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Recherches et Prévisions

Les indicateurs de gestion comme construction sociale : l'exemple


des CAF
Valérie Boussard

Résumé
Une analyse du système d'évaluation de la performance des caisses d'Allocations familiales (CAF) montre que, malgré la
richesse des propositions théoriques des chercheurs et consultants, on assiste souvent à une inertie du système de gestion et
de ses indicateurs. Selon l'hypothèse que les systèmes d'indicateurs de performance sont autant des construits techniques que
des construits sociaux, il est alors possible de démonter le mécanisme générant cette inertie. Dans le cas de deux CAF
observées, le système d'évaluation de la performance se focalise sur une seule mesure, celle de la production, alors que
d'autres indicateurs seraient plus pertinents. Pourtant, plusieurs logiques d'acteurs conduisent à renouveler l'utilisation de
l'indicateur de production car il permet à la fois de stabiliser des jeux stratégiques et de maintenir des identités collectives. Cette
construction sociale des indicateurs de gestion permet d'envisager sous un autre jour la difficile percée, au sein des CAF, d'un
débat réel pour construire la notion de qualité.

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Boussard Valérie. Les indicateurs de gestion comme construction sociale : l'exemple des CAF. In: Recherches et Prévisions,
n°54, décembre 1998. Le service public CAF : du social au politique. pp. 51-61;

doi : https://doi.org/10.3406/caf.1998.1834

https://www.persee.fr/doc/caf_1149-1590_1998_num_54_1_1834

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Les indicateurs de gestion comme

construction sociale : l'exemple des CAF

Valérie Boussard

Une analyse du système d'évaluation de laperformance des caisses d'Allocations


familiales (CAF) montre que, malgré la richesse des propositions théoriques des
chercheurs et consultants, on assiste souvent à une inertie du système de gestion
et de ses indicateurs. Selon l'hypothèse que les systèmes d'indicateurs de
performance sont autant des construits techniques que des construits sociaux, il
est alors possible de démonter le mécanisme générant cette inertie. Dans le cas
de deux CAF observées, le système d'évaluation de la performance se focalise sur
une seule mesure, celle de la production, alors que d'autres indicateurs seraient
plus pertinents. Pourtant, plusieurs logiques d'acteurs conduisent à renouveler
l'utilisation de l'indicateur de production car il permet à la fois de stabiliser des
jeux stratégiques et de maintenir des identités collectives. Cette construction
sociale des indicateurs de gestion permet d'envisager sous un autre jour la
difficile percée, au sein des CAF, d'un débat réel pour construire la notion de
qualité.

es démarches entreprises par les Notre recherche a pris pour parti de


caisses d'Allocations familiales renverser la logique habituelle : plutôt que de
(CAF) (Perrien, 1995 ; Adjerad et réfléchir sur le possible en matière
Gadrey, 1995) soulignent l'importance prise d'évaluation de la performance, nous avons
ces dernières années par le souci de travaillé à comprendre le « pourquoi » du
mesurer et d'évaluer leur performance. Inscrites présent. Pour cela, nous nous sommes
dans des processus plus vastes de réflexions interrogés sur les indicateurs de
sur la performance des services publics performance eux-mêmes. En effet, les
(Alecian et Aerts, 1995) comme sur la propositions de réforme des systèmes de mesure
performance de manière plus générale de la performance font une hypothèse forte
(Lorino, 1993), ces démarches semblent se sur ces derniers : ils sont considérés comme
poser en termes de rupture, d'innovation des outils techniques, des instruments de
ou, tout au moins, de changement. Pourtant, mesure, neutres, objectifs et rationnels. Or,
la richesse de ces propositions peut-elle ne peut-on pas voir en eux une deuxième
être suivie d'effets dans les pratiques dimension, rendant mieux compte de leur
* Chercheur associé d'évaluation des CAF elles-mêmes ? Ne sont- rôle effectif dans les organisations ? Ne
au CERSO (Centre elles pas confrontées à une inertie des portent-ils pas en eux les traces de pouvoir
d'études et de systèmes actuels, faisant des propositions (Crozier, 1972 ; Pavé, 1989 ; Alter, 1985,
recherches en théoriques des chercheurs et consultants 1991), de domination (Jamous et Grémion,
sociologie des
organisations), université des lettres mortes et, au mieux, un débat 1978 ; Pages et alii., 1979), de conventions
Paris IX. de salon ? (Thévenot, 1985), d'usage symbolique

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(March, 1991) ou de supports cognitifs tionale des allocations familiales (CNAF)
(Bloomfïeld et Vurdubakis, 1997 ; Moisdon, (ratio de coût global, statistiques activité,
1997) ? En d'autres termes, les indicateurs indicateurs qualité, statistiques de gestion).
de performance ne sont-ils pas autant qu'un Le volume d'indicateurs suivis est donc
objet technique, le résultat et l'enjeu de important. Il peut se décomposer en
pratiques sociales? fonction de leur nature : indicateurs externes
(évolution des prestations versées, données
sur la population...), indicateurs d'activité
Un volume d'indicateurs dénombrant le nombre d'opérations
important effectuées et les moyens mis en œuvre pour y
parvenir dans chaque catégorie d'activité
Appliquée sur des terrains variés (1), cette (traitement des dossiers, réception des
problématique montre que c'est un jeu allocataires, réponse téléphonique),
social qui construit les divers systèmes de indicateurs de coût de gestion de la CAF (suivis
mesure de la performance (contrôle de budgétaires, coût de gestion ou ratio de
gestion, systèmes d'information, coût global), et des indicateurs qualitatifs
indicateurs de gestion...) et leurs usages. Cette servant à qualifier le travail effectué ou à
proposition éclaire, du même coup, vérifier le respect de certaines normes (taux
l'existence d'habitudes de mesure de la de vérification, taux de rejets, taux d'indus,
performance. Elle explique, notamment dans le amplitude d'ouverture au téléphone et à
cas des CAF (voir encadré), l'inertie du l'accueil...).
système d'évaluation de la performance et
les résistances passives ou actives aux
évolutions. La production : un indicateur
actif et pregnant
Les CAF produisent une grande quantité
de statistiques, à vocation de pilotage Les différents entretiens non directifs menés
interne (tableaux de bord divers), de bilans montrent que la grande majorité de ces
internes des activités (rapport d'activité, indicateurs, même s'ils font l'objet de
rapport financier), comme pour suivis, de tableaux de bord ou d'un classement
renseigner les suivis établis par la Caisse des CAF entre elles par la CNAF, n'orien-

Déroulement de l'enquête

Les deux caisses d'Allocations familiales (CAF) Ces entretiens ont été complétés d'observations
étudiées présentent des caractéristiques de type ethnographique du travail des
distinctes. techniciens liquidateurs.
La première, située en région parisienne, fait Les résultats de chacune des recherches ont
partie des CAF de grande taille : près de fait l'objet d'une restitution, en vue de
200 000 allocataires et 700 personnes employées, discussions, aux personnes interviewées
dont 450 en gestion administrative. L'autre, en (restitutions individuelles et collectives dans
province, compte près de 70 000 allocataires la CAF de province, collectives uniquement
et 200 personnes employées, dont 120 en dans la CAF de la région parisienne).
gestion administrative.
Enfin, dans la CAF de province, la recherche
Dans les deux CAF, le principe de la recherche initiale a débouché sur une expérimentation.
consistait à réaliser des entretiens, en prenant Celle-ci, toujours en cours, a démarré en
un échantillon réparti sur l'intégralité de la janvier 1997.
ligne hiérarchique du service Prestations (des
techniciens au directeur). Ces entretiens étaient En parallèle, plusieurs directeurs de CAF ont
complétés d'entretiens dans les autres services été rencontrés (cinq directeurs de CAF en
(gestion administrative comme action sociale). région parisienne, et quatre directeurs de CAF
Au total, plus de 60 entretiens ont été réalisés. de province).

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tent ni le discours ni les actions des acteurs. une réponse à une nécessité pratique,
Ce sont des indicateurs inertes. A l'opposé, naturelle et immanente. Cette démarche
un indicateur imprègne particulièrement suppose d'analyser la construction sociale
l'organisation et semble donc réellement des indicateurs, et notamment dans le cas
actif : il s'agit de la production du service des CAF, la construction de la prégnance
Prestations (mesurée en terme de de l'indicateur de stock.
production par agents ou groupe d'agents- le
rendement -, comme en terme de nombre
de dossiers restant à traiter - le stock ou Le stock-retard, une incertitude
stock-retard) (2). majeure dans une CAF ?

Souvent devenue catégorie et valeur Christian Perrien (1995) considère que le


mythique, et désignée comme « Le Chiffre », stock-retard est l'incertitude majeure du
la production est un indicateur pregnant fonctionnement des CAF. Si nous pensons
sur l'ensemble de la CAF : « Nous, on est qu'effectivement le retard de traitement des
bassement matériels. On regarde la production dossiers est une zone d'incertitude au sens
et le solde » (un cadre Prestations). Cette défini par l'analyse stratégique (4), celle-ci
importance de la production se ressent à n'est pas une donnée objective et naturelle.
tous les niveaux hiérarchiques, et même en Ce sont les acteurs qui, par leurs jeux, en
dehors des services Prestations ont fait une incertitude majeure.
eux-mêmes.
Dire que le retard est une incertitude
naturelle et objective dans une CAF signifie
Résultat des pratiques sociales que le retard du service Prestations est le
facteur clef du fonctionnement de la CAF,
Ce constat d'un seul indicateur pregnant facteur qu'il est donc primordial de
pour une organisation n'est pas contrôler. Cette affirmation n'est que
surprenant, ni spécifique aux CAF. Nous l'avons partiellement valable. L'argument soutenu est que
fait pour les trois autres entreprises tout retard engendre un retard
observées (3). Il importe alors de comprendre supplémentaire car les allocataires vont écrire plus,
comment l'organisation a cristallisé sa et téléphoner plus. D'où un allongement
mesure et donc sa représentation de la des files d'attente, une augmentation des
performance autour de cet indicateur, communications téléphoniques et un
plutôt que sur tous les autres indicateurs accroissement des arrivées de courrier. En
disponibles (ou envisageables). Nous conséquence, le stock-retard rentrera dans
pouvons faire un parallèle entre les indicateurs une spirale infernale, avec possibilités de
et les règles ou les normes d'une dossiers non traités dans les temps et donc
organisation : de la même manière, ils définissent d'allocations non versées. L'argument « on
ce qui est légitime, ce qui est permis ne peut pas se permettre de prendre du retard
(atteindre l'indicateur), ce qui est déviant, ce dans le paiement » est fréquemment employé,
qui doit être sanctionné... pour des raisons d'ailleurs diverses
(obligation morale, détresse accrue des
L'hypothèse est de considérer les allocataires, plainte du préfet...). Or, si les
indicateurs au même titre qu'un ensemble de conséquences paraissent bien réelles, est-
règles, comme une construction sociale, ce le retard des prestations qui en est la
c'est-à-dire le résultat des pratiques cause unique ?
sociales des acteurs.
Quand le service se bat pour gagner un jour
La définition de la norme, et parallèlement ou deux de retard (« être à moins de
de la déviance, est vue comme construite deux jours »), les services suivants dans la
par le jeu des acteurs. Elle dépend de chaîne de production peuvent avoir d'une
l'ordre social qu'ils mettent en place ou à trois semaines (selon les CAF et les
reproduisent, et ne peut dès lors être vue comme périodes) de délai moyen de traitement. En

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conséquence, le retard pris par le service tions familiales ne crée pas un objet
Prestations devient en fait marginal et ne tangible qui puisse être évalué. Il est ainsi
doit donc logiquement pas être le point de impossible de contrôler complètement le
déclenchement de la spirale infernale. travail des techniciens liquidateurs, sauf à
Cependant, le délai moyen de traitement vérifier l'intégralité des dossiers traités. En
(sauf exception dans certaines CAF, et de outre, même ce contrôle sur pièces ne permet
manière récente) n'est pas mesuré dans pas de rendre compte des décisions prises
l'organisation. par un technicien (accorder de l'importance
à un dossier ou au contraire le négliger).
La spirale infernale du retard peut être De même, toute la partie relationnelle du
générée par d'autres facteurs comme, par travail (communication avec les allocataires
exemple, des erreurs sur les imprimés et entre collègues) échappe à toute maîtrise,
automatisés ou une mauvaise qualité de car le technicien est seul juge de la nature
réponse téléphonique. Comme nous l'avons de la réponse à fournir, du temps à y passer,
vu, ces indicateurs de processus sont très du ton à adopter...
peu prégnants voire inexistants. Enfin, la
spirale du retard ne devient réellement
infernale qu'à partir du moment où les La qualité,
CAF, ouvertes sur les allocataires, les alibi des techniciens
laissent s'exprimer et revendiquer. Or, cette
ouverture maximale des CAF est un Les techniciens ont donc théoriquement
phénomène récent, alors que le retard, une très grande autonomie de travail,
affiché comme incertitude majeure, est un résidant dans l'impossibilité de contrôler et
phénomène très ancien dans les CAF : le d'évaluer totalement leurs actions (résultat
stock-retard ou la production ont longtemps et pertinence). Ce flou sur le travail est une
été leurs seuls indicateurs. zone d'incertitude à l'avantage des
techniciens, qui peuvent toujours justifier leur
travail en fonction de critères subjectifs
Un phénomène très ancien difficilement vérifiables. C'est l'utilisation par
les techniciens de la fameuse expression
Ainsi, le retard n'est devenu zone « Oui, mais moi je fais de la qualité », qualité
d'incertitude que par construction, alors même dont finalement personne n'est à même de
que d'autres incertitudes auraient pu juger, hormis le technicien lui-même. Avec
s'imposer (retard global, taux de rejet...). cet alibi ou prétexte de la qualité, les
L'analyse montre, en fait, que l'utilisation de techniciens limitent considérablement le
l'indicateur de stock ou de production, pouvoir de l'encadrement et de la direction.
instrumentant la zone d'incertitude du
retard, s'est imposée comme permettant de Instaurer l'indicateur de stock revient à
supprimer deux zones d'incertitude plus inverser ce rapport de force. La production
naturelles, mais agissant au profit d'autres (ou quantité) est un élément parfaitement
acteurs de la CAF. Elle montre également maîtrisable et évaluable, en même temps
que, contrairement à l'opinion courante, les qu'elle supprime toute la zone
CAF ne suivent pas l'indicateur de stock d'incertitude que contrôlent les techniciens. La
uniquement pour répondre à une demande pression sur les rendements, en instaurant
de la CNAF. Il apparaît même que les CAF des normes de production, rend illégitime
ont intériorisé ce critère de performance au toute justification sur des critères
point de la faire fonctionner qualitatifs. C'est donc un indicateur qui permet de
indépendamment des contraintes externes, qu'elles contrôler la force de travail. Si être à jour
proviennent des instances supérieures ou est une preuve que la CAF est bien tenue,
de leur propre environnement. c'est avant tout parce que l'autonomie des
techniciens y est limitée.
En raison de ses caractéristiques de
service (5), le travail de liquidation des Parallèlement, le discours sur la qualité

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n'est pas évacué, mais réintégré car l'idée Toujours en reprenant les conditions
est entretenue que «faire de la quantité, c'est théoriques de fonctionnement d'une CAF, il
faire de la qualité ». Autour de l'indicateur devient évident que les acteurs du service
de stock se développe une certaine Vérification sont des acteurs forts car, selon
représentation du service public. La notion de la formule de Michel Crozier «
performance du service public est associée L'information, c'est du pouvoir », ils disposent d'un
à la rapidité de traitement des prestations. pouvoir important. Ils sont chargés de
Elle est justifiée par l'idée que les allocataires, vérifier la conformité légale d'un certain
de plus en plus précarisés, dépendent pourcentage de dossiers traités par les
financièrement de manière croissante de la techniciens du service prestations. Ils maîtrisent
CAF, et que tout temps d'attente est ainsi une zone d'incertitude cruciale : celle
moralement insupportable. de pouvoir dire la qualité du travail du
service prestations, de connaître les bons
Si l'on en croit les résultats d'une recherche et les mauvais techniciens...
menée par Vincent Dubois (6), cet
argument peut trouver ses limites. Il semblerait
que plus les allocataires sont précarisés et « Des empêcheurs de
moins leurs contacts avec la CAF ont des tourner en rond »
objectifs administratifs, au profit de
demandes de conseils en tous genres et Cependant, ces informations, si l'on
marques de sollicitude. La théorie de la observe le fonctionnement réel, ne
rapidité de traitement semblerait donc sur constituent pas une source de pouvoir.
ce point présumer des besoins des L'utilisation de l'indicateur de stock et la pression
allocataires. En outre, alors que le stock perpétuelle qu'il exerce suppriment toute
mesure une rapidité de production, il n'est possibilité de légitimité des informations
pas centré sur l'antériorité des dossiers, plus détenues par les vérificateurs. Payer juste,
à même, elle, de vérifier la rapidité de c'est perdre du temps. Les techniciens
paiement et de ne pas créer d'injustices (7). essaient ainsi de faire comprendre aux
vérificateurs de ne pas trop s'acharner sur
Néanmoins, la représentation de la des détails, ce qui pour eux retarde le
performance du service public selon sa capacité travail (8). Les vérificateurs ne peuvent pas
de production, même si elle est partielle et porter de jugement sur les techniciens, au
limitée, est amplement utilisée. Elle justifie vu des taux de rejet, car seul le critère de
le recours à des indicateurs de stock et de production est admis. La représentation
cette manière dissimule, aux yeux des quantitative de la performance est
techniciens, une raison essentielle de leur entretenue par les techniciens ou l'encadrement
utilisation : la nécessité pour l'encadrement de du service prestations auprès des
s'assurer du contrôle de la main-d'oeuvre. vérificateurs. Ces derniers se voient alors comme
des « empêcheurs de tourner en rond »,
des « tatillons », « des gens non
Les vérificateurs, productifs », et autres expressions dévalorisant
des acteurs « forts » leur travail et son importance dans la
performance attendue de la CAF.
L'explication que nous venons d'avancer
ne peut, à elle seule, expliquer la prégnance L'indicateur de stock, en instaurant une
de l'indicateur de stock. C'est parce qu'elle représentation légitime de la performance,
est relayée par d'autres processus, plus met hors norme certains discours ou
originaux et peut-être même plus comportements, inversant finalement le
pernicieux, que cette prégnance peut s'expliquer. rapport de pouvoir initial. Cependant, il
Les comportements des cadres de facilite alors l'utilisation qui en est faite par les
proximité et des techniciens renforcent, pour directions, comme contrôle du travail. C'est
d'autres raisons, mais aux effets similaires, d'ailleurs un fait remarqué par les agents
l'intérêt accordé à l'indicateur de stock. de direction, qui se servent d'autant plus

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facilement du stock comme outil de contrôle sentent l'extrême préoccupation des
que c'est un outil qui fonctionne seul et directions à l'égard de l'indicateur de stock. Il
sans intervention de leur part. leur est ainsi aisé de convaincre de la
L'importance donnée à cet indicateur, pour des légitimité, pour l'ensemble de la CAF, de la
raisons stratégiques, par les agents eux- norme production, puisque tant les
mêmes, contribue à asseoir sa capacité de directions, les instances nationales (CNAF,
contrôle, qui est l'objectif stratégique des préfets, médias...) que les allocataires y portent
directions. un intérêt poussé (9).

Au travers des relations entre services L'identité de producteur, si elle sert


Prestations et Vérification, apparaît la d'appui à une valorisation externe au groupe,
prédominance d'une représentation de fournit également des normes en interne.
l'activité d'une CAF et de sa performance. Or, La valorisation à l'intérieur du groupe est
à travers cette représentation de l'activité, assurée par la performance en terme de
c'est une identité collective qui s'exprime, production, alors que les agents arguant de
celle d'un service producteur. Les leur qualité de travail ou de leurs qualités
techniciens se voient comme ceux qui produisent, relationnelles sont considérés comme des
ceux qui font le chiffre. Ils se disent être inactifs qui se trouvent un prétexte. Les
le grand service d'une CAF, le cœur, le déroulements de carrière, quant à eux,
poumon, le premier maillon indispensable, renforcent officiellement cette hiérarchie car
le service qui justifie l'existence de toute la les cadres sont d'anciens « meilleurs »
CAF. Cette identité s'oppose de cette techniciens sur le critère de la production.
manière aux autres agents. Seule, la capacité
de production semble être reconnue comme
légitime. Les activités fonctionnelles ou Mesurer la performance sous-
support de l'activité de production sont tend des rapports de forces
dévalorisées, comme on l'a vu pour le service
Vérification. Il en est de même pour la La conjonction de plusieurs jeux d'acteurs,
branche Action sociale : puisque les agents stratégiques ou identitaires, confère à
sociaux ne produisent pas, alors que font- donner à l'indicateur de stock une forte pré-
ils ? à quoi servent-ils ? Le travail social ou gnance. Cependant, celle-ci ne repose pas
relationnel n'est pas considéré comme sur sonutilité technique de mesure ou
primordial, mais annexe par les agents d'évaluation. C'estessentiellementparce que
liquidateurs. l'indicateur de stock fonde les règles du jeu
social, permettant à certains acteurs d'y
trouver un avantage, qu'il perdure. En
La recherche d'une définissant un système de normes, il définit
reconnaissance collective aussi les discours et les actions légitimes :
il distribue ainsi aux acteurs des ressources
Ainsi, l'identité de producteurs permet et des opportunités de s'en servir, mais de
d'assurer une valorisation du groupe des manière inégalitaire. Construit socialement,
techniciens liquidateurs. L'indicateur de le système de mesure de la performance
stock joue un rôle dans cette recherche de n'est donc pas neutre, mais sous-tend des
reconnaissance collective : il concrétise, il rapports de forces.
rend visible l'importance de la production.
Il instrumente une notion qui, autrement, Cependant, il ne faut pas voir dans les
à l'instar de la qualité ou du relationnel, systèmes d'indicateurs un ensemble figé et
serait vide. Ainsi, l'indicateur de stock est des rapports de forces stables, définis une
une manière de cristalliser de façon simple, fois pour toutes. A l'inverse, les
sans avoir recours à un discours complexe, perpétuel es discussions entre agents sur la manière
l'identité du service. Il pourrait être de définir l'activité tant des CAF que des
considéré comme un étendard. Cet étendard est agents montrent que les représentations de
d'autant plus puissant que les agents la performance sont sans cesse remises en

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jeu par les acteurs qui n'y trouvent pas l'identité collective de production, où
d'intérêt. Ainsi, préserver l'importance de justement « faire du social » n'assure pas de
l'indicateur de stock nécessite un travail reconnaissance. On assiste alors à une
quotidien, tant des agents de direction, des recomposition de l'identité individuelle des
cadres, que des techniciens du service techniciens, sans que pour l'instant
Prestations. Derrière cet accord apparent apparaisse une nouvelle identité collective.
autour de la production pointent des
représentations divergentes qui le menacent. Il
existe donc toute une part d'activités des Entre production
agents cherchant, pour les uns, à rendre et activité relationnelle
légitimes de nouvelles représentations de
la performance, pour les autres, à les rendre Certains techniciens continuent à défendre
illégitimes. l'identité de production et restent, pour
garder de bons rendements, peu sensibles
aux discours des allocataires. La
De nouvelles expériences dimension technique et contractuelle de la
de travail relation de service (Goffman, 1968) est donc
privilégiée. Leur identité individuelle reste
Si ces divergences se trouvent en adéquation avec l'identité collective du
traditionnellement dans les services évincés par le groupe dont ils font partie.
système actuel (Action sociale, Agence
comptable), elles sont tout autant présentes A l'inverse, d'autres techniciens basculent
à l'intérieur même du service Prestations complètement dans une activité
et démasquent un véritable tiraillement de relationnelle, une démarche qualifiée de « qualité ».
l'identité collective. Des observations de Ils se sentent très proches d'une activité
groupes de techniciens, rejoignant certains sociale et s'assimilent volontiers à des agents
constats (10), mettent en évidence une de cette branche sans en ressentir une
transformation des représentations du travail et quelconque menace pour leur propre
de la mission de service public, en raison reconnaissance. Ils rejettent la pertinence de
des nouvelles expériences de travail liées l'évaluation officielle sur le rendement. Leur
aux relations accrues des agents avec les identité individuelle est donc en
allocataires. Ces relations, parce qu'elles opposition avec l'identité collective du groupe
font appel prioritairement à la dimension portée par les indicateurs de stock. Ils
de civilité de la relation de service (Goffman, s'excluent d'ailleurs eux-mêmes du groupe des
1968), déstabilisent les techniciens qui ne autres techniciens comme en témoigne
peuvent plus répondre uniquement sur un l'utilisation du « eux » pour désigner le groupe,
mode technique ou légal. Ils ont donc à en lieu et place du « nous » habituel.
gérer la satisfaction de l'allocataire, au sens
d'optimisation de la relation et du service Enfin, la grande majorité des techniciens
apporté. « Les gens ont besoin d'écoute, d'être est dans une situation contradictoire. Ils ne
entendus, même si on ne peut pas régler leurs développent pas de représentation du
problèmes... On écoute, on prend le temps. Leurs travail cohérente. Ils se reconnaissent dans le
exigences s'atténuent. Notre rôle, c'est rôle de producteur : la production est une
d'écouter. Ce n 'est pas une question financière. Ils ne forme de l'aide aux allocataires et assure
se sentent pas entendus. Ils sont dans des la reconnaissance par les collègues,
situations de détresse, ils sont paumés » (un l'encadrement et le reste de l'organisation.
technicien). Les techniciens sont d'autant plus Cependant, elle est aussi un obstacle à la
vulnérables à la parole des allocataires que réalisation d'autres facettes du travail. Le
ces derniers peuvent être agressifs, rendement se fait au détriment d'autres
charmeurs, sympathiques, en détresse... activités considérées comme tout autant
fondamentales : prendre le temps de
Cette nouvelle expérience de travail est en renseigner un allocataire, prendre du temps
contradiction avec les normes et valeurs de pour traiter un dossier non prioritaire pour

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le rendement, mais urgent pour vient alors un concept tabou que peu osent
l'allocataire, renseigner un collègue... ou peuvent réellement aborder. Ce
phénomène empêche les réflexions sur
Contrairement aux techniciens « d'autres types de qualité, comme la qualité
relationnels », l'aspect relationnel du travail ne des processus de travail par exemple.
prend pas de force suffisamment claire et
sûre pour ne pas craindre la perte de Ces constats d'un indicateur de performance
reconnaissance immédiate qu'il entraîne. Par enraciné dans le jeu social des CAF a
défaut, les techniciens calquent leur l'avantage d'éclairer les éléments qui font tenir
identité individuelle sur l'identité collective, le système. Mais dès lors, comment le faire
même si celle-ci n'assure plus toujours la évoluer vers les pratiques d'évaluation
mise en cohérence des expériences mieux à même de saisir la spécificité du
individuelles. L'indicateur de production, comme service, et de comprendre comment est
porteur de cette identité, reste donc produite la performance de ces
pregnant. Il n'existe pas d'autre identité organismes?
collective, structurée autour d'expériences de
travail différentes, capables de rendre cet
indicateur illégitime. Les discours des Une expérimentation sur le
techniciens, même axés sur le rendement, font thème de la performance
état des difficultés à oublier les autres
dimensions du travail. On peut également Pour tenter de résoudre cette question, une
constater certaines « poches », constituées expérimentation spécifique a eu lieu à la
de quelques techniciens, défendant une CAF de Beauvais, à la demande du
autre vision de la performance. Cependant, directeur. Plutôt que de mettre en place
ces représentations restent individuelles ou directement de nouveaux indicateurs venus de
locales et n'arrivent pas à s'imposer comme la direction, le projet s'est orienté vers une
une nouvelle norme. consultation des agents de la CAF sur le
thème de la performance. Trois groupes de
travail ont été constitués, et se sont réunis
La qualité, un mot creux, tabou quatre fois à un mois d'intervalle. Ils étaient
chargés de définir ce qu'ils entendaient par
Réalisée au niveau des techniciens, cette performance, par quels processus ils
analyse peut être renouvelée au niveau des pensaient atteindre celle-ci (11) et comment
cadres ou agents de direction. Certains mesurer ces derniers. L'objectif de ces
cadres ou directeurs défendent une autre groupes était de confirmer les résultats obtenus
conception de l'évaluation des CAF, mais lors des entretiens individuels, afin que
rendre cette conception légitime nécessite puissent s'exprimer librement les
des efforts sans cesse renouvelés pour la définitions divergentes de la performance,
justifier, sans risquer la dévalorisation par définitions dont on a vu qu'elles ne pouvaient
rapport aux collègues. L'a priori est en situation réelle être officialisées. Les
tellement puissant, qu'il aboutit à subordonner conditions dans lesquelles étaient mis les
toute démarche qualitative d'une CAF à sa agents des groupes de travail leur
performance en production :« Ilfaut d'abord permettaient, à l'inverse de la situation réelle, de
avoir des stocks faibles pour commencer des ne pas craindre d'exprimer une conception
actions envers la qualité ». L'idée de qualité, hors norme.
vue comme le prétexte de ceux qui
n'arrivent pas à faire du rendement, finit par Au terme des quatre séances (juin 1997), les
devenir négative, sans que cette dernière trois groupes ont élaboré un projet qui
soit finalement définie. En bref, la qualité consistait à créer une plate-forme de
est un mot creux et quasiment tabou, réponse téléphonique, à l'extérieur du
empêchant une réflexion approfondie sur bureau des techniciens, pour supprimer les
ce qu'elle est vraiment. Assimilée au travail diverses nuisances dues au devoir de
relationnel, elle est dévalorisée. Elle réponse téléphonique. Le temps et le confort

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de travail dégagé serait ainsi utilisé pour La priorité reste toujours de « faire des
adopter une démarche qualitative, définie dossiers ». Il semblerait qu'en fait la
comme « traiter les dossiers à fond et majorité du groupe soit constituée de
complètement (plutôt que de manière parcellaire), se techniciens axés sur le rendement. Le seul
tenir à jour sur les suivis législatifs, relancer technicien réellement convaincu de la démarche
plus régulièrement les dossiers en instance, écrire qualitative, ayant des résultats en
des libellés informatiques compréhensibles par rendement moyen, n'a pas la légitimité
d'autres techniciens ». La notion de nécessaire, ni dans le groupe ni auprès des cadres,
performance au rendement était quant à elle pour inverser la norme. L'encadrement de
vivement critiquée. proximité n'a pas non plus officieusement
(dans ses discours, et ses comportements
Acceptant ce projet, la direction a souhaité informels) supprimé l'importance
qu'une réflexion soit menée pour lui faire accordée aux stocks. Cependant, avec le temps,
des propositions plus complètes, en terme il semblerait que des normes de qualité
d'organisation, comme en terme puissent s'installer : la qualité des libellés
d'indicateurs de performance à suivre, pour créer est ainsi devenue une priorité (13), une
un groupe expérimental. Ce dernier, de norme que le groupe expérimental
petite taille (8 techniciens sur 40), serait aimerait faire adopter aux autres groupes. Le
testé sur trois mois, avec une « franchise » groupe attend également le bilan fait par
sur les stocks, c'est-à-dire une absence de la direction, pour vérifier si, effectivement,
pression sur le rendement pendant ces les critères de qualité mis en avant par les
trois mois. Cette expérimentation devait techniciens (baisse des taux de rejet,
permettre de vérifier si la démarche meilleure satisfaction des allocataires - taux
« qualité » était, comme le prétendaient les obtenu par sondage) sont pris en compte
techniciens, elle aussi une source de par la direction ou si, conformément au
performance. passé, seul le niveau des stocks fera sonner
les alarmes.
« Faire des dossiers »
reste la priorité Les indicateurs abritent
des logiques sociales
Le groupe expérimental a démarré en
janvier 1998, pour une période de trois mois, On le voit donc, les différents éléments du
après recherche d'un groupe volontaire pour jeu social sont imbriqués : les techniciens
accepter ces conditions. En terme de peuvent trouver des voies, au travers
fonctionnement technique, les résultats d'expériences de travail différentes et de leur
semblent tout à fait satisfaisants (12) et les valorisation, pour créer de nouvelles
techniciens apprécient particulièrement les valeurs et normes de travail. Cependant,
nouvelles conditions de confort de travail. l'émergence de cette nouvelle
Néanmoins, l'indicateur de stock conserve représentation suppose qu'elle prenne appui sur des
sa force de rappel. Alors que les cadres ne acteurs de l'organisation qui pourront la
distribuaient plus dans ce groupe le tableau rendre légitime. Mais cette quête de
de classement des groupes en fonction de légitimité n'est pas simple et nécessite que
leurs stocks, le groupe a demandé à en être d'autres « étendards » soient utilisés, que
à nouveau destinataire. En outre, alors que de nouveaux indicateurs puissent la
la permission était donnée de pouvoir rendre visible. Or, dans les CAF, l'équilibre du
baisser le rendement, le groupe ne l'a jamais système autour de l'indicateur de stock est
utilisée. Les stocks sont restés à des niveaux tellement parfait que cette dynamique est,
très corrects, les techniciens voulant « d'une part, longue à mettre en place et,
prouver aux autres » ce qu'ils étaient capables d'autre part, difficilement maîtrisable. Les
de faire. Ils n'ont donc pasréellement dégagé indicateurs de performance ne sont donc
du temps pour inverser leur mode pas neutres : ils abritent des logiques
d'approche des dossiers. sociales. Nous pourrions dire que les indica-

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teurs sont « enrôlés », dans le sens où les hypothèse est que d'excellents indicateurs,
acteurs s'en emparent pour leur faire jouer du point de vue de la performance, ne
des rôles qui n'étaient pas prévus. Dans le peuvent devenir prégnants dans les
cas des CAF, ils se retrouvent à dire une organisations s'ils ne sont pas enrôlés, ou s'ils sont
norme, une règle sur le fonctionnement de enrôlés par des acteurs non légitimes (ou
l'organisation, autorisant ainsi certains non dominants pour reprendre un
acteurs à en tirer profit. Nous pouvons en vocabulaire plus politique) et qui ne peuvent en
tirer deux conclusions. D'une part, il faut conséquence les traduire en norme. Le
remettre à sa juste place toutes les constat est sévère, car si un indicateur
définitions, quelles qu'elles soient, de la pertinent techniquement devient pregnant,
performance. Derrière un indicateur, fût-il c'est qu'il a pu être enrôlé. Mais cette
d'ailleurs plus pertinent qu'un autre, il y pertinence sociale ne risque-t-elle pas, alors,
a des acteurs qui en jouent. D'autre part, de dévoyer l'usage initial, et de le vider
un indicateur de performance ne peut avec le temps et les écarts progressifs de
fonctionner sans être enrôlé (14). Notre cette pertinence technique si recherchée ?

Notes
(1 ) La recherche, menée entre 1 995 et 1997, a eu lieu dans cinq organismes : deux CAF, un secteur d'une société d'assurance,
une filiale française d'un groupe américain de service, un département d'une multinationale française. Au total,
160 entretiens ont été réalisés.
(2) A un autre niveau, celui des directeurs de CAF et de la CNAF, l'indicateur pregnant est le coût de gestion. Nous n'en
ferons pas l'analyse ici.
(3) Les indicateurs prégnants découverts sont très variés (satisfaction des utilisateurs, chiffre d'affaires ou résultat net), et
ne suivent pas nécessairement l'orthodoxie en matière de théorie des indicateurs de gestion. Celle-ci recommande
notamment d'analyser la performance autour de ses processus, c'est-à-dire de saisir de manière transversale dans
l'organisation les participations de chaque service à la production de performance. Dans cette perspective, plusieurs
services dépendant de lignes hiérarchiques différentes peuvent, en réalité, participer à un même processus (voir référence
bibliographique Lorino, 1993, par exemple).
(4) Crozier M. et Friedberg E., L'acteur et le système, Paris, Seuil, 1977.
(5) Gadrey }., Le service n'est pas un produit : quelques implications pour l'analyse économique et pour la gestion, Politiques et
Management Public, 1991, vol. 9, n° 1.
(6) Dubois V., Une institution redéfinie par ses usage(r)s ? Sur quelques pratiques du guichet dans les caisses d 'Allocations familiales,
Recherches et Prévisions, septembre 1996, n° 45.
(7) Avecla logique de performance axée sur la production, les techniciens, afin de ne pas faire baisser leur rendement,
traitent en priorité les dossiers faciles. Les dossiers plus complexes passent après puiqu'ils engendrent une charge de
travail non « rémunératrice ». Certains dossiers, parce qu'ils ne font pas partie de la catégorie surveillée (dossiers revenus
après rejet de l'agence comptable), sont volontairement négligés.
(8) Même dans un univers réglementé comme peut l'être celui de l'Agence comptable, les vérificateurs ont une marge
d'autonomie. Celle-ci est principalement due aux latitudes d'interprétation que laissent les textes légaux : souvent
plusieurs solutions peuvent être acceptables pour un même dossier, sans toutefois donner les mêmes résultats en terme
de prestations versées. Ainsi, alors que c'est le service Vérification qui est censé dire le droit, les rejets font souvent l'objet
de négociations entre vérificateurs et techniciens liquidateurs.
(9) Rappelons encore une fois que si cet intérêt est véritable, il est aussi fortement amplifié par les discours des CAF sur
elles-mêmes.
(10) Gautrat ].,Une approche sociologique des relations entre prestataires et nouveaux usagers des CAF, Recherches etPrévisions,
mars 1994, n° 35 ; Weller J.-M., Ce qu 'un téléphone peut faire, Recherches et Prévisions, décembre 1995, n° 42 ; Dubois V. et
Retour D., Les représentations des techniciens et assistantes sociales des CAF sur leur métier et son évolution, Recherches et
Prévisions, décembre 1995, n° 42.
(11) Un groupe de cadres a travaillé sur la performance de la CAF du point de vue de l'encadrement Un premier groupe
d'agents a travaillé sur la performance du point de vue des techniciens ; un deuxième groupe a travaillé sur la performance
de la CAF du point de vue de l'allocataire. Les thèmes étaient volontairement vagues pour amener les groupes à définir
eux-même la performance (performance de qui ? de quoi ? pour qui ? pour quoi ?).
(12) Notamment le niveau de réponse téléphonique n'a pas été dégradé, avec une capacité réelle en heures/hommes plus
faible.
(13) Les techniciens se sont imposé la qualité des libellés comme nécessité, afin que chaque technicien, par simple lecture
de l'écran, puisse répondre à n'importe quel allocataire.
(14) On peut voir aussi dans la notion d'enrôlement la définition qu'en donne Michel Callon (voir référence
bibliographique, 1986).

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Références bibliographiques

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