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- Le Stratagème au théâtre –

Un outil et un dispositif

LE THEATRE VU COMME STRATAGEME


Avec Les Fausses Confidences de Marivaux, nous avons pu observer que le stratagème était
au cœur du théâtre. C’est d’ailleurs un motif récurrent puisqu’il est l’un des rouages
essentiels voire même l’ingrédient principal de la mécanique de la comédie et assure
incontestablement à l’intrigue une progression dramatique.
Le théâtre exploite le stratagème comme un outil, mais le théâtre est lui-même un
stratagème, un qui permet d’offrir au spectateur une illusion de la réalité.
Le XVIIe siècle est marqué par de nombreux réquisitoires contre l’art dramatique.
En effet, l’Église et les dévots s’attaquent au théâtre, l’accusant de corrompre le spectateur.
Antoine Godeau, Pierre Nicole, Blaise Pascal sont les principaux détracteurs du théâtre. Ils
reprochent aux auteurs dramatiques de répandre une morale pernicieuse dans leurs pièces
et condamnent le théâtre comme étant le corrupteur du genre humain. Selon eux, la
représentation du vice ne fait qu’exciter notre penchant au vice. Au XVIIIe, Rousseau,
s’opposant aux philosophes (D’Alembert, Voltaire, Diderot), reprendra les arguments de
Nicole et Bossuet et considèrera le théâtre de Molière comme « une école de vices et de
mauvaises mœurs » dans sa Lettre à d’Alembert sur les spectacles (1758).

Pour autant, le théâtre connaît un succès grandissant. Ainsi, les discussions sur la moralité
du théâtre se multiplient. Le théâtre est envisagé comme un stratagème propre à édifier
le spectateur. C’est ainsi que L’Illusion comique (1634) de Corneille peut se lire comme un
véritable plaidoyer en faveur du théâtre: cette pièce est en effet une réflexion sur
l’importance de l’illusion théâtrale pour accéder à une meilleure connaissance de soi.
Dans cette pièce, Alcandre, magicien humaniste, régisseur de la fantasmagorie et en quelque
sorte thérapeute, met en place un dispositif théâtral chargé de « soigner » Pridamant, père
accablé de douleur qui veut retrouver son fils Clindor, lequel a fui l’autorité paternelle depuis
dix ans. Alcandre, (double du metteur en scène), dans sa grotte (métaphore du théâtre), va
faire voir à Pridamant (double du spectateur) tous les périples de son fils (comédien). Le
spectateur qu’est Pridamant parvient au terme de la représentation à purger ses mauvaises
passions (colère, ressentiment) par l’émotion.
Corneille fait d’Alcandre un véritable médecin (on vient d’ailleurs le « consulter »). De ce
fait, si l’illusion sert à tromper, elle nous fait voir in fine la vérité et nous y fait accéder.
L’illusion a donc une fonction heuristique, c’est-à-dire qu’elle permet de découvrir la vérité.
Dans cette perspective, la pièce s’achève sur l’éloge du théâtre, Alcandre justifiant à
Pridamant la moralité du théâtre :
Pridamant
J’ai pris sa mort pour vraie, et ce n’était que feinte ;
Mais je trouve partout même sujet de plainte.
Est-ce là cette gloire, et ce haut rang d’honneur
Où le devait monter l’excès de son bonheur ?

Alcandre
Cessez de vous en plaindre. À présent le théâtre
Est en un point si haut que chacun l’idolâtre ;
Et ce que votre temps voyait avec mépris
Est aujourd’hui l’amour de tous les bons esprits,
L’entretien de Paris, le souhait des provinces,
Le divertissement le plus doux de nos princes,
Les délices du peuple, et le plaisir des grands ;
Il tient le premier rang parmi leurs passe-temps ;
Et ceux dont nous voyons la sagesse profonde
Par ses illustres soins conserver tout le monde,
Trouvent dans les douceurs d’un spectacle si beau
De quoi se délasser d’un si pesant fardeau.
Même notre grand roi, ce foudre de la guerre
Dont le nom se fait craindre aux deux bouts de la terre,
Le front ceint de lauriers, daigne bien quelquefois
Prêter l’œil et l’oreille au Théâtre-François :
C’est là que le Parnasse étale ses merveilles ;
Les plus rares esprits lui consacrent leurs veilles ;
Et tous ceux qu’Apollon voit d’un meilleur regard
De leurs doctes travaux lui donnent quelque part.
D’ailleurs, si par les biens on prise les personnes,
Le théâtre est un fief dont les rentes sont bonnes ;
Et votre fils rencontre en un métier si doux
Plus d’accommodement qu’il n’eût trouvé chez vous.
Défaites-vous enfin de cette erreur commune,
Et ne vous plaignez plus de sa bonne fortune. »
Extrait de l’Acte V, scène 5, L’Illusion comique, Corneille, 1636

QUESTION :
Dans un paragraphe argumenté (et exemplifié), faites l’analyse de cette réplique d’Alcandre.
Quelle est sa vision du théâtre ?

À la suite de Corneille, Molière ou Racine n’auront de cesse de clamer l’utilité du


théâtre. Dans la Préface de Tartuffe (1669), Molière reprend la devise de la comédie italienne
– « castigat ridendo mores » – : la comédie doit « corriger les vices des hommes » ; « le
théâtre a une grande vertu pour la correction ». Racine quant à lui, dans la Préface de Phèdre
(1677), revendique la moralité du théâtre, qui ne dévoile le désordre des passions que pour
mieux les châtier, puisque « les moindres fautes y sont sévèrement punies ». Il réhabilite le
théâtre qu’il considère comme une véritable « école de vertu ».
Ces plaidoyers appréhendent donc le théâtre comme un stratagème dont la finalité est
morale et didactique. Au XXe siècle, Alexandre Jodorowsky a théorisé le lien entre le
théâtre et la psychothérapie. Selon le dramaturge chilien, le théâtre doit proposer des actes
symboliques à valeurs purificatrices, thérapeutiques. Le théâtre peut permettre la sublimation
des passions pour mieux revenir à la vie. Selon Jodorowsky, le but ultime du théâtre est
d’expulser la violence, la sublimer et la transformer en puissance créatrice. Il s’agit donc,
comme dans Les Fausses Confidences, de faire tomber les masques pour faire accéder à la
vérité.

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