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1.

Le besoin de réponses
Toutes les victimes veulent spontanément obtenir des réponses à un large éventail de questions, y compris la plus universelle :
« Pourquoi moi ? »
Bien qu’il s’agisse pour partie d’une question d’ordre spirituel, c’est aussi une question à laquelle chaque auteur-e peut
répondre partiellement, pour assurer à la victime qu’il ou elle n’a pas été personnellement/intentionnellement visé (si c’est bien
le cas). La plupart des autres questions peuvent trouver de réponse qu’auprès de l’accusé-e, par exemple :
- pourquoi avez-vous cassé la vitre du sous-sol ?
- pouvez-vous me rendre ma pièce d’identité, qui n’a aucune valeur pour vous mais beaucoup pour moi ?
La majorité de ces questions paraissent insignifiantes ou futiles, mais elles peuvent obséder les victimes. Ce qui est plutôt
logique, si on y réfléchit de près. En effet, être victime implique par nature de voir son espace vital envahi, et sa capacité de
contrôle sur sa petite zone de sécurité outrepassée. Obtenir des réponses à ces questions aide les victimes à regagner une
compréhension des choses qui leur est essentielle pour retrouver une sensation de contrôle et de sécurité. (...)
2. Le besoin de reconnaissance du préjudice subi
Le besoin le plus puissant pour les victimes est sans doute celui de voir le préjudice subi reconnu comme une injustice
importante, plutôt que comme quelque chose qu’elles auraient bien cherché ou quelque chose de banal que l’on pourrait
prendre à la légère. Bien sûr, les tribunaux font exactement l’inverse : la plus grande partie de la procédure judiciaire, en
particulier tous les éléments de défense rassemblés en faveur de l’accusé-e, désigne d’une manière ou d’une autre la victime
comme étant en tort, faible, négligente, provocante, ou d’une quelconque façon responsable de sa victimation. L’accumulation
de niveaux de procédure incompréhensible, dans laquelle la victime est dévalorisée et ignorée, n’amène aucune
reconnaissance du préjudice subi. (...)
Notre société reconnait — au mieux — les injustices de manière très inégale. Le fait d’être né-e pauvre ou noir-e ou autochtone
et par conséquent faire l’expérience de la discrimination systémique tout au long de sa vie n’est pas considéré comme un
préjudice qui mérite reconnaissance. La responsabilité des injustices subies sur le lieu de travail tend à peser sur les victimes :
quiconque se plaint de son ancien employeur lors d’un entretien d’embauche a peu de chances d’être recruté. En revanche,
depuis peu et grâce au travail du mouvement féministe, le viol, dont la responsabilité était souvent renvoyée à la victime, a été
reconnu comme un fait très grave pour lequel on ne saurait blâmer les victimes.
3. Le besoin de sécurité
Si le fait de trouver une sensation de sécurité constitue un besoin évident des victimes, les procédures judiciaires échouent
souvent à le leur procurer. La distance sociale entre victime et auteur-e est approfondie, ce qui accroît la peur et la colère des
deux côtés. Il n’y a que dans une communauté protectrice et bienveillante que l’on pourrait trouver une véritable sécurité,
pourtant notre système actuel transforme les auteur-e-s de délits mêmes bénins et non violents en épouvantails ; et laisse aussi
bien les victimes que les auteur-e-s à la merci d’un « justice » dont les procédures et les décisions arbitraires n’offrent de
sécurité ni aux victimes, ni aux auteur-e-s.
4. Le besoin de réparation
La réparation est un besoin des victimes largement reconnu mais souvent mal compris. Les tribunaux le reconnaissent en
condamnant de manière plus ou moins cohérente à des dommages et intérêts. De nombreux crimes sont commis dans le but
de payer des dommages et intérêts d’un montant irréaliste, impossible à atteindre pour l’auteur-e. Environ 60% des dommages
et intérêts ordonnés ne sont pas payés, non seulement du fait du montant démesuré, mais aussi parce que ni l’auteur-e ni la
victime ne sont impliqué-e-s dans la définition de la somme. L’auteur-e ne se sent pas engagé-e à respecter une décision qui ne
fait pas sens pour lui ou elle, et qui est juste un rouage supplémentaire d’un système pénible et insultant qui le-la déteste et le-la
rejette.
Par réparation, nous entendons autre chose : la réparation vise à redonner à la victime le sentiment qu’elle appartient à une
communauté qui se soucie d’elle. Ainsi, la réparation est possible même dans des affaires de viol ou de meurtre, puisqu’il ne
s’agit pas de rendre coup pour coup mais de rétablir la communauté. Lors de la première conférence de l’Association in
Defence of the Wrongfully Convicted (Association de défense des condamnés à tort), quant Hurricane Carter (note : Rubin «
Hurricane » Carter est un boxeur noir qui a passé près de 20 ans en prison, accusé à tort d’un triple homicide. (...)) a appelé sur
la scène sept personnes qui avaient passé au total 160 ans en prison pour des crimes avec lesquelles elles n’avaient rien à
voir, le public a fait à chacune une standing ovation. Des larmes ont coulé sur le visage de nombreuses personnes quand
Hurricane Carter a serré dans ses bras chacun-e des ex-condamné-e-s devant ce public profondément ému qui les
applaudissait et les acclamait. Rien ne pourra rendre à ces gens les décennies passées en prison, les parents qu’ils n’ont pas
pu accompagner sur leur lit de mort, les enfants qu’ils n’ont pas vu grandir, mais cet hommage de la communauté constituait
bien une forme de réparation : c’était une déclaration de communauté de la part de personnes qui se souciaient profondément
de ce qu’ils et elles avaient enduré. Ça, c’est une réparation.
5. Le besoin de trouver du sens
Le dernier besoin des victimes est aussi d’une certaine façon le plus beau : les victimes de toutes sortes ont besoin de donner
du sens à ce qu’elles ont vécu. Nous ne trouverons jamais les réponses à toutes les grandes questions de ce monde ; personne
ne pourra reconnaître les injustices que nous avons subies de manière aussi profonde que nous les ressentons nous-mêmes ;
nous ne nous sentirons plus jamais autant en sécurité après une violation de notre espace ; et la réparation de la communauté
ne pourra pas pour autant nous rendre ce que nous avons perdu. Tôt ou tard, des victimes apaisées et sur le chemin de la
guérison se rendront compte que leurs quatre premiers besoins ont été aussi satisfaits que possible, qu’on ne peut pas aller
plus loin. Il leur est impossible de remonter le temps et d’effacer les événements. Cependant, elles peuvent décider de tirer parti
de ce qui leur est arrivé pour rendre le monde meilleur, plus sûr pour les autres, et même pour empêcher que d’autres subissent
ce qu’elles ont subi.
C’est ainsi qu’une mère dont l’enfant s’est noyé dans une piscine publique fonde une campagne pour plus de maîtres-nageurs.
(...) Une femme dont le mari chauffeur de bus a été abattu par des jeunes dans un quartier pauvre d’une ville états-unienne a
créé un fonds destiné à financer des loisirs aux jeunes de ce quartier. Des mères dont les enfants ont été tués par des
conducteurs ivres ont lancé un mouvement (Mothers Against Drink Driving) qui a contribué à changer l’attitude du public en
matière de conduite et d’ébriété. »
Ruth Morris, « Deux types de victimes : répondre à leurs besoins », extrait du recueil Crimes & Peines, Penser l’abolitionnisme
pénal, de Gwenola Ricordeau

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