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Khalid EL BADRAOUI Revue JBE

L’EVALUATION DE LA PERFORMANCE
OPERATIONNELLE A LONG TERME :
ASPECTS METHODOLOGIQUES ET ANALYSE CRITIQUE

Khalid EL BADRAOUI, Université Ibn Zohr - École Nationale de Commerce et de Gestion, Maroc
Khalid.elbadraoui@gmail.com

Mots-clés : Etude événementielle ; étalon ; performance opérationnelle.

Résumé : Dans cet article, nous passons en revue les méthodes les plus utilisées dans les études
empiriques visant à appréhender la performance opérationnelle à long terme (trois à cinq
années) des entreprises suite à un événement corporatif majeur. Ces études, dites études
événementielles à long terme, sont basées sur des données comptables, et sont très sensibles
aux modèles mis en œuvre pour estimer la performance opérationnelle ainsi qu’aux tests
utilisés pour juger son importance relative d’un point de vue statistique. Nous présentons
ces aspects et faisons ressortir les problèmes méthodologiques qui peuvent être rencontrés
ainsi que les solutions qui sont préconisées dans la littérature.

Keywords : Event study ; benchmark; operating performance

Abstract: In this paper, we review the methods widely used in empirical studies to detect the long-
term (three to five years) operating performance following major corporate events. These
studies, referred to as “long-term event studies”, use accounting-based performance
measures and are very sensitive to the models implemented to estimate the operating
performance as well as to the tests designed to judge its relative importance from a
statistical standpoint. We present these aspects and put emphasis on the methodological
issues which can be met in these studies, as well as the solutions suggested in the
literature to address them.

INTRODUCTION

Selon la théorie du signal (Ross, 1977 ; sa vie, une firme est amenée à diffuser une
Leland et Pyle, 1977), les firmes panoplie d’informations vers un large public.
communiquent les informations aux Ces informations peuvent avoir un caractère
investisseurs à travers les décisions que leurs cyclique, comme les annonces de résultats
dirigeants prennent. En effet, tout au long de annuels ou de distribution de dividendes, ou

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un caractère exceptionnel, telles que les et Ritter, 1995 ; Jegadeesh, 2000) ou encore
annonces de financement externe ou des suite à certaines opérations sur titres, telles
offres publiques. Les moments où ces que les rachats et les fractionnements
décisions sont prises sont des moments d’actions (e.g. Ikenberry et al.,1995 ; Desai et
marquants et privilégiés, car ils offrent aux Jain, 1997).
investisseurs l’occasion de porter un jugement Toutefois, étant donné que l’information
sur la qualité de la firme à travers les comptable constitue une source d’information
implications des décisions prises. L’incidence déterminante pour les investisseurs, il
de ces décisions sur la richesse des conviendrait de s’interroger dans quelle
actionnaires est mise en évidence par les mesure l’évolution de la performance
chercheurs en recourant à la méthodologie des boursière à long terme des firmes suite à un
« études d’événement » ou « études événement corporatif pouvait refléter
événementielles ». l’évolution de leur performance
Des études1 plus récentes sur le comportement opérationnelle2 telle que mesurée par des
des cours des entreprises sur une longue indicateurs issus de leurs états financiers ?
période suite à l’annonce d’un événement Afin de répondre à cette question, de
corporatif quelconque montrent que l’impact nombreuses études (Cf. Tableau 1) ont tenté
constaté lors de l’annonce de cet événement d’appréhender la richesse économique créée
n’est pas toujours proportionnel à la portée par les firmes suite à certaines décisions
réelle de la nouvelle à cet instant. En effet, les stratégiques prises par leurs dirigeants. Les
investisseurs auraient tendance à commettre auteurs de ces études utilisent principalement
systématiquement des erreurs dans la façon des indicateurs de performance construits à
dont ils interprètent le signal envoyé par partir des données comptables de l’entreprise
l’entreprise lors de l’annonce de l’événement. afin d’évaluer l’aptitude de cette dernière à
Autrement dit, le marché tarde à reconnaître créer la valeur dans la durée. Ces indicateurs
les effets réels de l’événement sur la valeur de revêtent une dimension opérationnelle dont la
l’entreprise, ce qui semble être incompatible contribution dans la performance de la firme
avec le principe d’efficience informationnelle semble déterminante. En effet, Modigliani et
des marchés financiers. De nombreux auteurs Miller (1963), initiateurs de la théorie
se sont donc tournés vers les études financière moderne, attestent dans leur
d’événement à long terme afin d’évaluer la fameuse proposition II que la dimension
performance boursière à long terme pendant la opérationnelle doit être séparée de la
période post-événement. Ces études dimension financière. Ce sont les conditions
événementielles ont détecté des gains ou des d’exploitation qui sont à l’origine de valeur,
pertes de valeur significatives pendant la les décisions de financement n’ayant pas
période post-événement sur des horizons d’incidence hormis l’effet fiscal.
temporels relativement longs (trois à cinq ans Toutefois, les aspects méthodologiques des
après l’occurrence de l’événement). Ces études de la performance opérationnelle à
anomalies ont été plus particulièrement long terme sont loin de faire l’unanimité au
observées sur le terrain riche des émissions de sein de la communauté scientifique financière.
nouveaux titres (e.g. Ritter, 1991 ; Loughran
2
Il s’agit de la rentabilité procurée par les outils de
1
Se référer à Fama (1998), Schwert (2001) et Kothari production en place indépendamment du mode de
(2001) pour une synthèse de ces études. financement.

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En effet, l’évaluation de la performance l’élaboration d’un diagnostic sur les ressorts


opérationnelle est très sensible à la fois, à de la firme et pour apporter quelques éléments
l’indicateur de performance utilisé et à d’éclairage sur ses perspectives de croissance.
l’étalon (benchmark) mis en œuvre pour Les premières études d’événement à long
estimer la rentabilité attendue. Aussi, de par le terme portant sur l’analyse de la performance
caractère non-gaussien des ratios comptables, opérationnelle des firmes ayant enregistré un
les tests statiques utilisés dans ces études ne événement corporatif reposent sur des
permettent pas toujours d’aboutir aux mêmes indicateurs de mesure de performance
conclusions et leur fiabilité est souvent financière. Cela était le cas, à titre d’exemple,
contestée. C’est justement dans cette de Healy et Palepu (1988) pour les
perspective que se situe le présent article qui initiations/suppressions de dividendes ou
s’attache à présenter et discuter les aspects encore Asquith et al. (1989) pour les
méthodologiques de ces études, en mettant fractionnements d’actions, qui ont appréhendé
l’accent particulièrement sur les indicateurs et la performance opérationnelle des firmes en
les modèles de mesure de la performance rapportant la variation de leur bénéfice net par
économique à long terme, ainsi que les tests action (ΔBPA) à leur cours boursier. Or, le
statistiques mis en œuvre pour évaluer son bénéfice net d’une entreprise est souvent
caractère significatif. impacté par sa politique financière, ce qui ne
La suite de cet article est organisée comme permet pas d’informer sur la rentabilité des
suit. La section suivante présente les mesures capitaux engagés dans l’activité productive
classiques utilisées dans la littérature pour indépendamment de la structure de
évaluer la performance opérationnelle. La financement choisie. Ce biais est d’autant plus
section III est consacrée aux méthodes fréquent que la plupart des événements
alternatives préconisées pour pallier aux corporatifs étudiés impliquent un changement
déficiences des mesures classiques. Dans la de la structure financière de l’entreprise. C’est
section IV seront discutés les différents le cas notamment du financement par
étalons utilisés pour estimer les rentabilités émission d’actions ou d’obligations.
normatives ainsi que les critères À cela s’ajoute le fait que le résultat net de
d’appariement mis en œuvre pour sélectionner l’entreprise peut être altéré par la politique
ces étalons. Les sections V et VI sont fiscale de l’entreprise (impôt sur les sociétés)
consacrées respectivement aux modèles et/ou par sa politique d’amortissement et de
d’évaluation de la performance opérationnelle provision3. La construction d’un indicateur de
et aux tests utilisés pour juger la significativité performance fiable et pertinent passe donc
statistique de celle-ci. La dernière section immanquablement par la correction du résultat
conclue. net des effets des charges financières, des

1. Les mesures classiques de la 3


Teoh et al. (1994), Teoh et al. (1998) et Rangan
performance opérationnelle à long (1988) attestent que les dirigeants des entreprises
candidates à une introduction en bourse ou à une
terme augmentation de capital ont généralement tendance à
manipuler leurs résultats comptables par le biais des
La mesure de la performance opérationnelle à amortissements et des provisions (accruals). Ils
long terme est un exercice délicat. Son indiquent également que ces manipulations comptables
analyse est cependant indispensable pour expliquent les mauvais résultats de ces entreprises pour
les années à venir.

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amortissements et provisions pratiqués par (historic cost drawback), tient au fait que
l’entreprise et de l’imposition de ses l’actif total est reporté dans les états
bénéfices. C’est pour cette raison que Barber comptables en coût historique alors que le
et Lyon (1996) recommandent d’opter pour résultat opérationnel (EBITDA par exemple)
une mesure de performance opérationnelle qui est exprimé en euros courants.
est fondée sur les flux de trésorerie potentielle La deuxième limite est inhérente aux actifs
dégagés par l’exploitation, telle que le non-opérationnels (non-operating assets
bénéfice avant impôts, charges financières, drawback). En effet, la standardisation du
dépréciations et amortissements (EBITDA4 : résultat opérationnel par un actif total qui
Earning Before Interest Taxes depreciation intègre des actifs non opérationnels entraînera
and Amortization), le bénéfice avant impôts et une sous-estimation de la rentabilité
charges financières (EBIT : Earning Before opérationnelle.
Interest and Taxes) ou encore le résultat Des ajustements s’avèrent par conséquent
opérationnel avant dépréciations et nécessaires afin de pallier ces biais
amortissements (OIBD : Operating Income méthodologiques qui risquent d’altérer les
Before Depreciation). conclusions des études qui se proposent
Par ailleurs, afin de rendre les rentabilités d’analyser la performance opérationnelle à
économiques comparables dans le temps et long terme. S’agissant du biais du coût
dans l’espace, le résultat opérationnel de historique, Barber et Lyon (1996) proposent
chaque entreprise pendant une période t est en vue d’y remédier de standardiser le résultat
rapporté au total des actifs (Total Assets : TA) opérationnel, soit par la valeur de marché des
l’ayant sécrété pendant la même période t. actifs5, soit par le chiffre d’affaires, ce qui
Cela nous donne le ratio revient à calculer la rentabilité commerciale
Résultat opérationnel TA , communément (Return On Sales : ROS).
désigné sous l’acronyme ROA (Return On S’agissant du problème des actifs non-
Assets) dans la littérature anglo-saxonne. Le opérationnels, Barber et Lyon (1996) estiment
tableau 1 reprend dans sa troisième colonne que « l’ajustement le plus important à opérer
les indicateurs de performance opérationnelle sur les entreprises de l’échantillon étudié
utilisés dans certaines études précédentes. serait la déduction des liquidités et des valeurs
réalisables de la valeur comptable de leurs
2. Les mesures alternatives de la actifs » (p. 389). Cet ajustement s’avère très
judicieux dans les événements corporatifs
performance opérationnelle associés à une variation substantielle de la
trésorerie de l’entreprise, ce qui est le cas,
L’estimation de la rentabilité opérationnelle
notamment, pour les émissions et les rachats
par le ROA calculé tel qu’indiqué ci-dessus
de titres.
souffre de deux principales limites. La
première, dite « biais du coût historique »

4
L’EBITDA s’apparente à la notion française de l’EBE
(Excédent Brut d’Exploitation), à la différence que ce
5
dernier intègre les impôts et taxes. L’EBITDA est défini La valeur de marché des actifs (market value of
par la somme du chiffre d’affaires et de la production assets) est calculée comme suit : actif total - valeur
vendue, moins les consommations en provenance des comptable des capitaux propres + capitalisation
tiers, les charges de personnels et les autres charges. boursière.

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Tableau 1:
Tableau synoptique (non exhaustif) des études événementielles ayant étudié la performance
opérationnelle à long terme des firmes suite à un événement corporatif
Auteur(s) Événement(s) étudié(s) Indicateur(s) de performance Critère(s) d’appariement
Healy et Palepu  Initiation/omission de ΔBPA
 Activité
(1988) dividendes
Cours
Asquith et al. BPA
 Fractionnement d’actions  Activité
(1989)
Cours
Résultatopérationnel
 Rachats de l’entreprise par
CA
Kaplan (1989) les Salariés (Management  Activité + Taille
Buy Out) Résultatopérationnel
TA
 Émission d’actions
 Émission d’obligations
Hansen et EBIT
convertibles
Crutchley (1990) TA
 Émission d’obligations
standards
Healy et Palepu BPA
 Émission d’actions  Activité
(1990)
Cours
 La bataille de procuration
Mukherjee et
(proxy contest ou proxy ROE (hors éléments exceptionnels)  Activité + Taille
Varela (1993)
fight)
OIBD Cash - flows opérationnels
Jain et Kini (1994)  Introduction en bourse ;  Activité
TA TA
Cash - flows opérationnels
Healy et al. (1994)  OPA  Activité
Valeurde marchédes actifs
EBITDA( horsélémentsexceptionnels)
 Activité
Mikkelson et Shah TA  Activité + taille
 Émission initiale
(1997) EBITDA( horsélémentsexceptionnels)  Activité +
performance passée
CA
Loughran et Ritter EBITDA  Activité + taille +
 Émission d’actions
(1997) performance passée
TA
EBITDA
Sentis (2001)  Émission initiale  Activité + taille
TA
 Émission d’obligations OIBD OIBD Résultatnet Résultatnet  Activité + taille +
Lewis et al. (2001) ; ; ;
convertibles performance passée
CA TA CA TA
 Activité + taille
 Rachat d’actions par Résultatopérationnel  Activité +
Lie (2005)
ramassage en bourse performance passée +
TA - Cash
BtoM
 Activité +
El Badraoui et al.  Emission d’obligations EBIT EBITDA EBIT EBITDA performance passée
; ; ;
(2008) convertibles TA TA CA CA  Taille + performance
passée

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Cependant, dans le cas des événements plus élevée et une rotation des actifs lente
donnant lieu à une rentrée de liquidités (plus (c’est typiquement le cas des commerces de
particulièrement les émissions de titres), il se luxe). L’analyse de l’évolution du taux de
peut que les fonds encaissés par les entreprises rotation des actifs avant et après la survenance
de l’échantillon soient alloués à des projets de l’événement est donc nécessaire pour
d’investissement peu de temps après la interpréter adéquatement les résultats.
réalisation de l’événement en question,
conduisant ainsi à une augmentation des actifs 3. Le choix d’une norme
opérationnels en place, mais sans pour autant
générer immédiatement des flux de résultat. Il La rentabilité opérationnelle est un bon
s’ensuivra une sous-évaluation de la indicateur de l’efficacité de l’entreprise dans
rentabilité économique à court terme des le cadre de sa fonction de production.
firmes de l’échantillon subséquemment à Toutefois, son calcul doit s’accompagner
l’événement. Barber et Lyon (1996) proposent d’une comparaison de son niveau avec celui
de corriger ce biais, dû à l’existence d’un d’une norme. En effet, une entreprise peut très
éventuel délai de réponse des investissements bien être rentable sur le plan opérationnel,
entrepris, soit en observant l’évolution de la mais révéler un niveau de rentabilité inférieur
performance de l’entreprise de l’échantillon à celui de son secteur d’activité ou à celui des
sur un horizon temporel relativement long entreprises de taille comparable, ce qui
(plusieurs années), soit en utilisant une mesure tendrait à démontrer son manque de
de performance qui n’est pas affectée par compétitivité.
l’accroissement des actifs, telle que la La norme est déterminée comme la rentabilité
rentabilité commerciale. d’un étalon qui peut revêtir deux formes, soit
Par ailleurs, la recherche d’une meilleure une entreprise de contrôle, soit un portefeuille
compréhension de l’origine des fluctuations de référence. Cet étalon est sélectionné selon
de la rentabilité opérationnelle de l’entreprise des critères6 définis à l’avance de sorte que sa
nous amène à décomposer le ROA en deux rentabilité mime la rentabilité de l’entreprise
ratios : le ROS et le taux de rotation des actifs en l’absence de l’événement étudié. La
(Aturnover). Ce dernier, calculé en rapportant le rentabilité opérationnelle anormale (c’est-à-
chiffre d’affaires au total des actifs, permet dire, la rentabilité opérationnelle liée à
d’évaluer la performance de l’entreprise dans l’événement) s’exprime donc comme suit :
l’exploitation de ses actifs en mesurant les
ventes réalisées par chaque unité monétaire APit  Pit  E  Pit X t  (2)
investie.

ROA  ROS * Aturnover (1) Avec Pit la rentabilité opérationnelle


(1)
enregistrée pendant l’année fiscale t par la
L’équation (1) montre qu’une même firme i objet de l’événement. E  Pit X t 
rentabilité économique peut être obtenue soit correspond, théoriquement, à l’espérance de la
par une rentabilité commerciale faible rentabilité opérationnelle de la firme i en
combinée à une rotation des actifs rapide
(c’est le cas des grandes distributions par 6
La quatrième colonne du tableau 1 reporte quelques
exemple), soit par une rentabilité commerciale exemples de critères d’appariement utilisés dans la
littérature.

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l’absence d’événement, connaissant entreprise de contrôle relevant du même


l’information complémentaire Xt disponible secteur d’activité et minimisant l’écart absolu
l’année t. Puisqu’elle n’est pas observable, de rentabilité économique avec l’entreprise de
cette rentabilité est approximée par celle d’un l’échantillon pendant l’année fiscale précédant
étalon PIt. celle de l’occurrence de l’événement (année -
Plusieurs normes sont usuellement utilisées 1). La logique qui sous-tend l’utilisation des
dans la littérature pour appréhender la deux critères d’appariement « appartenance
performance opérationnelle. Nous allons en sectorielle » et « rentabilité économique
présenter quatre qui sont le plus fréquemment passée » est de contrôler les variations
mises en œuvre. La première, fournit une sectorielles de la rentabilité opérationnelle et
mesure de performance non ajustée. Elle ne neutraliser l’effet de retour à la moyenne8
requiert le recours à aucune entreprise de (mean reversion) susceptible d’affecter cette
contrôle ou portefeuille de référence, et dernière.9
suppose que la meilleure estimation de la Pour ce qui concerne la deuxième norme,
rentabilité opérationnelle espérée E  Pit X t  l’entreprise de contrôle est sélectionnée selon
le critère croisé (taille ; rentabilité
d’une entreprise pendant une année t est tout économique passée). Dans ce cas, il est
simplement sa rentabilité opérationnelle de procédé en deux étapes. La première étape
l’année t-1. Plus formellement : consiste à construire un portefeuille composé
de toutes les entreprises de contrôle dont la
E  Pit X t   Pi ,(t 1) (3) taille (mesurée par le total d’actifs) (3) oscille
entre 70% et 130% de celle de l’entreprise de
La deuxième norme fournit une mesure de l’échantillon. À partir de ce portefeuille, il
performance ajustée pour l’effet sectoriel. convient de choisir dans une seconde étape
Dans ce cas, la rentabilité opérationnelle l’entreprise dont la rentabilité économique est
attendue est égale à la rentabilité la plus proche de celle de l’entreprise de
opérationnelle médiane d’un portefeuille de l’échantillon.
référence composé de toutes les entreprises Dans leurs simulations, Barber et Lyon (1996)
ayant la même appartenance sectorielle que ont testé plusieurs combinaisons de variables
l’entreprise de l’échantillon. Dans les études de contrôle. Ils affirment que la méthode
américaines, les auteurs adoptent le plus d’appariement qui contrôle à la fois pour
souvent la classification SIC (Standard l’effet taille et l’effet de retour à la moyenne
Industrial Classification) à deux (two-digit)
ou à quatre (four-digit) chiffres. 8
Cet effet a été largement documenté dans la littérature
Les deux normes restantes reposent chacune comptable. Ainsi, Brooks et Buckmaster (1980),
sur l’utilisation d’une firme de contrôle. Pour Freeman et al. (1982), Penman (1991) et Fama et
la première, l’entreprise de contrôle est French (1995) ont tous démontré que les mesures
sélectionnée selon le critère croisé comptables de performance suivent un processus de
(appartenance sectorielle ; rentabilité retour à la moyenne.
9
Plus récemment, Kothari et al. (2005) ont attesté
économique passée7). Ainsi, chaque entreprise
que l’utilisation de la « rentabilité économique
de l’échantillon est appariée avec une passée » comme critère d’appariement dans les
études d’événement à long terme permet de
7
Par rentabilité économique passée, nous entendons la contrôler la manipulation des résultats par les
rentabilité économique mesurée à la fin de l’année -1. « accruals discrétionnaires ».

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fournit des tests bien spécifiés et puissants, parviennent à mieux détecter la performance
même si elle ne prend pas en considération anormale aussi bien dans les échantillons
l’appartenance sectorielle de l’entreprise. aléatoires que conditionnels.

4. La modélisation de la 5. L’analyse du caractère


performance opérationnelle attendue significatif de la performance
opérationnelle
Deux modèles de mesure de performance sont
mis en œuvre pour estimer la norme en cas de Dans les études d’événement à long terme,
recours à l’entreprise de contrôle ou au l’hypothèse de normalité de la distribution des
portefeuille de référence. rentabilités opérationnelles anormales est
Le premier modèle est de nature statique sérieusement mise en défaut de par
(level model). Il mesure la performance l’importance relative des valeurs extrêmes
opérationnelle en soustrayant la rentabilité (outliers). Afin de s’affranchir de l’hypothèse
opérationnelle de l’étalon (PIt) de celle de de normalité dans la vérification de
l’entreprise de l’échantillon (Pit). Plus l’hypothèse Ho (aucun impact significatif de
formellement : l’événement sur la performance opérationnelle
des firmes de l’échantillon), Barber et Lyon
E  Pit X t   PIt (4) (1996) recommandent l’usage du(4) test de
Wilcoxon. En effet, leurs simulations livrent
Par contre, le deuxième modèle est un modèle des résultats qui mettent en relief une
dynamique (change model) où la performance puissance plus importante de ce test
opérationnelle correspond à l’écart entre la comparativement au test paramétrique de
variation de la rentabilité opérationnelle de Student qui se manifeste par des taux de rejet
l’entreprise de l’échantillon entre l’année t et de l’hypothèse nulle élevés.
l’année t-1, et celle de l’étalon sur la même Le test de Wilcoxon utilise l’information
période. concernant à la fois la direction et la grandeur
relative des observations. Sa statistique est
APit   Pit  Pi ,(t 1)    PIt  PI ,(t 1) 
calculée de la manière suivante :
(5) (5)
N
1
Nous pouvons donc écrire : K i  N  N  1
4
Z wilcoxon  i 1
~ N  0,1 (7)
E  Pit X t   Pi ,(t 1)  PIt
S
(6) (6)

Avec :
N  N  1 2 N  1
PIt  PIt  PI , (t 1) S (7)
24

Enfin, Barber et Lyon (1996) confirment que et


les modèles dynamiques sont plus puissants  0 si APi  0

que les modèles statiques, puisqu’ils Ki  
rang  APi  sinon

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Notons tout de même que la supériorité de ce affirmer que le recours à cette dernière est
test par rapport au test de Student s’éclipse toujours d’actualité dans le domaine de
lorsque les valeurs extrêmes sont éliminées de l’économie et de la finance. D’ailleurs,
la distribution des rentabilités opérationnelles MacKinlay (1997) souligne dans la conclusion
anormales. de son article : « Beaucoup a été appris des
travaux de recherche fondés sur la
CONCLUSION méthodologie d’étude d’événement …
Toutefois, au fur et à mesure que ces
Le potentiel de l’étude événementielle de la recherches avancent, il est prévu que les
performance opérationnelle à long terme, en études d’événement continueraient à être un
tant que méthodologie qui facilite l’étude des outil valable et largement utilisé dans le
variations de la richesse économique générée domaine de l’économie et de la finance » (p.
par la firme, est important. En effet, cette 38).
technique permet de vérifier le caractère
notable d’un événement issu d’une décision REFERENCES
managériale à caractère financier à travers
l’appréciation de son incidence sur la valeur Asquith P., Healy P. Palepu K., 1989.
de la firme à long terme. Earnings and Stock Splits, Accounting
Toutefois, malgré l’intérêt indéniable de cette Review, Vol. 64, p. 387-403.
méthodologie, tant sur le plan théorique que Barber B. et Lyon J., 1996. Detecting
pratique, son application n’est pas sans Abnormal Operating Performance: The
soulever de problèmes. Ainsi, selon Fama Empirical Power and Specification of Test
(1998), il n’existe pas de modèle capable de Statistics, Journal of Financial Economics,
décrire parfaitement les rentabilités attendues, Vol. 41, p. 359-399.
ce qui fait que les modèles utilisés pour Brooks L. et Buckmaster D., 1980. First
estimer les rentabilités normatives sont une Difference Signals And Accounting Income
source d’erreurs inévitables (problème de Time Series Properties, Journal of Business
mauvais modèle : bad-model problem). Ces Finance & Accounting, Vol. 7, p. 437-454.
erreurs sont d’autant plus dommageables que Desai H. et Jain P., 1997. Long-Run
l’horizon temporel de l’étude événementielle Common Stock Returns Following Splits and
s’allonge. Fama attribue ce phénomène au fait Reverse Splits, Journal of Business, Vol. 70,
que les erreurs induites par l’utilisation des p. 409-433.
modèles « imparfaits » augmentent plus El Badraoui K., Lilti J. et M’zali B., 2008.
rapidement que la volatilité des rentabilités, et La Performance opérationnelle à long terme
ce, au fur et à mesure que l’horizon temporel des entreprises françaises émettrices
de calcul des rentabilités anormales s’accroît. d’obligations convertibles, Finance Contrôle
Les résultats des études événementielles à Stratégie, Vol. 11, p.125-154.
long terme doivent donc souvent être Fama E., 1998. Market Efficiency, Long
interprétés avec prudence, car ils reposent sur Term Returns, and Behavioral Finance,
des modèles dont l’efficacité est limitée. Journal of Financial Economics, Vol. 49, p.
Enfin, bien que des biais méthodologiques 283-306.
soient susceptibles d’entacher les résultats Fama, E. et French K., 1995. Size and
d’une étude événementielle, nous pouvons book-to-market factors in earnings and

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Hansen R. et Crutchley C., 1990. Corporate The Long-run Performance of Firms that Issue
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