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Par Katrina Ostander

Traduction : Romgam, Relecture : Flex


Mise en page : VanReignard

Les guerriers en armure lourde et les messagers en armure légère du clan de la Grue se
pressaient dans la petite salle d’audience. La suite de la famille Tsume s’agita à l’approche de la
garde d’honneur.

L’armure dō resplendissante de Doji Hotaru annonçait qu’elle était en visite en sa qualité


de chef des forces militaires du clan de la Grue. Daidoji Netsu, dans sa tenue d’apparat de général,
et Kakita Toshimoko, dans ses robes discrètes, la suivaient de près.

La dame du château s’agenouilla sur un dais ne comportant qu’une marche, ses longs
cheveux brun-noirs détachés et sans ornement, à l’exception d’un unique postiche en argent en
forme de plume au-dessus de son oreille gauche. Ses robes bleu-argent étaient neuves, peut-
être les plus beaux vêtements qu’elle possédait. Elle s’inclina jusqu’à ce que sa tête touche le
sol à l’approche de sa championne, et Doji Hotaru lui rendit la politesse en s’inclinant à son tour
profondément.

« Vous êtes les bienvenus à château Kyotei, ma Dame et championne. Les samouraïs de
la famille Tsume sont honorés de vous offrir notre maigre hospitalité et sont prêts à vous servir si
vous avez besoin de nous. Nous sommes également heureux d’apprendre que vous avez été à la
fois victorieuse et épargnée de toute perte majeure lors de votre marche vers le nord. »

« Merci pour votre accueil, Tsume no Doji Itsuyo-dono, » répondit Hotaru. Venant de
la famille Shiba du Phénix, la jeune femme était peut-être nouvelle dans le clan, mais sa grâce
guerrière et ses manières liées à sa haute lignée étaient indubitables. « On m’a dit que vous avez
su résister à votre propre part d’agression des Lions, et que votre habileté au sabre n’a d’égal que
votre diligence à diriger la vallée. »

Tsuyo déploya son éventail pour dissimuler son rougissement. « Je suis humblement
touchée par vos louanges, Doji-ue. »

Elle semblait déjà bien s’adapter au clan. La Grue ne pouvait pas se permettre de risquer
de perdre sa loyauté en ces temps troublés. « Doji Kuzunobu a parlé en bien de vous dans ses
lettres. C’est une tragédie que vous ne puissiez compter sur l’aide d’un conjoint capable de vous
soutenir dans tout votre bon travail. J’enverrai un mot à Kakita Ryoku pour qu’il commence à vous
en trouver un convenable. Si vous avez quelqu’un en tête… »

« Merci, Doji-ue, » dit Itsuyo en s’inclinant une fois de plus.

« Malheureusement, je ne suis pas ici simplement pour organiser un mariage, mais pour
préparer une guerre. Pendant que le général Daidoji Uji reprendra Kyūden Kakita, nous ferons
pression sur le Lion et le Château de la Voie du Sabre, où nous pourrons les assiéger avec nos alliés
de la Licorne. Mais d’abord, nous devons réaffirmer nos droits sur Toshi Ranbo. »
La cour se tut sous le poids de ses mots. Elle les engageait dans une voie sans retour. Si Toshi
Ranbo organisait une défense sérieuse, ils pourraient s’enliser dans un siège qui les verrait tous
geler lentement devant les portes du château. Si le premier magistrat Bayushi Yojiro s’y opposait,
elle attirerait sur eux l’ire de l’Empire. Mais le chemin du retour vers Kyūden Doji était jalonné de
regrets – elle le savait au fond d’elle-même. Le clan avait besoin de cette victoire, de ce château
bien approvisionné, de ce point stratégique. Et elle avait besoin de restaurer sa réputation.

« Nous devons procéder avec délicatesse, de peur de nous attirer l’ire de la Championne
d’Émeraude en exercice, Agasha Sumiko, sans parler du régent Impérial, » reconnut Hotaru. Si elle
avait le temps, elle pourrait écrire à Kachiko à la capitale pour aider à tempérer toute réaction
irréfléchie de Bayushi Shoju.

Mais je dois agir rapidement ou pas du tout. Nous aurons de la chance si la nouvelle de
notre approche n’a pas déjà provoqué la censure de la capitale. Pour l’instant, elle n’avait rien
entendu, et la fenêtre d’opportunité était donc encore ouverte.

« D’abord, nous allons tenter la diplomatie, » continua Hotaru, « mais si nous ne pouvons
pas reprendre le château pacifiquement, alors nous devons éviter l’effusion de sang autant que
possible. Si nous avons des alliés à nos côtés, nous pouvons l’emporter. »

« Tsume-dono. » le regard de Hotaru se fixa sur la jeune seigneuresse. « Il y a une autre


façon de servir le clan : s’il vous plaît, envoyez un messager à l’estimé gouverneur de Nikesake. Je
lui demanderai de nous apporter le soutien du Phénix, s’il peut le faire. » L’idée de trouver un parti
à Itsuyo avait été élaborée avec cette alliance à l’esprit, mais Hotaru aurait souhaité pouvoir lui
rendre visite avant de demander autant à elle et à sa famille.

« Que la volonté de
ma championne soit faite.  »
Itsuyo leva la main, et son
conseiller commença à
retranscrire la demande sur le
papier. «  Pourtant, je sais qu’il
demandera à ce que le shugenja
des Isawa vienne communier
avec les fantômes troublés dans
les plaines. »
Une faveur en appelle une autre en retour, mais Hotaru avait de la chance que la demande
du Phénix soit si facile à accorder. Dans quel but Bayushi Yojiro et le Champion d’Émeraude avaient-
ils continué à bloquer leur demande ? Quel mal pouvait-il y avoir à ce que les fantômes trouvent le
repos ? À moins qu’ils ne soient tout simplement débordés… La bureaucratie n’était pas reconnue
pour son efficacité, comme l’oncle Toshimoko l’avait souvent souligné, faisant généralement
référence à son frère au passage.

« Je vais m’en assurer. Si nous pouvons essayer d’encercler la ville – les Daidoji par le sud
et le sud-ouest, les Tsume par l’est, et les Shiba par le nord – nous pourrons peut-être convaincre le
premier magistrat d’abandonner le contrôle de la ville à nos forces conjointes. Nous dirons que nous
venons pour renforcer les légions impériales et non pour les attaquer. »

Les murmures se propageaient parmi les membres de l’assistance, mais le ton était plutôt à
l’espoir qu’au scepticisme. Il y avait une chance qu’ils puissent réussir.

« Qui va délivrer ce message ? » demanda Toshimoko, appuyé paresseusement contre


l’un des piliers de bois soutenant la galerie du deuxième étage. Son ton suggérait qu’il se portait
volontaire.

« Il doit venir de la Championne du Clan de la Grue elle-même », répondit le conseiller


principal d’Itsuyo, dont la sagesse n’avait d’égal que le nombre d’années d’exercice. « Il ne pourra pas
douter publiquement de sa parole sans que cela soit considéré comme une grave insulte. »

« Il est trop dangereux d’envoyer notre championne avec la délégation », avertit Daidoji
Netsu. « Et si l’Honnête Scorpion ne l’était pas autant après tout ? Nous ne pouvons pas risquer de
perdre Doji-ue. »

« Doji-ue, permettez-moi d’y aller », proposa prudemment Tsume Itsuyo. « En tant que
seigneuresse de la Grue la plus proche, je me présenterai en voisine, pas en envahisseur. »

Les murmures venant de l’audience gagnèrent en intensité alors que Hotaru considérait
tous leurs conseils. Alors qu’elle se décida à parler, la cour redevint silencieuse.

« Tsume-dono, votre conseiller en chef a raison, mais le général Daidoji aussi, » déclara
Hotaru, et leur fit un signe de tête. Elle se retourna pour faire face à toute la cour. « Je pense que
vous avez mis le doigt sur quelque chose. J’ai un plan… »

Kakita Toshimoko posa la bouteille de vin sur la table avec un bruit sec d’indignation. « Ton
plan est stupide, Hotaru, et tu le sais. » La pluie poussée par les féroces vents d’automne venait
frapper les volets, et les lampes tremblaient dans les courants d’air glacials. Les ombres durcissaient
les traits de son oncle. Ils étaient seuls maintenant, et il pouvait donc parler librement.
« Je pensais que tu approuvais, » répondit Hotaru en avalant d’un trait le vin bon marché
avant de s’en servir un autre. Le banquet s’était prolongé dans la nuit, et encouragée par les récits
de Kakita Toshimoko sur ses exploits de jeunesse et les toasts qui les accompagnaient, la soirée
sombre s’était transformée en une nuit sans regrets. Si c’était leur dernière nuit dans un château
relativement chaud, ne devaient-ils pas en profiter au maximum ?

« Surveille ta langue, Hotaru. » grogna Toshimoko. « Tu es peut-être la championne, mais


même un empereur témoigne du respect à ses aînés. »

Elle bouillait intérieurement, mais ne répondit pas. Cela faisait longtemps que Hotaru
n’avait pas autant bu, et ses mots coulaient maintenant aussi facilement que le vin. Mais elle
se souvenait aussi des astuces de son oncle pour rester vive et éviter les effets de la boisson le
lendemain. Elle se ressaisit et se redressa.

« Il n’y a pas d’autre moyen à ma connaissance. Nommé par décret impérial, Bayushi
Yojiro a un rang supérieur au maître de l’Académie de duel Kakita, même pour un Kenshinzen. Sa
parole prévaudra s’il croit que vous ne venez pas en paix. »

Toshimoko ferma les yeux et secoua la tête. « Il est trop dangereux pour la championne du
clan d’être séparée de la protection de ses armées. Le clan est dans une position trop précaire. »

Hotaru grimaça. « Et c’est précisément pourquoi je dois le faire, mon oncle. On croirait
entendre mon père. »

Toshimoko se gratta le menton. « Satsume avait certainement ses défauts, mais cela ne
veut pas dire qu’il avait toujours tort. »

« Je le sais », concéda calmement Hotaru. Peu importe ce qu’elle pensait de Satsume,


Toshimoko avait raison sur ce point. « Vous vous inquiétez juste pour moi. Mais j’ai essayé de
faire les choses de façon raisonnable, appropriée, et nous n’avons fait que perdre du terrain ! Et
maintenant, Kyūden Kakita… »

Elle sentit ses joues rougies s’enflammer davantage. Quel genre de champion perd la
maison ancestrale des Kakita ? Comment pourrais-je mériter le respect de mon clan avec une tache
aussi sombre sur mon âme ? Elle réprima un sanglot. « Le clan doit récupérer Toshi Ranbo – nous
devons sécuriser notre flanc nord et trouver un abri pour nos armées du nord. Je dois prouver que
je peux apporter la victoire à notre clan. Vous m’avez demandé il n’y a pas si longtemps : « Où est
la tueuse du champion du clan du Lion ? »

« Elle prend des risques, se met à découvert pour prendre un coup, s’il le faut. »

Et si je m’avère indigne, si mes imperfections entraînent ma défaite, alors laissez-moi


mourir pour qu’un autre puisse redresser ce navire.

« Mon oncle, vous m’avez appris à vivre chaque jour comme si c’était le dernier. Je préfère
essayer et échouer que de vivre avec des regrets. Si la vie est éphémère, alors laissez-moi vivre
chaque moment aussi noblement que possible. Laissez-moi remplir mes devoirs envers mon clan.
Laissez-moi être un chef digne d’eux ! »
Les poils de sa nuque se dressèrent, et ses épaules se contractèrent pour contenir la férocité
de son esprit. Quelque chose dans son oncle changea, et elle savait qu’elle devait être sur ses gardes.

« Tu dois faire ce que tu dois faire, Hotaru. Mais pour l’instant, je peux sentir le doute dans
ta détermination. Tu dois t’engager pleinement dans cette voie. Ton corps entier doit ne faire qu’un
avec ton sabre, avec ta volonté. »

Toshimoko releva le menton et dit : « Prouve-moi que ton esprit est pur ! »

Il n’y eut pas un instant d’hésitation.

Toshimoko donna un coup de pied à la table devant lui, et la bouteille de vin se brisa contre
le mur.

Hotaru attrapa le sabre à son côté et jeta le fourreau en même temps qu’elle roulait en
avant, loin de l’endroit où la lame de Toshimoko atterrirait après son coup en iai. Elle balança son
corps et sa lame pour se mettre en position.

Il avait anticipé son mouvement défensif et se retourna, sa lame visant la gorge de Hotaru
dont la pointe du sabre n’était qu’à un souffle de la sueur qui perlait sur le cou de Toshimoko.

Toujours en miroir, ils se levèrent, ne voulant pas baisser leurs armes. Elle n’avait pas gagné,
mais elle n’avait pas perdu, pas encore.

Toshimoko était un Kenshinzen, un titre qui manquait à Hotaru, car elle n’avait jamais battu
son maître dans un duel officiel. Quand le temps était venu pour elle de revendiquer le championnat,
Toshimoko n’avait pas participé au tournoi, parce qu’ils savaient tous les deux qu’il la battrait.

Hotaru s’efforça de ralentir


sa respiration. Elle pensait trop,
ses pensées se bousculaient alors
qu’elle avait besoin du calme du
détachement. Elle serra la poignée
de son sabre plus fermement. Ses
mains étaient chaudes, la prise était
froide et rugueuse. Le poids du métal
l’attirait. Non, elle était le sabre.

Toshimoko attaqua avec un


cri, une fente et un coup plongeant
qu’elle esquiva avec un rapide pas
en arrière. Elle jeta un rapide coup
d’œil autour d’elle pour évaluer leur
terrain de duel improvisé, mais il
faisait trop sombre pour percevoir
pleinement leur environnement.
Elle ramena le sabre au-dessus de
sa tête tandis qu’ils se tournaient
autour, attendant le moment idéal.
Inspirer, expirer. Les yeux bleu foncé de Toshimoko ne trahissaient aucun signe de faiblesse,
mais quelque chose dans ses mains tremblait alors qu’il préparait son prochain coup.

Il frappa tel un éclair, et cette fois, elle ne fut pas assez rapide pour esquiver son coup et les
meubles éparpillés en même temps. Elle bascula en arrière et se tordit pour rattraper sa chute, mais
la lame trancha le tissu de sa robe. Elle se prépara à défendre son abdomen dès qu’elle eut retrouvé
son équilibre, mais ils étaient trop proches maintenant.

Elle amena sa poignée entre la prise à deux mains de Toshimoko, verrouillant leurs sabres
ensemble. Les lames tranchantes comme le rasoir étaient croisées à quelques centimètres de leurs
mains.

Il y avait une faiblesse dans les poignets de Toshimoko qu’elle n’avait jamais ressentie
auparavant lorsqu’ils combattaient, et avec un cri elle libéra sa force pour le repousser. Il était
maintenant sur le pied arrière, mais ils se battaient avec de l’acier vivant. Je ne veux pas le tuer…

Toshimoko profita de son doute et la frappa une fois, deux fois, avant de ramener son
coude pour la viser le côté de la tête.

Ses oreilles bourdonnaient et sa vision se troublait, mais elle tenait toujours son sabre, et
elle utilisait son autre bras pour se relever du sol inégal.

« Tu n’abandonnes pas ? » demanda-t-il.

« Non », souffla-t-elle, et elle se remit péniblement sur ses pieds, préparant à nouveau sa
lame.

Elle oublia la douleur de son corps, de son cœur. Elle sentait la souplesse du tatami à travers
ses chaussettes, se rendant flottante, légère, prête à bondir.

Il attendait qu’elle vienne à nouveau vers lui, pour dissiper toute trace de sa peur. Elle
devait être rapide, maintenant.

Et il était prêt. Il esquiva, se déplaçant habilement pour éviter les coups violents. Elle
allongea le bras d’un mouvement brusque vers l’avant, butant sur quelque chose qu’elle ne pouvait
pas voir. La crosse du sabre de Toshimoko s’abattit sur ses côtes, déclenchant une douleur dans le
flanc et lui coupant le souffle. La force du coup l’envoya au sol une fois de plus, sa chair exposée
raclant le verre brisé.

« Tu ne peux pas me battre, Hotaru. Reconnais-le ! » lui ordonna-t-il.

Elle se tenait à quatre pattes, tremblante et cherchant son souffle. Elle en trouva assez pour
prononcer le seul mot dont elle avait besoin : « Jamais ! »

Dans un ultime effort, Hotaru s’élança en avant et frappa, les larmes coulant sur son visage.
Toshimoko était plaqué contre le mur, les premiers centimètres du sabre de Hotaru pressés
contre son cou. Une seule goutte de sang suivit le muscle jusqu’à sa clavicule. Ses yeux brillaient d’un
sourire tranquille.

« Tu es prête à faire face à ton destin », déclara-t-il. Hotaru luttait pour reprendre son
souffle, sa poitrine se soulevant et s’abaissant alors que ses épaules se détendaient enfin. Son cœur
tremblait rien qu’en entendant la conviction de Toshimoko. Elle était prête. Elle irait jusqu’au bout.

Elle abaissa son sabre, et il s’inclina. Les gardes de Hotaru firent irruption dans la pièce, mais
elle resta calme.

« Tout va bien », les rassura-t-elle. « Merci, mon oncle. Pour tout. »

La porte s’ouvrit dans un fort claquement, et Bayushi Yojiro entra. Il venait généralement lui
rendre visite après le dîner, pas avant le repas de midi. Mais d’habitude, il n’y avait pas trois armées
campées sur le pas de leur porte. Les bannières de la Grue et du Phénix flottaient au vent, ainsi
que le sashimono bleu et or du seigneur de la vallée Dorée. C’était la seule raison pour laquelle elle
n’avait pas immédiatement sauté sur l’hypothèse que la mort d’Akodo Toturi – et son implication –
avait finalement été découverte.

« Est-ce que ceci est de votre fait ? » demanda-t-il avant même d’entrer dans la pièce.
Il ne semblait pas avoir de temps
pour les plaisanteries habituelles
et n’avait aucune réserve à mettre
ouvertement en doute l’honneur
et les intentions de l’épouse du
Champion du clan du Scorpion. Elle
ne pouvait pas le blâmer, vraiment.

Kachiko résista à l’envie de


sourire et reposa les histoires
de Toshi Ranbo qu’elle l’avait
convaincu de lui prêter depuis la
bibliothèque du château. Même
si elle était détenue en isolement
pour sa « protection », elle pouvait
faire de ces heures un usage
productif. «  Non, pas cette fois »,
répondit-elle à la fois sur le ton de la
moquerie et de l’aveu. Elle regretta
instantanément cette attitude
désinvolte, mais il est difficile de se
défaire de vieilles habitudes.
Il prit place en face d’elle, s’agenouillant sur le tatami en position seiza appropriée.

« Quelle raison pourrait avoir la Grue pour menacer Toshi Ranbo de la sorte ? » demanda-
t-il sèchement, ne dissimulant pas l’accusation implicite.

« Avez-vous demandé à Kakita Sukenobu ? » L’ancien intendant de la Grue de Toshi Ranbo


vivait toujours dans la ville, bien que Yojiro ait assumé presque tous ses pouvoirs et responsabilités
depuis qu’il avait été nommé premier magistrat.

« Oui, et il clame son ignorance. » Son regard était implacable.

Kachiko poussa un long soupir et croisa son regard. Le contact visuel était inconfortablement
intime. « Je peux vous jurer, sur mon honneur d’humble servante du Clan du Scorpion, que je n’ai
envoyé aucun mot à aucun samouraï de la Grue. »

C’était la vérité, mais elle ne pouvait pas savoir s’il la croyait. S’il choisissait de ne pas la
croire, et qu’il transmettait les allégations de sa trahison à Shoju, elle serait bonne pour le Bosquet
des Traîtres. Elle dansait sur le fil du rasoir. C’est de ton propre fait, se rappela-t-elle.

On dit que seul un menteur peut en reconnaître un, et Yojiro n’avait jamais été très doué
pour ce talent particulier du Scorpion. Néanmoins, il ne dit rien de plus sur la loyauté de Kachiko.

C’était à elle de jouer. « En quoi puis-je vous aider maintenant ? »

Yojiro secoua la tête. « En rien. Il est préférable pour vous de ne pas vous impliquer. Je ne
peux pas tenir ma promesse à Shoju si vous êtes découverte. »

« Très bien. » Kachiko tourna une autre page du livre, faisant semblant de lire son contenu.
« Alors pendant que je suis confinée à rester assise et à attendre, pouvez-vous au moins me dire si
le château est en mesure de résister à un siège ? »

Yojiro n’était pas un général aguerri au combat. Il devait s’en remettre aux tacticiens des
légionnaires impériaux, qui pouvaient être soit brillants, soit à peine compétents. Son silence
n’était guère rassurant.

Si les Grues avaient marché pour assiéger le château, elles pouvaient être mortes demain,
ou dans plusieurs mois. Pourquoi étaient-elles venues, si ce n’est pour se venger de la perte de
Kyūden Kakita ? Mais alors, pourquoi menacer le Scorpion, et non le Lion ? À moins que la Grue
n’ait pensé que les autres clans étaient prêts à riposter au jeu de pouvoir éhonté qu’était la régence
de Shoju…

Cela semblait peu probable, avec le Champion d’Émeraude en exercice soutenant l’édit. La
main et le bras gauche de l’Empereur avaient leurs désaccords, mais Hotaru n’avait jamais été leur
ennemi. Ce n’était pas la faute du Scorpion si le clan de la Grue ne pouvait pas honorer son niveau
habituel d’engagements envers le reste de l’Empire lorsque ses réserves de riz étaient épuisées.
Ce n’était pas non plus la faute de Hotaru, peu importe ce que Satsume aurait dit. Il mérite d’être
mort. Le moment, elle l’admettait, était inopportun.
Non, il y avait une autre raison pour laquelle la Grue pouvait avancer vers le nord au lieu du
sud.

« Yojiro-san, je crois que les forces de la Grue pourraient vouloir passer l’hiver à Toshi Ranbo
au lieu de Kyūden Doji. »

« Quoi ? Pourquoi ? » Sa confusion était évidente.

Elle se leva pour se tenir près de la fenêtre grillagée. « Parce que la championne du clan de
la Grue considère ces palais comme une prison. »

Les bannières des forces rassemblées montaient et descendaient comme des vagues dans
le vent.

« Comment pouvez-vous savoir cela, Kachiko-sama ? » Yojiro se leva pour la rejoindre.

Tranquillement, elle dit : « Il fut une époque où j’ai appris à très bien la connaître alors que
nous profitions ensemble de l’hospitalité de la Mante. » Elle se souvenait encore de leur premier
baiser au sommet du donjon, dans la tempête de neige.

Depuis la tour, ils virent un contingent portant les bannières de la famille Tsume de château
Kyotei s’approcher des portes. Les gardes les firent entrer.

Il est étrange qu’ils aient amené des mercenaires rōnin parmi eux…

À moins que… Elle compara la taille d’un des rōnin par rapport à celle des portes, observa
la façon dont la silhouette s’étirait pour s’assurer que son daishō était bien attaché, comment la
silhouette se tenait à l’écart du groupe pour jeter un second coup d’œil aux défenses du château.

Ce serait tout à fait le genre de Hotaru de…

« Yojiro-san, s’il vous plaît, vous devez me permettre d’assister à votre entrevue avec la
délégation Kyotei. Je peux vous être utile. »

« Quoi ? Non, c’est hors de question. » Il la regarda un moment, les sourcils froncés.
« Pourquoi? »

Parfois, la simple vérité peut être tout aussi dévastatrice et persuasive que le mensonge le
plus méticuleusement élaboré. « Parce qu’il est possible que la championne du clan de la Grue vous
rende visite. »

Les yeux de Yojiro s’écarquillèrent.


Illustrations :

- Page 2 : Asep Ariyanto

- Page 5 : Charles Urbach

- Page 7 : Guillaume Ducos


Cette nouvelle n'aurait pu être traduite sans le soutien financier de :
Adrien Tagan,
Akodo Tetsuru,
Bamba,
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Djehar,
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