s'élever à la surface pour produire le phénomène nommé ébullition. L'ébullition
est une évaporation extrême, suffisamment chaotique pour que la régularité de la
mosaïque disparaisse quasiment.
À l'autre bout du spectre calorifique se trouve l'eau non chauffée. Dans ce
cas, il est permis de penser que le processus d'évaporation se déroule comme
décrit ici, mais à cadence réduite. En outre, être à température ambiante implique
une forme de stabilité, s'accompagnant de plusieurs caractéristiques inattendues
que nous explorerons dans le prochain chapitre.

279
1/
16 Trampolines aquatiques
les couches de surface

F aire des ricochets à la surface de l'eau est un jeu que nous avons tous pratiqué.
Lorsque j'étais jeune, une subtile compétition avait lieu entre lanceurs, un véri-
table test de virilité déterminant pour vos succès féminins : lancer son caillou le
plus loin offrait la certitude d'être considéré comme le mâle dominant.
Mais pourquoi ces pierres rebondissent-elles ? Certes, des pierres peuvent
rebondir sur des trampolines, mais la surface de l'eau est bien différente de ces
surfaces élastiques : l'eau est un liquide visqueux, les pierres ne devraient pas
y ricocher facilement. Toutefois, nous observons dans l'eau entrant au contact
de l'air des caractéristiques particulières : des mosaïques de ZE en couvrent la
surface, se projetant considérablement dans l'eau (voir Fig. 15.11). La surface
de l'eau diffère donc du reste de l'eau en dessous. Se pose alors la question des
caractéristiques de sa surface : seraient-elles à même d'expliquer le phénomène
des ricochets ?
Ce chapitre examinera de près la surface de l'eau, révélant quelques caracté-
ristiques mécaniques surprenantes nous aidant à mieux comprendre des phéno-
mènes comme la marche sur l'eau, ou pourquoi les bateaux flottent - ce dernier
point nous emmenant un peu plus profondément qu'Archimède.

La surface de l'eau diffère du reste


Les sauteurs à ski finlandais doivent s'entraîner toute l'année. Si une neige
abondante hivernale répond bien à leurs besoins, l'été constitue pour eux un pro-
blème. Alors, ces skieurs pleins de ressource improvisent, dévalant des pistes en
plastique qui les propulsent stratégiquement vers une surface d'eau.
Mais cette dernière n'est toutefois pas toujours aussi complaisante qu'atten-
du: les sauteurs risquent de se fracturer les membres si l'eau n'a pas été préalable-
ment ramollie grâce à un efficace bouillonnement, dont les bulles viennent conti-
nuellement rompre la surface et en diminuer ainsi la tension pour leur permettre
de retomber en toute sécurité. Les plongeurs acrobatiques ont souvent recours à
une telle stratégie ; peu d'entre eux se brisent finalement les os.
La rigidité de la surface de l'eau ne devrait pas être une surprise car l'une des
anomalies de l'eau est précisément sa forte tension de surface, suffisamment éle-
vée pour faire flotter des objets denses allant d'aiguilles en métal aux trombones,
en passant par des pièces hongroises de collection (Fig. 16.1).

281
Les scientifiques attribuent généralement cette
forte tension de surface de l'eau à un plus grand
nombre de liaisons hydrogène qu'ordinaire: les molé-
cules d'eau à la surface n'ayant pas de partenaires
auxquels se lier au-dessus d'elles, les liaisons non
abouties iraient s'effectuer vers les molécules voi-
sines. Ce sont ces liaisons latérales supplémentaires
qui augmenteraient la dureté de l'eau ; en résulterait
sa forte tension de surface.
Dans ce modèle, la couche de surface contenant
ces liaisons supplémentaires devrait mesurer moins
Fig. 16.11//ustration de la forte
d'un nanomètre d'épaisseur. Pour visualiser « un
tension de surface de l'eau.
nanomètre » en termes familiers, représentez-vous
une tranche de salami d'un millimètre d'épaisseur ;
découpez-la en tranches un millier de fois plus fines. Prenez l'une de ces tranches
et découpez-la de nouveau en un millier de tranches plus fines (bon courage).
Voilà un nanomètre ! Cette bien frêle pellicule du dixième de l'épaisseur d'une
membrane cellulaire ferait donc la différence entre un os brisé ou non.
Il semble qu'il faille plus que quelques liaisons supplémentaires dans une fine
pellicule pour expliquer les propriétés inhabituelles de la surface de l'eau.

Marcher sur l'eau


L.'.eau est capable de porter de
nombreuses créatures, des « arai-
gnées» d'eau aux lézards d'Amérique
Centrale. Des vidéos étonnantes
montrent des lézards du Costa Rica
courir au-dessus de surfaces d'eau.w1
Cette faculté leur vaut le surnom de
lézards Jésus-Christ. Ce phénomène
indique clairement que les surfaces
d'eau dans la nature peuvent être
considérablement plus rigides que
ce que l'on pourrait croire de prime
abord.

282
Zones de type ZE à l'interface air-eau
Et en effet, quelque chose de plus significatif est bien présent à la surface :
une mosaïque (Chapitre 15). Cette structure s'enfonce dans l'eau depuis la surface
en créant une couche évoquant un filet. Cette couche en filet ne peut qu'affecter
les caractéristiques mécaniques de la surface.
Nous tombâmes par un heureux hasard sur cette caractéristique différente
de la surface, avant d'imaginer utiliser une caméra infrarouge pour explorer ses
propriétés. Tout commença par l'observation de la formation d'une zone sans
microbilles longeant la surface de l'eau, dans des récipients remplis d'eau et de
microbilles.
Nous les avions observées dans des béchers. Pour commencer, la suspension
aqueuse à l'intérieur de ceux-ci avait une apparence uniformément laiteuse ; tou-
tefois, bientôt, une zone dénuée de microbilles se développait juste en-dessous
de la surface, restant visible longtemps. Mais ce qui impressionnait le plus nos
visiteurs n'était pas cette zone plate ; c'était le cylindre sans microbilles qui en
émergeait bien plus tard, s'étendant verticalement vers le centre du bécher (voir
Fig. 9.12). Cet immanquable cylindre vertical était issu de la zone discoïde sans
microbilles apparue plus discrètement à la surface. 1
Nous eûmes l'occasion d'observer à nouveau une zone sans microbilles près
de la surface dans un contenant fabriqué en plaçant deux lames de verre paral-
lèlement, proches et scellées sur trois côtés pour que l'ensemble puisse contenir
de l'eau chaude. Notre création ressemblait à un aquarium étroit (Fig. 16.2).
Nous pûmes y voir des zones stables dépourvues de microbilles sous certaines
conditions expérimentales. Les microbilles en suspension étaient tout d'abord
uniformément réparties; après quelques minutes, une zone dépourvue de micro-
billes se développait au sommet. Cette zone claire persistait environ une journée,
après quoi toutes les microbilles finissaient par retomber au fond du récipient.
Ainsi, nous avions observé des zones sans micro-
billes au niveau de la surface dans des récipients Fig. 16.2 Zone transparente
cylindriques ou rectangulaires, bien avant de com- au niveau de la surface d'une
prendre qu'elles pouvaient être liées aux structures suspension de microbilles. Le
en mosaïque. Leur ressemblance avec les ZE nous récipient est constitué de deux
frappa immédiatement : elles excluaient les micro- James en verre disposées paral-
billes, et nous découvrîmes plus tard que les sommets lèlement et scellées à gauche, à
droite et au fond.

1
menisque rn1

dt et microbilles

-Smm
de ces zones possédaient également leur potentiel négatif caractéristique. Si la
zone claire située sous la surface s'avérait être composée du matériau des ZE, la
rigidité intrinsèque de la zone pouvait alors être suffisante pour supporter des
aiguilles en métal et des pièces hongroises.
Pour confirmer la rigidité élevée de la zone (Fig.
16.3), nous fîmes lentement descendre verticalement
un agitateur en verre vers surface de l'eau. À un
moment donné, avant même le contact, la surface
se souleva (peut-être en raison de la charge induite)
pour aller à sa rencontre. Au cours de cette pertur-
bation mécanique, l'épaisseur de la zone claire située
juste en dessous de l'agitateur changea à peine ;
l'épaisseur n'évolua pas non plus en déplaçant
ensuite l'agitateur d'un côté à l'autre. La zone claire
se comportait comme une digue en caoutchouc sous
la surface de l'eau . Avec son épaisseur de plusieurs
millions de couches moléculaires, cette bande devait
avoir peu de mal à supporter des objets assez lourds.
Cette bande de surface semblait correspondre à
la structure du chapitre précédent : vue de côté, une
zone claire ; du dessus, une structure en mosaïque.
Aucune de ces vues ne nous livre seule toutes les
informations ; mais ensemble, elles révèlent de façon
plus compréhensible ce qui se trouve immédiatement
sous la surface de l'eau (Fig. 16.4).
Les observations du chapitre précédent avaient
été réalisées en étudiant surtout de l'eau chaude ;
ici, nous avions observé ces zones claires à tempé-
rature ambiante. Si ces deux séries d'observations se
rapportaient à une même structure, nous pouvions
présumer que les caractéristiques de la surface à
température ambiante étaient similaires, au moins
qualitativement, à celles à température élevée : des
ZE en mosaïque couvrant la surface et s'étendant
profondément dans l'eau .
Les ZE en mosaïque se composent principale-
Fig. 16.3 Descente d'un ment de vésicules agglomérées, mais peuvent aussi
agitateur en verre vers une renfermer le matériau habituel des ZE. Celui-ci peut
surface d'eau. L'épaisseur de la provenir de deux sources. D'abord, la limite extérieure
ZE est à peine altérée par cette
perturbation mécanique au par
les mouvements latéraux de
l'agitateur.
de la mosaïque est adjacente à la paroi du récipient, qui pourrait nucléer une
structure standard de ZE, pouvant à son tour participer à la formation de ce
type de mosaïque. Par ailleurs, certaines vésicules pourraient se transformer
elles-mêmes en matériau standard de ZE par le mécanisme de type « fermeture
Éclair» (Chapitre 14) ; la mosaïque en résultant se combinerait alors sans heurt
avec des ZE standard et des ZE de vésicules, dont les proportions dépendraient
des conditions ambiantes.
Les conditions ambiantes peuvent également déterminer la fraction de la
surface recouverte par la ZE en mosaïque. La Figure 16.4 montre une structure
plutôt ouverte avec une couverture plutôt modeste. En théorie, les ouvertures
de la mosaïque pourraient largement être remplies. Le taux de couverture de la
surface dépend du nombre de vésicules qui résultera d'un équilibre entre leur
production, leur absorption sur une matrice déjà existante, et leur perte par
évaporation. À température ambiante, le taux d'évaporation limité pourrait faire
pencher la balance vers le remplissage de la surface par des vésicules contenant
des ZE.
ZE
récipient / eau en vrac Fig. 16.4 Vue du dessus de

, ..1,,,/'
f /
/ la structure en mosaïque de
la surface. Vue de côté, cette
structure peut apparaître sous
forme d'une zone claire vers
la surface, notamment si les
ouvertures d'eau en vrac sont
relativement étroites .

.\ '

Nonobstant les incertitudes quantitatives, la mosaïque en filet devrait


rigidifier la surface ; ce durcissement pourrait expliquer la tension de surface
anormalement élevée de l'eau.
Il pourrait également expliquer la résistance que rencontrent les plongeurs
acrobatiques. Néanmoins, la rigidité n'explique pas tout : lorsque des skieurs ou
des plongeurs atteignent la surface, l'eau en dessous n'a d'autre choix que de

285
s'écarter; elle doit donc lutter contre les forces inertielles la maintenant en place.
La couche en filet retient ces molécules d'eau et les empêche d'accélérer. Pour les
plongeurs, la mosaïque en surface présente donc un double obstacle : elle durcit
la surface, et empêche l'eau de facilement s'écarter de leur chemin. Heureuse-
ment, cet obstacle peut facilement être réduit à néant en relâchant des bulles en
continu depuis sous la surface, procédé courant pour les plongeons en intérieur.

Des zones de surface plus épaisses sur des eaux profondes ?


Les observations de la partie précédente reposaient principalement sur
des expériences de laboratoire. Les conditions peuvent être différentes pour les
masses d'eau profondes dans la nature, où l'eau est continuellement exposée à
des niveaux relativement élevés d'énergie rayonnante. Ici, le taux de couverture
des mosaïques de surface et leur extension verticale peuvent différer de ceux
obtenus dans des béchers en laboratoire ; en réalité, ces structures de surface
peuvent s'y enfoncer notoirement plus.
Un indice de cette verticalité accrue nous vient des apnéistes. Retenant leur
souffle jusqu'à huit ou neuf minutes (!), ces athlètes sont capables de descendre
à plus de 100 mètres avant de refaire surface. Ils signalent invariablement avoir
ressenti une transition physique à une profondeur de 15 à 20 mètres. Au-dessus
de cette profondeur, le corps semble presque flotter tout seul ; en dessous, ils
affirment que le corps tombe comme une pierre.
Cette situation rappelle l'aiguille dans un verre d'eau qui peut flotter lorsqu'on
la place doucement à la surface, mais se mettra à couler si on la plonge jusqu'à un
certain point. Le point de transition se situe à quelques millimètres de la surface;
dans le cas des apnéistes, il semble plutôt être à quelques mètres.
C'est aux ingénieurs navals travaillant avec des sonars que l'on doit le second
indice d'une profondeur accrue de la mosaïque. Un son dirigé vers le bas attein-
dra généralement le fond de la mer ; mais dirigé obliquement, il rebondira sur
une discontinuité quelque part sous la surface et ne l'atteindra jamais. L'inverse
est vrai : il se peut qu'un son dirigé obliquement vers le haut n'atteigne jamais
la surface. La discontinuité responsable de ce phénomène semble apparaître à
diverses profondeurs. Dans les eaux peu profondes à proximité des côtes, cette
profondeur est de l'ordre de celle rapportée par les plongeurs : quelques mètres.
Mais dans les eaux océaniques plus profondes, on évoque aisément plusieurs
centaines de mètres, voire plus encore. La source de cette discontinuité demeure
indéterminée mais pourrait correspondre à la limite la plus basse de la mosaïque.
Une troisième observation pertinente provient d'une étude menée à bord
d'un bateau. 2 Des mesures en mer Baltique y ont révélé une fois de plus une

286
10
7 12 9

6 11 8

5 10 Fig. 16.S Profils verticaux dans


6
4 9 5 /'océan. 2 Températures, oxygène
3 8 4 dissous et profils de salinité
2 7
mesurés dans la mer Baltique le
26mai1979.
1 6

50 100 150
profondeur de l'eau (m)

discontinuité verticale. De la surface jusqu'environ 60 mètres, les chercheurs


y constatèrent un niveau d'oxygène quasiment constant ; puis, en moins de
dix mètres, il chutait assez brutalement à un niveau bien plus bas (Fig. 16.5).
Cette forte teneur en oxygène près de la surface étaye l'idée de la présence de
matériaux de type ZE, ceux-ci en contenant beaucoup (Chapitre 4). De plus, la
zone supérieure contenait une concentration en sel inférieure de moitié à celle
mesurée plus bas ; sachant que les ZE excluent le sel, c'est également cohérent
avec leur éventuelle présence.
Une découverte particulièrement intrigante de cette étude concernait la dis-
tribution des acides aminés. Lorsque le Soleil brillait, la concentration en acides
aminés dissous diminuait progressivement dans la zone supérieure et augmen-
tait dans celles plus bas ; de toute évidence, les acides aminés descendaient.
Si la lumière solaire favorisait la structuration de la surface, une descente des
matériaux exclus serait alors prévisible. Ce déplacement devrait alors logique-
ment s'inverser lorsque le soleil se couche - ce qui fut effectivement observé.
Apparemment, la quantité de matériaux exclus augmentait et diminuait en fonc-
tion du soleil - exactement ce qui se produirait si l'agent responsable était la ZE.
Cet ensemble d'indices nous conduit à émettre l'hypothèse qu'une épaisse
partie supérieure de l'océan pourrait être de type ZE. En laboratoire, les zones
de type ZE observées s'étendent sur une pro-
fondeur de quelques millimètres, voire parfois pR\SE DE RISQUES
quelques centimètres; en mer, elles pourraient
s'étendre sur des dizaines de mètres près des
côtes, et peut-être des centaines de mètres au
large. Cette profondeur n'est pas étonnante si
on prend consciencxe de l'abondante source
d'énergie rayonnante et d'oxygène à dispo-
sition des océans, ainsi que de leurs innom- '~
brables millénaires d'existence.

287
Bien qu'elles puissent atteindre des profondeurs impressionnantes, ces zones
de type ZE sont probablement discontinues en plus d'avoir les petites fenêtres de
la Figure 16.4. La mer est perpétuellement agitée par des marées et des vents ; il
est donc probable que les structures des ZE subissent de multiples fractures. En
outre, la zone supérieure est peuplée et traversée de toutes sortes de créatures.
La zone supérieure pourrait donc n'être qu'un patchwork structurel plutôt qu'un
réseau continu. Il n'en demeure pas moins que cette structure épaisse, en forme
de filet, devrait inévitablement durcir la surface de l'eau.

Tsunamis
Une couche épaisse de ZE tapissant la surface de l'océan permettrait d'ex-
pliquer simplement plusieurs phénomènes, en particulier ceux impliquant des
vagues.
Les vagues parcourent les océans. Le cadre d'interprétation actuel est
construit sur la supposition que les océans sont constitués uniquement d'une
masse d'eau ; de ce fait, les notions de masse et de viscosité y sont primordiales.
Les explications proposées reposent sur des phénomènes obscurs - dérive de
Stokes, dispersions de fréquences, équation de Boussinesq, etc. - demandant
des approches différentes pour des profondeurs différentes ; les modèles de
vagues en résultant sont particulièrement complexes. Il est impératif de procéder
à quelques simplifications si l'on souhaite établir un cadre de compréhension plus
intuitif.
Dans un milieu élastique, les ondes sont naturelles : pensez à ce qui se passe
lorsque l'on pince une corde de guitare. Les ondes n'y meurent pas rapidement,
comme immanquablement dans un cadre régi par la viscosité. Si l'on se repré-
sente la surface de l'eau comme une vaste couche élastique, le phénomène de
propagation des vagues devient facile à expliquer, même intuitivement.
Ce modèle de couche élastique semble cadrer avec les observations : le filet
en mosaïque est une réalité; modérément tendu puis relâché, il devrait chercher
à retrouver rapidement la configuration sans tension ; c'est en effet ainsi que
devrait se comporter un filet en mosaïque.
Dans cette lignée, il est utile de prendre en considération un exemple
extrême : les vagues de tsunami. Ces immenses vagues dévastatrices font plu-
sieurs fois le tour de la Terre avant de finalement se dissiper. Imaginer une pro-
pagation aussi soutenue dans un liquide visqueux n'est pas aisé ; le frottement
devrait rapidement faire mourir la vague. En revanche, il est facile de comprendre
le phénomène de la propagation dans le contexte d'une couche élastique où
des perturbations pourront se propager rapidement sur de longues distances.
Le modèle de la couche pourrait expliquer pourquoi les tsunamis se propagent
aussi loin.
Un modèle décrivant une couche continue peut aussi résoudre un mystère :
pourquoi la mer se retire-t-elle des terres juste avant qu'un tsunami ne dévaste
la côte ? La crête de la vague constitue une déformation vers le haut (Fig. 16.6)
ayant pour effet, dans une couche continue, de tirer les bords de celle-ci vers
l'intérieur. Dans le cas d'une vague de tsunami, cette élévation attirera les bords

Fig. 16.6 Dynamique d'un tsu-


nami sur une surface composée
d'une couche élastique. Une
déformation vers le haut attire la
couche élastique vers l'intérieur,
exactement comme observé.
Détection des sous-marins

La ZE sous la surface de l'océan for-


merait une couche de bonne épaisseur.
Celle-ci devrait être déformable, comme
le montre la Figure 16.3. Par consé-
quent, les perturbations mécaniques
provenant d'en dessous de cette couche
pourraient la déformer, et il devrait être
possible de les détecter d'au-dessus.
Et en effet, des lasers infrarouges ont
détecté des renflements à la surface de
l'eau (connus sous le nom de bosses
de Bernoulli) lorsque des sous-marins
passaient en dessous.w2

de la couche en direction de la mer, ce qui explique son retrait avant la montée.


Prenez à présent garde lorsque vous verrez la mer se retirer brutalement !
Autre constatation devenue explicable : le grésillement. Lorsque la couche
supérieure se retire vers l'intérieur, une partie du volume de l'eau sous la surface
reste en place ; celle-ci devrait être riche en protons, comme toute eau sous une
couche de ZE. À présent libérés, ces ions hydronium se fuyant les uns les autres
devraient se projeter dans les airs comme une canette de soda trop secouée ; ces
projections pourraient expliquer le grésillement signalé par de nombreux témoins.

Fragilité de la surface de l'eau


Bien que le modèle de la couche élastique puisse constituer un expédient
utile pour expliquer le comportement des vagues, il ne suffit pas pour décrire avec
exactitude la surface de l'eau. Celle-ci se compose principalement d'un entas-
sement de vésicules, qui pourraient suffire à expliquer l'élasticité de l'eau, mais
qu'en est-il de la fragilité de la surface? La surface est de toute évidence fragile,
faute de quoi les poissons seraient incapables de la traverser.
La fragilité peut se comprendre en terme de thixotropie. Voilà un mot propre
à vous nouer la langue, que vous avez peut-être déjà rencontré sans pouvoir le
définir, ni même le prononcer ; il fait référence à une propriété particulière d'un
matériau. Les matériaux thixotropes, lorsqu'on les touche avec douceur, vont
retrouver par élasticité leur configuration initiale ; mais si on dépasse un certain
seuil, ils commencent à couler. Un exemple simple? le blanc d'œuf.

290
Le blanc d'œuf présente le type de fragilité dont je parle, rempli d'eau struc-
turée3, que l'on sait maintenant être de l'eau de type ZE, qui exclut comme vous
vous y attendez maintenant. Pour voir cela par vous-même, soumettez le blanc
d'œuf à divers colorants alimentaires : sans mélange mécanique, pas de colora-
tion de l'albumine gluant, le blanc d'œuf les excluant. 4
Un matériau de type ZE comme le blanc d'œuf se comporte de manière
thixotropique en raison de la nature électrostatique de ses liaisons. Souve-
nez-vous des arrangements de vésicules : les charges opposées les maintiennent
ensemble. Ces liaisons devraient résister à de petites déformations sans se
rompre, se comportant de façon plus ou moins élastique. En revanche, si vous
tirez sur l'arrangement suffisamment fort pour casser ces liaisons, la structure
se rompra et les vésicules se répandront. Ce genre d'événements pourrait expli-
quer la fragilité du matériau de surface, et pourquoi les nageurs et les poissons
peuvent la traverser sans grande difficulté.
La thixotropie pourrait aussi expliquer pourquoi des pièces flottent lorsqu'on
les dépose doucement à la surface de l'eau mais sombrent si on ne s'y prend pas
soigneusement : une déchirure faite inconséquemment pourrait rompre la struc-
ture de la surface et permettre une pénétration plus facile ; dans ce cas, l'objet
coulera. Un positionnement scrupuleux pourra éviter cette rupture de la surface
et permettre à l'objet de continuer à flotter sur l'eau.
Le même principe s'applique aux bateaux. Les bateaux qui se déplacent
provoquent d'importantes déchirures ayant pour effet de casser la structure de
la surface et de leur permettre de progresser sans peine. La déchirure est moins
prononcée en dessous et sur les côtés du bateau où la structure de la ZE est
tendue mais reste intacte; en effet, la tension n'atteint pas ici le seuil de rupture.
Les navires qui se déplacent dans l'eau témoignent de cette rupture de la
surface. La conséquence la plus évidente du passage d'un bateau est le sillage
s'élargissant derrière lui selon un angle calculable ;
chacun pourra sentir ces vagues sur une barque à
proximité. Une conséquence plus subtile est le chan-
gement intervenant dans la structure de surface,
cette longue traînée laissée derrière le bateau (Fig.
16.7).
Je n'y avais jamais prêté attention jusqu'à ce que
mon collègue Michael Raghunath me mette le nez
dessus. Je le vois maintenant systématiquement. La
traînée semble généralement moins agitée que l'eau
en dessous, ce qui est logique si le navire a rompu la
Fig. 16.7 Ferry approchant de
structure de la ZE sous la surface ; la discontinuité
Seattle par le détroit de Puget.
Notez la longue traînée derrière
lui. Avec l'aimable autorisation de
Michael Raghunath.
engendrée diminuerait la durabilité des vagues dans l'eau. Cet aplatissement peut
perdurer longtemps après le passage du bateau - jusqu'à 15, voire 30 minutes,
avant de disparaître. On imagine que ce temps nécessaire à sa disparition est
celui dont a besoin la surface pour se restructurer et se refondre dans l'ensemble.
Ainsi, la couche de surface de l'eau peut être globalement élastique mais
aussi localement fragile ; il est possible qu'elle se rompe en un lieu donné. Cette
vulnérabilité est due à la thixotropie, un mot difficile à prononcer mais intéres-
sant si on veut comprendre ce qui se passe à la surface de l'eau.

Bateaux de croisière, baignoires et Archimède


Tout ceci nous amène à Archimède, qui étudia la surface de l'eau il y a fort
longtemps. S'immergeant dans sa baignoire et y voyant le niveau d'eau s'élever,
Archimède eut une illumination,
réalisant que sur des objets par-
tiellement submergés, la force
ascendante devait être égale au
poids de l'eau déplacée. Il s'agit
d'un principe simple encore
utilisé pour expliquer pourquoi
les bateaux flottent. Cela dit,
ce principe pourrait renfermer
d'autres surprises.
Tout d'abord, imaginez une
maquette de bateau sur une éponge mouillée. Léquilibre des forces est simple :
le bateau s'enfonce; la base un peu déformée pousse vers le haut avec une force
égale et opposée (Fig. 16.8). La raison permettant à l'éponge
de générer une poussée ascendante est que ses molécules par-
viennent à rester unies malgré la déformation ; cette cohésion
moléculaire va la contrer.
Placez à présent le bateau sur de l'eau au lieu d'une éponge.
Léquilibre des forces sera similaire : le bateau s'en-
fonce tandis que l'eau pousse vers le haut. Mais com-
ment l'eau s'y prend-t-elle exactement pour pousser
quelque chose vers le haut ? Si les molécules d'eau
situées en dessous n'étaient pas étroitement liées, le
poids du bateau devrait alors séparer l'eau comme
Moïse le fit des eaux de la mer Rouge, et sombrer
rapidement. On invoque généralement une pression

Fig. 16.8 La cohésion empêche


le bateau de couler.
ascendante, mais il est évident que les liaisons molé-
culaires doivent jouer un rôle.
Les lecteurs connaissant bien la physique de la
flottaison se souviendront que l'explication classique
ne fait pas intervenir les liaisons mais la pression.
Le poids de l'eau au-dessus crée de la pression en
dessous. La pression pousse dans toutes les direc-
tions, y compris vers le haut ; plus bas vous descen-
drez et plus forte sera la pression. Par conséquent,
lorsqu'un bateau s'enfonce plus profondément, il
doit subir une pression plus élevée jusqu'à ce que
la pression ascendante s'équilibre avec le poids du
bateau, profondeur à laquelle le bateau devrait res- Fig. 16.9 Les couches de ZE
ter. Cette explication n'a besoin de rien d'autre, et il apportent une cohésion et
n'est aucunement fait mention de liaisons. produisent une poussée dirigée
vers le haut, ce qui contribue à
La pression et les liaisons conduisent-elles à des
maintenir le navire à flot.
explications différentes ? L'explication fondée sur la
pression énonce que la pression de l'eau exerce la
même force dans toutes les directions ; cette vision
présuppose que les propriétés physiques de l'eau sont les mêmes dans toutes
les directions, or cela n'est pas nécessairement vrai : le passage d'un bateau peut
facilement rompre des couches superficielles de mosaïque, mais ses couches
modérément déformées sous et sur les côtés du bateau peuvent demeurer
intactes en raison de leur forte cohésion. Dans ce cas, il se peut que le navire se
balance du fait de l'élasticité de la mosaïque (Fig. 16.9).
Largement intacte, cette mosaïque étirée devrait créer une poussée ascen-
dante comme un trampoline. Cette poussée pourrait aider le bateau à flotter
, sauf si un phénomène de bouillonnement
venait à perturber la mosaïque, auquel cas p\l\SE DE RISQUES
le bateau devrait s'enfoncer davantage (voir
plus loin).
Archimède n'avait finalement peut-être
que partiellement raison. Si une force de
pression pousse évidemment le bateau vers
le haut, l'amplitude de celle-ci repose non
seulement sur la profondeur et la cohésion
de l'eau, mais aussi sur la cohésion de la
ZE en filet sous la coque du navire. Si le

293
filet demeure intact lorsqu'étiré, il contribuera à une
poussée ascendante.
La structure des ZE de surface peut nous aider
à comprendre non seulement comment les bateaux
flottent mais aussi comment ils pourraient sombrer.
Certaines régions sont célèbres pour leurs mysté-
rieuses disparitions en masse de bateaux. Le Triangle
Fig. 16.10 Pris mystérieusement des Bermudes est le plus connu d'entre eux (et sans
dans les griffes du Triangle des doute le plus controversé), mais d'autres secteurs
Bermudes ? (vue d'artiste) ont été signalés (Fig. 16.10). Au fil du temps, de
nombreux navires ont mystérieusement sombré dans
ces zones particulières; de simples accidents ne suf-
firaient pas à justifier ce surnombre. 5 Les archives militaires révèlent un paradoxe
concernant les plus fameuses disparitions du Triangle des Bermudes : les débris
de navires généralement récupérés après une catastrophe maritime ne le furent
jamais - rien du tout, malgré l'ampleur des recherches : les malheureux navires
ont dû intégralement sombrer tout droit au fond de l'océan.
Des décharges sous-marines pourraient offrir une explication plausible à
ces disparitions. Des cheminées sous-marines et des dépôts de méthane entrent
périodiquement en activité, relâchant des bulles susceptibles de rompre la fragile
structure de la surface. Et en effet, des pilotes à la recherche de bateaux mys-
térieusement disparus ont signalé des surfaces avec une étrange apparence. Un
capitaine de remorqueur ayant réchappé de justesse à un naufrage a parlé d'une
surface mousseuse et agitée, alors que la mer restait parfaitement plate autour.w3
Il semble que la surface y joue un rôle. De même qu'un bouillonnement permettra
aux plongeurs de pénétrer facilement dans l'eau, un phénomène naturel de bouil-
lonnement pourrait tout aussi efficacement faciliter celle des navires.
Intrigués par la vaste documentation existante sur ces disparitions, plu-
sieurs chercheurs ont essayé de déterminer expérimentalement si un bouillon-
nement pouvait faire couler un bateau. Il semblerait que ce soit bien le cas: une
vidéo amusante illustre ce phénomène dans un petit récipient,w4 tandis qu'une
vidéo plus sérieuse de la BBC montre un hors-bord couler dans des eaux peu
profondes.ws Il est donc évident qu'un bouillonnement sous-marin est capable de
faire sombrer un navire. Des confirmations d'autres sources seront bienvenues.

Action capillaire
Placez un sachet de thé humide sur une serviette en papier et observez ;
nul besoin d'attendre longtemps avant que la plus grande partie de la serviette

294
ne soit mouillée. L'.eau peut même grimper le long
de serviettes placées verticalement. On appelle ce 1
phénomène« action capillaire» .
Une autre démonstration de l'action capillaire
exige des tubes étroits que l'on connaît sous le
nom, tiens donc, de «tubes capillaires». Lorsqu'on
introduit verticalement un tube capillaire en quartz
dans un récipient d'eau, l'eau à l'intérieur du tube va
rapidement s'élever pour atteindre un niveau plus
Fig. 16.11 Exemple d'action
haut que celui de l'eau qui l'environne (Fig. 16.11) ;
capillaire.
l'eau semble défier la gravité.
Les explications classiques ne nous aident pas
beaucoup. Elles se concentrent sur le résultat final, à savoir un ménisque (région
courbe de la surface libre d'un liquide se formant à proximité d'une surface solide
selon sa nature et son orientation) plus élevé, et non sur l'élévation proprement
dite. Le ménisque est supposé adhérer aux parois du capillaire, alourdi par la
charge de la colonne d'eau en suspension sous lui qui lui confèrerait sa courbure.
Pour obtenir l'équilibre des forces, la composante ascendante de la tension du
ménisque doit être égale au poids de la colonne d'eau (Fig. 16.12).
Cette explication présume implicitement que la
colonne d'eau est en suspension sans interagir avec
les parois qui l'entourent. Sachant que les parois tension tension
hydrophiles de ces tubes interagissent fortement
avec l'eau, cette explication ne peut être totalement
correcte. Néanmoins, elle s'est avérée commode et
durable; les étudiants l'adorent.
Cependant, cette vision classique ne parvient
pas à répondre à la question la plus élémentaire :
pour quelles raisons la colonne d'eau s'élève-t-elle?
La force à l'œuvre n'est pas précisée,
bien que soit vaguement évoquée l'idée
d'une « énergie de surface » , une forme
d'interaction avec la paroi du capillaire.

Pourquoi l'eau s'élève-t-elle


dans des tubes capillaires ?
Pour identifier cette force ascendante, il faut Fig. 16.12 Équilibre des forces
commencer par s'intéresser à l'anatomie fonctionnelle selon l'hypothèse convention-
nelle. La partie dirigée vers le
haut de la tension de surface
équilibre le poids de la colonne
d'eau suspendue en dessous.
de l'eau. Juste en dessous de la surface de l'eau se trouve un arrangement
de vésicules en mosaïque. Etant électriquement négative, il y a fort à
parier qu'on recherche une force d'élévation basée sur la charge - qu'elle
tire depuis le haut ou pousse d'en bas. Il y a d'ailleurs de bonnes raisons
de penser que les deux coexistent.
Pour commencer, considérons la
partie du tube capillaire se projetant vers
le haut depuis la surface de l'eau (Fig.
16.13). Si des couches de ZE longeaient les
parois intérieures du tube, elles devraient
créer des protons vers le centre du tube.
Les charges positives de ces protons pour-
. =r.t=·:!t·'-: raient contribuer à tirer toute vésicule
:: chargée négativement vers le haut.
::
Les parois des tubes capillaires
exposés à l'air devraient comporter au
moins quelques couches de ZE, toutes les
surfaces hydrophiles attirant l'humidité
de l'air ; par exemple, des substances
sèches comme le sel de table s'humidifient
lorsqu'exposées à l'air. Certaines attirent
tellement l'humidité qu'elles peuvent se
liquéfier dans la nuit (déliquescence),
même dans des environnements plutôt
secs comme notre propre laboratoire. Un
absorbeur d'humidité particulièrement
efficace, le Nafion, est vendu comme
:':~t::.::r=:.:: dessiccateur. Plus une substance sera
·! ·: hydrophile, plus elle absorbera d'humidité
:: .=.:
:: atmosphérique.
L'humidité dans l'air se présente sous
la forme de vésicules (Chapitre 15). Les
vésicules s'adsorbent sur les surfaces du
tube hydrophile (à la fois à l'intérieur et
Fig. 16.13 Mécanisme proposé de la à l'extérieur) en suivant le processus de
montée capillaire. Dans l'image du haut, des fermeture Éclair habituel (Fig. 14.9). La
charges positives situées au-dessus tirent fermeture complète de celle-ci fournit
la couche de surface négative vers le haut; une ZE classique et des protons. Même
dans celle du bas, les charges positives avec un petit nombre de protons longeant
d'en dessous poussent vers le haut les ions la surface intérieure du tube, la charge
hydronium concentrés immédiatement
sous la couche de surface. Ces deux forces
pourraient être à l'origine de l'élévation de
l'eau.
positive requise pour initier l'élévation de l'eau devrait suffire. Les parois peuvent
ainsi commencer à tirer les vésicules de la surface vers le haut.
Une fois la montée de l'eau débutée, sa force devrait s'amplifier. À mesure
que des vésicules s'accrochent à ces protons situés sur les parois intérieures,
le processus de fixation libérera davantage de charges positives, qui vont alors
renforcer la force d'attraction et lever davantage de vésicules, qui vont à leur
tour se fixer pour créer toujours plus de charges positives, et ainsi de suite. En
pratique, une fois que l'eau a commencé à monter, elle doit aller jusqu'au bout du
processus, c'est-à-dire lorsque la gravité, tirant vers le bas, compensera la force
d'élévation. On peut dire que l'eau s'est élevée toute seule dans le tube.
Cette traction des charges positives pourrait être vue comme un améliorateur
d'évaporation. Les événements évaporatoires se déroulent normalement lorsque
la charge négative locale de la mosaïque dépasse un certain seuil : une partie de
la structure de la mosaïque se rompt et s'élève (Chapitre 15). Placer des charges
positives au-dessus de cette structure négative accélère simplement l'élévation,
les charges positives attirant effectivement vers le haut l'eau qui s'évapore. Nous
avons confirmé qu'une électrode chargée positivement positionnée au-dessus
de l'eau pouvait en effet amplifier son évaporation. Le principe de l'attraction
semble donc bien fondé.
Dans le même temps, l'évaporation pourrait être aidée par une poussée vers
le haut émanant des charges positives situées en dessous.
Considérez la section du tube se trouvant juste sous la surface de l'eau (Fig.
16.13, image du bas). Lorsqu'on le plonge dans l'eau, le tube capillaire hydrophile
va rapidement développer des ZE annulaires, à l'intérieur comme à l'extérieur.
Des ions hydronium devraient se former à l'intérieur du tube, en forte concen-
tration car confinés. Ils se fixeront à tous les sites chargés négativement, que ce
soit la ZE annulaire elle-même ou la mosaïque de vésicules en suspension juste
au-dessus. Ces deux importants regroupements de charges positives se repous-
seront, et cette force répulsive devrait pousser l'eau vers le haut.
Par conséquent, nous voyons que les forces d'élévation ont au moins deux
origines: une force électrostatique exerce une attraction du dessus, tandis qu'une
force électrostatique exerce une poussée dirigée vers le haut du dessous. Toutes
deux proviennent des charges positives produites par les ZE du tube capillaire.
Ces mécanismes reposant sur la charge ont-ils un pouvoir explicatif ?
Newton le pensait manifestement ; il remarqua en son temps que l'action capil-
laire pouvait avoir une origine électrique. 6 Cette idée, oubliée depuis lors, semble
retrouver aujourd'hui sa pertinence. La question fatidique demeure : ces méca-
nismes électrostatiques rendent-ils compte des caractéristiques élémentaires de
l'action capillaire?

297
Si tel est le cas, nous pourrions d'abord prédire que la montée capillaire
sera plus prononcée près des parois, là où ces forces tirent leur origine. Dans
des tubes présentant de grands diamètres, on devrait observer une élévation
significative de l'eau uniquement à côté de la paroi, créant un ménisque très fin ;
le reste de la surface pourrait rester plate. Dans des tubes étroits, nous devrions
voir que l'élévation se produit à travers l'ensemble du tube. Ces prévisions ont été
largement confirmées : on observe des ménisques près des parois quel que soit
le diamètre du tube, tandis que l'on ne note une élévation dans toute la colbnne
qu'avec des tubes étroits.
De même, il serait logique que les tubes les plus étroits produisent une
montée plus importante. La montée cesse lorsque la force descendante (poids)
devient assez forte pour équilibrer la force ascendante. Ces deux forces évoluent
chacune à leur manière : la force ascendante augmente avec le périmètre du
tube capillaire, tandis que la force descendante (poids) augmente avec la surface
qu'occupe le liquide dans le tube capillaire. Plus un tube sera étroit, moindres
seront le périmètre et la force d'élévation, mais la surface du liquide sera propor-
tionnellement encore plus réduite. Par conséquent, il est logique que les colonnes
les plus étroites montent plus haut en raison de leur poids bien inférieur ; des
expériences en laboratoire confirmèrent cette attente.
On peut faire une seconde prédiction en énonçant que l'eau chaude s'élèvera
plus rapidement : un échauffement de l'eau faci-
lite son évaporation, et un taux d'évaporation plus
49
élevé devrait produire une montée plus rapide.
31
Nous confirmâmes en effet que l'eau chaude
27
s'élevait deux à trois fois plus vite que l'eau à tem-
pérature ambiante.
Une troisième prédiction est liée au méca-
nisme de poussée. Ce mécanisme implique une
2s forte concentration de protons dans la zone
immédiatement sous la mosaïque de surface.
Les protons en forte concentration génèrent de
forts signaux infrarouges, comme déjà vu de nom-
23 breuses fois dans ces pages. Nous observâmes
ici la même chose : de forts signaux infrarouges
apparaissant invariablement juste en dessous du
ménisque de surface (Fig. 16.14).
21
Une quatrième prédiction est l'absence d'élé-
vation de l'eau dans des tubes hydrophobes. Les
Fig. 16.14 Image infrarouge forces en question provenant toutes des charges
d'une eau s'élevant dans un
tube capillaire carré. Notez le
point chaud juste en dessous du
ménisque. L'échelle est en °c.
positives créées par la formation de ZE, et les surfaces hydrophobes n'en produi-
sant pas, l'eau ne devrait pas du tout s'élever dans des tubes hydrophobes - et
c'est bien ce que nous constatâmes.
Un cinquième point est l'apparente universalité du mécanisme ; le méca-
nisme proposé ici est très semblable à celui évoqué pour expliquer le mouvement
de l'eau dans le phénomène de l'osmose (Fig. 11.8) et dans le cas de substances
absorbantes (Fig. 11.11) : chacun de ces déplacements d'eau y est guidé par
des protons. Il se peut que des mécanismes basés sur la charge régissent une
multitude de phénomènes d'attraction de l'eau - peut-être même tous. Cette
universalité devient un argument de poids pour le mécanisme électrostatique.

Transport de l'eau dans les grands arbres


L'action capillaire ne se limite pas aux seuls tubes en quartz et autres ser-
viettes en papier; elle se produit aussi dans la nature, notamment dans le règne
végétal, où l'eau peut s'élever jusqu'au sommet de séquoias hauts de plus de 100
mètres. À l'intérieur de ces arbres, les étroits vaisseaux du xylème s'étendent des
racines jusqu'aux feuilles et transportent l'eau toujours plus haut.
Ce mécanisme de transport de l'eau fait toujours débat. De nombreux scien-
tifiques pensent qu'une forme d'action capillaire tire l'eau vers le haut. Néan-
moins, deux problèmes invalident cette hypothèse. Tout d'abord, la « colonne
en suspension » est trop lourde pour être levée à plus d'une dizaine de mètres ;
ensuite, les poches d'air que l'on trouve fréquemment au sein du liquide dans
les tubes du xylème devraient contrarier le processus d'élévation, exactement
comme avec une paille. Les scientifiques continuent à batailler pour résoudre ces
problèmes.
Dans le mécanisme capillaire décrit plus haut, ces observations ne consti-
tuent pas nécessairement des obstacles. La colonne n'est pas en suspension :
elle adhère aux parois ; quant aux poches d'air, celles-ci ne font pas obstacle à
une élévation basée sur la charge. Ce mécanisme se produit-il réellement dans les
plantes et les arbres ? Pour y répondre, il faut déterminer si les tubes du xylème
contiennent des zones d'exclusion ; il apparaît que la réponse est positive.
Pour obtenir des informations concernant la présence de ZE dans les tubes
du xylème, je contactai mon ami australien Martin Canny, le pape de la vascu-
larité végétale. Martin vit à Canberra. Je me souviens lui avoir rendu visite il y a
plusieurs années ; les Canny s'étaient montrés assez aimables pour m'installer
dans l'appartement de leur belle-mère, à l'étage du dessous. Martin me toucha
un mot au sujet des araignées, précisant nonchalamment de ne pas m'en faire à
propos des Sparassidae (quoiqu'énormes et poilues, elles étaient parfaitement

299
inoffensives) mais de prendre garde en revanche aux
petites noires à points rouges qui se cachaient dans
les recoins et les fentes : leur venin pouvait provoquer
une mort assez rapide et plutôt atroce. Inutile de dire
que je n'ai pratiquement pas fermé l'œil durant les
trois nuits chez eux.
Malgré cela, nous eûmes l'occasion de discuter de
l'action capillaire, et Martin sembla intrigué par l'idée
des zones d'exclusion. Après ma visite, il souhaita en
apprendre plus et vérifier cette théorie. Il introduisit
Fig. 16.15 Cryo-balayage au de petites particules d'encre dans les tubes du xylème
microscope électronique de avant de rapidement congeler les spécimens puis les
particules d'encre introduites examiner au microscope électronique. Les résultats
dans le xylème. Les particules furent positifs (Fig. 16.15). Je ne sais lequel d'entre
se concentrent au centre et sont nous était le plus excité entre Martin et moi, mais ses
exclues de la zone longeant les résultats confirmaient la présence de zones d'exclu-
parois. Avec l'aimable autorisa- sion dans les vaisseaux.
tion de Martin Canny.
Cette confirmation signifiait que nous étions sur
la bonne voie. Si des ZE annulaires sont bien pré-
sentes dans les tubes du xylème, celles-ci jouent alors assurément un rôle dans
la physiologie des tubes. Les ZE annulaires des tubes en Nafion génèrent des flux
intratubulaires stables (Chapitre 7) ; c'était précisément ce type de flux que nous
recherchions. En réalité, les flux dans les tubes en Nafion (ou en gel) pourraient
modéliser ce qui se passe dans les tubes vasculaires du règne végétal.
Dans le modèle du Nafion, une caractéristique centrale est la présence de
protons dans le centre du tube, qui propulsent le flux. Mais remplissaient-ils éga-
lement le liquide du xylème ? Les manuels classiques confirmèrent nos espoirs :
un pH bas pour la sève ; les méthodes modernes permirent d'affiner les valeurs :
pour de jeunes plants de maïs, par exemple, le pH du xylème se situe entre 5 et
4 selon les conditions. 7
Ainsi, les tubes du xylème ressemblent beaucoup aux tubes en Nafion. Tous
deux possèdent des ZE annulaires ; tous deux contiennent des protons en leur
centre. Nul besoin de faire un pas de géant pour suggérer que les mêmes prin-
cipes régissent ces flux. Nous pourrons continuer de parler par habitude de flux
animés par capillarité, mais il serait plus exact d'évoquer des flux propulsés par
les protons.
Ces flux dûs aux protons sont nécessaires pour remplacer l'eau perdue
par évaporation au niveau des feuilles d'une plante. Ce faisant, il se pourrait
que le sommet du vaisseau du xylème s'assèche provisoirement à l'exception

300
de quelques couches de ZE résiduelles ; les protons adhérant à ces couches
résiduelles attireraient alors vers le haut l'eau dans la colonne par le même
mécanisme qui la tire vers le haut dans les étroits tubes capillaires en quartz. Ce
mouvement ascendant permet de maintenir l'hydratation des feuilles.
Avec ce mécanisme, la hauteur ne devrait pas poser problème, les tubes
étant suffisamment étroits pour rendre la force d'attraction plus forte que la
force gravitationnelle. Les vaisseaux les plus hauts de l'arbre ont des diamètres
se mesurant en microns. Les vaisseaux plus bas sont plus larges mais leurs
lumens renferment généralement un grand nombre de brins de polymères hydro-
philes ayant pour effet de rétrécir les tubes. Des ZE se fixent à l'ensemble de
ces surfaces, et l'eau adhère aux ZE grâce aux nombreux ions hydronium qu'elle
contient. Ces assemblages « collants » supportent la plus grande partie du poids
de la colonne d'eau. Grâce à cette forte capacité du tube à supporter des charges
et à son étroitesse, l'eau ne devrait rencontrer aucune difficulté pour atteindre
des hauteurs élevées.
Faisons quelques commentaires sur l'aspect énergétique de ce processus.
Le flux ascendant a besoin d'énergie, exactement comme pour pomper de l'eau à
stocker dans un réservoir en hauteur. La source de cette énergie nous est fami-
lière : l'énergie rayonnante incidente. De même qu'elle soutient le flux aqueux à
l'intérieur de tubes hydrophiles, elle devrait faire de même pour celui au sein des
tubes du xylème.
Sachant le rôle que joue directement l'énergie rayonnante incidente dans le
phénomène du flux, il est facile de comprendre pourquoi il doit dépendre de la
saison. Le flux commence à l'approche du printemps, juste au moment où l'éner-
gie rayonnante ambiante commence à reprendre. Il augmente à mesure que l'été
arrive, ralentit en automne, pour cesser en hiver. La diminution de l'alimentation

Les couleurs de l'automne.


en énergie en automne pourrait directement expliquer la diminution du flux, et
pourquoi les feuilles s'assèchent et tombent au sol à cette saison.

Quand des gouttes d'eau flottent


Enfin, revenons à notre étude des surfaces d'eau naturelles et deman-
dons-nous ce qui se passe lorsque la pluie leur tombe dessus. L.'.intuition nous dit
que les gouttes vont immédiatement entrer en coalescence avec la masse d'eau
en dessous. Toutefois, si la goutte et la surface de l'eau comportent toutes deux
des ZE, la coalescence ne se produira pas nécessairement instantanément.
J'avais entendu parler pour la première fois de coalescence retardée par un
étudiant et son expérience à bord d'un bateau un jour où il avait plu ; de l'eau
accumulée sur les bords de l'embarcation tombait de
temps à autre à la surface du lac sous la forme de
gouttes, et une fois sur deux, ces gouttes flottaient
quelques instants avant de se dissoudre. Une fois
que vous avez vu ces gouttes flottantes, vous les
cherchez partout. Lors de pluies torrentielles, ces
gouttes peuvent paraître surréalistes, véritables billes
translucides flottant à la surface.
Il s'avéra que la coalescence retardée des gouttes
était un phénomène connu faisant l'objet d'études
Fig. 16.16 Gouttes d'eau intermittentes depuis un siècle. Peu de gens sem-
tombant sur une surface d'eau. blaient être conscients de leur existence. Convaincus
Sous les conditions appropriées, qu'une étude plus approfondie divulguerait davan-
ces gouttes peuvent persister un tage des secrets que l'eau garde jalousement, nous
certain temps avant de fusionner effectuâmes des travaux poussés sur ce phénomène,
avec l'eau située en dessous. aidés de vidéos à haute vitesse.a Nous remarquâmes
que, sous des conditions adéquates et les gouttes
lâchées à moins de 10 mm au-dessus de la surface
de l'eau, celles-ci flottaient systématiquement avant de se dissoudre (Fig. 16.16).
De plus, lorsque les gouttes roulaient ou glissaient sur le côté, la coales-
cence prenait encore plus de temps - parfois de nombreuses secondes. Ce retard
pourrait résulter du temps supplémentaire nécessaire pour faire une brèche dans
la ZE enveloppant la goutte. Si la goutte roule, le point de contact change conti-
nuellement, et le processus d'ouverture doit sans cesse recommencer ; il serait
alors normal que la dissolution prenne plus de temps.
De plus, la dissolution ne se déroule pas en une seule étape.a Le processus
nécessite une série de cinq ou six giclées, chacune éjectant une partie du contenu

302
de la goutte dans l'eau en dessous. Certaines de
ces éjections sont suffisamment puissantes pour
y provoquer des vagues, voire même propulser le
reste de la goutte vers le haut {Fig. 16.17).
Certaines photos de la Figure 16.17 peuvent
nous paraître familières. Des photos similaires
sont souvent reproduites dans les livres, les
magazines ou sur Internet. Ces pas de danse
caractéristiques demeurent énigmatiques - voici
un mystère à la hauteur de votre curiosité, cher
lecteur. Il est possible que l'éjection initiale libère
la plus grande partie de la pression interne de
la goutte. Une fois refermée, si cette dernière Fig. 16.17 Plusieurs des étapes
contient encore des résidus de charges posi- de la dissolution d'une goutte d'eau
tives, la séquence peut alors se répéter. Il faudra dans de l'eau. 8 Les chiffres indiquent
plusieurs éjections avant que la goutte ne soit en millisecondes le temps écoulé
vidée, devenant proverbialement la fameuse depuis le contact de la goutte avec la
goutte d'eau dans l'océan. surface.

En résumé
Des structures contenant des ZE tapissent la surface de l'eau. Situées sous
la surface, elles sont essentiellement constituées de vésicules agglomérées mais
pourraient également contenir une forme auto-arrangée en mosaïque du matériau
composant habituellement les ZE. Ces arrangements en mosaïque se projettent à
quelques millimètres ou quelques centimètres sous la surface des récipients, en
laboratoire ; mais en eaux profondes, sous un important rayonnement incident,
ils peuvent atteindre des dizaines, voire des centaines de mètres de profondeur.
Ces structures tubulaires en mosaïque créent une tension interfaciale.
En effet, les tensions interfaciales de surface d'eaux naturelles peuvent être
extrêmement importantes - de toute évidence, suffisamment pour supporter le
poids de petits lézards et peut-être aussi pour contribuer à maintenir à flot des
bateaux. L.'.agent créant toute cette tension est la ZE en mosaïque sous la surface
de l'eau. Sa présence permet d'expliquer de nombreux phénomènes observables:
les traînées de sillage persistantes, les vagues de tsunami qui durent si long-
temps, les écoulements capillaires dans les arbres, et l'énigme des gouttes qui
flottent à la surface de l'eau.
Quant à savoir si de telles structures en mosaïque pourront vous aider à
marcher sur l'eau, ceci est une autre affaire. De mon point de vue, cela paraît plus
que douteux ... bien que l'on dise que cela se serait déjà produit il y a longtemps.

303
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17 Glace et chaleur

E n 1963, Erasto Mpemba était collégien en Tan-


ganyika (aujourd'hui Tanzanie). Un jour, son
cours de cuisine porta sur la crème glacée ; peu de
collégiens de ce pays aspirant à devenir de grands
chefs, la méthode de fabrication avait été simplifiée.
Pour ce faire, les collégiens devaient simplement
verser une poudre prémélangée dans de l'eau, puis
agiter le mélange avant de le placer au réfrigérateur ;
ils seraient rapidement en mesure de savourer leur
création.
Un jour, Mpemba remarqua un phénomène
curieux : la crème glacée était prête plus tôt s'il
mélangeait sa poudre avec de l'eau chaude plutôt Erasto Mpemba, 1950 -
qu'avec de l'eau froide. L'.eau chaude semblait geler
plus rapidement. Ce phénomène impressionna Mpemba, mais laissa de glace ses
professeurs qui trouvèrent cela bien improbable.
Incapable d'oublier cette observation illogique, lorsqu'il étudia au lycée,
il raconta le paradoxe dont il avait été témoin à son professeur, un enseignant
recruté pour initier les étudiants aux merveilles de la science. Denis Osborne n'en
fut pas non plus impressionné : tout ce qu'il savait en matière de thermodyna-
mique le conduisait à conclure que de l'eau chaude ne pouvait pas geler plus vite
que de l'eau froide. Néanmoins, Mpemba insista. Finalement, il le persuada de
faire l'expérience lui-même en utilisant de l'eau pure ; à sa plus grande surprise,
Osborne confirma rapidement les observations de Mpemba.
Leurs travaux communs constituent aujourd'hui une référenceY Il est pos-
sible de voir de récentes démonstrations de ce phénomène en vidéo.w1•2 Tout le
mérite revient au lycéen qui sut comprendre l'intérêt de cette observation para-
doxale, même s'il ignorait à l'époque que de grandes figures, dont Aristote, avaient
fait des observations similaires bien avant lui.
Le fameux« effet Mpemba »n'est pas la seule particularité paradoxale entou-
rant la formation de la glace. Bien qu'elle se présente sous la forme d'un bloc d'eau
solide et inanimé, la formation de la glace présente plusieurs autres paradoxes
qu'il faudra résoudre si nous voulons vraiment la comprendre.
Nous commencerons en nous posant la question désormais habituelle: les ZE
joueraient-elles un rôle ? Étant donné la similarité structurelle entre la zone d'ex-
clusion et la glace, il semble inévitable qu'elles y aient une certaine participation.

305
Par exemple, il se pourrait que l'état de ZE précède le gel, et suive la fonte. Si tel
est le cas, nous pourrions alors nous demander si une chute de température est
réellement le facteur le plus important pour que de la glace se forme, ou si un
refroidissement ne ferait que préparer le terrain à un autre processus produisant
de la glace?
Nous commencerons avec un paradoxe concernant la formation de la glace
encore plus fondamental que celui de Mpemba.

Le paradoxe de l'énergie
Pour que de l'eau gèle, on pense généralement que de l'énergie doit être reti-
rée. Visualisez le processus : vous introduisez un bac d'eau dans votre congéla-
teur; lorsque suffisamment de chaleur aura été éliminée, l'eau se transformera en
glace. Il vous sera ensuite possible de faire l'inverse: en exposant la glace à de l'air
chaud, celle-ci fondra. Ajouter de l'énergie produit donc un liquide désordonné,
l'eau ; retirer de l'énergie produit un cristal ordonné, la glace.
Bien qu'il s'agisse là d'un phénomène familier, il soulève un point curieux.
D'après tout ce que nous savons des chapitres précédents, la création d'un ordre
cristallin requiert une énergie supplémentaire. Pour créer de l'ordre (et donc
réduire l'entropie), il faut généralement un apport d'énergie ; plus il y en aura,
plus grande sera la zone ordonnée.
C'est une question de bon sens : bâtir un château de sable à la structure éla-
borée vous demandera de l'énergie ; en revanche, le détruire peut n'en nécessiter
que très peu, un seul petit coup au bon endroit. La construction d'une structure
ordonnée demande toujours un important apport d'énergie.
Si tout cela vous semble logique, alors le processus de congélation devrait
vous laisser profondément perplexe, ce dernier semblant fonctionner sens des-
sus-dessous. La glace est le cristal ordonné par excellence ; en tant que tel, on
pourrait penser qu'une grosse quantité d'énergie y a été introduite pour permettre
sa construction ; au contraire, le bon sens semble nous dire qu'il faut au contraire
en retirer de l'énergie.
Les scientifiques ont rationalisé l'anomalie de la formation de la glace en
invoquant la notion d'agitation thermique : celle-ci diminuant avec la tempéra-
ture, réduire celle-ci permettrait aux molécules d'eau de suivre une tendance
naturelle à s'auto-organiser en glace cristalline. Si ce raisonnement paraît sensé
de prime abord, il soulève toutefois une question d'ordre thermodynamique: si un
apport d'énergie est nécessaire pour augmenter l'ordre et former la ZE, comment
l'augmentation de l'ordre nécessaire à la formation de glace pourrait en requérir
un retrait?

306
C'est mon ami Lee Huntsman, un scientifique et ingénieur ayant renoncé
aux travées de la science pour présider notre université, qui porta ce paradoxe
à mon attention. Lee vint me voir à l'issue d'une conférence publique que j'avais
été invité à y donner. Venant se glisser parmi les auditeurs partageant leurs
enthousiasme et remarques, sa question sur le paradoxe thermodynamique fut
la réaction que j'appréciai le plus ; elle me donna à réfléchir.
Nous le résolûmes finalement ; travailler dessus (a) structure de la ZE
nous permit de faire quelques découvertes. J'en vint
à comprendre qu'une importante réserve d'énergie
était à disposition pour alimenter la transition de
l'eau liquide en glace, et que la libérer nécessitait un
refroidissement adéquat. Au final, de l'énergie est
bien utilisée pour créer de l'ordre, exactement comme
observé plus tôt avec la formation des ZE.

Résolution du paradoxe de l'énergie :


(b) introduction de protons
le rôle de la ZE
Que la glace se forme à partir d'eau est une évi-
dence; de savoir si c'est à partir d'une eau en vrac ou
d'une eau-ZE l'est moins. Les structures de l'eau-ZE et
de la glace se composant toutes deux d'empilements
de couches en nids-d'abeilles, il semble naturel de
suggérer un lien entre ces deux états ; on pourrait
facilement envisager une transformation de la ZE en
glace.
Les différences structurelles entre la ZE et la (c) les couches s'alignent pour
glace nous suggèrent des indices quant à ce qui former de la glace
pourrait la gouverner (Fig. 17.1). Dans la structure
de la ZE, les atomes des couches adjacentes sont
décalés les uns par rapport aux autres (image a). Les
charges d'une couche s'alignent avec celles opposées
de la couche adjacente. t.:attraction maintient les
couches de la ZE ensemble. À l'inverse, les couches
en nids-d'abeilles de la glace sont alignées (image
c). Les atomes d'oxygène se trouvent face à d'autres
atomes d'oxygène ; ceux d'hydrogène, face d'autres Fig. 17.1 Transformation de la ZE
d'hydrogène. Leur proximité crée des répulsions (a) en glace. La transformation
locales. Ces forces répulsives devraient normalement requiert des protons (b) et un
repousser les couches hexamériques et faire exploser glissement des couches (c). (Les
couches de la glace ne sont pas
plates en raison des attractions
et des répulsions locales.)
la structure, mais la nature a recours à une astuce brillante en collant les couches
l'une à l'autre à l'aide de protons (image c). Ceux-ci s'immiscent entre chaque paire
d'atomes d'oxygène juxtaposés (sur des couches adjacentes), introduisant une
charge positive collant deux atomes négatifs. C'est ce mécanisme qui va solidifier
l'eau de type ZE en glace.
Manifestement, la transformation de la ZE en glace exige un afflux massif de
protons (image b) ; ajoutant des charges positives à la structure ordinairement
négative de la ZE, ils lui confèrent ainsi la neutralité électrique nette de la glace.
Les protons prennent aussi de la place: leur présence écarte les couches de la ZE
et explique la densité plus faible de la glace (ce qui lui permet de flotter). Ainsi,
une transformation de la ZE en glace constitue une possibilité prometteuse, à
même d'expliquer au moins certaines de ses caractéristiques fondamentales.
Une transformation de la ZE en glace est également sensée d'un point de vue
énergétique. Ces protons exclus constituent une énergie potentielle (basée sur la
séparation des charges positives et négatives). Si, à un moment donné, les protons
reviennent rapidement, neutralisant la ZE négative et formant la glace, cette éner-
gie potentielle est restituée. Par conséquent, cela satisfait nos attentes : l'énergie
est utilisée pour convertir une structure ordonnée en une structure encore plus
ordonnée (Fig. 17.2).
Tout ceci semblant cohérent, nous décidâmes de vérifier si la transformation
de la ZE en glace pouvait être davantage qu'une belle idée théorique ; nous étu-
diâmes donc comment se formait exactement la glace.

Preuves qu'une zone d'exclusion précède la glace


Pour effectuer ces expériences, nous utilisâmes une grande plaque de refroi-
dissement ; y posant une bande de Nafion sur la face supérieure et un peu d'eau
à côté (Fig. 17.3, dessin), nous procédâmes au refroidissement.

cristal
liquide
(ZE) 7

Fig. 17.2 Aspects énergétiques


ORDONNÉ

de la transformation de l'eau de
r
énergie de la sépara-
tion des charges
PLUS ORDONNÉ

type ZE en glace. L'énergie requise


provient des protons qui ont été
séparés.
goutte d'eau Fig. 17.3 Progression séquentielle

Nafion zone étudiée de la congélation d'une goutte sur


une plaque de refroidissement
filmée par une caméra infrarouge.
La goutte se trouve à côté d'une
bande de Nafion. La région qui
commence à geler est la ZE à
côté du Nafion (point blanc à
gauche) et elle tend à se propager
plus rapidement le long de la ZE
(flèche, image de droite).

La ZE à proximité du Nafion fut toujours la première région à geler, bien


avant le reste de l'eau. Généralement, la congélation commençait à un point situé
à l'interface eau-Nafion (image de gauche, point blanc). Le gel s'étendait ensuite,
habituellement plus vite le long de la ZE que perpendiculairement à celle-ci; par-
fois, de longues bandes de ZE gelaient avant le reste de l'eau située juste à côté
(image de droite, flèche).
Nous observâmes la même congélation de ZE avec un dispositif expéri-
mental totalement différent (Fig. 17.4). Nous insérâmes une languette d'un bon
conducteur thermique dans un petit récipient expérimental contenant de l'eau et
des microbilles, offrant la possibilité de la refroidir de l'extérieur avec un appareil
thermoélectrique ou en l'exposant à un fluide réfrigérant. Dans tous les cas, le
but était que la languette retire de la chaleur de l'eau.
Rien ne se produisit au début du refroidissement. Puis une zone d'exclu-
sion commença à se former à côté de la languette. (Le matériau composant la

Fig. 17.4 Appareil de refroidis-


sement pour explorer la relation
entre la ZE et la formation de
glace.

309
languette n'affectait pas vraiment le processus, pourvu qu'il soit un bon conduc-
teur de chaleur.) Avec le refroidissement, la ZE devenait progressivement de plus
en plus grande, atteignant souvent jusqu'à 500 microns, voire plus. Alors, l'un
de ces deux événements se produisait : dans quelques cas, les microbilles enva-
hissaient soudainement la ZE et s'agglutinaient, la ZE gelant alors. Nous savions
qu'elle ZE avaient gelé car les microbilles qu'elle renfermait étaient complètement
écrasées. Les autres fois, les microbilles restaient exclues quand la ZE originale
gelait. Quoi qu'il en soit, la ZE était l'étape précédant la glace, comme vu précéde-
ment dans l'expérience avec le Nafion et la goutte d'eau.
Une question en passant : pour quelles raisons la languette refroidissante
avait-elle généré la ZE ? Ce paradoxe apparent nous étonna tout d'abord car la
formation de ZE requiert généralement un apport d'énergie infrarouge. Si la sur-
face refroidissante élimine de l'infrarouge, nous aurions dû nous attendre à ce
que la ZE naissante rétrécisse, au lieu de s'étende.
Nous déduisîmes finalement que dans cette configuration, la ZE recevait
beaucoup plus d'infrarouge que prévu en raison d'une asymétrie. Dans le disposi-
tif de la Figure 17.4, la plaque refroidissante tire de toute évidence vers la gauche
de l'énergie infrarouge puisée dans l'eau proche. Toutefois, le volume d'eau situé
derrière envoie également des IR en direction de la plaque froide; ces IR passent à
travers (et aident en cela à construire) la zone d'exclusion naissante. Ce scénario
poussant-tirant génère un passage d'infrarouge significatif : l'énergie IR s'écoule
en abondance à travers la ZE, ayant pour effet son agrandissement. C'est mani-
festement cette ZE agrandie qui se transforme en glace.

EAU DÉ/ON/SÉE EAU DÉ/ON/SÉE BOUILLIE


Fig. 17.5 Analyses
1.5 1.5
spectrométriques d'une 5 5
<!'. ~
eau tout juste fondue. -; 1 c
0
1
0
Le pic d'absorption à :;::;
.0 ~
0
.2 ~
270 nm est présent à 0.5 .0 0.5
"' "'
chaque fois.
270 470 670 270 470 670
longueur d'onde (nm) longueur d'onde (nm)

EAU DÉGAZÉE DÉ/ON/SÉE EAU DÉGAZÉE DÉ/ON/SÉE BOUILLIE


1.5 1.5
5 5
~ ~
c
0
1 § 1
~ ::§
0
.2 0.5
~
.0 0.5
"' "'
310
270 470 670 270 470 670
longueur d'onde (nm) longueur d'onde (nm)
Cette réponse semblait satisfaisante, la croissance de la ZE signifiant une
accumulation de protons au-delà de celle-ci ; ces protons séparés seraient prêts
pour leur hypothétique invasion de la ZE. Cela nous conforta sur notre lancée.
Quid de la fonte ? Si la congélation impliquait une transformation de la ZE
en glace, la fonte devait impliquer une transformation de la glace en ZE. Cette
prédiction fut facilement confirmée. 3 Plaçant de petits blocs de glace dans des
cuvettes de spectromètre standard et testant l'eau qui fondait, le pic d'absorption
caractéristique de la ZE à 270 nm apparaissait invariablement lorsque la glace
commençait à fondre, et ce, quelque soit le type d'eau qui fondait (Fig. 17.5). Ce
pic persistait quelques dizaines de secondes avant de disparaître lorsque la glace
avait fini de se transformer en eau.
Le type d'eau qui gelait ou qui fondait n'avait donc aucune importance ; à
chaque fois, les états de ZE et de glace étaient étroitement liés. Et cela n'était pas
une surprise, vu la similarité de leurs structures.

Température et formation de glace


Ayant confirmé le lien entre la ZE et la glace, nous souhaitâmes ensuite véri-
fier le second point de notre hypothèse : l'afflux de protons. Des protons produits
par la formation de la ZE semblaient facilement disponibles et prêts à envahir la
ZE pour créer de la glace.
Mais nous devions auparavant aborder la question de la température. La
plupart des scientifiques sont d'accord avec la vision conventionnelle énonçant
que le facteur déterminant dans la formation de la glace est un refroidissement
et non un afflux de protons. Affirmer la primauté de l'afflux de protons revient à
reléguer le refroidissement au second plan, ce qui pourrait sembler bizarre: com-
ment le refroidissement ne pourrait-il jouer qu'un rôle de soutien si la congélation

Flocons de neige

Tout le monde a déjà vu la beauté de la douce


chute des flocons de neige. Ils présentent généra-
lement une symétrie hexagonale ; un empilement
de plans sculptés sur leurs bords crée un ordre
hexagonal (voir photo). Pour obtenir de telles
structures symétriques, une structure hexagonale
à empilement faciliterait le processus, et il se pour-
rait très bien que les couches qui composent la ZE
suffisent.
se produit toujours à une température fixe ? Cette température fixe de congéla-
tion est si bien connue qu'elle sert même de repère sur l'échelle Celsius.
Bien que la température de congélation à 0°C constitue une connaissance
élémentaire, même pour les enfants, il s'avère que l'eau ne gèle pas toujours à
cette température. Je ne parle pas d'une eau contenant des éléments dissous,
où des propriétés dites « colligatives » seraient susceptibles de faire baisser la
température critique de quelques degrés. Je parle d'une eau pure sous condition
standard, pour laquelle la température de congélation peut parfois descendre
bien en dessous de o0 c.
Les scientifiques savent que l'eau pure à la pression atmosphérique au
niveau de la mer refusera parfois de geler avant que la température ne soit des-
cendue vers les -40°C. Dans des espaces confinés, la température de congélation
peut descendre encore plus bas, même jusqu'à -80°C. 4 Le phénomène de « l'eau
difficile à geler » est bien connu mais reste très mal compris. On se débarrasse
généralement du problème en qualifiant une telle eau de « surfondue », une
appellation dont la seule fonction est de nous faire oublier qu'il n'existe pas de
réelle explication.
Il est heureux que ce seuil de température de congélation puisse descendre
si bas; si l'eau gelait toujours à 0°C, la vie végétale s'éteindrait sous les latitudes
les plus froides : l'eau de chaque plante se transformerait en glace qui mettrait
la plante entière en lambeaux, déchiquetant même ses organites. Fort heureuse-
ment, cela n'arrive pas pour la bonne raison que la température de congélation
peut descendre à des valeurs bien plus basses que la température glaciale de
l'environnement.
D'un autre côté, l'idée que la température n'est pas tout à fait la variable déci-
sive que nous admettons généralement est moins surprenante lorsque l'on sait à
quel point ce terme est imprécis (voir Chapitre 10). Lambiguïté qui règne autour
de la notion de «température» nous conduisit à chercher une autre variable plus
significative pour comprendre comment se forme la glace. Cette variable, selon
l'hypothèse étudiée, devait porter sur une invasion de protons.
Un groupe israélien apporta récemment quelque lumière sur cette question
en étudiant le rôle de la charge dans la congélation. 5 Ces chercheurs immergèrent
un matériau pyroélectrique dans un récipient refroidi par l'extérieur (Fig. 17.6).
Ces appareils peuvent contrôler la polarité de leurs charges de surface. Ce pro-
tocole permit aux chercheurs de voir comment des charges de surface négatives,
neutres ou positives affectaient le processus de congélation.
Une polarité négative des charges fit obstacle à la congélation de l'eau du
récipient (image du haut) ; autrement dit, la température devait atteindre des
valeurs très basses avant que l'eau ne commence à geler. Une polarité positive eut

312
matériau pyroélectrique

l'effet inverse: elle facilitait la congélation (image du bas).


Ainsi, lorsque la surface présentait une charge positive,
l'eau à côté se mettait à geler avant que la température
eau
ne descende beaucoup ; une charge positive favorisait la
congélation.
Un aspect remarquable de cette expérience était
l'ordre dans lequel le gel s'était formé. Le récipient rem- chargé négativement
pli d'eau étant refroidi de toute part, de la glace aurait
dû commencer à se former à la périphérie du récipient.
C'est bien ce qui fut généralement observé, sauf au cours
du protocole faisant intervenir une charge positive. Ici,
la glace commença à se former exactement à l'interface
chargée pyroélectriquement, ce qui laisse supposer l'im- eau
portance de la charge positive dans sa formation. Encore
plus parlant : pour générer cette positivité, l'appareil
pyroélectrique devait être chauffé. En d'autres termes,
l'eau gelait de préférence à côté de l'appareil, quand bien
même celui-ci ajoutait de la chaleur à l'eau. Au temps chargé positivement
pour le refroidissement supposé requis pour la for-
mation de la glace ! Fig. 17.6 Expériences pyroé-

Ce dernier résultat expose très clairement, au lectriques. Une charge négative


cas où les paragraphes précédents n'auraient pas retarde la formation de glace,
suffi, que la température ne peut pas être la variable tandis qu'une charge positive la
décisive dans le processus de congélation. Selon les facilite.
circonstances, même un ajout de chaleur peut créer
de la glace.
Ces résultats expérimentaux montrent l'importance de la charge positive
dans la formation de celle-ci. Ils vont également dans le sens de notre hypothèse
puisque les protons chargés positivement pourraient, s'ils venaient à envahir la
ZE, faciliter de même sa formation. Ces expériences donnent l'impression que ces
protons sont au moins aussi importants qu'une baisse de température.

L'afflux de protons
Forts de ces observations, nous voulûmes ensuite savoir s'il y avait réellement
un afflux massif de protons lorsque se forme la glace. Nous répétâmes d'abord
des travaux réalisés bien plus tôt : des mesures électriques déjà effectuées il y a
un demi-siècle qui laissaient entendre l'apparition de charges positives au cours
de la congélation. 6 Plaçant une électrode devant un front de glace en développe-
ment, à mesure que le front de glace approchait, le potentiel électrique grimpa

313
jusqu'à un volt. Cette confirmation d'une augmentation de la charge positive nous
donna une direction à confirmer avec des visualisations directes.
Pour ce faire, nous utilisâmes un colorant sensible au pH (voir Chapitre 5). Au
cours d'une expérience, employant un récipient circulaire (Fig. 17.7), nous le pla-
çâmes sur une plaque refroidie par azote liquide. À température
ambiante, le colorant était vert (haut), indiquant une neutralité.
L'eau se mettant à geler sur les bords, la couleur des bords
devint orange foncé (bas), indiquant la présence de nombreux
protons dans les régions en train de geler. Ces expériences ne
pouvaient pas révéler comment ces protons s'y rendaient, mais
seulement qu'ils avaient pénétré dans les régions où la glace se
formait, comme prédit.
Nous obtînmes des résultats similaires en introduisant une
plaque refroidissante en aluminium dans le récipient. Une fois
encore, la région où la glace se formait devint orange foncé, y
DÉBUT DU GEL indiquant ainsi la présence de nombreux protons (Fig. 17.8).
Une autre série de résultats fut similaire avec des gouttes.
Une goutte placée sur une plaque refroidissante gelait de sa
base vers le haut. Nous pouvions examiner la périphérie de la
goutte, pas l'intérieur. À mesure que gelait la périphérie, sa cou-
leur passa du vert à l'orange, indiquant une nouvelle fois l'afflux
de protons (Fig. 17.9).
Confiants que ces résultats confirmaient l'afflux attendu
de protons, nous poursuivîmes avec encore une
autre approche expérimentale, en utilisant cette
Fig. 17.7 Eau contenant un
fois-ci une caméra infrarouge. Ici encore, nous exa-
colorant sensible au pH dilué. La
minâmes une goutte sur une surface refroidissante.
valeur indique le pH relevé à la
Si des protons inondaient la ZE périphérique de la
périphérie du récipient.
goutte, le mouvement de charge devait créer un flash
d'énergie infrarouge, puisqu'il en génère (Chapitre
10) ; nous en avons déjà vu de nombreux exemples.
Nous confirmâmes l'existence de ce flash, l'émission
d'infrarouges persistant environ une seconde (Fig.
17.10). La présence de ce flash allait elle aussi dans
le sens de l'hypothèse d'un afflux de protons et nous
appréciâmes que la goutte signale sa transformation
en glace d'une façon aussi« brillante».
Notre excitation à propos de ce flash s'éteignit
toutefois rapidement lorsque quelqu'un suggéra une

Fig. 17.8 Expérience avec une


plaque refroidissante.
Fig. 17.9 Change-
ment de couleur au
cours de la congéla-
tion d'une goutte
sur une surface refroidissante.
interprétation différente, à savoir que cela pouvait La couleur orange montre la
simplement signaler la « chaleur de fusion ». L.'.eau concentration de protons près de
étant supposée perdre de la chaleur en gelant, ce la surface de la goutte lorsque
flash infrarouge pouvait être l'expression de cette celle-ci commence à geler.
perte. Cette interprétation parut plausible pour com-
mencer, mais quelque chose n'allait pas. Éliminer de
la chaleur aurait dû provoquer un refroidissement de la
goutte, ou au minimum la faire rester à la même tempéra-
ture ; mais l'échelle des températures (Fig. 17.10, droite)
semblait indiquer que la goutte se réchauffait en gelant
(troisième image). Qu'est-ce qui aurait bien pu faire monter
la température pendant la congélation? Cela n'avait aucun
sens.
Ce flash infrarouge avait beaucoup plus de sens, s'il 1 ·c
était interprété comme un afflux rapide de protons : c'est
le mouvement de charge qui créait le flash. Cette interpré-
tation vint compléter les résultats obtenus avec le colo- 0 ·c
rant sensible au pH, qui confirme de manière plus directe
l'afflux de protons. Nous voyons que ces deux séries de
résultats se renforcent l'une l'autre: il était évident que des _1 ·c
protons affluaient à grande vitesse pour créer de la glace.

Le mécanisme de libération des protons -2 ·c


Si les protons jouent le rôle attendu, il fallait qu'un
déclencheur permette à ces protons exclus de pénétrer -3 ·c
dans la ZE ; en l'absence d'un tel mécanisme, les protons
pourraient s'infiltrer en permanence dans la ZE, créant
-4"C
ainsi de la glace tout le temps. Ce qui, manifestement,
-s ·c
n'arrive pas.
Qu'est-ce qui pourrait déclencher une telle inva-
sion? Fig. 17.10 Émission infrarouge
par une goutte d'eau au cours de
Rappelez-vous que la formation d'un cristal de
sa congélation sur une surface
glace requiert des protons bruts s'immisçant entre
refroidissante. La goutte émet un
les couches de ZE pour former de la glace (Fig.
bref flash de lumière infrarouge
17.1) . Toutefois, ceux-ci ne sont généralement pas
lorsqu'elle gèle (photos du haut
vers le bas). Instant de chaque
image en secondes: 3.3, 29.0,
29.3, 30.0. Échelle d'équivalence
des températures à droite.
disponibles. L'entité qui contient habituellement les protons est l'ion hydronium,
composé d'un proton adhérant à une molécule d'eau.
On pourrait penser que l'ion hydronium conviendrait, mais sa taille pose
problème. Malgré sa forte attirance pour la structure négative de la ZE, son
volume l'empêchera d'y entrer (Fig. 17.11). Même des molécules d'eau seraient
trop grandes pour entrer. L'importance de l'obstacle devient évident en consi-
dérant la taille des ouvertures dans le maillage de la ZE : les unités hexagonales
sont minuscules. Plus grave encore, les hexagones de couches adjacentes ne sont
pas alignés (Chapitre 4) ; cela réduit les ouvertures à pratiquement rien. Seul un
minuscule proton serait suffisamment petit pour y pénétrer.
Néanmoins, ces protons sont généralement occupés ailleurs. Pour devenir
disponibles, ils doivent se libérer de leur clan, les ions hydronium; c'est seulement
alors qu'ils pourront affluer dans la structure de la ZE pour y créer de la glace.
Ainsi, la libération de protons constituerait un déclencheur plausible pour expli-
quer la formation de la glace. Quel que soit l'agent libérant les protons des ions
hydronium, il s'agirait de celui qui déclenche la formation de glace.
Pour l'identifier, pensez aux forces exercées sur les protons. La charge néga-
tive de la ZE exerce directement l'une d'elles, attirant le proton positif comme
pour l'aspirer à l'intérieur de la structure (Fig. 17.12). Cette force d'attraction
n'est pas assez puissante pour déloger le proton ; si elle l'était, et comme elle est
toujours présente, les protons entreraient sans cesse dans la ZE, faisant ainsi
échouer toute tentative de maintenir la positivité pourtant observée de l'eau en
vrac. L'attraction de la ZE pourrait aider le proton à gagner sa liberté, mais elle ne
suffit manifestement pas.
La seconde force exercée est la poussée de tous les ions hydronium der-
rière l'ion hydronium vulnérable (Fig. 17.12, à droite). Leurs charges positives
repoussent le proton en question. Cette force de poussée agit pour déloger le
proton, tandis que la ZE négative attire le proton vers l'intérieur.

Fig. 17.11 Seuls les protons sont


assez petits pour entrer dans la
structure de la ZE.

316
Pour déloger le proton, la poussée doit dépasser
un certain seuil. Lamplitude de la force dépendra
du nombre d'ions hydronium qui poussent, ce qui
dépendra à son tour de la quantité et de la distri-
bution de ces ions. Le nombre d'ions hydronium
suffisant atteint, les protons près de la ZE peuvent
commencer à être libérés. Ces protons devraient
alors logiquement être immédiatement aspirés à Fig. 17.12 Forces exercées sur
l'intérieur de la ZE et traverser la structure de part en un ion hydronium près de la ZE.
part jusqu'à la couche la plus profonde possédant La négativité de la ZE attire le
la plus forte charge négative. Cet événement devrait proton (gauche) et les nombreux
amorcer la formation de la glace. ions hydronium de l'eau en
vrac poussent (droite}, finissant
par le déloger de sa molécule.
Formation coopérative de la glace : Une fois délogé, le proton peut
pourquoi la glace est inévitalllement facilement pénétrer dans la ZE
solide négative.
Le mécanisme exposé plus haut devrait expli-
quer la création de la glace : la ZE se développe
tandis que des ions hydronium se forment plus loin. Les protons délogés de ces
ions hydronium pénètrent jusqu'à la couche la plus négative (autrement dit la
plus profonde) de la ZE, puis à la suivante, etc. La glace se forme donc progres-
sivement.
Tout semble fonctionner correctement, et on pourrait penser que la glace
va devenir une masse solide grâce à ce mécanisme. Toutefois, toute anomalie
qui laisserait ne serait-ce qu'une seule couche dépourvue de proton aurait de
grandes répercussions : deux petits blocs de glace pourraient se former au lieu
d'un seul bloc plus gros. Cela ne se produisant pas, la nature a probablement
recours à une technique permettant d'assurer l'intégrité de la glace: par exemple,
une couche de glace tout juste formée pourrait faciliter la formation de la couche
suivante. Une coopérativité de ce genre permettrait aux cubes de glace de rester
solides.
Il s'avère en effet que la coopérativité est une caractéristique inhérente
au mécanisme proposé faisant état d'une invasion de protons. Imaginez deux
couches adjacentes (Fig. 17.13}. Dans la ZE, ces couches ne sont pas alignées
(à gauche) ; dans la glace, elles le sont (au milieu). Pour que la glace se forme, la
couche B doit se décaler par rapport à la couche A.
Visualisez ce décalage et prêtez attention à la position des électrons de l'oxy-
gène. Dans la configuration ZE présentée à gauche, les électrons de l'oxygène de
la couche B sont orientés vers la couche A, attirés par la charge positive située à

317
proximité (encadré de gauche). Cette attraction maintient les couches solidaires.
Une fois que la couche B s'est décalée pour produire la configuration de la glace,
l'environnement se modifie. Un atome d'oxygène remplace l'hydrogène du bas
(milieu) . Les atomes d'oxygène adjacents qui n'ont pas été collés par les protons
récemment installés se repoussent à présent, déplaçant leurs électrons dans des
directions opposées (encadré du milieu). Les électrons de l'atome d'oxygène du
dessus font à présent front face à la vague suivante de protons déboulant d'en
haut, les attirant (droite) . On peut dire que ces décalages déroulent le tapis rouge
aux protons affluants.
Ce tapis rouge s'étend directement sur la couche de glace tout juste formée.
Sa présence permet aux protons qui arrivent de se fixer exactement là où il le faut
pour former la couche suivante. De cette manière, la
glace est assurée de se former couche après couche,
Fig. 17.13 Nature coopérative sans interruption, tout en étant certaine de conser-
de la formation de la glace. À ver sa solidité.
gauche, la configuration ZE. Dans
Une caractéristique intéressante du modèle
la glace fraîchement créée (au
milieu), la charge négative de
proposé est que les couches de glace sont déjà cor-
rectement structurées lorsqu'elles se développent.
l'oxygène se déplace vers le haut
Prêtez attention à l'emplacement des protons entre
(encadré), attirant les protons
qui arrivent. Ce mouvement se
les couches (Fig. 17.13, image de droite, points bleus
produit pour les trois atomes
foncés) : des protons lient un atome d'oxygène sur
d'oxygène de /'hexagone qui
deux. Ces protons sont en rotation de 60° par rap-
sont juxtaposés à des atomes
port à ceux de la couche suivante. Ce décalage régu-
d'oxygène du plan inférieur.
lier de 60° par couche produit la structure exacte de
Les protons qui arrivent dans
la glace.
la structure se fixent à ces trois Ce modèle de la formation de la glace semble
points (droite), préparant ainsi le donc cohérent ; sa nature coopérative assure à la
terrain pour la couche de glace glace sa solidité, et les événements décrits en détail
suivante. permettent à tous les protons d'être correctement
positionnés.
Formation naturelle de la glace
Pour comprendre comment se forme la glace dans la nature selon le modèle
proposé, imaginons un lac qui gèle. Disons qu'un front d'air glacial arrive. L'.air
au-dessus du lac se refroidit ; l'évaporation diminue. Les ZE en
surface restent en place et forment un couvercle de ZE relati-
vement stable, un peu comme celui d'une casserole d'eau (Fig. (a)
17.14a).
Le couvercle de ZE émet de l'infrarouge vers l'air froid
au-dessus ; en même temps, il reçoit des infrarouges de l'eau
plus chaude du dessous (Fig. 17.14). Cet important flux infra-
rouge permet à la ZE de s'étendre comme dans le scénario de ++++++++++++
++++++++++
la Figure 17.4. Les ions hydronium s'accumulant en dessous +++++++
ne peuvent s'échapper : le couvercle les retient. Une fois leur + + + + +
concentration devenue suffisamment importante pour dépas-
ser le seuil critique, les protons délogés commencent à envahir
la ZE, pénétrant la structure jusqu'à la région la plus négative
tout en haut. Ces protons forment la couche supérieure de la
glace (Fig. 17.14b).
Pendant ce temps, la ZE continue de s'agrandir grâce au
flux infrarouge continu ; ainsi, la glace s'épaissit. La coopéra-
tivité assure la formation d'une glace uniforme. Plus l'air sera (b)
froid, plus la glace sera épaisse. La glace se stabilisera lors-
qu'elle sera assez épaisse pour diminuer le gradient vertical de
glace
flux infrarouge.
ZE - ~
Il ressort donc que les principes qui marchent en labora- - - _ - , """ -
++++++++++++
,.. --
toire pour former de la glace opèrent de la même façon dans ++++++++++
la nature. +++++++
+ + + + +

Résolution des questions énergétiques


Une fois compris ces mécanismes, nous pouvons à présent
traiter les deux questions liées aux problèmes éner-
gétiques. La première - pourquoi l'énergie impliquée
dans la formation de la glace semblait différente de Fig. 17.14 Formation de la glace

nos attentes -, nous y avons répondu : la formation dans une masse d'eau naturelle.
de la glace requiert de l'énergie, exploitant l'énergie L'énergie infrarouge provenant
potentielle de la séparation des charges délivrée par de l'eau plus chaude située en
la combinaison des charges positives des protons dessous forme la ZE en surface
et sépare les charges (a). Un
afflux de protons crée de la glace
(b). Le processus se poursuivant,
la glace s'épaissit.
Le gel s'étend de la surface vers le bas
Le fait que le gel s'étende du haut vers le bas est un phéno-
mène naturel heureux. Si la congélation se faisait du bas vers le
haut, il serait non seulement difficile de faire du patin à glace,
mais les poissons repoussés hors de l'eau gelée seraient bien
embêtés pour survivre. Par bonheur, la glace s'étend toujours de
la surface vers le bas ... et tant mieux pour les poissons.

avec la ZE négative pour former une glace cristalline. Le bilan énergétique de


la formation de la glace concorde avec celui de la formation de la ZE. Les deux
processus ont besoin d'énergie.
La nécessité d'énergie pour créer de l'ordre est une idée qui pourrait pertur-
ber. En effet, pour au moins un type d'énergie, la thermodynamique convention-
nelle affirme le contraire : c'est la chaleur, augmentant « l'agitation thermique »,
favorisant le désordre. À l'époque des moteurs à vapeur, quand la thermody-
namique fut formalisée, chauffer de l'eau pour obtenir de la vapeur avait pour
effet certain d'augmenter le désordre. Toutefois, le chapitre 15 a mis en évidence
l'augmentation de l'ordre lorsque l'énergie rayonnante transforme l'eau en vapeur,
et non sa diminution. Cette observation remet donc en cause l'un des principes
fondateurs de la thermodynamique classique: la chaleur conduit-elle réellement
au désordre ?
Cette question ouvre une autre boîte de Pandore: le type d'énergie. Les prin-
cipes de la thermodynamique ont été développés à partir de considérations sur
la chaleur, puis ensuite extrapolés à toutes les formes d'énergie. Cette figure de
réthorique est basée sur une auto-contradiction : on a présumé que la chaleur
créait du désordre alors que, généralement, un apport d'énergie est nécessaire
pour diminuer l'entropie et créer de l'ordre. La création d'ordre concorde avec
l'expérience et tout ce que nous avons vu dans ces pages ; il se pourrait que la
création de désordre soit erronée (Chapitre 15). Il est possible que tout apport
d'énergie crée une forme d'ordre, y compris l'arrangement de charges électriques.
Les mêmes questions se posent par rapport à la formation des cristaux de
sel et de sucre (Fig. 17.15). Il semble que l'ordre se produit quand l'énergie est
éliminée ; cependant, il y a un hic : les solutions sont généralement préalable-
ment chauffées ; autrement, l'énergie infrarouge requise peut être fournie par
l'environnement. Cette énergie absorbée crée des ZE et sépare les charges. Les
charges séparées fournissent l'énergie gouvernant la formation d'un cristal ordon-
né, ici par l'attraction du type « même aime même» (Chapitre 8). Par conséquent,

320
l'énergie alimentant la formation de cristaux de sel
et de sucre pourrait opérer de la même façon que
celle impliquée dans la formation de ZE et de glace.
L'énergie conduit à l'ordre.
Ce même principe pourrait également se vérifier
pour les métaux. Les métaux ordinaires présentent
un aspect cristallin au niveau atomique. Chauffés à
température de fusion, ils deviennent plus informes.
La question se pose de savoir si le rayonnement Fig. 17.15 Sucre candi. Des fils
utilisé pour la fusion ne fournirait pas l'énergie immergés servent de sites de
nécessaire à la recristallisation ultérieure, comme nucléation pour le développe-
pour les cristaux de sel et de sucre. Si tel est le cas, ment de cristaux de sucre. La
le même principe thermodynamique pourrait rester solution de sucre est d'abord
applicable: l'ordre requiert de l'énergie. chauffée ; puis, la solution
refroidissant, des cristaux se
Pour en revenir à la glace, penchons-nous à
forment.
présent sur la seconde caractéristique énergétique
apparemment anormale de la glace : la soi-disant
chaleur latente. Dans son acceptation courante, la chaleur latente est celle déga-
gée lors de la transformation de l'eau en glace. On croit que la chaleur évacuée
réchauffe l'environnement immédiat pendant que l'eau elle-même est présumée
rester à température constante. Toutefois, ce n'est pas ce que nous avons obser-
vé. Les images infrarouge de gouttes en train de geler ne montrent pratiquement
pas de réchauffement aux alentours, tandis que l'eau qui gèle « s'échauffe » au
cours de sa transformation en glace (Fig. 17.10). Une interprétation convention-
nelle de ces images infrarouges consisterait à dire que l'eau devient plus chaude
lorsqu'elle se transforme en glace. Cela n'est pas censé se produire.
Une interprétation plus plausible de la « chaleur latente » dérive de notre
idée que l'émission infrarouge tire son origine du mouvement de charges ... ce
qui correspond exactement à un afflux de protons : un important mouvement de
charges. Par conséquent, la soi-disant chaleur latente pourrait n'être rien d'autre
qu'une expression de cet afflux de protons. La présumée « chaleur » du flash
d'infrarouge n'a pas de signification propre.
Les interprétations basées sur la chaleur deviennent encore plus confuses si
on s'intéresse à leur dynamique. Selon la vision conventionnelle, la chaleur latente
est une expression de la transformation physique de l'eau en glace ; d'après ce
point de vue, une unique explosion de chaleur devrait se produire au moment où
l'eau se transforme en une glace cristalline. Nous n'avons cependant pas observé
une telle correspondance temporelle, mais plutôt d'importants retards entre l'ap-
parition de la chaleur latente et la transformation physique en glace.

321
Des perturbations mécaniques peuvent déclencher la formation de glace

Certaines expériences renversantes


confirment la nature brutale du déclen-
chement de la formation de la glace.
Mettez une bouteille d'eau fermée
dans votre congélateur ; lorsque l'eau
est devenue très froide mais qu'elle n'a
pas encore gelé, retirez la bouteille. Une
secousse vigoureuse ou un coup sur la
table peut provoquer une soudaine et
massive formation de glace.w3 Autre exemple remarquable : retirez
une autre bouteille pratiquement gelée de
Ces perturbations mécaniques pour- votre congélateur. Débouchez-la, et ver-
raient agir en détachant les protons de sez l'eau quasiment gelée dans un bécher
leurs molécules d'eau parentes; il peuvent d'eau froide depuis une hauteur d'environ
alors envahir les ZE locales pour initier la vingt centimètres ; lorsque le filet d'eau
formation de glace. Les secousses peuvent atteindra l'eau contenue dans le récipient,
également faciliter les choses en créant il se peut que le choc provoque une forma-
des bulles, lesquelles contiennent des ZE tion de glace instantanée.ws L.'.événement
et des charges positives, deux éléments initiateur peut être une fois encore l'action
essentiels à la congélation ; l'apparition de mécanique libérant les protons, lesquels
bulles créées mécaniquement par un coup peuvent alors pénétrer la structure de la
ou des secousses pourrait ainsi répandre ZE pour former de la glace.
dans le système les éléments essentiels
pour initier la congélation.w4

Plaçant une goutte d'eau sur une plaque de refroidissement dans le cadre de
l'une de ces expériences, au cours de sa congélation, la goutte généra un flash
infrarouge comme celui à la Figure 17.10. Le flash persista environ une demi-se-
conde avant que la congélation ne commence, c'est-à-dire avant que nous ne
détections un signe de l'expansion de volume signalant la formation physique de
la glace. Nous avons même observé des retards plus longs dans une colonne d'eau
tubulaire dressée verticalement sur une plaque de refroidissement : l'émission
d'infrarouge commença au fond avant de progresser vers le haut pour finalement
atteindre le sommet de la colonne, mais aucune augmentation de volume ne fut
détectée au sommet avant que ne s'écoule approximativement une seconde et
demi. De tels retards contredisent les attentes conventionnelles énonçant que la
chaleur latente et la formation de glace se produisent simultanément.

322
Le modèle proposé, en revanche, décrit la formation de la glace en deux
étapes ; tout d'abord, les protons affluent dans la ZE, générant le flash infra-
rouge; ensuite, ces protons s'immiscent entre les couches de la ZE en les décalant
et écartant. Ce mécanisme crée de la glace ; l'événement déclencheur précède
l'événement structurel - exactement ce que montre l'émission d'infrarouge tout
juste décrite.
Ceci résout le deuxième des problèmes relatifs à l'énergie, celui de la chaleur
latente. Il me semble que le modèle proposé se conforme à toutes les principales
attentes énergétiques.

De la glace à température ambiante ?


Bien que la température de congélation puisse varier sous des conditions
« non standard », à ma connaissance personne n'a jamais vu un bloc de glace
se former à température ambiante. Mais si l'afflux de protons est bien la clé de
la formation de la glace, une telle formation deviendrait alors plausible : de la
glace pourrait se former à température ambiante lorsque des protons et des ZE
seraient en nombre in habituellement élevé et convenablement juxtaposés.
L'une de ces situations pourrait être celle du pont d'eau (voir Chapitre 1). La
caractéristique la plus manifeste du pont est sa rigidité : on n'observe quasiment
pas d'affaissement même quand il mesure plusieurs centimètres de long (Fig.
17.16); il semble qu'on pourrait presque marcher dessus, et on peut se demander
si la présence d'un état du type glace ne pourrait pas expliquer cette rigidité
évidente.
La coupe transversale du pont se compose de deux parties : l'anneau, et le
cœur. Ce dernier contient de l'eau protonée s'écou-
lant du bécher chargé positivement vers celui chargé
négativement. On s'attend à un fort signal infrarouge
de cette circulation de charges, et c'est ce qui fut
en effet observé. 7• ng.s La zone annulaire se déplace
quant à elle dans la direction opposée et plus len-
tement. L'anneau possède plusieurs caractéristiques
évoquant la ZE : il exclut les particules, il possède
une charge négative (du fait qu'il prend naissance au
niveau de l'électrode négative), et il est biréfringent,7
ce qui sous-entend l'existence d'un ordre. Fig. 17.16 Pont d'eau entre deux
La présence d'une ZE annulaire ainsi qu'une béchers. Le pont présente une
importante disponibilité de protons circulant à coupe transversale quasi-cy-
proximité semblent fournir une bonne opportunité lindrique avec un anneau et
de création de glace. Suivant laquelle des deux est un cœur que l'on ne peut pas
distinguer sur cette photo.
La longueur du pont est ici
d'approximativement 3 cm.
la plus mobile, de la glace pourrait se former dans l'anneau, dans le cœur, ou
dans les deux. La glace n'existerait que de manière transitoire ; néanmoins, de
la glace même éphémère, distribuée à travers tout le pont et circulant d'une
manière dynamique, serait capable de maintenir la rigidité de celui-ci. Je ne
suis pas le premier à relever les caractéristiques de type glace du pont d'eau. 8
De la glace peut aussi se former à température ambiante dans des confi-
gurations autres que le pont d'eau. Par exemple, de la glace se forme en appli-
quant un champ électrique à une minuscule épaisseur d'eau. 9 On présume que

Pourquoi la densité de l'eau est-elle maximale à 4°C? -

Quand l'eau se refroidit, sa densité se (a)


modifie. Les scientifiques ne peuvent tou- VOLUME D'EAU
jours pas expliquer pourquoi la densité de (par unité de masse)
l'eau est maximale à 4°C. Qu'y a-t-il donc ZE vrac glace
de magique dans ce chiffre ?
(b)
L'.eau refroidie peut contenir plusieurs

férentechacun
états, (imaged'eux
a). Comme
ayant l'eau de typedif-
une densité
est plus dense que l'eau en vrac (Chapitres
· '· ·-- ····t
ZE ······o···············
· ·
··~
°C
··············
_- : .-:_ j
' __ ····E
-- _~-- _
··············
J ·....
3 et 4), et que l'eau en vrac est plus dense -
que la glace (qui flotte sur l'eau), il importe
PWSFROID
de connaître les quantités respectives
de chaque état. Pour calculer la densité
générale, il est nécessaire de connaître la
quantité de chacun de ces états dans le en protons dépasse un certain seuil ; des
récipient. zones de glace peuvent commencer à rem-
placer des ZE. Comme la glace est considé-
Imaginez un récipient d'eau que l'on rablement plus volumineuse que l'eau de
refroidirait progressivement. Les gradients type ZE, le volume général va commencer
d'infrarouge augmentent le passage d'in- à s'accroître. Il est possible d'estimer la
frarouge, développant la ZE (Fig. 17.4) ; la température à laquelle cela commence :
fraction de ZE s'agrandissant continuelle- si la congélation se produit massivement
ment, le volume se réduit progressivement aux alentours de o0 c, des plaques de
(image b). On peut dire que la densité glace peuvent se former quelques degrés
globale a augmenté. au-dessus, probablement vers 2 ou 3°C.
Lorsque le refroidissement atteint Par conséquent, 4°C serait la température
un seuil, les ZE peuvent commencer à se du volume minimum (image c, troisième
transformer en glace. La transition peut récipient). C'est là que la densité serait la
avoir lieu pour commencer dans des plus élevée.
régions localisées, où la concentration
+ +
+ (i)
+
+
+
+
+
le champ appliqué crée suffisamment de charges positives +
+
+ +
pour convertir les ZE interfaciales en glace, même à tem-
+
pérature ambiante. Tout ce dont on a besoin dans ces +

~
situations est d'une grande quantité de ZE ainsi que d'un
grand nombre de protons à proximité.
+
Ces protons pourraient expliquer d'autres phéno- +
(ii)
mènes, y compris l'anomalie observée par Erasto Mpem- + +
+
ba. L'.eau chaude renferme de grandes quantités des deux +
ingrédients nécessaires à la congélation : des vésicules +
+ +
avec des enveloppes de type ZE, et les protons associés + +
(Chapitre 14). Avec ces ingrédients à portée de main, +
+
congeler un mélange de crème glacée lyophilisée et d'eau + +
+
chaude ne devrait pas prendre longtemps. Félicitations à
M. Mpemba !
(iii)
+
En résumé +
+
La transformation de l'eau en glace nécessite une ZE + +
intermédiaire (Fig. 17.17). Lorsque l'eau refroidit, des ZE se + +
+
forment (image i) ; pendant ce temps, des ions hydronium +
s'accumulent juste à côté (ii). Lorsque la concentration + +
+ +
en ions hydronium atteint un seuil critique, les protons
se libèrent et envahissent la ZE négative (iii). Ces protons +
+
lient les couches adjacentes de la ZE, initiant la transfor- (iv)
mation structurelle en glace. À mesure que le processus se + +
poursuit, la glace s'épaissit (iv). +
+
Ce modèle décrivant une invasion de protons résout + +

un paradoxe énergétique. La création d'un ordre cristallin + +


pour former la ZE demande un apport d'énergie. La créa-
+
tion d'un ordre cristallin pour former de la glace néces- +
site généralement un refroidissement, ce qui signifie
Fig. 17 .17 Mécanisme de
un retrait d'énergie. Le mécanisme de l'invasion de
la formation de la glace. Le
protons résout ce paradoxe : l'afflux de protons dans
refroidissement vient de la
la ZE délivre l'énergie potentielle de la séparation de
gauche. L.:infrarouge passe de la
charge qui avait été préalablement stockée. Dans les
droite vers la gauche à travers la
deux situations, créer de l'ordre requiert de l'énergie.
ZE. Ce passage élargit la ZE et
Les caractéristiques énergétiques de la cristallisation
sépare une plus grande quantité
de l'eau restent cohérentes.
de charges positives et négatives.
L'invasion des charges crée de la
glace.

325
Ce chapitre marque la conclusion des aspects scientifiques de nos
recherches sur l'eau et ses états. Nous avons exploré un grand nombre
des divers aspects de l'eau, allant de l'ébullition à la congélation, en sou-
lignant à chaque fois le rôle central que joue le quatrième état de l'eau.
Dans le chapitre qui suit, nous terminerons notre voyage en retrou-
vant le domaine par lequel nous avions commencé: la philosophie. Nous
réfléchirons sur ce que nous avons découvert, sur ce que nous avons
appris, et où tout cela pourrait nous conduire. Et nous comprendrons
que nous pourrions bien être à l'aube de l'avènement d'une nouvelle ère
passionnante d'importants progrès scientifiques.
' .
5eme partie

En somme:
les clés des mystères du monde
OO

.,

'
,..

-· -·-· -·

18 Les lois secrètes de la nature

B avardant avec des étudiants au laboratoire, il y a quelques années, soudai-


nement tout devint sombre : je m'étais presque évanoui. Aucun problème de
santé jusque là - à tel point que notre médecin de famille connaissait à peine mon
nom et m'aurait tout juste reconnu. Suspectant une tumeur, il me recommanda
une scintigraphie du cerveau. Je pris donc place dans ce long tunnel effrayant,
attendant qu'on m'annonce ma fin proche.
Les techniciens de l'IRM (imagerie par résonance magnétique) ne mon-
trèrent aucun signe d'inquiétude. En fait, leur nonchalance me donna espoir de
les entendre dire un bon mot au sujet de la qualité de mon cerveau. Aucun ne
venant, je me mis à repenser à celui récemment entendu à propos du cerveau d'un
éminent politicien américain à l'intelligence plutôt clairsemée: après un balayage
IRM du cerveau, son médecin lui aurait déclaré:« Désolé monsieur, mais je ne vois
rien d'adroit à gauche et à droite, c'est un peu gauchi. »
Apparemment, au moins, il restait encore un peu de matière grise dans le
mien. Tout leur semblait normal (du moins, par rapport à ce qu'ils pouvaient voir
avec l'IRM).
Le sujet de l'IRM concerne tout ce que vous venez de lire. L'appareil IRM
fournit une image détaillée des coins et recoins du cerveau grâce aux propriétés
de relaxation des protons. Comme l'écrasante majorité des protons du corps pro-
viennent de l'eau, cela signifie que l'IRM mesure les propriétés de l'eau du corps.
Si l'eau n'était pas affectée par les structures locales, la machine ne produirait
aucune image ; tout aurait la même apparence. L'IRM peut visualiser votre cer-
veau - pour le meilleur ou pour le pire - car l'environnement local du cerveau
affecte profondément l'eau avoisinante.
Ceci nous ramène au message central de ce livre : l'eau participe à prati-
quement tout. Son comportement dépendra du lieu et du micro-environnement,
et l'efficacité de la technologie IRM témoigne de cette dépendance puisqu'elle
repose sur la faculté de l'eau à s'auto-organiser différemment à côté de surfaces
différentes.
Pour avoir pataugé avec moi dans ces 17 chapitres humides, vous avez gagné
le droit d'en obtenir un résumé, ainsi qu'une vision d'où tout cela pourrait nous
conduire. Laissez-moi débuter en vous rappelant comment notre approche s'ins-
crit dans le cadre général de la science avant d'aborder gaillardement la subs-
tantifique moelle, la quintessence des enseignements à retirer de cette aventure
commune.

329
La culture de la science
Jusqu'à l'ère moderne, la recherche scientifique se focalisait sur la décou-
verte de mécanismes fondamentaux, cherchant à comprendre comment fonc-
tionne le monde. Si ces travaux permettaient d'établir des paradigmes capables
d'expliquer simplement divers phénomènes, les scientifiques étaient alors per-
suadés d'avoir mis le doigt sur quelque chose d'important; par exemple, la table
périodique de Mendeleïev était capable de prédire une multitude des réactions
chimiques connues, et le système héliocentrique de Galilée permettait de se
passer de complexes épicycles pour calculer l'orbite des planètes.
Cette recherche de la simplicité semble s'être aujourd'hui en grande partie
évaporée de la scène scientifique. En quatre décennies de pratique, j'ai vu cette
noble culture devenir moins audacieuse et plus pragmatique ; la chutzpah avait
disparu. De nos jours, les scientifiques se contentent de progrès immédiats
dans des domaines de recherches très étroits au lieu de chercher des vérités
fondamentales susceptibles d'expliquer des pans entiers de la nature. La quête
du détail a supplanté celle des vérités simples et unificatrices, semble-t-il (Fig.
18.1).
Pour moi, cette approche orientée sur les broutilles est un symptôme d'une
science qui va mal. Jugez-en vous-même sur pièces : rares sont les révolutions
conceptuelles à avoir émergé des trois dernières décennies. Je ne parle pas
d'avancées technologiques, comme les ordinateurs ou Internet, et je ne parle
pas non plus des matraquages à propos de révolutions annoncées, comme

Fig. 18.1 La science


d'aujourd'hui se concentre
principalement sur les petites
branches de l'arbre du savoir,
cherchant à ajouter petit à petit
des précisions. Cette politique
suppose une certaine robustesse
des branches maîtresses.
la guérison du cancer ou l'énergie gratuite et illimitée. Je parle de révolutions
conceptuelles réalisées, qui ont déjà contribué avec succès à changer le monde.
Combien pourriez-vous en citer?
Autrefois téméraire, la culture scientifique est devenue de plus en plus timo-
rée. La science contemporaine est à la recherche d'avancées à petits pas, et remet
très rarement en question les concepts fondamentaux sur lesquels elles sont
basées, en particulier ceux montrant aujourd'hui des signes de fatigue. La science
est devenue docile ; elle courbe l'échine devant les dogmes du moment. Elle a de
cette manière produit des montagnes de données dont bien peu ont effective-
ment permis des avancées fondamentales dans notre compréhension des choses.
Je me suis efforcé de renverser la tendance avec ce livre en revenant à la
manière traditionnelle de faire avancer la science. En observant des phénomènes
ordinaires de la vie quotidienne, et en leur appliquant une logique simple, j'ai
essayé de répondre aux questions « comment ,, et « pourquoi » susceptibles de
nous amener à des vérités fondamentales, et d'éviter les questions « combien ,,
et« quel genre», caractéristiques de l'approche d'avancées par petits pas. Je sais
que mon approche n'est plus vraiment à la mode, mais je pense qu'elle offre une
meilleure voie pour accomplir de réels progrès scientifiques.
Les idées développées dans ce livre ont émergé d'un profond désaccord
avec la pensée actuelle concernant l'eau. Je pressentais que la nature devait être
quelque chose de fondamentalement simple; pourtant, tout ce que je lisais à son
sujet semblait complexe. Au-delà d'une récitation facile des fondamentaux parse-
mant les manuels à quiconque le souhaitait, gratter ce vernis de compréhension
révélait des questions toujours bien délicates à répondre. Tout cela me rendait
perplexe.
Ma recherche me fit parfois m'aventurer dans des domaines pour moi entière-
ment nouveaux, et je fus désarçonné en prenant conscience de ces vastes champs
de connaissances au-delà de mon horizon. En revanche, j'avais l'avantage d'une
grande liberté intellectuelle : je pouvais me permettre d'errer librement à travers
ces domaines sans être aucunement freiné par leurs dogmes contraignants. Peu
me semblèrent suffisamment sacrés pour les considérer incontestables.
Mon principal objectif était de développer des principes fondamentaux
simples et susceptibles de nous mener à une compréhension plus large. Je ne les
ai pas tirés d'un chapeau ; les extraire d'une masse d'observations pertinentes
résulta d'un cheminement long et difficile. J'estime ces concepts fondamentaux
distillables en quatre grands principes gouvernant notre compréhension de l'eau.

331
Quatre principes fondamentaux

1er principe : l'eau a quatre états

Fig. 18.2 Les quatre états de


l'eau.

.: ...
... ·....
-- -- :-:......
-:··:.' :;t-:
. . . '.

glace ZE eau vapeur

On m'a toujours appris depuis mon enfance que l'eau avait trois états :
solide, liquide et gazeux. Nous avons identifié ce qui pourrait être qualifié de
quatrième état : la zone d'exclusion (Fig. 18.2). Ni liquide, ni solide, la meilleure
description de la ZE est sans doute celle d'un cristal liquide possédant des pro-
priétés physiques analogues à celles du blanc d'œuf.
Le terme « zone d'exclusion » constitue peut-être un choix malheureux.
Mon ami John Watterson l'a forgé très tôt en découvrant la caractéristique
la plus évidente de cette zone : précisément d'exclure. Ce nom perdura. Nous
trouvâmes amusant qu'en anglais, EZ ( « Exclusion Zone ») se prononce comme
« easy » ( « facile »), le contraire de dur. !.:eau est dite « dure » quand elle est
pleine de minéraux, dont est justement dépourvue celle de type ZE qui les
exclut ; le nom semblait convenir. [ NDT : En français, « eau-ZE », qui se pro-
nonce« ose». J Rétrospectivement, un état« cristallin liquide», ou «semi-li-
quide »aurait peut-être eu plus de sens, ces descriptifs correspondant mieux à
une taxonomie axée sur l'état.
Quoi qu'il en soit, la séquence des états récitée par coeur diffère de celle
présentée dans ce livre. Si les chapitres précédents offrent une explication
valable de la nature de l'eau, une séquence d'états plus approprié serait donc :
solide, cristallin liquide, liquide et gazeux ... quatre états, pas trois.

332
Jème principe : l'eau stocke de l'énergie

+
Fig. 18.3 Batterie à eau.
+ +
+

Le quatrième état de l'eau stocke de l'énergie de deux manières, grâce à l'ordre


et à la séparation de charges. L.'.ordre constitue une énergie potentielle de confi-
guration, délivrable lorsque l'ordre cède au désordre. Pour la cellule effectuant un
travail, cette transition de l'ordre au désordre constitue un mécanisme essentiel
d'alimentation en énergie. 1 Quant à la séparation de charges, l'énergie est stockée
entre les électrons porteurs de la charge négative de la ZE et les ions hydronium
renfermant la charge positive correspondante. Cela fonctionne comme une batte-
rie, un dépôt localisé d'énergie potentielle (Fig. 18.3).
La nature gâche rarement un dépôt d'énergie disponible ; elle va plutôt
employer à dessein cette énergie pour ses divers besoins. Nous en avons vu plu-
sieurs exemples dans ces pages, et il en existe bien d'autres encore.
Albert Szent-Gybrgyi, le père de la biochimie moderne, était notoirement
d'avis que l'on pouvait expliquer la notion de travail en biologie comme l'exploi-
tation de l'énergie des électrons. La ZE offre une source toute prête d'électrons
susceptibles de stimuler n'importe laquelle des nombreuses réactions biolo-
giques. Les ions hydronium complémentaires pourraient jouer un rôle tout aussi
essentiel. La concentration en ions positifs génère une pression pouvant créer des
flux. On trouve ces derniers pratiquement partout : dans les cellules primitives
ou développées, dans notre système circulatoire, dans les vaisseaux des petites
plantes comme des grands arbres. Les ions hydronium pourraient propulser un
grand nombre de ces flux.
L.'.énergie potentielle de la ZE pourrait aussi être exploitée en pratique par des
appareils ; l'un de ceux-ci est un purificateur d'eau. La ZE excluant les solutés,
dont les contaminants, puiser dans la ZE revient à récupérer de l'eau pure. Un

333
prototype simple et remarquablement efficace a déjà fait l'objet de démonstra-
tions ;2 il s'agit d'un filtre sans filtre opérant sa purification grâce aux bons soins
de l'énergie électromagnétique incidente.
Nous voyons que l'énergie potentielle associée au quatrième état de l'eau
pourrait être exploitée de bien des façons. Énergie et eau sont pratiquement
des synonymes, et c'est pourquoi je propose l'équation E=Hp (Chapitre 7). Bien
que ne respectant évidemment pas l'homogénéité des mesures, elle exprime
poétiquement l'essence du second principe : l'eau stocke de l'énergie.

3ème principe: l'eau tire son énergie de la lumière

Fig. 18.4 Le Soleil, la principale


source d'énergie éleçtromagné-
tique sur Terre.

Tout le monde sait que le Soleil éclaire la terre et alimente en énergie bien
des processus à sa surface. Ce qui est nouveau ici est que le soleil (et, peut-être,
d'autres sources cosmiques ou terrestres) pourrait aussi propulser des proces-
sus moins évidents, notamment ceux impliquant de l'eau (Fig. 18.4).

334
t.:énergie électromagnétique du soleil se transforme en énergie potentielle
dans l'eau. Les photons rechargent la ZE, y créant de l'ordre et y séparant les
charges, en dissociant les molécules d'eau et en ordonnant les ZE, mettant en
place une polarité dans la zone ordonnée et la polarité opposée dans le reste de
l'eau en vrac.
Nous n'envisageons généralement pas l'eau comme un récepteur d'énergie ;
on imagine un verre d'eau comme étant plus ou moins en équilibre dans son envi-
ronnement. Toutefois, les preuves présentées dans ce livre montrent clairement
tout autre chose : un verre d'eau est ordinairement bien loin d'être en équilibre.
Ce concept peut sembler quelque peu bizarre, mais les chapitres précédents ont
largement démontré que l'eau absorbe continuellement de l'énergie de son envi-
ronnement et la convertit en potentiels.
Le concept de conversion paraît moins farfelu si on réalise que c'est ce que
les plantes font, absorbant de l'énergie rayonnante de leur environnement et l'uti-
lisant pour réaliser des actions. Les plantes se composant principalement d'eau,
cela ne devrait pas vous surprendre d'apprendre que le verre d'eau à côté de votre
plante est capable lui aussi de convertir l'énergie photonique incidente.
Il devrait être intéressant de se pencher à nouveau sur toutes les situations
où de l'énergie rayonnante atteint de l'eau. Nos expériences portèrent principale-
ment sur la chimie ; cependant, la physique, et notamment la biologie, devraient
également être étudiées. Par exemple, lorsque le Soleil apparaît à travers les
nuages, nous ressentons souvent un regain d'énergie. Notre psychisme y a sûre-
ment un rôle à jouer, mais il se peut aussi que nous nous sentions revigorés pour
la simple raison que l'énergie solaire incidente produit véritablement de l'énergie
chimique dans nos cellules. Certaines longueurs d'onde pénètrent profondément
dans nos corps; si vous en doutez, placez une lampe torche derrière votre paume
et observez la lumière traverser toute son épaisseur.
t.:idée que l'énergie solaire incidente puisse produire de l'énergie dans nos
corps peut sembler tirée par les cheveux ; c'est pourtant un fait que les cellules
se développent plus vite avec de la chaleur, c'est-à-dire lorsqu'elles sont exposées
à de l'énergie infrarouge (lumière). La lumière générant de l'énergie dans l'eau,
et nos organismes étant essentiellement composés d'eau, il semble possible que
nous puissions tirer de l'énergie de notre environnement ; observer les implica-
tions biologiques devrait conduire à imaginer un grand nombre de mécanismes de
récupération d'énergie.
Des principes similaires peuvent s'appliquer en physique et en ingénierie. Par
exemple, récupérer l'énergie lumineuse absorbée par l'eau pourrait permettre la
production d'une énergie électrique utilisable. La séparation des charges de la
ZE ressemble fortement à la première étape de la photosynthèse où l'on observe

335
une séparation des molécules d'eau le long de surfaces hydrophiles. Cette
ressemblance est encourageante : si cette première étape fonctionne aussi
efficacement que pour la photosynthèse, une technique de récupération de
l'énergie lumineuse basée sur l'eau pourrait avoir un bel avenir ; des technolo-
gies reposant sur l'eau pourraient un jour remplacer nos actuelles technologies
photovoltaïques.
Quoi qu'il en soit, l'énergie électromagnétique génère un potentiel électrique
dans l'eau, devenant de ce fait une réserve d'énergie. Celle-ci peut retourner
vers la source d'où elle provient et/ou être récupérée pour effectuer un travail.
Cette énergie est un don de l'environnement ; elle est véritablement gratuite,
et il se pourrait qu'on parvienne à l'exploiter pour résoudre la crise énergétique
actuelle.

4ème principe : des entités de charges identiques peuvent s'attirer

+ + + +
+ +
+ +
+
+ +
+ + +
+ + + +
+
Fig. 18.5 Attraction de charges + +
+
identiques par l'intermédiaire de + - + + ·- +
charges opposées. +
+ + +
+ + + + +
+
+ + +
+ +
+
+ + +

Le principe le moins évident est peut-être l'attraction de type« même aime


même » {Fig. 18.5). Lidée des charges identiques s'attirant l'une l'autre peut
donner l'impression d'être contraire au bon sens jusqu'à ce que l'on prenne
conscience que cet effet ne viole aucun principe physique. Les entités de charges
identiques ne s'attirent pas ; l'attraction est assurée par les charges contraires
entassées entre elles. Ces charges contraires exercent l'attraction entre les
charges identiques, jusqu'à ce que la force de répulsion la contrebalance.
De nombreux scientifiques pensent qu'une attraction de type « même aime
même » ne peut pas exister en dépit de son acceptation par des physiciens
de grande renommée, dont Richard Feynman. Feynman a forgé l'expression
« like likes like » (« même aime même ») en songeant au rôle d'intermédiaire

336
des charges opposées. Il avait compris qu'une telle attraction pouvait avoir des
implications fondamentales en physique et en chimie. Néanmoins, la majorité des
scientifiques pensent instinctivement que des charges identiques se repousseront
toujours et refusent même de s'autoriser l'idée que des charges identiques pour-
raient effectivement s'attirer si des charges contraires se trouvaient entre elles.
Cette réticence pourrait tirer son origine de la sémantique : qui pourrait
imaginer que « des charges identiques s'attirent » ? Les gens y verraient l'œuvre
du diable, ou, au mieux, d'un charlatan un peu niais. La supposition-réflexe que
des charges identiques doivent toujours se repousser a presque certainement
conduit à formuler des interprétations plus complexes que nécessaires, voire des
réponses carrément erronées. Qu'est-ce qui pourrait être plus fondamental que la
force entre deux charges ?
Ce livre donne corps au concept de l'attraction de type« même aime même»
en identifiant une source de charges contraires. Un grand nombre de charges
contraires provient de la formation de la ZE, et c'est ce mécanisme qui fournit les
nombreux protons nécessaires pour expliquer cette attraction.
Au-delà des démonstrations en laboratoire, l'attraction « même aime même»
pourrait s'appliquer plus largement dans la nature, de l'échelle microscopique à
l'échelle macroscopique. Un exemple possible est l'origine de la vie, qui implique
probablement la concentration de substances dispersées pour former des entités
plus compactes ; sans une telle condensation, aucune cellule ou pré-cellule n'au-
rait pu se former. L'attraction « même aime même» fournit un mécanisme naturel
pour assurer ce type d'auto-assemblage: ajoutez de la lumière, attendez un peu,
et voilà!
Un autre exemple est offert par les nuages atmosphériques, formés de
gouttes chargées en suspension. Selon la pensée conventionnelle, ces gouttes
devraient se repousser et se disperser; néanmoins, le mécanisme « même aime
même» explique pourquoi ces gouttes peuvent en réalité fusionner et former ces
entités que nous appelons nuages. Le soleil fournit l'énergie ; les charges oppo-
sées fournissent la force.
A chaque fois que vous entendrez évoquer une répulsion de charges iden-
tiques pour expliquer un phénomène, demandez-vous si l'inverse (à savoir, une
attraction de charges identiques) n'offrirait pas une meilleure explication. li se peut
que cette démarche se révèle parfois payante et que cela accroisse les chances de
développer une compréhension plus simple et plus exacte de la nature.
On peut voir les quatre principes décrits ci-dessus comme des lois de la nature
restées jusqu'à présent dans l'ombre, et que l'on viendrait tout juste d'exposer à
la lumière (Fig. 18.6}.

337
Fig. 18.6 Mise en lumière de
principes cachés.

Il semble bien que ces principes renferment un fort riche potentiel expli-
catif. Ils nous aident à répondre aux questions enfantines « pourquoi » et
«comment» : pourquoi les gels conservent-ils leur eau? Pourquoi les bulles de
champagne prolifèrent-elles apparemment sans fin en formant des colonnes?
Comment un simple coin de bois mouillé peut-il fissurer un rocher massif ?
Comment l'eau parvient-elle à s'élever jusqu'au sommet de séquoias géants ?
Pourquoi voyons-nous des nuages de vapeur au-dessus d'une tasse de café
chaud ? Pourquoi la glace nous fait-elle glisser et tomber par terre? Ces prin-
cipes peuvent expliquer de nombreuses autres questions dont les réponses
demeurent obscures.
Étant donné leur vaste pouvoir explicatif, je crois que ces quatre principes
pourraient se révéler fondamentaux pour une bonne partie de la nature.

Pour quelles raisons ces principes sont-ils restés secrets?


Si ces principes sont aussi utiles que je l'affirme, pourquoi sont-ils alors
restés secrets si longtemps? Comment ont-ils pu échapper au savoir commun?
Au moins quatre raisons me viennent à l'esprit.
· Tout d'abord, la science de l'eau a vécu une histoire mouvementée. Le
scandale de l'eau polymérisée a laissé des cicatrices ; pendant des décennies,
les scientifiques curieux ont soigneusement évité ce domaine. Tout chercheur
assez confiant pour entrer dans l'arène et suffisamment chanceux pour décou-
vrir quelque chose d'inattendu a inévitablement été la cible de flèches recyclées
ayant déjà servi pour ridiculiser l'affaire de l'eau polymérisée : il était évident

338
que leur eau était contaminée (même l'eau naturelle est tout sauf pure) ; par
conséquent, on pouvait balayer leurs résultats d'un simple revers de la main. Puis
vint la mémoire de l'eau. Stocker de la mémoire dans de l'eau paraissait si impro-
bable que cette idée devint le sujet de boutades scientifiques: vous avez du mal à
vous souvenir des noms? Essayez de boire plus d'eau, ça vous aidera à retrouver
les informations oubliées.
La science de l'eau a donc déjà été deux fois frappée. À chaque tournant,
les critiques méprisants veillent en embuscade, quel scientifique un tant soit peu
prudent souhaiterait alors s'y aventurer ? Étudier l'eau devint dangereux ; s'im-
merger dans ce domaine de recherche devint aussi risqué que de s'immerger dans
de l'acide corrosif.
· Une seconde raison de cette lente émergence d'une nouvelle vision est
l'omniprésence de l'eau. t.:eau est partout. Elle occupe une place centrale dans
de si nombreux processus naturels que peu de gens peuvent concevoir que l'on
puisse encore remettre en question ses fondamentaux. Quelqu'un avait certaine-
ment déjà dû les établir, il y a un siècle ou deux probablement... cette croyance
tint les scientifiques à l'écart. Leur réticence à étudier ces fondamentaux ne fit
que s'intensifier : la science d'aujourd'hui récompense ceux qui se spécialisent
dans les domaines à la mode, et ne laisse que très peu de place à ceux remettant
en question les fondamentaux enseignés ; l'incitation à les revisiter a pratique-
ment disparu, en particulier pour quelque chose d'aussi profondément basique
et commun que l'eau.
· La troisième raison de cette lente émergence de principes aussi fondamen-
taux empoisonne l'ensemble de la science : la timidité intellectuelle. Se reposer
sur un savoir reçu est plus sécurisant que de se consacrer aux incertitudes d'un
bouleversement révolutionnaire. On pourrait penser que le monde scientifique se
passionnerait pour des avancées spectaculaires en sciences fondamentales, mais
la plupart des chercheurs trouvent plus confortable de se limiter à des écarts mi-
neurs par rapport au status quo. Les scientifiques sont aussi aptes à la résistance
au changement que n'importe quel autre héraut de l'orthodoxie.
· Une quatrième raison est la peur primale. Remettre en question les
connaissances acquises revient à marcher sur les pieds de chercheurs dont la
carrière est basée sur ce savoir ; on peut en craindre des réactions violentes. Par
exemple, j'ai piétiné dans ce livre une vaste étendue de plates-bandes sacrées.
Je m'attends donc à des réprimandes, en particulier de la part des chercheurs
dont la reconnaissance, les subventions, les brevets et autres attributs de pouvoir
dépendent de leurs statut et réputation. On pourrait pardonner ce genre d'apos-
tasie à un enfant ; les scientifiques bien établis, malheureusement, ont rarement
droit à la même tolérance. Par conséquent, de nombreux chercheurs soucieux de

339
leur carrière affichent des positions conservatrices et prennent soin de se tenir
à distance de tout ce qui pourrait annoncer une révolution scientifique. C'est
cette attitude, «chercheur» et non «trouveur>>, qui leur permet d'avoir du pain
sur la table.
Pour résumer, quatre facteurs au moins portent la responsabilité de la dou-
loureusement lente émergence de ces nouveaux principes : (i) l'histoire de la
science de l'eau a été chaotique, poussant les scientifiques à rester à l'écart; (ii)
l'eau est si commune que tout le monde pense que ses fondamentaux sont bien
établis ; (iii) il peut être perturbant de s'écarter de la pensée dominante, et (iv)
il a toujours été risqué de remettre en question la sagesse admise, en science
comme partout ailleurs.
Combinés, ces obstacles ont provoqué un long gel intellectuel. .. et je four-
nis ici mes meilleurs efforts pour dégeler la machine.

L'avenir
Tout débuta par une simple question : pourquoi les zones d'exclusion
excluent-elles ? Plus nous cherchions, plus nous trouvions. Finalement, il res-
sortit de ces réflexions ces quatre principes généraux, ainsi que diverses idées
que vous avez pu découvrir au fil des pages de ce livre.
J'avoue avoir succombé à la tentation de voir jusqu'où ces principes pou-
vaient nous emmener. J'avais initialement prévu d'inclure dans ce livre des
éléments de physique et de biologie ; les premiers lecteurs m'ont convaincu de
m'en tenir à la chimie de l'eau. Toutefois, les principes élaborés dans ce livre
trouvant une extension naturelle dans d'autres domaines scientifiques, l'idée
m'est venu de poursuivre mes travaux et d'écrire d'autres ouvrages; il y a tant à
dire, en particulier en matière de physique et de biologie.
La clé des progrès dans tous ces domaines est d'admettre que le roi est nu ;
même les plus grands héros scientifiques se sont parfois égarés. Ces grands
personnages étaient des humains: ils mangeaient la même nourriture que nous,
appréciaient les mêmes choses, et pouvaient commettre les mêmes erreurs.
Leurs idées ne sont pas nécessairement infaillibles. Cela pourra paraître irrévé-
rencieux, mais si nous voulons nous rapprocher de la vérité, nous devons avoir
le courage de remettre en question n'importe quelle hypothèse fondamentale,
à commencer par celles nous semblant vulnérables. Dans le cas contraire, nous
courons le risque de nous auto-condamner à l'éternelle ignorance.
Personne ne saurait dire où nous mèneront ces explorations. C'est l'incer-
titude qui donne son charme à la quête scientifique ; grâce à l'expérimentation
sans a priori, à la pensée logique, et parfois à la chance de tomber sur l'inatten-
du, nous pourrons commencer à éclairer les sombres recoins de la nature.

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w2 oai.dtic.miljoai/

348
Crédits photos
Chapitre 1 Chapitre 13
Figure 7.4: Elmar Fuchs Figure 13.3: With permission
Figure 13.6: Sudeshna Sawoo
Chapitre 2 Figure 13.7: Rolf Ypma, Orion Polinsky
Figure 2.3: With permission Figure 13.8: Georg Schrôcker
Figure 13.9: Eric Gupta
Chapitre 3 Figure 13.10: Hyok Yoo
Figure 3.19: With permission, Dr. Maewan
Ho Chapitre 14
Figure 74.5: George Danilov
Chapitre 5 Figure 74.6: Hyok Yoo
Figure 5.1 : Basil Hovakeemian Figure 74.7: Hyok Yoo
Figure 5.5 : Li Zheng and Ronnie Das Figure 14.10 : George Danilov
Figure 5.6: Hyok Yoo Figure 14.11 : Rainer Stahlberg
Box (Nerves, Pain, Anesthesia) : Nenad
Kundacina Chapitre 15
Figure 5.8: With permission Figure 15.1 : Ethan Pollack
Figure 15.2: With permission
Chapitre 6 Figure 15.3: With permission
Figure 6. 1: Binghua Chai Figure 75.4 : With permission
Figure 6.3: Bora Kim Figure 15.5 : Hyok Yoo, Ethan Pollack
Figure 6.5 : With permission Figure 15.6: Federico lenna
Figure 6.12 : With permission, Office of Ocean Figure 15. 7: ZiYao Wang
Exploration and Research, NOAA Figure 15.8: Yan Dong
Figure 15. 9 (a) : Federico lenna
Chapitre 7 Figure 15. 9 (b) : ZiYao Wang
Figure 7.6: With permission Figure 15.10 : Federico lenna
Figure 15.11 : Federico lenna
Chapitre 8 Box (Droplet Repulsion, Kelvin Water
Figure 8.4 : With permission Dropper) : Zheng Li
Figure 8.11: With permission
Chapitre 16
Chapitre 9 Figure 16.3: Laura Marshall, Hyok Yoo
Figure 9.1 : With permission Figure 16.14 : Patrick Belenky
Figure 9.4 : With permission Figure 16.16 : Ivan Klyuzhin
Figure 9.8: Derek Nhan Figure 16.17: With permission
Figure 9. 9 : Ronnie Das
Figure 9.10 : Rainer Stahlberg Chapitre 17
Figure 9.12 : Kate Ovchinnikova Figure 17.3: Hyok Yoo
Figure 17.5 : With permission
Chapitre 10 Figure 17.7: Rainer Stahlberg
Figure 10.6 : Eugene Khijniak Figure 17.8: Rainer Stahlberg
Figure 10. 9 : Anna Song Figure 17. 9 : Rainer Stahlberg
Figure 10.10 : Anna Song Figure 17.10 : Hyok Yoo
Figure 17.16 : Elmar Fuchs
Chapitre 11
Figure 11.2: Ronnie Das
349
Glossaire
Acide polyacrylique : nom genenque Coefficient de frottement : rapport entre
désignant les polymères synthétiques d'acides la force de frottement et la force qui presse
acryliques de masses moléculaires élevées. ensemble deux corps.

Anode : électrode à travers laquelle le courant Colloïde : substance uniformément dispersée


électrique entre dans un appareil électrique dans une autre substance ; les substances
polarisé. (Par convention, la direction du dispersées sont souvent des particules dont la
courant électrique est contraire à celle du Aux taille va de 1 nanomètre à 1 micromètre.
d'électrons.)
Cuvette : petit tube de section carrée ou
Aspérité : irrégularités d'une surface. circulaire, scellé à une extrémité, utilisé pour
des mesures par spectroscopie.
Biréfringence : propriété optique d'un
matériau où l'indice de réfraction dépend Dalton : unité de mesure standard utilisée
de la direction. Les minéraux cristallins pour exprimer une masse à l'échelle atomique
comme la calcite ou le quartz présentent une ou moléculaire.
biréfringence.
Dewar : vase conçu pour fournir une bonne
Bosses de Bernoulli : irrégularités à la surface isolation thermique. Lorsqu'on le remplit avec
de l'océan créées par le passage d'un objet un liquide chaud (ou froid), ce liquide restera
sous-marin. chaud (ou froid) bien plus longtemps qu'avec
un contenant ordinaire.
Cage de Faraday : cage réalisée en matériau
conducteur utilisée pour bloquer les champs Diélectrique : isolant électrique pouvant être
électriques extérieurs. polarisé. Lorsque l'on place un diélectrique
dans un champ électrique, les charges
Capacité thermique : quantité de chaleur électriques ne vont pas circuler à travers le
nécessaire pour élever la température d'une matériau comme elles le feraient dans un
substance d'un degré Celsius. conducteur mais vont effectuer de petits
déplacements et créer plus de positif sur un
Catalyse : modification de la vitesse d'une
côté et plus de négatif sur l'autre.
réaction chimique par la participation d'une
substance nommée catalyseur. Le catalyseur Dipôle : séparation des charges positives
n'est pas consumé par la réaction. et négatives. L'exemple le plus simple est
un couple de charges électriques de force
Cathode : électrode à travers laquelle le
égale mais de signe opposé séparées par une
courant électrique sort d'un appareil électrique
distance (généralement faible).
polarisé. (Par convention, la direction du
courant électrique est contraire à celle du Aux Diurne : du jour. Un cycle diurne se
d'électrons). rapporte à un événement qui se reproduit
quotidiennement.
Clathrate : solides cristallins rappelant la
glace qui emprisonnent des molécules de gaz Effet photoélectrique : émission d'électrons
au moyen de molécules d'eau. par un matériau ayant subi une absorption
d'énergie électromagnétique.

350
Effet triboélectrique : type d'électrification Hexamère : élément composé de six sous-
de contact où un matériau devient unités.
électriquement chargé après avoir été frotté
à un matériau différent. Homogène : uniforme dans sa composition.

Électrode : conducteur électrique utilisé pour Hydratation : Fourniture et rétention d'eau.


faire contact avec un appareil ou un matériau.
Incident : en physique, qualifie quelque
Le courant entre ou sort du circuit par les
chose qui frappe une surface, par exemple un
électrodes.
rayon de lumière incidente.
Électronégatif : fait de posséder une charge
Indice de réfraction: nombre qui décrit
négative ; prendre un potentiel négatif
comment la lumière, ou tout autre
au contact d'une substance différente ;
rayonnement électromagnétique, se propage
également, tendance d'un atome ou d'un
dans un milieu.
groupe fonctionnel à attirer les électrons.
lnterfacial : surface de contact entre deux
Électrostatique : phénomènes issu des
milieux, matière ou espace.
forces que des charges électriques exercent
l'une sur l'autre. Ion hydronium (H 30+) : ion produit par la
protonation de l'eau.
Énergie de surface : excès d'énergie à la
surface d'un matériau par rapport à son Ion hydroxyle (OH-) : ion de charge négative
volume. contenant un atome d'oxygène formant une
liaison covalente avec un atome d'hydrogène.
Enthalpie : mesure de l'énergie totale d'un
système thermodynamique ; quantité de Ionosphère : atmosphère supérieure ionisée
chaleur utilisée ou relâchée dans un système, par le rayonnement solaire.
la pression étant constante.
LED (Light-Emitting Diode, ou DEL, Diode
Entropie : expression d'un désordre ou d'un Électro-Luminescente en français) semi-
caractère aléatoire ; mesure de l'énergie conducteur émettant de la lumière.
thermique non utilisable dans un système
pour en obtenir un travail. Luminol (C8 H7N30 2) : produit chimique
aux multiples fonctions qui présente une
Fenestration : création d'ouvertures dans luminescence bleue lorsqu'on le mélange avec
une structure. un agent oxydant approprié.

Filament : en biologie, longue chaîne de Moyenne quadratique : moyenne des carrés


protéines. d'une série de nombres.

Fluorescence : émission lumineuse par une Nucléer : fournir un point de départ pour
substance ayant absorbé de la lumière ou un quelque chose.
rayonnement électromagnétique.
Osmose déplacement de molécules
Gradient : variation dans l'espace de toute de solvant, généralement à travers une
quantité pouvant être représentée par une membrane, de la solution la moins concentrée
pente. Le gradient représente le degré et la vers la solution la plus concentrée.
direction d'inclinaison.

351
Oxyde composé chimique possédant Spectroscopie Raman : technique utilisée
au moins un atome d'oxygène et d'autres pour étudier les modes de vibration, de
éléments. rotation et autres phénomènes à basses
fréquences d'un système.
Photon : « paquet » unitaire de rayonnement
électromagnétique souvent associé avec la Stœchiométrie: calcul déterminant les
lumière. quantités relatives de réactifs et de produits
au cours d'une réaction chimique, exprimé
Pôle : désigne dans une batterie les deux généralement en nombres entiers.
connections négative et positive.
Thermodynamique : branche des sciences
Polymère : macromolécule constituée de la naturelles traitant de la chaleur et de sa
répétition de sous-unités. relation avec les autres formes d'énergie et le
travail.
Précipitation : dans une solution, formation
d'un solide qui va habituellement reposer au Thixotropie : caractéristique de certains
fond. gels qui peuvent s'écouler lorsqu'ils sont
suffisamment secoués ou tordus.
Propriétés colligatives : qui a rapport aux
propriétés physiques (exemples : points de Transducteur : appareil convertissant une
congélation et d'ébullition) des solutions. forme d'énergie en une autre.
Les propriétés colligatives dépendent du
nombre de particules d'un soluté par rapport Travail : initialement « poids levé sur une
au nombre de molécules du solvant et sont hauteur», ce terme désigne plus généralement
largement indépendantes de la nature du le résultat d'une force et le déplacement qui
soluté. en résulte dans la direction de celle-ci.

Pyroélectrique : en chimie, tendance de Vésicule : petit sac, en particulier s'il contient


certains matériaux à générer des charges un fluide.
lorsqu'on les chauffe ou qu'on les refroidit.

Réseau : configuration régulière et périodique


de particules ou d'objets distribués à travers
une région ou un espace, notamment
l'arrangement d'ions ou de molécules dans un
solide cristallin.

Semi-conducteur matériau dont la


conductivité électrique se situe entre un
conducteur et un isolant.

Solvant : substance qui dissout un soluté.

Spectre électromagnétique : ensemble


de toutes les fréquences possibles d'un
rayonnement électromagnétique.

352
~eau cache une révolution! La science de l'eau est aujourd'hui assez
sulfureuse, après plusieurs controverses retentissantes. Et pourtant,
quelles avancées grâce aux travaux présentés ici ! De la science de
laboratoire, expliquée de manière ludique, accessible à tous, et qui
ouvre des perspectives incroyables. « La découverte la plus impor-
tante du siècle», ont dit des scientifiques: la preuve documentée et
reproduite maintes fois d'un état de cristal liquide omniprésent (en
particulier dans le vivant), expliquant simplement et logiquement les
dizaines de paradoxes qu'aujourd'hui les spécialistes préfèrent passer
sous silence, de peur d'en être embarrassés?
Lisez ce livre, et vous saurez que l'eau créé des batteries électriques ;
que le mécanisme de l'homéopathie peut être expliqué ; que les
aimants de même signe peuvent s'attirer ; que les transferts dans les
cellules, comme beaucoup de mécanismes du vivant, sont propulsés
par l'eau et la lumière; vous comprendrez la forme des nuages, la pluie
et les éclairs ; comment des insectes marchent sur l'eau ; comment
l'eau monte dans les grand arbres ; pourquoi l'eau chaude gèle plus
vite que l'eau froide; pourquoi la glace glisse; pourquoi le sable mouil-
lé est plus solide que le sable sec ... Mais vous verrez surtout qu'on est
à l'aube d'applications pratiques qui pourraient fondamentalement
changer nos vies.
« Le livre de science le plus intéressant que j'aie jamais lu. Quelque chose de
vraiment nouveau dans la science. » Zhiliang Gong, Université de Chicago
« La découverte scientifique la plus importante de ce siècle. » Mae-Wan Ho, auteur,
directeur de l'lnstitute of Science and Society, Londres
« L'un des pionniers dans ce domaine, on peut s'attendre à ce que ses découvertes
aient des implications importantes. » Brian Josephson, Prix Nobel, Cambridge
« Aussi captivant qu'un roman de Dan Brown » David Anick, Harvard
« Ce livre contribue à un changement de paradigme considérable qui pourrait
révolutionner la biologie cellulaire, la physiologie des plantes, la signalisation
chimique et bien sûr la médecine telles qu'elles sont pratiquées aujourd'hui. Il ne
faut pas tomber dans le piège des positivistes qui veulent nous faire croire que tout
est matière et que tout ce qui se passe hors de notre regard est pure invention,
charlatanisme ou escroquerie. Bien ancré dans le concret et le réel d'un côté mais
aussi ouvrant des portes vers Je subtil et Je non matériel, ce livre est un parfait
exemple de ce que sera la science de demain: une science ouverte à tous et capable
de voir dans des phénomènes très ordinaires des choses extraordinaires et merveil-
leuses se déroulant en arrière-plan dans un monde inaccessible à nos sens
physiques. » Marc Henry, Université de Strasbourg

distribution Pollen EditionsExtraordinaires.fr


ISBN 978-2-490769-04-9
22€ prix TIC France

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