Vous êtes sur la page 1sur 340

Couverture

Largue le ! (et sors avec moi)


Mentions légales
Prologue
Rupture no 1
Rupture no 1,5
Rupture no 3
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 2 bis
Chapitre 3
Chapitre 4
Rupture no 6
Chapitre 4 bis
Chapitre 5
Chapitre 5 bis
Chapitre 6
Chapitre 6 bis
Chapitre 7
Chapitre 7 bis
Rupture no 7
Chapitre 8
Chapitre 8 bis
Chapitre 9
Chapitre 9 bis
Rupture no 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 12 bis
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 15 bis
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 22 bis
Chapitre 23
Chapitre 24
Rupture no 12
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 27 bis
Chapitre 28
Chapitre 29
Rupture no 13
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 31 bis
Chapitre 32
Rupture no 15
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 36 bis
Chapitre 37
Chapitre 37 bis
Chapitre 38
Chapitre 39
Rupture no 16
Rupture no 16 bis
Rupture no 16 ter
Chapitre 40
Chapitre 40 bis
Chapitre 41
Chapitre 42
Chapitre 43
Chapitre 44
Rupture no 16,5
Rupture no 16,5 bis
Rupture no 16,5 ter
Rupture no 16,5 quater
Chapitre 45
Chapitre 46
Chapitre 47
Chapitre 48
Chapitre 49
Chapitre 50
Épilogue
Note de l’autrice
Whitney G.
Largue le ! (et sors avec moi)
Traduit de l'anglais par Hélène Brégeon

Collection Infinity
Mentions légales
Le piratage prive l'auteur ainsi que les personnes ayant travaillé sur ce livre
de leur droit.

Cet ouvrage a été publié sous le titre original :

Break up with him, for me

Collection Infinity © 2023, Tous droits réservés

Collection Infinity est un label appartenant aux éditions Bookmark.

Copyright © 2021. BEAK UP WITH HIM, FOR ME by Whitney G.

Illustration de couverture © MxM Créations

Traduction © Hélène Brégeon

Suivi éditorial © Anthéa Krebs

Correction © Lilou Meunier

Toute représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit est


strictement interdite. Cela constituerait une violation de l'article 425 et
suivants du Code pénal.

ISBN : 9791038121980

Existe en format papier


Pour le fun.
Pour l’été.
Pour moi.
<3<3<3<3<3
Prologue

Hayden

Soixante-douze heures après la rupture…

Quand nous nous retrouverons à la fin de ce roman, vous et moi, vous me


devrez vos plus plates excuses.
Oui, vous.
La personne qui dévore ces mots.
Je vous vois, vous portez un jugement hâtif sur moi, vous vous demandez
pourquoi j’ai le visage défoncé et couvert d’ecchymoses, ou pourquoi je
suis avachi sur un fauteuil en cuir gris dans mon luxueux appartement
panoramique.
Vous êtes embarrassée d’avoir un jour confié à vos amis que vous me
trouviez « sexy à en tomber à la renverse » ou « terriblement beau ». Que je
vous faisais mouiller votre culotte quand vous me voyiez en couverture de
Esquire ou de GQ.
Tout d’abord, ne me remerciez pas pour ça. Je sais que votre mari/petit
ami ne vous a pas fait grimper au rideau depuis une éternité, alors
considérez que ma contribution à faire fondre votre culotte est notre vilain
petit secret.
Ensuite, j’ai tout à fait conscience qu’en ce moment même, je ne
ressemble en rien au « roi arrogant de New York » ou au « play-boy
indompté de Manhattan ». Inutile de me le rappeler.
Et, oui, je sais aussi que je suis en train de mettre du sang partout sur mon
sol en marbre…
J’aimerais vous raconter ce qu’il s’est passé, mais j’arrive à peine à
bouger la mâchoire et, de toute façon, vous ne me croiriez pas.
Je vais donc vous parler d’autre chose.
Tout ce que j’ai appris au cours de ces soixante-douze dernières heures
peut être résumé en une seule phrase : la seule différence entre une rupture
et un accident de voiture, c’est que j’aurais volontiers opté pour la
deuxième option, et plutôt deux fois qu’une.
Des os brisés, des fractures, des commotions cérébrales et des plaies ?
J’aurais pu encaisser tout ça.
Il faut entre six semaines et six mois pour guérir de ces blessures. Et
après m’être fait prescrire un cocktail d’antidouleurs et d’intenses séances
de rééducation, j’aurais pu reprendre le cours de ma vie comme si je n’avais
jamais eu cet accident.
Mais avoir le cœur brisé après une rupture ? Il n’y a pas d’antidouleurs,
pas de rééducation ni de programme conçu pour s’en remettre à coup sûr.
Quiconque affirme que « le temps guérit toutes les blessures » n’a jamais
aimé et perdu sa meilleure amie.
— Tu es un connard !
Tout à coup, la voix de Penelope retentit à travers les haut-parleurs de
l’appartement pour la énième fois ce matin.
Je tente de me lever pour aller éteindre mon répondeur, mais en vain. Je
ne sens pas mes jambes.
— Je déteste le fait d’avoir un jour couché avec toi, d’avoir cru que tu
pourrais être autre chose que l’enfoiré prétentieux et arrogant que tu as
toujours été, déclare-t-elle. Je te garantis que je ne t’adresserai plus jamais
la parole de toute ma vie.
Bip !
— Je te déteste, Hayden Hunter.
Elle commence un tout nouveau message vocal.
— Je. Te. Déteste. Je souhaite que ta queue tombe et que tu perdes
chaque centime de ton compte en banque. Ce sont les seules choses qui ont
jamais compté pour toi, de toute façon.
Bip !
— J’ai oublié une dernière chose, espèce d’enfoiré…
Sa voix se brise, et je sens mon cœur s’embraser.
— Pour info, c’est toi qui as commencé la guerre froide entre nous il y a
des années. C’est toi et ça a toujours été ta faute… En tant qu’ancienne
meilleure amie, permets-moi de donner un titre à notre rupture, comme
nous l’avons fait pour chacun de mes ex.
Elle marque une pause de quelques secondes en reniflant entre deux
respirations.
— Tu es officiellement « celui avec qui cela n’aurait jamais dû arriver ».
Je te préférais quand tu m’aidais à sortir avec d’autres mecs plutôt que
quand tu nous poussais à franchir la limite. Et puis, tu n’étais pas si bon que
ça au lit. Je me suis bien plus éclatée avec mes ex.
Bip !
Je n’ai aucune raison de réagir à cette dernière déclaration, puisque nous
savons tous les deux que c’est un mensonge.
Qui n’est même pas crédible.
Bien que d’entendre la douleur dans sa voix me fasse un mal de chien,
elle ne m’a pas autant parlé depuis des jours et une partie de moi est
heureuse qu’elle ait appelé.
Même si je meurs d’envie de lui donner ma version de l’histoire, comme
par exemple, que je ne suis pas responsable de notre rupture, il se pourrait
qu’elle marque un point sur le fait d’avoir franchi la limite.
Peut-être que si je lui avais dit « vas-y, continue à sortir avec lui, il est
bien mieux que moi » (ce qu’il n’est pas), alors je serais encore en train de
l’aider à séduire d’autres hommes. Peut-être que si je n’avais pas insisté sur
le fait que notre relation en valait la peine, nous aurions pu rester meilleurs
amis, et rien de plus.
Mais en y réfléchissant bien, Penelope et moi n’avons pas toujours été
aussi proches.
Bon sang, elle n’était même pas mon « amie » les premières années où on
s’est connus.
Elle n’était rien d’autre que la cinquième roue du carrosse qui me collait
aux basques, une femme qui devait rester « intouchable » pour toujours.
Elle était la petite sœur de mon meilleur ami…

Seize semaines plus tôt…

Non, pas si vite.


Permettez-moi de remonter le temps encore un peu.

Seize ruptures plus tôt…

Oui.
Commençons ici cette histoire d’amour catastrophique.
Voulez-vous ?
Rupture no 1

Celui qui avait gâché la Saint-Valentin

Penelope

À l’époque…

Mon frère va me tuer…


À la seconde où je vais mettre un pied hors de la résidence universitaire,
il va me kidnapper, me conduire jusqu’à une décharge abandonnée et
m’étouffer derrière un tas de pneus en feu. Même si c’est ce que je mérite
pour lui avoir menti, je pense que cela ne lui fera ni chaud ni froid d’être
condamné à faire de la prison.
Il y sera probablement comme un poisson dans l’eau.
En fait, je suis convaincue que, demain, on pourra lire dans les journaux :
« Une championne internationale de patinage artistique retrouvée morte
étranglée ; son frère aîné avoue : “Je lui avais dit de se concentrer sur le
patin sur glace, pas sur les mecs.” »
Merde. Merde. MERDE !
— Bébé ? Hé, bébé ?
Michael, mon petit ami, me plaque contre le mur au fond de l’ascenseur
et me tire brutalement de mes pensées.
— Bébé, tu me fais flipper. À quoi tu penses ?
— Que je vais me faire assassiner, déclaré-je en levant les yeux vers lui.
As-tu remarqué qu’on était suivis quand on a quitté le stade ? Est-ce que le
conducteur de la Honda verte ressemblait à une version humaine de Hulk ?
— Euh, waouh. Et non.
Il tire doucement sur la médaille que je porte autour du cou.
— Tu es loin de moi depuis des mois, tu viens enfin de remporter une
autre médaille comme tu le souhaitais, et la seule chose à laquelle tu penses,
c’est que quelqu’un va te tuer ? me demande-t-il.
C’est aussi ce à quoi tu penserais si tu connaissais mon frère.
— Désolée, je suis seulement…
Je m’efforce d’inventer un mensonge.
— La compétition de ce soir était un peu plus intense que ce à quoi je
m’attendais.
— La seule chose à laquelle tu devrais penser, c’est que ton petit ami
aimant, moi, s’apprête à sortir sa trique de vingt-trois centimètres quand il
t’aura mise dans son lit.
Je cligne plusieurs fois des yeux.
J’ai imaginé des centaines de façons de perdre ma virginité, mais qu’un
mec dise quelque chose ressemblant de près ou de loin à « sortir sa trique »
n’a jamais fait partie d’aucun de ces scénarios.
De plus, j’ai déjà eu l’occasion de sentir son érection et il est bien loin
des vingt-trois centimètres.
Dix, tout au plus.
— Bébé, concentre-toi.
Il pose ses lèvres sur les miennes et m’embrasse avec une telle intensité
que j’en perds le fil de mes pensées. Une fois ma respiration haletante, il me
prend par la main et me conduit hors de l’ascenseur, en direction de sa
chambre.
Il dépose un baiser sur ma joue, déverrouille la porte et m’entraîne à
l’intérieur.
Un mélange d’odeurs de vieille pizza, de bière et de bougies à la vanille
en cire végétale flotte autour de moi tandis qu’il me mène jusqu’au lit.
— Tu m’as tellement manqué.
Il glisse une main sous ma robe et écarte ma culotte.
Comme s’il sentait mon hésitation, il fait marche arrière.
— Buvons un verre pour te mettre à l’aise, propose-t-il. J’ai des fraises,
de la crème fouettée et une bonne bouteille de champagne que j’ai achetée
exprès pour toi.
— En fait, je crois que j’ai seulement besoin de passer un coup de fil.
— À qui ?
— À Travis.
— Ton frère ? demande-t-il en haussant les sourcils.
— Oui, acquiescé-je. Il m’a appelée environ dix fois, je ferais sûrement
mieux de lui dire que je vais bien.
— Ton frère se trouve à plus de mille cinq cents kilomètres d’ici, répond
Michael en secouant la tête. Et si je me souviens bien, il t’a laissée à Seattle
livrée à toi-même. Il peut attendre.
Bien vu.
Il glisse ses doigts dans mes cheveux en m’attirant contre lui et
recommence à m’embrasser. Je passe mes bras autour de son cou tandis
qu’il murmure mon nom. Je fais de mon mieux pour me focaliser sur le
moment présent. Sur lui.
— Enlève tes chaussures, m’ordonne-t-il.
Je retire mes talons d’un coup de pied.
Sans ajouter un mot, il me fait basculer sur le lit et dépose des baisers le
long de mon cou.
Alors que je glisse à mon tour mes doigts dans ses cheveux, on frappe
bruyamment à la porte.
— J’arrive ! grogne Michael. J’ai oublié de mettre une chaussette sur la
poignée pour mes colocataires, bébé. Attends une minute.
Il s’approche de la porte et regarde par le trou de la serrure.
— Bordel de merde.
La personne frappe à nouveau, bien plus fort cette fois, et mon petit ami
fait quelques pas en arrière.
Pendant un instant, je commence à croire que ma prémonition morbide va
devenir réalité dans quelques secondes. Je regarde autour de moi à la
recherche d’une issue pour que nous puissions nous échapper, mais des
canettes de bière empilées bloquent l’accès aux deux fenêtres, et je ne peux
pas risquer de perdre mes jambes en sautant de trois étages.
Je songe à me porter volontaire comme tribut pour me faire tuer en
premier, mais ma raison reprend le dessus et mes craintes s’apaisent.
Il faudrait à Travis dix-sept heures pour venir jusqu’ici en voiture et,
même s’il décidait de prendre l’avion, il ne se permettrait pas de gaspiller
de l’argent dans un billet de dernière minute.
De plus, il m’appellerait un million de fois pour me prévenir.
— Qui est là ? demandé-je.
— Chuuuut, dit Michael en mettant son doigt devant la bouche.
Puis, il me fixe du regard, l’air tiraillé entre sauter par la fenêtre ou se
cacher sous le lit.
Soudain, comme dans une scène sortie tout droit de Mission impossible, il
se précipite vers moi et passe ses bras autour de mes jambes. Il me jette par-
dessus son épaule, m’amène jusqu’à son placard et me dépose sur un tas de
vêtements qui sentent le renfermé.
— Reste ici sans faire de bruit, d’accord ? murmure-t-il. Je t’aime
tellement.
Il me claque la porte au nez, mais la rouvre presque immédiatement.
— Tiens. Prends tes chaussures.
Il manque de me donner un coup avec les talons.
Qu’est-ce qui se passe, bon sang ? Alors que je me relève, il pousse un
panier à linge jusque devant le placard.
Entre les fines lattes de bois, j’observe sa mise en scène
incompréhensible.
Dans le premier acte, il fait une première fois le lit, puis recommence, en
organisant les oreillers par couleur. Dans le deuxième, il retire son jean et
enfile un bas de jogging, tout en fredonnant d’une voix fausse le refrain
d’une chanson pop qui m’est familière.
Pendant l’entracte, il ignore les demandes d’explication que je formule à
voix basse et, après avoir appliqué du gel dans ses cheveux, prend quelques
gorgées de Listerine et recrache le liquide dans le lavabo. Pour finir, il
fouille dans le tiroir du haut de sa commode à la recherche de son eau de
Cologne et en vaporise une trop grande quantité sur son torse.
— Tu peux le faire, Michael. Tu peux le faire.
Il prend plusieurs inspirations profondes, puis s’approche enfin de la
porte pour l’ouvrir.
— Salut, bébé, déclare-t-il.
Bébé ?
— Salut, beau gosse.
Une fille brune qui semble bien plus âgée que moi se pend au cou de mon
petit ami. Son bonnet D déborde de sa robe rose courte et moulante et elle
est parfaitement maquillée.
— Je sais qu’on s’était mis d’accord pour fêter la Saint-Valentin demain,
mais je suis trop impatiente, minaude-t-elle.
Michael la saisit par la taille, de la même façon qu’il l’a fait avec moi, et
lui donne le même baiser intense et passionné que j’ai reçu quelques
minutes auparavant. Il va jusqu’à lui murmurer mot pour mot « tu m’as
tellement manqué » avec la même intonation.
C’est quoi ce bordel ?
Pendant quelques secondes, je me demande si j’ai déjà eu le même air
bête et ahuri que la fille à cet instant. Si amoureuse et si naïve.
Quand il interrompt leur baiser, il laisse échapper un profond soupir.
— J’ai quelque chose de très important à te dire, Kylie.
— Oui ? répond-elle en retirant ses chaussures. De quoi s’agit-il ?
Je suis une pourriture infidèle et je sors avec une lycéenne.
J’attends qu’il prononce ces mots et me laisse sortir du placard, afin que
nous puissions nous délecter de ses mensonges.
— Je sais qu’on n’a fait que se séparer et se remettre ensemble ces
derniers mois, déclare-t-il en lui prenant la main et en plongeant son regard
dans le sien. Mais je veux que tu saches que je suis prêt à m’engager avec
toi pour de bon cette fois, et je me suis vraiment donné du mal pour faire de
cette Saint-Valentin un moment spécial… J’ai des fraises, de la crème
fouettée et une bonne bouteille de champagne que j’ai achetée exprès pour
toi.
Non, mais sérieusement. C’est quoi ce…
— Oh mon Dieu ! Vraiment ? s’exclame-t-elle en pointant du doigt le sac
à main rouge au pied du lit.
Mon sac à main rouge.
— Ce sac de chez Coach est aussi pour moi ?
— Oui, répond Michael en poussant l’objet pour qu’il tombe par terre. Tu
auras le droit de le voir après. D’abord, embrasse-moi.
Je me pince plusieurs fois pour m’assurer que je ne suis pas en train de
rêver. Que l’univers n’a pas décidé de gâcher mon histoire en balançant une
intrigue secondaire insensée dans le schéma narratif de ma journée.
Mais la douleur des pincements sur mes poignets est plus réelle que
jamais et, à mesure que j’observe l’attitude de Michael (et qu’il susurre à
cette fille les mêmes paroles qu’à moi), les derniers mois de notre relation
défilent au ralenti devant mes yeux sous une tout autre lumière.
Il m’appelait uniquement le soir et il ne voulait presque jamais sortir
pendant la journée, en prétextant qu’il voulait « me garder rien que pour lui
». Il préférait débarquer à l’improviste pendant mes entraînements à la
patinoire plutôt que de m’inviter chez lui.
Même s’il était venu assister à quelques-unes de mes compétitions, il ne
prenait jamais de photo avec moi pendant la cérémonie de remise des
médailles. Il attendait que je le rejoigne sur le parking, où il se garait
systématiquement sur les places les plus éloignées.
Pauvre idiote.
Lorsque j’ai fini de passer en revue tous les souvenirs qui confirment que
notre relation n’a jamais été sérieuse pour lui, la fille est en train de gémir et
Michael dépose des baisers humides sur sa poitrine.
— Oh mon Dieuuu, Michael, souffle-t-elle.
Et puis merde.
Je donne des coups de pied dans la porte du placard jusqu’à ce qu’elle
cède.
— Sérieusement, Michael ? Est-ce que tu comptais me laisser moisir là-
dedans toute la nuit ?
Il regarde par-dessus son épaule et pousse un cri de surprise.
— Euh… qui es-tu ? demande la fille en cachant sa poitrine avec un
oreiller. Et pourquoi diable est-ce que tu nous observes cachée dans le
placard ?
— Oh, waouh, intervient Michael d’une voix impassible. C’est vraiment
scandaleux. C’est la copine de mon colocataire. Enfin, ex-copine. Je crois
qu’elle essayait de le surprendre avec quelqu’un, ou quelque chose de ce
genre.
Je le fixe du regard, complètement incrédule.
— C’est la vérité, n’est-ce pas ? insiste-t-il avec un regard suppliant.
— Sûrement pas, répliqué-je en prenant mon sac à main. Au fait, ça, c’est
à moi.
Tandis que je me dirige vers la porte, je lance à la fille :
— Je sors avec lui depuis le mois de janvier, et ce soir, j’ai failli perdre
ma virginité avec lui. Toi aussi, il te trompe.
Je ne m’attarde pas plus longtemps. Je claque la porte derrière moi et me
précipite dans l’escalier de secours.
Le vent humide de Seattle me frappe le visage à l’instant où je pousse la
porte. Ce qui me fait penser que j’ai laissé mon manteau dans la chambre de
Michael.
Refusant de faire demi-tour, je croise mes bras sur ma poitrine et
contourne le bâtiment.
Quand j’arrive dans le hall d’entrée, je sors mon téléphone et ouvre
l’application Uber. Le conducteur le plus proche se trouve à une heure d’ici
et il y a des frais supplémentaires à cause de la distance.
Je laisse échapper un grognement et quitte l’application. Puis je fais
défiler mes contacts et m’arrête à « Papa » et « Maman ». S’ils étaient
toujours en vie, je me soumettrais volontiers à leur leçon de morale à base
de « tu nous déçois énormément » et à leurs menaces de punition pendant
tout le trajet jusqu’à la maison. Bon sang, je leur suggérerais même de me
priver de sortie jusqu’à la fin de l’année.
Je chasse ces pensées de mon esprit et continue de faire défiler la liste,
sans m’arrêter sur les noms de mes entraîneurs, ceux d’autres athlètes, ni
ceux de mes voisins. Je connais bien ces personnes, mais pas assez pour les
appeler et leur demander un service à cette heure-ci.
Après avoir parcouru tous mes contacts, il ne reste plus que « Beurk :
enfoiré arrogant », c’est-à-dire Hayden Hunter, le meilleur ami de mon
frère.
Le simple fait de lire son nom me fait lever les yeux au ciel.
Si le prix du « mec qui se prend pour le plus grand Don Juan de l’histoire
» existait, Hayden le remporterait haut la main chaque année. Pire, chaque
femme qui aurait un jour posé les yeux sur lui voterait volontiers pour lui et
lui assurerait qu’il a toutes les raisons du monde de le penser.
Avec ses yeux bleus renversants, ses magnifiques cheveux sombres et sa
mâchoire ciselée pratiquement taillée pour faire la couverture du magazine
GQ, il est sans aucun doute l’un des hommes les plus attirants que j’aie vus
de toute ma vie. Incontestablement. Mais au moment où il entrouvre ses
lèvres dessinées et charnues pour parler, tout son charme part en fumée.
C’est un véritable gigolo qui a une très mauvaise influence sur mon frère
et je regretterai toujours le jour où il est entré dans nos vies. Le jour où il est
devenu la personne la plus proche de Travis et où je n’ai plus été que la
cinquième roue du carrosse.
Il doit avoir au moins dix MST à l’heure qu’il est. Non, au moins vingt.
Je sélectionne son nom et parcours notre récent fil de conversation à sens
unique.

Beurk : enfoiré arrogant : J’ai déposé un colis chez toi, tout à l’heure.
C’est de la part de Travis. Peut-être qu’il t’a enfin envoyé ce dont tu as
besoin : un foutu sens de la reconnaissance. Au fait, ne me remercie pas
pour mon aide GRATUITE.
Beurk : enfoiré arrogant : Il faut que tu appelles ton frère ce soir, après
ton entraînement. Il dit que tu dois être rentrée avant vingt-trois heures, car
tu as rendez-vous avec les journalistes du TIME et de Skate World demain
matin.
Beurk : enfoiré arrogant : Je VOIS que tu lis mes foutus messages,
Penelope. Tu pourrais au moins répondre, non ?
Je n’ai jamais répondu à aucun de ses messages, et je n’ai pas l’intention
de commencer maintenant.
J’ouvre à nouveau l’application Uber et décide d’attendre autant de temps
qu’il le faudra.
Je préfère encore crever de froid que d’avoir affaire à Hayden…
Rupture no 1,5
Celui qui avait gâché la Saint-Valentin

Hayden

À l’époque…

Travis : Salut. Tu es probablement quelque part en train de te faire tailler


une pipe, mais est-ce que tu pourrais me tenir au courant pour Penelope ?
Ça fait CINQ jours.
Travis : Est-ce que tu as déjà donné le chèque à son entraîneur ? Les
trois mille dollars n’ont pas encore été débités.
Travis : ALLÔ ? Réponds-moi, Hayden. J’essaye seulement de prendre
des nouvelles de ma fichue sœur. Je fais tout ce que je peux pour m’assurer
qu’elle est bien prise en charge.

Si ça compte à ce point pour toi, tu n’as qu’à rentrer…


Je serre la mâchoire en lisant les derniers messages de Travis. Cela fait
seulement six mois qu’il a troqué les pluies glaciales de Seattle contre les
étés étouffants de Las Vegas, mais plus il m’envoie de textos exigeants, plus
j’ai l’impression qu’il est parti depuis une décennie.
Le lendemain matin des funérailles de ses deux parents, il a déposé sur
ma table basse une coupure de journal où l’on pouvait lire « L’UFC en
expansion », ainsi qu’une liste intitulée « Choses à faire pour aider
Penelope (Crown) pendant mon absence ».
Sans laisser paraître la moindre émotion, il a déclaré :
— Il faut que je concentre toute mon énergie sur le fait de prendre soin de
Penelope, à présent. Je vais tenter ma chance avec les combats de MMA et
je t’enverrai autant d’argent que possible. Tu peux toujours travailler sur ton
application de rencontres et m’aider à m’occuper d’elle à distance, pas
vrai ?
Il n’a pas attendu ma réponse.
Il a pris un sac de couchage et est rentré chez lui pour annoncer la
nouvelle à sa sœur. Je ne l’ai plus jamais revu.
Depuis qu’il est parti, je me suis retrouvé propulsé dans le monde des
concours de patinage artistique et, honnêtement, je préférais l’époque où
j’en ignorais complètement l’existence. Quand je n’étais pas obligé de me
lever aux aurores pour faire la navette entre les dizaines d’entraînements de
Penelope, quand les mots « triple boucle piquée » ou « double axel »
m’étaient inconnus et quand le seul moment où je regardais du patinage
artistique était devant ma télévision, pendant les Jeux olympiques.
J’en ai plus que marre de ces conneries.
Je me traîne hors du lit en prenant soin de ne pas réveiller la femme qui
dort à côté de moi. Notre coup d’un soir (ainsi que son prénom) n’est déjà
plus qu’un lointain souvenir, mais je ne suis pas le genre d’homme à le lui
faire savoir.
J’enlève le capuchon d’un feutre et écris « Merci pour ce bon moment,
c’était sympa » au dos d’un emballage papier de burger, puis le dépose sur
sa table de nuit. Je contourne ensuite le lit pour ramasser mes vêtements.
Après avoir mis mon tee-shirt, je récupère mes clés sans faire de bruit et
enfile mes chaussures. Je vérifie de ne rien avoir oublié et quitte
l’appartement pour rejoindre ma voiture.
Je traverse la ville à vive allure et me gare dans l’allée devant la maison
de Travis pour m’assurer que sa sœur est bien « prise en charge ».
L’éclairage extérieur est allumé mais, contrairement à d’habitude, je
n’aperçois pas la lumière de la télévision dans la chambre de Penelope.
Perplexe, je saisis mon téléphone et lui envoie un message.

Moi : Salut. Est-ce que tu peux me faire un signal lumineux à l’étage ou


allumer la télévision pour que je puisse confirmer que tu es vivante ? Ton
frère veut s’assurer que tu vas bien.

La notification « message lu » apparaît, mais je n’obtiens aucune réponse.


Évidemment.

Moi : Salut, Travis. Pen est en sécurité à la maison. Je viens de vérifier.


Elle dit qu’elle t’appellera demain.
Travis : Merci, mec. C’est vraiment sympa de ta part.
Travis : Comment vas-tu, en ce moment ? Ton application avance bien ?
Je sais qu’il se moque éperdument de mon travail, alors je ne prends pas
la peine de répondre à ses questions.
À la place, je mets la conversation en sourdine et sors du quartier en
direction de chez moi, où m’attend une nuit blanche. Au moment où je
lance la musique, le nom de Penelope apparaît sur mon tableau de bord via
la ligne téléphonique.
J’appuie sur « Ignorer ».
Elle rappelle.
Je renouvelle l’opération.
Alors que je m’engage sur l’autoroute, son nom apparaît une troisième
fois.
— Quoi, Penelope ? m’impatienté-je en décrochant. J’ai déjà prévenu ton
frère que tu étais chez toi. Ne me remercie pas.
— Je… Je ne suis pas à la maison, répond-elle en claquant des dents. Pas
du tout.
Je sais que je devrais lui demander où elle se trouve, mais je continue de
rouler et laisse le silence s’installer dans la conversation.
— Tu es toujours en ligne, Hayden ? demande-t-elle.
— J’attends que tu m’expliques pourquoi diable tu m’appelles à trois
heures du matin.
— J’ai besoin qu’on me ramène à la maison. Peux-tu venir me chercher ?
— Répète un peu ?
Je me gare sur la bande d’arrêt d’urgence.
— Est-ce que tu es restée à la patinoire pour t’entraîner, ou quelque chose
de ce genre ? demandé-je.
— Un couple bourré m’a volé mon Uber et le plus proche ne sera là que
dans deux heures, explique-t-elle en évitant ma question. Je te rembourserai
l’essence, comme je suis un peu loin. S’il te plaît.
— Où es-tu, bon sang ?
— À la résidence Avis de l’université centrale.
Hein ? J’ai dû mal entendre.
— C’est une résidence pour garçons uniquement, commenté-je.
— Je suis au courant.
— Alors qu’est-ce que tu fais là-bas à une heure aussi tardive ?
— Je révisais. Avec un garçon.
— Je vois.
Je fais demi-tour. Pendant un instant, j’envisage de lui dire de rester en
ligne jusqu’à ce que j’arrive, mais je ne lui dois rien. Elle ne m’a jamais
adressé le moindre « merci » pour quoi que ce soit.
— Est-ce que tu viens me chercher ? s’enquiert-elle.
— Malheureusement, oui. Je serai là dans une demi-heure.
Je raccroche et roule à quinze kilomètres par heure en dessous de la
vitesse autorisée.
Elle peut attendre.

***
Quand je me gare devant la résidence Avis, j’aperçois Penelope par les
fenêtres du hall d’entrée, en pleine altercation avec un agent de sécurité.
Elle est rouge comme une pivoine et elle secoue la tête, comme si elle
refusait de partir.
Vêtue de talons aiguilles argentés et d’une robe rouge en tissu fin qui
laisse peu de place à l’imagination, je sais qu’elle n’est certainement pas
venue ici pour « réviser ».
Je klaxonne plusieurs fois, ce qui met fin à sa discussion animée avec le
vigile.
Elle saisit rapidement quelque chose dans la poche de l’homme, puis se
précipite dehors et l’agent de sécurité lui fait un doigt d’honneur.
Où est passé son manteau, bon sang ?
Elle ouvre brusquement la porte côté passager et j’allume le chauffage.
Alors qu’elle attache sa ceinture de sécurité, je ne peux pas m’empêcher de
remarquer les larmes qui coulent sur ses joues.
— Les révisions sont censées t’apporter du plaisir, pas te faire pleurer,
commenté-je en m’engageant sur la rue. Ton mec était si mauvais que ça au
lit ?
— Tu sais quoi ? s’agace-t-elle en s’essuyant les yeux. Peux-tu me
déposer sur l’autoroute ? Je crois que je préfère encore attendre le prochain
Uber.
— Trop tard, déclaré-je en m’assurant que les portes sont verrouillées. Je
n’en ai strictement rien à faire mais, je t’en prie, dis-moi que tu as utilisé un
préservatif.
— Je n’ai rien utilisé du tout, d’accord ? rétorque-t-elle en me lançant un
regard furieux. Car il ne s’est rien passé.
— Ce n’est pas ce que dit ta robe.
— C’est une tenue de patinage que j’ai déjà portée sur la glace, mais vas-
y, tu n’as qu’à prendre une photo. Je suis sûre que ça te démange de
l’envoyer à Travis et de lui raconter tout ça.
— Je ne vais rien dire du tout à ton frère, déclaré-je en me tournant vers
elle. Ta vie sexuelle ne le regarde pas. Et moi non plus.
— C’est certainement la chose la plus intelligente que tu ne m’aies jamais
dite.
— Non, ce qui est intelligent, c’est de te proposer de te donner des
capotes. Tu veux que je m’arrête et que j’aille t’en acheter ?
— Est-ce que tu es bouché ? Je viens de te dire qu’il ne s’était rien passé.
Et il ne s’est rien passé parce que mon soi-disant petit ami a gâché la Saint-
Valentin au moment où sa véritable copine qui est à la fac a débarqué.
Les mots se déversent de sa bouche.
— Il me trompait depuis le début, et je n’arrive pas à croire que j’ai été
assez naïve pour penser qu’un étudiant pourrait être fidèle à une lycéenne.
Pour penser qu’il était digne d’être mon premier.
Oui, tu aurais vraiment dû faire preuve d’un peu plus de bon sens.
— Tu veux un conseil pour tes futures relations ? proposé-je.
— Ha ha ! Je passe mon tour, ironise-t-elle en secouant la tête. Je ne
pense pas avoir un jour besoin de tes conseils au sujet de quoi que ce soit.
Mais en y réfléchissant bien, si jamais j’ai envie de savoir comment devenir
un enfoiré ou un gigolo, je t’appellerai.
— Laisse un message, dans ce cas.
J’augmente le volume de la musique pour couper court à la conversation.
Cette fois, je roule à vingt kilomètres-heure au-dessus de la vitesse
autorisée et grille tous les feux rouges.
Plus vite je la dépose, mieux ce sera.
Vingt minutes plus tard, alors que je me gare dans son allée pour la
deuxième fois de la soirée, je songe un instant à sortir et à lui ouvrir la
portière. Jusqu’à ce que je lui jette un rapide coup d’œil et que je
m’aperçoive qu’elle change de nouveau mon nom dans son téléphone. Je ne
suis plus enregistré en tant que « Beurk : enfoiré arrogant ».
Je suis désormais « Trou du cul antipathique (ne plus jamais le rappeler)
».
D’un côté, c’est mieux que les « Hayden l’enfoiré (je le déteste) » et «
Porteur de syphilis garanti » de la semaine dernière, mais pas assez pour
que je me conduise en gentleman.
— Eh bien, voilà. Tu peux ficher le camp de ma voiture. Je passe te
prendre samedi pour l’entraînement, à moins que tu n’aies trouvé un
nouveau partenaire pour réviser d’ici là. Pense d’abord à vérifier qu’il n’est
pas déjà en couple.
— C’est bas, réplique-t-elle. Même pour toi.
— Je peux faire bien pire, crois-moi, rétorqué-je en désignant sa porte
d’entrée du doigt. Seul l’un d’entre nous a essayé de se montrer cordial au
cours de ces six derniers mois. Et spoiler : ce n’est pas toi. Autre
révélation : à partir de ce soir, ce ne sera pas moi non plus.
— Inutile d’être cordial étant donné que c’est principalement à cause de
toi que Travis a accepté de me laisser ici. Le fait qu’il a un jour accepté
d’écouter le moindre conseil venant de quelqu’un dont le slogan personnel
est « les potes avant les putes » dépasse l’entendement.
— Je n’ai jamais dit « les potes avant les putes ».
Je me penche et ouvre la portière de l’intérieur, puisque Penelope ne
descend pas d’elle-même.
— J’ai peut-être dit « fais-moi passer avant les meufs » quelques fois,
mais cela ne te regarde pas, ajouté-je. Encore une fois, c’est le moment de
foutre le camp de ma voiture.
— Avec plaisir, répond-elle en sortant. Il faut vite que j’aille me laver au
cas où j’aurais attrapé l’une de tes MST pendant le trajet.
— Tu sais quoi ?
J’en ai marre de jouer au gentil.
— C’est exactement pour cette raison que ton mec t’a trompée. Il en a eu
marre de tes simagrées au lit, étant donné que tu as probablement dû lui
demander s’il avait des MST chaque fois qu’il te respirait dessus, déclaré-
je. Je parie qu’il a eu envie de sortir avec quelqu’un qui sait dans quel trou
prendre sa queue ; quelqu’un qui n’a pas le corps d’un garçon de douze ans.
Elle ouvre la bouche, sidérée.
— Fais-moi signe si tu veux que je te prenne un exemplaire du Sexe pour
les nuls la prochaine fois que je vais au supermarché. Je te surlignerai
même les parties anatomiques importantes, si tu veux.
— Va te faire foutre, Hayden, crache-t-elle en claquant la porte.
Je baisse la vitre avec le besoin soudain d’avoir le dernier mot.
— De rien pour le trajet, Penelope.
— Non, merci, rétorque-t-elle en me fusillant du regard. Je ne te
demanderai plus jamais de venir me chercher.
— Ça me va parfaitement. Je ne décrocherai plus jamais mon téléphone
aussi tard pour te répondre.
— En attendant, tu devrais nettoyer ta voiture. Elle sent la chatte frustrée.
— Qu’est-ce que tu en sais ? Tu ne sais même pas où est la tienne.
Je remonte légèrement la vitre, prêt à sortir de l’allée et à la laisser
plantée là, furieuse, mais je vois ses lèvres bouger.
— J’espère que ton application de rencontres va foirer et que tu vas
perdre chaque centime que tu y as investi, déclare-t-elle en me regardant
droit dans les yeux. Je ne sais même pas pourquoi toi, parmi toutes les
personnes qui existent, tu essayes de créer une chose pareille alors que ta
conception d’une relation se résume à coucher avec toutes les femmes que
tu croises. Mais je suppose que cela explique pourquoi tu n’as pas avancé
d’un pouce en deux ans. Peut-être que tu n’aurais pas dû abandonner la fac,
finalement. Tout le monde ne peut pas devenir Mark Zuckerberg, et surtout
pas toi.
Pendant plusieurs secondes, nous nous fusillons mutuellement du regard.
Je décide de ne pas poursuivre cette conversation et fais marche arrière
dans l’allée. Je suis déterminé à appeler Travis dès demain matin pour lui
annoncer que notre petit arrangement est terminé.
Ce « coup de main » dépasse largement mes obligations en tant que
meilleur ami et je refuse de supporter ça plus longtemps.
Penelope va devoir se débrouiller sans moi.

***
Une heure plus tard, je déambule dans l’allée de friandises d’une
supérette avec assez de boisson énergisante Monster et de Skittles pour tenir
tout le week-end, que j’ai prévu de passer à travailler sur mon application
de rencontres.
Contrairement à ce que pense Penelope, j’ai avancé sur mon projet ces
deux dernières années ; c’est seulement que je progresse lentement.
Des investisseurs ont manifesté leur intérêt, mais ils m’ont tous fait la
même critique : « ça manque d’âme », « revenez quand vous aurez le petit
truc en plus », ou bien « quelque chose me gêne, mais je ne saurais dire
quoi… ».
Je prends une boîte de donuts, puis me dirige vers la caisse. Au moment
où je sors mon portefeuille, un nouveau message fait vibrer mon téléphone.
La frangine casse-pieds de Travis : Juste pour ton information, je ne
regrette pas un mot de ce que je t’ai dit tout à l’heure.
Moi : Je ne regrette rien non plus.
La frangine casse-pieds de Travis : Bien… est-ce que je peux t’appeler,
une minute ?
Moi : Pour quoi faire ?
La frangine casse-pieds de Travis : Le conseil sur les mecs que tu
voulais me donner tout à l’heure. Je veux l’entendre.
Moi : Je n’ai plus envie de te le donner. Tu n’as qu’à appeler Travis et lui
demander ce qu’il en pense. Je suis sûr qu’il sera ravi d’apprendre que tu
avais un petit ami.
La frangine casse-pieds de Travis : *emoji doigt d’honneur* *emoji qui
vomit* *GIF va te faire voir*
La frangine casse-pieds de Travis : Désolée d’avoir ne serait-ce
qu’essayé de faire un effort avec toi. Je vais attendre que l’une de mes
amies se réveille.
Moi : Si tu as des « amies », pourquoi tu ne leur as pas demandé de venir
te chercher, ce soir ?

Elle ne répond pas à mon dernier message et, même si je suis plus que
prêt à couper tout contact avec elle pour toujours, je ne peux pas
m’empêcher de me demander pourquoi elle n’a pas appelé quelqu’un
d’autre. Pourquoi, au cours de ces derniers mois, elle ne m’a jamais
demandé de la déposer chez une amie, au cinéma, ou à un endroit qui n’ait
pas de rapport avec le patinage artistique.
Entre ses journées d’entraînement de douze heures et ses cours
particuliers, elle ne se rend à l’école que deux ou trois fois par semaine pour
participer aux évaluations et rendre les devoirs.
Quelque chose m’échappe.
De retour à ma voiture, j’ouvre la boîte à gants et fouille dans les papiers
à la recherche de la liste de Travis intitulée « Choses à faire pour aider
Penelope (Crown) pendant mon absence ».
Au dos, à côté du numéro treize, est écrite une consigne à laquelle je
n’avais jusque-là pas prêté attention. À présent, elle me saute aux yeux plus
que jamais :
13) L’aider à se faire des amis. Avant l’accident, notre mère faisait office
de meilleure amie, de coach et d’à peu près tout pour elle, alors… Je sais
que ce ne sera pas facile, mais pourrais-tu lui présenter les membres
féminins de ton équipe de travail, à l’occasion ?

Elle n’a pas un seul ami.


Un peu malgré moi, je lui envoie un autre message.

Moi : Je t’accorde deux minutes. Appelle-moi quand tu veux.

Mon téléphone vibre immédiatement.


— Mon conseil est simple comme bonjour, déclaré-je en allant droit au
but. N’importe quel type qui tient vraiment à toi – et plus particulièrement
un étudiant – ne se contenterait pas de t’inviter dans sa chambre pour la
Saint-Valentin ou pour une autre occasion particulière. Il se donnerait plus
de mal que ça.
— Tu veux dire qu’il demanderait à venir chez moi ?
— Non, il…
Je marque une pause, le temps de choisir mes mots avec soin.
— Tu es vierge, n’est-ce pas ? demandé-je.
— Eh bien, techniquement, oui. Certains de mes ex m’ont déjà fait un
cunnilingus et j’ai aussi…
— Je ne veux pas savoir ce qu’il y a à la fin de cette phrase, la coupé-je.
Jamais. Tu es vierge, restons-en là. D’accord ?
— D’accord.
— Enfin, bref. Si ce mec voulait vraiment être avec toi, il aurait fait en
sorte que ta première fois soit bien plus spéciale. Est-ce qu’il t’a offert un
bon dîner, avant ?
— Il m’a invitée à Burger King.
— Dans ce cas, est-ce qu’il avait réservé un petit déjeuner dans un endroit
sympa pour le lendemain ?
— Il avait dit qu’il m’emmènerait chez Starbucks, répond-elle
doucement. Mais il avait acheté du champagne et des fraises pour la soirée.
— Il les a probablement trouvés dans une fraternité, à une vente «
spéciale Saint-Valentin », expliqué-je. Ils vendent ça pour trois fois rien,
étant donné que l’un des fondateurs possède une distillerie en ville. Du
moins, c’était comme ça à l’époque où j’étudiais là-bas.
— Oh.
— Oui, oh, répété-je en démarrant ma voiture. Ne te contente pas de
croire sur parole le prochain garçon avec qui tu sors, d’accord ? Il se passe
beaucoup de choses dans ta vie et tu ne peux faire confiance à aucun de ces
mecs.
— Tu veux dire, des mecs comme toi ?
— Oui, exactement, acquiescé-je. Des mecs comme moi. Crois-en
quelqu’un qui est devenu maître en la matière et qui n’a aucunement
l’intention d’arrêter de jouer.
— Waouh, lance-t-elle en laissant échapper un petit rire. Merci beaucoup,
Hayden.
— À ton service. Au revoir.
Je raccroche et m’apprête à éteindre mon téléphone, mais elle me
rappelle.
— Écoute, commencé-je en décrochant. C’est le seul conseil que j’ai à te
donner.
— J’appelle parce que j’en ai un pour toi. Il te faut un meilleur nom et
une autre page d’accueil pour ton application de rencontres. C’est
principalement ce qui pose problème.
— Quoi ?
— Ton application de rencontres, répète-t-elle en parlant un peu plus fort.
Il te faut un autre nom et une page d’accueil plus propre. Enfin, c’est ce que
ma kiné qui l’utilise m’a dit.
Silence.
— Est-ce que tu es encore là ? demande-t-elle.
— Oui, confirmé-je en m’éclaircissant la voix. Tu trouves que « Brûlure
d’amour » ne fonctionne pas ?
— Non, sauf si tu fais de la pub pour les infections urinaires.
J’entends comme un sourire dans sa voix.
— Mais tu t’y connais en la matière, pas vrai ? ajoute-t-elle.
— Après ce soir, je bloque ton numéro.
— En parlant de choses qui ne fonctionnent pas, poursuit-elle. La
rubrique « Note tes coups de cœur » est nulle. Oh, et aussi celle qui
s’appelle « Carnet noir » où les utilisateurs peuvent lister leurs conquêtes.
C’est une option répugnante, et j’ai un haut-le-cœur chaque fois que je la
vois.
— Ta kiné a l’air de sacrément bien connaître mon application.
— Elle est convaincue que tu vas rater ta vie.
— Je vois, déclaré-je en souriant. Je ne vais pas tarder à revenir vers chez
toi. Cela ne te dérange pas que je passe pour avoir d’autres remarques de ta
kiné ?
— En fait, si, ça me dérange. Mais si tu veux que je t’aide encore,
apporte-moi un café et un bagel en échange de mes conseils. Sache aussi
que je te détesterai toujours jusqu’à la moelle et que cela ne se reproduira
pas.
— Crois-moi, je n’en doute pas une seconde, soufflé-je avec dédain.
C’est la dernière fois que je passe autant de mon temps libre à discuter avec
toi.
— C’est un « oui » ou c’est un « non » pour le bagel ?
— C’est un « je vais y réfléchir ».
Je raccroche et hésite un moment avant de lui envoyer un message.

Moi : Tu préfères cannelle, ail ou cream cheese ?


La frangine casse-pieds de Travis : Cream cheese et cannelle.
La frangine casse-pieds de Travis : Et, euh… puisque c’est la dernière
fois qu’on est sympa l’un envers l’autre *emoji qui réfléchit*… quand
j’aurai fini de t’aider, est-ce que je pourrai avoir ton avis sur un autre truc
concernant ma rupture ?

Je ne réponds pas à ce message.


La dernière chose dont j’ai besoin dans ma vie, c’est que Penelope soit
plus présente. À la seconde où elle m’aura donné son avis sur l’application,
j’insisterai pour qu’on retourne au point mort.
Et ensuite, j’appelle Travis pour mettre un terme à cet arrangement.
Alors que je cherche la boutique de bagels la plus proche, je reçois un
autre message.

La frangine casse-pieds de Travis : Le mec avec qui j’étais ce soir vient


de m’envoyer un texto. Il dit qu’il est désolé et qu’il veut venir chez moi
pour arranger les choses. Évidemment, c’est hors de question, mais est-ce
que je peux quand même être amie avec lui ? Par exemple, peut-être qu’il
pourrait seulement venir à mes compétitions ?

Je me gare sur le bas-côté et appelle Penelope.


— Oui ? répond-elle.
— Bon sang, tu ne dois plus jamais avoir affaire à lui, déclaré-je. Mais
lis-moi exactement le message qu’il t’a envoyé.
— Maintenant ?
— Maintenant.

***
Je ne le savais pas encore à l’époque, et je n’aurais jamais accepté de le
croire, mais c’était la première fois que je lui donnais des conseils
relationnels en temps réel. La première nuit de notre amitié.
Même si je voulais tout faire pour éviter cela, ma relation avec Penelope a
fini par devenir la plus belle amitié que j’aie jamais connue…
Ah.
Pitié.
Je lui indique quoi faire, récupère ses notes au sujet de mon application
en arrivant chez elle, puis reprends sans peine notre routine habituelle.
Les trajets avant de la déposer à l’entraînement se font toujours dans le
silence. Les messages que je lui envoie restent « lus » et pourtant sans
réponse.
Les rares occasions où je dis quelque chose, cela s’arrête à « félicitations
pour ton énième victoire », tandis qu’elle continue de se hisser vers le
sommet et de faire exploser les notes de tous les juges.
La seule chose qui a changé, c’est qu’il n’y a plus de tension désagréable
entre nous. Enfin, ça et le fait que je me nomme maintenant « Juste Hayden
» dans son téléphone.
Rupture no 3
Celui qui voulait un plan à trois
(La rupture no 2 était « celui qui voulait que je l’appelle papa », mais je
préfère faire comme si ce n’était jamais arrivé…)

Penelope

À l’époque…

L’un des plus gros problèmes quand on n’a pas d’amies, c’est qu’on ne
peut compter que sur les influenceurs de YouTube et d’Instagram quand on
a besoin de conseils sur les mecs et la vie en général.
Ma mère m’a enseigné le b.a.-ba du maquillage (héritage de sa brillante
carrière sur la glace) et m’a beaucoup appris sur le fait de persévérer et
d’être la meilleure, mais en ce qui concerne les relations amoureuses ?
Le seul conseil qu’elle a pu me prodiguer est le suivant : « Ne sors pas
avec quelqu’un comme ton frère… ni avec ce garçon, Hayden Hunter. »
C’est tout.
Et c’est pour cette raison que je suis plutôt reconnaissante que Kayla
Lilith, troisième patineuse au classement national et « copine
d’entraînement », se soit mise à passer du temps avec moi.
Après les cours de danse classique, entre les sessions d’étirements et
pendant les temps de pause lors de nos joggings matinaux, elle m’a
lentement fait entrer dans sa vie.
C’est aussi à cause d’elle que je risque (une fois de plus) ma place de
numéro un et me tiens devant l’appartement de mon petit ami Brody un
samedi soir.
J’ai expliqué à mon amie que je n’étais pas trop du genre à faire la fête,
même si c’est Brody qui l’organise, mais elle a insisté pour que je m’y
rende et que je demande à ce dernier des explications sur son « manque de
communication ». Puis, elle m’a suggéré de coucher enfin avec lui.
« Tu m’as dit que vous vous disputiez beaucoup plus que d’habitude
dernièrement, pas vrai ? Va à sa fête et parle-lui de ce qui te rendrait
heureuse… Je serai là pour te soutenir, si tu as besoin de moi. »
Je lisse ma robe de mes mains, puis ouvre la porte.
L’appartement est plein à craquer d’étudiants armés de grands gobelets
rouges et l’atmosphère est chargée d’une odeur d’alcool, de sueur et de
marijuana.
J’aperçois Brody qui discute avec ses amis sur le balcon, mais une horde
de filles me bloque le passage.
Elles sont toutes occupées à se pâmer devant un type qui porte un blouson
en cuir noir. Un type dont le profil laisse apparaître une mâchoire
parfaitement ciselée et un sourire d’un blanc étincelant, et… Hayden ?
Merde.
Tout à coup, son regard bleu croise le mien et il penche légèrement la tête
sur le côté.
Il m’a déposée à la patinoire quelques heures plus tôt et je suis certaine
qu’il s’attend à devoir me récupérer vers minuit.
Je tourne la tête et fonce tout droit vers la table où est servi le punch.
Je prends un gobelet rouge et le remplis à ras bord. Je le bois d’un seul
trait, comme si cela allait me faire disparaître.
Puis, je le remplis de nouveau.
— Alors, tu as décidé de venir, finalement ? murmure Brody en déposant
un baiser sur ma nuque et en me saisissant brièvement par les hanches. Je
suis content que tu sois là.
— Moi aussi.
Je me retourne et il m’embrasse langoureusement.
Il me prend par la main et m’entraîne à l’écart de la foule jusque dans le
couloir.
— Est-ce que tu as l’intention de passer la nuit avec moi ? demande-t-il
en posant ses lèvres au creux de mon cou dénudé.
— Oui.
— Bien, parce que je crois que j’ai compris pourquoi on a des problèmes
de communication. Et je sais aussi pourquoi tu me repousses toujours quand
je tente de passer à la vitesse supérieure.
Je hausse les sourcils, perplexe.
— Tu as du mal à me faire confiance, pas vrai ? poursuit-il.
— Non, c’est parce que tu oublies toujours d’apporter des préservatifs,
comme par hasard.
— On devrait prendre le temps d’en discuter.
— Ou bien tu pourrais simplement penser à en acheter. Encore mieux, tu
pourrais me demander d’en apporter, suggéré-je avant de tirer sur la lanière
de mon sac à main. C’est ce que j’ai fait, cette fois.
Il se met à rire et se penche sur moi, puis murmure à mon oreille :
— Je crois que ce serait mieux pour toi si on faisait un plan à trois pour ta
première fois. Je pense que ça te détendrait que deux personnes soient à
l’écoute de ton plaisir.
PARDON ? J’entends littéralement mon vagin menacer de s’immoler par
le feu si j’ose seulement réfléchir à cette proposition.
— Tu veux que je couche avec toi et avec un autre mec ?
J’ai envie de croire que c’est une blague.
— Tu veux que je fasse ça pour ma première fois ? insisté-je.
— Non, susurre-t-il en faisant glisser ses doigts dans mes cheveux. Avec
une autre fille. Quelqu’un en qui tu as confiance.
— Qui ?
— Kayla. Tu m’as dit que vous vous étiez rapprochées, alors…
— Alors quoi ?
— Alors, je crois qu’un plan à trois serait bénéfique pour nous tous.
Il dépose de nouveau un baiser dans mon cou et je suis parcourue d’un
frisson de dégoût.
Le point positif, c’est que nous ne sommes pas ensemble depuis
longtemps. Mais je déteste l’idée de devoir trouver quelqu’un d’autre et tout
recommencer.
Je ne pourrai plus jamais le regarder de la même façon après ce qu’il a
dit.
— Qu’est-ce que tu en dis, Penelope ? murmure-t-il. Je crois que c’est ce
qu’il y a de mieux, si tu veux poursuivre notre relation. Qu’en penses-tu ?
— J’en pense que c’est foutrement terminé entre nous.
Je le repousse – violemment – et me replie vers la salle de bain.
Je claque la porte derrière moi et pousse un cri de frustration, tout en me
jurant d’appeler Kayla et de lui dire qu’elle s’est complètement plantée en
insistant pour que j’aille à cette fête.
Je n’ai pas envie d’attendre qu’elle arrive, j’ai juste envie de rentrer à la
maison.
Alors que je m’asperge le visage d’eau, on frappe doucement à la porte.
Quelqu’un l’ouvre avant que j’aie le temps de la fermer à clé.
— Aux dernières nouvelles, tu n’as pas encore vingt et un ans, déclare
Hayden en entrant. Je ne crois pas que tu sois censée boire à une fête
étudiante.
— Merci de me le rappeler, papa. Aux dernières nouvelles, tu n’es plus à
la fac, alors toi non plus, tu n’as rien à faire ici.
Il semble sur le point de renchérir sarcastiquement, mais son expression
s’adoucit.
— Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que tu vas pleurer ?
— Parce que j’ai séché l’entraînement pour venir à cette fête horrible.
— C’est ce que je vois, répond-il en souriant. Je suis certain que tes
concurrents seraient furieux d’apprendre que tu as assez de temps libre pour
sortir avec des garçons.
Je ne sais pas trop s’il s’agit d’un compliment ou d’une insulte, alors je ne
réponds pas.
Je porte le gobelet rouge à mes lèvres, mais Hayden me le prend des
mains et me tend une bouteille d’eau à la place.
— Plus sérieusement, reprend-il d’un air sincère. Qu’est-ce qui ne va pas,
Penelope ?
— Je n’ai pas envie d’en parler avec toi.
— Si tu ne le fais pas, j’appelle ton frère et tu pourras en discuter avec lui
directement.
Je suis tentée de lui dire qu’il bluffe, mais il sort son téléphone.
Argh, le traître.
— J’avais prévu de passer la nuit ici quand tout le monde serait parti
pour…
— Perdre ta virginité ?
— Passer le reste de la soirée avec mon nouveau petit ami.
— Tu n’as pas perdu de temps pour tourner la page.
— Tu peux parler, rétorqué-je en descendant la bouteille d’eau d’un trait.
Enfin bref, on se dispute beaucoup plus que d’habitude ces derniers temps,
alors je suis venue ici pour arranger les choses. Mais ensuite, il a déclaré
qu’il ne poursuivrait notre relation que si j’acceptais de faire un plan à trois
avec lui et l’une de mes coéquipières.
— Attends, quoi ?
— Tu as bien entendu, répliqué-je en évitant son regard avant de soupirer.
Travis ne m’a pas envoyé d’argent dernièrement, alors je ne peux pas te
rembourser l’essence aujourd’hui. Demain ?
— Pas si vite, proteste Hayden en inclinant mon visage vers lui du bout
des doigts. Comment est-ce qu’il peut avoir le culot de proposer un plan à
trois à ta copine d’entraînement ?
— Parce que tous les mecs qui voient Kayla Lilith patiner pendant
cinq secondes sont instantanément excités. Il pense probablement que nous
sommes proches au point d’accepter de le partager.
— Penelope, Penelope, Penelope, soupire-t-il en secouant la tête. Tu ne
vois vraiment pas ce qui se passe ?
— Si. Tu essayes encore de me miner le moral à propos d’une rupture.
— Ce n’est pas ce que j’ai fait pour la première. Je t’ai juste donné mon
avis honnête.
— Tu as dit que j’avais le corps d’une fille de douze ans.
— D’un garçon de douze ans, rectifie-t-il en ayant le culot de sourire.
Mais ça, ce n’est pas une opinion, c’est un fait.
— Je vais rentrer à pied.
Je tente de le contourner, mais il me barre le passage.
— Tout d’abord, ton ex-petit ami est trop vieux pour toi, une fois de plus.
Si le prochain mec que tu te trouves peut aller boire une bière avec moi en
présentant sa véritable carte d’identité, alors il est trop vieux pour toi. C’est
clair ?
Je croise les bras sur ma poitrine.
— Ensuite, ta copine – qui ne t’adressait que rarement la parole jusqu’à il
y a peu de temps – lui a probablement fait des avances à un moment donné.
Ou vice versa. Ce sont tous les deux des enfoirés, mais cette histoire de plan
à trois ne concerne qu’eux. Cela n’a rien à voir avec toi.
Je me remémore les dernières conversations que j’ai eues avec Kayla et
me souviens qu’elle passait plus de temps à dire que Brody était « mignon
et sexy » qu’autre chose.
— Alors je sortais encore avec un mec infidèle ? demandé-je.
— Un mec infidèle avec une tendance à te poignarder dans le dos,
répond-il. C’est légèrement différent.
Je commence à bouillir intérieurement.
— Qu’est-ce que tu ferais à ma place ?
— Je dirais à Hayden qu’il est l’homme le plus intelligent que j’aie
jamais rencontré. Ensuite, je lui promettrais d’être beaucoup plus gentille
avec lui et d’apprendre à exprimer ma gratitude envers lui.
Je lui adresse un regard blasé et il rit.
— Je quitterais cette maison, appellerais les flics en sortant et leur dirais
que j’ai vu un mineur boire de l’alcool pendant la fête, explique-t-il.
— Tu veux que je gâche la soirée de tout le monde ?
— Tu m’as demandé ce que je ferais si j’avais dix-sept ans, répond-il en
haussant les épaules. J’utiliserais l’immaturité qu’il me reste tant que j’en ai
encore, surtout s’il était question de mes sentiments.
— Et concernant Kayla ? Est-ce que je la laisse s’en tirer comme ça ?
— Ça dépend.
Il me rend mon gobelet rouge.
— Je t’attends de l’autre côté de la rue. Tu as trois minutes, puis je
t’emmène à la patinoire pour que tu rattrapes le temps perdu, ajoute-t-il.
— Parce que cela t’importe réellement ?
— Parce que j’ai fait une promesse à ton frère.
Il s’éloigne et je laisse échapper un soupir.
Je me regarde une dernière fois dans le miroir et sors de la salle de bain,
puis me fraye un chemin entre les corps gesticulants sur la piste de danse
improvisée.
Sans le moindre scrupule, Brody a plaqué Kayla contre un mur et la fait
glousser entre deux baisers.
Je me dirige droit sur eux et tapote l’épaule de mon ex.
— Oui ? fait-il en se retournant. Est-ce que tu as déjà changé d’avis ?
— Non, va te faire foutre, sifflé-je. Je voulais juste m’assurer que tu as
conscience d’être un parfait connard.
Il sourit, l’air complètement indifférent.
— Merci de m’avoir rappelé qu’il faut que j’arrête de sortir avec des
lycéennes. Tu n’es pas assez mature pour faire face à la complexité de la
vie.
C’est décidé. J’appelle les flics.
— Pauvre petite princesse de la glace, s’apitoie faussement Kayla en
confirmant que notre amitié ne signifiait rien pour elle. J’imagine que tu ne
peux pas gagner à tous les coups. Qu’est-ce que ça fait de perdre, pour une
fois ?
Je lui jette mon verre au visage.
— C’est plutôt génial.
Je me retourne sans ajouter un mot et me fraye un chemin au milieu des
invités. Je compose le numéro de la police et signale la fête tout en
rejoignant la voiture d’Hayden.
Au moment où je me glisse à l’intérieur, il démarre le moteur.
Nous roulons en silence pendant plusieurs minutes et je fixe du regard les
mots « futur milliardaire » placardés sur son tableau de bord.
— Ce petit incident ne fait pas de nous des amis pour autant, précise-t-il
alors que nous arrivons à un feu rouge. Je veux que tu le saches.
— Toi et moi, on ne sera jamais amis, Hayden, soupiré-je en levant les
yeux au ciel. Mais puisqu’on en est à enfoncer des portes ouvertes, je
déteste le nouveau nom de ton application de rencontres encore plus que le
premier.
— Quelque chose me dit que tu le détesteras même quand je serai
milliardaire.
Absolument.
— Je me suis entraînée trois heures supplémentaires tous les jours de la
semaine, juste au cas où je sortirais ce soir, lui signalé-je en changeant de
sujet. J’aimerais mieux rentrer à la maison pour réfléchir.
— C’est la pire chose à faire, affirme-t-il. Ruminer ne te mènera nulle
part. Tu devrais revoir ton programme court, au moins deux ou trois fois.
Je déteste le fait qu’il ait raison, mais je ne proteste pas.
— Tu ne crois vraiment pas que je vais devenir milliardaire, pas vrai ?
demande-t-il en se tournant vers moi.
— Non. Je sais que ça n’arrivera pas.
— On parie ? Parce que je suis prêt à parier que tu ne te feras jamais un
seul ami de toute ta vie.
— Marché conclu. J’ai vraiment hâte de te voir te planter.
— J’ai vraiment hâte de te voir pleurer de solitude éternelle quand j’aurai
gagné…

Des années plus tard…

Au fait, elle a perdu ce foutu pari…


Tout comme moi.
Chapitre 1

Hayden

De nos jours…

« Le milliardaire Hayden Hunter est officiellement hors-jeu ! (Toujours


sexy en diable, mais hors-jeu) »
« Devons-nous cesser d’utiliser l’application Cinder et passer une bonne
fois pour toutes sur Tinder ? »
« Comment l’empire d’un play-boy milliardaire s’effondre du jour au
lendemain : a-t-il l’intention de présenter ses excuses pour avoir menti ? »
« Beau, menteur, séduisant : la chute d’Hayden Hunter (et de Cinder) »

Assis dans un café sans prétention, je me retins de rire en lisant les


derniers gros titres.
Ces gens se comportaient toujours comme si j’avais, d’une façon ou
d’une autre, oublié de lire le manuel « Comment faire quand vous devenez
milliardaire du jour au lendemain ».
Il n’existait pas de consignes que j’aurais pu suivre, pas de mode
d’emploi, et j’avais passé ces dernières années à édicter mes propres règles.
Avais-je parfois été foutrement imprudent ? Oui (enfin, surtout par le
passé).
Avais-je dépensé sans compter mon argent durement gagné ? Bien sûr.
Méritais-je de me faire traîner dans la boue comme c’était le cas en ce
moment ? Absolument pas.
Pourtant, après être devenu l’un des plus jeunes milliardaires et avoir
lancé Cinder (l’application de rencontres numéro un du pays), le karma
avait finalement décidé de se retourner contre moi.
Sans crier gare, il avait fait le ménage dans ma vie et répertorié toutes
mes erreurs du passé pour les dévoiler au monde entier.
Et, pour une raison étrange, il avait décidé de tout déballer le même foutu
jour.
Hier.
Des e-mails, des messages privés, des itinéraires de vols ; tout avait été
divulgué…
Toutes ces fois où j’avais souri à la télévision en me disant « honoré » de
posséder l’application numéro un du pays, alors que je bouillonnais de rage
de voir Tinder me talonner d’un peu plus près chaque jour ?
Des milliers d’e-mails avec, en objet, des phrases du genre « Comment
pourrais-je détruire leur entreprise d’ici la fin de l’année ? », « Ne laissez
plus ces journalistes me poser des questions sur Tinder » et « Je ne suis pas
honoré le moins du monde… j’ai travaillé pour tout ça » avaient fuité, et la
vérité avait éclaté au grand jour.
Les nombreuses fois où j’avais menti et prétendu être à un rendez-vous
d’affaires, alors que j’étais en réalité en train de faire la fête à Las Vegas ?
Un reçu d’hôtel mesurant littéralement soixante centimètres ainsi que tout
un tas de photos cochonnes qui avaient refait surface attestaient des
dégâts – en toute honnêteté, j’avais toujours fui les réunions
professionnelles comme la peste ; seulement, je n’en avais jamais fait part à
la presse.
Et toutes les fois où, des années auparavant, j’avais prétendu être un «
homme casanier et obsédé par le travail », alors que je menais une vie plus
dissolue que jamais ?
Là encore, les enregistrements de caméras de surveillance d’hôtel
n’étaient que trop nombreux.
Les « reçus » avaient commencé à se répandre au compte-gouttes sur
Twitter la veille, dans la matinée, avant de se transformer en véritable
inondation et de m’entraîner dans une crise médiatique sans précédent.
— Arrête de lire ces torchons et essaye d’avoir l’air d’un PDG
compétent ! m’ordonna Lawrence, mon conseiller, l’homme qui était pour
moi ce qui se rapprochait le plus d’un véritable père, en claquant des doigts.
Et calme le jeu sur ton numéro à la James Dean avant que la journaliste de
Vogue arrive.
— Quel numéro à la James Dean ?
— Tu sais, le truc du sourire en coin sexy, des yeux bleus dégoulinants et
du « et si on s’envoyait en l’air une fois que vous m’aurez posé toutes ces
questions ? ». Pour une fois dans ta vie, comporte-toi en professionnel, bon
sang !
— Pour ton information, je n’ai couché avec personne depuis six mois.
— Oh, d’accord, répondit-il d’un air peu convaincu. Eh bien, pour ton
information, tu es le meilleur client pour qui j’ai jamais travaillé.
— Je te dis la vérité, Lawrence.
— Moi aussi, Hayden, déclara-t-il en levant les yeux au ciel. Moi aussi.
Je ris en portant ma tasse à mes lèvres.
Quelques secondes plus tard, la porte du café s’ouvrit et une femme
rousse vêtue d’une robe noire qui ne laissait que peu de place à
l’imagination – et qui n’était absolument pas convenable pour une
interview – entra.
Je me levai et tirai sa chaise.
— Bonjour, mademoiselle Gregory.
— Bonjour, monsieur Hunter, me salua-t-elle en me tendant la main.
C’est un véritable honneur de faire votre rencontre.
— De même.
Lawrence se leva pour aller s’installer à une autre table, tandis que la
journaliste et moi prenions place.
— Avant de commencer, j’aimerais vous remettre ceci de la part de mon
équipe, déclara-t-elle en me tendant une petite boîte blanche. Vous pourrez
l’ouvrir quand nous aurons terminé.
— Ce sera fait.
J’attendis qu’elle sorte un dictaphone et de quoi prendre des notes, mais
elle se contenta de me fixer du regard.
Pendant toute une minute.
— Quelque chose ne va pas, mademoiselle Gregory ? m’enquis-je.
— Non, répondit-elle en rougissant avant de s’éclaircir la voix. Enfin, si.
Je ne crois pas qu’une interview légère et futile suffira à ramener l’opinion
publique de votre côté au vu de votre dernier scandale. Je pense qu’il vous
faudra bien plus que cela car, maintenant, tout le monde vous prend pour un
menteur.
— C’est à moi et à son équipe de communication d’en décider, souffla
Lawrence avec dédain. Vous n’êtes pas une employée de Cinder, alors
passons à l’entretien, je vous prie.
— Entendu.
Elle sortit un petit carnet à spirales. Puis elle décroisa les jambes, et les
croisa de nouveau.
— Qu’est-ce que cela vous fait d’être milliardaire ? demanda-t-elle.
— Je ne sais pas trop comment répondre à cette question. Mais le fait de
ne pas avoir eu à m’inquiéter de problèmes d’argent ces dernières années
est très appréciable.
— Votre père est-il fier de vous ?
— Je l’ignore, répondis-je en sirotant une gorgée de café. Je ne lui ai pas
parlé depuis qu’il m’a abandonné quand j’étais adolescent.
— La famille n’est pas sur la liste des sujets autorisés, mademoiselle
Gregory, intervint à nouveau Lawrence. Question suivante. Maintenant.
— Oh, c’est vrai. Euh…
Elle baissa les yeux sur sa feuille.
— Vous êtes souvent photographié en ville en compagnie d’une jolie
brune. Vous la retrouvez à Central Park, dans des cafés, et dernièrement, on
vous a aperçu en train de vous promener sur le pont de Manhattan.
— Il s’agit de ma meilleure amie, Penelope, expliquai-je. Tous les
journalistes le savent.
— Alors, votre relation n’a rien de romantique ?
— Non, nous sommes seulement amis.
— S’est-il déjà passé quelque chose entre vous ? insista-t-elle en se
tapotant le menton.
Lawrence me lança un regard qui disait « Mais où est-ce qu’elle veut en
venir, bon sang ? » et je haussai les épaules.
De temps à autre, des journalistes inexpérimentés me posaient ce genre de
questions, mais une fois qu’ils avaient fait le rapprochement entre nous et
Travis Carter, aussi appelé « le Punisseur », ils laissaient tomber. Un gars
qui passe du temps avec la petite sœur de son meilleur ami était sans intérêt
pour eux.
— Ma relation avec Penelope est purement platonique. Elle l’a toujours
été et elle le sera toujours.
— Je suis certaine que toutes mes lectrices seront ravies de l’apprendre,
déclara la journaliste en battant des cils alors que Lawrence lui jetait un
regard noir de l’autre côté de la pièce. En parlant d’amour…
— Vous êtes ici pour rédiger un court article intitulé « Les meilleures
leçons de vie selon Hayden Hunter », l’interrompit mon conseiller en
croisant les bras sur son torse. C’est littéralement la raison pour laquelle
nous avons privatisé ce café, étant donné que votre éditeur exigeait que le
shooting photo ait lieu dans un endroit « simple et ancré dans la réalité ».
Les photographes ont fait ce qu’ils avaient à faire et sont partis, alors
dépêchez-vous et allez droit au but.
— Oui, bien sûr, acquiesça-t-elle en rougissant. Quelle est votre couleur
préférée, monsieur Hunter ?
— Oh, waouh, intervint Lawrence en levant les yeux au ciel. En voilà une
question qui fait réfléchir.
— Ne faites pas attention à lui, déclarai-je en souriant à la jeune femme.
Il ne tire pas souvent son coup. J’aime le bleu ciel.
— D’accord.
Elle griffonna quelques notes dans son carnet.
— J’ai aussi entendu dire que vous étiez très friand de sucre. Aimez-vous
l’ananas ?
— Oui.
— Il paraît que, quand une femme en mange, cela donne meilleur goût à
son entrejambe. Étant donné que vous avez déclaré aimer l’ananas à
plusieurs occasions, diriez-vous que c’est exact ? Avez-vous déjà vérifié par
vous-même ?
Je souris, et Lawrence sembla être à deux doigts d’exploser.
— Question suivante.
— Bon, d’accord, soupira-t-elle en haussant les épaules. Quand vous avez
monté votre entreprise au tout début, ici, à New York… J’ai vingt-quatre
ans, pas d’enfant, énormément d’ambition et je peux vous sucer comme
personne.
Les mots se déversèrent de sa bouche. Elle tentait le tout pour le tout.
— Donnez-moi trois heures et je vous ferai oublier complètement votre
récent scandale, poursuivit-elle.
C’est quoi ce bordel ?
— Conduisez-moi jusqu’à votre penthouse, ajouta-t-elle en se penchant
vers moi. Vous ne le regretterez pas.
— Sécurité ! s’écria Lawrence, le téléphone à l’oreille. Faites entrer la
sécurité, immédiatement. On a une véritable psychopathe sur les bras.
— Je voulais faire cette interview pour voir s’il y avait une connexion
entre nous, déclara-t-elle en saisissant ma main posée sur la table. Je l’ai
senti dès l’instant où je suis entrée et que vous avez tiré ma chaise. À la
façon dont vous m’avez regardée, je vois bien que je compte pour vous.
Vous me complétez.
Je haussai les sourcils et me demandai si un présentateur de caméra
cachée allait apparaître d’une seconde à l’autre.
— Je tiens le blog intitulé « Les costumes sexy d’Hayden Hunter » et je
vous suis depuis des années. Je crois que nous sommes faits l’un pour
l’autre.
Je n’avais aucune idée de comment répondre à cela.
Mes gardes du corps, Henry et Taylor, firent barrage devant la journaliste.
— Allez, mademoiselle.
Ils l’aidèrent à se relever, mais elle les repoussa.
— Je n’ai pas fini de lui parler ! protesta-t-elle.
Elle tenta de les contourner, mais Henry passa ses bras sous ceux de la
jeune femme et l’entraîna vers l’extérieur.
— J’ai écrit mon numéro de téléphone au rouge à lèvres sous le paquet
cadeau ! s’écria-t-elle alors qu’ils atteignaient la sortie. J’attendrai votre
appel !
Une fois la porte fermée, je secouai la tête.
— Bon, tout ça ne va pas beaucoup m’aider.
— Je demanderai à Sarah de faire plus attention quand elle sélectionne les
journalistes, déclara mon conseiller. Je ne sais pas comment celle-là a réussi
à passer entre les mailles du filet.
— Ce n’est pas grave, le rassurai-je en me levant. Je serai prêt pour
l’interview de Vanity Fair et du New Yorker.
— Où crois-tu aller, comme ça ?
— Je sors. J’ai quelque chose de prévu avec Penelope.
— Non, pas du tout, rétorqua-t-il en croisant les bras. À moins qu’elle ne
soit mourante. C’est le cas ?
— Elle veut me présenter son nouveau petit ami. Elle nous a invités à
dîner chez elle. Il va cuisiner italien, me semble-t-il.
— Et ? demanda-t-il en me regardant comme j’avais perdu la tête. Est-ce
que son influence sur les médias peut nous servir à rattraper tes conneries ?
— Ces « repas de famille » ont une grande importance dans mon rôle de
meilleur ami, Lawrence, expliquai-je en souriant. Comme tu le sais, elle n’a
plus ses parents. Et, en général, ses relations amoureuses ne durent jamais
plus de six mois.
— Ça alors, je me demande bien pourquoi…
— Qu’est-ce que tu insinues ?
— J’insinue que ta réputation, du moins, ce qu’il en reste, est
complètement détruite et que l’on ne pourra pas compter sur ton prochain
gala de bienfaisance pour redorer ton image, cette fois. Il nous faut un plan
en béton avec une stratégie sur plusieurs semaines et tu dois être présent à
chaque étape.
— Je serai là, affirmai-je en posant une paire de lunettes de soleil sur mon
nez. Quand j’aurai fini de dîner avec Penelope et son petit ami.
— Il y en a pour combien de temps, selon toi ?
— Une heure ou deux.
— Et ensuite, tu reviens directement ici ?
— Bien sûr.
Il se pencha en arrière sur sa chaise et laissa échapper un soupir.
— Alors, ça signifie qu’on se voit demain ? demanda-t-il.
— Content que nous soyons sur la même longueur d’onde.
Chapitre 2

Penelope

De nos jours…

Personne ne prend jamais la peine de vous expliquer ce qui se passera


quand vous aurez tout donné et que ce ne sera tout de même pas assez.
J’avais lu suffisamment de livres de développement personnel pour
remplir une piscine et avais surligné chaque platitude positive qui s’y
trouvait, mais je n’avais toujours pas trouvé de solution à mon problème.
En réalité, je me levais chaque matin en espérant que les dernières années
de ma vie ne soient qu’une blague tordue et cruelle.
J’avais désespérément envie de croire que je n’avais pas chuté la tête la
première sur la glace en pleine compétition, ou bien que je n’avais pas
perdu plusieurs mois de ma vie allongée dans un lit d’hôpital, détruisant à
tout jamais mes chances de battre le record de médailles légendaire de ma
mère.
Reprends-toi Pen. Reprends-toi.
Je focalisai mon attention sur les douze cupcakes de forme irrégulière en
train de refroidir sur mon plan de travail, où on pouvait lire « Six mois, on
l’a fait ! ».
Ils semblaient tout droit sortis d’un roman d’horreur (fissurés et brûlés au
centre), mais ils devraient faire l’affaire pour l’instant.
C’était ma quatrième et dernière tentative.
Dring ! Dring ! Dring !
La sonnerie du minuteur retentit et je sortis un plateau à sauce du four.
Après l’avoir déposé sur le plan de travail, je pris mon téléphone et appelai
mon petit ami, Mack.
— Salut, beauté, répondit-il en décrochant à la première tonalité.
— Salut. Le minuteur pour ta sauce a sonné. Est-ce que tu veux que je la
verse sur les pâtes ?
— Non, laisse-la reposer un instant. Je cherche une dernière garniture,
donc je serai de retour dans une dizaine de minutes.
Il marqua une pause.
— Désolé de ne pas être mieux organisé pour rencontrer ta famille
aujourd’hui.
— Ne t’inquiète pas. Il n’y a pas le feu.
Je raccrochai et vérifiai l’heure.
Comme à son habitude, Hayden était en retard, du style « le monde
tourne autour de moi ». Mack avait donc probablement une heure de plus
devant lui avant que mon meilleur ami arrive.
De tous les hommes avec qui j’étais sortie, Mack était de loin le plus
gentil et le plus attentionné.
Il ne disait jamais des choses du genre « rien n’arrive par hasard » ou «
peut-être que cette chute qui a mis fin à ta carrière était l’œuvre du destin ».
Il me laissait pleurer et vider mon sac dès que j’y pensais, et il ne me disait
jamais qu’il était temps de tourner la page.
C’était pareil avec Hayden, bien sûr, mais cela ne comptait pas. Il était un
personnage récurrent dans le roman de ma vie ; Mack était un tout nouveau
chapitre.
J’attendis quelques minutes avant de faire défiler mes contacts jusqu’au
nom de mon meilleur ami, puis appuyai sur « Appeler ».
— Oui, Penelope ? répondit-il.
— Où es-tu, bon sang ?
— À l’angle de ta rue.
— Pourquoi es-tu systématiquement en retard ?
— Parce que je suis seulement à l’heure pour les événements importants.
Il parlait avec un sourire dans la voix.
— Je me suis arrêté pour acheter des cadeaux, reprit-il.
— Pour Mack ou pour moi ?
— Pour Mack, répondit-il en riant. Tu es trop têtue pour accepter quoi
que ce soit venant de moi. Je suis devant ta porte.
Je m’approchai et regardai d’abord dans le judas.
Comme s’il pouvait me voir en train de l’observer, il sourit de ses dents
parfaitement blanches.
Parfois, il m’arrivait encore d’oublier à quel point il était séduisant.
Même quand il s’habillait de manière décontractée avec un tee-shirt blanc et
un jean, on avait l’impression qu’il s’apprêtait à faire la couverture d’un
roman d’amour.
— Les gens disent beaucoup de mal de toi sur Twitter, déclarai-je en
ouvrant la porte. Peut-être que je devrais arrêter de te fréquenter.
— Dans ce cas, peut-être que tu pourrais arrêter de m’envoyer les
captures d’écran des pires tweets.
— Je n’ai pas le choix si je veux contrebalancer ton ego.
— Intéressant.
Il sourit et sortit une boîte blanche de sa poche, puis me la tendit.
— Voici le cadeau pour Mack.
— Ce paquet est adressé à toi, Hayden.
— Oh, c’est vrai.
Il arracha l’étiquette et la fourra dans sa poche.
— Voilà. Problème réglé, se réjouit-il.
Je levai les yeux au ciel et le fis entrer.
Comme toujours, il fonça tout droit sur le réfrigérateur, mais il
s’immobilisa en voyant mes petits gâteaux sur le plan de travail.
— Je t’en prie, dis-moi que tu ne t’attends pas à ce que quiconque mange
ces cupcakes.
— Ils auront meilleure allure quand j’aurai ajouté le glaçage sur le
dessus.
— J’en doute.
Il en retira un du moule et le retourna.
— Ils sont complètement cramés, Penelope.
— Ce ne sera plus le cas une fois que j’aurai mis le glaçage.
Je lui pris prestement le petit gâteau des mains et il rit.
— J’espère qu’après cet épisode de « Présentations officielles » tu seras
honnête avec lui et que tu lui parleras de ses performances médiocres au lit,
déclara-t-il en servant deux shooters de Scotch. Au bout de six mois de
relation, tu devrais pouvoir être sincère.
— Notre vie sexuelle n’est pas médiocre.
— Alors, tu as enfin eu un orgasme ?
— Non, répondis-je en écartant sa main de la corbeille de fruits.
— Est-ce qu’il t’a fait un cunnilingus ?
— Ce ne sont pas tes affaires.
Je sentis mes joues s’empourprer.
— Donc, ça veut dire non.
Il me tendit l’un des deux shooters, puis reprit :
— Alors, tu veux bien vivre jusqu’à la fin de tes jours sans qu’aucun des
hommes que tu as connus ne t’en ait fait un correctement ?
— Ce n’est pas si grave, répondis-je en haussant les épaules. Certains
mecs n’aiment pas ça.
— Ce n’est pas à propos de lui, Pen. C’est à propos de toi. Il faut que tu
lui dises ce dont tu as envie.
— Je le ferai.
Je vidai mon verre d’un trait.
— Mais, tu sais, tout le monde n’est pas suffisamment à l’aise pour parler
de sexe comme on parle de la météo, contrairement à une certaine personne
de mon entourage, ajoutai-je.
— C’est bien dommage, commenta-t-il alors qu’un petit sourire satisfait
se formait sur ses lèvres. Cela veut dire qu’il y a beaucoup de personnes
dans le monde qui ne prennent pas leur pied. Avec un peu de chance, tu
cesseras de faire partie de ce club avant tes trente ans.
Je me hissai sur la pointe des pieds et lui donnai une petite tape derrière la
tête.
Il s’en amusa et remplit de nouveau nos verres.
Alors que nous vidions les shooters, Mack entra.
— Salut, bébé.
— Salut, répondis-je en m’approchant pour l’embrasser. Mack, je te
présente Hayden. Hayden, voici Mack.
— Ravi de faire enfin ta connaissance, déclara mon meilleur ami en
tendant sa main. J’ai beaucoup entendu parler de toi, en bien.
— J’aimerais pouvoir en dire autant.
Mon petit ami laissa la main d’Hayden en suspens, et la pièce se mit
soudain à rétrécir autour de moi.
Qu’est-ce que…
Mon meilleur ami m’adressa un regard d’incompréhension, mais je ne sus
quoi répondre.
— Est-ce qu’on attend que ton frère arrive ? demanda Mack.
— Non, il a annulé au dernier moment. Il est trop accaparé par
l’entraînement pour son prochain combat, expliquai-je. Mais il a proposé
que l’on s’appelle en visio plus tard dans la soirée.
— Ah d’accord, très bien.
Mack se dirigea vers la cuisine.
— Eh bien, installez-vous et je vais vous faire une présentation digne
d’un véritable chef, reprit-il. Je suis encore en plein jeûne, alors j’espère
que c’est assez assaisonné.
Nous nous exécutâmes et nous assîmes à côté de la fenêtre.
Quelques minutes plus tard, Mack déposa un énorme plat de pâtes sauce
Alfredo et des petites focaccias au centre de la table. Hayden remplit mon
assiette, puis se servit à son tour.
— Penelope m’a dit que tu travaillais dans le secteur du livre ? s’enquit
mon meilleur ami en essayant de détendre l’atmosphère.
— Ouais, acquiesça Mack. Je suis chef d’édition.
— Y a-t-il des ouvrages sur lesquels je devrais me pencher
prochainement ?
— Le deuxième tome d’un livre de développement personnel qui
s’intitule Comment ne pas être un connard sortira à l’automne prochain.
— Intéressant, répondit Hayden en souriant. Peut-être que je vais enfin
trouver le temps de finir le tome un.
— Je le lui ai offert à Noël dernier, commentai-je en me tournant vers
mon petit ami. C’est d’une psychothérapie et d’une greffe de personnalité
dont il a besoin, pas d’un bouquin.
Mack rit.
— Et toi, est-ce que tu as toujours celui que je t’ai offert l’année
dernière ? m’interrogea Hayden en m’observant.
— Non, je l’ai brûlé.
Je refusais de parler du manuel Comment expliquer à son mec ce dont j’ai
envie au lit rédigé par ses soins.
— L’auteur ne maîtrisait pas du tout le sujet, ajoutai-je.
— Je crois qu’il est tout à fait qualifié en la matière.
— Non, il pense qu’il l’est, c’est tout. Ce n’est pas pour rien que son livre
n’a qu’une étoile sur Goodreads.
— Parce que tu es la seule à avoir laissé une évaluation. Et tu mens très
mal, Penelope.
— Et tu es très doué pour remuer la merde, rétorquai-je avant de changer
de sujet. Comment trouves-tu les pâtes de Mack ?
— Délicieuses.
— Est-ce que je t’ai dit qu’il était pratiquement chef ? lançai-je en
ajoutant du poivre à l’assiette d’Hayden. Sa mère tient un restaurant dans le
New Jersey.
— Oui, tu me l’as dit. On y a dîné il y a quelques semaines, tu te
rappelles ?
— Oh, c’est vrai, répondis-je en sirotant une gorgée de vin. Je suppose
que cela m’est sorti de l’esprit, étant donné que ton monde a implosé entre
temps. Et je n’arrive pas à savoir si tu ris pour retenir tes larmes ou si tu
pleures à l’intérieur.
— Un peu des deux à la fois.
Nous nous amusâmes tous deux de sa réponse.
— C’est bon, trop c’est trop, bordel, nous interrompit Mack d’un ton sec.
J’en ai plus qu’assez.
— Quoi ? m’exclamai-je en me tournant vers lui. Qu’est-ce que tu viens
de dire ?
— J’ai dit que j’en avais plus qu’assez, répéta-t-il en laissant échapper un
soupir. Moi, toi, lui. Je ne peux littéralement plus supporter cette situation.
Je reposai ma fourchette, sans comprendre un traître mot de ce qu’il
racontait.
— Tu disais que tu voulais que je te présente ma famille.
— Ta famille, pas ton…
Sa voix resta quelques secondes en suspens.
— Je suis désolé, reprit-il. Je pensais plutôt rencontrer ton frère. Je n’ai
pas besoin d’un dîner en tête à tête pour faire la connaissance d’Hayden. Je
veux dire, vu à quel point il est présent dans nos conversations, j’ai
l’impression que je le connais déjà, bon sang.
— Mack, je ne crois pas que…
— Tous les matins, tu lui racontes ce que nous avons fait la veille,
m’interrompit-il. S’il t’appelle alors qu’on est au téléphone, tu décroches et
tu me laisses en attente pendant des heures.
— Ce n’est arrivé qu’une seule fois et il s’agissait d’une urgence.
— Tinder qui attaque Cinder en justice pour la énième fois n’est pas une
urgence, rétorqua-t-il en m’adressant un regard noir. Cela arrive environ une
fois par mois, et tu sais quoi ? Un de ces jours, ils gagneront.
— J’en doute fortement, marmonna Hayden entre ses dents.
— Mais je suppose que c’est une bonne chose qu’il soit ici, poursuivit
Mack. Parce que je ne suis plus obligé de garder ça pour moi et de me
demander ce que je vais décider de faire des six prochains mois de ma vie.
Et je ne vais pas m’embêter à jouer au colocataire pour t’aider à payer le
loyer d’un appartement que ton meilleur ami pourrait t’acheter d’un
claquement de doigts s’il en avait envie.
— Je veux me débrouiller par moi-même.
— Elle veut se débrouiller par elle-même.
Hayden et moi avions parlé à l’unisson.
— C’est lui ou moi, Penelope, annonça mon petit ami en secouant la tête.
Choisis maintenant.
— Il n’y a pas de « c’est lui ou moi », Mack, rétorquai-je en sentant ma
poitrine se serrer. Je veux être en couple avec toi. Hayden est comme un
frère pour moi.
— Un frère dans une vidéo malsaine sur Pornhub, peut-être, répliqua-t-il
avec un air de dégoût. Je ne peux pas continuer à sortir avec toi s’il est dans
les parages.
— Mack, attends. Pourrait-on en discuter en privé ?
— Non, répondit-il en croisant les bras. Qui est-ce que tu choisis ?
Un silence.
Les six derniers mois de notre relation défilèrent soudain devant mes
yeux avec un filtre rose. Lui, m’embrassant dans l’ascenseur, me tenant la
main sous la pluie et me jurant qu’il craquait pour moi comme je craquais
pour lui.
Hayden n’apparaissait sur aucune de ces images et je n’arrivais pas à
croire que Mack se sente menacé par mon meilleur ami, ne serait-ce qu’un
peu.
— Je ne veux pas te perdre, Mack. Je t’en prie, ne fais pas ça.
— Je ne fais rien du tout, souffla-t-il en me regardant dans les yeux. C’est
ton choix.
— Vous savez quoi ? Je crois que je vais y aller, déclara Hayden en se
levant. Vous avez clairement besoin de parler en privé, alors…
— Non, l’interrompit mon petit ami dont le visage virait au rouge. Je
m’en vais. Je crois qu’il est plus que clair que c’est toi qu’elle a choisi. Pas
vrai, Penelope ?
— Hayden est seulement mon ami.
— C’est ça.
Mack leva les yeux au ciel et se redressa.
— Je ne sais pas ce que vous trafiquez tous les deux, mais ce n’est pas la
relation de personnes qui sont seulement amies et j’en ai assez de faire
comme si cela me convenait, reprit-il. Merci, merci à tous les deux de
m’avoir faire perdre les six derniers mois de ma vie. Vous pouvez garder le
dîner et tout le tralala.
Furieux, il prit sa veste et quitta mon appartement en emportant un
morceau de mon cœur avec lui.
Je me levai et m’apprêtai à le suivre, mais Hayden se précipita à ma
hauteur et referma la porte.
— Je ne crois pas, non.
— Qu’est-ce que tu fais, bon sang ? m’écriai-je. Il faut que je le rattrape
pour qu’on trouve une solution.
— C’est à lui de revenir vers toi, rectifia mon meilleur ami. Et quand bien
même, quelle est la règle ?
Je ne répondis rien, même si je connaissais la réponse.
— Un mec qui te pose un ultimatum sans tenir compte de tes sentiments
ne mérite pas que tu lui accordes du temps. Accepte la rupture, pleure s’il le
faut, puis passe à autre chose, bordel.
— Que dirais-tu de « Celui qui croyait que je le choisirais avant mon
meilleur ami » ? proposai-je en essayant de ne pas laisser paraître la douleur
dans ma poitrine.
— On a déjà donné ce titre à un autre de tes ex, me rappela Hayden. Je
crois que la nuit porte conseil.
— D’accord, concédai-je dans un soupir. Qu’est-ce que tu as réellement
pensé de ses pâtes ?
— C’était terriblement insipide, trop cuit, et il manquait quelque chose.
— Du parmesan et du beurre, n’est-ce pas ?
— Et de la ciboulette.
Il se dirigea vers la cuisine, sortit plusieurs bouteilles, et les posa sur nos
plateaux. Puis, il apporta le tout jusqu’au canapé et je me laissai tomber à
côté de lui.
— Tu peux venir vivre avec moi pendant un moment, si tu ne trouves pas
de colocataire d’ici la fin de la semaine.
— Non, merci, répondis-je en secouant la tête. Je n’ai pas envie de vivre
dans un endroit où les groupies et les paparazzis rôdent devant chaque
fenêtre. Ne le prends pas mal.
— Je ne le prends pas mal.
Je m’appuyai contre son épaule et soupirai.
— Vas-y, dis-le, qu’on en finisse.
— Dire quoi ?
— Tu rencontreras la bonne personne au moment où tu t’y attendras le
moins.
— Je t’en prie, arrête de traîner sur Pinterest et de m’attribuer ces
citations merdiques, s’amusa-t-il. Si tu veux que je te dise la même chose
que d’habitude, qui se révèle toujours être exacte, alors…
— Garde ça pour toi, s’il te plaît.
— Bon sang, je te l’avais bien dit, déclara-t-il malgré mes protestations.
Je savais déjà qu’il ne te convenait pas au bout de deux mois et je suis déçu
que tu en sois restée pour six.
— On appelle ça une relation monogame.
— On appelle ça de la torture si le seul plaisir qu’il t’apporte est de
t’emmener au restaurant et d’être gentil avec toi.
Hayden se tourna vers moi et ajouta :
— Rends-moi service et arrête de chercher le prince charmant. Il n’existe
pas.
— Alors est-ce que je devrais plutôt courir après les connards ?
— Non, tu as déjà eu ta dose de ce côté-là, répondit-il en secouant la tête.
Simplement, ne te donne pas autant de mal.
— Très bien. Je n’irai pas sur Cinder pendant un moment… ni sur Tinder.
— Ne va jamais sur Tinder, répliqua-t-il en fronçant les sourcils. C’est la
pire trahison.
— Je me demandais seulement si tu allais encore te mettre en colère si
j’en parlais.
— Je me mettrai toujours en colère.
— Est-ce que tu vas me juger si je me mets à pleurer parce que Mack a
rompu avec moi ?
— L’ai-je déjà fait ?
— Non.
J’enfouis ma tête contre son torse.
— Qu’est-ce que je ferais sans toi ? soupirai-je.
— Tu n’entendrais jamais les mots « je te l’avais bien dit », répondit-il en
me caressant le dos. Est-ce que tu crois que cela en vaudrait la peine ?
— Non.
Je fermai les yeux, puis ajoutai :
— Jamais.
Chapitre 2 bis

Penelope

Quelques jours plus tard…

— J’espère que ma carrière sur OnlyFans ne sera pas un problème pour


toi, déclara ma dernière option inenvisageable comme colocataire en
déambulant dans mon salon. J’aurai sans doute besoin d’utiliser ce canapé
comme arrière-plan pour mes vidéos de gorge profonde ou de jeu de rôle
animal, si cela ne te dérange pas.
— Je n’ai rien contre OnlyFans, répondis-je en réfléchissant à un moyen
de la faire sortir de chez moi.
Si sa nécessité de se servir de mon appartement comme d’un studio
miniature avait été la seule chose à me faire hausser les sourcils, alors
j’aurais accepté qu’elle reste. Mais plus les minutes passaient, plus les
indicateurs viraient au rouge.
Elle avait détaché son chihuahua à la seconde où elle était entrée et l’avait
encouragé à uriner dans ma plante, car « c’est un bon engrais, fais-moi
confiance ».
— En tout cas, merci de m’avoir reçue aussi rapidement, se réjouit-elle en
rejetant ses cheveux par-dessus son épaule. Je suis sûre qu’on va s’entendre
à merveille, toi et moi.
— Je te tiendrai au courant, répondis-je avec un sourire forcé.
— N’oublie pas de m’appeler ce soir avant vingt heures pour me dire oui,
poursuivit-elle. J’emmène Rex au spa pour chiens et je ne décroche pas
mon téléphone quand je suis là-bas.
Évidemment.
— Je n’y manquerai pas.
À la seconde où elle monta dans l’ascenseur, je saisis ma plante et la
passai sous l’eau du robinet. Ensuite, je rayai le nom de cette fille de ma
liste et baissai les yeux sur le seul qui restait : Ashley Brave.
Si ce dernier entretien n’était pas concluant, je devrais choisir entre une
amatrice de petits plats qui fumait comme un pompier et une
thanatopractrice qui aimait afficher les photos de ses « meilleurs travaux ».
Je fus parcourue d’un frisson et vidai mon verre de vin d’un trait, puis
observai la grande aiguille se déplacer vers seize heures trente.
La sonnette retentit pile à l’heure et je me précipitai pour ouvrir la porte.
Qu’est-ce que…
Il me fallut tous les efforts du monde pour ne pas lui claquer la porte au
nez.
Cette femme ne s’appelait pas Ashley Brave. Elle se nommait Tatiana
Brave, et je préférais encore dormir dans un foyer pour sans-abri que de
vivre avec elle. Ma concurrente la plus féroce et la seule et unique raison
pour laquelle il me manquait trois médailles. Elle était toujours d’une
beauté renversante.
Sa peau mate et hâlée, ses cheveux bouclés et ses yeux couleur noisette
étaient plus éblouissants que jamais et on aurait dit qu’elle était prête à
s’élancer sur la glace pour participer à un concours.
Beurk.
— Toi.
— Toi, siffla-t-elle en me fusillant du regard.
Trop amère pour répondre, je croisai les bras sur ma poitrine, attendant de
voir si elle me volerait le premier mot comme elle m’avait volé mon
classement plusieurs années auparavant.
— Si j’avais su que c’était toi qui habitais ici, je n’aurais jamais répondu
à l’annonce, déclara-t-elle.
— C’est une bonne chose que tu l’aies fait, ironisai-je en haussant les
épaules. Tu vas pouvoir visiter un magnifique appartement dans lequel tu ne
vivras jamais.
— J’ai toujours su que tu étais une pétasse sans cœur.
— J’ai toujours su que tu étais encore pire.
— Je préférerais mourir plutôt que de vivre ici.
— Je ne me souviens pas de t’avoir proposé d’entrer, si ? répliquai-je en
commençant à lui fermer la porte au nez. Bon courage pour ta recherche.
— Attends, intervint-elle en passant son pied dans l’entrebâillement. Ça
me tue de devoir te demander ça, mais est-ce que je peux utiliser tes
toilettes avant de partir, s’il te plaît ?
Tu n’as qu’à lui proposer de pisser dans la plante.
— D’accord.
Je rouvris la porte.
— C’est à gauche au bout du couloir, lui indiquai-je. N’oublie pas de jeter
un œil à ma collection de médailles, au passage. Regarde bien celle en or
des Jeux olympiques de Sotchi.
— Dommage qu’il te manque celle de Pyeongchang, soupira-t-elle en
haussant les épaules. Je me demande bien qui l’a remportée.
— Je te laisse deux minutes pour faire ce que tu as à faire et te tirer d’ici.
— Ce sera bien plus rapide.
Elle longea le couloir et ferma la porte.
Je sortis mon téléphone et envoyai un message à Hayden sur le champ.

Moi : Je vais dire oui à la thanatopractrice. Est-ce que tu peux demander


à Sarah de vérifier ses antécédents pour moi ?

Sa réponse fut immédiate.

Juste Hayden : Tu es sûre ? Elle est excitée par les photos de cadavres,
Pen.
Moi : Je suis sûre à 100 %.

Tatiana sortit au moment où j’appuyai sur « Envoyer ».


— Sympa, ta salle de bain, commenta-t-elle. Il n’y en a qu’une ?
— Non, il y en a trois. Dont deux que tu ne verras jamais.
Elle fit glisser son sac sur son épaule et me regarda droit dans les yeux.
— Je ne crois pas avoir jamais détesté quelqu’un comme je te déteste.
— C’est réciproque, et ça le sera toujours.
Un silence.
Nous nous fixâmes du regard, des années d’affrontements sur la glace
suspendues entre nous. L’animosité à l’état brut que je ressentais envers elle
ne s’était pas adoucie le moins du monde.
— Qu’est-ce que tu fais, maintenant ? demanda-t-elle. Dans la vie, je
veux dire.
Je ne prononçai pas un mot.
— J’ai entendu dire que tu n’avais jamais retrouvé toute ta mémoire après
ta chute, poursuivit-elle. Est-ce que c’est vrai ?
Elle paraissait relativement sincère, et je détestais cela.
— Il y a des petites choses qui me reviennent de temps à autre, mais il
m’en manque encore beaucoup, et mes souvenirs ne sont jamais dans le bon
ordre.
— Est-ce que tu donnes des cours ?
— Par-ci par-là, avouai-je. J’ai quelques clients privés, mais rien de très
intéressant.
— Laisse-moi deviner. Ils ont des parents riches qui jettent leur argent par
les fenêtres étant donné que leurs enfants sont incapables de patiner plus
loin que la rambarde ?
— Exactement, acquiesçai-je. Je fais aussi des interventions dans les
universités et pour les équipes sportives dans le but de les « inspirer ». J’en
ai une prévue en Californie dans quelques semaines, d’ailleurs.
— Est-ce que ça paye bien ?
— Parfois.
Je marquai une pause.
— Pas « bien » selon les standards new-yorkais. D’où la colocation. Je
doute que cela rapporte autant d’argent que ta carrière.
— Comment est-ce que tu sais ce que je fais ? demanda-t-elle d’un air
perplexe.
— Je te suis en tant que hater via un faux compte. C’est moi qui
commente tout le temps « tu n’es pas si belle que ça » et « arrête de péter
plus haut que tes fesses ».
— C’est bon à savoir.
Un petit sourire se dessina sur ses lèvres, mais elle ne le laissa pas s’y
attarder.
— Je pourrais te dire que c’était sympa de te revoir après toutes ces
années, mais…
— Ça ne l’est pas, la coupai-je.
— Tout à fait d’accord.
Elle avança vers la porte en ajoutant :
— Bonne chance pour trouver une colocataire qui ne te déteste pas.
— Merci.
J’attendis qu’elle sorte, puis refermai la porte.
Je m’adossai négligemment au mur en regardant droit devant moi.
Cela faisait un an que je n’avais pas parlé à quelqu’un de mon ancienne
vie, quelqu’un qui connaisse réellement les tenants et les aboutissants du
patinage artistique. Et pour la première fois depuis une éternité, je n’avais
pas senti mon cœur se serrer immédiatement en évoquant ma chute.
Pourquoi faut-il qu’elle soit la meilleure candidate ? Devrais-je lui faire
passer l’entretien ?
Certes, je la détestais toujours jusqu’à la moelle, mais je savais déjà
qu’elle garderait ses distances. Par le passé, nous avions partagé plusieurs
fois une chambre d’hôtel (contre notre gré), mais nous avions réussi à
survivre jusqu’au moment de rendre la clé.
Je soupirai en ouvrant la porte pour lui courir après, mais elle était
toujours plantée là.
— J’ai vraiment besoin d’un logement et je peux payer les dix premiers
mois d’avance.
Les mots se déversèrent de sa bouche.
— Et c’est l’appartement le plus sympa et le plus joli que j’ai vu en ligne
depuis que je suis arrivée ici. Même si c’est pratiquement Satan qui y vit,
est-ce que tu acceptes au moins de me faire passer l’entretien ? Nous ne
sommes pas obligées d’être amies pour vivre sous le même toit et nous
avons déjà partagé des chambres, tu t’en souviens ?
— Eh bien, cela dépend si tu es honnête, déclarai-je en croisant les bras.
À quel point as-tu fait la fête quand tu m’as battue et que tu es passée en
tête ?
— Bien plus que toi quand tu me mettais ta victoire sous le nez tous les
mois.
Elle leva les yeux au ciel, puis ajouta :
— Bien sûr, je n’ai été numéro un que pendant huit mois, jusqu’à ce que
Natalie La Croix se mette en travers de mon chemin.
— Elle était tellement surcotée.
— Ne m’en parle pas, acquiesça Tatiana en hochant la tête. Ses
programmes étaient tellement parfaits techniquement qu’ils en étaient
ennuyeux. Je me suis endormie au bout de quarante secondes pendant sa
routine à Skate America.
— Et puis elle avait toujours une histoire à la mords-moi-le-nœud pour
expliquer ses costumes. Une fois, elle a raconté qu’elle avait des taches
marron sur ses manches pour que le public perçoive la beauté de la terre
pendant qu’elle patinait. Elle était sérieuse quand elle a balancé ça.
— Je suis encore convaincue que la poussière d’ange blanche sur le
costume qu’elle portait pendant la Coupe de Chine était un autre genre de
poudre, si tu vois ce que je veux dire.
Nos regards se croisèrent et nous éclatâmes toutes les deux de rire.
— On peut faire l’entretien, concédai-je. Mais je ne peux rien te
promettre.
— D’accord.
Elle hocha la tête et entra dans l’appartement.
— On commence par la visite ? proposai-je en lui faisant signe de me
suivre.
Je lui montrai la seconde chambre principale, qui était à l’opposé de la
mienne au bout du couloir, puis nous retournâmes dans la cuisine.
— C’est encore plus joli en vrai, se réjouit-elle. Merci.
— De rien. Tu as dit que tu pouvais payer dix mois d’avance ?
— Je peux te faire le chèque demain matin.
— As-tu des animaux de compagnie ?
— Non.
— Des manies étranges ?
— J’aime regarder l’intégrale de Sailor Moon tous les samedis matin.
— Tu le fais encore ?
Je croisai les bras sur ma poitrine en me souvenant qu’elle avait
l’habitude de patiner sur le générique de la série pendant ses échauffements.
— Tu ne connais pas tous les épisodes par cœur, à ce stade ? demandai-je.
— Si, mais ils viennent de sortir une nouvelle collection de baguettes en
Crystal, alors je me repasse les épisodes pour bien me souvenir des
mouvements.
Je lui adressai un regard inexpressif. La femme qui aimait mater les
photos de cadavres était toujours dans la course.
— Est-ce que cela te dérange que j’invite un ami de temps en temps ? On
reste dans le salon, parfois, mais je vais plus souvent chez lui que l’inverse.
— Pas du tout, répondit-elle. Je n’ai pas d’amis.
— Moi non plus. À part lui, en fait.
Elle sourit.
— Qu’est-ce que ça fait d’avoir un ex célèbre ?
— Hein ?
— Hayden Hunter. Le type qui venait à tous tes entraînements et toutes
tes performances. Est-ce que tu savais que c’était un entrepreneur super
riche à présent ?
— Oh. Nous sommes toujours amis. C’est l’homme dont je te parlais.
Nous ne sommes jamais sortis ensemble.
— Quoi ? s’écria-t-elle, l’air abasourdi. Jamais ?
— Jamais, répétai-je avec un haussement d’épaules. Il n’y a rien entre
nous.
— Pardon d’avoir demandé.
— Ne sois pas désolée. On nous pose tout le temps la question.
Je m’apprêtais à lui dire que je lui ferai part de ma décision en fin de
journée quand mon téléphone se mit soudain à vibrer dans ma poche.
Juste Hayden : Sarah vient de vérifier les antécédents de la
thanatopractrice. Elle a poignardé sa dernière colocataire il y a un an et elle
a plaidé la légitime défense.
Juste Hayden : Elle a aussi reçu une amende pour avoir conservé des
têtes de cochons crues dans son dernier logement.

Je reposai mon téléphone.


— Quand souhaites-tu emménager ?
Chapitre 3

Penelope

Quelques semaines plus tard…

Criii ! Criii ! Criiii !


L’avion atterrit à l’aéroport international de Charlotte Douglas pour faire
une halte dans une série de crissements effroyables qui me tirèrent
brutalement de ma sieste.
Et une intervention motivante de moins, plus que des centaines d’autres à
faire.
— Mesdames et messieurs, merci d’avoir voyagé avec Elite Airways.
La voix du pilote retentit dans les haut-parleurs.
— Comme annoncé précédemment par les membres de l’équipage, la
majorité des passagers de cet appareil voyageront dans ce même avion, qui
décollera pour New York d’ici une heure. Veuillez s’il vous plaît laisser
descendre en priorité les passagers qui ne sont pas concernés.
— Par ailleurs, si vous souhaitez prendre un autre vol pour New York
dans quatre heures, veuillez vous adresser à l’agent de la porte
d’embarquement G-8 en descendant de l’appareil, ajouta une autre voix
plus douce.
Par le hublot, j’observais un autre avion qui roulait sur le tarmac.
— Excusez-moi ?
Le passager assis à côté de moi me tapota l’épaule.
— Oui ? répondis-je en me retournant.
— Restez-vous dans cet avion ?
— Oui.
Je détachai ma ceinture et me levai, puis ajoutai :
— Quand j’aurai acheté un truc à manger.
— Je voulais vous dire quelque chose, tout à l’heure, mais vous aviez vos
écouteurs.
— Oui…
Je me notai à moi-même de les garder dans mes oreilles en remontant à
bord.
— J’ai reconnu votre nom sur votre sac, expliqua-t-il en désignant l’objet
du doigt avec un sourire. Penelope Carter, « la Plume de glace ». J’étais un
de vos plus grands fans à l’époque.
Je hochai la tête en me demandant si je devais lui proposer un selfie.
— Vous étiez vraiment ravissante dans vos costumes, poursuivit-il. Vous
avez commencé à patiner à l’âge de six ans, il me semble.
— Quatre. Et j’ai pratiqué pendant plusieurs années, ensuite.
— Oui, mais… objecta-t-il avec un geste de la main. J’ai arrêté de vous
regarder quand vous avez eu seize ans.
— Euh, d’accord.
— Vous n’étiez simplement plus mon genre.
Il m’adressa un clin d’œil, puis ajouta :
— Vous étiez devenue trop vieille à mon goût, si vous voyez ce que je
veux dire.
Je sentis la colère monter en moi.
— Vous étiez bien plus intéressante à regarder à vos débuts, poursuivit-il.
J’utilise toujours des enregistrements de vos anciennes performances quand
je suis d’humeur à passer une soirée nostalgique.
Je clignai plusieurs fois des yeux en me disant que, au lieu d’un selfie,
j’allais plutôt le dénoncer à la police.
— Je, euh… je dois y aller.
— C’est tellement dommage ce qui vous est arrivé à la fin, mais peut-être
donnez-vous des cours à d’autres petites filles, à présent ? Y a-t-il de jeunes
espoirs que je dois surveiller de près cette saison ? J’ai une meilleure idée,
ne me dites rien. Je vais attendre que vous remontiez à bord pour que je
puisse noter leurs noms.
Je tournai les talons et me précipitai hors de l’appareil.
J’allais prendre l’autre vol. Immédiatement.
G-8, G-8, G-8…
Je me frayai un chemin à travers la foule à la hâte et serrai mon sac à
main contre ma poitrine en espérant basculer dans une réalité alternative.
— Excusez-moi, excusez-moi !
Je forçai le passage au milieu d’un groupe de personnes sur le tapis
roulant, puis dépassai l’aire de restauration.
Alors que j’approchai du terminal G, je perdis l’équilibre et fonçai la tête
la première dans ce qui me sembla être un mur.
Pendant une fraction de seconde, je pus visualiser au ralenti exactement
ce qui allait se passer.
Mon visage heurtant le sol, tout le contenu de mon sac volant dans les
airs, tout ceci avant que…
— Oh là !
Deux mains puissantes me saisirent par la taille.
— Doucement. Est-ce que tout va bien ?
Je fixai le sol du regard, le nez à quelques centimètres du béton. Il me
fallut plusieurs secondes pour remettre de l’ordre dans mes pensées. Aussi,
je ne pouvais pas m’empêcher de trouver cette voix grave familière.
Je pris mon temps pour me relever, puis me retournai, me retrouvant face
à un homme que je n’avais pas revu depuis des années.
Un homme qui s’invitait dans mes rêves chaque fois que je songeais à ce
qui aurait pu se passer.
Celui qui m’avait échappé…
J’ouvris lentement la bouche en l’observant.
J’ignorais comment, mais après toutes ces années, il était encore dix fois
plus sexy.
Il portait un jean et un tee-shirt gris foncé qui laissait deviner une
musculature bien plus développée qu’à l’époque, et il était aussi beaucoup
plus grand. Ses cheveux blond cendré étaient coupés court et ses lèvres
épaisses et dessinées étaient plus tentantes que jamais.
Alors qu’il plongeait son regard dans le mien, j’eus l’impression de me
retrouver à nouveau à l’université.
Les souvenirs se mirent à inonder mon esprit image par image et
s’entremêlèrent pour former un magnifique photomontage.
Je le revis me proposant de rester encore un peu dans sa chambre
universitaire pour regarder « un dernier épisode » ; nous deux, nous faisant
mettre à la porte de la bibliothèque pour être restés trop longtemps ; lui,
m’adressant des sourires et des allusions subtiles que je ne semblais jamais
saisir.
Je consultais toujours Hayden sur chaque garçon avant de me lancer dans
une histoire, mais puisque nous étions tous les deux en pleine guerre froide
à l’époque, je n’en avais jamais eu l’occasion. À la place, j’avais vu une
autre femme intercepter les sourires et les allusions de Simon, s’enfuir à
travers champs avec lui et solder le tout par des fiançailles.
— Simon Gaines ? m’exclamai-je.
— Penelope Carter.
Il sourit, dévoilant ses dents parfaitement blanches.
— Je ne pensais pas te revoir un jour, déclara-t-il. Mais c’est une bonne
chose. Mes souvenirs ne te rendaient pas justice.
Je rougis et nous nous fixâmes du regard pendant ce qui me sembla être
une éternité.
— Oserais-je te demander pourquoi tu cours comme si tu avais la mort
aux trousses ?
Il sourit de nouveau.
— Je crois que l’homme assis à côté de moi dans l’avion était un
pédophile. Enfin, est un pédophile. Et il faut que je réserve un autre vol
avant qu’il n’y ait plus de place. C’est une explication parfaitement
raisonnable, n’est-ce pas ?
Il posa sa main sur mon front, affolant les nerfs de mon corps tout entier à
son simple contact.
— Est-ce que tu as besoin que j’appelle un médecin ?
— Non.
J’étais incapable de réfléchir avec lui si près de moi.
— Je vais vraiment très bien, repris-je. Je suis… Salut.
— Salut, s’amusa-t-il en retirant sa main. Quelle est ta destination du
jour ?
— New York City.
— Vraiment ? demanda-t-il en croisant les bras. Est-ce que tu rends visite
à quelqu’un, là-bas ?
— Non, c’est là que je vis.
— Quoi ? s’exclama-t-il, l’air interloqué. Je suis en train de m’y installer
définitivement. Enfin, je fais des allers-retours entre ici et la Floride pour
récupérer mes affaires.
Je jetai un coup d’œil à sa main gauche, où aurait dû se trouver une
alliance, mais il n’en portait pas.
Il n’y avait pas même une trace de bronzage.
— Cela n’a pas fonctionné entre nous, expliqua-t-il en lisant dans mes
pensées. Six mois avant le mariage, elle m’a annoncé qu’elle était toujours
amoureuse de son ex et elle a rompu avec moi.
— Oh. Je suis désolée de l’apprendre.
— Ne le sois pas.
Il m’observa de haut en bas.
— Je ne le suis pas.
Un silence.
— À l’attention des passagers du vol 3505, vers l’aéroport international
de Miami, la porte d’embarquement numéro F-7 fermera dans
quinze minutes.
— C’est pour moi, soupira Simon. J’organise une fête de bienvenue
privée pour les membres de mon entreprise dans quinze jours. J’aimerais
beaucoup t’y voir. Si tu as envie de profiter de moi, bien sûr.
— Pardon ?
J’étais certaine d’avoir mal entendu.
— Si tu veux venir, j’aimerais beaucoup que tu sois là, répéta-t-il en
souriant. Que crois-tu que j’aie dit ?
Je ne répondis pas à cette question.
— J’adorerais aller à ta fête.
— C’est bon à savoir, déclara-t-il en cherchant quelque chose dans sa
poche. Merde. J’ai laissé mon téléphone à la porte d’embarquement. Est-ce
que je peux te donner mon numéro ?
Je hochai la tête et sortis mon téléphone. J’appuyai sur l’écran et il vibra
plusieurs fois, symptôme caractéristique d’une batterie à plat.
Simon s’en amusa.
— Peut-être que c’est un signe.
— Oui, j’imagine qu’on ferait mieux de ne plus jamais s’adresser la
parole, lançai-je malicieusement. Je suppose qu’on se verra plus tard.
— J’espère que tu plaisantes, Penelope.
Il me fit signe de le suivre jusqu’au stand où l’on distribuait des gobelets
et des serviettes devant le Starbucks.
— Ici. On va faire ça à l’ancienne.
Il prit une serviette en papier et ouvrit un stylo, puis griffonna son numéro
de téléphone.
— Appelle-moi dès que tu as un moment et je te donnerai les
informations pour la fête.
— D’accord.
Il sembla sur le point d’ajouter quelque chose, comme s’il avait envie de
m’attirer contre lui et d’assouvir le fantasme que j’avais eu des années
auparavant, mais un rappel concernant son vol se fit de nouveau entendre
dans les haut-parleurs.
— J’attendrai ton appel.
Il m’observa avec attention une dernière fois avant de s’éloigner.
— Je suis tellement heureux de t’avoir revue, déclara-t-il.
— Moi aussi.
J’attendis qu’il ait disparu pour fouiller mon sac à la recherche de mon
chargeur. Je le branchai à la prise la plus proche, y raccordai mon téléphone
et patientai jusqu’à ce que la batterie atteigne cinq pour cent pour l’allumer.
Je parcourus mes contacts jusqu’au nom de Hayden et appuyai sur «
Appeler ».
Aucune tonalité ne retentit.
À la place, je tombai directement sur sa messagerie vocale.
— Laissez un message après le bip, et j’envisagerai de vous rappeler.
Bip !
Je soupirai et lui envoyai un texto.

Moi : Je viens d’atterrir à l’aéroport de Charlotte Douglas. Appelle-moi


quand tu auras ce message.

J’atteignis l’autre porte d’embarquement et changeai mon billet d’avion,


puis trouvai un autre Starbucks avec une prise électrique disponible.
Impatiente, je commandai un café et attendis que l’appel d’Hayden
apparaisse sur mon écran. Il ne mettait jamais plus de dix minutes à me
rappeler, et même aux rares occasions où il ne pouvait pas décrocher, il
demandait à Sarah ou à Lawrence, son conseiller, de m’envoyer un message
du style « il vous rappelle bientôt ».
Troublée par son silence, j’envoyai un e-mail sur sa messagerie
professionnelle, juste au cas où il aurait désactivé ses notifications privées.

Objet : ARRRGH ! APPELLE-MOI !

Dix minutes s’écoulèrent.


Puis vingt.
Incapable de patienter une seconde de plus, j’appelai Tatiana.
— Oh mon Dieu ! s’écria-t-elle en décrochant à la première sonnerie.
J’attendais ton appel. Est-ce que tu es déjà de retour à New York ?
— Je suis toujours à Charlotte Douglas pour ma correspondance. Tu ne
devineras jamais qui je viens de voir.
— Je parie que si, affirma-t-elle. Est-ce qu’il t’a fait mouiller ta culotte ?
— Mhh, peut-être, m’amusai-je. Je suis sûre que si je l’avais maté une
seconde de plus, cela aurait sûrement été le cas.
— Peut-être ? Tu dois être la seule femme de tout le pays à avoir cette
réaction. J’imagine que cela explique pourquoi votre relation a toujours été
strictement platonique.
— Attends, quoi ? Bon sang, de quoi est-ce que tu parles ?
— De quoi est-ce que tu parles ?
— De Simon Gaines, répondis-je. Un gars qui était à l’université avec
moi. Je crois que je t’ai déjà parlé de lui. Je t’ai montré des photos de nous
dans mon album de scrapbooking de la fac. C’est celui avec le…
— Je te parle de la queue d’Hayden, me coupa-t-elle.
— Quoi ?
— Tu ne l’as pas vue ? Elle est partout dans les médias en ce moment
même. À juste titre, si je puis me permettre.
Je tapotai la table du bout des doigts et compris qu’il devait être en pleine
réunion de gestion de mini-crise avec Lawrence. La dernière fois que des
photos de lui nu avaient fuité, il ne s’agissait que de quelques clichés de
mauvaise qualité et le type qui les avait diffusés s’était révélé être un maître
chanteur.
— Ce n’est probablement pas Hayden, Tatiana, déclarai-je. Ne te laisse
pas avoir par le buzz.
— Oh, il s’agit bien de lui, cela ne fait aucun doute, répondit-elle en riant.
Regarde-les et dis-moi ce que tu en penses.
— Non, je…
— Regarde-les, insista-t-elle. Je t’ai envoyé plusieurs liens.
Je sélectionnai la première adresse Internet en m’attendant à y trouver un
montage quelconque d’une photo tirée d’un de ses récents shootings pour la
couverture de GQ où l’on verrait ses abdos, mais…
OH. MON. DIEU !
Les bras m’en tombèrent.
Hayden apparaissait debout à un balcon, exhibant son corps parfaitement
sculpté, un petit sourire satisfait sur les lèvres. Il fixait directement
l’objectif du regard, l’air de dire « rejoins-moi », et il tenait un cigare
cubain dans sa main gauche.
Son membre en érection se dressait entre ses jambes, épais et imposant.
Bien plus gros que tous ceux que j’avais vus de toute ma vie.
Comment diable pouvait-il tenir tout entier dans le corps d’une femme ?
N’en croyant pas mes yeux, je secouai la tête, incapable de détourner le
regard.
Je fis défiler l’écran pour voir les autres photos de lui dans différentes
positions. Sous n’importe quel angle, son membre était à couper le souffle.
Au cours de nos nombreuses années d’amitié, je lui avais demandé en
plaisantant pourquoi les femmes semblaient ne jamais se lasser de lui au lit,
pourquoi elles en voulaient toujours « encore » bien après qu’il les avait
rejetées.
— Est-ce que ta queue est magique ou quelque chose de ce genre ? avais-
je lancé.
Il avait ri et fait un commentaire sarcastique, et j’avais continué à
supposer qu’elles étaient aveuglées par la beauté d’Hayden.
Les images de son pénis venaient de faire voler cette explication en
éclats.
Comment cela peut-il seulement rentrer ?
— Euh, allô ?
La voix de Tatiana interrompit le fil de mes pensées.
— Tu es là ?
— Oui…
— Tu confirmes que c’est lui, pas vrai ? demanda-t-elle.
— Oui.
— Est-ce que ta culotte est mouillée, maintenant ?
Putain, oui.
— Non, mentis-je en quittant la page Internet. Est-ce que je peux te parler
de Simon Gaines, maintenant ?
— Ça dépend. Est-ce qu’il y a des photos de sa queue qui circulent sur
Internet ?
— Non.
— Dans ce cas, c’est non, s’amusa-t-elle. Mais je t’écouterai avec plaisir
ce soir en rentrant du sport.
— Tu parles d’une nouvelle amie.
— Nous sommes toujours ennemies.
Elle raccrocha et je ris.
Hayden ne me rappela pas et, tout en sachant que c’était une mauvaise
idée, je passai la majorité du vol pour New York les yeux rivés sur son
membre, bien plus longtemps que je ne l’avouerais jamais.
Chapitre 4

Hayden

De nos jours…

— Peux-tu me donner une raison, n’importe laquelle, qui expliquerait


pourquoi je me suis réveillé ce matin avec tes couilles sous le nez ? tempêta
Lawrence en posant brutalement un journal sur la table du café. Encore
mieux, peux-tu me dire pourquoi ton engin de quinze centimètres est
actuellement en tête des tendances au niveau national ?
— Tout d’abord, bonjour, Lawrence, le saluai-je en souriant. Je vois que
tu es aussi en colère que d’habitude en cette charmante après-midi.
— Réponds à ma question.
— Ensuite, je suis heureux de t’informer que mon « engin » mesure
nettement plus de quinze centimètres.
— Donne-moi une explication, Hayden, exigea mon conseiller en
devenant écarlate. Donne-moi une explication, tout de suite.
Je ne répondis rien.
Je me contentai de l’observer tandis qu’il avalait une poignée de pilules
contre le stress avant de poser sa main sur son cœur. Son laïus à base de « je
n’en peux plus de subir tes conneries » semblait inévitable.
Par le passé, il avait géré sans difficulté des rock stars complètement
droguées, des princesses de la pop avec des addictions inconnues du public
et des boys bands avec des communautés de fans internationales. Pourtant,
pour une raison étrange, il prétendait que c’étaient mes scandales qui
menaçaient de le rendre fou.
— Si tu crois que plaider l’ignorance va te tirer d’affaire cette fois-ci, tu
te trompes lourdement, déclara-t-il en poussant les gros titres vers moi.
Regarde ce qu’ils disent sur toi, pour l’instant.
Je baissai brièvement les yeux sur les mots et tentai de réprimer un
sourire.

« Le roi de New York… et son sceptre »


« Le PDG de Cinder peut nous harceler quand il veut »
« Hayden Hunter nous dévoile son énorme… ego »

— Ils sont très créatifs, commentai-je. Est-ce que tu souhaites que


j’organise un concours pour les départager ?
— La ferme, Hayden.
Lawrence tira une chaise et fit un signe au manager.
— J’ai appelé Sinful Suit il y a quelques minutes et j’ai parlé à l’éditrice
en chef, reprit-il. Elle m’a dit qu’une source anonyme avait fourni ces
photos de manière totalement inattendue, une heure avant l’impression de
leur dernier numéro.
— Oh ?
J’esquissai un sourire.
— Oui. Oh. Est-ce que tu as une idée de qui pourrait avoir à sa
disposition des photos de toi à poil triées sur le volet ?
— Peut-être, répondis-je en haussant les épaules. Tu disais que nous
devions détourner leur attention, alors j’ai détourné leur attention.
— Je suis désolé de ne pas avoir été plus précis, déclara-t-il en levant les
mains comme pour se rendre. À ce stade, c’est une foutue avalanche de
bonne publicité qu’il te faut. Je veux parler de visites à l’hôpital des enfants,
d’heures de bénévolat à la soupe populaire et tout le tralala.
— Ça sent la mise en scène à plein nez, Lawrence. Personne n’y croira.
— Sauf si tu fais du bon travail et que tu parviens à les convaincre,
répliqua-t-il avant de prendre sa mallette et de la poser sur la table. On peut
commencer en se servant de Penelope pour montrer un peu plus ton côté
humain. Mettons votre amitié envahissante à contribution, pour une fois.
— C’est-à-dire ?
— Demande-lui de t’accompagner pour dévaliser les boutiques sous les
yeux de la presse. On appellera des paparazzis et on leur fera mettre une
légende du style « Le plus généreux des meilleurs amis », ou quelque chose
dans ce goût-là. Ensuite, on s’assurera que l’hôtesse de caisse fasse fuiter le
montant que tu auras dépensé pour Penelope, qui devra être de soixante-
quinze mille dollars minimum. Oh, au moment où vous sortirez, il faudra
qu’elle…
Je n’écoutai pas le reste de sa proposition, sachant que c’était
parfaitement hors de question. Penelope ne mettrait jamais le pied dans un
magasin de vêtements de son plein gré. Elle se figerait devant les portes
vitrées, inventerait une excuse pour justifier son départ précipité et partirait
en pleurant.
Elle ne m’avait jamais dit pourquoi, même après toutes ces années, mais
je savais que c’était à cause de sa mère. Faire du shopping était la dernière
activité qu’elles avaient partagée ensemble, une demi-heure avant
l’accident, et mon amie ne s’en était jamais remise.
— Stop, interrompis-je mon conseiller. C’est impossible. Donne-moi
autre chose.
— Qu’est-ce qui est impossible dans le fait d’emmener ta meilleure amie
faire les magasins ?
— Passe à la proposition suivante, ordonnai-je d’une voix ferme. Tout de
suite.
— D’accord.
Il parcourut ses dossiers, puis fit glisser une feuille devant moi.
— Bon, option suivante. Je veux que tu écrives une lettre d’excuses à
toutes les personnes ou entreprises à qui tu as un jour fait du mal. Je suis sûr
que certaines d’entre elles feront fuiter leur lettre à la presse, et sur le long
terme, cela peut commencer à redorer ton image.
— Tu sais ce que je pense des excuses, Lawrence, répondis-je. Elles ne
servent à rien, sinon à confirmer ce que l’on sait déjà.
— Elles te seront bien plus utiles, cette fois. Fais-moi confiance.
Je baissai le regard sur la feuille.
— Tu penses que je dois des excuses à deux cent cinquante personnes ?
— Ah ah ! Ne sois pas ridicule, s’exclama-t-il en la retournant. Il y a
d’autres noms sur le verso, et j’ai laissé le reste de la liste au siège.
Avant que j’aie eu le temps de lui dire que ça aussi, c’était impossible, la
sonnerie de téléphone enregistrée pour Penelope retentit. Un appel en visio.
— Ne t’avise pas de décrocher maintenant, menaça Lawrence en
m’adressant un regard noir. Elle peut attendre.
— Cela ne prendra qu’une minute.
J’appuyai sur l’écran.
— Oui, Pen ?
— Pourquoi est-ce que tu ne m’as pas encore rappelée ?
Le visage de mon amie apparut et une rame de métro fila à toute vitesse
en arrière-plan.
— Je suis déjà de retour à New York, déclara-t-elle.
— Je n’ai aucune notification d’appel manqué.
Je remarquai le pendentif en argent à son cou et penchai la tête sur le
côté.
— Est-ce que tu t’es habillée pour une occasion particulière ?
— Je t’ai appelé cinq fois et…
Sa bouche se figea et j’attendis qu’elle comprenne pour la énième fois
que son téléphone captait terriblement mal dans le métro. Pendant que la
connexion ramait, j’observai le visage magnifique de ma meilleure amie.
Je ne pouvais pas dire depuis quand exactement mais, à un moment
donné entre nos derniers jours passés à Seattle et maintenant, elle était
devenue incroyablement sexy. Ses cheveux brun foncé ondulaient sur ses
épaules et ses yeux clairs couleur noisette faisaient parfaitement ressortir
ses lèvres roses et charnues. Bien qu’elle ne portât habituellement que des
tee-shirts et des pantalons de jogging, elle était d’une beauté renversante au
naturel.
De temps à autre, je devais me retenir de trop la regarder ou de fantasmer
sur elle. Encore plus, car je savais que son frère me ferait lapider à mort si
je prononçais un jour les mots « ta sœur est foutrement sexy » dans un
rayon de cent kilomètres, alors je gardais cette opinion pour moi.
— Hé !
L’image se remit soudain en mouvement. Elle était dans la rue, à présent.
— Est-ce que tu me vois maintenant ?
Je fixai ses lèvres du regard.
— Je te vois.
— Devine ce qui m’est arrivé à l’aéroport, ce matin ?
— Peut-il deviner après notre réunion ? intervint Lawrence. Hayden a
une entreprise qui pèse un milliard de dollars à faire tourner, Penelope. Je
t’ai déjà dit mille fois de ne pas appeler pendant les heures de bureau, sauf
si c’est important.
— C’est important, répondit-elle en souriant. Je suis tombée sur lui.
— Celui qui a fait quoi ? demandai-je en haussant un sourcil. Quel est
son nom de rupture ?
— Celui qui m’avait échappé.
Je clignai des yeux. Aucun de ses ex ne me venait à l’esprit.
— Ce n’est pas un de mes ex, précisa-t-elle en lisant dans mes pensées.
Et je ne t’ai jamais parlé de lui parce que… c’est une longue histoire. Est-ce
qu’on peut se retrouver à Central Park pour discuter ?
— Non, mais puisque je sais déjà que tu vas insister pour lui parler de
toute façon, tu peux nous rejoindre, soupira mon conseiller en s’immisçant
de nouveau dans la conversation. Nous sommes au Sweet Seasons, sur Park
Avenue. Et grâce au « membre V.I.P. » de ton ami qui fait des vagues dans
la presse, les paparazzis font le pied de grue devant l’hôtel. Ne leur parle
pas, s’il te plaît.
— Je ne ferais jamais une chose pareille, répondit Penelope. Je serai là
dans quinze minutes.
Je raccrochai, puis me tournai vers Lawrence.
— Alors, où en étions-nous ? Nous parlions de la longueur que devaient
faire les lettres d’excuses ?
— Non, nous en sommes à la partie où je me rends compte que tu es
incapable de te concentrer sur quoi que ce soit si cette fille t’appelle ou
t’envoie un message.
— Ce n’est pas vrai, me défendis-je en prenant un stylo. Je filtre ses
appels, parfois.
— Ah ah ! Je te croirai quand j’aurai vu ça de mes propres yeux,
s’amusa-t-il en se levant. Maintenant que tu en parles, je crois que tu serais
incapable de ne pas décrocher quand elle t’appelle, même si tu le voulais.
— Combien est-ce que tu es prêt à parier sur cette accusation infondée ?
— Je veux bien miser ma vie entière, soupira-t-il avec un haussement
d’épaules. Est-ce que tu acceptes le pari, pour que je puisse prendre ma
retraite en paix ?
— Non, je préfère te garder encore un peu comme employé malheureux.
Mais, juste pour ton information, tu te trompes.
— Au fond de toi, tu sais que j’ai raison…
Rupture no 6
Celui qui n’avait pas payé 72,99 $

Hayden

À l’époque…

La frangine de Travis (arrête de lui donner des conseils) : Salut. T’es


occupé ?
Moi : Oui. Ne m’appelle pas.
Moi : Tu n’es pas en plein rencard avec ton nouveau petit ami ?
La frangine de Travis (arrête de lui donner des conseils) : Il est aux
toilettes. Il faut que je te pose une question importante.
Moi : Je viens juste de te dire que j’étais occupé, Penelope (joyeux
anniversaire, au fait).
La frangine de Travis (arrête de lui donner des conseils) : Est-ce que
tu trouves ça bizarre que je n’aie jamais eu d’orgasme quand mes
partenaires m’ont fait des cunnilingus ? Je veux dire, la sensation de leur
bouche sur mes lèvres du bas est très agréable, mais ce n’est jamais ce truc
incroyable et bouleversant dont les gens parlent. (Merci ! Enfin majeure !)
Moi : Arrête de m’écrire. Immédiatement.
La frangine de Travis (arrête de lui donner des conseils) : Ils m’ont
tous doigtée pendant l’action et j’aime ça, mais… est-ce que j’oublie de
faire quelque chose ? Comment est-ce que je pourrais avoir un orgasme la
prochaine fois ?
Moi : Relis mon dernier message. J’éteins mon téléphone.
La frangine de Travis (arrête de lui donner des conseils) : Pourquoi ?
Tu as dit que je pouvais te demander des conseils.
Moi : À propos des relations amoureuses et des ruptures. Pas du sexe.
La frangine de Travis (arrête de lui donner des conseils) : Vers qui
est-ce que je suis censée me tourner, alors ?

Je pose mon téléphone et soupire.


Ce n’est pas pour rien que tu as changé son nom dans tes contacts. Ne
réponds pas à cette question. Jamais.
Ce soir et pour la énième fois d’affilée, Penelope a pris ma proposition de
lui « donner des conseils sur les garçons quand tu voudras » un peu trop au
pied de la lettre.
Honnêtement, cela ne me dérangeait pas au début, jusqu’à ce qu’elle
commence à me donner un cours d’histoire sur toutes ses ruptures ; le sujet
est devenu sans fin pour quelqu’un qui n’a que dix-sept ans.
Enfin, dix-huit.
Il faut reconnaître qu’elle tourne rapidement la page après chaque garçon
(qu’elle largue au premier signe de manque de respect). Elle est aussi
parfaitement claire sur ce qu’elle recherche dès le début de chaque relation,
alors si un mec décide de rester après avoir entendu sa vision délirante de
l’amour, c’est qu’il doit forcément l’apprécier.
Mais en plus de ça, elle doit jongler entre ses relations et un planning
d’entraînement, de voyage et de performances sportives qui devient de plus
en plus serré. Étant donné qu’elle s’est classée en tête de toutes les
compétitions cette année (le Grand Prix, la Coupe de Chine et les
Championnats des quatre continents) tout en maintenant son classement de
numéro un mondial, elle est quasiment sûre d’être sélectionnée pour
intégrer l’équipe olympique.
Pourquoi est-ce que je sais tous ces trucs ?
Je tapote sur l’écran et parcours notre dernier fil de discussion, puis
m’arrête sur l’un des messages qu’elle m’a envoyés hier soir :

La frangine de Travis (arrête de lui donner des conseils) : Est-ce que


c’est trop demander qu’un garçon me veuille moi et moi seule ? Je sais que
je suis jeune, mais mes parents se sont mariés quand ils avaient dix-huit ans
et ils ont toujours été heureux… Je veux vivre la même chose. Est-ce que tu
penses que c’est possible ?

Ça ne l’est pas, mais je lui ai quand même affirmé que si.


Sans réfléchir, je sélectionne son prénom et appuie sur « Appeler ».
— Oui, Hayden ? répond-elle à la première sonnerie.
— Bon, écoute. Est-ce que tu sais où se trouve ton clitoris ?
— Oui.
— Bien. Après ton rencard, montre-le à ton petit ami et demande-lui de
l’embrasser lentement en se concentrant dessus avec sa langue.
— Attends. Je croyais que tu m’avais dit de ne pas avoir de relations
intimes avant le cinquième rendez-vous. C’est seulement le troisième, et je
veux être sûre d’être prête.
Je lève les yeux au ciel.
— Dans ce cas, utilise deux doigts pour le caresser toi-même jusqu’à ce
que tu le sentes gonfler, jusqu’à ce que tu n’en puisses plus.
— J’ai déjà essayé, mais je finis toujours par laisser tomber… Je crois
que je n’insiste pas assez. Combien de temps est-ce que c’est censé
prendre ?
— Penelope.
Je n’arrive pas à croire qu’elle s’obstine avec ça.
— Voici ce que tu vas faire, annoncé-je. Commande un vibromasseur sur
Internet et lis le mode d’emploi. Ou alors, si tu es stressée à ce point, va
dans un supermarché et achète une brosse à dents électrique. Retire la tête
avec les poils, mets l’embout en caoutchouc à la place et pose-le sur ton
clitoris la prochaine fois que tu es d’humeur coquine. Laisse-le à cet endroit
jusqu’à ce que ton entrejambe soit trempé et palpite de plaisir. Quand tu
auras un orgasme, tu le sauras, compris ?
— Compris.
— Est-ce que je peux raccrocher et faire comme si cette conversation
n’avait jamais eu lieu, maintenant ?
— Une dernière chose, objecta-t-elle. Combien de temps est-ce que je
suis censée attendre qu’il revienne des toilettes pour aller vérifier que tout
va bien ?
— Ça dépend. Il est là-dedans depuis longtemps ?
— Quinze minutes.
J’entends un bruit de papier à l’autre bout du fil.
— Il a payé l’addition et ensuite il est… putain de bordel de merde,
s’exclame Penelope.
— Quoi ?
— Il a écrit « Désolé. Ce n’est pas toi le problème, c’est moi. Je t’en dois
une » sur la note !
Elle prend une grande inspiration.
— Ce dîner coûte soixante-douze dollars et il…
Elle s’interrompt de nouveau.
— Je le vois en ce moment même, déclare-t-elle.
— Il revient à table pour payer l’addition ?
— Non, il est dehors en train de monter dans sa voiture, soupire-t-elle.
Est-ce que je devrais proposer au gérant de faire la vaisselle pour payer la
note ?
— Non, ne bouge pas.
J’envoie un message à mon graphiste pour lui dire que je terminerai le
logo de l’application un autre soir.
— Commande-moi un faux-filet vieilli à sec avec un supplément de
beurre. Je te rejoins d’ici vingt minutes.
— Vraiment ?
J’entends un sourire dans sa voix.
— Dans ce cas, est-ce que tu veux bien m’emmener au supermarché
quand on aura fini ? demande-t-elle.
Je lui raccroche au nez.
Chapitre 4 bis

Penelope

De nos jours…

À dix-huit heures, j’émergeai de la station de métro sur Lexington


Avenue et me dirigeai tout droit vers le troupeau de paparazzis qui
traquaient Hayden.
— Qu’avez-vous pensé de la diffusion de ces photos de votre ami nu,
Penelope ?
— Est-il toujours à l’intérieur avec Lawrence ?
— Pouvez-vous nous dire comment il se sent en ce moment ?
Ils criaient leurs questions tous en même temps.
Sans laisser paraître la moindre émotion, je glissai une paire de lunettes
de soleil sur mon nez tout en me frayant un chemin au milieu des
photographes, puis atteignis l’entrée du café du Sweet Seasons.
— Comment compte-t-il redresser la situation ?
— Il est toujours en tendance sur Twitter !
— Étiez-vous derrière l’objectif au moment où ces photos ont été prises ?
Je réprimai un grognement en entendant cette dernière question, puis
frappai à la porte.
Au bout de quelques secondes, son garde du corps entrouvrit, juste assez
pour me saisir par la main et m’attirer à l’intérieur.
— Il est à l’étage, mademoiselle Penelope, déclara Henry avant de baisser
la voix. Monsieur Lawrence a la gueule de bois, alors allez-y doucement, et
ne dites pas que je vous ai avertie de quoi que ce soit.
Je ris.
— Merci, Henry.
— À votre service.
Il referma la porte à clé.
Quand j’arrivai en haut des marches, Lawrence faisait les cent pas à
l’autre bout de la pièce en hurlant dans son téléphone.
Hayden sirotait une tasse de café, dans l’indifférence la plus totale.
— Salut.
Je m’approchai et laissai tomber mon sac à main sur la table à laquelle il
était assis.
— J’ai dit aux paparazzis que tu étais mort de honte à propos de ce qui
s’est passé aujourd’hui, déclarai-je. Je leur ai aussi annoncé que tu offrais
une bouteille de désinfectant pour les yeux et un neurolaser1 à chaque
personne qui a été offensée.
— Merci beaucoup, répondit mon ami en souriant. C’est exactement ce
que Lawrence compte faire pour arranger la situation.
— Je le savais.
Il rit.
— Est-ce que cette robe t’appartient ou bien empruntes-tu toujours des
vêtements à des inconnus sur Internet ?
— Je ne les emprunte pas. C’est du partage, et « renttherunway.com »
fait tout nettoyer à sec avant de les envoyer.
— Hmm, fit-il en m’observant. Celle-ci te va bien.
— Merci. J’essayerai de bien m’habiller plus souvent pour que tu me
fasses des compliments.
— Personnellement, je te préfère en survêtement, déclara-t-il en se levant.
Allons discuter dehors pour avoir un peu d’intimité.
— Où diable crois-tu aller comme ça ? intervint Lawrence en cessant de
faire les cent pas. Tu n’as pas intérêt à mettre un pied dehors.
— Détends-toi, soupira Hayden. On sort par-derrière.
— Soyez de retour dans dix minutes.
— Vingt minutes, nous répondîmes en cœur.
— D’accord.
Puis, le conseiller se remit à hurler au téléphone comme s’il ne s’était
jamais interrompu.
Hayden me conduisit au rez-de-chaussée, puis dehors, là où nous nous
retrouvions souvent quand notre banc à Central Park était inaccessible.
La rue était protégée par un mur et la plupart des gens (plus
particulièrement les paparazzis) pensaient qu’elle ne menait nulle part. Des
guirlandes lumineuses d’un rose vif étaient suspendues en hauteur, assorties
aux chaises en métal rose, et de courtes flammes jaillissaient d’un petit
brasero.
Le manager nous suivit à l’extérieur et déposa deux cafés frappés et un
petit plateau de macarons sur la table avant de s’éloigner.
— Alors… commença Hayden en s’appuyant contre le mur. Qui est ce
type, « celui qui t’avait échappé » ?
— Simon Gaines, répondis-je en sentant des papillons s’agiter dans mon
ventre comme si je me trouvais encore avec lui dans cet aéroport. On avait
l’habitude de réviser ensemble. On peut dire que c’est un genre de prince
charmant, en chair et en os.
— Chaque fois que tu dis ça, le mec finit par être le méchant de l’histoire.
— Merci de me le rappeler, soupirai-je en levant les yeux au ciel. Enfin,
bref. Je n’ai pas eu l’occasion de passer beaucoup de temps sur le campus
étant donné que je patinais encore à cette époque, mais il me raccompagnait
toujours à ma résidence quand il pleuvait, il se pliait en quatre pour m’aider
chaque fois que je l’appelais et il faisait des allusions à propos de « nous »
de temps à autre, mais je ne savais pas si je devais saisir la perche qu’il me
tendait, car…
Je marquai une pause.
— Toi et moi, on ne se parlait plus à ce moment-là, conclus-je.
— Alors, tu as fait sa connaissance pendant notre guerre froide ?
— Oui.
Un silence.
Nous nous fixâmes du regard pendant plusieurs secondes, comme nous le
faisions toujours chaque fois que nous évoquions cette coupure de
seize mois dans notre amitié. Nous ne parlions jamais de cette époque ;
nous l’avions laissée derrière nous et jetée aux oubliettes. Les vestiges d’un
passé douloureux qu’il valait mieux oublier définitivement.
Parfois, je sentais mon cœur se serrer rien qu’en y repensant, et j’en
voulais toujours à Hayden pour avoir commencé les hostilités. Mais le
temps avait pansé la majorité des blessures. En théorie.
— Bref, finit par dire Hayden en brisant le silence. Continue.
— Oui, passons…
Je m’éclaircis la voix, puis repris :
— Une fois, alors qu’on se rendait au cinéma, il a aperçu une tortue qui
s’était échappée d’une animalerie. Il s’est alors arrêté pour la sauver et
qu’elle ne se fasse pas écraser par une voiture. Ensuite, il a fait un détour
d’une demi-heure pour la relâcher dans l’océan.
— Il a relâché une tortue d’animalerie dans l’océan ? répéta mon meilleur
ami en haussant un sourcil. Il l’a probablement tuée plus vite que si elle
était restée sur la route.
— Ce n’est pas le sujet de cette histoire, Hayden.
— Alors, racontes-en une meilleure.
— Je crois que c’est « le bon », déclarai-je. Je crois que c’est le destin
que je sois littéralement tombée sur lui après tout ce temps et que cela n’ait
pas fonctionné avec la femme qu’il voyait à l’époque. Je crois que c’est
l’homme avec lequel j’ai toujours eu ma place.
— Tu aurais pu résumer tout ça en cinq secondes.
— J’ai pensé que tu apprécierais la version longue.
Je ris et sortis la serviette en papier que Simon m’avait donnée à
l’aéroport.
— Comme il n’avait pas son téléphone et que le mien n’avait plus de
batterie, il a écrit son numéro là-dessus, expliquai-je. Romantique, n’est-ce
pas ?
— Ce n’est pas exactement le mot qui me vient à l’esprit.
— Promets-moi seulement de m’aider à le séduire, cette fois.
— Il se pourrait que j’accepte, déclara Hayden en affichant un petit
sourire satisfait. Est-ce que tu es prête à suivre mes conseils ?
— C’est ce que je fais toujours.
— Non, tu ne suis que ceux qui te conviennent, répliqua-t-il en tapotant
son menton du bout du doigt. À part ça, qu’est-ce que j’y gagne ?
— Pardon ?
— Tu as bien entendu, répondit-il en souriant. Pourquoi est-ce que je
t’aiderais à mettre le grappin sur ce type ?
— Tu récolteras la gloire d’être un bon meilleur ami.
— Je suis un super meilleur ami, rectifia-t-il. Je veux du concret. Toucher
une véritable récompense.
— Tu as acheté un appartement à trente millions de dollars le mois
dernier, soufflai-je avec dédain. Tu n’as pas besoin de plus d’argent et je ne
te donnerai pas un centime.
— Je ne pensais pas à de l’argent en tant que tel.
— Non, je ne remplacerai pas ton assistante Sarah chez Cinder.
— Je ne t’engagerais jamais comme subordonnée, s’amusa-t-il. Je veux
seulement que tu me donnes un coup de main pour des lettres que l’on
m’oblige à écrire. Enfin, à moins que Lawrence ne change d’avis.
— Je ne change d’avis sur rien du tout, Hayden ! hurla le conseiller
depuis l’étage, ce qui nous fit rire tous les deux.
— Quelle est l’arnaque ?
— Il n’y en a pas.
— Alors combien de lettres y a-t-il ?
— Seulement quelques-unes.
Il me tendit la main comme s’il s’agissait d’un contrat d’affaires.
— Marché conclu ?
— Marché conclu, acquiesçai-je en la lui serrant. Quelle est la première
étape avec Simon ?
— Rien. Attends qu’il t’appelle.
— Est-ce que tu as loupé le moment où je t’explique qu’il m’a demandé
de l’appeler ? demandai-je en agitant la serviette en papier. Le moment où
je t’ai dit que j’avais son numéro de téléphone et qu’il n’avait pas le mien ?
— J’ai entendu.
Il considéra ma robe du regard, puis ajouta :
— Mais puisqu’il t’a vue dans cette tenue, il trouvera un moyen de te
joindre. Tu peux me faire confiance.
Je l’observai en attendant qu’il me donne plus d’explications, qu’il me
démontre la pertinence de son argument, mais aucun mot ne quitta ses
lèvres.
— Juste pour m’assurer que tu ne feras rien de stupide ce soir… reprit-il
avant de me prendre la serviette en papier des mains et de la déchirer en
petits morceaux qu’il jeta ensuite par terre. De rien.
— Tu crois qu’il va me retrouver comme par magie ?
— Si tu lui plais vraiment, il trouvera un moyen.
Je fixai du regard ce qu’il restait de la serviette, tentée de récupérer les
morceaux et de reconstituer le numéro, juste au cas où.
Comme si Hayden avait lu dans mes pensées, il en ramassa quelques-uns
et les jeta dans le brasero.
— Il va t’appeler, Penelope, affirma-t-il. Je dirais d’ici une semaine, tout
au plus.
— D’accord, soupirai-je en croisant les bras. Dans ce cas, je
commencerai à t’aider avec tes lettres d’excuses à ce moment-là. Cela n’a
pas de sens que je remplisse ma part du contrat si la tienne tombe à l’eau.
— Cela ne me pose aucun problème, répondit-il en souriant. Est-ce que tu
as l’intention de me dire ce que tu as pensé de mes photos, maintenant ?
— Je ne vois pas du tout de quoi tu parles.
— Tu n’as pas regardé mes dick pics ?
Ne réponds pas. C’est un piège.
— Je dois rentrer, on se verra plus tard.
Je me précipitai à l’intérieur, puis à travers la foule de photographes en
sentant mes jours s’empourprer un peu plus à chaque pas.
Meilleur ami ou pas, je ne voyais même pas par où commencer cette
conversation, et je ne voulais plus jamais laisser mon esprit vagabonder de
la sorte.

1. Petit objet utilisé pour effacer la mémoire à court terme dans le film Men
in Black.
Chapitre 5

Penelope

De nos jours…

Trois jours s’écoulèrent sans que je reçoive le moindre appel ou message


de Simon.
J’allai jusqu’à me créer un nouveau compte Gmail
(PenelopeCarterNYC@gmail.com), mais la seule chose qui arriva sur cette
messagerie fut une bonne dose de spams.
Chapitre 5 bis

Penelope

De nos jours…

Le quatrième jour arriva sans aucune nouvelle.


Puis le cinquième.
Simon n’appela jamais, et je fus tentée de retourner près du brasero pour
invoquer son numéro et le faire renaître de ses cendres.
Chapitre 6

Hayden

De nos jours…

— Qu’est-ce qu’Hayden Hunter a dans la tête ?


— Les rumeurs sont-elles vraies ?
— Faire fuiter des photos coquines en pleine crise médiatique, ce n’est
pas une façon de diriger son entreprise !
Des voix beuglantes à la télévision s’élevèrent en provenance du salon et
passèrent à travers les jets tièdes de ma cabine de douche.
Je me maudis intérieurement de ne pas l’avoir débranchée la vieille.
Mes photos faisaient toujours les choux gras de la presse à scandale, mais
elles n’avaient pas été d’une grande utilité pour apaiser mes autres
problèmes dans le monde des affaires. D’une certaine façon, c’était même
pire.
À présent, en plus d’être un « menteur sans scrupule » et un « play-boy
sans foi ni loi en manque de figure paternelle », j’étais également un voleur.
Un « voleur bien membré qui [nous] fait envie », pour paraphraser Cosmo.
Je sortis de la douche en laissant échapper un grognement et enveloppai
ma taille dans une serviette avant de longer le couloir.
Je saisis la télécommande à l’instant où Tim Lassing, le PDG de Tinder,
s’installait face au présentateur d’une matinale.
Il avait l’air aussi imbu de lui-même que quelques années auparavant,
quand il m’avait accusé de lui avoir volé sa foutue idée. Comme si « faire
glisser à droite pour oui et à gauche pour non » était un concept
révolutionnaire.
Le fait que nous ayons eu cette idée au même moment n’était que pure
coïncidence, et c’était le seul point commun entre nos deux applications.
La sienne comptait vingt millions d’inscrits dans le monde. La mienne en
avait cent millions. Affaire classée.
— Merci de vous joindre à nous ce matin pour parler de votre concurrent,
Hayden Hunter, déclara la journaliste. Je crois savoir que vous vous livrez
tous les deux une bataille sans merci depuis des années.
— Pas nécessairement, répondit-il en souriant. J’essaye désespérément de
prouver depuis tout ce temps qu’il est un imposteur et un menteur, mais je
suis heureux que tant de personnes commencent enfin à voir à quel point il
a été irresponsable.
— A été ? répéta-t-elle. Est-ce que cela signifie que vous pensez qu’il a
changé ?
— Ah ah ! Non, souffla Lassing avec dédain en levant les yeux au ciel.
C’est un enfoiré sournois encore pire qu’avant.
Je croisai les bras sur mon torse. Il semblait plus sain d’esprit qu’à son
habitude, mais je savais que ce n’était qu’une question de temps avant qu’il
ne bascule en mode dégénéré.
Il avait eu un accident de ski peu après avoir créé Tinder et il avait laissé
des bouts de son cerveau sur la piste.
— Si vous pouviez lui donner un conseil, d’un PDG à un autre… que
diriez-vous à monsieur Hunter ? demanda la journaliste.
— Je lui dirais qu’il ferait bien d’engager un avocat et de se préparer à en
découdre.
Les yeux écarquillés, comme prêts à lui sortir du crâne, il ajouta :
— Il aurait aussi tout intérêt à avouer qu’il m’a volé mon chien.
— Qu’il a fait quoi, monsieur Lassing ?
— Il a volé mon chien.
On aurait dit qu’il était sur le point de fondre en larmes.
— Je ne sais pas pourquoi personne ne me croit. Je ne me souviens pas
exactement de tout ce qui s’est passé, mais c’est un voleur de chien. Ne
faites jamais confiance à un voleur de chien.
Nous y voilà.
Je pris la télécommande et éteignis la télévision.
Alors que je m’apprêtais à envoyer un message à mon avocat, un e-mail
de Lawrence apparut sur l’écran.

Objet : Aujourd’hui, tu oublies Penelope. Complètement.


L’univers nous offre un nouveau pétage de plombs du zinzin de Tinder.
Andrew Hamilton, ton avocat, veut que tu te concentres sur la rédaction
d’une lettre foutrement convaincante à l’attention du juge, expliquant
pourquoi les dernières allégations de Lassing à propos de toi ne sont que
pures conneries.
Ensuite, j’aurais besoin que tu te mettes à écrire ces foutues lettres
d’excuses pour que nous puissions tirer parti de la situation.
S’il te plaît, si Penelope t’appelle ou t’envoie un message, ne lui réponds
pas avant d’avoir terminé.
Merci d’avance.
Lawrence.

Je souris, balayant immédiatement sa requête d’un revers de main.

Objet : Tr : Aujourd’hui, tu oublies Penelope. Complètement.


Si tu as besoin, écris-moi sur mon autre adresse.
Comme tu peux le voir, Lawrence ne souhaite pas que je te parle
aujourd’hui.
Démarre une nouvelle conversation et envoie-la sur mon deuxième
téléphone. Quoi de neuf… ?
HH.

Objet : Simon (est-ce que Lawrence me déteste ?)


Je suis actuellement dans l’attente d’un pigeon voyageur de la part de Tu-
sais-qui. Il ne m’a toujours pas écrit ni appelé étant donné qu’il n’a pas mon
numéro. O_o
Je suis aussi en train de regarder deux nouvelles clientes se donner à fond
sur la glace. L’une d’entre elles vient de se tourner vers moi et de me
balancer : « Et d’abord, qu’est-ce que vous y connaissez en double axel ? »
POUAH.
Pen.
P.-S. J’ai regardé la liste des gens auprès de qui tu dois t’excuser, ce
matin… Tu veux vraiment que je t’aide à rédiger mille lettres ? Comment
diable as-tu pu mettre en rogne autant de personnes ?

Objet : Re : Simon (est-ce que Lawrence me déteste ?)


Ça fait cinq jours, Pen.
CINQ. JOURS.
Sois patiente et occupe-toi l’esprit. Est-ce que tu as déjà choisi ce que tu
allais mettre à sa soirée ? (Il finira par te retrouver, tôt ou tard.)
HH.
P.-S. Deux mille* lettres. Apparemment, j’ai été un très vilain garçon à
l’époque où on ne se parlait plus. 😊
P.-P.-S. Lawrence te déteste, en effet, mais il déteste tout le monde.

Objet : Re : Re : Simon (est-ce que Lawrence me déteste ?)


J’ai effectué des recherches sur Simon et j’ai découvert qu’il était entré au
Forbes 500, l’année dernière. Il apparaît en trois cent unième position.
C’est carrément impressionnant, non ?
Tatiana a proposé de me prêter l’une de ses robes de créateur (je t’ai dit
que sa mère avait été top model, pas vrai ?).
Il est minuit, ce qui signifie que cela maintenant fait cinq jours et demi.
La fête a lieu dans trois jours !
Pen.

Objet : Re : Re : Re : Simon (est-ce que Lawrence me déteste ?)


Je suppose que ce serait « carrément impressionnant » si ton meilleur ami
n’était pas déjà classé numéro un.
Il va t’appeler, Pen. Fais-moi confiance. Me suis-je déjà trompé ?
HH.
Chapitre 6 bis

Penelope

De nos jours…

Il y avait un début à tout.


Jour six.
Pas d’appel. Pas d’e-mail. Pas de miettes de pain magiques que Simon
aurait pu suivre pour remonter jusqu’à moi.
Dans l’impatience la plus totale, j’avais poursuivi ma petite enquête sur
Internet et trouvé son entreprise, ainsi que quantité d’articles qui parlaient
de son fonds d’investissement spéculatif.
Sur son site Internet, il n’y avait aucun moyen de le joindre directement.
Les adresses e-mail renseignées renvoyaient toutes vers des assistants et les
numéros de téléphone commençaient tous par « 08 », indiquant ainsi
clairement qu’ils étaient « réservés à la clientèle ».
J’actualisai mon écran pour la énième fois et m’adossai contre le siège
d’une des berlines de luxe appartenant à Hayden.
— Bien le bonjour, me salua le chauffeur en croisant mon regard dans le
rétroviseur. Est-ce que tout va bien, mademoiselle Penelope ?
— Je vais bien, Chance, répondis-je. J’attends seulement quelque chose
qui n’est pas encore arrivé.
— Eh bien, quoi que ce soit, je suis sûr que vous pouvez en parler à votre
meilleur ami et il vous l’achètera immédiatement.
J’esquissai un sourire forcé et actualisai de nouveau mon écran.
Alors que nous tournions à l’angle de ma rue, mon téléphone se mit à
sonner et un numéro inconnu apparut.
— Simon ? fis-je en décrochant sans une once d’élégance.
— Et on peut savoir qui est Simon, bordel ? demanda la voix de Travis à
l’autre bout du fil.
Argh.
— Quelqu’un dont je ne te parlerai jamais.
— Bien, s’amusa mon frère. Je ne veux pas en entendre parler tant qu’il
ne t’aura pas fait sa demande. C’est ma nouvelle ligne professionnelle, au
fait. Enregistre le numéro.
— Je vais bien, Travis, déclarai-je en maudissant son manque de savoir-
vivre. Merci beaucoup de demander. Comment vas-tu ?
— Très bien, et je suis content de savoir que toi aussi. Tu sais que je n’ai
jamais été doué pour les banalités.
Ni pour la communication en général.
— C’est bientôt mon anniversaire.
— Je le sais. J’ai déjà demandé des conseils à Hayden pour ton cadeau,
répondit mon frère d’une voix qui me laissait entendre qu’il souriait. Je te
rappellerai cette semaine pour te gâcher la surprise, juste au cas où tu
veuilles autre chose. Je t’aime fort, Crown.
Je ris.
— Je t’aime fort aussi.
Je raccrochai et attendis que le chauffeur gare la voiture pour descendre.
Alors que je fouillais mon sac à main à la recherche de mes clés, j’entendis
des cris et plusieurs coups de klaxon.
— C’est quoi ce bordel ?
— Vous êtes sérieux, là ?
— Qu’est-ce que vous foutez ?
— Hé ! Hé ! Penelope ?
Je me retournai et vis Simon qui traversait la rue en courant vêtu d’un
costume. Il contournait les taxis en ignorant leurs chauffeurs qui lui
faisaient un doigt d’honneur.
— J’espérais que ce serait toi, s’exclama-t-il en souriant. Je crois que j’ai
retrouvé la trace de toutes les Penelope Carter de cette ville.
Alors qu’il s’approchait, je rougis.
— Tu as vraiment essayé de me retrouver ?
— Oui. Est-ce qu’il y a une raison pour laquelle tu ne m’as pas rappelé ?
Ai-je mal interprété notre conversation à l’aéroport ?
— Non, j’ai…
Je tentai de trouver une explication qui n’ait pas de lien avec Hayden.
— J’ai perdu la serviette en papier dans la zone de retrait des bagages,
prétextai-je.
— D’accord, eh bien… commença-t-il en sortant son téléphone de sa
poche. Si tu n’y vois pas d’inconvénient, j’aimerais être sûr que cela ne se
reproduise pas. Peux-tu me donner ton numéro ?
Je hochai la tête et m’exécutai, puis sentis des vibrations dans ma poche
quelques secondes plus tard.
— J’espérais que tu pourrais toujours venir à ma soirée, ce week-end,
poursuivit-il. Est-ce que c’est possible ?
— Oui, acquiesçai-je. Où est-ce qu’elle a lieu ?
— Embarcadère numéro soixante-deux. C’est sur un superyacht.
— Tu as loué un yacht pour y organiser une fête ?
— Non, c’est le mien, répondit-il en souriant. La soirée commence à dix-
neuf heures, mais les invités ne seront pas là avant vingt heures. Moi y
compris.
— À la fac, tu arrivais toujours avec une heure d’avance.
— C’était avant que les gens se mettent à me demander de l’argent,
s’amusa-t-il. Maintenant, je fais exprès d’être en retard pour qu’ils n’en
aient pas l’occasion.
Il s’approcha.
— Et ils sont aussi moins enclins à me tourner autour s’ils voient que je
suis en charmante compagnie, ajouta-t-il.
Je rougis de nouveau.
— J’aurais dû te demander de sortir avec moi quand on était à
l’université, reprit-il. Je n’aurais pas dû être aussi subtil à l’époque, et je ne
referai pas cette erreur. J’aimerais beaucoup te voir ce week-end.
— J’y serai.
— Bien.
— Hey, connard ! hurla une voix rauque de l’autre côté de la rue. Tu as
l’intention de bloquer la circulation combien de temps avec ton numéro de
lover à la con ?
— Ouais ! renchérit quelqu’un d’autre. J’espère au moins qu’elle cède à
tes avances pour que tu te comportes comme si cette foutue rue
t’appartenait !
— J’imagine que je ferais mieux de déplacer ma voiture, maintenant,
s’amusa Simon en reculant. On se voit ce week-end, Penelope.
— On se voit ce week-end.
Je l’observai se glisser derrière le volant d’une Ferrari rouge vif.
J’attendis qu’il disparaisse au bout de la rue pour me précipiter chez moi.
À la seconde où je pénétrai dans le salon, quelque chose d’à la fois doux
et piquant me gifla le visage.
Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?
Je fis un pas en arrière et compris qu’il s’agissait d’un chemisier en soie
avec des sequins cousus aux manches, accroché à un portant chargé d’autres
chemisiers en soie.
Alors que je faisais le tour de la penderie, j’en aperçus d’autres alignées
dans la pièce, ainsi que des boîtes noires et blanches empilées à côté des
fenêtres.
Versace. Fendi. Christian Louboutin.
— Coucou ! me salua Tatiana en contournant une pile de chaussures
Prada sur la pointe des pieds. J’attendais ton retour.
— Tu avais hâte de te vanter d’avoir dévalisé les boutiques ?
— Ah ah ! Je t’en prie.
Elle ramassa une enveloppe et me la tendit, avant d’ajouter :
— Apparemment, ton meilleur ami a acheté tout ça.
Je déchirai l’enveloppe et lus la carte.

Penelope,
Je crois qu’il est grand temps que tu possèdes ta propre garde-robe.
N’essaye pas de me rembourser et ne t’avise pas de me demander combien
ça a coûté.
Contente-toi d’accepter.
Dis-moi ce que tu auras choisi pour aller à la fête.
De rien,
Hayden
P.-S. Détache tes cheveux.
P.-P.-S. Ne mets pas de culotte. Fais-moi confiance.
Chapitre 7

Penelope

Samedi…

À la seconde où je montai à bord du yacht d’un blanc immaculé, j’eus le


sentiment de ne pas être à ma place. Ma robe rouge avec son décolleté
plongeant qui dévoilait ma poitrine et sa fente jusqu’en haut de la cuisse
détonnait dans le paysage à côté des tenues de soirée noires et bleues bien
plus sobres des autres invités.
Merde.
J’hésitai à revenir en courant à la berline et à supplier le chauffeur de me
ramener à la maison pour que je puisse me changer.
Avant que je n’aie eu le temps d’y réfléchir sérieusement, l’agent de
sécurité me fit signe d’avancer.
— Personne suivante, s’il vous plaît ! appela-t-il, les yeux rivés sur une
tablette. Votre nom et votre lien avec monsieur Gaines ?
— Euh…
Je me forçai à sourire et m’approchai :
— Y a-t-il un vestiaire à bord ? Est-ce que vous pensez que je peux
emprunter la veste de quelqu’un ?
— Votre nom et…
Il décolla son regard de la liste et observa ma robe de haut en bas.
— Je crois que vous vous êtes trompée d’événement, mademoiselle. Il ne
s’agit pas d’une première hollywoodienne.
— Merci, répondis-je en résistant à l’envie de lever les yeux au ciel.
Penelope Carter.
Il croisa les bras en continuant de me fixer du regard.
— La soirée privée pour les mannequins d’Hollywood a lieu sur
l’embarcadère numéro cinquante-sept. Désirez-vous que quelqu’un vous y
conduise ?
— Je ne fais pas partie des invités de la fête avec les célébrités. Je suis ici
pour voir Simon, expliquai-je en croisant les bras à mon tour. Nous sommes
allés ensemble à la fac.
L’homme me considéra une dernière fois du regard, puis reporta son
attention sur sa tablette. Il tapota plusieurs fois sur l’écran et écarquilla les
yeux.
— Pardonnez-moi, je n’avais pas compris que vous étiez la cavalière de
monsieur Gaines. Je vous en prie, suivez-moi.
Il me fit entrer dans un petit ascenseur et appuya sur un bouton marqué «
S ».
— Monsieur Gaines est dans la salle d’exposition, déclara-t-il. Je suis
certain qu’il sera ravi de vous voir.
Les portes se refermèrent sans bruit et je pris plusieurs grandes
inspirations tandis que la cabine montait jusqu’au troisième pont. En
sortant, je me retrouvai à nouveau dans un océan de costumes ternes noirs
et bleus, mais les robes de quelques femmes apportaient çà et là des touches
de couleur.
Cependant, aucune n’était aussi dénudée que la mienne.
Je me frayai un chemin à travers la foule en suivant les panneaux qui
indiquaient « salle d’exposition » et m’immobilisai en apercevant Simon au
milieu d’un petit groupe de personnes.
Avec son allure sexy dans son costume entièrement noir, il souriait tout
en désignant un vase.
— J’ignore complètement pourquoi j’ai laissé mon conseiller me
convaincre d’acquérir ce truc, déclara-t-il. C’est censé être un objet de
l’Égypte antique, mais je le vendrais volontiers au prix où je l’ai acheté si
l’un d’entre vous est intéressé.
— Combien ? demanda quelqu’un.
— Quatre millions, répondit Simon en prenant le vase dans sa main. Des
preneurs ?
Tous se mirent à rire en secouant la tête.
— Et que diriez-vous si j’ajoutais mon conseiller dans le marché ?
plaisanta-t-il. Je vous promets que ses conseils en matière de marché
boursier sont bien meilleurs.
Les rires emplirent de nouveau la pièce.
— Excusez-moi.
Une femme brune passa à côté de moi en me frôlant. De très près.
— J’espère que vous ne comptez pas mettre le grappin sur qui que ce soit
ici dans cette tenue, ajouta-t-elle.
Elle émit un son désapprobateur avant de s’éloigner.
Alors que Simon prenait un autre vase en main, je fis quelques pas en
arrière. Je bousculai plusieurs personnes en me rendant aux toilettes, puis
m’enfermai à l’intérieur.
J’observai mon reflet dans le miroir et déglutis. Je me demandai si je
pouvais faire en sorte que Tatiana m’apporte une robe plus ennuyeuse et
plus appropriée d’ici une heure.
Quelqu’un frappa à la porte au moment où je sortis mon téléphone.
— Occupée ! m’écriai-je. Une minute.
La porte s’ouvrit tout de même.
— Je viens de dire que c’était occupé.
— Je t’ai parfaitement entendue, m’informa Hayden qui entrait avec un
verre de vin à la main. J’ai décidé de passer pour voir si tu suivais mes
conseils.
— J’ai un téléphone portable, tu sais.
— Tu n’as répondu à aucun de mes messages. Et tu ne m’as pas non plus
appelé hier soir.
— Si. Je suis tombée sur ta messagerie vocale.
— J’avais vraiment peur que tu n’aies pas choisi la bonne robe.
— Est-ce le cas ?
— Bien au contraire, répondit-il en me regardant de haut en bas. En
revanche, tu m’as confirmé que tu ne savais toujours pas comment dire
merci.
— De rien.
Il rit.
— Pourquoi est-ce que je me doutais que tu serais là-dedans, loin de la
fête ? demanda-t-il.
— Parce que tu es un stalker qui a, je ne sais comment, réussi à
s’incruster sur la liste des invités.
— Je suis propriétaire de l’embarcadère, déclara-t-il en sirotant les
dernières gorgées de son verre avant de le poser. Je suis sur toutes les listes.
— Évidemment, soupirai-je. Les gens n’arrêtent pas de me regarder.
— Parce que tu es incroyablement sexy. Malgré le fait que tu ne suives
pas mes conseils, contrairement à ce que tu avais promis.
— Comment ça ? J’ai suivi toutes tes instructions.
— Presque toutes.
Il posa ses mains sur mes épaules et me retourna face au miroir.
Dans le reflet, nos regards se croisèrent et je ne pus m’empêcher de
respirer le parfum enivrant de son eau de Cologne.
Il fit courir sa main le long de ma nuque en caressant du bout des doigts
les deux cygnes en noir et blanc tatoués sur mes épaules. Puis, il s’arrêta sur
l’inscription latine en écriture cursive qui se trouvait dessous.
— Je n’avais jamais remarqué la citation dans ton tatouage auparavant,
déclara-t-il à voix basse. Je croyais que ce n’était qu’une ligne droite.
— Ça l’était, avant que je la fasse changer.
— Quand ?
— Pendant notre guerre froide…
— Hmm.
Il passa de nouveau ses doigts sur l’inscription, sans me quitter des yeux.
— J’ai l’impression que je n’arrête pas d’apprendre des choses sur toi que
je devrais déjà savoir. Est-ce que tu as d’autres révélations à me faire ?
— Une fois, j’ai acheté une poupée vaudou qui te ressemblait, à l’époque
où on ne se parlait plus. Elle avait les yeux bleus, et tout le reste.
— Oh ? fit-il avec un petit sourire en coin. Combien de fois l’as-tu
poignardée avec une aiguille ?
— Des milliers. À chaque piqûre, je souhaitais que tu rates ta vie.
— Je suis désolé de t’informer que cela a échoué.
— Visiblement, répondis-je en souriant.
— Enfin, bref…
Il s’éclaircit la voix.
— Voici le premier conseil que tu n’as pas suivi, reprit-il.
Il saisit la pince à cheveux à paillettes de mon chignon et la retira,
obligeant les boucles à tomber sur mes épaules.
— Je t’ai dit de les détacher. Cela te donne un air plus sexy.
— Tatiana trouvait qu’ils m’allaient mieux attachés.
— Tatiana n’est pas un mec que tu essayes de séduire et, de ce que tu
m’as raconté, elle est célibataire depuis des années.
Un sourire nonchalant et séduisant se dessina sur ses lèvres.
— Il faut que tu prennes toutes ses suggestions avec des tenailles, ajouta-
t-il.
— Tu veux dire, avec des pincettes ?
— Non, répondit-il en faisant glisser ses doigts dans mes cheveux pour
s’assurer qu’ils étaient complètement défaits. Ce que je veux dire, c’est
qu’elle passe toutes ses soirées à regarder l’intégrale de Sailor Moon et à
jouer avec des baguettes magiques en cristal, alors ce sont carrément des
tenailles qu’il te faut.
Je me retins de rire.
— D’accord.
Sa main se faufila jusqu’à mon collier et il ajusta doucement le pendentif
en argent en forme de patin à glace posé entre mes seins.
— Je t’ai aussi dit de ne pas porter de culotte, poursuivit-il en croisant de
nouveau mon regard dans le reflet. Pourquoi est-ce que tu en as une ?
— C’est faux, mentis-je en sentant le rouge me monter aux joues. Je n’en
porte pas.
— Ne me mens pas, Pen…
Il glissa sa main sous la fente de ma robe et, alors qu’il effleurait ma
cuisse, ma peau s’enflamma. Il passa lentement ses doigts sous l’élastique
de mon string en dentelle, puis l’arracha d’un geste assuré, avant de le
ranger dans sa poche.
— Bien mieux comme ça, déclara-t-il en souriant. Tu n’es pas de cet
avis ?
— Je n’arrive pas à croire que tu viens de faire ça.
— Et pourtant.
Il baissa les yeux sur sa montre.
— Tu n’as plus que quelques heures devant toi avant que les gens
commencent à accaparer Simon pour prendre des photos et lui demander
des faveurs, reprit-il. Je te suggère très fortement de sortir d’ici en même
temps que moi. Tu peux aussi me dire « merci pour ton aide dont j’avais
grand besoin » quand tu veux.
— Merci de m’avoir volé ma culotte.
— Tout le plaisir est pour moi.
Il rit et s’avança vers la sortie pour me tenir la porte. Il commença à
s’éloigner, mais il fit demi-tour.
— Je ne sais pas si tu vas savoir t’y prendre, sur ce coup. Je crois que ce
serait mieux que je le fasse venir jusqu’à toi.
Hein ? Avant que j’aie eu le temps de lui demander plus d’explications, il
me plaqua contre une fenêtre.
— À quel point sommes-nous proches ?
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— C’est une question plutôt simple, répondit-il à voix basse en me fixant
dans les yeux. À quel point sommes-nous proches toi et moi, Penelope ?
Trop proches.
— Très proches.
— Sur une échelle d’un à dix.
— Vingt.
— Je suis d’accord.
Il glissa une mèche de cheveux derrière mon oreille.
— Dans ce cas, il faut que tu me dises quelque chose, reprit-il. Qu’as-tu
pensé de ma queue ?
QUOI ?
— De quoi est-ce que tu parles, bon sang ?
— Tu as bien entendu. Je veux savoir ce que tu t’es dit quand tu as vu
mes photos.
— Hayden Christophe Hunter.
— Penelope Nicole Carter, répliqua-t-il sur un ton moqueur. Heureux que
nous ayons établi nos noms complets.
— C’était pour que tu reprennes tes esprits.
— Je vais bien, répondit-il en souriant. Je ne te pose qu’une simple
question.
— Une question extrêmement déplacée.
— Et pourquoi cela ? s’offusqua-t-il en passant ses doigts dans mes
cheveux. Si des photos de toi nue devaient fuiter un jour, je te donnerais
mon avis sincère. Je n’attendrais même pas que tu me le demandes.
— Cela n’arrivera jamais parce que, contrairement à toi…
— Tu essayes de détourner la conversation, m’interrompit-il. Revenons-
en à ma queue.
— Bon, d’accord, soufflai-je avant de me mettre à chuchoter. Je me suis
dit que tu avais été sacrément gâté par la nature. Content ?
— Comblé.
— Comment diable ce genre de questions est-il censé m’aider à attirer
l’attention de Simon ?
— Parce qu’aucun homme ne désire une femme qui ne plaît pas déjà à un
autre, et si le soi-disant « play-boy indompté de Manhattan » te fait rougir
dans un couloir, je crois que ça en dit long. Pas toi ?
— Non.
— Moi, si.
Il rit et recula, puis me lança par-dessus son épaule :
— Ne reste pas trop tard et ne bois pas trop. De rien.
Il s’éloigna sans ajouter un mot, et je vis tout à coup Simon qui
approchait d’un pas nonchalant.
— Waouh.
Il me prit la main et la porta à ses lèvres. Il ne dit rien pendant plusieurs
secondes et se contenta de me regarder de haut en bas.
— Tu es sublime, Penelope. Merci beaucoup d’être venue. Je
commençais à croire que tu m’avais posé un lapin.
— Pas du tout, lui assurai-je en rougissant.
— Était-ce Hayden Hunter avec toi ?
— Oui, mais… attends. Tu le connais ?
— Il est sur la couverture de GQ ce mois-ci et j’y suis abonné, expliqua-t-
il en souriant. C’est également le PDG de Cinder et il est assez célèbre, il
me semble.
— C’est vrai, eh bien… Je, il… bredouillai-je en sentant des papillons
dans mon ventre alors que Simon posait sa main au creux de mes reins.
C’est le meilleur ami de mon frère. Enfin, c’est surtout mon meilleur ami,
mais…
— Est-ce mon rival ? m’interrompit mon cavalier en fixant mes lèvres du
regard. Devrais-je m’inquiéter qu’il te veuille lui aussi ?
Quoi ? Je sentis de nouveau mon visage s’empourprer.
— Non, pas du tout. Hayden est comme mon grand frère.
— Bien. Dans le cas contraire, je m’en voudrais de le voir rester sur la
touche. Est-ce que tu es libre pour dîner avec moi, ensuite ?
Je me mordis la langue pour ne pas laisser échapper un « carrément, oui !
».
— Non, je ne pourrai pas rester après la fête.
— Quel dommage, se lamenta-t-il en prenant deux verres sur le plateau
d’un serveur qui passait. Dans ce cas, allons sur le pont supérieur pour
profiter du temps dont tu disposes.

***
Le yacht leva l’ancre pour naviguer sur le fleuve et je m’appuyai contre le
bastingage tandis que Simon posait ses mains de chaque côté de moi.
Les années que nous avions passé éloignés l’un de l’autre s’évanouirent
et se transformèrent en une conversation de plusieurs heures, et j’eus
l’impression d’être de retour dans son ancienne chambre universitaire. Ses
lèvres frôlèrent les miennes à plusieurs reprises, mais il ne les laissa jamais
s’attarder plus de quelques secondes, tout en gardant les yeux rivés sur moi.
Très vite, je désobéis sans le moindre effort aux deux suggestions
d’Hayden.
Chapitre 7 bis

Hayden

De nos jours…

— J’aurais juré t’avoir dit que nous avions une séance de préparation à ta
déposition aujourd’hui, pesta mon conseiller en me fusillant du regard à la
seconde où j’entrai dans mon appartement.
— Entrer chez quelqu’un par effraction est un crime, Lawrence.
— J’ai dû poireauter ici et faire la conversation avec deux des plus gros
trous du cul de cette ville pendant une heure entière. En plus de ça, ils
m’ont pris par surprise avec tout un tas de trucs qui sortiront dans les
journaux demain. On ne peut rien faire pour empêcher cela, mais j’ai
mobilisé du personnel pour travailler les soixante-douze prochaines heures
sans interruption, histoire de faire le ménage au maximum.
Je laissai échapper un soupir.
— Je suis désolé.
— Quoi ? demanda-t-il, l’air surpris que j’aie prononcé ces mots.
D’accord, eh bien, euh… en parlant d’être désolé, combien de lettres as-tu
terminées ?
— Une.
— Pour qui ?
— Pour toi.
Je ramassai l’enveloppe sur ma table basse et la lui tendis, mais il ne
l’ouvrit pas.
À la place, il la rangea dans sa poche.
— Les meilleures excuses seraient de changer de comportement, Hayden.
C’est tout ce que je t’ai toujours demandé. En plus de mon salaire et de ma
prime annuelle, bien entendu.
— Bien entendu.
— Que faisais-tu au lieu d’écrire les lettres ?
Je me rendais compte à quel point Penelope était foutrement sexy.
— Je me suis arrêté à l’embarcadère soixante-deux pour me vider la tête.
— Dans ce cas, c’est officiel, tes excuses ne valent pas un clou.
— C’est la vérité, insistai-je en souriant. Je voulais être sûr de profiter de
mon dernier jour de liberté avant de me lancer dans ce qui ressemble à une
tournée d’excuses à n’en plus finir.
Il ne semblait pas croire un traître mot de ce que je disais. Il sortit son
téléphone et tapota l’écran, puis appuya sur le bouton du haut-parleur,
faisant retentir la sonnerie à travers la pièce.
— Sarah, comment puis-je…
Elle s’interrompit.
— Oh, Lawrence, c’est vous. Qu’est-ce qu’il vous faut ? demanda-t-elle.
— Pouvez-vous me dire où monsieur Hunter a passé son après-midi,
hier ?
— Il se vidait la tête.
— Ne m’obligez pas à vous reposer la question.
— Il était à une fête, sur un yacht, confessa-t-elle en me trahissant
immédiatement. Il y est allé pour Penelope et un type avec qui elle sort.
Mais il m’a fait promettre de ne rien dire et de ne lui parler d’aucune
réunion, car il ne voulait pas s’en préoccuper et il avait surtout peur que
Penelope fiche tout en l’air.
Sarah reprit enfin sa respiration, puis ajouta :
— Vous n’allez pas lui répéter que je vous ai raconté ça, n’est-ce pas ?
— Je ne ferais jamais une telle chose.
Mon conseiller raccrocha, puis se tourna vers moi en fronçant les
sourcils.
— Je veux cinquante lettres dans ma boîte de réception à la fin du week-
end, et trente lundi matin et chaque matin qui suivra. À quoi bon mobiliser
une équipe entière pour essayer de redorer ton image si tu ne t’impliques
qu’à moitié ? Est-ce que c’est clair, fiston ?
— Comme de l’eau de roche.
— Bien.
Alors qu’il se dirigeait vers la porte, il me lança par-dessus son épaule :
— Est-ce que Penelope a tout fichu en l’air ?
— Pas du tout.
Lawrence quitta mon appartement et je me rendis dans la cuisine. J’avais
besoin de quelque chose de fort.
Au départ, je n’avais pas du tout l’intention de me rendre sur le yacht,
mais je m’étais souvenu d’une fois où Penelope avait évité le gars qu’elle
voulait séduire toute la soirée et avait passé son temps enfermée dans les
toilettes à paniquer. En voyant qu’elle ne répondait à aucun de mes textos
concernant sa technique d’approche, je m’étais senti obligé de la rejoindre.
Et je m’en étais mordu les doigts.
À la seconde où je l’avais aperçue dans cette robe rouge, j’avais imaginé
ses jambes serrées autour de ma taille, mes mains saisissant ses cheveux
châtains à pleines poignées tandis que je la pénétrais de plus en plus
profondément.
Ce n’est que lorsque je m’étais réprimandé intérieurement avec un «
arrête, c’est ta meilleure amie et la petite sœur de Travis » que j’avais de
nouveau basculé dans le monde réel.
Dans un élan de curiosité, je sortis mon téléphone pour voir si elle avait
répondu à mes messages au sujet de la fête.
Toujours rien.
Mes « Est-ce que tu t’amuses bien ? » et « As-tu besoin que je te
ramène ? » n’apparaissaient même pas encore en « vu ».
Alors que je m’apprêtais à l’appeler, on frappa lourdement à la porte.
Déconcerté de ne pas avoir été d’abord prévenu par le service de sécurité,
je m’approchai et regardai par le judas. Penelope était dans les bras d’un
type et affichait une mine de poisson mort. Sa dégaine typique d’un
lendemain de fête.
Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?
J’ouvris la porte et vis plus clairement l’homme en costume.
Simon, le mec de la fête.
— Euh, salut, commença-t-il. Cela ne vous dérange pas si je la dépose
chez vous ? Elle a dit que…
— Je lui ai dit de m’amener ici, intervint Penelope en souriant. Il y avait
trop de circulation et Tati ne répond pas au téléphone.
Je tins la porte ouverte.
— Le canapé blanc, près de la fenêtre, indiquai-je.
Simon la transporta jusqu’au sofa et la déposa doucement. Puis, il se
retourna et me tendit la main.
— Simon Gaines.
— Hayden Hunter.
— Je suis un grand fan, déclara-t-il. J’admire sincèrement votre
ascension.
— C’est noté, répondis-je avec un hochement de tête.
Je n’avais pas l’habitude de me montrer amical – et encore moins de
rencontrer un homme que Penelope fréquentait depuis aussi peu de temps.
Je ne souhaitais pas non plus l’encourager à rester chez moi trop longtemps.
— Pourquoi est-ce qu’il fait toujours si froid chez toi ? geignit Penelope.
Tu peux m’apporter une couverture ?
J’ignorai sa demande, de la même façon qu’elle avait ignoré mes
instructions.
— Combien de verres a-t-elle bus, ce soir ? m’enquis-je auprès de son
cavalier.
— On a bu trois bouteilles de champagne à deux.
Évidemment.
— Pour la prochaine fois, restez sur du vin. Elle ne tient pas le
champagne.
— Je m’en souviendrai.
Penelope laissa échapper un petit soupir sans parvenir à se mettre sur le
côté.
— Je crois qu’il me faut de l’eau. Est-ce que tu peux m’en apporter, avec
la couverture ?
— Je peux aller lui en chercher dans votre cuisine, proposa Simon.
— Je vais m’en occuper, intervins-je. Vous pouvez y aller.
— Vous en êtes sûr ? Je veux dire…
Je haussai les sourcils.
— Vous voulez dire quoi ?
— Je me sens un peu responsable de cette situation, alors je peux rester.
— Ou bien vous pouvez partir.
Il sembla sur le point de protester, mais il se contenta de s’éclaircir la
gorge.
— Je n’avais jamais remarqué à quel point les détails de ton plafond
étaient magnifiques, Hayden, s’extasia Penelope. Quelle est cette couleur ?
Taupe ? Chamois ?
Simon sourit et s’approcha d’elle. Il enleva sa veste et la déposa sur le
buste de mon amie. Puis, il murmura :
— Appelle-moi quand tu auras dessaoulé. Sauf si je t’appelle en premier.
Il se pencha sur elle comme pour l’embrasser, mais je m’éclaircis la
gorge.
— Ravi de vous avoir rencontré, Hayden, déclara-t-il en faisant un pas en
arrière. J’espère que l’on se reverra dans des circonstances moins
alcoolisées, la prochaine fois.
— Espérons-le.
Il se dirigea vers la porte et j’attendis le bruit de l’ascenseur pour me
tourner vers ma meilleure amie.
Même ivre morte, elle était incroyablement belle.
— Ne t’avais-je pas dit de ne pas te saouler ? demandai-je.
— Arrête de me crier dessus.
— La seule personne qui crie, c’est toi.
— Je vois bien que tu me juges.
— Crois-moi, je n’ai pas encore commencé. Néanmoins, je le ferai quand
tu auras décuvé. Je répète : est-ce que tu as loupé le moment où je t’ai
spécifiquement recommandé de ne pas boire ?
— Le yacht était magnifique, s’émerveilla-t-elle en se redressant avec un
sourire. Simon me l’a fait visiter en privé et il m’a montré toutes les pièces
secrètes.
— Donc, tu ignores ouvertement ma question ?
— On a dansé sur le balcon sur la chanson de Frank Sinatra, « New York,
New York ». J’avais l’impression d’être dans une comédie romantique des
années quatre-vingt-dix.
— Bon, très bien.
Je plaçai ses pieds sur un coussin et lui retirai ses talons aiguilles.
— Pendant un instant, c’était comme si nous étions seuls à bord.
— Pose ta tête sur l’accoudoir, s’il te plaît.
— À un moment, j’ai cru qu’il essayait de m’embrasser, mais je n’étais
pas sûre de bien comprendre, alors j’ai juste pris un autre verre de
champagne et je l’ai bu.
J’ajustai les oreillers derrière sa tête tandis qu’elle continuait de radoter.
Elle parla de l’argenterie qui portait les initiales de Simon, de la façon dont
les eaux du fleuve clapotaient contre le bateau, et puis j’eus droit à un
deuxième, troisième et quatrième récapitulatif mot pour mot de leur danse
sur « New York, New York » de Frank Sinatra, « comme dans une comédie
romantique des années quatre-vingt-dix ».
Alors que je dégageais quelques mèches de cheveux de son front, elle
posa sa main sur la boucle de ma ceinture et me regarda droit dans les yeux.
Je haussai les sourcils.
— Est-ce que c’est mal d’avoir pensé à ta queue pendant une heure
entière quand tu es parti ?
— Je vais te chercher une couverture. Tu me raconteras le reste de ta
soirée plus tard.
— J’ai imaginé la prendre dans ma bouche, je me demandais si elle
tiendrait tout entière, ou si mes yeux se mettraient à pleurer si je la mettais
jusqu’au fond de ma gorge.
— Penelope… l’avertis-je en sentant mon membre se durcir dans mon
pantalon. Il faut que tu te taises.
— Tu voulais mon avis sincère sur tes photos, non ?
— Pas maintenant.
— J’ai toujours pensé que tu étais l’homme le plus sexy que j’aie jamais
vu, même à l’époque où je te détestais, reprit-elle. Même quand j’étais
persuadée que ton arrogance te servait seulement à compenser ton petit
pénis.
Elle baissa les yeux sur mon pantalon, puis ajouta :
— De toute évidence, ce n’était pas le cas.
Je repoussai doucement sa main et disparus dans le couloir. J’ouvris le
placard et en sortis une couverture, me jurant d’effacer de ma mémoire ses
divagations sous l’emprise de l’alcool.
Quand je revins, elle avait le sourire aux lèvres, comme si elle attendait
d’aller jusqu’au bout de sa pensée.
— L’idée de coucher avec toi ne m’a jamais traversé l’esprit, je le jure,
poursuivit-elle. Pourquoi est-ce que tu ne t’es jamais lancé dans le porno ?
— Cette conversation est officiellement terminée pour aujourd’hui,
annonçai-je en la recouvrant avec la couverture. S’il te plaît, arrête.
— Je ne crois pas que je te dirais ces quatre mots si on couchait ensemble
un jour.
— Penelope Carter, bordel… l’avertis-je en fronçant les sourcils. Plus un
mot.
Elle rit et se retourna face à la fenêtre.
— Merci pour tes conseils à propos de Simon. Tu es le meilleur, Hayden.
Tu l’as toujours été, et tu as toujours été là pour moi.
Elle se mit à ronfler au bout de quelques secondes, j’éteignis alors les
lumières et me dirigeai vers la salle de bain.
J’avais besoin d’une douche froide.
Immédiatement.
Rupture no 7
Celui qui faisait des origamis

Penelope

À l’époque…
Sotchi, en Russie

— Comment ça, tu ne peux pas être là pour moi ?


Je fixe du regard le visage de Travis sur l’écran de mon ordinateur
portable en espérant qu’il s’agisse d’une plaisanterie de mauvais goût.
— Je m’apprête à patiner aux foutus Jeux olympiques. Demain.
— Je sais, mais j’étais présent à d’autres concours, se justifia-t-il. Je suis
sûr que tu vas remporter la médaille d’or. Tu t’es classée première partout
cette année.
— Travis…
Je sens les larmes monter.
— Si c’est une blague, c’est le moment de balancer la chute, déclaré-je.
— Écoute, Crown, commence-t-il en approchant son visage de l’écran.
J’ai été contacté par Gatorade cette semaine, ils me proposent un sponsor à
six chiffres. Ils ont dit que le contrat était à moi si je me rendais à leur siège
et que je signais les papiers tout de suite. Six chiffres, Crown. C’est génial,
non ?
Je ne réponds rien.
J’ai soudainement un goût de déjà-vu, de la fois où il a manqué le Grand
Prix de Chicago à cause d’un combat de dernière minute. Ou peut-être est-
ce la fois où il n’est pas venu au championnat de Los Angeles, parce qu’il
ne pouvait pas se permettre de rater un rendez-vous avec un membre de la
commission de l’UFC pour « montrer qu’il s’engageait dans ce sport pour
du long terme ».
Le fait que j’aie renoncé à des heures de sommeil pour regarder tous ses
matchs jusque tard dans la nuit et que j’aie manqué des week-ends entiers
d’entraînement pour me rendre à ses conférences de presse avec Hayden n’a
pas d’importance à ses yeux. La carrière de mon frère est en train de
décoller et, étant donné qu’il gagne de l’argent, son sport est le seul à peser
dans la balance.
— Je dois seulement m’assurer de battre Marquez le quinze.
Sa voix me tire de mes pensées.
— Je suis certain que d’autres sponsors viendront frapper à ma porte
après ça, poursuit-il en souriant comme s’il n’était pas en train de piétiner
mon cœur. Gatorade n’est que le début pour nous.
Nous ?
— Je suis sûre qu’ils auraient compris que tu veuilles être présent pour ta
petite sœur, déclaré-je.
— Je suis là pour toi, rétorqua-t-il en fronçant les sourcils. Aux dernières
nouvelles, c’est moi qui paye les billets d’avion pour toi et ton entraîneur
afin que tu puisses aller partout où tu as besoin. C’est aussi moi qui paye
pour que tu aies les meilleurs kinés du pays. Quant aux sponsors que tu
décroches… oh, attends. Ils sont insignifiants, donc quelqu’un d’autre est
obligé de te prendre en charge.
— Tu avais promis, Travis.
— Non, j’avais dit que j’y réfléchirais, ment-il. Et j’ai assez parlé de ça
pour aujourd’hui. Il faut que tu prennes sur toi, bordel. Je fais de mon
mieux, et si le fait que je ne sois pas dans le public affecte ta performance,
alors peut-être…
Je lui raccroche au nez et referme l’écran de mon ordinateur portable pour
l’empêcher de me rappeler à grand renfort de : « Je suis désolé, Crown. Tu
sais bien que je suis plus quelqu’un de rationnel que d’émotif. Je suis
vraiment désolé… »
Cette fois, je n’ai pas envie d’écouter ses excuses. J’ai besoin de parler à
quelqu’un qui s’intéresse réellement à moi.
Jackson…
Je suis reconnaissante que mon petit ami soit ici. Il participe à la
compétition de ski free-style et c’est le premier garçon avec qui je sors qui
comprend à quel point il faut s’investir pour réussir.
Bien que j’aie un « couvre-feu recommandé », je m’éclipse tous les soirs
pour discuter quelques heures avec lui dans le jacuzzi.
Je sors de mon lit et enfile mes bottes et mon manteau. Je m’approche de
la sculpture en origami qu’il m’a apportée hier soir : une tour de roses
rouges et de cygnes blancs, avec des messages cachés dans les pliures.
Je choisis une fleur colorée où est écrit : « Je sais que nous sommes ici
pour nous concentrer sur la compétition, mais je suis là pour toi, quoiqu’il
arrive. Je laisserais tout tomber pour t’écouter. »
J’ouvre la porte, vérifie des deux côtés, puis me dirige vers l’ascenseur.
— Eh bien, regardez qui est là.
Le diable en personne, alias Tatiana Brave, vient se planter devant moi.
Je lève les yeux au ciel et appuie sur le bouton pour descendre.
— Le couvre-feu commence dans quinze minutes, déclare-t-elle. Ce
serait vraiment dommage si je devais rapporter à notre ambassadeur
olympique que ma chère concitoyenne sort en cachette pour rejoindre son
petit ami. Étant donné que nos scores sont au coude à coude, j’imagine que
tu auras besoin de te reposer au maximum.
— Si tu veux me balancer, fais-toi plaisir, déclaré-je. Ça ne changera rien
du tout.
— Tu veux parier ?
— Tout à fait, répliqué-je en haussant les épaules. Quel dommage que tu
aies fait tout ce chemin pour espérer décrocher l’argent ou le bronze. Nous
savons toutes les deux que tu n’as aucune chance de remporter l’or contre
moi, mais j’aime la façon dont tu gardes espoir. C’est mignon.
— Tu es une vraie garce.
— Tu es pire.
Furieuse, elle s’éloigne sans ajouter un mot et les portes de l’ascenseur se
referment.
En arrivant dans le hall d’entrée, je sors du bâtiment et traverse le campus
en direction des bains à remous.
Les enceintes crachent de la musique rock et je reconnais sans mal la
playlist de mon petit ami.
Je me dirige vers le porte-serviette quand je remarque que Jackson n’est
pas venu seul. Il est dans le jacuzzi en compagnie d’un autre homme, et
tous deux s’embrassent comme s’ils étaient seuls au monde.
Je les observe tandis que mon petit ami attire l’autre type sur ses genoux
et que leurs langues s’entrechoquent, et ce n’est que lorsque la chanson se
termine qu’il croise mon regard par hasard.
— Oh, merde, lâche Jackson en écarquillant les yeux. Penelope, ne t’en
va pas. Je peux t’expliquer.
— Ne te donne pas cette peine.
Je tourne les talons et retourne précipitamment jusqu’à l’hôtel.
Une fois de retour dans ma chambre, je me laisse tomber sur le lit.
J’essaye de ne pas pleurer, mais en vain.
J’allume la télévision et mets une version sous-titrée de Quand Harry
rencontre Sally.
Au beau milieu de la scène de la rencontre, quelqu’un frappe à ma porte.
— C’est fini entre nous, Jackson ! m’écrié-je en m’approchant. Je me
fiche que tu sois homo. Ce sont les mensonges et la…
Je m’interromps en voyant Hayden debout dans le couloir.
— Donc, ton petit ami est homo, comme je te l’avais dit ? demande-t-il
en souriant.
— Non, répliqué-je en évitant son regard. Non, il ne l’est pas. Je récitais
les dialogues d’une série à voix haute.
Il jette un coup d’œil derrière moi.
— C’est une publicité.
Je me sens rougir et ne trouve rien à répondre. On ne s’est pas parlé
depuis trois jours et il est censé s’occuper du lancement de son application
de rencontres en Californie.
— Pourquoi n’es-tu pas à Los Angeles ? m’étonné-je en changeant de
sujet. J’avais prévu de rester éveillée pendant les cinq prochaines heures
pour t’appeler.
— Puisque je sais que tu n’es pas près d’admettre que j’avais raison…
Il ouvre son sac à dos et en sort un pot de pâte à cookie crue aux pépites
de chocolat et une cuillère en plastique rose.
— Je te l’avais bien dit, bordel, termine-t-il.
Avant que j’aie le temps de lui refermer la porte au nez, il m’attire contre
lui et me prend dans ses bras.
— Merci de ne pas remuer le couteau dans la plaie, soupiré-je en
souriant.
— J’ai toujours l’intention de le faire. Je veux seulement te laisser
quelques heures de répit avant de commencer officiellement.
— Est-ce que tu as vraiment fait douze heures d’avion juste pour te
moquer de moi ?
— Bien sûr que non.
— Tu souris, Hayden.
— Ah oui ? Je ne fais pas exprès, ment-il alors que ses fossettes se
creusent davantage. De ce que je vois, cette situation n’a vraiment rien de
drôle. Je veux dire, je t’avais bien dit que ton petit ami passait plus de temps
à poser des questions sur moi que sur toi, mais qu’est-ce que j’en sais, après
tout ?
— Est-ce qu’il y a un homme dans le couloir ? s’écrie mon coach dont la
voix semble proche.
J’attire Hayden dans ma chambre et referme la porte.
— Alors tu t’es réveillé ce matin et tu as décidé de te prendre l’avion pour
Sotchi, juste comme ça ?
— Non, répond-il. Mais quand Travis m’a expliqué qu’il ne viendrait pas,
je me suis dit que je ne pouvais pas te laisser seule. J’ai réservé une suite à
l’hôtel de l’autre côté de la rue.
Je souris.
— Merci d’être venu et d’être là pour moi.
— C’est ce que font les amis, déclare-t-il en haussant les épaules. Et puis,
je compte sur toi pour me renvoyer l’ascenseur, plus tard.
— J’aurais dû m’en douter.
— J’ai acheté ça pour toi, reprend-il en sortant une petite boîte bleue de
sa poche. Je l’ai vu à Los Angeles et je me suis dit que ça te plairait.
J’ouvre le couvercle et observe le pendentif en forme de patins à glace
entrecroisés monté sur un collier en argent.
Sur le devant sont gravées les lettres « QDH ».
— QDH ? demandé-je. Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Cela veut dire que tu peux arrêter de m’appeler pour me poser toutes
ces questions parce que tu peux simplement te demander : que dirait
Hayden ? explique-t-il en m’indiquant de retourner le bijou. Ensuite, une
fois que tu auras ignoré ce conseil et que tu te seras plantée, tu pourras
prendre de l’avance et m’imaginer en train de te dire « je te l’avais bien dit
».
— Merci, c’est officiellement le pire cadeau que l’on m’ait jamais offert.
— De rien.
Il me fait signe de lui tourner le dos pour le passer autour de mon cou.
Puis il croise mon regard dans le miroir.
— Travis ne parle que de toi. Chaque fois qu’il décide de faire quelque
chose, il le fait en pensant à toi, je crois que tu devrais le lâcher un peu. Il a
perdu ses parents, lui aussi.
Je hoche la tête.
— D’accord.
— Bien.
Il s’approche de la sculpture en origami, prend l’un des cygnes entre ses
doigts et lit le mot qui se trouve à l’intérieur à voix haute :
— « Parfois, apprécier une femme aussi belle que toi est un déchirement.
Une femme si proche de lui. Je t’aime vraiment beaucoup et j’aime qu’il ne
soit jamais loin de toi. Toujours. » Sérieusement, Penelope ? s’exclame
Hayden en secouant la tête. Comment diable as-tu pu ne pas te rendre
compte qu’il était homo après avoir lu ces conneries ?
Chapitre 8

Penelope

De nos jours…

Je me réveillai dans la grande chambre d’amis d’Hayden avec un mal de


crâne carabiné et la gorge sèche. Les souvenirs de la veille
s’entrechoquaient dans mon esprit avec un filtre rose embarrassant, assorti
au champagne dont j’avais abusé.
Des images de Simon m’aidant à monter dans une voiture noire et me
portant devant les agents de sécurité de mon meilleur ami tournaient en
boucle dans ma tête. Et j’avais désespérément envie de croire que le fait
qu’il m’ait vue complètement saoule était un rêve et non pas un souvenir.
Je n’arrive pas à croire que j’ai bu autant.
— Pouah, pourquoi, geignis-je.
Je me retournai et regardai par la fenêtre. Il faisait sombre et le soleil ne
s’était pas encore levé sur le Triborough Bridge.
Sur la table de chevet à côté de moi étaient posés deux bouteilles fraîches
de jus d’orange, de l’aspirine et un mot écrit à la main.

Je travaille sur les lettres d’excuses toute la journée aujourd’hui.


Rejoins-moi quand tu seras réveillée, car nous avons un accord.
(Seulement si tu es 100 % sobre.)
Hayden

Je rejetai les couvertures et baissai la fermeture éclair de ma robe, laissant


la soie tomber sur le sol.
Après avoir passé un long moment sous la douche, je fouillai dans le
tiroir qui m’était attribué dans l’appartement. Vêtue d’un legging et d’un
sweatshirt Team USA, je me laissai guider jusqu’à la cuisine par l’odeur du
café fraîchement préparé.
Au milieu des feuilles imprimées et des enveloppes, Hayden sirotait une
tasse de café installé au bar.
— Salut.
Je m’éclaircis la voix et il leva les yeux vers moi.
— Salut. Tu as décuvé ?
— Si je réponds non, est-ce que j’ai le droit de me recoucher pour toute la
journée ?
— Non.
Il me fit signe de m’asseoir à côté de lui. Puis, il fit glisser une pile de
cartes vers moi.
— J’ai déjà fini celles-là. J’ai seulement besoin que tu les relises.
— Je suis désolée de ne pas avoir suivi tous tes conseils, hier soir.
— Ce n’est pas grave, déclara-t-il. Tu fais toujours ça au début avec tous
les types que tu fréquentes, alors j’aurais été surpris qu’il en soit autrement.
— Est-ce que j’ai dit quelque chose d’embarrassant quand il était là ?
— Embarrassant ? Non.
Un petit sourire satisfait se dessina sur ses lèvres.
— Extrêmement déplacé ? Oui, ajouta-t-il.
— Merde, qu’est-ce que j’ai dit ?
— Rien qu’il ne saura jamais.
— Est-ce que tu penses qu’il va me rappeler un jour, étant donné que j’ai
pris une cuite le soir de notre premier rendez-vous ?
— Cela n’avait pas l’air de le rebuter quand il a essayé de t’embrasser.
— Bon, tant mieux, soupirai-je. Qu’est-ce que tu penses de lui ?
Honnêtement.
— Il lui faut un meilleur tailleur.
— Je suis sérieuse, Hayden, insistai-je en lui donnant un petit coup dans
l’épaule.
— Nous n’avons pas beaucoup parlé, mais il m’a l’air convenable.
— Génial. J’ai des choses à te demander sur des trucs qu’il a dits quand
nous étions…
— Je ne crois pas, non.
Hayden posa son doigt sur mes lèvres et je sentis mon cœur s’emballer à
son contact.
Je dois encore avoir de l’alcool dans le sang.
— Pendant les prochaines heures, on parle de mes lettres, décréta-t-il
avant de lever les yeux vers les miens. Et ensuite, tu auras le droit de me
faire perdre mon temps en me parlant du prince charmant. Marché conclu ?
— Marché conclu.
Chapitre 8 bis

Penelope

De nos jours…

Quelques heures plus tard, j’entourai une faute de frappe, puis levai les
yeux vers Hayden.
— Donc, tu as détruit une suite de luxe au Marriott à l’époque où on ne se
parlait plus… à tel point que le manager a dû tout remplacer, sauf les
rideaux ? m’exclamai-je en m’assurant que je lisais correctement sa liste de
« raisons pour lesquelles je dois demander pardon ». Pourquoi est-ce que tu
as fait une chose pareille ?
— C’est une longue histoire, répondit-il en me tendant un chèque. Mets
ça à l’intérieur avant de sceller l’enveloppe.
— Je le ferai. Tu sais, je pense que ce serait mieux si tu rédigeais
seulement plusieurs modèles que tu pourrais modifier. Comme ça, tu
n’aurais pas besoin de passer autant de temps à chercher de nouvelles idées
à chaque fois.
— Si deux personnes reçoivent la même lettre, ça les mettra encore plus
en colère qu’elles ne le sont déjà.
— Je réglerai les paramètres afin que les mots ne se répètent pas,
proposai-je en ouvrant mon ordinateur portable. J’ai appris à le faire dans
un cours d’art oratoire en développement personnel. Fais-moi confiance.
— Tant que Lawrence ne le découvre jamais.
— Il n’en saura rien.
Avant que j’aie eu le temps de faire couler une nouvelle tournée de café,
un appel fit sonner mon téléphone. Simon.
Je fixai l’écran du regard tandis que l’objet vibrait sur la table.
— Est-ce que je dois répondre ?
— Ça dépend, s’amusa Hayden en croisant les bras. Tu promets
d’accepter ma suggestion ?
— Oui.
— Bien.
Il saisit mon téléphone et le jeta sur le canapé.
— Non, reprit-il. Tu ne décroches pas à son premier appel. Mais tu
pourras répondre s’il retente sa chance.
— Pourquoi est-ce qu’il n’attendrait pas simplement que je le rappelle ?
Il m’adressa un regard appuyé.
— D’accord, concédai-je en levant les mains comme pour me rendre. Je
ne décroche pas, sauf s’il appelle une seconde fois.
— Gentille fille, se réjouit Hayden avant de montrer sa liste du doigt.
Remettons-nous au travail.
Les heures qui suivirent, je créai quarante modèles de lettres différents et
descendis l’équivalent d’une cafetière entière. Je ne regardai pas mon
téléphone ni n’osai aller le chercher, même quand Hayden disparut à
plusieurs reprises pour prendre des appels.
Ce n’est que lorsque Sarah arriva avec notre déjeuner que mon
impatience faillit prendre le dessus.
— Simon Gaines est sacrément sexy, lança-t-elle en me tendant un
plateau-repas. Mais tu sais, tu ne peux pas avoir deux mecs canon qui te
tournent autour en même temps. C’est vraiment injuste, maintenant que j’y
pense. Tu es jolie, mais tu n’es pas jolie à ce point.
— Bon sang, de quoi est-ce que tu parles, Sarah ?
— Rien, répondit-elle en souriant. Je suis juste contente de passer mon
week-end à récupérer un repas commandé pour mon patron et sa meilleure
amie. Ce n’est pas comme si j’avais ma propre vie.
— Vous pouvez prendre le reste de votre journée, offrit Hayden en levant
les yeux vers elle. Merci de vous être plainte de votre boulot super facile,
comme toujours.
— Tout le plaisir est pour moi, monsieur Hunter.
Elle se dépêcha de quitter la pièce.
— Il faut vraiment que tu la vires.
— Il faut vraiment que je la vire, nous déclarâmes en cœur en riant.
Alors que je prenais une bouchée, mon téléphone vibra de nouveau sur le
canapé.
Sans réfléchir, je me levai et me précipitai pour voir qui m’appelait.
Simon, encore.
— Allô ?
— Salut, beauté, répondit-il en souriant à l’autre bout du fil. Tu t’es
remise de ta gueule de bois ?
— Peut-être.
Il rit.
— Eh bien, dans ce cas, je t’appelle pour te supplier de m’accorder un
second rendez-vous.
— Vraiment ? demandai-je avec des papillons dans le ventre. Quand ?
— Demain, si tu peux. J’organise une autre fête dans les Hamptons. Est-
ce que tu pourrais te joindre à moi ?
— Euh… fis-je en me tournant vers Hayden. Attends une seconde, je dois
vérifier quelque chose.
— Bien sûr.
Je m’assurai de le mettre en sourdine.
— Il me propose un second rendez-vous demain dans les Hamptons.
Qu’est-ce que je dois répondre ?
— Que les gens normaux travaillent et qu’ils ne peuvent pas faire la fête
avec leur coup de cœur de jeunesse tous les soirs.
— Tu sais que c’est très hypocrite venant de toi, monsieur le play-boy
indompté de Manhattan, pas vrai ?
Il se pencha en arrière sur sa chaise et rit.
— Tu devrais y aller, oui. Dis-lui que tu acceptes.
J’enlevai le mode sourdine.
— Désolée pour l’interruption. Je peux venir.
— Génial. Je serais bien passé te prendre, mais j’ai déjà promis à mes
amis de conduire. Est-ce que je peux envoyer une voiture pour venir te
chercher, à la place ?
— Non, ce n’est pas la peine. Je demanderai à Hayden de m’emmener.
— Hmm.
Il marqua une pause, puis reprit :
— Alors d’accord. Je t’enverrai l’adresse et l’heure par message.
— J’ai passé un super moment avec toi sur le yacht, déclarai-je en
espérant que son « hmm » n’allait pas me mener à une situation familière
que je n’avais aucune envie de revivre.
— Moi aussi, répondit-il. Cependant, il faut que je t’avertisse. Quand les
gens sauront que mon entreprise a déménagé ici, il est possible que l’on soit
suivis par des paparazzis de temps en temps. Enfin, du moins, si tu sors
toujours avec moi.
— Cela ne me gêne pas du tout, déclarai-je en me mordant la langue pour
ne pas ajouter « j’ai l’habitude avec Hayden ». Fais-moi confiance.
— Explique-moi pourquoi ta dernière relation n’a pas fonctionné,
demanda-t-il tout à coup.
Sa question me prit de court.
— Quoi ?
— Ta dernière relation, répéta-t-il. Je suis curieux de savoir pourquoi un
homme sain d’esprit pourrait bien se séparer de toi.
— C’est compliqué, mentis-je en rougissant. Et puis, c’est une longue
histoire.
— J’ai toute la journée devant moi.
Je sentis de nouveau le rouge me monter aux joues.
— Ce n’était simplement pas celui qu’il me fallait. Nous sommes sortis
ensemble six mois et, pendant tout ce temps, il nourrissait de la rancœur à
propos d’un truc stupide. Quelque chose qu’il savait depuis le début.
— Tu veux dire, à propos du fait que ton meilleur ami ait une réputation
de bad boy et que c’est un PDG à qui tout réussit ?
— Oui, avouai-je en souriant. À propos de ça.
— Eh bien, juste pour que tu le saches, cela ne me dérange pas le moins
du monde.
— Vraiment ?
— Oui. La plupart de mes amis m’ont tourné le dos quand j’ai commencé
à être obnubilé par mon travail et cela n’a pas été facile de m’en faire de
nouveaux. Je pense que c’est une bonne chose d’avoir un ami aussi loyal
dans ta vie.
— Je crois que mon obsession pour le patinage m’a privée d’un bon
nombre d’amitiés, moi aussi. Cependant, je n’ai aucun regret.
— Il n’y a pas de regret à avoir. Tu as accompli pratiquement tout ce que
tu désirais pendant ta carrière, n’est-ce pas ?
Exactement comme pendant la soirée sur le yacht, une simple question se
transforma en une conversation de plusieurs heures, au sujet de tout et de
rien. Je ne calculais pas mes réponses et je ne me mettais pas de barrière
comme je le faisais habituellement lorsque je tentais de séduire quelqu’un.
Tout semblait simple et naturel, fluide et bienveillant.
Je ne me formalisai même pas qu’Hayden ait mangé mon déjeuner et
qu’il m’ait portée littéralement en plein milieu de la conversation pour
m’emmener dans la chambre d’amis afin de pouvoir se concentrer.
Alors que Simon était en train de me parler de son restaurant préféré en
Floride, nous fûmes interrompus par son assistant.
— Est-ce que je peux te rappeler dans l’heure ? demanda-t-il. Ce sera
rapide, c’est promis.
— Pas de problème.
Je raccrochai et retournai dans la cuisine, mais m’immobilisai en
apercevant Hayden vêtu uniquement d’un boxer noir.
Il se tenait devant la gazinière, laissant l’eau de ses cheveux tout juste
lavés ruisseler sur son torse parfaitement sculpté.
— Oui ? fit-il en retournant un pancake avant de lever le regard vers moi.
Est-ce que tu as enfin fini de parler à Simon de tes films de Disney préférés
ou bien y aura-t-il une deuxième partie à cette conversation fascinante ?
— Tu m’espionnais ?
— Je suis venu pour fermer la porte. Tu veux trois ou quatre pancakes ?
— Je veux que tu mettes des vêtements.
— Bon sang, dans mon propre appartement ? s’amusa-t-il d’un air
suffisant. Trois ou quatre ?
— Quatre. Et oui, dans ton propre foutu appartement.
Il rit et attrapa un bas de jogging posé sur une chaise, puis l’enfila.
— C’est mieux ?
— Beaucoup mieux, répondis-je en sortant le sirop. J’ai besoin que tu me
rendes un service.
— Dans ce cas, il va falloir m’écrire d’autres lettres.
— Est-ce que tu peux m’emmener dans les Hamptons, demain ? De
préférence tôt le matin, pour éviter les bouchons ?
Il m’observa comme si j’avais perdu l’esprit.
— Je te donnerai de l’argent pour l’essence, insistai-je.
— Le plein de ma Maserati coûte deux cents dollars.
— Tu as d’autres voitures.
— Celui de la Bugatti est encore plus onéreux. C’est ce que j’ai de plus
abordable à te proposer.
— Tu ne voudrais pas acheter une Honda ou une Prius d’ici demain ?
Il rit.
— Je croyais que tu avais un entraînement à la patinoire avec l’espoir
olympique, demain ?
— Je peux reporter, répondis-je en haussant les sourcils. Elle a seulement
besoin que je lui donne mon avis.
— Je t’emmènerai, mais à condition que tu n’annules pas une deuxième
fois sa séance. Tu détestais quand les entraîneurs te faisaient la même chose
et j’ai toujours les textos et les messages vocaux rageurs qui le prouvent.
Je le fixai du regard, agacée qu’il me connaisse sur le bout des doigts. Et
qu’il me fasse une leçon de morale culpabilisante bien méritée.
— Je demanderai à Tatiana d’y aller à ma place, proposai-je. Cela fait un
moment qu’elle a envie de voir quelqu’un patiner correctement.
— Bonne idée.
Il éteignit la gazinière.
— Soit prête pour quatre heures. Dans combien de temps est-ce que tu
peux te remettre à travailler sur les lettres ?
— Simon me rappelle d’ici une demi-heure.
— D’accord, alors pas de petit déjeuner pour toi. Uniquement des lettres
jusqu’à son appel.
Il mordit dans ma pile de pancakes et fit glisser un stylo vers moi, avant
d’ajouter :
— De rien.
Chapitre 9

Hayden

Le lendemain matin…

— Est-ce que je t’ai déjà dit que tu étais un très mauvais conducteur ?
lança Penelope en se tournant vers moi alors que je faisais slalomer mon
Audi dans les ruelles. La vitesse est limitée à trente kilomètres-heure et tu
roules à cinquante depuis le début.
— Si tu veux, on peut échanger nos places et tu peux conduire.
— J’aimerais beaucoup, en réalité.
— Dommage pour toi, c’était du sarcasme, m’amusai-je en changeant de
voie. Combien de temps ton cher et tendre et toi êtes-vous restés au
téléphone, hier soir ?
— Trois heures. Comme moi, on lui a brisé le cœur d’une façon assez
horrible. Je te raconte ?
— Bien sûr, répondis-je, déterminé à ne pas écouter le moindre mot.
J’avais cru que travailler sur les lettres et parler du « prince charmant »
suffirait à faire disparaître les images érotiques qui inondaient mon esprit
depuis la veille, mais je me trompais.
Je me trompais lourdement.
Pour ne rien arranger, Penelope avait décidé de monter dans ma voiture
uniquement vêtue d’un haut de bikini rouge vif et d’un short en jean clair
qui n’était pas plus couvrant qu’une culotte.
Je faisais de mon mieux pour me contenir à chaque virage, tout en me
demandant où diable ma meilleure amie, qui allait autrefois en soirée en
jean et en tee-shirt XXL, était passée. Ma meilleure amie qui ne m’excitait
pas à chaque fois que je la voyais…
— Que dis-tu de ça ?
Sa voix me tira de mes pensées.
— Sa fiancée l’a quitté le jour où ils visitaient le lieu du mariage, raconta-
t-elle.
— Ça a l’air affreux.
— Oui, c’est vraiment triste.
— S’engager sur le long terme ne mène qu’à la déception, déclarai-je.
Quelqu’un comme lui aurait dû le savoir.
— Évidemment, soupira-t-elle en levant les yeux au ciel. J’imagine que
c’est ce qui fait de toi ce que tu es. Tu es une bonne source d’inspiration
pour un orgasme solitaire en fin de soirée, mais tu n’es vraiment pas un
exemple à suivre pour un petit ami.
— Tu te caresses en pensant à moi ?
— C’était une analogie, Hayden.
— Je crois qu’il y a un sens caché, derrière.
Alors que nous arrivions à un feu rouge, je me tournai vers elle et
ajoutai :
— Tu peux être honnête avec moi, tu sais.
— Je pense sincèrement que tu es imbu de ta personne, et si j’avais su
que tu avais mille lettres d’excuses à écrire, je n’aurais jamais accepté de
t’aider.
— Dans ce cas, tu aurais probablement passé toute la soirée sur le yacht
enfermée dans la salle de bains. De rien, d’ailleurs.
Elle n’eut rien à répondre à cela.
Je tournai à l’angle de la rue et écrasai le frein en voyant ce qui nous
attendait.
— Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? s’écria Penelope en retenant son
souffle.
Des kilomètres de bouchons, pare-chocs contre pare-chocs, s’étendaient
devant nous : des voitures pleines de gens qui avaient eu la même idée, ce
qui anéantissait le projet de mon amie d’arriver en avance.
Ou à l’heure.
— Est-ce que tu crois que je devrais envoyer un message à Simon pour le
prévenir que j’aurai trois heures de retard ? demanda-t-elle en soupirant. Je
ne vois pas comment je pourrais arriver plus tôt.
— Non, répondis-je en quittant la voie pour faire demi-tour. Je vais
mettre la voiture au garage et on aura qu’à marcher jusqu’à l’une de mes
maisons de plage. Je ferai venir Roger en hélicoptère pour vérifier que tout
va bien, puis je demanderai à quelqu’un de m’apporter une autre voiture
pour que je puisse rentrer.
— Est-ce que ça t’arrive de t’arrêter deux secondes pour te rendre compte
à quel point tu es incroyablement riche ?
— Cela m’arrive, mais ma meilleure amie n’est pas impressionnée le
moins du monde.
Je souris, puis empruntai le passage souterrain qui menait à un garage
privé.
Penelope attrapa ma casquette de baseball et mes lunettes de soleil sur la
banquette arrière, et me les tendit.
— Tiens. Je ne veux pas prendre le risque qu’une horde de femmes
essayent de détourner ton attention.
— Ce côté de la plage est désert.
Je lui fis signe de me suivre tandis que je traversais le chemin pour
marcher dans le sable.
Nous marchâmes en silence pendant le premier kilomètre, avec le bruit
des vagues qui frappaient le rivage pour seule compagnie.
— Tu devrais penser à t’envoyer en l’air, lança-t-elle de but en blanc.
— Je te demande pardon ?
— Tu n’as couché avec personne depuis des mois et je crois que cela
t’affecte profondément.
— C’est fort, venant d’une femme qui simule constamment au lit.
— Mes gémissements sont authentiques.
— Contrairement à tes orgasmes.
— Je dis seulement que tu es bien plus détendu quand tu as une vie
sexuelle, expliqua-t-elle en levant les yeux vers moi. À ce propos, est-ce
que ta règle des sept rencards s’applique à Simon et moi, étant donné que je
le connais déjà ?
— Je pense que tu devrais coucher avec lui dès que tu en as envie.
Cependant, te connaissant, tu vas probablement attendre qu’il te dise qu’il
tient à toi.
— Si c’était le cas, j’aurais couché avec toi depuis longtemps.
— Penelope, toi et moi ne serions pas compatibles au lit.
— Parce que ton ego serait blessé quand tu comprendrais que je simule ?
— Tu ne simulerais pas avec moi.
— Je crois que c’est ce que disent tous les mecs.
— Et moi j’en suis certain.
Je m’immobilisai et la fixai du regard.
Puis, comme j’avais besoin d’une excuse pour me mettre à l’eau afin de
dissimuler mon érection, je la soulevai et la jetai dans une vague qui
approchait.
— Sérieusement ? s’écria-t-elle en riant et en buvant une tasse d’eau
salée.
— C’est mérité, déclarai-je. Une autre opinion épouvantable que tu
souhaiterais partager ?
— Je crois que tu es surtout un beau parleur pour ce qui est de tes
performances au lit.
À nouveau, je la poussai dans une vague et la rejoignis dans l’eau.
Alors qu’elle m’attaquait en m’éclaboussant copieusement à l’aide de ses
bras, je compris que l’entraîner dans l’océan avait été une très mauvaise
idée.
Son haut de bikini était suffisamment fin pour que je puisse distinguer ses
tétons à travers le tissu.
Merde.
Tout à coup, elle m’envoya une énorme quantité d’eau en plein visage, ce
qui me tira de mes pensées.
— Tu vas le regretter.
Je la soulevai et la balançai sans difficulté par-dessus mon épaule. Puis, je
la jetai dans l’eau, encore et encore.
Quand elle se rendit enfin, elle monta sur mon dos.
— Tu ne peux pas me porter et me jeter à l’eau de cette façon, Penelope.
— Ce n’est pas mon intention.
Elle serra ses jambes autour de ma taille, puis appuya sa poitrine contre
mon dos.
— Je crois que je me suis tordu la cheville, déclara-t-elle. Tu veux bien
me porter un peu ?
Tu veux bien me promettre d’arrêter d’être aussi sexy ?
— Bien sûr.

***
Quand nous arrivâmes à la maison de plage, nous étions tous deux
complètement trempés et mon contact des Hamptons garait une voiture
dans l’allée pour mon retour à New York.
Je déposai Penelope près de la piscine et lui tendis quelques serviettes de
bain.
— À moins que tu ne désires te rendre à cette fête toute mouillée, il y a
un sèche-linge au fond.
— Je sais, répondit-elle en s’épongeant le visage. Je vais d’abord prendre
une douche.
— S’il ne propose pas de te raccompagner, appelle-moi et je reviendrai.
Mais dans ce cas, tu devras arrêter de lui parler immédiatement. Si tu lui
plais vraiment après tout ce temps, il voudra passer autant de temps que
possible en ta compagnie.
— C’est noté.
Elle fit un pas en arrière et j’essayai de ne pas trop laisser mon regard
s’attarder sur ses tétons.
Est-ce qu’ils sont durs ?
— Autre chose, repris-je en croisant les bras. Si jamais il te raccompagne
chez toi et que tu commences à rédiger ton conte de fées ce soir, ne
m’appelle pas pour me parler de ta soirée.
— Quoi ? Pourquoi ?
— Parce que chaque fois que tu es en train de me raconter ce qui s’est
passé au téléphone, le gars t’appelle, Penelope, expliquai-je en me dirigeant
vers la porte. Laisse-le t’appeler et te parler d’abord. Je te téléphonerai
demain.
— D’accord. Eh bien, merci pour tout. Tu te comportes en parfait
gentleman, aujourd’hui.
Non, je fais preuve d’une retenue impressionnante.
Chapitre 9 bis

Penelope

De nos jours…

Le lendemain matin, j’enlevai le sable de mes chaussures, le sourire aux


lèvres, en me souvenant de la gentillesse dont Simon avait fait preuve la
veille.
En toute honnêteté, il n’y avait pas grand-chose à raconter sur cette
soirée. Tous ses amis cadres avaient bu des bières en se relaxant sur des
transats tandis que mon cavalier me les présentait un par un.
Son insistance à faire les présentations était le genre d’approche pas très
subtile qu’Hayden appelait souvent la technique de : « Elle est sexy ma
copine, pas vrai ? » C’était un jeu de pouvoir silencieux, mais c’était de bon
augure pour notre relation, car je savais qu’il n’essayait pas de minimiser
son attirance pour moi devant ses amis.
Je m’assurai que les derniers grains de sable étaient partis, enfilai mes
chaussures et attrapai mon sac.
— Je reviens, Tatiana ! lançai-je. Je te ramène un muffin !
— Aux myrtilles, s’il te plaît !
J’ouvris la porte d’entrée de mon appartement et me retrouvai face à face
avec Simon et un magnifique vase rempli de roses rouges.
— Euh, salut, Simon.
Je me sentis rougir.
— Salut, Penelope, répondit-il en souriant. Je, euh… J’espère que tu n’as
pas l’impression que je te harcèle ou quelque chose de ce genre, mais je me
demandais si tu accepterais d’aller boire un café ? J’ai le sentiment d’avoir
passé plus de temps à parler de toi à mes collègues qu’à toi directement,
hier.
J’étais totalement sans voix.
— Enfin, si tu ne peux pas venir, je comprends parfaitement, poursuivit-
il. Je peux te proposer un autre jour.
— Non, je suis tout à fait disponible, m’enthousiasmai-je en prenant les
fleurs. Je vais les mettre dans l’eau et je reviens tout de suite.
— D’accord, super.
Je me précipitai à l’intérieur et pris une photo du bouquet. Puis, j’appelai
Hayden.
— Oui, Penelope ?
Il décrocha au bout de la première sonnerie.
— Devine qui m’a offert des fleurs ?
— Devine qui me doit des lettres d’excuses ?
— Le prince charmant, répondis-je sans tenir compte de son sarcasme. Je
t’ai envoyé une photo. Qu’est-ce que tu en penses ?
— Je dirais qu’elles lui ont coûté plus de cent dollars, alors ce n’est pas
un radin comme « Celui qui croyait que les ramens étaient un plat italien ».
— Je crois que « Celui qui avait volé Starbucks » l’avait battu.
Nous rîmes tous les deux.
— Simon vient de débarquer chez moi pour me proposer d’aller prendre
un café, expliquai-je. J’ai accepté avant de m’apercevoir que je ne t’avais
pas demandé ton avis.
— C’est une très bonne idée. C’est juste un café. Et tu as une cliente dans
quelques heures, alors tu ne peux pas rester très longtemps, de toute façon.
— Bien vu. Qu’est-ce que tu fais ?
— J’observe Lawrence qui me fusille du regard parce que je t’ai répondu
au beau milieu d’une réunion importante.
— En quoi est-ce compliqué pour toi d’appeler Hayden après dix-
sept heures, Penelope ? pesta le conseiller en arrière-plan. Est-ce qu’il faut
que je t’achète une montre ? Ton téléphone ne donne pas l’heure ?
Je laissai échapper un petit rire.
— Désolée. Je vais vous laisser vous remettre au travail.
— Attends, intervint Hayden. Juste une chose. Étant donné que Simon est
dans le domaine de l’investissement, c’est peut-être le genre de type qui
aime communiquer par e-mails et par textos toute la journée. Alors, évite de
faire ça avec lui. Du moins, pas trop.
— Pourquoi ?
— Il faut qu’il se plie en quatre pour toi. Qu’il t’appelle et qu’il se
déplace en personne. Et puis, pour je ne sais quelle raison, les e-mails et toi
n’êtes généralement pas très compatibles quand il s’agit de tes relations.
— Cela fonctionne avec toi.
— Je suis une exception, s’amusa-t-il. Ne lui envoie pas d’e-mails et ne
prends pas l’habitude de lui écrire trop de textos tant que tu ne sors pas avec
lui depuis plusieurs semaines, d’accord ? Fais-moi confiance.
— D’accord. On se parle plus tard.
Je raccrochai et rejoignis Simon à l’extérieur.
— Prête pour un café ?
— Prête.
— Tu sais, commença-t-il alors que nous descendions sur le trottoir. Je
voulais t’envoyer un message avant de venir ici, mais je suis vieux jeu au
fond, et je n’aime pas qu’il y ait trop de choses virtuelles dans une véritable
relation. J’espère que cela te convient.
Je souris. Je mourais d’impatience de le répéter à Hayden.
— Cela me convient parfaitement.
Rupture no 9
Celui qui avait rompu par e-mail/Celle qui avait failli manger italien

Penelope

À l’époque…

Objet : Nous
Chère Penelope,
J’ai BEAUCOUP réfléchi dernièrement, et ces quelques mois avec toi ont
été foutrement merveilleux.
J’aime beaucoup ta personnalité et tout ça, mais je ne crois pas que ce
truc de relation à distance va fonctionner pour moi.
Tu passes plus de temps à l’entraînement/sur la glace qu’avec moi, et je
ne crois pas pouvoir gérer tous les voyages que tu fais, alors voilà…
Je ne veux pas DU TOUT que ce soit fini entre nous, je voudrais
seulement prendre un peu de recul jusqu’à ce que tu aies plus de temps à me
consacrer.
Bonne chance pour le Skate Canada le mois prochain.
Ryan

Objet : Tr : Nous :
Yo.
Qu’est-ce que tu penses de mon e-mail pour rompre avec madame « je
suis trop bien pour coucher » ?
Je culpabilise un peu parce que c’est une fille sympa, mais elle avait une
règle à la con selon laquelle elle devait attendre sept rendez-vous, et elle ne
m’a même pas proposé de fellation pendant que je patientais pour qu’elle
écarte les jambes. Je l’ai emmenée cinq fois au restaurant et ça ne lui a
même pas traversé l’esprit de me proposer sa bouche.
Si elle l’avait fait, peut-être que cela m’aurait un peu plus motivé à ne
plus fricoter avec Maya.
Tiens-moi au courant si tu prévois toujours d’aller à la fête des Alpha ce
soir.
Je vais d’abord chez Maya.
Ryan

Un sourire en coin se dessine sur les lèvres de Hayden tandis qu’il lit
pour la troisième fois d’affilée l’e-mail que m’a envoyé mon ex par erreur.
Mon meilleur ami l’a récité chaque fois avec un accent différent (russe,
anglais et italien) comme si, d’une façon ou d’une autre, cela rendait les
mots moins violents.
— Bon, déclare-t-il en me rendant mon téléphone. Je crois que ça suffit.
Il ne me reste plus qu’une chose à dire à propos de cette rupture.
— Tu n’as pas intérêt, Hayden, l’avertis-je en lui adressant un regard
menaçant. Tu peux garder ton commentaire à la con pour toi.
— Pourquoi ? demande-t-il en souriant. Il disait que vous aviez une «
relation à distance » alors que vous vivez à trente minutes l’un de l’autre.
Cela aurait dû tirer ton signal d’alarme dès le départ.
— Tout de même, je ne veux pas te l’entendre dire. Pas maintenant.
— D’accord, eh bien…
Il tapote le volant du bout des doigts, puis ajoute :
— Je ne me permettrai pas de te faire plus de peine que tu n’en as déjà en
te disant que je te l’avais bien dit, bordel.
— Pouah, m’exclamé-je en levant les yeux au ciel. Merci d’être aussi
mature.
— De rien. Pour ton information, la prochaine fois qu’un mec te dit qu’il
a besoin de prendre du recul, c’est seulement qu’il essaye de te larguer en
douceur.
— C’est noté.
Je regarde par la fenêtre en me demandant s’il a l’intention de démarrer la
voiture un jour ou l’autre.
Nous sommes enfermés là-dedans depuis des heures.
— Combien de temps est-ce qu’on va encore devoir rester assis là à
surveiller la maison de ton ex-petite amie ? m’impatienté-je.
— On n’est jamais sortis ensemble, déclare-t-il. Je l’appréciais beaucoup,
c’est tout.
Je tape du pied.
La femme en question fait (enfin, faisait) partie de l’équipe qui travaille
sur l’application de Hayden. Et c’est la première qui a réussi à décrocher
dix rendez-vous d’affilée avec lui.
Un record qui ne sera probablement jamais battu.
— Je ne comprends simplement pas pourquoi on fait la planque devant
cette maison, insisté-je. C’est…
— Elle est à l’intérieur en train de s’envoyer en l’air avec le type que je
viens d’engager dans l’équipe, m’interrompt Hayden. Il est fiancé et elle
couche avec lui. J’avais des doutes, mais il fallait que je le voie de mes
propres yeux.
Je regarde un peu plus loin et remarque le SUV rouge de son nouvel
employé garé de l’autre côté de la rue.
— Je prévoyais de lui préparer un repas italien, dans le cas où je me
serais trompé, explique mon meilleur ami. Eh bien, c’est râpé.
— Tous ces sacs de courses à l’arrière étaient pour elle ? Pas pour toi ?
Il ne me répond pas.
— Est-ce que tu veux un conseil de rupture ? proposé-je.
— Pas du tout, Penelope.
— Je vais quand même t’en donner un.
Je m’éclaircis la gorge et me tourne vers lui.
— Je pense qu’on devrait rouler jusqu’à Walmart et acheter leurs cutters
les plus tranchants. Ensuite, on devrait crever leurs pneus à tous les deux.
Après, il faudrait que tu envoies un message anonyme à la fiancée du type
via une application qui permet d’écrire de faux e-mails d’erreur, en joignant
une photo du SUV garé devant la maison. Ensuite, tu pourrais virer ton ex
par texto avec la même prévenance dont elle a fait preuve envers toi. Et,
pour finir, tu pourrais utiliser toutes ces courses pour me préparer un repas
italien. Je serai probablement affamée après tout ça.
— Est-ce que tu es sérieuse, Pen ? s’offusque-t-il en me regardant comme
si j’avais perdu la tête. C’est de loin le conseil le plus mesquin, le plus
immature et le plus ridicule que tu puisses donner à quelqu’un dans cette
situation.
— Ce n’était pas mon intention. Je sais que tu ne ferais jamais rien de
tout cela. J’essayais de détendre l’atmosphère et de te faire rire.
— Ça n’a rien de drôle, rétorque-t-il avant de marquer une pause. Parce
qu’il n’y a pas besoin d’aller jusqu’à Walmart pour trouver un bon cutter.
La station-service au coin de la rue en vend plein.
— Oh ? m’amusé-je en souriant. Dans ce cas, est-ce que tu as déjà
l’application pour envoyer de faux messages d’erreur ?
— Je l’aurai dans quelques secondes, annonce-t-il en me tendant son
téléphone portable. Télécharge-la pour moi, s’il te plaît.
— C’est comme si c’était fait. Euh, est-ce que ça veut dire que tu me
prépares un dîner italien une fois qu’on aura terminé ? Est-ce qu’on suit
aussi cette partie de ma suggestion ?
— Ne tire pas trop sur la corde.
Chapitre 10

Hayden

De nos jours…

« Il neige en enfer : Hayden Hunter demande pardon »


« Hayden Hunter, le play-boy indompté de Manhattan qui nous a
récemment révélé ses nudes, veut nous dire qu’il est “désolé” »
« Le charme des lettres manuscrites : Hayden Hunter les remet au goût du
jour »
« Le mot d’excuse de Hayden Hunter aux hôtels Hilton dévoilé : on a tout
lu ! »
« Dix raisons de douter des excuses d’Hayden Hunter (on veut juste des
photos de lui à poil !) »
Chapitre 11

Hayden

De nos jours…

— Sarah, avez-vous eu des nouvelles de Penelope, aujourd’hui ?


demandai-je lundi matin, en levant les yeux à la seconde où mon assistante
entra dans mon bureau.
— Pourquoi est-ce qu’elle m’appellerait alors qu’elle vous parle
vingt fois par jour ?
— Vous devez seulement répondre par oui ou par non.
— C’est une question sacrément stupide, répondit-elle en souriant avant
de déposer le dernier numéro du New York Post sur mon bureau. Le PDG de
la Williams Company a fait fuiter votre lettre à la presse ce matin. Il vous
déteste toujours, mais il veut que vous sachiez qu’il accepte vos excuses
pour avoir été un enfoiré il y a plusieurs années.
— Vous devez seulement répondre par oui ou par non, répétai-je.
— Monsieur Walsh de chez Tinder est en ce moment même en train de
donner une nouvelle interview dans l’émission Good Morning America, et
il affirme qu’il ne veut pas de lettre d’excuses venant de vous. Ce qu’il veut,
ce sont des aveux.
— Il n’est même pas sur ma liste.
— Merci de vous joindre enfin à moi sur ce sujet de conversation,
soupira-t-elle en levant les yeux au ciel. Je me suis chargée personnellement
de faire livrer des coffrets de remerciement à tous ceux qui ont accepté
l’invitation à votre gala de bienfaisance, et je m’en suis envoyé un à moi-
même, puisque vous avez justement du mal à me témoigner de votre
gratitude.
— Votre salaire parle de lui-même.
— J’ai une vidéoconférence avec l’assistant de projet dans une heure
pour une présentation du spectacle en fonction des idées que vous avez
données. Désirez-vous vous joindre à nous ?
— Pas du tout.
— C’est bien ce que je pensais, confirma-t-elle avec un haussement
d’épaules. Voilà, c’est tout ce que j’ai pour vous, pour le moment.
Je la fixai du regard.
— C’est un lundi fantastique qui s’annonce pour Cinder, monsieur
Hunter, déclara-t-elle. J’apprécie d’avoir de véritables rendez-vous
d’affaires sur mon agenda au lieu de missions d’ordre personnel, pour une
fois. Même si, bien sûr, je ne manquerai pas de livrer la seconde garde-robe
chez Penelope cette après-midi. Inutile de me le demander.
Non, sérieusement. Pourquoi ne vous ai-je pas virée ?
Je tapotai mon bureau du bout des doigts tandis qu’elle sourit en me
mettant silencieusement au défi de le faire.
— Oh, et je me souviens de quelque chose…
Elle sortit un Post-it jaune de sa poche.
— Penelope m’a appelée il y a une heure, étant donné qu’elle n’arrêtait
pas de tomber sur votre messagerie, reprit mon assistante. Elle va devoir
reporter le dîner de ce soir, car Simon l’emmène à…
Elle plissa les yeux, puis laissa tomber le papier devant moi.
— Je n’arrive pas à lire le reste. J’ai dû griffonner trop vite, conclut-elle.
— Pourquoi ne l’avez-vous pas dit plus tôt ?
— Parce que j’attends désespérément que vous me menaciez de me
renvoyer afin que Lawrence m’offre de nouveau une énorme prime pour
que je revienne, expliqua-t-elle en souriant. Y a-t-il autre chose que je
puisse faire pour vous, aujourd’hui ?
Il me fallut faire tous les efforts du monde pour ne pas répondre ce que
j’avais réellement envie de dire.
— Non, merci Sarah. S’il vous plaît, assurez-vous que les prochaines
lettres partent aujourd’hui.
— Ce sera fait, monsieur Hunter.
Elle sortit de mon bureau sans se presser.
Je lançai un regard vers le Post-it et n’eus aucun mal à relire son écriture.

S’il vous plaît, prévenez Hayden que je dois reporter notre dîner habituel.
Simon est venu à la patinoire et il m’a invitée à passer la soirée à Miami.
P.-S. Pourrais-tu s’il te plaît ne PAS faire comme si je n’avais pas appelé
pour te prévenir ? Pour une fois… pourrais-tu ne PAS me compliquer la
tâche ?
Chapitre 12

Penelope

Quelques jours plus tard…

Moi : Salut ! Pourquoi est-ce que j’ai l’impression qu’on ne s’est pas
parlé depuis des lustres ?
Hayden : Parce que ça fait cinq jours. C’est un record pour nous. C’était
comment, Miami ?
Moi : Carrément magnifiiiiique. Simon est propriétaire d’une résidence
en bord de mer et il m’a fait une visite privée. Il voulait qu’on y passe
quelques nuits (dans des suites séparées), mais je me suis dit que ce serait
précipiter les choses. Correct ?
Hayden : Correct.
Hayden : On se retrouve à Central Park pour débriefer ?
Moi : Pas dispo. Simon organise une soirée de remerciement en haut de
l’Empire State Building pour les cadres dirigeants de son entreprise, et il
m’y a conviée pour être sa cavalière. *emoji qui rougit*
Hayden : Tu es sûre qu’il a un vrai boulot ? Quand travaille-t-il
exactement, s’il dispose de tout ce temps libre pour te balader en jet et faire
la fête ?
Moi : C’est un comble, venant de ta part. (As-tu reçu les vingt lettres
d’excuses que je t’ai envoyées par e-mail ?)
Hayden : Comment ça ? Je suis un autre homme. (Oui.)
Moi : Tu es un homme en phase de transformation, rectification, mais tu
es toujours un enfoiré qui drague tout ce qui bouge. LOL. Je t’appelle
quand je rentre. Je te raconterai tout.
Chapitre 12 bis

Hayden

De nos jours…

Elle n’appela pas.


Elle n’écrivit même pas un message.
Elle m’envoya seulement un e-mail pour « reporter » notre rendez-vous.
Trois jours de suite.
On était encore loin du record de cinq jours que nous venions d’établir,
mais c’était tout aussi inhabituel. Quand elle sortait avec quelqu’un,
d’habitude, il ne l’accaparait jamais à ce point au début.
Elle lui consacrait ses matinées ou ses après-midis et moi, j’avais le reste.
Le meilleur.
Je n’étais pas sûr de savoir pourquoi, mais pour la première fois depuis le
début de notre amitié, je subissais les premiers symptômes du manque.
Et je n’aimais pas ça.
Chapitre 13

Hayden

De nos jours…

Quelques années auparavant, je m’étais fait, sans le savoir, l’un de mes


pires ennemis dans cette ville. J’étais venu assister à une première au
théâtre Gershwin et j’avais parlé à une journaliste sous couverture.
Pendant l’entracte, elle m’avait demandé :
— Qu’en pensez-vous, pour l’instant ?
Et j’avais répondu :
— J’ai vu des pièces de théâtre jouées par des lycéens qui étaient plus
réussies.
Le jour suivant, le New York Times avait balancé ma photo accompagnée
de « Hayden Hunter est déçu de la première » en sujet principal, et la
situation avait pris des proportions démesurées.
La pièce avait fait un four avant même les premières représentations et la
société de production avait perdu des centaines de milliers de dollars.
Depuis ce jour, le directeur avait fait publier une publicité qui occupait
toute la dernière page du Post, où l’on pouvait lire « Hayden Hunter est un
con », illustrée par une photo de moi différente pour chaque numéro.
Je soupirai en relisant les dernières lignes de la lettre avant de la ranger
dans une enveloppe. Alors que je m’assurais que l’adresse était bien
centrée, un message fit vibrer mon téléphone. Penelope.

Penelope : Est-ce qu’on peut reporter pour ce soir ?


Moi : Encore ?
Penelope : Je viens juste de t’envoyer une vingtaine de lettres.
Moi : Dans ce cas, on peut reporter autant que tu veux.

Je fermai ma messagerie et décidai d’apporter moi-même la lettre au


théâtre.
***
— Hayden ! Regardez par ici !
— Avez-vous un commentaire à faire sur vos photos ?
— Une déclaration concernant Tinder ? me hurlèrent les paparazzis alors
que je sortais de ma voiture.
Je les ignorai et me dirigeai vers l’entrée V.I.P. Avant que je n’aie eu le
temps de demander à l’hôtesse d’accueil de m’indiquer la loge du directeur,
monsieur Lewis fit irruption devant moi.
— Tiens, tiens, tiens, commença-t-il en croisant les bras. Ravi de voir que
vous êtes de nouveau venu insulter mon travail. Nous sommes complets ce
soir, et le deuxième acte est presque terminé.
— Je ne suis pas ici pour assister à votre spectacle, répondis-je en sortant
l’enveloppe de la poche intérieure de ma veste. Je suis venu vous demander
pardon.
L’homme fit un pas en arrière, comme s’il avait peur de la prendre.
— Quel genre de poison avez-vous mis sur le papier ?
— Aucun, m’agaçai-je en levant les yeux au ciel. C’est une foutue lettre
d’excuses manuscrite, et l’une des meilleures que j’aie écrites. Je n’avais
pas l’intention de nuire à votre production à l’époque, même si la pièce était
effectivement merdique et que je n’avais jamais vu des acteurs jouer aussi
mal.
— Sérieusement ?
— Je n’aurais pas dû en parler publiquement, poursuivis-je en lui tendant
de nouveau l’enveloppe. Je suis désolé.
Il me fixa du regard quelques secondes avant de la prendre.
— Pourrions-nous enterrer la hache de guerre sans que je sois obligé d’en
lire un seul mot ?
— Comment ça ?
— Eh bien, euh… commença le directeur, l’air mal à l’aise. Jusqu’ici,
nous avons un bon classement au box-office. Mais je crois que nous
pourrions faire encore mieux si vous étiez vu ici et si, peut-être, vous faisiez
un commentaire en disant que vous aimez tellement cette pièce que vous
n’avez pas pu vous empêcher de vous arrêter, juste pour assister à votre
passage favori.
— Vendu, acceptai-je en récupérant l’enveloppe d’un geste vif. Je ferai
une apparition au bar pendant l’entracte.
— Merci.
Il claqua des doigts.
— Brenda, pourriez-vous servir à boire à monsieur Hunter et
l’accompagner jusqu’au bar ?
— Tout à fait, répondit une jeune femme rousse qui apparut soudain à
côté de moi. Veuillez me suivre, monsieur Hunter.
— Est-ce que cette pièce vaut quelque chose ? l’interrogeai-je. Soyez
honnête.
Elle rougit, puis ignora ma question.
— J’ai vu vos photos sur Internet.
— C’est super. Comment est la pièce ?
— Je les ai enregistrées dans mon téléphone, reprit-elle en baissant la
voix. Je me touche en les regardant, le soir. D’habitude, je dois changer de
film porno après plusieurs visionnages, mais cela fait maintenant deux
semaines d’affilée que j’utilise vos images. Vous avez un don. Est-ce que ça
vous tente de m’en faire profiter plus tard ?
Je fis abstraction de sa présence jusqu’à ce que nous arrivions en haut des
escaliers.
— Je vais vous chercher un verre, déclara-t-elle.
Puis, elle sortit son téléphone, prit un selfie avec moi sans me demander
l’autorisation, et disparut.
Conscient que je n’allais pas voir ledit verre de sitôt, je fis signe au
barman.
— Oui, monsieur ? Que désirez-vous ?
— Un whisky avec des glaçons, s’il vous plaît. Sur le compte de la
maison.
Il acquiesça d’un signe de tête et me servit en quelques secondes.
Peu de temps après, les portes du théâtre s’ouvrirent pour l’entracte, et les
spectateurs se dirigèrent vers le bar.
Je tournai la tête et manquai de lâcher mon verre en voyant Penelope.
Dans son haut moulant au décolleté plongeant qui descendait jusque sous sa
poitrine, elle était renversante.
Elle ne semblait pas se rendre compte que chaque homme l’observait du
coin de l’œil, complètement inconsciente qu’elle attirait tous les regards
sans faire le moindre effort.
Elle ne m’a même pas prévenu qu’elle venait ici ce soir.
Je pris mon verre et m’approchai.
— Salut, murmurai-je à son oreille en arrivant derrière elle. Tu es
ravissante.
— Merci, répondit-elle en se retournant. Toi aussi. Enfin, comme
toujours.
Un silence.
— Tu es venue seule ? demandai-je.
— Non, il s’agit d’une autre folie de Simon. Nous parlions de Broadway
et je lui ai confié que j’avais toujours voulu voir Wicked.
Tu ne m’en as jamais parlé.
— Il a débarqué chez moi avec des roses jaunes et m’a donné une heure
pour me préparer, poursuivit-elle. Je n’ai même pas eu le temps de me
maquiller.
— Tu n’en as jamais eu besoin.
Je la regardai de haut en bas, et elle rougit.
— Cependant, tu as oublié quelque chose d’autre, ajoutai-je.
— Quoi donc ?
— Viens.
Je saisis doucement son poignet et l’entraînai dans un coin. Je glissai ma
main dans sa nuque, et sentis sa peau devenir chaude à mon contact.
— Hayden…
Elle leva les yeux vers les miens et ses joues s’empourprèrent.
— Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-elle.
J’arrachai l’étiquette du prix de son haut et la froissai dans ma main. Puis
je l’enfonçai profondément dans la poche de son pantalon.
— Oh, fit-elle en déglutissant. Qu’est-ce que tu fais ici ? Le directeur te
déteste.
— Je suis au courant, répondis-je en me retenant de rire. Je suis venu
pour lui présenter mes excuses, mais il m’a demandé un service à la place.
— Comme c’est gentil de ta part, s’attendrit-elle avant de baisser la voix.
Cela dit, sa première pièce était vraiment nulle.
— Je sais. Est-ce que celle-ci est mieux ?
— Elle est plus que géniale.
— Tu es vraiment très belle, Penelope, insistai-je, incapable de penser à
autre chose. C’est sincère.
Nous restâmes là à nous regarder l’un l’autre en silence, peinant
étrangement à relancer la conversation. Les pensées qui me venaient à
l’esprit étaient une insulte au mot « indécent » et je ne l’envisageais plus du
tout comme « juste ma meilleure amie », à présent.
C’est la petite sœur de ton meilleur ami… La petite sœur de ton meilleur
ami… La petite sœur de Travis…
— Monsieur Hunter ?
Une femme se présenta tout à coup devant nous.
— Désolée de vous interrompre, mais je suis Myra Tate de Vanity Fair et
cela fait des mois que j’essaye d’obtenir une déclaration de votre part
concernant le nouveau procès contre Tinder, expliqua-t-elle. Je sais que
c’est probablement contraire à l’éthique, mais je ne peux pas m’empêcher
de vous demander si vous auriez quelques minutes à me consacrer.
Penelope la fusilla du regard, visiblement aussi agacée que moi par cette
intrusion.
— Tenez, répondis-je en sortant la lettre de ma poche. Voici une
meilleure histoire pour vous. En exclusivité.
Elle me prit l’enveloppe des mains et s’éloigna aussi vite qu’elle était
arrivée.
Je reportai mon attention sur Penelope, et me sentis de nouveau excité par
ses lèvres roses et gonflées.
— Est-ce qu’il te ramène chez lui, ce soir ? m’enquis-je.
— Probablement.
Elle se rapprocha et ajouta à voix basse :
— On n’a pas encore couché ensemble.
— Je sais.
— Comment ?
— Tu me l’aurais dit.
Avant que je ne puisse lui demander quoi que ce soit d’autre, Simon
s’immisça entre Penelope et moi et passa son bras autour de sa taille. Il
déposa un baiser sur sa joue et murmura :
— Pardon de t’avoir laissée toute seule. Bonsoir, Hayden, ajouta-t-il en
souriant. Content de te revoir.
— De même, mentis-je en lui tendant la main. On m’a raconté de bonnes
choses à ton sujet.
— La plupart sont vraies, s’amusa-t-il. Nous avons réservé une table au
Murray, de l’autre côté de la ville, après le théâtre. Je te proposerais bien de
dîner avec nous, mais j’ai entendu dire qu’ils sont très à cheval sur le
nombre de convives.
— Je suis certain qu’ils feront une exception pour le propriétaire.
— Oh, eh bien, dans ce cas…
De nouveau, il embrassa Penelope sur la joue.
— Tu veux te joindre à nous après la pièce ? proposa-t-il.
— Je m’en réjouis d’avance.

***
En arrivant au Murray, je demandai la table juste à côté des fenêtres. Je ne
savais pas trop pourquoi j’avais accepté cette invitation ; je n’avais jamais
recherché la compagnie d’aucun des types qui sortait avec Penelope.
Sûrement juste pour pouvoir regarder encore ses lèvres.
Alors que je commandais des verres d’eau pour chacun de nous, un
rugissement retentit sur ma gauche. Une Ferrari rouge vif fit brusquement
demi-tour au milieu de la rue et se gara en dérapant.
Simon sortit de la voiture et se dirigea vers le côté passager.
Les clients près de la fenêtre laissèrent échapper des « ohh » et des « ahh
» alors qu’il aidait Penelope à descendre du véhicule. Les paparazzis
prenaient des photos tandis que les gens murmuraient en se demandant de
qui il s’agissait.
Le regard de Penelope croisa le mien et ils s’approchèrent tous les deux.
Tu es foutrement renversante.
Je ne la quittai pas des yeux tandis qu’elle avançait.
Je me levai pour tirer la chaise voisine de la mienne, mais Simon me
devança en lui proposant l’autre. La plus éloignée de moi.
Quant à lui, il s’assit entre nous deux.
— Est-ce que la seconde partie de la pièce était aussi bonne que la
première ? demandai-je.
— C’était incroyable, s’extasia Pen. Un spectacle dix étoiles.
— C’est bon à savoir. Il faudra que j’aille la voir, un de ces quatre.
— Penelope me disait que tu possédais le cinéma IMAX de Time
Square ? déclara Simon sur un ton qui ressemblait davantage à une
question. Tu t’essayes aussi à investir dans l’immobilier et les chaînes de
restaurants ?
— Oui, confirmai-je. Mon conseiller me l’avait suggéré, il y a plusieurs
années.
— Si seulement je pouvais me diversifier comme toi, répondit-il en
souriant. Mes actionnaires veulent que je me concentre sur les fonds
d’investissement et rien d’autre, mais peut-être qu’un jour ils m’y
autoriseront.
Heureusement, la serveuse arriva avant que je ne puisse répondre. Tout en
annonçant la suggestion du chef, elle déposa les menus sur la table ainsi
qu’une corbeille de pain.
— Monsieur Hunter, y aura-t-il une ou plusieurs additions ? demanda-t-
elle.
— Une, Simon et moi répondîmes en cœur.
— Tu devrais me laisser payer, insista-t-il en posant un morceau de pain
dans l’assiette de ma meilleure amie. Je veux dire, j’avais prévu d’inviter
Penelope, de toute façon.
— Très bien, concédai-je avant de me tourner vers la serveuse. Une seule
addition.
— Je repasse bientôt prendre les commandes, indiqua celle-ci avant de
partir.
— Je prendrai les huîtres, annonça Penelope en se levant. Je reviens.
Avant de s’éloigner, elle m’adressa deux clins d’œil et un sourire, notre
signal qui voulait dire : « Mène ta petite enquête sur lui. »
Simon et moi la fixâmes tous deux du regard, jusqu’à ce qu’elle
disparaisse à l’angle du couloir.
— Alors, reprit-il en s’éclaircissant la voix. Penelope m’a dit que tu avais
une passion pour les montres. Je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer la
Yachtmaster à ton poignet. Est-ce l’une de tes préférées ?
— Oui, répondis-je en prenant mon verre d’eau. Tu aimes les montres, toi
aussi ?
— Beaucoup, oui.
Il me tendit son poignet. Il avait la même que moi, à quelques détails
près.
— Très joli.
J’étais impressionné.
— Combien de temps a-t-il fallu pour créer un tel objet ? m’enquis-je.
— Plus longtemps que ce à quoi je m’attendais, mais leur nouvelle
créatrice est l’une de mes amies. Elle me donne accès à toutes les
nouveautés avant leur sortie.
Je haussai les sourcils. Aucun des créateurs de montres que je connaissais
n’aurait laissé un client demander une option avant sa sortie. Peu importe le
montant de sa fortune.
— N’en parle à personne, ajouta-t-il comme s’il avait lu dans mes
pensées. Elle n’est pas autorisée à le faire et se ferait renvoyer si cela venait
à se savoir.
— Je ne me permettrais pas, assurai-je. Elle est prête à risquer sa place
seulement parce que vous êtes amis ?
— Je suis ami avec son mari et c’est grâce à moi qu’ils sont mariés. C’est
strictement platonique. Est-ce que c’est aussi votre cas, à Penelope et à toi ?
— Est-ce qu’on est mariés ?
— Est-ce que c’est platonique entre vous ?
— Elle sort avec toi, non ?
Il prit son verre et but lentement une gorgée.
— Joli Ferrari, lançai-je pour changer de sujet.
— Merci. J’ai vu ta collection de voitures dans GQ ce mois-ci. J’étais très
surpris que tu n’en aies montré aucune qui soit customisée.
— J’aime la subtilité.
— C’est cela, s’amusa-t-il. Eh bien, je n’ai aucune envie d’avoir la même
chose qu’un autre homme. J’opte toujours pour la customisation et je fais en
sorte que ce que je possède soit inaccessible.
Je tapotai la table du bout des doigts en espérant que Penelope se dépêche
de revenir avant que cette conversation ne se transforme en concours de
celui qui pisse le plus loin.
— J’ai lu dans Esquire que tu aimais investir dans un peu tout et
n’importe quoi, reprit Simon. Si tu es un jour intéressé pour placer une
partie de ton argent dans un fonds d’investissement à faible rendement,
mais avec des stratégies à long terme intéressantes, fais-moi signe. Je gère
trois milliards, ce qui est un peu plus que la valeur de ta société, mais
j’accepte aussi les clients plus petits.
Il sortit sa carte de visite et je la laissai suspendue dans l’air pendant
quelques secondes.
Est-il en train d’insinuer qu’il gagne plus que moi ?
— Merci pour la proposition, déclarai-je en prenant la carte. Je regarderai
ça plus tard cette semaine, Simeon.
— C’est Simon.
— C’est ce que j’ai dit.
Un silence.
— Désolée de vous avoir fait attendre, s’excusa Penelope en se rasseyant
à la table. J’ai manqué quelque chose d’intéressant ?
— Non, Simon et moi répondîmes en cœur.
Je m’éclaircis la voix et me levai.
— Je me suis souvenu que je devais faire quelque chose pour Lawrence,
ce soir. Ravi de t’avoir rencontré, Simon. Penelope, on se voit demain pour
le brunch chez Wagner.
— Je serai peut-être aussi de la partie, intervint Simon en souriant. Elle
voudrait me montrer cet endroit, et demain me semble être le moment idéal.
Je tournai les talons avant de répondre quoi que ce soit.
Chapitre 14

Penelope

De nos jours…

Le lendemain matin, je frappai à la porte d’entrée de chez Wagner, en


espérant que les gardes du corps d’Hayden seraient les seuls présents à
l’intérieur et que j’aurais quelques minutes pour moi toute seule.
J’en ai foutrement besoin…
Au moment où j’avais aperçu mon meilleur ami au théâtre la veille, les
papillons que je ressentais dans le ventre pour Simon avaient perdu la
bataille contre un sentiment bien plus puissant dans ma poitrine.
Le voir dans un costume trois-pièces noir et taillé sur mesure m’avait
toujours été fatal, même lorsque j’y étais préparée. Mais si je ne m’y
attendais pas ?
Il n’y avait pas de mots pour le décrire.
Il m’avait gâché le reste de la pièce.
Pendant le second acte, je n’avais pas vu l’histoire qui se déroulait sur
scène. J’imaginais Hayden qui m’entraînait de nouveau à l’écart. Il me
saisissait par la taille et posait ses lèvres sur les miennes, me réclamant aux
yeux de tous, sans se soucier le moins du monde des paparazzis qui nous
prenaient en photo.
C’est le meilleur ami de ton frère, ton meilleur ami et un coureur de
jupons invétéré. Ressaisis-toi, Penelope.
Ces mots étaient les seuls qui semblaient parvenir à faire entrer un peu de
bon sens dans mon esprit.
Je laissai échapper un soupir et frappai de nouveau à la porte.
— Désolé pour l’attente, mademoiselle Penelope, s’excusa le chef de la
sécurité en ouvrant. Bonjour.
— Bonjour.
Je retirai mes lunettes de soleil et aperçus Hayden assis au fond, plus sexy
que jamais avec son jean et son tee-shirt noir.
Il avait déjà commandé mon plat préféré (des beignets et des fraises) et
sirotait une tasse de café.
— Salut.
Son regard croisa le mien alors que je m’approchais.
— Salut.
— Où est Simon ?
— Il a eu une réunion de dernière minute.
Tandis que je m’asseyais, l’agent de sécurité déposa un bouquet de roses
avec une carte entre nous deux.
— C’est pour vous, mademoiselle Penelope. De la part de monsieur
Gaines.
Il sortit un reçu de sa poche et le tendit à Hayden en ajoutant :
— Et il, euh… il a payé vos deux brunchs à l’avance.
— Comme c’est gentil de sa part, déclara mon meilleur ami.
Nous restâmes assis là en silence pendant quelques secondes après que le
garde du corps fut parti.
— Comment s’est passé le reste de la soirée avec Simeon ? s’enquit-il.
— C’est Simon, le corrigeai-je en prenant une bouchée avec ma
fourchette. C’était sympa. Comment s’est passée la tienne ?
— Bien… Tu ne m’as pas appelé en arrivant chez toi.
— Je me suis dit que tu devais dormir. On a fait un tour dans sa Ferrari et
il ne m’a ramenée qu’à trois heures du matin.
— Depuis quand est-ce que je ne décroche pas, même tard dans la nuit ?
— C’est vrai, concédai-je avant de déglutir. Écoute, au sujet d’hier soir…
— Qu’y a-t-il ?
— Je ne crois pas t’avoir déjà dit que j’avais envie d’aller voir Wicked. Je
n’ai pas arrêté d’y penser pendant le dîner, et j’avais le sentiment que
j’aurais dû t’en parler. Est-ce que tu m’aurais accompagnée pour voir la
pièce ?
Il m’adressa un regard qui suffit à répondre à ma question rhétorique.
— Je crois que l’on devrait passer plus de temps ensemble, poursuivis-je.
J’ai l’impression qu’on ne s’est pas vus beaucoup, dernièrement.
— C’est le cas, lâcha-t-il en tapotant la table de bout des doigts.
Cependant, ma tournée d’excuses et l’organisation du gala sont passées à la
vitesse supérieure. C’est sûrement pour ça.
— Oh, oui.
J’avais presque oublié le gala.
— Eh bien, Simon m’emmène à Miami cette semaine pour visiter Sunny
Isles Beach. Alors, on pourrait se voir le lendemain de mon retour ?
— Je t’ai emmenée à Sunny Isles Beach l’année dernière.
— Il n’en saura rien, répondis-je en souriant. Comme tu me l’as conseillé,
je joue les idiotes chaque fois qu’il me propose quelque chose que j’ai déjà
fait avec toi. Ce sera la première fois que j’irai avec lui, pas vrai ?
— Vrai.
Hayden reposa sa tasse de café.
— Il n’a pas encore proposé que notre relation soit exclusive, déclarai-je.
On sort seulement ensemble.
— Je sais.
— C’était une question.
— Je n’ai pas entendu le point d’interrogation.
— Oh, fis-je en m’éclaircissant la voix. Est-ce un problème qu’il ne m’ait
pas encore demandé d’être exclusive ?
— Non, répondit-il en secouant la tête. Je sais que vous avez un passif
tous les deux, mais cela ne fait que quelques semaines. Tu devrais lui en
laisser encore quelques-unes. Et te souvenir d’honorer ta part du marché.
— C’est chose faite.
Je sortis un paquet de lettres de mon sac.
— Treize pour tous les membres de l’orchestre de rue que tu as insulté
pour avoir joué des chansons d’amour que tu n’aimais pas. Tu avais
demandé « Clean » de Taylor Swift et ils t’ont joué « Blank Space ». À ta
décharge, j’aurais probablement pété les plombs, moi aussi.
Un sourire se dessina sur son visage et l’étrange tension qu’il y avait
entre nous se dissipa lentement.
— Ça ne s’est pas passé comme ça, se défendit-il. Mais merci.
— Je ne suis pas sûre d’avoir envie d’en apprendre plus sur ce que tu as
fait pendant notre guerre froide, déclarai-je en prenant un beignet. Tu as
toujours été très mesquin, mais chaque lettre d’excuses est plus barrée que
la précédente.
— La seule chose que tu dois savoir à propos de notre guerre froide, c’est
que c’est toi qui as commencé.
— Non, tu as commencé, protestai-je en le pointant du doigt. Mais je te
pardonne.
Il rit et sirota une gorgée de café.
— Ton frère vient en visite à New York. Est-ce que tu veux venir avec
Simon au déjeuner ?
— Jamais, soufflai-je en levant les yeux au ciel. Au plus tôt, je lui
présenterai Travis au combat de Las Vegas. Là-bas, il sera trop préoccupé
pour le passer au grill. C’est pour ça que je suis heureuse de t’avoir. Tu es
bien plus compréhensif au sujet des mecs que Travis ne le sera jamais.
— Je vois. C’est comme ça que se comportent les meilleurs amis, pas
vrai ?
Je n’étais pas sûre de savoir pourquoi, mais il me semblait qu’il avait un
peu serré les dents en disant « meilleurs amis », et j’avais l’impression qu’il
ne pensait pas vraiment ce qu’il disait.
Une partie de moi, une partie que je ne pouvais ni nier ni expliquer, ne
voulait pas qu’il le pense.
— On dîne ensemble à Central Park, demain soir ? proposai-je en
chassant ces pensées de mon esprit.
— Pourquoi pas après-demain ? Lawrence veut que je prépare ma
déposition et je ne sais pas combien de temps il va m’obliger à rester.
— Parfait. Central Park, mardi soir.
Chapitre 15

Hayden

Mardi soir…

— Il faut vraiment que tu t’améliores pour ce qui est de passer incognito,


lança une voix grave et familière derrière moi. Je t’ai repéré à des
kilomètres à la ronde.
Je me retournai et vis Travis, vêtu d’un sweat à capuche et avec une paire
de lunettes de soleil sur le nez.
— Non, il faut seulement que je vire Sarah qui te laisse toujours passer
entre les mailles du filet.
Il rit et s’assit sur le banc à côté de moi.
— Tiens-moi au jus quand tu la renverras enfin, pour que je puisse lui
proposer de bosser pour moi.
— Elle est au-dessus de tes moyens, déclarai-je. Pourquoi es-tu déjà à
New York ?
— Le battage médiatique à Vegas me prend la tête, expliqua-t-il avant de
retirer ses lunettes et de laisser échapper un sourire. Avec toute cette
préparation et ces entraînements pour le combat, je suis un peu dépassé, tu
vois ? Cela dit, je pense que je serai prêt à prendre ma retraite après celui-là.
Je ne pris pas la peine de répondre. À l’écouter, il aurait pu « prendre sa
retraite » après chacun de ses combats, et il était impossible qu’il laisse
tomber, à moins d’une bonne raison. Ou qu’il soit mort.
— Je voulais te remettre quelque chose en personne, déclara-t-il. Où est
Crown ?
Avec Simon.
— En retard, comme toujours.
— J’aurais dû m’en douter.
Il sortit de sa poche plusieurs cordons tour de cou avec des badges où
était imprimé son visage de profil d’un côté, et « le Punisseur, à jamais
invaincu » de l’autre.
— Il y en a un pour toi, un pour Crown, et un pour sa colocataire dont je
ne prononcerai pas le nom.
— Tatiana te détestait avant, toi aussi ?
— À juste titre, répondit-il en souriant. Vous pouvez chacun venir avec
quelqu’un si vous le souhaitez, mais il faudra faire mettre le nom de la
personne sur la liste une semaine avant, sinon elle ne pourra pas entrer.
— C’est noté.
— J’ai entendu parler de ta tournée d’excuses, déclara-t-il en croisant les
bras. Est-ce que je vais bientôt en recevoir de ta part ?
— Je peux te les présenter tout de suite. Je suis désolé que tu aies pu
croire que j’allais te demander pardon pour quoi que ce soit.
Nous rîmes tous les deux.
Nous restâmes sur le banc à converser pendant des heures, comme si rien
n’avait changé, et avant que j’aie eu le temps de m’en rendre compte, il
était presque minuit.
— Merde, maugréa-t-il en regardant sa montre. Je dois retourner à l’hôtel.
Est-ce que tu as le droit de sortir ou est-ce que tu es toujours puni par
Lawrence ?
— Ce n’est pas une punition. C’est un sauvetage médiatique.
— Appelle ça comme tu voudras, soupira-t-il en se levant. Viens déjeuner
avec moi quand tu auras du temps libre, cette semaine. Je reste jusqu’à
samedi. Vu l’heure, est-ce que je dois comprendre que Penelope ne viendra
pas ?
— Probablement.
Je me levai à mon tour.
— J’aurais dû lui demander si elle avait une relation sérieuse avant de
venir à New York, s’amusa-t-il. J’imagine que je peux faire une croix sur le
fait de la voir avant Vegas.
Je ne ris pas. Je marchai à côté de lui tandis que nous dépassions mes
agents de sécurité et rejoignions chacun notre voiture.
Alors que mon chauffeur s’insérait sur la chaussée, je pris mon téléphone
et constatai que Penelope m’avait écrit plusieurs heures auparavant. Juste
avant que Travis me rejoigne sur le banc.

Penelope : Est-ce qu’on peut reporter pour ce soir ? Simon m’a encore
fait une surprise.
Penelope : Je me rattraperai, promis.
Penelope : Hayden ?

Je laissai échapper un soupir et lui répondis.

Moi : Pas de problème. De toute façon, j’ai passé la majeure partie de la


soirée à discuter avec ton frère.
Penelope : Il faut que je te parle de quelque chose, plus tard. Est-ce que
je peux t’appeler d’ici une heure ?
Moi : Bien sûr.
Chapitre 15 bis

Hayden

De nos jours…

Tôt ce matin-là, la sonnerie attribuée à Penelope retentit. Je me retournai


dans mon lit et remarquai l’heure. Cinq heures quinze du matin.
Qu’est-ce qui se passe, bon sang ?
Je saisis mon téléphone et fis glisser mon doigt sur l’écran.
— Oui, Penelope ?
— Tu dormais ?
— De toute évidence, grognai-je. Que se passe-t-il ?
— Je serai brève, déclara-t-elle. Attends une minute. Je m’éloigne.
Le bruit étouffé des rires et d’une musique d’ascenseur me parvint à
l’autre bout du fil.
— Est-ce que tu as déjà mangé des truffes ? demanda-t-elle. Je trouve ça
un peu surfait.
— Je sais que tu ne m’appelles pas pour me parler de ça.
— Je t’appelle pour te dire que j’ai l’impression de vivre dans un roman
d’amour. Simon est parfait. Il nous a fait la surprise, à Tatiana et moi, de
nous inviter à une dégustation privée de truffes. Dans mon carton
d’invitation, il avait glissé un mot qui disait qu’il était vraiment heureux que
nous nous soyons retrouvés.
— C’est là-dessus que tu as besoin d’un conseil ?
— Il veut m’emmener aux Bahamas pendant une semaine, poursuivit-
elle. Nous aurions chacun notre suite, puisqu’il s’y rend pour le travail,
mais est-ce que tu trouves que c’est trop tôt ?
Je ne répondis rien.
Je n’étais pas habitué à ce qu’elle sorte avec quelqu’un d’aussi riche.
Quelqu’un qui avait accès à tant de choses et qui voulait en faire usage si
rapidement.
— Quand souhaite-t-il t’emmener loin de moi, exactement ?
— Pardon ?
— Quand veut-il t’emmener ?
— À la fin du mois prochain. Après ton gala.
— Hmm.
— « Hmm » c’est bien ou « hmm » ce n’est pas bien ?
— Hmm, c’est intéressant.
— Eh bien, je n’ai pas besoin de lui répondre tout de suite, alors dès que
tu sauras si c’est l’un ou l’autre, fais-le-moi savoir.
— Je le ferai.
Un silence de plusieurs secondes s’étira sur la ligne téléphonique.
— J’ai l’impression qu’on ne s’est pas parlé depuis un moment, nous
déclarâmes en cœur.
Elle rit.
— Contente que ce sentiment soit réciproque. Comment tu t’en sors avec
tes lettres ? J’ai vu la rédactrice en chef de Vogue lire la sienne à ses fans
sur les réseaux sociaux.
— Elle s’est bien gardée de leur dire qu’elle m’en avait envoyé une où il
était écrit qu’elle n’accepterait mes excuses que si je multipliais son chèque
par deux et que je lui octroyais dix invitations supplémentaires pour le gala.
— Tu l’as fait ?
— Uniquement parce que je n’avais pas le choix.
— Bien sûr, répondit Penelope en riant de nouveau. Est-ce que Lawrence
est content des retombées médiatiques ?
— Lawrence n’est jamais content, mais je crois qu’il sera moins stressé
une fois que le truc avec Tinder sera passé.
— Tu pourrais tout simplement mentir et dire que tu as volé le chien pour
qu’on en finisse.
— Et ensuite, ils me poursuivraient en justice pour l’éternité.
Il fallait que je change de sujet.
— Tu aimes vraiment bien Simon ?
— Oui. Je crois que c’est l’homme le plus gentil avec qui je sois jamais
sortie. Je pense que c’est le premier qui croit vraiment que nous sommes
seulement meilleurs amis.
— Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ? demandai-je en me redressant,
convaincu qu’elle essayait de me dire quelque chose.
— Oh, c’est juste que…
Elle laissa échapper un soupir.
— J’ai tendance à ne pas me rendre compte à quel point on s’appelle ou
on passe du temps ensemble, avoua-t-elle.
— On ne s’est pas beaucoup vus, dernièrement.
— C’est ce que j’essaye de te dire.
— Essaye plus fort ? Je ne comprends toujours pas.
J’entendis son petit rire éraillé à l’autre bout du fil.
— Retourne te coucher. Tu deviens ronchon.
— D’accord.
Je me rallongeai.
— Mais je te repose la question. Il te plaît vraiment ? insistai-je.
— Oui, vraiment. Bonne nuit.
— Bonne nuit.
Chapitre 16

Penelope

De nos jours…

Objet : Pour Hayden


Bonjour, Sarah.
Je tombe encore sur la boîte vocale d’Hayden et je vois qu’il n’a pas
ouvert mes messages. Peux-tu le prévenir que je dois reporter notre rendez-
vous de ce soir à Central Park ?
P.-S. Peux-tu aussi lui dire que j’aurais besoin de ses conseils sur quoi
porter pour la cérémonie d’inauguration d’un hôtel ?
Penelope

Objet : Brunch chez Wagner + appel manqué


Désolée. *emoji triste*
Dans le feu de l’action, j’ai oublié de t’envoyer un message. Simon est
arrivé et m’a emmenée en balade de l’autre côté de l’Hudson River.
Et j’étais K.-O. hier soir, c’est pour cela que j’ai manqué ton appel.
P.-S. J’ai toujours besoin de ton avis pour le voyage aux Bahamas. J’y
vais ? J’y vais pas ? J’attends ?

Objet : ???!!!
Salut.
As-tu reçu mes derniers textos ? Ils sont tous en « vu ».
Par ailleurs, Simon et moi avons enfin dépassé l’étape des petits bisous et
on s’est caressés sur son canapé. C’était sacrément chaud pour du frotti-
frotta. :-)
Enfin, bref, je dois reporter Central Park pour ce jeudi aussi. Je te
raconterai plus tard.
Pen
P.-S. Mais sérieusement, est-ce que ton téléphone est cassé ou quelque
chose de ce genre ?
Objet : Demandes de report à l’avance
Dois-je partir du principe que tu vas reporter tous les jours cette
semaine ?
Cela m’éviterait vraiment des échanges inutiles avec mon patron.
Merci.
Sarah
P.-S. Son téléphone fonctionne à merveille…
Chapitre 17

Hayden

De nos jours…

Ce jour-là, elle ne me demanda pas de reporter à une autre fois ni de


décaler notre rendez-vous. Elle se contenta d’un message disant « je suis en
retard », ce qui était la première chose qui me semblait normale depuis des
semaines.
Selon Lawrence, mon image de marque se portait de mieux en mieux
chaque jour et il n’avait pas ressenti le besoin de prendre une double dose
de son traitement contre la tension.
Ses « Je suis tellement fier de toi, fiston » quotidiens par e-mail ou par
message étaient censés m’encourager, mais ils n’étaient que la conséquence
de mes efforts acharnés pour essayer de ne pas penser à Penelope.
J’espérais que notre déjeuner chez Tully aujourd’hui la ramènerait dans
mon orbite et que nos vies s’aligneraient comme c’était le cas auparavant.
Avant Simon.
Je m’assis sur la banquette du fond et sirotai mon verre d’eau.
— Mario ? appelai-je le gérant. Pourriez-vous allumer la télévision ?
— Tout à fait, monsieur Hunter. Quel programme ?
— Peu importe.
Il zappa sur une chaîne de rénovation de maisons, puis sur les
informations, pour finir sur une émission sur la bourse.
— N’hésitez pas à changer, monsieur.
Il posa la télécommande devant moi et remplit de nouveau mon verre.
J’essayai de prêter attention aux hommes ennuyeux en costume et à leurs
prévisions, mais ils ne disaient rien d’intéressant. À la place, je sortis mon
téléphone et regardai le temps s’écouler.
Quinze minutes passèrent, et toujours aucun signe de Penelope.
— Nous sommes ici avec Simon Gaines, de Gaines et Associés.
La voix de la journaliste me fit relever les yeux.
— Il s’agit du plus gros fonds spéculatif et aussi du plus prospère en ce
moment. Ils ont récemment déménagé leur siège de la Floride à New York.
Simon sourit et serra la main de la femme.
Je plissai les yeux pour distinguer l’arrière-plan en m’apercevant qu’il se
trouvait au Park Bay Café près de l’Hudson River. Il portait un de ces
costumes sur mesure et une de ces montres personnalisées dont il s’était
vanté au dîner chez Murray.
Je vidai mon verre d’un trait et en demandai un autre.
— Comment trouvez-vous celle qu’on appelle « la grosse pomme »,
monsieur Gaines ?
— Jusqu’ici, c’est merveilleux. Je m’y sens déjà chez moi. Mes voitures
de luxe n’ont jamais été aussi bien traitées.
Quel est le rapport avec tes bagnoles ?
— Vous comptez beaucoup de noms très médiatisés et prestigieux parmi
vos clients, poursuivit-elle. Comment expliquez-vous cela ?
— Mon expérience et mes résultats, et plus particulièrement le fait
d’apparaître au classement des cinq cents plus grandes entreprises
américaines à un si jeune âge : tous ces éléments parlent d’eux-mêmes,
déclara-t-il. Tout se passait très bien pour moi en Floride, mais mes clients
voulaient que je voie plus grand, alors je suis venu ici.
Je m’apprêtai à changer de chaîne quand, tout à coup, la femme la plus
séduisante du monde apparut derrière Simon, à bord d’un bateau.
Penelope le regardait avec des étoiles dans les yeux, vêtue d’un jean et
d’un chemisier blanc.
— On vous a récemment aperçu avec Hayden Hunter, reprit la
journaliste. Envisage-t-il d’investir dans votre société, ou bien est-ce vous
qui investissez chez Cinder ?
— Je ne parle jamais affaires en public, répondit-il en souriant. Mais
sachez qu’il s’agissait d’un dîner amical. Lui et moi partageons un
magnifique intérêt commun, et je crois qu’il sait à présent que je me montre
très protecteur envers les choses que j’apprécie, voilà tout.
Je serrai les dents en saisissant le sous-entendu.
Bzz ! Bzz ! Bzz !
Je décrochai sans regarder l’écran.
— Oui ?
— Ouh là, répondit Penelope en riant. Est-ce que je te dérange ?
— Non.
Elle réapparut dans le champ de la caméra, en train de descendre du
bateau tout en tenant son téléphone à l’oreille.
— Mais je crois que tu me poses un lapin, ajoutai-je.
— Comment ça ?
— Tu as dit que tu me rejoindrais chez Tully.
— Oui, mardi. On est jeudi, Hayden.
Hein ? Je jetai un œil à ma montre. Elle avait raison.
— Désolé, soupirai-je.
— Ce n’est pas grave. Ces jours-ci, je perds un peu la notion du temps,
moi aussi.
Elle longea la berge, puis s’assit à une table.
Un serveur s’approcha alors et me barra la vue.
— Tu es toujours là, Hayden ? demanda-t-elle.
— Oui.
J’observai le serveur s’en aller enfin et tentai de faire abstraction du
baratin interminable de Simon.
— Je suis là, ajoutai-je.
— Ça vaut ce que ça vaut, mais j’apprécie le fait que tu planifies tes
interviews à l’avance, déclara-t-elle. Je suis littéralement en train d’assister
étape par étape à ce qui se passe quand on ne le fait pas.
— Comment ça ?
— Une journaliste spécialisée dans la finance nous a repéré Simon et moi
alors que nous nous promenions et, comme par hasard, il se trouve qu’elle
avait avec elle toute son équipe de tournage et son kit d’éclairage, prêts à
tourner. Elle a supplié Simon de lui accorder une interview et il a cru à son
histoire absurde de coïncidence.
— C’est simplement nouveau pour lui, expliquai-je. Il va rapidement
s’adapter. Tu ne devrais pas être fâchée.
Elle se pencha en avant sur ses coudes.
— Pourquoi cela ?
— Parce que, pendant notre guerre froide, j’agissais de la même façon. Je
m’arrêtais et je parlais à tous ceux qui me le demandaient. Être au centre de
l’attention peut être très addictif, au début. Et puis, si c’est la pire chose
qu’il ait faite, alors c’est un mec super, non ?
Je la vis sourire à l’écran et je n’arrivai pas à croire ce que je venais de
dire.
— C’est vrai. C’est la première fois que je suis agacée. Tout le reste est
merveilleux.
— Eh bien, passe l’éponge pour cette fois et reprends là où tu t’es arrêtée.
S’il tient à toi, il trouvera très vite un moyen de se rattraper, de toute façon.
J’ai besoin d’une putain de lobotomie.
— Merci, Hayden, dit-elle en souriant de nouveau. Tu es le meilleur.
— À ton service.
Elle ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose, mais l’écran se figea
tout à coup et une publicité pour une eau minérale apparut à la place.
— Je crois qu’il a fini de discuter avec la journaliste, déclara-t-elle. Je
t’appelle plus tard. Peut-être ce soir ?
— Avec plaisir.
Chapitre 18

Penelope

De nos jours…

Moi : On peut décaler pour Central Park, ce soir ? La glace de la


patinoire s’est encore fissurée sur les bords, alors je dois rester avec le
personnel d’entretien jusqu’à ce qu’ils aient terminé.
Moi : Au fait, Simon m’a fait livrer des chocolats et des fleurs à la
patinoire ce matin pour se faire pardonner (tu avais raison).

***
Moi : Qu’est-ce que je devrais répondre à son texto (je t’envoie la capture
d’écran) ? Je crois qu’il veut que je le rejoigne à Napa Valley ce week-end.

***
Moi : Désolée d’avoir manqué ton appel ! Je te rappelle plus tard (merci
pour le conseil par message vocal *emoji qui sourit*).
Chapitre 19

Hayden

De nos jours…

Je commençais à en avoir marre de lui donner tous ces conseils pour


mettre le grappin sur ce type. Et par « marre », je voulais dire que j’étais
jaloux.
Vert de jalousie. Jaloux à en crever.
Pour ne rien arranger, les fantasmes qui me traversaient l’esprit
devenaient un peu plus obscènes chaque jour. Prononcer les mots « Arrête.
C’est la petite sœur de ton meilleur ami » ne m’empêchait plus de
l’imaginer dans mon lit de toutes les façons dont je la désirais, recevant
chaque centimètre de mon corps.
Plus je pensais à nos rendez-vous manqués à Central Park et à nos
conversations tardives qui avaient cessé d’exister, plus je commençais à me
dire que peut-être, seulement peut-être, elle serait mieux sans moi.

Penelope : Est-ce que tu es chez toi ? J’ai besoin d’un conseil.

Je ne lui répondis pas.


À la place, je me dirigeai à l’étage du dessous dans ma salle de sport
privée. J’avais pris cinq douches froides dans la journée et il fallait que je
tente une nouvelle approche pour la chasser définitivement de mes pensées.
Je laissai échapper un soupir, puis chargeai la barre et me plaçai sur le
banc.
D’autres messages firent sonner mon téléphone, mais je les ignorai
également.
Alors que je soulevais la barre, j’entendis le bruit de talons qui claquaient
sur le sol. Puis Penelope apparut tout à coup au-dessus de moi. En
l’apercevant dans sa robe grise moulante, je faillis lâcher le poids sur ma
poitrine.
— Est-ce que tu as une minute ? demanda-t-elle.
— Comme tu le vois, je suis occupé, là, tout de suite.
J’essayai de ne pas trop laisser mon regard s’attarder sur ses lèvres, mais
en vain. Je reposai lentement la barre et me redressai.
Je baissai les yeux sur ses talons aiguilles rouge foncé et sus avec
précision quelles images envahiraient mon esprit à la seconde où elle
partirait.
— Sois brève, répondis-je. J’aimerais finir mon entraînement.
— Très bien. Pourquoi est-ce que tu m’évites ?
— Qu’est-ce qui te fait croire que je t’évite, Penelope ?
— Je ne suis pas stupide, Hayden, répliqua-t-elle en croisant les bras sur
sa poitrine. Tu n’as pas répondu à mes messages depuis trois jours.
Ça fait seulement trois jours ?
— J’étais occupé à cause du procès contre Tinder, expliquai-je en ne
mentant qu’à moitié. Et je ne dors pas bien.
— Oh, fit-elle d’un air quelque peu soulagé. Eh bien, Simon m’a acheté
un super truc pour m’aider à dormir, l’autre jour. Est-ce que tu veux que je
te le prête ?
Plutôt crever.
— Je m’en achèterai un moi-même. En quoi puis-je t’aider ?
— Je veux savoir quelle est ta position préférée au lit.
— Pardon ?
— Quelle. Est. Ta. Position. Préférée. Au. Lit, répéta-t-elle avant de
croiser mon regard. Tu sais, cet endroit où tu fais l’amour ?
— Ça ne te regarde pas. Je crois que c’est un sujet dont tu devrais
discuter avec Simeon.
— Il s’appelle Simon, soupira-t-elle en levant les yeux au ciel. Je te
demande uniquement ton aide parce qu’il m’a envoyé un message cochon et
j’ai besoin d’une réponse super coquine.
— Tu n’as qu’à mettre le nez dans un roman d’amour.
— Je suis sérieuse, insista-t-elle en souriant. Donne-moi un coup de
main, s’il te plaît.
— Bon, d’accord. Quels sont ses mots exacts ?
— Quoi ?
Elle rougit immédiatement.
— Je ne peux pas te le dire, ajouta-t-elle.
— Je ne peux pas t’aider si je n’ai pas tous les détails.
Elle laissa échapper un soupir et tapota sur son écran, puis se mit à lire en
évitant mon regard.
— « Tu m’as dit que tu voulais prendre ton temps, alors c’est exactement
comme ça que je te baiserai quand je t’aurai pour moi tout seul. Bien
lentement. »
— C’est tout ? m’étonnai-je en clignant des yeux. Où est la suite ?
— Il n’y a rien de plus, répondit-elle avant de lever le regard vers moi.
Sexy, pas vrai ?
— Ouais…
J’essayai de ne pas rire. Cela n’avait pas de sens que je lui donne une
réponse du même acabit que ce que j’aurais pu dire ; elle n’avait pas besoin
de le ridiculiser en matière de messages cochons à cette étape de la relation.
— Réponds-lui que, pendant qu’il te prend lentement, tu veux qu’il soit
sur toi, en missionnaire. Ajoute quelque chose du genre que tu veux le
sentir tout au fond de toi.
— Est-ce que c’est ce que tu dirais ?
— Non, admis-je en haussant les épaules. Mais ce n’est pas avec moi que
tu échanges des sextos, donc…
Je m’interrompis et m’éclaircis la voix.
— Contente-toi de lui envoyer ce que je t’ai dit, conclus-je.
Elle tapota de nouveau sur son écran.
— Attends. Alors, dans l’hypothèse où tu voudrais coucher avec moi,
qu’est-ce que tu m’écrirais ?
Ne t’avise pas de répondre à cette question. C’est un piège.
— Il faut que je finisse ma séance de sport et que je retourne écrire des
lettres, Penelope. Je ne vais pas pouvoir jouer au jeu des hypothèses avec
toi.
— Dis-moi simplement ce que tu enverrais. Ce n’est pas comme si
j’allais me moquer de ce que tu sais faire ou je ne sais quoi.
— La seule chose qui te ferait rire, c’est de voir à quel point je suis plus
doué que ton mec.
— Ce n’est pas encore mon mec.
Et je ne crois pas qu’il devrait l’être un jour.
— Contente-toi de me croire sur parole.
— Je commencerai à te croire sur parole quand tu redeviendras le Hayden
que je connais, lança-t-elle en s’approchant. Celui qui se comporte en
meilleur ami et qui ne disparaît pas juste parce que Tinder lui fait un procès
pour la énième fois. Tu devrais y être habitué, maintenant, alors si tu crois
que je vais avaler cette excuse…
— J’en ai assez de devoir me justifier, l’interrompis-je.
Mon regard se durcit, et je fonçai droit dans la gueule du loup.
— Bon sang, si tu veux que je réponde à tes questions débiles, je vais le
faire.
— Je voudrais d’abord que tu me parles correctement.
— Si on s’envoyait des sextos et qu’on parlait de tes positions préférées,
je ne perdrais pas mon temps avec des mots. Je me pointerais chez toi, je te
pencherais en avant sur le canapé et je te montrerais.
— Ce n’est pas de la triche ?
— C’est mieux que de te dire que, à chaque fois qu’on s’enverra en l’air,
je te tirerai par les cheveux en glissant ma queue si profondément en toi que
tu ne voudras plus jamais baiser avec quelqu’un d’autre.
J’observai à nouveau sa robe, puis ajoutai :
— Je commencerais par ça.
Le rouge lui monta aux joues et elle fit un pas en arrière.
— Euh. Merci.
— De rien.
— Je crois que je devrais y aller.
— Je crois aussi.
Chapitre 20

Penelope

De nos jours…

Je restai là, immobile, les yeux rivés sur Hayden, clouée sur place par son
regard de braise.
— La porte est derrière toi, Penelope, déclara-t-il en s’approchant.
— Je sais parfaitement où elle se trouve.
— Dans ce cas, pourquoi est-ce que tu ne t’y diriges pas ?
— Parce que je commence à me dire qu’il faut qu’on établisse certaines
règles concernant notre amitié.
— Je suis d’accord. Tu peux m’envoyer la liste par e-mail ou par
message. Mais il faut que tu sortes de chez moi. Maintenant.
— Je n’ai plus envie de parler de ma vie sexuelle avec Simon.
— Tu veux dire, de ton absence de vie sexuelle ? rétorqua-t-il en fronçant
les sourcils. S’envoyer des messages cochons et jouer à frotti-frotta sur le
canapé, ce n’est pas du sexe. Mais bon, peut-être que c’est ce que tu fais
avec tous les mecs avec lesquels tu es sortie, depuis tout ce temps.
— Je ne souhaite pas non plus discuter de mes relations sexuelles avec
mes précédents petits amis.
— De toute façon, je n’aime pas tellement parler des choses qui ont foiré.
— En attendant, poursuivis-je en reculant à mesure qu’il avançait, je
voudrais que tu redeviennes un bon meilleur ami et que tu m’appelles.
— Ce serait plus facile si tu voulais bien décrocher ce putain de
téléphone.
— Je réponds à chaque fois.
— Seulement quand c’est pour reporter un de nos rendez-vous.
— On dirait que ça te dérange.
— Cela ne devrait pas.
— Alors est-ce que tu pourrais, s’il te plaît, redevenir mon meilleur ami et
me donner des conseils quand j’en ai besoin ? Nous avons un accord.
— On doit d’abord le revoir, déclara-t-il avant de me regarder de haut en
bas. Tu n’as pas rempli ta part du contrat.
— Sérieusement ? Je t’envoie dix foutues lettres par jour, minimum. J’ai
créé plus d’une centaine de modèles, et…
— Tu n’arrives quand même pas à trouver le temps de me voir.
— Je croyais que cela ne te dérangeait pas.
— Je n’ai jamais dit ça, murmura-t-il en réduisant à quelques centimètres
la distance qui nous séparait. J’ai dit que cela ne devrait pas me déranger.
Un silence.
— C’est le moment où tu sors de chez moi, Penelope.
Il leva la main et glissa quelques mèches de cheveux égarées derrière
mon oreille, puis ajouta :
— Sinon…
— Sinon, quoi ?
Il ne me répondit pas.
Il vint plaquer ses lèvres contre les miennes et passa son bras autour de
ma taille, m’attirant contre lui en quelques secondes.
Je perdis l’équilibre alors qu’il dominait ma bouche de la sienne et
domptait ma langue entre nos respirations haletantes. Je m’efforçai de
suivre le rythme et enfonçai mes doigts dans ses flancs pour tenter de
reprendre un peu le contrôle, mais il ne céda pas d’un millimètre.
Il me plaqua contre le mur tout en me maintenant fermement, et je sentis
son membre se durcir contre mes cuisses.
Oh mon Dieu…
— Ouvre un peu plus ta bouche pour moi… murmura-t-il. On sait tous
les deux que je ne tiendrai pas tout entier, sinon.
Dans un état second, je m’exécutai de bon cœur, puis il piégea ma lèvre
inférieure entre ses dents et la mordit si fort que je ne pus retenir un cri.
Sans me quitter du regard, il relâcha ma lèvre et glissa deux doigts dans
ma bouche en leur faisant faire de lents va-et-vient.
Tandis qu’il effleurait doucement le fond de ma gorge, je laissai échapper
un gémissement et sentis mon entrejambe mouiller un peu plus à chacune
de ses caresses.
À l’aide de ses hanches, il continua de m’exciter sur un autre rythme,
pour me montrer à quel point cela serait bon entre nous.
En souriant, il retira lentement son index et son majeur de ma bouche, et
fit courir le bout de ses doigts humides sur mes lèvres.
— Est-ce que ton mec te fait mouiller autant ?
Il glissa sa main sous ma robe et écarta ma culotte, puis titilla mon clitoris
trempé. Il enfouit ses doigts profondément entre mes cuisses et je
m’appuyai contre sa main.
Il étouffa à nouveau mes gémissements avec sa bouche, tout en me
donnant du plaisir partout à la fois avec habileté.
De toute ma vie, aucun homme ne m’avait embrassée de cette façon.
Aucun homme ne m’avait…
Tout à coup, je me rendis compte de ce que j’étais en train de faire. Qui
j’étais en train d’embrasser et de chevaucher.
Bordel de merde !
Je m’arrachai à lui et il fit un pas en arrière.
Nous nous fixâmes du regard, le souffle court, laissant notre frustration
restante anéantir la moindre possibilité d’en discuter.
— Je ferais mieux d’y aller, maintenant.
Ce fut tout ce que je pus dire.
Il ne répondit rien. Il se contenta de continuer à m’observer.
Je déglutis, puis le contournai et me dirigeai vers la porte.
Je pris l’ascenseur et fis signe à l’un de ses chauffeurs.
À la moitié du chemin pour rentrer chez moi, le goût des lèvres d’Hayden
encore sur la bouche, je lui envoyai un message.

Moi : Ce baiser n’est jamais arrivé, pas vrai ?


Juste Hayden : Efface cette partie de notre conversation avant que ton
petit ami ne la voie.
Moi : Peux-tu d’abord me promettre que ce n’est jamais arrivé ?

Il ne répondit jamais.
Chapitre 21

Hayden

De nos jours…

Je ne l’appelai pas ni ne lui envoyai de message pendant toute une


semaine.
J’en étais incapable.
Chapitre 22

Penelope

De nos jours…

Les sièges en cuir de la Ferrari de Simon soufflaient de l’air chaud sur


mes cuisses tandis que nous roulions tranquillement sur le pont de
Brooklyn. Les gouttes de pluie attaquèrent le pare-brise de plus belle, et il
prit ma main derrière le levier de vitesse.
Pour le deuxième soir consécutif, je l’emmenais en virée dans une
pâtisserie et lui faisais découvrir quelques-unes de mes boutiques de bagels
préférées de la ville.
Cet homme était honnêtement tout ce que j’avais toujours voulu chez un
petit ami, mais le baiser que j’avais reçu des lèvres d’Hayden s’introduisait
dans mes pensées à la moindre occasion. Il apparaissait dans les recoins
cachés de mon esprit chaque fois que je croyais l’avoir oublié.
Aussi, ce baiser était bien plus sensuel que les derniers « bisous version
Disney » et les caresses habillées que m’offrait Simon.
C’est une bonne chose qu’Hayden et moi ne nous soyons pas parlé cette
semaine.
— Hé ho, fit Simon en agitant sa main devant mon visage. Est-ce que tu
es avec moi, Penelope ?
Je revins à la réalité et m’aperçus que nous étions garés devant TJ Bagels.
— Désolée, j’étais perdue dans mes pensées.
— J’espère que j’en faisais partie.
Il sourit en écartant quelques mèches de cheveux de mon visage, puis
ajouta :
— Tu me plais vraiment beaucoup.
— Toi aussi.
— Je n’arrive pas à croire qu’ils ferment si tôt, déclara-t-il en attrapant sa
veste sur la banquette arrière. Je reviens.
— Prends tes écouteurs, lui conseillai-je en désignant le tableau de bord.
Fais-moi confiance.
Il déposa un petit baiser sur mes lèvres et s’exécuta.
— Je te crois sur parole.
Je l’observai tandis qu’il marchait sous la pluie et tenait la porte pour un
couple, avant d’entrer à son tour.
Il me souffla un baiser à travers la fenêtre, et je lui en envoyai un en
retour.
« La da da da da daaaaa… »
Tout à coup, la sonnerie enregistrée pour Hayden retentit et je mis mes
AirPods avant de décrocher.
— Salut.
— Salut, répondit-il de sa voix grave. Est-ce que je tombe au mauvais
moment ?
— Je suis en virée avec Simon.
— Ce n’est pas ma question.
— Non.
Je ne savais pas vraiment pourquoi je sentais mon cœur tressaillir.
— Tu ne me déranges pas, poursuivis-je. Il est chez TJ pour nous acheter
des bagels.
— Est-ce que tu l’as prévenu que les boulangers sont généralement très
lents, car ce sont des perfectionnistes ?
— Je crois qu’il va vite s’en rendre compte, répliquai-je en me retenant
de rire. Mais ça fait partie de l’expérience du débutant.
— Je suis d’accord. Pendant qu’il est à l’intérieur, j’ai besoin de ton aide
concernant une lettre pour quelqu’un que tu connais personnellement.
Enfin, quelqu’un que tu as connu.
— D’accord, m’amusai-je en détachant ma ceinture de sécurité. Je
t’écoute.
— « Cher Spencer Turner… »
Il s’éclaircit la voix.
— « Je souhaiterais te présenter solennellement mes excuses pour un
incident qui a eu lieu il y a plusieurs années. Sans trop rentrer dans les
détails, disons que la raison pour laquelle tu n’as pas pu te rendre au Falls
pour dîner le jour de ton anniversaire, c’était moi. Cependant, je m’excuse
uniquement parce que j’avais juste l’intention de te casser la mâchoire, pas
les côtes. Toutes mes excuses, signé Hayden Hunter. » Qu’est-ce que tu en
penses ?
— J’en pense que tu devrais la mettre de côté pendant un moment. En
fait, ne prends pas la peine de l’envoyer ou de la réécrire. Jamais.
Son rire franc retentit à l’autre bout du fil et je sentis mon ventre se serrer
en l’entendant.
— Ce n’est pas la vraie version, avoua Hayden. Je voulais seulement voir
si ce que j’avais vraiment envie de dire pouvait passer.
— Alors tu as vraiment cassé la figure de « Celui qui enregistrait un
podcast » à l’époque ?
— Je lui ai cassé la figure parce que tu as passé une semaine entière à
pleurer à cause de ce qu’il t’avait fait, ce n’est pas la même chose.
— Est-ce qu’il y a autre chose que tu voudrais confesser ? demandai-je en
souriant. D’autres vérités que tu souhaiterais avouer ?
— Non, mais j’ai une lettre d’excuses qui t’est spécialement adressée.
Est-ce que j’ai le temps de te la lire ?
Je regardai au loin et constatai que la file d’attente dans la boutique
n’avait presque pas avancé.
— Oui.
— « Chère Penelope… »
Il marqua une pause, puis reprit :
— « Je te présente mes excuses pour une conversation extrêmement
inappropriée que nous avons eue il y a des années sur la masturbation. Tu
avais dix-huit ans et j’en avais vingt-quatre. C’était une erreur de ma part. »
— Tu n’as vraiment pas besoin de me demander pardon pour ça.
— Je crois que si, insista-t-il. J’étais l’adulte.
— Tu étais un ami qui répondait à une question.
À mon tour, je marquai une pause, puis ajoutai :
— Et ton conseil m’a vraiment donné un bon coup de main au fil des
années. Sans mauvais jeu de mots.
Il laissa échapper un petit rire et mes tétons se durcirent sous mon
chemisier.
— Je suis sérieuse, Hayden.
Je déglutis, sans trop savoir s’il s’agissait d’une plaisanterie.
— Je n’ai pas besoin que tu t’excuses, répétai-je.
— Laisse-moi te la lire quand même.
— D’accord.
— « En tant que meilleur ami, j’oublie parfois à quel point nous sommes
proches, à quel point tu as été là pour moi comme je l’ai été pour toi. Au fil
des années, j’ai commencé à me rendre compte que… »
Je ne prêtai plus attention à ses paroles, et me focalisai seulement sur le
son de sa voix grave et à la façon dont elle s’accordait parfaitement avec la
chaleur de mon siège.
Sans réfléchir, je glissai une main entre mes cuisses et nous imaginai de
nouveau chez lui, en plein baiser, ses mains encore sous ma robe.
« On sait tous les deux que je ne tiendrai pas tout entier, sinon… »
Tandis qu’il continuait de parler, j’écartai les jambes et mordis ma lèvre
inférieure aussi fort qu’il l’avait fait pour m’empêcher de faire du bruit.
Je poussai la dentelle de ma culotte sur le côté, posai deux doigts sur mon
clitoris trempé et le caressai en décrivant de lents cercles sensuels.
Exactement comme il me l’avait appris au téléphone des années auparavant.
Le son de sa voix résonnait toujours dans mon oreille, chef d’orchestre
malgré elle de la symphonie de plaisir qui palpitait entre mes cuisses, et la
chaleur du siège amplifiait chaque sensation.
— Penelope…
Il prononça mon nom et je fermai les yeux alors que mon sexe se mettait
à palpiter au bout de mes doigts.
À cet instant, ce qu’il disait n’avait aucune importance, mais à chaque
mot qui s’échappait de ses lèvres, mes hanches glissaient un peu plus du
siège.
S’il te plaît, ne t’arrête pas de parler…
— « Et puis… »
Il s’exécuta et m’offrit plus de mots qu’il ne l’avait fait pour toutes les
autres lettres.
Je pris une grande inspiration irrégulière alors que je m’approchais
chaque seconde un peu plus de l’orgasme.
Les images de ses yeux bleus plongés dans les miens s’entrechoquèrent
avec le fantasme de ses lèvres prenant possession de ma bouche. Des désirs
interdits qui ne devaient jamais être assouvis inondèrent mon esprit.
Hayden qui m’embrassait, me baisait, me désirait.
Merde…
Je me mordis la lèvre et m’accrochai au siège de la voiture de Simon au
moment où je jouis.
— « Je te demande pardon. Bien à toi, Hayden Hunter ».
Ses mots me parvinrent plus clairement.
— Penelope ? Penelope ?
— Oui ?
— C’était comment ?
— Complètement inattendu.
— Je sais, répondit-il avec un sourire dans la voix. Je n’ai pas encore
l’habitude de présenter des excuses. Est-ce que tu me pardonnes ?
Je hochai la tête comme s’il pouvait me voir.
— Oui.
— D’accord, super. Je te donnerai l’original en main propre. Enfin, quand
on se verra, je veux dire.
Parle-lui du baiser dans son appartement. Demande-lui s’il a ressenti
quelque chose, comme toi.
— Attends, Hayden.
Je laissai échapper un soupir.
— Au sujet du baiser chez toi, l’autre soir…
— C’est de l’histoire ancienne, me coupa-t-il sans me laisser le temps de
terminer ma phrase. J’ai déjà oublié.
Je sentis mon cœur se serrer.
— Oh, d’accord. Bon, eh bien, Simon va bientôt revenir à la voiture,
alors…
— Bonne nuit.
Hayden raccrocha avant que j’aie eu le temps de dire un mot, et je fis de
mon mieux pour tenter d’ignorer l’étrange douleur dans ma poitrine.
— Prête à vivre la meilleure partie de la soirée ? lança Simon en
rejoignant la voiture. J’ai vraiment hâte de les goûter avec toi.
— Moi aussi.
Je me jurai de me concentrer sur ce que je construisais avec lui à partir de
cet instant.
Hayden était seulement un ami et nous avions partagé un bon moment
sans lendemain, rien de plus.
— Quels parfums as-tu pris ?
Chapitre 22 bis

Hayden

De nos jours…

« Simon Gaines », « Simon G. fonds d’investissement », « Simon Gaines,


Forbes 500 ».
Mon historique de recherches Google du jour était le même que celui de
la veille.
Presque tout ce dont il s’était vanté s’avérait exact, à une exception près.
Son nom était introuvable sur le Forbes 500, bien qu’il l’ait indiqué sur son
site Internet avec le logo officiel.
Une année, les rédacteurs m’avaient exclu de la liste par pure mesquinerie
(j’avais oublié de leur donner des invitations pour mon gala), mais Simon
était nouveau dans la course et je doutais qu’il se soit déjà mis des gens à
dos à ce stade de sa carrière.
Peut-être qu’il s’agit d’une erreur ?
J’essayais de faire comme si j’œuvrais pour la bonne cause, comme si je
n’étais pas en train de chercher quelque chose qui le ferait apparaître
médiocre aux yeux de Penelope. Quelque chose, quoi que ce soit, qui la
pousserait à passer à nouveau plus de temps avec moi.
— Vous avez de la visite, annonça Sarah en entrant dans mon bureau.
Quelqu’un de très important.
— Est-ce que c’est Penelope ?
— Non, souffla-t-elle en levant les yeux au ciel. Il travaille chez…
— Renvoyez-le chez lui. Je ne suis pas intéressé.
— Il souhaite faire un don de deux millions de dollars en amont de votre
gala de bienfaisance.
— Demandez-lui comment il boit son café et faites-le entrer.
— C’est bien ce que je me disais.
Elle s’éloigna et je défroissai ma cravate. Je décidai de rentrer chez moi
après cet entretien. J’avais besoin de temps pour réfléchir.
La porte s’ouvrit quelques secondes plus tard et Simon apparut.
— Bonjour, Hayden, me salua-t-il en souriant. J’espère que cela ne te
dérange pas que je passe te voir.
— Je t’en prie, installe-toi.
Je lui fis signe de s’asseoir, mais il resta debout.
— Je crois réellement au travail qu’accomplit ton association, déclara-t-il.
Je n’imagine pas ce que cela peut faire d’être abandonné par son père à
l’âge de treize ans. Cela a dû être très dur de le voir fonder une autre famille
comme si tu n’avais jamais existé.
— Fais attention, Simeon.
— Quant à ta mère…
Il secoua la tête, puis reprit :
— Dans le milieu des affaires, le bruit court qu’elle était si bouleversée
qu’il vous ait quittés qu’elle a bu jusqu’à en perdre la tête, et que tu t’es
pratiquement élevé tout seul.
Je serrai les dents.
— Je te suggère vivement de parler d’autre chose si tu veux que nous
restions en bons termes, Simeon.
— Ça se prononce « Simon ».
— Tu ne pourras plus rien prononcer du tout si tu ne changes pas de sujet.
Il sourit, puis sortit une enveloppe de la poche intérieure de sa veste.
— Je souhaite faire un don pour ta cause. Je crois sincèrement qu’il faut
aider les enfants à qui la vie n’a pas fait de cadeau.
— Merci, répondis-je en lui indiquant de déposer le chèque sur mon
bureau. Tu peux partir, maintenant.
— En fait, non.
Il souriait toujours, comme s’il s’agissait d’une conversation agréable.
— Je suis aussi venu à cause de Penelope, déclara-t-il.
— Est-ce qu’elle va bien ?
— Elle va plus que bien. Elle est heureuse. Avec moi. Et j’apprécierais
que son meilleur ami, qui n’est rien d’autre qu’un ami, s’abstienne de
l’appeler tard le soir quand elle est avec moi.
— Je te demande pardon ?
— Notre relation va bientôt devenir exclusive, alors je voulais que tu
saches que je n’étais pas du genre à partager.
Je clignai des yeux.
— J’ai mené ma petite enquête sur toi, poursuivit-il. Tu n’as jamais été en
couple, alors je ne peux pas t’en vouloir de ne pas savoir comment ça
fonctionne.
— Est-ce qu’il faut que je t’ouvre la porte pour que tu dégages, ou bien tu
vas y arriver tout seul ?
— Le petit ami, c’est-à-dire moi, a droit à la majorité du temps de la
petite amie. Et le meilleur ami, c’est-à-dire toi, reste en retrait jusqu’à ce
qu’on ait besoin de lui.
Son regard se durcit.
— Étant donné que nous prévoyons de voyager pour les prochains mois
en fonction des cours qu’elle donne et de ses prises de parole, tu ne lui seras
pas d’une grande utilité, reprit-il. Je me suis dit que j’allais te prévenir.
— Donc, je suis obligé de le faire moi-même.
Je me dirigeai vers la porte et l’ouvris.
— Je t’en prie, casse-toi, sifflai-je entre mes dents.
Il laissa échapper un rire et m’emboîta le pas, puis sortit dans le couloir.
— Je suis content que nous ayons eu cette conversation, Hayden.
— La sortie t’attend.
— Une dernière chose. J’espère que tu ne prendras rien de tout cela
personnellement. Tu sembles être un bon ami, une personne mature qui sait
où est sa place, je me trompe ?
Je lui claquai la porte au nez.
Chapitre 23

Hayden

Le lendemain matin…

Je n’arrivais pas à dormir.


La visite inopportune de Simon m’avait mis sur les nerfs, et la jalousie
que je ressentais devenait chaque seconde plus forte.
Alors, comme le « bon meilleur ami mature » qu’il m’avait demandé
d’être, je décidai de mener ma petite enquête sur lui.
En le prenant en filature.
Je me garai en face de chez Penelope, au volant d’une Prius grise aux
vitres teintées.
Je m’assurai que ma casquette de baseball était bien enfoncée sur ma tête,
puis attendis l’arrivée de monsieur le prince charmant.
À en croire les récents messages que Penelope m’avait envoyés et que
j’avais laissés sans réponse, il avait pris une nouvelle habitude pour
démarrer la journée : à sept heures quarante-cinq précises, il lui apportait un
café tout juste préparé de chez Starbucks ainsi qu’un bouquet de fleurs
fraîches.
Il était « toujours à l’heure » mais, sauf si ma montre se trompait, il était
sur le point d’être en retard.
Cinq… quatre… trois…
La Ferrari rouge de Simon dévala tout à coup l’allée centrale en rugissant
et passa juste devant moi. Comme si la rue lui appartenait, il se gara en
dérapant sur la place où était indiqué « stationnement interdit », juste devant
l’appartement de Penelope.
Il descendit de la voiture, un mug de café et un bouquet de roses rouges à
la main. Vêtu de façon décontractée avec un jean et un blazer noir, il
ressemblait plus à un vendeur d’assurance qu’à un « milliardaire en devenir
».
Il frappa à sa porte et elle ouvrit au bout de quelques secondes. Il déposa
un baiser sur son front en lui disant quelque chose qui la fit sourire, puis lui
tendit les cadeaux.
J’attendis qu’il l’embrasse sur la bouche, incapable de résister à ses lèvres
sexy, mais il n’en fit rien. À la place, il lui prit la main tel le héros d’un film
de Disney et déposa un tendre baiser sur le dessus.
Waouh.
Je démarrai le moteur alors qu’il envoyait un baiser à Penelope avant de
retourner à sa voiture. Quand il s’éloigna, je le pris en filature de loin, en
laissant toujours une distance de quatre véhicules entre nous.
Une demi-heure plus tard, je le suivis sur le parking d’une école primaire
privée.
Je tapotai mon volant et l’observai ouvrir son coffre et en sortir un
bouquet de ballons gonflables bleu vif, ainsi qu’un énorme paquet blanc.
Puis il pénétra dans l’école par l’entrée principale.
Alors que les théories se bousculaient dans mon esprit, je remarquai le
panneau d’affichage clignotant sur le côté du bâtiment.

Merci au Fonds Simon G. d’avoir sponsorisé le spectacle de danse des


CM1 !
Affectueusement,
L’école Elm, pour ceux qui ont du talent

Hmm. C’est probablement déduit des impôts.


Quelques minutes plus tard, Simon revint les mains vides et rejoignit la
route à vive allure.
Je l’escortai une fois encore et, pendant les heures qui suivirent, je
l’observai tel un joueur d’échecs expérimenté et mémorisai chacun de ses
coups.
Il invita toute son équipe au Four Seasons pour le petit déjeuner et leur
offrit quelques jours de congés pour les remercier de leur travail. Puis il se
rendit en périphérie de Wall Street pour effectuer des dépôts dans les
banques de ses clients. Chaque fois que quelqu’un lui faisait un signe de
main ou le complimentait sur sa voiture, il souriait et lui tendait un billet de
cent dollars.
Après le déjeuner, il s’arrêta chez Tiffany & Co et acheta un bracelet avec
un pendentif où était incrusté un « P » en diamants, ainsi qu’un collier où
était écrit « tu es si belle ».
Quand la fin d’après-midi arriva, alors qu’il se garait devant Audemars
Piguet, j’étais convaincu que c’était le foutu gendre idéal.
J’étais aussi convaincu que le premier jour de ma mission était un échec
total et absolu.
Démoralisé, j’attendis qu’il sorte pour entrer à mon tour.
— Bonjour monsieur, me salua un homme aux cheveux gris en souriant
tandis que j’approchais. Comment puis-je vous aider ?
— J’ai besoin d’une nouvelle montre.
Je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir encore une pointe de jalousie
en sachant que Simon connaissait le créateur.
— En fait, je voudrais la même que celle que mon ami qui est venu ici
juste avant a achetée, ajoutai-je.
— Oh, vous êtes un de ces types, souffla l’homme avec dédain. Suivez-
moi.
— Qu’est-ce que vous insinuez par « un de ces types » ?
Il ne me répondit pas. Il me fit signe de le suivre dans une pièce à part.
— S’il vous plaît, informez les autres membres de votre groupe que cet
arrangement ne sera pas renouvelé à la fin du mois, déclara-t-il. Il n’y a eu
aucune retombée positive pour nous et je n’arrive pas à croire que mon
patron ait pu se faire avoir.
— Cette conversation serait beaucoup plus facile à suivre si je savais de
quel arrangement vous parlez.
— Ne jouez pas l’innocent avec moi, monsieur, s’agaça-t-il en agitant la
main. Vous et vos camarades louez nos montres par tranches de quelques
jours parce que vous n’avez pas les moyens de les acheter. Et ensuite, vous
avez le culot de demander les collections les plus raffinées et les plus
exclusives seulement parce qu’un membre du conseil d’administration de
cette entreprise est allé en école de commerce avec l’un d’entre vous.
Je haussai les sourcils.
— Quoi ?
— Allez, vous connaissez la combine, affirma-t-il en désignant mon
poignet. J’ignore comment j’ai pu vous laisser emprunter celle-ci, mais cela
ne se reproduira pas. Elle appartient à une collection bien au-dessus de vos
possibilités.
— Il ne s’agit pas du tout d’un prêt.
Je détachai le bracelet et présentai le dos au vendeur.
— Mon nom est gravé à l’intérieur, lui indiquai-je. Et pour votre
information, je n’ai absolument pas l’intention de louer une montre.
— Hayden Hunter ? s’exclama-t-il en écarquillant les yeux. Je n’avais
pas… Oh, je ne vous avais pas reconnu, monsieur.
Il enfila une paire de lunettes.
— Je vous prie de m’excuser, cette conversation n’aurait jamais dû avoir
lieu. Que puis-je réellement faire pour vous ?
— Je veux que vous me disiez tout sur cet arrangement et tout ce que
vous savez sur l’homme qui était là avant moi.
— Eh bien, je…
Il fit un pas en arrière, l’air hésitant.
— En tant que l’un de nos clients les plus estimés, vous savez que je ne
peux pas vous communiquer les informations personnelles d’un autre client.
— Les véritables clients ne louent pas les montres.
Son visage s’illumina, comme s’il était content de rendre service, mais
son sourire s’évanouit ensuite.
— Je suis désolé, monsieur, déclara-t-il. Je n’y suis pas autorisé.
— Je prendrai dix montres de la collection signature à cent mille dollars
pièce minimum.
— Veuillez vous asseoir, je suis à vous dans deux minutes.
Chapitre 24

Hayden

Plus tard ce soir-là…

Je retrouvai la trace de Simon au Citi Field2. Pendant que les Mets


tentaient désespérément de battre les Dodgers, il discutait avec un agent de
sécurité au guichet.
Mon intention avait été de remettre ma filature au lendemain, mais les
derniers mots du vendeur de montres tournaient en boucle dans ma tête.
« Il paye systématiquement avec la carte de crédit de quelqu’un d’autre,
monsieur. Et je sais qu’il fait tout le temps des allers-retours dans le
Colorado, mais je trouve étrange qu’il ne prenne pas l’extension de
garantie liée aux intempéries. Quiconque s’y connaît en matière de montre
ne prendrait pas le risque de porter celles-là dans de telles conditions. »
C’était le fait qu’il mentionne le Colorado qui avait attiré mon attention.
Penelope évoquait constamment ses voyages hebdomadaires en Floride.
J’avais interrogé le vendeur, lui avait demandé s’il ne s’était pas trompé
sur ce détail, mais il m’avait montré le « cadeau » que Simon avait
récemment déposé à la boutique pour le remercier : un porte-clés « Revenez
dans le Colorado » avec une cabine enneigée en arrière-plan.
Je me demandais à propos de quoi d’autre il pouvait mentir.
Alors qu’il prenait un selfie au côté de l’agent de sécurité, mon téléphone
vibra. Penelope.

Penelope : Salut. J’hésite entre deux robes pour ton gala. Qu’est-ce que
tu en penses ? [photo] [photo]
Penelope : Par ailleurs, j’ai dit à Simon que tu réservais habituellement
un emplacement spécial pour que l’on discute en privé, quand tu es trop
accaparé par les invités. J’espère que nous pourrons aussi avoir ces
quelques minutes en privé cette année. Il faut qu’on parle.
Penelope : À moins que tu préfères que l’on fasse ça maintenant ? Simon
a rendez-vous avec des associés de passage, ce soir. Réponds-moi, s’il te
plaît.

Mon doigt survola les photos, mais je ne pus me résoudre à les ouvrir.
Je savais que je ne pourrais pas le supporter.
Je supprimai ses messages et enclenchai la première tandis que Simon
s’installait au volant de sa Ferrari.
Je l’épiai en train d’acheter un autre bouquet, de roses rouges et blanches
cette fois, puis le suivis jusqu’à l’aéroport international John F. Kennedy, du
côté des arrivées.
Ce sera mon dernier arrêt, pensai-je. J’appellerai Penelope dès que ses
acolytes loueurs de montres et lui monteront en voiture pour aller en ville.
Tout en gardant mes distances, j’attendis que le groupe d’hommes en
costume devant lesquels il s’était garé s’installe dans la Ferrari, mais ils
n’en firent rien.
À la place, Simon sortit du véhicule et se dirigea vers les portes.
Avant qu’il n’ait eu le temps de pénétrer dans l’aéroport, une femme
brune vêtue d’une robe bleue lui courut dans les bras.
Il l’embrassa fougueusement en prenant une poignée de ses cheveux dans
une main et en lui touchant les fesses de l’autre.
Qu’est-ce que…
Ils ne prêtaient pas attention aux gens autour d’eux, comme si le terminal
leur appartenait.
Quand Simon arracha enfin sa bouche de la sienne, il la conduisit
jusqu’au coffre de sa voiture et lui tendit les roses et le sac de chez Tiffany
qu’il avait achetés plus tôt.
Je clignai plusieurs fois des yeux pour m’assurer que je n’étais pas en
train d’halluciner. Le « prince charmant » jouait à présent le rôle du
méchant aux deux visages.
J’y vois parfaitement clair, bordel.
Le nom de Lawrence apparut soudain sur le tableau de bord et j’appuyai
sur « accepter l’appel » par habitude.
— Ouais ? fis-je en décrochant.
— Oh, super, ironisa-t-il. Alors, tu es vivant. J’ai une bonne nouvelle, une
très bonne nouvelle, et, euh… des nouvelles de Tinder. Qu’est-ce que tu
veux savoir en premier ?
— Aucune ne m’intéresse.
— Dans ce cas, je commence par la très bonne nouvelle.
Je ne fis même pas semblant d’écouter. Toute mon attention était
focalisée sur Simon qui embrassait de nouveau l’autre femme.
Il glissa sa main sous sa robe et elle le repoussa d’un air joueur.
En retour, il lui mit une claque sur les fesses.
Si les « bisous façon Disney » et les caresses timides sur le canapé
finissaient par frustrer Penelope, c’était probablement parce qu’il
s’économisait pour se donner à quelqu’un d’autre.
— Euh, allô, Hayden ? Où es-tu ? demanda Lawrence.
— En mission secrète.
— Pardon ?
— Tu m’as bien entendu. Je mène une enquête plus que nécessaire.
— D’accord, très bien. Je te le demande une fois pour toutes, quelles
drogues prends-tu ?
— Au lieu de faire le malin, tu ferais mieux de me proposer un coup de
main.
— Je n’ai aucune idée de quoi tu parles, Hayden. Quand exactement
aurais-tu besoin de mon aide ?
— Demain et tous les matins de cette semaine, répondis-je. On prend la
route avant le lever du soleil.
Un silence.
— Tu veux bien être honnête avec moi ?
Il laissa échapper un long soupir, puis ajouta :
— Est-ce que c’est de la cocaïne ou de l’héroïne ?
— Je passe te prendre à quatre heures. Sois prêt.
Je raccrochai et envoyai un e-mail à Sarah.
Je voulais qu’elle fasse plus que de simples recherches Google, qu’elle
m’envoie tout ce qu’elle pourrait trouver sur Simon dans chaque base de
données, et je voulais tout avoir entre les mains avant minuit.
Je voulais aussi, non, je devais savoir si cette Ferrari lui appartenait
réellement.
Quand je sortis enfin de la file de stationnement et m’éloignai à vive
allure, un nouveau message de Penelope s’afficha sur le tableau de bord.

Penelope : Donc tu vas continuer à lire mes messages et à


m’IGNORER ? À être taciturne sans aucune foutue raison ? C’est ce que tu
appelles être un meilleur ami ? Qu’est-ce que tu trafiques depuis des jours ?
Ce que je fais toujours. Je veille sur toi.

2. Stade de baseball situé dans le Queens.


Rupture no 12
Celui qui était resté dormir

Penelope

À l’époque…
Ottawa, au Canada

Moi : J’ai perdu ma virginité, ce soir. Je me suis dit que tu voudrais le


savoir.
Hayden : J’irai t’acheter une carte avec écrit « Félicitations » chez
Walgreens si tu veux fêter ça.
Moi : Prends-en plutôt une avec « Bon rétablissement ».
Hayden : *emoji perplexe* Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ?

Je ne lui réponds pas. Je glisse ma médaille de Skate Canada sous ma


veste et sors discrètement de la chambre d’hôtel.
Sans me retourner, je descends les escaliers à toute vitesse et traverse la
rue en courant pour rejoindre l’hôtel Hilton.
Soulagée de voir que personne d’autre ne fait la queue à la réception, je
pose mon sac à main sur le comptoir.
— J’ai besoin d’une chambre, s’il vous plaît, déclaré-je. Peu importe le
prix.
— Je suis désolée, répond la réceptionniste en levant le regard vers moi.
Nous sommes complets à cause du concours de patinage artistique,
mademoiselle.
Pendant une fraction de seconde, elle semble sur le point de me
reconnaître, alors je baisse les yeux.
— Êtes-vous sûre qu’il ne vous reste plus rien ? demandé-je.
— J’en suis sûre à cent pour cent. Je crois que la plupart des hôtels en
ville sont pleins pour le week-end.
— Je vois.
Je suis tentée de lui demander si je peux faire une sieste sur le canapé
dans le hall d’entrée.
— Je lui laisse ma chambre, lance une voix familière qui vient de derrière
moi. De toute façon, je ne m’y suis pas encore installée.
Tatiana ?
Je me retourne, complètement incrédule.
Nous nous sommes disputé la première place aujourd’hui et avons
échangé des insultes sur le podium il y a seulement quelques heures.
— J’ai la chambre numéro 1242, déclare-t-elle. Je peux dormir avec mes
parents.
— Est-ce que tu en es sûre ?
— Oui.
Elle m’adresse un regard compatissant, presque comme si elle avait envie
de me demander ce qui n’allait pas, mais elle s’éloigne sans ajouter un mot.
La réceptionniste pianote brièvement sur son clavier, puis me tend une
clé.
— Les ascenseurs se trouvent au bout du couloir, sur la droite.
Je la remercie et pars dans la direction opposée. Je préfère éviter la foule
qui s’y dirige pendant un moment.
Alors que je contourne la fontaine, mon téléphone se met à vibrer.
Hayden.
— Oui ?
— Qu’est-ce que tu entends par « prends-moi une carte de bon
rétablissement » ?
Je ne réponds rien.
— Penelope, parle-moi.
— J’ai dit à Joshua que je ne voulais pas. Je lui ai dit que je n’étais pas
prête et que j’avais changé d’avis. Et je sais que c’était vraiment nul de faire
ça alors qu’il était sur moi et qu’il avait déjà mis le préservatif, mais je ne
voulais pas le faire. Je lui ai dit non…
Un silence.
— Il m’a dit que j’étais seulement nerveuse, et ensuite il…
Je grimaçai en le revoyant me pénétrer d’un seul coup, poser sa main sur
ma bouche et m’ordonner de « me calmer et de me laisser faire ».
— Il a fait sa petite affaire sans montrer aucune compassion, et il se
fichait que je pleure.
J’arrive à peine à parler.
— Il est sorti de la chambre pour demander du champagne, mais je ne
supportais plus de rester là, alors j’ai traversé la rue pour chercher un autre
endroit où passer la nuit.
Hayden soupira doucement.
— Le seul moment où il m’a regardée dans les yeux, c’est lorsqu’il a
prononcé le nom de son ex, poursuis-je. Le reste du temps, il…
Je ne parviens même pas à terminer ma phrase.
— Il faut que je dorme pour commencer à oublier ce qui s’est passé le
plus tôt possible. Est-ce que tu peux dire à Travis que je dois repousser
l’appel en visio que nous avions prévu demain matin au petit déjeuner ? Je
t’en serais vraiment reconnaissante.
— Penelope, attends.
Je raccroche. Je ne veux pas qu’il m’entende pleurer et je me suis retenue
assez longtemps.
Une fois assurée que la foule a déserté le hall, je me dirige vers les
ascenseurs. Puis j’éteins mon téléphone avant d’entrer.
Je revérifie le numéro de la chambre sur la clé et regarde les étages défiler
avec appréhension tandis que la cabine monte.
À l’instant où les portes s’ouvrent, je me précipite dans le couloir et
m’enferme à l’intérieur de la chambre.
Je m’effondre sur le lit et mon corps est secoué de vagues de sanglots. Je
ferme les yeux pour tenter de dormir, mais en vain.
Tu n’es encore qu’une idiote.
Ce qui s’est passé il y a une heure tourne en boucle dans ma tête et je sais
que cette soirée laissera une cicatrice dans mon esprit pour le restant de mes
jours. C’est inutile de lui donner un titre d’ex-petit ami, car je ne veux pas
du tout me souvenir de lui.
Je me sèche les yeux avec le coin d’une couverture en reniflant et
compose le numéro du service en chambre. Je commande deux bouteilles
d’eau dont je n’ai pas vraiment envie et une carafe de café dont je n’ai pas
besoin.
Quelques minutes plus tard, on frappe lourdement à la porte.
J’attrape une poignée de dollars, puis avance pour aller ouvrir.
Mais de l’autre côté, ce n’est pas un employé de l’hôtel.
Hayden ?
Je m’attends à ce qu’il me regarde comme si j’avais perdu la tête, mais
c’est une empathie sincère que je lis dans ses yeux.
Il prend mon visage dans ses mains et pose son front contre le mien, sans
dire un mot.
— Il a prononcé le nom de son ex quand il a joui. Il l’a dit deux fois.
Je ne peux pas m’empêcher de répéter ce détail.
— Bordel, qu’est-ce qui ne va pas chez moi, Hayden ? Pourquoi est-ce
que je suis incapable de trouver un mec bien ?
Il ne me répond pas. À la place, il passe doucement ses doigts dans mes
cheveux et dépose un baiser sur ma peau. Puis il m’attire dans ses bras et
me serre contre lui.
J’essaye de contenir mes larmes, mais en vain.
Sans émettre aucun jugement, il me conduit jusqu’au lit. Il m’attire contre
son torse, m’embrasse de nouveau sur le front à plusieurs reprises et me
serre un peu plus fort.
— C’est fini, murmure-t-il. Tout va bien.
Il reste avec moi toute la nuit, me prenant dans ses bras à chaque larme
versée.

***
Quand le soleil perce à travers le store le lendemain matin, Hayden me
fait couler un bain moussant.
Comme je refuse de sortir du lit, il passe son bras sous mes jambes et me
porte jusqu’à la salle de bains.
En parfait gentleman, il me déshabille en me laissant ma culotte et mon
soutien-gorge, sans jamais détourner le regard du mien.
— Je crois que tu peux enlever le reste toi-même, murmure-t-il. Si tu n’y
arrives pas, je suis juste à côté.
Une fois qu’il a fermé la porte, je retire mes sous-vêtements et prends
mon temps pour me glisser dans l’eau chaude et savonneuse.
Quand j’en sors, je m’attends à ce qu’il soit parti car j’ai passé deux
heures dans la baignoire. Mais quand j’ouvre la porte, il est sur le lit.
Je m’approche de lui, m’appuie contre son torse, et il m’enlace de
nouveau.
Il passe une nouvelle fois la nuit près de moi.

***
Lundi matin, je me redresse dans le lit, seule. Les rideaux sont ouverts et
il y a un mot sur l’oreiller à côté de moi.

Je suis sorti chercher le petit déjeuner.


Hayden
P.-S. J’ai dit à Travis que tu avais décidé de passer le week-end avec
Tatiana (je n’ai rien trouvé de mieux, mais il y a cru). :-)

Je ris et prends mon téléphone sur la table de chevet. Je fais défiler mes
contacts à la recherche de Joshua avec l’intention de lui faire savoir le mal
qu’il m’a fait, mais je ne le trouve pas.
Il n’est ni répertorié dans mes conversations, ni dans mes appels récents,
et quand je compose manuellement son numéro, le message « Erreur : non
autorisé » apparaît.
C’est quoi ce bordel ?
La porte de la chambre s’ouvre et Hayden entre, deux sacs en papier à la
main.
— Bien. Tu es réveillée. Je te laisse choisir quelle sorte de bagel tu veux.
— Qu’est-ce que tu as fait à mon téléphone ? Je n’arrive pas à joindre
Joshua.
— Cannelle ou nature ? Demande mon meilleur ami sans tenir compte de
ma question.
— Cannelle.
— D’accord.
Il ouvre l’un des deux sacs et installe un plateau devant moi sans se
presser.
Je ne peux pas m’empêcher de remarquer que ses mains sont couvertes de
bleus et d’égratignures. Des bleus et des égratignures qui n’étaient pas là la
veille ni la nuit d’avant.
— Qu’est-ce qui est arrivé à tes mains ?
— Ce n’est rien, déclare-t-il en me donnant une fourchette. Je me suis
seulement cogné dans quelque chose de stupide.
— Dans quelque chose ou dans quelqu’un ?
Il ne répond pas non plus à cette question. Il remet en forme l’oreiller
derrière ma tête et me tend un gobelet rempli de fruits.
— Hayden, qu’est-ce qu’il s’est passé ?
— Je veillais sur toi.
Puis il change de sujet en m’adressant un regard qui signifie que cette
conversation est terminée.
— Parlons de ton prochain concours. Il a lieu en Caroline du Nord, n’est-
ce pas ?
Chapitre 25

Hayden

De nos jours…

Simon Gaines était un putain d’imposteur.


J’en avais la preuve sous les yeux, écrite noir sur blanc, et les chiffres ne
mentaient pas.
Les moyens qu’il avait mis en œuvre pour élaborer son personnage
auraient suffi à inspirer un roman de neuf cents pages, mais aucun auteur
sain d’esprit n’aurait osé écrire une histoire avec une intrigue aussi folle.
D’un autre côté, d’après son site Internet, Simon figurait également sur les
listes des « best-sellers du New York Times », alors peut-être qu’il
empruntait le scénario de l’un de ses livres inexistants.
Outre le fait qu’il louait sa Ferrari, ses montres et ses costumes, il
fréquentait une femme différente dans chaque ville (au moins cinq), avec
une garde-robe et une personnalité assortie à chacune d’entre elles.
À Los Angeles, il était un veuf très attentionné qui sortait avec une
infirmière nommée Shelby. À Las Vegas, il gravissait les montagnes et
donnait des cours de yoga spirituel avec une amatrice de sensations fortes
qui s’appelait Ana. Dans l’Indiana, il arrondissait ses fins de mois en faisant
du courtage à temps partiel et « détestait l’idée » d’être séparé de sa petite
amie Yasmine les week-ends.
La façon dont il modifiait son nom de famille (Gines, Gains, Giannis)
suffisait à couvrir son subterfuge et à ne pas trahir ses mensonges.
S’il avait été n’importe qui d’autre, j’aurais immédiatement appelé
Penelope pour lui faire part de mes découvertes. Je lui aurais dit : « Il faut
qu’on parle de ton mec. Tu vas devoir rompre avec lui ce soir. »
Mais dans le cas présent, je devais adopter une autre approche, car je
voulais qu’elle fasse plus que le quitter.
Je voulais qu’elle le largue, pour sortir avec moi.
Je me versai un verre de Scotch tout en réfléchissant à la façon dont
j’allais m’y prendre. Je pris une feuille de papier à lettres et appuyai sur
mon stylo pour faire sortir la mine.
Attends. Qu’est-ce que je suis en train de faire, bon sang ?
Je saisis mon téléphone et fis défiler l’écran jusqu’à son nom. Puis,
j’ouvris enfin les nombreux messages que j’avais ignorés ces derniers jours.

Penelope : Salut. Je ne suis pas sûre que tu aies reçu mes photos avec les
robes ? Laquelle est-ce que je devrais porter ? Peux-tu aussi répondre à mes
autres messages ? J’aimerais que tu m’aides.
Penelope : Je te vois à la télévision en train de donner une interview. Tu
as regardé ton téléphone quand je t’ai envoyé mon message. Pourquoi est-
ce que tu ne me réponds pas ?!
Penelope : Bon, on n’a qu’à dire que ces dernières semaines ont été
difficiles pour toi et que tu me raconteras tout ça plus tard. On repart à
zéro ? D’accord, super. Je vais sûrement coucher avec Simon après ton gala
étant donné que c’est de plus en plus chaud entre nous. Dis-moi ce que tu
penses de mes messages coquins et de ma lingerie. [photo] [photo]

Trop, c’est trop.


Je sélectionnai son prénom et appuyai sur « Appeler ».
La sonnerie retentit une fois. Puis deux.
« Veuillez laisser un message après le bip. » À la place, je tombai sur sa
messagerie vocale.
Bip !
— Penelope, je sais qu’il est trois heures du matin, mais il faut que je te
dise ce que j’ai sur le cœur.
Je laissai échapper un soupir, puis repris :
— Je ne peux plus te donner de conseils pour t’aider à séduire ce type,
d’idées de trucs « sexy » que tu devrais faire ou te suggérer d’autres
messages cochons à lui envoyer tard le soir.
Je marquai une pause.
— En tant que meilleur ami, j’ai atteint ma limite et je peux affirmer en
toute sincérité qu’il ne te mérite pas. Si je te dis tout cela, ce n’est pas parce
que je suis jaloux à en crever, ou parce qu’il a le culot de prétendre qu’il
gagne plus que moi. D’ailleurs, je ne vois toujours pas son nom inscrit au
Forbes 500 et je sais très bien que sa Ferrari est une location, mais c’est une
autre histoire. Il n’est pas celui que tu crois, et l’homme qu’il te faut est
juste là, devant toi, depuis le début… Tu as toutes les raisons du monde de
ne jamais me laisser une chance, puisque tu me connais mieux que
quiconque et que tu partages l’avis de tous les journaux à scandale qui me
nomment « Le roi arrogant de New York » et « Le play-boy indompté de
Manhattan ». Mais je crois dur comme fer que tu serais mieux avec
quelqu’un d’autre que lui et je voudrais que tu le voies. Je ne te demande
pas grand-chose, simplement de…
— Allô ? fit Simon en décrochant avant que j’aie le temps de sauvegarder
mon message. Allô ?
C’est quoi ce bordel ?
— Je veux parler à Penelope.
— Je n’en doute pas, répondit-il. Mais elle est au lit avec moi en ce
moment même.
— Dans ce cas, je suis sûre qu’elle est déçue. Passe-lui le téléphone.
— Elle dort, Hayden. De plus, comme je te l’ai déjà dit, c’est ma petite
amie, et trois heures du matin n’est pas une heure convenable pour
l’appeler.
— Je ne te demanderai pas une seconde fois de lui passer le téléphone.
— Tu es enregistré dans son répertoire sous le nom de « Se comporte
comme un trou du cul en ce moment », alors je ne crois pas que vous soyez
en bons termes, tous les deux. Elle m’a dit que tu ne l’avais pas appelée ni
ne lui avais envoyé de message depuis des semaines. Pour quelle raison ?
— Ce ne sont pas tes affaires.
— Comme tu voudras, s’amusa-t-il. Eh bien, puisque tu n’as pas compris
le message quand je suis passé à ton bureau, permets-moi de me répéter : tu
es seulement son ami, pas son mec. Reste à ta putain de place.
Il me raccrocha au nez, et je ne pris pas la peine de rappeler.
Quoiqu’il en soit, je préférais régler ça en face à face.
Chapitre 26

Penelope

De nos jours…

Autrefois, Hayden m’appelait à dix-huit heures la veille de son gala. Il


m’annonçait qu’il était devant chez moi, prêt à m’emmener découvrir le
thème de la soirée en avant-première.
Les premiers thèmes étaient relativement simples : « le vieil Hollywood
», « une nuit sous les étoiles » et « une escapade de conte de fées ». Mais,
au fil des années, il imaginait des univers de plus en plus complexes qui ne
manquaient jamais de m’impressionner.
Comme il s’agissait de l’un des temps forts de mon année, je
m’accrochais à l’espoir qu’il mettrait de côté ce qui le tourmentait, quoi que
ça ait pu être, et respecterait notre tradition.
Vendredi soir, je surveillai l’horloge et observai l’aiguille des minutes
dépasser le un, puis le deux.
Je sentis mon cœur se serrer quand elle arriva à et quart.
J’actualisai l’écran de mon téléphone en me disant que, peut-être, peut-
être qu’il était en retard.
Rien.
Pas de message ni d’e-mail. Pas d’appel mystérieusement manqué.
Il m’évitait toujours.
Qu’il aille se faire foutre.

***
Le lendemain soir, j’observai mon reflet dans le miroir du salon.
Puisqu’Hayden ne s’était pas donné la peine de m’aider à choisir une tenue,
j’avais choisi une robe de soirée couleur parme qui marquait ma taille et
retombait jusqu’au sol. Fendue sur le côté droit au niveau de ma cuisse, elle
laissait apparaître une paire de talons aiguilles à paillettes, façon Cendrillon.
— Waouh, s’extasia Tatiana en entrant dans la pièce en pyjama et avec un
bol rempli de glace à la main. Je croyais que Simon passait te prendre à
vingt heures trente.
— Vingt et une heures trente, rectifiai-je. Son vol depuis la Floride a du
retard. Pourquoi est-ce que tu n’es pas habillée ?
— Parce qu’il pleut. Je n’ai pas envie de mouiller ma robe.
— Le gala se déroule en intérieur, Tatiana.
— Ah bon ? fit-elle en souriant. Alors, attends. Laisse-moi trouver une
autre excuse pour m’éviter de passer la soirée au milieu d’un tas de gens
riches convaincus qu’ils sont meilleurs que tout le monde.
Elle tapota sa lèvre inférieure avec sa cuillère, puis s’exclama :
— Oh, noooon. Je ne me sens pas très bien, tout à coup.
— Tu racontes n’importe quoi, répondis-je en riant. Merci de m’avoir
prévenue que tu ne venais pas.
— De rien, tout le plaisir est pour moi.
Elle ramassa ma pochette et me l’apporta.
— Tu me raconteras comment c’était, au lit, reprit-elle. Je veux tout
savoir dans les moindres détails, jusqu’à la durée de vos baisers.
— Je te raconterai si on couche ensemble.
— Vous avez plutôt intérêt, s’offusqua-t-elle. J’ai l’impression que tu sors
avec lui depuis une éternité.
— Je sais.
Je m’assurai que j’avais toujours des préservatifs dans ma pochette.
Comme à point nommé, la sonnette retentit.
— Adieu, Cendrillon.
Tatiana se laissa tomber sur le canapé et je me dirigeai vers la porte.
Quand je l’ouvris, je ne pus m’empêcher de sourire à Simon. Il portait un
smoking noir impeccable et tenait deux grandes tiges de roses.
— Waouh.
Il me contempla pendant plusieurs secondes, sans parvenir à prononcer
un mot. À la place, il me prit la main et la leva en l’air pour me faire tourner
sur moi-même.
— Tu es absolument éblouissante, déclara-t-il enfin. Je vais sûrement
devoir surveiller mes arrières, car je crois que tous les regards seront
tournés vers toi et cette robe, ce soir.
Je rougis.
— Merci pour le compliment. Est-ce que tu sors avec d’autres femmes ou
quelque chose de ce genre ?
— Quoi ? s’étonna-t-il en fonçant les sourcils. Pourquoi cette question ?
— Je vois deux roses géantes dans ta main, mais il n’y a qu’une seule
moi.
— Oh, jamais de la vie.
Il déposa un baiser sur mes lèvres.
— L’autre est pour ta colocataire, expliqua-t-il. Elle ne vient pas avec
nous ?
— Non, elle vient juste d’attraper une flémingite aiguë et c’est une très
mauvaise personne.
— Je t’ai entendue ! s’écria l’intéressée depuis le salon.
— Dans ce cas, les deux sont pour toi, s’amusa Simon avant de déplier
son parapluie. Prête ?
— Plus que jamais.
Il posa sa main dans le creux de mes reins et me conduisit jusqu’à sa
Ferrari.
Étrangement, l’habitacle semblait un peu différent comparé à la veille.
Les options personnalisées avaient disparu et un étrange code-barre
marquait le tableau de bord.
— Le concessionnaire m’a prêté une voiture, car les finitions de la
mienne n’étaient pas assez soignées à mon goût, expliqua Simon qui avait
dû remarquer l’expression sur mon visage. J’espère que cela ne te dérange
pas qu’on utilise celle-ci pendant un moment.
— Pas du tout.
J’attachai ma ceinture et il referma la portière.
Alors qu’il contournait la voiture pour rejoindre le siège conducteur, une
sonnerie de téléphone que je n’avais pas entendue depuis une éternité
retentit.

Se comporte comme un trou du cul en ce moment : Appelle-moi avant


de partir du gala. Il faut qu’on parle.

C’était tout.
Pas de « je suis désolé de m’être comporté comme un gros naze et de
t’avoir ignorée », pas de « je n’ai pas été un bon ami ces derniers temps »,
pas même un « s’il te plaît, pardonne-moi ».
Je désactivai les notifications et me tournai vers Simon qui démarrait la
voiture. Je ne voulais plus penser à Hayden pour le reste de la soirée, et il
était hors de question que je l’appelle.
— Simon, parle-moi de ton dernier voyage en Floride…
Chapitre 27

Penelope

De nos jours…

Les flashs des appareils photo manquèrent de nous aveugler alors que
nous descendions de la Ferrari.
Comme toujours, un tapis rouge et épais était déroulé sous une longue
tonnelle qui s’étendait de l’espace voiturier à l’entrée bordée d’arbres du
lieu de réception.
— Bienvenue au gala de bienfaisance annuel d’Hayden Hunter pour
soutenir les enfants, nous accueillit un homme en smoking devant la porte.
Puis-je avoir votre nom et votre lien avec notre hôte, s’il vous plaît ?
— Simon Gaines, déclara mon cavalier en serrant ma main dans la
sienne. J’ai fait un don de plusieurs millions.
— En êtes-vous sûr ? demanda l’homme en secouant la tête. Vous n’êtes
pas sur la liste, monsieur. Est-il possible que vous soyez plutôt enregistré
sous le nom de votre entreprise ?
— Le fonds spéculatif Simon G., peut-être.
Il m’adressa un regard perplexe.
— J’ai bien peur qu’elle n’y soit pas non plus.
— Essayez avec Penelope Carter, intervins-je.
L’homme leva le regard vers moi.
— Comme vous le savez déjà, vous êtes sur toutes les listes de monsieur
Hunter, mademoiselle Carter.
Il sourit, puis souleva la corde en velours.
— Vous et votre cavalier pouvez suivre les panneaux argentés pour
rejoindre le quartier V.I.P.
— Je vous remercie.
— C’est bizarre, murmura Simon. Je lui ai remis mon chèque en
personne.
Quand a-t-il fait cela ?
— Il a probablement oublié de dire à Sarah de t’ajouter sur la liste,
supposai-je. Ou alors, elle l’a écrit trop rapidement et elle n’a pas réussi à se
relire. Ça lui arrive tout le temps.
— Je te crois.
Nous traversâmes les couloirs couverts de miroirs et, quand nous
pénétrâmes dans la salle de bal, j’eus le souffle coupé.
Des milliers de lumières blanches scintillantes étaient suspendues au
plafond, lui aussi couvert de miroirs. Elles étaient disposées de façon à
encadrer parfaitement le motif de patinoire dessiné sur le sol.
Le nom du thème de la soirée (« Les rêves sont éternels ») était inscrit sur
les coupes de champagne que les serveurs apportaient sur leurs plateaux.
— C’est spectaculaire, murmura Simon, qui semblait aussi émerveillé
que moi. Est-ce que tu l’as aidé ?
— Non, répondis-je en apercevant des sculptures de glace alignées
représentant des patineuses artistiques. Hayden ne m’a rien dit du tout.
— Il y a des flocons de neige qui tombent sur la piste de danse, me fit-il
remarquer. Sûrement des paillettes. Permets-moi d’aller nous chercher
quelque chose de plus fort à l’un des bars.
Il déposa un baiser sur ma joue, puis ajouta :
— Je reviens tout de suite.
Je remarquai à peine son départ.
J’avançai sur la « patinoire » et posai mon talon sur un flocon de neige
emprisonné sous le sol en verre. Je plissai les yeux pour tenter de lire les
mots minuscules figés dans les stries, mais je ne parvins pas à déchiffrer la
phrase en entier.
Toujours inégalée à vingt-sept ?
— Le voilà !
— C’est lui, là-bas !
— Prenez-le en photo, s’il vous plaît.
Des voix qui s’élevaient derrière moi me firent relever la tête.
Au milieu de la pièce, Hayden prenait la pose avec son conseiller.
Vêtu d’un costume noir sur mesure avec des boutons de manchette en
diamant à en faire pâlir tous les hommes présents dans la pièce, il devint
immédiatement le centre de l’attention.
Tout en dévoilant son sourire parfait, il exécutait son rire forcé devant les
journalistes quand Lawrence lui donnait le signal habituel.
Hayden croisa brièvement le regard des paparazzis qui prenaient des
milliers de clichés, puis il se tourna vers moi.
Il cligna plusieurs fois des yeux et entrouvrit la bouche en observant
longuement ma robe. Son regard parcourut mon corps de haut en bas, et
celui-ci me trahit en réagissant.
À chaque seconde qui passait, mon cœur battait la chamade un peu plus
fort, accélérant chaque fois qu’Hayden plongeait à nouveau ses yeux dans
les miens.
Je tentai de me détourner de lui, de me concentrer sur un autre élément
dans ce décor magnifique, mais il était la plus belle chose dans cette pièce.
Tout en me considérant une fois de plus du regard, il prit la pose pour une
dernière photo, puis s’avança vers moi.
— Bonsoir, Penelope. Je suis content que tu sois là.
— Ah oui ?
Je revins brutalement à la réalité. Il était hors de question que je pardonne
ou que j’oublie qu’il s’était comporté comme un enfoiré ces dernières
semaines.
— Vu la façon dont tu me traites en ce moment, je suis très étonnée que
tu veuilles de moi ici, répliquai-je sèchement.
— Évidemment que je te veux, souffla-t-il en parlant plus bas. Je crois
que j’ai été plutôt clair à ce sujet. As-tu reçu mes messages ?
— Oui, déclarai-je en haussant les épaules. J’ai l’intention de te répondre
dans quelques semaines puisque, apparemment, c’est notre nouveau rythme
de conversation ces jours-ci. Je me trompe ?
— À toi de me le dire, rétorqua-t-il en fronçant les sourcils. C’est toi qui
as commencé quand tu t’es mise en couple.
— Si tu étais avec quelqu’un, je suis sûre que ce serait pareil.
— Je te garantis que non.
Nous restâmes là à échanger des regards furieux, sans prêter attention aux
flashs des photographes autour de nous.
— Salut, Hayden.
Simon, qui revenait avec des boissons, s’interposa entre nous, ce qui fit
retomber un peu la tension.
— C’est la plus belle décoration de gala que j’aie jamais vue. On sent
bien que tu es un véritable artiste et un vrai organisateur.
— Oui, répondit mon meilleur ami. Je crois que c’est l’un des thèmes que
j’ai le mieux réussi, car il me tient personnellement à cœur. Merci beaucoup
du compliment, Simeon.
Cette fois, je ne me donnai pas la peine de le corriger. Je pris les verres
des mains de mon cavalier et les vidai tous les deux d’un trait.
— Eh bien, d’accord, s’amusa Simon en me prenant par le bras. Permets-
moi de t’aider à éliminer ça sur la piste de danse, veux-tu ?
— Oui, acquiesçai-je en fusillant Hayden du regard. Je crois que c’est une
bonne idée de changer d’air.
Mon meilleur ami serra la mâchoire, mais il ne prononça pas un mot. Ses
yeux s’attardèrent sur moi longtemps après que je me fus éloignée, et je
sentis qu’il me suivait du regard à l’autre bout de la pièce.
Sur la piste de danse, Simon me serra contre lui pendant plusieurs
chansons tout en me murmurant à l’oreille des mots que je n’écoutais qu’à
moitié. J’étais trop occupée à penser à Hayden pour lui prêter attention, trop
occupée à regretter que mon meilleur ami soit aussi incroyablement
séduisant.
Concentre-toi sur Simon, Penelope. Concentre-toi sur Simon.
— Tu es horriblement silencieuse, ce soir, susurra mon cavalier avant de
déposer un baiser au creux de mon oreille. Est-ce que tu passes un bon
moment ?
— Oui.
— Veux-tu qu’on aille chez moi après le gala ?
— Avec plaisir.
Je relevai la tête en prononçant ces mots, et aperçus Hayden qui nous
observait de loin.
Il avait les yeux rivés sur mes mains, alors j’entremêlai mes doigts dans
les cheveux de Simon, puis les fis descendre le long de sa nuque.
Le visage de mon meilleur ami vira au rouge, et je finis par détourner le
regard.
— Est-ce que tu veux qu’on aille se servir au buffet ? proposai-je à
Simon. C’est toujours la meilleure partie du gala.
— J’aimerais beaucoup.
Il relâcha son étreinte et me prit la main pour me conduire jusqu’à
l’espace délimité par les sculptures de glace de sept mètres de haut.
Il nous confectionna avec soin une assiette de mises en bouche, mais
avant que nous ayons pu y goûter, le PDG de Tinder, Tim Lassing, fit
irruption devant nous.
— Eh bien, regardez qui voilà, déclara-t-il en souriant. La complice
d’Hayden Hunter. Comme à votre habitude, vous êtes éblouissante,
Penelope.
Je ne me donnai pas la peine de le remercier.
— Avez-vous l’intention de reconnaître un jour ce qu’il m’a fait ? Ou est-
ce que vous comptez vous accrocher à ses mensonges pathétiques pour
toujours ? demanda-t-il.
— Pourriez-vous éviter de parler de ça ? soupirai-je en levant les yeux au
ciel. Je suis choquée qu’Hayden vous ait mis sur la liste des invités.
— Moi aussi, s’amusa-t-il en souriant de nouveau. Mais il a le truc pour
organiser des fêtes d’enfer. De plus, vous êtes toujours de la partie, et je ne
raterai jamais une occasion de vous taper sur les nerfs. Est-ce que cet
homme en costume à côté de vous est votre cavalier ?
— Simon Gaines, se présenta l’intéressé en tendant sa main. Ravi de vous
rencontrer.
Tim ne lui serra pas la main. À la place, il lui donna plusieurs tapes sur
l’épaule.
— Vous perdez votre temps avec celle-là, affirma-t-il. Fuyez avant que
les coïncidences ne commencent à s’accumuler.
Il vola une des fraises dans notre assiette, puis tourna les talons.
— Je ne veux même pas savoir de quoi il parle, déclara Simon en riant.
— Il fait ça tout le temps, répondis-je en secouant la tête et en ressentant
plus que jamais le besoin de prendre l’air. Tu veux bien m’excuser un
instant ? Il faut que j’aille aux toilettes.
— Prends ton temps.
Je m’éloignai et me dirigeai à l’étage, vers d’autres toilettes dont peu
d’invités connaissaient l’existence.
J’avais besoin d’être seule.
— Des bonbons à la menthe, des serviettes ou un rafraîchissement,
mademoiselle ? offrit une hôtesse en souriant quand j’ouvris la porte.
— De l’eau, s’il vous plaît.
— Tout de suite, mademoiselle. Quel type d’eau…
— Il faut qu’on parle, interrompit Hayden qui venait soudain d’apparaître
derrière moi. Maintenant.
— Je ne suis pas d’humeur à discuter avec toi.
— Je ne t’ai pas demandé si tu l’étais, répliqua-t-il en me contournant.
Pouvez-vous nous laisser un instant, Martha ?
L’hôtesse acquiesça d’un hochement de tête et quitta la pièce.
Hayden avança jusqu’au lavabo, mais je restai immobile contre le mur, à
côté de la porte.
J’attendais qu’il crache le morceau, qu’il implore ma pitié et qu’il me
présente ses excuses pour s’être comporté en parfait connard ces dernières
semaines, mais il n’avait pas l’air de s’en vouloir le moins du monde.
— Sache que tu es terriblement magnifique, déclara-t-il en croisant mon
regard.
— Merci. Et toi, tu m’évites terriblement.
— Je me souviens parfaitement d’avoir discuté avec toi il y a un peu plus
d’une heure.
— Tu sais de quoi je parle, insistai-je en sentant une douleur dans ma
poitrine. Le seul message que tu m’as envoyé ces dernières semaines c’est «
Appelle-moi avant de quitter le gala », Hayden.
— Dans ce cas, est-ce que monter ici est ta façon de me dire que tu es sur
le point de t’en aller ?
— Non, j’essaye de te faire comprendre que tu te comportes comme un
très mauvais ami.
— Vraiment ? s’étonna-t-il en haussant les sourcils. C’est ce que tu
penses ?
— Je peux répéter si ça te fait plaisir.
— Écoute, tu as passé beaucoup de temps avec ton petit ami,
dernièrement.
— Oui, c’est comme ça que fonctionnent les relations de couple.
— Il n’est pas celui que tu crois. Simeon trempe dans des trucs louches,
et je crois que tu devrais le savoir.
— Son nom est Simon.
— Son nom change en fonction de l’état dans lequel il vit, répliqua
Hayden. Par ailleurs, il n’a rien du prince charmant, et il faut que tu le
saches avant de commettre une énorme erreur.
— Tu veux dire, avant que je couche avec lui ce soir ?
— Tu ne coucheras pas avec lui. Jamais.
— Pourquoi est-ce que tu donnes l’impression d’être aussi jaloux,
Hayden ?
— Ce n’est pas une impression.
Un silence.
— Ton petit ami est un escroc, reprit-il. En gros, c’est Gatsby le
Magnifique sous stéroïdes et il te trompe depuis le début.
Je croisai les bras sur ma poitrine, sans rien dire.
— Il sort avec une femme dans six villes différentes, et je ne te compte
pas dans le lot.
Il leva son regard vers moi.
— Quant à son classement au Forbes 500 ? Il a payé un ami à lui qui est
journaliste pour qu’il fasse apparaître son nom sur le site pendant une
journée. Ensuite, il a fait une capture d’écran avant que le rédacteur en chef
n’intervienne.
— Comment est-ce que tu sais tout cela, Hayden ?
— La Ferrari dans laquelle il te promène depuis des semaines est une
voiture de location et il n’a pas versé le loyer depuis deux mois.
— Comment est-ce que tu sais tout cela ? répétai-je d’une voix brisée.
Il ne répondit toujours pas à ma question.
— Je crois que tu devrais rompre avec lui. Le plus tôt sera le mieux.
— Tu ne m’as pas adressé la parole depuis des semaines et maintenant, tu
me demandes de larguer le mec avec qui je sors.
— Oui, lâcha-t-il sans laisser paraître aucune émotion. Je voulais te le
dire plus tôt, mais tu ne m’aurais pas cru. Et tu le sais.
— Je ne te crois pas, répliquai-je avec un haussement d’épaules. Il y a
deux semaines, tu as dit qu’il était ton préféré de tous mes petits amis.
— Je n’ai jamais dit cela d’aucun de tes petits amis.
— Tu l’as sous-entendu. Tu as aussi laissé entendre que tu serais là pour
moi, mais on dirait que tu t’es bien planté, de ce côté-là.
— J’ai espionné ton mec tous les jours pendant des semaines, d’accord ?
s’agaça-t-il en m’adressant un regard noir. Et j’ai demandé à Sarah de faire
des recherches approfondies sur lui. Voilà où j’étais passé, bordel. Je
veillais sur toi.
Je déglutis.
— Tu sais quoi ? Je n’aurais jamais dû te demander de m’aider.
— Je ne regrette pas de l’avoir fait, affirma Hayden en s’approchant. Ce
que tu dois faire, c’est rompre avec Simon et sortir avec quelqu’un qui en
vaut la peine.
— Oh ? m’exclamai-je en le fusillant du regard. Alors pendant que tu
nageais en plein délire et que tu suivais mon mec à la trace, tu as aussi
réussi à me trouver un petit ami remplaçant ? Comme c’est généreux de ta
part. Est-ce qu’il va bientôt arriver au gala ?
— Il se tient juste devant toi, siffla Hayden entre ses dents. Et je veux que
tu largues Simon pour sortir avec moi.
Un silence.
Je clignai des yeux et il fit quelques pas supplémentaires vers moi.
— Je te désire plus que tout, Penelope. Ta place est avec moi.
La tension dans l’air était palpable ; aucun de nous ne prononça un mot.
La musique se mit tout à coup à résonner beaucoup plus fort depuis le
rez-de-chaussée et les basses grondèrent si intensément que le sol et les
murs se mirent à trembler.
Je fis un pas en arrière ; mon cœur battait à tout rompre et mon esprit
partait dans un million de directions différentes.
Hayden réduisit la distance qui nous séparait, puis posa ses mains de
chaque côté de ma tête contre le mur.
Emprisonnant mon corps entre ses jambes, il plongea son regard dans le
mien, avec un mélange de désir et d’envie dans les iris.
— Si tu ne me crois pas, tu ferais mieux de sortir.
Il ne me quittait pas des yeux, et la tension étouffante dans la pièce ne
demandait qu’à être brisée.
Je tendis la main jusqu’à la poignée de la porte sur ma gauche, et appuyai
sur le bouton de verrouillage.
— Je prends ça pour une réponse, déclara-t-il avant d’incliner mon
menton vers lui du bout des doigts.
Il posa sa bouche sur la mienne pour m’embrasser profondément et
passionnément.
— Ahhh, gémis-je en sentant sa langue prendre possession de la mienne.
Il glissa sa main sous la fente de ma robe et tira doucement sur ma
culotte.
Je m’attendais à ce qu’il me l’arrache comme il l’avait fait pendant la fête
sur le yacht, mais il s’interrompit tout à coup et mit fin à notre baiser.
— Mets-toi face au miroir, ordonna-t-il. Je veux te voir pendant qu’on
baise.
Je me tournai lentement sur ma droite et il me saisit par les hanches. Il
plongea ses yeux dans les miens dans le reflet du grand miroir et m’invita à
le regarder pendant qu’il faisait doucement tomber ma culotte sur le sol en
marbre.
Tout en la rangeant dans sa poche, il s’approcha de nouveau de moi et me
mordit l’oreille.
— Accroche-toi au lavabo pour moi.
Je m’exécutai et me tins fermement tandis qu’il mordillait la peau de mon
cou et remontait ma robe.
Il déboutonna son pantalon et sortit sa queue. Sans prononcer un mot, il
appuya le bout épais de son membre contre mon sexe.
J’écarquillai les yeux et il laissa échapper un petit rire grave tout en me
pénétrant lentement, très lentement.
Oh. Mon. Dieu.
— Oh… m’écriai-je, tout en m’habituant à sa longueur et à son épaisseur,
alors qu’il prenait son temps pour se placer juste derrière moi.
— Est-ce que c’est bon ? demanda-t-il alors qu’il n’était qu’à moitié à
l’intérieur de moi.
— Oui.
— Bien.
Il se glissa en moi tout entier et je laissai échapper un cri, mélange de
plaisir et de douleur.
— Oh mon Dieu…
Je ne le quittais pas des yeux dans le reflet du miroir. J’adorais le sentir
profondément en moi. J’adorais la façon dont il gémissait contre mon corps
tout en le possédant avec le sien.
Je m’accrochai plus fermement au rebord du lavabo et la jointure de mes
doigts blanchit, tandis qu’il se balançait contre moi et faisait d’amples va-
et-vient dans une sorte d’abandon à la fois sauvage et maîtrisé.
Nos années d’amitié s’effilochaient et s’envolaient un peu plus à chaque
coup de reins, à chaque baiser qu’il déposait sur ma nuque.
Il vint poser sa main gauche sur ma poitrine et pressa mon sein en
murmurant :
— C’est foutrement bon d’être en toi.
Alors qu’il me prenait plus fort, je gémis.
La façon dont il m’observait dans le miroir pendant qu’il me dominait et
me possédait était plus qu’enivrante. Je n’avais aucune envie de détourner
le regard.
— Caresse ton clitoris, susurra-t-il. Montre-moi ce que je t’ai appris.
Je retins mon souffle et, alors qu’il poursuivait son rythme effréné, je
glissai lentement ma main sous la fente de ma robe.
Je titillai mon clitoris du bout des doigts en décrivant de petits cercles, et
obtins le regard approbateur d’Hayden.
J’essayai de tenir la cadence, mais en vain. Tout à coup, me voir me
toucher et me rapprocher chaque fois un peu plus de l’orgasme l’excita
encore davantage.
Je n’en peux plus.
Je m’accrochai de toutes mes forces au rebord du lavabo et hurlai son
nom.
Juste après, je le sentis se tendre derrière moi, puis jouir à son tour.
Tous deux à bout de souffle, nos corps encore entremêlés, nous fixâmes
du regard notre reflet pour constater ce que nous venions de faire.
Il déposa un dernier baiser sur ma nuque avant de se retirer lentement. Et
il ne me quitta pas des yeux alors qu’il reboutonnait son pantalon.
Il lissa mes cheveux pour les remettre en place et sembla sur le point de
dire quelque chose, mais aucun mot ne sortit de sa bouche.
La prise de conscience de ce qui venait de se passer s’abattit sur moi au
ralenti. Chaque seconde qui passait révélait que nous avions fait plus que
franchir la ligne de notre amitié.
Nous l’avions détruite au bulldozer et nous avions mis le feu à ce qu’il en
restait.
— Je ne peux pas faire ça, murmurai-je en le repoussant. Je n’arrive pas à
croire que j’ai… que nous…
Je déverrouillai la porte et partis.
Chapitre 27 bis

Penelope

De nos jours…

Je m’enfuis du bâtiment en courant sous la pluie et me précipitai vers la


première berline de luxe disponible. Sur le pare-brise arrière, on pouvait
lire : « Chauffeur privé : offert par monsieur Hunter », et un voiturier se
dépêcha de venir m’ouvrir la portière de derrière.
— Rentrez bien, mademoiselle.
Quand je fus montée dans la voiture, il referma la porte.
— Où allons-nous ? demanda le chauffeur.
— Au 555 sur Aurora Avenue. Le plus vite possible, s’il vous plaît.
— Entendu.
Alors qu’il s’engageait sur la route, il croisa mon regard dans le
rétroviseur central, mais il ne chercha pas à lancer la conversation. À la
place, il alluma la radio et laissa la musique accompagner la pluie qui
tambourinait sans discontinuer.
Tout en retenant mes larmes, je m’adossai contre le siège et tentai
d’intégrer ce qui avait bien pu se passer entre Hayden et moi dans ces
toilettes.
Mon cœur battait à un rythme que je ne lui connaissais pas chaque fois
que je me repassais la scène et mes lèvres étaient agréablement endolories
par la force de ses baisers.
Par l’intensité avec laquelle il m’avait prise…
« Simon n’est pas celui que tu crois. » « Il te trompe depuis le début. » «
Voilà où j’étais passé, bordel. Je veillais sur toi. »
Je savais qu’Hayden ne me mentirait jamais, mais c’était quand même
douloureux d’entendre ces mots. Et je n’arrivais pas à croire qu’il avait pu
attendre plus d’une journée pour me dire la vérité.
« Tu ne m’aurais pas cru. »
Alors que la berline roulait dans Manhattan, mon téléphone vibra contre
ma cuisse, mais je l’ignorai.
Ce n’est que lorsque la voiture fut à mi-chemin que je me forçai à
regarder mon écran en face pour changer le nom de mon meilleur ami dans
mes contacts pour la énième fois.

Hayden : [photo] [photo] [photo] [photo] [photo]


Hayden : [photo] [photo] [photo] [photo] [photo]
Hayden : [photo] [photo] [photo] [photo] [photo]

J’ouvris les photos les unes après les autres, sentant mon estomac se
serrer et se tordre à chaque image volée des autres vies de Simon.
Il embrassait une femme blonde sur une plage de sable blanc, enlaçait une
brune sur une banquette au fond d’une crêperie, et riait aux éclats en
compagnie d’une jolie rousse en mangeant une glace avec des vermicelles
multicolores.
Il portait des lunettes et une chemise à carreaux avec un badge « S. Gines
», un costume en se tenant devant un panneau où on pouvait lire «
Séminaires de Sam Giannis : comment construire sa richesse », et un jean
avec un tee-shirt alors qu’il récupérait un mug de café au nom de « Silas
Gains ».
C’est impossible.
À chaque nouvelle image, le souvenir d’un moment que nous avions
passé ensemble ces derniers mois volait en éclats dans ma mémoire.
Alors que j’observais une photo de lui en train de toucher les fesses d’une
autre femme dans la zone d’arrivée de l’aéroport John F. Kenndy, son nom
apparut sur mon écran.
J’ignorai l’appel.
Je zoomai sur l’une des images et me rendis compte que cette femme
n’était pas n’importe qui. Il s’agissait de sa fiancée, celle qui l’avait soi-
disant laissé en plan le jour du mariage, celle qu’il décrivait comme une
véritable sorcière chaque fois qu’il en parlait.
Quel foutu menteur.
Il appela une seconde fois et je décrochai immédiatement.
— Ouais ? crachai-je sans chercher à dissimuler mon mépris. Qu’est-ce
que tu veux, Simon, bordel ?
— Je te cherche partout, répondit-il sans remarquer le ton de ma voix. Je
voulais danser encore une fois avec toi avant les feux d’artifice. J’espérais
aussi que nous partirions de bonne heure pour passer le reste de la soirée en
tête à tête.
Il semblait si foutrement adorable et sincère que je ne pouvais pas me
blâmer de ne pas avoir vu clair dans son jeu.
— Comment est-ce que tu arrives à dormir, Simon ? demandai-je. Je
voudrais savoir.
— Hein ? Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Je veux dire, comment est-ce que tu arrives à dormir en sachant qu’il y
a plusieurs femmes dans ce pays qui se disputent chacune un morceau de
ton cœur ?
Il ne répondit rien.
Je n’entendais que le tintement des coupes de champagne et des rires en
arrière-plan.
— Combien de femmes y a-t-il ? Est-ce que certaines sont au courant ?
— Waouh. Je ne sais pas trop qui t’a retourné la tête avec ces mensonges
et ces horribles accusations, mais…
Pour la première fois depuis le jour de notre rencontre, sa voix hésita.
— Rien de ce que tu viens de dire sur moi n’est vrai, reprit-il. Je suis
amoureux de toi, et de toi seule.
— Tu sais, il y a des années, rien ne m’aurait fait plus plaisir que de
t’entendre dire ça.
— Mieux vaut tard que jamais, pas vrai ?
— Ou plutôt, mieux ne vaux jamais, répliquai-je avant de déglutir malgré
la boule que j’avais dans la gorge. C’est foutrement terminé entre nous,
Simon. Je t’envoie des photos en cadeau de rupture, mais s’il te plaît, ne me
contacte plus jamais.
— Penelope, ne fais pas ça, pas à nous.
Il avait le culot de sembler sincère.
— Il y a quelque chose de spécial entre toi et moi, poursuivit-il. Je l’ai
ressenti dès l’instant où je t’ai aperçue à l’aéroport.
— C’était probablement le sentiment de culpabilité de tromper les autres
filles.
Je n’attendis pas sa réponse. Je raccrochai et lui fis suivre tous les clichés
volés qu’Hayden m’avait envoyés.
Quand Simon eut reçu la dernière photo, il passa outre ma demande.
Simon : Je m’en veux tellement de cette situation, Penelope. J’ai toujours
eu peur de m’engager envers une seule personne, mais je peux affirmer en
toute honnêteté que tu étais sur le point de faire de moi l’homme meilleur
que je veux être.
Simon : Je peux toutes les quitter pour toi. Je le jure.
Simon : S’il te plaît, prends tout le temps qu’il te faudra pour réfléchir à
m’accorder ton pardon. Je n’adresserai plus jamais la parole à aucune
d’entre elles si tu me laisses une seconde chance.

Je bloquai son numéro et éteignis mon téléphone. J’avais quelqu’un de


bien plus important à qui penser.

***
Quand le chauffeur fut garé devant chez moi, il se retourna et me tendit
un Kleenex.
— J’espère que votre fin de soirée sera meilleure, mademoiselle.
— Merci.
Je lui donnai quelques billets de vingt dollars, puis montai les marches du
perron.
Alors que je cherchais mes clés, je remarquai un mot scotché sur
l’encadrement de la porte.

Boooon…
Je suis partie à une convention Sailor Moon dans le New Jersey pour le
week-end.
Ne me juge pas !
Raconte-moi tout (et je veux dire vraiment TOUT) lundi.
Tati
P.-S. S’il te plaît, ne déplace pas les cristaux d’étoile sur le tour de
cheminée.

Je froissai le papier et ouvris la porte.


Dans le but de faire taire les pensées qui envahissaient mon esprit, je
baissai précipitamment la fermeture éclair de ma robe et évitai mon reflet
dans le miroir au moment où le tissu tomba sur le sol.
Je m’enfermai dans la salle de bains et laissai couler mes larmes en
entrant dans la cabine de douche. Je réglai la température au plus chaud,
offrant mon corps aux attaques du jet d’eau et à son châtiment brûlant et
impitoyable.
Tu t’es envoyée en l’air avec ton meilleur ami.
Dans des toilettes publiques.
Tu l’as fait avec lui dans les toilettes et tu as rompu avec le mec qu’il
t’aide à séduire depuis des semaines.
Même si j’avais très envie de le nier, je savais que plus rien ne serait
jamais pareil entre nous.
Pas après ça.
J’essayai de penser à autre chose, à n’importe quoi d’autre, mais en vain.
Seule la voix rauque et grave d’Hayden couvrait le bruit de l’eau qui me
giflait la peau.
« Il se tient juste devant toi. »
« Et je veux que tu largues Simon pour sortir avec moi. »
La buée recouvrit les portes en verre, la vapeur me prit à la gorge, et
l’idée de passer une minute de plus sous la douche me parut insoutenable.
Je renonçai et coupai l’eau, puis m’enveloppai dans une serviette de bain.
Comme j’étais toujours sur les nerfs, je me dirigeai vers la cuisine.
Il me fallait quelque chose à boire.
— Bonsoir, Penelope.
La voix grave d’Hayden me stoppa net.
Je me retournai et le trouvai assis au bord de mon lit. Il avait retroussé les
manches de sa chemise jusqu’aux coudes et défait sa cravate sombre.
Il me fixait du regard, la mâchoire tendue, l’air d’hésiter entre m’attirer
contre lui et me faire une scène pour m’être enfuie du gala.
— Est-ce que ton petit ami va se joindre à cette discussion ? demanda-t-
il.
— On ne sort plus ensemble, répondis-je en déglutissant. Il va bientôt
falloir que je lui trouve un titre.
— « Celui qui nous avait fait perdre notre temps » me semble approprié.
— Notre temps ?
— Oui, acquiesça Hayden avec un hochement de tête. Il est un obstacle
depuis trop longtemps et je ne mentais pas à son sujet.
— Je suis au courant.
— Et je ne mentais pas non plus à propos de nous.
— Il n’y a pas de « nous ». C’est la chose la plus insensée que tu ne
m’aies jamais dite. Mais en y réfléchissant bien, c’est peut-être ex aequo
avec le fait de l’avoir espionné pendant toute une semaine.
— Plus longtemps que ça.
Un petit sourire se dessina sur ses lèvres, mais il disparut aussitôt.
— Je ne peux plus me contenter d’être seulement ton ami, Penelope,
reprit-il en me regardant dans les yeux. Je ne peux pas l’accepter.
— Est-ce que tu es en train de me dire que c’est tout ou rien ?
— Oui. Mais aussi que je veux t’appartenir, et que je veux que tu
m’appartiennes.
Un silence.
Mon cœur me suppliait d’accepter et de me jeter dans ses bras, mais ma
raison ne le connaissait que trop bien.
Hayden n’avait jamais eu de relation qui avait fonctionné de toute sa vie.
Restez amis, restez amis…
— Et si je te dis que j’ai besoin d’y réfléchir ?
— J’imagine que c’est possible.
Il s’avança vers moi et passa son bras autour de ma taille.
— Mais ça peut attendre demain, reprit-il. En attendant, je pense que
nous devrions reprendre là où nous en étions au gala.
— Qu’est-ce qui te fait croire que c’est une bonne idée ?
— Parce que je te connais, murmura-t-il en faisant glisser ses doigts dans
mes cheveux. Et je sais que tu en veux encore. Alors, dis-moi ce que tu
désires.
Je restai plantée là, sans voix.
— Dis-le-moi, Penelope, insista-t-il. Tu veux que j’aille moins vite ? Que
je dévore ta chatte avec ma bouche ?
— Oui.
— Tu veux bien me le demander ?
Je déglutis, et il tira légèrement sur l’ourlet de ma serviette, jusqu’à ce
qu’elle se détache de mon corps et forme un petit tas informe sur le sol.
— Penelope.
Il mordit ma lèvre inférieure et la piégea entre ses dents en me regardant
dans les yeux.
— Dis-moi ce que tu veux.
— Ce que tu as dit.
J’avais du mal à parler. J’étais dans tous mes états.
— C’est ce que je veux, ajoutai-je.
Son petit rire m’excita encore plus.
Il libéra ma lèvre, puis m’embrassa délicatement sur la bouche. Il posa
ses mains sur mes fesses, les serrant tantôt avec douceur, tantôt avec
fermeté.
— Tu auras tout ce que tu désires, susurra-t-il. Mais il faut que tu me le
dises. J’ai besoin que tu sois très claire et directe avec moi.
Comme pour me provoquer, pour me donner un aperçu de ce qu’il savait
faire, il s’humecta les lèvres avant de se pencher en avant pour venir suçoter
mon sein droit.
Il pointa sa langue contre mon téton à un rythme lent, mais ferme, faisant
grimper la température avec une telle facilité qu’il aurait probablement pu
me faire jouir de cette façon.
— Je veux que tu me baises avec ta bouche, plus lentement, déclarai-je
enfin. C’est ça que je veux.
— Gentille fille.
Il me repoussa sur le matelas.
Il vint se placer au-dessus de moi et déposa des baisers brûlants entre mes
seins, puis descendit jusqu’à mon ventre en prenant son temps.
Puis plus bas…
À chacun de ses gestes, il ne me quittait pas des yeux. Puis, il me saisit
fermement les chevilles en me demandant silencieusement de me soumettre
à lui.
Lorsqu’il souffla un long baiser sur mon clitoris, je faillis totalement
perdre pied.
Il me provoqua de plus belle avec un second baiser tout en glissant deux
doigts profondément en moi, ce qui me transporta dans un monde de plaisir
où je ne m’étais jamais aventurée auparavant.
— Je veux que tu me regardes, Penelope, murmura-t-il. Regarde-moi
pendant que je mange ta chatte.
J’ouvris les yeux et il sourit. Puis il déposa un baiser tendre et chaud sur
l’intérieur de ma cuisse.
Sans prévenir, il cracha directement sur mon clitoris et je retins un petit
cri en le voyant enfouir son visage entre mes cuisses pour me dévorer, me
laissant complètement impuissante.
Bordel.
— Hayden…
Je m’accrochai à ses cheveux en gémissant tandis qu’il prenait possession
de mon corps tout entier avec sa bouche, qu’il me possédait comme aucun
autre homme auparavant.
— Ahhhh…
J’enfonçai mes ongles dans ses épaules, mais il ne réagit pas à la douleur.
Sa seule réponse fut de me dévorer de plus belle. Les secousses en moi se
faisaient de plus en plus violentes alors qu’il maintenait son rythme
dominant. Mon corps réagissait davantage à ses caresses qu’à mes efforts
silencieux pour me retenir encore un peu.
Quand il dressa sa langue contre mon clitoris avec exactement le bon
angle, pile au bon endroit, je perdis totalement le contrôle.
— Oh mon Dieu, Haydennn !
Je hurlai son nom en atteignant l’orgasme et jouis contre sa bouche.
Il ne me lâcha pas. Il continua à faire courir sa langue sur mon sexe
pendant plusieurs minutes, jusqu’à ce que je cesse complètement de
trembler.
Lorsqu’il se releva enfin, je restai étendue sur le matelas, haletante et
couverte de sueur, en essayant de redescendre d’une euphorie que je n’avais
jamais vécue auparavant.
Tout à coup, le bruit de l’eau qui coulait emplit la pièce et il me fallut
rassembler toute mon énergie pour me redresser un peu.
Hayden revint dans la chambre et plongea son regard dans le mien.
— Tu es foutrement magnifique quand tu jouis. Tu sais ?
Je rougis. À cet instant, j’étais parfaitement incapable de tenir une
conversation.
Je lui fis signe de venir s’allonger à côté de moi, mais il secoua la tête.
— Je n’en ai pas terminé avec toi, déclara-t-il en se plaçant à nouveau au-
dessus de moi. Je ne fais que commencer.
Il me donna un baiser ensorcelant, et je m’abandonnai de nouveau à lui.
Toute la nuit, il explora chaque centimètre de mon corps et me donna
orgasme après orgasme. Inépuisable et insatiable.
Chapitre 28

Hayden

De nos jours…

Quand je me réveillai le lendemain matin, Penelope n’était plus dans mes


bras. Sa robe de gala formait une flaque de soie sur le sol et ma chemise
était suspendue au rebord de la fenêtre.
Je me redressai, sans comprendre.
Elle avait joui contre ma bouche à de nombreuses reprises, en criant mon
nom si fort que j’avais dû poser ma main sur ses lèvres pour qu’aucun de
ses voisins ne l’entende.
Le regard que j’avais vu dans ses yeux alors que nous étions entrelacés et
que mon visage se trouvait enfoui profondément entre ses jambes était
quelque chose que je n’oublierais jamais.
Je la revoyais alors qu’elle entrait dans la salle de bal, la façon dont
chaque homme se retournait ouvertement sur son passage. La façon dont
j’avais su, à la seconde où nos regards s’étaient croisés, que je ne la
laisserais pas partir au bras de Simon.
Chaque geste qu’elle avait eu pour lui sur la piste de danse m’avait fait
souffrir, et cela n’avait fait que confirmer ce que je ressentais depuis des
semaines.
Et même des années.
Et c’est parce que je la connaissais par cœur que je savais qu’elle allait
lutter de toutes ses forces pour tenter de fuir notre histoire.
Chapitre 29

Penelope

De nos jours…

— Allez, allez.
Je poussai sur la fenêtre de l’issue de secours de toutes mes forces, mais
elle refusait de céder.
— S’il te plaît.
J’avais besoin d’air. Et, ensuite, je devais analyser chaque seconde de ce
qui s’était passé la veille, de préférence dans un endroit où je serais seule et
avant qu’Hayden ne se lève.
— Besoin d’aide ?
J’entendis tout à coup sa voix grave derrière moi.
— Non, répondis-je en sursautant, mais sans me retourner. Je me
débrouille.
Il déposa un baiser sur ma nuque et passa tout de même devant moi, puis
ouvrit la fenêtre sans difficulté.
— Merci.
Je commençais à sortir quand il glissa son bras autour de ma taille et me
retourna face à lui.
Torse nu et vêtu du pantalon de la veille, il me mettait à nouveau dans
tous mes états avec une facilité déconcertante.
— Est-ce que tu veux qu’on en parle ? proposa-t-il en souriant.
— Je crois qu’il n’y a pas grand-chose à dire, rétorquai-je en croisant les
bras sur ma poitrine. On était ivres et on s’est laissé emporter.
— J’étais sobre à cent pour cent.
Moi aussi.
— Eh bien, pas moi, alors…
— Alors quoi ?
— Je veux bien fermer les yeux sur ce qui s’est passé et faire comme si ce
n’était jamais arrivé si tu le fais aussi.
Il laissa échapper un petit rire et me souleva en douceur jusqu’à l’escalier
de secours. Il me déposa délicatement sur la plateforme en métal et fit
courir ses doigts sur mes clavicules dénudées.
— Café ? proposa-t-il.
— Je veux bien, s’il te plaît.
Il disparut pendant plusieurs minutes et j’essayai de me focaliser sur les
embouteillages matinaux en contrebas.
Puis il revint avec une couverture et deux énormes mugs.
Il s’installa à côté de moi et enveloppa le plaid autour de mes épaules.
Nous restâmes assis en silence à siroter notre café et je m’efforçai de
trouver quelque chose à dire. Je sentis son regard posé sur moi, observant
chacun de mes mouvements. Il attendait que je me tourne vers lui, mais je
restai concentrée sur les voitures.
— J’ai vraiment hâte de voir quelle photo du gala Page Six et Sinful Suit
auront choisie pour faire leur couverture, ce week-end. Je parierais sur une
photo de toi sous les lumières de la tonnelle. Ça, ou bien toi en train de faire
ton grand discours habituel après les feux d’artifice.
— Il n’y a pas eu de discours après les feux d’artifice, cette fois, déclara-
t-il.
— Quoi ? m’exclamai-je en me tournant enfin vers lui. Pourquoi ?
— J’avais bien plus important à faire.
Un silence.
— Lawrence et Sarah ont parlé à ma place, expliqua Hayden. Je suis sûr
qu’ils s’en sont très bien sortis sans moi.
— Est-ce que des paparazzis t’ont suivi jusqu’ici ? demandai-je avec,
pour la première fois, un soudain accès de paranoïa. Et si…
— Personne ne m’a vu quitter le gala, m’assura-t-il. Et je suis venu avec
la voiture de Lawrence. Il ne m’a posé aucune question quand je lui ai
annoncé que je devais partir.
— Est-ce que tu lui as expliqué pourquoi ?
— Je crois qu’il le savait.
— Je ne peux pas être l’amie avec qui tu couches de temps en temps,
laissai-je échapper. Je ne fais pas ce genre de choses. Je suis désolée.
— Penelope…
Il soupira, puis releva mon menton du bout des doigts.
— Je pensais chaque mot que je t’ai dit hier soir, reprit-il. Je veux être
avec toi, et ta place est avec moi. Et avec personne d’autre. Tu ne me crois
pas ?
Dis-lui que ce qui s’est passé hier soir n’était qu’une erreur dans le feu
de l’action.
— Ce n’était pas une erreur dans le feu de l’action, déclara-t-il en
devinant sans peine le fond de ma pensée. Qu’est-ce qui te préoccupe
d’autre ?
— Tu es mon meilleur ami. Mon putain de meilleur ami, et même si je te
crois, je ne peux pas t’analyser comme n’importe quel autre homme et ça
me fout la trouille.
— D’accord.
Il passa son doigt sur mes lèvres, puis proposa :
— Dans ce cas, on a qu’à me passer au crible. Donne-moi les « pour » et
les « contre » d’être en couple avec le gars avec qui tu étais hier soir.
— Je ne vois pas d’argument « pour », là, tout de suite.
— Alors, commence par les « contre ».
— Il n’a jamais eu de relation exclusive.
— Cela ne signifie pas qu’il est incapable d’être fidèle.
— Tu n’es pas censé prendre son parti, protestai-je. Tu dois me laisser
finir et rester neutre.
— D’accord, concéda-t-il en écartant quelques cheveux égarés de mon
front. Argument suivant.
— C’est un ami proche de mon frère, et ce dernier n’approuverait pas du
tout cette relation.
— Je ne vois pas pourquoi tu ressentirais tout à coup le besoin de dire
quoi que ce soit à ton frère. Ce ne sont pas ses affaires.
— Est-ce que tu crois qu’il vaudrait mieux attendre jusqu’au mariage ?
— À quel moment l’homme en question t’a-t-il demandé de l’épouser ?
s’amusa Hayden avec un sourire en coin. Je crois qu’il veut seulement être
ton petit ami. Argument suivant.
— Il est connu.
— C’est un fait, pas un argument « contre ».
— Je n’ai pas envie que les médias me courent après ou inventent des
rumeurs uniquement parce que je sors avec lui.
— Je crois que les journalistes continueraient de croire qu’il ne se passe
rien. Ce n’est pas comme si le gars en question allait te tripoter en public. Et
pourtant, Dieu sait qu’il en a envie. Y a-t-il autre chose ?
— Je suis simplement terrifiée à l’idée de souffrir, répondis-je en le
regardant dans les yeux. Je ne le répéterai jamais assez, mais si tu me fais
du mal, je n’aurai aucun autre meilleur ami vers qui me tourner pour parler
de la rupture, et j’aurai tout perdu.
— Je peux te promettre que cela n’arrivera jamais, m’assura-t-il.
Maintenant qu’on a fini avec les arguments « contre », permets-moi de te
donner les arguments « pour ».
J’ouvris la bouche pour protester, mais il posa son index sur mes lèvres.
— Premièrement, je te connais mieux que tous les autres types avec qui
tu es sortie.
— Tu n’étais pas au courant pour Simon ni pour la poupée vaudou.
— Je n’accepterai de rediscuter que d’un seul de ces deux sujets à
l’avenir, répliqua-t-il en se retenant de rire. Deuxièmement, je refuse de te
voir fréquenter quelqu’un d’autre.
— Cela ressemble plus à une menace qu’à un argument « pour ».
— C’est une certitude.
Il déposa un baiser sur mon front.
— Troisièmement, poursuivit-il, je pense qu’au fond de toi, tu me veux
autant que je te veux, et que cela peut très bien fonctionner entre nous.
— Je pense qu’il y a seulement une petite chance pour que ça marche.
— Raison de plus pour me la laisser.
— Trois arguments « pour » ? C’est tout ce que tu as ?
— Ce n’est pas comme si les choses allaient beaucoup changer entre
nous, Penelope, soupira-t-il en passant ses doigts dans mes cheveux. On se
parle déjà un jour sur deux et on se voit dès qu’on en a envie.
— On ne couchait pas ensemble, avant.
— Et je ne veux plus jamais revivre ça, répliqua-t-il en souriant. Je te
promets de ne pas te faire souffrir. Laisse-moi une chance.
Je le fixai du regard pendant plusieurs secondes, sans prononcer un mot.
— Penelope ? demanda-t-il, l’air inquiet. Qu’est-ce que tu en dis ?
— D’accord.
— « D’accord », tu acceptes, ou « d’accord » tu as besoin d’y réfléchir ?
— « D’accord », ça dépend de notre prochaine partie de jambes en l’air,
répondis-je en esquissant un sourire. Je ne sais plus très bien si c’est aussi
bon que dans mes souvenirs.
— Pas de problème.
Il rit et me prit les mains pour me relever et m’attirer contre lui.
— Juste une question. Est-ce que c’est vrai que tu ne nous as jamais
imaginés au lit avant de voir les photos de moi qui ont fuité ? s’enquit-il.
— Sérieusement ? C’est à ça que tu penses, là, tout de suite ?
— Je suis simplement curieux.
— Oui, Hayden.
J’eus seulement le temps d’ajouter quelques mots avant qu’il ne se jette
sur moi pour m’embrasser.
— C’était la première fois.
Rupture no 13
Celui qui était un autre

Penelope

À l’époque…

— Ce que je m’apprête à te dire est extrêmement déplacé, alors je nierai


tout en bloc si tu essayes de me dénoncer, déclare mon entraîneur en posant
ses mains sur mes épaules et en me regardant droit dans les yeux. Tu es
nulle à chier.
— Vous m’avez attribué un score parfait il y a une demi-heure.
— Je voulais voir si ça insufflerait un peu de vie dans ta prestation,
rétorque-t-il en secouant la tête. Tu ne t’améliores pas, alors je vais te dire
comment ça va se passer : demain matin, tu vas te planter et il y aura une
autre fille sur la première place du podium.
Je me mords la langue pour m’empêcher de répondre par une remarque
sarcastique.
— Je fais vraiment de mon mieux, coach.
— Non, c’est le pire que tu puisses faire, souffle-t-il avec dédain. Tu
patines comme une vierge effarouchée.
Je reste bouche bée.
— Pardon ?
— Tu as très bien entendu.
Il hausse les épaules, puis reprend :
— Tu as eu le culot de me dire que tu voulais être vingt-huit fois
championne pour battre le record de ta mère ? Eh bien, désolé de te
l’apprendre, mais il t’en manque huit. Et si tu comptes ne serait-ce que
caresser cet espoir, tu ne peux pas te permettre de perdre pendant les deux
prochaines années.
Alors qu’il me passe un savon devant mes concurrentes, mon sang se met
à bouillir.
Avant que j’aie le temps de lui dire que je l’ai assez écouté pour
aujourd’hui, il baisse la voix et son ton s’adoucit.
— Tu es la meilleure foutue patineuse solo que j’ai eu l’honneur
d’entraîner, mais ce que je veux pour toi, tu dois le vouloir encore plus, et il
n’y a pas de raccourci… même si tu es plus talentueuse que quiconque.
J’ai envie de lui répondre que je fais le maximum, mais au fond de moi,
je sais que ce n’est pas vrai. Je suis en pilote automatique depuis le Canada.
J’ai fait de mon mieux pour oublier que j’avais gâché ma première fois
avec un connard, j’ai fait quelques rencontres et, une fois n’est pas
coutume, j’ai fini par tomber sur un garçon qui croit en l’amour. Mais sur la
glace, je patine sans effort et de manière robotique, et mon niveau stagne.
— Tu veux continuer ton règne en tant que numéro un ? poursuit mon
entraîneur en interrompant le fil de mes pensées. Tu veux graver ton
héritage dans le marbre comme nulle part ailleurs en atteignant la première
place et être la meilleure patineuse à avoir touché la glace depuis qu’ils ont
inventé ce foutu sport ?
— Oui.
— Alors, demain matin, je veux te voir entrer dans l’arène et fermer les
yeux. Puise dans ton imagination et trouve les meilleures images de toi et
de ton petit ami Francis…
— Frankie. Il s’appelle Frankie.
— Vraiment ? C’est encore pire que Francis, frémit mon coach. Enfin,
bref, quand tu seras sur la glace, fais comme si chaque mouvement était un
cri passionné pour Frankie quand il te fait l’amour. En attendant, hors de ma
vue.

***
— Mesdames et messieurs, bienvenue à Skate America ! résonne une
voix forte dans les haut-parleurs de la salle omnisport de Washington ce
matin-là.
Au premier rang, à l’autre bout du stade, Frankie porte un sweat où on
peut lire : « Allez Penelope ! » Plusieurs rangées derrière, Hayden attire
l’attention de chaque femme qui se trouve dans un rayon de trente mètres,
comme à son habitude, mais il a les yeux rivés sur moi.
Il agite sa main dans ma direction, et je lis sur ses lèvres : « Travis est
désolé de ne pas avoir pu venir. On repousse ? »
Je lui rends son signe de main en répondant : « C’est comme ça. »
Frankie me souffle un baiser, je souris et le rattrape, car je ne veux pas
que quelqu’un d’autre l’intercepte. Jamais.
Pendant une demi-heure, la gorge serrée, je regarde mes concurrentes
danser sur la glace.
C’est comme si elles avaient toutes remarqué que je m’étais un peu
reposée sur mes acquis ces derniers temps et qu’elles avaient élevé leur
propre niveau dans l’espoir de me détrôner.
Plus particulièrement Tatiana Brave.
Quand mon tour arrive, je me laisse glisser jusqu’au centre et ferme les
yeux.
Pense à Frankie. Ressens la passion pour Frankie.
Une version instrumentale de « Time After Time3 » filtre par les haut-
parleurs et je m’élance en arrière pour débuter ma chorégraphie.
Ma jupe bleu clair flotte dans les airs tandis que je tourbillonne sur la
glace, réalise un triple axel, puis à nouveau lorsque je saute pour faire un
double Lutz. Au lieu de suivre à la lettre mon programme pourtant déjà
difficile, je remplace chaque double saut par un triple salchow ou par ce
quadruple si compliqué qui a toujours été si facile pour moi.
Les cris de la foule emplissent le stade à chacun de mes gestes et je
continue à imaginer Frankie qui m’embrasse dans ma chambre, qui retire
lentement mes vêtements et me fait l’amour.
Je sais sans le moindre doute que chaque mouvement est parfait et, quand
la chanson touche à sa fin et que je réalise ma pirouette allongée finale, je
sais que je n’ai commis aucune erreur.
Mais alors que je termine mon programme et que la foule (dont les juges)
se lève pour applaudir, je me rends compte que ce n’est pas Frankie que j’ai
imaginé me faire l’amour.
C’est Hayden.

3. Chanson de Cyndi Lauper très populaire dans les années 80.


Chapitre 30

Hayden

De nos jours…
Boston, dans le Massachusetts

Si je n’étais pas aussi intraitable sur le fait de tenir mes promesses,


j’aurais passé le reste de mon week-end au lit avec Penelope au lieu de
prendre un vol pour Boston au milieu de la journée.
Hélas, cette date était convenue depuis des mois, et j’avais toujours
accepté de me rendre aux cérémonies d’ouverture pour la chaîne de salles
de sport de Travis. Même lors de nos années les plus chargées, cela nous
obligeait à prendre le temps de nous soutenir mutuellement.
Le temps que l’avion atterrisse et que la berline de luxe me dépose en
vitesse à Newbury Street, j’avais vingt minutes de retard.
J’empruntai un ascenseur privé jusqu’au dernier étage de l’immeuble et
trouvai les mêmes types en costard que d’habitude déjà alignés pour la
photo.
J’esquissai un sourire forcé en direction des journalistes impatients et pris
place juste à côté de Travis.
— Merci de nous faire l’immense honneur de ta présence aujourd’hui,
marmonna-t-il. Content de savoir que je suis digne de recevoir un peu de
ton temps.
— Tu ne l’es pas, rétorquai-je. Je préférerais largement être à New York.
Il rit.
— Penelope avait dit qu’elle viendrait, mais apparemment, elle est trop
malade pour se joindre à nous.
Non, elle est trop courbaturée pour se joindre à nous.
— Je prendrai de ses nouvelles en rentrant.
— Merci.
— À trois, tout le monde dit : « Félicitations pour votre septième salle,
monsieur Carter ! » annonça le photographe en évitant à cette conversation
de prendre une autre tournure.
— Un… deux… trois !
— Félicitations pour votre septième salle, monsieur Carter !
Toute l’assemblée sourit tandis que Travis tint une paire de ciseaux géants
au-dessus d’un ruban rouge.
Suivis de très près par les paparazzis, nous fîmes le tour de la salle de
sport en posant pour des photos parfaitement étudiées pendant l’heure et
demie qui suivit.
— Quelle suite de luxe au dernier étage est-ce que tu as réservée pour le
week-end ? demanda Travis en me lançant un haltère à la fin de la séance
photo.
— Aucune, je rentre à la maison.
— Pourquoi tu rentres si vite ?
— J’ai des affaires personnelles à régler.
— Ça ne t’intéresse pas du tout de passer du temps avec moi avant que je
doive me cloîtrer pour me préparer au combat de ma vie ?
Ta sœur m’intéresse davantage.
— J’ai des projets.
— Quel piètre meilleur ami tu fais !
Il feignit d’être blessé, puis sortit un papier plié de sa poche arrière.
— Devine qui j’ai repéré en couverture du Page Six, ce matin ? lança-t-il.
— Quoi qu’ils aient écrit sur moi, c’est faux.
— Tu n’étais pas assez important pour faire la une, cette fois.
Il déplia la feuille et dévoila une magnifique photo de Penelope et de
Simon qui se regardaient l’un l’autre sur la piste de danse.
Les mots « Le nouveau cœur à prendre de New York danse jusqu’au bout
de la nuit au gala annuel d’Hayden Hunter » ornaient la couverture du
magazine.
— Ce matin, j’ai pris quelques minutes pour faire des recherches sur le
mec avec qui elle sort et il a totalement l’air d’avoir la tête sur les épaules,
déclara Travis en souriant. C’est sûrement le premier de ses mecs que
j’approuve réellement. Est-ce que toi, tu l’aimes bien ?
— Ils ont déjà rompu.
Je ne voulais plus jamais avoir à admettre l’existence de Simon Gaines.
— Ce n’était rien de plus qu’une mise en scène, ajoutai-je. Elle sort avec
quelqu’un d’autre maintenant.
— D’accord, alors… est-ce que ce « quelqu’un d’autre » est mieux ?
— Bien mieux.
— Tant mieux, répondit mon meilleur ami en haussant les épaules. Tu
sais, parfois je suis carrément jaloux qu’elle se confie plus à toi qu’à moi
sur sa vie personnelle.
— C’est parce que je n’ai jamais menacé d’assassiner ses petits amis.
— Ce n’est arrivé qu’une fois.
— Six fois.
— Ça ne compte pas si je n’ai pas fait de la prison, répliqua-t-il en
confirmant instantanément à quel point il était dingue. Mais merci d’être
toujours là pour elle quand je ne le peux pas.
— Pas de problème.
— Je le pense vraiment, mec.
Il avait l’air sincère.
— J’ai une sacrée dette envers toi et je cherche encore un moyen de te
renvoyer l’ascenseur, un de ces jours, poursuivit-il. Si c’était toi qui avais
perdu tes parents et qui avais une petite sœur…
— Je ne l’aurais jamais laissée t’approcher.
— Oui, c’est vrai, s’amusa-t-il. Bon sang, à quoi est-ce que je pensais à
l’époque ? Enfin, bref… Ça te dit d’aller au club de strip-tease avec moi,
avant de partir ?
— Je viens littéralement de te dire que j’avais des choses de prévues,
Travis.
— Peu importe de quoi il s’agit, je suis sûr que Lawrence peut patienter
quelques heures.
— Pas ma petite amie.
— Ta quoi ? s’exclama-t-il en me regardant comme si je parlais une
langue étrangère. Qu’est-ce que tu viens de dire ?
— J’ai dit que ma petite amie ne pouvait pas attendre.
— Est-ce que c’est une mise en scène pour ton image ou quelque chose
de ce genre ?
— Non, c’est bien réel.
Je retins un soupir, car je savais que le moment de lui parler de Penelope
aurait lieu longtemps après le combat de Vegas.
— Je te la présenterai plus tard.
— Mais je veux dire… vu tes antécédents avec la monogamie et tout ça,
ça ne va sûrement pas durer avec elle, alors est-ce qu’on peut quand même
aller au club de strip-tease ?
— Au revoir, Travis.
Je lui donnai une tape sur l’épaule, puis me dirigeai vers la porte.
— On se verra à Vegas.
Chapitre 31

Penelope

De nos jours…

Il me fallut quinze orgasmes pour me rendre compte que je devais


vraiment retourner travailler avant de passer le reste de ma vie au lit avec
Hayden.
Pendant qu’il prenait une douche, je filai en douce à la patinoire et trouvai
une enveloppe de l’Association de patinage artistique des États-Unis sur
mon bureau.
Je la fixais du regard depuis plus d’une heure et me faisais couler des
cafés tout en me demandant ce qui se trouvait à l’intérieur.
— Ouvre-la, bon sang, s’impatienta Tatiana. J’ai besoin de savoir si mon
pire cauchemar se réalise.
— Pourquoi l’Association de patinage artistique m’enverrait-elle une
lettre à propos de toi ?
— Je ne sais pas, mais parfois, je fais des cauchemars dans lesquels ils te
remettent un énorme trophée avec une cérémonie incroyable pour te
récompenser d’être la meilleure patineuse qui ait jamais existé.
— Contente que tu sois enfin capable d’admettre que je suis la meilleure,
répondis-je en souriant. Il t’en a fallu du temps.
— Je ne le pensais pas, répliqua-t-elle en lorgnant sur l’enveloppe. Tu vas
l’ouvrir, oui ?
Je pris un stylo et découpai le haut de l’enveloppe, puis en sortis un
papier bleu vif.

Chère Mademoiselle Carter,


En tant que patineuse solo la plus récompensée et deux fois gagnante de la
médaille d’or olympique, nous vous contactons concernant une
modification du règlement des Jeux olympiques d’hiver de Pékin, en Chine.
Selon le Comité international olympique, les entraîneurs qualifiés des
athlètes en sport individuel pourront à présent être éligibles pour être
récompensés.
Malheureusement, l’entraîneur de la candidate Katie Folds a été exclu de
notre organisation et nous espérons le remplacer par une personne qui
respecte notre sport au plus haut point.
Compte tenu des changements que nous avons opérés au sein de notre
structure (et des championnats du monde qui auront lieu plus tôt cette
année), les meilleurs athlètes s’entraîneront pendant quatre mois dans le
complexe omnisport Edwin Compound de Salt Lake City, dans l’Utah,
avant de partir pour Pékin.
Si cette offre vous intéresse, merci de me contacter au plus vite afin de vous
informer des nouvelles règles de notre organisation.
Je suis sûre que vous les connaissez déjà, il s’agit d’une simple formalité.
La course aux vingt-huit médailles continue…
Deborah Walsh

Je lâchai la lettre qui tomba par terre et Tatiana la ramassa aussitôt pour la
lire à son tour.
À chaque mot, elle écarquillait un peu plus les yeux, et elle laissa
échapper un soupir en arrivant à la fin.
— Waouh, s’exclama-t-elle. Tu vas carrément le faire, n’est-ce pas ?
— J’ai besoin d’y réfléchir.
— Pourquoi ? s’étonna-t-elle en croisant les bras. Tu vas pouvoir laisser
ta trace dans l’histoire et tu auras le droit de te la raconter pour toujours,
surtout qu’il ne fait aucun doute que Katie Folds sera sur le podium.
— Exactement, répondis-je avant de siroter une gorgée de café. Si la
modification du règlement s’avère permanente, je préférerais entraîner une
athlète qui est vraiment arrivée jusque-là grâce à mon aide. Cela aurait plus
de sens.
Ma colocataire s’approcha et posa sa main sur mon cou.
— Tu sais, je m’apprêtais à chercher ton pouls pour m’assurer que tu
étais vivante, mais…
Un sourire se dessina sur ses lèvres.
— Tu as des marques rouges partout dans le cou, alors je pense que c’est
le contrecoup de ta partie de jambes en l’air avec Simon après le gala qui te
fait dire ça, reprit-elle avant de se laisser tomber sur une chaise. Je veux
tous les détails cochons, image par image.
— Je n’ai pas couché avec Simon.
— Argh, je t’en prie, souffla-t-elle en croisant de nouveau les bras. Tu
veux te la jouer comme ça ?
— C’est la vérité. Enfin, j’ai couché avec quelqu’un, c’est vrai.
— De toute évidence.
— Mais ce n’était pas avec lui.
Elle retint un cri.
— Tu as rencontré quelqu’un d’autre ce soir-là ? s’écria-t-elle. Qui ?
— Salut.
La voix grave d’Hayden emplit soudain la pièce et attira mon regard vers
la porte.
Je sentis mes joues s’empourprer alors qu’il entrait nonchalamment dans
la pièce et mon corps réagit immédiatement en le voyant vêtu d’un bas de
jogging gris foncé et d’un tee-shirt blanc.
Il déposa mes clés sur le bureau, et je me revis en train de chevaucher sa
main sous la douche quelques heures auparavant.
— Tu risques d’en avoir besoin tout à l’heure, déclara-t-il. Tu ne crois
pas ?
— Oui, répondis-je en m’éclaircissant la voix. Merci de me les avoir
apportées, Hayden. Comme tu peux le constater, je suis occupée à parler
avec Tatiana.
— Je vois ça.
Un petit sourire amusé se dessina sur ses lèvres.
— Tu es partie sans prévenir, alors je voulais m’assurer que tu allais bien,
ajouta-t-il.
— Oui, je t’ai laissé au café, car c’est là que nous étions tout à l’heure,
précisai-je en essayant d’avoir l’air naturel. Je t’appellerai plus tard pour
qu’on reparle de ce café.
Il sembla sur le point de se pencher sur le bureau et de m’embrasser pour
balayer sur le champ ma tentative maladroite de dissimulation, mais il se
contenta de rire et sortit de mon bureau.
— Bon, reprit Tatiana. Revenons-en au mec avec qui tu t’es envoyée en
l’air ce week-end. Tu as dit que tu n’avais jamais été du genre à avoir des
coups d’un soir, alors…
Elle s’interrompit et pencha la tête sur le côté. Puis, elle prit une grande
inspiration.
— Tu as couché avec Hayden, pas vrai ?
— Non, mentis-je en rougissant de nouveau. Non, je n’ai pas couché avec
Hayden.
— Si ! s’exclama-t-elle en me perçant à jour. Est-ce que sa queue a pu
entrer entièrement ? Est-ce que c’était bon ? Non, attends. Ne me réponds
pas encore. Raconte-moi tout, et par tout, j’entends chaque seconde, à partir
du moment où Simon est passé te prendre jusqu’à maintenant.
— Est-ce qu’on peut en discuter quand j’aurai terminé avec ma cliente ?
— Ah ah ! Non.
Elle pointa du doigt la fenêtre qui se trouvait derrière moi, où ma «
cliente » mettait en scène son énième vidéo TikTok au lieu de s’échauffer.
— Elle est uniquement ici grâce à ses parents riches et tu le sais, reprit
Tatiana. Je veux le compte-rendu du sexe. Maintenant.

***
Deux heures plus tard, ma colocataire s’éventait à l’aide d’un classeur.
— Eh bien, merde, laissa-t-elle échapper. Je ressens tout à coup le besoin
de rentrer à la maison et d’avoir un rencard avec mon vibromasseur.
— Tu n’étais pas obligée de me le dire.
— Bien sûr que si, répliqua-t-elle en riant. Comme ça, tu peux rejoindre
Hayden chez lui et recoucher avec lui pour me raconter ensuite. Est-ce que
vous êtes ensemble, à présent ?
— Oui, acquiesçai-je. Mais s’il te plaît, n’en parle à personne.
— À qui voudrais-tu que j’en parle ?
— Bien vu, désolée. Je veux seulement être sûre que mon frère ne
l’apprenne pas tout de suite.
Bien plus tard.
— Je déteste ton frère, bordel, ragea-t-elle en se levant de sa chaise. À
l’époque, il me laissait des messages du genre « Tu ne dépasseras jamais ma
sœur » et « Qu’est-ce que ça fait d’arriver deuxième une fois de plus ? »
après chaque concours.
— Vraiment ? demandai-je en souriant. Il ne me l’a jamais dit. C’était
gentil de sa part.
Tatiana m’adressa un regard blasé.
— Je veux dire, je n’arrive pas à croire qu’il ait fait ça, rectifiai-je. Quelle
personne horrible.
Elle rit et prit son sac à main
— Si tu n’es pas encore en train de t’envoyer en l’air avec Hayden, on
brunche ensemble demain ?
— Avec plaisir.
Je hochai la tête et attendis qu’elle parte.
Je relus la lettre du Comité de patinage artistique à plusieurs reprises, en
regrettant qu’ils ne m’aient pas écrit plus tôt.
Alors que je pesais le pour et le contre, Hayden entra à nouveau dans mon
bureau.
— Je croyais vous avoir demandé de partir, monsieur.
Tandis qu’il avançait vers moi, je rangeai la lettre dans le tiroir.
— Je suis occupée à travailler, ajoutai-je.
— Tu étais occupée à raconter nos ébats, répliqua-t-il en souriant avant de
m’attirer vers lui et de me prendre les mains. Compte-rendu très intéressant.
— Tu écoutes aux portes ?
— J’ai pris quelques notes sur la deuxième partie, s’amusa-t-il en me
plaquant contre le mur. Si tu en voulais encore, il ne fallait pas partir.
— J’ai un travail, Hayden.
— Tu es à ton compte.
Il déposa un baiser sur mes lèvres.
— Et ta seule cliente de la journée est partie il y a plus d’une heure,
ajouta-t-il.
— J’ai un tas d’autres choses à faire.
— Je sais, répondit-il avant de poser sa bouche sur la mienne. Faire
l’amour avec moi en fait partie.
— Est-ce que tu as entendu le passage où j’ai dit que je voulais qu’on le
fasse sur la glace, un jour ?
— Je l’ai entendu.
Il glissa sa main sous mon tee-shirt, puis murmura :
— On réglera ça juste après.
Chapitre 31 bis

Hayden

De nos jours…

« Le gala de bienfaisance d’Hayden Hunter lève dix millions de dollars au


profit d’associations »
« Tinder attaque encore Cinder en justice : voici pourquoi ils pourraient
gagner cette fois-ci »
« Une habitante de Chicago crée une collection de vibromasseurs qui
s’inspirent de “l’anatomie” d’Hayden Hunter »
« Quinze raisons qui nous poussent à croire qu’Hayden Hunter est
célibataire en ce moment »
Chapitre 32

Penelope

De nos jours…

Dans mon bureau. Sur la patinoire. Dans son bureau. Sur chaque surface
de son appartement.
Pas un seul jour ne s’était écoulé sans qu’Hayden et moi ne fassions
l’amour. D’un côté, j’avais l’impression que nous rattrapions des années
d’attirance refoulée et de désirs inassouvis.
De l’autre, c’en était fini des conversations tard le soir au téléphone, des
messages toute la journée et des rendez-vous à Central Park. Je n’avais pas
envie de renoncer à tout cela contre du sexe, peu importe à quel point c’était
bon.
Ce vendredi après-midi, je passai ma clé électronique devant la serrure de
son appartement au dernier étage en espérant lui faire la surprise quand il
rentrerait du travail.
Quand j’ouvris la porte, je le trouvai près de la fenêtre en train de lire le
journal.
— Oui, Penelope ? me salua-t-il en souriant. C’est un délit d’entrer chez
quelqu’un par effraction, tu sais.
— Pas quand tu as les clés, répondis-je en rougissant. Je ne m’attendais
pas à ce que tu sois déjà à la maison.
Il posa son journal et s’approcha.
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
— J’ai besoin de dire du mal de mon petit ami. Mais le mec à qui je
raconte habituellement ce genre de trucs est mon petit ami.
— Mhhh.
Il sourit.
— Est-ce que tu veux appeler Tatiana à la place ? suggéra-t-il.
— Elle est toujours dans l’avion en provenance de Los Angeles. Elle
n’atterrit pas avant encore deux heures.
— Je vois. Quel est le problème avec ton petit ami ?
— À part coucher ensemble, nous ne faisons pas grand-chose.
— Oh ? fit-il d’un air amusé.
— Je sais qu’il est censé faire profil bas à cause des scandales et tout le
reste, mais je crois qu’il me connaît suffisamment pour sortir avec moi
quelque part. Qu’il n’y ait pas de malentendu, je veux dire, le sexe est plus
que génial et je n’ai jamais pris autant de plaisir de toute ma vie, mais
j’aimais notre amitié.
Il ne répondit rien.
— C’est le moment où tu te mets à dire du mal de lui avec moi, ajoutai-
je.
Il se mit à rire et prit son portefeuille dont il sortit deux billets.
— Ton petit ami prévoyait de t’emmener à une première privée ce soir,
après t’avoir invitée à dîner en haut de l’Empire State Building et avoir
demandé à son service de sécurité de dégager un chemin pour une balade en
tête à tête dans Central Park.
Je sentis le rouge me monter aux joues alors qu’il m’enlaçait par la taille.
— Je crois que cet homme te connaît très bien et que tu devrais faire
preuve de patience avec lui, étant donné que tu es sa première vraie relation,
poursuivit-il. Il essaye d’être le meilleur petit ami que tu aies jamais eu.
Il l’est déjà.
— À quelle heure commence notre rendez-vous ? m’enquis-je.
— Autour de vingt-deux heures.
— Si je te disais que j’avais envie de faire l’amour avant d’y aller, est-ce
que cela ferait de moi une hypocrite ?
— Seulement si j’accédais à ta requête.
Il prit ma main dans la sienne et me conduisit hors de son appartement,
jusqu’à l’ascenseur.
— Faisons autre chose, d’abord.
Tandis que la cabine descendait, je levai les yeux vers Hayden.
— Dis-moi quelque chose que je ne sais pas à propos de toi.
— J’enregistre toutes les conférences de presse de ton frère et je les
regarde plus tard. Même si je lui certifie que je les suis en direct.
— Je suis là quand tu le fais, en général, répondis-je en riant. Autre
chose.
— J’ai envoyé une lettre d’excuses à mon père, aujourd’hui.
— Pourquoi diable voudrais-tu t’excuser auprès de lui ?
— Parce que je ne ressens pas le besoin de reprendre contact avec lui ou
d’arranger quoi que ce soit entre nous, déclara Hayden en me regardant. J’ai
toutes les personnes qu’il me faut dans ma vie et je n’ai aucune envie de
renouer avec des inconnus. À ton tour.
La porte s’ouvrit, et je réfléchis sincèrement pendant un moment à une
information qu’il ne connaissait pas déjà.
Quand nous arrivâmes à sa voiture, je laissai échapper un soupir.
— J’ai complètement craqué sur toi, à l’époque. Non, en fait, j’étais un
peu amoureuse de toi.
— Quoi ? Quand ?
— Il y a longtemps.
— Avant ou après notre guerre froide ?
— Certainement pas après, soufflai-je en levant les yeux au ciel. Mais
c’était passager. Je crois que ça a duré une semaine, environ.
— Pourquoi est-ce que tu ne m’en as jamais parlé ?
— Parce que tu n’aurais pas voulu de moi et tu aurais rétorqué que tu
étais trop vieux pour moi.
— Hmm. Probablement.
— Est-ce que tu as déjà ressenti quelque chose pour moi ?
— Non, Penelope, s’amusa-t-il. Tu n’étais qu’une amie à l’époque.
— Eh bien, heureusement que je ne t’ai jamais rien dit.
— Exactement.
Il se pencha vers moi et m’embrassa.
— Le trajet entre l’ascenseur et ma voiture compte comme « quelque
chose d’autre » avant le sexe, pas vrai ? demanda-t-il.
— Absolument.
Rupture no 15
Celle qui n’avait jamais existé

Hayden

À l’époque…

Il y a un banc public sous un chêne sur Covington Avenue, et c’est en


train de devenir mon point de rendez-vous habituel avec Penelope, les
dimanches soir. Il est suffisamment proche de la patinoire et de l’espace de
travail que je loue pour que nous puissions tous les deux nous y rendre à
pied en une dizaine de minutes.
Quand nous l’avons découvert pour la première fois, nous avons appelé
Travis en visio pour échanger des nouvelles. Mais quand il a arrêté
d’honorer les rendez-vous ou qu’il a commencé à annuler chaque fois au
dernier moment, Penelope et moi avons décidé de garder ce moment pour
nous.
Alors que je m’assieds, j’aperçois mon amie au loin qui marche vers moi.
Vêtue comme à son habitude d’un pantalon de jogging et d’un tee-shirt
oversize, elle ressemble davantage à une fille qui fait du skate que du
patinage artistique.
Elle est foutrement magnifique.
— Pourquoi est-ce que tu fais cette tête ? demandé-je en remarquant son
air renfrogné. Tu es toujours classée numéro un mondial et tu viens d’être
payée deux cents dollars pour déballer des platitudes devant des lycéens.
— Des platitudes ? s’offusque-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine.
J’ai mis tout mon cœur et toute mon âme dans ce discours.
— Tu as remanié un tas de citations trouvées sur Pinterest.
— Merci de me le rappeler.
Un sourire se dessine sur ses lèvres, mais il s’évanouit aussitôt.
— Stephen a rompu avec moi aujourd’hui, explique-t-elle.
— Pourquoi ?
Elle hausse les épaules.
— Je ne me souviens pas de ce qu’il a dit. Je m’en fiche, en fait.
— Ton petit ami du mois dernier ne s’appelait-il pas aussi Stephen ?
— Si, je crois, acquiesce-t-elle en s’asseyant à côté de moi.
— Tu crois ? Si tu oublies le nom des mecs avec qui tu sors aussi
rapidement, tu commences à jouer dans ma catégorie.
— Non, je n’entrerai dans ta catégorie que lorsque j’aurai attrapé la
syphilis.
— Va te faire foutre, Penelope.
— Je ne serai jamais désespérée à ce point.
Elle se penche contre mon torse et je glisse mes doigts dans ses cheveux.
— Est-ce que tu crois qu’il y a quelque chose qui ne va pas chez moi,
Hayden ?
— J’ai bien plus d’un exemple en tête, plaisanté-je. Mais qu’est-ce que tu
entends par là ?
— Depuis quelques mois, on a cessé de compter mes ruptures. On se
contente de leur donner des titres pour que je me sente moins pitoyable en
pensant au nombre de gars qui ne sont que de passage dans ma vie.
— C’est ça de sortir avec des garçons, Pen.
J’ai abandonné l’idée qu’elle renonce un jour à être une éternelle
romantique.
— Ça ne peut pas être « le bon » à chaque fois, expliqué-je. Même si
vous vous entendez bien au début, cela ne signifie pas que vous êtes faits
pour rester ensemble sur le long terme.
— J’imagine que tu as raison…
Elle change de position et pose sa tête sur mes genoux. Puis elle ferme les
yeux.
— Si cela peut te remonter le moral, la plupart des gens qui prétendent
avoir trouvé « le bon » à ton âge finissent par divorcer cinq ou dix ans après
avec des enfants qui les détestent.
Un petit sourire se forme sur son visage.
— Ça me remonte le moral, en effet.
— Bien. Tu finiras par trouver un mec bien.
— À ce rythme-là, j’aurai vingt-cinq ans quand ça arrivera.
— De toute façon, c’est un âge plus approprié compte tenu de toutes tes
attentes ridicules.
— À ce stade, je me contenterai de quelqu’un qui ne me trompe pas.
— Chaque mec qui a osé t’être infidèle est un idiot.
Je dépose un baiser sur son front, et elle sourit de nouveau.
Je fixe du regard ses lèvres rouge cerise et ressens tout à coup le besoin
d’y goûter.
J’écarte plusieurs mèches de cheveux de son front, puis me penche pour
l’embrasser, mais je me rends compte de ce que je m’apprête à faire à
quelques centimètres de son visage.
Bon sang, mais qu’est-ce qui me prend ?
Ses paupières sont toujours baissées et ses lèvres sont incroyablement
tentantes, mais le fait que j’aie presque franchi la ligne est foutrement
répréhensible à bien trop d’égards.
— Merde, juré-je avant de lui prendre doucement les mains pour l’aider à
se relever. Je viens de me souvenir de quelque chose. Je dois retourner à
mon bureau.
— Maintenant ? Est-ce que tu as besoin d’aide ?
Non, sûrement pas de toi à cet instant…
— Non, mais je t’appellerai plus tard.
— Tu as plutôt intérêt.
— Je sais.

***
Ce soir-là, j’ignore ses appels en essayant de comprendre ce qui a bien pu
se passer sur ce banc public.
Cela m’a semblé si naturel et si facile. Je n’ai pas ressenti la moindre
hésitation, ce qui veut dire que nous devons établir des limites plus claires.
Peut-être que nous pourrions arrêter de nous appeler tous les soirs, de
dîner ensemble le mercredi ou de nous donner rendez-vous au parc le
dimanche. Ou bien je pourrais arrêter de l’emmener à l’entraînement et
d’assister à ses concours.
Merde.
Honnêtement, je ne veux rien abandonner de tout cela et je n’arrive pas à
croire qu’elle prenne autant de place dans ma vie. Notre amitié a largement
dépassé les conseils sur les ruptures et les relations que je lui donnais au
départ, et a débordé du cadre du « je serai là pour toi, tu seras là pour moi ».
C’est presque comme si elle était ma… petite amie ?
— Je ne veux même pas y penser, marmonné-je avant d’attraper la
télécommande.
J’allume la télévision et vois mon « père » qui joue les vedettes dans sa
dernière publicité à la con. Vêtu d’un costume sur mesure et d’une cravate
qui valent plus que ce que la plupart des gens gagnent en un mois, il sourit
comme si on venait de lui annoncer qu’il avait gagné au loto.
— Si vous ou vos proches avez besoin du soutien individuel d’un
professionnel de confiance, rejoignez-nous à Heartstone Therapy,
s’enthousiasme-t-il. Nous disposons de plus de quinze structures dans tout
le pays pour vous accueillir.
Conformément au scénario ringard, son nouveau fils, un enfant de deux
ans lui aussi nommé Hayden, court dans ses bras.
— Je t’aime, papa ! s’exclame le petit, la bouche pleine d’oursons rouges
en gélatine.
Par chance, l’écran passe sur une publicité pour une brosse à dents bien
plus divertissante.
Je trouve toujours tragiquement ironique le fait que mon père soit un
éminent thérapeute familial alors qu’il nous a abandonnés, ma mère et moi,
il y a des années. Que personne n’ait pris la peine de chercher au-delà des
apparences et de découvrir à quel point il est un imposteur.
Je parcours les chaînes et m’arrête sur un publireportage d’affaires. Au
moment où je sors mon carnet de notes, on sonne à la porte.
Je me dirige vers l’entrée et trouve Penelope qui se tient là, un énorme
sac de couchage dans les bras.
— Oui ?
— Est-ce que je peux dormir ici ce soir ?
— Pourquoi ?
— Parce que tu as une paire de bottes de compression que j’aime bien
utiliser le jeudi, explique-t-elle d’un air perplexe. Tu te rappelles ?
— Tu peux les prendre et rentrer chez toi, si tu veux.
— Non, ça me va.
Elle me contourne avant que j’aie le temps de dire quoi que ce soit
d’autre.
Comme d’habitude, elle s’installe sur mon canapé et glisse ses jambes
dans les bottes de compression. Comme instantanément emporté par ce qui
est devenu notre routine, je me rends dans la cuisine et lui prépare un shaker
de protéines à la vanille.
Je m’assieds à côté d’elle sur le canapé et elle se penche contre mon
torse.
— J’ai rencontré un mec super mignon au supermarché avant de venir,
déclare-t-elle en levant les yeux vers moi. Je crois que tu seras très fier de la
façon dont j’ai réussi à l’approcher.
— Je t’ai répété un nombre incalculable de fois de laisser le garçon venir
à toi.
— C’est ce que je voulais dire. Enfin, bref. Je me suis inspirée de ce qui
était écrit pour « Celui qui était timide » et je l’ai regardé droit dans les
yeux en souriant. Il lui a fallu un instant pour me demander mon numéro de
téléphone, mais on a vraiment bien accroché après ça.
Je l’écoute parler de ce type pendant une heure et me supplier de lui
donner des conseils, et je commence à me dire que mes pensées mal venues
sur le banc public ne voulaient probablement rien dire du tout.
C’est sûrement dans ma tête, tout ça.
Chapitre 33

Hayden

De nos jours…

Le diable était en train de préparer une pièce pour mon arrivée. Oubliez le
feu et le soufre ; mon châtiment serait une détonation nucléaire qui
laisserait un cratère de cinq mille mètres carrés en enfer.
Je ne pouvais pas m’empêcher de tomber amoureux de Penelope même si
je l’avais voulu et, à cet instant, je me moquais des répercussions et des
conséquences.
Nous nous approchions dangereusement de la frontière entre la folie et
l’imprudence, et nous nous montrions plus souvent en public sous les flashs
incessants des paparazzis. Cependant, ce n’était pas encore visible dans les
gros titres. L’attention des médias était encore tournée vers mes lettres
d’excuses et ils ne se doutaient toujours de rien.
— Est-ce que tu sais déjà ce que tu vas porter pour le combat de ton
frère ?
Je déposai un baiser dans la nuque de Penelope alors que nous étions
assis sur mon balcon.
— Non, mais maintenant que tu en parles, tu pourrais m’aider à choisir,
déclara-t-elle. J’ai mis plusieurs options dans mon sac l’autre jour, mais tu
peux d’abord décider de la lingerie que je porterai sous la robe.
— Tu n’as pas besoin de porter quoi que ce soit en dessous.
— On verra, s’amusa-t-elle. Va m’attendre dans le salon.
Je l’embrassai une fois encore, puis longeai le couloir. J’étais presque
arrivé au salon quand quelqu’un frappa à la porte.
Lawrence.
Je récupérai quelques lettres d’excuses sur ma table avant d’aller ouvrir
et, à la place, je me trouvai face à face avec Travis.
C’est quoi ce bordel ?
— Euh, salut.
— Euh, salut ? répéta-t-il en riant. C’est tout l’effet que je te fais ?
— Tu ne devrais pas être à Vegas ?
— Mon avion décolle dans quelques heures, expliqua-t-il avant de lever
devant lui une bouteille de champagne à mille dollars. Je n’ai pas le droit de
passer boire une coupe de champagne avec toi pour fêter ça ?
— Le combat n’a pas encore eu lieu.
— Je connais déjà les résultats.
Je résistai à l’envie de lever les yeux au ciel et le fis entrer. Puis,
j’envoyai rapidement un message à Penelope.

Moi : Ton frère est ici. Ne sors pas de la chambre.

— Est-ce que tu as toujours ton contact chez Top Modeling ? demanda


Travis en pénétrant dans la cuisine.
— Oui, mais elle ne veut plus me parler.
Je sortis deux coupes à champagne du placard.
— Elle est toujours fâchée que tu ne l’aies jamais rappelée pour remettre
le couvert ?
— Certainement.
— Eh bien, j’éviterai de mentionner ton nom quand j’appellerai. Il me
faut plus de remplaçantes pour mon entrée théâtrale.
— Bonne idée.
Je tapotai l’écran de mon téléphone et lui envoyai les coordonnées de
mon contact.
Je m’apprêtais à lui demander combien de temps il comptait rester, mais
je me retournai en entendant le son des talons claquant sur le sol.
Merde.
Penelope entra dans la pièce, vêtue d’une robe courte couleur chair qui ne
laissait rien –
foutrement rien – à l’imagination. Le tissu fin dévoilait ses tétons durcis
et le motif compliqué de sa culotte en dentelle.
— Salut, Crown, lança Travis en l’observant. Je constate que tu es à la
recherche de l’autre partie de cette robe. Essaye d’appeler le magasin et
demande-leur pourquoi ils ne t’en ont vendu que la moitié.
— Très drôle, répliqua-t-elle en haussant les épaules. Hayden m’aide à
choisir une tenue pour ton grand événement.
— Tu n’as pas besoin de son aide si tu envisages de porter ça. C’est un
non définitif, alors trouve autre chose.
— J’ai vingt-cinq ans, Travis. Je n’en ai plus grand-chose à faire, de ton
opinion.
— Je t’interdis de mettre cette robe à mon combat.
Elle laissa échapper un grognement, puis tenta de changer de sujet :
— Est-ce que tu as hâte d’être au grand jour où tu vas remporter cinq
millions de dollars ?
— Je ne veux même pas que tu la mettes dans ta valise, insista-t-il en
fronçant les sourcils.
Puis il me lança un regard qui voulait dire : « Tu ferais mieux de me
soutenir sur ce coup. »
Je ne pus qu’acquiescer d’un hochement de tête. La vision
incroyablement sexy de Penelope me laissait sans voix, et j’étais bien trop
excité.
— Enfin, bref. Oui, reprit Travis en s’adressant à sa sœur. J’ai hâte de me
faire cinq millions de dollars rien qu’en me pointant pour me battre contre
ce guignol, et encore plus si je gagne. Tous les arrangements sont faits et…
Il s’interrompit quand son téléphone se mit à vibrer dans sa poche.
— Oui, Graham ? D’accord. J’arrive.
Il raccrocha.
— Eh bien, tu parles d’un verre vite fait. Je vous verrai à Vegas, tous les
deux.
Puis, il se tourna vers Penelope, et ajouta :
— De préférence en tailleur-pantalon.
Il me serra la main et je le raccompagnai jusqu’à l’ascenseur. J’attendis
que la cabine descende pour rejoindre Penelope.
— Tu n’as pas reçu mon message ?
— Si, répondit-elle en haussant les épaules. Et alors ?
— Et alors, je tiens à la vie. Essaye de le comprendre, la prochaine fois.
— Je me suis dit qu’il ne se douterait de rien, se justifia-t-elle avant
d’enlever la robe et de dévoiler sa poitrine. Honnêtement, que crois-tu qu’il
ferait s’il découvrait qu’on sortait ensemble ?
— Avant ou après avoir caché mon corps ?
— Avant, déclara-t-elle en riant. Bien avant.
— Je crois qu’il mettrait un terme à notre amitié, et ensuite, il ferait tout
ce qui est en son pouvoir pour me détruire.
— Tu plaisantes. Je ne pense pas que mon frère soit aussi irrationnel ou
mesquin.
— Dans ce cas, tu ne connais pas ton frère, répliquai-je en faisant courir
mon doigt sur sa lèvre inférieure. Bon sang, il me tuerait s’il savait ce qui se
passe dans ma tête quand je pense à toi.
— Est-ce que tu es en train de me dire que nous devrions arrêter avant
qu’il ne le découvre ?
— Non.
Je posai mes lèvres sur les siennes, et ajoutai :
— Ce que je te dis, c’est d’éteindre la lumière…
Chapitre 34

Penelope

De nos jours…

Las Vegas, dans le Nevada

Entre le moment où on l’appelait « le gamin modeste de la cité


émeraude4 » et celui où on l’avait nommé « le Punisseur », mon frère
s’était transformé en un connard arrogant.
Pas envers moi à proprement parler, mais il avait assurément laissé la
célébrité et l’attention qu’il recevait lui monter à la tête.
Il était à présent l’athlète le mieux payé de tous les combattants de MMA,
et celui avec le plus grand nombre de sponsors, et il le savait. Dans la
presse, il disait du mal de ses adversaires, prétendait que leurs succès
n’avaient aucune valeur comparés aux siens et déployait tous ses efforts
pour bien faire comprendre aux journalistes qu’il était le meilleur.
Pourtant, le rituel qui précédait ses combats était une légende au sein de
l’UFC, et il le suivait à la lettre chaque fois qu’il s’apprêtait à combattre en
championnat.
Il m’obligeait aussi à y participer.
Tout commençait par un brunch à la mi-journée avec ses gardes du corps
les plus proches, son soigneur et un troupeau de coachs personnels.
Ils s’asseyaient à un bout de la table et regardaient l’entraînement
précédant le combat sur un écran géant, devant un steak hors de prix et des
gaufres. Quant à ses amis et à sa « famille », ils étaient installés à l’autre
bout et constataient dans un état de sidération totale à quel point ses
chevilles avaient enflé.
— Quand je remporterai le match ce week-end, ces gros nazes de
paparazzis n’auront plus le droit de se pointer à mes fêtes, hurla mon frère.
À moins qu’ils ne soient disposés à payer pour prendre ce visage en photo.
Ça leur rapportera probablement plus qu’un an de salaire en tant que
journalistes.
Pouah ! Je piquai violemment une tomate de ma salade avec ma
fourchette.
Alors que je la portais à mes lèvres, je sentis la main d’Hayden effleurer
l’intérieur de ma cuisse.
J’écarquillai les yeux et me tournai vers lui.
— Quoi ? demanda-t-il en souriant.
— Tu es en train de me toucher, murmurai-je. En public, et juste sous le
nez de Travis. Je croyais que tu tenais à la vie.
— Tu vaux la peine de mourir.
Je rougis et repoussai sa main, mais il la reposa au même endroit un
instant plus tard et pressa doucement ma jambe.
— Alors, Crown…
La voix de Travis me fit relever la tête.
— Hayden ne m’a pas dit grand-chose à propos de ton nouveau petit ami.
Quand est-ce que j’aurais la chance de le rencontrer ? s’enquit mon frère.
Il est assis juste devant toi.
— Bientôt.
— Donc, jamais ? ironisa-t-il en souriant. Tu aurais dû l’inviter ce week-
end. Je crois que ça lui aurait plu.
Tatiana manqua de s’étouffer avec une bouchée de pain et appela le
serveur.
— Si Hayden l’apprécie, c’est sûrement un mec qui est bien pour toi,
poursuivit Travis.
— Oui, répondit l’intéressé en pressant de nouveau ma cuisse. Il est
vraiment bien pour elle.
Mon frère sembla sur le point d’ajouter quelque chose, mais les serveurs
apportèrent le deuxième plat.
L’heure était à présent à la deuxième partie du rituel : regarder son
combat le plus récent une dernière fois pour gonfler son ego.
C’était une bonne chose qu’il exhorte toujours les invités à l’encourager
et à crier comme si le match avait lieu en direct.
Autrement, je suis sûr qu’ils auraient remarqué que mes hurlements
n’avaient rien à voir avec le MMA, mais tout à voir avec Hayden qui me
faisait jouir plusieurs fois d’affilée avec ses doigts sous la table.

***
Plus tard cet après-midi-là, je déclinai la proposition d’Hayden de nous
retrouver à l’aquarium.
Lorsqu’il me demanda d’aller déjeuner avec lui dans l’après-midi à
l’Aria, je refusai et me mordis les doigts chaque seconde d’avoir accepté de
regarder une émission de cosplay de trois heures avec Tatiana à la place.
Quand je rejoignis ma suite, il était un peu plus de minuit et il
m’attendait, assis sur le canapé.
— Je ne me rappelle pas t’avoir donné le double de clé de ma chambre,
déclarai-je en laissant tomber mon sac à main par terre.
— Je l’ai prise pendant le brunch, répondit-il en souriant. Est-ce que tu
passes un bon moment à Vegas, jusqu’ici ?
— Oui. Et toi ?
— Pas vraiment. Ma meilleure amie m’évite pour une raison que j’ignore.
— Tu crois ça ? Ce n’est pas du tout mon impression. Je pense que tu te
fais des idées.
— Non.
Sans me quitter des yeux, il avança vers moi.
— Est-ce que tu as l’intention de te comporter bizarrement avec moi
pendant tout le week-end ? demanda-t-il.
— Je ne me comporte pas du tout bizarrement.
— Tu n’es pas venue dans ma chambre une seule fois. Et pendant le
brunch, je t’ai vu écrire des brouillons de messages d’excuses que tu
comptes m’envoyer cette semaine.
— Est-ce que c’est pour ça que tu m’as doigtée sous la table ?
— Je l’ai fait pour t’aider à te détendre. Et aussi parce que j’adore ton
visage quand tu jouis pour moi.
— Eh bien… commençai-je en sentant mes joues s’empourprer. Je suis
désolée que tu trouves que mon comportement est étrange. On peut monter
dans ta chambre immédiatement, si tu veux.
— Non, pas la peine, objecta-t-il en se rapprochant encore. La tienne fera
l’affaire. Dis-moi ce qui ne va pas.
— Ce n’est rien.
— Je te connais, Penelope.
Il plongea son regard dans le mien comme lui seul savait le faire, puis
ajouta :
— Explique-moi.
— Il y a deux choses.
— Commence par la première.
— Je crois que mon frère serait vraiment capable de te tuer s’il découvrait
que l’on sort ensemble.
— C’est un fait que nous avons déjà établi, répliqua-t-il avec un sourire
en coin. Est-ce que je peux compter sur toi pour m’organiser de belles
funérailles ?
— As-tu un thème de couleurs en tête ?
— Blanc et bleu ciel.
— C’est noté.
Je souris.
— Quelle est l’autre chose ?
— C’est idiot. Cela ne vaut même pas la peine d’en parler.
— Dis-moi.
— Je ne suis pas montée dans ta chambre parce qu’il y a des paparazzis
qui gardent les foutus ascenseurs. Ils crient des rumeurs à la cantonade dans
l’espoir d’obtenir le moindre commentaire et de photographier quiconque
osera se rendre dans la suite du dernier étage.
— Quel est le rapport avec nous deux ?
— Avant, leur présence ne m’avait jamais dérangée, mais à présent, je ne
sais pas pourquoi, mais je ne suis pas à l’aise.
Les mots se déversèrent avant que je n’aie eu le temps de réfléchir.
— Je veux dire, ils ne racontent rien que tu ne m’aies déjà dit, poursuivis-
je. Mais j’ai horreur qu’ils les crient à qui veut les entendre.
— Moi aussi, répondit Hayden avant de glisser quelques mèches de mes
cheveux derrière mon oreille. Mais cela fait partie du passé, Pen. Et tu sais
que le pire de tout ça s’est produit à l’époque où nous n’étions pas amis.
— Oui.
— Tu sais que lorsque nous aurons officialisé notre relation, ils
continueront à faire ce genre de choses, pas vrai ?
Je ne répondis rien.
— Tu devras continuer à les ignorer, comme tu le faisais avant que nous
soyons ensemble.
Il m’embrassa, puis murmura :
— Rien n’a changé.
— Quand nous étions tous les deux ici l’année dernière, je ne suis
pratiquement pas venue dans ta chambre et ce n’était pas un problème,
répliquai-je. Les choses ont changé.
— Pour le mieux.
Il me regarda dans les yeux.
— Du moins, c’est ce que je pense, reprit-il. Je crois que tu as besoin de
te concentrer sur quelque chose de bien plus divertissant le temps que nous
sommes ici.
— Quelque chose comme quoi ?
Il ne me répondit pas.
Il posa sa bouche sur la mienne et m’embrassa passionnément, me faisant
oublier mes inquiétudes sans importance à mesure que sa langue prenait
possession de la mienne.
Puis, il interrompit notre baiser et s’adossa contre le mur. Son regard
plongé dans le mien, il sourit.
— Voyons si tu peux me prendre tout entier dans ta bouche, comme tu
m’en parlais auparavant.
Je déglutis et il saisit une poignée de mes cheveux, avant de m’embrasser
de nouveau et de murmurer :
— Mets-toi à genoux.
Je m’exécutai et m’agenouillai sur la moquette rouge et moelleuse de la
chambre d’hôtel.
Il ne relâcha pas mes cheveux et, au contraire, resserra son emprise.
— Sors ma queue.
Je défis la boucle de sa ceinture que je fis glisser le long de sa taille, avant
de la laisser tomber par terre.
Tout en déboutonnant son pantalon à l’aide de mes mains, je me penchai
en avant et coinçai la tirette de sa fermeture éclair entre mes dents pour la
tirer vers le bas.
Tandis que je prenais mon temps et le regardais, il m’observait.
— Merde…
Il semblait impressionné.
Je glissai mes doigts dans le haut de son caleçon et le baissai jusqu’à me
trouver face à face avec son membre épais.
J’embrassai son gland en décrivant tout autour des cercles avec ma
langue. Tout en utilisant ma main pour l’astiquer de haut en bas, j’observai
la veine qui gonflait sous mes caresses.
— Continue à me regarder, souffla-t-il. Je veux voir ton regard pendant
que tu me prends au fond de ta gorge.
Je levai les yeux vers lui et ouvris la bouche aussi grand que j’en étais
capable. Puis je le pris, centimètre par centimètre, tout en écartant ma
langue tandis que je m’habituais progressivement à la taille de son membre.
Je le suçai avec envie et reculai légèrement, prenant mon temps pour faire
entrer quelques centimètres supplémentaires.
Sans prévenir, il guida doucement ma tête vers l’avant, puis vers l’arrière.
Vers l’avant, puis vers l’arrière.
— Comme ça, murmura-t-il sans me quitter des yeux. Comme si tu savais
qu’il n’y avait pas meilleur endroit pour ma queue que ta bouche toute
chaude.
Je ne pouvais même pas hocher la tête.
Son membre prenait trop de place dans ma bouche.
Je posai mes mains sur ses cuisses pour garder l’équilibre, puis
commençai lentement mes va-et-vient à mon propre rythme. Bientôt, il
n’eut plus besoin de me guider.
— Merde… grogna-t-il alors que je le prenais plus vite et plus
profondément dans ma bouche.
Entre chaque va-et-vient, je le caressais de ma main droite.
Sa respiration se fit plus lente et je sentis son corps se tendre contre moi.
Ses yeux toujours plongés dans les miens, il murmura :
— Laisse-moi jouir dans ta bouche.
J’acquiesçai du regard et il me saisit de nouveau par les cheveux. Je pris
son membre au fond de ma gorge, aussi profondément que j’en étais
capable, et je sentis immédiatement sa semence chaude qui franchissait mes
lèvres.
Je m’immobilisai en gardant le jus salé dans ma bouche.
Puis l’avalai.
Tout en me souriant, Hayden me prit les mains et m’aida à me relever. Il
m’embrassa sur la joue et me plaça sur le lit en laissant pendre mes jambes
dans le vide.
— Permets-moi de me venger, maintenant, déclara-t-il en déposant un
baiser sur ma cuisse.
Il glissa sa main entre mes jambes et se mit à décrire des cercles avec son
pouce autour de mon clitoris.
— Attends ! m’écriai-je en me redressant.
— Qu’y a-t-il ?
L’air parfaitement serein, il déposa un autre baiser sur mon épaule.
— Je crois que nous devrions nous habiller et poursuivre ce que nous
avons commencé dans ta suite.
Un sourire se dessina sur ses lèvres.
— Et pourquoi donc, Penelope ?
— Parce qu’il y a des agents de sécurité de mon frère dans les chambres
voisines et qu’ils risqueraient de nous entendre.
— Dans ce cas, essaye de ne pas crier.
Il me repoussa contre le matelas, et je devins impuissante sous les talents
de sa bouche.

4. Surnom de la ville de Seattle.


Chapitre 35

Penelope

De nos jours…
Las Vegas, dans le Nevada

— Est-ce que c’est moi ou bien ton frère semble un peu plus psychotique
que d’habitude ? murmura Tatiana, qui était assise à ma gauche. On dirait
que quelque chose ne va pas.
Je relevai la tête et aperçus Travis qui dansait dans son coin du ring.
— Je ne vois rien de différent, répondis-je en remarquant dans son regard
la même flamme que lorsqu’il avait seize ans. Il a l’air concentré.
— Si tu le dis.
Elle haussa les épaules, puis reprit :
— Au fait, un tout nouveau portant de vêtements haute couture a été livré
dans notre suite hier soir. Mais étant donné que tu n’étais pas là et que ton
petit ami peut se permettre de t’en racheter un, je vais garder celui-là pour
moi.
Je ris.
— C’est noté.
— Mesdames et messieurs ! s’écria le commentateur, qui se trouvait au
centre de l’octogone, dans son micro. Bienvenue au combat numéro mille
deux cent vingt-quatre de l’UFC, qui oppose Travis Carter « le Punisseur »,
le champion invaincu et incontesté en poids welter, et son challengeur,
Christopher Juarez, « l’Œil Rouge » !
Les cris de la foule emplirent le stade. Les spots au-dessus de nos têtes se
mirent à lancer des faisceaux bleus et rouges.
— Le combat dure cinq rounds, poursuivit l’homme. S’il n’y a pas de K.-
O. technique, le vainqueur sera désigné par les juges. Messieurs, si vous
souhaitez taper dans les gants de votre adversaire en signe de respect, c’est
le moment.
Travis ne bougea pas d’un cil.
Le présentateur sembla surpris, mais il reporta son attention sur la foule.
— Que le combat commence !
L’arbitre entra dans l’octogone pour passer une dernière fois en revue le
règlement et je me préparai à assister à une série d’assauts brutaux et
ininterrompus.
Mon frère attaqua Juarez à la seconde où la cloche sonna et le cogna
directement au visage.
Mais son adversaire ne flancha pas.
Il le frappa aux épaules en lui donnant des coups de pied dans les jambes
quand il ne parvenait pas à se rapprocher suffisamment.
Un sourire jubilatoire se dessina sur le visage de Travis alors qu’il
donnait à Juarez un coup de poing à la gorge pile au moment où le premier
round touchait à sa fin.
— Je voudrais bien qu’il prenne sa retraite, chuchotai-je à l’oreille de
Tatiana tandis que la foule rugissait.
— Je ne comprends pas pourquoi, répondit-elle en penchant légèrement
la tête sur le côté. Je retire ce que je t’ai dit sur lui. Ton frère est
incroyablement sexy.
— Ne m’adresse plus jamais la parole.
Elle rit.
— Je ne fais que constater. Est-ce que tu sais s’il a des dick pics qui
traînent sur Internet ?
Je déglutis pour réprimer un relent de dégoût.
La cloche sonna pour le début du deuxième round et je me penchai contre
l’épaule d’Hayden.
Il sourit et prit ma main.
Mon frère enchaînait les feintes et les esquives afin d’éviter les tentatives
de Juarez pour le toucher, mais un coup de poing du gauche finit par atterrir
en plein sur son visage. Violemment.
Puis Juarez lui en assena un autre.
Et un autre.
La foule laissa échapper un cri de stupeur tandis que Travis reculait en
titubant.
Je me levai d’un bond au moment où sa tête heurta le sol de l’octogone
dans un ignoble bruit sourd. Du sang jaillissait de ses lèvres.
Juarez vint se placer au-dessus de lui et le frappa au visage à plusieurs
reprises, jusqu’à ce que l’arbitre le repousse et déclare le combat terminé.
Un silence abasourdi régnait dans le stade. Tous retenaient leur souffle
sans comprendre, quand des applaudissements déchaînés et tapageurs
s’élevèrent soudain parmi les fans.
Le vainqueur se pavana fièrement dans l’octogone en envoyant des
baisers à la foule.
Je sentis mon cœur se briser.
J’avais vu Travis vaincre ses adversaires les uns après les autres, mais pas
une fois n’avais-je été témoin de sa défaite.
En état de choc, je me précipitai vers le ring dans l’espoir qu’il bouge,
mais il était complètement inconscient.
Il perdait de plus en plus de sang.
Les médecins l’encerclèrent et je m’accrochai à la corde.
— Travis ! m’écriai-je plus fort. Travis, relève-toi !
— Ça va aller, Pen, intervint Hayden en posant sa main dans le creux de
mes reins. Viens.
Je hurlai tout de même le nom de mon frère une fois de plus car je voulais
rester le temps que les médecins l’aident à se remettre debout, mais Hayden
m’entraîna plus loin.

***
Plusieurs heures plus tard…

— Juarez prend des putains de stéroïdes ! s’écria Travis qui bouillait de


rage dans son lit d’hôpital. Je veux qu’il passe au contrôle antidopage,
Shaw. Je veux qu’il soit testé ce soir.
— Oui, monsieur, acquiesça son manager tandis que le reste de sa garde
rapprochée de béni-oui-oui restait silencieuse de l’autre côté de la pièce.
— Monsieur Carter ? demanda une infirmière en lui tendant un plateau
avec des gélules. Pourriez-vous…
— Foutez-moi la paix, s’il vous plaît, l’interrompit-il en lui adressant un
regard noir. Je me soignerai tout seul.
Elle rougit et se précipita hors de la chambre.
— Ce n’est pas sa faute si tu as perdu, temporisai-je d’une voix douce.
— En tout cas, ce n’est foutrement pas de la mienne, répliqua-t-il en se
tournant vers moi d’un air furieux. Personne ne m’a jamais battu, bordel. Ce
combat à la con ne compte pas et ce ne sera plus qu’un mauvais souvenir
quand tout le monde saura que Juarez est dopé.
Je me mordis la langue.
— Comment diable un gamin maigrichon sorti de nulle part peut-il battre
un putain de champion ? s’agaça mon frère.
Je suis certaine que tes premiers adversaires se sont posé la même
question…
— Je ne crois pas qu’il soit dopé, Travis.
— Il l’était et il l’est.
Il tenta de me fusiller du regard, mais son visage était en trop mauvais
état pour donner l’effet voulu.
— Je ne ferai plus jamais l’erreur de m’économiser pendant un combat.
Maintenant que j’y pense, je me souviens de t’avoir dit de toujours
commencer par une attaque quand tu patinais, reprit-il.
— C’est drôle, parce que je me souviens que tu ne venais pratiquement
jamais me voir à cette époque.
— Qu’est-ce que tu dis, Crown ?
Je ne lui répondis pas. J’avais déjà bien assez tiré sur la corde.
Hayden entra tout à coup dans la pièce, et lui tendit une boisson
énergisante et un paquet de Cheetos qu’il avait achetés à un distributeur.
— Voilà pour toi, déclara mon petit ami. Est-ce que tu as besoin d’autre
chose ?
— Oui, je veux que tu emmènes Crown loin de Vegas, répondit mon
frère. Occupe-la avec quelque chose qu’elle est capable de comprendre.
Non, mais je rêve ?
— Ma chambre est réservée jusqu’à la fin de la semaine, Travis. Je
voudrais rester pour en profiter.
— Je veux qu’elle s’en aille. Emmène-la avec Tatiana sur une plage ou
quelque chose de ce genre. Je te rembourserai, quel que soit le prix.
— Inutile de parler de moi comme si je n’étais pas là, protestai-je.
— Oh, et continue de garder un œil sur son nouveau mec pour moi.
Mon frère m’ignorait comme si j’avais à nouveau dix-sept ans. Comme
s’il prenait toutes les décisions et que je devais en accepter les
conséquences de bonne grâce.
— Peut-être qu’on pourrait tous aller prendre un brunch plus tard, quand
j’aurai eu les résultats du test antidopage de Juarez, poursuivit-il. Tu veux
bien t’occuper de ça pour moi, pas vrai ?
Hayden ne prit pas la peine de lui répondre.
Les demandes de Travis étaient toujours des ordres.
Au moment où je m’apprêtais à lui dire qu’il méritait de s’être fait botter
le cul et qu’une partie de moi était contente que son ego ait reçu une bonne
dose de défaite, Hayden me prit la main.
— Allez, partons de cette ville.
— Merci, Hayden.
Travis m’adressa un regard qui voulait dire « ne t’avise foutrement pas de
me contredire » tandis que nous quittions la chambre.
Mon petit ami me tint la main jusqu’à ce que nous atteignions le rez-de-
chaussée et traversions la foule de journalistes qui faisaient le pied de grue
devant l’hôpital. Il me conduisit jusqu’à une berline de luxe qui attendait et
m’attira sur ses genoux une fois la portière refermée.
— On part vraiment de Vegas ce soir ? demandai-je. Simplement parce
qu’il l’a décidé ?
— Certainement pas, répondit Hayden en souriant. On reste autant que tu
le voudras.
— Promis ?
— Promis.
Il prit possession de ma bouche avec ses baisers jusqu’à ce que nous
soyons de retour à l’hôtel.
Pendant les cinq jours qui suivirent, il fit tout ce qui était en son pouvoir
pour me faire oublier cette soirée.
Il commanda à manger au room service et explora mon corps. Il donna
plus qu’il ne reçut et me prit dans ses bras à chaque fois que je m’effondrais
de plaisir.
Chapitre 36

Hayden

Une semaine plus tard…

— J’espère que tu as le sourire aux lèvres parce que tu t’apprêtes à me


donner tes dernières lettres d’excuses, fiston, lança Lawrence en me voyant
arriver dans son bureau le lundi matin.
— Je souris parce que je prends congé pour le reste de la semaine.
— C’est bien. C’est sympa d’offrir aux paparazzis un repos bien mérité.
Donne-moi les lettres que je t’ai demandées.
— J’emmène Penelope à Bora-Bora pour quelques jours. Ensuite, nous
irons à Aspen.
— Ça m’est égal, répliqua-t-il en fronçant les sourcils. Les lettres.
Maintenant.
— J’ai besoin que Sarah et toi me teniez informé de cette histoire avec
Tinder pendant mon absence.
— Cette « histoire avec Tinder » est un procès à plusieurs millions de
dollars et ils sont plus que jamais déterminés à te mettre en pièce, cette fois.
Mon conseiller se pencha en arrière dans sa chaise, puis ajouta :
— Désirerais-tu écrire une lettre d’excuse à l’attention de monsieur
Lassing pour tenter de lui faire abandonner les charges ?
— J’y réfléchirai à mon retour, répondis-je en souriant. C’est là que
j’écrirai les dernières lettres. À plus tard.
— Bordel de merde, Hayden Hunter ! hurla Lawrence en se levant
derrière son bureau alors que je m’éloignais. Hayden, reviens ici tout de
suite !
J’atteignis l’ascenseur avant qu’il n’ait eu le temps de me rattraper.
Une fois au rez-de-chaussée, je m’assis au volant de ma voiture.
— Comment a-t-il réagi ? demanda Penelope avec un sourire.
— Très bien.
— Donc, il est carrément furieux ?
— Carrément.
J’accélérai en direction de l’aéroport et elle rit.
Tout en conduisant, je lui pris la main derrière le levier de vitesse.
— Je voudrais que cela ne s’arrête jamais, Hayden.
— Cela n’arrivera pas. Ce n’est que le début pour nous.
— Promis ?
— Promis.
Chapitre 36 bis

Hayden

De nos jours…

« Hayden Hunter s’envole en jet privé avec une amie alors que le procès
contre Tinder s’intensifie »
« Hayden Hunter s’est-il moqué de nous avec ses excuses ? »
« Simon Gaines du fonds spéculatif Simon G. sur le gril pour fraude
présumée »
« Hayden Hunter aperçu dans un hôtel privé à Aspen avec une amie »
Chapitre 37

Hayden

De nos jours…

Pourquoi est-ce que nous n’avons pas sauté le pas des années plus tôt ?
Sortir avec Penelope était la meilleure chose qui me soit jamais arrivée, et
je comprenais à présent pourquoi elle recherchait tant ce sentiment
d’euphorie.
Mes journées commençaient et se terminaient avec le goût de ses lèvres
sur les miennes, avec son rire contre mon torse et par des conversations que
je souhaitais ne jamais interrompre.
Nos promenades nocturnes dans Central Park commençaient doucement à
se répandre sur les sites de ragots peu consultés, avec des articles du genre «
Hayden Hunter sort-il avec sa meilleure amie ? » et « C’est moi, ou est-ce
qu’ils sont un peu trop proches sur ces photos ? », mais cela n’allait pas
plus loin.
Et honnêtement, je m’en fichais.
J’étais amoureux d’elle.
De temps à autre, elle disait encore « s’il te plaît, ne me fais jamais
souffrir » et « je n’ai personne d’autre à part toi » quand nos conversations
duraient un peu trop longtemps. Mais j’étais bien décidé à faire en sorte
qu’elle ne s’inquiète plus que nous nous séparions un jour.
Armé d’un bouquet de roses et d’une bouteille de vin, je descendis de ma
voiture et montai les marches du perron jusqu’à son appartement. Je ne
savais pas trop ce qui m’avait pris cette après-midi-là, mais je m’étais levé
au beau milieu d’une réunion et avais roulé tout droit vers son quartier.
J’entrai dans sa cuisine et sortis quelques verres de vin. Ensuite, je
m’assurai que le traiteur livre la nourriture avant qu’elle ne soit de retour de
la patinoire.
Alors que je rinçais les tiges des fleurs, Tatiana s’éclaircit la voix.
— Est-ce que tu veux te joindre à nous pour le dîner ? proposai-je. J’ai
commandé italien.
— Non, je passe mon tour. Je préférerais savoir comment tu fais pour te
regarder dans le miroir, bordel.
Son ton abrupt me fit me retourner.
— Je te demande pardon ?
— Tu m’as bien entendue, rétorqua-t-elle en me fusillant du regard
depuis l’autre côté de la pièce. Est-ce que ça te rend heureux de la tirer vers
le bas ? Est-ce que c’est un truc tordu pour prendre ton pied ?
Je crois que je te préférais quand tu détestais Penelope.
— Je n’ai aucune foutue idée de ce dont tu parles.
— Ça doit être chouette d’obtenir tout ce qu’on a toujours voulu dans la
vie, pas vrai ? poursuivit-elle, lancée dans sa conversation à sens unique.
J’imagine que tu n’as aucun remords parce que le monde t’a déroulé le tapis
rouge et que tu ne sais pas ce que ça fait qu’on te l’arrache de sous tes
pieds.
— Tu sais, je me souviens vaguement de toi agitant une batte de baseball
près des genoux de Penelope pour plaisanter, pendant une compétition, il y
a plusieurs années de cela. Est-ce qu’il faut que je retrouve la vidéo et que
je te fasse du chantage avec pour que tu recommences à parler comme une
personne normale ?
— Je suis sérieuse, espèce d’enfoiré.
Elle semblait sur le point de pleurer.
— Bora-Bora, Aspen, Hawaï, reprit-elle. Et puis quoi, ensuite ?
— La République dominicaine, répliquai-je en croisant les bras. Je t’ai
proposé de nous accompagner dans tous ces voyages.
— Oui, et tu as intentionnellement fait de petites allusions à ton gala en
disant que « vingt-sept, c’est quand même génial », je me trompe ? souffla-
t-elle avec dédain avant de secouer la tête. Je suis sûre que tu t’es dit que ce
serait une gentille et délicate attention. Alors, laisse-moi te poser une
question. Quand est-ce que Penelope est allée à la patinoire pour travailler
avec un client pour la dernière fois ?
Je haussai les épaules. Honnêtement, je ne me rappelais pas.
— Quand a-t-elle fait une prise de parole ou fait autre chose que voyager
et coucher avec toi pour la dernière fois ?
Je ne répondis rien, pas certain de comprendre où elle voulait en venir.
— Tu la connais mieux que je ne la connaîtrai jamais, et quiconque vous
a déjà vus ensemble le sait.
Des larmes coulèrent sur son visage.
— Alors je ne comprends pas pourquoi tu ne te rends même pas compte
que tu fais obstacle à ce pour quoi elle a travaillé toute sa vie.
— Tatiana…
— Toute sa vie, m’interrompit-elle. Je l’ai peut-être détestée pendant des
années, mais j’ai toujours eu du respect pour ce qu’elle essayait
d’accomplir. Et je crois qu’elle y serait parvenue si elle n’était pas tombée.
Mais aujourd’hui, elle a une chance d’y arriver, et elle laisse tout tomber
pour toi.
— Honnêtement, je suis foutrement perdu, déclarai-je. Peux-tu
m’expliquer de quoi tu parles ?
Elle se dirigea vers un tiroir et en sortit deux lettres qu’elle me tendit.
— Ce matin, j’ai reçu une lettre du président de l’Association de patinage
artistique des États-Unis m’annonçant que Penelope m’avait désignée à sa
place pour aller entraîner l’équipe américaine à Salt Lake City, en prévision
des Jeux olympiques d’hiver.
Je haussai les sourcils. Penelope ne m’avait jamais dit un mot à ce sujet,
et je refusais de croire que c’était la vérité.
J’ouvris la première lettre, celle qui était adressée à Tatiana.
« Vous nous avez été vivement recommandée par Penelope Carter… »
Je remis le papier dans l’enveloppe et ouvris la seconde.
Puis je retournai la lettre et constatai qu’elle l’avait reçue plusieurs
semaines auparavant. Le cachet de la poste datait des jours précédant mon
gala.
Elle ne m’en a jamais parlé.
— Elle visionne ses anciennes performances en secret tous les soirs,
reprit Tatiana. Enfin, c’est ce qu’elle faisait avant de passer son temps à
voyager avec toi. Je ne vis pas avec elle depuis très longtemps, mais je n’ai
jamais vu quelqu’un regarder toutes ses prestations parfaites et dire : «
Dommage que je n’aie jamais battu le record de ma mère comme je l’avais
promis. J’aurais tellement aimé pouvoir le faire… » Et ensuite, elle se met à
pleurer comme si sa carrière n’était qu’un foutu échec.
Je soupirai.
Je savais qu’elle pleurait toujours de temps à autre, surtout avec moi,
mais j’ignorais que c’était récurrent au point où quelqu’un qui venait
d’entrer dans sa vie l’ait remarqué.
— Je n’étais pas au courant, expliquai-je en reposant les lettres. Vraiment,
je l’ignorais.
— Eh bien, maintenant, tu le sais, répondit Tatiana en haussant les
épaules. Je suis sûre qu’en tant que meilleur ami… enfin, petit ami, tu lui en
parleras ? Pour qu’elle change d’avis ?
La jeune femme quitta la pièce sans ajouter un mot et je pris mon
téléphone.
Je m’apprêtais à appeler Penelope, mais constatai qu’elle m’avait devancé
avec des messages.

Penelope : Coucou ! Je suis venue à ton bureau pour un déjeuner


surprise, mais tu n’y étais pas. Où es-tu ?
Penelope : À la place, ça te dirait qu’on commande italien et qu’on
achète du vin ce soir ? Je ne sais pas pourquoi, mais j’en meurs d’envie.
Moi : Désolé. J’ai un imprévu important. On va devoir repousser.

Je laissai les roses et le vin sur la table et retournai à ma voiture. Je roulai


à vive allure en direction du quartier de la ville où j’habitais avec une
douleur terrible dans la poitrine.
Je savais qu’il y avait une raison si Penelope ne m’avait rien dit au sujet
de cette foutue lettre, et je savais aussi que lui en parler ne la pousserait pas
à prendre la bonne décision.
Je la connaissais par cœur, depuis des années, et il n’existait qu’une seule
façon de l’obliger à repartir à la conquête des vingt-huit médailles.
Chapitre 37 bis

Hayden

De nos jours…

Moi : Salut. Je viens d’apprendre que le Comité international olympique


avait modifié le règlement au sujet des médailles. Les prochains Jeux
d’hiver seront les premiers à récompenser les entraîneurs en plus des
athlètes.
Penelope : Oh, ouah. Vraiment ? Je n’étais pas du tout au courant !
Intéressant ! Est-ce qu’on dîne toujours ensemble à Wardman’s ce soir ?
Moi : Est-ce que tu veux que je t’envoie le lien par e-mail ? On dirait que
la préparation a lieu dans l’Utah, dans un centre qui ressemble à celui dans
lequel tu t’entraînais pour les championnats du monde, cet été-là.
Penelope : Non, je regarderai plus tard. Et oui, lol ! Je m’en souviens. Il
me semble que tu étais venu me voir et qu’ils t’avaient mis à la porte.
Visiteurs interdits. *emoji qui sourit*Moi : Je suis surpris que personne ne
t’ait contactée pour te proposer d’intégrer la nouvelle équipe, étant donné
que tu m’as dit que de nombreux entraîneurs de premier plan ont été exclus
dernièrement.
Penelope : Cela ne m’étonne pas. Je ne suis pas coach et je ne
m’intéresse plus trop à tout ça, tu vois ? J’ai vingt-sept médailles. Mon
rêve, c’était d’en avoir vingt-huit, mais… c’est la vie.
Penelope : Est-ce qu’on dîne toujours ensemble à Wardman’s ?
Moi : Non, Penelope. Je dois reporter.
Chapitre 38

Penelope

De nos jours…

— Admirez la maîtrise avec laquelle elle se lance dans un triple salchow


pour enchaîner avec un… Waouh ! Penelope Carter réussit un quadruple à
la place !
— Mesdames et messieurs, c’est une experte en la matière que nous
voyons à l’œuvre, une femme qui va très certainement devenir la meilleure
athlète de patinage artistique de tous les temps.
Allongée dans mon canapé, je regardais ma prestation finale à Skate
America.
Avant que ma chute ne mette un terme à tout cela.
— Je suis d’accord avec vous, Mary, intervint le troisième commentateur.
Regardez la précision de sa vrille. Je suis certaine qu’elle va remporter la
première place de ce concours et poursuivre son objectif ambitieux de
remporter vingt-huit médailles.
— Elle va bientôt attaquer l’enchaînement le plus complexe de son
programme : deux quadruples sauts et un triple Lutz. Si elle réussit, elle
sera la première patineuse solo au monde à…
J’appuyai sur pause et fixai du regard l’écran avec l’image de mon corps
figé dans les airs, les bras tendus au-dessus de ma tête tandis que le bas de
ma robe bleue à paillettes flottait en apesanteur.
À ce jour, j’étais toujours incapable de regarder la suite de
l’enregistrement.
C’était encore bien trop douloureux.
À la place, je laissai échapper un soupir et sélectionnai ma prestation aux
Jeux olympiques de Sotchi.
Au moment où j’entrai sur la glace, quelqu’un sonna à la porte.
Je me munis d’un pourboire pour le livreur, mais quand j’ouvris, ce
n’était pas mon livreur de pizza.
C’était Hayden.
— Salut, lançai-je avec un sourire.
— Salut.
— Je croyais que tu travaillais sur tes dernières lettres d’excuses ce soir.
— C’est le cas. Je voulais passer te voir avant de m’y mettre.
— Entre.
— Je ne peux pas.
Il secoua la tête, puis reprit :
— Écoute, il n’y a pas de manière facile de le dire, alors je vais être
direct. J’ai besoin de prendre du recul, Penelope.
Ses mots restèrent suspendus dans l’air pendant plusieurs secondes.
— Je ne comprends pas, répondis-je en croisant les bras. Tu as besoin de
recul ? Pourquoi ?
— C’est compliqué, soupira-t-il avant de passer une main dans ses
cheveux. Je dois bientôt faire ma déposition pour le procès contre Tinder et
ils ont balancé de nouveaux gros titres ridicules dans la presse cette après-
midi.
— Quoi qu’il en soit, je t’aiderai comme je l’ai fait avec les lettres.
— Ce n’est pas si simple.
Il leva les yeux vers moi.
— J’ai simplement besoin qu’on mette un peu de distance, Penelope.
Je le fixai du regard, complètement incrédule.
— Cela n’a pas de sens, déclarai-je en croisant de nouveau les bras.
L’autre jour, tu m’as assuré que ce n’était que le début de notre histoire. Tu
m’as aussi promis à plusieurs reprises que tu ne ferais pas tout foirer entre
nous.
— Ce n’est pas du tout ce que je suis en train de faire. Je fais ce qu’il y a
de mieux pour toi. Pour nous.
Son « ce qu’il y a de mieux pour nous » attira mon attention. C’était une
réplique tirée du manuel de contrôle de Travis ; elle ne venait pas
d’Hayden.
— Est-ce que tu as parlé de nous à mon frère ou quelque chose de ce
genre ? demandai-je.
— Pas du tout.
— Alors c’est quoi ce bordel, Hayden ? Du recul pour faire quoi ?
Il restait planté là, l’air mi-compatissant, mi-résigné, et même si tout ce
que je voulais était qu’il me prenne dans ses bras en me disant que ce n’était
qu’une mauvaise blague, je fis un pas en arrière.
Je ne parvenais pas à empêcher mon esprit de partir dans tous les sens. Et
l’explication qui me sautait aux yeux était la pire de toutes, et je refusais de
croire qu’elle pouvait être vraie.
— Qu’est-ce que tu as fait ? m’enquis-je.
— Quoi ?
— Qu’est-ce. Que. Tu. As. Fait ? répétai-je, la voix brisée. Dis-moi la
vérité parce que je ne crois pas à tes conneries de « besoin de recul ».
Il posa ses mains sur mes épaules et appuya son front contre le mien.
— Je n’ai rien fait qui pourrait te faire du mal.
— Est-ce que c’est arrivé à Vegas ?
— Penelope…
— Était-ce la nuit où tu es sorti de la chambre pour aller à la boutique de
cigares ? Ou bien peut-être ici, à New York ? Es-tu déjà lassé de coucher
avec une seule femme ?
— Non, Penelope.
Il semblait sincère, mais son explication ne collait pas et chaque question
laissée en suspens brisait un morceau de mon cœur.
— Si c’est un genre de jeu, repris-je, je n’ai pas envie de jouer.
— Il ne s’agit pas d’un jeu. Je suis franc.
— Eh bien, si j’en crois tes propres conseils, un homme dit seulement
qu’il a besoin de « recul » quand il essaye de rompre en douceur, ou quand
il a été infidèle et qu’il veut sauver sa face parce qu’il sait qu’il ne sera
jamais pardonné.
— Penelope, je ne te tromperais jamais.
— Je ne te le pardonnerais jamais si tu le faisais, mais tu pourrais au
moins avoir la décence de me dire pourquoi mon meilleur ami depuis près
de dix ans, cet homme qui m’a dit hier qu’il m’aimait et qu’il voulait que
nous construisions un futur ensemble, se tient en ce moment même sur le
pas de ma porte de manière inattendue, foutrement inattendue avec un
discours complètement différent.
— J’ai seulement besoin qu’on prenne un peu nos distances. C’est tout.
— D’accord, dans ce cas, commençons tout de suite. Ne m’appelle pas
avant d’avoir pris tout le foutu recul dont tu as besoin, et ensuite, je
réfléchirai à t’adresser de nouveau la parole.
— Penelope, je ne romps pas avec toi.
— Les pauses et la distance sont la première étape avant la rupture,
Hayden. Ça aussi, c’est toi qui me l’as appris. Ou bien est-ce que ça a
changé ?
Il laissa échapper un soupir, mais ne répondit rien.
— C’est bien ce que je pensais.
Je lui claquai la porte au nez.

***
Plus tard ce soir-là, la culpabilité prit le dessus sur mes émotions, me
fendant le cœur un peu plus à chaque seconde.
Je ne pouvais pas m’empêcher de repenser aux longues semaines par le
passé où je n’étais autorisée à lui envoyer des messages ou des e-mails que
si certaines audiences ou dépositions traînaient en longueur.
Par ailleurs, il n’avait pas dit « Séparons-nous », ni quoi que ce soit de la
sorte.
Je réagissais de façon excessive, et c’était certainement lié au fait que
l’Association de patinage artistique des États-Unis avait dû recevoir ma
lettre de refus à l’heure où je parlais.
Je n’assumais pas d’avoir dit non, et je me défoulais sur Hayden.
Je laissai échapper un soupir et descendis jusqu’à son nom dans mes
contacts. Je commençais à écrire un message quand la culpabilité se
transforma soudain en méfiance.
Quelque chose me poussa à taper son nom sur Internet pour voir de quels
« nouveaux gros titres ridicules » il parlait.
À la seconde où les résultats apparurent, je sentis le sol se dérober sous
mes pieds.

« Hayden Hunter aperçu en train de quitter le Four Seasons à quatre heures


du matin »
« Hayden Hunter et le top model Anya Sterling : couchent-ils ensemble ? »
« Le rendez-vous galant d’Hayden Hunter avec Anya Sterling hier soir »

C’est quoi ce bordel ?


Je vérifiai les dates.
Le prétendu rendez-vous avait eu lieu l’autre soir. Le soir où il m’avait
demandé de repousser notre dîner.
Même si je ne voulais pas croire les gros titres, même si mon cœur me
suppliait de l’appeler pour connaître sa version de l’histoire, les images
parlaient d’elles-mêmes.
Elles ne laissaient aucune place au doute.
La main d’Hayden était posée au creux des reins de la mannequin alors
qu’ils franchissaient les portes de l’hôtel. Les paparazzis les avaient
photographiés aux moments où ils étaient entrés et sortis, et l’affichage des
heures confirmait le temps qu’ils avaient passé à l’intérieur.
Il m’a trompée…
Chapitre 39

Penelope

De nos jours…

J’étais incapable de manger ou de dormir.


Tout ce que je pouvais faire, c’était pleurer.
Je restai enfermée dans ma chambre à regarder mes anciennes prestations,
en regrettant de ne pas pouvoir remonter le temps jusqu’au soir où Hayden
était venu me chercher à Seattle.
Si j’avais pu revenir au tout début, je l’aurais gardé à distance avec
froideur ; une distance qui n’aurait jamais dû être franchie ni réchauffée.
J’aurais dû attendre un autre Uber.
Mon cœur volait en éclats et se brisait en morceaux plus petits chaque
fois que j’actualisais mon écran et découvrais un nouvel article à propos de
Hayden et Anya. Chaque fois, je le revoyais me mentir sur le pas de ma
porte, en me regardant droit dans les yeux. Je le revoyais me promettre qu’il
changerait pour moi.
Je ne peux pas lui faire confiance.
M’empresser de le renommer « Ne pas répondre » dans mon téléphone et
de bloquer son numéro eut pour seul effet de me faire pleurer de plus belle.
Ce que je craignais le plus en sortant avec lui venait de devenir réalité :
j’avais perdu mon meilleur ami et mon petit ami au même foutu moment.

***
Après avoir passé trois jours à pleurer, j’appelai l’Association de patinage
artistique des États-Unis et suppliai que l’on me passe Deborah.
Il fallait que je me concentre sur autre chose qu’Hayden et, de toute
façon, je n’aurais jamais dû refuser cette offre.
— Oui, mademoiselle Carter ?
Elle prit la ligne au bout de quelques minutes.
— Je souhaiterais annuler ma lettre de refus. J’aimerais beaucoup
entraîner Katie Folds et être éligible pour la médaille.
— C’est bien ce que je pensais, répondit-elle avec un sourire dans la voix.
Je vais demander à notre responsable de vous réserver un vol, ainsi que de
vous trouver un logement pour les trois mois obligatoires. Désirez-vous
rejoindre le centre à la fin du mois ?
— Non, j’aimerais venir dès que possible.
— Ce week-end ou le week-end suivant ?
— Ce week-end.
Quelques minutes plus tard, un billet d’avion en première classe pour Salt
Lake City ce vendredi arriva sur ma messagerie, ainsi qu’une réservation
pour une suite dans le centre d’entraînement privé.
Je n’en parlai à personne.
J’avais bien trop mal.
Par dépit, je supprimai Cinder de mon téléphone et téléchargeai Tinder.
Puis je me fis le serment de ne plus jamais laisser Hayden me faire
souffrir.
J’aurais déjà dû m’en douter la première fois. Du moins, si j’en croyais
les souvenirs qui commençaient à me revenir.
Rupture no 16
Celui qui avait commencé la guerre froide

Penelope

À l’époque…

« Vous vivrez votre plus belle histoire d’amour avec votre meilleur ami. »
Le biscuit chinois ne m’apprend rien que je ne sache déjà.
Je suis en train de tomber amoureuse de Hayden Hunter.
À tel point que je m’invente parfois des problèmes uniquement pour
pouvoir l’appeler le soir. À tel point que je mens en disant qu’il me faut
quelque chose au supermarché en fin de journée pour que nous passions
plus de temps ensemble.
Dans mon esprit, tout est clair : il est celui avec qui je passe le plus de
temps, il s’assied au premier rang à toutes mes compétitions et il me connaît
mieux que quiconque.
Compte tenu de notre différence d’âge de six ans, je sais qu’il répondra
probablement « Hors de question, Pen », mais j’espère qu’il poursuivra
avec un « On essayera quand tu auras tes vingt-huit médailles, ou bien
quand ton frère sera enfermé dans un asile. Peu importe dans quel ordre ».
Pour moi, c’est plus d’espoir qu’il n’en faut, plus que suffisant pour que
je quitte mon petit ami pour lui. Même si je dois attendre des années.
— Montre-moi ce que tu as eu dans ton biscuit chinois, bébé.
Tim Lassing, mon petit ami « bouche-trou » du moment, me prend le petit
papier des mains.
Je sors uniquement avec lui parce qu’il me fait penser à Hayden et qu’il
use de la même conscience professionnelle pour concevoir son application
de rencontres.
Mais il n’est pas Hayden.
— Eh bien, c’est le destin, alors, s’enthousiasme Tim en lisant le mot.
Nous sommes sur la bonne voie, toi et moi.
C’est ça.
Dans la voiture, sur le chemin du retour, mon téléphone vibre et je reçois
un message.

Hayden : Désolé d’avoir manqué ton appel, tout à l’heure. Au sujet de


ton message vocal, je suis libre ce soir, vers dix-neuf heures. Je passe
déposer des choses au Cineplex pour le responsable.
Moi : D’accord, super. Je te retrouve là-bas.

***
Mon cœur bat la chamade alors que j’attends devant l’entrée du cinéma.
Habillée comme pour un rencard, je porte un haut rouge sexy et un jean
moulant, assortis de chaussures à talons couleur chair.
Quand je m’aventure à l’intérieur, j’aperçois Hayden qui serre la main du
responsable en riant.
Il commence à avancer vers moi, puis s’immobilise.
Pendant un instant, je crois qu’il m’observe avec envie, mais je balaye
cette pensée d’un revers de main en m’approchant de lui.
— Salut.
— Salut. De quoi voulais-tu me parler ?
Il sourit et mon cœur bondit dans ma poitrine.
— Je crois que je suis en train de tomber amoureuse.
— Tu veux dire, de Tim ?
Non, de toi.
— En fait, je voudrais lui avouer, mais j’ignore comment m’y prendre.
Cela pourrait tout faire foirer, parce qu’il y a beaucoup d’enjeux pour lui en
ce moment, mais j’ai le sentiment que c’est le bon.
— Le bon quoi ?
— Le bon, c’est tout.
— Hmm…
Hayden glisse quelques mèches de cheveux derrière mon oreille en me
regardant dans les yeux.
— Eh bien, dans ce cas, tu devrais lui dire la vérité, me conseille-t-il. Il
serait fou de ne pas ressentir la même chose.
— Même s’il a six ans de plus que moi ?
— Si ses intentions sont bonnes, je ne vois pas le problème, déclare-t-il
en faisant un pas en arrière. Bon, ton frère ne sera probablement pas
d’accord, alors tu devras faire profil bas pendant encore deux ans avant de
lui annoncer quoi que ce soit. Tu dois aussi t’assurer que ce garçon ne
détourne pas ton attention de ton objectif professionnel ultime. Vingt-huit
médailles, pas vrai ?
— Quand je suis avec lui, je me fiche de tous ces trucs.
— De tous ces trucs ? répéta mon ami d’un air perplexe. Tu veux dire, ce
pour quoi tu as travaillé toute ta vie ? C’est bien plus que des trucs,
Penelope.
— Je sais, mais…
— Ne laisse pas un mec te détourner de tes rêves, m’interrompit Hayden.
Aucun homme n’en vaut la peine, peu importe qui il est.
Je le fixe du regard et sens mon cœur battre à un rythme qui m’est
inconnu. J’ai les mots sur le bout de la langue.
Lance-toi. Dis : « Je t’aime, Hayden Hunter » et embrasse-le.
Maintenant.
— Penelope ?
La voix de Tim me tire de mes pensées et je me tourne vers l’autre bout
du hall.
— Salut.
Je m’écarte d’Hayden et souris à mon petit ami.
Celui-ci s’approche, et nous observe tour à tour.
— Est-ce que je dérange ?
— Non, intervint mon meilleur ami. J’étais en train de dire à Penelope
que j’avais un investisseur pour mon application. Il voudrait que je
déménage, et je suis en train d’y réfléchir.
Quoi ?
J’ai l’impression que la Terre s’est arrêtée de tourner et je lève les yeux
vers Hayden, complètement incrédule.
— Tu ne m’as pas dit ça.
— J’étais sur le point de le faire.
— Oh, s’exclame Tim. Société d’investissement ou investisseur privé ?
— Privé, du moins pour l’instant.
Mon meilleur ami sourit, puis se tourne vers moi.
— Je me suis dit qu’il était temps pour moi de faire des projets d’avenir.
De toute façon, je crois que Travis sera d’accord pour que j’arrête enfin de
m’occuper de sa petite sœur.
— Eh bien, félicitations, déclara mon petit ami. J’ai hâte de rivaliser avec
toi, plus tard.
— De même, répondit Hayden en lui serrant la main. Je suis sûr que nos
chemins se recroiseront un jour.
— Viens, Pen, j’ai acheté des billets pour The Tracy Show, déclare Tim
en passant son bras autour de mes épaules avant de m’éloigner d’Hayden.
Il me faut tous les efforts du monde pour ne pas lancer un regard par-
dessus mon épaule, pour ne pas revenir vers mon meilleur ami en courant
pour lui dire ce que je ressens, mais la blessure de ses mots persiste.
Que j’arrête enfin de m’occuper de sa petite sœur ?
Rupture no 16 bis
Celui qui avait commencé la guerre froide

Penelope

Une semaine plus tard…

— Il faut qu’on parle, déclare Tim en s’appuyant un matin contre l’évier


de ma cuisine, les yeux rouges et gonflés. Et non, tu n’auras pas un jour de
plus pour réfléchir. Je t’ai laissé une semaine entière, et tu as quand même
réussi à oublier que c’était mon anniversaire aujourd’hui.
— Je te fais livrer un gâteau d’anniversaire cette après-midi.
— Eh bien, tu peux appeler ça un gâteau de rupture, maintenant, réplique-
t-il en haussant les épaules. Ou peut-être un gâteau de « je veux coucher
avec Hayden Hunter ». Cela me semble plus approprié.
— Pour la énième fois, Hayden est seulement un ami.
— Les amis ne se regardent pas comme ça.
Il secoue la tête, puis reprend :
— La façon dont vous vous êtes regardés au cinéma la semaine dernière
et avant que nous partions camper en dit suffisamment long.
— Je crois que tu interprètes mal.
— Je sais que non.
Il se dirige vers son sac de couchage posé dans un coin et passe la
bandoulière par-dessus son épaule.
— Ce n’est plus possible, Penelope. Je suis désolé.
— Tim, il n’y a rien entre Hayden et moi, lui assuré-je d’une voix brisée.
Nous ne sommes vraiment que des amis.
— Es-tu toujours aussi émotive quand tu parles de tes amis ? réplique
Tim en enfilant sa veste. Mieux encore, s’il ne quittait pas soudainement la
ville presque sans prévenir, en aurais-tu seulement quelque chose à faire
que je te quitte ?
Un silence.
— C’est bien ce que je pensais.
Il traverse la cuisine et claque la porte derrière lui.
J’attends qu’il soit parti, puis appelle un Uber pour me rendre chez
Hayden.
Même s’il me repousse, cela vaut la peine d’essayer.

***
En arrivant, je me retrouve face à un panneau « À vendre » posé sur
l’herbe.
Un papier jaune vif est également accroché à sa porte.

Prière de déposer tous mes colis chez ma voisine.


Elle connaît ma nouvelle adresse.
Merci.
Si besoin, vous pouvez me joindre au 555-8756.

C’est quoi ce bordel ?


Il s’agit d’un nouveau numéro de téléphone, et je me demande si, par «
nouvelle adresse », il compte me surprendre plus tard en me montrant
l’annonce de sa maison.
Mais où est-ce qu’il vit en attendant ?
— Tu cherches ton ami, ma chérie ? demande sa voisine aux cheveux
roux depuis le pas de sa porte.
— Oui. Est-ce que vous pouvez me dire où il est allé ?
— Il est dans le ciel à présent, je suppose.
— Dans le ciel ?
— Il est parti à New York. Son avion décolle cette après-midi. Tu as une
lettre d’amour à me donner pour que je la lui envoie ? propose-t-elle en
souriant. Je suis sûre qu’il trouvera cela vraiment adorable.
Je me rue vers le Uber et ouvre précipitamment la porte de derrière.
— Pouvez-vous me conduire à l’aéroport, s’il vous plaît ?

***
Une demi-heure plus tard, je me fraye un chemin à travers la foule de
l’aéroport international de Seattle, à la recherche d’Hayden.
Deux portes d’embarquement plus tard, je l’aperçois assis dans un
Starbucks.
— Hayden…
Je me plante devant lui.
— Bon sang, Hayden, qu’est-ce que tu fais ?
— Je vais à New York. Je t’ai dit que je partais.
— Non, tu as dit que tu y réfléchissais. En principe, tu m’appelles pour
me parler des décisions importantes avant de te précipiter, parce qu’elles
ont aussi un impact sur moi.
Il m’observe avec le regard vide, comme si je parlais une langue
étrangère.
— Alors tu t’en vas, comme ça ? demandé-je d’une voix brisée. Quand
comptais-tu me le dire ?
— Je n’en avais pas l’intention.
— Pourquoi ?
— Tu n’avais pas besoin de le savoir. Il s’agit de ma vie.
— Quoi ? m’écrié-je en le poussant d’une main sur le torse. Il s’agit aussi
de ma vie. Tu es mon meilleur ami.
— Nous serons toujours amis, Penelope.
Son regard est froid et le ton de sa voix, monocorde. Il n’a plus rien de
l’homme avec qui je discutais au cinéma l’autre jour ; plus rien de l’homme
qui est devenu mon principal soutien.
— Pourquoi est-ce que tu te comportes comme ça avec moi, Hayden ?
demandé-je en sentant les larmes me picoter les yeux. Pourquoi est-ce que
tu m’abandonnes ?
— Je ne me comporte d’aucune façon en particulier avec toi, s’agace-t-il
en me saisissant par les poignets pour me maintenir immobile. J’ai du retard
sur mon application, et je suis à court d’argent et d’investisseurs qui veulent
bien m’aider à l’améliorer. Je suis dans l’impasse.
— À tel point que tu es incapable d’en discuter avec moi ? répliqué-je en
sentant mon cœur se serrer. Dis-moi la vérité, Hayden.
— Je dois partir pour travailler sur mon application, persiste-t-il. Il n’y a
rien à dire de plus.
— As-tu l’intention de revenir ?
— Je ne vois pas ce qui m’y oblige.
Il hausse les épaules, puis ajoute :
— Tu t’en sors très bien toute seule, maintenant. Je continuerai de
t’appeler et de t’envoyer des messages, bien sûr.
— Bien sûr.
Des larmes coulent sur mes joues.
— Tu te comportes comme un enfoiré, Hayden.
— Je te demande pardon ?
— Tu disais que tu serais toujours là pour moi.
— Je le serai toujours.
— Dans ce cas, t’excuser pour m’avoir prise de court avec ton départ
serait un bon début.
— Les excuses ne changent rien, Pen. Elles ne font que confirmer ce que
l’on sait déjà.
— D’accord, soufflé-je avec dédain en reculant d’un pas. Eh bien, je te
confirme que tu peux aller te faire foutre. Va bien te faire foutre.
— Penelope, ne le prends pas comme ça.
— Toi et Travis êtes les enfoirés les plus égoïstes sur Terre. Vous ne
pensez qu’à vous-mêmes.
— Pen…
— J’espère que tu vas te planter, craché-je sans en penser un mot.
J’espère que tu vas faire faillite et que tu ne te feras aucun ami, car tu ne
mérites pas d’en avoir, bordel.
Il ne montre toujours pas la moindre émotion humaine et je ne peux pas
supporter de l’avoir en face de moi une seconde de plus. J’arrache la chaîne
en argent qu’il m’a offerte à Sotchi, celle que je porte tous les jours depuis
qu’il me l’a donnée, et la lui jette au visage.
— Je ne veux plus jamais entendre parler de toi.
Je tourne les talons sans ajouter un mot et laisse les larmes couler sur mes
joues.
C’est douloureux de savoir que mon amour pour lui n’est pas réciproque,
mais au fond de moi, je sais qu’il en sera toujours ainsi. Mieux vaut lever
l’ancre et couper la chaîne pour voguer vers d’autres horizons où l’on
voudra de moi.
Je sais qu’il n’a jamais été mon petit ami, mais « rompre » avec lui est
plus douloureux que toutes mes autres ruptures réunies.
Rupture no 16 ter
Celui qui avait commencé la guerre froide

Penelope

Plusieurs mois plus tard…


Chicago, dans l’Illinois

Mis à part des « Comment vas-tu ? », « Joyeux anniversaire » ou « Bravo


pour t’être encore classée numéro un » transmis par mon frère, Hayden ne
me contacte jamais.
Il ne m’envoie pas de message.
Il ne m’appelle pas.
Il mène sa nouvelle vie à New York comme si je n’avais jamais existé, et
je fais de même. Au début, c’était dur de ne pas le voir dans les gradins
assister à mes prestations, et encore plus difficile de résister à l’envie de
l’appeler le soir pour lui parler.
Certains jours, tout ce que je veux, c’est entendre sa voix, mais je refuse
de faire le premier pas et de mettre un terme à une guerre froide qu’il a
commencé sans aucune foutue raison.
Pourquoi diable m’abandonnerait-il de cette façon ?
— Tu as patiné comme un canard bourré pendant tout l’échauffement.
Mon entraîneur apparaît devant moi et me tire de mes pensées.
— Est-ce que tu as envie de gagner, aujourd’hui ?
— Oui, répondis-je en le fusillant du regard. Je veux gagner.
— Dans ce cas, ça t’embêterait de le montrer quand tu es sur la glace ?
s’agace-t-il en désignant la patinoire du doigt. C’est ton tour, bordel.
Merde.
Je prends une grande inspiration et me force à sourire.
— Hé, intervient mon entraîneur en me prenant doucement le bras. Sers-
toi des mêmes pensées que la fois où je t’ai provoquée avec Frankie, et
toutes les autres filles qui sont ici seront rayées de la carte.
J’acquiesce d’un hochement de tête et avance jusqu’au centre de la piste.
Je ferme les yeux et attends que la musique se lance. Je me suis déjà
servie d’Hayden comme muse, et je n’ai pas d’autre choix que de
recommencer.
Peu importe mes efforts pour essayer de le sortir de mes pensées, quand
je ferme les yeux, je ne vois que lui.
Alors que je commence mon programme, je perçois une nouveauté sur la
bande-son : les cris et les acclamations de la foule sont plus forts que
d’habitude.
Tandis que je rêve qu’Hayden revienne pour s’excuser, ou qu’il soit dans
les gradins et me dise qu’il m’aime, je m’élance pour le saut le plus difficile
de mon programme, un quadruple Lutz, et réussis haut la main. Je réalise un
triple salchow et ajoute plusieurs quadruples Lutz consécutifs, juste pour le
plaisir.
Je m’élance pour une triple boucle piquée, puis enchaîne avec le reste de
mon programme. Je réussis parfaitement chaque vrille, chaque tour sur moi-
même, et alors que je tente mon quatrième quadruple saut de la soirée, j’ai
l’impression de voler. Et l’espace de quelques secondes, plus rien ne peut
m’atteindre.
Mais alors que je termine ma dernière figure, ma lame n’atterrit pas sur la
glace comme elle le devrait.
Et tout à coup, je ne vole plus.
Je m’écrase…
Chapitre 40

Hayden

De nos jours…

Penelope : VA TE FAIRE FOUTRE. C’est terminé entre nous.


Penelope : Ne m’appelle plus jamais.
Penelope : JE romps avec TOI, puisque tu n’as pas eu les couilles d’être
honnête et d’assumer ce dont tu es responsable à cent pour cent.

Bon, d’accord, j’ai peut-être pris la mauvaise décision.


J’avais l’impression qu’on avait mis le feu à ma poitrine, et quelque
chose n’arrêtait pas de mouiller mon oreiller toutes les nuits.
— Taylor ! appelai-je ma femme de chambre.
— Oui, monsieur Hunter ?
— Il a plu dans la chambre hier soir, n’est-ce pas ?
— Non, monsieur, répondit-elle d’un air perplexe. En général, il ne pleut
pas à l’intérieur.
— Il y a un début à tout, répliquai-je avant d’attraper l’oreiller et de le lui
lancer doucement. Pouvez-vous l’emmener à la laverie ? Je crois qu’il y a
eu de la pluie dessus.
— Vous pleuriez, monsieur.
— Donc, nous sommes d’accord sur le fait qu’il pleuvait.
Je saisis mon téléphone et elle leva les yeux au ciel. J’attendis que la
porte se referme pour faire défiler l’écran jusqu’au nom de Penelope.
Je fus tenté de l’appeler, mais je me retins.
Comme je la connaissais par cœur, je savais pertinemment qu’il était
inutile d’essayer de discuter. À un moment ou un autre ce jour-là, elle se
mettrait à m’appeler pour me laisser des messages vocaux remplis de
colère.
Malgré toutes les leçons que je lui avais apprises au fil des années, elle
avait toujours du mal à maîtriser celle-ci en particulier.
Avant que j’aie eu le temps de réfléchir à une meilleure option, on sonna
à la porte.
— J’arrive, Taylor, grognai-je en devinant qu’elle s’était encore enfermée
dehors.
J’ouvris la porte et me trouvai nez à nez avec Travis au lieu de ma femme
de chambre.
— Merde, lâcha-t-il. T’as vraiment une sale tête.
— Merci, Travis. Il n’y a pas si longtemps, toi aussi tu avais une sale tête.
— De rien. Qui est mort ?
— Personne.
Je le fis entrer.
— Je t’ai pris pour ma femme de chambre, expliquai-je.
— Oh. Je viens de la croiser dans l’ascenseur.
Il posa ses mains sur mes épaules, puis reprit :
— Sérieusement. Qui est mort ? Dis-le-moi.
— Personne. J’ai rompu avec la femme avec qui je sortais.
— Comme c’est surprenant.
Il rit, mais je ne me joignis pas à lui comme je le faisais d’ordinaire. Il lui
fallut un moment pour se rendre compte que la situation n’avait rien de
drôle.
— Bordel, est-ce que tu as pleuré ? demanda-t-il.
— Non. Je suis allergique aux nouveaux produits d’entretien que Taylor
utilise, c’est tout.
— Tu veux en parler ?
Pas avec toi.
— Pas vraiment.
J’avançai jusqu’à l’armoire à liqueur et en sortis une bouteille de vodka.
Il fallait que je change de sujet. Rapidement.
— Est-ce que ton agent travaille déjà sur une nouvelle date pour la
trilogie ? m’enquis-je.
— Quand on aura eu les résultats des tests antidopage, répondit Travis en
s’appuyant contre le bar. Tu me fais peur, mec. Je n’ai pas l’habitude que tu
montres la moindre émotion en ce qui concerne les mannequins du genre
d’Anya Sterling.
— Anya Sterling ?
— Oui. C’est avec elle que tu as rompu, pas vrai ?
— Bien sûr.
Je n’avais aucune envie de le corriger. La dernière fois que j’avais vu
Anya, c’était la semaine précédente, je ne savais plus quand exactement.
Elle était sortie en titubant d’un foutu taxi et était à deux doigts de se
couvrir de ridicule. Je l’avais aidée à rejoindre sa suite et avais attendu dans
le hall jusqu’à l’arrivée de son agent.
— Sans déconner, Penelope et toi n’avez vraiment pas de bol avec le sexe
opposé, soupira-t-il en secouant la tête. J’ai à peine réussi à lui parler hier.
Elle sanglotait à chaudes larmes à cause de son dernier mec. Pour un type
qui était censé être bien pour elle, on repassera, pas vrai ?
Quoi ?
Je sentis la culpabilité me tirailler la poitrine.
— Qu’est-ce qu’elle t’a dit à propos de lui ?
— Je ne me rappelle plus, répondit Travis en haussant les épaules. Elle
pleurait tellement que je n’ai rien compris.
— Est-ce que tu pourrais essayer de t’en souvenir, s’il te plaît ?
— Pourquoi ?
Il tapota le comptoir du bout des doigts.
— Tu ne devrais pas déjà être au courant de tout ça ? s’impatienta-t-il.
Elle t’en a sûrement dit plus qu’à moi.
— C’est comme ça que ça se passe, en général…
— Oui. Est-ce que vous êtes en froid tous les deux ou quelque chose de
genre ?
— Ce n’était pas mon intention.
— Quand est-ce que tu lui as parlé pour la dernière fois ?
— J’ai l’impression que ça fait une éternité.
— Et quel est le véritable nom de ton ex-petite amie ?
— Pen… commençai-je avant de me rattraper de justesse. Tu ne la
connais pas.
— Oh, je crois bien que si, insista-t-il en plissant les yeux. Elle s’appelle
Penelope, pas vrai ?
Je ne répondis pas. Je ne réagis pas. On était bien loin de la façon dont je
voulais que cette scène se déroule, mais le film passait déjà au dernier plan.
— Tu couches avec ma sœur dans mon dos ?
— Non, je sors avec ta sœur dans ton dos, rectifiai-je. Rien à voir.
— Est-ce que tu « sortais » avec elle quand nous étions à Vegas ? Quand
une autre femme criait ton nom dans ta chambre d’hôtel quelques heures
avant mon combat ?
— Il n’y avait pas d’autre femme, répondis-je d’un ton impassible. Il n’y
avait que Penelope.
— Alors maintenant, tu me mens ?
— Travis…
Je n’avais pas de temps pour ça.
— On va devoir régler ça un autre jour, repris-je. Je traverse un moment
difficile et ne le prends pas mal, mais ce n’est pas avec toi que j’ai envie
d’en parler.
— Quand est-ce que tu avais l’intention de me demander si tu pouvais
sortir avec ma sœur ?
— Je ne comptais rien te demander du tout. J’avais l’intention de te
l’annoncer d’ici quelques semaines, et tu aurais fait avec.
— Fait avec ? répéta-t-il en m’adressant un regard noir. Est-ce que j’ai
bien entendu ?
— Il n’y a pas d’écho dans cette pièce.
— Alors, quand est-ce que tu as commencé à la manipuler pour parvenir
à tes fins ?
Son visage vira au rouge.
— Attends, qu’est-ce que tu dis ? m’écriai-je.
— Elle était foutrement mineure quand j’ai…
Il secoua la tête.
— Est-ce que tu as couché avec Penelope quand je t’ai laissé avec elle à
Seattle ? siffla-t-il entre ses dents.
Tu as officiellement pété les plombs.
Je haussai les épaules.
— On pourrait reprendre cette conversation quand tu n’auras plus cette
expression meurtrière sur le visage ? Comme des adultes, de préférence ?
— Tout à fait.
Il frappa d’abord mon arcade sourcilière de son poing gauche.
Puis du droit.
Pris par surprise, je vacillai en arrière et me rattrapai au comptoir.
— Discutons encore un peu, tu veux ? cracha-t-il avec fureur. Dis-moi
autre chose.
Il ne m’en laissa pas le temps. Il ouvrit l’un des placards de la cuisine et
le referma sur mon visage.
Il me cogna avec la porte encore et encore jusqu’à ce que je m’effondre
sur le sol.
Ensuite, il se pencha sur moi et me passa à tabac plus fort qu’aucun de
ses adversaires.
Aucun arbitre ne vint à mon secours.
Chapitre 40 bis

Hayden

Soixante-douze heures après la rupture…

Mon sang coulait sur le sol en marbre et ma boîte vocale me tourmentait


en passant en boucle le message de Penelope.
Je tentai d’ouvrir un peu plus les yeux, mais en vain.
Au cours des quelques heures qui avaient précédé, j’avais réussi à
assembler quelques pièces du puzzle – bien que très peu, étant donné que
j’étais à peu près sûr que j’avais une fracture du crâne.
Premièrement, mon premier et ancien meilleur ami me prenait pour un
pédophile.
Deuxièmement, ma meilleure amie, bien plus importante, était
convaincue que je l’avais trompée avec un top model.
Troisièmement, ma putain de messagerie vocale avait officiellement
disjoncté et ce serait la première chose que je ferais détruire quand
Lawrence ou Sarah viendraient me chercher.
— Je te déteste, Hayden Hunter.
La voix de Penelope retentit de nouveau par les haut-parleurs.
— Je. Te. Déteste. Je souhaite que ta queue tombe et que tu perdes
chaque centime de ton compte en banque. Ce sont les seules choses qui ont
jamais compté pour toi, de toute façon.
Bip !
Bordel de merde.
Chapitre 41

Hayden

De nos jours…

— Je croyais vous avoir demandé de me laisser mourir ici, maugréai-je


en regardant Sarah qui ajustait les bandages autour de mes jambes.
— C’était mon intention, mais j’ai vu que je n’étais pas sur votre
testament, alors je n’ai aucun intérêt à ce que vous mouriez.
Elle versa de l’eau dans un verre et le posa à côté de moi.
— Mais si vous aviez demandé à Lawrence, il ne se serait sûrement pas
fait prier, ajouta-t-elle.
— Quel jour sommes-nous ?
— Le jour de la convalescence.
— Quel jour de la semaine, Sarah ?
— Le jour de la convalescence, répéta-t-elle en souriant. Ils viennent de
l’ajouter.
— D’accord. Dans ce cas, depuis combien de jours est-ce que je suis dans
cet état ?
— Beaucoup.
Bon, et puis merde.
— Où est mon téléphone ? tentai-je. Il faut que j’appelle…
— Penelope ? m’interrompit Sarah en secouant la tête. Elle ne vous
répondra pas.
— Pouvez-vous me donner mon téléphone pour que je puisse en juger par
moi-même ?
— Je vous le donnerai en entier quand vous serez de nouveau sur pied.
Elle sortit l’objet de sa poche, retira la batterie, puis me le lança.
— Sarah, donnez-moi l’intégralité de mon téléphone.
Elle prit la télécommande et alluma la télévision. Ensuite, elle quitta la
pièce.
J’essayai de me lever, mais j’en étais incapable. Mes jambes étaient
encore trop engourdies.
— Sarah ! appelai-je.
Mais il n’y eut pas de réponse. Avant que je puisse faire une autre
tentative, l’émission « Dans les coulisses : en route vers les Jeux
olympiques » apparut à l’écran.
Il y eut un plan panoramique du complexe sportif de l’Utah, suivi
d’images de l’intérieur du centre, puis la caméra se fixa sur Penelope.
En la voyant, je tentai de me redresser malgré la douleur. Elle portait un
coupe-vent rouge vif où on pouvait lire « Team USA », elle avait relevé ses
cheveux en un chignon décoiffé et son teint était éclatant.
— C’est un honneur d’être ici, déclara-t-elle en s’adressant à un
journaliste en costume. Faire partie de ce monde m’a vraiment manqué et
j’espère aider l’incroyable Katie Folds à réaliser ses meilleures
performances quand les Jeux commenceront.
— Eh bien, vous nous avez plus que manqué, répondit le journaliste en
souriant. Plusieurs années se sont écoulées et nous n’avons encore vu
personne égaler la « Plume de glace » dans ce sport. Vous étiez unique en
votre genre. Vraiment.
Elle esquissa un sourire, mal à l’aise, et je devinai la douleur discrète
dans son regard.
Tandis que l’homme couvrait les exploits de Penelope de louanges,
plusieurs temps forts de sa carrière commencèrent à défiler sur l’écran.
La dernière vidéo, où on la voyait réaliser quatre quadruples Lutz
d’affilée en Italie et lever les poings en l’air, se fondit sur des images de ce
qui s’était passé une fois la musique arrêtée : elle, courant vers moi avec des
larmes de joie.
« J’ai réussi, Hayden ! J’ai réussi ! »
Avec une douleur insoutenable, je parvins à me lever du lit au bout d’une
heure. Je me dirigeai vers la cuisine pour récupérer mon autre téléphone et
affréter un jet afin d’aller la rejoindre.
Mais mes jambes cédèrent sous mon poids et tout devint noir.
Merde.
Chapitre 42

Penelope

De nos jours…
Salt Lake City, dans l’Utah

Le bruit des patins à glace fendant la glace ne m’avait jamais semblé


aussi pénible et désagréable. À la seconde où j’avais mis le pied dans le
stade, je ne m’étais pas sentie à ma place.
Comme si je ne faisais plus partie de ce monde.
Toutes mes journées se fondaient en un mélange d’entraînements
ininterrompus, d’apparitions médiatiques et de questions incessantes au
sujet de ma chute à l’époque.
Mes émotions jouaient toujours une symphonie désynchronisée de
tristesse, et pour une raison que j’ignorais, je n’arrivais pas à m’impliquer
totalement dans le coaching.
Katie Folds était en tous points extraordinaire et elle n’avait nullement
besoin de mes conseils. Ma présence n’était qu’une simple formalité.
Je sirotai une gorgée de café en soupirant et lui indiquai qu’il était temps
de faire une pause.
— Vingt minutes !
Elle acquiesça d’un hochement de tête et patina jusqu’à moi.
— Sache que je regardais tout le temps tes prestations quand j’étais plus
jeune, me confia-t-elle. J’ai gardé toutes les cassettes de tes compétitions
pour m’en inspirer. Enfin, les tiennes, et celles de ta mère. Vous êtes mes
athlètes préférées de tous les temps.
— Je suis très touchée, Katie. Merci.
— Est-ce que tu veux quelque chose à la supérette ?
— Une limonade.
— De rien.
Elle m’adressa un signe de tête et prit un sac sur son épaule.
J’attendis qu’elle soit partie avant de m’asseoir et de laisser de nouveau
libre cours à mes émotions.
J’avais cru pouvoir battre mon record de six heures sans penser à Hayden,
mais en vain. Il envahissait mes rêveries, prenait d’assaut toutes mes
pensées, et je devais régulièrement résister à l’envie irrépressible de
décrocher mon téléphone pour l’appeler.
Ma rupture avec lui était de loin la plus difficile que j’aie jamais vécu, et
je détestais devoir la gérer toute seule.
Sans mon meilleur ami.
— Ça aurait été sympa de me dire au revoir, tu sais, déclara Tatiana qui
venait soudainement d’apparaître devant moi. En fait, je me serais même
contentée d’un message disant « J’ai changé d’avis et je pars entraîner Katie
Folds ». Comme ça, ça ne m’aurait pas démangé de signaler ta disparition
lorsque je suis revenue à New York après avoir donné quelques cours.
Les larmes me piquèrent les yeux alors que je levais le regard vers elle.
— Qu’est-ce que tu fais ici ?
— Non, non, non, protesta-t-elle. La personne qui a pris un billet d’avion
sans payer sa part du loyer n’est pas en droit de m’interroger. La vraie
question est : pourquoi est-ce que tu pleures ?
Je ne répondis rien.
— Les meilleures ennemies se parlent entre elles, Penelope, insista-t-elle.
Elles se disent des choses.
— Hayden a rompu avec moi.
Elle écarquilla les yeux.
— Quoi ?
— Il voulait prendre du recul sur notre relation, et il a couché avec une
autre.
Les larmes coulaient le long de mon visage.
Mon amie pencha légèrement la tête sur le côté.
— Comment est-ce que tu as appris qu’il t’avait trompée ?
— J’ai perdu mon petit ami et mon meilleur ami d’un seul coup.
Je n’avais pas envie de parler de son infidélité pour l’instant.
— J’ai réagi à chaud, j’ai pris mes affaires et je suis partie, poursuivis-je.
Je suis désolée de ne pas avoir appelé ou envoyé de message… Je ne savais
pas quoi dire. Et maintenant, je suis ici et je ne me sens pas à ma place. Je
veux dire, c’est ce que je désire par-dessus tout, mais ce n’est pas le bon
moment, tu vois ? Et j’ai le sentiment que la seule personne avec qui j’ai
envie de partager cette expérience n’est pas là pour s’en réjouir avec moi.
Tatiana s’assit à côté de moi sur le banc et passa ses bras autour de mes
épaules.
Je sanglotais si fort que ma poitrine et mon estomac me faisaient encore
plus mal que la veille.
— Je vais vomir, déclarai-je en me précipitant vers les toilettes.
Elle me rattrapa et me retint les cheveux en arrière juste à temps.
— Attends, je vais chercher du papier. Beurk ! s’écria-t-elle avec dégoût.
Quelqu’un a aussi vomi dans ces toilettes. Je ne sais pas ce qu’ils vous
servent à manger ici, mais ne t’avise pas de m’en proposer.
— Désolée, j’ai oublié de tirer la chasse d’eau il y a une heure. Je suis
tellement bouleversée. Je pleure tous les jours.
— Est-ce que tu as aussi vomi comme ça tous les jours ?
— Oui, répondis-je en prenant le papier toilette qu’elle me tendait. C’est
la première fois que je suis dans cet état après une rupture. C’est tellement
horrible que je ne crois pas que j’arriverai un jour à tourner la page.
— Tu m’étonnes.
Elle s’appuya contre le mur, puis ajouta :
— Mais je ne pense pas que tous ces symptômes soient dus à votre
rupture.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Je crois qu’il te faut un test de grossesse…
Chapitre 43

Penelope

De nos jours…

Travis : Puisque tu as décidé de filtrer mes appels, sache que je suis à


Salt Lake City. Retrouve-moi pour le déjeuner. Tout de suite.
Moi : Où ? Et de quoi veux-tu parler ?
Travis : Chez Anita, au quarante-trois sur Woodland Avenue.
Travis : Tu sais foutrement bien de quoi je veux parler.

Je pénétrai à l’intérieur du café et retirai mon chapeau, puis je


m’immobilisai en voyant que tous les rideaux de la pièce avaient été tirés.
Les tables étaient intactes et dépourvues de couverts, et une femme brune
attendait seule derrière le comptoir d’accueil.
— Bonjour, mademoiselle Carter. Merci d’avoir choisi de déjeuner Chez
Anita. Puis-je vous conduire jusqu’à votre table ?
— Bien sûr.
Je la suivis jusqu’à une banquette au fond de la salle.
Au fil des années, j’avais appris à connaître le rituel de la « table » sur le
bout des doigts.
Chaque fois que Travis voulait me réprimander au sujet de quelque chose,
il était hors de question que nous nous retrouvions dans un lieu public, alors
il faisait en sorte de donner l’impression d’avoir envisagé cette option.
C’était de cette façon qu’il avait toujours joué son rôle de grand frère, et
je n’avais pas d’autre choix que de m’y soumettre.
C’était ça, ou rien.
Je parcourus le menu plastifié de couleur rose et commandai des
pancakes avec un café. Puis, réglé comme du papier à musique, Travis entra
seul dans le restaurant.
Il tendit une liasse de billets au manager, puis se dirigea vers moi.
— Bonjour, Crown.
En retirant sa veste, il m’adressa un regard noir.
— Comment vas-tu en ce charmant samedi ? demanda-t-il.
— Tu n’as jamais été doué pour échanger des banalités, Travis. S’il te
plaît, n’essaye pas de t’y mettre maintenant.
— Que puis-je vous servir, monsieur Carter ? s’enquit la serveuse qui se
présenta devant nous en déposant deux cafés.
— Je prendrai ce dont j’ai parlé au téléphone avec votre responsable,
répondit mon frère sans me lâcher du regard. Rien de plus, rien de moins.
— Oui, monsieur.
Elle s’éloigna.
— J’ai vraiment envie de savoir comment tu te sens, aujourd’hui, reprit-
il. Es-tu d’humeur à me cacher d’autres choses concernant Hayden, ou
plutôt à cracher le morceau ?
— Viens-en au fait, Travis, rétorquai-je en levant les yeux au ciel. Tu n’es
pas obligé de me traiter comme une enfant.
— Comme tu voudras. Qu’est-ce qui t’est passé par la tête, bordel ?
— Tout d’abord…
— Je vais te le dire, me coupa-t-il. Rien du tout. Parce que l’idée
qu’Hayden soit un partenaire convenable n’aurait jamais dû te traverser
l’esprit. Tu sais comment il se comporte avec les femmes, et tu es aux
premières loges depuis des années. As-tu sincèrement cru qu’il changerait
de personnalité pour toi ?
Je ne répondis pas.
— Je suis plus que déçu par ton attitude. Je t’ai mieux élevée que ça.
— Tu n’es pas papa, Travis.
— Et heureusement.
Il but une gorgée de café, puis reprit :
— Il ne serait pas aussi calme que moi s’il était là. Et il ne serait
foutrement pas d’accord pour que tu sortes avec Hayden. Tu peux me
croire.
Je serrai les dents tandis que la serveuse revenait à notre table.
— Voilà pour vous, déclara-t-elle en apportant bien plus que ce que
j’avais commandé.
Cela faisait partie des démonstrations de force de Travis.
Il attendit qu’elle parte avant de reprendre la parole :
— C’est une bonne chose que vous ayez rompu avant que la situation ne
dégénère ou que tu tombes enceinte.
— Je suis enceinte.
— Ne te fous pas de moi.
— De huit semaines. Et oui, le bébé est de lui.
Mon frère prit une lente et profonde inspiration.
— Penelope…
Il n’alla pas au bout de sa phrase.
À la place, il saisit son couteau et coupa lentement sa pile de pancakes
avec une telle précision que j’en eus la chair de poule. La peur qu’il avait
instillée en moi au fil des années était toujours présente.
— Quoi qu’il t’ait promis quand vous sortiez ensemble dans mon dos, ce
sont des mensonges, déclara-t-il. Cela étant dit, je ne pense pas qu’il
abandonnerait son propre enfant. Compte tenu de son passé, il ne se
permettrait pas d’être un père aux abonnés absents.
— Je le sais.
— Sache aussi que je lui ai parlé pour lui faire comprendre qu’il n’aurait
jamais dû te toucher. Mis à part un planning de garde partagée, tu n’as pas
d’avenir avec lui. Je ne le permettrai pas.
— Tu ne le permettras pas ?
— Tu m’as très bien entendu, rétorqua-t-il en me fusillant du regard. Il
sera là pour ton enfant, bien sûr, mais ça s’arrêtera là. Tu aurais dû
m’écouter attentivement, il y a des années. Je suis le seul qui sera toujours
là pour toi. Tu es tout ce que j’ai, et inversement.
L’entendre réécrire l’histoire de façon aussi éhontée et le voir raconter ses
conneries tout en gardant son sérieux me faisait bouillir de rage.
— En parlant d’être là pour toi… commença-t-il avant de sortir une
enveloppe de sa veste, puis de la glisser dans mon sac. J’ai ouvert ce
compte bancaire à ton nom quand j’ai commencé le MMA, et j’avais
l’intention de te le remettre l’année prochaine. Mais de toute évidence, tu en
auras besoin avant. Au fait, ne sois pas surprise si Hayden refuse de
reconnaître l’enfant pendant un temps.
— Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ?
— Exactement ce que je viens de t’expliquer. Je serai là pour toi sur le
long terme, puisqu’il en est incapable.
— Tu veux savoir qui était réellement là pour moi quand j’avais besoin
de lui ? répliquai-je, la voix brisée. Qui est venu à chaque putain de
compétition, même quand je lui disais qu’il n’y était pas obligé, car comme
toi, il essayait d’accomplir ses foutus rêves ?
Mon frère fronça les sourcils.
— Hayden, Travis. Hayden était là, et tu étais absent. Alors épargne-moi
ton numéro à la con du héros sur son cheval blanc, parce que je n’ai jamais
eu besoin que tu viennes me sauver.
— Penelope…
— Tu es tellement imbu de toi-même que tu ne t’en rends même pas
compte, l’interrompis-je en me levant. Mais, tu sais quoi ? Tu as toujours
été doué pour m’ignorer plusieurs mois d’affilée. Rends-moi service,
continue comme ça jusqu’à la fin de l’année.
— Quoi ?
— « Je serai au premier rang à ta prochaine compétition. Enfin, peut-être
», poursuivis-je. Je me souviens comme si c’était hier cette phrase que tu
m’as balancée quand tu m’as abandonnée.
— Rassieds-toi, Crown. Je n’ai pas fini de parler.
— Et moi, j’en ai assez entendu.
Je quittai le restaurant sans ajouter un mot, et sans rien lui dire de ce que
je comptais faire.
J’avais un avion à prendre.
Chapitre 44

Hayden

De nos jours…

Pilote Nav : Je ne peux pas vous emmener dans l’Utah tant qu’un
médecin ne vous a pas donné le feu vert, monsieur.
Pilote Joel : Vous m’avez posé la question vingt fois aujourd’hui,
monsieur. Il vous faut l’autorisation de votre médecin.
Docteur Murray : J’ai appelé tous les aéroports privés et les syndicats
de pilotes, et j’ai signalé aux compagnies aériennes que vous comportiez un
risque pour la sécurité. Vous avez encore deux semaines de convalescence,
monsieur Hunter. Soyez patient.

Et puis merde, je me rendrai dans l’Utah en voiture.


J’étais en pilote automatique, au volant d’une vie dont je ne voulais pas,
puisque Penelope n’en faisait pas partie.
Je l’avais appelée plusieurs fois par jour, lui avais envoyé un nombre
incalculable de messages, et j’avais même fait livrer des fleurs et des lettres
d’excuses directement au centre d’entraînement, mais elles m’avaient toutes
été renvoyées.
Elle retournait mon propre conseil de rupture contre moi (« Ignore
l’enfoiré jusqu’à ce qu’il ait compris le message ») et cela me faisait un mal
de chien.
— Votre Honneur, monsieur Hunter n’a fait que regarder son téléphone et
marmonner dans sa barbe depuis le début de cette audience.
La voix stridente de la nouvelle avocate de Tinder me tira de mes
pensées.
Je relevai la tête et m’aperçus que j’étais arrivé, je ne sais comment, dans
une salle de conférence dont on avait convenu, et que je me trouvais au
milieu d’une quarantaine de personnes divisées entre les deux parties de ce
procès ennuyeux.
— De plus, il s’est présenté devant le tribunal avec un foutu cache-œil,
geignit-elle. Il n’est pas prêt à prendre cette affaire au sérieux et il nous fait
perdre notre temps.
— J’ai eu un accident, soupirai-je en retirant le cache-œil. Je suis prêt à
répondre à toutes vos petites questions ridicules.
— Vous voulez dire, les questions auxquelles la loi vous oblige à
répondre ?
— Elles n’en sont pas moins stupides.
— Monsieur Hunter, me réprimanda le juge. Veuillez nous accorder toute
votre attention et cessez de regarder votre téléphone.
J’actualisai l’écran une dernière fois avant de le ranger dans ma poche.
— Merci, déclara l’avocate avant de prendre un papier. Savez-vous pour
quelle raison nous sommes là aujourd’hui ?
— Pour tenter de m’extorquer toujours plus d’argent, répondis-je en
souriant même si mes joues me faisaient toujours souffrir. Ou peut-être est-
ce parce que vous essayez de faire comme si je n’étais pas dix fois meilleur
que votre client assis là-bas pour développer des applications.
Tim me lança un regard noir et le juge me fit de nouveau une
remontrance.
— Oui, je sais pourquoi nous sommes ici, déclarai-je en changeant de
ton. Je suis ici pour débattre des similitudes entre Cinder et Tinder dans le
cadre du procès numéro cinquante-sept qui oppose nos deux entreprises.
— Quatre-vingt-sept, toussa Lawrence.
— Bien, dit l’avocate.
Elle fit glisser un dossier vers moi, mais je ne l’ouvris pas.
À la place, je me tournai vers Tim, comme je l’avais fait plusieurs fois
par le passé durant d’autres dépositions. Même après tout ce temps, il
semblait toujours aussi inquiet et attristé.
Comme s’il était le seul dans cette pièce à connaître la vérité.
Enfin, le seul à part moi.
— Monsieur Hunter, commença l’avocate. Avez-vous déjà volé…
— Oui.
— Quoi ?
— Vous avez bien entendu, déclarai-je en me levant. Pas tout, mais oui.
J’ai déjà volé quelque chose à monsieur Lassing.
Le silence s’abattit sur la salle.
— Pour ce que ça vaut… poursuivis-je en m’adressant à Tim.
J’accepterai l’arrangement à l’amiable que tes avocats ont demandé.
Quarante millions. Je pense aussi que tu devrais lire le New Yorker demain.
Je suis désolé.
— De quoi es-tu désolé ? demanda-t-il en croisant les bras.
— Tu le sais.
Je n’ajoutai pas un mot. Je quittai la salle au milieu des murmures, et me
dirigeai tout droit vers l’ascenseur.
— Hayden ? appela Lawrence, qui me talonnait. Hayden, qu’est-ce que tu
fous, bon sang ? Et qu’est-ce qui va sortir dans le New Yorker demain,
bordel ?
— Je croyais que tu détestais les spoilers, répliquai-je. Cependant, tu
devrais en recevoir un exemplaire ce soir sur ton bureau.
— De quoi s’agit-il, Hayden ?
— De la vérité à propos de la guerre froide, Lawrence.
J’appuyai sur le bouton pour descendre, puis ajoutai :
— J’ai enfin raconté toute la vérité.
Rupture no 16,5
Celui avec qui c’était impossible
Non, mieux…
Celui qui avait vraiment commencé la guerre froide

Hayden

À l’époque…

Je n’arrive pas à croire que je suis en train de tomber amoureux de ma


meilleure amie. Ma meilleure amie bien trop jeune pour moi et dont le frère
m’enverrait sans hésiter dans une autre dimension à grand renfort de coups
de poing.
Les ruptures de Penelope sont devenues de brefs sujets de conversation et
rien de plus. Des moments d’humour qui font obstacle à la scène principale.
Du moins, ce que je voudrais qu’elle soit…
Nous…
Pas une soirée ne passe sans que nous nous appelions ou que nous
échangions à propos de nos vies. Je lui ai confié des choses dont je n’ai
jamais parlé à Travis, et je veux être avec elle.
Même si elle a débarqué au cinéma simplement pour me dire qu’elle était
amoureuse de Tim (au point de suspendre sa carrière pour lui), pour une
raison que j’ignore, je n’arrive pas à m’avouer vaincu.
— Bon, ça suffit.
Nina, la femme avec qui j’ai un cinquième rendez-vous qui ne rime à
rien, dépose un baiser sur ma joue.
— Je vais te rendre un immense service et je vais rompre avec moi, à ta
place, déclare-t-elle.
— Quoi ? Pourquoi ?
— Parce que je ne peux pas rivaliser avec la femme dont tu es réellement
amoureux. C’est elle qui t’écrit, pas vrai ? demande-t-elle en désignant mon
téléphone. Nous venons de passer une heure et demie à parler d’elle et
j’ignore combien de fois je t’ai dit que m’emmener la voir patiner n’était
pas un rendez-vous galant. Même s’il y a des avantages à la clé.
— Ce n’est pas ce que tu crois.
— C’est exactement ce que je crois, affirme-t-elle en souriant.
Elle ne semble pas vexée le moins du monde.
— Vas-y, réponds-lui, m’encourage-t-elle.
— Elle peut attendre.
— Ahah ! Tu ne la fais jamais attendre.
Nina passe la lanière de son sac sur son épaule, puis ajoute :
— À la prochaine, Hayden.
Je la regarde s’éloigner et me retiens pendant quelques minutes, juste
pour lui prouver qu’elle a tort.

Penelope (trop jeune pour toi) : Salut. Merci pour les shakers de
protéines et les manchons de compression supplémentaires que tu m’as
envoyés hier. Ça m’a fait plaisir.
Moi : De rien. Tu fais quoi ce soir ?
Penelope (trop jeune pour toi) : Rien. Tu veux passer à la maison ?
Moi : Je suis là dans dix minutes.

***
En arrivant devant chez Penelope, je prends une grande inspiration et
cherche le meilleur moyen d’aborder la situation.
Tout comme moi, elle a des rêves à accomplir et je ne veux pas être un
obstacle.
Mais je suis aussi égoïste et je veux qu’elle ne sorte avec personne
d’autre.
Même pas avec Tim, seulement avec moi.
Je trouverai un moyen.
Je sors de ma voiture et frappe à la porte.
Cependant, ce n’est pas Penelope qui vient m’ouvrir. Mais Tim.
C’est quoi cette histoire ?
— Salut, Hayden, dit-il en souriant. Content de te voir.
Comme s’il lisait l’expression d’incompréhension sur mon visage, il
s’éclaircit la gorge, puis ajoute :
— Une conduite d’eau a explosé dans ma maison il y a une heure, alors je
me suis dit que je pourrais loger chez ma copine pendant quelques jours, le
temps des réparations. C’est à cela que servent les petites amies, pas vrai ?
— Tout à fait.
J’entre et constate que le salon de Penelope est rempli des affaires de
Tim. Je lève les yeux au ciel en partant à sa recherche, et la trouve dans
l’ancienne bibliothèque de sa mère.
— Est-ce que Tim t’emmène toujours camper ce week-end ? m’informé-
je, ne sachant quoi dire d’autre.
— Oui, sauf si…
— Sauf si quoi ?
Elle ne me répond pas.
— Est-ce que tu pensais ce que tu m’as dit au cinéma l’autre jour ?
demandé-je.
— Oui, acquiesce-t-elle avec un hochement de tête. Je pensais chaque
mot. Je l’aime vraiment.
Ma poitrine se serre en l’entendant renouveler ses sentiments pour Tim.
Ce que je lis dans les yeux de Penelope lui est indéniablement destiné.
— Dans ce cas, ne précipite pas les choses avec lui, déclaré-je en baissant
les armes. Assure-toi qu’il est tout ce que tu désires avant de franchir la
ligne.
— Il l’est. Je voudrais seulement qu’il le voie.
Elle me serre contre elle plus longuement que d’ordinaire et je lui caresse
doucement le dos.
Nous nous écartons lentement l’un de l’autre et nous fixons mutuellement
du regard.
Et puis, merde. Dis-lui que sa place est avec toi. Au diable les
conséquences.
— Salut.
Tim entre dans la pièce avant que je ne puisse prononcer un mot.
— Je vous cherchais, tous les deux. Je viens de recevoir un e-mail du
Brick Oven, ils font une soirée pizzas gratuites. On y va ?
— Non, ce sera sans moi, refusé-je. De toute façon, je dois ramener des
trucs pour son frère tant que je suis là. Je ne vais pas vous déranger
longtemps.
— Je veux bien y aller, moi.
Penelope ne me quitte pas des yeux, mais passe son bras dans celui de
Tim.
— On ferait mieux de partir maintenant si on veut arriver avant qu’il n’y
en ait plus, poursuit-elle. Oh et, Hayden, peux-tu faire attention à bien
fermer la porte quand tu t’en iras ? Le chien de Tim est ici.
— Ce sera fait.
Je les observe par la fenêtre tandis qu’ils sortent de la maison et montent
dans le pick-up. Une fois qu’ils ont quitté l’allée et franchi le stop du
carrefour au bout de la rue, je m’autorise une visite privée des affaires de
Tim qui sont dans le salon.
Je me souviens que Penelope m’a expliqué qu’il développait lui aussi une
application de rencontres, mais à en croire ce qu’elle m’a dit, il a un peu
d’avance sur moi. Mon équipe est composée de sept personnes, alors qu’il
en compte vingt dans la sienne.
Je parcours ses dossiers, et hausse les sourcils en voyant ses idées pour le
logo et le nom.
Tinder ? Une flamme rouge ou rose vif comme logo ?
J’ouvre l’un des petits classeurs à tiroirs à côté de la table basse et
marque un temps d’arrêt. Il y a un tas de feuilles, toutes dégoulinantes de
lignes de codes. Entre les lignes, on peut lire : « Suggestions de
fonctionnalités et d’algorithmes. »
Je sais que je devrais les laisser là, à leur place, mais c’est plus fort que
moi.
Je photocopie tout dans la bibliothèque de Penelope et débranche
l’imprimante. Puis, juste parce qu’il a eu le culot de séduire ma meilleure
amie, je renverse toutes ses affaires avant de partir.
Rupture no 16,5 bis
Celui avec qui c’était impossible
Non, mieux…
Celui qui avait vraiment commencé la guerre froide

Hayden

À l’époque…

Les photocopies me narguent sur le siège passager pendant que je


conduis. Elles me traitent de voleur. La culpabilité m’oblige presque à faire
demi-tour et à tout déchirer.
Le mot-clé étant presque.
J’ai seulement envie de jeter un œil à son travail pour voir s’il a eu une
idée géniale pour son application. S’il y a quelque chose à apprendre, pas à
m’approprier.
À force d’essayer de faire taire les voix dans ma tête, je fais
accidentellement ressurgir le souvenir d’un chien qui aboie.
Ouaf ! Ouaf ! Ouaf !
J’essaye de penser à autre chose, mais les aboiements se font de plus en
plus fort.
Et il ne me faut pas plus d’un kilomètre pour m’apercevoir que ce bruit
ne vient pas du tout de mon esprit.
Ouaf ! Ouaf ! Ouaf !
Je me gare au bord de la route et me tourne vers la banquette arrière.
Ouaf !
Le terrier gris et noir de Tim me regarde droit dans les yeux.
Il est assis par terre et sa patte avant est coincée sous du ruban adhésif.
Non, mais j’hallucine.
Je me repasse mentalement l’heure qui vient de s’écouler, en me
demandant quand et comment il est monté dans ma voiture.
Il aboie plus fort et se débat pour tenter de se libérer.
Je soupire et prends mon temps pour l’aider, tout en pesant le pour et le
contre entre le ramener ce soir ou bien demain matin à la première heure.
Le contre l’emporte, alors je le prends dans mes bras et le dépose sur le
siège passager. Ensuite, j’attrape une couverture posée par terre et couvre
l’animal.
Je m’engage à nouveau sur la route, et fais un détour par l’animalerie la
plus proche en essayant de faire comme si je n’avais pas complètement pété
les plombs.

***
Une heure plus tard…

Je dépose un bol d’eau sur le sol de ma cuisine et m’assure qu’il y a assez


de croquettes dans le nouveau distributeur installé à côté.
Je le ramènerai demain, Tim n’en saura rien.
Je sors les notes volées, m’assieds à ma table et commence à lire. Son
idée n’a strictement rien à voir avec la mienne, mais il a trouvé une solution
à la partie qui me pose problème : un moyen addictif de rejeter ou
d’approuver les profils qui « matchent ».
Faire glisser à droite pour oui. Faire glisser à gauche pour non.
Hmm.
Cependant, il a largement plus d’idées stupides que de bonnes : des
suggestions du genre rencontres autour d’un bagel, soirées meurtre et
mystère et autres jeux de niche auxquels les utilisateurs peuvent jouer pour
« remporter le véritable amour ».
Tout ceci n’est que pure connerie. Mais la fonctionnalité qui permet de
faire glisser l’écran à droite ou à gauche ?
C’est impressionnant.
Vraiment très impressionnant.
Une vague de jalousie déferle sur moi et je manque de m’y noyer.
Il a ma Penelope.
Ma Penelope.
Sans réfléchir, je sors mon plan pour « rejeter ou approuver des profils »
et le place à côté du sien. Puis, je compare chaque ligne de code.
J’enchaîne les tasses de café tandis que je compare les meilleures parties
de son application avec les moins bonnes de la mienne.
Je prends uniquement la fonctionnalité pour faire glisser à droite ou à
gauche (évidemment), mais je jure, moi vivant, de ne jamais l’avouer à
personne.
Quand je termine enfin, le soleil commence à se lever dans le ciel. Le
terrier de Tim pose sa patte sur ma jambe, ce qui me rappelle que je dois le
déposer chez le voisin de Penelope en toute discrétion avec un mot
anonyme, afin que Tim ne sache jamais que je lui ai « volé » son chien.
Merde.
Rupture no 16,5 ter
Celui avec qui c’était impossible
Non, mieux…
Celui qui avait vraiment commencé la guerre froide

Hayden

Je range mon cœur brisé dans ma valise et me rends à l’aéroport de New


York.
J’ignore totalement comment Penelope parvient à me retrouver ni
pourquoi elle insiste pour rendre la situation encore plus difficile, étant
donné que c’est elle qui m’a brisé le cœur en tombant amoureuse d’un autre
homme. Mais je fais de mon mieux pour ne montrer aucune émotion.
Je lui assure que je continuerai de l’appeler.
Que nous serons toujours meilleurs amis. Mais c’est un mensonge.
Je suis bien trop épris d’elle pour que ce scénario soit possible.
Au début, tout semble normal entre nous, comme si elle ne remarquait
rien, car je lui envoie toujours de brefs messages de temps à autre. Mais au
bout de quelques semaines, je m’oblige à arrêter.
Hormis un « Joyeux anniversaire » ou un « J’espère que tu vas bien »,
nous passons par Travis pour avoir des nouvelles l’un de l’autre.
Quant à lui, il est bien trop occupé par sa propre carrière pour remarquer
quoi que ce soit.
Rupture no 16,5 quater
Celui avec qui c’était impossible
Non, mieux…
Celui qui avait vraiment commencé la guerre froide

Hayden

Plusieurs mois plus tard, je suis assis dans un bar de Soho pour regarder
Penelope concourir à Skate America. J’ai cloisonné mes sentiments et j’ai
mis tout ce que je ressentais jadis pour elle dans mon application de
rencontres fraîchement baptisée Cinder – oui, je sais que c’est mesquin de
l’avoir fait rimer avec Tinder, mais je ne me suis pas complètement
débarrassé de ma jalousie, et de toute façon, ce nom sonne mieux que
Tinder.
Hélas, presque toutes mes tentatives d’autopersuasion à base de « elle est
trop jeune pour toi », « cela ne fonctionnera jamais entre vous » et « c’est la
petite sœur de ton meilleur ami » ont fini par porter leurs fruits. J’ai
également réussi à laisser un psychiatre me convaincre que j’ai projeté sur
Penelope l’amour que je n’ai jamais pu donner à ma famille.
— Pouvez-vous monter un peu le son de la télé ? demandé-je au barman
au moment où le concours commence.
— Comme vous voulez.
— Mesdames et messieurs, bienvenue à Skate America ! annonce le
présentateur en souriant. Tout d’abord, au programme de ce soir, nous
accueillons la championne du monde en titre de patinage artistique en solo,
mademoiselle Penelope Carter !
J’observe mon amie faire son entrée sur la glace vêtue d’un costume bleu
éblouissant, et des émotions que je croyais disparues depuis longtemps
refont surface.
Il faut que je l’appelle après sa victoire, aujourd’hui. Nous devons mettre
un terme à cette guerre froide.
La musique se lance et elle capte l’attention de tous les occupants du bar.
De tous les spectateurs dans le stade.
Pendant la première minute, elle n’est que pure perfection, et les
commentateurs la donnent déjà vainqueure.
Elle dévie de son programme avec un quadruple Lutz qu’elle réalise sans
la moindre faute. Puis, elle enchaîne avec un deuxième.
Comme si elle avait quelque chose à prouver, elle tente avec succès
plusieurs triples salchows consécutifs, avant de se préparer à un quatrième
quadruple Lutz.
Elle s’élance dans les airs, mais cette fois, elle ne se réceptionne pas sur
ses patins.
Sa tête heurte le sol en premier.
Alors que son sang éclabousse la glace et que les commentateurs crient à
l’aide, je me lève d’un bond.
Des hurlements assourdissants et des pleurs emplissent le bar, et le
programme s’interrompt pour une courte page de publicité.
Sans réfléchir, je me précipite à l’aéroport et paye trois fois le prix d’un
billet d’avion de dernière minute pour Chicago.

***
— Il t’en a fallu du temps, ronchonne Travis en se levant au moment où
j’entre dans la salle d’attente.
— Comment va-t-elle ?
— Les jambes cassées, une fracture du poignet, du crâne et une perte de
mémoire sélective avec une désorientation temporo-spatiale. Ce doit être
seulement une amnésie à court terme, car elle se souvient parfaitement bien
de toutes mes infractions, explique-t-il en levant les yeux au ciel. Les
médecins affirment qu’elle sera vite sur pied, mais elle ne patinera plus
jamais. Ils disent que sa course aux vingt-huit médailles est officiellement
terminée.
— Je n’y crois pas.
— Moi non plus, soupire-t-il en me tapotant l’épaule. Je vais lui chercher
de quoi grignoter à la cafétéria. Tu veux quelque chose ?
— Non, merci.
Je longe le couloir et entre dans la chambre de Penelope. Je m’attendais à
la trouver endormie, mais elle est assise dans son lit.
Même la tête recouverte de bandages, elle est toujours renversante.
— Tu portes des costumes, maintenant, Hayden ? me taquine-t-elle en
souriant. Je te ferais bien un compliment sur ton apparence, mais je ne
voudrais pas gonfler ton ego. De plus, à en croire mon journal, je te déteste.
— Oh, ça oui.
Je ris et dépose un bouquet de fleurs sur la table.
— Avant toute chose, peux-tu me dire s’il neige en enfer ou bien si je suis
toujours dans le coma ?
— Pourquoi cette question ?
— J’ai eu une vision dans laquelle Tatiana Brave venait ici avec des
fleurs et pleurait comme si elle était affectée que je sois blessée. Je refuse
d’y croire.
— Hmm, voyons voir.
Je retourne les cartes de plusieurs bouquets, et m’arrête sur celle signée «
Ton ennemie jurée et deuxième meilleure patineuse au monde ».
— Elle est vraiment venue ici, déclaré-je.
Je prends la carte et m’éclaircis la voix.

Penelope,
Comment oses-tu te blesser quelques mois avant les championnats du
monde ?
Tu es totalement égoïste d’avoir tenté un quad supplémentaire alors que la
victoire t’était déjà assurée et je ne te le pardonnerai jamais DE LA VIE.
Je prie pour qu’un miracle se produise, car je veux te battre une bonne fois
pour toutes.
Bisous
(Ahah ! Je ne le pense pas, je n’ai simplement pas de correcteur :-/)
Tati
P.-S. Tu es la seule personne dans ce sport que j’ai toujours respectée à
cent pour cent, mais je te déteste quand même jusqu’à la moelle.

— Elle a tiré plusieurs traits sous ce mot et, en dessous, elle a écrit : «
Ton costume était nul à chier et j’ai hâte d’être la nouvelle numéro un. »
— Évidemment, souffle Penelope avec dédain. Bon sang, je la déteste
tellement.
— Non, c’est faux.
Je m’assieds au bord du lit, puis ajoute :
— Je crois que toi aussi, tu la respectes. En fait, je crois que vous vous
entendriez très bien toutes les deux, si vous n’étiez pas d’aussi féroces
compétitrices.
Elle ne répond pas à cela, mais son regard en dit long.
— Pourquoi est-ce que nous ne sommes pas amis, toi et moi ? demande-t-
elle.
— Probablement à cause de notre guerre froide.
— Une guerre froide que tu as commencée, à en croire ce que j’ai écrit,
déclare-t-elle en brandissant son journal intime.
— Je suis certain que ton point de vue sur ces derniers mois n’est pas
objectif.
Je retire ma veste.
— Pourquoi as-tu arrêté de me parler ? Est-ce que j’ai fait quelque
chose ?
— Non, lui assuré-je en secouant la tête. J’ai simplement été égoïste.
C’est tout.
— Égoïste à propos de quoi ?
Je ne réponds pas à cette question, mais demande :
— Es-tu toujours avec Tim ?
— Bon sang, qui est ce Tim ? s’exclame-t-elle en secouant la tête à son
tour. Tu es la deuxième personne à me poser la question aujourd’hui. Il ne
devait pas être si important, car il ne figure nulle part dans mon journal, et
je me souviens de tous les mecs avec qui je suis sortie depuis ton départ. Il
y a Jackson, Roger, Tate et Randall ; que des ruptures pour lesquelles tu
n’étais pas là.
— Je suis désolé. Est-ce que je vais devoir ramper pour être à nouveau
digne de ton amitié ?
— Tu en serais capable ?
— Oui.
— Dans ce cas, je vais faire une liste.
— Je la suivrai.
Elle déglutit.
— Tu m’as manqué, Hayden.
— Toi aussi.
Je désigne son journal intime.
— Est-ce qu’une de ces ruptures vaut la peine d’être racontée ?
— Eh bien, voyons cela. Il y a celui qui m’a volé ma voiture.
Elle tourne une page, puis reprend :
— Celui qui n’arrêtait pas de roter, celui qui m’a dit que j’en aimais un
autre, et celui qui a sorti sa queue au cinéma.
— J’aimerais que tu me les racontes toutes, sauf la dernière.
— Alors je vais devoir commencer par celle-là.
Elle rit et referme son journal d’un coup sec.
— Promets-moi quelque chose, déclare-t-elle.
— Oui ?
— La prochaine fois que je suis folle amoureuse d’un mec, si je ne suis
pas exactement la personne que je veux être et que ça commence à devenir
sérieux, dis-moi de rompre avec lui.
— Pourquoi diable te demanderais-je de faire une chose pareille ?
— Parce que j’ai remarqué un thème récurrent dans mon journal. Je veux
dire, à la fin de chaque histoire, je tire les mêmes conclusions et clairement,
je ne retiens jamais la leçon. Je mets de côté mes propres rêves pour
m’accrocher aux siens, ou bien j’essaye à tout prix de faire partie de son
monde, tout en sacrifiant mon univers.
— Alors, tu préfères repousser l’homme qui t’aime ?
— S’il m’aime, il comprendra.
— Cela n’a pas le moindre sens, Penelope.
— Promets-moi seulement que tu le feras, peu importe combien je
souffre. Tu me diras de me concentrer sur mes rêves et d’atteindre tous mes
objectifs avant de me lancer dans une relation très sérieuse.
— Même s’il t’aime vraiment ?
— Surtout s’il m’aime vraiment.

***
Après nous être raconté nos dernières aventures, elle s’endort. Le
lendemain soir, elle subit plusieurs opérations chirurgicales.
Puis de nouveau le jour suivant.
La mémoire lui revient par fragments sporadiques, mais jamais
entièrement. Et jamais vraiment dans l’ordre.
D’un côté, le fait qu’elle ne parvienne pas à se souvenir de Tim m’aide en
ce qui concerne Tinder. Je veux dire, Cinder. Mais de l’autre, je sais que si
nous devions un jour franchir la limite, elle serait incapable de voir que j’ai
fait exactement ce qu’elle m’a fait promettre.
Chapitre 45

Hayden

De nos jours…

Ma lettre dans le New Yorker paralysa Internet à neuf heures trente.


Pendant vingt minutes, le monde de la technologie retint son souffle, avant
de pousser à l’unisson un cri de stupeur.
Des milliers d’e-mails se mirent à inonder ma boîte de réception tandis
que les hashtags #CélébronslafindeHaydenHunter,
#HaydenHunterestunvoleur et #TinderacrééCinder se hissaient en tête des
tendances sur Twitter.
Alors que les journaux d’information matinaux commençaient à avoir
vent de la nouvelle, j’éteignis mon téléphone et demandai à Sarah de ne pas
faire de déclaration à mon sujet.
Je savais que le retour de bâton n’allait faire qu’empirer, mais je voulais
éviter d’y être confronté aussi longtemps que possible.
De toute façon, il n’y a qu’une seule personne que j’ai envie de contacter.
J’envoyai une note d’information à toute l’entreprise, en leur disant de
prendre congé pour le reste de la semaine, puis me fis couler un café. Il était
bientôt temps pour moi de passer à la deuxième étape de mon plan pour
récupérer Penelope.
Alors que j’examinais ma liste, on frappa lourdement à la porte.
Je ne me donnai pas la peine de répondre pour demander qui était là. Les
personnes dignes de mon temps avaient les clés.
Le verrou pivota et le son caractéristique des mocassins résonna sur le sol
en marbre.
Lawrence.
— J’aime beaucoup la façon dont tu as décoré cet endroit, déclara-t-il.
Toutes ces boîtes de pizza, de nourriture chinoise à emporter et ces canettes
de bière vides donnent un style vraiment déprimant à la pièce.
— Merci, c’est exactement l’atmosphère que je recherchais.
— Hmm.
Il marcha sur un emballage vide et je me retournai pour lui faire face.
— Laisse-moi deviner. Tu es ici parce que tous les membres du conseil
d’administration sont en train de démissionner et veulent ma tête servie sur
un plateau.
— Plutôt l’inverse, répondit-il en croisant les bras. Je suis la seule
personne à vouloir ta tête sur un plateau, de préférence en pierre pour que je
puisse l’écraser avec un maillet. Chez Cinder, tous les autres sont plus que
ravis. Ils prévoient d’organiser une fête en ton honneur.
Quoi ?
— Pourquoi ?
— Parce que, depuis que tu as publié cette lettre inopportune et ridicule
d’amoureux transi, le nombre de nos utilisateurs a augmenté de trois cents
pour cent et nos actions en bourse frisent des sommets.
Il semblait tout sauf contrarié.
— Je me suis dit que tu devais attendre ton heure et te préparer à jubiler
comme jamais, alors fais-toi plaisir.
— Je n’ai rien de tel à t’offrir, déclarai-je en haussant les épaules. Je n’ai
pas de raison de me réjouir.
— Permets-moi de me répéter. Le nombre de nos utilisateurs a augmenté
de trois cents pour cent et nous atteignons des records sur le marché
boursier.
— J’ai entendu. Autre chose ?
— Oui, il faut que je passe un coup de fil à ton médecin. Il est clairement
passé à côté de tes lésions cérébrales. Je reviens dans quelques minutes.
— Attends. Est-ce que Penelope t’a appelé ? A-t-elle envoyé quelque
chose par e-mail ?
— Elle m’a souhaité « Joyeux anniversaire » par texto ce matin.
— Lis-moi le message.
— Je viens de le faire, s’impatienta-t-il en croisant les bras. « Joyeux
anniversaire, Lawrence. »
— Est-ce qu’il y avait des emojis ? Un message codé qui m’était
adressé ?
Il m’adressa un regard inexpressif.
— D’accord, soupirai-je.
Je bus mon café d’un trait.
— Est-ce que tu veux un conseil relationnel ? proposa Lawrence avant de
s’éclaircir la voix.
— Non.
— Je vais quand même te le donner. Le Hayden que je connais ne serait
pas ici en ce moment même. Il se ficherait de tout, sauf d’obtenir ce qu’il
veut. Parce que tout le monde, et je veux dire foutrement tout le monde, à
l’exception peut-être de son frère, sait que vous êtes faits l’un pour l’autre.
Il avait raison.
Ce n’était pas du tout mon genre de suivre une liste à la con pour la
reconquérir.
J’attrapai ma veste et me dirigeai vers la porte.
— Je serai de retour au bureau la semaine prochaine, je ne sais pas encore
quand.
— S’il te plaît, ne fais rien de stupide jusqu’au mois prochain, me supplia
mon conseiller, la main posée sur le cœur. Tu me dois quatre semaines sans
palpitations.
— Je n’ai rien de stupide noté sur mon agenda.
Pour l’instant.
— Alors tu pars pour tenter de récupérer Penelope ?
— Non, je m’en vais remettre Travis à sa place une bonne fois pour
toutes.
Chapitre 46

Hayden

De nos jours…

J’arrachai le dernier bandage de mon poignet et me garai devant le B&B


Warehouse.
Aux yeux des passants, il ne s’agissait que d’un entrepôt de plus qui se
fondait dans le décor du chantier naval. Il n’y avait rien d’autre à voir.
Mais moi, je connaissais cet endroit.
C’était là que Travis s’entraînait en toute discrétion. Étant donné que son
ego ne s’était pas encore remis de sa défaite à Vegas, j’avais neuf chances
sur dix de le trouver ici.
J’attendis qu’un couple passe devant ma voiture et enfilai des lunettes de
soleil avant de sortir. Puis je rejoignis l’entrée qui se trouvait sur le côté.
Je tapai le code sur le pavé numérique, ouvris la porte, et me trouvai nez à
nez avec le garde du corps de Travis.
— Vous êtes la dernière personne que monsieur Carter a envie de voir,
beugla-t-il. Si vous avez un peu de bon sens, tirez-vous d’ici.
— Est-ce que tu trompes toujours ta femme, Greg ? demandai-je. Ou as-
tu enfin arrêté ? Ce serait vraiment dommage si je prononçais par mégarde
le nom de ta maîtresse devant elle, la prochaine fois.
— Allez-y.
Il m’adressa un regard noir avant de s’écarter du passage.
Je contournai les autres agents de sécurité et pénétrai dans la salle de
sport.
Debout au milieu d’un ring, Travis enchaînait les esquives et envoyait des
coups de poing dans le torse d’un mannequin.
— Je vois que tu t’es vite remis, lança-t-il en croisant mon regard. Je ne
m’habituerais pas trop à cette mâchoire, si j’étais toi. Elle sera de nouveau
brisée au moment où tu partiras.
— Je t’emmerde, Travis, rétorquai-je d’un air furieux.
— Amène-toi pour me le dire en face.
— Avec plaisir.
Je m’approchai et il assena quelques coups supplémentaires au
mannequin.
J’escaladai les cordes et fonçai droit sur lui.
— Tu as vraiment envie de mourir, pas vrai ? siffla-t-il entre ses dents.
— Ferme-la et laisse-moi t’expliquer. Si tu ne le fais pas, l’un de nous
deux va sortir d’ici dans un sale état, et je te garantis que ce ne sera pas moi.
— Seulement un de nous deux est un combattant professionnel, Hayden.
— Et seulement un de nous deux a déjà perdu dans un domaine où il était
le meilleur, répliquai-je. Rappel : tu viens juste de te prendre une raclée à
Las Vegas.
Le visage de Travis vira au rouge et il serra les poings.
— Je te suggère de passer la seconde et de cracher le morceau.
— Premièrement, tu as de la chance que je sois amoureux de ta sœur.
Deuxièmement, Penelope est ma meilleure amie. Pas toi. Et c’est comme ça
depuis des années. Quand tu es parti et que tu m’as égoïstement demandé
de veiller sur elle, elle ne m’avait jamais attiré.
La mâchoire de Travis se tendit, mais il ne prononça pas un mot.
— Notre relation a été strictement platonique pendant des années et je ne
ressentais rien pour elle, poursuivis-je. Mais je suis tombé amoureux d’elle
bien avant d’arriver à New York. En fait, c’est pour cette foutue raison que
je suis parti. Dans l’intérêt de sa carrière. Je ne voulais pas la détourner de
ses objectifs, alors j’ai…
— Couché avec toute la ville jusqu’à ce que tu décides que tu voulais te
poser avec une personne naïve ?
— Je suis toujours amoureux de ta sœur et je me fiche que tu sois
d’accord ou pas, repris-je en haussant les épaules. Si tu as si peu d’estime
pour moi et que tu crois réellement que je l’ai manipulée comme un
dégénéré et que je n’ai pas veillé sur elle, c’est ton affaire. Parce que si je
dois choisir celle qui compte le plus pour moi entre ces deux relations, ce ne
sera pas celle que j’avais avec toi.
Un silence.
Je fus tenté de le frapper en plein visage pour me venger de la raclée
insensée qu’il m’avait mise, mais, tout à coup, il fit un pas en arrière.
— Je t’ai entendu dans ta chambre avec une autre femme, à Las Vegas,
déclara-t-il.
— Comme je te l’ai déjà dit, ce n’était pas une autre femme.
— Et Anya Sterling ?
— Je suis simplement tombé sur elle au mauvais moment et les médias en
ont fait toute une histoire. Je ne tromperais jamais Penelope.
Travis m’observa pendant un long moment, l’air partagé entre l’envie de
me croire et celle de me sauter à la gorge.
Je serrai le poing, juste au cas où il choisirait la deuxième option.
— Je ne suis pas désolé.
— Je ne te pardonnerais pas même si tu l’étais, rétorquai-je en levant les
yeux au ciel. Mais, merci d’avoir essayé.
— Bon, d’accord, je suis vraiment désolé.
Il semblait sincère.
— J’ai simplement cru que tu la traitais comme toutes les autres femmes
avec qui tu as… enfin, tu vois de quoi je parle, ajouta-t-il.
— Tes excuses ne sont toujours pas acceptées, surtout si c’est le mieux
que tu puisses faire, répondis-je en croisant les bras. Tu m’as fracturé
l’arcade sourcilière, bordel.
— Si tu pensais qu’un autre homme avait fait du mal à Penelope, je suis
certain que tu aurais fait bien pire que ça.
— Tu m’as laissé en train de me vider de mon sang sur le sol de ma
cuisine.
— Je me souviens d’un coup de fil que tu m’avais passé concernant un
mec que tu avais passé à tabac. Qu’est-ce que ce type avait fait à Crown,
exactement ?
Je soupirai.
— Excuses acceptées. Est-ce que tu lui as parlé récemment ? Elle ne
répond à aucun de mes messages.
— Pour le moment. Elle sera bien obligée de t’adresser la parole d’ici
quelques mois environ, c’est certain.
— Tu ne sais pas combien de temps elle est capable de rester fâchée.
Travis me fixa d’un regard inexpressif pendant quelques secondes.
— Elle ne t’a rien dit ?
— Me dire quoi ?
Il passa une main dans ses cheveux.
— Je l’ai vue à Salt Lake City, mais maintenant, elle m’en veut à moi
aussi. Je peux essayer de l’appeler.
— Non, c’est inutile, déclarai-je en sortant du ring. Je la retrouverai moi-
même.
Chapitre 47

Penelope

De nos jours…

Dès que j’eus atterri à New York, je pris un taxi pour me rendre à la
banque sur la Septième Avenue.
Puisque Travis avait fait tout un plat de ce compte bancaire, j’avais
décidé de retirer chaque centime qui s’y trouvait et d’utiliser cet argent pour
m’acheter un appartement.
Enfin, à supposer qu’il y ait assez sur le compte.
— Merci d’avoir appelé pour nous prévenir de votre arrivée,
mademoiselle Carter, me salua le directeur en me tendant sa main quand
j’entrai dans le bâtiment. Nous procédons encore à quelques formalités,
mais nous réglerons cela dans mon bureau.
— C’est parfait.
Je le suivis jusque dans une grande pièce où attendaient d’autres hommes
en costume.
Il me fit signe de m’asseoir.
— Juste pour confirmation : il y a quelques années, monsieur Carter a
transféré ce compte sur le marché monétaire. Puis il en a ouvert un autre à
votre nom et a pratiquement tout investi en achetant des actions chez
Cinder. Cela vous semble-t-il correct ?
Il ne m’en a jamais parlé.
— Tout à fait, acquiesçai-je avec un hochement de tête.
— D’accord, eh bien…
Il s’éclaircit la voix, puis reprit :
— Je vous conseille de demander plusieurs chèques de banque, mais je
me ferai un plaisir de placer votre capital comme il vous plaira. Comment
désirez-vous procéder ?
— Je voudrais la totalité en liquide, s’il vous plaît, déclarai-je en posant
mon sac sur son bureau. En billets de cent.
Il prit le sac et jeta un œil à l’intérieur.
— D’autres sacs vont-ils être livrés chez nous ?
— Non, répondis-je en haussant les épaules. Il n’y a que celui-là.
Le directeur se tourna vers son associé, avant de reporter son attention sur
moi.
— Mademoiselle Carter, commença-t-il en retirant lentement ses lunettes
de vue. À votre avis, combien y a-t-il sur ce compte ?
— Dans les cinquante mille, je dirais.
— S’il s’agissait de cinquante mille dollars, je ne serais pas venu vous
accueillir moi-même et vous seriez déjà partie.
Il se pencha vers moi, puis ajouta :
— Il y a sept millions de dollars.
Je restai bouche bée et sentis mon visage devenir très pâle.
— Je disais donc, reprit-il en me regardant, comment désirez-vous
procéder ?
— Par chèque de banque, répondis-je en entendant à peine le son de ma
propre voix. Mais seulement pour, euh… dix pour cent de la somme.
— C’est bien ce que je pensais.
Il se leva.
— Je reviens tout de suite, mademoiselle Carter.
Je me penchai en arrière dans ma chaise, complètement sonnée.
Je sortis mon téléphone pour enlever le mode sourdine de Travis et lui
envoyer un message de remerciement, mais il m’avait déjà écrit.
Plusieurs heures auparavant.

Travis : Je t’aime fort, Crown… J’espère qu’un jour tu comprendras ce


qui m’a poussé à agir ainsi. Même si je n’ai pas pu être là physiquement,
chaque fois que j’ai combattu, je l’ai fait pour toi.
Chapitre 48

Hayden

De nos jours…

« Cinder accepte un arrangement à l’amiable avec Tinder pour quarante


millions de dollars »
« La société Cinder pèse maintenant deux milliards de dollars »
« Simon Gaines arrêté à Manhattan pour fraude, ses bureaux passés au
peigne fin »
Chapitre 49

Penelope

De nos jours…
Manhattan, à New York

« Il m’a fallu tout ce temps pour comprendre que tout ce que j’avais
accompli avec Cinder, chaque décision que j’avais prise, c’était parce que
j’étais amoureux de ma meilleure amie et que je voulais qu’elle soit avec
moi et personne d’autre…
J’étais prêt à mentir, à tricher et à voler pour me venger de l’homme qui
l’avait éloignée de moi, du moins, c’est ce que je croyais à l’époque. »
Des larmes tombaient sur l’écran de mon téléphone tandis que je relisais
pour la énième fois la lettre d’Hayden dans le New Yorker. En révélant la
vérité à propos de Tinder, il avait dévoilé des fragments de notre histoire
que j’avais oubliés depuis longtemps et, tard dans la nuit, les mois qui
avaient précédé mon accident avaient défilé dans ma mémoire comme les
pages d’un roman.
Une image après l’autre, je m’étais revue voulant être avec Hayden, mais
sortant avec Tim par défaut, ignorant que mon meilleur ami ressentait la
même chose que moi.
J’avais désespérément envie de l’appeler et de lui donner rendez-vous
quelque part où nous pourrions parler, mais c’était impossible.
Les gros titres au sujet de sa liaison avec Anya interdisaient que nous
puissions un jour être à nouveau amis.
Nous pouvons faire une garde partagée et rien de plus.
— Hé ho, Penelope ?
La voix de Tatiana me tira de mes pensées.
— Il faut que tu sortes de la voiture maintenant, déclara-t-elle.
Je regardai à ma gauche et la vis qui tenait un parapluie devant la porte
ouverte du taxi.
— Oh, pardon.
Je descendis et me réfugiai sous le parapluie, puis refermai la portière.
— Je crois que c’est une bonne résidence, commenta-t-elle en penchant
légèrement la tête sur le côté. Ils proposent de nombreux services
intéressants et ce n’est pas très loin de deux patinoires. C’est aussi proche
de… enfin, euh…
— De Cinder, répondis-je à sa place. En cas de besoin.
— Oui, en cas de besoin, répéta-t-elle avant de glisser son bras sous le
mien pour me conduire à l’intérieur. Désolée d’avoir évoqué le sujet.
— Ne t’en fais pas.
Nous empruntâmes l’ascenseur jusqu’au dernier étage et nous
retrouvâmes au beau milieu d’une fête privée. Nous inscrivîmes nos noms
sur des badges, puis nous dirigeâmes vers le buffet gastronomique. De là où
nous nous trouvions, la vue sur Manhattan était imprenable.
Alors que je me servais quelque chose à boire, un courant électrique
familier me traversa le corps, une sensation de palpitation que je ne
ressentais que lorsque…
— Est-ce Hayden Hunter ?
— Oh bah ça alors, regarde !
— Tu crois qu’il vient pour tout acheter avant nous ?
Des murmures emplirent soudainement la pièce.
— Est-ce que tu veux t’en aller par l’ascenseur de derrière ? chuchota
Tatiana. Je peux participer aux enchères à ta place si tu n’as pas envie de
rester.
Oui.
— Non, répondis-je en secouant la tête. Ça va aller.
— Tu es sûre ?
Je hochai la tête et laissai échapper un soupir. Sans prêter attention aux
murmures, je repris une poignée de M&M’s et la déposai dans mon assiette.
Quand j’atteignis le bout du buffet, je cédai à la tentation et jetai un
rapide coup d’œil en direction d’Hayden.
Plus séduisant que jamais, il portait un tee-shirt noir avec un col en V qui
faisait ressortir ses muscles et un jean foncé. Il n’était toujours rien de
moins que la perfection même.
Ses yeux bleus se posèrent sur moi et j’essayai de détourner le regard, en
vain.
— Mesdames et messieurs, puis-je avoir votre attention, s’il vous plaît ?
demanda l’organisateur en tapant dans ses mains et en avançant au centre de
la pièce. Merci infiniment à tous d’être venus à notre journée portes
ouvertes. Veuillez me suivre dans le showroom où nous avons aménagé un
espace pour la vente aux enchères.
Les invités se dirigèrent vers la salle des ventes, mais je restai immobile.
Un homme qui semblait avoir quelques années de moins que moi
s’avança vers Hayden en tenant son téléphone au-dessus de lui.
— Vous êtes mon idole, déclara-t-il. Est-ce que je peux prendre un selfie
avec vous, s’il vous plaît ?
Hayden acquiesça d’un hochement de tête, mais il ne me quitta pas des
yeux. Il ne réagit même pas quand le jeune homme prit sa photo.
Tatiana s’approcha de moi dans mon dos.
— Est-ce que tu veux que je vous laisse seuls, tous les deux ?
— Non, reste s’il te plaît.
Hayden vint vers nous et s’arrêta juste devant moi.
— Tu es incroyablement belle, déclara-t-il d’une voix rauque.
Je ne répondis rien. Je me contentai de l’observer.
— Tu m’as manqué, reprit-il en me regardant dans les yeux. Je t’ai
appelée vingt fois par jour, j’ai laissé des messages et j’ai envoyé des fleurs.
J’ai acheté du temps de publicité pendant les émissions que tu regardes et
j’ai écrit une lettre dans le New Yorker.
Il marqua une pause.
— Tu n’as rien vu de tout cela ?
— Non, mentis-je en déglutissant, la gorge nouée. J’ai fait de mon mieux
pour suivre les conseils d’une certaine personne et tourner la page.
— As-tu réussi ?
— Pas encore.
Je sentis les larmes me piquer les yeux, mais refusai de les laisser couler.
— Toi aussi, tu es très séduisant, Hayden, repris-je. Je suis sûre qu’Anya
est très contente de se réveiller à côté de toi.
— Je ne te tromperais jamais, Penelope. Ces photos ne sont pas ce que tu
crois, mais quoiqu’il en soit, je n’aurais jamais dû te demander de mettre de
la distance entre nous. Je suis prêt à tout pour te récupérer et me faire
pardonner.
Il s’approcha encore, suffisamment pour que je sente l’odeur de son
parfum.
Nous restâmes plongés dans le regard l’un de l’autre pendant un moment,
tous les non-dits restant en suspens.
— Est-ce vraiment le genre d’appartement que tu as envie d’acheter ?
demanda-t-il enfin. Ce n’est pas ton style.
— J’ai l’intention de tout refaire. Je participe aux enchères à cause de
l’espace et des services, pour que…
— Pour que quoi ?
— J’avais prévu de t’appeler la semaine prochaine.
Je refusais d’aborder le sujet maintenant.
— J’ai quelque chose d’important à te dire, ajoutai-je.
— Je suis là, devant toi, s’impatienta Hayden en réduisant encore la
distance qui nous séparait. Ce n’est pas la peine d’attendre une semaine.
Il posa sa main sur ma joue, et une onde de chaleur me traversa le corps.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda-t-il.
— Veuillez noter vos initiales sur vos cartons pour le premier tour, s’il
vous plaît ! appela l’organisateur depuis la pièce adjacente. Vous être libre
de surenchérir, mais cela permettra au commissaire-priseur de ne pas
commettre d’erreur.
— Je dois y aller, déclarai-je. Je dois faire une offre sur celui-là.
— Sinon, tu peux me laisser te l’acheter, intervint Hayden en me prenant
les mains. J’ai besoin que tu m’écoutes maintenant, Pen. Il faut qu’on parle.
— C’est prévu, répliquai-je en reculant. La semaine prochaine.
Je m’éloignai avant qu’il n’ait eu le temps d’ajouter quoi que ce soit.
Nerveuse, je me munis d’une pancarte et d’un feutre. Puis je m’installai
au premier rang.
— Dans le premier lot, nous vous proposons quatre appartements
identiques à celui-ci, expliqua l’organisateur. Afin de commencer les
enchères, j’accueille maintenant…
— Si tu ne veux pas me parler en privé, je vais le faire en public.
Hayden apparut tout à coup devant moi, les sourcils froncés et la
mâchoire tendue.
— Monsieur, il s’agit d’une vente aux enchères, intervint l’organisateur
en s’éclaircissant la voix. Si vous désirez y participer, vous pouvez vous
inscrire et…
— Si tu crois que je serais seulement capable de te faire du mal après tout
ce que nous avons traversé ensemble, tu te trompes lourdement.
Les murmures emplirent la pièce, puis se turent pour faire place au
silence.
— Je refuse de passer un jour de plus sans que tu m’adresses la parole,
poursuivit-il d’une voix éraillée. Ce que je ressens pour toi, je ne l’ai jamais
ressenti pour personne, et tu es plus que ma meilleure amie, Penelope. Je
crois que tu as toujours été plus que ça.
Des larmes coulaient sur mes joues.
— Je suis amoureux de toi depuis ta quinzième rupture…
Il passa ses doigts dans mes cheveux.
— Je voulais que nous soyons ensemble à l’époque, mais je t’aimais
suffisamment pour vouloir que tu te concentres sur ta propre carrière…
Ma respiration ralentit.
— Je t’aime, et je sais que tu as lu ma lettre. Je le vois dans ton regard.
Mais juste pour que ce soit clair : je suis amoureux de toi, de toi tout
entière, et je ne te donnerai plus jamais de conseils pour séduire un autre
homme, car ta place est avec moi. Et si tu me laisses une seconde chance, tu
n’auras plus jamais à vivre une autre rupture.
Il régnait un tel silence dans la pièce qu’on aurait pu entendre une
mouche voler. Les mots que je voulais prononcer restaient piégés sur le
bout de ma langue.
Je sentais tous les regards braqués sur nous, me suppliant de lui donner
une réponse.
— Je t’en prie.
Hayden se pencha si près que nos lèvres se touchèrent presque.
— Accepte de me reprendre, Penelope.
Je déglutis.
— Je n’ai jamais voulu te donner un titre de rupture, déclarai-je enfin.
— Tu n’es pas obligée de le faire. Reviens.
— D’accord, sanglotai-je en hochant la tête tandis que d’autres larmes
coulaient sur mes joues.
— « D’accord » oui, ou « d’accord » tu vas y réfléchir ?
— « D’accord » oui. Et partons d’ici.
Il m’embrassa sans prêter la moindre attention aux autres invités, sans se
préoccuper de savoir s’ils filmaient la scène ou non.
— Tu m’as manqué, murmura-t-il.
Il glissa ses doigts dans mes cheveux tout en prenant possession de ma
bouche, ce qui me rappela à quel point lui aussi, il m’avait manqué.
Lorsque notre baiser s’interrompit enfin, quelques personnes dans
l’assistance applaudirent.
— Pouvez-vous ficher le camp tous les deux, maintenant ? ronchonna
l’organisateur. J’ai des appartements à vendre.
Nous rîmes et Hayden me prit par la main, avant de m’entraîner hors de
la salle. Il me conduisit jusqu’à l’ascenseur et posa de nouveau sa bouche
sur la mienne tandis que la cabine descendait les étages.
Quand nous arrivâmes au rez-de-chaussée, il me plaqua contre un mur et
m’embrassa avec une passion telle que je me fis la promesse de ne plus
jamais laisser passer autant de temps sans goûter à ses lèvres.
— Chez toi ou chez moi ? demanda-t-il.
— Chez toi.
— Excellent choix.
Il passa son bras autour de ma taille et me conduisit au bout de la rue
pour rejoindre sa voiture. Quand le premier paparazzi apparut devant nous,
il me serra plus fort contre lui.
Hayden déposa un baiser sur mon front sous les flashs invasifs de deux
autres photographes.
— Vous n’avez pas de parapluie avec ce temps ?
— Êtes-vous ensemble à présent ?
— Avez-vous un commentaire à faire à propos de la lettre d’Hayden,
Penelope ?
Il ouvrit la porte côté passager et me fit entrer sans leur adresser un mot.
Puis il s’installa derrière le volant et s’élança dans la rue à vive allure.
Alors qu’il tenait ma main derrière le levier de vitesse, il se tourna vers
moi au moment où nous arrivâmes à un feu rouge.
— De quoi voulais-tu me parler exactement, la semaine prochaine ?
— D’un calendrier de communication.
— Quoi ? souffla-t-il avec dédain. Tu croyais honnêtement que j’aurais
suivi un emploi du temps juste pour pouvoir te parler ?
— C’était au sujet de la garde partagée, expliquai-je avant de marquer
une pause. Je suis enceinte.
Il mit la boîte de vitesse au point mort et se tourna vers moi.
— Avant que tu ne poses la question, c’est inutile de faire un test de
paternité, poursuivis-je.
— Je n’avais pas du tout l’intention de demander ça.
Il lança un regard en direction de mon ventre, puis m’interrogea :
— Tu en es à combien ?
— Treize semaines. Est-ce que tu as peur ?
— J’ai la trouille de ma vie.
Il se pencha vers moi et m’embrassa sans prêter attention aux voitures qui
klaxonnaient derrière nous une fois le feu passé au vert.
— Dis-moi quelque chose, dans ce cas, déclara-t-il. Un calendrier de
communication entre amis, c’est une chose. Mais pourquoi as-tu pensé que
j’accepterais une chose pareille quand j’aurais découvert que tu portais mon
enfant ?
— J’avais l’intention d’ajouter quelques clauses de sexe sans engagement
si tu respectais ta part du contrat.
Un sourire se dessina sur ses lèvres.
— « Quelques » n’auraient jamais suffi.
Il passa ses doigts dans mes cheveux, avant d’ajouter :
— J’ai hâte de prendre un véritable nouveau départ avec toi, Penelope.
Mais je veux être sûr de ne jamais être un obstacle à tes rêves.
— Je comprends.
— Bien, je veux aussi m’assurer que tu seras toujours transparente avec
moi et que tu me diras toujours ce que tu veux pour que je puisse te le
donner.
— Au lit ?
— Ça va de soi, mais pas seulement, répondit-il en secouant la tête. Je
veux dire, pour tout. Dis-le-moi.
— Et si tu me laissais conduire ta voiture ?
— N’exagère pas, bordel, s’exclama-t-il en riant avant de m’embrasser de
nouveau. Il faudra d’abord que je t’emmène sur un parking pour faire un
test cette semaine. Que désires-tu vraiment ?
Chapitre 50

Penelope

Quelques mois plus tard…

Je caressai du bout des doigts une bobine de ruban rouge et retins mon
souffle en lisant ce qui était incrusté dans le tissu :
La Plume de glace : pavillon de patinage artistique
L’inauguration de ma patinoire ne devait pas avoir lieu avant plusieurs
mois, mais je m’étais donné comme mission de superviser la
personnalisation de tous les détails pour la cérémonie d’ouverture.
La collection de médailles et de récompenses de ma mère trouverait
bientôt sa nouvelle place sur le mur de gauche, juste à côté de la mienne.
Entre les deux, je prévoyais de laisser de la place pour que d’autres
femmes puissent exposer leur réussite. Je savais déjà que les patineuses qui
avaient signé pour travailler avec moi au printemps avaient de grandes
chances de faire évoluer leurs carrières sur la glace sur le long terme.
Je savais aussi que j’aurais probablement un jour l’occasion d’entraîner
une athlète qui m’aiderait à atteindre les vingt-huit médailles grâce à la
nouvelle réglementation des Jeux olympiques. Mais je préférais mille fois
avoir vingt-huit élèves à la place, et ce n’était que le début.
Le sourire aux lèvres, j’avançai vers une paire de patins à glace posée sur
le banc et résistai à l’envie de les chausser.
— J’aurais juré que nous nous étions mis d’accord pour que tu ne viennes
pas ici avant la naissance de notre fils.
Je me retournai en entendant la voix grave d’Hayden.
— Tu me connais, tu aurais dû savoir que c’était un mensonge.
— Je le savais.
Il sourit, et déposa un baiser sur mon front.
— Je savais aussi que je devais prendre un vol qui me ferait arriver plus
tôt si je voulais découvrir ce que tu faisais vraiment, ajouta-t-il. Tu n’as pas
vraiment l’air d’être avec Tatiana.
— Tu n’imagines pas ce que c’est que de se taper des heures d’anime
avec une fan inconditionnelle, répondis-je en secouant la tête. Comment
s’est passée ta réunion avec Sarah et Lawrence ?
— Bien.
Hayden passa ses bras autour de ma taille.
— Ils sont contents d’évoluer, expliqua-t-il. D’ailleurs, sur une échelle
d’un à dix, à quel point es-tu heureuse avec moi ?
— Huit.
— Seulement huit ? s’exclama-t-il en haussant les sourcils.
— Ce serait dix si tu pouvais faire en sorte que la presse à scandale arrête
de parier tous les jours sur : « Combien de temps l’histoire entre Penelope
Carter et Hayden Hunter va-t-elle durer ? » Ils rabâchent cette histoire
plusieurs fois par semaine.
— Je t’ai dit que tu n’étais pas censée lire ces torchons.
— J’y travaille.
— Hmm.
Il m’embrassa, puis sortit une petite boîte rouge de sa poche.
— Tu sais quoi ? demanda-t-il. La prochaine fois qu’ils s’amuseront à ce
petit jeu, tu devrais te joindre à eux, et parier sur « pour toujours ».
Il fit un pas en arrière et posa un genou à terre.
Je laissai échapper un cri de surprise alors qu’il prenait ma main et levait
le regard vers moi.
— Je voulais te faire ma demande il y a plusieurs mois, mais je savais
que tu voudrais respecter la tradition, c’est-à-dire que je demande ta main à
tes parents, ce qui malheureusement est impossible.
— S’il te plaît, ne me dis pas que tu as posé la question à mon frère à la
place.
— J’ai en effet demandé ta main à ton frère, confirma Hayden en
souriant. Il a répondu « hors de question ». Mais je lui ai bien posé la
question.
Je ris.
— Cependant, il a changé d’avis au bout de quelques jours, reprit
Hayden. Même s’il ne l’avait pas fait, je me serais quand même lancé.
Il serra ma main dans la sienne.
— Penelope Carter, je suis amoureux de toi depuis ta quinzième rupture.
Je regrette de ne pas te l’avoir dit à l’époque, pour que nous n’ayons jamais
eu à traverser notre guerre froide.
Les larmes me montèrent aux yeux.
— Cependant, cela ne se reproduira plus jamais, et je veux passer le reste
de ma vie en étant plus que ton petit ami.
Il plongea son regard dans le mien.
— Veux-tu m’épouser ?
— Oui, acquiesçai-je en hochant la tête. Oui.
Il fit glisser un énorme diamant à mon doigt et déposa un baiser sur ma
main avant de se relever. Il m’attira contre lui et m’embrassa jusqu’à ce que
j’en aie pratiquement le souffle coupé.
— Je suis heureux que tu sois ma première et dernière relation, murmura-
t-il contre mes lèvres.
— Pourquoi ?
— Parce que je sais que je n’aurais jamais à te donner un titre de rupture.

FIN.
Épilogue

Rupture no 17
Celui ou celle qui me devait des excuses

Hayden

N’oubliez pas que vous me devez des excuses.


Je sais que vous avez tiré des conclusions hâtives à mon sujet lors de
notre première rencontre dans le prologue, et qu’elles se sont révélées
fausses. Je vous ai vus.
Vous avez probablement pensé que j’avais trompé ma meilleure amie, ou
bien fait quelque chose de totalement impardonnable.
Dans tous les cas, étant donné que j’ai passé la majorité de ce roman à
distribuer des lettres d’excuses comme des petits pains, je pense qu’il n’est
que justice que vous m’en écriviez une à votre tour.
Je vais même vous envoyer l’un des modèles de Penelope par e-mail.
J’attends.

FIN
(encore)
Note de l’autrice

Merci infiniment d’avoir téléchargé l’histoire d’amour entre Hayden et


Penelope. J’espère que vous avez pris autant de plaisir à la lire que j’en ai
eu à l’écrire.

Vous aimerez peut-être aussi