HORS-SÉRIE

SES RÉGIONS
SON PAYSAGE POLITIQUE
SES INÉGALITÉS

40
CARTES
POUR COMPRENDRE

COMMENT
VALA
FRANCE

N°ISBN 9782368041505
Afrique CFA 8500 F CFA, Allemagne 14 €, Andorre 13 €, Antilles-Réunion 12 €, Belgique 12 €, Canada 17,95 $CAN, Espagne 12,50 €, Grande-Bretagne 11,50 £,
Grèce 12,50 €, Italie 12,50 €, Luxembourg 12,50 €, Maroc 130 DH, Pays-Bas 13,50 €, Portugal cont. 12,50 €, Suisse 15,50 CHF, TOM 1950 XPF, Tunisie 25 DT.
 AVANT-PROPOS

COMMENT VA LA FRANCE

P
our tenter d’analyser l’état de notre pays après la crise du Covid, les
différentes élections de 2022, la guerre en Ukraine, le retour de l’inflation
et la réforme des retraites, nous sommes partis d’une idée simple : la
France est un pays qui va plutôt bien mais dont les habitants se sentent
mal, les fameux « Gaulois réfractaires » dont parle Emmanuel Macron…
La première manière de rendre compte de la santé du pays est de faire
un état des lieux. Et là, les chantiers sont nombreux et préoccupants :
hôpitaux en souffrance, école en crise, pauvreté, fin de vie, justice, travail, etc. Avec tout de
même de bonnes nouvelles : démographie, emploi, économie. L’observation du politiste
Luc Rouban est sévère : « Le macronisme incarne l’idée de réformer la société
par le haut et d’intégrer ses membres comme dans une entreprise privée. »
Face aux critiques, Emmanuel Macron s’est donné un objectif de cent jours
Les Français
pour «régler» les chantiers du travail, de la justice et de l’ordre républicain,
s’adaptent pas trop
de la santé et de l’éducation. Un objectif louable mais un délai qui semble
mal dans un pays
court, surtout quand on est président de la République depuis six ans.
qui subit une crise
L’autre façon de prendre le pouls du pays est de l’analyser région par des services publics,
région. Ce tour de France cartographique et statistique montre bien l’«archi- une crise climatique
pellisation» du pays chère au politologue Jérôme Fourquet, avec ces zones et une crise
– surtout littorales – qui s’en sortent plutôt bien et celles où les inégalités démocratique
structurelles perdurent. Dans un pays héritier d’une tradition jacobine et sans précédent.
centralisatrice, l’articulation entre l’Etat et les territoires demeure un
impensé. Comme le résume l’universitaire Vincent Aubelle : « Il n’y a aucune
pensée de la décentralisation, ni de la part de l’Etat, ni de la part des collectivités territoriales. »
Enfin, l’analyse des résultats des élections présidentielle et législatives de 2022 dessine un
paysage politique fracturé en trois blocs irréconciliables – macronisme, extrême droite,
gauche dominée par La France insoumise –, avec en arbitre une droite traditionnelle affaiblie
et divisée. Il semblait difficile pour Emmanuel Macron de gouverner un pays où il n’a recueilli
en réalité que 20,06% des suffrages des électeurs inscrits au premier tour de la présidentielle,
à cause d’une abstention record, avec une majorité relative à l’Assemblée nationale l’obligeant
à recourir de manière répétitive à l’article 49.3. L’épisode de la réforme des retraites, dont
l’exécutif a eu du mal à démontrer la nécessité avec le rejet unanime des syndicats et massif
des Français, a fragilisé la majorité présidentielle sans aucun gain politique.
Quarante cartes et une montagne de statistiques plus loin, nous sommes arrivés à la
INFOGRAPHIE « LEMONDE »

conclusion inverse de notre postulat de départ– une France qui va bien et des Français qui
se sentent mal. En fait, les Français s’adaptent pas trop mal dans un pays qui subit une crise
des services publics, une crise climatique et une crise démocratique sans précédent.

MICHEL LEFEBVRE ET DELPHINE PAPIN

3
 FRAGMENTS DE FRANCE – En septembre 2021, à quelques mois de l’élection présidentielle, 100 journalistes du Monde
accompagnés de 100 photographes ont sillonné la France, dressant le portrait vivant d’un pays qui se relève de l’épreuve du Covid.
Donnant la parole à nos concitoyens, afin de raconter leurs doutes, leurs rêves, leurs peurs, ces 100 reportages racontent la France
d’aujourd’hui et dessinent celle de demain. Ils sont en ligne sur www.lemonde.fr/fragments-de-france. Lire aussi p. 115.

SOMMAIRE
6 — GRAND ENTRETIEN AVEC JÉRÔME FOURQUET

« La crise du Covid a accéléré la perte de la centralité du travail »

propos recueillis par Michel Lefebvre et Delphine Papin

ÉTAT DES LIEUX 36 — La résilience inattendue de l’économie française

par Stéphane Lauer
12 — INFOGRAPHIE La démographie française
à l’ère post-Covid 40 — INFOGRAPHIE Energies : une relance du nucléaire
16 — Retraites : une réforme qui a viré 42 — INFOGRAPHIE Les transports, premier secteur émetteur
au fiasco politique de gaz à effet de serre
par Bertrand Bissuel 44 — INFOGRAPHIE Un changement climatique sans retour
19 — INFOGRAPHIE Le défi du grand âge 46 — INFOGRAPHIE Des peines de prison de plus en plus sévères
20 — Accès aux soins : une dégradation préoccupante 48 — INFOGRAPHIE Agriculture : un nouveau modèle à repenser
par Emmanuel Vigneron
22 — INFOGRAPHIE L’hôpital à bout de souffle
24 — Les nouvelles formes du travail RÉGIONS
par Anne Rodier 52 — Etat-collectivités territoriales : dépasser les relations
27 — INFOGRAPHIE Une forte augmentation du smic de défiance
JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

28 — INFOGRAPHIE Inégalités et pauvreté : des taux par Patrick Roger

qui évoluent peu 54 — INFOGRAPHIE Des Hauts-de-France résilients
30 — INFOGRAPHIE Education : convenable, 56 — INFOGRAPHIE La Normandie, entre transition énergétique
mais peut mieux faire et produits laitiers
32 — INFOGRAPHIE Les 18-24 ans, une génération en quête 58 — INFOGRAPHIE En Ile-de-France, le grand écart des revenus
de sens mais peu politisée et de la qualité de vie
34 — INFOGRAPHIE La France, puissance diplomatique 60 — INFOGRAPHIE Le Grand-Est, une région frontalière
et militaire tournée vers l’Europe

4 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

 HORS-SÉRIE
— RESPONSABLES DES HORS-SÉRIES
Michel Lefebvre, Gaïdz Minassian, Yann Plougastel
— CONCEPTION ÉDITORIALE
Michel Lefebvre, Gaïdz Minassian, Delphine Papin, Patrick Roger
62 — INFOGRAPHIE Bretagne : la « ruée vers l’Ouest » fait flamber les prix du foncier — INFOGRAPHIE
«Le Monde» : Delphine Papin (cheffe de service), Floriane Picard
64 — ENTRETIEN avec Hervé Le Bras (coordination), Mathilde Costil, Eugénie Dumas, Francesca Fattori,
« La France reste un des pays les plus égalitaires » Sylvie Gittus, Audrey Lagadec, Xemartin Laborde, Véronique Malécot,
Benjamin Martinez, Marianne Pasquier, Riccardo Pravettoni,
propos recueillis par Michel Lefebvre et Patrick Roger Victor Simonnet
66 — INFOGRAPHIE Les Pays de la Loire : pôle attractif et terre de conflits — ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO
Bertrand Bissuel, Stéphane Lauer, Michel Lefebvre, Abel Mestre,
68 — INFOGRAPHIE Le Centre-Val de Loire face au manque de soignants Gaïdz Minassian, Anne Muxel, Delphine Papin, Anne Rodier,
Patrick Roger, Emmanuel Vigneron
70 — INFOGRAPHIE Mobilités : la Bourgogne-Franche-Comté trace sa route — RESPONSABLE TECHNIQUE ET ÉDITION
72 — INFOGRAPHIE La Nouvelle-Aquitaine, écrasée par l’hégémonie de Bordeaux Laurent Menu
— DIRECTRICE DE CRÉATION ET DIRECTION ARTISTIQUE
74 — INFOGRAPHIE En Auvergne-Rhône-Alpes, des pôles industriels Cécile Coutureau Merino
de haut niveau — RESPONSABLE PHOTO
Cathy Remy
76 — ENTRETIEN avec Vincent Aubelle — CORRECTION
« Il faut cesser de vouloir tout uniformiser » Philippe Boissaye, Claire Diot
— DOCUMENTATION
propos recueillis par Gaïdz Minassian et Patrick Roger Stéphanie Pierre
— PHOTOGRAVURE
78 — INFOGRAPHIE L’Occitanie, portée par l’aéronautique
Fadi Fayed, avec Laure Maestracci et Ingrid Maillard
80 — INFOGRAPHIE L’environnement, enjeu incontournable en PACA — FABRICATION
Pascal Delautre, Alex Monnet
82 — INFOGRAPHIE Spéculation immobilière et précarité économique, — IMPRESSION
deux visages de la Corse Agir-Graphic, 96, boulevard Henri-Becquerel, 53000 Laval
— CONTACT
83 — INFOGRAPHIE La Nouvelle-Calédonie à la recherche d’un nouveau statut horsseries@lemonde.fr

84 — INFOGRAPHIE Guadeloupe et Martinique : une population vieillissante

sur une terre polluée
85 — INFOGRAPHIE En Guyane, un contexte social difficile
86 — INFOGRAPHIE La Réunion entravée par son relief
87 — INFOGRAPHIE Mayotte, l’île en état d’urgence permanent

POLITIQUE
90 — ENTRETIEN avec Luc Rouban
« Le macronisme est un moment, il n’est pas fait pour durer »
COUVERTURE : Xemartin Laborde, service Infographie « Le Monde »
propos recueillis par Gaïdz Minassian et Patrick Roger
92 — 2017-2022 : cinq années qui ont chamboulé le paysage politique français
par Patrick Roger
Vous pouvez retrouver ce hors-série
94 — INFOGRAPHIE Nationale ou locale, deux représentations politiques
ainsi que les précédents numéros
de la France sur la boutique en ligne :
96 — Emmanuel Macron réélu mais fragilisé www.lemonde.fr/boutique
par Patrick Roger
100 — INFOGRAPHIE Rassemblement national : une implantation qui se généralise
102 — ENTRETIEN avec Gilles Ivaldi Le Monde hors-série \\\ 67-69, avenue Pierre-Mendès-France, 75013 Paris. Tél.:
01-57-28-20-00 / 25-61 \\\ Président du directoire, directeur de la publication:
« Le populisme s’appuie sur une crise de la représentation » Louis Dreyfus \\\ Directeur du Monde: Jérôme Fenoglio \\\ Directrice des rédac-
tions: Caroline Monnot \\\ Directeur du développement éditorial: Emmanuel
propos recueillis par Michel Lefebvre et Gaïdz Minassian
Davidenkoff \\\ Responsable des hors-séries: Michel Lefebvre \\\ Secrétaire gé-
104 — INFOGRAPHIE 2012-2022 : une décennie de recul et d’effritement néral de la rédaction: Sébastien Carganico \\\ Directeur de la diffusion et de la
production: Xavier Loth \\\ Directrice de la fabrication : Nathalie Communeau \\\
pour la gauche Chef de la fabrication: Pascal Delautre \\\ Fabrication: Alex Monnet \\\ Directeur
informatique groupe: Nathalie Magne \\\ Responsable informatique éditoriale:
106 — INFOGRAPHIE 2007-2022 : grâce à ses ancrages locaux, la droite Emmanuel Griveau \\\ Informatique éditoriale : Toufic Bourdache, Christian
Clerc, Igor Flamain, Aurélie Pelloux, Pascal Riguel, Thierry Sellem \\\ Respon-
dans un rôle pivot sable des ventes France et International: Sabine Gude \\\ Responsable commer-
ciale des ventes à l’International: Saveria Colosimo Morin \\\ Chef de produit:
108 — L’abstention traduit une perte de confiance dans le fonctionnement Maureen Decarpigny \\\ Directrice des abonnements: Lou Grasser \\\ Promotion
de la démocratie et communication: Marianne Brédard, Sylvie Fenaillon, Marlène Godet, Chris-
tiane Montillet \\\ Directeur des produits dérivés: Pierre Cirignano \\\ Respon-
par Anne Muxel sable de la logistique: Philippe Basmaison \\\ Modification de service, réassorts
pour marchands de journaux: 0805-050-147 \\\ M Publicité 67-69, avenue
110 — Présidentielle 2022 : les outre-mer choisissent Marine Le Pen Pierre-Mendès-France, 75013 Paris, tél.: 01-57-28-20-00 / 38-91 \\\ Présidente:
Laurence Bonicalzi Bridier \\\ Directrice déléguée: Michaëlle Goffaux, tél.: 01-57-
par Patrick Roger 28-38-98 (michaelle.goffaux@mpublicite.fr) \\\ Les hors-séries du Monde sont
112 — Les Français et l’Union européenne : une relation ambivalente édités par la Société éditrice du Monde (SA) \\\ Dépôt légal à parution \\\ ISSN
0395-2037 \\\ Commission paritaire 0722 C 81975 \\\ Distribution Presstalis.
par Abel Mestre N° ISBN: 978-2-36804-150-5
Origine du papier: France et Suède. IFGD. Taux de fibres recyclées: 0 %. Ce ma-
gazine est imprimé chez Imaye certifié PEFC. Eutrophisation. PTot = 0,003 kg/
114 — BIBLIOGRAPHIE tonne de papier.

5
 GRAND ENTRETIEN AVEC JÉRÔME FOURQUET

« LA CRISE DU COVID A ACCÉLÉRÉ LA PERTE

DE LA CENTRALITÉ DU TRAVAIL »
L’analyste de l’IFOP dresse un portrait contrasté de l’état du pays
après les élections de 2022 et la crise du Covid. Certes, la France ne va pas si mal,
même si les Français se plaisent à dire le contraire. Les inégalités sociales
et territoriales comme l’insécurité et l’immigration restent toutefois
des préoccupations qui sont au cœur de la crise de la représentation.

PROPOS RECUEILLIS PAR MICHEL LEFEBVRE ET DELPHINE PAPIN

Vous avez énoncé le concept d’«archipellisation» de des îles de l’archipel : c’est notre système de retraite, avec
la France en 2019. Selon vous, comment évolue cette le rejet massif de la réforme du gouvernement, qui ras-
idée après la crise du Covid et les élections de 2022? semble au minimum les deux tiers des Français. Le pays
Il y a bien évidemment des choses qui ont évolué. Le est donc fragmenté, mais certains thèmes rassemblent
Covid est passé par là. Par ailleurs, la séquence électorale encore une large majorité.
a acté la poursuite du
phénomène de décompo- Les Français, et cela surprend souvent
sition-recomposition de la les observateurs étrangers, se complaisent
« LA MENACE SANITAIRE, AJOUTÉE vie politique. Le paysage dans le pessimisme, alors que la situation
AU DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE, À électoral n’est pas complè- du pays n’est globalement pas trop mauvaise.
L’INSÉCURITÉ ET AU TERRORISME, tement stabilisé, avec Pourquoi, à votre avis ?
A ENTRAÎNÉ LE REPLI VERS trois blocs : le bloc central Si on demande aux Français leur avis, ils disent que
LA SPHÈRE PRIVÉE. » macroniste, un bloc de les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus
gauche sous domination en plus pauvres, alors que, on l’a vu, les inégalités sont
mélenchoniste et un bloc moins grandes qu’ailleurs. Si on regarde d’un peu plus
de droite extrême à forte dominante lepéniste. A cela près, quelles sont les tendances? La première est une ten-
s’ajoutent Les Républicains et quelques autres forces, mais dance au repli individuel, qui était déjà présente avant le
pour moi cette décomposition-recomposition n’est pas Covid. La menace sanitaire, ajoutée au dérèglement clima-
terminée, et elle va renforcer le caractère dysfonctionnel tique, à l’insécurité et au terrorisme, a entraîné le repli vers
du paysage électoral. On le voit à l’Assemblée nationale, la sphère privée, familiale, amicale, avec comme havre
dont la composition constitue une conséquence et une de paix le logement et toute une économie du bien-être
illustration de l’archipellisation de la société française. Les autour. Ce n’est pas pour rien que Leroy-Merlin est une
grands groupes sociaux s’étant délités et recomposés, le des entreprises préférées des Français! L’individualisme
paysage électoral prend alors des formes inédites. provoque aussi un désengagement vis-à-vis de la chose
En utilisant la métaphore de l’archipel, on faisait réfé- publique avec le sentiment que l’environnement, dans
JÉRÔME FOURQUET rence à la définition géographique de ce terme, à savoir tous les sens du terme, est de moins en moins maîtrisé.
Politologue, il dirige qu’il existe un socle géologique commun et des intercon- Si l’on parle de cartes et de géographie, l’autre tendance,
le département Opinion
et stratégies d’entreprise nexions fortes entre les îles de l’archipel, qui peuvent avoir déjà à l’œuvre, mais amplifiée par le Covid, c’est le départ
de l’institut de sondage IFOP des intérêts, des valeurs ou des fonctionnements com- d’une partie de la population du cœur des métropoles vers
depuis 2011. Il a publié muns. Parmi ces éléments, on pense évidemment à la leurs périphéries et le littoral atlantique. Cela s’explique
L’Archipel français. Naissance puissance publique, très forte en France, avec cinq millions notamment par le développement du télétravail, une pra-
d’une nation multiple de fonctionnaires, 57 % de la richesse nationale qui part tique jusque-là peu répandue. D’après les chiffres de l’IFOP,
et divisée (Seuil, 2019),
En immersion. Enquête sur dans la dépense publique et un modèle de redistribution près de 25% des salariés télétravaillent au minimum deux
une société confinée, avec sociale quasiment sans égal. jours par semaine. Cela modifie les circulations et les choix
Marie Gariazzo (Seuil, 2020), Notons au passage que nous avons essuyé, comme les résidentiels et renforce les territoires, qui accueillent de
La France sous nos yeux. autres pays, la crise du Covid-19 et qu’on a constaté, si on nouveaux habitants – ce que Laurent Davezies appelle
Economie, paysages,
nouveaux modes de vie, se fonde sur l’indice de Gini, que c’est en France que le creu- « l’économie résidentielle » : le simple fait qu’il y ait des gens
CRÉDIT

avec Jean-Laurent Cassely sement des inégalités a été le plus faible. Et si on reste sur solvables dans un endroit, même s’il n’y a pas d’usine ou de
(Seuil, 2021). le modèle social, un sujet fédère encore un bon nombre grande entreprise, fait tourner la machine économique.

6 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

 Jérôme Fourquet : « Alors que la géographie de l’industrie avait été déterminée par la présence des matières premières, des cours d’eau et du chemin de fer, les
principaux sites d’Amazon sont tous à proximité d’une autoroute. L’entreprise ayant l’ambition de servir ses clients à J + 1, l’accès à un réseau routier rapide est décisif.
L’implantation d’Amazon a également été pensée à l’échelle transnationale. Les sites de Montélimar, de Sevrey, de Boves (proche d’Amiens) ou de Lauwin-Planque
(près de Douai) se situent ainsi sur le principal axe de circulation transeuropéen allant de Londres à Milan. A partir de cette colonne vertébrale, une extension
du maillage sur la façade ouest du pays est en cours de déploiement. Les autres grands acteurs de l’e-commerce ont opté pour les mêmes territoires, car leur logique
de développement répond aux mêmes impératifs. »

Existe-t-il des données qui pourraient nous dire
que ce mouvement a permis de revitaliser des
zones du territoire?
Un vieil adage paysan dit : « Il pleut toujours où c’est
mouillé »! En fait, ce sont plutôt les territoires qui étaient
déjà les plus désirables qui ont enregistré un afflux de popu-
lation. On a pu lire, pendant le premier confinement, que ça
allait être la revanche des campagnes. Les espaces ruraux
n’en ont pas énormément bénéficié, sauf exception, le
Perche par exemple, qui était déjà devenu une zone de vil-
légiature pour Franciliens depuis une quinzaine d’années.
Au-delà du simple télétravail, n’est-ce pas aussi
le rapport au travail et aux loisirs qui évolue?
Effectivement, la crise du Covid a accéléré la perte de la
centralité du travail dans la vie des gens. En 1990, 60% des
Français indiquaient que le travail était très important dans
leur vie. Ils ne sont plus que 21% aujourd’hui. Parallèlement,
la réponse « très important » est passée de 25% à 41% pour
les loisirs. Je dis souvent, en forme de boutade, aux chefs
d’entreprise que je rencontre : « Pour vos employés, la
semaine, c’est ce qu’il y a entre les week-ends et les RTT. » C’est
la formule du sociologue Jean Viard : « Le hors-travail struc-
CRÉDIT
parcs d’attractions sont un bon exemple : le zoo de Beauval
ouDisney,devenulepremieremployeurmonositedeFrance.
Avec ces changements du rapport au travail,
on observe des zones qui vont très bien et d’autres
qui s’enfoncent dans la pauvreté. L’accroissement
des inégalités est-il une réalité?
Dans cet archipel, il reste la puissance publique, même
si ont été fermés des maternités, des gares, des bureaux de
poste… Dans les zones défavorisées, on a continué à injecter
de l’argent (par les transferts sociaux, les retraites et les trai-
tements des fonctionnaires). Cela n’empêche pas les diffé-
rences importantes entre territoires, mais je n’ai pas le senti-
ment que cela se soit encore accru, hormis dans les zones les
plus touristiques. Ajoutons que le Covid a été caractérisé par
le « quoi qu’il en coûte », et qu’il a fini par faire sauter complè-
tement les repères macroéconomiques. Lors de la crise de
2010,leclassementdelaFranceentripleAétaituntotemqu’il
fallaitabsolumentconserver.Or,laFranceaperducettenote.
On a alors érigé une nouvelle ligne Maginot : le « jamais plus
de 100% de dette sur PIB ». A l’issue du Covid, nous sommes
désormais à 112%… et le sol ne s’est pas ouvert pour autant.
Beaucoup de Français en tirent la conclusion suivante : il

ture le travail. » Le Covid a accéléré ces tendances, avec le y a une énorme cagnotte dans laquelle le gouvernement
renforcement de l’économie du loisir et du tourisme. Les peut piocher pour aider les classes populaires et

7
 GRAND ENTRETIEN

moyennes. Si l’argent public n’est pas suffisant, cer- marée basse. Certes, le grand sujet du moment, c’est le
tains considèrent qu’« il faut prendre l’argent où il est et taxer modèle social, les inégalités. Néanmoins, il y a en perma-
lesprofitsduCAC40».Toutdiscourssurunretouràuncertain nence un bruit de fond sur la question de l’immigration,
équilibre budgétaire ou à un déficit pas trop excessif est de l’identité, de l’islam. Bien évidemment, quand on inter-
aujourd’hui complètement inaudible. Quand le gouverne- roge les Français sur les priorités, actuellement c’est
mentjustifiesaréformedes d’abord le pouvoir d’achat.
retraites parcequ’il va man- Le changement climatique est aussi assez haut, mais
quer12à15milliardsd’euros là où les chiffres n’ont pas bougé depuis quinze ou vingt
« TOUT DISCOURS SUR UN par an, alors qu’on en a ans, c’est sur l’immigration. Environ 60 % des sondés
RETOUR À UN CERTAIN ÉQUILIBRE brûlé 300 pendant le Covid, disent qu’il y a trop d’immigrés et d’étrangers en France.
BUDGÉTAIRE OU À UN DÉFICIT PAS beaucoupsedisentqu’ilsuf- Alors, s’ils n’en font pas leur priorité numéro un, c’est
TROP EXCESSIF EST AUJOURD’HUI fit d’ajouter cela sur la note. quand même en toile de fond…
COMPLÈTEMENT INAUDIBLE. » Il y a d’autres indices, comme la campagne d’Eric
Dans les sondages que Zemmour lors de la présidentielle. Certes, il a fini à 7%,
vous réalisez auprès des mais il partait de rien. Tout seul, il fait plus qu’Anne
Français, l’immigration est-elle considérée comme un Hidalgo et Valérie Pécresse cumulées… Et il est monté
problème grave, moyennement grave ou pas trop grave? jusqu’à 16% à la veille de l’invasion de l’Ukraine, où il a
C’est un sujet majeur dans la société française. Je dévissé. Il était alors à touche-touche avec Marine Le Pen.
prends souvent l’image des rochers qui, à marée haute, Et le fait qu’il soit, à deux reprises, remonté après avoir
affleurent seulement, mais qu’on voit très clairement à connu des trous d’air dans sa campagne, en n’édulcorant

Jérôme Fourquet : « Cette carte représente la période de construction des logements dominante dans chaque territoire. L’armature urbaine apparaît avec une
constellation de points roses, la trame du bâti de la majeure partie de nos villes datant des “trente glorieuses”. Se déploient partout autour des lagons bleus : les
couronnes pavillonnaires construites entre 1971 et 1990. Dans certains territoires, l’étalement urbain s’est poursuivi après 1990 (taches bleu foncé). On pénètre
CRÉDIT

ensuite dans d’autres univers esthétiques, où le bâti d’avant 1914 domine. C’est la France rurale, qui, architecturalement parlant, est globalement restée dans
son jus. Couvrant une très vaste surface (en orange), elle est néanmoins peu densément peuplée. »

8 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

 COMMENT VA LA FR ANCE ?
« Quand on interroge les Français sur eux-mêmes et
sur leur famille, ils sont optimistes et même heureux.
Même si nous sommes les champions de la
consommation d’antidépresseurs, nous vivons dans
une société du cocon, selon l’expression de Vincent
Cocquebert, avec l’apéro et les barbecues dans le
jardin. Et quand vous vous baladez en France, on n’est
quand même pas au bord de la guerre civile. Pourtant,
quand on interroge les Français sur leur pays, certains
le placent… au-dessous du Pakistan. C’est un peu
“bonheur privé, malheur public”, ou la phrase de
Sylvain Tesson : “La France est un paradis peuplé de
gens qui se croient en enfer.” Les événements récents
ont accentué le sentiment déjà assez ancien d’un
déclin national autour de l’idée qu’on est en train
de devenir une puissance moyenne et qu’on a perdu
notre rang. Alors, quand l’école, l’hôpital ou EDF
commencent à dysfonctionner et que, dans le même
temps, le niveau de prélèvements obligatoires
est un des plus élevés au monde, les Français ont
l’impression qu’ils n’en ont plus pour leur argent. »
rien à son positionnement radical, montre qu’il touche
une corde sensible. Rappelons également que Marine
Le Pen, qui plaçait cette thématique en bonne place de
son programme, a rassemblé pas moins de 41,5% des
suffrages au second tour.
Sur cette question de l’immigration, vous mettez en
avant l’analyse des statistiques autour des prénoms
que les Français donnent à leurs enfants…
Je renvoie aux travaux qu’on avait menés avec Sylvain
Manternach pour L’Archipel français. Si l’on examine le
pourcentage de nouveau-nés portant un prénom arabo-
musulman, il était de 1% en 1960, 18,5% en 2015-2016, et 21%
désormais. Ce n’est certes pas 21% de la population, c’est 21%
des nouveau-nés et donc de la France de demain. Il s’agit là
uniquement des porteurs de prénoms arabo-musulmans,
auxquels on pourrait ajouter les porteurs de prénoms issus
de la région subsaharienne ou d’Afrique centrale.
Quand on voit ces chiffres, nous sommes de facto dans
une société qui est devenue multiculturelle. Pour une partie
de la population, cela génère une inquiétude existentielle,
c’est la peur du « grand remplacement ». D’autres se disent,
inversement : « Non, c’est très bien, c’est le sens de l’histoire. »
Et puis il y a un gros ventre mou, qui s’en inquiète, ou qui se
pose des questions, mais qui n’en fait pas sa priorité quoti-
dienneparcequeleproblèmec’estderemplirleréfrigérateur.
On entend beaucoup que le ressort principal du vote
pour le RN est le déclassement social, comme on le voit à
Hénin-Beaumont et dans le bassin minier. C’est en partie
vrai. Marine Le Pen est en tête dans les milieux populaires.
Elle y devance Jean-Luc Mélenchon, pas forcément de
beaucoup. Or, si c’était uniquement sur le registre social
que ces catégories se décidaient, Mélenchon aurait nette-
ment surclassé Le Pen, car il était objectivement mieux-
disant sur ces questions. Mais elle arrive à articuler son
discours social en dénonçant l’assistanat et les profiteurs
du modèle social avec en sous-texte les questions sécuri-
taires et migratoires, ce qui lui confère un vrai avantage
comparatif sur Mélenchon.
La question de l’immigration n’est pas le cœur de tout,
mais dire que c’est un sujet secondaire est une erreur. C’est
CRÉDIT
aussi ce qui fait que notre système politique est difficile à
lire et qu’il est dysfonctionnel. On n’a plus de grande ligne
de clivage droite-gauche, autour de laquelle tout s’organi-
sait. La question sociale demeure très importante, mais la
question identitaire l’est également, ainsi que la question
climatique. Utilisons une image : en fonction de l’endroit
où sont placés les projecteurs éclairant un monument
pendant la nuit, la perception qu’on en a n’est pas la même.
Il en va de même pour notre société, dont les différentes
lignes de force apparaissent alternativement, au gré de la
conjoncture et de l’actualité.
Selon les résultats de vos sondages, la sécurité
est-elle une préoccupation importante
pour les Français?
Elle n’est pas en tête, mais elle est placée assez haut.
Elle peut même monter beaucoup plus en fonction des
événements, s’il y a eu tel ou tel type de violences urbaines,
par exemple. Quand vous regardez nos sondages du
second tour de la présidentielle, deux France se dessi-
naient, avec 30 à 40 points d’écart en matière d’enjeux
prioritaires. Les lepénistes du second tour se détermi-
naient principalement sur la sécurité et l’immigration,
alors que ceux qui ont voté Macron relativisaient beau-
coup ces sujets. Inversement, ces derniers citaient avec
30 à 40 points de plus la question climatique ou celle de
l’école. Les chaînes d’information en continu en tiennent
compte et alimentent ce clivage. CNews met systémati-
quement en avant le énième fait divers en banlieue, quand
sur LCI des CSP+ inter-
nat iona l isés su ivent
mètre par mètre le front de
Bakhmout, en Ukraine!… « LA QUESTION SOCIALE
Si on essaie de regar- DEMEURE TRÈS IMPORTANTE,
der les choses objective- MAIS LA QUESTION IDENTITAIRE
ment, je pense qu’en L’EST ÉGALEMENT, AINSI QUE
matière de sécurité la LA QUESTION CLIMATIQUE. »
situation est très dégradée.
Des seuils sont franchis
progressivement. J’ai travaillé, par exemple, sur le recours
aux mortiers d’artifice, dont on commence à parler au
début des années 2000 en Seine-Saint-Denis. Face au déve-
loppement du phénomène, des lois sont votées, mais les
tirs de mortiers sont aujourd’hui totalement banalisés.
Idem pour les rodéos urbains et les refus d’obtempérer, qui
se sont diffusés sur tout le territoire. Cette détérioration
de la situation sécuritaire est une question très importante
pour toute une partie de la population.
Du côté des analystes et des commentateurs, je pense
qu’on est passé trop rapidement sur le score du second tour
des présidentielles. Jean-Marie Le Pen réalise 18% en 2002
au second tour, Marine Le Pen atteint 41,5% en 2022…
En 2002, Jacques Chirac a 20 millions de voix d’avance ;
en 2017, Emmanuel Macron en a un peu plus de 10 millions,
et en 2022 il n’en avait plus que 5 millions et demi. La ten-
dance qui se dessine est nette… Et le RN a obtenu 89 dépu-
tés à l’Assemblée. Il y a certes la question sociale, les ser-
vices publics, le sentiment de déclassement dans des
territoires entiers, la fermeture de maternités, la question
des déserts médicaux… Dans l’Eure ou dans le Loiret, où le
RN a conquis plusieurs circonscriptions, leurs candidats
ont surfé sur ces thèmes. Mais, en toile de fond, ils évo-
quaient également l’insécurité et l’immigration, et c’est
central dans le fait que le RN soit monté à ce niveau.•
9
 ÉTAT DES LIEUX

LES SOIGNANTS
DANS LA RUE – Dans le
contexte du Ségur de la santé
VINCENT BOISOT/RIVA PRESS

organisé par le gouvernement

à la suite de la pandémie
de Covid-19, le personnel
hospitalier demande des
revalorisations salariales,
la réouverture de lits
et de meilleures conditions
de travail. Manifestation un
« jeudi de la colère », autour
de l’hôpital public Saint-Louis
à Paris, le 11 juin 2020.
 LA DÉMOGRAPHIE FRANÇAISE À L’ÈRE POST-COVID
A la baisse des naissances s’est ajouté un nombre élevé de décès. Deux phénomènes dus notamment à la
pandémie de Covid, qui font de 2022 l’année où le solde naturel atteint son plus bas niveau historique. La crise
sanitaire n’a en revanche pas donné lieu à un grand déménagement de la population vers les zones rurales.

12 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

ÉTAT DES LIEUX

13
14 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023
ÉTAT DES LIEUX

15
 ÉTAT DES LIEUX

RETRAITES : UNE RÉFORME QUI A VIRÉ AU FIASCO POLITIQUE

En repoussant de 62 à 64 ans l’âge légal de départ à la retraite, l’exécutif a pris une décision rejetée
par une large majorité des Français et combattue par l’ensemble des syndicats. Le passage au forceps
de la réforme, avec l’aide de l’article 49.3 de la Constitution, a affaibli un exécutif déjà contesté.

PAR BERTRAND BISSUEL

P
our le pouvoir en place, c’était la
« mère des réformes », celle qui
devait symboliser l’ardeur trans-
formatriced’EmmanuelMacron.
Au fil des mois, elle a tourné à
l’affrontement, provoquant des
tensions sociales et politiques d’une ampleur
rarement égalée sous la Ve République. En
repoussant graduellement de 62 à 64 ans
l’âge légal de départ à la retraite, l’exécutif a
pris une décision douloureuse pour des mil-
lions de femmes et d’hommes ainsi obligés
de travailler plus longtemps. Rejetée par une
large majorité de la population et combattue
par l’ensemble des syndicats, cette mesure
est passée au forceps, avec l’aide de l’ar-
ticle 49.3 de la Constitution, qui permet
d’adopter sans vote une loi. Un chemine-
ment chaotique, ponctué par l’invalidation
de six dispositions par le Conseil constitu-
tionnel. Le chef de l’Etat et le gouvernement
vont avoir du mal à se remettre d’une telle
séquence, qui a électrisé tout le pays.
A l’origine de ces turbulences, il y a une
promesse de campagne de M. Macron : son
programme pour l’élection présidentielle de
2022 affichait l’ambition de reporter de 62 à
65 ans l’âge d’ouverture des droits à une pen-
sion. La cible a finalement été abaissée d’une
année – à 64 ans, donc – dans le texte dévoilé
le 10 janvier par la première ministre, Elisa-
beth Borne. A ce changement de paramètre,
la locataire de l’Hôtel de Matignon en a
ajouté un autre, qui consiste à accélérer la
mise en application de l’allongement de la
durée de cotisation prévue par la loi Tou-
raine de janvier 2014. Désormais, pour tou-
cher une retraite à taux plein, il faudra avoir
travaillé quarante-trois ans à compter de la
génération née en 1965 – alors qu’avant,
c’était à partir de celle qui est née en 1973.
UN « CHOC D’OFFRE » SALVATEUR
Le fait d’actionner ces curseurs répond
à plusieurs objectifs. Il s’agit tout d’abord
de contenir la progression des dépenses
de pensions et de stimuler les ressources des
régimes, puisque les personnes cotiseront
davantage si le temps passé en activité s’ac-
croît. Ainsi, des économies seront réalisées,
qui atteindraient 17,7 milliards d’euros
en 2030, selon les services de l’Etat. Une
manne bienvenue pour combler le déficit du
système de retraites (− 13,5 milliards d’euros
en2030)etpourfinancerdenouveauxdroits.
L’exécutif insiste également sur l’idée
que, si l’on ne modifie pas la législation, les
évolutions démographiques en cours vont
entraîner une baisse inéluctable du nombre
de cotisants rapporté au nombre de retraités,
ce qui menace de compromettre la soutena-
bilité du système. La réforme entend aussi
encourager l’emploi des individus au-delà du
cap de la soixantaine, la part des seniors en
emploi étant nettement plus faible en France
que dans bien d’autres pays occidentaux.
Enfin, le relèvement de la borne d’âge
a pour effet d’augmenter le nombre de
personnes disponibles pour travailler : cela

16 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023


équivaut à un « choc d’offre » susceptible, à
terme, de doper la croissance, donc la masse
des salaires versés, les cotisations sociales
et impôts, ce qui injecte des crédits supplé-
mentaires, non seulement pour l’assu-
rance-vieillesse mais aussi pour les comptes
publics en général. C’est un bol d’air salva-
teur, du point de vue de l’Etat, qui cherche à
se désendetter et à investir dans des poli-
tiques prioritaires, liées – par exemple – à la
transition écologique, au vieillissement de
la population ou à la défense nationale.
« BRUTAL » ET « INJUSTIFIÉ »
Pour toutes ces raisons, M. Macron et
Mme Borne ont répété, durant des mois, que
la réforme était « nécessaire ». « Indispen-
sable», a renchéri le ministre de l’économie,
Bruno Le Maire. Soucieux de montrer qu’il
ne joue pas qu’au Père Fouettard obsédé par
les équilibres budgétaires, le gouvernement
a intégré dans son projet des mesures dites
d’«accompagnement» synonymes, selon lui,
de «justice» : revalorisation – sous certaines
conditions – de la retraite minimale à hau-
teur de 85 % du smic net (soit environ
1200 euros brut par mois, à l’automne 2023),
refonte des règles relatives aux « carrières
longues » de manière à permettre à ceux qui
sont entrés tôt dans la vie active de partir
avant l’âge légal, maintien de la pension à
taux plein à 62 ans pour les personnes en
situation d’invalidité ou d’inaptitude… Afin
de promouvoir l’emploi des seniors, le texte
D’AUTRES
SOLUTIONS,
PLAIDENT LES
SYNDICATS,PEUVENT
ÊTRE ENVISAGÉES
POUR RAMENER DANS
LE VERT LE SYSTÈME
DES PENSIONS.
a institué un index sur la place de cette caté-
gorie d’âge dans les entreprises, le but étant
de valoriser les « bonnes pratiques » et de
mettre en exergue les « mauvaises ». Les
patrons qui ne publieraient pas cet indica-
teur s’exposeraient à des sanctions pécu-
niaires pouvant aller jusqu’à 1% de la masse
salariale. Plusieurs dispositions ont égale-
ment été prises pour prévenir l’usure profes-
sionnelle et les incidences délétères de
métiers pénibles – avec, entre autres, la créa-
tion d’un fonds doté de 1 milliard d’euros sur
cinq ans pour mener des actions concrètes.
Le volet social de la loi n’a nullement
dissipé les critiques qui se cristallisent sur le
report de l’âge légal. Regroupées en intersyn-
dicale, treize organisations de salariés et de
défense de la jeunesse ont dénoncé cet ajus-
tement paramétrique, le trouvant «brutal»
et «injustifié». Brutal car il inflige, selon elles,
des efforts uniquement aux travailleurs
–principalement dans les franges modestes
et intermédiaires de la population active –,
alors que les employeurs, eux, sont quasi
épargnés. Injustifié car il n’y aurait pas péril
en la demeure sur le plan financier. De sur-
croît, plaident les syndicats, d’autres solu-
tions, non punitives, peuvent être envisa-
gées pour ramener dans le vert le système
des pensions – par exemple, en favorisant
l’activité des sexagénaires, source de ren-
trées de cotisations supplémentaires.
Dès le début de la législature, les organi-
sations de salariés avaient annoncé qu’elles
se mettraient en ordre de marche contre le
décalage de la borne d’âge si celui-ci était
confirmé. Le pouvoir en place étant resté
fidèle à sa feuille de route, elles ont mis à exé-
cution leur menace en invitant la population
à manifester le 19 janvier. Des initiatives
qu’elles ont réitérées onze fois, avant d’appe-
ler à protester le 1er-Mai, à l’occasion de la
Journée internationale des travailleurs. Un
mouvement social aussi puissant, attirant
certains jours plus d’un million de personnes
dans la rue, selon la police, ne s’était pas vu
depuis 2010, année où Nicolas Sarkozy avait
décalé de 60 à 62 ans l’âge légal de départ à la
retraite. Mêmes causes, mêmes effets…
UN HÉMICYCLE CHAUFFÉ À BLANC
Outre la colère déferlant dans l’espace
public, M. Macron et Mme Borne ont été
confrontés à une autre difficulté de taille :
faire passer leur réforme au Parlement,
sachant qu’ils ne disposent pas de la majo-
rité absolue à l’Assemblée nationale et que
leur souhait était d’aller vite. Ces contraintes
ont amené l’exécutif à des choix de procé-
dure très inhabituels. Les mesures ont été
logées dans un projet de loi de financement
rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS),
ce qui a permis au gouvernement d’impo-
ser des délais resserrés devant les deux
chambres, en se prévalant de l’article 47.1
de la Constitution – applicable uniquement
à des textes financiers.
A l’Assemblée nationale, cette méthode
a été fustigée par les oppositions en raison de
son caractère jugé expéditif : il s’agit d’un
«détournement» des règles, qui prive les élus
d’une discussion dans de bonnes conditions
sur un dossier majeur, s’est indigné Charles
de Courson, député centriste de la Marne
appartenant au groupe Libertés, Indépen-
dants, Outre-mer et Territoires (LIOT). Mais
les récriminations les plus fortes ont porté
sur la disposition-phare du projet : la retraite
à 64 ans. Les membres de la Nouvelle Union
populaire écologique et sociale (Nupes) ont
mené une guerre de tranchées, à coups
d’amendements et de rappels au règlement,
dansunHémicyclechaufféàblanc.Lesrepré-
sentants de La France insoumise (LFI) se sont
montrés les plus virulents, leur but
17
 étantclairementdefaireobstruction.
Opération couronnée de succès puisque les
débats se sont achevés, le 17 février, dans le
chaos, sans vote sur le PLFRSS ni même sur
l’article 7, qui modifie l’âge légal.
L’exécutif a, lui-même, contribué à la
confusion, en tardant à fournir des infor-
mations ou en disant des choses
inexactes –«mensongères», selon ses contra-
dicteurs. Une seule illustration : les bénéfi-
ciaires de la pension minimale à 1200 euros,
sur lesquels plusieurs membres du gouver-
nement ont commis d’énormes bourdes. Le
ministre du travail, Olivier Dussopt, a finale-
ment consenti à apporter un éclairage, après
desdemandesrépétéesdelapartdelagauche
et alors que les travaux sur le texte au Palais-
Bourbon approchaient de leur terme.
SÉANCES MOUVEMENTÉES AU SÉNAT
L’imbroglio s’est accentué avec les inter-
ventions de Mme Borne pour essayer d’obte-
nir le ralliement des députés Les Républi-
cains (LR). Des annonces ont été faites dans
le but de leur donner satisfaction au sujet
du système des carrières longues. Mais ces
concessions ont parfois été malaisées à
18 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023
comprendre sur le plan technique, faute
d’explications suffisantes. Elles ont surtout
montré un gouvernement en difficulté, qui
tentait maladroitement de construire une
majorité sur un texte impopulaire.
Au Sénat, il y a eu un peu moins de
secousses. Les élus LR et Union centriste (UC),
qui tiennent les commandes de cette
chambre, étaient globalement en phase avec
la retraite à 64 ans puisqu’ils ont l’habitude,
depuis plusieurs années, d’approuver un
amendement au contenu similaire dans le
budget de la Sécurité sociale. A l’issue de son
examenauPalaisduLuxembourg,laréforme
Macron-Borne a été enrichie, le pouvoir en
placeacceptantd’yinclureplusieursidéesdes
UN MOUVEMENT
SOCIAL AUSSI
PUISSANT, ATTIRANT
CERTAINS JOURS
PLUS D’UN MILLION
DE PERSONNES DANS
LA RUE, NE S’ÉTAIT
PAS VU DEPUIS 2010.
groupesLRetUC:miseenplaced’un«contrat
senior », assorti d’exonération de cotisations,
afin de soutenir l’embauche de chômeurs de
longue durée d’au moins 60 ans, départ à la
retraite à 60 ans pour les personnes atteintes
d’une incapacité permanente, etc.
Au bout du compte, la majorité sénato-
riale a voté pour, mais au prix de séances
mouvementées, ce qui n’est pas dans les
usages de cette assemblée réputée pour sa
tempérance. Tout comme leurs homolo-
gues de l’Assemblée nationale – mais sur un
ton moins vindicatif –, les sénateurs de
gauche ont essayé de ralentir le processus
législatif. La manœuvre a été contrée avec
l’aide de l’article 44.3 de la Constitution :
grâce à cette disposition, les prises de parole
sur des centaines d’amendements de
l’opposition ont pu être écourtées.
Malgré les gestes de compromis en
direction de la droite, l’exécutif n’a pas réussi
à obtenir l’assurance que les députés LR
accorderaient leur imprimatur au PLFRSS. La
mort dans l’âme, Mme Borne a donc annoncé,
le 16 mars, le recours au 49.3, alors qu’elle ne
voulait pas de cette procédure, assimilée par
les oppositions et dans l’opinion publique à
un « passage en force », la loi étant adoptée
sans vote. Cette décision a crispé un peu plus
le climat social, déjà très tendu. Dans les
jours qui ont suivi, plusieurs manifestations
ont dégénéré, alors qu’elles s’étaient dérou-
lées sans heurts majeurs auparavant.
UNE VICTOIRE À LA PYRRHUS
Pour parachever le fiasco, le Conseil
constitutionnel a censuré six dispositions
qui n’avaient, à ses yeux, pas leur place dans
une loi de financement de la «Sécu». Il s’agit,
en l’occurrence, de « cavaliers sociaux », c’est-
à-dire de mesures sans aucun effet sur les
comptes des régimes de base en 2023 ou dont
l’effet est trop indirect. Parmi elles, deux
avaient retenu l’attention : l’« index seniors »
et le « contrat de fin de carrière » pour les
demandeurs d’emploi de longue durée ayant
franchi le cap de la soixantaine. Pour autant,
ces mécanismes ne passent pas définitive-
ment à la trappe : ils pourraient être repris
dans un autre texte, après avoir fait l’objet
de pourparlers avec les organisations de
salariés et d’employeurs.
De cette tumultueuse période, les deux
têtes de l’exécutif sortent affaiblies. Leur
capacitéàlégiférerestsujetteàcautiontandis
quelabrouilleaveclessyndicatsestprofonde,
ce qui risque de compliquer le lancement de
nouveauxchantiers.La«mèredesréformes»
s’est transformée en mère des batailles. Une
bataille dont le pouvoir en place peut diffici-
lement s’estimer vainqueur. A moins que ce
ne soit une victoire à la Pyrrhus. •
 ÉTAT DES LIEUX

LE DÉFI DU GRAND ÂGE

Le nombre des personnes de 85 ans et plus va croître de près de 90% entre 2030 et 2050, c’est-à-dire autant de
demandes d’allocations d’autonomie supplémentaires et de places d’hébergement destinées aux 3e et 4e âges.
Ce vieillissement sans précédent de la population va contraindre le pays à une mise à niveau sanitaire historique.

19
 ACCÈS AUX SOINS : UNE DÉGRADATION PRÉOCCUPANTE
Avec moins d’un médecin pour 1000 habitants en moyenne, un pour 3000 dans certaines zones,
les inégalités en matière de santé se retrouvent partout, dans tous les territoires – tant dans Paris
et sa couronne que dans les régions –, et quasiment dans tous les domaines.

PAR EMMANUEL VIGNERON

L
es inégalités de santé en France atteints. En France, on manque d’une obser­ que se joue la santé et que se réduisent
sont de deux ordres principaux : vation véritablement indépendante (ou ses inégalités avec le secours des services
différences d’offre de santé d’une parlementaire) de la santé. de l’enseignement, du social, du culturel
part, d’état de santé d’autre part. De ces inégalités constatées partout, et du sportif, mais aussi de tout ce qui
Ces dernières ne sont que partiel­ prenons ici deux exemples. Le premier est relève de l’alimentation, de la qualité de
lement liées aux premières car d’actualité, et concerne désormais le plus vie et du bien­être.
bien d’autres facteurs interviennent, outre grand nombre des habitants de la France :
la disponibilité des services de santé. Pour­ la présence et la disponibilité, dans une LA COHÉSION NATIONALE MENACÉE
tant, l’action principale des politiques de proximité et un délai acceptables, du méde­ L’Insee reconnaît 1 663 bassins de vie
santé est d’agir sur l’offre afin d’améliorer cin généraliste libéral, pivot central de en France. S’agissant de la présence de
l’état de santé ou, à tout le moins, de ne pas notre système de santé et principale porte médecins généralistes libéraux, nous pré­
l’aggraver par des politiques inappropriées. d’entrée dans la chaîne des soins si c’est sentons ainsi nos résultats, calculés pour
Tel est le pari qui justifie leur nécessaire. Le second est l’AMRF : en 2022, la densité des médecins
déploiement, car c’est là l’ob­ pour ainsi dire la signature généralistes d’exercice libéral exclusif ou
L’ACTION PRINCIPALE
jectif garanti par l’alinéa 11 DES POLITIQUES ultime de l’action publique mixte est, à l’échelle du pays, de 0,83 méde­
du préambule de la Consti­ DE SANTÉ EST D’AGIR et de son respect des prin­ cin pour 1000 habitants. Une moyenne de
tution de la République SUR L’OFFRE AFIN cipes républicains : il s’agit 1 pour 1 000 habitants serait, de l’avis
française : « Elle [la Nation] D’AMÉLIORER L’ÉTAT du risque différent que l’on général des praticiens, satisfaisante pour
garantit à tous, notamment DE SANTÉ OU DE a, une année, de mourir, à une médecine de qualité. En comparant
à l’enfant, à la mère et aux NE PAS L’AGGRAVER âge et sexe égaux dans un cette moyenne à celle qui a été observée, il
vieux travailleurs, la protec- PAR DES POLITIQUES territoire donné. C’est ce est facile de déterminer de façon compré­
tion de la santé. » INAPPROPRIÉES. que l’on appelle l’indice hensible par tous les effectifs manquants
Or, où que se porte le comparatif de mortalité ou excédentaires à l’échelle des territoires.
regard, les inégalités sont (ICM). Ces deux exemples Signe de la concentration de la profession,
partout, dans tous les territoires et quasi­ résultent de travaux réalisés, avec les don­ 82% des bassins de vie ont une offre infé­
ment dans tous les domaines de la santé. nées les plus récentes, celles de 2022, pour rieure à la cible de 1 pour 1 000. Autre
Une offre inégale, d’abord : personnels de l’Association des maires constatation, on compte
santé, activités de soins, formation, ruraux de France (AMRF). 1 médecin pour 3 020 habi­
LE PAYSAGE
recherche, médicaments, mais aussi vacci­ SANITAIRE tants dans les 10 % de bas­
nation, éducation à la santé, promotion et ADOPTER LA SE DÉGRADE. sins de vie les plus mal lotis,
BONNE ÉCHELLE
prévention. Inégalités d’état de santé LES RISQUES quand on en compte 1 pour
ensuite : maladies infectieuses et parasi­ Se pose ici un pro­ CONCERNENT 875 dans les bassins de vie
taires, bien sûr – car très liées au milieu blème d’échelle d’observa­ NON SEULEMENT les mieux dotés : un rapport
naturel –, mais aussi cancers, maladies tion. Opposer Paris au NOTRE SANTÉ MAIS presque de 1 à 4!
cardio­vasculaires ou métaboliques, « désert français » n’a pas AUSSI LA COHÉSION Au total, alors même
mortalité infantile, suicides. Quelles que de sens, tant le désert ne RÉPUBLICAINE. que la médecine et notre
soient les pathologies, des géographies, l’est pas partout également, système de santé sont consi­
souvent très contrastées, demeurent. et parce qu’il existe aussi dérés comme des fleurons
Le rôle des politiques de santé, et dans Paris et sa proche banlieue des déserts de la France, nous vivons dans un monde
d’abord de leurs acteurs, est de ne pas s’en médicaux et des gradients très élevés du d’inégalités. Nous avons longtemps vécu
satisfaire. C’est aussi le rôle risque de mourir. Au surplus, observer ces dans l’idée que le progrès les réduirait; il
des citoyens. Voilà pourquoi inégalités à l’échelle des départements ou n’en est rien. Le paysage sanitaire se dégrade.
EMMANUEL VIGNERON le diagnostic est utile et doit des régions n’est pas non plus très sensé, Les risques concernent non seulement notre
Agrégé de géographie, il est toujours être fait régulière­ car on y mêle tout et son contraire : la santé santé mais aussi la cohésion républicaine.
docteur en histoire (EHESS), ment. S’en passer, c’est mas­ des Hauts­Cantons n’est pas celle de Mont­ La composition de la France, à partir de mul­
docteur en géographie, habilité
à diriger des recherches quer la réalité, ne pas voir pellier, celle de Dunkerque n’est pas celle de tiples cellules séparées, a pris beaucoup de
en géographie et en les progrès ou les échecs de Lille. Il faut aller au plus fin, autant qu’il est temps. La France s’est plusieurs fois recom­
aménagement. Il est l’auteur ses entreprises. Comme en statistiquement possible. posée sous l’effet de l’évolution des activités
de plusieurs ouvrages sur le soins, le diagnostic permet Pour de tels indicateurs, le bassin de économiques et du progrès des transports.
lien entre santé et territoires,
dont Pour une approche d’orienter l’action vers ce vie est la bonne échelle d’observation. Ici, Du fait de la fragmentation des territoires
territoriale de la santé que l’on appelle aussi en l’action peut être véritablement une action que provoquent les inégalités, elle est
(Editions de l’Aube, 2003). médecine les territoires de terrain. C’est là, dans les lieux de vie, aujourd’hui menacée de décomposition. •
20 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023
ÉTAT DES LIEUX

21
 L’HÔPITAL À BOUT DE SOUFFLE
Manque criant de personnels, urgences débordées, population vieillissante et demande de soins en hausse…
Le Covid-19 a mis en lumière les maux qui ont mené les établissements de santé au bord de la rupture.
Ceux-ci prennent leur source dans plus de vingt années de réformes – de droite comme de gauche –, dont
l’objectif était de réduire les soins, ainsi que dans une baisse continue des investissements depuis dix ans.

22 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

ÉTAT DES LIEUX

23
 LES NOUVELLES FORMES DU TRAVAIL
Essor du télétravail, appel aux free-lances, flexibilité, quête de sens et prise de conscience des enjeux
environnementaux et sociaux : la décennie 2020, marquée par la pandémie de Covid, a amorcé
une évolution dans la conception du travail, l’organisation des entreprises et les styles d’emploi.
U
n monde du travail ébranlé.
Le Covid, l’essor du télétravail
et la prise de conscience des
enjeux environnementaux
et sociaux ont profondément
bouleversé l’organisation des
entreprises et les formes d’emploi au cours
des dernières années. Peut-on pour autant
parler de révolution du travail en France?
La vie professionnelle post-2020 s’est
démultipliée en mille visages. Noémie
Burgard (45 ans) a passé ces vingt dernières
années à changer d’activité et de mode de
travail : salariée du secteur privé dans un
cabinet de recrutement, elle a repris des
études pour devenir sage-femme, son
24 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023
PAR ANNE RODIER
métier-passion de la fonction publique Berluti depuis vingt ans, il estime avoir
qu’elle a dû abandonner à l’épreuve des acquis le geste sûr dans son travail de for-
conditions de travail. En recherche perma- mier. Et la place de son métier dans le mar-
nente d’utilité sociale et du meilleur équi- ché du travail est aussi stable que lui. Son
libre entre sa vie familiale et sa mission métier a toujours été, par sa rareté, un de
professionnelle, elle s’est ces « métiers en tension »
finalement mise à son dont on parle bien souvent
compte et a investi le travail LESMICRO- aujourd’hui dans le secteur
TRAVAILLEURS, DONT
indépendant dans une acti- du high-tech à propos des
LES TÂCHES SONT
vité de coaching sportif. développeurs.
GÉNÉRALEMENT
Mais elle n’exclut pas de se Enfin, Mathilde Le Coz,
PAYÉES À LA PIÈCE,
reconvertir à nouveau. DRH France chez Mazars,
SONT PLUS
En revanche, pour appartient au nouveau
NOMBREUX QUE
Jean-Michel Casalonga, les monde des slasheurs : sala-
LES LIVREURS À VÉLO.
choses ont moins changé. riée du cabinet de conseil/
Maître bottier, salarié chez (slash) présidente du Lab RH
en autoentreprise pour 10%
de son temps, elle cumule les activités.
La diversité du travail en 2023 semble
devenue infinie, tant sur le fond que sur la
forme. La carrière peut désormais être
constituée d’une multiplicité d’activités qui
se succèdent ou qui se développent en paral-
lèle. La pluriactivité s’est banalisée. La frag-
mentation du travail en mode slasheur
(assistantematernelle/illustratrice;webmar-
keter salarié/coach numérique; etc.) concer-
nait déjà près de 6 millions d’actifs en 2022.
LE TRAVAIL AU CLAIR DE LUNE
A ces activités générées au clair de lune
(en dehors des heures de travail salarié), les
« moonlight businesses », comme disent les
Américains, s’ajoutent celles qui sont pro-
duites par la fragmentation maximale du
temps des « atomisés du travail », les triste-
ment célèbres 320000 microtravailleurs
rebaptisés « tâcherons du numérique » :
266000 travailleurs occasionnels, et 52000
dontc’estl’activitéprincipale,selonlechiffrage
réalisé par les trois chercheurs Clément Le
Ludec(MSHParis-Saclay),PaolaTubaro(CNRS/
LRI) et Antonio A. Casilli (Télécom ParisTech).
A moins d’un million, ces microtravailleurs,
dont les tâches fragmentées et standardisées
sont généralement payées à la pièce, sont tou-
tefois « plus nombreux que les chauffeurs VTC
et les livreurs à vélo », souligne Pôle emploi.
Ces nouvelles façons de travailler se
sont diffusées dans divers secteurs d’activité
– agroalimentaire, e-commerce, etc. – et
transversalement partout, puisque les
 ÉTAT DES LIEUX

microtravailleurs aident au développement

de l’intelligence artificielle en étiquetant des
images ou en interprétant des bouts de
conversation pour entraîner les chatbots, ces
programmes conversationnels chargés
désormais de l’accueil du client sur les sites
Internet, du verdoyant chatbot Floofy de
Pôle emploi au désopilant OUIbot de la SNCF.
Pour autant, la fragmentation du travail
n’a pas ébranlé l’institution salariale sur le
marché du travail. D’un point de vue statis-
tique,laFrancedutravaileststable.Lecontrat
à durée indéterminée (CDI) est toujours la
norme, comme prévu par le code du travail.
Il représente la majorité des salariés. En
«2022,72,4%despersonnesenemploisontsoit
en CDI, soit fonctionnaires », déclare l’Insee.

LA QUESTION DU SENS
En revanche, le flux – autrement dit la
« circulation de l’emploi » – s’est accéléré :
toujours plus de contrats à durée détermi-
née (CDD) sur un même poste et davantage
de mobilité entre les secteurs d’activité. La
porte du marché de l’emploi s’ouvre mal-
heureusement toujours sur un contrat
court. Les entreprises recrutent très majo- Dès 2020, la crise sanitaire avait conduit
ritairement en CDD. Les contrats courts les actifs à s’interroger sur le sens de leur tra- LA PORTE DU MARCHÉ
peuvent se succéder longtemps avant vail. Le temps du confinement leur a offert DE L’EMPLOI S’OUVRE
d’intégrer une entreprise. Au dernier bilan un sas de réflexion. Ils ont pris un peu de
TOUJOURS SUR UN
CONTRAT COURT.
du ministère du travail, fin 2022, les décla- distance et pensé à ce qu’ils faisaient. Cuisi-
LES ENTREPRISES
rations d’embauche comptaient un peu niers, aides-soignants, employés de l’hôtel-
RECRUTENT EN
plus de 1 million de CDI, pour 2,5 millions lerie ont ainsi pris conscience de leur utilité
MAJORITÉEN CDD.
de CDD et plus de 4,4 millions de CDD très sociale mais aussi de leurs mauvaises condi-
courts, de moins d’un mois. Et ce quelles tions de travail non compensées par
que soient les difficultés de recrutement
qui ont explosé avec le Covid, alors même
que l’évolution démographique réduisait
la force de travail. « Les nouveaux entrants
sur le marché du travail seraient globale-
ment moins nombreux que les seniors le
quittant définitivement », signale le rapport
France Stratégie « Les métiers en 2030 »,
publié en janvier. Ce qui, dans les dix ans à
venir, aura un impact significatif dans les
métiers où les seniors sont nombreux,
comme les conducteurs de véhicule, pré-
cisent les experts du centre d’analyse.
D’ores et déjà, quête de sens, conditions
de travail, manque d’évolution profession-
nelle accroissent la circulation de l’emploi
et nourrissent les tensions sur le recrute-
ment. Des activités comme l’hôtellerie-
restauration ont vu fondre leurs effectifs,
tandis que les écoles de développeurs et
les masters « responsabilité sociétale des
entreprises » et « développement durable »
faisaient le plein de candidats à la réorien-
tation professionnelle. En 2023, un actif sur
deux envisage ou a commencé une recon-
version, annonçait fin mars le baromètre de
la formation et de l’emploi du Centre Inffo.

25
 la rémunération. Tandis que de
jeunes informaticiens ou des cadres com-
merciaux se sont posé des questions
d’éthique, de respect de l’environnement et
d’utilité de leur travail pour l’intérêt général.
LES EMPLOYEURS INQUIETS
S’en sont suivis des absences, des chan-
gements de secteur d’activité et une accélé-
ration du turnover. « Pendant le confine-
ment, j’ai pris conscience qu’en faisant des
objets en plastique pour le marketing j’aidais
juste à faire de jolis déchets », témoigne
Léa Toulet, 34 ans. Diplômée d’une école de
commerce à 24 ans, elle avait travaillé dans
de grands groupes de la grande distribution
puis au service marketing d’une agence de
communication jusqu’aux années Covid.
Les périodes de confinement ont accéléré sa
réflexion sur le sens de son travail, qui a
abouti à un bilan de compétences, suivi d’un
master et de son entrée en alternance chez
EcoTree. « J’avais besoin d’une entreprise avec
un modèle vraiment tourné vers le dévelop-
pement durable et un cadre de travail sain »,
dit-elle pour justifier son choix d’une start-
up spécialisée dans la gestion forestière.
Les entreprises qui affichent claire-
ment leurs objectifs environnementaux
26 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023
ont ainsi vu arriver de toute part des candi- pendants. Il y a dix ans, ils étaient 22,8 mil-
dats en quête de sens. « 95% de nos effectifs lions dans le privé, un peu moins de
sont des profils en quête de sens, venus de 5 millions dans la fonction publique et
la grande distribution, de la santé, du conseil moins de 3 millions d’indépendants.
ou de la banque », confirme Joséphine de Pas de révolution, donc, mais la France
Vannoise, la DRH d’EcoTree. compte davantage de fonc-
Le nombre de démis- tionnaires et un peu plus
LES ENTREPRISES
sions n’avait cessé de pro- QUI AFFICHENT d’indépendants. Ce qui a des
gresser à partir de 2021 CLAIREMENT conséquences importantes
jusqu’à atteindre 523 107 LEURS OBJECTIFS sur l’organisation du travail,
au premier trimestre 2022, EN MATIÈRE dans la mesure où ils se sont
soit 2,7 % des salariés du D’ENVIRONNEMENT invités dans les entreprises à
privé, le taux le plus élevé ONT VU ARRIVER la faveur de la fragmentation
depu is 2008. Et les DES CANDIDATS de l’activité et de l’installa-
employeurs, ne trouvant EN QUÊTE DE SENS. tion pérenne du télétravail
plus de candidats à recruter, dans les collectifs.
ont commencé à s’inquiéter Il y avait bien jusque-là
de l’arrivée d’un phénomène de Great quelques sous-traitants indépendants à la
Resignation (« grande démission »), qui n’a périphérie des PME ou à la marge dans les
finalement pas eu l’ampleur de ce qu’ont fonctions transverses (informatique, res-
connu les Etats-Unis après le Covid. sources humaines, marketing) des grands
Les grands équilibres de répartition groupes. Mais, avec l’essor des slasheurs, de
des travailleurs entre le salariat et les indé- l’autoentrepreneuriat et du télétravail, ils
pendants, d’une part, et entre les secteurs représentent désormais une part significa-
public et privé, d’autre part, n’ont pas été tive des équipes.
bouleversés non plus. Les actifs en emploi
sont toujours majoritairement des salariés UNE ÉQUIPE D’INDÉPENDANTS
du secteur privé : 20,7 millions, pour 5,7 mil- Chez Mazars, par exemple, dans cer-
lions dans le public et 4,1 millions d’indé- tains métiers, une part stable de l’équipe est
uniquement constituée d’indépendants.
« Ils représentent 10% des collaborateurs des
ressources humaines et pourraient investir
toutes les prestations intellectuelles. J’ai la
mission d’acculturer en interne pour intro-
duire le statut d’indépendant dans la produc-
tion », explique la DRH Mathilde Le Coz, qui
reconnaît toutefois avoir « fixé un ratio
maximal de 10% à 15%, car l’idée n’est pas de
remplacer les salariés par des free-lances
mais d’accéder à des compétences dont on
n’a pas besoin tout le temps, à d’autres
qu’on ne pourrait pas s’offrir autrement, et
de pourvoir les postes pénuriques ».
Mais comment gérer une équipe avec
des salariés qui devraient être totalement
disponibles et des free-lances accessibles
uniquement sur leur temps de mission, ou
l’inverse ? La coopération entre actifs aux
conditions de travail différentes sur un
même poste est difficile, sans compter les
problèmes de confidentialité et de concur-
rence. « Aujourd’hui, on a besoin des free-
lances pour faire avancer l’activité dans les
entreprises. La cohésion d’équipe est possible
en ayant un objectif de résultat et en étant
très strict sur le cadre », assure Mathilde Le
Coz. Au nom de la flexibilité, de la liberté de
gérer son temps ou de refuser un projet,
cette montée en charge des indépendants
dans les entreprises, y compris les PME,
annonce aussi un bouleversement durable
des relations de travail. •
ÉTAT DES LIEUX

27
 INÉGALITÉS ET PAUVRETÉ : DES TAUX QUI ÉVOLUENT PEU
Revenus, salaires, patrimoine, études, femmes-hommes… Les inégalités économiques et sociales subsistent.
Quant au taux de pauvreté, qui avait fortement reculé durant les années 1970 et 1980, il a très peu varié
depuis les années 2000. La moitié des pauvres ont aujourd’hui moins de 30 ans.

28 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

ÉTAT DES LIEUX

29
 ÉDUCATION : CONVENABLE, MAIS PEUT MIEUX FAIRE
Si la chronique de l’école française est souvent réduite à une suite de mauvaises nouvelles, on peut en trouver
quelques-unes de «bonnes». Ainsi, l’éducation est classée très légèrement au-dessus de la moyenne
des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) au test PISA
évaluant l’acquisition de savoirs essentiels. Néanmoins, l’enseignement peine à compenser
les inégalités de naissance, et le nombre d’élèves par classe reste élevé.

30 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

ÉTAT DES LIEUX

31
 LES 18-24 ANS, UNE GÉNÉRATION EN QUÊTE DE SENS
MAIS PEU POLITISÉE
S’ils sont mobilisés dans la défense d’une cause ou au sein d’une association, les jeunes adultes
ne se reconnaissent aucune proximité avec un parti ou une tendance politique. Ils sont de plus en plus
nombreux à se montrer très critiques envers des élus par lesquels ils se sentent ignorés.

32 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

ÉTAT DES LIEUX

33
 LA FRANCE, PUISSANCE DIPLOMATIQUE ET MILITAIRE
Membre permanent du Conseil de sécurité à l’ONU et puissance nucléaire, la France déploie dans le monde
un dispositif stratégique sur les cinq continents et use d’une capacité d’influence majeure en matière de ventes
d’armes. Ses opérations militaires extérieures et ses bases permanentes, ainsi que des missions maritimes, se
trouvent essentiellement sur un arc qui s’étend de la péninsule Arabique à la côte Atlantique du continent africain.

34 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

ÉTAT DES LIEUX

35
 LA RÉSILIENCE INATTENDUE DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Rien ne nous aura été épargné : pandémie de Covid-19, pénuries de composants, flambée des prix
de l’énergie, guerre en Ukraine, inflation, crise sociale et politique. Malgré cela, le pays ne sombre pas
et continue de créer de l’emploi. Les faiblesses structurelles perdurent néanmoins,
à commencer par la compétitivité.
F
luctuat nec mergitur. L’économie
française pourrait faire sienne
la devise de Paris en cette
année 2023. Battu par les flots
des crises successives depuis
trois ans, le pays ne sombre pas.
Comme si elle ne voulait pas se résoudre au
déclin que promettent les Cassandre depuis
des décennies, la France fait preuve d’une
résilience inattendue, même si ses faiblesses
structurelles persistent et, pour certaines
d’entre elles, se sont aggravées. Sous les
pavés des blocages liés à la réforme contestée
des retraites, beaucoup d’indicateurs écono-
miques restent bien orientés.
Comme le confie au Monde le patron
d’une grande banque d’affaires, « l’idée que
la situation peut tourner à la catastrophe n’est
dans aucune tête chez les investisseurs. Pour
eux, c’est une crise à la française, comme le
36 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023
PAR STÉPHANE LAUER
pays en a connu d’autres ». Le juge de paix mais, quoi qu’en pensent les sceptiques, la
pour les marchés financiers, c’est le fameux proportion de Français en emploi n’a jamais
« spread », l’écart de rendement entre été aussi élevée. Selon la « photographie
l’emprunt d’Etat français à dix ans et son du marché du travail en 2022 » publiée par
équivalent allemand. Et, sur l’Insee, 68,1% des personnes
ce plan, c’est le calme plat. âgées de 15 à 64 ans occupent
Pourtant, rien n’aura LE FAIT QUE LE un poste. Du jamais-vu
été épargné à l’économie THÈME DE L’EMPLOI depuis 1975, date à laquelle
française : crise pandé- AIT QUASIMENT l’organisme de statistiques
mique, pénuries de compo- DISPARU DU DÉBAT a commencé à mesurer cette
sants perturbant la produc- PUBLIC CONSTITUE donnée. Pour la septième
tion, flambée des prix de UN BON INDICATEUR année d’affilée, le taux de
l’énergie, guerre en Ukraine, DE L’AMÉLIORATION chômage diminue, pour
inflation, remontée des taux DE LA SITUATION. s’établir à 7,3% en moyenne
d’intérêt et maintenant crise annuelle en 2022, soit
sociale et politique. Malgré 3 points de moins qu’en 2015.
ces tumultes, la France continue à créer de L’inversion de la courbe du chômage chère à
l’emploi, contre toute attente. François Hollande ne tient plus de l’incanta-
Le pays du chômage de masse aurait-il tion, c’est désormais une réalité.
commencé sa mue? Trop tôt pour le dire
L’EFFET DU « QUOI QU’IL EN COÛTE »
L’amélioration est aussi bien quantita-
tive que qualitative. Globalement, la préca-
rité recule, en matière de contrat de travail
comme de temps de travail. Les embauches
en contrat à durée indéterminée ont aug-
menté de plus de 20% par rapport au niveau
de la fin 2019. Le nombre de salariés à temps
complet n’a jamais été aussi élevé (57%), et
la part des jeunes de 15 à 29 ans qui ne sont
ni en emploi ni en formation diminue.
Même si la France compte encore trois
millions de chômeurs, le fait que le thème
de l’emploi ait quasiment disparu du débat
public constitue un bon indicateur de
l’amélioration de la situation.
Cette embellie a de quoi surprendre
les économistes dans la mesure où elle est
partiellement décorrélée du rythme de la
croissance. Alors que l’emploi salarié se situe
5,6 % au-dessus de son niveau de 2019,
l’activité, elle, n’a progressé que de 1,2% en
trois ans. Même si la France fait mieux que
l’Allemagne, qui, sur la même période, est à
zéro, ou même que l’Espagne, qui est à
– 0,9%, ce rythme n’est a priori pas suffisant
pour générer autant de créations d’emplois.
Pour Denis Ferrand, directeur général
del’institutd’étudeséconomiquesRexecode,
ce décalage reflète un « effet chloroforme » du
« quoi qu’il en coûte » déployé par
ÉTAT DES LIEUX

37
 ÉTAT DES LIEUX

les pouvoirs publics pour amortir le

choc de la crise pandémique. « Grâce au sou-
tien de l’Etat, les entreprises n’ont pas eu de
contraintes de liquidité. Malgré le ralentisse-
ment de l’activité, il n’y a pas eu d’injonction
mécanique à réduire leur personnel »,
explique-t-il, ajoutant que les tensions sur le
marché du travail ont incité à faire de la
rétention de leurs effectifs. De peur de ne pas
retrouver les compétences dont elles ont
besoin pour accompagner le redémarrage de
l’économie, les entreprises non seulement
n’ont pas licencié, mais pour beaucoup ont
continué à recruter.
Même si la reprise s’essouffle par rap-
port au fort rebond observé après la crise du
Covid, les indicateurs de l’économie fran-
çaise restent bien orientés dans l’ensemble,
qu’il s’agisse du moral des chefs d’entre-
prise, des besoins de recrutement ou des
investissements. « Les carnets de com-
mandes sont pleins à craquer », note Eric
Heyer, directeur du département Analyse
et prévision de l’Observatoire français des
conjonctures économiques (OFCE). Avant la
crise, ceux-ci représentaient en moyenne
trois mois de production, aujourd’hui c’est
plus du double! « Le problème n’est pas de
vendre, mais de produire, constate M. Heyer.
Les difficultés pour s’approvisionner en
composants et attirer les compétences sont
devenues les préoccupations majeures des
chefs d’entreprise. » L’économie française,
qui aurait dû détruire de l’emploi sur la
période, continue d’en créer.

LA CRAINTE DES PÉNURIES

Au-delà d’un effet rattrapage post-Covid
pour reconstituer les stocks, ces carnets de
commandes bien remplis reflètent un chan-
gement profond de comportement de la part
des entreprises. Echaudées par les pénuries
pendant la pandémie, elles renoncent à la
stratégie zéro stock et préfèrent se constituer
un matelas de sécurité, quitte à ce que celui-
ci pèse davantage sur leurs coûts.
L’optimisme est également de mise
concernant les investissements. La transi-
tion écologique constitue l’un des moteurs
de cette dynamique, notamment dans les
PME. Avant la crise, seul un chef d’entreprise
sur cinq déclarait investir pour des raisons
liées à l’environnement. La proportion
dépasse aujourd’hui les 40 %, selon les
chiffres de Rexecode. L’équipement en
logiciels, qui permet d’optimiser l’outil de
production pour le rendre moins énergivore,
est ainsi en forte augmentation.
Si l’embellie de l’emploi constitue une
bonne surprise, il y a un revers à la
médaille avec une chute de la productivité.
Celle-ci s’explique par trois facteurs.

38 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

D’abord, la durée du travail moyenne n’est
pas revenue à son niveau d’avant la crise.
Ensuite, l’explosion du nombre d’apprentis
joue un rôle non négligeable. Sur le plan
statistique, ces jeunes comptent comme
un salarié embauché, alors qu’ils ne
passent que la moitié du temps dans l’en-
treprise, l’autre moitié étant consacrée à
leurs études. Enfin, le « quoi qu’il en coûte »
a permis à des entreprises « zombies » de
survivre, alors que sans les aides elles
auraient dû mettre la clé sous la porte. Par
ailleurs, même pour les sociétés viables, le
soutien public leur a permis de continuer
à embaucher, alors que leur carnet de com-
mandes ne le justifiait pas forcément.
On le voit, l’impact conjoncturel sur
l’économie française reste très puissant.
Difficile dans ce contexte de tirer des
conclusions définitives sur un phénomène
de croissance riche en emploi, ou sur une
baisse durable de la productivité. « Les chocs
ont été assez violents, et il faut maintenant
attendre que la poussière retombe pour se
faire une idée sur les fondamentaux de l’éco-
nomie française et les effets réels de la poli-
tique de l’offre menée par le gouvernement »,
estime Eric Heyer.
LES RÉSULTATS SE FONT ATTENDRE
Pour autant, les faiblesses structurelles
de l’économie française n’ont pas disparu
avec la crise. Le point noir reste la compétiti-
vité. Les chiffres d’attractivité du sol français
savamment distillés par le gouvernement ne
reflètent qu’une partie de la réalité. Certes, le
nombre de projets d’investissements étran-
gers a augmenté de 70% depuis 2014, selon
Business France, mais le nombre d’emplois
associés à chacun d’entre eux est en
moyenne beaucoup plus faible que celui qui
a été constaté chez nos voisins. Et quand
les grands industriels, comme Tesla ou les
fabricants de microprocesseurs, décident gamme. Résultat, ses parts de marché au
de miser sur l’Europe, ils se tournent plus niveau mondial ont été divisées par deux,
volontiers vers l’Allemagne. pour tomber à 2,5 %, tandis qu’au niveau
Par ailleurs, ces vingt dernières années, européen elles ont reculé de 5 points.
le flux entrant d’investissements directs « Le vrai sujet, c’est l’attrition progressive
étrangers est resté très inférieur au flux du tissu industriel », estime Denis Ferrand.
sortant. La façon de regarder positivement le Depuis 2009, 2 500 usines ont disparu.
phénomène pourrait consister à se réjouir Même si l’hémorragie a été stoppée et que la
quenosentreprisespartentà France recommence à créer
laconquêtedemarchésexté- de l’emploi dans le secteur,
LE PAYS NE CRÉE PAS
rieurs. Mais il y aurait davan- SUFFISAMMENT l’empreinte industrielle a
tagedemotifsdesatisfaction DE RICHESSES tellement reculé que les
à constater que les entre- PAR RAPPORT c apac ités de rebond
prises utilisent le territoire À SES BESOINS deviennent extrêmement
français comme base d’ex- DE CONSOMMATION limitées. L’exemple de la
portation. Or, à ce stade, les ET DE FINANCEMENT recherche et développement
conditions de production ne DE SON MODÈLE (R&D) est parlant : la France
le permettent qu’à la marge. SOCIAL. ne fait pas proportionnelle-
Au détour des ment moins que l’Alle-
années 2000, l’économie magne, mais elle le fait sur
française était encore exportatrice nette. un périmètre plus étroit et ne dispose pas
Aujourd’hui, elle accuse un déficit commer- ainsi du même effet de levier.
cial gigantesque dans une zone euro qui est Derrière la résilience dont la France fait
largement excédentaire. Malgré des initia- preuve face aux chocs qu’elle vient de
tives comme le crédit d’impôt pour la connaître, reste un problème de fond : celui
compétitivité et l’emploi (CICE), les résultats d’un pays qui ne crée pas suffisamment de
se font attendre, car, parallèlement, nos richesses par rapport à ses besoins de
concurrents européens ont déployé leurs consommation et de financement de son
propres dispositifs, et les pays exportateurs modèle social. Lestée par près de 3000 mil-
font tout pour maintenir leurs excédents. liards d’euros de dettes, soit plus de 111% de
Dans ce jeu à somme nulle (les excédents des son PIB, en déficit budgétaire depuis près de
unsfontlesdéficitsdesautres),laFranceappa- cinquante ans, la France décroche. Alors
raît comme la grande perdante. que le PIB par habitant était équivalent à
celui de l’Allemagne il y a quinze ans, l’écart
UN TISSU INDUSTRIEL APPAUVRI est aujourd’hui de 15 points. Or, la richesse
La fameuse boutade sur la compétiti- ne se décrète pas, elle dépend essentielle-
vité française, selon laquelle le « made in ment des gains de productivité des entre-
France » c’est une qualité espagnole vendue prises, qui eux-mêmes découlent du pro-
à des prix allemands, reste caricaturale. grès technique, de l’élévation des
Mais en se spécialisant sur des gammes compétences et de l’augmentation du taux
intermédiaires, la France SA a fini par perdre d’activité de la population. Si la France veut
pied sur des marchés qui privilégient de plus continuer de rester à flot, c’est sur ces trois
en plus l’entrée de gamme ou le haut de leviers qu’elle doit agir. •
39
 ÉNERGIES : UNE RELANCE DU NUCLÉAIRE
La France, qui tire du nucléaire environ 70% de son électricité, avait décidé en 2015
la fermeture de quatorze de ses cinquante-huit réacteurs, avant un revirement annoncé
par Emmanuel Macron en 2022 en faveur d’un nouveau nucléaire. Le pays accuse en outre
un retard sur la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie.

40 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

ÉTAT DES LIEUX

41
 LES TRANSPORTS, PREMIER SECTEUR ÉMETTEUR
DE GAZ À EFFET DE SERRE
L’empreinte carbone moyenne des Français s’établit à près de 10 tonnes, alors qu’il faudrait la diviser par cinq
pour limiter le changement climatique. La voiture, incontournable pour beaucoup de Français,
émet à elle seule plus de 2 tonnes.

42 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

ÉTAT DES LIEUX

43
 UN CHANGEMENT CLIMATIQUE SANS RETOUR
Canicules, sécheresses, incendies et orages… En France, l’été 2022 fut celui de tous les dangers, préfigurant
notre avenir sous l’effet du dérèglement climatique. L’artificialisation des sols renforce et accélère les effets
de ce phénomène. En 2020, le pays s’était déjà réchauffé de 1,7 °C depuis 1930, une valeur supérieure
à la hausse des températures à l’échelle globale, qui s’élève à 1,2 °C par rapport à l’ère préindustrielle.

44 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

ÉTAT DES LIEUX

45
 DES PEINES DE PRISON DE PLUS EN PLUS SÉVÈRES
Contrairement aux idées reçues, la tendance n’est pas au laxisme. Non seulement le nombre de personnes
maintenues en prison ou sous bracelet électronique a doublé en quarante ans, mais la durée moyenne
de détention s’allonge. La tendance est significative pour les peines prononcées par la cour d’assises.
L’explosion des atteintes aux personnes est remarquable.

46 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

ÉTAT DES LIEUX

47
 AGRICULTURE : UN NOUVEAU MODÈLE À REPENSER
La France tient la première place en production et surface agricoles en Europe. Mais l’évolution
démographique d’une profession en déclin et le réchauffement des températures contraignent le monde
paysan à se réinventer. Le secteur agricole est en effet à la fois acteur et victime du changement climatique.

48 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

ÉTAT DES LIEUX

49
 RÉGIONS

EMPLOI – Marignane
(Bouches-du-Rhône),
LAURENT COUST / COLLECTIF DR

14 janvier 2022. Airbus

Helicopters évalue à deux
mille le nombre d’emplois
sauvegardés pour une durée
de quinze ans grâce
aux commandes reçues
du gouvernement français
de 169 appareils H160, dits
«Guépard». Dans l’usine, des
écrans diffusent des images
des missions qui pourront
être accomplies par le H160.
 ÉTAT-COLLECTIVITÉS TERRITORIALES : DÉPASSER
LES RELATIONS DE DÉFIANCE
Si le champ de compétences des départements et des régions a été élargi, les marges
de manœuvre des territoires restent limitées. Au fil des réformes, ne sachant pour qui ils votent,
pour quelles raisons, ni quelle est l’utilité des élus locaux et de leurs administrations, une grande
partie des électeurs s’en sont désintéressés. Le lien territorial est alors à réinventer.
PAR PATRICK ROGER
E
n 2015, le président de la République, François
Hollande, son gouvernement et la majorité
parlementaire de gauche procédaient à un
redécoupage des régions métropolitaines,
faisant passer leur nombre de vingt-deux
à treize. L’objectif affiché était d’alléger le
« millefeuille territorial » – régions, départe-
ments, métropoles, intercommunalités, communes –, de
conférer aux régions une taille critique leur permettant
de se confronter à la concurrence de leurs homologues
européennes et de réaliser des économies de gestion.
Huit ans plus tard, qu’en est-il des ambitions assignées
à ce nouveau paysage régional ? Imposée à l’emporte-pièce,
bricolée sur un coin de table sans que les élus locaux aient
eu leur mot à dire ou presque et sans que ce processus fasse
consensus, cette réforme n’a pas
constitué le point de départ congruent
pour affermir la légitimité politique
LES RÉGIONS SONT des régions. Si elle n’a pas permis de
générer de spectaculaires économies
DE TOUTE ÉVIDENCE
budgétaires, les fusions ont cepen-
L’ÉCHELON SUR LEQUEL dant accéléré la modernisation de
L’ÉTAT DEVRAIT leurs administrations et une régéné-
PRIORITAIREMENT ration de leurs politiques d’interven-
PRENDRE APPUI. tion. Mais cela vaut aussi pour celles
qui n’ont pas changé de périmètre.
Dans son rapport public annuel
2023, dressant un bilan de la décentra-
lisation quarante ans après les lois Defferre de 1982 et 1983,
la Cour des comptes considère que « la réforme a mis l’ac-
cent sur l’extension géographique des régions plutôt que sur
le renforcement de leurs compétences ». Certes, leur champ
de compétences a bien été étendu par la loi Maptam du
27 janvier 2014 et la loi NOTRe du 7 août 2015. Développe-
ment économique, aménagement du territoire, dévelop-
pement durable, gestion des déchets, formation et trans-
ports interurbains et scolaires : dans tous ces domaines,
les régions se sont vu confier un rôle stratégique de pro-
grammation. Néanmoins, leurs marges de manœuvre et
d’investissement restent limitées, fortement contraintes
par les contrats de plan Etat-région, qui lient les deux par-
tenaires dans la mise en œuvre de projets structurants.
Malgré les regroupements et l’extension de leur péri-
mètre, ces régions n’en demeurent pas moins des «nains»
politiques et économiques comparées à leurs voisines. Ainsi
la région Ile-de-France, avec ses 12,3 millions d’habitants
et un produit intérieur brut (PIB) de 710 milliards d’euros,
52 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023
dispose-t-elle d’un budget de 5 milliards d’euros quand
le Land de Bavière, à population équivalente et avec un PIB
de 610 milliards d’euros, gère un budget huit fois supérieur.
De même, quand la région Auvergne-Rhône-Alpes et ses
8 millions d’habitants, pour un PIB de 270 milliards d’euros,
s’est dotée d’un budget de 4,7 milliards d’euros, la Lombar-
die, 10 millions d’habitants et un PIB de 381 milliards
d’euros, est en mesure d’engager 36,8 milliards d’euros
de dépenses. Le parallèle vaut également pour l’Occitanie
et la Catalogne, dans des proportions similaires.
UN AFFAIBLISSEMENT DES SERVICES DE L’ÉTAT
« La force des régions allemandes, espagnoles et ita-
liennes ne découle pas tant de leurs dimensions géogra-
phiques et de leur poids démographique que de la combinai-
son de compétences étendues, de ressources fortes et d’un
ancrage historique et politique qui constitue un élément
essentiel de leur légitimité », constate la Cour, plaidant pour
une poursuite de la rationalisation des compétences exer-
cées par l’Etat et les régions. Ces dernières, estime-t-elle,
doivent être en capacité de conforter et d’étendre leur
champ d’intervention, notamment dans le domaine éco-
nomique. Il reste cependant un profond décalage entre
la responsabilité institutionnelle qu’elles revendiquent
et la réalité des leviers d’action dont elles disposent.
De fait, le système français fonctionne toujours sur le
principe d’une administration territoriale de la Répu-
blique assurée conjointement par les collectivités territo-
riales et les services déconcentrés de l’Etat. Décentralisa-
tion et déconcentration sont censées aller de pair, mais en
tenant d’une main plus ou moins ferme la première tandis
que la seconde s’appauvrit. L’Etat se déleste d’une partie
des missions qu’il ne peut plus ou ne veut plus exercer
mais ne renonce jamais tout à fait à en assurer un copilo-
tage et à en contrôler les leviers financiers.
Il n’entre pas dans l’imaginaire français, contraire-
ment à la plupart des pays européens, de confier à des enti-
tés territoriales des pans entiers des politiques publiques,
au motif que c’est à l’Etat de garantir l’égalité sur l’ensemble
du territoire. C’est l’héritage persistant d’un Etat centralisé
– même si, en 2003, a été inscrit dans la Constitution
le principe d’une organisation décentralisée de la Répu-
blique – et d’une tradition jacobine.
Parallèlement, les réformes successives de l’administra-
tion territoriale de l’Etat engagées depuis 2010, notamment
dans le cadre de la révision générale des politiques publiques
(RGPP), ont profondément désorganisé et affaibli les services

de l’Etat, voire entraîné la disparition de certains d’entre eux.
En dix ans, près de 18000 équivalents temps plein ont été
supprimés dans l’administration territoriale de l’Etat, soit
un septième des effectifs initiaux des services concernés
(préfectures, directions départementales et régionales). Ce
n’est qu’en 2022, après la crise des « gilets jaunes », que, pour
la première fois depuis dix ans, ces emplois ont été stabilisés.
UNE IMPRESSION DE DÉCLASSEMENT
Lasuppressiondeplusieursdizainesdesous-préfectures
au cours de la dernière décennie – même si le mouvement
inverse a été timidement amorcé avec la réouverture,
début 2023, de six d’entre elles – est pour les populations de
ces territoires aussi symbolique de leur «déclassement» que
la fermeture de services publics est synonyme à leurs yeux
d’« abandon de l’Etat ». « A la recherche de l’Etat dans les ter-
ritoires », titrait un sévère rapport du Sénat publié en sep-
tembre 2022, soulignant que « l’offre d’Etat répond mal, voire
pasdutout,auxbesoinsdescollectivitésterritoriales».Comme
si les deux étaient antagonistes, comme si les unes étaient
simples quémandeuses et l’autre avaricieux maquignon.
Or, au-delà des postures et des chicayas, une réalité
s’impose : face à la multiplication des crises, aux incerti-
tudes qu’elles engendrent, aux défis immenses qu’im-
posent les transitions énergétiques et écologiques, les
changements de modèle de production, l’aménagement
du territoire et de l’urbanisme, la réduction des inégalités
et des fractures sociales et territoriales, Etat et collectivités
sont condamnés à s’entendre pour penser ensemble et agir
de concert. Telle est la condition d’une action publique
efficace qui s’inscrive dans la durée. Par leur taille, leur
poids économique et les compétences qui sont les leurs,
les régions sont de toute évidence l’échelon sur lequel l’Etat
devrait prioritairement prendre appui.
Le problème est que, à de rares exceptions près comme
la Bretagne, la Corse ou l’Alsace – qui, ayant perdu son statut
de région, a obtenu celui de Collectivité européenne d’Alsace
au sein de la région Grand-Est –, les régions se cherchent une
identité et que l’institution régionale peine à s’affirmer. La
création des « grandes régions » en 2015 n’y a pas aidé,
contraignant les exécutifs à se consacrer à des réorganisa-
tions fonctionnelles sans parvenir toujours à dépasser les
antagonismes hérités de l’histoire. Dans le même temps, ces
nouvelles entités, parfois pléthoriques, étaient suspectées
à la fois de vouloir exercer leur tutelle sur les autres échelons
administratifs – à commencer par les départements – et
d’éloigner les habitants des centres de décision.
L’ÉCHEC DES CONFÉRENCES TERRITORIALES
Au dépassement des relations de méfiance entre l’Etat
et les collectivités, il convient en effet d’ajouter l’urgente
nécessité de développer les complémentarités et les coopé-
rations entre les collectivités elles-mêmes, qui ont encore
par trop tendance à se « tirer la bourre ». La loiNOTRe a certes
confié à chaque région l’élaboration d’un schéma régional
d’aménagement, de développement durable et d’égalité des
territoires (Sraddet), qui doit être approuvé par le préfet de
région.Enmêmetempsqu’étaitainsiaffirmélerôleprescrip-
teur des régions en matière d’aménagement des territoires,
cet outil puissant était censé renforcer la cohésion des terri-
toires. Face au phénomène de métropolisation et de concen-
tration des richesses – et des décisions – dans ces territoires
RÉGIONS
urbains,ils’agissaitd’engagerunedémarchedeplanification
qui prenne en compte les besoins, les attentes et les atouts
de l’ensemble des maillons de l’armature territoriale, de faci-
liter les coopérations et de répartir les ressources. Pour ce
faire, avait été instituée par la loi Maptam, dans chaque
région, une conférence territoriale de l’action publique
(CTAP). Celle-ci est présidée par le président du conseil régio-
naletrassemblelesprésidentsdesconseilsdépartementaux,
lesprésidentsdesintercommunalitésdeplusde30000habi-
tants, un représentant des intercommunalités de moins
de 30000 habitants dans chaque département et un repré-
sentant élu pour chaque catégorie de communes (moins
de 3 500 habitants ; entre 3 500 et
30000 habitants ; plus de 30000 habi-
tants) dans chaque département. Le
tout en présence du préfet de région. À DÉFAUT D’ÉLAGUER
Forceestdeconstaterque,àderares
LE « MILLEFEUILLE
exceptionsprès,commeenBretagne,les
CTAPnefonctionnentpasetquel’élabo- TERRITORIAL », LE
ration des schémas se heurte à de mul- CONSEILLER TERRITORIAL
tiples entraves, qui ne sont pas le fait de POURRAIT-IL CONSTITUER
l’Etatmaisquirésultentbiensouventde UNE PISTE ?
l’insuffisance de concertation entre les
acteurs territoriaux et de leurs difficul-
tés à s’accorder. Dans une société mar-
quée par l’exacerbation des tensions contre les inégalités
socialesetterritoriales,lescitoyens,eux,ayantdeplusenplus
de mal à s’y retrouver dans cette superposition de structures
et de pouvoirs de décision, s’en détachent inexorablement.
L’ENCHEVÊTREMENT DES COMPÉTENCES
Ainsi, lors des dernières élections régionales et dépar-
tementales, qui se sont tenues simultanément en juin 2021,
un tiers à peine des électeurs se sont déplacés, au premier
comme au second tour. Aujourd’hui, il s’agit de remettre
de l’intelligibilité dans l’administration des pouvoirs
locaux. L’enchevêtrement des compétences est quasi inac-
cessible pour le commun des mortels. Alors, à défaut d’éla-
guer le « millefeuille territorial », si souvent décrié et
jamais allégé, le conseiller territorial – un même élu sié-
geant à la fois au conseil départemental et au conseil régio-
nal – pourrait-il constituer une piste?
Celle-ci avait été ouverte par Nicolas Sarkozy mais refer-
mée par François Hollande. Emmanuel Macron l’a de nou-
veauévoquéependantsacampagneélectoraleenmars2022,
sans que cela soit suivi d’effet. Cela ne suffira certes pas à
rétablir une relation de confiance entre les citoyens et leur
représentation politique, qui s’est profondément dégradée.
A cette désaffection, il n’existe pas de remède miracle.
Cependant, en même temps que le lien territorial, à
l’échelle des bassins de vie, doit se réinventer pour que
les citoyens puissent se sentir réellement concernés, les
régions peuvent s’affirmer comme l’élément-clé d’un par-
tenariat revigoré – celui-ci consisterait d’abord à définir un
développement cohérent, durable et équilibré des terri-
toires. Elles devraient se positionner comme les princi-
paux leviers de mise en œuvre des politiques publiques.
Non pas comme de simples commis de l’Etat, mais en
promouvant leur adaptation à la réalité des territoires, en
facilitant les coopérations et les convergences entre les
différents échelons. Alors, peut-être, pourra-t-on parler
d’une « nouvelle étape de décentralisation ». •
53
 DES HAUTS-DE-FRANCE RÉSILIENTS
Région frontalière avec la Belgique, au carrefour des grands axes de transports avec le nord de l’Europe,
les Hauts-de-France misent sur leur position géographique stratégique pour attirer les entreprises.
A l’exception des bassins d’emploi de Lille et d’Arras, la région est marquée par son histoire
et par son tissu industriel en lente reconversion. Sa population est confrontée à une situation difficile
en matière de chômage, de pauvreté et d’inclusion sociale.

54 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

RÉGIONS

55
 LA NORMANDIE, ENTRE TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
ET PRODUITS LAITIERS
A la pointe du nucléaire et des hydrocarbures, la région tente également de développer sa filière énergies
renouvelables, enjeu économique majeur, avec l’éolien en mer. Côté terre, moins dynamique,
la Normandie est cependant la première productrice de fromages au lait de vache, de beurre et de crème,
et l’industrie laitière représente un quart des emplois de l’agro-industrie.

56 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

RÉGIONS

57
 EN ÎLE-DE-FRANCE, LE GRAND ÉCART DES REVENUS
ET DE LA QUALITÉ DE VIE
Un Français sur cinq vit en Ile-de-France. A eux seuls, Paris et ses départements limitrophes produisent près
d’un tiers du PIB français. C’est la région la plus riche, où se concentrent les ménages les plus aisés du pays.
Mais de nombreuses poches de pauvreté contrastent avec la prospérité économique de la région.
Néanmoins, dans les préoccupations des habitants, l’insécurité passe avant les inégalités
et la pollution de l’air.

58 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

RÉGIONS

59
 LE GRAND-EST, UNE RÉGION FRONTALIÈRE TOURNÉE VERS L’EUROPE
Proche de la capitale et rapidement accessible en TGV, la région profite de l’influence du Bassin parisien :
pas moins de 11000 actifs travaillent en Ile-de-France. Etendue sur plus de 700 kilomètres,
la zone frontalière concentre de nombreuses activités dynamiques et de fortes densités d’habitants.
A contrario, le centre de la région souffre d’une forte baisse de la démographie.

60 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

RÉGIONS

61
 BRETAGNE : LA « RUÉE VERS L’OUEST »
FAIT FLAMBER LES PRIX DU FONCIER
C’est l’un des revers de l’attractivité bretonne, notamment depuis la crise sanitaire due au Covid :
dans les grandes villes et près des côtes, ainsi que dans certaines zones rurales, les prix de l’immobilier
augmentent, accentuant les difficultés d’accession à la propriété, et même au logement, des moins aisés.
Mais si la région jouit d’un dynamisme favorable, le taux de pauvreté dans certaines zones
est supérieur à la moyenne nationale.

62 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

RÉGIONS

63

« La France est un pays qui va bien dont les habitants se sentent mal », observe Hervé Le Bras. Pourtant,
le sentiment de vivre dans un pays déclassé gagne les Français. Une impression d’insécurité économique
qui paraît avoir dépassé la question de l’immigration chez les électeurs du Rassemblement national.
HERVÉ LE BRAS
Historien, démographe,
directeur d’études à l’Ecole
des hautes études en
sciences sociales (EHESS)
et chercheur émérite à
l’Institut national d’études
démographiques (INED).
Il est l’auteur de nombreux
ouvrages, dont Se sentir mal
dans une France qui va bien.
La société paradoxale
(Editions de l’Aube, 2019),
Métamorphose du monde
rural. Agriculture et
agriculteurs dans la France
actuelle, avec Bertrand
Schmitt (Editions Quæ,
2020), Il n’y a pas de grand
remplacement (Grasset,
2022) et Tableau historique
de la France. La formation
des courants politiques de
1789 à nos jours (Seuil, 2022).
64 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023
RÉGIONS
ENTRETIEN AVEC HERVÉ LE BRAS
« LA FRANCE RESTE UN DES PAYS LES PLUS ÉGALITAIRES »
PROPOS RECUEILLIS PAR MICHEL LEFEBVRE ET PATRICK ROGER
Qu’est-ce qui a changé dans le paysage politique
et social français au cours des cinq dernières années?
Si l’on regarde le vote Macron de 2022 par rapport à
celui de 2017, il est certain qu’il s’est droitisé. Il a récupéré
la clientèle âgée, qu’il a prise à Valérie Pécresse. La retraite
à 65 ans, qu’il a mise au centre de sa campagne, en est un
symbole. Quitte à contredire la retraite à points qu’il
défendait lors de son premier quinquennat, mais il n’est
pas à une contradiction près. S’il a gagné à droite, Emma-
nuel Macron a perdu dans les bastions traditionnels de la
gauche. Finalement, ses gros scores se concentrent dans
les grandes villes, bien sûr, mais aussi dans un Grand Ouest
qui était très à droite, qui va de la Manche jusqu’au sud de
la Vendée. Cependant, ce qui est intéressant à noter, lors
des mobilisations contre la réforme des retraites, c’est que
les manifestations ont été très importantes dans toute
cette partie ouest. C’est particulièrement net pour la
grosse manifestation du 17 mars.
Qu’est-ce que cela traduit?
Je pense que ce qui est en train de se jouer, et on le voit
particulièrement dans cet ensemble du Grand Ouest, c’est
une perte de confiance des électeurs de centre droit, style
MoDem, qui ont une fibre sociale et sont décontenancés par
la manière dont cette affaire des retraites a été gérée. Or,
en 2017, quand on combinait commune par commune le
vote pour François Bayrou en 2012 et la moitié de celui pour
François Hollande, on obtenait le vote Macron. Il y a une
carte qui recoupe ces données électorales, c’est celle des
agriculteurs en 1968, un quart de siècle plus tôt, et je ne
pense pas que ce soit une coïncidence. En effet, dans ces
régions-là, il y a eu de l’ascension sociale : ceux dont les
parents, les grands-parents étaient des paysans pauvres
sont actuellement cadres moyens, ouvriers techniciens.
Ils ont donc une vision positive de la société. Ce qui n’est
pas le cas dans les régions du Nord-Est, qui perçoivent
beaucoup plus fortement le sentiment de déclassement.
Que va faire cet électorat qui s’était porté sur Macron?
Est-ce qu’il reviendra à droite, comme cela avait longtemps
été le cas avant de passer à la gauche? Mais, en tout état
de cause, c’est une gauche non mélenchonienne.
Sur le plan social, quels sont les changements majeurs?
Pendant la crise du Covid, beaucoup ont pensé que
cela allait entraîner un gros changement territorial, que le
télétravail provoquerait un départ des villes et un retour
à la campagne. Oui, effectivement, au moment du Covid,
ceux qui le pouvaient ont quitté assez largement les
grandes villes, mais, ensuite, ils sont revenus. Cela reste
malgré tout très difficile à évaluer en France.
Il y a trois ans, dans ces colonnes, vous vous
interrogiez sur le pessimisme des Français.
Avez-vous depuis réussi à en identifier les causes?
Au fond, je n’ai pas progressé là-dessus. A l’époque, je
donnais quatre chiffres : la proportion de la population,
en 1968, qui avait fait des études après le bac, 6%, et la pro-
portion de cadres et de professions libérales, 6% aussi. Cela
ne veut pas dire que c’étaient les mêmes mais que, si vous
aviez fait des études après le bac, vous aviez de grandes
chances d’accéder à la classe supérieure. Maintenant, c’est
16% de cadres et professions libérales et 38% pour ceux qui
ont fait des études après le bac. Les écarts sont encore plus
importants selon que l’on est dans une petite commune ou
dans une grande ville. A Paris, on a près de 50% de cadres et
de professions libérales et de l’ordre de 60% à 65% de per-
sonnes qui ont fait des études après le bac. Proportion que
l’on ne retrouve pas dans des départements dits ruraux, où
le nombre de cadres et de professions libérales oscille par-
fois entre 8% et 10%. Il en résulte le sentiment de ne pas
pouvoir réaliser ce à quoi votre compétence vous donnerait
droit. Maintenant, quand on dessine la carte des cadres
supérieurs, ils se concentrent dans les grandes villes. Dans
le même temps, l’éloignement des ouvriers des grandes
villes, ou même des villes, tout simplement, a augmenté.
La France est-elle en capacité de se réindustrialiser,
comme le défend l’exécutif?
Il y a des conditions, et la première, c’est la main-
d’œuvretechnique.On manque terriblementde techniciens
spécialisés de l’industrie, ce sont des métiers qui n’attirent
plus. Donc, pour réindustrialiser, il va falloir ouvrir à l’immi-
gration. Mais on se trouve alors confronté un peu au même
problème que pour les retraites : quand on s’adresse à une
clientèle qui penche plutôt à droite, il ne faut pas trop mon-
trerqu’onveutouvriràl’immigration. Je pensed’ailleursque
le fait d’avoir remis à l’ordre du jour ce débat sur l’immigra-
tion n’est pas étranger à cette question de la réindustrialisa-
tion. Tôt ou tard, ce sera mis sur la table, car il y a un choix à
faire. C’est le choix qu’a fait l’Allemagne, d’ailleurs.
Quand je dresse un parallèle avec les retraites, c’est
parce que, au fond, le point de départ de la réforme a été
fourni par Bruno Le Maire il y a quelques mois. Pour ce qui
est du niveau de vie, si on met de côté le Luxembourg,
CRÉDIT
c’est en France que les retraités sont les mieux servis en
Europe. L’idée, qui n’est pas nouvelle chez Macron, c’était
 COMMENT VA LA FR ANCE ?
« Je dirais qu’elle va plutôt bien, par comparaison avec
ce qui est autour de nous. C’est un pays qui a de bons
fondamentaux. Bien sûr, comme dans tous les autres
pays, il y a des problèmes. Dans le récent livre de l’Insee
sur les Immigrés et descendants d’immigrés, quand
on demande aux personnes immigrées si ça leur plaît
de rester en France, leur réponse, quelle que soit leur
origine, à 90%, c’est “oui, on ne veut pas aller ailleurs”.
Donc, si on veut rester en France, c’est quand même
qu’il y a quelques avantages à y rester et à ne pas
retourner dans un pays que l’on a quitté, quelle que
soit la raison pour laquelle on l’a quitté. Je pense, pour
reprendre le titre de mon livre, que la France est un
pays qui va bien dont les habitants se sentent mal. »
de rebasculer vers les jeunes, vers l’enseignement et la
formation, l’argent qui va vers les retraites. Mais ça, les
personnes âgées ne veulent pas en entendre parler, et
comme ce sont elles qui votent pour Macron… C’est
comme ça qu’on en est arrivé à ce truc invraisemblable des
65 ans puis des 64 ans qui tape sur ceux qui commencent
à travailler assez tôt. Il a fait un choix électoraliste.
Vous avez republié un Atlas des inégalités (Autrement,
2023). Est-ce que vos études statistiques et
cartographiques montrent un creusement des inégalités,
dans la population mais aussi entre les régions?
Globalement, la France a bien résisté. Le taux de pau-
vreté a tendance à augmenter légèrement depuis le début
des années 2000, mais, comparé aux autres, on reste un des
pays les plus égalitaires. Simplement, comme l’a montré
Laurent Davezies [spécialiste de l’économie territoriale],
contrairement à l’idée répandue, ce n’est pas Paris qui
pompe la province, c’est au contraire Paris qui redistribue
de la richesse sur toute la France. Si l’on regarde la carte de
l’augmentation du revenu individuel médian entre 2001 et
2015, elle a été très forte dans des zones très rurales, alors
qu’elle est plus faible dans la grande région parisienne et
autour des grandes villes. Cela tient pour partie aux mou-
vements de population, comme les retraités qui retournent
ou s’installent dans des régions plus paisibles. C’est le fait
aussi que le nombre d’agriculteurs, qui ont les revenus les
plus faibles en moyenne, a encore diminué.
Il y a quand même une fracture entre l’Ouest, qui va plutôt
bien, ainsi que le Sud-Est, et toute une zone comprenant
le Nord, l’Est et le Centre, qui va moins bien…
Ce qui va mal, c’est la bande nord-est, la bande langue-
docienne et une diagonale qui va de l’Aube à la vallée
moyenne de la Garonne. C’est là que l’on retrouve les taux les
plus élevés de chômage des jeunes, de pauvreté, de familles
monoparentales, de jeunes non diplômés ou d’inégalités
locales. En fait, tout se tient. Dans certains coins de l’Hérault,
15% des jeunes sont sans diplôme, alors qu’en Vendée
c’est5%-6%. Et les non-diplômés ont plus de risques d’être au
chômage. Quand on est au chômage, la solidité des familles
est menacée et il y a plus de divorces. Tout cela fait système.
France Stratégie a accompli un très bon travail sur les
ségrégations locales – dont je me suis inspiré –, qui donne à
des niveaux fins la ségrégation des immigrés, la ségrégation
des chômeurs, etc. On voit, par exemple, la localisation des
immigrésàMarseilleselonqu’ilsviennentd’Afriqueouselon
CRÉDIT
qu’ils viennent d’Europe, c’est-à-dire d’Italie ou d’Espagne.
Onvoit bien qu’à Paris les immigrés non européens, en gros,
sontlocaliséssurlesboulevardsdesMaréchaux.Celapermet
aussi d’éviter des lieux communs. Comparons Rennes et
Mulhouse : à Mulhouse, les immigrés sont dans le centre-
ville; à Rennes, ils sont dans la première périphérie. Il n’y a
pas de règle générale, l’histoire de chaque ville et la manière
dont elle s’est développée entrent en ligne de compte.
Ce travail à un niveau fin permet également de mieux
évaluer le rapport entre le vote pour le Rassemblement
national (RN) et l’immigration. Au niveau régional, il y a une
forte corrélation. Si on descend au niveau des départements,
la corrélation devient nulle. Tous les cas sont possibles. Le
Pas-de-Calais, où il reste 3,5% d’immigrés, est le deuxième
département votant le plus pour le RN. Inversement, le troi-
sième département qui vote le moins pour le RN, la Seine-
Saint-Denis, compte 32% d’immigrés. Et si on descend au
niveau communal, la corrélation s’inverse. Plus il y a d’im-
migrés, moins on vote pour le RN. C’est particulièrement
net en fonction de la taille de la commune. Dans les com-
munes de moins de 2000 habitants, le vote RN pour l’en-
semble de la France fait plus de 30%. Dans les grandes villes
de plus de 50000 habitants, il est autour de 13%-14%, et à
Paris il tombe à 5,5%. Si vous prenez l’Ile-de-France et
comparez la carte de la répartition des immigrés et la carte
du vote RN, elles sont pratiquement inverses.
Cela veut-il dire que le vote RN est plus lié
à un sentiment de déclassement ou d’insécurité
économique qu’à l’immigration?
Peut-être qu’il faut le prendre de l’autre côté. Pour les
personnes qui vivent au contact de l’immigration, mettons
en Seine-Saint-Denis, être
anti-immigrés n’a pas de
sens, parce que les immi- « À BRACHAY, DANS LA
grés sont extraordinaire- HAUTE-MARNE, LÀ OÙ MARINE
ment présents et divers. LE PEN A FAIT SON PLUS GROS
C’est une catégorie qui est SCORE, IL Y A ZÉRO IMMIGRÉ.
vide de sens. A Brachay, C’EST UN PETIT VILLAGE,
dans la Haute-Marne, là MAIS C’EST SYMBOLIQUE. »
où Marine Le Pen a fait son
plus gros score, il y a zéro
immigré. C’est un petit village, mais c’est symbolique. Cela
cumule, en effet, un ensemble de mécontentements. Mais
cela n’est pas propre à la France. On observe les mêmes
caractéristiques du vote d’extrême droite en Allemagne,
en Autriche, en Espagne ou en Suisse.
Il y a quand même ce sentiment de pays déclassé,
de pays qui ne va pas de l’avant. Ce mal français
n’est-il pas préoccupant?
Dans mon livre Se sentir mal dans une France qui va
bien, j’établis une comparaison de la France avec les autres
pays d’Europe. J’ai aligné les enquêtes d’Eurobaromètre, où
les réponses des Français sont pratiquement toujours les
plus négatives, et la réalité des faits. Ainsi, les Français sont
ceux qui se disent les plus mécontents de leur système de
protection sociale, encore plus que les Bulgares, alors que
c’est la part du revenu national qui y est consacrée la plus
élevée. On a même doublé le Danemark. Pourquoi? Qu’y
a-t-il de particulier en France qui produise cela? Est-ce que
c’est la forme de gouvernement? Ce sentiment qu’on n’a pas
de prise? C’est très difficile de porter un jugement. Je suis
désolé de ne pas avoir la réponse. •
65
 LES PAYS DE LA LOIRE : PÔLE ATTRACTIF ET TERRE DE CONFLITS
Pivot de l’arc atlantique, les Pays de la Loire jouissent d’un grand attrait. La façade littorale urbanisée
et de nombreuses villes ont vu leur population augmenter ces dernières années, grâce à une bonne connexion
à la capitale et au reste du pays par le réseau de transports. Une attractivité qui s’explique en partie par des
activités industrielles et des sites touristiques emblématiques – de nombreuses stations balnéaires, notamment.
Néanmoins, l’artificialisation des terres et la création d’un superméthaniseur font l’objet de contestations.

66 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

RÉGIONS

67
 LE CENTRE-VAL DE LOIRE FACE AU MANQUE DE SOIGNANTS
La désertification médicale est le drame de la région. Alors que les deux métropoles, Orléans et Tours,
réunissent à elles seules 23% de la population régionale autour du Val de Loire,
les zones en marge enregistrent une densité médicale des plus faibles.
Si l’Indre est le département le plus mal loti, il s’ouvre à la télémédecine.

68 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

RÉGIONS

69
 MOBILITÉS : LA BOURGOGNE-FRANCHE-COMTÉ
TRACE SA ROUTE
Du tourisme au fret, l’enjeu des infrastructures routières, ferroviaires et aériennes est majeur pour cette région
en partie rurale et parfois enclavée. L’axe Rhin-Rhône, qui concentre la moitié de la population et des emplois,
profite d’un système de liaison idéal, notamment grâce au TGV, auquel s’ajoutent les autoroutes.
Les 2,8 millions d’habitants de la Bourgogne-Franche-Comté sont inégalement répartis, concentrés
dans quelques unités urbaines de plus de 10000 habitants.

70 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

RÉGIONS

71
 LA NOUVELLE-AQUITAINE, ÉCRASÉE PAR L’HÉGÉMONIE DE BORDEAUX
Bordeaux, ville symbolique de cette région la plus vaste de France, aimante le reste du territoire. Les politiques
régionales peinent à faire profiter les zones rurales de l’essor de la métropole, et les disparités persistent.
Concentrée dans le département de la Gironde, cette croissance n’a aucun effet de ruissellement sur les
autres territoires, villes petites et moyennes, qui ont perdu de l’attractivité au cours des dernières années.

72 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

RÉGIONS

73
 EN AUVERGNE-RHÔNE-ALPES,
DES PÔLES INDUSTRIELS DE HAUT NIVEAU
Forte notamment de sa métropole de rang international, Lyon, l’Auvergne-Rhône-Alpes est la deuxième région
française la plus puissante, et la cinquième au niveau européen. Elle peut compter sur des complexes industriels
et scientifiques importants : le secteur énergétique, avec l’implantation de plusieurs centrales nucléaires et
autres sites de l’industrie nucléaire en activité, ainsi que des entreprises et laboratoires de recherche
universitaires. Un dynamisme pondéré par des zones plus en retrait, qui cumulent une population vieillissante.

74 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

RÉGIONS

75
 RÉGIONS

ENTRETIEN AVEC VINCENT AUBELLE

« IL FAUT CESSER DE VOULOIR TOUT UNIFORMISER »

La décentralisation n’est pas l’uniformisation dans les territoires, insiste l’universitaire Vincent Aubelle.
Il faut respecter une forme de différenciation des identités d’un territoire à l’autre. Il incombe à la haute
fonction publique d’arrêter de penser la centralité de l’Etat dès qu’il s’agit de régler les problèmes. Sitôt
qu’elle aura changé sa culture d’Etat, on pourra passer à une réelle décentralisation dans la diversité.

PROPOS RECUEILLIS PAR GAÏDZ MINASSIAN ET PATRICK ROGER

« LA DÉCENTRALISATION, C’EST
CERTES UN CONCEPT JURIDIQUE,
MAIS C’EST D’ABORD UNE CHAIR
VIVANTE DONT IL FAUT
APPRÉHENDER LES INTIMITÉS. »
VINCENT AUBELLE
Professeur associé des
universités en droit public,
département génie urbain,
Ecole d’urbanisme de Paris,
université Gustave-Eiffel,
il est membre du conseil
scientifique de l’Institut
de la gouvernance territoriale
et de la décentralisation.
Il est membre du comité
de rédaction de la revue
Pouvoirs locaux et a publié
de nombreux ouvrages,
dont le Dictionnaire
encyclopédique de la
décentralisation, codirigé
avec Nicolas Kada (Berger-
Levrault, 2017), et Les
Grandes Figures de la
décentralisation. De l’Ancien
Régime à nos jours (Berger-
Levrault, 2019), ou encore
Hippocrate et les territoires.
Perspectives pour la santé
globale, codirigé avec
Georges Képénékian
et Samuel Bosc (Editions
de l’Aube, 2021).
Les associations d’élus et le président du Sénat
ne cessent de réclamer un « acte III » de la
décentralisation. Emmanuel Macron lui-même,
après la crise des « gilets jaunes », a évoqué
« une nouvelle étape de la décentralisation ».
Est-ce que cela veut dire que la décentralisation a,
à ce point, fait ses preuves qu’une nouvelle étape
serait nécessaire?
La décentralisation est aujourd’hui dans le quotidien des
Français. Toutes les politiques publiques de proximité
sont essentiellement pro-
duites par les collectivités
territoriales. C’est bien le
paradoxe de la décentrali-
sation : elle innerve notre
univers quotidien sans
que personne s’en rende
compte, un peu comme
Monsieur Jourdain qui
fait de la prose sans s’en
apercevoir. Telle est la conséquence de l’acte majeur de
décentralisation issu des lois Defferre de 1982.
Pour qu’un nouvel acte de décentralisation existe, encore
faudrait-il accepter qu’il ne peut résulter que d’une vision
politique fondée au préalable sur une véritable pensée de
la décentralisation.
Durant le premier quinquennat d’Emmanuel
Macron, on a assisté à une sorte de confrontation
permanente entre les collectivités territoriales
et l’exécutif. Quelles sont les raisons
de ce blocage ?
J’en reviens au dernier et magnifique discours de François
Mitterrand devant l’Association des maires de France, le
17 novembre 1994. Il est à un an de sa mort et il s’adresse aux
maires en leur disant : « Dans vos regards et dans vos atti-
tudes, il me semble voir la France. Et c’est si rare, de pouvoir
considérer son pays en face, avec des visages. » La décentra-
lisation, c’est certes un concept juridique, mais c’est d’abord
une chair vivante dont il faut appréhender les intimités.
Si je regarde ce quinquennat, force est de constater qu’on
a à la tête de l’Etat une culture qui ne connaît pas ces inti-
mités des territoires; les élus locaux sont convoqués par
nécessité, comme lors de la crise des « gilets jaunes ».
Fondamentalement, la culture de l’Etat n’est pas décentra-
lisatrice, les collectivités locales sont toujours considérées
comme des obligées.
Quel bilan tirez-vous de la création des grandes
régions en 2015?
Pour qu’il y ait un bilan, encore fallait-il qu’il y ait un des-
sein. La seule ambition affichée était de faire des écono-
mies. La Cour des comptes en a tiré le bilan et a constaté
que les économies espérées n’étaient pas au rendez-vous.
A partir du moment où les personnels, la masse salariale
ne sont pas une variable d’ajustement comme dans une
entreprise, fatalement il a fallu procéder à des harmonisa-
tions qui ont un coût.
Par ailleurs, en quoi est-ce que ça parle à la population? Les
Français ont toutes les raisons de ne pas comprendre les
périmètres et l’identité de ces grandes régions. Les régions,
comme les autres collectivités, n’existeront qu’à partir
du moment où les gens se seront approprié ce niveau-là.
Prenons les habitants de Senlis, Creil ou Clermont, dans
l’Oise – tout ce qui est en dessous de la nationale 31… –, les
gens vivent sur Paris! Allez leur expliquer que leur région
de rattachement est celle des Hauts-de-France ! Pareil
quand vous êtes dans les Ardennes et qu’il faut vous rendre
à Strasbourg.
L’objectif était aussi d’atteindre une taille critique
pour être à la hauteur de leurs homologues
européennes…
Mais qu’est-ce que ça apporte de plus? D’abord, sauf erreur
de ma part, elles étaient toutes au-dessus des moyennes
européennes. La fusion de ces grandes régions découle
d’une vision purement organique, où l’on pense que la
structure seule prévaut. Pour moi, la décentralisation doit
partir du besoin des gens, de leur matérialité, de leurs
attentes et, ensuite, trouver les échelles correspondantes.
Le hiatus actuel provient de cet aveuglement organique.
Etes-vous favorable à l’idée du conseiller territorial,
un même élu siégeant à la fois à la région
et au département?
Pourquoi pas, mais le problème, c’est que l’on raisonne là
encore de façon uniforme. Dans des départements à faible
population, le département est la véritable intercommu-
nalité pour les politiques structurantes : la lutte contre le
changement climatique, les mobilités, le développement
économique… Que, dans certains endroits, on ait un
conseiller territorial qui puisse permettre de représenter
à la fois les politiques départementales et les politiques
régionales, pourquoi pas? Mais pourquoi fonctionner de
façon systématique sur l’ensemble des territoires?

76 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

 COMMENT VA LA FR ANCE ?
« On a tout pour réussir, mais je plaide pour une ode
à l’imagination, à l’inventivité afin de dépasser les
cadres établis. En dépit de tous les problèmes, de tous
les grippages, de toutes les fractures, nous ne sommes
quand même pas les plus malheureux.
Quand je parle de réussir, ce n’est pas la réussite
néolibérale, c’est celle de dessiner un projet commun.
Je ne suis pas sûr qu’attiser les peurs, les colères
et les passions tristes nous permette d’en prendre
le chemin, tout comme le fait de se draper
dans ses certitudes. »
La décentralisation constitue-t-elle pour vous
une réponse à la crise démocratique
qui mine le pays?
Certainement pas. En juillet 1981, dans un discours
fameux, Gaston Defferre [alors ministre de l’intérieur] jus-
tifie la décentralisation afin d’établir une nouvelle citoyen-
neté. Force est de constater, si je m’en tiens uniquement
aux scrutins concernant le renouvellement des conseillers
municipaux depuis 1988, que le taux d’abstention ne cesse
d’augmenter. A cette progression de l’abstention dans les
scrutins locaux, je pourrais ajouter le nombre de com-
munes où il n’y a qu’une seule liste et, donc, où il n’y a pas
de débat, ainsi que l’apparition de communes où on n’ar-
rive même plus à trouver de candidats.
La décentralisation n’a pas permis de revivifier une
citoyenneté qui est bien malade. Le paradoxe, c’est que
ce sont pourtant les collectivités territoriales qui mettent
en œuvre les politiques de proximité, au plus près des
citoyens. Malgré cela, le taux d’abstention aux élections
locales est plus élevé que celui des élections nationales.
Peut-être faut-il aussi se demander si cette décentralisation
est bien comprise par les populations. Je ne suis pas sûr,
par exemple, que les citoyens aient encore bien intégré
ce que recouvraient les structures intercommunales.
En 2014 a été instaurée l’élection au suffrage direct des
conseillers intercommunaux, sauf que, en la couplant au
scrutin communal, le scrutin intercommunal a été muni-
cipalisé, et les électeurs ne comprennent pas les enjeux
intercommunaux.
L’Etat ne doit-il pas aussi faire sa mue et se recentrer
sur ses missions régaliennes?
Après 1982, l’Etat s’est délesté d’un certain nombre de
compétences au profit des collectivités territoriales, non
pas dans une vision politique mais d’abord par contrainte
budgétaire. Reste une question de fond : il s’agit de se
mettre un jour d’accord sur les politiques publiques prio-
ritaires et, à partir de là, l’échelon approprié pour exercer
ces politiques publiques. Une fois qu’on aura eu ce débat,
on y verra plus clair. Mais ce débat-là, il n’a jamais eu lieu.
Mais, dès que l’on parle de politiques publiques
prioritaires, l’Etat va toujours vouloir garder la main…
Nous sommes toujours confrontés au problème de la
culture de l’Etat au sein de la haute fonction publique. Pour
elle, en dehors de l’administration centrale, point de salut.
A côté de cela, on a un problème politique, à savoir quels
sont les choix collectifs que l’on veut faire ensemble. Ce
qui fait la grandeur du politique, c’est sa capacité à faire des
choix. Mais l’Etat continue à vouloir s’occuper de tout et
les collectivités à en réclamer leur part.
Dans l’hypothèse où l’Etat et les collectivités
parviendraient à s’accorder sur ces politiques
publiques, quel serait l’échelon le plus pertinent pour
les conduire?
C’est un postulat audacieux. D’une part, vous avez un Etat
qui n’a pas une culture décentralisatrice et, d’autre part,
des collectivités territoriales qui sont toujours dans une
relation infantile vis-à-vis de l’Etat. On le voit bien avec
Territoires unis [qui regroupe l’Association des maires de
France, l’Assemblée des départements de France et Régions
de France] : ils sont dans une posture contre mais
éprouvent les plus grandes difficultés dès qu’il s’agit de
produire un corpus commun d’une décentralisation qui
aille au-delà de la satisfaction des équilibres entre chacune
de ces associations.
En réalité, les communes, les départements et les régions
s’inscrivent dans une tectonique des plaques où chacun
défend son pré carré et où la prise de compétence est vue
comme une prise de guerre.
En fait, il faut partir des compétences pour trouver le bon
échelon. Je distingue les compétences stratégiques, ce que
l’écrivain Patrick Chamoiseau appelle les « produits de
haute nécessité », comme l’économie, le logement, les
transports, la santé, l’éducation, qui peuvent être envisa-
gés à l’échelle du département ou de la région. En dessous,
il y a toutes les politiques pour lesquelles il faut avoir de la
réactivité et pour lesquelles il est nécessaire d’avoir des
échelles beaucoup plus petites. Refaisons de la géographie
et on trouvera les struc-
tures. Simplement, il faut
cesser de vouloir tout uni-
formiser. Je défends l’idée « LES CITOYENS SE MOQUENT
d’un Etat garant qui s’as- DE SAVOIR QUI FAIT QUOI,
sure que, quelle que soit ILS VEULENT SIMPLEMENT UNE
l’échelle à laquelle une RÉPONSE APPROPRIÉE À LEURS
politique est traitée, les DEMANDES PARTICULIÈRES. »
obje c t i f s sont bie n
respectés. Les citoyens,
aujourd’hui, sont devenus très consuméristes. Ils se
moquent de savoir qui fait quoi, ils veulent simplement
une réponse appropriée à leurs demandes particulières.
Partagez-vous l’idée que la différenciation, qui existe
déjà, de fait, et la montée des particularismes
régionaux mettraient en péril l’unité de la République?
Mais la France est diversité! Nous ne sommes plus en 1789,
quand il s’agissait d’unifier le royaume. Oui, aujourd’hui,
de fait, la France est diversifiée. La situation n’est pas la
même en Nouvelle-Calédonie, en Guadeloupe, en Guyane
ou à Mayotte et en métropole. Pourquoi a-t-on peur de la
différenciation? Cela renvoie en quelque sorte à une cer-
taine conception de la loi. L’idée que je défends, c’est que
c’est à l’Etat de fixer les objectifs, avec un minimum et un
maximum, et, à l’intérieur de ces bornes, c’est aux collec-
tivités de se positionner. On peut très bien avoir un Etat
unitaire avec une différenciation qui tienne compte des
particularités locales, qu’on puisse avoir des possibilités
de différenciation à l’intérieur d’un cadre commun. Mais,
pour définir ce cadre, encore faut-il réfléchir à ce que l’on
veut faire collectivement. Or, aujourd’hui, il n’y a aucune
pensée de la décentralisation, ni de la part de l’Etat, ni de
•
la part des collectivités territoriales.
77
 L’OCCITANIE, PORTÉE PAR L’AÉRONAUTIQUE
Si l’Occitanie bénéficie de l’image positive d’une région dynamique – liée à l’attractivité de ses industries
aéronautiques, plus particulièrement à Toulouse –, elle souffre de fortes disparités au niveau local.
Quatre départements (Aude, Gard, Hérault et Pyrénées-Orientales) comptent parmi les dix départements
les plus pauvres de France. Dans certains territoires, le taux de pauvreté dépasse 20%.

78 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

RÉGIONS

79
 L’ENVIRONNEMENT,
ENJEU INCONTOURNABLE EN PACA
En Provence-Alpes-Côte d’Azur, les conséquences du réchauffement climatique frappent le quotidien
des populations et font des questions écologiques un sujet central dans le débat régional. L’artificialisation
galopante des sols, liée au développement de l’habitat, du tourisme de masse et des infrastructures
dans des espaces auparavant naturels, ne permet plus à l’eau de pluie de s’y infiltrer et renforce
les effets de ruissellement en cas d’inondations.

80 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

RÉGIONS

81
 RÉGIONS

SPÉCULATION IMMOBILIÈRE ET PRÉCARITÉ ÉCONOMIQUE,

DEUX VISAGES DE LA CORSE
La tension immobilière creuse les inégalités sociales dans l’un des territoires les plus pauvres de la métropole.
Dans un contexte d’explosion des prix du marché immobilier, près d’un logement sur trois est une résidence
secondaire et appartient le plus souvent à des personnes domiciliées sur le continent. Parallèlement,
dans les zones qui dépendent en grande partie du tourisme, les emplois sont souvent
précaires et peu qualifiés.

82 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

 LA NOUVELLE-CALÉDONIE À LA RECHERCHE D’UN NOUVEAU STATUT
Par trois fois, entre 2018 et 2021, les électeurs de Nouvelle-Calédonie ont eu à se prononcer sur l’accession
du territoire à la pleine souveraineté; par trois fois, ils ont majoritairement répondu par la négative.
Mais ces consultations ont mis en évidence les clivages de la société calédonienne. Il reste à inventer
un nouveau projet de société et de développement économique, un nouveau statut institutionnel…
CRÉDIT

83
 RÉGIONS

GUADELOUPE ET MARTINIQUE : UNE POPULATION VIEILLISSANTE

SUR UNE TERRE POLLUÉE
La pollution par le chlordécone, pesticide cancérogène employé dans les bananeraies, a contaminé une grande
partie de la population et compromet l’agriculture et la pêche sur une large portion du territoire de ces deux
départements. A la cherté de la vie et l’émigration des forces vives – étudiants, demandeurs d’emploi, jeunes actifs
diplômés ou non – vers la métropole s’ajoute, en Guadeloupe, une grave crise de la distribution d’eau potable.

84 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

 EN GUYANE, UN CONTEXTE SOCIAL DIFFICILE
Le seul territoire de l’Union européenne en Amérique du Sud connaît un taux de chômage de près de 20%,
une population dont les deux tiers ont moins de 30 ans et concentrée sur le littoral, et dont un Guyanais
sur deux vit sous le seuil de pauvreté. La collectivité territoriale doit en outre faire face à une criminalité
liée au trafic de stupéfiants et à l’orpaillage illégal.

85
 RÉGIONS

LA RÉUNION ENTRAVÉE PAR SON RELIEF

L’île de l’océan Indien souffre de sa configuration : un massif de deux volcans, ménageant une unique voie
de passage entre l’Est et le Sud. Devant le peu d’alternatives, l’utilisation de la voiture sature le réseau
routier de la côte, très densément peuplée. Une nouvelle route du littoral, en construction, dont un tronçon
a été ouvert à la circulation en 2022, devrait être achevée au plus tôt en 2030.

86 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

 MAYOTTE, L’ÎLE EN ÉTAT D’URGENCE PERMANENT
Outre une pauvreté toujours croissante et une pression continue de l’immigration, ce département français
de l’océan Indien affiche la démographie la plus élevée de France. La moitié des habitants vivent dans des
bidonvilles avec moins de 160 euros par mois. L’île reste néanmoins un appui stratégique pour l’Etat français.

87
 POLITIQUE

OPPOSITION – Le
16 mars 2023 à l’Assemblée
nationale, les députés
de La France insoumise
BLONDET ELIOT/ABACA

brandissent des pancartes

pour dénoncer le
déclenchement de
l’article 49.3 afin d’adopter
la réforme des retraites.
« 64 ans, c’est non! » ou
«Démocratie», peut-on lire
sur les affiches.
 POLITIQUE
ENTRETIEN AVEC LUC ROUB AN
« LE MACRONISME EST UN MOMENT, IL N’EST PAS FAIT POUR DURER »
Le politiste Luc Rouban revient sur la fragmentation du paysage politique de la France et considère
que les dernières élections traduisent une droitisation de la société. Si le centre de gravité de la droite
se rapproche du Rassemblement national, une recomposition politique est en cours, car le macronisme
« va vite s’effondrer dès qu’Emmanuel Macron partira ».
PROPOS RECUEILLIS PAR GAÏDZ MINASSIAN ET PATRICK ROGER
Les dernières élections se traduisent à la fois par un
vote clivé et un brouillage des frontières politiques.
Comment analysez-vous ce paradoxe?
En réalité, il s’opère une dissociation du registre des
valeurs économiques et des valeurs sociétales ou cultu-
relles. Ce qui donne un tableau à double entrée avec,
d’une part, un degré plus ou moins grand de libéralisme
économique et, d’autre part, un degré plus ou moins
grand de libéralisme culturel. On sort de la situation où,
à partir du vote de classe,
pouvait apparaître un
clivage relativement clair
« LE MACRONISME INCARNE sur les deux terrains.
L’IDÉE DE RÉFORMER LA SOCIÉTÉ Aujourd’hui, les cartes
PAR LE HAUT ET D’INTÉGRER sont brouillées, car les
SES MEMBRES COMME DANS deux registres interfèrent
UNE ENTREPRISE PRIVÉE. » l’un sur l’autre. Vous avez
le libéralisme total, à la
fois économique et cultu-
rel : c’est le macronisme. Le libéralisme économique et le
conservatisme moral : c’est la droite parlementaire clas-
sique. L’antilibéralisme économique et le libéralisme
moral et culturel : c’est La France insoumise (LFI) et la
gauche radicalisée. Le double antilibéralisme, écono-
mique et culturel : c’est le Rassemblement national (RN).
Derrière ces phénomènes apparaît une transcription
incomplète de l’offre politique, car l’offre partisane ne
permet plus d’exprimer cette relative complexité.
La tripartition du paysage constatée
lors de ces élections est-elle vouée à durer?
La vraie question, c’est de savoir quel est l’avenir d’un
macronisme qui ressemble beaucoup au giscardisme,
c’est-à-dire qui commence par le centre et qui finit à droite.
Cette tripartition est un effet de système qui tient à l’effon-
LUC ROUBAN drement du Parti socialiste (PS) et des Républicains (LR).
Directeur de recherche Le macronisme en est le produit. Je dirais plutôt que c’est
au CNRS au Centre de un moment, il n’est pas fait pour durer car on a de fortes
recherches politiques attentes. On le voit bien avec la réforme des retraites, en
de Sciences Po (Cevipof). matière de droit du travail, de démocratie sociale. Le mou-
Ses travaux portent
sur la sociologie des élites, vement s’est constitué autour de Macron, dans une pos-
l’évolution de la démocratie ture un peu bonapartiste au départ. Aujourd’hui, on le
représentative et de la retrouve seul, comme Napoléon. Sa base sociale s’est
vie politique. Il a publié réduite, sa base électorale aussi. Sans un véritable parti
en 2022 Les Raisons de la
défiance et La Vraie Victoire structuré ni relais dans les territoires, ça va vite s’effondrer
du RN aux Presses de dès que Macron va partir. La question, c’est qu’est-ce qui
Sciences Po. va prendre la place du macronisme?
90 LE MONDE HORS-SÉRIE MOIS › MOIS ANNEE
Vous classez le macronisme à droite. Mais où le centre
de gravité de la droite se trouve-t-il?
Le centre de gravité de la droite est de plus en plus du côté
du RN. Il offre une formule politique qui associe autorité
et social, alors que Les Républicains se sont figés dans un
néolibéralisme qui n’exerce aucun attrait. Le RN est pour
l’autorité, le souverainisme, le contrôle des frontières
et la réhabilitation de l’Etat. Ce centre de gravité est un
centre d’attraction. On le voit avec le débat sur la violence
lors des manifestations : au fil du temps, la violence
devient le meilleur ami de la droite. Les violents sont un
peu les idiots utiles de la droite.
Macron, c’est autre chose. Ce n’est pas un vrai libéralisme,
c’est un « managérialisme ». Le principe de base du libé-
ralisme, c’est de protéger l’individu contre le pouvoir.
Or, le macronisme refuse de reconnaître l’autonomie
du social. Il incarne plutôt l’idée de réformer la société
par le haut et d’intégrer ses membres comme dans une
entreprise privée, en définissant des normes corporate
auxquelles tout le monde doit se soumettre.
A quoi la forte dissymétrie entre les rapports
de force à l’échelle nationale et les pouvoirs
territoriaux est-elle due?
La question est celle de la décentralisation et de la réparti-
tion des pouvoirs, alors que les régions ont encore des
compétences limitées. Avant, elles avaient la vertu d’expri-
mer une identité forte, mais avec la réforme de François
Hollande en 2015 on s’est retrouvé avec de grandes régions
qui n’ont aucun sens. Ce problème renvoie à la multiplica-
tion des échelons territoriaux et au fait que de grandes
politiques publiques ne sont pas décentralisées. Et ce n’est
pas avec Macron, qui n’a jamais été élu, qui ignore les terri-
toires et ne s’est jamais entendu avec le Sénat, que cela a pu
se résoudre. Le macronisme a une vision extraterritoriale.
Les candidats d’extrême droite à la présidentielle
réunissent un total de voix supérieur à celui de
l’ensemble des candidats de gauche. Cela infirme-t-il
le diagnostic de Jean-Luc Mélenchon sur une
«gauchisation» de la société?
Oui, évidemment. La droitisation de l’opinion est réelle.
Ensuite, tout dépend de ce qu’on entend par droitisation.
Elle joue sur le terrain de l’immigration, de l’insécurité
intérieure et extérieure. Pas sur les questions sociétales,
CRÉDIT
où la tolérance est plus grande qu’avant. Mais si vous regar-
dez les positions liées au nombre d’immigrés, au problème
 COMMENT VA LA FR ANCE ?
« Je suis inquiet. Toutes les études électorales montrent
que nous sommes dans une période de fluidité
et d’imprévisibilité. Il y a une grande insatisfaction
quant à l’efficacité de l’action publique. Je suis aussi
inquiet car il existe une attente de la société en matière
de méritocratie et d’équité, qu’on voit resurgir dans
le débat sur les retraites. Dans le fond, on a le sentiment
d’une société laissée à l’abandon, une prise de
conscience que les règles du jeu ne sont pas les mêmes
pour les uns et pour les autres. La contestation de la
réforme des retraites et le vote RN sont aussi liés au fait
que le travail n’est pas reconnu et que la mobilité sociale
est faible. Le système politique n’est plus capable
de transmettre cette inquiétude. On a là une zone
de flottement propice à toutes les violences et à toutes
les incertitudes électorales. »
d’intégration ou au rejet de l’islam, vous avez une ferme-
ture, y compris à gauche. Nos enquêtes sur le rapport des
Français à la justice, en comparaison avec d’autres pays
européens, montrent que c’est en France que l’on trouve
la proportion la plus élevée de personnes qui pensent que
les peines ne sont pas suffisantes. C’est encore en France
qu’on a le moins confiance dans la justice.
En matière économique aussi, on observe une droitisa-
tion. Quand on pose la question à nos sondés : « Pour
vous, qu’est-ce qu’une société juste ? Une société qui réduit
les écarts entre les revenus les plus élevés et les revenus
les plus faibles – c’est la position de Mélenchon – ou une
société qui rémunère mieux ceux qui travaillent plus et
mieux ? – c’est la méritocratie libérale », la réponse est
50-50 ! On n’est plus dans un univers égalitaire. Ça, c’est
l’illusion de Jean-Luc Mélenchon. Beaucoup de jeunes
aiment bien l’idée d’autonomie sociale et celle d’être
autoentrepreneur, de gagner plus en ayant leur propre
business. On n’est plus dans la redistribution à l’ancienne,
mais davantage sur des notions d’équité, avec le respect
des règles communes. Cela rejoint l’individualisation du
vote et la personnalisation des rapports politiques.
Quel est l’avenir d’une gauche fragmentée qui a
placé son salut électoral dans un accord contraint
sous l’hégémonie de La France insoumise?
La radicalité imposée par LFI reste très contestée, et les
points de divergence entre les composantes de la Nupes
sont nombreux. A terme, cette alliance est fragile. Je ne suis
pas sûr que l’enfermement de LFI dans une mémoire révo-
lutionnaire de la France parle à beaucoup de Français. Il y a
là une carte à jouer pour une nouvelle gauche social-démo-
crate, plus proche des syndicats et de la réalité du travail,
qui pourrait réapparaître dans ce conflit sur les retraites.
Que dit l’abstention massive enregistrée
lors des dernières échéances législatives?
Il existe différents types d’abstention, qu’elle soit de contes-
tation, de désintérêt ou mécanique, à cause d’une mauvaise
inscription sur les listes ou liée à des déplacements géogra-
phiques. Ce qu’on voit apparaître, c’est une abstention liée
à la méfiance vis-à-vis des institutions. Elle repose sur l’idée
que, quel que soit le parti au pouvoir, il y aura de la trahison
et qu’il n’y a plus rien à attendre du politique.
Cela va de pair avec une sorte de renfermement sur la bulle
CRÉDIT
privative, mais pas forcément communautaire. On n’est
pas dans un archipel ! Le vrai problème de l’abstention
n’est pas qu’on appartienne à une communauté
sécessionniste mais qu’on n’appartienne à aucune
communauté. Ni nationale, ni régionale, ni linguistique,
ni religieuse, ni d’origine! La France n’est pas le pays des
communautés mais le pays de l’anomie. Elle est le pays où
la proportion la plus importante de gens ne se retrouve
dans aucune communauté. On en revient à ce problème,
en France, de la cohésion sociale. On parle souvent de
l’intégration des immigrés, mais on devrait parler aussi
de l’intégration des Français.
La succession de crises est-elle le symptôme
d’un essoufflement des institutions de la République
ou d’une grande
élasticité de la
Constitution?
Je penche pour la seconde « ON A LE SENTIMENT D’UNE PRISE
réponse. Plusieurs lectures DE CONSCIENCE QUE LES RÈGLES
de la Constitution de la DU JEU NE SONT PAS LES MÊMES
V République sont pos-
e POUR LES UNS ET POUR
sibles. Prenons l’exemple LES AUTRES. »
de la réforme des retraites.
Dans une lecture gaul-
lienne, Macron aurait pu organiser un référendum. On peut
aussi en avoir une lecture parlementaire, en laissant le Par-
lement s’en emparer et discuter du sujet jusqu’à son terme.
Ces deux lectures ont été rejetées par Emmanuel Macron.
On en arrive ainsi à une lecture présidentialiste, qui est pos-
sible et acceptable quand le président dispose d’une majorité
absolueàl’Assembléenationalemaisquidevienttrèscontes-
table quand il s’appuie sur une majorité relative. Je pense que
cela ne changerait pas grand-chose de modifier les institu-
tions en tant que telles. La Constitution est très souple, mais
tout dépend de la lecture qu’en fait le chef de l’Etat.
Comment régénérer le fonctionnement démocratique
des institutions?
Reprenons le chantier de la décentralisation pour reterri-
torialiser un certain nombre de politiques publiques! Mais
alors il faut que les Français choisissent entre l’égalité ter-
ritoriale sur tout le territoire de la République et l’efficacité
politique par la démocratisation. C’est un sujet de contro-
verse majeur en France. Je ne crois pas du tout à la panacée
de la démocratie participative. On sait bien qu’elle mobi-
lise surtout des retraités, des diplômés et des militants.
Pour des questions locales, la démocratie participative
peut être un recours, mais pas pour des questions norma-
tives ou toute autre question complexe, qui nécessitent de
l’expertise et des compétences particulières.
Ensuite, tout dépend du personnel politique à la tête de
l’Etat. On a aujourd’hui quelqu’un qui a émergé des débris
du PS, à un moment d’effondrement des partis qui n’a pas
suscité la production d’une nouvelle élite de remplacement.
Dans le débat sur la réforme des retraites, opposer
deux légitimités, sociale et procédurale, a-t-il du sens?
Les deux se complètent. Dans la démocratie représenta-
tive, vous avez l’idée de transmettre les attentes de la popu-
lation et des territoires. Elle ne peut pas être unilatérale.
C’est un échange permanent entre les représentants et les
représentés. Par définition, le représentant doit aussi
écouter ce qu’il se passe. •
91
 2017-2022 : CINQ ANNÉES QUI ONT CHAMBOULÉ
LE PAYSAGE POLITIQUE FRANÇAIS
En briguant une seconde fois la présidence de la République, Emmanuel Macron a poursuivi son œuvre
de désagrégration des deux «anciens» partis de gouvernement, le Parti socialiste et Les Républicains.
Si, localement, les deux formations conservent peu ou prou leurs positions, l’Assemblée nationale
voit l’arrivée en force de pôles contestataires.

PAR PATRICK ROGER

E
n cinq ans, entre 2017 et 2022, le 279 villes – métropolitaines et ultramarines (EELV) dans les grandes villes : les écologistes
paysage politique français aura – de plus de 30000 habitants, LR et le PS en accèdent à la tête de sept communes de plus
été profondément bouleversé. détenaient plus de la moitié au lendemain de 100000 habitants, dont Lyon, Bordeaux
Toutefois, jamais la dissymétrie des élections municipales de 2020 : 98 pour et Strasbourg. Une performance que le
n’aura été aussi marquée entre les premiers et 53 pour le second. A noter, Rassemblement national (RN) ne réalise
les rapports de force politiques cependant, que plusieurs que dans une ville de cette
nationaux et l’implantation institutionnelle maires de grandes villes taille, Perpignan.
LES ÉLECTIONS
dans les échelons locaux. Les deux princi- telles que Reims, Metz, Nice, MUNICIPALES
paux courants politiques ayant monopolisé Toulon, Toulouse ou encore DES PARTIS SIPHONNÉS
DE 2020 AURONT
l’exercice du pouvoir pendant plusieurs Saint-Germain-en-Laye ou ÉTÉ MARQUÉES PAR Après les élections
décennies ont, pour la seconde fois de suite, La Roche-sur-Yon ont quitté LA PERCÉE D’EELV départementales et régio-
été écartés du second tour de l’élection prési- LR depuis, ainsi que le DANS LES GRANDES nales de 2021, la droite pré-
dentielle. Pis, ni l’une ni l’autre de leurs can- nombre croissant de maires VILLES, DONT side 68 départements, dont
didates respectives ne sont parvenues à fran- ne revendiquant plus une LYON, BORDEAUX 43 pour LR, tandis que la
chir le seuil symbolique – mais déterminant étiquette partisane. En 2014, ET STRASBOURG. gauche n’en détient plus que
sur le plan financier – des 5% des suffrages dans ces mêmes communes 26, dont 21 pour le PS. Enfin,
exprimés, Valérie Pécresse (Les Républicains, de plus de 30000 habitants, sur les 17 présidences de
LR) culminant à 4,78% et Anne Hidalgo (Parti dix-huit maires étaient classés « divers région ou de collectivité territoriale, le parti
socialiste, PS) plafonnant à 1,75 %. Néan- droite »; ils étaient trente-six en 2020. Quant présidé par Eric Ciotti en conserve quatre –
moins, ces deux partis demeurent les forces aux « divers gauche », ils sont passés de six à auxquelles s’ajoutent deux exercées par des
structurantes des exécutifs municipaux, trente. Ce scrutin aura en outre été marqué diversdroite–etceluid’OlivierFaurecinq.Les
départementaux et régionaux. Ainsi, sur les par la percée d’Europe Ecologie-Les Verts élus locaux constituant l’essentiel du collège

92 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023


électoral sénatorial, LR forme le principal
groupe du Sénat avec 145 membres alors que
le groupe socialiste en compte 64. La France
des collectivités a donc résisté au séisme des
élections présidentielle et législatives.
La scène politique nationale, elle, est en
pleines turbulences. Si, comme en 2017, le
second tour de l’élection présidentielle a mis
aux prises Emmanuel Macron et Marine Le
Pen, et si le président sortant l’a de nouveau
emporté face à sa rivale d’extrême droite,
ses marges de manœuvre se sont considéra-
blement réduites. Malgré l’ampleur des
crises sociales, sanitaires et économiques
qu’il a dû affronter durant son premier quin-
quennat, il réussit à obtenir un second – et
dernier, par la Constitution – mandat, mais
qu’il aborde diminué.
Lors de ce scrutin présidentiel, le
« macronisme » a poursuivi son œuvre de
désagrégation des deux « anciens » partis
de gouvernement. Après avoir aspiré l’élec-
torat socialiste en 2017, c’est celui de LR qui
s’est rétréci comme peau de chagrin, pris
en étau entre un camp présidentiel pio-
chant hardiment dans des thématiques
longtemps chères à la droite et un RN dont
Marine Le Pen s’est évertuée à gommer les
aspérités les plus saillantes. Un ravalement
de façade paradoxalement facilité par
l’émergence de la candidature concur-
rente, à l’extrême droite, d’Eric Zemmour.
Ce brouillage des repères, cette poro-
sité symbolisée par les transferts d’un camp
à l’autre ont concouru à une nouvelle tripar-
POLITIQUE
tition du paysage politique. Arrivé en tête tique, mais une victoire par défaut qui ne
avec 27,85 % des suffrages, Emmanuel lui procure ni élan ni état de grâce dans la
Macron a regagné sur sa droite ce qu’il avait perspective des élections législatives qui se
perdu à gauche. Derrière lui, Marine Le Pen tiendront deux mois plus tard.
(23,15 %) confirme son enracinement et D’autant que M. Mélenchon a réussi le
étend son influence, arrivant en tête tour de force de sceller un accord avec les
dans 42 départements, contre 52 pour le autres composantes de la gauche, faisant de
président sortant et 12 pour le candidat LFI le pivot de la Nouvelle Union populaire
de La France insoumise (LFI), Jean-Luc écologique et sociale (Nupes) qui portera
Mélenchon, qui obtient 151 députés au Palais-Bour-
21,95%. Face à la désolation bon, dont la moitié pour le
EMMANUEL MACRON
d’une gauche éclatée entre ENREGISTRE UNE groupe LFI. De l’autre côté
quatre candidatures – VICTOIRE POLITIQUE, de l’Hémicycle, le RN, avec
outre M. Mélenchon et MAIS UNE VICTOIRE 88 députés, est désormais
Mme Hidalgo, Yannick Jadot PAR DÉFAUT en position de supériorité
(EELV) et Fabien Rous- QUI NE LUI PROCURE numérique par rapport au
sel (PCF) –, auxquelles NI ÉLAN NI ÉTAT groupe LR, qui n’en compte
s’ajoutaient celles de DE GRÂCE. que 62. Avec 251 sièges sur
Philippe Poutou (Nouveau 577 à l’Assemblée nationale,
Parti anticapitaliste) et de la coalition présidentielle –
Nathalie Arthaud (Lutte Renaissance, MoDem et
ouvrière), leurs électeurs ont fait le choix du Horizons – ne dispose plus que d’une majo-
« vote utile » en faveur du candidat le plus rité relative et doit désormais faire face à la
susceptible d’accéder au second tour. radicalité des oppositions, dominées par le
RN à droite et LFI à gauche.
DES ALLIANCES DE CIRCONSTANCE Une situation d’instabilité renforcée
Si M. Macron s’impose au second tour par le fait que M. Macron ne pourra pas se
dans 77 départements contre une tren- représenter à l’issue de son mandat et que
taine pour sa concurrente d’extrême l’appel d’air ainsi créé commence à attiser
droite, celle-ci poursuit sa progression les ambitions présidentielles, au risque
dans tous les territoires et, avec près de d’ébranler les fragiles alliances de circons-
41,5 % des suffrages, enregistre une pro- tance. Autrement dit, « la poutre n’a pas fini
gression de plus de 2,6 millions de voix de travailler », la décomposition du paysage
par rapport à 2017. Certes, en étant réélu, politique se poursuit sans que se dégagent
M. Macron enregistre une victoire poli- encore les voies de sa recomposition. •
93
 NATIONALE OU LOCALE, DEUX REPRÉSENTATIONS
POLITIQUES DE LA FRANCE
Rarement sera apparue en France une telle distorsion entre les comportements électoraux à l’occasion
des scrutins nationaux et territoriaux. Décimés lors de la présidentielle et des législatives de 2022, les anciens
partis de gouvernement n’en ont pas moins conservé l’essentiel de leurs positions à l’issue des municipales
de 2020 ainsi que des élections départementales et régionales de 2021. Le macronisme ayant échoué
à s’ancrer localement, le pouvoir exécutif se heurte à une forte résistance des territoires.

94 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

POLITIQUE

95
 EMMANUEL MACRON RÉÉLU MAIS FRAGILISÉ
En dix années, le paysage politique français a changé de couleurs. La crise sociale et politique que connaît le pays,
avec notamment la réforme des retraites, traduit la situation d’un président élu avec une forte abstention et affaibli
car ne disposant pas d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale.

PAR PATRICK ROGER

E
n2012,laFranceélectoraleaupre- de la carte. La candidate LR, Valérie Pécresse néanmoins de réserves beaucoup moins
mier tour de l’élection présiden- (4,78%), s’effondre. Elle n’a pas pu résister à la consistantes pour le second tour, ayant déjà
tielle – sur la base du candidat prise en étau entre un président sortant qui capté une partie des voix de la droite républi-
arrivé en tête par commune – est s’est déporté sur sa droite, tout en tempérant caine. Malgré les appels de Yannick Jadot, de
rose et bleu. François Hollande son libéralisme à l’épreuve des crises des Fabien Roussel et d’Anne Hidalgo à faire
(28,63 %) et Nicolas Sarkozy « gilets jaunes » et du Covid, et une extrême barrage à Marine Le Pen, nombreux sont les
(27,18%) se partagent le territoire, le premier droite qui s’efforce de ripoliner son image. électeurs de gauche qui, cette fois, renâclent
dominant dans l’Ouest tandis que le second Emmanuel Macron (27,85 %) fait plus que à placer un bulletin dans l’urne pour celui
se déploie au-dessus de la Loire et sur le flanc récupérer à droite les élec- qui leur apparaît comme un
est. Marine Le Pen (17,9%) perce seulement teurs qu’il a perdus à gauche. « néolibéral de droite ». En
JEAN-LUC
dans les zones rurales et les anciennes zones Il enregistre une progression MÉLENCHON outre, Jean-Luc Mélenchon
industrielles périclitantes du Nord et de l’Est, de plus de 1,1 million de voix. MAINTIENT maintient l’ambiguïté, se
ainsi que dans le Sud-Est. La juxtaposition des deux L’AMBIGUÏTÉ, contentant de dire qu’« il ne
Cinq ans plus tard, alors que le candidat cartes (2017-2022) montre SE CONTENTANT faut pas donner une seule
du Parti socialiste (PS), Benoît Hamon, a été clairement que le vote de DE DIRE QU’« IL NE voix à Marine Le Pen » tout
réduit à 6,36%, le rose a disparu de la carte. la droite républicaine a été FAUT PAS DONNER en laissant à ses électeurs
L’électorat socialiste a été vampirisé par largement capté par le pré- UNE SEULE VOIX le choix entre l’abstention,
Emmanuel Macron (24,01%), cet héritier de la sident sortant. À MARINE LE PEN ». le vote blanc ou nul et le vote
social-démocratie qui a poussé dans l’anti- La gauche, quant à elle, Macron. La candidate d’ex-
chambre de l’Elysée, où il a été secrétaire augmentesoncapitaldevoix trême droite, pour sa part,
général adjoint du cabinet de François Hol- de 1,4 million, mais avec quatre candidats, bénéficiedesappelsàvoterensafaveurd’Eric
lande, et dans les couloirs de Bercy, à la direc- alors qu’elle n’avait que deux représentants Zemmour et de Nicolas Dupont-Aignan, tan-
tion du ministère de l’économie et de l’indus- cinq ans plus tôt. Jean-Luc Mélenchon (LFI, dis que LR adopte une position finalement
trie, sans expérience ni mandat politiques. 21,95%), Yannick Jadot (EELV, 4,63%), Fabien assez proche de celle du chef de LFI.
Une bonne moitié des électeurs du président Roussel (PCF, 2,28%) et Anne Hidalgo (PS,
sortant s’est reportée sur lui. Une partie est 1,75%) totalisent 30,61%, près de 5 points de UNE BAISSE DE 8 POINTS
alléeversJean-LucMélenchon(19,58%),essen- plus qu’en 2017. Mais la dispersion des candi- Avec 58,55 % des suffrages exprimés,
tiellementdanslamoitiésud datures ne permet pas au Emmanuel Macron enregistre certes une
de la France. Le total des voix candidat de La France insou- baisse de près de 8 points par rapport au
ÉRIC ZEMMOUR
de gauche (Mélenchon plus A RÉUSSI À RALLIER mise,mêmes’ilgagneprèsde second tour de 2017, mais conserve quand
Hamon) culmine à 25,94%. DANS DES 0,7 million de voix, de s’im- même une confortable avance sur sa rivale,
PROPORTIONS miscer dans le duo de tête. sans qu’il y ait eu de sensible variation du
LE RN ÉTEND SA TOILE Du fait de la candida- pourcentage d’exprimés par rapport aux
ÉQUIVALENTES
De l’autre côté de l’échi- DES ÉLECTEURS DE ture concurrente d’Eric inscrits entre 2017 (65,97%) et 2022 (65,76%).
quier, la métamorphose est FRANÇOIS FILLON Zemmour (7,07 %), qui a Beaucoup, cependant, notamment à gauche,
presque aussi brutale. Avec ET DE MARINE réussi à rallier dans des pro- n’ont pas manqué de gloser sur un président
ses 20,01%, François Fillon, LE PEN EN 2017. portions équivalentes des « mal élu », avec 38,5% des inscrits, cherchant
candidat Les Républicains électeurs de François Fillon à remettre en cause sa «légitimité». Rappe-
(LR), voit ses places fortes se et de Marine Le Pen en 2017, lons cependant qu’en 2012 François Hollande
réduirecommepeaudechagrin,concentrées cette dernière (23,15 %) ne progresse que avait été élu avec 39% des inscrits. Quant aux
dans les Pays de la Loire, l’Auvergne, les mas- modérément : + 2 points par rapport à 2017, élections législatives qui ont eu lieu en juin,
sifsalpinetjurassien.Unepartiede l’électorat avec un gain de 0,5 million de voix. Toutefois, un seul député, à Wallis-et-Futuna, a été élu
de droite modéré s’est déportée vers le candi- l’ensemble des voix d’extrême droite, en avec un pourcentage à peine supérieur
dat d’Enmarche! La candidate du Rassemble- incluant celles de Nicolas Dupont-Aignan (38,8%) des inscrits, et six députés sur dix
mentnational(RN),MarineLePen(21,3%),qui (2,06 %), est supérieur au total des voix l’ont été avec moins d’un quart des inscrits.
gagne plus de 1,2 million de voix, étend sa recueilliesparlescandidatsdegauche,même Il n’en demeure pas moins que son
toile de manière spectaculaire dans le nord, en y agrégeant celles de l’extrême gauche. socle est fragile et que, désormais privé de
l’est et le sud-est de la France, ainsi que dans Si, au premier tour, Emmanuel Macron majorité absolue à l’Assemblée nationale,
les terres arboricoles et viticoles de la vallée obtient un score plus qu’honorable pour un Emmanuel Macron voit ses capacités d’ac-
de la Garonne et de la Gironde. président sortant, en hausse de près de tion réduites, comme en témoigne la crise
Au premier tour de l’élection présiden- 4 points quand Nicolas Sarkozy en avait sociale et politique engendrée par sa
tielle de 2022, c’est au tour du bleu d’être rayé perdu autant entre 2007 et 2012, il dispose réforme des retraites. .
96 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023
POLITIQUE

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98 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023
POLITIQUE

99
 RASSEMBLEMENT NATIONAL : UNE IMPLANTATION QUI SE GÉNÉRALISE
D’élection en élection, le parti national-populiste poursuit son ancrage dans le pays. Toujours présent
dans les Hauts-de-France, le Grand-Est et le pourtour méditerranéen, le groupe d’extrême droite
s’étend vers le Centre et le Sud-Ouest. Une progression à bas bruit dans les territoires ruraux,
pendant que la formation de Marine Le Pen tend à se normaliser aux yeux des Français.

100 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

POLITIQUE

101
 POLITIQUE
ENTRETIEN AVEC GILLES IVALDI
« LE POPULISME S’APPUIE SUR UNE CRISE DE LA REPRÉSENTATION »
Si les origines du populisme remontent au XIXe siècle, ce mouvement connaît aujourd’hui un nouvel
élan porté essentiellement par une extrême droite et une gauche radicale, rappelle le politiste
Gilles Ivaldi. En Europe et en France, le populisme de la droite dure tente de s’institutionnaliser
dans le jeu politique, tout en restant fidèle à une culture d’origine aux accents fascistes.
PROPOS RECUEILLIS PAR MICHEL LEFEBVRE ET GAÏDZ MINASSIAN
Comment caractériser le populisme?
Le populisme repose sur trois éléments. D’abord, le peuple :
tous les populismes construisent un peuple symbolique,
idéalisé, pur et homogène. Ensuite, ce peuple est opposé aux
élites selon un antagonisme vertical entre le peuple en bas
et les élites en haut. Cet antagonisme peuple-élite revêt une
dimension manichéenne, normative et morale. Le peuple
représenterait le bien et l’élite serait corrompue. Enfin, le
populisme prétend à l’expression de la volonté populaire.
Le peuple doit pouvoir s’exprimer sans contrainte. Le popu-
lisme est vu comme une
espèce d’aspiration démo-
cratique et une extension
« TOUS LES POPULISMES du principe de rejet de
CONSTRUISENT UN PEUPLE contre-pouvoirs. Le leader
SYMBOLIQUE, IDÉALISÉ, PUR ET populiste prétend être celui
HOMOGÈNE. ENSUITE, CE PEUPLE qui va le mieux incarner
EST OPPOSÉ AUX ÉLITES. » cette émanation de la
volonté populaire.
Existe-t-il un populisme français?
Si l’on se réfère à l’histoire des populismes depuis les pre-
miers cas aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle, on retrouve
deux grandes familles populistes en France. La première
est un populisme de droite radicale incarné par les Le Pen.
Ce populisme de droite radicale figure l’intersection ou
l’articulation du populisme avec deux grands systèmes
de valeurs : nationalisme xénophobe et autoritarisme.
Cette conception du pouvoir et de la société autoritaire
est fondée sur l’ordre et la régulation des minorités et
des individualités.
Pourquoi le qualifier de « populisme de droite
radicale » et non d’extrême droite?
Dans l’histoire récente des partis d’extrême droite en
Europe, la plupart d’entre eux, comme le Front national,
sont devenus populistes. Ils ont adjoint la dimension
populiste au corpus d’idées de l’extrême droite, car après
GILLES IVALDI 1945 cette dernière a compris qu’il y avait un tabou sur la
Chercheur CNRS au Cevipof dimension antidémocratique liée à son idéologie durant
et professeur à Sciences Po
Paris. Ses travaux portent l’entre-deux-guerres et conduisant au fascisme et au
sur le phénomène populiste totalitarisme.
contemporain en Europe Pour comprendre ces mouvements, les termes de « droite
et aux Etats-Unis. Dernier radicale populiste » sont les plus appropriés, car tous ne
ouvrage paru : De Le Pen
à Trump : le défi populiste sont pas des mouvements d’extrême droite – le Fidesz,
(Université de Bruxelles, en Hongrie, a d’abord été un parti libéral. Le modèle
2019). de « droite radicale populiste » intègre ces extrêmes
102 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023
droites – Giorgia Meloni en Italie, le Rassemblement natio-
nal (RN) en France, ou le FPÖ en Autriche –, et d’autres
partis hors de l’extrême droite stricto sensu.
Le deuxième type de populisme vient-il de la gauche?
On trouve, à gauche, un populisme associé à une forme de
socialisme, de gauche radicale avec un ensemble de valeurs :
redistribution, réduction des inégalités sociales et interven-
tion de l’Etat. Il s’agit d’un populisme plus universaliste et
inclusif, sans dimension xénophobe, à l’image des popu-
lismes en Amérique latine qui ont voulu ramener les indi-
gènes et les défavorisés dans la communauté nationale.
Si l’on prend le cas français, on peut dire que Jean-Luc
Mélenchon incarne ce populisme de gauche. Le populisme
en est la matrice, qui prend cependant appui sur des
systèmes idéologiques et un système de valeurs plus épais,
qui font la différence par rapport au populisme de droite
radicale chez Marine Le Pen.
Ce populisme de gauche n’est-il pas porteur
d’une exclusion de classe par le haut?
Chez Jean-Luc Mélenchon, il y a l’exclusion du haut, mais
c’est la matrice populiste. Il intègre les élites économiques
dans les élites. En revanche, on ne rencontre pas chez lui
d’exclusion par le bas, ni chez Podemos, en Espagne, Syriza,
en Grèce, ou Die Linke, en Allemagne. Ce populisme-là
intègre à la fois les secteurs les plus vulnérables de la société,
les immigrés et l’ensemble des minorités.
N’accuse-t-on pas facilement de populisme
telle personne ou tel propos?
Le populisme est un terme de stigmatisation, mais aussi
une façon de prétendre incarner cette volonté populaire.
Quand on critique Marine Le Pen, c’est pour son nationa-
lisme ou son autoritarisme. Ce qui fait peur chez elle, ce n’est
pas tant qu’elle crée un peuple symbolique et qu’elle attaque
les élites, mais qu’elle est l’héritière d’un parti d’extrême
droite. Il faut rappeler que le populisme ne vient jamais seul.
Si on s’arrête là, on rate l’histoire de ces mouvements.
Dans Le Siècle de Peron (Seuil, 2016), Alain Rouquié
avertit que, une fois élus, les partis populistes de droite
radicale sont tentés par une captation du pouvoir
à travers le soutien populaire afin de déboucher sur
des dérives antidémocratiques. Qu’en pensez-vous?
J’apporte deux nuances. La première, c’est l’usage du terme
«antidémocratique». Si l’on prend les grandes expériences
 COMMENT VA LA FR ANCE ?
« La France est dans une profonde crise de défiance.
Les Français s’interrogent sur la reconnaissance
du travail et de son statut, mais aussi sur l’identité
et sur la question de la redistribution des richesses. Car,
derrière ces questions sur la réforme des retraites et les
mobilisations, se pose celle du partage de la richesse
dans un pays riche et qui, pourtant, semble de plus en
plus laisser sur le carreau une partie de la population.
Nous sommes à un moment hybride. Pandémie du
Covid et guerre en Ukraine ont fait que l’on s’est tourné
vers des solutions politiques stables et des partis
de gouvernement crédibles et rassurants. Ce moment
hybride pourrait arriver à sa fin. J’ai peur que nous
soyons à l’aune d’un nouveau moment populiste
de droite radicale.
Et dernier élément, qui va dans le sens d’une fin
de la parenthèse Covid : la pandémie a créé beaucoup
de peurs chez les Français. Aujourd’hui, ils se sentent
eux-mêmes plutôt bien et se disent aller mieux que
pendant le Covid, période très compliquée. Bref, sur
un aspect macroéconomique, on note une défiance
politique doublée d’une crise sociale, et sur un aspect
microéconomique, les Français profitent aussi
de ce qui semble être la fin de la pandémie et du retour
à une certaine quiétude dans leur vie personnelle. »
des populistes au pouvoir – Viktor Orban en Hongrie ou
Donald Trump aux Etats-Unis –, on voit surtout une dérive
illibérale qui se traduit par un affaiblissement des principes
de la démocratie libérale et des contre-pouvoirs : juges,
cours constitutionnelles, médias, droits des minorités.
Seconde nuance : il n’y a pas, pour l’heure, de mouvement
antidémocratique de ces partis au pouvoir, car, dans les
pays concernés, les régimes démocratiques sont consoli-
dés. Il est difficile pour eux d’entamer un exercice du pou-
voir visant à défaire les piliers de la démocratie. Mais rien
ne peut être exclu.
Outre la mondialisation, quels sont les ressorts
de ces populismes?
Le populisme, c’est l’exploitation politique du ressentiment.
Il fonctionne par médiation pour transformer ce ressenti-
ment social, économique, culturel en opposition aux élites.
Il existe trois grands types de ressentiment.
Le populisme est d’abord lié à un ensemble d’insécurités
économiques, qui sont le produit de la mondialisation mais
aussi de crises comme celle de 2008.
Le deuxième bloc, plutôt à droite, renvoie aux insécurités
culturelles. Ce populisme de droite exploite d’abord des
insécurités relatives à l’identité, à l’immigration et à la
culture, plus que les implications économiques, même si les
deux sont liées. C’est pour cela que ce type de populisme a
pu être populaire dans des pays en bonne santé écono-
mique comme l’Autriche ou les pays scandinaves.
Le troisième bloc de ressentiment, c’est la question de la
reconnaissance. Le sentiment de ne plus être reconnu
pour son travail, dans son statut social et ses valeurs. Tout
ce que l’on voit sur l’antiwokisme, les théories du genre,
etc., ce sont des réactions d’une partie de la société qui ne
se sent plus reconnue dans les valeurs qu’elle jugeait aupa-
ravant dominantes et qu’on lui a inculquées. La reconnais-
sance du travail fourni – on le voit avec la réforme des
retraites – est au cœur de la contestation, comme le senti-
ment que les professions en première ligne lors de la pan-
démie ne sont plus reconnues. Le populisme s’appuie aussi
sur une crise de la représentation et une demande de res-
pect démocratique. Il existe dans la plupart des pays une
aspiration majoritaire des citoyens à être des coauteurs du
processus de décision politique. On ne peut plus fonction-
ner sur la seule base de la démocratie représentative telle
qu’elle a été conçue après 1945.
A droite, ces populismes ne sont-ils pas caractérisés
par un révisionnisme historique?
Le populisme a nécessairement une lecture sélective de
l’histoire. Hugo Chavez a fait de Simon Bolivar une espèce
d’icône et revisite l’expérience de la révolution bolivarienne.
Lepopulisme,commetouteentreprisepolitique,estd’abord
une (re)construction du réel. Le terme de «révisionnisme»
en tant que tel est plus approprié pour le cas de l’extrême
droite. Celle-ci incarne une culture politique, un système
de pensée qui tiennent à réincorporer les expériences du
fascisme et de Vichy en France. Pour ces partis, c’est une
façon de légitimer ce qu’ils sont. C’est plus difficilement
applicable à un populisme de gauche.
Un risque d’interconnexion entre les deux populismes
est-il possible?
Oui, et c’est d’ailleurs le pari de Marine Le Pen avec son pro-
jet d’union des patriotes. Le clivage vertical peuple-élites est
aussi pour elle celui de la nation contre le global, l’interna-
tional. Elle fait le pari que ce clivage vertical subsume,
dépasse le clivage gauche-droite et que les souverainistes
ont matière à s’unir, comme la grande coalition du non au
référendum de 2005.
Et non, car les deux idéologies épaisses des populismes de
gaucheetdedroitesontantagonistes.Ainsi,unarc populiste
entre Le Pen et Mélenchon
est très peu probable,
même si on observe des
passerelles au niveau des « EN FRANCE, LES PARTIS
électeurs; ce que l’on a vu CONSERVATEURS OU LIBÉRAUX
dans les outre-mer en 2022 SE LAISSENT INFUSER
est intéressant (lire p. 110). PAR LES THÉMATIQUES
D’EXTRÊME DROITE. »
Existe-t-il un danger
de voir ces partis de la
droite radicale virer vers des politiques fascisantes?
C’est toujours un danger. D’une part, ces partis s’institu-
tionnalisent et avancent vers le centre du jeu politique.
C’est la fameuse dédiabolisation chez Marine Le Pen, où
l’on travaille son image pour se dissocier de l’extrême
droite. Leurs thèmes sur l’immigration, la sécurité, l’auto-
rité se diffusent. Quand on voit la dérive autoritaire des
Républicains (LR), c’est assez significatif. En France, comme
en Autriche et aux Pays-Bas, les partis conservateurs ou
libéraux se laissent infuser par les thématiques d’extrême
droite. D’autre part, tout en allant vers le centre, ces partis
conservent des liens avec des groupuscules fascisants ou
d’extrême droite. Au RN, les anciens du GUD sont présents,
et des liens se tissent à l’heure actuelle entre les jeunes du
RN, de Reconquête! (le parti d’Eric Zemmour) et de LR. Ce
double mouvement est préoccupant, car si ces partis se
normalisent, ils continuent, en termes de culture politique
et organisationnelle, de drainer avec eux ces milieux
d’extrême droite. •
103
 2012-2022 : UNE DÉCENNIE DE RECUL
ET D’EFFRITEMENT POUR LA GAUCHE
En 2012, après l’élection de François Hollande, la gauche détenait tous les leviers de pouvoir, exécutifs et
législatifs, nationaux et locaux. Le Parti socialiste et ses alliés possédaient une majorité absolue à l’Assemblée
nationale et au Sénat – une configuration inédite –, la totalité des régions métropolitaines à l’exception
de l’Alsace, la majorité des départements et des villes de plus de 30000 habitants. Dix ans plus tard,
ses places fortes, où elle est réduite à faire de la résistance, ont fondu comme neige au soleil.

104 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

POLITIQUE

105
 2007-2022 : GRÂCE À SES ANCRAGES LOCAUX,
LA DROITE DANS UN RÔLE PIVOT
Si la candidate Les Républicains à l’élection présidentielle de 2022, Valérie Pécresse, a essuyé une sévère déroute
et si sa représentation à l’Assemblée nationale s’est rétrécie, la droite républicaine n’en conserve pas moins une
implantation substantielle dans les exécutifs territoriaux. Elle espère en faire ses bases de reconquête du pouvoir
national. En outre, la majorité dont elle dispose au Sénat lui permet de se poser en interlocuteur-clé de l’exécutif.

106 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

POLITIQUE

107
 L’ABSTENTION TRADUIT UNE PERTE DE CONFIANCE
DANS LE FONCTIONNEMENT DE LA DÉMOCRATIE
En 2022, plus d’un Français sur deux n’a pas voté aux élections législatives…
Cependant, les mobilisations des « gilets jaunes » ou contre la réforme des retraites
témoignent de l’engagement des citoyens dans l’action publique.

PAR ANNE MUXEL

L
ors de la dernière élection prési- l’abstention viennent brouiller, et pour cer- dans les catégories socioprofessionnelles
dentielle, pourtant généralement tains affaiblir, la démocratie électorale. Le supérieures et parmi les électeurs potentiels
plus mobilisatrice que d’autres vote, considéré de plus en plus comme un disposant d’un niveau d’études supérieur
scrutins,aupremiertour,plusd’un droit d’expression, moins enchâssé dans les à bac + 3 : + 5 points parmi les premières et
quartdesFrançais(26,31%)inscrits allégeances sociales et partisanes que par le + 8 points parmi les seconds. Au second tour,
surleslistesélectoralessesontabs- passé,n’estplusunactedontlaprobabilitéest un tiers des cadres est resté en dehors du
tenus et, au second, leur retrait a été encore assurée. Son exercice est de plus en plus assu- scrutin, soit une proportion équivalente à
plus prononcé (28,01%). Le 24 avril 2022, si jetti aux conditions de perception par les celle qui a été mesurée parmi les ouvriers.
l’on ajoute à l’abstention les individus des enjeux d’une La réalité de l’abstention en France,
bulletins blancs et nuls, élection donnée, mais aussi comme dans d’autres démocraties occiden-
Emmanuel Macron n’a été LA TENTATION aux aléas de leur disponibi- tales, incite à interroger ses conséquences
réélu qu’avec 38,5% des suf- DE L’ABSTENTION lité personnelle. Le rapport démocratiques. La demande montante de
frages des Français inscrits COMME SA RÉALITÉ des citoyens à la politique démocratie directe et participative qui se fait
sur les listes électorales. Au ONT AUSSI GAGNÉ s’est désinstitutionnalisé et entendre, en réponse notamment aux cri-
même moment, un Français LES COUCHES individualisé. tiques exacerbées envers la démocratie
sur deux (49%) considérait LES PLUS DIPLÔMÉES Il en est de même du représentative, met le vote en concurrence
que la démocratie fonction- DE LA POPULATION. rapport au vote, entraînant avec d’autres formes d’expression et de
nait mal en France. des fluctuations et des inter- mobilisation.
Quelquessemainesplus mittences de la participa- Le mouvement des « gilets jaunes » et
tard, c’est un record d’absten- tion. En l’espace de vingt ans, les manifestations contre la réforme des
tion qui est battu lors des élections législa- entre 2002 et 2022, le vote systématique retraites, leurs actions dans la rue comme
tives et la désignation des élus qui représen- aux deux tours de l’élection présidentielle le soutien majoritaire de l’opinion envers
teront le peuple souverain à l’Assemblée et aux deux tours des élections législatives les causes défendues, par-delà leurs enjeux
nationale. Plus d’un Français sur deux n’a pas est passé de 48% à 37%, soit une baisse de de contestation, témoignent d’une vitalité
participé au scrutin au premier tour (52,49%) 11 points. L’abstention systématique n’a démocratique, au sens d’un engagement des
comme au second (53,77%). Depuis qu’elles progressé que de 3,6 points. C’est la part des citoyens dans l’action publique. Mais pour
existent, jamais les législatives n’avaient été électeurs intermittents qui conditionne de qu’il vive pleinement, le projet démocratique
saisies d’une telle grève des urnes. plus en plus la teneur de la participation. doit pouvoir s’appuyer sur l’une de ses condi-
Ce changement de comportement tions premières, à savoir l’organisation de la
LES INTERMITTENTS DU VOTE civique est particulièrement visible dans représentation politique et l’assurance de la
C’est dire que le pays est en proie à une le renouvellement générationnel. Lors de légitimité de celle-ci. Le vote en est l’outil. Il y
crise de la représentation politique qui, la séquence électorale du printemps 2022, a plus que jamais nécessité de restaurer la
depuis une bonne trentaine d’années, vient 60,3 % des inscrits âgés de 18 à 24 ans ont confiance des citoyens pour que le bon fonc-
entamer la confiance de la population au voté à au moins un, mais pas à tous les tours tionnement de la démocratie soit garanti. •
cœur même de son principe que comptaient l’élection présidentielle et
organisateur, à savoir le vote, les élections législatives. C’est 23,3 points de
ANNE MUXEL et de ses institutions. plus que dans l’ensemble du corps électoral.
Directrice de recherche Mais, une fois ce constat
en sociologie et en science
politique au CNRS (Cevipof/ posé, on ne peut évincer la LE VOTE MIS EN CONCURRENCE
Sciences Po), elle est l’autrice réalité d’un changement des L’effet de facteurs culturels et sociaux est
de plusieurs ouvrages usages démocratiques, et toujours bien repérable. On vote moins dans
en sociologie politique, notamment du comporte- les catégories populaires que dans les catégo-
notamment La Tentation ment électoral. Le vote systé- ries privilégiées, et l’abstention systématique
radicale. Enquête auprès
des lycéens (PUF, 2018), matique, arrimé à la norme yestaussiplusmarquée.Lesliensentrelapar-
codirigé avec Olivier Galland, civique du devoir de voter, ticipation électorale et les conditions de l’in-
Politiquement jeune (Editions régresse au profit d’un vote sertion sociale et économique restent impor-
de l’Aube, 2018) et Histoire intermittent qui se généra- tants. Néanmoins,latentationdel’abstention
d’une révolution électorale
(2015-2018) (Classiques lise, et ce quelle que soit la comme sa réalité ont aussi gagné les couches
Garnier, 2019), codirigé nature de l’élection. La tenta- les plus diplômées de la population. La pous-
avec Bruno Cautrès. tion comme la réalité de séedel’abstentionentre2017et2022estvisible

108 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023

POLITIQUE

109
 PRÉSIDENTIELLE 2022 : LES OUTRE-MER CHOISISSENT MARINE LE PEN
Alors qu’au premier tour de l’élection présidentielle Jean-Luc Mélenchon est arrivé en tête dans six des dix
départements et collectivités ultramarins, un virage paradoxal s’opère au second tour. Hormis dans le Pacifique,
l’extrême droite est préférée des électeurs, lesquels se disent «ignorés», «abandonnés», «méprisés» par la métropole.

PAR PATRICK ROGER

110 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023


L
es élections présidentielle et
législatives de 2022 dans les
outre-mer ont offert un étrange
paradoxe. Ou, plutôt, plusieurs
paradoxes. Au premier tour du
scrutin présidentiel, Jean-Luc
Mélenchon est arrivé en tête dans six des dix
départements et collectivités d’outre-mer,
avec des scores supérieurs à 50% des suf-
frages exprimés en Guadeloupe, en Marti-
nique et en Guyane, et de plus de 40% à La
Réunion ou à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Même la circonscription de Saint-Barthé-
lemy et Saint-Martin, traditionnellement à
droite, a placé le candidat de La France insou-
mise (LFI) en tête. Seules les collectivités du
Pacifique – Nouvelle-Calédonie, Polynésie
française, Wallis-et-Futuna – ont donné
l’avantage à Emmanuel Macron, tandis que
Marine Le Pen s’imposait à Mayotte avec
42,7% des suffrages.
Ainsi, sur l’ensemble des outre-mer,
avec 39,96% des suffrages, M. Mélenchon
devançait la candidate d’extrême droite
(21,29%) et le président sortant (20,58%).
Un échec cuisant pour ce dernier, mais
qui allait être encore amplifié au second tour.
Celui-ci voit Mme Le Pen l’emporter large-
ment sur l’ensemble des outre-mer, avec
58,27%, contre 41,73% à M. Macron. Elle frôle
même les 70% en Guadeloupe! En 2017, au
second tour, M. Macron l’avait emporté avec
64,39%, contre 35,61%. Ainsi, en cinq ans, la
présidente du Rassemblement national (RN)
enregistre-t-elle une progression de près de
POLITIQUE
23 points. Certes, les élections européennes Les élections législatives ont confirmé
de 2019 avaient déjà montré que les digues cette débâcle de la majorité présidentielle.
ultramarines face à l’extrême droite avaient Sur les vingt-sept députés des outre-mer,
cédé, provoquant un véritable séisme. La seuls quatre la soutiennent. La représenta-
liste du RN était arrivée en tête dans toutes tion à l’Assemblée nationale, cependant, ne
les collectivités d’outre-mer, à l’exception de reflète pas les scores de la présidentielle,
la Martinique, de la Polynésie française et de puisque si dix-huit élus ultramarins étaient
Wallis-et-Futuna. soutenus par la Nouvelle Union populaire
écologique et sociale (Nupes), trois seule-
DE NOMBREUX SUJETS DE COLÈRE ment ont rejoint le groupe LFI, alors que
Cependant, et ce n’est pas le moindre quatre se sont affiliés au groupe PS et dix à
paradoxe, comment une importante partie celui de la Gauche démocrate et républicaine
des électeurs ultramarins a-t-elle pu ainsi (GDR) constitué par le PCF. En revanche, le
passer entre les deux tours de l’élection pré- RN, malgré les scores de Mme Le Pen à la pré-
sidentielle de Mélenchon à sidentielle, n’a obtenu aucun
Le Pen ? Au premier rang élu aux législatives.
des raisons, un vote de rejet EN REVANCHE, On touche là à un autre
de M. Macron, quel que soit LE RASSEMBLEMENT paradoxe : l’incapacité du
l’expédient par lequel il s’ex- NATIONAL, MALGRÉ parti d’extrême droite à
prime. Ce profond ressenti- LES SCORES DE concrétiser localement ses
ment se nourrit de plusieurs MME LE PEN À LA scores nationaux. Malgré
carburants, à commencer PRÉSIDENTIELLE, N’A ses efforts d’implantation et
par le sentiment que les OBTENU AUCUN ÉLU de structuration, il demeure
outre-mer sont « ignorés », AUX LÉGISLATIVES. encore, dans l’ensemble,
«méprisés», «abandonnés»… un « parti fantôme ». En
La vie chère, la précarité éco- témoignent les difficultés
nomique,lemal-logement,maisaussilapoli- qu’il a rencontrées à présenter des candi-
tique de vaccination contre le Covid, le scan- dats aux élections municipales, départe-
dale du chlordécone – ce pesticide toxique mentales ou régionales dans les outre-mer
utilisé dans les bananeraies jusqu’en 1993 –, et les scores faméliques qu’il y a recueillis.
les pénuries d’eau, les invasions d’algues sar- Le paradoxe ultramarin illustre la dichoto-
gasses dans les communes côtières antil- mie d’un RN fort en scores et faible en
laises sont autant d’ingrédients attisant les troupes, mais il est aussi un reflet exacerbé
colères, quand ne s’y ajoutent pas l’immigra- de l’état de détresse dans lequel se trouve
tion clandestine et le pillage des ressources… une partie de la population ultramarine. •
111
 LES FRANÇAIS ET L’UNION EUROPÉENNE :
UNE RELATION AMBIVALENTE
Si les Français jugent l’Union européenne déconnectée du terrain et si moins d’un sur trois lui accorde
sa confiance, Bruxelles incarne pour eux, malgré tout, un pôle de stabilité dans un monde traversé
de crises économiques, sanitaires ou géopolitiques. De fait, plus de la moitié approuvent
l’appartenance de la France à l’Union européenne.

PAR ABEL MESTRE

E
t si un monde en crise était le continuent d’interroger le modèle français depuis six ans, néanmoins), contre 20% qui
meilleur allié de la construction de cohésion sociale, l’instabilité géopolitique pensent le contraire et 22 % qui se pro-
européenne ? C’est ce que l’on et ses répercussions en matière de politique noncent pour le statu quo. Ce désir de renfor-
pourrait croire au regard de l’évo- énergétique, de cycle inflationniste et de cement des prérogatives nationales est par-
lution du sentiment européen. contestation démocratique accélèrent ce ticulièrement fort chez les ouvriers (67%) et
De plus en plus de personnes moment de bascule vers une alliance euro- les employés (61%) dans l’électorat mélen-
estiment ainsi que l’appartenance de la péenne de valeurs et d’identité collectives. » choniste (63%) et lepéniste (80%).
France à l’Union européenne (UE) est une Ce sont les mêmes catégories qui se
bonne chose. C’est ce que montre, en tout L’EFFET BREXIT disent, d’ailleurs, les plus hostiles à l’appar-
cas, l’enquête annuelle « Fractures fran- La progression du sentiment pro-euro- tenance de la France à l’UE. « La demande de
çaises », réalisée mi-septembre 2022 par péen se marque notamment après le Brexit, souveraineté est très forte, note encore Brice
Ipsos-Sopra Steria pour Le Monde, la Fonda- en 2016. Alors que les eurosceptiques et les Teinturier. Il y a une volonté de renationali-
tion Jean Jaurès et le Centre de recherches europhobes pensaient que la sortie du ser les décisions, notamment dans le
politiques de Sciences Po (Cevipof), sur un Royaume-Uni de l’UE allait servir de modèle domaine économique. Petit à petit, la prise
échantillon de 12044 personnes. et lever un tabou dans l’opinion française, il de conscience des méfaits de la désindustria-
Ils sont ainsi 57% à approuver l’appar- faut souligner que, depuis cette date, les lisation grandit. » Un phénomène qui n’est
tenance à l’UE, 28% à la combattre et 15% à défenseurs de l’appartenance de la France à pas contradictoire avec la volonté de rester
être indifférents au sujet. Si ce dernier chiffre l’UE ont toujours été largement majoritaires. dans l’UE, puisque cela relève également
est stable depuis 2014, ce n’est pas le cas des De même, alors que c’est souvent un scrutin d’une demande de protection, au niveau
deux autres. Il y a neuf ans, boudé par les Français, la national cette fois.
les réponses se répartis- LESOUHAIT participation aux élections
saient quasiment à égalité européennes a connu un net LA PRÉFÉRENCE AUX ÉLUS LOCAUX
D’UNRENFORCEMENT
entre les pro-UE (45 % des DESPOUVOIRSDELA rebond en 2019, avec 50,1% Cette prudence vis-à-vis de l’UE se
personnes interrogées) et les FRANCEPARRAPPORT de participation, contre retrouve également dans la confiance que
anti (40%). Comment expli- ÀCEUXDEL’UE 42,4% en 2014. De plus, lors les Français accordent aux institutions de
quer cet effet delta? « Dans EST MAJORITAIRE. de ces élections, c’est Europe Bruxelles. Selon un sondage OpinionWay
les périodes troublées, il y a Ecologie-Les Verts, parti de février réalisé sur un échantillon de
une progression du senti- fédéraliste, qui créa la sur- 3072 personnes, un peu moins d’un tiers des
ment que l’Europe est utile. En trois ans, nous prise, avec près de 13,5% des suffrages, der- sondés ont confiance dans l’UE. Un chiffre
avons connu la crise du Covid et la guerre en rière la liste de La République en marche équivalent à ceux qui concernent le gouver-
Ukraine. Dans un monde dangereux, l’Union (parti présidentiel, pro-UE, 22,4 %) et le nement,l’Assembléenationaleouleprésident
européenne peut apporter des choses : la coor- Rassemblement national (extrême droite, de la République, loin derrière celui des élus
dination des efforts, de la recherche et de la europhobe, 23,3%). municipaux, en qui plus de la moitié des per-
réponse diplomatique », avance Brice Cependant, il ne faudrait pas croire que sonnes interrogées disent avoir confiance.
Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos. le temps de l’« euro-enthousiasme » serait Ces résultats montrent toute l’ambiva-
En résumé, il existe une forte demande de revenu. « On n’est plus dans la situation des lence de la relation que les Français entre-
protection, qui peut passer par l’union face à années 1980 et 1990, confirme Mathieu tiennent avec l’UE. Cette dernière fait figure
des dangers communs. C’est le cas notam- Gallard, directeur d’études à Ipsos. L’amélio- de bouclier face aux dangers extérieurs et
ment pour les relations internationales. Face ration du rapport des citoyens à l’Union euro- sort renforcée d’une période où les crises
aux trois grandes puissances – Etats-Unis, péenne ne veut pas dire qu’il y aura un reflux s’enchaînent, voire s’accumulent. Face à une
Russie et Chine –, les pays européens doivent des partis eurosceptiques ou europhobes aux situation incertaine, l’UE incarne, malgré
mettre leurs forces en commun s’ils veulent prochaines élections européennes. Le lien n’est tout, un pôle de stabilité. Mais, dans le même
peser dans le débat diplomatique. pas automatique. » temps, l’Union apparaît déconnectée de la
Commentant ces résultats, Martial D’autant plus que la demande de souve- réalité du terrain et, surtout, comme une
Foucault, directeur du Cevipof, écrivait à ce raineté reste profonde. Ainsi, le souhait d’un structure défaisant la nation de ses préroga-
sujet dans les colonnes du Monde : « Les Fran- renforcement des pouvoirs de la France par tives politiques. Un peu comme si les
çais redécouvrent implicitement un principe rapport à ceux de l’UE est nettement majori- Français recherchaient une coopération
qui avait perdu de sa superbe, à savoir que taire (58% des personnes interrogées pour renforcée au niveau continental plutôt
l’union fait la force. (…) Malgré les fractures qui « Fractures françaises », en baisse constante qu’une véritable union politique. •
112 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023
POLITIQUE

113

ATLAS
Atlas des outre-mer, de Martial
Foucault et Jean-Christophe Gay, sous
la direction de Mikaa Mered,
Autrement, coll. « Atlas Monde »,
2023, 96 p., 24 €.
Atlas des inégalités. Les Français face
à la crise, d’Hervé Le Bras, Autrement,
coll. « Atlas Monde », 2023, 96 p., 24 €.
La France. Atlas géographique
et géopolitique, sous la direction
de Stéphanie Beucher et Florence
Smits, cartographie d’Aurélie
Boissière, Autrement, coll. « Atlas
Concours », 2022, 192 p., 29,90 €.
50 cartes à voir avant d’aller voter.
Un atlas pour éclairer les enjeux
des élections, d’Aurélien Delpirou
et Frédéric Gilli, cartographie
de Mélanie Marie et Hugues Piolet,
Autrement, coll. « Atlas. Atlas pour
tous », 2022, 128 p., 12,90 €.
Atlas des immigrations en France,
de Pascal Blanchard, Hadrien Dubucs
et Yvan Gastaut, cartographie
d’Aurélie Boissière, Autrement, coll.
« Atlas Monde », 2021, 96 p., 24 €.
Atlas des Français. Plus de 180 cartes
et graphiques, de Laurence Duboys
Fresney, cartographie d’Alexandre
Nicolas, Autrement, coll. «Atlas»,
2021, 256 p., 24,90 €.
Atlas historique de la France,
de Christian Grataloup, Les Arènes-
L’Histoire, 2020, 318 p., 24,90 €.
Grand atlas de la France 2018. Toute
l'actualité française en 150 cartes,
sous la direction de Frank Tétart,
Autrement, coll. « Atlas Monde »,
2018, 128 p., 17,90 €.
Atlas des seniors et du grand âge
en France. 100 cartes et graphiques
pour analyser et comprendre, de
Mickaël Blanchet, Presses de l’EHESP,
2017, 120 p., 30 €.
Atlas politique de la France. Les
révolutions silencieuses de la société
française, sous la direction de Jacques
Lévy, Autrement, coll. « Atlas Monde »,
2017, 96 p., 24 €.
Atlas de la France toxique. Atmosphère
polluée, sites contaminés, eaux
empoisonnées… Tous les risques près
de chez vous, association Robin des
Bois, cartographie de Julien Perreaut,
Arthaud, coll. « La traversée des
mondes », 2016, 164 p., 18 €.
Atlas électoral de la France 1848-2001,
de Frédéric Salmon, Seuil, 2001,
94 p., 35,50 €.
114 LE MONDE HORS-SÉRIE MAI › JUILLET 2023
BIBLIOGRAPHIE
LA FRANCE ET LES FRANÇAIS
France, portrait social, Insee,
coll. « Insee Références »,
2022, 224 p., 19,80 €.
Une jeunesse engagée, de Martial
Foucault et Anne Muxel, Presses
de Sciences Po, coll. «Essai»,
2022, 236 p., 17 €.
La France sous nos yeux. Economie,
paysages, nouveaux modes de vie,
de Jérôme Fourquet et Jean-Laurent
Cassely, Points, coll. «Documents»,
2022, 648 p., 10,90 €.
Les Français sur le fil de l’engagement,
d’Anne Muxel et Adélaïde
Zulfikarpasic, Editions de l’Aube-
Fondation Jean Jaurès, 2022, 160 p.,
17 €.
La France telle que je la connais,
de Jean Viard, Editions de l’Aube,
coll. « Le 1 en livre », 2022, 276 p., 17 €.
La France contre elle-même. De la
démarcation de 1940 aux fractures
d’aujourd’hui, de Richard Werly,
Grasset, coll. «Essai», 2022,
234 p., 20,90 €.
Hippocrate et les territoires.
Perspectives pour la santé globale,
dirigé par Georges Képénékian,
Vincent Aubelle, Samuel Bosc,
Editions de l’Aube, coll. « Monde en
cours. Essais », 2021, 200 p., 20 €.
Les Invisibles de la République.
Comment sauver la jeunesse
de la France périphérique?,
de Salomé Berlioux et Erkki Maillard,
J’ai lu, 2020, 222 p., 7,30 €.
L’Archipel français. Naissance d’une
nation multiple et divisée, de Jérôme
Fourquet, Points, coll. «Essais», 2020,
512 p., 11,90 €.
Métamorphose du monde rural.
Agriculture et agriculteurs dans
la France actuelle, d’Hervé Le Bras
et Bertrand Schmitt, Editions Quæ,
2020, 152 p., 20 €.
La France contemporaine, vol. 10. La
France à l’heure du monde. De 1981 à
nos jours, de Ludivine Bantigny, Points,
coll. «Histoire», 2019, 568 p., 11,80 €.
Se sentir mal dans une France qui va
bien. La société paradoxale, d’Hervé
Le Bras, 2019, Editions de l’Aube,
coll. « Monde en cours », 168 p.,
17,90 €.
Le Mystère français, d’Hervé Le Bras et
Emmanuel Todd, Points, coll. «Essais»,
2015, 336 p., 9,50 €.
Le Paradoxe du macronisme,
ÉLECTIONS de Luc Rouban, Presses de Sciences
Po, coll. « Nouveaux débats »,
2018, 176 p., 12 €.
Démobilisation électorale dans
la France urbaine. Les élections
municipales de 2020, RÉGIONS
de Rémi Lefebvre et Sébastien Vignon,
Presses universitaires de Rennes,
La Décentralisation. Pour, contre
coll. « Res Publica », 2023, 264 p.,
ou avec l’Etat?, de Vincent Aubelle
24 €.
et Eric Kerrouche, La Documentation
française, 2022, 320 p., 21 €.
Tableau historique de la France.
La formation des courants politiques
de 1789 à nos jours, d’Hervé Le Bras, Géographie du politique, de Jacques
Seuil, coll. « Sciences humaines », Lévy, Odile Jacob, coll. « Sciences
2022, 352 p., 23,50 €. humaines », 2022, 304 p., 24,90 €.
Le Vote clivé. Les élections
présidentielle et législatives d’avril Comment fonder la République
et juin 2022, sous la direction de décentralisée?, de Vincent Aubelle,
Emeric Bréhier, Jean-Paul Planchou,
Pascal Perrineau, Presses
Editions de l’Aube, coll. « Monde
universitaires de Grenoble, coll.
en cours. La petite boîte à outils »,
« Libres cours. Politique », 2022,
2021, 112 p., 8,90 €.
348 p., 25 €.
Les Raisons de la défiance, de Luc Les Grandes Figures de la
Rouban, Presses de Sciences Po, décentralisation. De l’Ancien Régime
2022, 174 p., 15 €. à nos jours, sous la direction de
Vincent Aubelle et Nicolas Kada,
Le Clivage droite-gauche. Toute Berger-Levrault, 2019, 832 p., 49 €.
une histoire, de Janine Mossuz-Lavau,
Presses de Sciences Po, coll. La France des treize régions,
« Nouveaux débats », 2020, 176 p., sous la direction de Laurent Carroué,
12 €. Armand Colin, coll. « U. Géographie »,
2017, 336 p., 33 €.
De Le Pen à Trump. Le défi populiste,
de Gilles Ivaldi, Université de Bruxelles,
Dictionnaire encyclopédique de
coll. « UBlire. Références », 2019,
la décentralisation, sous la direction
400 p., 13 €.
de Nicolas Kada, Romain Pasquier,
Claire Courtecuisse et Vincent Aubelle,
Villes de gauche, villes de droite.
Berger-Levrault, 2017, 1096 p., 75 €.
Trajectoires politiques des
municipalités françaises de 1983
à 2014, de Richard Nadeau, Martial La France dans ses territoires, de
Foucault, Bruno Jérôme et Véronique Magali Reghezza-Zitt, Armand Colin,
Jérôme-Speziari, Presses de Sciences coll. « Cursus. Géographie »,
Po, coll. « Collection académique. Fait 2017, 264 p., 20,50 €.
politique », 2018, 276 p., 23 €.
France, pouvoirs et territoires,
Le Nouvel Ordre électoral. A l’âge Hérodote, n° 154, La Découverte,
du tripartisme, d’Hervé Le Bras, troisième trimestre 2014, 216 p., 23 €.
Seuil-La République des idées,
2016, 144 p., 13 €.
EMMANUEL MACRON
L’Entreprise Macron à l’épreuve du
pouvoir, sous la direction de Bernard
Dolez, Anne-Cécile Douillet, Julien
Fretel et Rémi Lefebvre, Presses
universitaires de Grenoble, coll.
« Libres cours. Politique », 2022,
300 p., 26,30 €.
Emmanuel Macron à contretemps,
d’Olivier Mongin et Lucile Schmid,
Bayard, coll. «Constellation»,
2022, 330 p., 21,90 €.
Emmanuel Macron et les réformes
territoriales. Finances et institutions,
sous la direction de Patrick Le Lidec,
Berger-Levrault, coll. « Au fil du
débat », 2020, 260 p., 29 €.
 FRAGMENTS DE FRANCE

DU CÔTÉ DE PAU – Maxime Toulet, 19 ans, en deuxième année de BTS de production animale, et Margaux
Peyri-Capera, 18 ans, le 23 septembre 2021, au lycée agricole de Montardon (Pyrénées-Atlantiques).
LAURENCE GEAI POUR « LE MONDE » X 2 – THIBAULT STIPAL POUR « LE MONDE »

AUTOUR DE LA ROCADE – Eva Cassiano (à gauche) devant sa mère, Rose Lagrenet; Laura Gonzalez (à droite) avec ses enfants, Clélia et Matteo;
Tony Dechelotte (au centre) et Benoît Jacquaud, le 5 septembre 2021, sur la rocade de Rochefort (Charente-Maritime).
 UNE VIE, UNE ŒUVRE

Annie Ernaux
La passion d’écrire
Vue par Laure Adler, Camille Laurens, Denis Podalydès…

Seule Française Prix Nobel de littérature, Annie Ernaux n’est

ANNIE ERNAUX
Un hors-série du « Monde »
124 pages - 10,50 €
Chez votre marchand de journaux
pas une écrivaine consensuelle. Entre roman, écriture du
réel, journal intime, sociologie et histoire, elle brouille les
frontières littéraires. En soulignant les points de crispation
de notre société, elle dérange... Le Monde tente dans ce hors-
série de mettre en avant l’audace de son entreprise, à travers
un portrait inédit de Geneviève Brisac, des extraits, des
textes critiques, des réflexions de Brigitte Giraud, Denis
Podalydès, Eric Vuillard, etc.