Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
N°677 / 6,90 €
MENSUEL
BEL 7,80 €
ALLEMAGNE 9.90 €
LUX 7,80 €
SUISSE 11,70 CHF
PORTUGAL CONT 7,90 €
ITALIE 7,90 €
ESPAGNE 7,90 €
CAN 11,90 $ CAN
DOM 7,80 €
NCAL(S) 1030 XPF
ILE MAURICE 7,80 €
L 19766 - 677 S - F: 6,90 € - RD
Edito
Shanta Claus
Le sourire
déglingué
Pas envie de rire. Chaque année c’est la même chose…
A ce moment de vœux et de souhaits, d’espoir en
quelque sorte, pan, un mort. Cette fois, c’est deux !
C’était idem l’année dernière. Avec Wilko. Le premier
d’une série de guitaristes mais de chanteuses aussi.
Et puis Tai-Luc…
Devenu bouquiniste, il est peut-être mort de devoir débarrasser
ses caisses du quai de Gesvres. Ordres de la Mairie de Paris.
Oust ! Les Jeux olympiques, hein ! Anne Hidalgo coupable ?
VINCENT TANNIÈRES
Photo Anton-Corbijn-DR
Géant Vert
Ce numéro
comprend
un flyer
Basile Farkas NINO FERRER 38
“Offres Noël”
NIRVANA 42
Photo Clare Muller/ PYMCA/ Avalon/ Getty Images
www.rocknfolk.com
En couverture
Vianney G. 2023 ANNÉE ROCK ? 46
La vie en rock
Patrick Eudeline SHANE MacGOWAN 56
COUVERTURE : GRAPHISME FRANCK LORIOU
TOUTES PHOTOS : GETTY IMAGES - IGGY POP : DALLE - HOWLIN JAWS : MURIEL DELEPONT
SIMONON/ AYERS, LEMON TWIGS, PRETENDERS, ROLLING STONES : DR 56 Shane MacGowan
RUBRIQUES EDITO 003 COURRIER 006 TELEGRAMMES 008 DISQUE DU MOIS 061 DISQUES 062 REEDITIONS 070 REHAB’ 074 VINYLES 076
DISCOGRAPHISME 078 HIGHWAY 666 REVISITED 080 QUALITE FRANCE 081 ERUDIT ROCK 082 ET JUSTICE POUR TOUS 084 FILM DU MOIS 086
CINEMA 087 SERIE DU MOIS 089 IMAGES 090 BANDE DESSINEE 092 LIVRES 093 LIVE 094 PEU DE GENS LE SAVENT 098
Rock&Folk Espace Clichy - Immeuble Agena 12 rue Mozart 92587 Clichy Cedex – Tél : 01 41 40 32 99 – Fax : 01 41 40 34 71 – e-mail : rock&folk@editions-lariviere.com
Président du Conseil de Surveillance Patrick Casasnovas Présidente du Directoire Sophie Casasnovas
Directeur Général Frédéric de Watrigant Editeur Philippe Budillon
Rédacteur en Chef Vincent Tannières (32 99) Rédacteur en Chef adjoint Eric Delsart
Chef des Infos Yasmine Aoudi (32 94) Chef de la rubrique Live Matthieu Vatin (32 99)
Conseiller de la Rédaction Jérôme Soligny Maquette Christophe Favière (32 03) Secrétaire de rédaction Manuella Fall
PUBLICITÉ : Directeur de Publicité Olivier Thomas (34 82)
Assistant de Publicité Christopher Contout (32 05)
PHOTOGRAVURE Responsables : Béatrice Ladurelle (31 57), Flavien Bonanni (35 29) Chromiste : Hugues Vuagnat (3489)
VENTES (Réservé aux diffuseurs et dépositaires) : Emmanuelle Gay (56 95)
ABONNEMENTS : Promotion Abonnements : Carole Ridereau (33 48) Abonnement : France 1 an - 12 numéros papier et numérique : 131,48 e, prélèvement mensuel : 5,95 e
Suisse et autres pays et envoi par avion : nous contacter au (33) 03 44 62 43 79 ou sur : abo.lariviere@ediis.fr VENTE PAR CORRESPONDANCE : Accueil clients 03 44 62 43 79
Commande par Carte Bancaire ou sur www.rocknfolk.fr COMPTABILITÉ (32 37) Fax : 01 41 40 32 58 Directeur de la Publication et Responsable de la Rédaction : Patrick Casasnovas
IMPRESSION : Imprimerie de Compiègne Zac de Mercières 60205 Compiègne Cedex.
Papier issu de forêts gérées durablement, origine du papier : Allemagne, taux de fibres recyclées : 63%, certification : PEFC/ EU ECO LABEL, Eutrophisation : 0,003 kg/ tonne.
DIFFUSION : MLP – Rock&Folk est une publication des Editions Larivière, SAS au capital de 3 200 000 euros. Dépôt légal : 1er trimestre 2024. Printed in France/ Imprimé en France.
Commission paritaire n° 0525 K 86723 ISSN n° 07507852 Numéro de TVA Intracommunautaire : FR 96572 071 884 CCP 11 5915A Paris RCS Nanterre B 572 071 884
Administration : 12, rue Mozart 92587 Clichy Cedex – Tél : 01 41 40 32 32 Fax : 01 41 40 32 50. LES MANUSCRITS ET DOCUMENTS NON INSÉRÉS NE SONT PAS RENDUS.
Courrier des lecteurs
CHATEAU d’HEROUVILLE
France 5 diffusera le
documentaire, “Le Château
D’Hérouville, Une Folie Rock
Française”, le 19 janvier.
L’épopée du studio
d’enregistrement résidentiel
à l’initiative du compositeur
Michel Magne, qui accueilli
dans les années 70 nombreuses
stars (Iggy Pop, David Bowie,
Pink Floyd, Nino Ferrer…).
dAVId BOWIE
Les pages manuscrites des
paroles de “Rock N’Roll
Suicide” et “Suffragette City”
écrites par l’icône disparue en
2016 ont trouvé acquéreur pour
la modique somme de 89 000 £
lors d’une vente aux enchères.
ARTHUR BROWN
Le chanteur de rock
Photo Harvey Waller-DR
dAVE EVANS
“Elephantasia”, l’opus folk
datant de 1972 du regretté
Australien d’origine britannique
parti en avril 2021, bénéficie
d’une réédition en CD et vinyle.
BILLY IdOL
Live capté en avril dernier au
barrage Hoover sur le fleuve
Colorado, “Billy Idol – State
Line: Live At The Hoover Dam”
a fait l’objet d’un film disponible
en DVD ou Blu-ray. Avec Alison
Photo Marieke Macklon-DR
Condoléances
Pierre-Mendès-France. Jérôme poursuit en justice le leader
Soligny a été sollicité par la de Guns N’Roses pour : Chad Allan (musicien et chanteur canadien
Ville de Paris pour organiser agression sexuelle présumée de rock, soft rock et country rock, cofondateur des Guess Who, Bachman-
cette journée avec la Mairie du en 1989, lors d’une fête Turner Overdrive), Buzy (auteure, compositrice et interprète française),
XIIIème. George Underwood dans un hôtel new-yorkais. Charlie dominici (chanteur américain de metal progressif, The Dream
et Geoff MacCormack, L’avocat du chanteur réfute Theater), Claude Fléouter (journaliste, producteur et réalisateur français,
les deux amis d’enfance de les accusations, qu’il qualifie fondateur des Victoires De La Musique, coproducteur de “L’Ile Aux
David Bowie restés proches de “réclamations fictives”. Enfants”), Jeffrey Foskett (chanteur et guitariste américain, Beach Boys),
de lui jusqu’à la fin de sa Myles Goodwyn (chanteur, auteur-compositeur et guitariste canadien,
vie, dévoileront la plaque. QUEEN April Wine), Jean Knight (chanteuse américaine de soul, “Mr Big Stuff”),
Quelques Français qui l’ont Pendant le week-end du denny Laine (guitariste britannique de rock, Moody Blues, Wings), Tai Luc,
bien connu, des journalistes 18 au 21 janvier sera projeté Shane MacGowan, Michel Sardaby (compositeur et pianiste français de jazz),
et des fans seront conviés exclusivement dans les salles John “Rambo” Stevens (ami fidèle et manager britannique de John Lydon),
en fin de journée à la mairie Imax “Queen Rock Montreal”, Karl Tremblay (chanteur québécois, Cowboys Fringants), Goerdie Walker
pour une rencontre informelle concert emblématique capté (guitariste britannique de post-punk, Killing Joke), Chiba Yusuke (musicien,
au son de ses chansons. en novembre 1981 au Forum chanteur et compositeur japonais de garage rock, Thee Michelle Gun
de Montréal (imax.com/queen). Elephant…), Benjamin Zephaniah (écrivain et poète anglais, rasta et dub).
ADRIEN DURAND
Musicien, programmateur, attaché de presse, journaliste, auteur d’essais
et désormais romancier, ce touche-à-tout connaît l’industrie musicale
sous toutes ses coutures et porte un regard singulier sur ce milieu, tout
en gardant un rapport viscéral avec ce qui compte : la musique.
RECUEILLI PAR THOMAS E. FLORIN - PHOTOS WILLIAM BEAUCARDET
SON LIVRE EST NOIR COMME LA MUSIQUE QU’IL cette période étrange : le deuil de Kurt Cobain. Moi, je n’écoutais
ÉCOUTE. Pourtant, Adrien Durand a su se trouver où était pas Nirvana à 7 ans, mais on sentait ce flottement dans l’air avec
la lumière : attaché de presse du meilleur festival de France un trône à prendre et les prétendants qui tentaient leur chance.
(Villette Sonique), rédacteur en chef adjoint du meilleur C’était une époque plombée, située entre deux guerres en Irak, on
webzine musical du pays (“Noisey”), il fête ce mois-ci le parlait tout le temps de sida aux enfants et les stars qu’on voyait à
premier anniversaire de ce qui pourrait bien devenir la la télé se suicidaient où faisaient des overdoses… Nos parents nous
meilleure maison d’édition rattachée de près ou de loin à inculquaient des idéaux hippies et racontaient leur Mai 68, le tout
la musique au monde (Le Gospel). Ce Nick Hornby hypra depuis nos lotissements de banlieue pavillonnaire. Tout cela créait
mélancolique, auteur de “Tuer Nos Pères” et “Je N’Aime une ambiance de regrets et donnait naissance à des personnages
Que La Musique Triste”, sortait en septembre dernier son comme Trent Reznor. “The Downward Spiral”, pour moi, incarne
premier roman : “Cold Wave”. Un anniversaire, un premier cette noirceur, ce nihilisme qui semblait être la seule solution pour
roman, deux bonnes occasions de discuter autour d’un jus se sortir d’un marasme quotidien.
d’orange glacé.
R&F : On écoutait de la musique chez vous ?
Adrien Durand : Surtout de la chanson à texte, que j’ai toujours
Une époque plombée rejetée. Je n’aime pas la musique qui se prend trop au sérieux. Puis
ROCK&FOLK : Premier disque acheté ? mes parents écoutaient beaucoup les Beatles, mais c’est un groupe
Adrien Durand : Le premier disque que je n’aime pas du tout. Donc à la question Stones ou Beatles, je
que j’ai acheté en étant conscient de le suis obligé de répondre : ni l’un ni l’autre. On écoutait “Harvest”
faire, c’était le single de Beck, “Loser”, qui était un peu le disque familial et Neil Young était très présent à
en CD deux titres. Une chanson qui m’a l’époque, avec la BO de “Dead Man” ou “Mirror Ball”, l’album avec
suivi, puisque j’ai intitulé un livre “Je Pearl Jam. Mais rapidement, ce qui m’a attiré, c’était des choses
Suis Un Loser Baby” où je racontais beaucoup moins… professionnelles.
notamment l’histoire de Carl Stephenson
qui a co-écrit ce morceau puis est devenu R&F : C’est-à-dire ?
fou et a lancé toutes ses machines dans Adrien Durand : L’esthétique slacker, lo fi avec Sebadoh ou
la baie de Santa Monica. Dinosaur Jr. : des groupes qui avaient plus d’humour et de recul,
beaucoup moins le côté rock star tête de noeud de certains artistes dont
R&F : Comment découvriez-vous la musique à l’époque ? on a parlé avant. La BO du film “Kids” de Larry Clark m’a beaucoup
Adrien Durand : Beaucoup par hasard. Par exemple, j’ai découvert ouvert à cela aussi. C’était un film sur le skate mais dessus, au lieu du
Rage Against The Machine parce qu’un soir ma sœur revenait de punk à roulettes habituel, il y avait Daniel Johnston, Folk Implosion...
soirée, il pleuvait et quelqu’un lui avait Ça nous disait : “Oui, tu peux faire du
prêté un bonnet avec le nom du groupe skate sans n’être jamais monté sur une
imprimé dessus. Ça pouvait être aussi planche ; oui, tu peux monter un groupe
bête que ça. Puis la télévision jouait un sans n’avoir jamais joué de guitare”.
rôle très important. C’est par les clips
que j’ai acheté “Mellon Collie And R&F : Les films étaient donc des pas-
The Infinite Sadness” des Smashing serelles vers la musique ?
Pumpkins, un album qui a beaucoup Adrien Durand : Oui, ils participaient
compté. Vers 1995 ou 1996, il y avait à une ambiance générale. On découvrait
Etat émotionnel
R&F : Chez “Noisey” vous vous moquiez énormément de
tout le folklore qu’il y a autour des rock stars, la culture
rock en général ?
Adrien Durand : Oui. Pour moi, c’est un peu comme le catch :
tout cela est une construction. Les groupies, les boas à plumes, les
bagouses, c’est pas mon truc. Je viens de la classe moyenne plutôt
basse, donc cette mondanité, le côté “J’ai un avion avec mon nom
pour faire la bise au dalaï-lama”… A vrai dire, cela fait maintenant
trois ans que je me demande pourquoi j’aime la musique, c’est devenu
le sujet de plusieurs de mes livres. Ce que j’ai découvert, c’est que
mon rapport est beaucoup plus direct : la musique elle-même, les
chansons, m’arrache à la réalité en créant une sorte de bulle autour de
moi. C’est cela que j’ai essayé d’explorer dans mon livre “Je N’Aime
Que La Musique Triste”.
City Of Shit
R&F : Des souvenirs de concert particulier ?
Adrien Durand : Jay Reatard à Montréal
peu de temps avant sa mort. Il a joué vingt
minutes, la salle était à un étage d’un
immeuble, j’ai vraiment cru que le sol
allait s’effondrer. C’est étrange la fin de
la carrière de Jay Reatard : peu de temps
après, j’étais en Louisiane dans une ville
que les habitants surnomment City Of
Shit, ce qui en dit long sur l’ambiance
qui y règne. Le gros truc, c’était que Jay
Reatard venait de virer son groupe et qu’il organisait des auditions.
Tous les musiciens de la ville voulaient tenter le coup car ils étaient
persuadés qu’ils allaient être le next big thing. Et c’est vrai que “Blood
Visions” est un album à part. Tellement intense qu’on avait l’impression
que le disque allait se balancer tout seul contre les murs...
qui me semble avoir bien mieux vieilli
qu’un groupe comme Massive Attack. R&F : Pourquoi avoir appelé votre
Personnellement, je pense que dès que maison d’édition Le Gospel ? Vous
la musique ressemble à un pitch, c’est écoutez du gospel ?
très mauvais signe. C’est terrible, parce Adrien Durand : Ah ah ah, non, pas
que c’est ce que l’on demande au groupe spécialement. Je crois surtout que j’ai
aujourd’hui. “Pitchez-moi votre projet un rapport assez mystique aux choses.
en deux minutes.” Je suis persuadé que J’aime cette idée d’une musique qui
la professionnalisation tue en partie la élève, mais qui devient une bulle en
musique. même temps. Les disques récents que
j’écoute sont comme ça : le dernier album de Tirzah, “trip9love… ???”,
une chanteuse anglaise qui fait une sorte de shoegaze un peu trip hop,
Déguisés assez fantomatique… Quand on met ça, on a l’impression d’être
en mouches géantes légèrement défoncé, suffisamment pour que la réalité s’éloigne.
R&F : Que ce soit par vos textes ou même quand vous étiez atta-
ché de presse pour Villette Sonique, vous semblez toujours du R&F : Quel album emporteriez-vous sur une île déserte ?
côté de l’underground. Adrien Durand : “The Moon And The Melodies” de Harold Budd et
Adrien Durand : Ça a commencé quand j’avais un groupe. On organisait les Cocteau Twins. Je suis très fan des deux, c’est un disque comme
des concerts et, à cette époque, la plupart des formations faisaient deux un palais des glaces, fabuleux, le genre d’album qui crée le même
dates où ils retournaient la salle puis ils disparaissaient à tout jamais. Je flottement que les drogues. Et c’est très compliqué pour moi d’écouter
trouvais ça beau, ce côté gratuit. C’était l’époque du post hardcore, où le un autre disque derrière ça. H
groupe qui a fait la transition pour moi, ça a été At The Drive-In, qui m’a Livre “Cold Wave” (Le Nouvel Attila)
TAI-LUC 1958-2023
Fer de lance d’une génération spontanée poussée sur les cendres du punk 77,
La Souris Déglinguée reste dans l’inconscient collectif l’exemple parfait
du groupe dont les parents ne souhaitaient pas voir leurs enfants à leurs concerts.
PAR UNE NUIT DE DÉCEMBRE, et Marc Zermati, un voyage à Londres le couperet tombe vite.
TAI-LUC, MÉGAPHONE ET pour découvrir les Jam et un autre à San Exit la Souris et bonjour tristesse.
FIGURE DE PROUE DE CE COMBO Francisco pour un prétexte familial qui se Loin de la musique, Tai-Luc se retrouve
LYSERGIQUE, A BOUCLÉ SON transforme en exploration du punk local seul devant son ordinateur. Derrière,
PAQUETAGE DANS LA PLUS grâce au charisme de Penelope Houston, comme ultime public, un mur de livres
PARFAITE TRADITION DU 1ER R.I. chanteuse des Avengers, il rentre en principalement érigé avec des ouvrages
PICARDIE, le régiment où il était France avec le fervent désir d’avoir lui sur l’Asie du Sud-Est dont la plupart lui
radio et où il a appris à maîtriser la aussi ses quinze minutes de gloire sur ont servi de guides dans sa longue quête
phonie, un moyen de communication la première scène qui s’offrira à lui. identitaire pour réussir à cerner qui il était
comme un autre. Retour sur une Avec des copains de lycée, il crée vraiment. Dans sa nouvelle solitude de
époque définitivement révolue La Souris Déglinguée, un quatuor de paria imposée par un monde de la musique
en quelques points essentiels. rock’n’roll speed au répertoire déjà à l’amour versatile, regrette-t-il de n’avoir
polémique dès le concert du lycée jamais ouvert des ouvrages aux titres
Rabelais, en décembre 1978. évocateurs rédigés par Roger Peyrefitte ou
Poésie urbaine L’ironie du titre “Nuremberg Blues”, Pierre Choderlos de Laclos ? Dommage. Car
Pour les gens qui l’ont approché un qui parle de l’évasion du SS Herbert à trop laisser la main droite n’en faire qu’à
peu, Tai-Luc était d’un abord facile malgré Kappler, passe mal auprès de certains sa guise, bien souvent la main gauche finit
une expression faciale digne d’un bouddha élèves. Peu réceptif aux remarques, Tai- sous le marteau comme l’écrirait l’ami qui
taiseux. Produit de la banlieue parisienne, Luc dessine des faucilles et des marteaux s’en est allé, ulcéré de ne point être écouté.
il est élevé par sa mère Jacqueline, un des à la craie jaune sur les tableaux portatifs Entouré de ses amis de papier, Tai-Luc se
personnages les plus importants dans le qui délimitent les loges. Déjà, une certaine refait une vie en commençant par remplir
devenir du musicien. Militante très engagée distanciation envers les récriminations un dossier pour devenir bouquiniste sur les
à gauche, elle élève son fils en prenant soin de la plèbe pointait à l’horizon. quais de Seine, à Paris. La démarche n’est
à ce qu’il sache faire très rapidement la pas si simple. S’il est accepté, il faut encore
différence entre les mots prolétariat et savoir où il aura droit d’ouvrir ses quatre
bourgeoisie. A ceux-là s’y ajoute très Bonjour tristesse boîtes d’une couleur verte tirant plus vers le
rapidement un troisième : révolution ; Des années LSD, l’histoire retiendra un sapin que vers celle d’un bomber. Mais quel
car c’est le maître-mot de tous les foyers premier album extraordinaire à la gloire que soit l’endroit, le paysage ne pourra pas
œuvrant pour la lutte des classes, un de la zone et de toute la voyoucratie qui être moche. Finalement, le quai de Gesvres
fondement sociétal désormais caduque la pavoise. Devant cette carte de visite lui tend les bras pour un nouveau départ
et remplacé par le droit à un train de rédigée à la chaîne de vélo, les plus anciens très vite chamboulé par une catastrophe
vie confortable pour tous. Comme tous se souviennent encore du grand bruit fait sanitaire. De ces années de nouvel enfer-
les adolescents rebelles, il découvre les par les portes du succès quand elles se mement, Tai-Luc en sort difficilement.
New York Dolls et le Velvet Underground. sont refermées dès les premières mesures Diminué par des décennies à marteler
Si les frasques en platform boots des de “Rock’N’Roll Vengeance”. Ensuite, le pavé, à vivre sa vie de rebelle, il paye la
premiers le marquent, ce sont les textes malgré un sens de l’innovation et de la facture tout en faisant un boulot d’arpenteur
de Lou Reed qui lui font découvrir une prise de risque au-dessus de la moyenne, de bitume aussi merveilleux que pénible.
forme de poésie urbaine qui parle de sujets le musicien n’arrivera jamais à imposer
nettement plus visuels que les textes de ses albums, qu’ils soient d’obédience rap Dans ton dernier contact, tu me présentais
Photo Touchard Heyman/ Dalle
Victor Hugo ou Baudelaire appris en cours. ou tournés vers l’Asie. De fil en aiguille, tes condoléances pour mon père. Merci.
Des trottoirs de Vélizy au lycée de Versailles, d’absence de concerts en désillusions Parlons-en mais plus tard, là-haut, devant
Tai-Luc s’ennuie ferme sur les bancs du encore et encore, Tai-Luc se prend les une tasse de thé ; je viendrai avec le mien,
bahut alors que l’été de la haine commence pieds dans son personnage et fréquente car je suis désolé de te le dire, j’ai toujours
à pointer son nez. Entre la découverte les mauvaises personnes. Dans un monde trouvé ton thé chinois dégueulasse. H
de l’Open Market de Jacques Dauty où les juges sont les réseaux sociaux, GEANT VERT
SLEATER-KINNEY Le duo culte est de retour avec un album aux guitares féroces.
Réponse viscérale au deuil et à l’horreur de l’époque.
QUICONQUE AYANT PRÊTÉ OREILLE R&F : “I Don’t Feel Right” est un des “Crusader”. Il y a des vies de personnes qui
À LEURS ALBUMS — OU, MIEUX, joyaux du disque. De l’anxiété pure sur sont écrasées, contre lesquelles on légifère. En
LES AYANT VUS FERRAILLER SUR une mélodie trépidante. Ce contraste, ce moment aux Etats-Unis, des lois sont prises
SCÈNE — SAIT QUE LES SLEATER- c’est un peu la marque de fabrique des contre le progrès social. Cette chanson existe
KINNEY SONT UNE DES MACHINES Beach Boys… pour dire qu’on est solidaires des personnes
DU ROCK DES ANNÉES 2000. Trente Corin Tucker : On vient du punk mais on visées dans ces textes mais aussi pour pointer
ans après leurs débuts en pleine fièvre a toujours été attirées par des gens comme l’hypocrisie de ces politiciens qui s’en prennent
riot grrrl, le duo originaire de l’Etat de les Beach Boys ou Tom Petty. Il y a cette aux plus vulnérables. C’est un cri de ralliement
Washington publie un onzième album dissonance entre des paroles sombres et une pour surmonter toute cette négativité.
politique, rouge et teigneux. Anatomie musique entraînante qui est une combinaison
magistrale d’un monde qui part en torche, vraiment intéressante. Les textes parlent de R&F : Pas une seule chanson de l’album
“Little Rope” est également marqué par léthargie mais la musique te botte le cul. ne dépasse les quatre minutes…
le deuil. Pendant son écriture, la mère et Jamais je n’aurais pu écrire un truc pareil à nos Corin Tucker : Le paramètre de la durée est
le beau-père de Carrie Brownstein sont débuts. Cette arrogance qu’était la nôtre à vingt essentiel. “Ok, on a 3 minutes 30. Un couplet,
décédés dans un accident de voiture en ans, on l’a perdue. On pensait tout savoir. Avoir un refrain, un pont. Comment on en tire le
Italie. C’est sa complice, Corin Tucker, compris dans quel sens le monde tournait. Mais meilleur ?” On est toujours prêtes à tester des
qui a reçu le coup de fil des autorités. c’était du flan. A quelques rares moments dans trucs nouveaux. On est vraiment persuadées
Depuis plusieurs jours, l’ambassade la vie, tu touches le sol. Mais la plupart du que si on devient prévisibles, on va perdre
américaine tentait en vain de joindre temps, tu fais comme tout le monde : tu pédales notre public.
Brownstein et sa sœur. Un numéro était dans le chaos.
répertorié comme le contact d’urgence R&F : Sleater-Kinney est né en 1994.
de Brownstein : celui de Tucker. C’est A l’époque, la guitare était une évidence.
dire si leurs vies sont entrelacées. Deux Un cri de ralliement Ça veut dire quoi être un groupe de rock
options s’offraient alors à la musicienne : R&F : “Crusader” est la chanson la à l’heure où le hip-hop domine les charts
s’écrouler ou transcender la douleur. plus évidemment politique de l’album. et la culture ?
S’adresse-t-elle à Ron DeSantis, le Carrie Brownstein : Il y a des tas de
gouverneur républicain de Floride en formations à guitares qui m’excitent en ce
Pédaler dans le chaos guerre contre le progressisme ? moment : Palehound, Blondshell… La guitare,
ROCK&FOLK : L’album s’ouvre avec Carrie Brownstein : Oui et non. Il y a beau- c’est le langage de Sleater-Kinney. J’adore
une bourrasque intitulée “Hell”. C’est coup de désespoir dans une chanson comme comme la distorsion exprime le désordre,
l’endroit où vous étiez lorsque vous la vulgarité. Lorsque Corin et moi jouons
travailliez sur le disque ? ensemble, il y a des imperfections, de la
Carrie Brownstein : Je crois qu’ici, on Etat rock’n’roll dissonance et je trouve ça beau. Ce disque, on
voulait surtout explorer notre relation à la Situé à l’extrême nord-ouest des l’a vraiment écrit ensemble à Portland, l’une en
violence. Créer une chanson qui refléterait Etats-Unis, l’Etat de Washington peut face de l’autre. Et je crois que ça se sent. C’était
l’état du monde. On vit une époque très revendiquer le titre d’Etat le plus moins vrai sur nos deux précédents albums.
rock’n’roll des Etats-Unis. Si Seattle a
sombre, non ? Mais c’est vrai que lorsqu’on vu naître Jimi Hendrix, elle a surtout
enregistrait, je traversais une période émo- généré des dizaines de groupes grunge R&F : Avant de nous quitter, c’est le
qui ont retourné la planète (Nirvana,
tionnellement très difficile… Mudhoney, Pearl Jam, Mother Love moment de régler quelques comptes.
Bone, Soundgarden, Melvins, Alice In On a visité votre ville natale, Olympia.
R&F : La musique aide ? Chains…). Cent kilomètres au sud, la Histoire de comprendre comment des
petite ville d’Olympia (capitale d’Etat) a
Carrie Brownstein : Elle m’a aidée à été le berceau du mouvement riot grrrl groupes comme Bikini Kill, Bratmobile
traverser le deuil. Elle a donné une place au avec Bikini Kill, Bangs, Bratmobile ou le vôtre ont pu y naître. On a rarement
puis Sleater-Kinney. Beth Ditto y a
chagrin. Travailler sur le disque a été une aussi formé le groupe Gossip. A mi- connu ville aussi rasoir…
Photo Chris Hornbecker-DR
façon pour moi de garder la tête hors de l’eau. chemin entre ces deux villes, on trouve Carrie Brownstein : Pardon mais quelle idée
Jouer de la guitare, utiliser mes mains, ma Tacoma, cité des Sonics et des Wailers, à la con (rires) ! Il n’y a absolument rien à faire
les plus féroces des groupes garage
voix, c’est une chorégraphie que je maîtrise. des années soixante, et plus à l’est là-bas ! A part monter un groupe de rock… H
Tandis que la mort de ma mère était un évé- Ellensburg, ville de Mark Lanegan et RECUEILLI PAR ROMAIN BURREL
ses Screaming Trees. Qui dit mieux ?
nement totalement incompréhensible. Album “Little Rope” (Loma Vista/ Universal)
MADNESS
Les parrains du ska britannique célèbrent l’absurdité
du monde dans un album enregistré en autarcie.
DE SES LOINTAINS DÉBUTS DU ROCK&FOLK : Comment s’est déroulée C’était hallucinant. Pour cette raison, je
CÔTÉ DE CAMDEN TOWN, MADNESS l’élaboration du disque ? tiens à préciser que ce n’est pas du tout un
S’ ES S A I E À U N S TYL E MO INS Suggs : Nous avons attendu que la situation lockdown-album ; pendant ces deux années,
ÉNERGIVORE AVEC UN NOUVEL revienne à la normale. Je n’ai pas trop apprécié j’ai fait tout sauf de la musique. Comment
ALBUM À LA FABRICATION AUSSI ces deux années de pandémie. C’était un peu voulez-vous penser à ce genre de chose quand
EXPÉRIMENTALE QUE BIEN VUE. comme dans la série “Le Prisonnier” : le cadre tout autour de vous tourne à l’affrontement ?
De passage près de la place de la est agréable mais vous n’êtes pas libre de faire De toute ma vie, je n’avais pas connu une
République, les deux frontmen Mike ce que vous voulez. situation aussi proche de la prison. C’était
Barson et Graham “Suggs” McPherson Mike Barson : Nul. Tous ces gens qui déconcertant.
ont bien voulu se renvoyer la balle tournaient en rond en s’accusant mutuellement Suggs : J’ai peut-être eu une ou deux idées
autour d’un micro pour éclairer leur pour une question de vaccination. J’en suis pendant le confinement, mais elles devaient
fan-club hexagonal. même arrivé aux mains avec mon propre frère. tourner autour de la situation. Une fois
redevenu libre, je me suis mis à écrire des Mike Barson : Ça a chamboulé nos projets, R&F : D’où vous est venue cette réfé-
choses plus marrantes, plus réelles, plus mais nous avions eu le temps d’aménager rence au théâtre de l’absurde ?
ancrées dans la vraie vie. Pas dans ce moment et d’apprécier le lieu. Une fois la situation Suggs : C’est une idée de Mike. Le titre
pour le moins bizarre. revenue à la normale, nous avons demandé un vient d’un livre d’un critique britannique
Mike Barson : J’ai entendu ce mec, Elton coup de main à Matt Glasbey pour qu’il nous qui commentait différents auteurs comme
John, qui racontait comment il avait enregistré assiste tout au long du processus. Samuel Beckett ou Eugène Ionesco, dont
son album pendant le confinement. J’ai trouvé Suggs : Même si le résultat final résume les les pièces n’hésitaient pas à bousculer les
ça ahurissant et j’ai essayé d’imaginer le envies des six membres de Madness, Matt formes traditionnelles du théâtre. L’album
type chez lui devant son micro en train de était là pour veiller à ce que nous ne partions est presque conceptuel avec une succession
gesticuler. Je ne devrais pas dire cela mais pas dans toutes les directions. de chansons qui sont autant de petites
la vision que j’en ai eue était proche du Mike Barson : Oui. Et j’ajouterai que l’idée saynètes parfois séparées par des interludes
syndrome de Gilles de la Tourette. de produire son premier disque avec la de présentation. Nous n’avions jamais fait
Suggs : Donc, pour résumer, c’est un album à présence d’un vrai producteur dans le studio cela auparavant.
mettre dans la catégorie after-lockdown, c’est est vraiment excellente (rires). Mike Barson : Après cette période de confi-
compris (rires) ? nement, tout était absurde : les gens, les actes,
R&F : Pourquoi ce choix d’un studio la vie. Le mot était juste parfait pour décrire
non professionnel ? de manière abstraite des gens bizarres dans
Des gens bizarres Suggs : L’idée d’être chez nous nous confor- un monde étrange. En fait, c’était de l’art
R&F : C’est votre premier album en tant tait. Au début, il y a eu quelques soucis avec abstrait sans le mot art à l’intérieur.
que producteur. Qu’en pensez-vous ? les prises de son. Au bout d’un moment, nous
Suggs : Il faut remettre les choses dans avons fini par trouver comment passer au- R&F : Un mot sur votre quasi-demi-
le contexte. En 2019, le problème était dessus de ces problèmes techniques. siècle dans l’industrie du disque ?
la dispersion des différents membres du Mike Barson : Nous avions vu ce documen- Mike Barson : Pour résumer les choses, je
groupe. Il fallait trouver une solution afin taire sur les Beatles en train d’enregistrer ne sais pas si nous avons passé ces cinquante
d’améliorer notre façon de travailler. Nous l’album “Let It Be” et nous en sommes ins- ans dans cette soi-disant industrie, mais en
avons alors eu l’idée de louer un grand local pirés. Passé cela, quand nous sommes arrivés revanche, qu’est-ce qu’on s’est marré à faire ce
industriel à Cricklewood, où nous pourrions à Cricklewood, toutes les chansons avaient que nous avions envie de faire : de la musique.
entreposer le matériel et répéter. Très vite, déjà été écrites. On a un peu fait comme Suggs : Tant que nous serons créatifs, nous
nous avons ajouté l’idée d’en faire un studio d’habitude, beaucoup de discussions pour ferons partie intégrante de cette industrie. H
d’enregistrement. Et c’est là que le covid savoir où se trouver la place de tous dans les
Photo DR
DYLAN LEBLANC
Une voix habitée, un son à mi-chemin de Laurel Canyon et de Tulsa
et des chansons étincelantes inspirées par un narco mexicain…
Dylan LeBlanc a signé l’un des plus intrigants et des plus beaux albums de l’année 2023.
DYLAN LEBLANC DEVAIT AVOIR UNE par le trafic de drogue. “J’ai grandi entouré vers seize, dix-sept ans. Puis deux premiers
DOUZAINE D’ANNÉES. Lui et son père de gens qui ressemblaient beaucoup à Coyote. albums la vingtaine venue, aux ventes confi-
résidaient à Muscle Shoals, en Alabama, Gamin, je voulais d’ailleurs être un gangster, dentielles. Un troisième en 2016. Il tourne à la
bourgade rurale bien connue des ama- je trouvais ça trop cool. Pas mal de mes amis dure, dix spectateurs, puis cinquante, cent.
teurs de soul pour ses studios légendaires, menaient ce genre d’existence, et certains ne sont Parvient à s’éloigner des bouteilles et de
notamment ceux de Fame Recordings. plus là aujourd’hui. Je ne faisais pas vraiment la fumette qui lui ont longtemps servi de
Son père, guitariste et songwriter, s’y ren- partie de ce milieu, mais je me suis retrouvé mêlé béquilles. L’horizon se dégage vraiment à la
dait tous les jours, rejoint par son fils à à des situations dangereuses, avec des flingues faveur d’un deal avec le label ATO, qui lui
la sortie de l’école, qui y traînait jusqu’à sortis, des trucs vraiment flippants...” offre des moyens plus confortables pour le
minuit, dormait parfois sur place. quatrième, “Renegade” (2019).
Placardée sur un mur, une photo d’une Dylan passe ses premières années au côté de
chanteuse passée par les lieux, longue sa mère pétrie de religion et de son beau-père,
chevelure brune, visage de vestale, et connaît une scolarité difficile, kleptomane Musiciens d’élite
silhouette courbée sur un piano, fascinait à ses heures perdues, qui sont nombreuses. Cajun du côté de son père, Dylan a vécu
jusqu’à l’obsession le jeune adolescent. Finalement confié à James, le paternel, il quelque temps à La Nouvelle-Orléans, une
“Je passais des heures à bloquer sur la quitte la Louisiane pour l’Alabama, troque son ville dangereuse qui le fascine. Mais il est
photo de Bobbie Gentry, se souvient école délabrée contre une école privée dont le revenu habiter dans les environs de Muscle
Dylan aujourd’hui. C’est probablement directeur goûte les châtiments corporels. Mais Shoals, pour des raisons pratiques. “Ma fiancée
la première fois de ma vie que je suis Bobbie Gentry et la musique lui ouvrent des et ma fille habitent en Norvège, je suis souvent
tombée amoureux.” Tout à sa passade perspectives et lui permettent de flirter avec fourré là-bas ou en tournée, l’idée est donc
platonique, le jeune homme s’immerge autre chose que la délinquance. Des premiers de trouver un endroit pas cher où laisser mes
dans la musique de la southern belle, et groupes, dans lesquels il joue de la guitare, des affaires. Et il n’y a rien à faire le soir, c’est
notamment le morceau qui fit sa gloire premières chansons, une voix haute, singulière, donc l’endroit idéal pour composer.” C’est dans
en 1967, “Ode To Billy Joe”. “J’adorais qu’il apprivoise. Et, à travers la fréquentation les studios Fame, où tout avait commencé
sa façon de raconter l’histoire, mais aussi des studios Fame, des conseils de vénérables pour lui, qu’il a enregistré “Coyote”. Visuel
la production, les cordes, son phrasé. piliers des lieux, le propriétaire Rick Hall au point de plonger l’auditeur dans un film
Cette chanson est l’une des principales ou le pianiste Spooner Oldham, lequel lui dès ses premières notes, l’album baigne dans
raisons pour lesquelles j’ai voulu devenir recommande d’écrire tous les jours, seule façon un son organique, équidistant de Laurel
songwriter”, dit-il. de s’améliorer. Avec la complicité de l’ingénieur Canyon et de Tulsa, dont Dylan dit qu’il lui
du son de Fame, Ben Tanner, futur Alabama fut justement inspiré par le “Naturally” de
Shakes, il enregistre des premières démos JJ Cale, le “Sensitive Kind” du même homme
Des flingues lui donnant l’envie d’une section de cordes
Nous sommes en novembre 2023 et le décisive. Les guitares, souvent en open
jeune adolescent transi d’amour pour une tuning, sont une splendeur, jouées par Dylan
mystérieuse chanteuse du passé est devenu
Alabama chic et par son père James, qui a cosigné plusieurs
Légendaire claviériste de la soul sudiste
un compositeur éblouissant de trente-trois (l’orgue de “When A Man Loves A titres. Le jeune homme a produit l’album lui-
ans qui vient de publier l’un des plus beaux Woman” !), Spooner Oldham, même, pas tant par volonté de contrôle que
80 printemps, a enregistré et joué
disques de l’année, “Coyote”. L’album raconte aux côtés de la Terre entière depuis pour pouvoir financer le cachet de musiciens
le périple d’un narco mexicain, Coyote, sur la fin des années 1960, d’Aretha d’élite de Nashville. Dylan LeBlanc joue donc
Franklin jusqu’à Neil Young ou Cat
le sol américain. Le thème peut paraître Power. Il est aussi un compositeur beaucoup, et en a conscience : après des
singulier, mais Dylan LeBlanc admet vite que responsable avec son complice Dan années de vaches maigres, il brûle de voir
le personnage, solitaire aux abois cherchant Penn de merveilles telles que “I’m sa carrière franchir enfin un palier, et même
Your Puppet” ou “Cry Like A Baby”.
une voie vers la rédemption, lui ressemble Dylan LeBlanc, qui le côtoie depuis une plusieurs. Lui a fait sa part du boulot. H
comme deux gouttes d’eau. L’inspiration, elle, vingtaine d’années, cite “A Woman
Left Lonely” comme sa préférée, ce
lui vient d’une jeunesse passée pour partie à
Photo DR
qui est loin d’être un mauvais choix. RECUEILLI PAR BERTRAND BOUARD
Shreveport, une ville de Louisiane dévastée Album “Coyote” (ATO)
JIM JONES
ALL STARS
De Thee Hypnotics à Jim Jones All Stars, le phénix de High Wycombe n’arrête pas
de renaître de ses cendres chaque fois que le sort, qu’il soit funeste ou pandémique,
s’acharne sur sa destinée de performer né pour brûler son trop-plein d’énergie sur scène.
EN PLEINE TOURNÉE EUROPÉENNE, Se taper un rail de cendres, ce n’était pas R&F : Quel est votre truc pour faire un
LE PRÊCHEUR DU ROCK A MARCHÉ franchement une bonne idée mais on l’a fait. bon concert ?
SUR LES EAUX DE LA SEINE avant Et on a beaucoup pleuré (rires). Jim Jones : Tout est dans la bonne set-list.
de nous accorder quelques minutes de On ne peut pas espérer avoir du résultat si les
son temps sur le cuir centenaire d’une R&F : D’accord... Qu’est-il arrivé à Jim titres sont choisis n’importe comment. Avec la
brasserie de la gare du Nord. Jones And The Righteous Mind ? set-list adéquate, chaque concert devient une
Jim Jones : Un putain de bon groupe. Mais, mine d’expérience à exploiter pour le suivant.
malheureusement, la pandémie a eu sa peau Ensuite, il faut transposer tout ça en studio pour
Comme comme celle de pas mal d’autres groupes. en faire un disque le plus remuant possible.
un moteur V12 Depuis le début, je passe plus de temps à
ROCK&FOLK : Depuis vos débuts, une jouer que de rester à la maison. Pareil pour
chose ne change jamais groupe après mes potes. Quand on s’est retrouvé chacun Mon ami
groupe, c’est la débauche d’énergie à seul dans son coin à ne rien faire, il a Vincent Hanon
chaque concert. Comment faites-vous ? fallu se débrouiller pour vivre. Alors nous R&F : Comment vous êtes-vous retrouvé à
Jim Jones : Je ne l’explique pas. C’est sommes tous passés à autre chose. La vie enregistrer “Ain’t No Peril” à Memphis ?
comme cela que je vis la musique. Au contact passe rapidement. Et nous ne sommes pas Jim Jones : A l’époque où Thee Hypnotics
du public, j’ai envie de sortir tout ce que j’ai des personnes particulièrement sages et tournait avec Placebo du côté de Seattle, nous
en moi : mes influences, ma façon de voir et patientes. Les concerts m’ont manqué à un avons croisé ce gars du label qui habitait
faire les choses. C’est organique au point que point inimaginable. Tacoma. On a sympathisé et gardé le contact.
je me pose la question de savoir si tout cela Et là, il nous appelle pour nous proposer un
n’a pas un rapport avec le jour où j’ai sniffé R&F : Pourquoi ? séjour à Memphis. Pour sonner Deep South, la
les cendres de Stiv Bators... Jim Jones : J’ai un besoin urgent de faire nouvelle ne pouvait que mieux tomber. C’était
ma musique devant un public. Une fois que comme un pèlerinage à La Mecque avec visite
R&F : Pardon ? je suis derrière le micro, ce n’est plus un du studio de Sam Philips et tout ce que des
Jim Jones : Je l’avais croisé à l’époque des simple concert. Je vois les choses comme touristes peuvent bien faire à Memphis.
Lords Of The New Church et nous avions une sorte de prêche dans une église. A partir
sympathisé. A l’annonce de sa mort, je suis de là, il n’est pas question que j’interrompe R&F : Dans cet album, le groupe déterre
allé au Père-Lachaise avec le guitariste mon sermon pour boire un peu d’eau ou encore une belle pépite du passé. Parlez-
de Thee Hypnotics. Après la cérémonie, tout tirer un coup entre deux chansons. Je dois nous de ce “Troglodyte”.
le monde s’est rendu du côté du Louvre, là escalader la montagne pour me rendre à Jim Jones : En dépit du succès incroyable
où il vivait avec sa copine Caroline. Une fois son sommet sans faire la moindre pause. qu’a été ce titre de Jimmy Castor en 1972,
sur place, elle nous a expliqué que le souhait Interrompre le rythme d’un concert pour se ce monument funk-soul déjanté est tombé
de Stiv était de se faire sniffer par ses proches reposer quelques instants, c’est accepter de dans l’oubli. C’est Louis, le frère de mon
s’il devait lui arriver malheur. Elle a alors perdre toute l’énergie accumulée au fil des ami journaliste Vincent Hanon, qui nous l’a
déversé le contenu de l’urne sur un grand chansons. C’est cette accumulation de titres fait redécouvrir un jour où il nous servait de
miroir et nous avons fait partie des personnes qui me rend performant. Quand je monte un chauffeur pendant une tournée. Le gars possède
qui ont souhaité respecter sa volonté. Bon, groupe, je ne le vois pas comme une réunion une collection de disques invraisemblable.
c’était courageux de notre part mais je dois de personnes mais comme un assemblage L’enregister a été une bonne façon de se
Photo Jeff Pitcher-DR
avouer que je ne m’attendais pas à une d’expériences diverses mises ensemble rappeler Vincent, une personne qui, désormais,
réaction aussi violente de mon organisme. pour fonctionner comme un moteur V12. Au nous manque quand nous passons en France.H
C’était super douloureux, mon corps a très moindre changement de pièce, la mécanique RECUEILLI PAR GEANT VERT
mal réagi à ce geste un peu surréaliste. n’est plus la même. Album “Ain’t No Peril” (Ako-Lite Records)
DHANI HARRISON
La voix, le regard, ce ton de sage… Dhani est bien le fils de George.
La parution de “Innerstanding” est prétexte à un échange à propos de l’état de la musique
en Angleterre en 2023, de Air et, oui, de “Now And Then” des Beatles.
A PEINE L’A-T-ON FÉLICITÉ POUR R&F : Comme beaucoup de musiciens A mes concerts, on a joué mes deux albums
LA QUALITÉ DE SON NOUVEAU de krautrock des années soixante-dix, dans l’ordre des chansons. Ça demande un
DISQUE, EN INSISTANT SUR LE FAIT vous vivez désormais dans la forêt. boulot considérable et il faut que le public
QU’IL SORT DES SENTIERS BATTUS Dhani Harrison : Oui, dans un hameau ! A joue le jeu. A la fin, on aurait pu recommencer
DE LA POP, QUE LA CONVERSATION Los Angeles, tout le monde bosse sans arrêt, au début car le dernier morceau du set est au
DÉMARRE. Non pas l’interview car ici on prend le temps de faire les choses bien. même tempo et dans la même tonalité que
aucune des questions préparées ne sera La pandémie nous a indiqué une autre voie, le premier.
utilisée. Dhani Harrison, qui admet une autre manière de communiquer et d’appré-
d’emblée qu’il a un mal fou à écrire des hender la vie. Sincèrement, l’homme n’a pas R&F : Une histoire sans fin…
chansons conventionnelles, a le débit facile besoin de l’intelligence artificielle, il a la Dhani Harrison : Oui, et d’ailleurs,
mais parle pour dire des choses. Ça fait vraie au fond de lui et doit l’utiliser à bon quand je travaillais sur l’album, j’ai revu
la différence. escient. Nikola Tesla a dit que les idées émer- “Interstellar” de Christopher Nolan. Ce film
geaient de la solitude et je partage ce point et ce réalisateur ont eu beaucoup d’influence
de vue. Moi, je vis avec mon chien, je marche sur moi. “Interstellar” est une sorte de boucle,
De la colère dans la forêt et je parle aux arbres… on peut commencer le film où on veut, aller
ROCK&FOLK : Alors, ce deuxième jusqu’à la fin, presser “Play” à nouveau et le
album ? R&F : Exprimez-vous ce que vous res- regarder jusqu’à l’endroit où on a commencé.
Dhani Harrison : Disons que je suis plutôt sentez à l’égard du monde dans vos C’est ce à quoi j’aspire également, faire de la
égoïste, je fais avant tout de la musique pour textes ? musique non-linéaire.
moi-même… J’ai grandi dans les années quatre- Dhani Harrison : Oui, ils couvrent pas mal
vingt-dix et passé pas mal de temps à Bristol, de terrain. On y trouve de la colère, surtout R&F : Bon, on n’est pas autorisé à vous
à Londres, et je trouve que cette décennie était envers ceux qui rognent les libertés, qui en parler, mais ce single des Beatles ?
fascinante. Des groupes comme Primus ont été pratiquent la discrimination à l’égard des gens Dhani Harrison : Disons qu’il touche tout
numéro 1, Tricky, Massive Attack vendaient des qui ne rentrent dans aucun moule, ce que je le monde, mais de façon différente. Person-
disques… Cette scène m’a inspiré… considère comme un fléau. Mais je crois en de nellement, j’ai fini par m’habituer à la perte de
meilleurs lendemains. Les gens qui travaillent mon père, à l’idée qu’il n’était plus là. Depuis
R&F : Et aujourd’hui ? sur eux-mêmes et dégagent quelque chose de vingt-deux ans, j’ai appris à dealer avec ça.
Dhani Harrison : Il y en a une nouvelle… positif sont plus difficiles à manipuler. Alors, franchement, je suis très content que le
Blur invite Jockstrap, il y a des groupes comme disque soit numéro 1, mais pour moi c’est dur
Sleaford Mods, Idles, The Smile, des gens car ce n’est pas mon père qui joue la guitare
comme Four Tet, c’est de la musique intel- Une sorte de boucle dessus, enfin il fait un peu de rythmique, mais
ligente et aussi très cinématographique. J’ai R&F : Pour la sortie de “Innerstanding”, pas la lead… J’ai échangé avec Peter Jackson
quitté Los Angeles en 2020 et j’ai le sentiment vous avez joué à Londres. au moment où il a eu l’idée de la fin du clip et,
que Londres et même Paris, où j’ai passé un Dhani Harrison : Oui, pour la première même si ça m’émeut à chaque fois, je lui ai dit
peu de temps, comprennent ce que je fais. fois en fait. que ce que je voulais voir, c’est le début, pas
Vous avez des groupes comme Air… la fin. Que “Now And Then” soit leur dernier
R&F : Quelques musiciens célèbres, qui titre ou pas n’a pas beaucoup de sens pour
R&F : On en a surtout un. pourraient se produire dans des grandes moi, les Beatles sont éternels. H
Photo Josh Giroux-DR
Dhani Harrison : “10 000 Hertz Legend” est salles, préfèrent les petits clubs, quitte
un de mes albums préférés, il m’a énormément à ne pas gagner beaucoup d’argent… RECUEILLI PAR JEROME SOLIGNY
influencé. Je suis impatient de voir le duo Dhani Harrison : Oui, c’est parfait pour Album “Innerstanding”
en concert ! donner ce que j’appelle un “nerdy” show ! (H.O.T. Records/ BMG)
KURT VILEEn s’offrant la liberté de laisser parler les guitares et d’étirer ses chansons
durant des sessions d’enregistrement décontractées, le chanteur
de Philadelphie a publié un des albums les plus fascinants de sa carrière.
RECUEILLI PAR THOMAS E. FLORIN
NATUREL. UN ADJECTIF BEAUCOUP UTILISÉ POUR LA à l’âge de 44 ans. Kurt Vile n’évoquera cette disparition
NOURRITURE ET LE MAQUILLAGE DE NOS JOURS. Il y a qu’une seule fois lors de cette longue conversation sur la
un demi-siècle, il était très à la mode pour la musique. C’était musique, ses filles, les plages et la guitare électrique utilisée
ce que recherchait l’époque : le talent naturel, une production comme une navette spatiale.
naturelle, un jeu naturel. La nature revenait au galop et cela
a donné quelques chefs-d’œuvre : “Naturally” de JJ Cale,
“On The Beach” de Neil Young. Deux œuvres de jeunes Un type vraiment sauvage
trentenaires assez matures pour ne plus rien forcer, ne plus ROCK&FOLK : Comment tout cela a-t-il commencé ?
rien démontrer, seulement laisser faire les choses. Et c’est ici Kurt Vile : En septembre 2019, nous étions à Stinson Beach, juste
que Kurt Vile semble se trouver. Avec dix ans de plus, certes, à l’extérieur de San Francisco, en studio, et on avait la vue sur la
mais tout est paradoxalement plus lent à l’époque de la 5G. plage. J’étais en tournée avec Cate Le Bon, j’adore traîner avec elle,
Et “Beach On A Moon”, ce disque, appelé alternativement et elle a produit Deerhunter, beaucoup d’albums en fait, plus les
EP ou compilation, est court. Un album court avec des siens qui sont excellents. Elle est aussi très amie avec l’une de mes
chansons longues. Cinq à huit minutes pour la plupart. En meilleures amies : la batteuse Stella Mozgawa. Puis, j’étais obsédé par
littérature, on appelle ce genre d’œuvre un machin. Kurt la musique de Chris Cohen : il a fait trois albums qui pour moi sont
Vile vient donc de sortir un sublime machin, peut-être le plus des chefs-d’œuvre. On venait de jouer dans un festival de bluegrass
Photo Lance Bangs-DR
beau machin de sa carrière, parce qu’il est hanté de toutes à San Francisco et je savais que c’était le moment parfait pour
parts. Ce n’est malheureusement pas une image, le disque enregistrer car nous sortions d’une grosse tournée. J’ai ramené
étant dédié à Rob Laakso, guitariste des Violators (nom du Rob Laakso avec moi et on s’est retrouvé avec Cate, Stella et Chris.
backing band de Kurt Vile), mort brutalement d’un cancer Adam Langellotti nous a rejoints : il allait construire mon home studio,
donc je trouvais que c’était une bonne idée de travailler avec lui, où on peut nicher des mélodies. On avait fait ce genre de chose dans
et on a fini cet album ensemble deux ans plus tard. C’est ça qui est la chanson “Goldtone”, le dernier morceau de mon album “Wakin
beau avec ce disque : quand je l’écoute, je vois deux époques de ma On A Pretty Daze”. Rob Laakso avait joué beaucoup de Fender VI
vie se superposer. dessus. Mais je pense qu’on n’avait pas essayé ce registre depuis.
Donc, quand je suis rentrée à la maison, j’ai acheté exactement la
R&F : Il y a une chanson un peu centrale, qui résume tout même guitare qu’Erik Paparozzi, elle n’est pas très chère et en plus
l’esprit de l’album — elle lui donne même son nom : c’est elle a un vibrato : donc tu es à la fois dans l’espace et dans l’océan !
“Back To Moon Beach” ? C’est exactement “Nager dans le ciel”. (“Swiming In The Sky”, paroles
Kurt Vile : “Back To Moon Beach” est une autoréférence à l’une de “Back To Moon Beach”, ndr).
de mes chansons, “Beach On The Moon” qui est sur l’album “God Is
Saying This To You…” sorti en 2009. Enregistrer cette suite à Stinson
Beach, qui est vraiment une très belle plage, très psychédélique, c’est Ode à la liberté américaine
mélanger avec le fait d’être perdu dans sa guitare, de jouer une ligne R&F : Le ciel, l’océan… vous rattachez chaque son à un
mélodique et avoir l’impression d’être envoyé dans l’espace. C’est ce élément. Vous avez aussi fait une chanson sur la forêt, qui
que Neil Young m’a dit, la seule fois où j’ai eu une conversation avec est franchement la plus déprimante de l’album ?
lui : “Avec un instrument, on peut quitter la Terre quand on veut”. C’est Kurt Vile : C’est certain que si on se concentre sur les paroles de
le côté magique de la chose : on est assis sur sa chaise, on pense à ses “Like A Wounded Bird Trying To Fly”, oui, c’est très déprimant. Mais
amis, ce que l’on va devenir, et en même temps, on est très loin. Pour moi je n’y pense pas de cette manière. Cette phrase, elle vient de ma
terminer la chanson, j’ai ajouté d’autres paroles et invité d’autres amis fille, Awilda. Elle est tout le temps en train de lire, alors ma femme
à jouer dessus, bien plus tard, et on a fait ça chez moi. lui fait faire un peu de yoga. Pour un certain mouvement, Awilda lui a
dit : “Ah oui : comme un oiseau blessé qui essayerait de s’envoler”. Peu
R&F : Vous avez deux types de chansons : celles composées à de temps après, on est allé camper, j’ai décidé de mettre sa phrase
la guitare et d’autres au piano, comme l’excellente “Another dans ma chanson et Awilda m’a dit : “OK, mais assure-toi de bien me
Good Year For The Roses” ? créditer alors”. Ah, ah, ah ! C’est pour ça que je la cite à la fin de la
Kurt Vile : J’ai commencé à écrire avec cet instrument vers 2015–2016. chanson, parce que plus personne ne lit les notes de pochette. Donc
J’étais complètement obsédé par George Jones à l’époque, j’avais lu pour moi, ce n’est pas déprimant : mes enfants sont dans cette chanson,
son autobiographie et beaucoup d’autres livres sur lui, et quelqu’un les bois, quelques oiseaux, une guitare acoustique, mes parents…
m’a parlé de sa chanson “A Good Year For The Roses”, une chanson
qui est devenue pour moi l’une des meilleures R&F : Mais il y a cette thématique que toute
du répertoire country. George Jones était un cette joie, tous ces moments de beauté
type vraiment sauvage. Quand on lit son Le Bon compte seront perdus. C’est aussi le thème de “Tom
Petty’s Gone” ?
autobiographie, c’est comme lire “Hellfire” sur Cate Le Bon est de tous les bons coups
Jerry Lee Lewis : on se rend compte à quel en ce moment : après “Several Songs Kurt Vile : Oui. J’ai écrit celle-là le jour de sa
About Fire” d’Andrew Savage,
point ces types étaient de parfait antihéros. la musicienne galloise joue sur “Back mort. J’en avais fait une démo la nuit même et
A Stinson Beach, j’ai joué cette chanson parce To Moon Beach” de Kurt Vile, soit j’ai joué cette démo à l’envers qui est devenue
que j’avais les paroles, il y a un piano dans les deux derniers disques du mois de le morceau “Palace Of OKV In Reverse” sur
Rock&Folk. Productrice recherchée,
le studio, tout cela était très bien structuré elle a récemment travaillé sur les l’album “(Watch My Moves)”. Puis il y a eu la
et est ressorti de cette session un peu pop. albums de Devendra Banhart (“Flying strophe sur Bob Dylan… Son couplet parle de
Puis, je suis rentré de Philadelphie et j’ai Wig”) et de Wilco (“Cousin”) publiés en cette chose amusante quand on voit quelqu’un
fin d’année 2023. Avant cela, elle avait
ajouté ces guitares barytons, deux différents publié en 2022 le magnifique “Pompeii”, qu’on admire, et comment on agit de manière
types de guitares qui font un contre-chant disque solo synthétique sur lequel elle étrange. Et tout cela m’a amené à DCB, David
joue de quasiment tous les instruments.
avec le piano, et j’ai trouvé que c’était très Berman des Silver Jews. J’avais ces quelques
accrocheur. Comme je chante la même ligne phrases en tête depuis ses funérailles. J’ai
mélodique que le piano, ça imprime vraiment cette mélodie dans le passé des années avec tout cela mais j’avais peur, peur de parler
cerveau. On a ajouté quelques autres guitares explosives, énormément de Bob Dylan comme cela, aussi ouvertement. Puis mon ami, Rob,
de guitares en fait, et c’était terminé. Rob Laakso, est mort, donc j’ai décidé de sortir cette chanson sur
laquelle il joue. Et la chanson ne s’appelle pas : “Tom Petty Est
R&F : Il y a beaucoup de guitares barytons sur cet album, Parti”. Elle s’appelle “Tom Petty Est Parti, Mais Dites-Lui Que Je
ce qui lui donne ce côté mélancolique. Le Cherche”. Ce qui montre que rien n’est jamais entièrement perdu.
Kurt Vile : L’année dernière, j’étais en Australie et j’ai vu Cat Power
en concert. Erik Paparozzi, l’un de ses musiciens, joue des claviers R&F : Oui, c’est votre propos sur l’héritage de la musique
pendant la plupart du set mais, d’un coup, le temps d’une chanson, américaine, une sorte de filiation, non ?
il sort cette guitare baryton Westwood complètement noire, qu’il joue Kurt Vile : J’imagine que cela traverse les générations. La poésie
avec un son clair, sans aucun effet. Et ce registre, ce son, ce sont des de David Berman est pour moi aussi importante que celle de Bob.
fréquences que l’on n’utilise pas souvent. Parce qu’on a la basse, J’ai grandi quand sortaient les disques des Silvers Jews et beaucoup
les aigus de la guitare, mais entre les deux, il y a tout cet espace de gens sont d’accord sur le fait que… cela a été déterminant.
R&F : Le pays est trop petit, puis on ne peut plus aller nulle
part avec un plein à cinq dollars comme dans la chanson.
Mais vos meilleures paroles à vous sur cet album, elles sont
dans “Blues Come For Some”, non ?
Kurt Vile : “Anathema, agate-eyed beauty, Valium is ephemera to
me now where I’m at, drink the diamond stream, slip into a dream.”
Oui, j’en suis assez fier. Ces chansons viennent à force de rester au
piano à la maison, et elles viennent lentement parce que je ne suis
pas aussi à l’aise avec cet instrument qu’une guitare. Cette chanson
avait besoin de trouver sa place sur un disque. Elle était faite pour
être le milieu d’une face B. Et voilà : elle est le milieu de cette face B.
C’est la chanson préférée de ma fille, qui, comme je l’ai dit, a quelque
Photo Adam Wallacavage-DR
chose avec la poésie. Très tôt dans sa vie, elle a lu l’anthologie des
paroles de Bob Dylan, donc j’ai l’impression que cette chanson a bien
un petit quelque chose de particulier. H
“C’était Daniel...”
FRÉDÉRIC LO
A l’heure où paraît “Cœur Sacré”, son disque hommage à Daniel Darc
en compagnie, notamment, de la crème de la pop française (Daho, Medeiros,
Birkin…), le compositeur-producteur s’est confié comme rarement à un journal.
Comment son chemin de musicien aussi discret que prisé
l’a-t-il mené à l’ex-chanteur de Taxi Girl et à “Crèvecœur” ?
RECUEILLI PAR JEROME SOLIGNY
GRANDIR À NOGENT-SUR-MARNE DANS LES ANNÉES Ce décor, en préambule à un échange marathon, c’est Frédéric
1960/ 70. Avoir une sœur aînée fan des Rolling Stones, du Lo lui-même qui le plante. Lorsqu’il se lancera véritablement
Velvet Underground, qui a acheté “Aladdin Sane” le jour de sa dans la musique, en groupe puis en solo, il va croiser souvent
sortie… Une sœur dont le petit ami était Alain Weiss, qui écrivait Daniel Darc. Les nuits parisiennes, tout ça. Il y avait encore
à “Best”, puis au “Monde”. Une sœur vraiment Stones alors de la fumée, des cendriers. Daniel pas toujours en forme.
que lui, futur mélodiste de talent, sera vraiment plus Beatles. Ça grouillait dans sa tête, ses veines et autour de lui. Laurent
Un tour par le conservatoire pour maîtriser le contrepoint et Sinclair, de Taxi Girl, va jouer des claviers pour Eléonora, le
la composition. Et, bien sûr, des concerts, plein de concerts groupe de Fred. Une nuit, ils squatteront le studio de Canal+
où, dans le public, il voyait Pacadis, Riberolles ou Constantin… et seront pris les mains sur la SSL. Plus de peur que de mal.
Toute une époque. Une ère de quelque chose. Et donc un Cette collaboration ne fera pas long feu, Eléonora non plus.
premier concert de Taxi Girl, des gars qui paraissaient plus doués La faute à des labels qui promettaient, puis capotaient. Un
que les autres, mais un poil violents… Evidemment, le Pavillon grand classique du rock français. Le vécu, pas celui des
Baltard, Joe Jackson, Marquis de Sade et The Jam en 1983. livres. A la fin des années 1980, New Rose rééditera Taxi
Photo Richard Dumas-DR
Un pote y a perdu une dent. Et encore Taxi Girl. Au Théâtre Girl et Eléonora va jouer en première partie du groupe au
de l’Empire pour un tournage de “Chorus”, l’émission musicale New Morning. Mais Darc sera en boucle : il demandera dix
incontournable. Et très vite une attirance pour les underdogs, fois à Fred s’il a un harmonica et finira par lui piquer sa wah-
pas les meilleurs instrumentistes, mais des types qui avaient wah. Pour la revendre. Il faisait le même plan à Mirwais, le
quelque chose en plus. Robert Smith, The Cure, c’était fou. Taxi Girl qui a décroché la Lune.
temps comme étant celui qui abrite les plus belles phrases de Daniel, R&F : Après “Crèvecœur” en 2004 et “Amours Suprêmes”
c’est moi qui l’ai écrit. Mais il était fort : il pouvait pondre un texte quatre ans plus tard, vous continuez à travailler ensemble ?
en deux minutes ou mettre six mois pour ne pas en terminer un autre ! Frédéric Lo : Oui, mais là il est ingérable. Pour les textes, c’est la
Et on a parfois fait appel aux bons vieux cut-ups. Nos maîtres, c’était cata. C’est le début de l’iPhone, il prétend que je ne lui ai pas envoyé
David Bowie ou Lou Reed. Il y avait déjà ça dans l’écriture de Daniel de musiques. Je lui montre sur son téléphone tous les messages, à
à l’époque de “Cherchez Le Garçon”, ce truc un peu vrillé, hyper- telle date, il suffit d’appuyer sur “Play”, etc. Il pouvait avoir un côté
poétique, cru, limite dangereux. branleur, avec un ego énorme. Il disait : “On raconte que je suis un
génie ! Quel dommage que je ne travaille pas plus !” A un moment, je
R&F : Vous écoutiez quoi pendant l’élaboration de l’album ? lui ai fait : “Oh, rassure-moi, tu ne l’as pas cru, hein ?” Et finalement,
Frédéric Lo : Le premier de Day One. J’adorais ce côté un peu il meurt en 2013. Quinze jours avant son décès, alors qu’on s’était
hybride, le retour des boîtes, la french touch… J’avais bien aimé les perdus de vue, il m’a demandé qu’on retravaille ensemble. Il n’était
Comateens, la TR-606, Kraftwerk… Je vais mélanger tout ça avec pas content de l’album qu’il venait d’enregistrer, “Chapelle Sixtine”.
une guitare acoustique… Et aussi coacher Daniel pour qu’il chante Le truc flippant, avec tout le respect que je lui dois parce que c’était un
moins. Il aurait voulu être Iggy Pop mais il n’avait pas la voix pour mec brillant, c’est qu’il a vieilli super vite. Quand il meurt, il n’a que
ça. A mi-chemin, on se retrouve avec six ou sept chansons qui nous cinquante-trois ans, et on a l’impression qu’il en a soixante-dix-huit.
plaisent et là, il manque de mourir, comme il est mort d’ailleurs, Quand je le rencontre, il en a quarante et un, le temps où on a bossé
d’une hémorragie stomacale. Je vais le voir à l’hôpital et il me dit : ensemble, il en a pris vingt-cinq ans. Dans la tête, pareil.
“Si je meurs, sors-le !” Il était vraiment fragile, mais heureusement,
il s’en tire. R&F : Vous étiez toujours liés contractuellement ?
Frédéric Lo : Je suis resté son éditeur, mais le contrat de production,
R&F : Comment ça se passe avec les maisons de disques je l’ai déchiré. Il ne me devait plus rien. J’ai bien essayé de relancer
lorsque vous commencez à démarcher ? sa machine… On était fasciné par New York, mais il n’y était jamais
Frédéric Lo : Je suis assez surpris que les labels indés adorent tous allé. Les mecs comme lui, ça ne bouge pas. Je lui ai dit : “On passe
et qu’aucun ne me rappelle (rires). Ça ne le fait pas avec Pias, encore deux ou trois semaines au Chelsea Hotel et on bosse là-bas. Dès qu’on
moins avec Le Village Vert… En fait, ce sont les majors qui vont se a deux-trois chansons, on réserve un petit studio. On est tous les deux
manifester. Sony et Mercury. Le truc le plus dingue, c’est que chez fans de Suicide, je vais choper les coordonnées de Martin Rev… Comme
Mercury, c’est le directeur artistique qui m’avait signé qui me rappelle, ça, plutôt que de me regarder en disant que tu n’arrives plus à rien,
et c’est le boss qui m’avait viré qui veut nous signer (rires). Il y a aussi on continue l’histoire et on avance…” Mais ça lui a fait peur. Il était
un truc magique à cette époque, c’est que Mirwais vient de travailler plus à l’aise dans son arrondissement. C’était un type excessif…
avec Madonna. Et Daniel bavait sur lui. Un jour, je lui fais : “Arrête Je dois les attirer, Peter est comme ça aussi.
d’être con à ce point-là ! C’est ton pote, tu pourrais être content pour
lui ! Et tu sais, par ricochet, ça peut être intéressant pour toi si je dis
aux labels : ‘Mais oui, Taxi Girl, c’était le groupe de Mirwais ! Vous Chef-d’œuvre
savez : Madonna, “Music”, quatorze millions d’albums vendus’ (rires)”. R&F : Il subsiste une part de mystère dans cette collaboration,
ce qui la rend encore plus belle.
Frédéric Lo : Beaucoup de gens ne comprennent pas comment j’ai
Chelsea Hotel fait pour travailler avec Daniel. Mais c’est comme ce projet d’aller
R&F : La presse et le public vont adorer “Crèvecœur” à New York… Je suis plus aventureux que lui qui stagnait dans
Frédéric Lo : Et pourtant, on se demandait si ça allait plaire aux la défonce. C’était un peu le paradoxe : il était libre et, à la fois,
gens. On avait une copine aux “Inrocks” qui a tout de suite aimé… La enchaîné. On n’est jamais allé au Chelsea Hotel et, peu après la sortie
rédaction, pareil… Finalement, j’ai signé en licence. J’ai monté mon de “La Taille De Mon Ame”, l’album qu’il a publié en 2011, il s’est
label pour signer Daniel et je suis resté propriétaire du master. J’étais rendu compte que les médias m’appréciaient. J’ai fait “Les Chansons
total dans le rouge à la banque, mais Universal a lâché une très grosse D’Amour” et le disque avec Eicher… Je ne suis pas show off, ni ultra-
avance. “Qu’est-ce qu’on fait ce soir, chérie, on va au restaurant ?”. présent, je suis là et je fais mon job, c’est tout. Et Daniel ne trouvera
rien de mieux à faire que ce qu’il avait fait avec Mirwais, c’est-à-dire
R&F : Daniel devait être ravi… baver sur moi en promo pour des raisons à la con, et notamment que
Frédéric Lo : Oui et on a tellement fait de promo à ce moment-là, j’avais tenu à ce qu’on enregistre avec des musiciens d’Elvis Costello !
on était collés au siège ! Il était hyper heureux mais en revanche, ça Ses derniers albums, il les fera avec Laurent Marimbert qui a un CV
a changé dès qu’on a commencé à bosser sur “Amours Suprêmes”, plutôt lunaire, les 2B3, la Star Academy… C’est un bon musicien,
l’album suivant. On a eu davantage de moyens et lui, d’un coup, il mais merde, c’était Daniel quoi !
s’est retrouvé avec mille potes. Il arrivait aux séances trois heures
en retard, une bouteille de whisky à cent cinquante euros à la main. R&F : Que retenez-vous de lui et de “Crèvecœur”, aujourd’hui
Il a cramé toute son avance et a dû changer de pharmacien… élevé au rang de classique ?
Frédéric Lo : A sa mort, il y a eu quatre ou cinq bios. Pas un seul de
R&F : La rançon du succès… ces biographes n’a songé à m’appeler (rires). J’ai trouvé ça génial. Je
Frédéric Lo : Ouais et il n’arrivait plus à écrire… Il était total bourré ne connais même pas celui qui est devenu le biographe officiel (rires).
ou surexcité… Ça a été le début de la fin. Daniel, avant et pendant On a dit de “Crèvecœur” que c’était un chef-d’œuvre. Mais pour moi,
“Crèvecœur”, était une sorte de héros underground… Et d’un coup, un chef-d’œuvre, c’est la “Messe En Si Mineur” de Bach, c’est “Pet
bam ! Tout le monde s’est mis à l’adorer. J’ai vécu ça aussi, en moins Sounds”, “Abbey Road”, “Hunky Dory”… Il aura fallu que Daniel
frontal, avec Peter Doherty. Un jour, un pote m’a dit : “Ben c’est bizarre, meure pour que je sois en paix avec cette idée. De lui, je retiens les
tout baigne pour toi et on a l’impression que ça ne va pas”. J’ai bien bons moments. Sur scène, je l’ai adoré, même si, trois fois sur cinq,
vu qu’il ne comprenait pas… Daniel a commencé à faire des plans il n’était pas en état d’assurer. Ça me rendait dingue et j’avais envie
pourris en promo, il s’embrouillait même avec les chauffeurs de taxi. de lui balancer la guitare dans la gueule. H
Avec lui, ça pouvait virer à la baston comme un rien. Album “Cœur Sacré” (Virgin)
REM
Le groupe d’Athens poursuit la réédition de son catalogue, chaque album ressortant
en version augmentée pour son 25ème anniversaire. Voici “Up”, de 1998, un
album charnière à réécouter d’urgence, prétexte à un entretien avec Mike Mills.
RECUEILLI PAR STAN CUESTA
DE 1980 À 2011, REM A MENÉ UNE CARRIÈRE PRESQUE R&F : Vous étiez un groupe très uni. Avez-vous pensé à tout
PARFAITE. C’était notamment l’avis de l’un de ses plus arrêter ?
grands fans, Kurt Cobain, qui le tenait pour un exemple Mike Mills : Ça aurait pu arriver. Nous avons eu un passage très
d’intégrité dans le monde pourri du rock mainstream — le difficile, à essayer de nous ajuster au fait de ne plus être que trois.
groupe a ainsi toujours signé ses chansons collectivement, D’autres groupes auraient pris du temps pour se réorganiser mais ce
un fait très rare. Il venait de l’indie rock et a connu une n’est pas notre genre, nous avions déjà planifié un disque et nous
progression régulière de son audience grâce aux college avons décidé d’aller de l’avant. Je suis heureux que nous l’ayons fait
radios, avant d’obtenir un succès mondial — et d’y résister. parce que ça a donné “Up”, un super disque.
Cobain avait d’ailleurs des projets communs avec Michael
Stipe, dans un style acoustique proche de celui de “Automatic R&F : Le plus facile aurait été d’embaucher un nouveau
For The People”, le chef-d’œuvre de REM, dernier disque batteur...
qu’il écoutera avant de mettre fin à ses jours... Michael Stipe ! Mike Mills : Je n’ai jamais voulu remplacer Bill. Nous avions déjà
Quel chanteur ! Dire que le gars ne fait plus rien ou presque le projet de faire de “Up”, une sorte de disque très mécanique,
depuis dix ans... A ses côtés Peter Buck, le guitariste dingue électronique. Peter achetait des claviers vintage et des boîtes à rythmes
de musique que nous avions interviewé à Melbourne début depuis un moment, c’était la direction dans laquelle nous allions. Il
1995, pour le lancement de la tournée “Monster”, quand n’y avait aucune raison d’essayer d’intégrer un nouveau batteur à ce
REM faisait la Une de Rock&Folk ; Mike Mills, bassiste, moment-là.
pianiste, le musicien le plus classique, l’arme secrète du
groupe, et Bill Berry, le batteur, qui jettera l’éponge en R&F : On a dit que Michael et vous étiez les plus impliqués
1997. L’année suivante, REM réduit à un trio publiera un dans ce disque, que Peter s’était un peu mis en retrait...
album étonnant, ce très beau “Up”, pièce maîtresse d’une Mike Mills : Ce n’est pas un disque de grosses guitares. Donc il n’y
discographie chatoyante et incroyablement variée, alternant avait pas autant de choses à faire pour Peter que sur certains autres
disques pop, expérimentaux et bruitistes. (long silence). En plus, Michael et moi travaillons différemment de
Peter. Peter et Bill pouvaient compter l’un sur l’autre. Une fois Bill
parti... cet équilibre était rompu. Et Peter n’avait pas envie de traîner
Un passage très difficile au mixage à ce moment-là donc, en ce sens, il n’était pas aussi présent.
Rock & Folk : Quels sont vos albums préférés ? Mais il a fait beaucoup de choses sur cet album, il a écrit plein de
Mike Mills : Vous savez, je ne les écoute pas vraiment pour le plaisir, chansons au piano, il en joue sur “Lotus”. Il est partout sur le disque,
je suis trop critique... Les quatre dont je suis le plus fier sont “Murmur”, mais pas de sa façon traditionnelle.
“Automatic”, “Up” et probablement “Accelerate”.
R&F : Vous auriez dit qu’après “Automatic For The People”, Hommage à Brian Wilson
le groupe aurait dû s’arrêter... L’album était tellement bon ! R&F : L’hommage aux Beach Boys, “At My Most Beautiful”,
Mike Mills : Oh, non, je n’ai pas pu dire ça ! Il était très bon et j’en est excellent.
suis très fier mais... Il n’y avait aucune raison de laisser tomber à ce Mike Mills : Peter et moi sommes de grands fans, mais quand j’ai écrit
moment-là. cette partie de piano, je ne pensais pas à eux. Après l’avoir écrite, je me
suis dit : “Wow, ça ressemble à quelque chose que les Beach Boys auraient
R&F : Que s’est-il passé avec Bill Berry ? pu faire !” Et donc, nous avons décidé d’aller dans ce sens à fond, d’en
Photo Craft Recordings-DR
Mike Mills : Il n’aimait rien dans le fait de tourner, à part les concerts. faire un hommage à Brian Wilson. Les chœurs, le piano, la ligne de
Il ne voulait plus voyager, parler à des gens qu’il ne connaissait pas... basse, tout est très Beach Boys. Et comme c’était un disque où il n’y
Donc il a décidé de déclarer forfait. C’était très courageux. J’étais triste avait plus de règles, Michael, qui n’avait jamais écrit une simple chanson
pour le groupe mais j’étais content pour Bill, parce que c’est ce dont il d’amour, a décidé d’en faire une, et elle est vraiment belle. J’aimerais
avait besoin pour être heureux, et c’est ce qui compte. savoir si Brian l’a entendue, j’adorerais savoir ce qu’il en pense.
REM de beauté
La discographie studio du groupe peut se découper en trois périodes de cinq albums chacune : chez IRS,
chez Warner, puis en trio... Mike Mills : “Amusant. Je savais pour les cinq premiers avec IRS, ils formaient
une sorte d’ensemble. Mais je n’avais pas réalisé qu’ensuite, c’était cinq avec Bill et cinq sans lui...”
Un être contradictoire
NINO
FERRER
Trois compilations tentent de rafraîchir le répertoire du chanteur franco-italien.
Que retenir hormis les quelques tubes ? De jolies choses çà et là,
dans une carrière et une vie à l’évolution acerbe.
PAR BASILE FARKAS
NINO FERRER S’EST DONNÉ LA MORT D’UN COUP DE Pour ce qui concerne l’œuvre, le corpus est aussi considérable
FUSIL DANS LE CŒUR LE 13 AOÛT 1998 À SAINT-CYPRIEN, (seize albums en français, deux en italien, une foultitude d’EP) que
un village du Lot situé dans ce Quercy blanc riche en truffe changeant. En plus de trente ans de carrière, l’homme a donné dans
noire où le chanteur s’était installé à la fin des années 1970. La beaucoup de styles : jazz, chanson, rythm’n’blues, rock, prog, bossa
postérité a souvent des raccourcis cruels. L’opinion courante nova, funk, pop, comptine... Pourtant, sur les presque 200 chansons
résume la plupart du temps Nino Ferrer en une idée : il a vécu qu’il a publiées, peu sont restées de véritables tubes : “Mirza”,
le succès de ses tubes rigolos comme une malédiction et aurait “Le Téléfon”, “Les Cornichons”, éventuellement “Oh ! Hé ! Hein ! Bon !”
voulu qu’on écoute ses œuvres plus profondes, dont “Le Sud” pour la catégorie R&B fantaisiste et, dans un registre plus grave,
est le seul exemple de réussite commerciale. C’est un peu “La Rua Madureira”, “La Maison Près De La Fontaine” et, bien sûr,
court. Avant de parler musique, il s’agit de dire que, durant “Le Sud”, ballade définitive sur l’été, ce temps qui dure longtemps et
les soixante-quatre ans moins deux jours de son existence suinte la mélancolie. L’une des plus belles chansons en français qui
torturée et tortueuse, le chanteur blond a été beaucoup de soit. Après ce dernier immense succès en 1975, sa cote dégringolera
choses. Pêle-mêle : expatrié en Nouvelle-Calédonie, italien, dans les hit-parades. Pour ne rien arranger, sa discographie, comme
français, romain, parisien, aspirant archéologue, vedette souvent chez les musiciens à cheval sur plusieurs époques et labels,
flamboyante, paria du showbiz, acteur, châtelain lotois, est assez désordonnée. Elle a même été rééditée avec des modifications
éleveur de chevaux, écologiste, collectionneur de bolides, qui ne font qu’amplifier la confusion. Un exemple : son premier
Photo Mondadori/ Getty Images
humaniste, misanthrope, colérique, érotomane libertaire album “Enregistrement Public” (1966), un vrai-faux live, a depuis
parfois très embarrassant, peintre surréaliste malheureux... été renommé “Nino Ferrer” avec un tracklisting différent, des titres
Un être contradictoire qu’une récente chanson de Bob Dylan en plus, d’autres en moins... Sans doute pour ordonner un peu les
résumerait assez bien : Nino Ferrer contenait des multitudes, choses, Universal vient de publier trois compilations thématiques (voir
mais des multitudes qui ne se voulaient pas forcément du encadré) : “Nino Rebel”, “Nino Groovy”, “Nino Dandy”. L’idée est
bien entre elles. intéressante : 60 titres éditorialisés et bien choisis pour aborder l’œuvre
Fiction tragique
L’arrivée du succès fin 1965 avec “Mirza” est un premier décalage.
Ferrer est plus vieux que les chanteurs qu’on voit dans “Salut Les
Copains” (sauf Hugues Aufray), il arrivera d’ailleurs trop en retard à
la fameuse séance photo de groupe du magazine en avril 1966 pour
y figurer. Il est né à Gênes en 1934 et sa famille arrive en France
en 1947. Jeune étudiant romantique, féru de jazz et de chanson rive
gauche, il pratique la musique sérieusement à partir de 1953. D’abord
au banjo, puis à la contrebasse, Nino (diminutif d’Agostino) joue de la
musique New Orleans à Paris avec un ami, Richard Bennett, et des
musiciens qui deviendront les Dixie Cats. Ces années sont formatrices.
Le jazz fait encore audience, son groupe court le cachet un peu partout,
notamment dans les bals de grandes écoles. Au début des années
1960, l’affaire se professionnalise pour de bon : les Cats (nommés
à l’époque RB RB) acceptent de sonner plus rock pour tourner en
première partie des Chaussettes Noires. Ils accompagnent ensuite
Nancy Holloway, chanteuse de jazz américaine qui fait carrière en
France. Mis en confiance par Holloway qui l’autorise à prendre le
micro, Nino, excellent à la basse électrique, se mue en chanteur. Il
comprend logiquement l’importance du rhythm’n’blues qui débarque,
mais le musicien blond sort d’abord, à partir de 1963, des EP dont les
chansons (“Pour Oublier Qu’On S’Est Aimé”, “Un An D’Amour...”) “Oui Mais Ta Mère N’Est Pas D’Accord” ou “Le Blues Antibourgeois”
ont une teneur tragique qui ne trouve pas audience. qui a surtout le problème d’être anticonsentement), on recense aussi
En revanche, la France gaullienne rigole sur “Mirza” et les tubes qui quelques pétaradantes réussites, “Je Vends Des Robes”, “Madame
suivent. La période est faste, on l’invite régulièrement à la télévision, Robert”. Plus intéressant encore, il rencontre Daniel Beretta sur le
Fernand Raynaud parodie “Oh! Hé! Hein! Bon”... Ses 45 tours sont tournage d’“Un Eté Sauvage” en Corse, et dans la Bentley qui les
aussi truculents que du Boby Lapointe, parfois trop, à la différence près emmène sur le plateau écrit le texte superbe d’une bossa-nova dont
que Ferrer y révèle de vrais talents de shouter sur des instrumentaux Beretta gratouille la musique : “La Rua Madureira”, première grande
qui sonnent magnifiquement. Ferrer et ses excellents musiciens (dont chanson, une fiction tragique qui parle d’un crash aérien. Nino, pour la
Bernard Estardy à l’orgue) ont des centaines de concerts dans les pattes musique du film de Marcel Camus, a également composé un morceau
et savent jouer le R&B américain avec un groove et une précision que à la mode carioca, “Oerythia”, moins inspirée mais qui change du
personne n’a en France. L’intention est noble : donner une version sillon rhythm’n’blues (plus ou moins) comique rémunérateur, mais
française crédible de la musique de Wilson Pickett ou James Brown, dont Ferrer commence à se lasser.
dont il traduit dignement le “It’s A Man’s Man’s Man’s World” en “Si
Tu M’Aimes Encore”, rare cas d’adaptation chez lui, exercice très
fréquent chez ses collègues hexagonaux. James Brown, qui est nommé Grand déballage
dans “Je Veux Être Noir”, déclaration d’amour à la culture afro- psychanalytique
américaine sincère mais maladroite (Manu Dibango, un temps organiste La décennie 1970 coïncide avec un changement de vision. Après l’échec
pour Ferrer, en fait un instrumental jerk en 1967, Michel Leeb reprend d’un album d’originaux en italien, “Ratts & Roll’s” (1971), Ferrer délaisse
malheureusement le titre en 2015). Cette période de la fin des sixties sa première patrie pour Paris, où Eddy Barclay paie de quoi réenregistrer
est faste musicalement. Alors que certaines chansons passeraient une version de l’album en français : cela donne “Métronomie”, premier
difficilement aujourd’hui (“Les Petites Jeunes Filles De Bonne album réellement conçu comme tel, avec une dizaine de musiciens
Famille”, “Mamadou Mémé”, “Mao Et Moa” et son intro en mandarin, chevelus et habiles, réalisé en toute liberté avec longs instrumentaux
d’une tendance à l’autocomplaisance, dans les paroles ou ces tics de découvrir le peintre Nino Ferrer. Son ultime disque est un album
musicaux de l’époque (solo de violon électrique !). En langage simple : live, “Concert Chez Harry” (1995), anecdotique mais plus digne
il n’y a aucun single. Barclay coupe le robinet et Ferrer part vendre après deux décennies où le panache s’est transformé en obstination,
à CBS un album enregistré à Londres qu’il finit par cosigner avec puis en irrémédiable amertume. H
une chanteuse américaine, Radiah Frye. Les chansons sont douces, Compilations “Nino Groovy”, “Nino Rebel”, “Nino Dandy” (Universal)
Le groupe de la génération X
de l’underground triomphant face aux grosses machines aseptisées, intimité, mettant à nu ses pensées les plus personnelles, dans la quête
l’avènement de musiciens intelligents, sensibles et militants (pour de cette même question, encore et encore : pourquoi s’est-il suicidé ?
le féminisme, contre toutes formes d’intolérance) face aux lourdaux La perte de Kurt Cobain fut un traumatisme aussi grand que celles
célébrant drogues, violence et petites pépées. En 1990, aucun album de Jimi Hendrix, Jim Morrison ou John Lennon le furent. Un drame
de rock n’avait atteint la première place des charts aux Etats-Unis. dont le rock ne s’est jamais remis.
Un modèle dont
l’influence est
toujours palpable
dans la scène
underground
actuelle
un album plus conforme à sa véritable identité. Pourtant, l’approche
directe de Steve Albini n’a jamais vraiment séduit le label (rien d’éton-
nant) ni le groupe lui-même, qui demandera plus tard à Scott Litt
(producteur historique de REM qui venait de faire le très classieux
“Automatic For The People”) de remixer les morceaux “All Apologies”,
“Heart-Shaped Box” et “Pennyroyal Tea” pour leur sortie en single.
Au-delà de ces considérations sonores, “In Utero” reste un geste
artistique d’une puissance folle. A une époque où on ne pouvait écouter
les CD qu’en préécoute dans les boutiques, mettre en ouverture deux
morceaux aussi lourds et dissonants que “Serve The Servants” et
“Scentless Apprentice” était une façon de tester les limites de leurs
nouveaux fans. On était loin de “Nevermind” s’ouvrant sur son
morceau le plus bankable. Mais après cette déflagration (et l’ironique
ligne d’ouverture de l’album où Cobain chante “Teenage angst has
paid off well/ Now I’m bored and old”), c’est l’enchaînement de tubes :
“Heart-Shaped Box”, “Rape Me”, “Dumb”, “Pennyroyal Tea”, “All
Apologies”, morceaux à la mélancolie tenace où le chanteur semble
exorciser ses tourments dans des refrains hurlés. “In Utero” montre
Kurt Cobain à son meilleur en tant que songwriter et nous rappelle
qu’il était avant tout un fan des Beatles qui jouait une musique puisant
autant son inspiration chez Black Sabbath et Black Flag que chez Neil
Young, un auteur qui avait compris que la noirceur du blues était bien
plus fascinante et profonde que n’importe quel numéro de croque-
mitaine de pacotille. C’est ce qui fait la beauté du disque, qui est empli
en studio dès septembre, avec les producteur Jack Endino (qui avait de grandes chansons, interprétées avec ferveur et une émotion à fleur
enregistré “Bleach”, l’abrasif premier album du groupe) et Steve Albini de peau. Car Cobain n’avait que faire des postures, il était en mission.
(que Cobain admirait pour son travail avec les Pixies et les Breeders) Mystique, il écrivait des chansons sur une guitare déglinguée, une
comme possibles choix. Deux producteurs pas vraiment connus pour Stella Harmony H912 de la fin des années soixante, une réplique cheap
leur approche pop polie. de la guitare de Leadbelly qu’il avait achetée à un mont-de-piété en
1989. Elle n’avait plus que cinq de ses douze cordes originales, n’avait
plus de Mi aigu et ne restait accordée que grâce à du chatterton qui main-
Sur une guitare déglinguée tenait les chevilles en place. On peut l’entendre sur des titres tels que
Après des premières sessions infructueuses en octobre 1992 avec “Polly” et “Something In The Way”, sur les home-recordings de
Endino, le groupe se rendit au studio Pachyderm à Cannon Falls, dans Cobain du documentaire “Kurt Cobain: Montage Of Heck”, et même
la froideur du Minnesota, pour enregistrer avec le compétent Albini. en fantomatique repisse sonore sur quelques passages calmes de “In
Un endroit que Krist Novoselic comparera plus tard à un goulag (“Il y Utero” (“Dumb”, “All Apologies”), Cobain ayant enregistré les prises
avait de la neige à l’extérieur, on ne pouvait aller nulle part. On a juste témoin avec son fétiche désaccordé. C’est sans doute cette approche
travaillé” confiera-t-il au journaliste américain Gillian G. Gaar), bien loin romantique et cette absence de filtre au moment de mettre ses émotions
du confort du studio glamour de Sound City à Los Angeles, où Nirvana à nu qui lui a valu tous ces tourments. C’est aussi ce qui fait de “In Utero”
avait enregistré “Nevermind”. On a souvent dit qu’Albini avait été le moment pivot de la carrière de Nirvana, celui où le groupe s’est
choisi pour produire Nirvana parce que le groupe avait mal vécu la façon affiché plus que jamais comme saint patron des freaks et des weirdos.
dont celui-ci sonnait. C’est une des raisons pour lesquelles “In Utero” Coincé entre les deux disques les plus emblématiques du trio
a souvent été opposé à “Nevermind”, comme s’il fallait choisir un camp. — “Nevermind” et le “MTV Unplugged In New York” (une tout autre
Entre un disque taillé pour les charts, très produit, trop aux yeux de histoire), c’est un modèle de disque rock dont l’influence est toujours
certains, et son successeur plus brutal. A en croire certains, le groupe palpable dans la scène underground actuelle, d’où on espère plus que
aurait été manipulé par une major pour produire une musique grand jamais voir émerger d’autres héros. H
public et s’était émancipé de ce joug pour sortir avec “In Utero” Album “In Utero” (Sub Pop/ Universal)
2023
ANNÉE
L’ÉDITO DU PREMIER NUMÉRO DE L’ANNÉE DERNIÈRE
SE LIVRAIT À UN PRONOSTIC ASSEZ TÉMÉRAIRE :
“ET SI 2023 ÉTAIT MIEUX QUE 2022 ?”. Douze mois après,
force est de reconnaître que l’expérience est moyennement
concluante. La plupart des artistes que l’on voit défiler devant
nous s’accordent à trouver les temps légèrement angoissants.
On les comprend. Mais face à la crasse ambiante, le rock (au
sens extensible qui a toujours été le sien ici) reste, lorsqu’il
est fidèle à lui-même, une incomparable école de liberté et
quelque chose comme un phare dans la nuit de l’époque.
Piñata humaine
et vodka au bar
Soixante ans de carrière pour les Rolling Stones, “ça en fait du trimestre !”
s’amuse Vincent Tannières, notre rédacteur en chef. Pas faux ; mais
il est vrai aussi qu’on imagine difficilement Mick Jagger s’époumoner
au cul d’un camion-poubelle à six heures du matin. Le sujet fut en
tout cas matière à quelques notables interventions musicales, celle
par exemple de Pascal Bouaziz et de son groupe Bruit Noir — respon-
sables par ailleurs de ce qui est peut-être l’album le plus kamikaze de
l’année — sur le très beau morceau à la Manset qu’est “Communiste”,
dans lequel il espère qu’un nouveau virus emporte “tous les
retraités partis à 60 ans et qui votent maintenant pour la retraite à
65 ans” et rêve d’un monde où “la saloperie aura perdu à jamais”.
ÉE ROCK
tentative de synthèse. PAR VIANNEY G.
On danse le tango
avant de sombrer ?
On les aura Pascal, on les aura. Patrick Moalic, l’un des deux Glimmer
Twins officieux du courrier des lecteurs (avec Phil l’Autre, présent de
janvier à décembre !), propose “49.3” comme titre du prochain album
de Trust ; c’était bien vu, mais la bande à Bonvoisin s’est fait griller
la politesse par le groupe Dalle Béton, avec son bien nommé “49.3”,
incluant un feat en talk-over de Lizzie Borne (“Sur le fondement de
l’article 49 alinéa 3 de la Constitution”, etc.). On aura aussi entendu
Father John Misty (impérial lors de son passage à Pleyel) et Morrissey,
entre autres, exprimer leur soutien aux grévistes français.
L’actualité n’aura jamais été aussi littéralement brûlante qu’en cette
année. Des pages du magazine se dégageaient au fil des mois comme
une légère odeur de roussi, que ce soit chez Pascal Comelade et les
Limiñanas (la gainsbourienne “Fin Du Monde”) ou chez Sqürl, le
groupe de Jim Jarmusch (même thème, en version anglaise, avec
“The End Of The World”). Josh Homme, interrogé sur ce point par
Romain Burrel (logique après tout, c’est le maître d’œuvre des “Desert
Sessions”), résume l’alternative à sa manière toute personnelle : “On
est tous ensemble sur le Titanic et ça me va. Ok, il ne nous reste plus
beaucoup de temps avant qu’on ne touche l’eau. Alors on fait quoi ?
Le classic rock
On le sait, les nouvelles générations de fans redécouvrent les
classiques les unes après les autres, mais les années 1960 et 1970
se taillent la part du lion de ce qu’on nomme classic rock au
point d’étouffer leurs successeurs. Ce qui soulève la question :
à partir de combien de décennies de carrière devient-on un
groupe classic rock ? Les récentes reformations de groupes
britpop (Blur, Supergrass, Pulp…) ont touché leurs fans mais
intéressent peu le grand public qui préfère aller voir des tribute
bands de Pink Floyd. Difficile pour les générations antérieures
et postérieures d’exister en dehors de cet âge d’or du rock.
une parodie, une sorte de burlesque. Ce qui fait une grande chanson
n’est pas sa ressemblance avec une œuvre reconnaissable. Ecrire une
bonne chanson n’est pas du mimétisme, ni de la réplication, ni du
pastiche, c’est le contraire”. L’écoute de la version de “God Only
Knows” chanté par les Beatles grâce à l’IA tend à leur donner raison.
Rubrique “modèle Amish” de nouveau : France 3 nous apprenait
récemment qu’Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition
énergétique, adooore les Clash (“Pour retrouver de l’énergie, ‘London
Calling’, c’est extraordinaire. C’est un cri de gauche !”). Difficile de
savoir ce que Joe Strummer en aurait pensé, mais l’on se souvient
que lorsque David Cameron (ancien Premier ministre britannique
ayant donné un sens radicalement nouveau à l’expression “copains
comme cochons”) avait déclaré son amour pour les Smiths, Morrissey
avait répliqué qu’il lui interdisait de les aimer. David Lisnard (qui
ça ?) lui aussi croit en son destin : “Le Monde” nous informe que
lors de sa rentrée politique, “ce grand amateur de rock est arrivé sur
scène au son de ‘I’m Free’ des Who”. “Either Way I Lose” de Nina
Photo Steve Gullick-DR
Nécropole dérisoire
Un lecteur fait remarquer dans le numéro de mars, il est vrai
particulièrement fertile en la matière, que “la rubrique In Memoriam est
devenue (malheureusement) une rubrique bien vivante car mensuelle”.
Guitaristes, chanteurs, bassistes : où êtes-vous ? David Crosby ? —
Mort. Jeff Beck ? — Mort. Tom Verlaine ? — Mort. (Nous offrons
le dernier album des Greta Van Fleet aux lecteurs ayant identifié
le plagiat). Auront également traversé l’Achéron cette année, par
ordre de disparition : Jet Black, Wilko Johnson, Paul Alessandrini,
Le prix du vinyle
C’est un fait : depuis que le vinyle remplit à nouveau les rayons
des boutiques, son prix a enflé jusqu’à atteindre un degré absurde.
“Hackney Diamonds” des Stones en version standard ? 32 €
en moyenne, et plus du double si on souhaite que le disque soit
coloré. Les best of rouge et bleu des Beatles en triple vinyle ?
On dépasse allègrement les 60 €. Qui en est responsable ? La
hausse du prix des matières premières d’une part, les contraintes
Photo Reg Lancaster/ Getty Images
par sa vaine complexité, irrite les peuples, offense la sainte Démocratie ?” qui précise cependant : “Je suis chrétien, ok. Mais les chrétiens, je peux
(extrait de son essai “Les Testaments Trahis”). Kundera avait raison vous dire que je ne crois pas eux”. Pas non plus spécialement praticien
sur au moins un point, le rock est une extase. du death growl, Brian Wilson affirme : “Je crois que la musique est la voix
de Dieu”. Même opinion, en version nettement trollesque, pour Cameron
Winter, leader surdoué des New-Yorkais de Geese : “Je commence ma
Entre Dieu et diable journée avec une prière. Je parle à Jésus et il me donne des idées. Et puis je
Février 2023, numéro 666, nombre de la bête : impossible de faire m’assois, j’écoute de la musique et, au bout d’un moment, je me dis : ‘Hey,
l’impasse. Deux approches possibles, celle des démystificateurs et je peux faire ça moi aussi’.” Parmi les choses qu’il détestait le plus dans
celle des mythographes, celle qui hausse les épaules et rétablit les la vie, Lemmy citait quant à lui au moment de la sortie d’“Orgasmatron”
“faits” et celle qui se laisse emporter par son propre délire “et défie (réhabilité par Benoît Sabatier dans le numéro de novembre 2023),
la lisse temporalité de l’Histoire”. S’il est vrai, comme l’écrit également
Alexandre Breton, que le motif a vite dérivé vers la pantomime (Ozzy
Osbourne confesse ainsi dans son autobiographie : “Je peux honnêtement
dire qu’on n’a jamais pris ces histoires de magie noire au sérieux, ne Le streaming
serait-ce qu’une seconde. On aimait juste leur côté théâtral. Même mon
dabe a fini par entrer en jeu : il m’a fait une fantastique croix en métal
pendant une de ses pauses thé à l’usine”), d’autres ne plaisantent pas sur
en question
Si le vinyle reste le support préféré des romantiques et le CD
le sujet ; les boucheries entre black métalleux norvégiens font passer les celui des audiophiles, le streaming est désormais — de loin — le
moyen de consommation le plus répandu. Le service est pratique :
règlements de comptes entre rappeurs pour des batailles de polochons. on peut se promener avec 100 millions d’albums dans sa poche
Eric Delsart rappelle ainsi que, lorsqu’en 1991, Dead, chanteur du en permanence et se créer des playlists personnalisées. Seul
problème : les musiciens ne touchent que des miettes de millions
groupe Mayhem, se suicide, son guitariste Euronymous photographie la de streams (3 000 € pour un million environ !), et certains gros
dépouille, fait un ragoût avec le cerveau de son comparse et confectionne artistes ont recours à l’achat (illégal) de streams afin de booster
des colliers avec les os de son crâne, avant d’être lui-même assassiné leurs audiences. Deezer perd de l’argent et le leader du marché
Spotify vient de licencier 20% de ses effectifs, preuve que le modèle
deux ans plus tard par le leader de Burzum. On n’est pas dans “Astérix économique ne fonctionne pas vraiment. A qui profite le crime ?
Et Les Vikings”. En face, dans le camp divin, on retrouve T Bone Burnett,
“les gens à l’église qui jutent dans leur pantalon en communiquant avec
Jésus-Christ”. Dieu, la Musique et le Sexe, rien d’incompatible pour
Dolly Parton qui, dans un entretien qui fera date, expliquait à Thomas
E. Florin qu’elle avait volé son look à l’unique prostituée de son village
natal : “Je la trouvais sublime. Tout le monde disait qu’elle était trash
alors, j’ai décidé d’être cela plus grande : trash”. Pour d’autres enfin,
c’est le rock lui-même qui s’est fait dogme et religion, comme pour
Henri-Paul Tortosa, enterré aux côtés de sa Gibson.
Notre jeunesse
Qu’en est-il de l’état de notre musique en 2023 ? Vieille préoccupation
pour nous autres, gens de rock : Nicolas Ungemuth rappelle que les
Rubinoos chantaient “Rock And Roll Is Dead (And We Don’t Care)”
en 1977. Le dernier édito de l’année en est persuadé, “le rock souffle
bientôt ses 70 bougies mais refuse de vieillir comme il refuse de mourir”.
Ou alors il n’en finit pas de ne pas vouloir crever, tant l’histoire du rock
est aussi celle de sa mort sans cesse annoncée et toujours repoussée.
Encore faut-il savoir de quoi l’on parle : Wreckless Eric a raison lorsqu’il
soutient que cette musique n’a jamais consisté à porter “une ceinture
cloutée et un bandana avec des têtes de mort”, de même qu’Adrien Durand
qui, dans “Tuer Nos Pères Et Puis Renaître” (voir la chronique d’Agnès
Léglise dans le numéro d’août), ironise sur “ceux qui ont confondu le
déguisement avec la réalité” (suivez notre regard…). Mieux que des
promesses, 2023 aura apporté quelques flamboyantes confirmations
de ce constat. S’il faut des preuves à certains, en voici une liste d’une
grosse douzaine, volontairement subjectives : “Every Day Is The Worst
Day Of My Life” des Lemon Twigs, “St. Elmo” de Geese, “Dernier Soir”
des Lullies, “National Team” de Hotel Lux, “I Thought I Understood” de
The Underground Youth, “Autumn Term” de PJ Harvey, “To The Crush”
d’En Attendant Ana, “Rocking Machine” de Dick Russo, “West End
Girls” (reprise d’un classique des Pet Shop Boys) des Sleaford Mods,
des artistes
vieux jeunes, ni jeunes vieux, ni la déploration geignarde et nihiliste du
“c’était mieux avant”, ni l’arrogance du présent — nihiliste elle aussi —,
2023 : année galère pour les groupes. Si les concerts ont repris ni les courbettes à l’égard des dinosaures, ni la célébration aveugle de la
comme au temps d’avant la pandémie, les coûts ont explosé au jeunesse pour elle-même, notion par ailleurs toute relative ; Lee Fields
point que les artistes jouent quasiment à perte. Aujourd’hui, une (72 ans) et Steve Earle (68 ans), vus il y a quelques mois à Pleyel et
tournée entière peut être remise en question par l’annulation
d’une grosse date lucrative et avec le Brexit, aller au Royaume- au Café de la Danse, nous ont fait nous sentir tout aussi vivants que
Uni est un défi logistique et financier. Ne pas s’étonner de voir les Lemon Twigs, Geese ou Hotel Lux. Seule la vitalité — qui n’a pas
de fait moins d’Anglais venir en France. Si on ajoute à cela d’âge — nous importe. A ce titre, le récent dossier sur les 50 groupes
les rémunérations scandaleuses proposées par les plateformes
de streaming, le seul moyen de gagner de l’argent pour des de rock français pour 2024 est à la fois célébration d’un bouillonnement
groupes de taille respectable reste le merchandising. Pas de déjà présent et pari sur l’avenir, pari sur le fait que, pour finir sur les
bol, certaines salles continuent de prendre un pourcentage
sur les ventes. En 2023, vivre de son art est un combat. mots de Dan Auerbach, “ça n’est qu’une question de temps avant que
quelque chose d’énorme nous tombe dessus”. H
SHANE
MacGOWAN
Poète débraillé connu autant pour ses excès que pour sa plume
magnifique, Shane MacGowan incarnait l’âme irlandaise du punk.
Le chanteur des Pogues nous a quittés à l’âge de 65 ans.
Souvenirs d’une figure légendaire de l’après-punk londonien.
PAR PATRICK EUDELINE
CELA SE PASSAIT AU VORTEX, club punk de Wardour Plus tard, après les groupes, ce joyeux buveur, bien atteint,
Street qui avait remplacé l’historique Roxy. Nous étions en se mit à chanter “Milord” de Piaf que le DJ (ce n’était pas Don
1978 et, déjà, le punk avait évolué. De la stricte bourrinade Letts, DJ du Roxy et pourtant présent en tant qu’ombre du Joe ;
ramonesque des origines, nous étions passés à autre chose. trop occupé, déjà, par sa croisade reggae et son documentaire
Le punk explosait mais déjà les punks des origines étaient sur le Clash pour faire encore DJ) passait sur la sono (oui, les
ailleurs. Du reste, alors que nous remontions Wardour choses changeaient en 1978 : Costello et Mink DeVille, Stray
Street pour nous rendre au Vortex, notre petite bande Cats, le ska, la power pop, tout ça fomentait dans l’ombre ; de
(Asphalt, Octavio... cinq ou six personnes) s’était grands talents naissaient, après l’implosion originale) pour faire
faite arrêter par les bobbies. Moins bienveillants qu’à plaisir à une éphémère Slits et future Mo-dette présente dans
l’accoutumée, et ce qu’ils nous dirent, ce fût un... la salle, Kate Korris. Une amie de Shane. Enfin, tout est relatif.
“- French Hell’s Angels ? Where are you goin’?” Quelque temps plus tard, elle devait plus ou moins lui arracher
Parce que nous étions sapés... en rockers ? l’oreille. Certains disent que c’est une autre Mo-dette, Jane
Crockford. Va savoir. Et ceci dit : les Mod-ettes étaient un sacré
Des groupes que nous vîmes ce soir, groupe. En tous les cas, il avait une intouchable voix, le lascar.
je ne me souviens vraiment que de deux. Un Rod Stewart punk ! On n’avait pas ça au catalogue. Son grave
Warsaw (en fait, je crois qu’ils s’appellent déjà Joy Division défaut — pendant la plus grande partie de sa carrière — était
depuis quelques mois mais le nom de Warsaw est déjà un de s’évanouir au bout d’un moment tant il avait bu. Mais enfin...
peu connu, c’est compliqué) avec un improbable chanteur. Depuis Jim Morrison, il n’y avait pas de quoi fouetter un chat.
J’avais apprécié sa folie psychiatrique, détesté ceux qui J’ai vu vingt concerts des Pogues peut-être. Jamais assisté à
l’accompagnaient. On sait ce qu’il advint de ce Ian Curtis et ça. J’ai dû y aller les mauvais soirs ou les mauvaises tournées.
puis de sa bande. Et puis un groupe... glam punk. Le nom ? Va savoir. Quand le groupe oscillait entre excellent et génial.
Pfou ! Vous me forcez à fouiller. Je me souviens d’eux mais pas
du nom. Mais c’était glam ! Il n’y a pas d’autre mot. Cheveux Il est irlandais, Shane, jusqu’au bout des
rallongés, peroxydés, du glitter, Gibson Les Paul avec solos... ongles. Bourré, il me serrera dans ses bras et se mettra
Jamais un tel groupe n’aurait été concevable six mois avant. à pleurer parce que j’avais cité Rory Gallagher. Et puis, je
Photo Lisa Haun/ Michael Ochs Archives/ Getty Images
Et puis au bar... Don Letts et Strummer en visite éclair, deux m’appelais Patrick, cela me rendait la vie compliquée avec
futurs Pretenders et un jeune mec que je ne connaissais pas. certains Anglais, en ces seventies marquées par l’IRA, mais
Avec le perfecto de rigueur. Bon look et satané buveur. Avec m’assurait plein de copains irlandais, évidemment. Patrick
Asphalt, avance Pathé Marconi dans les poches, comme Strummer, Head-line. Qu’ils disent. Ou un truc du genre. Irlandais ! Mais un
on dut lui offrir une quinzaine de Guinness. Joe avait eu le temps Irlandais déraciné puisque né dans le Kent. Vite revenu au pays
de nous dire : “C’est Shane”. Il chante bien mais boit trop. Il avait avec sa mère, il fut, l’enfance achevée, arraché de la terre promise,
un fanzine, “Bondage”, et un groupe, The Nipple Erectors. Ou le comté de Tipperary, et grandit dans le sud de l’Angleterre, ses
The Nips, ça dépendait. On a le même dentiste. Enfin plutôt, deux parents irlandais n’arrêtant pas de déménager. Londres,
on a la même adresse mais on n’y va jamais. Il n’y a que John Brighton... Son père lit des livres et écoute de vraies musiques.
(Lydon/ Rotten) qui a osé affronter. Shane dit qu’il n’a pas de Sa mère est chanteuse, danseuse traditionnelle et comble les
blé à perdre en conneries. Mais il devrait quand même. trous de la marmite en faisant le mannequin à Dublin.
“Summer In Siam” de l’un des plus beaux morceaux “Yeah, Yeah, Yeah, Yeah, Yeah” “Turkish Song Of The Damned”
“When it’s summer in Siam, des Pogues, c’est encore une valse. Les Pogues rendent hommage à Quand les Pogues se lançaient dans
and the moon is full of rainbows”… “I’m not singing for the future/ la northern soul qu’ils ont toujours les influences méditerranéennes
Pas de couplet, de pont ni de I’m not dreaming of the past/ I’m not adorée. Surprenant, mais parfait. ou orientales, le résultat était
refrain. Juste une mélodie qui talking of the first time/ I never think invariablement génial. Ce
tourne en boucle. Quelques notes about the last”. Un grand classique. “The Sunnyside Of The Street” qui a donné quelques idées
de piano, un saxophone, une harpe C’est sur “Hell’s Ditch”, à leurs clones français, les
divine. Un pur moment de beauté. “Misty Morning Albert Bridge” merveilleusement produit par Négresses Vertes. L’original
Le héros rêve à son amour. Joe Strummer, que se trouve est nettement plus intéressant.
“Thousands Are Sailing” “I awoke subcon and alone in a cette joyeuse cavalcade
La grande émigration des Irlandais faraway place/ The sun fell cold à l’optimisme viscéral. “Night Train To Lorca”
fuyant la misère pour les Etats- upon my face, the cracks in the La joie y est contagieuse, Dans la même veine exotique, avec
Unis. “Thousands are sailing/ ceiling felt hell/ Turned to the l’énergie décapante. trompettes espagnoles et guitare
Across the western ocean/ Where the wall, pulled the sheets around flamenco. Ces gens savaient varier
hand of opportunity/ Draws tickets my head/ Tried to sleep, dream “Lullaby Of London” les registres avec un rare bonheur.
in a lottery.” L’un des grands my way, back to you again.” Sur “If I Should Fell From
chefs-d’œuvre du groupe. Sublime, et une valse à nouveau. Grace With God”, l’un des “The Body Of An American”
meilleurs albums des Pogues, Elvis Costello aura produit
“Fairytale Of New York” “The Old Main Drag” cette splendeur qu’on peut deux merveilles, le premier
Un loser exprime son amour Dans l’enfer de la prostitution écouter cent fois. Shane Specials et cet album des Pogues,
à sa dulcinée. Laquelle l’envoie masculine. “I’ve been shat on y est fantastique. “Rum Sodomy And The Lash”
paître. “I could have been and spat on and raped and abused/ (une citation de Churchill
someone”, dit-il. “Well so I know that I’m dying and I wish “God Help Me” décrivant la marine anglaise).
Invité sur un album des
Photo Steve Rapport/ Getty Images
could anyone”, répond l’intéressée I could beg/ For some money to take Un festival de musique irlandaise
Kirsty MacColl. Cette chanson me from the old main drag”. L’une Jesus And Mary Chain chahutée juste ce qu’il faut.
de Noël, l’une des plus belles des chansons les plus poignantes (“Stoned And Dethroned”),
du monde, est devenue un au répertoire du groupe. MacGowan, plus que jamais, “A Pair Of Brown Eyes”
classique de la diaspora semble au bout du rouleau : Encore l’une des ballades
irlandaise. Et c’est une valse. “London You’re A Lady” “God help me through this day/ dont MacGowan avait le
Merveille tirée de “Peace And I’m blind can’t see the way/ God secret, et comme à chaque
“A Rainy Night In Soho” Love”. MacGowan, légèrement please help me through this day/ fois, il y raconte une histoire.
Nick Cave l’a interprétée aux chancelant, y est encore plus I just can’t take it, anymore.” Elle est tragique. Son génie
funérailles du chanteur. Il s’agit touchant que d’habitude. Sa voix porte le tout avec grâce. narratif était sans équivalent.
Disque du Mois
Emotion rare
Harp
“ALBION”
BELLA UNION/ PIAS
En 1999, cinq étudiants en célèbre orateur de la Grèce antique, et d’attente, la sortie de l’album et malgré des intitulés tels
musique à l’université du Antiphon a défendu l’oligarchie “Albion”. Le bassiste originel que “Daughters Of Albion”,
North Texas fondent Midlake, contre la démocratie. Une pique de Midlake, Paul Alexander, “Throne Of Amber”, les paroles
abandonnant le jazz-funk de à l’adresse de leur ancien leader et le guitariste de Hollow Hand, des chansons n’ont rien de
leurs débuts au profit d’un mix de pour son autoritarisme et son peu Max Kinghorn-Mills, apportent moyenâgeux mais proposent
folk-rock et de pop lo-fi avec une d’enthousiasme pour une gestion leur contribution à un disque une suite de réflexions sur le
touche de psychédélisme. En 2004 collective et la scène. Quand conçu et réalisé chez lui par monde à partir, entre autres,
sort “Bamnan And Silvercork” en 2022, avec “For The Sake Of Smith qui joue de tous les de la musique et des livres qui
dont Tim Smith, le chanteur Bethel Woods”, Midlake retrouve instruments, claviers, guitare ont inspiré Tim Smith. Ainsi,
soliste et guitariste, a composé la magie de “The Trials Of Van acoustique, flûte, synthés ana- “Daughters Of Albion” est tiré
tous les titres. Sous sa direction, Occupanther” et de “The Courage logiques. “The Pleasant Grey”, d’un poème de William Blake
Midlake poursuit avec deux Of Others”, toujours peu de nou- un des deux courts instrumentaux, et “Throne Of Amber” du cycle
chefs-d’œuvre, “The Trials Of Van velles de Tim Smith à part des l’autre étant “Moon”, est une intro- des “Chronicles Of Amber” de
Occupanther” en 2006, incluant collaborations sur un ou deux duction tout en douceur à “I Am Roger Zelazny. “Seven Long
“Roscoe”, leur seul succès, et titres avec Lost Horizons, The Seed” qui donne la tonalité Suns”, un titre prévu pour le
“The Courage Of Others” en 2010 Cascadeur et une chanson, de “Albion”. Son folk rock onirique quatrième album jamais terminé
avec une pochette inspirée par “Chrystals”, de 1’38’’ pour crée une atmosphère encore plus de Midlake, est une évocation de
“Andreï Roublev”, le film mystique attester de la réalité de Harp. mélancolique, fantasmagorique ses relations amoureuses. Les
de Andreï Tarkovski. A la surprise Ce duo est formé de Tim Smith, que les productions de Midlake somptueux “Country Cathedral
générale, en novembre 2012, habillé en barde moyenâgeux, dont l’ombre plane toutefois sur Drive”, “Shining Spires”, “Silver
le perfectionniste Tim Smith compositeur de tous les titres, et la majorité des morceaux, entre Wings” et “A Fountain” complètent
quitte Midlake pour créer Harp, de sa femme Kathi Zung, batterie la redécouverte du chant singulier, un disque magnifique, homogène,
emportant une grande partie électronique et coproduction. parfois dédoublé, de Smith et les sans concession, hors du temps
de ses compositions. Après son D’emblée, Tim Smith réussit entrelacs des guitares acoustiques et des modes. “Albion” symbolise
départ, le guitariste Eric Pulido le à transmettre une émotion rare et électriques, des claviers et aussi la renaissance d’un musicien
remplace au chant. Un an plus tard, par la grâce et la pureté de son de percussions discrètes. unique qui a failli se perdre.
en novembre 2013, Midlake sort chant. Surtout, “Chrystals” annonce A l’exception de “Herstmonceux”, JJJJ
l’excellent “Antiphon”. Sophiste et enfin, après onze ans d’incertitude nom d’un château fort anglais, PHILIPPE THIEYRE
pISTE AUX éTOILES JJJJJ INCONTOURNABLE JJJJ EXCELLENT JJJ CONVAINCANT JJ POSSIBLE J DANS TES RÊVES
Aura-t-on un jour droit à un nouvel Depuis une dizaine d’années, Sunset Leur truc, c’est le guérillero. Ils ont Après avoir survécu à tout, sauf une
album de Foxygen ? Le duo formé Blvd exhume les enregistrements aussi ce romantisme, un peu héroïque, du guerre nucléaire, Marianne Faithfull
par Jonathan Rado et Sam France n’a bien en studio qu’en concert de phil combattant révolutionnaire, le genre a perdu sa voix et son souffle après
jamais vraiment réussi à confirmer les Seymour. Septième volume de la série, de moustachu à habiter une jungle. un Covid long au printemps 2020.
espoirs placés en lui par l’immense ce live saisi au mythique Whisky A Go Go Pour preuve : les Mock Media sont Pour qu’elle paie ses frais médicaux, une
réussite de “We Are The 21st Century de Los Angeles le 12 mars 1981 dévoile surtout à l’aise en marcel et torse bande de fidèles a décidé de reprendre
Ambassadors Of Peace & Magic”. La un artiste au sommet de ses capacités. nu. Issue de la cuisse de Crack Cloud son répertoire. Et on entend déjà les
faute à une inconstance chronique et Echappé du Dwight Twilley Band, avec — signé sur leur label Meat Machine —, hurlements de ceux qui ont vécu la
à la personnalité volatile de Sam France, qui il enregistra deux albums en tant on sait que le collectif de Vancouver a période rock caritatif des eighties :
chanteur aussi excentrique qu’erratique. que batteur, le virtuose sort son premier toujours eu ce fantasme du guerrier les bons sentiments ne font pas de
Entre les albums livrés quasiment à album solo en janvier 1981 : intitulé vertueux. Chez Mock Media, cela a bonne musique. Mais un bon casting
l’état de démos (“... And Star Power”) sobrement “Phil Seymour”, le disque rencontré une obsession particulière et un répertoire assorti, si. Dans le cas
et les délires pop orchestrés façon comporte les excellents “Precious pour Le Clash. Ils auraient beau le précis, un détail saute aux oreilles :
Broadway (“Hang”), la trajectoire du To Me” et “Love You So Much” renier, peut-être même n’ont-ils jamais les admiratrices de lady Marianne
groupe a sérieusement déraillé au point qu’on retrouve sur ce live. Tout le entendu une note du groupe magique, sont plutôt des pétroleuses à la voix
que le groupe a annoncé sa dissolution show témoigne d’un Phil Seymour rien à faire : l’influence de seconde travaillée à la clope que des femmes-
en 2022. Jonathan Rado n’a pas pour énergique, brillant, inspiré, où éclate sa main, cela existe aussi. Mock Media fleurs éthérées. Parfait donc pour des
autant baissé pavillon. Depuis des réputation de “prince de la power pop”. a donc indéniablement quelque chose chansons qui parlent de cul, de came
années, il semble s’épanouir dans Les reprises étincellent : deux titres en du Clash de la deuxième période : et de plongées dans la folie. Comme le
l’accompagnement et la découverte hommage à Elvis Presley “Tryin’ To Get la voix, les harmonies, le métissage duo héroïque Shirley Manson & Peaches
To You” et “(You’re So Square) Baby sur “Why D’Ya Do It” en mode electro-
I Don’t Care” ; la chanson composée clash crasseux. Ou celui entre Cat Power
par John Prine et Phil Spector “If You et Iggy Pop, rien que l’Iguane et ses
Don’t Want My Love” ; “Bony Moronie” interventions de vieux sage au timbre de
de Larry Williams et le célèbre “Baby velours. Donita Sparks jubile d’humour
Come Back” des Equals. Flanqué de grinçant sur un “Sliding Through Life
son complice du Dwight Twilley Band, On Charm” à l’arrangement ébouriffant.
Bill Pitcock IV, à la lead guitar, Seymour Même coup de cœur pour “Sex With
délivre son répertoire romantique avec Strangers” qui se mue en morceau
une fougue telle qu’on croirait qu’il groovy avec flûte de Pan de synthèse
met sa vie en jeu. Un second album et autres étrangetés. A la première
solo suivra en 1982 sans rencontrer écoute, “Broken English” par Joan As
le succès, puis Seymour intégrera Police Woman déroute un peu. Pas assez
en 1984 les Textones de Carla Olson, rugueux, se dit-on avant de succomber
Cet album posthume restitue l’un “Boom Boom” Bashung, le leader de Louise Attaque Les jeunes gens de Pop Crimes,
BECAUSE
des derniers tours de piste live de Jane a multiplié les rencontres. Le principe comme tant d’autres d’une génération
Birkin : malgré sa santé défaillante (qui Ce sont tout simplement les meilleurs. de cet album basé sur des duos allait aux familles souvent disloquées,
écourta la tournée), mais avec une voix Pascal Comelade est le meilleur compo- donc de soi. Les premiers titres sont considèrent leurs potes comme des
intacte, elle avait tenu à célébrer avec siteur de musique instrumentale — tous des inédits et “On Ne Pleure Pas Dans frères et sœurs de sang. C’est le cas
son public son récent album studio genres confondus — d’ici et d’ailleurs. L’Eau”, partagé avec M, constitue de Romain Meaulard, cofondateur d’En
en l’incluant à un répertoire scénique Marie et Lionel Limiñana sont à la tête du une introduction haut de gamme Attendant Ana, dont il s’est éclipsé dans
renouvelé dans lequel elle intégrait, meilleur groupe de rock — on a du mal que vient conforter le chatoyant “Crois- l’acrimonie alors que ses six-cordes
pour un vibrant hommage, la reprise de à dire “français” tellement c’est plus que Moi” avec Adeline Lovo ou le troublant nerveuses venaient de bousculer les
quatre extraits de “L’Histoire De Melody ça — d’aujourd’hui. Tous trois multiplient “Promenade” avec Bertrand Belin : chansons d’un excellent opus, “Lost
Nelson”, l’album culte de son pygmalion les projets les plus divers dans une ex- beauté et complémentarité des voix, And Found”, produit par Nicolas Pommé
Serge Gainsbourg. Poussée par une plosion créatrice permanente. Comelade envols mélodiques et charme de textes (Young Like Old Men). Au fond du trou,
volonté touchante de se renouveler vient de sortir un disque hommage au souvent mélancoliques. Le terme de il renoue avec ce dernier pour noyer sa
et de sortir des sentiers balisés, elle Velvet Underground en compagnie de “variétés” n’étant pas pour lui un gros peine, avant que ce duo ne soit rejoint
prend des risques et n’hésite pas à Lee Ranaldo. Les Limiñanas, un album mot, il ne se prive pas de se frotter à des par Morgane Poulain (batterie, ex-
accorder une place de choix à ses en collaboration avec Laurent Garnier. célébrités comme Louane ou Soprano, et Blondi’s Salvation) et Quentin Marquès
nouvelles chansons très personnelles Excusez du peu. Ce “Boom Boom”, au le résultat prouve qu’il a bien raison tant (basse), aux fêlures similaires. En 2019,
dont elle avait rédigé les textes mis titre bien choisi puisqu’il s’inspire dans sa il parvient à les attirer dans son propre un EP inaugural (“Débuts”) refermant
en musique par Etienne Daho surenchère sonore des musiques foison- univers pop. Cet éclectisme revendiqué, déjà un petit tube en puissance
nantes de dessins animés, est leur (“Seasons & Storms”) révèle cet
deuxième disque à sortir sous leurs noms élégant quartette baptisé d’après
accolés, après le délicieux et trop méconnu Rowland S Howard et possédant un
“Traité De Guitares Triolectiques (A L’Usage talent particulier pour exprimer une
Des Portugaises Ensablées)” paru en 2015. sensibilité à fleur de peau au travers
Il est encore meilleur. Toujours avec cette de titres indie pop majestueux. Son
obsession jouissive : la répétition et la premier LP s’appelle “Gathered
transe. La majorité des morceaux sont Together”, pléonasme soulignant son
instrumentaux et portent des titres thème récurrent : une célébration de
impayables — comme toujours chez l’intense amitié qui lie ces trentenaires
Comelade —, genre “Solo De Boxe En cabossés. Comment ne pas être remué à
Conserve” ou “Hypnose En Bas De Gamme”. l’écoute de “No More Cryin’”, manifeste
Il y a aussi quelques voix, comme sur lequel Romain décrit d’une voix
celle de Lionel, sur “Fin Du Monde”, éraillée évoquant Joe Strummer
Stephen Monahan
“STEPHEN MONAHAN”
Kapp
DES CHEFS-D’ŒUVRE SIXTIES PASSÉS À LA TRAPPE, MÉPRISÉS, Là, au pays des Byrds et Doors, le monde a complètement changé. Il habite
IGNORÉS, BAFOUÉS ? De “The Velvet Underground & Nico” à “Odessey avec Dan, la paire donnant un coup de main à Del pour deux albums
And Oracle”, il en existait un sacré paquet. “Exister” au passé : au fil des ans, splendides, “Total Commitment” (1966) et “The Further Adventures Of
les années soixante ont été ratissées au peigne fin, les injustices localisées, Charles Westover” (1968). Parallèlement, Dan lui ayant dégoté un contrat
dénoncées, réparées, les disques déconsidérés à tort se voyant largement avec Knapp Records, le label de Burt Bacharach et The Critters, Monahan
revalorisés. Résultat : des tonnes d’ex-obscurités des années soixante trônent bosse sur son propre album, entouré d’une équipe de choc : à la production,
maintenant dans toutes sortes de listes(1) affublées de l’étiquette “culte”. Charles Greene et Brian Stone (le duo derrière Buffalo Springfield) et aux
Beaucoup de troisièmes couteaux, dont arrangements, le cador du Wrecking
la principale qualité fut l’anonymat, Crew, Don Peake. L’avant-coureur
se retrouvent aujourd’hui vantés par “City Of Windows” marche pas
des hordes d’illuminés. Les artistes mal : 78ème place des charts. Un titre
sixties à la fois surdoués et passés épique qui laisse présager d’une suite
entre les gouttes des rédemptions grandiose. Les deux singles suivants,
rétrospectives ? Il faut se lever tôt pour, les fantastiques “Play While She
encore, en exhumer. “Of Horses, Kids Dances” et “Newberry Barn Dance”,
And Forgotten Women” de Hearts And se gaufrent lamentablement. Pareil
Flowers, avec l’exceptionnel “Ode To pour l’album “Stephen Monahan”,
A Tin Angel” : au niveau des Byrds. en 1968. Pourtant, nom d’un chien,
“Hypnotic 1” de Bit ‘A Sweet : meilleur quel disque — le petit frère caché de
que “Their Satanic Majesties Request”. “Forever Changes” ! Imaginons une
Aux Pays-Bas, Ro-d-Ys (“Earnest soirée informelle où passeraient les
Vocation”), Mega’s (“Meganique”), The musiciens de “Walk Away Renée”
Motions (“Impressions Of Wonderful”), et “Gene Clark With The Gosdin
en Nouvelle-Zélande The Avengers Brothers”, certains boivent un coup
(“Medallion”) et Fourmyula (“Green ou fument un joint, d’autres jouent,
‘B’ Holiday”), en Italie The Rokes, en de façon urgente, passionnée, une pop
Argentine Los Walkers, en Australie orchestrale ou rustique, baroque et
The Twilights, au Danemark The Floor, spontanée, les chaises tournent, des
voilà tout autour du globe des pépites chansons magnifiques s’édifient —
à déterrer(2). “Run For Me”, “Long Live The King”
Et la plus obscure des obscurités et le tétanisant “Why Do I Still Love
doublée du plus génial des génies ? You”. Flop retentissant, injustice hal-
Stephen Monahan — auteur d’un lucinante. Monahan enregistre deux
unique album, à la fois éponyme et autres singles (dont le beau “A Little
sublime, sorti en 1968 dans l’indifférence générale, toujours ignoré, Bit”), offre “Colorado Rain” à Del Shannon, lui produit “Oh How Happy”, puis
jamais réédité —, sachant, comble de la honte, qu’on trouve facilement change de secteur, rencontrant enfin le succès — comme chiropracteur en
des vinyles en circulation à dix malheureux dollars. Floride. Il soigne les lombaires, torticolis et sciatiques. “Stephen Monahan”,
Né à Detroit, Stephen monte un groupe au lycée, The Tremolos — deux l’album, grandiose et occulté, guérit, lui, de la médiocrité. H
singles, des instrumentaux surf, en 1962 et 1963. Parallèlement, Monahan, 1. Kaleidoscope (les Anglais), The Smoke (les Américains), Nirvana (les Gréco-Irlandais),
qui n’a même pas dix-huit ans, sort ses propres chansons, “Annabelle J.K. & Co., Barry Ryan, Billy Nicholls, Tages, Blossom Toes, The End, Grapefruit, The Moon,
Lee” et “The Leaves Of Fall”. Aucune répercussion : il tente une alliance Apple, World Of Oz, The Family Tree, Honeybus, Jimmy Campbell, tous jouissent à l’heure qu’il
avec un autre apprenti-rocker, Bob Seger, ainsi qu’avec le dénommé Dan est d’une cote conséquente et légitime.
Bourgoise. C’est avec ce dernier qu’il rencontre en 1964 une star du même 2. Et aussi : The Appletree Theatre, The Mirage, Chris Parfitt, The American Revolution, Russell
âge, également originaire du Michigan : Del Shannon. Les trois gamins Morris, Tin Tin, The Hobbits, Sheridan & Price, The Children, The 31st Of February, Mike Tingley,
deviennent copains comme cochons, Monahan accompagnant Shannon en The British North-American Act, Vaughan Thomas, The Griffin, Thomas Hill, The New Wave, Les
tournée sur le “Dick Clark’s Caravan Of Stars” — trois mois de concerts en Sinners, Wichita Fall, The Tuneful Trolley, Les Sauterelles, The Young Idea, Thomas Edisun’s
1965 aux côtés des Zombies et Shangri-Las. Suit un autre enrôlement — Electric Light Bulb Band…
chez les militaires. Quand il termine l’armée, Steve rejoint Del et Dan en
Californie, où ils se sont installés. Bidasse, il ne s’en était pas rendu compte. Première parution : 1968
réparer la chose, avec des choix qui de David Bowie période glam est réédité
“Time To Blast” L’année 2023 aura été magnifique pour
GM
devraient alimenter les discussions en vinyle avec une qualité sonore les fans des Dogs qui auront eu droit à
des fans des Fab Four durant les fêtes, optimale (et ce fameux mastering à En 2009, Little Bob publiait l’album la réédition de deux albums du groupe
à l’heure du digestif. Les titres ajoutés, demi-vitesse). En 1973, regarder dans “Time To Blast”, disque de blues-rock de Dominique Laboubée. Après “4 Of
qui figurent dans l’ordre chronologique le rétroviseur était dans l’air du temps. rêche sur lequel on trouvait déjà les A Kind Vol. 1”, c’est son successeur
sur l’édition CD, sont ici consignés sur Lenny Kaye avait publié la compilation musiciens qui forment la colonne (sous-titré “A Different Kind”) sorti
un troisième album, afin de garder intact “Nuggets” l’année précédente, Bryan vertébrale des Little Bob Blues Bastards à l’origine en 1999 qui revient sur
le tracklisting de 1973 pour les deux Ferry venait de publier “These Foolish aujourd’hui. Un disque dans lequel Bob grande galette, avec une belle surprise :
premiers, ce qui donne des faces E Things” où il reprenait des standards. explique, dans le morceau “The Phone un deuxième disque contenant les
et F étranges. Côté son, on a droit Enregistré alors qu’il venait d’annoncer Call”, que le rock’n’roll lui a téléphoné morceaux proposés en CD bonus sur
Nouveautés
Devo
“50 Years JJ McCann
Of De-Evolution” Transmission
Rhino/ Warner “Hit With Love”
Beast
C’est écrit dans le titre : les fous
furieux de Devo fêtent cinquante ans Croisé chez The Drones au tournant
d’existence avec une compilation qui des années 2000 au poste de guitariste
retrace la carrière du groupe. Publiée solo, James McCann produit depuis
également en CD et dans un luxueux vingt ans des albums dans la grande
coffret quatre vinyles qui rassemblent tradition du rock’n’roll australien, qui
cinquante morceaux et fait la part belle sent le bourbon et les salles enfumées.
aux obscurités et raretés, la version Avec son nouveau projet JJ McCann
double vinyle de cette compilation Transmission — qui consiste en McCann
rassemble vingt-cinq titres et s’avère à la guitare et au chant, accompagné
plus efficace : on a essentiellement d’un aréopage de musiciens venus de
droit aux tubes du groupe (de sa ville de Melbourne —, il enrobe
“Mongoloid” et “Jocko Homo” à son rock’n’roll garage d’un vernis post-
“Fresh” et “Whip It” en passant par punk (“New Machine (Are We)”) tout
la version 45 tours de “Disco Dancer”) en gardant un appétit pour le rock’n’roll
pour une entrée en matière idéale pour le plus échevelé (“Forces At Work”).
ceux que l’affaire Devo — à la disco-
graphie parfois illisible — effraie.
The Twin Souls
“Family & Friends”
Akiko Yano Smoky Sun/ Kuruneko
“To Ki Me Ki” Après deux EP remarqués (sobrement
We Want Sounds/ Modulor
intitulés “I” et “II”) uniquement
Le label We Want Sounds poursuit disponibles en numérique, les
sa campagne de réédition de disques frangins toulousains Martin et Guilhem
japonais des années soixante-dix. Après Marcos passent à l’étape vinylique en
Reiko Kaji et Ryuichi Sakamoto, c’est regroupant ces deux publications sur
Akiko Yano (la femme de ce dernier) un simple, tout en y ajoutant quatre
qui a droit à un focus avec cet album morceaux enregistrés avec des invités
sorti en 1978 mais qui n’avait pas été (dont Yarol Poupaud et Dätcha Mandala).
publié en dehors du Japon. Enregistré à Heavy, rock et bluesy, les Twin Souls
New York, “To Ki Me Ki” est un disque frappent fort quand ils font dans l’épure
de pop synthétique aussi sophistiqué (“Ch Ch Chewa”) et sortent des clichés
qu’étrange, avec des chansons rock à papa (“It’s All In Your Mind”).
aux rythmes chaloupés, entre jazz,
easy-listening et excentricité pop
à la Björk. Une belle découverte.
45 tours
The Mono Men Gros Cœur
“Stop Draggin’ Me Down” “Gros Disque”
Dangerhouse Skylab JauneOrange
Depuis qu’il s’est mis en pause aux alen- Peut-on appeler mini-album un disque,
tours de 2005, le label Estrus — haut certes court, dont les morceaux avoi-
lieu du rock garage des années quatre- sinent parfois les neuf minutes ?
vingt-dix, avec des artistes comme Le quatuor belge psychédélique
The Mummies, The Makers, Oblivians, Gros Cœur frappe très fort avec ce
The Mooney Suzuki ou les Soledad premier album aux influences oscillant
Brothers — pose problème car ses entre world-psych, krautrock et rock
publications sont aujourd’hui introuvables. garage. “Dax” est un titre enlevé comme
C’était le cas il y a peu encore de “Stop King Gizzard n’en fait plus, et le groupe
Draggin’ Me Down” des Mono Men, groupe déploie des grooves orientaux (“Java”,
mené par Dave Crider, le patron de ce quelque part dans le Moyen-Orient,
label de légende que Dangerhouse Skylab “Ventre Volcan” à la couleur afrobeat)
rend de nouveau accessible. Du rock’n’roll qui font mouche. Un groupe à suivre. o
Heeka a failli devenir circassienne avant C’est le premier album solo du chanteur- Originaire du Morbihan, Colline Hill Quand ils se sont rencontrés du côté de
qu’une blessure au genou ne l’oriente vers guitariste Dr Sugar, mais pas son réside désormais en Belgique après être Bordeaux, Franck&Damien ont
la musique en 2019. Son premier album coup d’essai puisque Pierre Citerne (de passée par l’Irlande, dont la musique lui a vite compris que l’auto-stop avait bien fait
indique que ce n’était pas un choix de cir- son vrai nom) s’est illustré depuis 1996 servi d’introduction au folk américain et où les choses puisqu’ils ont découvert une
constance, tant sa personnalité est affirmée : avec différents projets, notamment le elle a fait ses premières armes musicales même passion musicale : le folk américain,
le folk et le blues constituent sa matrice groupe Marvelous Pig Noise (douze ans au début du siècle. Pour son troisième celui de Ben Harper ou Jack Johnson.
originelle mais elle refuse de s’enfermer d’existence, cinq albums, des centaines album, elle choisit une formule dépouillée Six ans plus tard, le second album atteste
dans une chapelle et n’hésite pas à se de concerts). Depuis qu’il œuvre en solo, qui constitue un challenge ambitieux : à de l’intérêt du duo : suavité et sensibilité
délecter d’un rock sauvage et trépidant il continue de célébrer le blues groovy l’heure de tous les effets technologiques vocales qui transfigurent des ballades
(“The Blue Door”) après avoir séduit de La Nouvelle-Orléans avec sa voix possibles, il faut être gonflé pour se imparables (“Broken Man Stay”), avec la
avec ses vocalises aériennes (“My Little d’exception, mais en y incorporant contenter de l’option guitare-voix ! grâce de deux guitares complémentaires,
Mushroom”). Maniant le feu et la glace, une bonne dose de soul et de gospel, Ce choix met particulièrement bien le tout pimenté de quelques invités appar-
elle privilégie douceur et harmonie (“Your option renforcée par l’intervention en valeur son chant bouleversant et tenant à la connexion folk tels Joaco Teran
Misery”) mais se plaît à décontenancer d’un quartette gospel dont les ses ballades intemporelles qui renouent (“Spread Love”) ou Donovan Frankenreiter
en convoquant les guitares saturées chœurs font merveille sur le très avec l’authenticité d’une americana sur le superbe “California”. Entre mélopées
ou en swinguant au bord du précipice inspiré “Drinking Muddy Water” (“These ancrée dans l’Amérique profonde et nonchalantes et ruades nerveuses
avec “Prisoner” (“The Haunted Lemon”, Words”, Rock & Hall, facebook.com/ le country blues originel (“In Between”, (“Shelter”)(“Juniper Road”, Soulbeat
Waromni Prod, facebook.com/heekamusic). profile.php?id=100090568117586) Hill & Lake Productions, collinehill.com). Music, facebook.com/franckanddamien).
Formé en 2022 à Paris, le quatuor Même les indépendants peuvent Le trio The Everminds est né Clôturant une trilogie réussie,
Lisatyd interpelle avec un premier engendrer des supergroupes dans les Yvelines il y a trois ans, mais le Laudanum fait évoluer sa musique
EP sept titres qui réserve des moments comme Kromodrag & chanteur-guitariste a passé une partie synthétique vers des rivages plus
intenses et convoque à bon escient les The Mounodor : ce septette breton de sa vie aux Etats-Unis alors que le évidents et plus accessibles. Les
souvenirs du grunge et du stoner : il est né de la fusion de deux formations : batteur a fait ses études en Angleterre, voix des différent(e)s intervenant(e)s
débute en douceur au gré d’une voix d’un côté Komodor, un quintette de et ça s’entend à l’écoute de leur premier prennent le pouvoir, imposent leurs
enjôleuse et d’une mélodie charmante Douarnenez, de l’autre Moundrag, un EP cinq titres qui manifeste une parfaite mélodies, transforment les climats en
(“Everything Is Awesome”), flirte avec duo de Paimpol, avec comme point maîtrise de l’anglais et une solide chansons et diversifient les approches :
un rock noisy et dissonant (“Toad de jonction le rock du début des 70’s. assimilation de ses influences, (Tom on s’approche de la pop avec “Beauty
Man”), puis prouve avec “Repeat” Dopé par une potion classic rock des Petty, Blur, Supergrass). On ne peut Of A Shadow”, de la new wave avec
sa maîtrise d’un post-punk trépidant, plus revigorantes, son premier album que tomber sous le charme d’une pop “M/G/I/S”, de la ballade avec “Ghosts
offensif, avide de riffs saturés, de exalte avec un entrain communicatif rock portée par ses mélodies délicates Of The King’s Road”, du rock electro
dissonances et de hurlements, avant un rock psyché teinté de hard rock, à et la force de ses vocaux, (“Fuck avec “Tutévu” avant de clore cette
de renouer sur le final (“Take It Back”) grand renfort de fuzz, de giclées d’orgue Around”), et succomber à la séduction promenade inattendue avec “The
avec un mélange de douceur et de Hammond et du martèlement des deux d’effluves californiens (“California”), Favourite”, une pièce maîtresse
virulence agressive qui lui réussit fort batteries (“Green Fields Of Armorica”, entre ballades succulentes (“Song For de neuf minutes où la tendance
bien (“Life Is Shit And Then You Die”, Dionysiac Records, facebook.com/ Everyone”) et durcissement de ton sur atmosphérique revient en force
Lisatyd, facebook.com/lisatyd.band). komodragandthemounodor/?locale=fr_ “Lately, Surely, Lonely” (“Fuck Around”, (“As Blue As My Veins”, We Are Unique !,
FR, distribution Moludor). Histamine Records, theeverminds.com). laudanum.fr, distribution Kuroneko). o
Top 6
Photo Bruce J Adams/ Fairfax Media/ Getty Images
Affaire numéro 47
re public contre Nina Simone
Ministè
Du boucan
à Bouc-Bel-Air
NINA SIMONE ET AIX-EN-PROVENCE.
Un oxymore comme le soleil noir ? Non, plutôt
une autre figure de style. Ou bien, plutôt, une
structure de rhétorique, l’aposiopèse, c’est-
à-dire la rupture soudaine au milieu d’une
phrase, l’interruption brusque du discours.
Totalement excentrique
Pauvres Lanthimos réussit à la fois son film le plus populaire et exaltant et, en même
temps, le plus délirant et extravagant de toute sa carrière. C’est Emma Stone,
la midinette charmante de “La La Land”, qui endosse le rôle de ce cadavre
ramené à la vie par un docteur peu orthodoxe (Willem Dafoe) qui, avec son
visage couturé, semble incarner à la fois le docteur Frankenstein et sa créature.
Créatures
DE YORGOS LANTHIMOS
Surnommée Bella, l’actrice ressuscitée n’a aucun souvenir de sa vie antérieure
et se déplace comme une marionnette désarticulée façon mime Marceau
dans l’immense demeure de son créateur, réapprenant peu à peu à parler
et à marcher. Mais cela ne lui suffit pas, elle souhaite aussi en savoir plus sur
le monde, la société et tout ce qui va avec : le sexe, la politesse, l’argent et un
certain savoir-vivre. Et elle prend plaisir à déconstruire progressivement ces
notions en découvrant peu à peu... le féminisme pur et dur. Très rapidement,
elle s’émancipe et devient libre de son corps et de son esprit pourtant à peine
L’année 2024 débute à peine et il semble que nous ayons créés. Emma Stone est absolument stupéfiante. Il est impossible de ne pas lui
déjà... le film de l’année ! Car comment décrire cette œuvre tout prédire l’Oscar pour son interprétation à la fois provocante, libre et folle. Yorgos
en bouffonnerie, à la fois respectueuse et irrévérencieuse en hommage au Lanthimos enveloppe son récit de drame et d’ironie, d’horreur et de passion,
mythique roman “Frankenstein” de Mary Shelley, maintes fois adapté à l’écran au sein de décors baroques et chromatiques, comme de la peinture sur verre
de différentes manières : frontalement avec “Frankenstein” de James Whale, numérisée. Comme si Georges Méliès, revenant d’entre les morts lui aussi,
ou la version de Kenneth Branagh, en téléfilm (“Frankenstein The True Story”), se mettait à réaliser un film en 2023 en modernisant son style. Tout comme
de façon humoristique (“Deux Nigauds Contre Frankenstein”), voire complètement dans ses précédents films, Lanthimos continue à se moquer ouvertement des
nanardesque (“Plus Moche Que Frankenstein Tu Meurs” avec Aldo Maccione...). prétendues bonnes mœurs (du moins, celles de cette société post-victorienne)
Derrière la caméra de ce long-métrage totalement excentrique, le Grec Yorgos et du patriarcat qui gangrène encore notre maudit millénaire, tout en mettant
Lanthimos. Repéré en 2009 avec son déjà très étrange “Canine” (une allégorie en avant le désir sexuel constant de sa Bella, qui comprend rapidement que la
vicelarde sur le savoir-vivre), Lanthimos a continué son chemin provocateur avec véritable vie est bien plus amusante que les artifices du savoir-vivre. Sans oublier
“The Lobster” (des personnes célibataires sont condamnées à se transformer quelques moments dignes d’un épisode de “Twilight Zone” (les séquences de
en l’animal de leur choix), “Mise A Mort Du Cerf Sacré” (une vision horrifique repas où Willem Dafoe laisse échapper de sa bouche d’étranges et énormes
et absurde des névroses d’une famille américaine) ou encore “La Favorite” (qui bulles à chacun de ses rots) et bien sûr, ses plans en grand-angle qui déforment
explore l’avidité et autres jeux de manipulation perverse dans la haute aristocratie davantage une réalité déjà bien étrange. Avec “Dream Scenario” (voir critique
du XVIIIème siècle). La particularité de ce dernier film ? Il est presque entièrement plus loin), “Pauvres Créatures” offre véritablement beaucoup d’espoir pour une
tourné au grand-angle, donnant ainsi l’impression au spectateur d’errer dans un nouvelle vague cinématographique onirique et cauchemardesque où l’humain et
château gothique tout en ayant les yeux compressés. Avec “Pauvres Créatures”, le social sont vus à travers un prisme résolument punk (en salles le 17 janvier). o
Winter Break
Winter Break
Loin de faire dans le blockbuster
atrophié (“Batman” et “Spiderman”,
ce n’est pas sa came), Alexander
Payne réalise tous les trois ans un
film d’auteur très ciselé où les émotions
intérieures flirtent avec l’humour discret.
Ce qui donne l’occasion à quelques
stars américaines d’interpréter de vrais
rôles de composition. Comme George
Clooney dont l’angoisse désinvolte fait
tout le charme de “The Descendants”
ou Paul Giamatti, sublime écrivain raté
dans “Sideways”. Grand second rôle
du cinéma américain, Giamatti revient
donc sous la caméra de Payne pour ce
qui est probablement l’un des rôles de
sa vie. Celui d’un professeur d’histoire
ancienne un peu péteux et coincé dans
ses principes qui enseigne dans un lycée
Vermines
de la Nouvelle-Angleterre des années
soixante-dix. Et au vu de son absence
totale de charisme, personne ne l’aime de sentiments et d’empathie qui le “Conann” de Bertrand Mandico, voici grandissent ! On retrouve alors tout
vraiment. Ni ses collègues, ni ses élèves. finissent par se mêler au respect. “Vermines”, premier long-métrage de l’esprit de ces séries B venimeuses
Lui seul semble s’auto-apprécier un brin. A voir surtout le 24 ou le 31 décembre Sébastien Vanicek. Soit l’histoire d’une américaines des années soixante-dix
Pourtant, son quotidien va changer au soir. Quitte à zapper la dinde et les invasion d’araignées dans une tour d’une (du nanardesque mais jubilatoire
quand, un soir de Noël, il a la charge cotillons (actuellement en salles). cité de banlieue. Après une première “L’Invasion Des Araignées Géantes”
d’un jeune pensionnaire resté sur partie à tendance sociale où se croisent à l’excellent “L’Horrible Invasion”)
place. La relation entre le professeur gardiens d’immeubles, trafiquants de où la simple vision d’une toile
bougon et l’élève turbulent, d’abord Vermines baskets et potes qui s’embrouillent, d’araignée s’avère être plus
conflictuelle, va basculer peu à peu Le cinéma de genre français se le film dévie quand des araignées stressante que la machette de Jason
vers une relation père-fils. Et comme porte bien ses dernières semaines. investissent tous les recoins du secteur. Voorhees ou les griffes souillées de
d’habitude chez Alexander Payne, Après “Le Règne Animal”, “Gueules Douches, faux plafonds, parkings et sang de Freddy Krueger. De quoi
le ton, toujours feutré et souriant, Noires”, “Vincent Doit Mourir” et, conduits d’évacuation compris. Et le rendre Spiderman arachnophobe
amène peu à peu à des mini-vagues dans un registre plus auteur-barré, pire, c’est que certaines de ces bestioles (en salles le 27 décembre) !
Monarch :
Legacy Of Monsters
Le roi des monstres
Comme Yoda, Marilyn Monroe, Terminator, a réalisé un remake en 1998 simplement intitulé évidemment, a un lien direct avec les fameux Kaiju.
Albert Einstein et les Simpson, Godzilla “Godzilla”. Suivi par des suites et des reboots cette Alors que beaucoup de films (et de séries) se focalisent
fait partie de la pop culture mondiale. dernière décennie. Plus éternel que Dieu, le roi des sur la nostalgie des années 1970/ 80, “Monarch”
Et cela, le réalisateur nippon Ishiro Honda ne s’en monstres n’a donc jamais été aussi présent qu’en renvoie, avec son ambiance et les caractères de
serait probablement jamais douté quand, en 1953, 2023. Alors que le Japon a sorti pas plus tard que ses personnages, à l’aventure agréablement désuète
il créa le fameux monstre du Crétacé, sorti de sa le mois dernier un “Godzilla Minus One” (diffusé des années soixante. Comme le film de dinosaures old
grotte sous-marine après des essais atomiques seulement deux jours dans certaines salles school “La Vallée De Gwangi”, ou tous les Godzilla de
dans l’océan Atlantique. Instantanément, le roi françaises), les Américains continuent de rendre la Toho. Quant au simili Godzilla et autres monstres
Godzi devient une légende. Et se met à faire des hommage (... pécunier, puisque ça marche) à la (en numérique pour le coup) qui l’accompagnent, ils
siennes (en gros, détruire tout ce qui est à sa portée) bestiole. D’abord avec “Godzilla X Kong : The New débarquent au compte-gouttes dans chaque épisode
dans une longue saga de films qui perdurent encore Empire” (bande-annonce disponible sur le Net, sortie afin que leurs apparitions aient plus d’impact. On suit
de nos jours avec, au bas chiffre, une cinquantaine le 10 avril prochain), ensuite avec la série “Monarch : ainsi “Monarch : Legacy Of Monsters” avec plaisir,
(peut-être plus) de longs-métrages produits en grande Legacy Of Monsters”, et ses dix épisodes. Cette d’un œil presque bienveillant, et surtout enfantin.
partie par la firme japonaise Toho tout au long des saga familiale sur trois générations tourne autour Comme si on retrouvait le côté magique des vieilles
années soixante, où la bestiole écailleuse cracheuse d’une organisation secrète nommée Monarch qui, séries télé des sixties (disponible sur Apple TV+). o
de feu combattait d’autres créatures ancestrales
comme la mite géante Mothra, le cafard insectoïde
Megalon, ou, plus absurde, Biollante, sorte de plante
ambulante résultant d’un croisement entre les Le Continent
cellules de Godzilla et un rosier ! Des années soixante
aux années quatre-vingt-dix, tous ces “Kaiju eiga” Des Hommes Poissons
(“cinéma de monstres”) étaient truqués à l’ancienne. (Artus Films)
Godzilla et ses joyeux compagnons de la casse étant Le cinéma bis italien des années 1970/ 80 avait pris l’habitude de
interprétés par des acteurs revêtus de costumes de surfer sur les grands succès du moment. Ainsi des copies joyeusement
monstres pour détruire à coups de pied, de poing et foutraques de “Mad Max”, “L’Inspecteur Harry” et “Rambo” ont
de... queue (pour Godzilla en tout cas) de grandes enchanté les salles d’exploitation de l’époque. De même, “Le Continent
maquettes d’immeubles de Tokyo reconstitués en Des Hommes Poissons” de Sergio Martino était totalement inspiré par le
studio. Puis, les années quatre-vingt-dix ont débarqué remake de “L’Ile Du Docteur Moreau”, un classique du cinéma fantastique des années 1930.
avec le numérique qui va avec, “Jurassic Park” ayant On s’amuse du style rétro de ce petit film d’aventures de 1979 où des créatures vaguement
pavé la voie. Plus impressionnant mais moins poétique, lovecraftiennes évoluent sur et autour d’une île. Bien que les maquillages frôlent parfois les
cet au-delà de franchise a continué son chemin limites de la parodie involontaire (ah... la tête des hommes-poissons !), ils sont compensés par
aussi bien au pays du Soleil-Levant (“Godzilla la présence de Barbara Bach, l’une des plus belles starlettes du cinéma, ex-James Bond Girl
Final Wars”, “Godzilla 2000”) qu’aux États-Unis dans “L’Espion Qui M’Aimait” et épouse de Ringo Starr depuis quarante-deux ans. Le veinard !
où Roland Emmerich, le roi du film catastrophe,
Cadeau parfait
Bob Dylan quand on pense que le seul original de “Like A Rolling son image de beatnik existentiel a été remplacée
Mixing Up The Medicine Stone” avait été cédé il y a dix ans pour la bagatelle par celle d’un artiste brillant, certes, mais aussi un
BOB DYLAN, MARK DAVIDSON de deux millions. C’est donc autour de cette collection peu trop bizarre, souvent trop variétoche pour les
ET PARKER FISHEL mirifique et de dizaines de milliers d’autres artefacts puristes et aujourd’hui un peu poussiéreux. Le
Seghers dylanesques — que s’est donc ouvert pile au cœur de livre de Raechel Leigh Carter et Jean-Emmanuel
Les chiffres sont formels, le meilleur moyen d’avoir l’Amérique, à Tulsa, ville natale de son idole de jeunesse Deluxe est de ce point de vue-là une agréable
les cadeaux dont on rêve à Noël est de se les acheter Woody Guthrie, le centre d’archives officiel du Maître, le surprise. Joli et moderne, le livre ne plonge ni
soi-même. L’autre solution, un classique aussi, est Bob Dylan Center. Mark Davidson et Parker Fishel sont dans l’hagiographie ni dans la biographie hyper
d’offrir aux autres ce qui vous plaît à vous et s’ils vous respectivement directeur, conservateur et archiviste détaillée, et le récit a toujours assez de recul pour
aiment, ils prétendront n’avoir pas pigé l’astuce. Mais du centre, et c’est sous leur direction informée qu’a en comprendre les grands mouvements sans être
prudence, on ne peut pas offrir tout à tout le monde et été conçu ce livre hors norme en tous points : ils ont barbé par des analyses trop pointues pour le commun
si le mastodonte “Bob Dylan Mixing Up The Medicine” demandé à des centaines d’auteurs, journalistes, poètes, des lecteurs, rafraîchissant ainsi son image et la
est un des meilleurs cadeaux possibles pour à peu près musicologues, historiens, musiciens, spécialistes et réelle importance de son œuvre. Bref, ils ont relooké
tous, une personne de petite taille pourrait facilement artistes de tous bords de venir choisir un objet et d’écrire Polnareff et ça lui va bien. Cadeau parfait pour jeunes
être assommée par le livre qui, en revanche, pourrait lui un texte autour de son importance de son symbolisme ignorants et vieux nostalgiques mais pas ringards.
servir de table basse. On plaisante, on plaisante mais ce ou whatever. Ce livre est donc à la fois un fantastique
livre-monde est presque aussi géant que la carrière catalogue subjectif d’une partie des extraordinaires
de Dylan et les innombrables exégèses qu’elle a archives mais aussi une collecte de centaines d’œuvres
Debout Dans Les Fleurs Sales,
suscitées et suscite encore plus depuis que Bob Nobel. autour de l’Œuvre, qui abordent aussi bien les processus 365 Poèmes A Déployer
Pour nous francophones, comprendre parfaitement créatifs de Dylan que parfois ceux des intervenants eux- THOMAS VINAU
l’énigmatique Dylan a toujours été un peu une cause mêmes. Richement illustré serait un doux euphémisme Castor Astral
perdue, nous ratons, quel que soit notre niveau puisque ce titan de culture pop présente donc les six On vous a déjà parlé de Thomas Vinau, tendre poète
d’anglais, certaines références, contextes, sous-textes, cents objets choisis, carnets, pages déchirées, dessins, du minuscule quotidien et habile catcher in the rime
minuscules notations qu’un Américain, lui, entend et mémos, paroles, photos de famille, lettres de fans de ces instants où la vie, loin de tout romanesque,
décrypte, croirions-nous tout du moins puisque, à en et d’amis — célèbres, les amis hein, McCartney ou nous souffle malgré tout une fragile éclaircie de
juger par la littérature dylannienne, peu sont d’accord Springsteen — magnifiquement photographiés dans beauté et de contemplation. Zéro chichis littéraires,
entre eux et chacun voit midi standing in the doorway. cette véritable corne d’abondance, ce vaisseau-mère zéro pose, zéro préciosité, Vinau écrit comme on
Enigmatique donc et ultra-secret sur sa vie privée, de la légende dylannienne qui, au pied du sapin, fera pense, simplement et sans apprêt et la vie quotidienne
Dylan sidéra tout le monde quand on apprit que, pleurer de bonheur tout fan normalement constitué. que l’on devine au fil de ses textes est aussi un peu
1, il gardait des gigantesques archives perso et que la nôtre, dans toutes ses menues trivialités et dans
2, il les avait vendues à un milliardaire philanthrope ses occasionnelles grâces. Son dernier recueil,
pour ouvrir, à côté du centre culturel Woody Guthrie Michel Polnareff, Polnaroïd “Debout Dans Les Fleurs Sales” reste dans le
déjà construit par le mec à Tulsa, un musée autour JEAN-EMMANUEL DELUXE droit fil de son œuvre, et on retrouve la même
de ses propres archives. Précisons tout de suite que ET RAECHEL LEIGH CARTER délicate attention et la même économie de moyens
l’argent n’était pour rien dans cette transaction, la Rock&Folk Editions dans ces 365 courts poèmes qu’un lecteur mesuré
collection de six mille manuscrits — au moins, depuis, Même s’il fut le premier artiste en couverture pourra donc lire tout au fil d’une année entière,
Dylan a fouillé ses placards et en sort régulièrement de R&F, Polnareff n’a pas longtemps gardé cette cette chance ! Offrez donc pour les fêtes une année
d’autres — a été achetée pour 20 millions, peanuts image d’avant-gardiste franc-tireur et très vite, de poésie, on en a tous, hélas, de plus en plus besoin. o
Corey Taylor
19 NOVEMBRE, TRIANON (PARIS)
Dans un Trianon lourdement chargé en
metalleux de tout poil, les New-Yorkais
d’Oxymorrons, gang fusionnel punk rock
& rap achèvent un set plutôt apprécié par
le public. A peine le temps de se reposer
que Corey Taylor débarque dans un
déferlement de décibels accompagné
de spots blancs tellement violents qu’ils
sont sans aucun doute interdits d’interro-
gatoire même à Guantanamo. Fidèle à sa
setlist, le chanteur puise autant dans le
répertoire de Slipknot et Stone Sour que
dans les chansons de son nouvel album.
Entouré par la formation de l’album,
Corey Taylor déroule le show confortablement
installé sur une rythmique en béton armé. Sans
décorum et uniquement armé de son charisme,
le frontman contrôle son public sans problème
jusqu’à un final ponctué par la reprise “Fairies
Wear Boots” de Black Sabbath. Simple et pro.
GÉANT VERT
Peter Doherty/
Lias Saoudi/ Pregoblin
28 NOVEMBRE, TRABENDO (PARIS)
Alex Sebley, Britannique arty nonchalant,
présente des morceaux de “Pregoblin II”
prévu à la rentrée, dont l’accrocheur
“These Hands Aka Danny Knife” sur
lequel Peter Doherty surgit du public
et le rejoint sur scène pour le début
d’une soirée enthousiaste. Puis, Lias
Fat White Family Saoudi déclame à
la façon d’un auteur beat, poésie sur la
circoncision de son frère, blague potache
au sujet de Yoko Ono avant de reprendre
“Borderline”, “Oh Sebastian” et “Rock
Fishes” juste avec une guitare, prouvant
que de bonnes chansons même dépouillées
de leurs artifices fonctionnent toujours
admirablement. Enfin, le funambule
Peter, malgré une récente interview
alarmiste quant à sa santé, attaque
son set le regard vif et le pas léger
par l’inédit “Empty Room”, révèle
“Night Of The Hunter”, nouveau
Photo Michela Cuccagna
Tête à claques
magnétique
èmes
45 Rencontres
Trans Musicales
DU 6 AU 10 DÉCEMBRE, RENNES
Gigantesque événement défricheur, le festival rennais
a une nouvelle fois livré ses prévisions musicales
pour l’année à venir : spoiler alert, 2024 ne devrait
pas être un grand cru pour le rock et les guitares. Dynamite Shakers
Avec 52 000 festivaliers et 2 000 profession- Jean-Louis Brossard, fondateur des Trans. pralines distribuées par le duo basse/
nels, la préfecture de Bretagne s’est, de Carte de visite royale ! Direction Bruz et batterie tokyoïte, Moja. Samedi, les
nouveau, érigée en capitale musicale le le Parc Expo pour l’envoûtante proposition Tame Impala italiens de Post Nebbia
temps d’un week-end de décembre à la néo-classique de Flore Laurentienne, idéa- sont planifiés trop tôt dans le Hall 3 qui
météo relativement clémente. Afin de lement mise en lumière avant le concert se remplit cependant pour l’énorme bouffée
se retrouver dans les méandres de la de Joe Yorke. L’Anglais, branché sound d’air à guitares de The Silver Lines, leur
programmation, les sessions Fip, ouvertes systems britanniques, livre une réjouissante chanteur, tête à claques magnétique, et
au public en journée, sont un excellent guide heure avec sa voix de fausset entre reggae et leurs morceaux qui rappellent les regrettés
pour s’orienter et ainsi regretter d’avoir loupé soul. Du côté des Bars En Trans, victimes Rakes. En clôture le dimanche à l’Opéra,
le groove psychédélique de Nusantara Beat de leurs succès, la frustration est de mise alors que résonnaient la harpiste galloise
la veille à l’Ubu ou de voir jouer les Argentins avec une programmation affriolante d’artistes Cerys Hafana, touchante de grâce, et
noisy de Blanco Teta à un horaire moins (After Geography et Civic) dans des lieux aux la guitare électrique du compositeur
problématique que 2 h 30. Premier cocorico jauges inadaptées et inaccessibles. Vendredi, expérimental barcelonais Raùl Refree
Photo Cat’s Eyes Photography
du jeudi, les Vendéens Dynamite Shakers c’est le Hall 3 qui attire : entre les Rennais dans les ors de cet écrin magnifique, on
qui, pour leur plus grosse date à ce jour d’Hanry, maîtres de leurs instruments et d’un s’est demandé si ce n’était pas ici que se
dans un Liberté blindé, ne se ratent pas post-rock cinématographique très Mogwaï, situait l’avenir du rock, institutionnalisé
et offrent une prestation garage débraillée et les Suédois de DiskoPunk, étrange alliage et à l’écart, loin de la jeunesse dansant
tellement ovationnée qu’ils reviennent entre ABBA et un chanteur iguanesque qui sur les rythmes techno du Parc Expo.
pour deux rappels dont un réclamé par font gentiment patienter jusqu’aux agréables ERIC DELSART ET MATTHIEU VATIN
Depuis que j’ai vu le film “The Warriors” Page-turners : “P-Funk, L’Odyssée de George
en 1980, j’avais envie d’aller à Coney Island, Clinton” par Real Muzul (Le Mot Et Le Reste, 23 €)
mais on me prévenait que je serais déçu. Je ne donne envie de réécouter direct le “Troglodyte
l’ai pas été. Au bout de la ligne N la poésie, les (Cave Man)” du Jimmy Castor Bunch ;
Puces de Saint-Ouen, Cap Canaveral, Luna Sly Stone, “Thank You (Falettinme Be Mice
Park et l’Atlantique à Biscarrosse réunis. Elf Agin) : A Memoir” (Auwa, non traduit,
Sur les planches, un sound-system electrofunk 28,90 €) ; Véronique Mortaigne, “Lavilliers,
passe “Keep On” par D Train. Un peu plus loin, Ecrire Sur Place” (Equateurs, 20 €) ; Alphonse
des Portoricains diffusent leur salsa comme Boudard, “Merde A L’An 2000” (Le Dilettante,
si c’était de la Hi-NRG, jouant les percussions 19 €) ; Jean-Philippe Delhomme, “Peindre
par-dessus le disque. De l’autre côté de la jetée, Devant Soi (Exils, 28 €, il publie également
les piers de Blackpool et Ostende. Je repense à “Studio Poems”, des paroles et des dessins
“Sailing” de Rod Stewart sur “Atlantic Crossing”, à l’encre superbes chez Perrotin) ; Bertrand
avec son clip dans le port de New York. Ce Boileau, “Le Champ Des Possibles” (editions-
soir, à Manhattan, Frances Moore, la femme anfortas.com, 16 €), livre de route californien
qui a sauvé le disque du naufrage numérique rythmé par le “Let There Be Rock” d’AC/DC.
complet, prend sa retraite après trente ans à
l’International Federation of the Phonographic Je suis seul dans ma chanson : Peter Hook
Industry. Fan de Rod the Mod, elle m’apprend interviewé par Philippe Chassepot pour
qu’il vit désormais près de Londres, son épouse, le quotidien suisse “Le Temps” (tous deux
l’ancien mannequin Penny Lancaster, ayant suivi particulièrement recommandés), à propos
une formation pour devenir officier de police. d’un concert de New Order à Lyon en 1989 :
“J’étais sorti avant le concert pour boire un
Dommage que celle-ci ne soit pas en poste verre avec un pote, puis on en a vite descendu
dans la Région Pays de la Loire : “Sarthe. vingt ou trente (…). Finalement, le promoteur
Il cambriole une série de commerces pour a défoncé la porte et on a commencé à jouer
financer… sa carrière de musicien !” avec un retard dingue. Et en fin de concert,
(“L’Echo Fléchois”). “Devant le tribunal, quand tout le groupe a quitté la scène,
le prévenu âgé de 20 ans, grand, mince, je pensais qu’il restait encore une chanson
dreadlocks courtes sur la tête, vêtu d’un sur la set-list. C’est là que j’ai réalisé que
sweat bleu et bas de jogging bordeaux a je m’étais planté depuis le début, j’avais joué
reconnu les faits qui lui sont reprochés : les mauvaises lignes de basse sur chaque titre.
“Qu’est-ce que vous allez faire de tous ces objets ?, Manifestement, personne n’avait remarqué…”
demande la présidente du tribunal
– C’est pour faire des vidéo-clips, Sur LCP, Rembob’Ina avec Nina Simone,
je fais de la musique. et son biographe Frédéric Adrian (“Nina Simone”,
– Et l’argent en espèces ? Le Mot Et Le Reste, 20 €) en invité plateau. Allez
– C’est pour pouvoir payer un producteur.” voir la rediffusion, c’est merveilleux. Quand
Dire que certains prétendent que ceux-ci ne elle joue “The Other Woman”, on ne peut
servent à rien, le prestige est intact (règlement pas aller plus loin. Elle voulait être concertiste
par PayPal et Western Union acceptés), même si classique, heureusement que ça n’a pas marché,
on ne sait pas toujours bien en quoi ça consiste. on n’aurait jamais pu entendre ses chansons.
Il y a en effet bien des manières de “produire” Ivan Essindi, bassiste d’une grande élégance,
un disque, et les tournages en studio permettent vient de mourir dans un accident de voiture.
rarement de comprendre le processus, avec “La bande à Spartacus est à la station Rome” :
leurs éternels plans de coupe de doigts sur Tai-Luc, première victime des Jeux olympiques
les faders et les faux-raccords où la vedette 2024. Asthmatique, il s’est éteint après avoir
feint de chanter d’une traite ce qu’elle a remonté chez lui les caisses de livres de sa boîte
parfois mis cinq heures à ahaner. D.A. de bouquiniste. Souvenir de la rue Caumartin
Pennebaker a réalisé certains des plus au début des années quatre-vingt, la chicore,
beaux documentaires sur le rock, mais la dépouille, les videurs de Rosebud en survêt
j’ignorais qu’il avait aussi réussi à montrer à capuche avec leur gilet orange en similicuir,
le travail du producteur (Thomas Z Shepard, Farid et Amour, les terreurs du moment,
fantastique), du chef, de l’orchestre, du en embuscade, et lui, rude boy de Vélizy
compositeur, toute cette alchimie humaine, en costume vert 3 boutons, imperturbable.
technique et artistique, à l’occasion d’une Jean-Pierre Montal, évoquant avec émotion
séance au studio de la Columbia Records un concert de La Souris dans une ancienne
un dimanche de mai 1970 pour “Company”, patinoire : “Comme il y eut le zouk pour les
de Stephen Sondheim. C’est sur YouTube, îles ou la bossa-nova pour les plages du Brésil,
ça dure 53 minutes et c’est extraordinaire. il fallait une musique pour Schiltigheim, les
Merci à Elisabeth Vincentelli de m’avoir banlieues de Rouen ou Saint-Etienne. Dans
fait découvrir cette merveille. les années quatre-vingt, ce fut l’alternatif.
Je sais… Pas glop, pas glamour mais ces
Quatre singles : The High Llamas, “Hey Panda” types jouaient partout, ils nous évitaient
(Drag City), la première fois que j’entends de bien des soirées en famille… grâce leur soit
l’Auto-Tune qui me plaît ; Jacques, “Absolve” rendue. Et au milieu de cette ‘scène’, un
(Recherche & Développement / Jacques 2052) ; véritable Etat dans l’Etat, de glorieux aînés qui
Halo Maud, “Terres Infinies” (Halo La Nuit/ avaient débuté bien avant, La Souris Déglinguée
Heavenly Recordings) ; Papooz, “Don’t You emmenée par un type au charisme unique,
Think It’d Be Nice?” (Half Awake Records). brassant la ligne 2, Juvisy et le Mékong dans
Quatre albums : Romano Bianchi, “Le Don des paroles portées par un genre de romantisme
Et La Disgrâce” (Stone Pixels Records) ; rockab.” Terminus à Père Lachaise (ligne 2).
Marlow Rider, “Cryptogénèse” (Bullit Records, Merci pour tout Tai-Luc, pour les mauvais
lisez l’interview de Tony Marlow, l’ancien Rockin garçons et les filles qui fument dans la
Rebels, sur buzzonweb.com, c’est passionnant) ; rue en répondant “ta gueule” quand
The Pietrosella Sound Experience, “The Island” on leur demande si elles sont seules.
(Aventura Records) ; La Division Technique, “Tu connais Isabelle et sa sœur Jacqueline
Photo Bruno Berbessou
“Traversant Les Cités Liquides” (Rotorelief). La jeune voleuse de sacs dans les boîtes de nuit
Une réédition : “A Frauta De Pã”, de Carlos Elle provoque les filles sur la piste de danse
Walker, entre Colin Blunstone et Brian Elle sourit aux garçons en buvant dans leur bière.”
Wilson (Sony Japan, uniquement La Souris Déglinguée, “Week-End Sauvage”,
en CD, merci Pierre Sojdrug). paroles Tai-Luc.