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de la langue
La récupération de la langue basque II
Garabide Elkartea
Dans ce DVD nous avons réuni les témoignages des principaux acteurs du processus de
standardisation du basque, afin de tenter de comprendre les motivations, d’identifier
les problèmes et de souligner les réussites.
Auteur: Garabide Elkartea
Jose Arana, 13. 20540 Eskoriatza. Gipuzkoa.
Tel: 943250397.
www.garabide.org / info@garabide.org
Dessin et traduction:
Impression: Gertu
ISBN: 978-84-613-6836-5
Dépôt légal: SS-449-2010
C R E AT I V E C O M M O N S L I C E N S E
La standardisation de la langue...............................11
Langues parlées, langues écrites...................................11
Alphabets et colonisation culturelle...........................13
La nécessaire standardisation......................................14
L’échelle de la langue...................................................15
CHAP
Le cas du basque...............................................................19
L’apparition des dialectes.............................................14
Après Arantzazu............................................................ 41
La norme du verbe auxiliaire.......................................42
Analyse des normes d’Arantzazu..................................43
Bibliographie.....................................................................64
PRÉAMBUL Le basque est une langue qui admet des adjectifs apparemment
contradictoires. C’est une langue aborigène, et occidentale à
la fois. C’est une langue particulièrement ancienne, et assez
moderne à la fois. C’est une langue en plein processus de
récupération, et en même temps, menacée.
Jon Sarasua
La standardisation de la langue 11
La standardisation
de la langue
Langues parlées,
langues écrites
Toutes les langues furent, à l’origine, Mais à un moment donné, l’être hu-
des langues parlées. Durant des géné- main ne s’est plus contenté de cela.
rations, la transmission orale fut le seul Avec l’apparition des civilisations, les
moyen de perpétuer la connaissance. organisations sociales n’ont fait que
se complexifier, et la nécessité d’établir
D’apprendre à chasser ou à s’occuper des normes et de rendre ces normes
du bétail, à travailler la terre, à recon- plus accessibles à ceux qui en avaient
naître ce qu’il fallait craindre, ce qu’il besoin est devenue manifeste. De sur-
fallait protéger. croît, il est apparu évident qu’il n’était
plus suffisant de transmettre les Les Mayas et les Aztèques utilisèrent
connaissances ou les sentiments dans également des signes pour établir des
le cercle le plus rapproché. Il fallait lois ou pour identifier les noms des
rendre compte des transactions com- morts. Par le biais de ces symboles
merciales, des accords, des désicions primitifs, on chanta des poèmes, on
importantes, ce qui signifiait que le pria les divinités, on exprima des épo-
contrat verbal était devenu insuffi- pées lointaines, on loua les bontés des
sant. Ainsi apparut l’écriture. puissants. Mais cela n’était pas encore
suffisant.
Au départ, elle prit la forme de des-
sins : les pictogrammes. Une main, un Environ douze siècles avant notre ère,
oeil, une maison, une vache, le soleil. un peuple de marchands de l’Est de
Puis vinrent les idéogrammes, les hié- la Mer Méditerranée, les Phéniciens,
roglyphes. Au moyen de différentes prirent conscience qu’ils avaient
conventions écrites, en Chine, en besoin de quelque chose de plus
Mésopotamie ou en Égypte, on par- concret et de plus précis. Quelque
vint à léguer à la postérité les idées et chose de pratique, rapide, qui ne fût
les préoccupations liées au quotidien. pas seulement accessible aux érudits
La standardisation de la langue 13
ou aux prêtres, qui fût en mesure de les territoires ou les nations ayant
les aider à tenir la comptabilité de une autre langue. Et s’il n’existe pas
leurs commerces. Et ils commencèrent de parité entre les communautés
à représenter les sons que nous linguistiques, une langue, celle des
prononçons en parlant, au moyen dominants, a tendance à assumer les
de lettres. Ainsi naquit le premier fonctions des autres.
alphabet. La plupart des civilisations
ont adapté à leurs langues cette L’alphabet des conquérants ne tint
idée originale. pas souvent compte des besoins
linguistiques des pays colonisés. Ce
Mais toutes les langues sont fut le cas avec les langues d’Amérique,
différentes, et leurs sons le sont et cela se produisit également avec
également. C’est la raison pour laquelle le basque. Au sud des Pyrénées,
chaque communauté de locuteurs a on commença à écrire avec la
façonné et adapté le code écrit selon graphie espagnole, et au nord, avec
ses besoins. Différents alphabets la française. Ainsi apparurent des
apparurent alors. En Chine, au Japon, dichotomies pour représenter le
dans la culture arabe, en Israël, en même mot : etche (maison) dans le
Inde, en Géorgie ou en Arménie, Pays basque continental, eche dans
l’orthographe traditionnelle a été la partie péninsulaire ; çazpi / zazpi
conservée, mais la plupart des langues (sept); guiçon / guizon (homme), etc…
écrites ont adopté le modèle du latin,
généralement utilisé en Europe. Cela créa des frontières arbitraires et
irréelles entre les langues. Lorsqu’une
langue commence à s’écrire, il faut par
conséquent tenir compte du fait que
tous les locuteurs ne prononcent pas
Bordele
Andorra
Burgos
Zaragoza
LaLeestandarización
cas du basque 19
Le cas du
basque
“Le véritable mystère du basque est sa qu’à l’heure actuelle, essentiellement
survivance, pas son origine”, écrivit le autour des Pyrénées. Toutefois, encore
linguiste Koldo Mitxelena, l’un des plus aujourd’hui, les débats se poursuivent
remarquables du Pays basque. quant aux relations entre le basque
et d’autres langues, sans qu’aucune
Les particularités de la langue basque des hypothèses envisagées ne soit
ont toujours suscité un vif intérêt. parvenue à prouver quoi que ce soit, ni
L’euskara est l’une des langues les plus à être suffisamment convaincante pour
anciennes d’Europe et l’on n’est toujours être admise. On ne sait pas de manière
pas parvenu, à ce jour, à éclaircir sa sûre si cette langue était parlée ou
parenté avec d’autres langues En effet, utilisée le long du Golfe de Biscaye,
il est généralement admis que le basque autrement dit si elle est apparue dans
et ses formes antérieures sont parlés cette zone, ou si elle fut amenée par
depuis des milliers d’années en Europe. des populations très anciennes. C’est
Avant l’arrivée des indoeuropéens, il y a pourquoi on la considère comme une
2000 ans, ces langues étaient parlées langue isolée, sans parenté connue
sur un territoire beaucoup plus étendu avec d’autres langues.
Répartition actuelle des
dialectes de la langue basque
Dialecte occidental
Dialecte central
Dialecte navarrais
Dialecte navarro-labourdin
Dialecte souletin
LaLeestandarización
cas du basque 21
Le long chemin du
basque standard
La préoccupation concernant le basque de manière à toucher le maximum
standard est apparue quasiment avec de lecteurs. Il était en quête d’une
la naissance de la littérature écrite langue standard.
basque. Le prêtre Joanes Leizarraga,
lorsqu’il traduisit le Nouveau Au cours du siècle suivant, un autre
Testament en basque, au XVIe siècle, Jésuite eut la même préoccupation.
écrivit dans la préface qu’au Pays Manuel Larramendi fut l’un des
Basque, on parlait différemment d’une premiers apologistes du basque, et il
maison à l’autre. C’est pourquoi il tenta réalisa la première grammaire de la
de créer une manière d’écrire la langue langue, ainsi qu’un dictionnaire. Pour
qui fût comprise par la majorité de la cela, il choisit des mots dans tous les
population. Pour cela, il se concentra dialectes. Il lui apparut que, de cette
sur les variantes pratiquées autour manière, la langue pourrait s’enrichir
de lui, essentiellement celles du nord tout en facilitant la compréhension
des Pyrénées. Il s’efforça d’élaborer mutuelle entre locuteurs de parlers
quelque chose qui fût le plus proche différents, sa priorité étant que les
de toutes les variantes environnantes, Basques s’écoutent les uns les autres.
N’ayant pu accéder au
statut de langue cultivée, la
communauté des bascophones
s’est retrouvée réduite à être
considérée comme illettrée,
quand ce n’était pas ignorante,
malgré une riche tradition
culturelle dont la transmission
était essentiellement orale
proposé d’éviter les gue et gui, et d’em-
ployer les ge et gi, d’écarter le ç au profit
du z, de délaisser les ss et d’adopter le ts.
Le v commença également à être retiré de
l’alphabet basque, et au lieu du y, on se
mit à écrire i ou j.
La voie de
l’Académie
Resurreccion Maria Azkue
L’Académie Euskaltzaindia poursuivit sa
Koldo Mitxelena,
Certaines propositions furent vouées
à l’échec, comme celle consistant à
récupérer la langue basque cultivée du
XVIIe, mais la voie fut véritablement le linguiste
ouverte lorsque des linguistes et des
écrivains s’assirent et commencèrent Les interrogations étaient nombreuses,
à formaliser les bases d’un accord, et personne n’était à même d’y ré-
autour d’une idée centrale : il fallait pondre. L’Académie Euskaltzaindia pro-
toujours partir de la structure interne posa alors à Koldo Mitxelena de rédiger
du basque, pour ne pas avoir à inven- une proposition sur le basque unifié.
ter. Dans le cas où il faudrait créer des Mitxelena était un linguiste reconnu sur
mots nouveaux ou des conventions le plan international, un homme très
nouvelles, le critère serait d’y avoir respecté par ses pairs, sans doute le plus
recours le moins souvent possible. Le fin connaisseur de la langue basque, de
point de départ était clair et cohérent, son histoire et de ses mécanismes lin-
mais les principales questions demeu- guistiques. Il eut différents collabora-
raient. À quoi devrait ressembler le teurs, se fonda sur le travail antérieur
basque standard ? Sur quelle variante des écrivains, mais ce fut lui qui rédigea
faudrait-il le centrer ? Que faudrait-il le document principal. Il était probable-
normaliser ? Pourquoi ? ment le seul à pouvoir le faire.
Mitxelena basa sa proposition sur le
dialecte central, “parce que là se trouve
le coeur de notre peuple, et parce que
dans l’histoire de notre littérature,
il a connu un dynamisme et une
propension très notable”. Autrement
dit, il plaça au-dessus de tout des
raisons linguistiques et sociologiques.
Le dialecte central était le plus proche
de tous les autres, et le plus parlé
et utilisé dans les manifestations
culturelles.
ahari ou mahai, ainsi que pour dif- des écrivains et des linguistes fut mis
férencier les syllabes, comme aho, à profit. Sa valeur symbolique fut
behar, ohe. immense car, d’une certaine manière,
l’Académie Euskaltzaindia acquit un
À Arantzazu furent posées les bases prestige grâce auquel elle devint une
du basque standard. Ce ne fut pas référence pour toutes les associations
une décision surgie du néant, mais ou groupes oeuvrant en faveur
le travail réalisé antérieurement par du basque.
Après Arantzazu 41
Après
Arantzazu
Deux ans après l’assemblée d’Arantzazu, montrait pas un grand enthousiasme en
l’Académie Euskaltzaindia dut élire un faveur du processus de standardisation.
nouveau président. Ceux qui souhai- Il croyait que l’Académie devait garder
taient approfondir la voie du basque une position neutre, ni favorable, ni
standard considéraient comme essen- opposée. Il disait qu’à l’avenir, il conti-
tielle la présence à la direction de l’Aca- nuerait à écrire sans h.
démie d’une personne engagée vis-à-
vis des décisions adoptées, parce qu’ils Mais il n’était pas le seul. En 1970,
savaient que, d’une manière ou d’une autour de quelques écrivains et acadé-
autre, le succès résidait dans le déve- miciens s’organisa une opposition aux
loppement de ce qui avait été convenu. normes décidées à Arantzazu. Ils réus-
Et dans la mise en oeuvre de ce qui, sirent à convaincre le président qu’il
jusqu’alors, ne figurait que sur le papier. n’était pas possible de poursuivre la ré-
forme orthographique. Lekuona décida
Le président de l’époque, Manuel alors de créer une nouvelle commission
Lekuona, bénéficiait d’un grand pres- pour réviser ce qui avait fait l’objet d’un
tige auprès des académiciens, mais il ne accord. Et il proposa que Mitxelena ne
Conférence de Bergara (1978): De gauche à droite, Jose Maria Satrustegi, Koldo Mitxelena,
Luis Villasante et le maire de Bergara Jose Luis Elkoro.
Conférence de Bergara (1978): De gauche à droite, Federiko Krutwig, Luis Villasante, Piarres Lafitte,
Jose Maria Satrustegi et Koldo Mitxelena.
Après Arantzazu 45
Et les dialectes ?
À mesure que le basque unifié gagnait Mais que se passe-t-il avec les
du terrain et s’imposait dans tous les dialectes ? Quel est leur rôle ? Peuvent-
champs de l’écriture, des doutes surgirent ils s’écrire ? Comment, où, quand ?
chez nombre de bascophones quant au
rôle des variantes dialectales. Le nouveau
modèle d’écriture se généralisa dans
les centres d’enseignement, les moyens
de communication, et Les secteurs
de l’administration qui travaillaient Le prestige des
en basque. Ainsi, des générations
de locuteurs intégrèrent le modèle
standard dans leur vocabulaire et leur
dialectes
manière de parler. À l’heure actuelle, il
existe des professionnels de l’écriture, Le prestige des langues est directement
des présidents de gouvernement, des lié au rôle qu’elles jouent dans la
improvisateurs et des professionnels de société. Nous avons vu qu’une langue
l’éducation qui parlent et travaillent dans qui est utilisée uniquement dans le
la langue née des normes d’Arantzazu. On domaine familial sera toujours reléguée
peut affirmer qu’il existe, non seulement hors des sphères décisionnelles, et
dans la langue écrite, mais aussi dans la finira sans doute par disparaître. Si elle
langue parlée, un basque standard. est utilisée au niveau local, ou si elle est
présente dans le monde du travail ou Au XVIIe siècle, c’était un lieu commun
de la culture, elle aura davantage de de dire qu’au paradis les serpents par-
prestige, et si elle est la langue d’une laient anglais, les femmes, français, et
nation, un minimum de reconnaissance Dieu, castillan. En basque, on disait que
lui sera assuré, ce qui l’aidera sûrement le dialecte de Soule, le plus oriental,
à se consolider et à conforter son avenir. était agréable à l’oreille ; le continen-
tal de la côte, celui du Labourd, pré-
Dès lors que le basque standard par- tentieux et cérémonieux ; le central,
vint à occuper des espaces jusqu’alors direct et agréable ; et l’occidental, au
exclusivement réservés à la langue contraire, dur.
dominante, comme les domaines de
l’éducation, et qu’elle obtint un statut Selon cette catégorisation, il est facile
de langue co-officielle dans certains de déduire quels étaient les dialectes
territoires, des doutes apparurent sur les plus “corrects” : les centraux. C’est
le rôle désormais réservé aux variantes pourquoi les variantes les mieux pla-
dialectales. Cette situation nouvelle cées furent déterminantes dans les dé-
vint se greffer sur une certaine classifi- cisions concernant le basque standard.
cation de prestige entre les dialectes du Mais la classification eut des consé-
basque, ce qui provoqua des typifica- quences. Privilégier certaines variantes
tions arbitraires et préjudiciables. par rapport à d’autres fit naître chez
certains le sentiment que leur dialecte
était méprisé ou mis à l’écart. Et il y
eut de nombreux témoignages de per-
sonnes bascophones qui renoncèrent
à leur langue maternelle, parce qu’elle
était considérée comme vulgaire ou de
peu de valeur. Dans les zones où l’on
parlait la variante la plus orientale, par
exemple, au début du XXe siècle, on
commença à demander que les sermons
dominicaux fussent prononcés dans la
variante centrale, “plus correcte”.
sont pas si différentes et, surtout, que Nous avons vu également que, selon
les dialectes sont beaucoup plus mo- les linguistes, la raison de ces divisions
dernes qu’on ne le supposait. linguistiques est la création des diffé-
rents États et partitions administratives
à partir du Moyen-Âge. À savoir que,
lorsqu’il y eut un minimum de relations
entre les locuteurs, ou du moins, des
Selon Koldo Mitxelena, deux évidences Par conséquent, la question est la sui-
indiquent cette relative modernité. La vante : Faut-il encourager ou aider
première, qu’entre tous les dialectes il les dialectes, ou faut-il tendre vers
existe une grande uniformité, car les le standard dans tous les registres de
différences, linguistiquement parlant, la langue ?
sont superficielles : dans toutes les
variantes il existe une même structure
morphologique et phonétique, et le
lexique également est très semblable.
D’autre part, dans tous les dialectes
on trouve une grande quantité d’inno-
vations linguistiques, et il n’en serait
pas ainsi s’ils étaient très anciens. Par Euskaltzaindia
exemple, les mots provenant du latin
ont été adaptés de la même manière
dans tous les dialectes.
et les dialectes
Autre raison : les dialectes véritable- L’Académie de la langue basque a été
ment singuliers sont les périphériques. accusée de promouvoir seulement
Au centre, les différences sont moins le basque unifié et de ne pas avoir
nombreuses et moindres. Cela indique, encouragé les variantes locales. Pour-
selon la linguistique, que les dialectes tant, dans plusieurs documents publiés
ne peuvent être très anciens. Autre- depuis 1979, l’Académie Euskaltzain-
ment dit : les variantes du basque sont dia a exposé clairement sa position : le
plus semblables au centre de la carte basque est une langue, pas de multiples
linguistique. Par conséquent, ce n’est langues. Par conséquent, il convient
pas l’ancienneté qui a créé les diffé- d’utiliser une seule graphie pour l’en-
rences, mais la distance. semble de la langue. Et justement parce
que c’est une langue, et non de mul-
tiples langues, l’Académie a toujours
critiqué cette opinion qui affirme que
le standard est une forme de parler et
d’écrit artificiel et inventé.
Le corpus du
basque unifié
Quand nous disons qu’une langue est Mais toutes les langues sont égales
classique, nous lui donnons une catégo- parce qu’elles sont capables de com-
risation supérieure, au-delà des modes muniquer des connaissances et des
et des époques. Souvent on affirme, en sentiments. Toutes, par conséquent,
revanche, que le kichwa, l’aimara ou le sont valides lorsqu’il s’agit de remplir
basque sont des langues vernaculaires, leur principal objectif : exprimer au
c’est-à-dire, sans grande étendue, ni moyen de sons toute la diversité des
importance. Il y a aussi des langues
registres de l’intelligence humaine.
modernes, comme l’anglais, le français
Est-ce suffisant? Oui. Doit-on s’en
ou l’espagnol. Selon cette classifica-
tion, les langues modernes seraient, contenter ? Non. Il est évident que
par conséquent, celles qu’il convient de toute communauté linguistique qui
connaître, les classiques supposeraient, désire survivre dans le monde actuel
presque exclusivement, un “plus” en doit être capable d’emprunter des
matière de culturisation, et utiliser ou voies qui la conduisent à occuper des
encourager les langues vernaculaires espaces sociolinguistiques non investis
serait, au contraire, une régression. jusqu’alors.
Dans le cas du basque, il est clair que la lectes que seuls leurs locuteurs res-
standardisation a été positive, car elle a pectifs peuvent comprendre sans
permis son utilisation dans des espaces difficultés. Ainsi a-t-il gagné en
interdits auparavant: prestige par rapport aux langues
dominantes.
• Elle a aidé à surmonter les barrières
entre bascophones : aujourd’hui, Plusieurs raisons expliquent cette
celui qui connaît le basque standard évolution.
n’a pas à recourir à l’espagnol ou au
français, pour pouvoir communi- • Au milieu du XXe siècle, la situation
quer dans sa langue avec quelqu’un du basque était très préoccupante. Il
appartenant à un territoire linguis- y avait deux possibilités : l’abandon-
tique différent. ner à son sort ou tenter de le réani-
mer, et tout fut fait pour favoriser
• Elle a permis que le basque s’étende la deuxième option. La dictature
à tous les domaines de la vie so- franquiste créa une génération de
ciale: enseignement, administra- jeunes avec une grande conscience
tion, moyens de communication, politique et culturelle, et toutes
Internet… les décisions en ce sens furent
acceptées comme inévitables et
• Il découle de ce qui précède que nécessaires.
l’acceptation du standard a favorisé
l’extension de la langue dans des • Toutes les initiatives qui furent
domaines précis. Pour que le basque mises en oeuvre pour encourager
survive, la condition indispensable le basque - ikastolas (écoles inté-
était que la masse des locuteurs gralement en basque), gau-eskolas
augmentât. À partir du moment où (basquisation des adultes), moyens
la langue a acquis un certain pres- de communication, initiatives litté-
tige dans différents domaines d’uti- raires…— nécessitaient impérative-
lisation comme l’enseignement ou ment le basque unifié, car c’était le
les moyens de communication, le seul moyen de pouvoir concurren-
nombre de locuteurs a augmenté. cer les langues hégémoniques.
De même, les frontières du basque
ont disparu puisqu’il existe au- • Au moment adéquat, apparut la
jourd’hui des locuteurs sur tous les génération adéquate, qui reçut
territoires. l’appui scientifique d’un grand
linguiste. Il est évident que l’im-
• Elle a permis de prendre conscience pulsion extérieure est impor-
que le basque est une véritable tante, mais c’est la communauté
langue, et non un ensemble de dia- linguistique elle-même qui doit
Le corpus du basque unifié 55
Les conséquences de
la standardisation
À l’heure actuelle, toutes les personnes sont propres, en tant que moyen de
qui travaillent ou vivent autour du communication capable d’exprimer
monde de la langue basque ou de tout ce qui est nécessaire dans les
la culture basque reconnaissent sociétés actuelles, il faut une réelle
que le chemin parcouru grâce à la volonté de la part de la communauté
standardisation a été nécessaire et linguistique. Si la communauté
positif. Il ne faut pas oublier que toutes n’a pas l’énergie suffisante pour
les langues ont des dialectes ou des
parcourir ce chemin, elle est préparée
variantes dialectales. C’est une situation
inconsciemment à être assimilée. C’est
naturelle. Les dialectes, comme la
langue ou variante commune, sont pourquoi il est indispensable, pour la
nécessaires, et méritent d’être connus récupération d’une langue, de disposer
et utilisés, même s’ils le sont dans ces d’une finalité claire : rendre nécessaires
contextes différents. la connaissance et l’utilisation de la
langue sur son territoire. C’est ce qui
Il est évident que pour qu’une s’est passé dans tous les processus de
langue récupère les espaces qui lui récupération d’une langue.
Mais peut-on dire, dans le cas du Pour qu’une langue se
basque, que le chemin parcouru a été réapproprie les espaces qui
le bon ? Le basque s’est-il appauvri en lui sont propres en tant que
établissant une utilisation toujours plus
importante de la variante standard ? moyen de communication avec
Les variantes locales en sont-elles sor- une capacité à exprimer tout
ties perdantes ? ce qui est nécessaire dans les
sociétés actuelles, il faut une
Ceux qui ont travaillé coude à coude
pour que la normalisation progresse, réelle volonté de la communauté
sont convaincus que, grâce au standard, linguistique
aujourd’hui cette langue est plus riche
que celle qui existait il y a quarante ans. normalisation de la langue, nous pou-
Et qu’elle le sera davantage encore dans vons proposer ces jalons aux peuples
l’avenir, car elle sera plus variée et mal- qui souhaiteraient se lancer dans cette
léable. Ils croient également qu’il y aura tâche :
des variations locales, des expressions
ou des mots qui disparaîtront, comme • La première étape de la standardi-
ils disparaissent dans toutes les lan- sation serait de définir un système
gues du monde, sans que cela suppose orthographique commun. Dans de
qu’elles soient plus pauvres, car celles nombreux cas, l’unité du lexique a
qui apparaissent sont plus nombreuses été postérieure à l’unité de l’ortho-
que celles qui s’éteignent et, de surcroît, graphe. Pour cette première étape,
sont plus adaptées à ce que demande il est nécessaire de tenir compte du
véritablement la communauté de fait que :
locuteurs.
• le système orthographique adopté
Mitxelena avait coutume de dire que la est une convention,
linguistique est l’ennemie la plus achar-
née de la standardisation, car elle pré- • le système orthographique de la
fère toujours les plantes sauvages aux langue dominante ne doit pas être
fleurs cultivées. Et qu’il n’y a pas moyen considéré comme l’idéal, ni comme
de prédire l’avenir d’une langue. Il res- le modèle unique,
sort de l’analyse du processus qu’a suivi
la langue basque un certain nombre • toutes les langues ont des va-
d’étapes essentielles. En se basant sur riantes, et varient également dans
la réflexion que nous faisons à partir de leur composante phonologique,
notre propre expérience, et en gardant
à l’esprit que le standard, en soi, n’est • il est nécessaire de parvenir à un
pas un objectif, mais un outil pour la consensus et de céder, en sachant
Les conséquences de la standardisation 61