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Par D.

G Laderoute
Traduction : Romgam, Relecture : Ooook
Mise en page : VanReignard

« Seppun-san, » demanda Akodo Toturi, « pourquoi sommes-nous ici, exactement ? »

La réponse de Seppun Ishikawa fut empreinte d’une patience contenue, comme s’il
répondait à un enfant. « Encore une fois, Akodo-san, nous allons rencontrer quelqu’un. »

Toturi plissa les yeux. Il s’était peut-être déjà rendu dans le district de Higashikawa une fois
dans sa vie, mais il avait été rebuté par son caractère anarchique, criard et commerçant. Le tapage
des vendeurs de rue et des marchands, refourguant ce qui lui semblait être surtout de la camelote,
résonnait autour d’eux. Au moins la populace savait-elle se distraire, en leur jetant à peine un coup
d’œil, eux, deux rōnin apparemment quelconques en kimonos ternes et larges chapeaux de paille
coniques.

Toturi avait les yeux braqués sur Ishikawa. Il était tenté de simplement lui ordonner de
cesser d’être aussi énigmatique, et de répondre clairement à cette maudite question ; étant le
champion d’Émeraude, il pouvait le faire. Mais il ne le fit pas, car cela aurait pu perturber leur
fragile... non pas amitié, non, relation, au mieux. Au cours des trois dernières semaines, cette
relation avait atteint un point d’équilibre, bien qu’il soit aussi délicat que les ailes d’une libellule. Le
fait est que Toturi avait besoin d’Ishikawa. Le Seppun lui fournissait une fenêtre sur la politique et
la bureaucratie de la cour impériale, fenêtre qu’il n’aurait pas eue autrement, du moins tant qu’il
cherchait à traquer en secret ses assassins potentiels.

Trois semaines qui n’avaient pas non plus donné de pistes, si ce n’est d’exclure quelques
suspects, certes improbables.

Ishikawa ralentit alors qu’une foule s’échappait d’une maison de saké miteuse appelée
L’oubli amer. L’agitation qui en résulta donna à Toturi l’occasion de se rapprocher du Seppun et de
lui parler.

« Je voudrais savoir où vous nous emmenez, Seppun-san. Et ne me dites pas, encore une
fois, que c’est pour rencontrer quelqu’un. » Toturi jeta un coup d’œil autour de lui. « Cette partie
de la ville a la réputation d’être un refuge pour criminels… »

« Ce qui est vrai », répliqua Ishikawa. « Nous allons rencontrer l’un de ces criminels, en
fait. Il peut avoir des informations intéressantes pour nous. »

« Nous... » Toturi cligna des yeux. « Pourquoi rencontrer un criminel ? Comment


connaissez-vous un tel... »

« Akodo-san, s’il vous plaît ! Ce n’est pas l’endroit pour une telle conversation ! »
Toturi se renfrogna à
nouveau. Il était plus que fatigué
d’être traité comme un garçon
barbant qu’il faut se coltiner, et
était sur le point de le dire. Mais
une autre voix, forte et brouillée
par l’alcool, lui coupa la parole.

« Toi, Bayushi, tu me
dois une réponse ! »

« Je ne te dois rien,
Kakita ! Maintenant, j’attends tes
excuses ! Sinon, je te donnerai
quelque chose, en effet, le
tranchant de ma lame ! »

La foule qui s’était


échappée de L’oubli amer avait
encerclé les deux interlocuteurs.
Ils se mettaient en garde comme
pour un duel, chacun avec une
main sur son katana. Cela aurait pu être un grand moment tragique, si ce n’était la façon dont
chacun d’eux vacillait sur ses pieds, la voix pâteuse et bredouillant trop fort.

Les ricanements des spectateurs n’aidèrent pas, ni le fait que certains prenaient des
paris. Toturi regarda, mais Ishikawa se pencha et dit : « Akodo-san, cela ne nous concerne pas.
Continuons. »

Toturi acquiesça. Il était très peu probable qu’un de ces samouraïs ait eu la permission
de son seigneur de risquer sa vie en croisant le fer de la sorte, surtout dans une rue sordide, sous
l’emprise de l'alcool, de la colère et des encouragements de badauds ivres. Mais Ishikawa, il dut
l’admettre à contrecœur, avait raison. Ce n’était pas leur affaire. Il commença à se détourner de la
scène.

« C’est toi qui dois t’excuser, Bayushi ! » aboya le Kakita. « Excuse-toi pour tout ton clan !
Des chiens sans honneur, tous autant que vous êtes ! Des chiens et... et des opportunistes ! Des
usurpateurs, même ! »

Toturi se retourna.

« Comment osez-vous ? » grogna le Bayushi. « Vous avez une chance de vous excuser pour
l’affront contre moi, mon clan et mon estimé Champion... à qui vous devez fidélité, comme le Fils
du Ciel l’a proclamé... »

« Le Fils du Ciel ? Il meurt, et ensuite un édit apparaît, déclarant que votre estimé Champion
est Régent. Oui, comme c’est pratique ! »
La voix d’Ishikawa siffla dans l’oreille de Toturi. « Akodo-san, nous devons y aller... »

Le Bayushi dégaina son katana en faisant crisser l’acier. « La seule excuse que j’accepterai
maintenant, Kakita, c’est votre sang qui coulera dans cette rue. »

Un murmure excité parcourut la foule, puis un autre, lorsque le Kakita sortit sa lame. Toturi
ignora Ishikawa et traversa la foule, s’interposant entre les deux.

« Rangez vos épées, » dit-il, « avant que vous ne vous déshonoriez davantage vous-mêmes
et vos clans ! »

Silence de plomb.

La dure réalité de ce qu’il venait de faire s’abattit sur Toturi, telle la foudre d’Osano-wo. Un
tel ordre, prononcé par le Champion d’Émeraude de Rokugan, les aurait tous poussés à se prosterner
en signe d’obéissance abjecte et à enfoncer leur visage dans la poussière. Prononcé par Toturi, qui
ressemblait à un rōnin, par contre…

Le Kakita cracha presque son indignation. « Tu… tu oses te mêler des affaires de tes
supérieurs, homme de la vague ? Tu… oses ? »

Le Bayushi resta bouche bée, furieux d'incrédulité.

Le Kakita sabra Toturi, un coup qui l’aurait décapité. Toturi esquiva, puis sortit son propre
sabre et dévia le coup suivant, puis le suivant. Il cherchait désespérément Ishikawa, mais le Seppun
était introuvable. L’acier résonna alors que le Kakita frappa à nouveau, et à nouveau, il para.

L’esprit de Toturi s’emballa. À part ravaler sa fierté et s’enfuir, il n’avait aucune idée de
comment en finir. Il devait continuer à esquiver et à parer les coups de l’ivrogne, ou bien riposter et
peut-être le tuer, ce qu’il se refusait à faire. Il ne pouvait pas non plus vraisemblablement parlementer
pour s’en sortir ; ses mots, même s’ils étaient offerts, vertueux, en soutien de l’Empereur, du Régent
et de l’édit qu’il avait lui-même rédigé, ne signifieraient pratiquement rien, venant d’un rōnin. Et
maintenant, le Bayushi se rapprochait lui aussi, l’épée levée, la fureur embrasant son visage…

« Hors de mon chemin ! Maintenant ! Écartez-vous ! »

La voix tonitruante, Ishikawa se lança dans la mêlée, son mon Seppun blanc brillant sur
son kimono vert. La foule se dispersa immédiatement, son intérêt se portant soudainement et
intensément sur d’autres choses.
Le Kakita et le Bayushi se retournèrent, épées levées puis abaissées à la hâte. Ils
s’inclinèrent maladroitement, le Bayushi tituba et manqua de basculer, mais Ishikawa les ignora et
saisit le bras de Toturi.

« Je suis Seppun Ishikawa, commandant de la Garde impériale. Rōnin, vous oseriez vous
permettre de menacer ces honorables samouraïs ? Certainement pas. Maintenant, rangez votre
sabre. Vous êtes en état d’arrestation ! »

D’un coup sec, Ishikawa attira sans cérémonie Toturi à l’écart.

Ishikawa, à nouveau vêtu comme un rōnin, s’arrêta à un tournant de la rue des Possibilités
et fit un signe de tête en direction d’une maison de thé nommée Le Repos des fortunes.

« C’est notre destination, Akodo-san. À l’intérieur, vous êtes susceptible d’être témoin
de choses qui sont, selon les standards de la société civilisée, certainement immorales, et
très probablement aussi illégales. » Son regard dur se planta dans celui de Toturi. « Dites-moi
maintenant si vous avez l’intention de poursuivre chacune de ces diverses entorses comme une
infraction impériale. Si oui, vous devriez probablement attendre ici. »

Toturi soutint le regard d’Ishikawa. Il dut y mettre du sien, cependant. Oui il était en
colère contre Ishikawa pour l’avoir arrêté. Mais il était encore plus en colère contre lui-même
pour lui avoir donné l’occasion de le faire. Et, Toturi dut l’admettre, c’était une façon intelligente
de désamorcer une situation qui aurait pu devenir affreuse. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher
de penser que le Seppun, après s’être dévoilé, aurait dû au moins réprimander le Kakita pour
ses paroles subversives. Qu’une telle chose soit dite si ouvertement, dans une rue de la capitale
impériale...

« Je suis le Champion d’Émeraude, qui, comme vous vous en souvenez peut-être, est le
premier magistrat de Rokugan », dit Toturi.

« C’est vrai, Akodo-sama, » répondit Ishikawa. « Mais, comme vous vous en souvenez
peut-être, vous êtes également déguisé, en rōnin, afin de rester discret. Intervenir à chaque petite
transgression que nous rencontrons risque de tout compromettre, ne pensez-vous pas ? » Toturi
ouvrit la bouche, mais le Seppun poursuivit : « Cela nous mettrait également encore plus en retard
pour notre rencontre dans cette maison de thé. Donc je vous le demande à nouveau, allez-vous
rester concentré sur l’affaire en cours une fois que nous serons à l’intérieur, ou allez-vous attendre
à l’extérieur ? »

Toturi lança un regard noir au Seppun, furieux de sa brusquerie, de la façon dont il


n’arrêtait pas de l’interrompre, de son manque général de respect. Mais Ishikawa se contenta de
soutenir son regard.
Ce qui exaspérait
particulièrement Toturi, c’est
qu’Ishikawa avait, une fois de plus,
raison. Réprimant son indignation,
il hocha finalement la tête. « Je
vous accompagnerai. Et si nous
tombons sur un meurtre en cours,
soyez assuré que je resterai un
spectateur amusé. Peut-être même
que je parierai sur ce meurtre. »

Cela aurait été une


réplique sarcastique à la cour. Mais
ici, dans une ruelle sordide, le
sarcasme de Toturi s’enlisa dans la
boue, et y resta inerte.

Ishikawa renifla et se
détourna.

L’intérieur de la maison de
thé contrastait avec son extérieur
miteux. Éclairé avec goût par de délicates lanternes, Toturi vit des clients agenouillés devant des
tables polies et des services à thé d’une élégance passable. Alors qu’ils traversaient la salle, l’air
dégageait une odeur douce et chaude, à la fois terreuse et épicée. Il sentit les regards se braquer
sur eux et, bien sûr, vit au moins deux infractions à la loi impériale en chemin, l’une impliquant
de l’opium illicite, l’autre un échange de ce qui était manifestement des sauf-conduits entre deux
samouraïs, dont aucun ne semblait être un magistrat. Serrant les dents, Toturi se contenta de suivre
Ishikawa.

Ils atteignirent l’arrière de la maison de thé, où une heimin était agenouillée, arrangeant un
service à thé fraîchement nettoyé sur un plateau. Ishikawa lui rendit son salut, puis dit : « J’ai envie
d’un mélange de Perles d’or, et je souhaite que mon compagnon essaie le Neige au clair de lune. »

Toturi n’avait jamais entendu parler d’aucun de ces mélanges de thé, mais la femme s’inclina
à nouveau, se leva et les conduisit derrière un rideau de soie, puis en haut d’une étroite volée de
marches. Elle s’arrêta en haut des marches pour taper doucement sur une porte, qui s’entrouvrit.
Elle répéta la demande d’Ishikawa, puis s’écarta. La femme qui avait ouvert la porte, manifestement
une rōnin, les regarda avec méfiance, mais leur fit signe d’entrer. À l’intérieur, Toturi vit un homme
sec à la peau ridée et aux cheveux blancs, agenouillé à une table. Il portait un kimono brun uni ;
une tasse de thé fumante, plusieurs documents et un nécessaire pour écrire étaient soigneusement
disposés devant lui.

L’opulence étonnamment contenue de la pièce rappela à Toturi des endroits beaucoup


plus raffinés. Le décor, allant des écrans shoji travaillés à un bonsaï impeccablement entretenu,
n’aurait pas été déplacé dans sa propre maison. Le vieil homme sourit et fit un geste vers les coussins
disposés devant la table. « S’il vous plaît, mes amis, mettez-vous à l’aise. Asuga, faites apporter le thé
que mes estimés invités ont demandé. »
La rōnin s’inclina, leur jeta un dernier regard dur, puis s’en alla.

« Alors donc », dit le vieil homme, « Seppun-sama que je connais, bien sûr. Et vous devez être
le très estimé Champion d’Émeraude. » Il s’inclina profondément. « Et je suis l’indigne Tamanegi,
qui est assis en admiration devant votre très honorable présence. »

Toturi lança un regard stupéfait à Ishikawa, mais il s’effaça rapidement alors qu’il se
retournait vers le vieil homme. « Et le Champion d’Émeraude est, à son tour, très reconnaissant
pour votre hospitalité inattendue, Tamanegi-san. »

Tamanegi leva une main pâle et mince. « S’il vous plaît, Akodo-sama, votre secret est
totalement en sécurité ici. »

« C’est tout à fait exact », dit Ishikawa. « Tamanegi-san et moi avons un... » Il regarda le vieil
homme, « …arrangement. »

« En effet. »

Toturi laissa paraître une grimace, un signe de son mécontentement qu’il espérait
qu’Ishikawa ne pourrait manquer. Il commençait à avoir l’impression qu’il avait commencé à dévaler
une pente, sans pouvoir s’arrêter, et qu’il continuait de plus en plus vite.

« Tamanegi ? » Toturi dit finalement, en essayant nerveusement de reprendre un peu de


contrôle.

« Oignon ? C’est un nom inhabituel. »

Le vieil homme sourit béatement. « Mais particulièrement approprié, si je puis dire. »



« Maintenant que les amabilités ont été échangées, » intervint Ishikawa, « venons-en à
l’affaire qui nous amène. » Il se tourna vers Toturi. « Vous dites avoir été attaqué par des shinobi.
J’ai demandé à Tamanegi-san de se renseigner pour savoir si quelqu’un avait passé un contrat avec
des shinobi ouverts à de telles transactions. »

« Comment pourrait-il savoir une telle chose ? » Toturi demanda.

« Si quelqu’un le sait, c’est bien lui. »

« J’apprécie votre confiance en moi, Seppun-sama, » dit Tamanegi, mais son sourire
s’effaça. « Malheureusement, malgré une enquête approfondie, je ne peux pas vous dire que de
tels arrangements ont été passés. Si des shinobi ont été engagés dans le but blasphématoire de
nuire au Champion d’Émeraude, il n’y en a pas traces. »

« Comment pouvez-vous en être certain ? » demanda Ishikawa.

« Si l’on considère que seuls les shinobi les plus reconnus et compétents seraient contactés
pour une entreprise aussi vile, alors je suis très certain de moi. Ils sont relativement peu nombreux,
et aucun ne manquait à l’appel lors de la période en question. »
Ils firent une pause lorsque la heimin qui les avait conduits à l’étage entra avec leur thé.
Quand elle fut partie, Toturi plissa les yeux en regardant Ishikawa. « Êtes-vous satisfait de ce que
nous avons pu apprendre ici, Seppun-san ? »

Le Seppun sirota son thé. « Vous devriez vraiment goûter le vôtre, Akodo-sama. Le Neige au
clair de lune est un excellent mélange. »

Toturi s’executa, ne serait-ce que parce que les coutumes de l’hospitalité l’imposaient. Cela
l’ennuyait d’autant plus qu’il était, de fait, excellent.

Il but une nouvelle gorgée, puis reposa la tasse. Mais avant qu’il ne puisse parler, Ishikawa
posa sa propre tasse sur la table et se leva. « Malheureusement, Tamanegi-san, nous avons d’autres
affaires urgentes à régler. À la prochaine fois. Je sais, bien sûr, où vous trouver. »

Le visage ridé de Tamanegi se durcit brièvement. De la colère ? De la rancœur ? Toturi n’en


était pas sûr, mais l’expression s’était déjà effacée, remplacée une fois de plus par ce sourire fade et
agréable.

« Bien sûr que oui, Seppun-sama. Que les Fortunes ne vous désavantagent pas. »

Ishikawa parut sourire en fait à ce mauvais souhait à peine voilé, puis reprit le chemin de la
rue des Possibilités.

Toturi ne garda le silence pendant qu’un seul pâté de maisons, puis ne pouvant se retenir
plus longtemps, il s’engagea dans une autre ruelle miteuse. Ishikawa jeta un coup d’œil en arrière,
soupira et le rejoignit.

« Je suppose qu’il est maintenant temps pour vous de vous indigner de mes relations avec
Tamanegi », dit-il.

« Comment pouvez-vous vous associer à une telle créature ? Il est... »

« Un vil criminel, oui. Et un puissant. Probablement le plus puissant et le plus influent


d’Otosan Uchi, en fait. »

Toturi le regarde fixement. « Et vous acceptez… cela aussi simplement ? »

« Il semblerait qu’il y ait peu d’intérêt à faire autrement. »

« Comment pouvez-vous être si désinvolte à ce sujet, Seppun-san ? Cet homme devrait être
tenu pour responsable de, sans doute, une multitude de crimes ! »

« Nous aurions donc dû l’arrêter, alors ? »


« Au minimum, vous ne devriez pas être... de mèche avec lui ! » Toturi fit un pas en arrière,
puis se rapprocha. « Vous ne fermez pas seulement les yeux sur des actes répréhensibles flagrants,
vous les exploitez. Et pour quelle raison ? Une question d’opportunisme ? »

« Vous savez quel est votre problème, Akodo-san ? » s’emporta Ishikawa. « Vous avez vécu
votre vie à l’écart du monde, d’abord, dans le cadre rigide de l’honneur du Clan du Lion ; ensuite,
dans les limites cloîtrées d’un monastère ; et désormais, dans le splendide isolement de la Cité
interdite. Cela vous a permis de garder votre honneur intact, mais cela vous a aussi rendu idéaliste,
jusqu’à en être naïf. »

« Alors maintenant se consacrer à une vie d’honneur est naïf ? »

« C’est un luxe, comme ces mélanges rares de thé. Quelque chose dans lequel on peut se
complaire, mais dont on doit parfois se passer. »

Toturi renifla. « Je vous crois quand vous dites cela, Seppun-san, et que vous considérez
vraiment que le bon thé et l’honneur sont interchangeables. »

Ishikawa secoua
simplement la tête. « Comment
croyez-vous que la Garde
impériale fonctionne, Akodo-
sama ? En se tenant debout, l’air
menaçante, et en espérant que
cela suffise ? » Il secoua la tête.
« Non. Nous sommes proactifs.
Nous cherchons à traiter les
menaces pour l’Empereur avant
même qu’elles ne se cachent à la
vue de la Cité interdite. S’occuper
de créatures telles que Tamanegi
fait partie de cette proactivité.
Presque rien ne se passe dans
cette cité sans qu’il en soit
informé, et, par conséquent,
sans que j’en sois informé. »

« C’est juste une façon


enjolivée de dire que vous n’avez
aucune difficulté à sacrifier
votre honneur pour obtenir des
résultats. »

« Si le résultat est de protéger l’Empereur et sa famille, alors vous avez tout à fait raison. »

« Vous parlez comme un Scorpion. »


« Oh ? Vous voulez parler du clan dont l’Empereur a jugé bon de nommer le Champion
comme Régent? »

Toturi était furieux, mais la réplique d’Ishikawa le laissa sans voix.

« L’amère vérité, Akodo-san, » continua Ishikawa, « est qu’il y a la façon dont le monde
devrait fonctionner, et la façon dont il fonctionne. Si vous persistez à vous accrocher à la première,
la seconde dansera autour de vous comme un maître d’arme et finira par vous abattre. »

Toturi laissa échapper une lente inspiration. « Comment pouvez-vous croire ce que ce
Tamanegi vous dit ? »

« Parce qu’il sait ce que je sais. »

« Et qu’est-ce que c’est ? »

« Chaque détail de son organisation, et chaque changement qu’il y apporte. Ce sont des
informations que ses concurrents aimeraient beaucoup avoir. »

« Comment pouvez-vous savoir une telle chose ? »

« Miya Satoshi me fournit ces informations et, en retour, je lui en fournis certaines qui, de
temps à autre, entrent en ma possession. »

Toturi secoua une fois de plus la tête avec incrédulité. « Miya Satoshi, le héraut impérial,
connaît les détails du fonctionnement interne d’un syndicat du crime, ici dans la capitale impériale. »

« C’est le cas oui. »

« Et comment le sait-il... ? »

« Je n’en ai aucune idée, et ça ne m’intéresse pas. »

Toturi fut tenté d’approfondir la stupéfiante révélation que le daimyō de la famille Miya
échangeait apparemment des informations illicites avec le commandant de la Garde impériale, mais
son incrédulité venait de dépasser les limites. Au lieu de cela, il renonça simplement et soupira.

« Je dois retourner auprès de Kaede, au refuge, » dit Toturi. « Je vous retrouverai demain,
au début de l’Heure du Dragon, afin que nous puissions... poursuivre... quelle que soit la suite à
donner. »

À la mention de Kaede, le visage d’Ishikawa se crispa, mais hocha simplement la tête et


s’éloigna.

Toturi eu honte de voir que la réaction du Seppun au nom de Kaede ait été si... satisfaisante.
Mais c’était aussi la seule fois où il avait eu un avantage sur Ishikawa aujourd’hui.
Kaede se servit du thé, un mélange habituel du Lion, et dit : « La conclusion, donc, est
que les shinobi qui vous ont attaqué n’étaient pas des mercenaires. On peut donc en déduire que
l’attaque était dirigée par un clan. »

Toturi sirota le thé. Il était familier et... adapté. Bon, même. Mais pas aussi bon que le
Neige au clair de lune, et cela l’ennuyait encore plus.

Il reposa la tasse et regarda son épouse agenouillée en face de lui. « C’est une possibilité,
oui. »

« Et une autre serait ? »

« Je... ne sais pas. » Il se frotta les yeux et soupira. « De plus, tous les clans ont accès à des
shinobi. »

Il jeta un coup d’œil à une lettre sur la table ; un autre rapport d’Ikoma Ujiaki, celui-ci
détaillant les efforts de la Grue pour reprendre Kyūden Kakita. Matsu Tsuko s’était emparée du
château peu de temps après s’être également accaparée du titre de Championne du Clan du Lion.
Toturi savait que c’était une autre question dont il devrait se charger, mais seulement une fois qu’il
aurait résolu la question de l’attaque menée contre lui, d’une manière ou d’une autre. Jusque-là, il
ne devait pas se laisser distraire. Mais cela ne signifiait pas que ce n’était pas pertinent.

« Tous les clans, » continua-t’il, « y compris le mien. »

Kaede haussa un sourcil. « Vous suspectez Tsuko ? Sachant que son père a été tué lors
d’une attaque secrète du Phénix… Je serais surprise. »

Toturi dut hocher la tête. « Non, vous avez raison. Quand le moment sera venu, Tsuko me
confrontera ouvertement. Ce n’est pas elle. »

« Cela dit, un clan se distingue des autres par son utilisation des shinobi. »

« Le Scorpion. Oui. Mais quelle serait la motivation de Shoju ? J’ai rédigé l’édit qui l’a
nommé Régent. Je peux témoigner de sa légitimité. Me tuer... ça n’a aucun sens. »

Et pourtant, Toturi ne pouvait pas non plus rejeter complètement cette idée. Les mots
bredouillés par le Kakita qui s’agitait dans la rue collaient à lui comme des toiles d’araignée tenaces.

Le Fils du Ciel ? Il meurt, et ensuite un édit apparaît, déclarant que votre estimé Champion
est Régent. Oui, comme c'est pratique !

Une fois de plus, ce n’était rien d’autre qu’une diatribe stupide alimentée par le saké car,
encore une fois, Toturi avait écrit l’édit lui-même. Il le savait mieux que quiconque.
Et pourtant... le Scorpion a toujours été très subtil dans ses plans. Les mots du Kakita ivre
pourraient-ils contenir une part de vérité ? Shoju pourrait-il avoir un objectif que Toturi ne pouvait
pas saisir ?

« Vous êtes fatigué, mon époux, » dit Kaede. « Le sommeil renforce non seulement le corps,
mais aussi l’esprit. »

Toturi répondit « Je sais », mais ne fit aucun effort pour bouger.

« Bien sûr, » dit Kaede, « dire ce que l’on pense peut aussi être utile ».

Il esquissa un faible sourire. « Je reste suspendu aux événements de la journée, comme la


manche d’un kimono à une branche tenace. Tous les progrès que nous avons faits aujourd’hui sont
dus au pragmatisme flagrant d’Ishikawa. Ma détermination à faire ce qui était juste et honorable
ne semblait que faire obstacle. » Il soupira de nouveau. « Ishikawa a-t-il raison ? Ai-je mené une vie
tellement protégée que je ne suis qu’un idéaliste naïf ? »

Kaede secoua la tête avec insistance. « Non. Votre engagement envers le Bushidō est une
force, non une faiblesse. » Mais elle haussa ensuite les épaules. « Cependant, il existe de nombreux
types de force. Manier une épée exige un jugement habile pour choisir le moment de frapper, mais
aussi une puissance physique pour porter un coup décisif. »

« Donc vous dites qu’Ishikawa a raison. »

« Mieux vaut dire qu’il n'a pas nécessairement tort. Mais vous ne devez pas seulement
me croire sur parole. Après tout, selon le Tao, les hommes savent comment le monde devrait
fonctionner, puis ils voient comment il fonctionne réellement, et se demandent pourquoi ces choses
sont différentes. »

Toturi regarda son épouse, surpris de voir que ses mots faisaient écho à ceux d’Ishikawa.
« Je ne me souviens pas de ce passage du Tao. »

« Je ne crois pas que quiconque connaisse, ou même puisse connaître, l’intégralité du Tao »,
répondit-elle. « Je viens seulement de me rappeler ce passage moi-même. Peut-être que la nature
de la sagesse de Shinsei est telle qu’elle vient à nous quand nous en avons besoin. »

« Et vous croyez à ces mots, mon épouse ? Êtes-vous aussi une pragmatique dans l’âme ? »

« Je suis beaucoup de choses », dit-elle en souriant. « Sur ce point, cependant, il semblerait


qu’Ishikawa-san et moi soyons du même avis. »

Et ce n’est pas mon cas, compléta Toturi en pensée. Mais ce qu’il dit fut différent. « En effet.
En tout cas, je crois que je vais suivre votre conseil et aller me coucher. Voulez-vous me rejoindre ? »

« Bientôt », dit Kaede. « Je souhaite méditer sur les événements de la journée, y compris sur
ce que vous m’avez dit. »
Toturi termina son thé, qu’il trouva encore une fois… adapté. Il embrassa sa femme et se
prépara à se coucher.

Alors qu’il était allongé sur le futon, les événements de la journée défilaient dans son esprit.
Ils défilaient rapidement, cependant, comme s’ils se précipitaient vers une scène particulière.

…il semblerait qu'Ishikawa-san et moi soyons du même avis...

Et maintenant, elle souhaitait méditer sur ces événements, des événements qui
concernaient principalement Seppun Ishikawa.

Ses paroles résonnaient encore, même lorsque Kaede se coucha finalement et qu’il fit
semblant de dormir.

Illustrations :
- Page 2 : Diego Gisbert Llorens

- Page 5 : A. C. Swedberg

- Page 8 : Shen Fei


Cette nouvelle n'aurait pu être traduite sans le soutien financier de :
Adrien Tagan,
Akodo Tetsuru,
Bamba,
Diana Dobre,
Djehar,
Etylene,
Evinrude,
Flex,
Francis Rodier,
Guillaume Rabbe,
Hervé Daire,
Irwin,
Jerome le Tanuki des Kamis,
Kitsune Jin,
Kokishin,
Leskinen,
Merlipili,
Michael Cyriades,
Nucreum,
Pollux,
Redsamano,
Roman Vagabond,
Shindranel,
Shosuru,
Urumy,
Valentin Levrier,
VanReignard,
Ygonaar.

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