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extrait exclusif
« Un ballet de lépreux » (Seuil), son premier roman retrouvé,
prouve une nouvelle fois que le chanteur fut aussi un véritable
écrivain. Avant Suzanne, il y avait Marylin...
Par Valérie Marin La Meslée
Publié le 05/02/2024 à 06h55, mis à jour le 06/02/2024 à 23h35
Temps de lecture : 3 min Ajouter à mes favoris Google News Commenter Partager
«S
uzanne », « So long, Marianne »… Ces
chansons, d'emblée éternelles, figuraient déjà
dans Songs of Leonard Cohen, le premier album du Canadien,
sorti en 1967, tellement poétique, tellement littéraire…
Justement. Outre-Atlantique, Leonard Cohen (1934-2016), dix ans
avant son entrée dans la chanson, était déjà connu
comme poète. Il n'a que 21 ans quand paraît Let Us Compare
Mythologies, son premier recueil, et devient vite une figure
culte de la Beat generation. Durant ces mêmes années
1950, le jeune Montréalais s'essaie aussi au roman, mais
personne ne veut publier, à l'époque, Un ballet de
lépreux, découvert dans ses archives et qui paraît enfin
aujourd'hui. De son vrai premier roman, Cohen disait
d'ailleurs qu'il était « probablement meilleur » que celui jusqu'alors
considéré comme inaugural : Jeux de dames (The Favorite
Game), paru en 1963, traduit en France – comme le
suivant, Les Perdants magnifiques – chez Christian Bourgois,
romans réédités en poche après la disparition de l'auteur.
À titre posthume, aussi, les Éditions du Seuil ont publié,
en 2018, The Flame, poèmes, notes et dessins rassemblés par
Cohen lui-même, livre présenté comme son « testament ».
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Romans et poèmes
, de Leonard
« Un ballet de lépreux. Un roman et des nouvelles »
« Les fenêtres ont commencé à s'éclairer et j'ai décidé de raccompagner Marylin chez elle.
“Ne vous en faites pas pour nous autres”, les vieux, a dit la logeuse en se mettant sur le lit à
côté de mon grand-père. On est assez grands pour se débrouiller tout seuls. Pigé ?”
“Vieille traînée”, a-t-il dit, et il lui a donné une tape sur les fesses.
Marylin et moi nous sommes rendus à pied à son appartement. Je me suis demandé ce que je
faisais à ses côtés. C'était comme si nous revenions d'une fête chez quelqu'un et que cela avait
été assez agréable. Marylin était serrée contre mon bras, irritant un bouton en appuyant dessus
“C'est la plus chouette soirée que j'ai jamais faite”, a-t-elle dit.
Betty s'est réveillée. Je la voyais pour la première fois. Elle semblait plus jeune que Marylin et
“Oh, n'est-ce pas merveilleux”, a-t-elle dit en sortant du lit d'un bond pour serrer Marylin dans
ses bras. Sa poitrine était clairement visible à travers sa chemise de nuit. “ Je suis tellement
Elle m'a embrassé, et je me souviens de m'être simplement dit que j'avais envie d'elle. Marylin
– Je sais que nous y arriverons, ai-je dit. Je sais que nous en sommes capables.
– C'est idiot, a-t-elle dit, mais j'ai l'impression d'être une enfant qui se marie, vierge.”
“Non, ce n'est pas idiot, ai-je répondu automatiquement, c'est absolument magnifique.
– Toi, tu as l'impression d'être vierge ? a-t-elle demandé d'une douce voix enfantine.
– Oui, a-t-elle dit, je vois ce que tu veux dire, c'est une sorte de virginité que seuls les avilis
peuvent découvrir, et, à ce titre, c'est d'une certaine manière encore plus doux. Une virginité
En cet instant, j'ai eu envie de la rejeter, de me libérer de l'impossible fardeau de son amour.
J'ai eu envie de lui parler de ma nouvelle virginité à moi, de ma nouvelle pureté de dévouement
à moi, mais je n'en avais pas encore la force. Bientôt, j'aurais la force, ma victime me la
procurerait, sa laideur m'en emplirait et sa honte la nourrirait. Et j'étais las d'elle, elle qui
n'avait pas sa place dans cette mission, elle qui m'attirait de sa main faible vers les mensonges
“Soudain, je me sens si pure, a-t-elle dit, notre amour me donne un sentiment de pureté.”
“Mon Dieu, ai-je hurlé silencieusement désespéré. Comment peux-tu être aveugle à ce point ?
– Il fait presque jour, a-t-elle dit. Je serai morte demain, mais je m'en fiche. Bonne nuit !
– Bien sûr que je m'en souviendrai, bonne nuit, Marylin. Tu ne rentres pas chez toi ?
C'était presque l'aube. Les oiseaux éveillés n'avaient pas la concurrence sonore de la
circulation routière, leur brouhaha était soutenu et bruyant. Les jours étaient de plus en plus
chauds. Dans la douce lumière du matin, la ville semblait avoir été taillée dans une perle noire.
Je ne suis pas rentré immédiatement à la maison. J'ai marché jusqu'à la rue Peel et me suis tenu
face à la pension où dormait l'homme qui commençait à prendre tant d'importance dans ma vie.
Je n'étais pas le moins du monde fatigué. Je voulais le voir. Et il fallait que je découvre son
nom. J'avais besoin de son nom pour le réconfort et l'excitation, pour me le dire à moi-même
comme un sortilège et une formule. J'ai grimpé l'escalier de ma propre pension et, en ouvrant
la porte, j'ai entendu des bruits effrayés en provenance de ma chambre. Je me suis arrêté dans
le vestibule pour laisser à la logeuse l'opportunité de procéder à une évasion élégante. La porte
de ma chambre s'est ouverte lentement, sa tête a émergé et, ne voyant personne, elle a traversé
le couloir jusqu'à sa chambre, ajustant sa chemise de nuit de sa main libre dans sa course,
tenant son peignoir rouge dans l'autre. Mon grand-père dormait profondément, son pyjama
étalé par terre, à côté du lit. Vieille chair, me suis-je dit en recouvrant son corps. »