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Dans L. Potvin, M-M. Moquet, & C. M. Jones (eds.), Réduire les inégalités sociales en santé.

Saint-
Denis, France: INPES, 2010, 334-345.

334

Outil de l’action
en partenariat :
pertinent pour les actions
de réduction des inégalités
Angèle Bilodeau, Marilène Galarneau,
Michel Fournier, Louise Potvin

Résumé : Conçu par des chercheurs québécois, l’outil diagnostique de l’action


en partenariat permet d’apprécier la pertinence et l’efficacité d’un partenariat
en santé publique. Cet outil est particulièrement approprié pour les actions de
réduction des inégalités de santé, qui requièrent par définition un partenariat
fort. L’enjeu est majeur : c’est ce partenariat qui apporte l’innovation et struc-
ture toute action visant à modifier les situations qui produisent les inégalités.
L’outil insiste sur plusieurs idées fortes et potentiellement dérangeantes : tous
les acteurs doivent être associés très tôt pour être en situation d’influencer le
processus, de contrôler l’orientation de l’action tout comme la conduite du parte-
nariat, dans un esprit de coconstruction. Les rapports de pouvoir doivent être
égalitaires entre acteurs pour éviter la subordination qui entrave la controverse et
l’innovation puisque c’est la résolution des controverses qui génère l’innovation.
Cet outil, validé auprès de vingt-huit partenariats, se présente comme une grille
de dix-huit items mesurant six conditions à réunir pour un partenariat de qualité.
Il peut être utilisé dans une démarche d’évaluation mais aussi de réflexion.

Mots clés : partenariat, sociologie de la traduction, diagnostique, outil,


qualité.

INTRODUCTION

L’amélioration des conditions de vie des personnes représente, pour la


Commission des déterminants sociaux de la santé (CDSS) de l’OMS, la
première priorité d’action pour réduire les inégalités sociales de santé [1].
Outil de l’action en partenariat… 335

Or, la plupart de ces conditions, tels le logement, l’accès à une alimentation


suffisante et de qualité, des environnements urbains sécuritaires et propices
à l’épanouissement, relèvent d’autres secteurs que celui de la santé. La pour-
suite d’objectifs de réduction des inégalités sociales de santé requiert donc que
les acteurs sanitaires développent des alliances et des actions en partenariat
avec l’ensemble des acteurs pertinents pour construire des interventions qui
visent à modifier les conditions menant aux inégalités sociales de santé.
Un frein important à l’élaboration d’une argumentation convaincante pour
promouvoir l’action en partenariat est le manque d’outils pour en évaluer la
qualité, étant entendu que, pour avoir un effet bénéfique sur la planification
et la mise en œuvre d’interventions, l’action en partenariat doit rencontrer
des critères de qualité. En réponse à cette lacune, l’outil diagnostique de l’ac-
tion en partenariat, présenté dans ce chapitre [encadré 1], cherche à apprécier
les processus de l’action collective de réseaux d’acteurs autour des dimen-
sions clés de son efficacité telles que identifiées à partir d’une série d’études
de cas. Ce chapitre décrit l’outil, ses fondements et la méthodologie de son
élaboration et de sa validation. Il présente aussi ses usages et conclut avec une
discussion sur sa validité.

ENCADRÉ 1
Outil diagnostique de l’action en partenariat

1. Dans notre partenariat, les acteurs organisme desservant les populations qui
concernés par le problème et les solutions vivent directement le problème participe au
sont mobilisés. partenariat.
Il manque des acteurs essentiels (secteurs Des individus vivant le problème ou un
ou réseaux concernés) pour bien comprendre organisme desservant les populations qui
le problème et pour concevoir des solutions vivent directement le problème participent,
adéquates. mais leur point de vue est rarement pris en
Les partenaires essentiels (secteurs ou compte dans les décisions.
réseaux concernés) sont mobilisés, mais Des individus vivant le problème ou un
la participation d’autres acteurs nous organisme desservant les populations qui
permettrait de comprendre plus finement le vivent directement le problème participent, et
problème et de concevoir des solutions plus ils ont une influence réelle sur les décisions.
adéquates.
3. Les partenaires sont activement impliqués
Tous les partenaires essentiels (secteurs
dans l’analyse des problèmes et l’élabora-
ou réseaux concernés) pour bien comprendre
tion des solutions et non seulement dans
le problème et concevoir des solutions
l’exécution
adéquates sont mobilisés.
Les partenaires sont activement impliqués
2. Les populations qui vivent le problème dans la définition des problèmes et des solu-
participent activement à notre partenariat tions.
Aucun individu vivant le problème ni >>>
336 Réduire les inégalités sociales en santé

Les partenaires sont impliqués dans les Des points de vue différents sont exprimés
décisions sur les solutions à des problèmes et documentés (données sur le milieu, savoirs
qui sont définis par d’autres instances telles d’expérience, études), mais cela ne permet
que les institutions publiques ou les bailleurs pas vraiment de dégager de nouvelles pistes
de fonds. d’action.
Les partenaires sont impliqués unique- Des points de vue différents sont exprimés,
ment dans la mise en œuvre de solutions documentés (données sur le milieu, savoirs
décidées par d’autres instances telles que d’expérience, études) et discutés et cela
les institutions publiques ou les bailleurs de permet de dégager de nouvelles pistes
fonds. d’action.

4. Les partenaires communautaires ont une 7. Les partenaires sont capables d’identifier
réelle influence sur les décisions leurs divergences et de les discuter
Les partenaires communautaires ont Les partenaires expriment des points
autant ou davantage d’influence sur les de vue qui peuvent être divergents et sont
décisions que les membres institutionnels capables de les discuter ouvertement.
ou les bailleurs de fonds. Les partenaires expriment des points de
Les partenaires communautaires sont vue qui peuvent être divergents, mais ils ne
entendus, mais leurs points de vue sont discutent que de leurs points de convergence.
moins pris en compte que ceux des membres Seuls les points de vue pouvant faire
institutionnels ou des bailleurs de fonds. consensus sont exprimés et discutés.
Les partenaires communautaires n’influen-
8. Les partenaires parviennent à résoudre
cent pas les décisions.
leurs divergences
5. Les partenaires sont capables de prendre Devant des positions divergentes, les
des décisions et d’engager des ressources partenaires sont capables de changer de
La majorité des partenaires occupent position pour construire des compromis.
dans leur organisation une position qui leur Devant des positions divergentes, les
permet de prendre des décisions et d’en- partenaires changent rarement de position
gager des ressources dans le partenariat. et les compromis sont rares.
Les partenaires représentent leur orga- Devant des positions divergentes,
nisation, mais ne sont pas en position de les partenaires cherchent plutôt à les
prendre des décisions ou d’engager des contourner.
ressources dans le partenariat.
Les partenaires sont surtout engagés à 9. Les organismes partenaires maintiennent
titre individuel. leur collaboration pour la durée des projets
Des organismes partenaires quittent en
6. L’échange sur une diversité de points de cours de projets et cela compromet leur
vue élargit les possibilités d’action réalisation.
Des points de vue différents sont exprimés Le roulement des organismes partenaires
sans être vraiment documentés (données fragilise ou retarde l’avancement des
sur le milieu, savoirs d’expérience, études) projets.
et sans être discutés de sorte que cela ne Les organismes partenaires maintiennent
permet pas de dégager de nouvelles pistes leur collaboration dans les projets pour
d’action. toute leur durée.
>>>
Outil de l’action en partenariat… 337

10. Les ressources essentielles pour réaliser nautaires à la réalisation des actions est
l’action sont mobilisées reconnue et rémunérée à sa juste valeur.
Les ressources essentielles pour le fonc- La contribution des partenaires commu-
tionnement des projets sont mobilisées. nautaires à la réalisation des actions est
Il manque des ressources importantes, reconnue, mais n’est pas rémunérée adéqua-
mais nous parvenons quand même à faire tement.
fonctionner les projets. La contribution des partenaires commu-
Il manque des ressources indispensables, nautaires à la réalisation des actions n’est
ce qui compromet le fonctionnement des pas reconnue ni rémunérée adéquatement.
projets.
14. Les avantages découlant du partenariat
11. Notre partenariat réussit à rallier les sont répartis équitablement parmi les parte-
nouveaux acteurs dont il a besoin pour faire naires
avancer ses actions Tous les partenaires retirent des avan-
Les partenaires ne cherchent pas vrai- tages réels de leur implication pour la
ment à intéresser d’autres acteurs qui réalisation de leur mission.
permettraient de consolider, d’améliorer ou Certains partenaires retirent davantage
de poursuivre le développement de l’action. de retombées, mais tous sont en accord avec
Les partenaires ne réussissent pas à cette distribution.
rallier les nouveaux acteurs qui seraient Certains partenaires retirent davantage
nécessaires pour consolider, améliorer ou de retombées et d’autres se sentent lésés.
poursuivre le développement de l’action.
Les partenaires réussissent à rallier les 15. Les partenaires parviennent à dépasser
nouveaux acteurs dont ils ont besoin pour leurs intérêts propres pour converger vers
consolider, améliorer ou poursuivre le déve- l’intérêt des populations qu’ils ont à desservir
loppement de l’action. Les partenaires cherchent d’abord à
répondre à leurs propres intérêts.
12. Tous les points de vue sont traités de
Certains partenaires dominent au point
façon équivalente dans la discussion et la
d’orienter l’action à leurs propres fins.
décision
Tous les partenaires mobilisent leurs
Dans les discussions et les décisions, tous
atouts dans l’intérêt des populations qu’ils
les points de vue sont considérés selon leur
ont à desservir.
valeur sans égard à la position sociale des
partenaires.
16. Les critères et mécanismes de reddition
Tous les partenaires expriment leur point
de comptes (à qui, quand et sur quoi rendre
de vue dans les discussions, mais les points
compte) entre les organismes commu-
de vue de ceux ayant davantage de pouvoir
nautaires et les bailleurs de fonds sont
sont davantage pris en compte dans les
négociés
décisions.
Les critères et les mécanismes de reddition
Seuls les points de vue des partenaires
de comptes (à qui, quand et sur quoi rendre
ayant davantage de pouvoir sont pris en
compte) entre les organismes communau-
compte dans les discussions et les décisions.
taires et les bailleurs de fonds sont négociés
13. La contribution de chacun à la réalisation et établis d’un commun accord.
des actions est reconnue de façon juste Les critères et les mécanismes de reddi-
La contribution des partenaires commu- tion de comptes (à qui, quand et sur quoi
>>>
338 Réduire les inégalités sociales en santé

rendre compte) sont établis par les bailleurs ou services qu’ils faisaient déjà, mais ils
de fonds suite à une consultation des orga- voient le besoin de se mobiliser autour de
nismes communautaires. l’élaboration de solutions intégrées.
Les mécanismes de reddition de comptes Les partenaires se consacrent principale-
(à qui, quand et sur quoi rendre compte) ment à coordonner les différents plans d’ac-
entre les organismes communautaires et tion, services ou programmes que chacun
les bailleurs de fonds sont établis par les faisait déjà.
bailleurs de fonds seuls.
18. Les partenaires modifient leur rôle (ce
17. Les partenaires parviennent à se
qu’ils faisaient déjà) pour réaliser des solu-
mobiliser autour de solutions intégrées qui
tions nouvelles
dépassent la seule coordination des actions
de chacun Les partenaires acceptent de modifier leur
Les partenaires travaillent à construire rôle pour faciliter la réalisation de projets
ensemble des actions nouvelles, intégrées, novateurs.
plutôt que de viser la seule coordination Peu de partenaires consentent à modifier
des plans d’action, programmes ou services leur rôle en fonction des nécessités de l’ac-
qu’ils faisaient déjà. tion.
Les partenaires se consacrent surtout à Chacun cherche à conserver son rôle
coordonner les plans d’action, programmes indépendamment des nécessités de l’action.

UN OUTIL BASÉ SUR DES ÉTUDES DE CAS

L’outil est fondé sur un modèle de l’action en partenariat découlant d’une


série d’études de cas visant à identifier les conditions associées à la qualité des
partenariats développés pour réaliser des interventions dans le domaine de la
santé publique [2-8]. Dans ces études de cas, la qualité du travail en partena-
riat a été appréciée selon trois critères. ı) La force d’entraînement du partena-
riat traduit sa capacité à maintenir et à rallonger le réseau d’acteurs qui porte
le projet. 2) L’ancrage du projet dans la communauté exprime sa pertinence
aux yeux des acteurs et son adéquation au contexte et aux problèmes identi-
fiés. 3) La viabilité d’un projet représente son potentiel de transformation des
situations dans le sens voulu.
Dans ces études de cas, les interventions en partenariat ont été considérées
comme des innovations sociales et, au plan théorique, l’analyse a pris appui
sur la sociologie de la traduction [9-12]. Cette sociologie allie deux idées qui
permettent de réfléchir l’action en partenariat. La première idée stipule que
la mise en œuvre réussie d’une innovation repose sur la solidité du réseau
sociotechnique qui la porte. La notion de réseau sociotechnique dénote la
création de liens nouveaux entre des entités disparates, ce qui est le cas dans
les partenariats. La deuxième idée énonce que la construction d’un réseau
solide nécessite un travail incessant de traduction formé d’échanges continus
et structurés entre les acteurs concernés sur le sens à donner aux actions
Outil de l’action en partenariat… 339

entreprises, collectivement et pour chacun des groupes d’acteurs. En clair,


il ne s’agit pas seulement de mettre des acteurs en présence ! Pour réussir
à réaliser des actions ensemble, les partenaires doivent travailler à solidifier
les nouveaux liens (voir section V, Potvin et Aumaître pour un exposé plus
détaillé sur la pertinence de la théorie de la traduction pour réfléchir l’action
en partenariat).
Le modèle de l’action en partenariat découlant de ces études de cas et qui
fonde l’outil identifie deux attributs du processus de travail en partenariat,
soit la dynamique de la participation et les arrangements de partenariat, qui
en conditionnent la qualité [figure 1]. La dynamique de la participation est
le fruit de l’interaction entre le promoteur d’un projet (ou le coordinateur-
médiateur pour reprendre les rôles développés par Clavier, section V) et les
acteurs qu’il cherche à mobiliser. Cette mise en mouvement des acteurs se fait
autour d’une définition de la situation qui pose problème et que l’intervention
vise à transformer. Quant aux arrangements de partenariat, bien qu’ils puis-
sent prendre diverses formes (protocoles d’entente, règlements, mémoires
ou autres), ils sont le fruit d’un travail de construction de la coopération par la
résolution des controverses qui divisent les acteurs, souvent sur des questions
de pouvoir ou de paradigmes d’action.
FIGURE 1

Théorie de l’action en partenariat

Attributs Qualité
du processus du partenariat

Dynamique
de la participation Entraînement

+
Ancrage

Arrangements
de partenariat Viabilité

La dynamique de la participation favorise la qualité du partenariat si elle


rencontre quatre conditions dans lesquelles l’accès et le partage de l’informa-
tion constituent l’ingrédient actif. C’est à travers un tel partage d’information,
qui favorise un élargissement des possibilités de convergence parmi les inté-
rêts des acteurs, que la participation contribue à la qualité de l’action.
ı. La couverture de l’ensemble des perspectives ayant cours sur la question
d’intérêt. Cette condition répond à la question : Qui participe? Dans un parte-
nariat de qualité, la participation doit être suffisamment étendue pour rassem-
bler la diversité des perspectives ayant cours sur la situation de sorte à élargir
la zone de convergence parmi les acteurs.
340 Réduire les inégalités sociales en santé

2. L’intéressement précoce des acteurs pour les décisions stratégiques. Cette


condition réfère à la question : À quelle étape mobiliser la participation? Dans
un partenariat de qualité, les acteurs doivent être mobilisés pour les choix
stratégiques et non seulement pour les aspects opérationnels. Les acteurs
concernés doivent être introduits aux premières étapes de planification de
l’action de sorte qu’ils contribuent à un élargissement de l’information qui
éclaire la décision.
3. L’engagement des acteurs dans un rôle de négociation et d’influence sur
la décision. Cette condition répond à la question : Qui contrôle la décision ?
Dans un partenariat de qualité, tous les partenaires doivent être dans une
position de négociation et d’influence sur la décision. Les acteurs doivent être
introduits à un degré qui dépasse la consultation et qui les engage dans la
négociation afin qu’ils soient en position d’influencer le processus.
4. L’engagement des acteurs stratégiques et névralgiques pour le projet. Cette
condition réfère à la question :Y a-t-il des acteurs incontournables ? Dans
un partenariat de qualité, les acteurs névralgiques (sans qui l’action ne peut
être réalisée) et stratégiques (qui sont requis pour entraîner la participation
d’autres acteurs essentiels) pour le projet doivent tous être mobilisés.
Quant aux arrangements de partenariat, ils entraîneront des gains de qualité
de l’action s’ils rencontrent deux conditions [tableau I] :
TABLEAU I

Items évaluant l’atteinte des six conditions d’efficacité de l’action


en partenariat

Conditions Items
Couverture des perspectives ayant cours sur la question d’intérêt #1, #2
Intéressement précoce des acteurs pour les décisions stratégiques #3
Engagement des acteurs dans un rôle de négociation et d’influence sur la #4
décision
Engagement des acteurs stratégiques et névralgiques pour le projet #5, #9, #10, #11
Égalisation des rapports de pouvoir parmi les acteurs #12, #13,
#14, #16
Coconstruction de l’action #6, #7, #8, #15, #17, #18

5. Ces arrangements sont construits de sorte à favoriser l’égalisation des


rapports de pouvoir parmi les acteurs. Il s’agit de structures et de mécanismes
qui tendent à réduire l’effet de subordination découlant de l’inégalité structu-
relle parmi les acteurs. L’action en partenariat ne peut produire de nouvelles
solutions sans un effort réussi d’égalisation des rapports entre les acteurs.
6. Ces arrangements supportent la coconstruction de l’action. Les conver-
gences qui rallient les acteurs, comme les controverses qui les divisent, sont
les matériaux pour la coconstruction de l’action. Les controverses et conver-
gences sont les matériaux premiers de l’innovation, étant entendu que le
processus innovant opère par la résolution des controverses. Les compromis
Outil de l’action en partenariat… 341

ainsi négociés sont une sorte de dosage entre les registres d’action des acteurs
concernés, visant l’intérêt des populations qu’ils ont à desservir en commun.

L’ÉLABORATION ET LA VALIDATION DE L’OUTIL

L’outil diagnostique de l’action en partenariat, que nous proposons [encadré


1] permet d’anticiper la qualité des partenariats par l’appréciation des deux
attributs du processus de construction d’un partenariat présentés plus haut,
soit la dynamique de la participation et les arrangements de partenariat. Une
première version de l’outil a été élaborée par l’adaptation d’items sélectionnés
dans des outils existants [13-20] et l’élaboration d’énoncés nouveaux, de sorte
à opérationnaliser les six conditions de la théorie de l’action en partenariat.
L’objectif poursuivi était d’élaborer un outil apte à mesurer ces conditions tout
en comportant le moins d’items possible de sorte à s’insérer dans les activités
courantes des partenariats.
L’outil diagnostique de l’action en partenariat comporte dix-huit items mesu-
rant le degré d’atteinte de six conditions associées à la qualité des partena-
riats. Le tableau I détaille les items spécifiquement dédiés à évaluer l’atteinte
de chacune des six conditions. Pour chaque item, trois énoncés décrivant
chacun un degré d’atteinte de la condition sont présentés aux répondants qui
doivent choisir parmi ces énoncés lequel correspond à leur expérience dans
le partenariat pour lequel ils complètent l’outil. Ces séries de trois énoncés
sont construites de façon à représenter des situations dans lesquelles les
répondants peuvent se retrouver, leur permettant de répondre à partir de leur
expérience. Ces séries de trois énoncés permettent aussi aux répondants de
mieux concevoir, pour chaque item, le chemin parcouru et celui à réaliser
pour améliorer leurs pratiques partenariales. La validité de contenu des items
et des séries d’énoncés qui leur sont associées a été testée auprès de deux
partenariats au cours de discussions de groupe.
Nous avons aussi procédé à la validation quantitative de l’outil auprès de
28 partenariats totalisant 273 participants. Chaque participant a complété
l’outil, d’une manière individuelle sous la forme d’un questionnaire papier-
crayon, en se référant à sa connaissance et à son expérience au sein du partena-
riat sur lequel on lui demandait de se prononcer. Les résultats, généralement
satisfaisants, se déclinent en trois points. ı) Les jugements des répondants d’un
même partenariat sont assez convergents. 2) Bien qu’en général les répon-
dants jugent leur partenariat d’une manière très positive, on observe une varia-
tion dans les réponses. 3) L’outil permet de départager les partenariats qui ont
des difficultés sur certaines conditions, par exemple, la couverture des perspec-
tives ou l’égalisation des rapports de pouvoir. Pour ces partenariats, leurs résul-
tats sont plus faibles pour le bloc d’items ayant trait à ces conditions.

LES USAGES DE L’OUTIL

Pour tirer profit de l’outil, le partenariat doit être plus qu’un lieu de partage
d’information et de réseau ; il doit être le lieu d’une collaboration sur
342 Réduire les inégalités sociales en santé

un projet précis, défini dans le temps, et bénéficiant d’une allocation de


ressources [4, 21]. La procédure d’utilisation est l’autoévaluation collective,
insérable dans la gestion courante des partenariats. La discussion des diffé-
rents énoncés et le partage d’information entre les membres d’un partenariat
s’avèrent la meilleure voie pour arriver à poser un diagnostic juste sur les prati-
ques partenariales. Cet outil n’est pas un instrument de gestion par résultats
ou de reddition de comptes. Il est destiné à être utilisé par les membres d’un
partenariat s’investissant volontairement dans une démarche d’évaluation et
de réflexion.
Trois options sont possibles pour effectuer le diagnostic : ı) répondre au ques-
tionnaire individuellement , puis enclencher une discussion collective sur la
base des évaluations individuelles ; 2) répondre au questionnaire individuel-
lement, compiler les réponses de tous les partenaires, puis enclencher une
discussion collective ; 3) enclencher une discussion de groupe sur chacun des
items afin de poser un diagnostic collectif. Notons que certains items peuvent
ne pas s’appliquer à la situation de certains partenariats. L’évaluation collec-
tive peut focaliser sur les items témoignant des forces du partenariat, ou sur
les items comportant le plus de réponses faibles orientant les partenaires
vers l’amélioration de leurs pratiques, ou porter attention aux items dont les
réponses sont très variées et pour lesquels les partenaires semblent avoir des
perceptions différentes.
L’outil fournit un diagnostic se référant aux meilleures pratiques puisqu’il est
fondé sur des études empiriques et sur une théorie de l’action. Il fournit une
appréciation qualitative des situations et ne fournit pas, à proprement parler,
une mesure puisque, notamment, la distance entre les énoncés qui servent à
graduer l’atteinte d’une condition est inégale : il peut être relativement facile
d’atteindre le second échelon sur un item, alors que le passage du second au
troisième échelon peut être beaucoup plus ardu. L’outil permet de poser trois
types de diagnostic. Premièrement, les items auxquels on ne peut trouver de
réponses convergentes entre les répondants indiquent les aspects importants
du partenariat qui échappent à une partie des répondants. Deuxièmement,
l’identification des items pour lesquels les appréciations sont plus faibles
indique que le partenariat a un problème autour de cette condition. Le même
diagnostic peut être produit pour les forces du partenariat. Troisièmement,
les diagnostics produits peuvent être ponctuels mais ils peuvent aussi être
comparés de façon longitudinale pour un même partenariat ou de façon trans-
versale entre plusieurs partenariats. Si plusieurs partenariats dans un contexte
donné (ex. : une région sociosanitaire) rencontrent des problèmes autour des
mêmes items, cela conduit à identifier des enjeux collectifs. Par exemple, si
l’item #ı6 relatif à la gouverne : « Dans notre partenariat, les critères et méca-
nismes de la reddition de comptes (à qui, quand et sur quoi rendre compte)
entre les organismes communautaires et les bailleurs de fonds sont négo-
ciés » indique que la reddition de comptes négociée pose problème parmi
plusieurs partenariats locaux relevant d’une même instance planificatrice ou
d’un même bailleur de fonds, cela interpelle le niveau supérieur de la gouverne
au palier régional, voire central.
Outil de l’action en partenariat… 343

CONCLUSION

La spécificité de l’outil diagnostique de l’action en partenariat est d’apprécier


le degré d’atteinte des dimensions essentielles du processus conduisant à la
qualité de l’action en partenariat. La validité d’un tel outil de nature qualita-
tive réside dans sa procédure d’élaboration et de validation et dans la solidité
du modèle qui le fonde.
La solidité d’un modèle tient au fait qu’il a subi l’épreuve et continue d’être
ouvert aux démarches de vérification empirique. Dans le cas du modèle de
l’action en partenariat énoncé plus haut, cette solidité repose d’abord sur le
cadre théorique de la sociologie de la traduction issu de dizaines d’études de
cas de processus d’innovation. Elle repose ensuite sur nos propres travaux
d’études de cas multiples [2, 4, 8]. Au total, sept études de cas ont montré que,
dans des contextes différents, les conditions spécifiées dans le modèle théo-
rique entraînent des résultats positifs et leur contraire, des résultats inverses,
venant renforcer la solidité du modèle.
Aussi, la pertinence du modèle de l’action en partenariat est renforcée par les
conclusions de plusieurs recensions d’écrits portant sur le fonctionnement et
les résultats des collaborations interorganisationnelles et du partenariat [7].
Ces recensions montrent que, pour opérer efficacement, les partenariats
doivent être caractérisés par un rapport égal entre les acteurs sans égard à leur
position sociale, par leur engagement précoce dans le processus et un contrôle
réel des acteurs des communautés sur les orientations de l’action et la conduite
des partenariats [22-25]. Ces conditions sont centrales dans les dimensions
du modèle de l’action en partenariat à la base de l’outil, soit la dynamique de la
participation, l’égalisation des rapports de pouvoir et la coconstruction de l’ac-
tion. Le raisonnement de ces auteurs, appuyé sur de larges recensions d’écrits
et sur des recherches portant sur de nombreuses initiatives, nous conduit à
affirmer avec assez de certitude la pertinence du modèle théorique à la base de
l’outil diagnostique de l’action en partenariat.
Enfin, c’est à l’usage que s’apprécie et se bonifie un outil diagnostique. Celui
proposé ici a déjà montré une certaine validité et pertinence pour apprécier les
conditions qui permettent d’anticiper la qualité des partenariats, en tout cas,
suffisamment pour nous permettre d’en recommander l’usage. Idéalement
cependant, l’utilisation de cet outil devrait être couplée à des recherches qui
permettront de définir davantage les critères de validité reconnus dans la
littérature.

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