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Les convives étaient effrayés. Tétanisés, même. Personne, dans la pièce n’osait
bouger. La fête s’était arrêté brutalement lorsqu’un invité surprise avait fracassé
la porte d’entrée du Palais de Jade avec une violence extrême, décapitant au
passage l’un des gardes à l’aide de son sabre. Il avait donné le ton de la scène
qui allait se jouer dans la vaste pièce dans laquelle il venait de pénétrer.
Les occupants du palais, tétanisés par la scène, s’étaient montrés très obéissants.
La tête du garde n’avait pas fini de rouler qu’ils s’étaient tous empressés de se
coucher au sol, priant pour ne pas finir dans le même état que celui qui gardait la
porte. La plupart des membres de l’aristocratie de l’île du soleil étaient là. La
crème des dirigeants locaux.
Il y avait même un des conseillers de Yamato Akubo, tout droit venu des Kyotän. Que
pouvait bien faire un des hommes de l’empereur sur cette petite île reculée de
l’archipelle ? N’avaient-il pas à faire dans la capitale ?Danzö était plutôt
surpris de le voir là. D’un pas lourd, l’homme en armure s’avança vers le notable
qui, comme la plupart des autres nobles de la fête s’était recroquevillé au sol en
position fœtal.
Le soldat des légendes, le samouraï des temps an-ciens, l’homme au masque doré
était là. Et il était là pour lui. Seule la lente respiration mécanique de Danzö
perçait le silence de mort qui régnait dans la salle. Une expression bien choisie
puisque celui qui qui s’avançait dans la direction du conseiller était un assassin
redoutable. Les légendes concernant Danzö Sokaï étaient nombreuses. Mais elles
avaient toutes un point commun. Elles disaient toutes que celui que l’on croyait
immortel était mort il y a une bonne dizaine d’années.
Il était en état de choc. Lui qui espérait passer inaperçu semblait être une des
cibles de Danzö. Le fonctionnaire tremblait de tout son long.
— « Ne remuez pas trop, Kimshi, Django est très sensible aux vibrations… »
— « Vous n’embarquerez personne ! » S’exclama un jeune homme armé d’un sabre tout
en courant dans la direction de Danzö.
— « Ne fais pas ça, petit… » Murmura le guerrier aux longs cheveux blanc avant
d’armer à son tour son katana. Face à toute cette agitation, le strangolin arma sa
longue queue recouverte d’écailles et l’utilisa pour faire trébucher le jeune
téméraire qui avait eu la folie de défier Danzö.
— « Vous êtes sur ma liste. Je vous embarque. » Répondit Danzö en retirant son
sabre de la gorge de Thomas.
Ce après quoi il s’approcha de son Strangolin et s’empara d’une fiole qui était
attaché à la selle de l’animal. Il sortit ensuite d’une de ses poches un bout de
tissus qu’il imbiba avec le contenu de la fiole, sous les regards à la fois
inquiets et interrogateurs des otages. Profitant de l’inattention de Danzö, Thomas
se releva brutalement et planta son sabre dans le corps du vieux guerrier.
Un rebondissement qui provoquât un certain entrain auprès des otages. Entrain qui
se changea en sidération quelques instants plus tard.
C’était comme s’il ne ressentait aucune douleur. D’un geste vif, il attrapa Thomas
par le col et plaqua contre son visage le tissus imbibé. Le jeune homme ne tarda
pas à perdre connaissance, tout comme certains des occupants de la pièce, qui ne
comprenaient pas pourquoi Danzö n’était pas blessé alors qu’un katana transperçait
son torse de part et d’autre.
Juste un léger filet. Danzö, à la fois amusé et blasé s’avança ensuite dans la
direction du conseiller Kimshi et plaqua contre son visage le chiffon. Le notable
tomba dans les pommes. Avec détermination, Yalberte se leva et s’avança vers
Danzö.
— « Allons, ce n’est qu’un peu de sang mélangé avec une potion de sommeil… »
Répondit Danzö sur un ton nonchalant.
Dans un geste aussi puissant que soudain, Danzö se propulsa dans la direction de
Yalberte et plaquât le chiffon imbibé contre son visage. La vielle femme ne tarda
pas à tourner également de l’œil. Le guerrier masqué prit la grand-mère sur son
épaule et la plaça sur le dos de Django. Il en fit de même pour Thomas et le
conseiller Kimshi, ce après quoi le samouraï balaya d’un regard glacial la salle,
l’air de dire « Surtout, ne tentez rien. Ou il vous en coûtera. » Danzö bondit
ensuite sur le dos de Django et la créature s’en alla d’un pas lent, tandis que le
pression retombait dans le palais.
Le questeur Kitano était un des plus fins limiers de la garde impériale. C’était un
enquêteur hors pair. Dès lors que l’enlèvement du conseiller Kimshi était remonté
aux plus hautes instances administratives du pays, Kyotän avait fait dépêcher
Kitano sur l’île du soleil.
D’aucun disaient qu’elle abritait une lame empoison-née, information que le petit
protégé de l’empereur Yamato n’avait jamais démenti. Kitano avait égale-ment la
particularité de scruter régulièrement sa montre à gousset. C’était obsessionnel
chez lui. Mécaniquement, il sortait à heures fixes de la petite poche intérieure de
sa veste une flasque dont il buvait quelques gorgées du contenu avant de la
replacer dans sa poche.
Les personnes les moins bien informées pensaient que le petit récipient en métal
contenait de l’alcool. C’était faux. Kitano avait une sainte horreur de ce genre de
substance. Dans la charrette qui le conduisant au Palais de Jade, l’inspecteur
faisait face au lieutenant Satoshi, un soldat rattaché à la préfecture de l’île du
soleil.
— « Inspecteur, que diriez-vous de faire une petite pause pour déguster quelques
takoyakis chez Moboro ? »
— « Vous êtes suffisamment gros comme ça, Satoshi. » Répondit l’inspecteur du tac-
au-tac sans décoller son nez du journal impérial du jour.
— « Pas aussi bonnes que vos takoyakis, Satoshi, mais heureusement aucun article ne
fait mention de la petite intrusion surprise d’un homme mort au Palais de Jade… »
— « Il faut croire que la censure fait bien son boulot. L’inspecteur Kitano baissa
son journal et plaça son regard au-dessus des deux petits lorgnons dorés qu’il
portait lorsqu’il lisait. Il lança d’un ton autoritaire typique des hauts-gradés
d’Akubo. »
Le soldat dégluti.
— « Oui, peut-être, monsieur… mais les six-cent morts ont bien été listés dans les
rubriques nécrologiques. Le motif invoqué était généralement « mort au combat sur
le continent pour servir l’empire » ou bien encore « exécuté par les infâmes
Rockwelliens ». »
— « Des femmes, des enfants et des vieillards qui n’ont jamais quitté l’île du
soleil ? Morts sur le continent ? »
— « Si vous voulez une carrière et dans une moindre mesure une vie durable,
ne remettez pas trop en cause l’action de l’état. Voyez cela comme un conseil
amical, Satoshi. »
— « Juste prévoyant. Je n’ai pas envie de finir au bout du corde à cause de l’une
de vos bourdes. »
— « Comment vous faites pour savoir si ce que vous lisez dans ce journal est vrai ?
— « Disons que je lis entre les lignes… » Répondit le questeur sur un ton
mystérieux. Satoshi pouffa.
— « Vous comparez ? »
— « Étant donné mon rang dans l’administration j’ai accès aux véritables
informations. Je connais bien le discours officieux et je m’amuse à le comparer
avec le discours officiel. C’est un passetemps. Vous pouvez penser ce que vous
voulez de la censure, mais vous ne m’ôterez pas de la tête que ceux qui y travaille
sont très imaginatifs… »
Sur ces mots, le carrosse s’arrêta et le cocher indi-qua aux deux militaires qu’ils
étaient arrivé au Palais de Jade. Satoshi bondit en dehors du véhicule et pro-posa
son bras comme appui pour l’inspecteur Kitano qui, du fait de son « petit soucis de
jambe », était en difficulté quand il s’agissait de sauter sans se casser la
figure.