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savants préoccupés de l’étude du pour caractériser la dispersion de « loi des grands nombres » (1713). Si
temps et du climat étaient frappés leurs erreurs de mesure. Cette distri- des tirages successifs sont opérés
par la complexité de ces phéno- bution est supposée résulter de la dans une urne contenant des boules
mènes, et par l’impossibilité de les combinaison d’effets nombreux, noires et blanches dans une propor-
réduire à des lois simples, comme le petits et indépendants les uns des tion inconnue mais constante, la part
faisaient par exemple les astronomes autres. Mais l’originalité de ce trans- des boules tirées de chaque couleur
avec les lois de la gravitation d’Isaac fert sera aussi de changer radicale- « converge » vers celle des boules de
Newton. De nombreuses « causes » ment le statut épistémologique de la l’urne. Cette dernière apparaît
enchevêtrées, impossibles à énumé- distribution « normale » (on utilisera comme la « cause constante » des
rer de façon exhaustive, sont ainsi ici par commodité cette appellation parts observés dans les tirages. Une
impliquées, ce qui accentue la aujourd’hui courante, malgré son chaîne d’énoncés fait tenir
nécessité de raisonner, dans ce cas, caractère anachronique pour décrire ensemble : les formulations probabi-
« en probabilité ». Quetelet aurait les idées de Quetelet). listes de Bernoulli, les calculs d’er-
retenu cet exemple quand, plus tard, reur des astronomes, les mesures
il cherchera à construire une Quetelet a été en effet le premier à des tailles des conscrits et, on le
« science de l’homme ». Il formulera observer que cette même forme de verra ci-dessous, les « propensions »
même explicitement cette comparai- distribution en « chapeau de gen- au crime ou au suicide et leurs
son en 1853, quand il organisera un darme » apparaît pour d’autres « régularités ». La métaphore de la
congrès international de statistique, mesures, comme par exemple celle « statue du Gladiateur » est une des
sur le modèle des conférences sur la de la taille des conscrits d’un régi- façons de nouer cette série [Armatte
météorologie axées sur l’amélioration ment. Son coup de génie a été de et Droesbeke 1997].
de la navigation maritime. rapprocher les formes similaires de
ces deux distributions (celle des Pour faire comprendre le rapproche-
Cette interprétation du déplacement erreurs de mesure en astronomie et ment, a priori inattendu, entre la dis-
cognitif et institutionnel réussi par celle des tailles des conscrits) et tribution des erreurs de mesure et
Quetelet, depuis les sciences de la d’engendrer, ce faisant, une entité celle des tailles d’individus différents,
nature vers les sciences de l’homme toute nouvelle : l’homme moyen. En Quetelet imagine cette métaphore,
naissantes, a le grand intérêt d’intro- effet une étoile réelle existe bien en inspirée de ses intérêts de jeunesse
duire directement la multiplicité des amont de ses observations impar- pour les arts et les lettres. Le roi de
« causes » et l’incertitude, dans des faites et dispersées. Un calcul de Prusse admire la beauté d’une sta-
domaines où, précisément, les déter- moyenne permet d’en estimer la tue, celle du Gladiateur. Il décide de
minismes simplificateurs des position la plus probable. De même, la faire reproduire en mille exem-
sciences de la nature sont à l’évi- selon Quetelet, un être nouveau mais plaires par mille sculpteurs de son
dence inapplicables. La météorologie bien réel lui aussi, l’« homme royaume, afin de la distribuer à ses
et les sciences de l’homme ont en moyen », existe en amont des indivi- fidèles courtisans. Les copies, impar-
commun l’impossibilité de connaître dus tous différents les uns des faites, sont bien sûr différentes les
et de mesurer exhaustivement les autres. Pour l’astronome, la position unes des autres, mais elles ressem-
nombreux facteurs des phénomènes réelle de l’étoile constitue la cause blent toutes plus ou moins au
décrits, et donc de les « réduire » à constante de ses observations suc- modèle. Celui-ci joue pour les copies
des lois simples. La seule solution cessives, qui explique la forme « nor-
est, dans les deux cas, de multiplier male » de la distribution des erreurs
les lieux d’observation, en les reliant de mesure. De même, l’« homme
par un dense réseau d’échanges moyen » constitue la « cause
d’informations standardisées. À tra- constante » de la distribution des
vers ce rapprochement entre deux tailles. Le raisonnement a ainsi été
domaines scientifiques en apparence retourné : c’est l’allure « normale » de
différents, on trouve les deux carac- cette distribution des tailles qui
téristiques essentielles de la statis- implique l’existence, en amont, d’une
tique impulsée par Quetelet durant « cause constante », qui n’est autre
toute sa vie : l’organisation des que l’« homme moyen », dont la taille
observations, et le traitement des « la plus probable » est la moyenne
« grands nombres » ainsi recueillis au des tailles observées.
moyen d’outils issus des sciences de
la nature : la loi normale et la
moyenne. De fait, le principal acquis L’homme moyen et la
du transfert ainsi effectué, à partir du métaphore du Gladiateur
voyage de Quetelet à Paris, est la
grande généralité des usages pos- De fait, ce raisonnement en termes
sibles de la distribution « gaus- de « cause constante » est lui-même
sienne » postulée par les astronomes issu du « théorème de Bernoulli » ou Le gladiateur Borghese
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Adolphe Quetelet
le rôle d’une « cause constante », coup de force épistémologique en possibilité de faire des prévisions, ce
puisque les mille sculpteurs se sont rapprochant ces deux cas d’usages qui constitue une des principales
efforcés de l’imiter. Selon cette de « moyennes », sous cependant demandes adressées par le monde
image, l’« homme moyen » est l’équi- une condition restrictive importante : de l’action à celui des sciences
valent de la statue parfaite originale le calcul d’une moyenne de mesures sociales.
du Gladiateur. Les êtres humains portant sur des êtres différents n’est
concrets sont des reproductions justifié, selon lui, que si la distribution La mise en évidence de régularités
imparfaites de cet homme moyen, de ces mesures a la forme de la est rendue possible par les publica-
présenté ainsi comme un idéal de fameuse « loi des possibilités », c’est tions, de plus en plus régulières à
perfection. Quetelet développe en à dire une forme « normale ». Seule la partir des années 1830, de statis-
détail cette métaphore dans sa présence de cette forme justifie l’hy- tiques administratives rassemblées
« Lettre n˚ 20 », incluse dans son pothèse de l’existence d’une « cause alors sous le nom de « statistiques
principal livre sur le calcul des proba- constante », en amont des réalisa- morales ». Celles-ci portent sur
bilités, publié en 1846, les « Lettres à tions contingentes et imparfaites des divers événements, tels que la pro-
SAR Le Duc Régnant de Saxe- êtres concrets observés. Ce faisant, création, le mariage, le suicide ou
Cobourg et Gotha sur la théorie des Quetelet introduit une distinction encore les crimes. Bien que ces évé-
probabilités appliquée aux sciences entre des « vraies moyennes », dont nements puissent sembler être le
morales et politiques ». En transpo- le calcul est justifié par cette exis- résultat de décisions relevant de la
sant la diversité des statues reco- tence supposée d’une « cause seule liberté individuelle, leurs
piées par les sculpteurs au cas de la constante », et des « fausses nombres annuels, révélés par la sta-
diversité des mesures effectuées sur moyennes », dont le calcul et l’usage tistique officielle, apparaissent
les êtres humains, il ajoute même doivent être prohibés, dans les cas remarquablement stables, de même
une autre cause de variabilité, celle où la distribution n’est pas « nor- que l’est la taille moyenne des
qui résulte de mesures successives male », notamment si elle est bimo- conscrits. L’« inexorable budget du
dale. Deux exemples de ce dernier crime », prophétisé par Quetelet,
imparfaites effectuées sur un même
cas sont souvent cités par Quetelet : annonce le déterminisme sociolo-
individu. Ainsi, il réunit dans un
la distribution de la hauteur des gique d’Émile Durkheim et de ses
même « modèle » les deux causes de
immeubles d’une ville, et celle de la successeurs. De même que chaque
variation, celle qui résulte des diffé-
durée de vie d’une population d’en- individu est doté d’une taille et d’un
rences réelles entre les individus, et
fants nés une année donnée. Dans poids, il l’est aussi d’une « propen-
celle qui provient de l’imperfection
ces deux cas, la mention d’une sion » à se marier, à se suicider ou à
des procédures de mesure, ana-
moyenne n’aurait aucun sens. tuer autrui. Les bureaux de statis-
logues à celles prises en compte par
les astronomes depuis le tique sont ainsi comparables aux
XVIIIe siècle. Les régularités observées observatoires astronomiques : ils
des statistiques morales enregistrent des faits stables, et par
Le « modèle du Gladiateur » permet là prévisibles. La « mesure sociale » a
ainsi de faire la liaison entre deux Le transfert d’outils cognitifs opéré ainsi gagné ses lettres de noblesse
usages de la notion de « moyenne » par Quetelet prend ensuite appui sur de scientificité, en se calant sur
qui, jusqu’alors, étaient bien diffé- une deuxième caractéristique des celles, indiscutables, de l’astrono-
rents, y compris dans le vocabulaire moyennes : leur relative stabilité dans mie. De fait, dans les années 1830,
employé [Perrot 1992]. Ainsi, au le temps. Ainsi la taille moyenne des Quetelet s’active tout autant à
XVIIIe siècle, les savants distin- conscrits possède cette propriété faire construire un observatoire à
guaient, d’une part, les « moyennes importante. Alors que, pour une Bruxelles qu’à organiser un système
proportionnelles » utilisées par les année donnée, la dispersion de ces statistique incluant les recensements
astronomes comme la meilleure esti- tailles est assez grande, en revanche, de population et le rassemblement
mation possible (calculée à partir de d’une année sur l’autre, la taille des données de l’état civil (nais-
plusieurs observations) d’une seule moyenne des nouveaux conscrits est sances, mariages, décès) et de la
grandeur réelle mais inconnue, et, à peu près stable, ou du moins varie statistique criminelle et sanitaire.
d’autre part, les « valeurs com- dans un intervalle beaucoup plus
munes », retenues comme résumé, petit que celui des tailles indivi- L’importance du rôle de Quetelet
substitut d’une diversité de gran- duelles des conscrits d’une année. dans la promotion des « mesures
deurs d’objets différents. Dans ce Cette stabilité de la moyenne, oppo- sociales », tant dans les sciences
deuxième cas, des formules imagées sée à la dispersion des cas indivi- humaines que dans la gestion poli-
justifiaient cette substitution : « l’un duels, va fonder l’usage des statis- tique du monde social, résulte de la
dans l’autre », « bon an, mal an », tiques dans les sciences sociales. En force de cette association entre l’État
« grosso modo », « le fort portant le effet, une permanence temporelle et la science. Cette association fait
faible », qui illustrent bien l’idée de comparable est observée pour tenir, d’un côté, la machine adminis-
« compensation » mutuelle impliquée d’autres totalisations fournies par la trative et ses enregistrements stabili-
par cet usage de la moyenne. statistique administrative naissante. sés selon des procédures codifiées,
Quetelet opère ainsi une sorte de L’exhibition de régularités justifie la et, de l’autre, la simplicité et la géné-
ralité de la « loi des grands issue des travaux de Newton, été fortement influencé par les
nombres », issue de l’application du Laplace et Gauss en était le plus débats allemands autour de l’homme
calcul des probabilités aux mesures brillant exemple. Mais les « régulari- moyen et de la liberté individuelle.
astronomiques. Mais, par cette opé- tés » macro-sociales exhibées par
ration, l’État change en partie de Quetelet à propos des mariages, des
nature. À la généralité issue de la loi crimes ou des suicides semblaient
La mise en place
juridique, au sens de règle sociale
d’un réseau coordonné
heurter de plein fouet la philosophie
s’imposant à tous dans le cadre d’un
de mesures sociales
idéaliste de la liberté et de la respon-
État, s’ajoute désormais celle de la sabilité individuelle que, à la même
loi statistique, observée dans la Bien que ses travaux aient suscité ce
époque, des penseurs d’inspiration
société, pensée dès lors indépen- genre de débat idéologique, Quetelet
religieuse ou non s’efforçaient de
damment de l’Etat. La « statistique », était moins un philosophe qu’un
promouvoir. Si le nombre total de
qui, à son origine allemande du entrepreneur scientifique et adminis-
crimes et de suicides accomplis
XVIIIe siècle, était synonyme d’État, tratif. Dès les années 1820, il avait
dans l’année est stable et prévisible,
s’émancipe maintenant par rapport à été intéressé, on l’a vu, par la mise en
que reste-t-il du libre arbitre de l’indi-
celui-ci, et fonde l’existence d’un place d’observations coordonnées
vidu moral ? Cette question agite,
social autonome. Du coup l’État doit portant sur la météorologie. Trente
notamment dans le monde allemand,
tenir compte de ces nouvelles ans plus tard, en 1853, il est à l’ori-
des philosophes, des théologiens et
« lois », non édictées par lui. La gine de la première réunion à
des romanciers [Desrosières 2000].
sociologie, notamment celle de Bruxelles d’un « congrès internatio-
En 1912, le jésuite belge Joseph
Durkheim, se construira en partie nal de statistique », pour faire se
Lottin consacre un gros ouvrage
contre la science des légistes et des rencontrer les statisticiens des
à « Quetelet, statisticien et socio-
juristes, en prenant appui sur les « bureaux de statistique » créés (sou-
logue ». Il admire Quetelet, mais
régularités statistiques que Quetelet vent sous son influence) dans plu-
discute longuement l’articulation sieurs pays au cours des deux
a su si bien orchestrer. Les sciences entre la liberté morale de la
sociales quantitatives, avec leurs décennies précédentes. Le but était
personne singulière et les régula- de créer un réseau coordonné de
« variables » dont on analyse les rités « moyennes » présentées par
« effets », descendent directement recueil d’informations sur la popula-
Quetelet. Dans une perspective diffé- tion, l’économie et les statistiques
du tableau des « causes constantes » rente, le sociologue durkheimien
et des « propensions » des individus, « morales », selon des définitions,
français Maurice Halbwachs pose des nomenclatures et des procé-
inventées par Quetelet. Ces expres- des questions du même type en
sions entre guillemets sont des sté- dures d’enregistrement les plus stan-
1913 dans sa thèse complémentaire dardisées possibles. À maintes
nographies permettant de nommer sur « La théorie de l’homme moyen.
des agrégats et des montages nou- reprises ensuite il attira l’attention sur
Essai sur Quetelet et la statistique la concomitance, à Bruxelles en
veaux, impensables auparavant. Le morale », avec un point de vue plus
statut épistémologique de ces 1853, de deux conférences interna-
critique. Depuis cette époque, la tionales, l’une sur la statistique,
« mesures sociales » est encapsulé
sociologie quantitative, notamment l’autre sur la météorologie. Dans les
dans une boîte dont les rouages invi-
celle issue des travaux de Durkheim, deux cas, « les gouvernements dési-
sibles sont les procédures d’enregis-
est souvent confrontée à cette cri- raient s’entendre entre eux par la
trement et dont les sorties, naturali-
tique, sans toutefois que le nom de voie de leurs délégués spéciaux ». La
sées par le langage statistique, sont
Quetelet soit désormais évoqué. Si première conférence « traite de la
des « propensions », des « variables »
celui-ci est souvent oublié, la que- statistique générale des différents
produisant des « effets », que l’on
relle sur les déterminismes macro- pays et des moyens de mettre
peut désormais mesurer et séparer,
sociaux, ouverte par ses travaux, l’unité entre les documents officiels
par exemple par des régressions
perdure. Une étude fouillée de la destinés à l’administration et à
logistiques.
place de cette inquiétude dans la lit- la science », tandis que l’autre
térature européenne du XXe siècle « concerne la marine et l’accord qu’il
Déterminisme est fournie par le philosophe français s’agit d’établir entre les travaux des
et libre arbitre Jacques Bouveresse [1993], dans un divers peuples pour arriver à
ouvrage consacré à l’influence de connaître les lois qui règlent les mou-
L’ambition de Quetelet était d’impor- Quetelet et de sa philosophie de la vements des mers et de l’atmo-
ter dans les sciences de l’homme ce statistique sur l’écrivain autrichien sphère, la profondeur et la tempéra-
qui faisait, dans la première moitié du Robert Musil. Significativement inti- ture des eaux, et en général tout ce
XIXe siècle, la fierté des spécialistes tulé « L’homme probable. Robert qui peut intéresser le navigateur »
des sciences de la nature : la possi- Musil, le hasard, la moyenne et l’es- [Quetelet 1860, cité par Brian 1989].
bilité de dégager, à partir de mesures cargot de l’histoire », ce livre montre Le parallèle ainsi dressé confirme
systématiques, des lois générales que le thème du roman de Musil l’interprétation, suggérée par Stigler,
des phénomènes et, par là, de pré- « L’homme sans qualités » (c’est-à- du voyage à Paris de 1823. Il porte
voir leur cours ultérieur : l’astronomie dire sans singularités spécifiques) a sur quatre aspects du système
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Adolphe Quetelet
Ce texte est une version française révisée d’un article à paraître en 2003
dans l’Encyclopedia of Social Measurement (Academic Press).
Références
Académie royale de Belgique (1997), Actualité et universalité de la pensée scientifique d’Adolphe Quetelet,
actes du colloque des 24 et 25 octobre 1996, mémoire de la classe des sciences, 3e série, tome XIII.
Armatte M., Droesbeke J-.J. (1997), Quetelet et les probabilités : le sens de la formule,
in Actualité et universalité de la pensée scientifique d’Adolphe Quetelet (Académie royale de Belgique),
pp. 107-135.
Bouveresse J. (1993), L’homme probable. Robert Musil, le hasard, la moyenne et l’escargot de l’histoire,
L’éclat, 30250 Combas.
Halbwachs M. (1913), La théorie de l’homme moyen. Essai sur Quetelet et la statistique morale,
Alcan, Paris.
Lazarsfeld P.F. (1970), Notes sur l’histoire de la quantification en sociologie : les sources, les tendances,
les grands problèmes, in Philosophie des sciences sociales, Gallimard, Paris, pp. 75-162.
Perrot J-.C. (1992), Une histoire intellectuelle de l’économie politique, Éditions de l’EHESS, Paris.
Porter T.M. (1986), The Rise of Statistical Thinking, Princeton University Press, Princeton.
Quetelet A. (1835), Sur l’homme et le développement de ses facultés, ou Essai de physique sociale,
Bachelier, Paris.
Quetelet A. (1860), Sur le Congrès international de statistique tenu à Londres le 16 juillet 1860
et les cinq jours suivants,
in Bulletin de la Commission centrale de statistique, tome IX, Hayez, Bruxelles.
Stigler S.M. (1986), The History of Statistics. The Measurement of Uncertainty before 1900,
The Belknap Press of Harvard University Press, Cambridge (Mass.).
Stigler S.M. (1997), Adolphe Quetelet : Statistician, Scientist, Builder of Intellectual Institutions,
in Actualité et universalité de la pensée scientifique d’Adolphe Quetelet (Académie royale de Belgique),
pp. 47-61.
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Entre décentralisation et coordination
Une analyse des spécificités des SSM
Le système statistique public (SSP) coordination est aussi assurée par d’une part, l’Insee n’a pas à piloter et
français est traditionnellement décrit des réunions régulières des chefs de gérer en commun des objets bien
comme « fonctionnellement décen- SSM, et, plus récemment, a été ins- identifiés avec les SSM, comme la
tralisé », pour évoquer le fait qu’une tallée (en 2000) une structure plus direction générale de l’Insee (la DG) le
partie non négligeable de son activité légère qui se réunit plus fréquem- fait avec les directions régionales (les
est inscrite dans dix-neuf services ment, le « Conseil des chefs de DR), et que, d’autre part, il y a une
statistiques ministériels (SSM). Au SSM » (CSSM), formé de cinq très grande hétérogénéité entre les
1er janvier 2001, sur 9 464 per- membres, qui, à sa création, visait à SSM.
sonnes employées par le SSP jouer un rôle un peu analogue à celui
(Insee + SSM), 3 012 (31 %) tra- du « Conseil des directeurs régio- C’est cette structure nouvelle et
vaillaient dans les SSM. Sur les naux de l’Insee » (CODIR). Mais, on le encore tâtonnante qui a jugé utile de
1 285 attachés de l’Insee en activité verra, cette comparaison n’est pas demander une mission d’exploration
dans l’ensemble du SSP, 488 (38 %) satisfaisante, pour de multiples rai- du réseau des SSM, du point de vue
l’étaient dans les SSM. Ces deux sons, dont les principales sont que, de leurs spécificités et de leurs
chiffres donnent une première idée attentes par rapport aux diverses
du poids relatif des SSM dans le SSP. formes de coordination existantes, à
Cette relative originalité du système développer ou à créer. Cette mission
statistique français est en général a été confiée à Michel Blanc et Alain
justifiée des deux points de vue, Desrosières, tous deux membres de
amont et aval, des circuits de l’infor- la direction de la coordination statis-
mation statistique. D’une part, la tique et des relations internationales
proximité des sources administra- (DCSRI) de l’Insee. Ce travail bénéfi-
tives facilite leur mobilisation et leur ciait des résultats de deux missions
retraitement à des fins statistiques, effectuées auparavant, en 1995 et
et, d’autre part, les utilisateurs poten- 1997. La première, demandée par le
tiels sont ainsi plus proches, à la fois CNIS à Alain Mothe et Joël Allain,
pour exprimer leurs besoins et pour était une « Étude sur la rationalisation
accéder à l’information. Cette struc- du dispositif statistique public »
ture, déjà évoquée dans la loi de (rapport de mission, document du
1951 et dans ses amendements suc- CNIS n˚ 26, décembre 1995). La
cessifs, a été, dès les années 50, seconde, confiée à Edmond
associée à un impératif de « coordi- Malinvaud par le Premier ministre
nation », assurée successivement par Alain Juppé en juillet 1996, portait
le Comité de coordination des sur « La fonction statistique et
enquêtes statistiques (COCOES, études économiques dans les ser-
1951-1972), puis par le Conseil natio- vices de l’État » (rapport rendu en
nal de la statistique (CNS, 1972- 1997). Ces deux rapports conte-
1984) et enfin par le Conseil national naient nombre d’analyses utiles pour
de l’information statistique (CNIS). La notre propos.
Ministère de la Défense
Le « SSM Défense » est l’observatoire économique de la défense, placé au sein de la direction des affaires
financières.
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Entre décentralisation et coordination
Ministère de la Justice
Le « SSM Justice » est la sous-direction de la statistique, des études et de la documentation (S/D SED). Le
domaine statistique de la justice englobe le fonctionnement des institutions judiciaires, la délinquance, la cri-
minalité et la population pénitentiaire mais aussi le contentieux civil (litiges d’ordre privé, divorces, adoptions,
acquisitions de la nationalité française, défaillances d’entreprises, etc.).
Altérité nouveau, inscription dans des cir- L’Insee, créé en 1946, hérite de l’in-
cuits de collectes et d’usages de frastructure du SNS : les gros
La mission a été bien accueillie par plus en plus « routinisés » et perçus fichiers, les directions régionales
les responsables des SSM, qui en comme indispensables : ces étapes (dont les ateliers de mécanographie
ont vu l’intérêt, mais ils ont tous ont été parcourues, selon des moda- gèrent cette lourde machinerie), le
insisté sur les multiples dimensions lités et à des rythmes différents, au système des identifiants des entre-
de l’hétérogénéité entre ces services. cours de l’histoire des instituts natio- prises et des personnes physiques.
Une des premières signalées est naux de statistique (les INS), et aussi Les usages de ces outils sont encore
celle entre « les petits et les gros ». dans celle des SSM français progres- surtout internes à l’administration.
On verra que ce déséquilibre peut sivement créés depuis les années 60. Mais, en même temps, une nouvelle
être entendu comme résumant La palette de leurs situations génération de statisticiens, formée à
diverses autres oppositions, liées au actuelles reflète la diversité de leurs des méthodes plus modernes (dont
degré d’implantation, de légitimation positions dans une histoire qui n’est notamment celle des enquêtes
et d’inscription dans des fonctionne- bien sûr pas aussi linéaire que ne le par sondage), incite Francis-Louis
ments pérennes, « anonymisés » suggère cette liste simplifiée Closon, le directeur général, à pro-
(sinon « routinisés »), c’est-à-dire ne d’étapes. Un des fils conducteurs de gressivement réduire la part de la
dépendant plus étroitement de la ces récits est la tension inévitable gestion des fichiers dans l’activité de
personnalité et du charisme du cadre entre, d’une part, l’affirmation de la l’Insee, au profit des enquêtes, par
Insee envoyé dans ce qui n’est plus spécificité et donc de la nécessaire exemple celles sur l’emploi et sur les
désormais une terre de mission. Une autonomie du travail des statisticiens budgets de famille. Ces enquêtes
question, systématiquement posée, dans l’intérêt même du crédit de permettent des investigations sur la
portait sur les différences entre le tra- leurs messages, et, d’autre part, leur société, d’intérêt et d’usage plus
vail en SSM et le travail à l’Insee. Les non moins nécessaire insertion dans généraux que les tableaux issus de la
réponses peuvent être résumées en les circuits d’organisation et de déci- tabulation des fichiers déjà existants.
un mot : l’altérité. En SSM, on tra- sion des politiques publiques, afin Pourtant, les fichiers les plus impor-
vaille avec des gens différents de d’être présents dans les procédures tants (celui des entreprises et des
nous, par leurs objectifs, leurs modes de mise en place des systèmes d’in- établissements, et celui des per-
de raisonnement, leurs outils de tra- formation et plus généralement afin sonnes physiques, issu de l’état civil)
vail et leurs cultures. La statistique ne de concevoir leurs programmes de ne sont pas abandonnés, car, en plus
constitue pas leur objectif principal. travail en relation étroite avec les de leur utilité pour la statistique, ils
Par rapport à celle-ci, ces « autres » orientations et les catégories d’ac- rendent de grands services à l’en-
peuvent être intéressés, indifférents tion de ces politiques publiques. semble de l’administration, ce qui
ou hostiles. Le SSM doit composer L’histoire des INS et celle plus contribue à ancrer la légitimité de
avec cet environnement variable, et récente des SSM peuvent être décli- l’Insee, encore fragile dans les
ce d’autant plus que le service est nées autour de cette thématique années 50. Puis, à partir des
moins ancien. Or ce critère est subtile et continuellement à réinven- années 60, quand est introduite l’in-
souvent (mais non toujours) corrélé ter. C’est bien ce que suggérait formatique statistique, la réutilisation
avec l’opposition entre « grands et Edmond Malinvaud dans son rapport
petits ». de 1997 sur « La fonction statistique
et études économiques dans les ser-
vices de l’État », quand il écrivait :
Comparaison entre « Indépendance et déontologie ne se
l’Insee et les SSM : décrètent pas ; elles se construisent
une perspective historique sur le long terme par les pratiques
des autorités ministérielles, de l’en-
Cette diversité de situations peut être cadrement et du personnel. »
lue comme une sorte de récapitula-
tion de l’histoire longue des bureaux
de statistique publique, à la fois du Le parallèle entre, d’une part, la
point de vue de leur image et des diversité et l’évolution des SSM, et,
services qui en sont attendus, dans d’autre part, l’histoire longue de
l’administration puis plus générale- l’Insee, peut être poussé plus loin. Le
ment dans le public, et du point de « Service national de statistique »
vue du type de sources mobilisées, (SNS), créé par René Carmille en
d’abord des sous-produits de don- 1941, était centré sur une utilisation à
nées administratives, puis, plus tard, grande échelle de fichiers gérés par
des recensements et des enquêtes. les administrations et structurés par
Construction d’une légitimité, offre des identifiants communs créés à cet
de services, création de besoins, for- effet, au moyen de machines méca-
mulation et diffusion d’un langage nographiques à cartes perforées1. René Carmille, 1886-1945
12
Entre décentralisation et coordination
présentée dans ces termes. Cette besoins propres, tout en étant arti-
façon de s’auto-définir et de s’identi- culé et cohérent avec le cadre central
fier auprès de son environnement a de la comptabilité nationale, au
été facilitée par l’organisation du SSP moins au niveau conceptuel, et si
en réseau, progressivement mise en possible par le biais de quelques
place depuis les années 60. C’était évaluations charnières raccordant
en effet pour apporter une réponse effectivement les tableaux des
organisationnelle habile à la tension comptes.
entre autonomie et insertion qu’avait
été conçu, dès les années 60 et 70, Enfin le Conseil national de la statis-
le système statistique original, tout à tique, créé en 1972 (et devenu le
la fois décentralisé et coordonné, que CNIS en 1984), était conçu comme
constitue l’ensemble formé par l’instance sociale et administrative de
l’Insee et les SSM. Les deux mots la coordination, complément indis-
sont importants : la décentralisation pensable de la coordination tech-
signifiait l’immersion des SSM dans nique assurée par le « département
les administrations « intéressées », de la coordination statistique et
c’est-à-dire directement concernées, comptable » de l’Insee, lui aussi créé
Francis-Louis Closon, 1910-1998 tandis que la coordination impliquait en 1972. Si le projet d’organiser la
le développement et la diffusion de statistique publique largement en
méthodologies et de langages com- référence à la comptabilité nationale
des fichiers administratifs à des fins muns (notamment à travers les a en grande partie disparu, en
statistiques se développe à nouveau revanche le rôle du CNIS comme ins-
fichiers et les nomenclatures). Ceci
et se banalise. Des associations de tance de coordination, de débat et
était grandement facilité par la poli-
plus en plus sophistiquées entre de validation des travaux des SSM a
tique de gestion centralisée des
fichiers et enquêtes sont imaginées, été confirmé par une trentaine d’an-
corps de statisticiens-économistes
notamment en Scandinavie et aux nées d’activité du CNS puis du CNIS.
que sont les administrateurs et les
Pays-Bas. Ce schéma historique, Ce rôle est maintenant accepté et
attachés de l’Insee, dotés d’une forte
bien sûr très simplifié, porte à la fois apprécié par les SSM, notamment
culture commune, bien distincte de
sur les sources (fichiers ou enquêtes) avec les systèmes de visa, de comité
celles des corps de fonctionnaires
et sur les types d’usage (internes à du label et de charte de qualité, qui
avec qui travaillent les statisticiens au
l’administration ou tournés vers la constituent pour eux des garants
sein des SSM. Cette originalité socio-
société dans son ensemble). Il de légitimité et de crédibilité au
logique a été systématiquement sou-
devrait être très nuancé. Il peut pour- sein de leurs ministères respectifs,
lignée par nos interlocuteurs, comme en leur permettant de se référer
tant fournir une grille d’analyse à tes- un élément positif qui distingue les à une instance transversale et inter-
ter, pour décrire la diversité des acti- activités en SSM de celles menées à administrative, dépositaire de la
vités des SSM et de leurs stratégies, la direction générale de l’Insee2. technicité et de la déontologie du
passées ou présentes, pour s’insérer
travail statistique. Concrètement, cela
et pour légitimer leur activité au sein Le besoin de coordination avait été, leur fournit des arguments ayant du
des ministères. dans les années 60 et 70, fortement poids, en cas de controverse ou de
stimulé par le développement de la contestation de certains de leurs pro-
comptabilité nationale, alors conçue jets au sein de leurs administrations4.
Décentralisation comme un outil d’intégration, ou
et coordination du moins de mise en cohérence,
des statistiques économiques, et
Cette complémentarité entre les deux même d’une partie des statistiques
types de sources et d’usages est une sociales. Ce rêve d’intégration était
des réponses progressivement trou- cependant plus modéré et raison-
vées à la tension suggérée ci-dessus nable que certains ne le pensent
entre, d’une part, l’impératif tech- aujourd’hui. Il portait essentiellement
nique et déontologique d’autonomie sur les nomenclatures et sur les éva-
lié à la spécificité de l’activité statis- luations de quelques variables macro
tique, et, d’autre part, la nécessaire et méso, même si les systèmes
insertion dans les circuits des poli- dits de « comptes intermédiaires »
tiques publiques, indispensable pour visaient à assurer un passage cohé-
ne pas donner l’image de « cher- rent entre données macro et micro3.
cheurs coupés de la réalité et des Par ailleurs, le projet de « comptes
besoins quotidiens ». Or cette ques- satellites » visait précisément à per-
tion du positionnement du SSM dans mettre à des SSM de bâtir un sys-
son ministère nous a été très souvent tème de comptes répondant à leurs
Au-delà des formes de coordination lement distinguées, puisque respon- participation à l’organisation et au
générale évoquées ci-dessus, on sables à la fois des statistiques de la retraitement de fichiers administra-
peut en mentionner deux autres, plus production et de leurs usages tifs, et, d’autre part, les opérations
« sectorielles », assurées respective- sociaux (tourisme, culture...). Il faut originales comme les enquêtes. Le
ment, l’une par la direction des sta- cependant mentionner l’organisation premier aspect est important non
tistiques d’entreprises (DSE) de régulière (environ tous les 18 mois), seulement par les services qu’il rend
l’Insee, l’autre par l’unité méthodes par l’UMS, de vastes « journées de à l’administration tout entière (ce qui
statistiques (UMS) de la direction méthodologie statistique » (JMS), contribue à légitimer l’utilité du SSM),
des statistiques démographiques et créées par Jean-Claude Deville au mais aussi par le fait qu’il permet
sociales (DSDS) de l’Insee. début des années 907. Ces « jour- aux statisticiens d’être présents en
nées » peuvent être comparées aux amont, lors de la conception des
Depuis 1995, la DSE anime un « entretiens de Bichat » organisés fichiers et des systèmes d’informa-
« Comité du système statistique pour les médecins. Elles attirent tion, et, par là, autorise une prise en
entre 150 et 300 statisticiens venant compte aussi précoce que possible
d’entreprises » (Comité SSE). Celui-
des SSM, des DR et de la DG de des besoins spécifiques de la statis-
ci est constitué d’un « comité direc-
l’Insee, et sont particulièrement tique, par exemple en termes de
teur » de 11 membres5, qui en fixe
appréciées par des professionnels standardisation et de nomenclatures.
l’orientation et le programme, et d’un
qui se sentent parfois isolés dans Mais, au fil des entretiens, il ressort
« comité plénier », qui réunit trois fois
des univers où ils ont peu d’interlo- que la distinction entre « fichiers » et
par an entre 30 et 60 statisticiens de
cuteurs pour parler de leurs pro- « enquêtes » n’est pas aussi claire
l’Insee et des SSM en rapport avec le
blèmes méthodologiques et recueillir qu’il ne paraît. En effet, nombre
monde des entreprises et de la pro-
des avis. Les communications de SSM désignent, sous le nom
duction, autour de thèmes précis soi-
sont publiées dans la série Insee d’enquêtes, diverses interrogations
gneusement préparés. Par ailleurs
Méthodes. Dans la mesure où, en adressées à des établissements
est organisée chaque année une
France, la méthodologie statistique (hôpitaux, écoles, tribunaux...) aux-
« journée du SSE » largement
ne fait pas l’objet d’une valorisation quelles ceux-ci répondent par des
ouverte à des communications d’ac-
aussi importante que dans certains enregistrements issus de leurs
teurs d’entreprises et d’universitaires
autres pays, soit directement dans propres systèmes d’information,
et chercheurs, occasion unique
les INS (Canada, Australie, Suède), c’est-à-dire de leurs « fichiers admi-
d’échange entre les trois mondes, à
soit dans des départements uni- nistratifs ». À la limite, l’EAE peut être
laquelle participent entre 100 et
versitaires de statistique travaillant rangée dans cette catégorie puisque
200 personnes selon les années6.
sur contrat pour les INS (Grande- les entreprises y répondent à l’aide
Les actes en sont publiés (en fran-
Bretagne, USA), ces journées ont le de leurs comptabilités et de leurs
çais et en anglais) dans la série Insee
mérite de permettre des confronta- documents administratifs. Le critère
Méthodes. Un « atelier méthodes » a
tions entre professionnels répartis de distinction est donc à chercher du
été créé en 2001. Enfin est aussi
dans un grand nombre de SSM et côté de la palette des usages, plus
publiée une Lettre du SSE, spéciale-
d’échelons régionaux du SSP (DR de ou moins éloignés et différents des
ment destinée à ce « sous-réseau »
l’Insee et relais régionaux de certains besoins de la gestion d’une adminis-
du SSP. Cette forme de coordination
SSM), autour de la petite équipe de tration, ou en tous cas retransformés
bien centrée sur quelques outils
l’UMS. Il y aurait sans doute lieu de par rapport à ceux-ci. Ces usages
(dont la célèbre EAE, enquête
renforcer ce pôle technique de coor- originaux prennent la forme d’études,
annuelle d’entreprise, est un peu le
dination de la statistique démogra- en donnant à ce mot un sens très
produit central) est fort appréciée
phique et sociale, éventuellement large, incluant par exemple la prépa-
des SSM concernés.
dans des formes comparables à ration, le suivi et l’évaluation des poli-
celles du SSE. Dans le même ordre tiques publiques. Cette dimension a
La statistique démographique et d’idée, la DSDS organise régulière- été analysée en grand détail dans le
sociale n’est pas, pour le moment, ment des « séminaires internes », « rapport Malinvaud » mentionné ci-
dotée de structures de coordination ouverts aux membres des SSM dessus. Y était proposée une sorte
aussi consistantes. Cela tient sans « sociaux », qui jouent aussi un rôle de typologie des cellules d’études,
doute à la plus grande diversité des de coordination par information distinguant trois cas, qui peut être
questions traitées, par les SSM mutuelle. utile pour décrire les SSM : « On peut
« Travail emploi et formation profes- prendre comme référence une orga-
sionnelle » et « Santé et protection nisation-type où (1) un petit service,
sociale » (DARES et DREES), mais Forme et contenu très proche du ministre, lui apporte-
aussi par des services statistiques de l’insertion rait les conseils techniques suscep-
aussi divers que l’éducation, la jus- dans les ministères tibles d’éclairer les choix de sa poli-
tice, la culture, sans parler du fait que tique et ses décisions, où (2) les
plusieurs de ces services ont des Les activités des SSM ont déjà été directions opérationnelles dispose-
compétences qui sont « à cheval » analysées ci-dessus de façon simpli- raient d’économistes pour la mise en
sur les deux dimensions traditionnel- fiée, en distinguant, d’une part, la œuvre des politiques ou des pro-
14
Entre décentralisation et coordination
grammes, où enfin (3) un service éco- « construction » et « transports ». Il (LOLF) votée le 1er août 2001 et
nomique, proche des statisticiens, se trouve que les pouvoirs publics réformant l’ordonnance de 1959 sur
aurait en charge à la fois l’évaluation mènent souvent des « politiques du ce sujet. Cette loi stipule notamment
des politiques, la réalisation d’études logement » explicites et orientées. Il que les chapitres des budgets
prospectives et la conduite d’études en résulte que la statistique conjonc- publics seront dotés d’expressions
factuelles ou interprétatives desti- turelle de la construction est suivie explicites d’objectifs à atteindre, et
nées à une large diffusion » (rapport avec attention par l’autorité politique, donc implicitement quantifiables et
Malinvaud, 1997, p. 39). dans la mesure où celle-ci y voit une susceptibles d’être ainsi « évalués ».
évaluation de ses résultats et de son Une telle formulation impliquera l’ou-
Cette typologie peut rendre compte efficacité. Elle n’est pas assurée par verture de débats de grande ampleur
de la différence entre les études le SES, au contraire de la conjoncture sur les définitions des indicateurs
menées, d’une part, à la Direction de des transports qui, reflétant la d’objectifs et sur les méthodes de
la prévision (type 1) et, d’autre part, à conjoncture macroéconomique d’en- mesure, dans lesquels le SSP, et
l’Insee (type 3). Elle ne permet cepen- semble, ne suscite pas le même type notamment les SSM, devraient être
dant pas d’interpréter les différences d’attention. largement impliqués8. Il pourrait être
entre ministères qui résultent du fait utile, pour une meilleure compréhen-
que certains d’entre eux ont à mener Cet exemple attire l’attention sur la sion du fonctionnement et du rôle du
des « politiques », au sens d’actions diversité et la complexité du réseau réseau de la statistique publique,
explicitement orientées vers des des intentions, des arguments, des qu’une réflexion spécifique soit
objectifs précis, alors que d’autres justifications, des étayages de déci- entreprise au sein du SSP sur cette
ont plus des tâches d’accompagne- sions ou de revendications, des éva- question9.
ment (réglementaire et juridique) luations a posteriori, dans lequel sont
d’activités qui se déroulent (selon par insérés et transportés les produits de La diversité des intitulés des SSM et
exemple des logiques marchandes) la statistique publique, et notamment de leurs modes d’insertion adminis-
sans intervention directe de la puis- ceux des SSM. Il existe encore peu trative au sein des organigrammes
sance publique. Il y a bien sûr tout un de recherches sur l’univers des de leurs ministères est significative.
continuum entre ces deux cas usages de cette statistique, bien On y observe notamment des diffé-
polaires, mais cette distinction per- qu’une branche des sciences poli- rences sur la place, explicite ou non,
met de comprendre deux modes tiques en pleine expansion, intitulée dévolue aux études10.
d’insertion très différents des SSM en France « analyse des politiques
dans leur environnement politique et publiques » (Policy Analysis dans le Le cas le plus favorable à une bonne
administratif. Un bon exemple en est monde anglophone), commence à articulation entre statistiques, études
fourni au sein du ministère chargé de s’y intéresser. Ce thème ne peut que et recherche est celui où des direc-
l’équipement, des transports et du prendre de plus en plus d’importance tions ont été créées spécifiquement
logement, dont le « Service écono- dans le cadre de la mise en place, à à cet effet : pour le travail et l’emploi,
mique et statistique » (SES) est sub- l’horizon de 2006, de la « loi orga- la DARES (direction de l’animation de
divisé en deux sous-directions, nique relative aux lois de finances » la recherche, des études et des sta-
tistiques), créée en 1993, et, pour les
affaires sociales et la santé, la
DREES (direction de la recherche,
MAE / F. de La Mure
Trois SSM sont insérés dans des ne peut pas trop généraliser à partir statistique comme un couple
directions « administration générale » de cette classification, car il y a des objet*usage. Ainsi, tel ratio comp-
ou « personnel et administration » : exceptions remarquables. table calculé à des fins de pilotage
cas des SSM « Culture », « Justice » interne peut, en sortant de son
et « Jeunesse et sports ». Neuf monde d’origine, être la référence
autres sont rattachés à une direction Les mondes des usages : pour l’application d’une règle pru-
spécialisée sur un domaine de des tableaux de bord aux dentielle pour un organisme de cré-
compétence précis : SSM « Collecti- études socioéconomiques dit, ou servir à classer l’organisme
vités locales », « Commerce, artisa- dans un palmarès publié par un heb-
L’histoire des usages des produc-
nat, services », « Communication », domadaire. Ou encore, tel agrégat de
tions des SSM peut être résumée en
« Douanes », « Énergie », « Fonction comptabilité nationale, calculé pour
une formule : de la gestion interne à
publique », « Industrie », « Pêche étayer des politiques macroécono-
l’analyse socioéconomique. Dans un
maritime et aquaculture » et miques, peut devenir un élément
premier temps, l’activité des statisti-
« Tourisme ». Enfin au ministère de d’une série longue incluse dans un
ciens qui créent un SSM peut être
l’Écologie et du Développement modèle économétrique, ou encore
comparée à celle de leurs collègues
durable, le SSM est un établissement servir à la Banque centrale euro-
qui, dans des entreprises, créent des
public, l’IFEN (Institut français de péenne pour évaluer le respect des
systèmes d’information. Partant de
l’environnement), tandis que les règles du Pacte de stabilité par un
l’analyse de l’activité de l’organisme,
études sont rattachées à une « direc- pays. Changeant d’usage, l’objet
administration ou entreprise, ils cer-
tion des études économiques et de statistique n’est plus le même pro-
nent les flux d’informations qui exis-
l’évaluation environnementale ». duit : on le vérifie par le fait que les
tent déjà, ou en inventent d’autres, ils
« critères de qualité » ne sont plus les
définissent des conventions et des
mêmes, en privilégiant, selon les cas
L’analyse des organigrammes qui pré- espaces d’équivalence (autrement
la « pertinence », la précision », la
cède ne permet pas de construire dit des nomenclatures et des procé-
« comparabilité » ou, de plus en plus,
directement une « typologie » des dures de codage et d’enregistre-
la « rapidité de publication », ce der-
SSM. Le tableau de la page 17 donne ment) adaptés aux besoins de traite-
nier critère pouvant entrer en contra-
les effectifs au 1/1/2001, en distin- ments « en grand et à distance »,
diction avec les précédents.
guant, d’une part, les services cen- c’est-à-dire standardisés et relevant
traux des services régionaux et de règles communes12. D’abord utili-
départementaux, et, d’autre part, les sés surtout à des usages internes (ce Ce type d’analyse s’applique bien
agents Insee des autres agents. Le qui est encore fréquemment le cas aux produits des SSM, en tous cas
rapprochement de ces données cor- dans les SSM), ils peuvent ensuite de façon plutôt plus visible que pour
robore l’idée que les SSM peuvent être transférés vers d’autres utilisa- les produits de l’Insee. En effet, les
être répartis en deux pôles, dont la teurs, mais ils changent alors de SSM sont beaucoup plus immergés
taille est un assez bon indicateur. Les nature. On pourrait définir le produit directement dans leurs mondes
plus gros sont en général les plus d’usages, alors que, souvent, à
anciens, les plus légitimes, et ceux où l’Insee, l’« autonomisation » des
la fonction « études » est la plus déve- maillons plus ou moins « routinisés »
loppée. Les six plus gros, tant pour les de fabrication des objets est, de
Médiathèque centrale Commission européenne
effectifs totaux que pour les effectifs longue date, inscrite dans la division
des agents Insee, sont, dans l’ordre : du travail exprimée par des organi-
le SCEES (650, dont 182 Insee), la grammes, des nomenclatures et des
DREES (384, dont 80 Insee), la procédures informatiques, au point
DARES (343, dont 73 Insee), le SES que ce sont souvent ces outils qui
(340, dont 89 Insee), la SDES (331, polarisent l’attention13. L’idée que le
dont 70 Insee), et le SESSI (263, dont produit ne se réduit pas à l’objet
44 Insee). Abstraction faite du cas, (tableau, série, indice, graphique,
tout à fait à part, du SSM « Douanes », compte...), mais ne peut être compris
tous les autres SSM ont des effectifs qu’associé à son usage, est plutôt
inférieurs à 90 personnes. Ce sont en plus évidente dans un SSM, où en
général (mais non toujours) ceux où général ces usages sont proches et
les personnels Insee se vivent le bien en vue, qu’à la direction géné-
plus souvent comme « en terre de rale de l’Insee, où les mondes
mission » dans un environnement d’usage sont parfois lointains et
dont la culture est différente. Ainsi, mystérieux14 (ceci est relatif, et il y a
plusieurs d’entre eux soulignent que bien sûr à l’Insee d’importantes
« la culture de ce ministère est princi- exceptions à cette tendance à l’auto-
palement juridique. La culture statis- nomisation des objets). Cette per-
tique y est peu développée ». Mais on Francfort, la Banque centrale européenne ception d’une plus grande proximité
16
Entre décentralisation et coordination
Services régionaux
Services centraux et départementaux Ensemble
Services régionaux
Service central et départementaux Ensemble
Détail par département ministériel
dont agents dont agents dont agents
Total de l’Insee Total de l’Insee Total de l’Insee
Insee : Les services centraux englobent la DG (GENES compris), le CEFIL et les CNI.
Agriculture : Le service central est réparti sur Paris, Toulouse et Beauvais. Les agents hors service central sont basés dans les directions régionales et départe-
mentales de l’agriculture et de la forêt (DRAF et DDAF).
Douanes : Sont comptabilisés dans le service central, outre les 30 personnes du bureau « statistiques et études économiques », les 120 agents de la direction
nationale des statistiques du commerce extérieur de Toulouse qui effectuent des travaux de production statistique, et, dans les services déconcentrés, les
205 agents des centres interrégionaux de saisie des données de Lille, Lyon, Metz, Rouen, Sarcelles et Toulouse ainsi qu’une vingtaine de personnes en fonction
dans des directions interrégionales des douanes.
Éducation et recherche : Les agents hors service central sont basés dans les rectorats d’académie.
Environnement : Les agents hors service central sont basés dans des directions régionales de l’environnement (DIREN).
Équipement : Les agents hors service central sont basés dans les directions régionales de l’équipement (DRE).
Industrie : Le service central est réparti sur Paris, Rocquencourt et Caen.
Justice : Le service central est réparti sur Paris et Nantes.
Pêche maritime et aquaculture : Les agents hors service central sont basés dans les centres régionaux de traitement statistique de Boulogne-sur-Mer, La Rochelle,
Lorient et Saint-Malo.
Santé et protection sociale : Les agents hors service central sont basés dans les directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS).
Travail, emploi et formation professionnelle : Les agents hors service central sont basés dans les directions régionales du travail, de l’emploi et de la formation pro-
fessionnelle (DRTEFP).
des usages a été souvent exprimée même si souvent, en insistant, on ateliers de travail (workhouse) ou à
par des statisticiens en poste en découvrait que les utilisateurs ou domicile (indoor and outdoor relief)
SSM, et qui, au cours de leur car- demandeurs externes sont fré- et, en même temps mais indépen-
rière, ont eu l’occasion de vivre les quents : entreprises, associations, damment, par des observations
deux situations. Parfois en contact syndicats, presse, chercheurs... Bien directes dans les quartiers pauvres,
direct avec les cabinets de leurs que les publications de résultats menées par des « visiteurs
ministères ou, plus souvent, avec soient abondantes et bien faites, scolaires » responsables de l’appli-
des directions de gestion ou d’ani- l’accent est moins systématiquement cation des lois sur l’obligation de
mation, ils sont conduits à connaître mis sur cet aspect de l’activité que scolariser les enfants. Plus tard et
d’assez près les préoccupations, les sur les relations internes à l’adminis- jusqu’à nos jours, le chômage sera
modes de raisonnement et les caté- tration concernée. Ceci est cepen- mesuré à la fois par des statistiques
gories de pensée et d’action de ces dant moins vrai pour les plus impor- des bureaux d’aides aux chômeurs
rouages de l’administration. Ils sont tants des SSM, dont les réseaux (ANPE) et par des enquêtes directes
donc bien placés pour en suivre et en d’utilisateurs sont importants, et par sondage (enquête emploi, ou
accompagner l’évolution. les publications très diffusées. Par labour force survey). Ou encore, les
exemple, la DARES publie une statistiques de délinquance sont sui-
revue bien connue des chercheurs, vies à la fois par l’activité de la police
Une hypothèse (qu’il faudrait tester « Travail et Emploi », tandis que la et de la justice, et par des enquêtes
par des recherches plus approfon- DREES diffuse l’importante et très de « victimation »15. On voit sur ces
dies) est qu’une tendance forte de ancienne « Revue française des exemples que la question de la part
cette évolution a fait passer progres- affaires sociales », et un bulletin relative à accorder, dans la statis-
sivement, au cours des deux der- récent créé en 1998, « Études et tique publique, aux données admi-
nières décennies, certaines adminis- résultats », avec environ 40 numéros nistratives et aux enquêtes, n’est pas
trations d’un rôle de contrôle et d’ap- par an. On ne peut citer toutes les seulement économique (« les pre-
plication de réglementations, selon autres publications, mais on peut mières sont moins chères et directe-
une logique légaliste et juridique héri- observer que leurs diffusions et leurs ment disponibles »), mais a une
tée d’une longue tradition de l’État usages sont sans doute importants signification plus profonde en termes
français, vers un rôle plus indirect mais mal connus. de rôle de cette statistique dans le
d’animation, d’incitation, d’anticipa- monde social. Il ne faudrait pas
tion de problèmes futurs, de préven- cependant croire, comme le font cer-
tion des risques et de détection Les mondes des sources : tains, que les enquêtes seraient plus
des dysfonctionnements, dans un des fichiers administratifs immunisées contre les catégories
contexte de négociation et de aux enquêtes « pré-construites par les besoins de
contractualisation avec des parte- l’État » que refléteraient les données
naires de plus en plus nombreux : À la première catégorie d’usages administratives. Les enquêtes sont
collectivités territoriales, institutions (suivi d’une gestion), qui bien sûr ne elles aussi tributaires, bien qu’autre-
européennes, entreprises et associa- disparaît pas, correspondent des ment, des catégories de pensée et
tions diverses. Ces changements ont traitements de données administra- d’action qui sont en vigueur dans
eu des répercussions directes sur tives, qui constituent toujours le une société donnée et à une époque
l’activité des SSM et sur la façon socle de l’activité de la plupart des donnée. On ne voit d’ailleurs pas
dont ils s’insèrent dans leurs minis- SSM. Mais ces données reflètent bien comment il pourrait en être
tères, d’une manière cohérente avec plus l’activité de l’administration pro- autrement. Ce n’est donc pas seule-
l’évolution historique déjà mention- prement dite que la société dans son ment sur ce terrain qu’il faut envisa-
née ci-dessus. En effet, cette évolu- ensemble, sinon indirectement. ger la différence entre les deux types
tion a eu des conséquences tant sur de sources.
les usages que sur les sources. Au En revanche, à la seconde catégorie
suivi de l’exécution d’une politique (les analyses et les diagnostics sur la
en termes de moyens mis en œuvre société elle-même), correspondent Certains SSM, notamment ceux qui
(physiques et financiers) viennent plutôt des enquêtes directes : recen- ont été intégrés dans des directions
s’ajouter des investigations et des sements, sondages, monographies de recherche et d’études, ont parti-
diagnostics sur l’état de la société, à qualitatives. culièrement travaillé la complémen-
propos de questions « mises à tarité des rôles des deux sources,
l’agenda » par le débat social et poli- Cette tension entre les deux types de fichiers administratifs et enquêtes,
tique du moment. Le développement sources a une grande généralité. Elle au-delà de l’argument purement éco-
des cellules d’études en a résulté. parcourt toute l’histoire de la statis- nomique de leurs coûts respectifs.
tique publique (dite « officielle » dans Cet approfondissement comporte
Interrogés sur les « utilisateurs » des le monde anglophone). Au XIXe siècle deux volets : une mobilisation plus
travaux de leur service, la plupart des en Angleterre, la « pauvreté » était large de sources encore peu utili-
responsables de SSM ont spontané- mesurée par les statistiques d’aide sées, et un programme d’enquêtes
ment répondu « notre ministère », aux pauvres accordées dans des directes. Les sources dites « admi-
18
Entre décentralisation et coordination
nistratives » ne se réduisent pas faire plus complètement leur métier, Demande inattendue ou
aux fichiers gérés directement par qui est non seulement de monter des offre d’un langage commun
l’État. Nombre d’autres institutions systèmes d’information, mais aussi
en gèrent aussi. Souvent celles-ci d’analyser et d’interpréter les don- L’hypothèse a été avancée ci-dessus
étaient a priori réticentes à voir leurs nées fournies tant par des fichiers que les contenus et les usages des
fichiers réutilisés par la statistique administratifs que par des enquêtes travaux des SSM évoluent parallèle-
publique, et ainsi coordonnés avec décrivant l’autre versant de l’activité ment aux transformations des rôles
d’autres sources, ce qu’elles ressen- administrative : les « usagers », ou des administrations et, plus généra-
taient comme une menace. Un « bénéficiaires », ou « clients » de lement, des façons dont le débat
exemple en a été longtemps fourni celle-ci. Ces enquêtes concernent les social s’empare d’arguments quanti-
par certaines caisses du système de usages des services et les besoins tatifs. La séquence « diagnostic col-
protection sociale. Un travail péda- par rapport à ceux-ci. Ce ne sont pas lectif, préparation d’une politique,
gogique a pu être mené, avec l’appui des « questionnaires de satisfaction », débats, négociations et inflexions,
du CNIS et de l’Insee, pour montrer mais des enquêtes sur les pratiques. essai d’anticipation a priori des effets
l’intérêt, pour chacun des acteurs Il est donc important de mener de de la situation étudiée, expérimenta-
concernés, d’un rapprochement et front des enquêtes et des échantillon- tion à une échelle limitée et évalua-
d’une confrontation de données nages portant à la fois sur les struc- tion, généralisation éventuelle, éva-
issues de sources différentes. Ainsi tures (par exemple des hôpitaux) et luation a posteriori... » impliquera de
des conventions sont passées entre les usages (par exemple des pas- plus en plus de tels arguments. Les
les organismes impliqués, qui pré- sages dans des services d’urgence). SSM s’y préparent, par exemple en
voient les droits et devoirs des parti- essayant d’anticiper les besoins qui
cipants à un projet d’intérêt mutuel. Ainsi, en confiant à d’autres la maî- résulteront de la mise en application
Les discordances éventuelles entre de la LOLF. Cependant, il arrive aussi
trise d’ouvrage de gros fichiers, et en
certaines statistiques peuvent être que le débat social ou médiatique
déplaçant le centre de gravité de son
arbitrées par des groupes de travail lance des questions que personne
activité vers l’aval, les analyses et les
du CNIS, qui jouent ainsi le rôle de n’avait vues venir, et dont certains
études rapprochant diverses sources,
lieu neutre. La coordination des SSM se retrouvent saisis. Un bon
le SSM s’ouvre plus directement à
fichiers implique une harmonisation exemple d’un usage imprévu, qui
une pluralité de destinataires, depuis
des nomenclatures d’enregistrement mériterait une recherche spéciale, est
le ministère où il est intégré jusqu’à
et de codage. Ce travail a priori déli- l’irruption, dans le paysage statis-
une grande variété d’acteurs sociaux.
cat et ingrat est justifié notamment tique, d’un objet nouveau qui a
par l’intérêt des études rendues pos- connu un succès foudroyant : les
sibles en aval par une utilisation har- Mais, dès lors qu’un SSM se lance
palmarès, des lycées, des hôpitaux,
monisée de différentes sources com- dans un programme d’enquêtes
des tribunaux, et aussi des pays
binées. Cela a été le cas par exemple directes, se pose la question du
européens comparés entre eux (pau-
pour l’étude des professions de maître d’œuvre de celles-ci, c’est-à- vreté, enquête « littératie »16, PIB par
santé, avec le rapprochement de dire des réseaux d’enquêteurs mobi- habitant en pouvoir d’achat).
l’enquête emploi de l’Insee, du réper- lisés à cet effet. Pour les respon-
toire ADELI (Automatisation Des sables interrogés, la solution idéale Cette montée des palmarès n’avait
Listes départementales des prati- serait le recours aux enquêteurs de été anticipée, au moins en France,
ciens détenues par les directions l’Insee. Mais, on le sait, celui-ci est par aucun statisticien, aucun écono-
départementales des affaires sani- très sollicité, et les SSM ont en géné- miste, ni même aucun sociologue.
taires et sociales), du fichier des ral recours à la sous-traitance à des Elle a eu des conséquences elles
praticiens de la Caisse nationale réseaux d’entreprises privées. Ils le
d’assurance maladie des travailleurs déplorent, car cela rend beaucoup
salariés et du fichier de l’Ordre des plus difficile le contrôle de la qualité
médecins. Du coup, il a été possible de la collecte sur le terrain. Il est dès
de confier la maîtrise d’ouvrage de lors vain de construire des plans de
certains fichiers aux organismes sondage sophistiqués si l’obtention
impliqués. Ainsi, le SSM peut se des réponses aux questionnaires
retirer de la gestion des répertoires, soulève des problèmes importants et
qui avait auparavant constitué une si, en plus, les responsables de la
façon pour lui de se rendre utile et de collecte n’en parlent qu’avec réti-
justifier son insertion dans le ministère cence.
concerné : une telle évolution est
significative d’une transformation Il y a sans doute là un domaine où
possible de l’identité des SSM. une plus grande coordination des
moyens et des recherches méthodo-
La création d’une direction d’études logiques pourrait être envisagée au
peut permettre aux statisticiens de sein du SSP. Du palmier à la palme, de la palme au palmarès
aussi inattendues, en donnant une ministère chargé de l’équipement est fébrilement attendue. Les « utili-
importance particulière à certains cri- souhaite disposer d’un outil lui per- sateurs » demandent désormais que
tères de la « qualité » en partie dis- mettant de suivre l’attribution des des procédures précises concernant
tincts de ceux qui prévalent dans permis de construire, qui relève les dates de sortie des chiffres soient
d’autres contextes d’usages, et encore de l’État régalien. Le SSM édictées à l’avance, afin que chacun
notamment celui de la « comparabi- était sollicité pour apporter un savoir- d’entre eux en dispose au même
lité », dans la mesure où les institu- faire technique, de gestion ration- moment, et que cette date ne soit
tions ou pays « mal classés » ont une nelle d’un système d’information. pas modifiée pour des raisons
irrésistible tendance à « rouvrir les Puis le contexte économique et d’opportunité19. De telles procédures
boîtes noires » pour en vérifier les administratif a changé, dans le sens de publication des chiffres, selon un
rouages. Dans d’autres types de la décentralisation et de la libéra- calendrier planifié à l’avance, ont été
d’usages, cette réouverture est rare- lisation. Du coup, les statistiques proposées par un groupe de travail
ment demandée, puisque la produites par le SSM servent à tout du CNIS sur « la clarté et l’accessibi-
confiance dans le contenu de la boîte autre chose. L’attribution des permis lité des données du système statis-
noire est plutôt une condition de la de construire est passée aux collec- tique public », dont un projet de rap-
bonne efficacité de l’argument quan- tivités locales. Leur statistique sert port a été présenté à l’Assemblée
titatif. Ces contestations offrent donc désormais à orienter des politiques plénière du Conseil le 7 décembre
de bonnes occasions pour mieux urbaines. Il ne s’agit donc plus (seu- 2001. Elles permettront de réguler
comprendre l’économie de l’argu- lement) d’alimenter le tableau de d’éventuels conflits avec des parte-
mentation statistique. Celle-ci sup- bord du ministre, mais aussi de naires tentés d’intervenir au coup par
pose implicitement la construction contribuer au processus de négocia- coup dans ces calendriers de publi-
d’un « espace conventionnel d’équi- tion partenariale et de contractualisa- cation.
valence », un travail social visible au tion que suivent désormais nombre
moment où il s’accomplit mais de projets publics. Ceci implique
ensuite encapsulé dans des procé- notamment que les produits du SSM La situation actuelle de maints SSM
dures techniques et donc rendu invi- sont à la disposition de l’ensemble peut être caractérisée en partie selon
sible, jusqu’à ce qu’à ce qu’une des protagonistes de ces projets, et leur position le long d’un continuum
contestation, soulevée par exemple non plus destinés seulement au qui relierait ces deux moments,
par la diffusion d’un palmarès, ministère de tutelle. Mais cela depuis l’offre à des interlocuteurs
entraîne sa remise en question inopi- implique aussi qu’il n’y a plus une encore sceptiques ou indifférents,
née17. Sans qu’ils l’aient vraiment instance précise qui demande, en jusqu’à l’attente impatiente de la
anticipé ou souhaité, les statisticiens fonction de ses seuls besoins, mais « sortie des chiffres » par des utilisa-
des SSM se sont trouvés (ou vont se un ensemble complexe de débats, teurs convaincus et ainsi enrôlés
trouver) confrontés à de telles ques- non nécessairement exprimés en dans l’idée que la statistique leur est
tions, soulevées avec vigueur par termes directement quantifiables. Le indispensable20. Au début, il s’agis-
ceux qui sont ainsi « classés ». Ces SSM doit donc se mettre en position sait de faire émerger progressive-
débats remettent en cause, d’une d’écoute, et de retraduction, afin de ment, non pas à proprement parler
certaine façon, la philosophie même pouvoir imaginer des outils à offrir une « demande », mais un langage
du travail statistique, orienté plutôt aux acteurs. Par exemple, à la suite capable de susciter l’accord entre
vers les agrégats, les moyennes, les des grèves des routiers de 1994, le des acteurs différents : « Oui, ce sont
évolutions conjoncturelles et les SES a proposé des enquêtes sur leur bien là des objets et des mesures
recherches de macro-causalités18. durée de travail, susceptibles d’ali- dont nous pouvons discuter, et qui
Par ailleurs, l’usage de collectes sta- menter la négociation et le suivi des nous aideront à dégager un accord. »
tistiques à de telles fins soulèvera « contrats de progrès sur le transport Ce n’est que quand cette étape est
inévitablement des problèmes de routier de marchandises » qui avaient franchie que l’on peut parler de
secret et de protection de la confi- résulté de ce mouvement social. « demande ». Ainsi par exemple a pu
dentialité des données. Il serait sou- être proposé un « tableau de bord
haitable que le SSP assoie des élé- social sur les transports routiers de
ments d’une doctrine commune à ce Cette politique d’offre et de négocia- marchandises ». Mais, on le devine,
sujet. tion vise à ajuster l’outil à l’état du grande est la diversité des situations
débat du moment. Elle propose aux dans cet univers où chaque SSM doit
Ce cas des palmarès est bien sûr acteurs un langage commun à tra- construire sa légitimité à travers une
extrême, avec une demande venue vers lequel ils peuvent se parler : la politique d’offre adaptée au contexte
complètement de l’extérieur. Il ne statistique publique a historiquement particulier. Les exemples fournis ci-
correspond quand même pas à l’his- souvent joué ce rôle. Le signe de la dessus à partir du cas du ministère
toire type d’un SSM, que l’on pourrait réussite de cette politique d’offre est chargé de l’équipement et des trans-
résumer de la façon suivante. Au que l’outil devient un point de pas- ports (permis de construire ou temps
départ, dans les années 60 et 70, sage obligé dans la suite des rela- de travail des routiers) sont tous
une administration a besoin d’amé- tions sociales à propos de ce deux fort spécifiques : leur analyse
liorer sa gestion. Par exemple, le domaine. Dès lors, cette statistique sociologique mériterait une investi-
20
Entre décentralisation et coordination
gation fouillée, replaçant ces deux la latitude et la capacité de produire tous les directeurs régionaux par une
statistiques dans les débats et négo- des statistiques spécifiques ou de lettre du directeur général. Même si
ciations autour de leurs usages. Il en descendre à un niveau géographique le souvenir de ces documents ne
va de même pour les autres SSM. plus fin, comme de réaliser des semble pas très précis dans l’esprit
Les visites effectuées ont montré études, sont le plus souvent très des chefs de SSM, l’idée de cette
cette grande diversité, qui rend faibles. Par ailleurs, des demandes collaboration reste bien présente, et
difficile une synthèse, au-delà du d’indicateurs peuvent se faire jour ils pensent qu’il est possible de faire
schéma historique simplifié proposé dans des domaines où il n’y a pas de encore des progrès en ce sens. La
ici. statisticiens en région, et où l’Insee mise en œuvre du projet « offre cohé-
n’a pas d’offre de données ; le SSM rente pour les régions » (OCRE), éla-
doit alors trouver des solutions origi- boré par la direction de la diffusion et
Au niveau local nales pour aider les institutions de l’action régionale (DDAR) de
régionales (cas de la culture par l’Insee, modifie le paysage, et devrait
Les SSM n’ont pas, sauf exception, inciter à relancer une réflexion com-
exemple). Mais ceci peut conduire
d’échelons régionaux à proprement mune à tout le SSP.
aussi à l’émergence d’observatoires,
parler, mais il existe pour certains
voire à la tentation de confier l’élabo-
domaines des statisticiens travaillant
ration de statistiques localisées à des La multiplication
dans des unités identifiées de direc-
institutions n’appartenant pas au des observatoires :
tions régionales ou départementales
SSP (cas du tourisme et de l’environ- un essai d’interprétation
et « dépendant fonctionnellement »
nement).
d’un service central. Le SCEES est le
L’intérêt développé depuis les
seul service à être représenté à la fois
Que ce soit pour la production de années 70 pour l’usage d’arguments
au niveau régional et au niveau
statistiques ou pour la réalisation et de raisonnements statistiques a
départemental, mais, surtout, il
d’études, la collaboration des éche- pris une forme qui a parfois décon-
constitue le seul cas où le périmètre
lons régionaux des SSM avec les certé les statisticiens : la multiplica-
du service statistique est défini par
directions régionales de l’Insee doit tion des « observatoires », dont les
un texte : en effet, un arrêté de 1985
être recherchée. Cette collaboration statuts, les structures et les activités
précise les rôles respectifs des ser-
n’est pas aussi évidente et sponta- sont extrêmement variés22. Au-delà
vices statistiques agricoles au niveau
née qu’il y paraît au simple énoncé : de la perplexité suscitée par l’appa-
central, au niveau régional et au
elle exige en effet des contacts et rente incohérence de ce foisonne-
niveau départemental, et la coordina-
des accords, formels ou pas, entre le ment, il est utile de s’interroger
tion au sein de l’ensemble. Les
directeur régional de l’Insee et les sur ses causes et sa signification.
autres SSM représentés au sein de autres directeurs régionaux concer- Le terme est apparu dans les
directions régionales sont le SES, la nés, et peut se heurter de plus à années 60, à la suite d’une proposi-
DARES et la DREES ; pour l’éduca- diverses contraintes liées aux modes tion de la DATAR (Délégation à l’amé-
tion nationale, des services statis- d’organisation, à des aspects tech- nagement du territoire et à l’action
tiques existent dans les rectorats. niques (incompatibilité de systèmes régionale) de créer des « obser-
Ces unités statistiques déconcen- informatiques par exemple), à des vatoires économiques régionaux »
trées sont donc sous l’autorité de difficultés créées par les divergences (OER), dans la foulée des premières
directeurs régionaux (ou de recteurs), dans le droit d’accès aux données, esquisses de décentralisation ré-
qui conçoivent et acceptent généra- etc. Cette question des relations gionale23. Rapidement reprise par
lement que le SSM « central » exerce entre les directions régionales de l’Insee, cette idée a conduit la créa-
une sorte de tutelle technique (pro- l’Insee et les « services extérieurs » tion de tels OER, rattachés adminis-
gramme statistique national) et des SSM avait été examinée de trativement aux directions régionales
assure une coordination des person- manière approfondie en 1994 par de l’Institut. Leurs concepteurs ini-
nels de ces unités. D’un strict point Gilbert Callais et Yves Robin (le pre- tiaux, à la DATAR puis à l’Insee, insis-
de vue juridique, ces unités ne font mier était à l’époque directeur régio- taient sur leur aspect « partenarial »,
cependant pas partie du SSM, sauf nal de l’Insee-Languedoc-Roussillon, sans que ce mot ait alors un contenu
dans le cas de l’agriculture, et ne le second était chargé de l’ex-SDISC,
peuvent pas par exemple bénéficier sous-direction de l’information sta-
de dispositions prévues par la loi de tistique sur la construction). La note
1951 (article 7bis notamment)21. qu’ils avaient produite a été discutée
par le CODIR (Conseil des directeurs
Le besoin de statistiques régionales régionaux de l’Insee) puis, à la suite
et locales se fait sentir dans un grand d’une réunion entre le CODIR et les
nombre de domaines. Elles s’élabo- chefs de SSM, un relevé de conclu-
rent généralement au travers d’un sions donnant des orientations géné-
programme national, pouvant être rales et des recommandations pour
mis en œuvre par les échelons le développement du système statis-
déconcentrés cités ci-dessus, mais tique public en région a été diffusé à
bien précis : « faire remonter la leurs problèmes. On peut donc pen- parfois difficiles. Mais ce problème
demande », « associer les utilisateurs ser que les projets apparemment semble finalement secondaire par
à la conception du système statis- utopiques des précurseurs des rapport à la signification plus géné-
tique », telles étaient quelques-unes années 60 et 70 étaient, d’une part, rale que l’on peut accorder à la mul-
des idées, très représentatives des prématurés, et, d’autre part, ini- tiplication des observatoires, qui est
années 70, qui circulaient alors chez tiés du mauvais côté, celui des un signe du succès de la statistique.
les promoteurs des OER. Ces obser- « offreurs ». Prématurés, parce qu’à En revanche, les statisticiens du SSP,
vatoires furent intégrés en 1992 aux cette époque n’existaient encore ni qu’ils soient à l’Insee ou en SSM,
nouveaux « services d’études et de les structures institutionnelles de la devraient pouvoir jouer auprès de
diffusion » des directions régionales décentralisation, qui ont multiplié les ces organismes, de tailles et de sta-
de l’Insee, et le terme disparut des lieux de négociations et de décisions tuts très variés (certains peuvent se
organigrammes de l’Insee, avant qu’il partenariales, ni les personnels for- réduire à une seule personne à
ne réapparaisse un peu partout dans més au maniement des statistiques. temps partiel), un rôle de conseil et
les années 90, sans que, cette fois, Initiés du mauvais côté, parce que ne de pédagogie sur les bonnes règles,
ni l’Insee ni les SSM n’y soient pour partant pas des utilisateurs éven- méthodologiques, juridiques et
quelque chose. Cette expérience, tuels, mais d’innovateurs un peu déontologiques, qu’implique la sta-
associée à celle des « systèmes marginaux appartenant au système tistique. Si par exemple des observa-
locaux d’information », avait fait l’ob- statistique public. Vingt ans plus toires entreprennent des collectes, il
jet, en 1985, d’un rapport extérieur tard, dans les années 1990 et 2000, est bon de leur signaler l’existence
demandé par la direction de l’Insee, les lois de décentralisation et la mon- des lois de 1951 et 1978 et de la
qui conduisit à réduire cette am- tée du rôle des collectivités locales CNIL (Commission nationale de l’in-
bition. La conclusion qu’en tira ont changé ce paysage : les acteurs formatique et des libertés), que sou-
Edmond Malinvaud, dans une note participant aux « tables rondes » vent ils ignorent, ou font parfois mine
d’avril 1985, est intéressante. Même réunies pour monter le financement d’ignorer. Les formules à rechercher
si elle ne porte pas directement sur d’un équipement public ont chacun sont à imaginer au cas par cas, tant
leur cas précis, cette note soulève besoin de « leur observatoire », qui les formes et les contenus de ces
des questions que les SSM peuvent les alimente en arguments et exper- observatoires sont variés et souvent
se poser aujourd’hui, précisément tises chiffrés. Ces observatoires sont fragiles, réduits quelquefois au
pour interpréter cette floraison plus structurés, soit par domaines, soit moment de l’annonce de leur créa-
récente des « observatoires », qui par territoires, soit par croisement tion, ce qui n’est pas une raison de
n’ont plus grand-chose de commun de ces deux critères. Partant des les traiter négligemment. Cependant,
avec ceux de l’Insee avant 1990. Elle « besoins des acteurs de terrain », ils il serait utile que l’ensemble du SSP
évoque le profil professionnel et le sont le signe que la statistique est élabore des éléments d’une doctrine
rôle social des statisticiens en ces devenue incontournable. Le fait que quant aux modalités souhaitables
termes : « Qu’on nous reconnaisse la ces acteurs se l’approprient dans des relations avec les observatoires.
neutralité est bon. Qu’on nous pré- leurs catégories d’action est plutôt
sente comme indispensable est déjà un signe de bonne santé. La statis-
suspect. Mais qu’on nous attribue la tique américaine s’est développée
Construction européenne
responsabilité de faire marcher des ainsi, de façon qu’on ne peut même
et paradoxe du statisticien
efforts de promotion du développe- pas qualifier de « décentralisée »,
d’études
ment local (ou du développement parce que personne n’en avait voulu
social des quartiers) me paraît tout à ni pensé le foisonnement débridé. Le SSP français est pratiquement le
fait abusif. Ce rôle actif n’a pas été Ceci ne signifie pas, bien sûr, qu’il seul qui, en Europe, soit organisé sur
dévolu à l’Insee. Ses cadres n’ont, soit pensable de renoncer au sys- le double principe de décentralisa-
sauf exception, ni la compétence ni le tème français de coordination et de tion et de coordination. Dans la plu-
charisme pour le tenir efficacement. » décentralisation, qui est un acquis part des autres pays européens,
précieux. Il vaut mieux chercher à l’activité statistique est en principe
établir de bonnes relations avec ces centralisée dans un INS, même si
En délimitant ainsi le domaine de observatoires, dans l’esprit de ce d’autres organismes que cet INS
compétence des statisticiens du système. peuvent avoir des attributions statis-
SSP, Malinvaud dessine en creux une tiques immergées dans leur activité
place pour d’autres organismes, principale. C’est également le cas
constitués à partir d’utilisateurs Cette profusion d’observatoires de pour la Commission européenne,
œuvrant dans des domaines précis. ceci ou de cela ne devrait pas dont la statistique est en principe
Pour ces utilisateurs, l’effort, mené effrayer les statisticiens des SSM, concentrée à Eurostat, mais où, de
depuis Sauvy et Closon pour même si, dans certains cas délicats, fait, nombre de questions qui, chez
convaincre des hommes (et des peuvent rester posés des problèmes nous, relèvent de la responsabilité
femmes) d’action qu’ils ont besoin d’organisation et d’articulation avec des SSM, sont traitées par diverses
de statistiques, a réussi : ils en rede- des organismes qui se dotent de cet DG (directions générales) autres
mandent en les formulant à partir de intitulé, et avec qui les relations sont qu’Eurostat. Ceci explique que, inter-
22
Entre décentralisation et coordination
rogés sur leurs relations avec les discussions et aux négociations sur toujours traité en tant que tel, et de
autres pays européens et avec les les « indicateurs » souhaités par les manière globale. Les résultats diffu-
institutions de l’Union, les respon- responsables des politiques euro- sés sont bien sûr accompagnés des
sables des SSM fournissent des péennes. Ceci peut conduire des métadonnées nécessaires à leur
réponses très variées, où souvent membres de ces directions à remplir compréhension, mais les processus
Eurostat ne joue pas un rôle impor- deux rôles en général disjoints. En de production sont quant à eux
tant, sinon aucun rôle. En effet, effet, la statistique officielle est le plus beaucoup moins souvent documen-
quand les questions chez nous trai- souvent organisée de façon telle que tés. Là où le besoin s’est réellement
tées par un SSM relèvent ailleurs sont séparées, d’une part, l’expression fait sentir, on a pu faire appel à l’Insee
d’un INS (ou d’Eurostat au niveau et la formulation plus ou moins expli- et adopter son système de docu-
européen), celles-ci peuvent n’avoir cite des « besoins d’indicateurs », et, mentation DDS (dispositif de docu-
aux yeux des responsables de cet d’autre part, leurs « mesures » effec- mentation structurée), en général
INS (ou d’Eurostat) qu’une impor- tives, dévolues à Eurostat ou aux INS. pour une partie de l’activité : c’est le
tance mineure, et être peu travaillées Cette dernière situation (la plus clas- cas du SESSI, de la DARES, de la
en tant que telles : c’est un domaine sique) fait penser à tous les cas, habi- DREES et du centre d’exploitation
parmi d’autres, traité de façon routi- tuels dans le monde anglophone, où statistique de la justice.
nière. Si en revanche elles sont vues des « théoriciens » ou « spécialistes
comme relevant du ministère d’un domaine » définissent des L’idée d’un partage au sein du SSP
concerné (ou de la DG bruxelloise « concepts », puis confient ensuite à d’un ensemble de méta-information
concernée), alors la préoccupation des statisticiens « méthodologues » la (concepts, définitions, nomenclatures,
statistique est mineure dans les acti- tâche de mesurer au mieux la variable méthodes), dont la mise en œuvre est
vités de cet organisme spécialisé sur ainsi « conceptualisée ». Un tel par- devenue possible techniquement,
un domaine. On voit a contrario, à tage des tâches suppose implicite- n’apparaît que timidement. Il semble
partir de cette analyse comparative, ment une épistémologie réaliste (l’ob- que, sur un tel sujet, et comme cela a
combien le système français est jet existe antérieurement à sa mesure), été le cas pour DDS, la concrétisation
original et finalement habile, puisqu’il et interdit de soulever la question de ne peut se faire qu’à partir de l’exis-
permet que des énergies soient savoir dans quelle mesure ce ne sont tence d’un outil, et que cet outil ne
spécifiquement consacrées à la pas les procédures mêmes du travail peut être développé et proposé que
statistique, dans l’environnement a statistique qui donnent, en partie au par l’institution qui a en charge la
priori impliqué et intéressé par le moins, leur consistance effective aux coordination, à savoir l’Insee.
domaine. Toutefois, cet avantage a mesures statistiques de ces objets24.
une contrepartie : quand survient A contrario, certaines personnes de
une demande de nature transversale ces directions (DREES et DARES), qui
Peut-on parler
relevant de la compétence de plu- participent aux deux rôles de concep-
d’une « identité collective »
sieurs de nos SSM (provenant tion et de mesure d’« indicateurs »
des membres du SSP ?
par exemple d’Eurostat), la mise en pertinents pour les besoins des poli-
œuvre d’un dispositif d’observation tiques européennes, expriment expli- À la différence de ce qui se passe
nouveau est plus lourde et complexe citement, au cours des entretiens, la dans nombre d’autres pays, les sta-
qu’avec un système complètement tension qu’elles ressentent lors des tisticiens qui travaillent dans le SSP
centralisé. négociations à Bruxelles. En effet, à la français, bien que répartis entre
différence de leurs collègues, elles l’Insee et dix-neuf SSM, ont beau-
Un cas particulier intéressant est celui imaginent immédiatement, au cours coup de choses en commun. En
où le SSM est rattaché à une direction de la négociation, ce que seront les général sortis des mêmes écoles
d’études et de recherche ou se difficultés de la mesure statistique (ENSAE et ENSAI), ils sont donc
confond avec elle (par exemple la concrète des indicateurs dont les dotés d’une forte culture technique
DARES ou la DREES), et où, en autres rêvent. Ceci pourrait conduire à commune. Leurs carrières sont
conséquence, cette direction est évoquer une forme de schizophrénie, gérées centralement, à travers
amenée à participer directement aux ou au moins une sorte de « paradoxe notamment un système de règles de
du statisticien », tendu entre la mobilité qui leur permet de circuler
conceptualisation et le travail de ter- entre les différents segments du SSP.
rain. L’intérêt de rapprocher statis- Cette gestion et cette mobilité susci-
tiques et études est de rendre plus tent une grande partie des échanges
visibles de telles questions. entre l’Insee et les SSM, et nos inter-
locuteurs en ont bien sûr parlé, tant
ces questions sont importantes pour
Les NTIC la bonne marche quotidienne de leurs
et la méta-information services. En particulier, beaucoup se
plaignent que l’Insee ne parvienne
Le problème de la méta-information pas toujours à répondre à la
ou de la documentation n’est pas demande, tant celle-ci s’est accrue.
Cette question pose indirectement principe définis par leur formation dispensée par l’ENSAE et l’ENSAI
celle de l’identité professionnelle des commune à l’ENSAE et à l’ENSAI. n’est jamais évoqué lors des discus-
statisticiens en poste dans les SSM Mais, on le sait, la formation à sions sur le fonctionnement du SSP,
et donc celle de la « substituabilité » l’ENSAE ne contient aucune intro- que ce soit à l’Insee ou dans les
éventuelle des personnels de l’Insee duction à la spécificité du travail SSM. Ceci est étrange, mais n’est
mis à disposition ou détachés dans dans la statistique publique, estimée pas spécifique aux SSM. Un des
des ministères par des cadres appar- devoir être acquise « sur le tas » lors thèmes de réflexion transversale à
tenant à d’autres corps. La question des premiers postes. Pour les atta- l’ensemble du SSP pourrait porter
se pose par exemple pour certains chés, existe depuis 1998 une « for- sur ce point.
personnels de l’Insee envoyés dans
mation diplômante des attachés »,
des échelons départementaux ou Michel BLANC
dispensée à l’ENSAI à Ker-Lann, à
régionaux des SSM (déjà évoqués et Alain DESROSIÈRES
temps partiel pendant les cinq pre-
ci-dessus) : agriculture (117), éduca- Insee
mières années de vie active des atta-
tion (43), équipement (35), santé et Direction générale
protection sociale (34), travail et chés. Interrogés sur cette nouvelle
DCSRI
emploi (25), environnement (6), soit formule, les responsables des SSM y
en tout 260 personnes dont les voient surtout la ponction de force de Michel Blanc
travail qu’elle leur impose régulière- est chef de l’Unité des normes
tâches peuvent être parfois éloignées et systèmes d’information ;
du travail statistique classique25. ment pour plusieurs semaines, et ne Alain Desrosières
font pas allusion à l’apport éventuel est chargé de mission
auprès du directeur
Les profils professionnels des cadres de la « formation diplômante ». Il est de la coordination statistique
de l’Insee en poste en SSM sont en vrai que le contenu de la formation et des relations internationales.
Notes
1. Le SNS avait aussi pour but de reconstituer de façon clandestine des fichiers de mobilisation, au cas où les combats contre les Allemands auraient
repris. Ceci est une autre histoire étudiée dans divers travaux récents.
2. Celles des statisticiens des directions régionales de l’Insee sont encore différentes : certaines de leurs caractéristiques, telles que les contacts plus
étroits avec des interlocuteurs différents, les rapprochent des statisticiens des SSM.
3. Ce projet était en tous cas beaucoup moins utopique que celui que les statisticiens néerlandais ont longtemps défendu (et défendent encore) d’un
système complètement intégré de toutes les données macro et micro, qui serait bâti à partir, d’une part, des fichiers administratifs, et, d’autre part, d’en-
quêtes par sondage quadrillant les zones du monde social non reflétées par ces fichiers (cf. Alain Desrosières, « La statistique aux Pays-Bas : informa-
tisation et intégration, un projet futuriste », Courrier des statistiques, n˚ 91-92, décembre 1999). Il faut noter que le système statistique néerlandais est
complètement centralisé, et ne comporte pas de SSM. Dans le cas français, ceux-ci constituent un bon outil de rappel à la réalité, immunisant contre
les constructions trop abstraites et utopiques.
4. Le Courrier des statistiques, la revue d’information commune à tout le SSP, joue aussi un rôle important d’échange d’informations, et, par là, de coor-
dination. Elle est malheureusement trop peu connue de nos confrères de l’Université et de la recherche : ceux-ci ne perçoivent souvent de la statistique
que son volet mathématique, et méconnaissent largement l’« amont de la boîte noire » que constitue le SSP. C’est moins vrai dans le monde anglo-
saxon, où les statisticiens universitaires ont de fréquentes relations contractuelles avec les INS, et en connaissent donc souvent bien les problèmes
spécifiques, qui ne sont pas seulement mathématiques.
5. Pour l’Insee : le directeur des statistiques d’entreprises, les chefs des départements « système statistique d’entreprises », « industrie et agriculture »,
« activités tertiaires » (départements de la DSE), « emploi et revenus d’activité » (DSDS), « coordination statistique » (DCSRI). Pour les SSM : les chefs
du SESSI (industrie), du SCEES (agriculture), du SES (équipement), de la DARES (travail et emploi) et des Douanes.
6. Cf. Michel Hébert, « Des séminaires sur la statistique d’entreprises, pour quoi faire ? », Courrier des statistiques, n˚ 95-96, décembre 2000.
7. L’expression d’« ingénierie statistique » est parfois employée dans ce cadre. Ce vocable d’« ingénierie » a le mérite d’attirer l’attention sur un
ensemble de questions plus vastes que la « méthodologie » (souvent perçue à tort seulement dans sa composante mathématique) et renvoyant à des
activités diverses souvent très concrètes, telles qu’en rencontrent des ingénieurs de production. Le data editing des statisticiens anglophones, auquel
aucun mot français ne correspond précisément (cette expression recouvre en gros le contrôle et l’apurement des fichiers), est inclus dans ce concept
d’« ingénierie ».
8. On peut s’en faire une idée en évoquant par exemple l’histoire compliquée des débats qu’a entraînés, dans les années 80 et 90, la mise en place,
dans le domaine de la santé publique, du « programme de médicalisation des systèmes d’information » (PMSI), d’abord en « médecine, chirurgie, obs-
tétrique » (MCO) puis, plus récemment, en psychiatrie. Ce programme visait précisément à trouver des moyens de quantifier les activités hospitalières,
afin de répartir les enveloppes budgétaires. Conçu initialement par la Direction des hôpitaux (DH), il est aujourd’hui suivi par la DREES pour ce qui
concerne ses retombées statistiques.
9. On pourrait notamment envisager que des recherches empiriques coordonnées, par exemple par un appel d’offres du service d’évaluation et de
modernisation de l’État (service du Commissariat général du Plan), soient menées sur les circuits d’usages de la statistique publique, un domaine encore
largement vierge, tant en France que dans le monde anglophone.
10. Sont ici mentionnées les appellations administratives des SSM et de leurs directions de rattachement, pour suggérer la diversité des cas. Cela n’in-
forme bien sûr que modérément sur leurs contenus et sur la place effective des études dans ces organigrammes.
11. Jusqu’à mai 2002, la DARES et la DREES étaient rattachées à un seul et même ministère (Emploi et Solidarité).
12. Les principes de construction et d’usage des « systèmes d’information » font l’objet d’une abondante littérature, dont on trouve de bons exemples
sur le site Web de Michel Volle : www.volle.com.
24
Entre décentralisation et coordination
L’ENSAI
13. Les statisticiens qui ont eu, parfois récemment, à créer de toutes pièces, c’est-à-dire inventer, un SSM, se sont trouvés dans une situation ana-
logue à celle de certains coopérants qui, dans des pays en développement, ou plus récemment dans les pays dits « en transition », ont eu à contribuer
à la mise en forme ou à la réforme d’organisations statistiques pourtant fortement contraintes, par les règles et les demandes du Fonds monétaire inter-
national, de la Banque mondiale, ou de l’Union européenne.
14. Mutatis mutandis, la même analyse est sans doute valable pour les directions régionales de l’Insee et pour les SSM.
15. Plus récemment, ont même été expérimentées, dans certains pays, des enquêtes auprès d’échantillons d’individus garantis d’un total anonymat
sur leurs propres éventuelles activités délictueuses.
16. Mot inspiré de l’anglais literacy pour parler de la compétence en lecture et écriture.
17. Les travaux d’« harmonisation européenne » entrepris depuis le début des années 90 soulèvent ce genre de question, notamment à travers la dis-
tinction entre « harmonisation des produits » et « harmonisation des méthodes ». En effet, la logique de la comparabilité est très différente selon que
l’on a opté pour l’une ou l’autre de ces procédures d’harmonisation, puisque, dans le premier cas, on s’interdit de comparer les procédures de mesure.
Les débats de plus en plus fréquents portant sur des « classements » des pays selon tel ou tel critère risquent de multiplier ce type d’interrogation.
18. Plus qu’en France, les statisticiens des pays anglophones avaient déjà, dans le passé, travaillé ces questions de classement, au moins d’un point
de vue technique. La statistique mathématique de Francis Galton et Karl Pearson était issue, dans les années 1870 à 1900, du souci de classer les indi-
vidus selon des « aptitudes » supposées héréditaires. En sont sortis des outils comme la médiane, les fractiles, la corrélation, la régression, l’analyse
factorielle des psychologues, et, plus tard, les « statistiques de rang », considérées comme plus « robustes ».
19. Aux États-Unis, les moments de sortie de certains indicateurs conjoncturels (inflation, chômage, commerce extérieur) sont prévus à la seconde près,
car ils ont un effet immédiat sur les mouvements de la bourse. Il faut donc que tous les acteurs de celle-ci en soient informés en même temps.
20. On peut imaginer l’ampleur qu’a constituée cette tâche de conviction pour l’Insee des années 50, en rappelant ce mot continuellement répété par
F.-L. Closon, le directeur général de l’époque : « Il faut remplacer la France des mots par la France des chiffres. » Mais il ne faut pas oublier que les
chiffres reposent sur des conventions qui ne peuvent s’exprimer que par des mots.
21. Aux termes de cet article, les informations relatives aux personnes physiques, à l’exclusion des données relatives à la santé ou à la vie sexuelle, et
celles relatives aux personnes morales, recueillies dans le cadre de sa mission, par une administration, un établissement public, une collectivité territo-
riale ou une personne morale de droit privé gérant un service public, peuvent être cédées, à des fins exclusives d’établissement de statistiques, à
l’Institut national de la statistique et des études économiques ou aux services statistiques ministériels.
22. Cette multiplication des observatoires a fait l’objet d’un rapport de Jean Rouchet pour le CNIS : « Les observatoires économiques et sociaux », rap-
port du CNIS n˚ 53, septembre 1999.
23. Voir à ce sujet la thèse de Fabrice Bardet : « La statistique au miroir de la région. Éléments pour une sociologie historique des institutions régio-
nales du chiffre en France depuis 1940 », soutenue à l’université de Paris I en septembre 2000. Cette thèse contient aussi beaucoup d’informations sur
la régionalisation des statistiques du ministère chargé de l’équipement.
24. De telles questions sont pourtant régulièrement soulevées, par exemple à propos de la mesure du chômage, sans parler des cas plus récents, déjà
évoqués, comme les comparaisons de « littératie » ou de PIB par habitant en pouvoir d’achat. Un intérêt de la construction d’un système statistique
européen est de ressusciter de telles questions de fond, parfois enfouies dans le travail statistique quotidien.
25. Une circonstance pourrait être utilisée pour recueillir des informations sur les activités des attachés envoyés dans tous les segments du SSP : les
concours d’accès au grade d’« attaché principal » mobilisent beaucoup de temps et d’énergie, tant pour les candidats que pour les membres du jury.
De l’avis de nombre de ces derniers, les oraux de ces concours sont une occasion unique d’entendre parler de ce qui se passe dans les SSM, même
si les candidats cherchent, ce qui est naturel, à apparaître sous leur meilleur jour.
Les associations intervenant auprès formation dans les domaines mal étrangères, choisies en raison de leur
des populations en difficulté avaient couverts ; compétence ou de leur fonction.
exprimé les premières, et à plusieurs
- présenter chaque année dans un
reprises, leur besoin de mieux Les sept membres de droit sont le
rapport public les données rassem-
connaître l’ensemble des travaux directeur général de l’Insee, le com-
blées.
relatifs à la pauvreté et à l’exclusion missaire général au Plan, le directeur
afin d’éclairer leur action sur le ter- de la recherche, des études, de
Sa composition et ses conditions de
rain. Relayée par le Conseil écono- l’évaluation et des statistiques au
fonctionnement ont été précisées par
mique et social, cette demande a ministère chargé des affaires so-
le décret n˚ 99-215 du 22 mars
ensuite été approfondie par le CNIS, ciales1, le directeur de l’animation de
1999, suivi d’un arrêté du 9 octobre
Conseil national de l’information sta- la recherche, des études et des
2002.
tistique, lequel préconisait en mars statistiques au ministère chargé du
1998 de « mettre en place une struc- travail et de l’emploi2, le directeur de
ture légère qui aurait pour fonction Des membres de droit la prévision au ministère chargé de
tant d’organiser la synthèse et la dif- et des personnalités l’économie et des finances et le
fusion de l’information sur la pauvreté qualifiées directeur de la Caisse nationale des
et l’exclusion sociale que d’impulser allocations familiales (ou leurs repré-
le développement de la connais- Outre son président, nommé pour sentants), enfin le président du
sance sur ces domaines ou sur des trois ans par le ministre chargé des Conseil national des politiques de
angles d’approche mal couverts ». affaires sociales, l’Observatoire lutte contre la pauvreté et l’exclusion
national de la pauvreté et de l’ex- sociale (CNLE).
Créé par l’article 153 de la loi n˚ 98- clusion sociale comprend sept
657 du 29 juillet 1998 relative à membres de droit et quatorze per- L’Observatoire est actuellement pré-
la lutte contre les exclusions, sonnalités qualifiées, acteurs de ter- sidé par Bertrand Fragonard, prési-
l’Observatoire national de la pauvreté rain, universitaires ou chercheurs, dent de la 2e chambre à la Cour des
et de l’exclusion sociale a été installé elles aussi nommées pour trois ans comptes, nommé le 9 octobre 2002 à
en juin 1999 avec une quadruple par le ministre des affaires sociales. Il la suite de Marie-Thérèse Join-
mission : peut associer à ses travaux des per- Lambert.
sonnalités extérieures, françaises et
- rassembler, analyser et diffuser les 1. La Direction de la recherche, des études, de
informations et données relatives aux l’évaluation et des statistiques (DREES) est le
SSM (service statistique ministériel) « Santé et
situations de précarité, de pauvreté protection sociale ». Elle est placée sous la
et d’exclusion sociale ainsi qu’aux double autorité du ministre des Affaires
politiques menées en ce domaine ; sociales, du Travail et de la Solidarité et du
ministre de la Santé, de la Famille et des
Personnes handicapées.
- faire réaliser des travaux d’études, 2. La Direction de l’animation de la recherche,
de recherche et d’évaluation ; des études et des statistiques (DARES) est le
SSM « Travail, emploi et formation profession-
11, place des Cinq martyrs du lycée Buffon nelle ». Elle est placée sous l’autorité du
- contribuer au développement de la 75696 Paris Cedex 14 ministre des Affaires sociales, du Travail et de
connaissance et des systèmes d’in- www.social.gouv.fr/htm/pointsur/onpes la Solidarité.
Le Premier ministre,
Décrète :
Art. 1er. - L’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, institué par l’article 153 de la loi du
29 juillet 1998 susvisée, comprend :
1˚ Un président nommé pour trois ans par arrêté du ministre chargé des affaires sociales ;
2˚ Sept membres de droit :
a) Le directeur général de l’Institut national de la statistique et des études économiques, ou son représentant ;
b) Le commissaire général au Plan, ou son représentant ;
c) Le directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques au ministère chargé des affaires
sociales, ou son représentant ;
d) Le directeur de l’animation de la recherche, des études et des statistiques au ministère chargé du travail et
de l’emploi, ou son représentant ;
e) Le directeur de la prévision au ministère chargé de l’économie et des finances, ou son représentant ;
f) Le directeur de la Caisse nationale des allocations familiales, ou son représentant ;
g) Le président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale ;
3˚ Sept personnalités qualifiées, ayant concouru ou concourant par leur action à l’insertion et à la lutte contre
les exclusions, nommées pour trois ans par arrêté du ministre chargé des affaires sociales ;
4˚ Sept personnalités qualifiées, parmi les universitaires et chercheurs dont la compétence est reconnue dans
le domaine de la pauvreté et de la lutte contre les exclusions, nommées pour trois ans par arrêté du ministre
chargé des affaires sociales.
Art. 2. - L’Observatoire définit chaque année un programme de travail qui précise notamment les études qu’il
fait réaliser. Ce programme de travail est élaboré en tenant compte des avis et recommandations formulés par
le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
Art. 3. - L’Observatoire peut convenir de programmes d’études avec tout organisme public ou privé, départe-
mental ou régional, dont la mission est l’observation des situations de pauvreté et d’exclusion. Il peut associer
à ses travaux des personnalités extérieures, françaises et étrangères, qu’il choisit en raison de leur compé-
tence ou de leur fonction.
Art. 4. - L’Observatoire se réunit au moins deux fois par an sur convocation de son président ou à la demande
du ministre chargé des affaires sociales. Il peut également être réuni sur demande du tiers de ses membres.
La direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère des affaires sociales
assure le secrétariat de l’Observatoire.
Art. 5. - La ministre de l’emploi et de la solidarité est chargée de l’exécution du présent décret, qui sera publié
au Journal officiel de la République française.
Lionel Jospin
Par le Premier ministre :
28
L’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale
30
L’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale
Un savoir partagé
L’Observatoire, ce sont vingt-trois membres1 qui cherchent ensemble les meilleures voies pour améliorer la connais-
sance des phénomènes de pauvreté et d’exclusion.
D’origines, de compétences, de sensibilités différentes, ils débattent, proposent, critiquent ; et de cette discussion,
reprise chaque mois, naît une alchimie à bien des égards exceptionnelle.
- travailler en réseau avec tous les acteurs susceptibles d’apporter la connaissance, sans souci de s’approprier un
« territoire » ;
- agir sur le long terme, afin que les grandes enquêtes et les programmes de recherche intègrent du mieux possible
les populations pauvres et exclues, ou, si elles ne peuvent le faire, marquent clairement leurs limites à cet égard ;
- mettre l’accent sur les aspects qualitatifs des phénomènes tout en respectant les exigences de rigueur scientifique,
et pour cela inventer des méthodes nouvelles associant les acteurs de terrain ;
- intégrer en permanence dans les réflexions l’analyse des processus et des trajectoires et la référence aux problé-
matiques économiques et sociales d’ensemble, notamment les phénomènes d’inégalités.
Ainsi se sont progressivement imposées nos priorités depuis notre installation en juin 1999.
Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) nous apporte l’aiguillon de
ses demandes d’information et son souci d’améliorer les politiques mises en œuvre.
Le premier rapport 2000 permettra, avant la fin de l’année, de mieux faire savoir où nous en sommes. Il fera le point
sur l’état de la pauvreté et de l’exclusion dans notre pays et dans quelques pays étrangers et donnera les résultats
des enquêtes que nous avons lancées. Ce rapport sera une première occasion d’échanges avec tous les partenaires
concernés. Un rendez-vous important pour valider et perfectionner les orientations et les méthodes que nous nous
sommes dans un premier temps fixées.
Marie-Thérèse JOIN-LAMBERT
Marie-Thérèse Join-Lambert a été la première présidente (1999-2002)
de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale.
1. Soit les vingt-deux membres prévus par l’article 1er du décret du 22 mars 1999, auquel s’ajoutait, à l’époque où avait été rédigé cet éditorial,
une personnalité associée.
... et constitution
Les services d’aide aux personnes en difficulté retenus
dans le champ de l’enquête :
de la base de sondage
34
L’enquête de l’Insee auprès des usagers des services d’aide
1. Les enquêtes dans l’agglomération parisienne ont été partagées entre quatre DR : Île-de France, Centre, Champagne-Ardenne
et Haute-Normandie.
midi ou du soir) et restauration itiné- services seraient en effet visités plu- Les enquêteurs devaient procéder à
rante (de midi ou du soir). Une même sieurs fois). des remplacements au cas où l’usa-
structure pouvant bien sûr offrir plu- ger associé à la prestation enquêtée
sieurs types de services, notre base refuserait de répondre, ou s’il ne par-
Troisième degré
de sondage comportait au total lait pas français, ou encore s’il s’avé-
de sondage :
2 398 services, le terme de service rait « injoignable » (l’hypothèse est
les prestations servies
devant ici se comprendre comme un bien sûr celle d’une prestation tirée
service de type donné proposé par Le troisième degré de sondage s’ap- au sort dans une liste d’usagers).
une structure donnée (exemples : pliquait aux prestations servies : 2 ou Toutefois, à la 5e tentative infruc-
service d’hébergement regroupé pro- 4 prestations par unité « service x tueuse, le questionnaire devait être
posé par la structure X, service de jour d’enquête » (soit, en première considéré comme perdu.
restauration fixe proposé par cette estimation et compte tenu des infor-
même structure X, service d’héber- mations qui avaient été collectées
gement dispersé proposé par la lors de l’enquête téléphonique de
À propos de la méthode
structure Y, etc.). mars 2000, un taux de sondage
du partage des poids
moyen d’environ 10 %) à tirer au
Le poids élémentaire des prestations
sort sur place le jour même de l’en-
Second degré quête à l’aide d’une table de tirage :
enquêtées un jour donné dans une
de sondage : 4 dans le cas le plus général, 2 seu-
structure donnée au titre d’un service
services x jours d’enquête lement s’agissant de la mise à dispo-
donné est le résultat de la division,
par le nombre de ces prestations
sition d’une chambre d’hôtel louée
Les unités échantillonnées au enquêtées, du nombre total de pres-
par une association ou un organisme
second degré de sondage apparte- tations servies ce même jour dans
public ou de la mise à disposition
naient à l’ensemble constitué du pro- cette même structure au titre de ce
d’une place réservée à l’urgence
duit cartésien « service x jour d’en- même service, information qu’il fallait
dans un foyer de jeunes travailleurs,
quête ». Préalablement au tirage, la donc collecter.
un foyer de travailleurs migrants ou
base de sondage avait été stratifiée
une résidence sociale7.
par type de services, et, pour les ser- Appuyé sur la méthode du partage
vices d’hébergement, par type de des poids [Ardilly & Le Blanc, 2001 ;
public accueilli (homme seul, femme Lavallée, 1995], le calcul des pondé-
seule, accueil mixte). rations élémentaires afférentes aux
personnes à qui avaient été servies
Le tirage au sort a été effectué pro- ces prestations enquêtées appelait la
portionnellement à la fréquentation collecte d’une deuxième information :
moyenne journalière telle qu’elle le nombre de fois où ces personnes
avait été déclarée lors de l’enquête avaient recouru, au cours d’une
téléphonique de mars 2000, déflatée période de référence, à un service
de la probabilité de tirage de l’agglo- d’hébergement ou à une distribution
mération. Pour des raisons de charge de repas chauds.
de collecte, l’agglomération pari-
sienne, qui représentait plus du tiers Dans la pratique, cette « intensité de
de la base de sondage, a toutefois fréquentation » a été mesurée sur
été sous-échantillonnée. une période d’une semaine, celle
précédant le jour d’enquête, au
Au final, a ainsi été constitué un moyen d’un « semainier » intégré au
échantillon de 1 225 unités « service questionnaire d’enquête. Ce ques-
Naturellement, « enquêter des pres- tionnement complémentaire visait
x jour d’enquête », correspondant à
tations servies » revenait en pratique plus précisément à dresser la liste
903 services distincts (certains gros
à enquêter les bénéficiaires des pres- des lieux où avait mangé et dormi la
tations en question. Ces « presta- personne pendant la semaine consi-
tions enquêtées » ont été sélection- dérée8.
7. Cette règle des 2 ou 4 prestations enquê- nées, soit par tirage au sort dans la
tées n’était toutefois pas intangible. Le liste des usagers du service, soit, en
nombre des prestations à enquêter avait en
effet été fixé à 8 ou 12 pour les plus grosses
l’absence d’une telle liste (le cas est Préparation et organisation
unités « service x jour d’enquête », et même essentiellement celui des distribu- de la collecte
à 16 s’agissant des repas de midi servis par tions de repas chauds), en fonction
l’espace social du grand Ramier à Toulouse.
8. Il aurait été souhaitable de faire porter ce du rang de passage des usagers à un Une organisation originale reposant
questionnement complémentaire sur une point obligé : porte d’entrée, porte de sur un travail en équipe a été mise en
période plus longue, mais les effets de
mémoire auraient alors nui à la qualité des
sortie ou table de distribution des place à la suite de 6 tests menés
données. repas. dans 7 directions régionales et por-
36
L’enquête de l’Insee auprès des usagers des services d’aide
Pendant la période de référence de l’enquête, a été servi un total de dix prestations, cinq relatives à des ser-
vices d’hébergement, notées H1 à H5, et cinq relatives à des services de restauration gratuite, notées R1 à R5.
On a tiré au sort cinq de ces prestations, H1, H2, R2, R3 et R4, toutes avec une même probabilité de tirage
égale à 5/10 = 1/2.
Quatre personnes, dont l’une a donc été touchée deux fois, ont été enquêtées au titre de ces cinq prestations :
P1 au titre de H1, P2 au titre de H2 et R2, P3 au titre de R3, P4 au titre de R4. Cette dernière personne P4 a
par ailleurs déclaré avoir bénéficié, pendant la période de référence de l’enquête, de deux autres prestations.
En revanche, les personnes P1, P2 et P3 ont déclaré n’avoir bénéficié d’aucune autre prestation que celles au
titre desquelles elles ont été enquêtées.
Au total, les quatre personnes enquêtées ont donc bénéficié de sept prestations.
En application de la méthode du partage des poids, le poids d’un individu est égal à la somme des poids des
prestations au titre desquelles il a été enquêté divisée par le nombre total de prestations qui lui ont été servies.
Sous cette hypothèse et puisque toutes les prestations enquêtées sont affectées d’un même poids, en l’oc-
currence 10/5 = 2, les poids de P1 et P3 sont égaux à 2 de même que celui de P2 (égal à 4/2). Le poids de
P4 s’établit quant à lui à 2/3.
Le nombre total de personnes ayant bénéficié d’au moins une prestation pendant la période de référence de
l’enquête sera ainsi estimé à 2+2+2+2/3 = 6,67. Ce résultat est à rapprocher d’un maximum théorique de 7 (cas
où les 3 prestations restantes auraient été servies à 3 personnes différentes) et d’un minimum théorique de 5
(cas où ces 3 prestations auraient été servies à une seule et même personne).
Supposons à présent que l’on n’ait pas su ou pu établir que les prestations H2 et R2 avaient été servies à une
seule et même personne, et que l’on ait donc considéré avoir enquêté cinq personnes : P1 au titre de H1, P2
au titre de H2, P3 au titre de R3, P4 au titre de R4, et une cinquième personne P5 au titre de R2.
Dans ce cas, puisque les personnes P2 et P5 ont (normalement) toutes deux déclaré avoir bénéficié d’une
deuxième prestation pendant la période de référence de l’enquête, le nombre total de personnes ayant béné-
ficié d’au moins une prestation pendant cette même période continuera d’être estimé à 6,67 : les poids de P1,
P3 et P4 demeurent inchangés, celui de P2 devient égal à 1, et s’ajoute celui de P5, lui aussi égal à 1.
tant sur un total de 300 question- été jugé utile ou très utile par 95 % Sur le terrain
naires. À l’issue de ces tests, il avait des personnes formées.
en effet été décidé que chaque
équipe d’enquête comprendrait un S’agissant du travail spécifique des Si la répartition des tâches entre
enquêteur « échantillonneur », char- enquêteurs échantillonneurs, l’ac- enquêteurs échantillonneurs et
gé de la sélection des personnes à cent avait été mis sur les difficultés enquêteurs interviewers était en
interroger et du dénombrement des que pourrait présenter le dénombre- principe strictement définie, sur le
prestations servies, et un ou deux ment des prestations en l’absence terrain, la souplesse a souvent
enquêteurs « interviewers » : un seul d’une liste d’usagers. Il leur avait par été de mise, échantillonneurs et
en cas d’existence d’une liste d’usa- ailleurs été demandé de veiller à ne interviewers se prêtant mutuellement
gers (l’échantillonneur aurait alors le pas succomber à la tentation d’intro- la main chaque fois que possible.
temps d’également participer à la duire, face à un public a priori diffi- Une fois sur quatre (sur un total
réalisation des enquêtes), deux dans cile, une part de subjectivité dans la de 1 036 visites), les interviewers
le cas contraire. sélection des personnes enquêtées. ont en effet aidé les échantillonneurs
à prendre contact avec les per-
Chacun des 903 services échan- sonnes sélectionnées ; une fois sur
Une attention particulière a été accor- tillonnés a fait l’objet d’une pré- dix, ils les ont aidés au dénom-
dée à la formation : 3,5 jours pour les visite : 57 ont été éliminés, certains brement. À l’inverse, quand les
135 échantillonneurs, 2,5 jours pour parce qu’ils avaient définitivement contraintes de temps étaient fortes
les 190 interviewers. À chaque fois, fermé depuis la constitution de la (dans les soupes itinérantes, où le
des opérations « à blanc » dans des base de sondage, les autres parce service est très rapide), les échan-
centres d’accueil de jour ont été qu’ils n’entraient plus dans le champ tillonneurs ont participé au travail
menées. Cet entraînement in situ a de l’enquête. d’interview.
Les cas de refus de coopération des Une enquête plutôt Les effets de mémoire
services tirés au sort ont été extrê- bien acceptée sur la qualité du semainier
mement peu nombreux (1 %). Ce
faible taux de refus s’explique par le D’après les appréciations des enquê- Toujours selon les enquêteurs, 4 %
soutien des principales associations, teurs, le dialogue avec les usagers des répondants ont eu des difficultés
consultées tout au long de la prépa- s’est presque toujours bien passé à se remémorer les lieux où ils
ration de l’enquête, par l’impact des (dans 97 % des cas), et, le plus sou- avaient dormi pendant la semaine
pré-visites, par la forte motivation vent, un climat de confiance s’est précédant le jour de l’enquête, 11 %
des enquêteurs et par la mobilisation installé au fil de l’entretien : si en effet ont eu du mal à se souvenir où ils
des responsables régionaux de 19 % des personnes enquêtées avaient pris leurs repas lors de cette
l’enquête qui ont accompagné les avaient manifesté une certaine même semaine. Ce phénomène
enquêteurs dans les services jugés a défiance au début de l’entretien, elles d’oubli a été plus ou moins marqué
priori les plus « difficiles ». n’étaient plus que 8 % à continuer selon le type de service : 6 % seule-
d’exprimer un sentiment de suspi- ment des personnes enquêtées dans
Au final, 95 % des visites ont eu lieu cion à l’issue de l’interview ; les trois- un service d’hébergement dispersé
à la date prévue. Le dénombrement quarts d’entre elles ont bien ou très ou non urgent ont eu de la peine à
des prestations a pu s’effectuer dans bien compris les questions, seule- répondre aux questions relatives aux
de bonnes conditions dans 88 % ment 4 % les ont mal interprétées. repas contre 32 % pour les per-
des services visités. Dans 87 % sonnes rencontrées dans une soupe
d’entre eux, les prestations enquê- Quelques difficultés ont toutefois été itinérante du soir et jusqu’à 37 %
tées ont pu être effectivement sélec- mentionnées dans les restaurations pour les personnes qui la veille
tionnées au moyen de la table de itinérantes où 10 % des entretiens se avaient dormi dans la rue.
tirage. sont avérés très tendus voire ont dû
être interrompus avant terme : les Le remplissage des semainiers a
raisons les plus fréquemment invo- donc nécessité des efforts de
La non-réponse quées par les enquêteurs sont la mémoire. Toutefois, les taux de non-
individuelle prise d’alcool, de drogue ou de réponse apparaissent au final relati-
médicaments. vement peu élevés.
38
L’enquête de l’Insee auprès des usagers des services d’aide
Références bibliographiques
Méthodologie
Ardilly P. & Le Blanc D., Échantillonnage et pondération d’une enquête auprès de personnes sans domicile :
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Brousse C., de la Rochère B. & Massé E., L’enquête auprès des sans-domicile usagers des services d’hé-
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Résultats
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Marpsat M., Les plus de 50 ans utilisateurs des lieux de distribution de repas chauds ou des centres d’hé-
bergement pour sans-domicile, Gérontologie et société, n˚ 102, septembre 2002.
40
Les « indices additifs »
Une autre approche de la théorie des indices
et de l’étude du chaînage1
En 1995, la France a produit 29,462 millions de tonnes de blé tendre, avec une surface cultivée de 4,34 millions d’hec-
tares et un rendement de 68 quintaux par hectare. Cinq années plus tard, la surface cultivée est passée à 4,788 mil-
lions d’hectares, le rendement atteint 74 quintaux par hectare et la production s’élève alors à 35,463 millions de tonnes.
Comment décomposer l’accroissement de la production entre ces deux dates en faisant intervenir les deux variables
que sont la surface et le rendement ?
Cette question, posée volontairement de façon imprécise, reçoit très classiquement la réponse suivante : la hausse de
20 % de la production se décompose en une hausse de 10 % de la surface et une hausse de 9 % du rendement.
Cette réponse, basée sur le calcul d’indices élémentaires, ne présente à ce stade aucune difficulté méthodologique.
Les difficultés arrivent cependant dès que l’on considère qu’il y a deux sortes de blé : le blé tendre et le blé dur. Il faut
alors faire appel à la méthodologie des indices (agrégés). Diverses possibilités s’offrent à nous : indices de Laspeyres,
de Paasche ou de Fisher, pour se contenter des plus courants, indices chaînés ou indices à base fixe. Il est établi qu’il
n’y a malheureusement pas de solution entièrement satisfaisante, même d’un strict point de vue théorique [1].
En revenant au cas simple d’un seul blé, on peut interpréter la question initiale d’une façon inhabituelle en consi-
dérant la différence des productions aux deux dates (et non leur quotient) et en cherchant un partage entre une
partie « surface » et une partie « rendement », la somme des deux représentant l’accroissement de la production.
Quel avantage peut-il y avoir à poursuivre dans cette voie ? Il est en fait double : d’une part la démarche elle-même
est intéressante, d’autre part (et surtout) elle permet un éclairage méthodologique et pédagogique de la théorie des
indices classiques.
1. Je remercie François Magnien qui m’a fait bénéficier de sa grande connaissance de la théorie des indices à utilité constante et avec qui les discus-
sions autour du projet de cet article ont été très enrichissantes. Je remercie également Hugues Picard pour sa relecture attentive d’une première ver-
sion de ce texte.
2. Par exemple, dans un partage volume-prix, l’indice de Laspeyres des prix est égal à la moyenne des indices de prix élémentaires, pondérés par les
valeurs, lesquelles font intervenir prix et quantités.
La première partie de cet article est consacrée à l’étude LA(X) + LA(Y) n’est en général pas égal à Z1 – Z0
des propriétés des indices additifs. Après l’examen des comme on le souhaiterait. En effet cette expression est
formules les plus simples, la question du chaînage est étu- égale à Y0(X1 – X0) + X0(Y1 – Y0) = Y0X1 + X0Y1 –
diée de façon assez détaillée, sous l’angle théorique du 2X0Y0 alors que Z1 – Z0 = X1Y1 – X0Y0. La simplicité
chaînage continu qui est celui de Divisia pour les indices du modèle autorise ici une représentation graphique qui
classiques. La simplicité des indices additifs permet une permet de visualiser le phénomène, visualisation qui sera
compréhension assez aisée des problèmes posés classi- d’autant plus aisée si on se place dans la configuration où
quement par le chaînage continu, la dépendance du résul- X1 et Y1 sont respectivement supérieurs à X0 et Y0 : sur le
tat au chemin parcouru entre deux situations données graphique 1, LA(X) correspond à l’aire D et LA(Y) à B, alors
étant au cœur du sujet. Elle permet également de trouver que Z1 – Z0 correspond à B + C + D, l’aire C étant
simplement des conditions sous lesquelles ces problèmes égale à (X1 – X0)*(Y1 – Y0). Ce défaut de propriété est
disparaissent, rendant le chaînage continu particulière- l’exact analogue au fait que, pour les indices classiques,
ment attractif d’un point de vue théorique. lorsqu’interviennent plusieurs composantes i, L(X)*L(Y)
n’est pas égal à la somme des X1iY1i divisée par la somme
La deuxième partie se demande si ces derniers résultats, des X0iY0i.
obtenus sur le chaînage additif continu, sont transpo-
sables à l’indice classique de Divisia. Un résultat original Graphique 1
sur l’invariance de cet indice est alors établi. Ce résultat
est d’un certain point de vue assez général, mais ne s’ap-
Y
plique que lorsque l’on considère les indices à deux com-
posantes (agrégation de deux indices élémentaires). Le fil
directeur qui pourrait conduire à sa généralisation à un
Y1
nombre quelconque de composantes bute sur la néces-
B C
sité de fixer de sévères conditions restrictives. Cette
Y0
démarche fournit alors une approche pédagogique du
A D
théorème de Hulten, théorème central dans la théorie des
indices à utilité constante et de leurs liens avec l’indice de
Divisia. X0 X1 X
La première idée qui vient est de faire varier la variable On a ainsi Z1 – Z0 = LA(X) + X1(Y1 – Y0)
d’intérêt tout en gardant l’autre fixe. Pour X, on obtient = LA(X) + PA(Y).
ainsi Y0X1 – Y0X0 = Y0(X1 – X0). Par analogie avec l’in-
dice de Laspeyres (noté ici L), dont la démarche est exac- La somme des aires B, C et D peut aussi s’écrire
tement la même, on appellera cette expression « indice LA(Y) + (X1 – X0)*(Y1 – Y0) + Y0(X1 – X0) =
additif de Laspeyres » et on la notera LA (« A » comme LA(Y) + (X1 – X0)*(Y0+ Y1 – Y0) = LA(Y) + Y1(X1 – X0),
additif). soit Z1 – Z0 = LA(Y) + PA(X).
42
Les « indices additifs »
Cette double décomposition est l’exact analogue de celle Même chose, évidemment, pour l’accroissement dû à Y.
pour les indices classiques lorsqu’interviennent plusieurs Ce défaut de propriété des LA, PA et FA est à l’origine de
composantes i : la notion importante de chaînage.
L(X)*P(Y) = P(X)*L(Y) = somme des X1iY1i divisée par la De façon à disposer d’un indice vérifiant la propriété
somme des X0iY0i. recherchée de « transitivité » (par analogie avec la théorie
des indices classiques), on peut poser, en prenant
Comme pour les indice classiques, on peut définir un l’exemple des LA :
indice de Fisher comme la moyenne, cette fois arithmé-
tique, des indices de Laspeyres et de Paasche. Définition 4 : indice chaîne additif de Laspeyres :
CHLA2-0(X) = LA2-1(X) + LA1-0(X).
Naturellement, l’indice chaîne addititif de Paasche s’écrit
CHPA2-0(X) = PA2-1(X) + PA1-0(X), et l’indice chaîne
additif de Fisher CHFA2-0(X) = FA2-1(X) + FA1-0(X).
Exemple réel
Le tableau suivant reprend l’exemple initial de la culture du blé (tendre) en France entre 1995 et 2000 :
IA(X) + IA(Y)
LAn / n-1 420 4651 – 1660 5189 – 2836
PAn / n-1 356 4983 – 1732 5365 – 2734
FAn / n-1 388 4817 – 1696 5277 – 2785
44
Les « indices additifs »
On observe des écarts assez importants entre les différents types d’indices additifs : l’indice 2000/1995 s’échelonne
de + 2 683 (LA) à + 3 109 (CHPA) milliers de tonnes pour le rendement, et, pour la surface, de + 2 892 (CHLA) à
+ 3 318 (PA) milliers de tonnes. Si l’on s’en tient aux indices additifs de Fisher, chaînés ou non, qui sont a priori les
meilleurs, la fourchette se réduit : + 2 990 ou + 2 821 milliers de tonnes en ce qui concerne les rendements,
+ 3 011 ou + 3 180 milliers de tonnes en ce qui concerne les surfaces.
On notera par ailleurs que le choix entre indice chaîne et indice non chaîné est en la circonstance difficile car les séries
sont fluctuantes et qu’il n’y a pas de lien fonctionnel entre rendement et surface.
— l’impact, sur l’accroissement de la production, de l’évolution du rendement est voisin de celui de l’évolution de la
surface, tout en lui étant légèrement inférieur ;
— aucune des deux variables n’a eu un impact suffisant pour couvrir l’accroissement de l’utilisation intérieure de blé
tendre sur la période 1995-2000, qui s’élève à 3 551 milliers de tonnes.
Enfin, on aura bien sûr remarqué qu’en additionnant les indices relatifs à nos deux variables, il vient FA(X) + FA(Y) =
CHFA(X) + CHFA(Y) = 6 001 milliers de tonnes = accroissement de la production entre 1995 et 2000.
MAE / F. de La Mure)
L’idée du chaînage en continu est d’augmenter indéfini- La propriété 4 suggère, si on la compare à la propriété 1,
ment le nombre de points intermédiaires (le plus souvent que l’indice additif de Divisia, bien que défini à partir du
des dates) par lesquels on effectue un chaînage des chaînage d’indices additifs de Laspeyres, est une syn-
indices (ici additifs) de Laspeyres et de considérer la limite thèse des indices additifs de Laspeyres et de Paasche.
(si elle existe) de la valeur obtenue lorsque l’espace de L’explication est que entre deux instants « infiniment
temps entre deux points successifs tend vers zéro proches », t et t+dt, Laspeyres et Paasche sont équiva-
(il reviendrait au même d’utiliser des indices de Paasche lents. En réalité, on pourrait définir l’indice DA à partir des
ou de Fisher, cf. ci-après). indices PA sans que cela ne change rien.
46
Les « indices additifs »
Proposition 5 : si 0, 1 et 2 sont trois dates, Il n’y a là rien qui confirme les propositions 6 et 7.
on a DA2-0(X) = DA2-1(X) + DA1-0(X).
Mais inversons les chemins suivis par X et Y en posant
Cette propriété résulte de façon immédiate des propriétés désormais X(t) = g(t) et Y(t) = f(t).
des intégrales. Elle correspond à l’origine même de l’idée On obtient cette fois-ci DA(Y)1-0=4/3, DA(Y)2-1=– 4/3 et
de chaînage indiquée précédemment. DA(Y)2-0=0.
La valeur de DA(Y)1-0 a changé bien que les valeurs de X
L’expression de DA est bien plus simple que celle de l’in- et Y n’aient été modifiées ni en 0 ni en 1. Ce résultat
dice de Divisia lui-même qui s’écrit ainsi (en prenant démontre donc la proposition 6.
l’exemple d’un indice de prix calculé entre les dates 0
et 1) : Cependant, on a toujours DA(Y)2-0=0, ce qui n’apporte rien
pour la proposition 7.
, Pour démontrer celle-ci, il est important de remarquer que
dans les exemples présentés ci-dessus, les valeurs prises
val désignant la valeur totale du « panier », vali la valeur du par X et Y quant t passe de 1 à 2 sont identiques à celles
seul produit i, pi le prix de ce produit et p’i la dérivée (par prises entre t=0 et t=1, à ceci près qu’elles sont parcou-
rapport au temps) de pi. rues en sens inverse (mathématiquement, les fonctions f
et g sont symétriques par rapport à t=1, ce qui se voit bien
Naturellement, on peut aussi prendre l’exemple d’un sur le graphique 2).
indice de quantité, notée q, calculé entre les dates 0 et 1 :
Pour briser cette symétrie, considérons alors le cas où sur
[0, 1] on a X(t) = f(t) et Y(t) = g(t),
alors que sur [1, 2] on a X(t) = g(t) et Y(t) = f(t).
D’après ce qui précède,
L’indice de Divisia additif, malgré ses bonnes propriétés et on a DA(Y)1-0=5/3, DA(Y)2-1=– 4/3,
le caractère intuitif de sa pertinence, possède (de façon et donc DA(Y)2-0 = DA(Y)1-0 + DA(Y)2-1 = 1/3,
analogue à l’indice classique de Divisia) deux types de ce qui démontre la proposition 7.
défauts étroitement liés :
CQFD.
Proposition 6 : la valeur de DA(X) ou DA(Y) ne dépend
pas forcément que de X0, X1, Y0 et Y1, mais peut On avait déjà indiqué que le chaînage pouvait présenter
dépendre du « chemin » suivi par X(t) et Y(t) entre 0 et 1. l’inconvénient d’aboutir à une valeur différente de 1 (pour
les indices classiques) ou de 0 (pour les indices additifs)
Proposition 7 : la valeur de DA(X) ou DA(Y) n’est pas lorsque les variables prennent des valeurs identiques en
forcément nulle lorsque la situation finale est iden- début et fin de période. La proposition 7 montre que l’es-
tique à la situation initiale (X1 = X0 et Y1 = Y0). poir de voir disparaître ce défaut de propriété en effec-
tuant un chaînage continu était vain.
Preuve :
La preuve donnée ci-dessus des propositions 6 et 7
montre aussi que la proposition 6, qui peut apparaître
Les deux propositions étant étroitement liées, on en pré-
moins choquante (nous y reviendrons un peu plus loin)
sentera les preuves dans un même paragraphe. On s’inté-
que la proposition 7, l’implique pourtant (la démonstra-
ressera à DA(Y), mais le raisonnement serait identique
pour DA(X).
Graphique 2
Considérons (cf. graphique 2) trois dates, notées 0, 1 et 2,
2
et deux fonctions, définies sur l’intervalle [0, 2] : la pre-
mière, d’équation f(t) = – t2 + 2t + 1 correspond à l’arc
de parabole ; la deuxième, d’équation g(t) = t + 1 entre 1,8
0 et 1 et d’équation g(t) = – t + 3 entre 1 et 2, corres-
pond à la ligne brisée. Les deux fonctions valent 1
en t=0, 2 en t=1 et reviennent à 1 en t=2. 1,6
Revenons au graphique 3 (avec a supérieur à 1 et b infé- Or le calcul aboutit à un indice de Divisia égal à exp(1/6)
rieur à 1) pour comprendre pourquoi DA(X) est supérieur à dans le premier cas et à exp(1/3) dans le deuxième cas. Le
DA(Y) lorsque X(t) suit le chemin de paramètre a et Y(t) graphique 4 permet de comprendre pourquoi (sachant
celui de paramètre b. X augmente rapidement (et donc X’ que le produit 2 n’intervient pas et que val1/val = t dans
est élevé) pour des valeurs de t proches de 1, au moment
ou l’assiette Y est elle-même élevée. L’augmentation de X
se fait donc au moment favorable à un impact important Graphique 4
sur la valeur de Z = XY. Inversement, Y augmente rapi-
1,8
dement pour des valeurs de t proches de 0, alors que l’as-
siette X est faible. Et au moment où celle-ci devient forte, 1,6
c’est-à-dire pour t voisin de 1, Y tend à stagner (et donc
1,4
Y’ est faible). Cette différence de « phasage »3 explique
que l’accroissement de Z est dû à l’impact de l’accroisse- 1,2
ment de X plutôt qu’à celui de Y. P1
1
P1 altern
Si l’on se reporte à l’expression compliquée de l’indice de 0,8
Divisia (cf. supra), on peut la lire à la lumière de ce qui pré- val 1/val
0,6
0,4
3. Ce terme prend tout son sens lorsque l’on prend pour X et Y des fonc-
tions sinusoïdales déphasées, comme par exemple X = sint et Y = cost.
Entre 0 et 2, X et Y reviennent à leur valeur initiale mais on obtient 0,2
DA(X) > 0 et DA(Y) < 0, ce que l’analyse précédente permet de com-
prendre : X croît lorsque Y est positif alors que Y croît lorsque X est néga- 0
0
0,1
0,2
0,31
0,41
0,51
0,61
0,71
0,82
0,92
48
Les « indices additifs »
les deux cas) : dans le premier cas, p’1/p1 (qui est égal à La proposition suivante s’en déduit de façon évidente,
1 – t) est faible lorsque la pondération val1/val est forte mais son importance justifie de l’écrire :
(pour t voisin de 1) et fort lorsque cette pondération est
faible. Inversement, dans la situation alternative, val1/val Proposition 9 : si X(t) est une fonction de Y(t) et si la
et p’1/p1 (alors lui aussi égal à t) sont forts en même situation finale est identique à la situation initiale, alors
temps, et l’indice est donc plus élevé que dans le premier DA(Y) est obligatoirement nul.
cas.
Si, a contrario, on reprend la démonstration de la proposi-
Revenons maintenant sur le caractère apparemment cho- tion 7, on se rendra compte qu’à une valeur de Y corres-
quant de la proposition 6 (et donc de la proposition 7). pondent des valeurs différentes de X pour t compris entre
L’indépendance vis-à-vis du chemin suivi par X et Y 0 et 1, et pour t compris entre 1 et 2 ; X ne peut dès lors
(X0, X1, Y0, Y1 étant donnés) constituerait une belle pro- pas être fonction de Y.
priété, mais une indépendance complète serait tout de
même paradoxale : il suffirait de faire une hypothèse quel- Les propriétés 8 et 9 contribuent à la pertinence de la
conque sur le chemin suivi par les deux variables pour que notion de chaînage additif continu. Si l’on revient à ce que
cette hypothèse fournisse la valeur commune à tous les l’on avait écrit à propos du chaînage, en évoquant le
chemins possibles, indépendamment de la plausibilité SCN 93, on voit qu’il n’est pas toujours nécessaire qu’à
économique de ce chemin. À la lumière de ce qui précède des dates intermédiaires correspondent des valeurs inter-
sur le « phasage » des évolutions de X et Y, il semble médiaires, dès lors qu’est respecté un certain lien fonc-
cependant logique de demander une certaine régularité tionnel entre les variables.
(ou une certaine rationalité) entre les évolutions de X et
celles de Y. *
* *
Reprenons, avec les mêmes notations, l’exemple des che-
mins du type « t élevé à une certaine puissance positive ». Dans toutes les définitions et propriétés relatives aux
La variable X, qui correspond à la quantité (volume), suit le indices additifs, il n’y a aucune difficulté à généraliser aux
chemin X(t) = ta, et la variable Y, qui correspond au prix, cas avec plusieurs composantes (ou produits). En
suit le chemin Y(t) = tb. Les résultats, on s’en souvient, reprenant l’exemple du blé mais en introduisant deux
étaient DA(Y) = b/(a + b) et DA(X) = a/(a + b). variétés, blé tendre et blé dur, on peut définir sans pro-
Considérons de plus qu’il existe une élasticité donnée, blème IA(blé) = IA(blé tendre) + IA(blé dur), où IA repré-
notée e, du volume au prix, soit a/b = e. sente l’un quelconque des indices additifs définis dans cet
article (LA, PA, FA et DA) et généraliser les propriétés
Dès lors, on a DA(Y) = 1/(a/b + 1) = 1/(e + 1) obtenues avec une seule composante. Cela tient simple-
et DA(X) = (a/b)/(a/b + 1) = e/(e + 1). ment au fait que la structure par essence additive des
indices additifs ne pose aucune difficulté à la prise en
Il apparaît donc que DA(X) et DA(Y) ne dépendent que de compte de plusieurs composantes, lesquelles sont tou-
l’élasticité du volume au prix. Celle-ci étant fixée comme jours additives (la production totale de blé est égale à la
une donnée de comportement économique, l’indice DA(Y) somme des deux productions, de la même façon que les
est indépendant du chemin parcouru par Y. On voit sur cet valeurs s’ajoutent classiquement).
exemple qu’une régularité économique peut conduire à
l’indépendance recherchée vis-à-vis du chemin, mais à
condition de restreindre l’ensemble des chemins pos- Transpositions à la théorie
sibles à ceux qui vérifient cette régularité. On peut étendre des indices classiques
ce résultat à un cas beaucoup plus général :
Les propriétés 8 et 9 sont-elles transposables à la théorie
Proposition 8 : si X(t) est une fonction4 de Y(t), alors des indices classiques ? La transposition la plus simple
DA(Y) ne dépend que des valeurs initiales et finales que l’on puisse imaginer n’est pas valide. En effet, si on
(en fait juste de Y0 et Y1) et de la forme de la fonction reprend l’exemple des prix et des quantités, l’indice de
en question, indépendamment du chemin suivi par Y. Divisia des prix n’est pas obligatoirement égal à 1 quand,
pour chaque produit, la quantité (ici notée X) est fonction
La preuve de cette proposition est très courte. du prix (noté Y) et qu’il y a identité entre la situation de
départ et la situation d’arrivée.
Notons X = f(Y).
= F(Y1) – F(Y0)
4. Il faut que cette fonction soit intégrable, mais cette condition est
où F est une primitive de f. extrêmement peu restrictive (en particulier, il suffit qu’elle soit continue).
Illustration (avec deux produits notés 1 et 2) : venir les « prix relatifs » (Y2/Y1 par exemple) dont l’évolution
peut être à l’origine de substitutions dans la « consomma-
On a X1(t) = Y1(t) = t1/2–t+1 et X2(t) = Y2(t) = t2–t+1, pour tion » des différents « biens ». Il est alors remarquable de
t décrivant l’intervalle de 0 à 1. Les différents X ou Y sont constater que, dans le cas de deux composantes (ou pro-
tous égaux à 1 en t = 0 et en t = 1 (cf. graphique 5), mais duits), la propriété des indices de Divisia additifs est trans-
on obtient (numériquement) que l’indice de Divisia des prix posable aux indices classiques. On a en effet :
(ou des quantités, puisqu’on a posé ici quantité = prix
pour chacun de nos deux produits) est environ égal à 0,995. Proposition 10 (invariance de l’indice de Divisia) : si
l’on considère le cas où l’on a deux composantes,
L’indice de Divisia faisant intervenir les parts relatives de notées 1 et 2, et où X2/X1 s’écrit comme une fonction
« valeur » (XiYi/Σ XjYj), il est en fait assez naturel de faire inter- de Y2/Y1, alors D(Y) ne dépend que des valeurs initiales
et finales de ces quatre variables (X1, X2, Y1 et Y2)5 et
Graphique 5 de la fonction en question, indépendamment du che-
min suivi par chacune des variables. En particulier, cet
1,4 indice est égal à 1 si les valeurs initiales et finales sont
1,2 identiques.
1
0,8 Série 1
0,6 Série 2
0,4 5. D(Y) ne dépend en fait des variables X1 et X2 qu’à travers leur rapport,
0,2 lequel s’exprime justement en fonction du rapport entre Y1 et Y2. Il en
résulte que formellement, D(Y) ne dépend que des valeurs initiales et
0
finales de Y1et Y2, comme le montre l’expression obtenue en fin de
0 0,5 1 1,5 démonstration.
Preuve de la proposition 10 :
On a X2/X1 = f(Y2/Y1).
X1Y1/(X1Y1 + X2Y2) est donc une fonction de Y2/Y1. Notons g1 cette fonction.
X2Y2/(X1Y1 + X2Y2) étant égal à 1 – [X1Y1/(X1Y1 + X2Y2)] est également une fonction de Y2/Y1. Notons g2 cette fonction.
On a, par construction, g1 + g2 = 1.
ce qui montre que D n’est fonction que des conditions initiales et finales.
CQFD.
50
Les « indices additifs »
Corollaire : le résultat précédent est encore vrai dans cette proposition ne semble pas pouvoir être généralisée
le cas où c’est Y2/Y1 qui s’écrit comme une fonction de à un nombre quelconque de composantes. Une tentative
X2/X1. de démonstration de la proposition 10 avec au moins trois
composantes bute sur le fait que les « parts de valeur »
Preuve : sont des fonctions à plusieurs variables et qu’il faudrait
(pour dérouler les calculs de manière analogue) que ces
La proposition 10 s’applique dans ce cas à D(X). différentes fonctions des prix relatifs dérivent (au sens des
dérivées partielles) d’une même fonction.
Mais il suffit de se rappeler du résultat classique suivant :
(valeur totale en 1)/(valeur totale en 0) = D(X)*D(Y) pour Ceci recoupe alors la théorie des indices (classiques) à
obtenir le résultat escompté en ce qui concerne D(Y). utilité constante et le théorème de Hulten [5], fondé sur
l’existence d’une fonction d’utilité (cf. encadré page 52) de
CQFD. laquelle seront dérivées les quantités une fois donnés les
prix relatifs et le revenu. On énoncera pour l’instant, non
La propriété 10 signifie que si l’on connaît la forme de la pas le théorème de Hulten lui-même (ce qui supposerait
fonction reliant X2/X1 et Y2/Y1 on peut calculer D(Y) sans
de définir auparavant les indices à utilité constante), mais
connaître la trajectoire suivie par les variables X1, X2, Y1 et
ses conséquences immédiates en ce qui concerne l’indé-
Y2 entre les début et fin de période. Mais il faut bien voir
pendance au chemin suivi6.
que cette indépendance à la trajectoire est conditionnée
par l’existence d’une telle liaison fonctionnelle : les S’il existe une fonction d’utilité, identique sur la période
variables Y1 et Y2 peuvent suivre n’importe quelle trajec-
considérée (et présentant quelques propriétés relative-
toire entre leurs valeurs initiales et finales, mais une fois
ment habituelles7) telle que la consommation des diffé-
celles-ci définies, la trajectoire de X1/X2 est fixée. C’est
rents biens maximise (en chaque instant de la période
dire que l’indépendance de D(Y) n’intervient que dans la
considérée) l’utilité procurée une fois donnés les prix et la
classe des trajectoires des variables Xi et Yi respectant la
contrainte budgétaire (on dit que cette fonction d’utilité
liaison fonctionnelle en question.
« rationalise » les données de consommation), alors l’in-
dice de Divisia des prix ne dépend que des valeurs ini-
La recherche d’une indépendance complète, c’est-à-dire
tiales et finales des prix et des quantités (mais celles-ci
dans l’ensemble des trajectoires, sans que l’on suppose
sont liées aux prix par la fonction d’utilité). Il ne dépend
aucun lien a priori entre les variables Xi et Yi, débouche,
donc pas du chemin suivi, entre les deux dates, par les
comme l’a montré C. Bidard [4] sur une impossibilité, à
prix et les quantités, dès lors que la condition de rationa-
l’exception du cas sans grand intérêt où les variables X1(t)
et X2(t) sont proportionnelles et où dès lors l’indice de lité indiquée est respectée. Ceci implique que lorsque la
Laspeyres est égal à l’indice de Paasche et à celui de situation finale est identique à la situation initiale, l’indice
Divisia. de Divisia des prix est bien égal à 1. François Magnien et
Jacques Pougnard ont par ailleurs montré [6] qu’en pra-
En définitive, la proposition 10, en ne faisant sur la liaison tique les hypothèses du théorème de Hulten peuvent être
fonctionnelle aucune autre hypothèse que l’intégrabilité, considérées comme vérifiées en ce qui concerne l’indice
fournit un cadre assez général. Mais, malheureusement, des prix à la consommation.
On considère un consommateur et un certain nombre de biens pouvant être consommés. Pour la clarté de l’exposé,
on ne considèrera ici que deux biens, notés 1 et 2. Le consommateur peut, potentiellement, consommer différents
paniers de consommation, définis par les quantités q1 et q2 de chacun des deux biens en question.
Dans l’étude du comportement du consommateur, la première question qui se pose est celle des préférences qu’il
peut manifester entre les différents paniers. On admet généralement que si un premier panier est jugé préférable ou
équivalent à un deuxième panier lui-même jugé préférable ou équivalent à un troisième panier, alors le premier panier
est jugé préférable ou équivalent au troisième (transitivité des préférences).
Une façon commode et très habituelle de représenter cette question de préférence consiste à construire une fonction
d’utilité U, l’utilité de chaque panier (q1, q2) étant alors mesurée par U(q1, q2). La question de la préférence revient
alors simplement à comparer les utilités respectives des différents paniers.
Une question fondamentale dans la théorie du consommateur consiste à définir quel sera son panier de consomma-
tion compte tenu du prix de chaque bien et de la somme maximale qu’il entend dépenser (sa contrainte de revenu).
Soient a le prix du bien 1, b celui du bien 2 et R la contrainte de revenu.
La résolution du programme [max U(q1, q2) sous la contrainte aq1 + bq2 = r] aboutit à l’égalité suivante :
où q*1 et q*2 sont les quantités déterminant le panier de consommation recherché, U’q1 la dérivée partielle de U par
rapport à q1 et U’q2 la dérivée partielle de U par rapport à q2. Ce point (q*1, q*2) est celui où la droite d’équation
aq1 + bq2 = R est tangente à l’une des courbes d’utilité constante correspondant à la fonction U.
La validité de ce résultat est cependant restreinte aux équilibres qui ne sont pas situés sur la frontière de l’ensemble
des paniers possibles ; en particulier, il ne s’applique pas si l’utilité maximum passe par une consommation nulle pour
l’un des biens.
La signification de ce résultat classique est en fait très intuitive : à l’optimum du consommateur, le rapport des utili-
tés marginales des différents biens est égal au rapport de leurs prix et, dès lors, l’utilité marginale du revenu est la
même quel que soit le bien acheté avec un petit supplément de revenu. Si tel n’était pas le cas, le consommateur
aurait eu intérêt à acheter un peu plus du bien procurant la plus forte utilité marginale du revenu et un peu moins de
l’autre bien.
52
Les « indices additifs »
On a donc, en chaque instant : b) il est égal au rapport des revenus R*/R0, R0 étant le
revenu initial et R* étant le revenu minimal qui permet-
vali / val = qipi / Σqjpj trait en t = 1 (donc avec les prix finaux) de procurer au
= [qip1 * U’qi(q)/U’q1(q)] /Σ[qjp1 * U’qj(q)/U’q1(q)] consommateur la même utilité que celle que lui pro-
= [qi * U’qi(q)] /Σ[qj * U’qj(q)] cure R0 en t = 0 (avec les prix initiaux).
Mais le fait que U soit homogène de degré 1 entraîne que Nota : cette propriété 12b correspond à la définition d’un
Σ[qj * U’qj(q)] = U (identité d’Euler). indice à utilité constante. En démontrant que l’indice de
Divisia des prix est un tel indice (sous les hypothèses
Donc vali / val = [qi * U’qi(q)] / U énoncées), on a ainsi redémontré le théorème de Hulten
et (vali / val) * (qi’/qi) = [qi’ * U’qi(q)] / U. lui-même.
Preuve :
8. Le théorème de Hulten s’applique aussi dans le cadre de la théorie du
producteur, la fonction de production jouant alors le rôle de la fonction Notons p et q les vecteurs de prix et quantités, R le revenu
d’utilité. et U la fonction d’utilité.
Propriété b :
L’usage de ces indices classiques en tant qu’indices à uti-
lité constante suppose que l’on connaisse la forme de la
Notons R* le revenu tel que U(R*, p(t = 1)) = U(R0, p(t = 0)).
fonction d’utilité qu’utilise implicitement le consommateur
pour rationaliser ses choix, ce qui est bien sûr une condi-
On a (d’après le lemme) : R*U(1, p(t = 1)) = R0U(1, p(t = 0))
tion très restrictive. Ce qui est fascinant avec le chaînage
d’où R*/R0 = U(1, p(t = 0)) / U(1, p(t = 1)).
continu, c’est qu’il converge de lui même vers l’indice à
Mais on a montré que D1/0(p) = U(1, p(t = 0)) / U(1, p(t = 1)). utilité constante correspondant à la bonne fonction d’uti-
lité, sans que celle-ci n’intervienne dans son calcul…
On a donc D1/0(p) = R* / R0, ce qui démontre la pro-
priété b. Jean-Pierre BERTHIER
Direction générale de l’Insee
CQFD. Chef de la division Agriculture
54
Les « indices additifs »
Références bibliographiques
[1] Vacher J., « Indices statistiques. Quels outils pour quelles mesures ? », Insee Méthodes, n˚ 15, 1991.
[3] Berthier J.-P., « Réflexions sur les différentes notions de volume dans les comptes nationaux »,
document de travail G2002/08 de l’Insee, 2002.
[4] Bidard C., « Sur l’indice de Divisia », Revue d’économique politique, 1976, tome 86, pp. 437-449.
[5] Hulten C.R., « Divisia index numbers », Econometrica, 41, 1973, n˚ 6, pp. 1017-1025.
[7] Diewert W.E., « Exact and superlative index numbers », Journal of Econometrics, 4, 1976.
La question de la compatibilité des équations comptables avec le partage volume-prix est l’un des problèmes emba-
rassants de la compabilité nationale. Rappelons les deux principaux résultats (sur des exemples facilement transpo-
sables au cas général) :
— en valeur, la consommation globale est évidemment égale à la somme des consommations des différents produits.
Pour que cette égalité comptable soit également assurée en volume, il est nécessaire et suffisant d’agréger les
consommations des différents produits en utilisant un indice de Laspeyres pour les volumes et un indice de Paasche
pour les prix. C’est généralement ce qui est fait, en particulier en Europe, le plus souvent de façon implicite c’est-à-
dire en supposant vérifiée cette additivité. Les États-Unis utilisent cependant des indices de Fisher, intrinsèquement
meilleurs, mais qui suppriment l’additivité des volumes ;
— le chaînage détruit les égalités comptables. Si l’on a par exemple, à la fois en valeur et en volume au prix de l’an-
née précédente, « production + importations = consommation + exportations », alors cette égalité n’est générale-
ment plus vérifiée lorsque l’on calcule des volumes chaînés pour chaque agrégat. Les comptes nationaux français de
la base 95, qui ont adopté le principe du chaînage de chaque série, présentent cet inconvénient de ne pas être équi-
librés « aux prix de l’année précédente, chaînés ».
Les indices additifs ont par certains côtés des propriétés analogues. Cependant, leur chaînage ne détruit pas les éga-
lités comptables.
Proposition A : soient un produit donné et deux périodes notées 0 et 1 ; on note p et q les prix et quantités corres-
pondants pour chacun des termes d’une équation comptable, par exemple l’équation « production + importations =
consommation + exportations », que l’on écrira en abrégé « P + I = C + E ». Si celle-ci est vérifiée en valeur pour
chacune des deux périodes et en volume de la période 1 au prix de la période 0, alors on a :
En revanche, on n’a pas d’équation semblable si l’on utilise d’autre indices additifs que le Laspeyres pour les quanti-
tés et le Paasche pour les prix (du moins parmi les indices additifs de Laspeyres, Paashe et Fisher).
Cette propriété fait naturellement penser à la première indiquée pour les indices classiques.
On a LA(q) = p0(q1 – q0) = p0q1 – p0q0, avec p0q1 = volume en période 1 au prix de la période 0 et p0q0 = valeur
à la période 0, ceci pour chacun des quatre termes (production, importations, consommation et exportations, que l’on
notera P, I, C et E) de notre équation comptable.
56
Les « indices additifs »
D’après les hypothèses, p0(P)q1(P) + p0(I)q1(I) = p0(C)q1(C) + p0(E)q1(E) et p0(P)q0(P) + p0(I)q0(I) = p0(C)q0(C) + p0(E)qo(E).
Par ailleurs PA(p) = q1(p1 – p0) = q1p1 – q1p0, avec q1p1 = valeur à la période 1 et q1p0 = volume en période 1
au prix de la période 0.
D’après les hypothèses, q1(P) p1(P) + q1(I) p1(I) = q1(C) p1(C) + q1(E) p1(E) et q1(P) p0(P) + q1(I) p0(I) = q1(C) p0(C) + q1(E) p0(E).
En ce qui concerne le chaînage, la situation est par contre très différente : le caractère additif des équations comp-
tables se combine très mal avec les indices classiques, qui ont un caractère multiplicatif, mais est tout à fait compa-
tible avec les indices additifs. On a ainsi la propriété suivante :
Proposition B : en supposant vérifiées aux différentes périodes considérées les égalités comptables en valeur et en
volume au prix de la période précédente, on a :
En repartant de la proposition A et en l’écrivant pour les différentes périodes, la démonstration est immédiate par addi-
tion termes à termes.
Cette propriété des indices additifs, qui dans l’optique de cet article ne présente pas d’intérêt particulier, recoupe en
fait des travaux récents du professeur Hillinger, de l’Université de Munich, exposés dans deux articles présentés dans
le cadre du meeting of national accounts statistics de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement éco-
nomiques) des 21-24 septembre 1999. Dans le premier1, l’auteur, à la recherche d’un chaînage conservant l’additivité,
introduit la notion de centered quantity/price variation qui correspond à ce que j’ai appelé « indice additif de Fisher ».
Dans le second2, il est indiqué que, dans un tout autre contexte, Hicks avait introduit dès 1941-42 des « indices de
Laspeyres ou Paasche des variations de quantité ou prix »3, lesquels correspondent à ce que j’ai appelé « indices
additifs de Laspeyres ou de Paasche » !
1. « On chained prices and quantity measures that are additively consistent » (version révisée de décembre 1999).
2. « Aggregate real consumption and the cost-of-living : theory and measurement ».
3. Hicks J.R., « Consumers surplus and index numbers », Review of Economic Studies, 9, 1941-1942, pp. 126-137.
Selon la proposition 10 établie dans le texte, l’indice de Divisia pour la variable Y est indépendant des chemins suivis
par Y1 et Y2 entre leurs valeurs initiales et finales si X2/X1s’écrit comme une fonction de Y2/Y1. Les deux composantes
(de même que les deux variables) jouant des rôles parfaitement symétriques, la proposition 10 peut également s’énon-
cer comme suit : l’indice de Divisia pour la variable Y est indépendant des chemins suivis par Y1 et Y2 entre leurs
valeurs initiales et finales si X1/X2s’écrit comme une fonction de Y1/Y2, autrement dit, avec l’exemple des produits de
consommation, si q1/q2 s’écrit comme une fonction, que l’on notera f, de p1/p2.
L’on se pose la question suivante : la proposition 10 découle-t-elle du théorème de Hulten ? Autrement dit, l’existence
de la liaison fonctionnelle q1/q2 = f(p2/p1) implique-t-elle la possibilité de construire une fonction d’utilité homogène
de degré 1 (même si la signification économique de cette fonction d’utilité peut faire défaut) ?
Le théorème de Hulten prend comme hypothèse l’existence d’une fonction d’utilité U « rationalisant » les données (les
choix du consommateur).
On a donc la propriété classique U’q1 (q1, q2) / U’q2 (q1, q2) = p1/p2.
Mais Hulten fait également l’hypothèse que cette fonction U est une fonction homogène de degré 1.
Dès lors, pour tout k, on a U’q1(kq1, kq2) = U’q1(q1, q2) et U’q2(kq1, kq2) = U’q2(q1, q2).
En définitive, sous les hypothèses du théorème de Hulten, p1/p2 est une fonction de q1/q2.
Supposons à présent que la fonction f dont il est fait état dans la proposition 10 soit la fonction « sinus au carré », soit
q1/q2 = sin2(p1/p2). Dans ce cas, p1/p2 ne peut pas être fonction de q1/q2 puisque à une même valeur de q1/q2 cor-
respondent plusieurs valeurs de p1/p2.
La démonstration qui précède montre que la proposition 10 ne se réduit pas à une application du théorème
de Hulten dès lors que la fonction f n’est pas inversible. Même s’il ne paraît pas remarquable sur le plan théorique, le
cas est peut-être important en pratique.
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Les « indices additifs »
Certes, le cas où les prix relatifs et les quantités relatives Le lieu des points tels que q2/q1 est constant (soit q2/q1 = k) est une demi-
droite qui pivote dans le sens contraire des aiguilles d’une montre lorsque
consommées croissent ou décroissent ensemble ne k augmente. Le vecteur des prix (p1, p2 ) au point de rencontre de cette demi-
peut être envisagé que pour des produits très particu- droite avec une courbe d’utilité constante est perpendiculaire à la tangente
à la courbe en ce point. Lorsque k augmente, la pente du vecteur des prix
liers. (soit p2/p1) diminue, et vice-versa, ceci du fait de la concavité de la courbe.
Mais revenons à notre exemple initial des céréales, des Le graphique ci-dessous montre le nuage de points
surfaces cultivées et des rendements. Au-delà des obtenu. Il est difficile de savoir s’il existe une fonction
importantes fluctuations inhérentes à toute activité agri- reliant les deux variables, et si cette fonction éventuelle
cole et de l’importance des considérations de politique est inversible. Mais il est clair que le nuage de points
agricole, à travers les subventions et le contrôle éventuel suggère une relation croissante plutôt que décroissante.
des prix ou des quantités, une croissance relative simul-
tanée des surfaces cultivées et des rendements semble
assez naturelle, du moins lorsque l’on ne se situe pas
dans une économie autarcique : lorsque le rendement
2,80
Rapport des
Rappelons que dans l’indice additif de Divisia tel que nous l’avons défini (définition 5), seules interviennent deux
variables, X et Y. Nous considèrerons ici que ces deux variables sont respectivement le prix et la quantité consom-
mée d’un produit lambda, et nous les noterons p et q en lieu et place de X et Y.
La théorie du surplus1 s’intéresse non pas à la consommation des différents produits existants, comme c’est le cas
de la théorie classique du consommateur, mais à celle d’un produit en particulier : par exemple le nombre de fois
qu’une personne empruntera une portion d’autoroute, ou bien qu’elle ira au cinéma. Elle pose alors que le consom-
mateur cherche à maximiser la différence entre ce qu’il serait prêt à payer pour consommer une certaine quantité du
produit en question, autrement dit son consentement à payer, et ce qu’il paie réellement pour consommer cette
même quantité de produit.
En clair, le surplus maximal est atteint lorsque le consentement marginal à payer, naturellement décroissant, devient
égal au prix unitaire. En d’autres termes, le consommateur achètera du produit considéré tant qu’il estimera que l’uti-
lité marginale que lui procure une unité supplémentaire de produit est supérieure ou égale au prix de cette unité sup-
plémentaire de produit.
Si l’on s’inscrit dans le cadre de cette théorie du surplus, c’est-à-dire si l’on pose C’(q) = p,
il vient DA(q) = p(t)q’(t)dt = C’(q(t))q’(t)dt = C1 – C0.
Proposition C : dans le cadre de la théorie du surplus, l’indice additif de Divisia de quantité (ou de volume) entre
deux dates 0 et 1 traduit la variation du consentement à payer entre ces deux dates.
soit DA(p) = p1q1 – p0q0 – DA(q) = p1q1 – p0q0 – (C1 – C0) = (p1q1 – C1) – (p0q0 – C0),
Proposition D : dans le cadre de la théorie du surplus, l’indice additif de Divisia de prix entre deux dates 0 et
1 traduit, au signe près, la variation du surplus entre ces deux dates.
Pour ceux qu’un cadre théorique plus rigoureux intéresse, précisons que dans la théorie du surplus sont considérés
deux produits, un produit lambda et un produit particulier appelé « monnaie ». L’utilité V
que procurent au consommateur q unités du produit lambda et m unités monétaires est
définie par V(q, m) = C(q) + m, où C est une fonction décroissante. Intuitivement, C(q)
s’analyse comme étant égal au consentement à payer du consommateur pour disposer des
q unités du produit lambda, puisqu’il lui est indifférent de posséder C(q) unités monétaires
supplémentaires ou de consommer q unités du produit lambda : on a en effet V(q, m) =
V(0, m+C(q)). La particularité du produit « monnaie » tient au fait que son utilité marginale
est constante. L’application concrète de la théorie du surplus suppose donc que la
consommation du produit lambda reste marginale dans le budget du consommateur
(comme cela est le cas dans les exemples de l’autoroute et du cinéma donnés ci-dessus).
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