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Ceci est une création amateur gratuite pour la Légende des Cinq

Anneaux/Legend of the Five Rings. Legend of the Five Rings est une
marque de Fantasy Flight Games.

Ceci est une fanfiction gratuite pour Halloween qui se déroule dans le
riche univers du jeu de rôle La Légende des Cinq Anneaux. Cette œuvre
n’est ni sponsorisée ni affiliée à Fantasy Flight Games. Elle est fournie
avec l’aimable autorisation de The Last Province Podcast.

La Légende des Cinq Anneaux est une marque déposée de Fantasy Flight Games. L5R, Fantasy Flight
Games et le symbole du vide sont des marques déposées de Fantasy Flight Games.

Cette fan fiction horrifique se déroule dans l’univers de la Légende des Cinq Anneaux.
Elle est destinée à effrayer et déranger et peut contenir des sujets pouvant heurter certains publics.
Elle est donc réservée à un public averti.
Une fanfiction L5R spéciale Halloween
Par Robert Denton III
Traduction : Romgam, Relecture : Flex
Mise en page : VanReignard

Kaikoga Ayumi sursauta en entendant un craquement juste à l’extérieur de sa tente, ce qui lui
fit renverser une goutte de cire bénie sur sa manche, tachant l’emblème du Clan de la Phalène.

Empotée, se réprimanda-t-elle. Elle avait l’équivalent d’un été de récolte, mais elle ne pouvait
se permettre de gaspiller une seule goutte de cire. La bougie qu’elle fabriquait pourrait devoir brûler
jusqu’aux petites heures de la matinée, même si elle espérait que ce ne serait pas le cas. Cela dépendrait
de deux choses : si le sage de la famille Tonbo lui avait dit la vérité, et si elle fabriquait la bougie
exactement comme sa grand-mère le lui avait montré.

Sa moitié peureuse, celle qui l’accompagnait depuis si longtemps, essayait de tirer les fils
invisibles de son esprit pour qu’elle sorte, qu’elle cherche ce qui avait fait ce bruit. Ou mieux encore,
pour abandonner cette quête et retourner à l’ambassade de la Phalène à Kyuden Tonbo. Son absence
avait sûrement été remarquée désormais. Elle était déjà sur la corde raide avec le Maître des Lampions,
chef de leur délégation.

Mais sa moitié rationnelle, plus jeune, coupa ces fils avec dédain. Ce n’était que le bruit de noix
tombant des arbres décharnés, ou d’un des cerfs bénis connus pour parcourir les plaines de la Libellule.
Il n’y aurait pas d’intrus par ici, pas avec toutes ces rumeurs. De fantômes qui flottent au-dessus de ces
herbes, de fantômes confus errant depuis les frontières du royaume des morts. Et peut-être depuis
d’autres royaumes. C’est ce qu’elle espérait. Un voyageur avait même prétendu avoir eu, dans ces
plaines durant le mois sans dieux, une vision de lui-même provenant du futur, un phénomène infligé par
la lune Kannazuki. Du moins, c’est ce qu’avait prétendu le vieux sage de Tonbo. Après quelques verres.

Et alors ? Les fantômes n’ont pas de pieds, ils ne peuvent donc pas faire de bruits en marchant,
pas plus que les visions du futur non plus. C’est sans doute juste un cerf, se dit-elle en levant les ciseaux
vers une mèche de ses cheveux.

Bientôt Yua, pensa-t-elle en la coupant. Encore un peu de patience, et tout rentrera dans l’ordre.

La fumée montait en volutes vers l’ouverture du toit de la tente. Le ciel nocturne était seul
témoin. Il était temps. D’abord, une prière au kami pour la détermination et calmer son cœur qui battait
trop rapidement. Puis elle prit les mèches de ses cheveux coupées et, tandis que la cire bénie fondait,
elle commença à tisser.

As-tu écrasé les baies de l’arbre à cire toi-même ? Résonna la voix tremblante de sa grand-
mère dans son esprit. Les as-tu récoltées uniquement dans le sumac du sanctuaire de la toile de soie ?
As-tu laissé des offrandes appropriées aux chenilles qui vivent sur cet arbre ? As-tu incorporé les épices
nécessaires dans la cire ?

« Oui, Grand-mère », dit-elle dans le vide. La cire pâle ressemblait à un cocon fondu, remplissant
lentement la casserole. L’odeur aigre piqua ses narines. Elle avait l’impression d’avoir à nouveau neuf
ans, le regard fixé sur les doigts noueux de sa grand-mère qui peignaient une bénédiction sur du
papier rigide. Cela ressemblait tellement au talisman en papier que Grand-mère avait fait pour le père
d’Ayumi, celui qui enlevait la souillure spirituelle après avoir mangé de la viande rouge, afin qu’il puisse
consommer librement toute la venaison qu’il voulait.

Cette bougie n’est pas comme les autres, avait dit grand-mère. Pour que cette bougie fonctionne,
nous devons offrir au kami autre chose que nos chants. Ma petite chenille, que penses-tu qu’ils veulent ?

Ayumi supposait qu’ils voulaient brûler. Ils étaient des kami des bougies, n’est-ce pas ? Mais ce
n’était pas correct. Le sourire patient de sa grand-mère était de la couleur de la cire à modeler.

Ces kami veulent savoir qui nous sommes.

Tu te souviens des trois péchés ?

La peur. Le désir. Le regret.

Trois mèches de cheveux, tressées ensemble.

En trempant les cheveux dans la cire pour faire la mèche, elle offrit sa Peur.

La peur était le souvenir le plus facile à évoquer, car elle était toujours à sa portée, surtout
quand elle avait trop bu. Elle avait neuf ans lorsqu’elle avait volé la bougie dans la chambre de sa grand-
mère, attendant la tombée de la nuit pour se faufiler dans le sanctuaire familial. Elle pensait que la
bougie pourrait lui révéler le visage de sa mère, peut-être même leur donner une chance de se parler.
C’était une bougie des songes après tout, et si l’étrange femme qui apparaissait dans ses rêves ces
derniers mois n’était pas sa mère... alors, qui était-elle ?

Serrant son butin, Ayumi se glissa sous la salle d’instruction délabrée, dans le vide sanitaire
qui était son grenier. La mèche s’enflamma avec avidité, enveloppant sa silhouette recourbée dans une
bulle de lumière. Le monde au-delà sembla disparaître alors qu’elle était accroupie au centre d’un orbe
rougeoyant qui flottait dans le vide.

Elle resta là pendant des heures, frissonnant et effrayée par l’idée de quitter la lumière de la
bougie, effrayée par les grattements et les gémissements qui assaillaient ses oreilles, par le vent qui
frappait l’ancien bâtiment, par chaque tremblement et chaque morceau de la ruine qui s’effondrait.
Elle imagina les murs qui se resserraient autour d’elle comme du papier froissé jusqu’à ce que ses os
se brisent enfin. Elle entendit au loin une voix étrangère appeler le nom de sa grand-mère, mais elle
ne bougea pas. La peur lui donna des sueurs glacées, elle se recroquevilla en serrant ses genoux et se
balança d’avant en arrière en suppliant en silence que tout s’arrête.

Puis la femme sortit de l’obscurité. Ayumi se retourna pour lui faire face, scrutant le corps
maigre et les traits pâles de l’étrangère, ses longs cheveux noirs flottant, comme battus par des vents
qu’Ayumi ne sentait pas. La femme était figée juste à la limite de la bulle, la lumière la traversant, et
le bas de son corps s’évanouissant dans le néant. Elle regardait fixement la bulle, la bouche ouverte,
comme si elle observait le contenu d’une coquille d’œuf.
Ce fantôme n’était pas sa mère, ni la femme de son rêve. Était-elle celle qui avait appelé le nom
de sa grand-mère ? Ayumi ne put que difficilement prononcer quelques mots par sa gorge nouée.

« Qui êtes-vous ? »

Les yeux de la femme s’élargirent alors, elle trembla et se mit à s’agiter. Ses yeux étaient remplis
d’un chagrin intense. Ou de haine. Ses épaules s’affaissèrent. Elle ressemblait à la mort de l’espoir.

Regarder le fantôme dans les yeux était comme se noyer dans de l’eau glacée. C’était comme
plonger dans un puits sans fond. Ayumi cria à nouveau sa question. Encore et encore entre des vagues
de glace. « Qui êtes-vous ? ! Qui êtes-vous !? »

Puis une main mutilée apparut de derrière le fantôme et lui arracha la gorge.

Ayumi cria et fit un bond en arrière. Son coude heurta la bougie qui se renversa. La bulle éclata.
Elle cligna des yeux et son monde était en feu, son front trempé de sueur, sa gorge sèche à cause de la
fumée. La cire pâle se répandit sur le sol, atteignant la porte effondrée tel des doigts allongés. Et bien
que tout soit baigné par la lumière, son monde semblait seulement devenir encore plus sombre.

Ayumi expira jusqu’à ce que les cicatrices sur ses bras ne la brûlent plus. Le souvenir, les
cauchemars, étaient flous et distants, mais son cœur, battant rapidement, se rappelait ce jour-là. C’était
la raison pour laquelle elle laissait les servantes du sanctuaire allumer l’encens pendant les prières,
pourquoi sa main tremblait chaque fois qu’elle allumait une bougie.

Maintenant, ces mains roulaient un talisman en papier, un ofuda, dans un tube creux. Elle
enfila la mèche dans le tube, puis le remplit délicatement de feuilles de jonc séchées. Alors que ses
doigts glissaient à l’intérieur du tube, elle ferma les yeux et offrit son Désir.

La première fois qu’elle vit Yua, Ayumi supposa qu’elle était l’une des gardiennes du sanctuaire
de Kaito accompagnant la livraison de saké béni. Elle était habillée comme elles, en rouge vif aux côtés
de leurs maîtres Isawa, contrairement aux robes brunes unies du malheureux maître brasseur qu’ils
avaient escorté. Il était déjà scandaleux que la famille Kaikoga ne produise pas son propre saké béni
pour les offrandes, mais son père ne pouvait pas y faire grand-chose, pas après la famine. Yua était
assise au sommet du tonneau massif, ses pieds nus se balançant comme les cordes shimenawa qui
entouraient la caisse, frappant sur le côté avec ses paumes tandis qu’un Isawa passait une branche de
cyprès au-dessus du tonneau. Ayumi réalisa qu’elle ne pouvait pas détourner le regard, même lorsque
le Grand Maître des Lampions se disputa avec le maître brasseur et que les Isawa s’en offensaient. Puis
Yua rit, ajoutant à la confusion de toutes les autres personnes présentes, et cela mit fin à la dispute. Ça,
c’est la gardienne de sanctuaire la plus étrange que j’ai jamais vue, pensa Ayumi.
Elle allait apprendre à quel point il était absurde de penser que Yua ait quoi que ce soit à voir
avec les gens du prieuré la nuit même, quand toutes deux se faufilèrent ensemble dans les magasins
pour « tester la pureté du saké béni ». Ce qu’elles firent avec enthousiasme pendant environ cinq
heures, leurs gloussements et leurs éclats de rire résonnant sous le plafond de l’entrepôt. Yua se
révéla être la fille du brasseur. Elle savait tout sur le saké, et surtout comment le boire. Elle connaissait
beaucoup de choses dont Ayumi n’avait jamais entendu parler, des choses qui faisaient bondir son
pouls et enflammaient ses joues. Pour une personne résignée aux chaînes du devoir, Yua représentait
une excitation à faire bondir le cœur. Et le cœur d'Ayumi s’affolait à chaque fois qu’elle voyait la farceuse
aux yeux sombres.

Bien qu’elle ne l’avouât que des années plus tard, Ayumi tomba amoureuse de Yua cette nuit là.

Et, heureusement, elles se voyaient souvent, de plus en plus au fil des années, et le sanctuaire
familial devint toujours plus dépendant de la protection des Isawa. Même après qu’elles furent
découvertes ensemble au milieu d’une pile de cruches vides, que les expéditions de saké furent
discrètement réorganisées, et qu'Ayumi fut envoyée loin pour finir ses études du yumeji et de la Voie
des Kami, elles trouvèrent toujours une façon de s’immiscer dans la vie l’une de l’autre. Et dans leurs
chambres, si elles en avaient le temps. Cela fut plus facile après la mort du père de Yua, et en tant que
nouveau maître brasseuse prenant sa succession, Yua avait soudainement beaucoup plus de liberté.
Ayumi, ayant pris le nom de sa grand-mère et étant désormais une shugenja du Clan de la Phalène,
pouvait faire tout ce qu’elle voulait.

Enfin, en quelque sorte. Les curieux les observaient toujours et les langues s’agitaient toujours.
Les amis d’Ayumi l’avaient prévenue du danger d’être si « intimement impliquée » avec quelqu’un de la
classe des marchands, quelqu’un qui manipulait facilement de l’argent. Pour eux, Yua aurait tout aussi
bien pu manipuler du fumier. L’argent était une souillure, un autre maillon de la chaîne que les plus
faibles tissaient dans la vie, une chaîne qui s’accrochait au monde matériel. Les Shugenja étaient des
prêtres, ils étaient censés être au-dessus de ce genre de choses. De nombreuses fois, les amis d'Ayumi
s’arrangèrent pour qu’elle croise « accidentellement » le chemin de telle ou telle jeune femme ou de
tel ou tel jeune homme, chacun étant sélectionné pour correspondre à ses goûts supposés. Mais Ayumi
se souciait encore moins d’eux que des candidats au mariage que son clan lui avait proposés. Elle les
repoussait, attendant son heure. Lorsqu’elle deviendrait elle-même le Grand Maître des Lampions, elle
aurait le pouvoir d’arranger son propre mariage. Yua et elle n’avaient qu’à attendre jusque-là.

Les colporteurs de rumeurs parleraient-ils ? Ayumi s’en moquait. Cette marchande l’avait fait
sortir de son cocon de timidité. Yua était la seule lumière qui ne l’avait jamais consumée. Une phalène
cherche toujours sa lumière, peu importe la distance et la détermination avec laquelle il lui faudrait
voler.

Maintenant la cire était prête. Elle fit tourner le tube dans le bain pâle, procédant minutieusement
afin d’ajouter juste une fine couche à la fois. Oh, comme le ver à soie tisse lentement son cocon.

Et tandis que la bougie grandissait, Ayumi offrit ses Regrets.

Elle vit Yua vivante pour la dernière fois durant O Bon à Nikesake.

Le premier jour était passé sans qu’elles ne puissent se croiser. Les badauds n’auraient jamais
pu faire le lien entre une shugenja supervisant la danse des jeunes servantes du sanctuaire, le Bon
Odori, et la maître brasseuse dirigeant les ouvriers qui empilaient les tonneaux d’offrandes devant le
sanctuaire ancestral. Elles ne s’étaient croisées qu’une seule fois, lorsque Yua était passée à côté d’elle,
leurs mains se frôlant très légèrement, et qu’elle lui avait lancé des excuses par-dessus l’épaule avec ce
sourire en coin qui faisait toujours monter la chaleur sur le visage d’Ayumi.

Le troisième soir, après avoir attribué les rituels restants aux shugenja plus âgés, Ayumi s’éclipsa
finalement. Des lanternes en papier flottaient en grappes le long de la surface du ruisseau qui se jette
dans la rivière du Marchand Noyé, comme un nuage de lucioles dansant sur l’eau. Tous les regards
étaient tournés par là, et non vers la vieille brasserie, où l’espiègle maître brasseuse sur le toit robuste
avait déjà réchauffé une bouteille en céramique et préparé deux tasses.

Elles étaient à nouveau deux adolescentes en train de glousser. Elles échangèrent quelques
futilités avant de parler de choses plus sérieuses. Le clair de lune sur les eaux calmes éclairait la
silhouette trapue de Yua tandis qu’elle sirotait sa tasse. Des années à marteler des fûts et à soulever
des tonneaux pleins avaient élargi ses épaules et épaissi ses bras. Elle souriait, les joues rougies et ivre,
une tache de sauce takoyaki scintillant sur sa joue. La plus belle femme de Rokugan.

Les heures défilaient. Bientôt, le son des tambours lointains se fit entendre. Le ruisseau était
rempli de lanternes, si nombreuses que le cours d’eau entier ressemblait à un serpent rougeoyant.

« Je me demande si cela marche vraiment », marmonna Yua.



Le saké d'Ayumi resta suspendu devant ses lèvres. Chaque lanterne représentait un esprit qui
était venu rendre visite à ses proches. Les lumières devaient guider les morts vers la mer, vers le monde
souterrain. Yua n’avait jamais exprimé de doute sur cette tradition auparavant.

« Obon est ma préférée », Ayumi changea de sujet. « J’ai hâte de communier avec ma grand-
mère. » Sa voix tremblait, mais elle n’était pas triste. « Peut-être que je la verrai cette année. »

« Tu lui allumeras une bougie après ? » demanda Yua. « Ou sera-t-elle coincée ici pour toujours ? »

Ayumi fit une nouvelle pause. Sa main frotta la chair cicatrisé de son avant-bras. Sa langue était
sèche, elle avait un goût de fumée.

« Peut-être que tu verras cette femme fantôme à la place. »

La coupe de saké d'Ayumi se brisa sur le sol dur en contre-bas.

Le visage de Yua se teinta d’horreur. Elle s’excusa, elle avait parlé sans réfléchir. Elle était juste
fatiguée, elle ne le pensait pas. Elle était désolée. Ayumi ne pouvait-elle pas oublier cela ? Yua voulait
que cette soirée soit spéciale. Qui savait quand elle se reverrait ?

Mais Ayumi ne pouvait pas oublier. Comment pouvait-elle dire quelque chose d’aussi
blessant ? Obon était un moment de fête, un moment où les ancêtres revenaient et où les familles
étaient à nouveau réunies.
« Une fête pour vous », dit finalement Yua. « Mais pourquoi les paysans comme moi devraient-
ils se réjouir ? »

Le saké était finalement froid. Yua le jeta. « Ayumi, si ta grand-mère revenait, en ancêtre
honorable, elle t’étreindrait, s’extasierait sur ta minceur, te dirait qui épouser, ou te révélerait la recette
de ces galettes de fèves qu’elle avait l’habitude de préparer pour toi. » Yua serra jambes et regarda par-
dessus ses genoux. « Mais les paysans ne deviennent pas des ancêtres bénis, n’est-ce pas ? »

Le cœur d’Ayumi se serra en une petite boule.

Les yeux de Yua brillaient comme la surface de deux mares gelés. « Non, nous devenons
des fantômes. Des fantômes affamés et solitaires qui errent dans les brumes grises du royaume des
morts. Il n’y a pas de paysans au royaume Céleste. Si ma grand-mère revient, ce sera uniquement parce
que je ne l’ai pas apaisée. Parce que j'ai vécu la vie que je voulais, pas celle qu’elle avait décidé pour
moi. Ce sera pour me traîner en enfer. » Son regard était dur comme l’acier quand elle se tourna vers
Ayumi. « N’est-ce pas ce que vos parchemins disent ? N’est-ce pas la parole du grand sage Gōban ? »

« Les grands sages ne savent pas tout », répondit Ayumi.

Yua sourit d’un air ironique. « Votre propre maître a dit un jour que ceux de ma profession
étaient sales, n’est-ce pas ? Que nous ne serions même pas acceptés dans le royaume des morts. Quand
je mourrai, que deviendrai-je ? »

Gaki. Un fantôme affamé. La punition pour une vie gâchée par la cupidité, focalisée sur les
plaisirs terrestres. Affamé à jamais, prêt à tout pour assouvir sa faim, jusqu’à manger la chair des
vivants. C’était le sort qui attendait ceux qui se compromettaient dans les professions de plaisir, ceux
qui s’adonnaient trop à la consommation du vin de dieu. C’est ce qu’a dit le grand sage Gōban.

Ayumi cracha. « Gōban était un crétin qui a bu de l’eau des marais et est mort sur les toilettes.
Ne tiens pas compte de ses enseignements. »

Le silence régna pendant un long moment.

« Ayumi », dit finalement dit Yua, « Tu réalises que ça ne peut pas marcher, n’est-ce pas ? »

Ayumi sentit le feu la ronger.

« Nous nous sommes amusées », continua Yua. « Et je t’aime. Mais je sais que tu sabotes les
demandes de mariage à cause de moi. Arrête ça. Tu es destinée à de grandes choses, Ayumi. Tu vas
même avoir une meilleure vie après la mort que celle que j’aurai. Mais je suis… »

« Tais-toi. » Ayumi attrapa ses mains et enroula ses bras autour d’elle. Elle voulait traîner
Yua jusqu’aux quartiers des visiteurs du temple, pour la cacher dans les chariots qui retournaient à la
maison. Creuser une pièce secrète sous ses quartiers et l’y cacher. Elle voulait qu’elles soient ensemble.
Et elle pouvait le faire, non ? Elle était une shugenja, une prêtresse ! Elle deviendrait le Grand Maître
des Lampions un jour. Qui pourrait le lui refuser ?
Au lieu de cela, elle leva sa manche, et l’emblème de la Phalène fut saisi par la lumière. « Je
connais le yumeji, Yua. Les secrets de ma grand-mère. Tu n’iras jamais au royaume des morts. J’ai le
pouvoir de créer la lumière pour te guider vers moi. Je serai cette lumière pour toi, tout comme tu es la
mienne. Promets-moi que tu la suivras. Promets-moi. »

J’aurais dû l’emmener avec moi.

Ayumi coupa le haut de la bougie à plat. Elle était grande et fine, comme un tibia. Elle tira une
épingle à cheveux de sa manche, l’épingle à cheveux de Yua, et grava son nom sur la cire, en essayant
d’ignorer comment le métal se déformait et s’écaillait là où le feu l’avait noirci.

Personne ne lui avait dit comment l’incendie avait commencé. Les gouverneurs s’accusaient les
uns les autres, et elle était certaine qu’elle ne saurait jamais la vérité. Et tout le monde voulait qu’elle
passe à autre chose, qu’elle fasse comme si Yua n’avait jamais existé. Mais c’est le commentaire de son
dernier prétendant, un Moineau abruti, qui ralluma le feu en elle. De sa voix la plus douce, il lui avait
dit qu’étant brasseuse et à manipuler de l’argent, Yua se serait sûrement réveillée dans le gaki-do tel un
fantôme affamé.

Ayumi frotta ses articulations. Elle avait fait vœu de non-violence en tant que Shugenja. Mais
cela lui avait fait du bien de lui cogner sa stupide bouche et de le faire taire pour de bon.

Non. Ce n’était pas le destin de sa bien-aimée. Ayumi était une Phalène. Une maîtresse du
yumeji de sa grand-mère. Elle pouvait le faire.

Elle pouvait trouver sa lumière, ne serait-ce que pour la guider vers un meilleur au-delà, pour
éviter le jugement de la Fortune de la Mort vers un rêve parfait qu’elles pourraient créer ensemble.
Pour lui offrir un meilleur avenir. Alors seulement, elle pourrait lui dire au revoir.

Ayumi arpentait les plaines du Tonbo, serrant la bougie contre elle avec la lune silencieuse
pour seul témoin. Ces champs hantés, où les royaumes se rejoignent, étaient un plateau surplombant
le royaume des morts. Elle s’arrêta au pied d’un grand arbre. D’ici, Yua verrait la lumière.

L’amadou trembla dans ses mains. C’est juste du feu. Tu peux le faire.

Elle approcha la flamme de la bougie et a murmura une prière. Je t’aime, Yua.

S’il te plaît, reviens-moi.

La flamme sauta sur la mèche de la bougie.

Le monde disparut. Ayumi cligna des yeux dans la bulle de lumière. Le vent hurlait au-delà,
mais elle ne sentait rien du tout. Juste la chaleur fragile de la flamme de la bougie.

« Yua ? » appela-t-elle. « Yua ? »

Aucun mouvement, à part le vent incessant.


Puis, une tache de lumière apparût au loin. Telle une lanterne flottant seule sur un petit
ruisseau.

Sans réfléchir, Ayumi poussa à travers la bulle, s’élançant vers elle. L’herbe cassante des plaines
de Tonbo crissait sous ses pieds, le vent rejetant soudainement ses manches et son col.

« C’est moi ! » cria-t-elle. « Ayumi ! C’est Ayumi ! »

Chaque pas, chaque battement de cœur, la rapprochait, réduisant l’écart à coup de respirations
rapides. Et là, une autre bulle de lumière, et quelqu’un qui remuait à l’intérieur. Elle chassa les larmes
chaudes en clignant des yeux. Dans cette lumière se trouvait sa bien-aimée ! Elle y trouverait Yua !
Merci aux fortunes ! Une Phalène trouve toujours...

Un cri de surprise mourut sur ses lèvres.

Dans la bulle, une jeune enfant se retourna vers elle, tournant le dos à la bougie qui vacillait.
Elle était agenouillée sur des planches de bois, les grains de poussière flottant à l'intérieur de la lumière,
sa forme entière scintillant, la lumière passant à travers. Elle était vêtue de kimonos qu’Ayumi ne portait
plus depuis longtemps, mais qu’elle reconnut immédiatement.

« Qui êtes-vous ? » demanda l’enfant.

Le vent secoua l’herbe fine et la transperça, jusqu’à l’os, aussi tranchant et impitoyable que la
question de l’enfant. Comme sa question. Une question à laquelle, même maintenant, elle ne pouvait
répondre.

L’enfant cria. Encore et encore. Couverte de sueur. Pétrifiée par la peur. « Qui êtes-vous ! ?
Qui êtes-vous !? »

Ayumi ne répondit pas. À quoi cela servirait-il ? Elle ne pourrait jamais échapper à cela. Son
destin était scellé depuis ce moment dans le vide sanitaire, quand son monde était parti en cendres. Il
n’y avait jamais eu de monde qu’elle pouvait changer. Seulement des ombres contre un mur. Juste une
crétine qui s’accrochait à un mensonge.

Et elle détestait celle qui l’avait trompée. Elle-même.

Ses épaules s’affaissèrent. Ses poumons se vidèrent. Elle n’aurait jamais pu sauver Yua. Elle
était juste une idiote qui croyait qu’il y aurait une certaine justice. Mais pourquoi attendait-elle de
l’équité dans la mort alors qu’il n’y en avait pas dans la vie ? Pourquoi avait-elle cru en un monde juste ?
Pourquoi a-t-elle cru en quoi que ce soit ?

Tout cela ne voulait rien dire. Alors elle ne bougea pas.

Même quand elle sentit une présence derrière elle, lui hérissant les poils de la nuque. Même
quand le vent passait ses doigts invisibles dans ses cheveux. Même quand la main griffue et mutilée,
une main qui avait appartenu à la fille d’un brasseur de saké, apparut de derrière elle, affamée.
Yua doit être affamée.

La petite fille hurla.

Cela n’avait pas d’importance. Ayumi voulait qu’elle voie.

Regarde attentivement, petite idiote.

Les griffes creusèrent des tranchées dans sa gorge.

Une phalène est toujours mangée par sa lumière.

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