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L’institution grecque de l’exigence de démonstration mathématique

Les Grecs ont codifié un ensemble de pratiques en vue de l’instauration de certaines normes de
preuve géométrique. En effet, l’idée que la connaissance mathématique doive être validée par
une preuve répondant à certains critères ne va pas de soi ; c’est un réquisit qui concerne ce qui
compte comme connaissance et les conditions qui doivent être remplies pour que quelque chose
puisse valoir comme connaissance mathématique. Les connaissances mathématiques étaient
déjà très développées chez les peuples de l’Antiquité qui ont précédé les Grecs (les
Mésopotamiens, les Égyptiens, etc.) comme chez les peuples des autres aires géographiques
(les Chinois, les Indiens, etc.). En ce sens, certains faits mathématiques comme par exemple la
relation de Pythagore étaient connus de nombreux peuples et en ce sens peuvent être interprétés
comme faisant partie d’un “corps des mathématiques” qu’auraient eu en partage tous ces
différents peuples. Mais l’innovation principale des Grecs est précisément d’avoir introduit une
nouvelle “image des mathématiques”, laquelle impose que seule une preuve conduite selon une
certaine procédure canonique permet d’acquérir une connaissance mathématique légitime en
constituant les énoncés comme des assertions mathématiques vraies.

Prenons l’exemple de la proposition 47 du livre I des Éléments d’Euclide, c’est-à-dire du


théorème dit de Pythagore. Voici un aperçu de ce à quoi ressemble le texte d’Euclide, si on peut
considérer qu’il y a quelque chose de suffisamment stable dans la série des manuscrits et des
éditions qu’on peut appeler « le texte d’Euclide ».

Un manuscrit grec et un manuscrit latin

Deux manuscrits du 13ème siècle

1
Une édition imprimée du 16ème siècle

Dans tous ces textes, on remarque la permanence de la figure qui indique la structure de la
démonstration.

2
Pour mieux appréhender la spécificité de l’“image des mathématiques” propre à la géométrie
grecque, il est utile de comparer ces sources à d’autres, qui sont soit bien antérieures, soit non-
occidentales.

Exemple 1. La tablette Plimpton 322 (Columbia University Collection) sur les triplets
pythagoriciens (𝑎, 𝑏, 𝑐) tels que
𝑎! + 𝑏! = 𝑐 !

Otto Neugebauer, The Exact Sciences in Antiquity, 1969

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Exemple 2. La “preuve” diagrammatique de la proposition de Pythagore dans les sources
sanskrites (le Bijapallava de Krsna)

Comparer avec la structure de la démonstration euclidienne : Proposition I 47 des Éléments.


Si l’on adopte les critères de preuve de la géométrie grecque, la démarche qu’on trouve dans
les sources sanskrites s’appuie sur les symétries de la figure, mais ne constitue pas une
démonstration “rigoureuse”. Qu’est-ce qu’une “preuve en mathématiques ?
L’apport spécifique de la géométrie grecque a précisément consisté à produire une nouvelle
“image des mathématiques”, la rigueur euclidienne et la forme canonique de la démonstration
axiomatique (le mos geometricum), c’est-à-dire la démonstration à partir des axiomes,
définitions et postulats.

Thomas Heath, The Thirteen Books of Euclid, Dover.

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Les Éléments d’Euclide

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6
La structure de la démonstration de la Proposition I, 47

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