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Bruno BARBIER
CIRAD UMR G-eau Le retour des grands
Hamma YACOUBA
Institut International
investissements hydrauliques en
d'Ingénierie de l'Eau et de
l'Environnement Afrique de l’Ouest : les
Amadou Hama
MAIGA
perspectives et les enjeux
Institut International
d'Ingénierie de l'Eau et de RÉSUMÉ
l'Environnement L’Afrique de l’ouest est relativement peu dotée en grandes infrastructures hydrauliques capables de
satisfaire les demandes. Les cultivateurs, trop dépendants des aléas climatiques, réclament
l’irrigation. Les consommateurs veulent du riz, qu’il faut irriguer. Les populations sont encore mal
Gil MAHÉ
IRD HSM, UMR hydrosciences desservies en eau potable et le coût de l’énergie appelle à la mise en valeur du potentiel
hydroélectrique. Les décideurs nationaux et internationaux sont bien déterminés à relancer les
Montpellier
grands projets hydrauliques, mais la régulation des débits des fleuves va nécessiter des
négociations serrées entre États à l’échelle des bassins hydrographiques dans le cadre des
Jean-Emmanuel organisations de bassins mais aussi dans le cadre des accords énergétiques notamment entre les
PATUREL États de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Les négociations
IRD HSM, UMR hydrosciences vont nécessiter des compromis importants, surtout en ce qui concerne les zones humides, déjà en
Montpellier voie d’assèchement du fait de la baisse des pluies et qui vont souffrir de la construction de
nouveaux barrages.
Les pluies qui tombent sur l’Afrique de l’Ouest de la faiblesse des réalisations ; nous expliquons
sont globalement abondantes mais elles sont aussi comment la planification de ce potentiel est
principalement exploitées par l’agriculture progressivement transférée aux autorités des
pluviale. Plus de 90 % des eaux qui ruissellent vont bassins versants qui tentent d’impliquer les
à la mer en participant peu à la production de acteurs locaux. Dans la deuxième partie, nous
biens et services. Pour valoriser ce potentiel, discutons de l’évolution des demandes en services
beaucoup d’experts estiment que l’Afrique de liés à l’eau telles que l’eau potable,
l’Ouest a besoin d’investir dans de grands l’assainissement, l’irrigation, l’hydro-électricité, la
ouvrages hydrauliques, barrages et périmètres navigation, le tourisme, l’élevage, la pêche et
irrigués, essentiellement sur les grands fleuves. La l’environnement. Nous discutons des moyens
région se placerait en retard dans ce domaine par alternatifs de satisfaire ces demandes et montrons
rapport au reste de l’Afrique (Consortium pour les sous quelles conditions ces usages peuvent être
infrastructures en Afrique 2008). antagonistes ou entrer en synergie.
Avant de se lancer dans de grands investisse- LA RÉALISATION DU POTENTIEL HYDRAULIQUE
ments coûteux et parfois peu rentables, mieux D’AFRIQUE DE L’OUEST
vaut réfléchir à la pertinence des différentes Le potentiel hydraulique de l’Afrique de l’Ouest
options techniques et managériales. L’intérêt n’est pas fondamentalement défavorable à la
économique des barrages est-il évident ? N’y a-t-il satisfaction des besoins des quelque deux cent
pas d’autres moyens de satisfaire les demandes cinquante millions de citoyens de l’Afrique de
en eau, en riz et en énergie ? Ces demandes ne l’Ouest (290 millions si on inclut le bassin du lac
sont-elles pas en conflit ? Les coûts environnemen- Tchad). Même les projections du stress hydrique
taux ne sont-ils pas excessifs ? Que fait-on des théorique, qui met en relation les quantités d’eau
zones humides ? Ne vaut-il pas mieux envisager potentiellement disponibles et la demande de la
un autre type de développement basé sur l’amé- population, sont rarement déficitaires (United
lioration des performances des systèmes agraires Nations Economic Commission for Africa -UNECA,
existants ? Comment gérer les bassins fluviaux ? 2002), FAO/AQUASTAT, 2005). Seul le Cap Vert
Comment améliorer la productivité de l’eau ? pourrait se trouver en situation de rareté hydrique
Dans cet article, nous analysons certains des d’ici à 2025, c’est-à-dire avec moins de 1 000 m3
éléments du débat qui oppose, sur l’intérêt de la par habitant et par an, alors que le Burkina Faso, le
relance des grands ouvrages hydrauliques en Niger, le Ghana, le Nigéria et le Togo pourraient se
Afrique de l’Ouest, les grands organismes trouver en situation de stress hydrique, c’est-à-dire
internationaux comme la Banque Mondiale ou le avec moins de 1 700 m3 par habitant et par an. La
PNUD aux ONG et aux tenants du microcrédit. situation est bien plus préoccupante pour les pays
Dans une première partie, nous faisons le point sur africains situés en zone aride comme l’Afrique du
la réalisation du potentiel hydraulique et les causes Nord, de l’Est et du Sud (UNECA 2002).
32 VOL 84-1-2/2009 Le retour des grands investissements hydrauliques en Afrique de l’Ouest
PRESAO déjà cité, mais qui est encore très peu La faiblesse des réalisations hydrauliques Ouest
utilisé car encore trop qualitatif. Par ailleurs africaines est corrélée au faible développement
AGRHYMET diffuse les dates optimales de semis, économique de la région. Seuls le Ghana, le
par approche statistique à partir d’observations Nigeria et la Côte d’Ivoire ne sont pas classés
satellitaires. Avec de bonnes prévisions les parmi les pays dits « moins avancés ». Les
paysans pourraient ajuster leur plan de campagne capacités techniques et managériales des États
en favorisant les cultures et les techniques d’Afrique de l’Ouest progressent trop lentement
culturales plus ou moins résistantes à la pour envisager de renforcer les capacités
sécheresse. Par exemple si la saison s’annonce régionales en termes de constructions
nettement déficitaire on favorisera les cultures d’infrastructures de génie civil. Les institutions
résistantes à la sécheresse comme le mil. Les publiques concernées ont souvent été
éleveurs pourront déplacer leurs troupeaux en déstabilisées par les plans d’ajustement structurel
conséquence, stocker des fourrages ou vendre une et le secteur privé n’est pas encore en mesure de
partie du cheptel. Pour les décideurs, prévoir une relever le défi. Il faut faire appel à des
saison déficiente permettrait de préparer des compétences étrangères qui impliquent un
stocks à l’avance, d’alerter les agences d’aide ou surcoût pour le transport des machines, le
de réduire les décharges des barrages personnel, le matériel et le carburant. Dans la base
hydroélectriques. de données Aquastat de la FAO, qui regroupe une
étude comparative sur 250 périmètres irrigués
Une autre piste envisagée par les pays sahéliens dans différents pays en développement, parmi les
pour réduire leur vulnérabilité au changement 20 périmètres irrigués les plus coûteux par
climatique est la pluie artificielle. Plusieurs pays hectare, 15 sont africains, dont la moitié sont
sahéliens ensemencent déjà des nuages, situés en Afrique de l’Ouest (FAO/AQUASTAT
préalablement analysés par des radars. L’objectif 2005). Vu le coût croissant de l’énergie et des
est le plus souvent de remplir des barrages matériaux de construction, il sera difficile de
stratégiques. Si le Burkina Faso utilise cette réduire les coûts des périmètres dans l’avenir.
technique depuis de nombreuses années (projet Certains comptent sur l’implication croissante des
SAAGA depuis 1998), d’autres pays l’expérimen- entreprises asiatiques pour réduire ces coûts.
tent. Toutefois l’impact réel de cette technologie
est mal connu car il faut encore démontrer que la Le retour des grands projets hydrauliques
pluie ne serait pas tombée de toute façon ailleurs
ou que l’on n’assèche pas certaines zones en en Depuis le début de la décennie, les éléments clés
favorisant d’autres. L’analyse coût-bénéfice de du débat sur la construction de la grande
l’impact des pluies artificielles doit comparer les hydraulique ont changé. Plusieurs éléments ont
pluies de zones traitées avec celle de zones permis de relancer les projets de grandes
témoins et ceci sur de nombreuses années, ce qui infrastructures hydrauliques : l’apaisement des
est très difficile à réaliser. grands conflits armés (comme en Sierra Léone et
au Libéria), certains progrès de la démocratie, les
Un potentiel fluvial sous exploité progrès de l’intégration régionale, une certaine
reprise économique, la récente crise alimentaire et
L’Afrique de l’Ouest a relativement peu investi surtout la réduction d’une grande partie des dettes
dans les grandes infrastructures hydrauliques. Si multilatérales. Les institutions financières
les bassins de l’Afrique du Nord et de l’Afrique du internationales souhaitent à nouveau investir dans
Sud ont été exploités pour l’irrigation, les bassins l’hydraulique, non seulement pour relancer les
du Sénégal et du Niger laissent passer plus de économies, mais aussi pour créer ces emplois qui
90% des écoulements. réduiraient l’émigration vers les pays du Nord. On
reparle à nouveau des grands aménagements
dans les bassins des fleuves Niger, Sénégal et
La majorité des grands investissements Volta.
hydrauliques a été réalisée après les
indépendances, tel que le barrage d’Akossombo Mais ces grands investissements doivent faire
au Ghana. Malgré quelques efforts après la l’objet d’une concertation étroite entre les États qui
sécheresse des années 1970 et 1980, l’Afrique de partagent ces cours d’eau internationaux.
l’Ouest a relativement peu investi pour réduire les L’Afrique de l’Ouest est politiquement très
effets de son climat si variable. Seule une centaine morcelée. La forte interdépendance des pays
de grands barrages de plus de 3 millions de Ouest-africains en matière d’eau, conjuguée à une
mètres cubes ont été construits soit moins de 8% certaine persistance des réflexes nationalistes et la
des barrages africains, alors que l’Afrique de récurrence des sécheresses ou des inondations,
l’Ouest représente un tiers de la superficie du créent un terrain propice aux tensions autour du
continent et qu’elle est soumise à un climat partage de l’eau (Schmitz, 1991 ; Barrière et
variable. Un cas particulier est le Burkina Faso qui Barrière 2002 ; Niasse 2004 ; Niasse et al., 2004).
a construit plus de 1 000 petits barrages en terre,
essentiellement dans sa partie nord, pour favoriser Officiellement, le besoin d’une gestion concertée
l’élevage et la petite irrigation (ministère de de l’eau et de l’énergie est un fait acquis dans la
l'Agriculture, de l'Hydraulique et des Ressources sous-région. Il est vrai qu’un pays pourra
halieutiques 2003 ; Sanfo et al., 2008). difficilement viser la satisfaction des besoins
34 VOL 84-1-2/2009 Le retour des grands investissements hydrauliques en Afrique de l’Ouest
demande des villes et les autres demandes, d’un cours d’eau. Il crée des emplois, génère des
sachant que, dans l’ensemble, les aquifères seront revenus supérieurs et améliore la nutrition. Il fait
principalement destinés à l’eau potable et les eaux aussi vivre un grand nombre d’intermédiaires,
de surface aux usages agricoles et hydro- notamment des femmes.
électriques.
Toutefois le marché du maraîchage est étroit.
Cultures irriguées ou pluviales ? Même si les pays du Sahel exportent de plus en
plus de légumes vers les pays côtiers dont le
L’agriculture Ouest africaine pourrait très bien climat trop humide pénalise le maraîchage, les
satisfaire la demande croissante des populations crises de surproduction sont fréquentes. Les
urbaines, même si ces dernières se tournent vers exportations de haricot vert vers l’Europe ont
de nouveaux modes alimentaires à base de riz et pratiquement disparu de la sous-région au profit
de blé. Il faudra probablement continuer à du Kenya mieux organisé. Tant que les filières
importer le blé, mais la sous-région pourrait maraîchères resteront désorganisées, le riz restera
produire l’essentiel de sa consommation de riz la culture majeure des périmètres irrigués du
(Abernethy et al., 1985). Sahel.
Les périmètres irrigués représentent moins de 2% Peut-on réduire les consommations d’eau dans les
des terres cultivées Ouest africaines contre 18 % périmètres irrigués ? Les modes d’irrigation
au niveau mondial et 33 % en Inde et ne varient par leur conception, leur sophistication et
contribuent que modérément à la sécurité leur coût. Le gravitaire en maîtrise totale de l’eau,
alimentaire de la région. Les rares investissements le mode le plus répandu, nécessite des
sont concentrés sur les zones sahéliennes du Nord investissements très lourds, pouvant dépasser
du Nigéria (Kimmage et Adams, 1990), de l’Office 15 000 euros par hectare et une gestion de l’eau
du Niger au Mali (Bonneval, 2002) ou de la SAED complexe (ministère de l'Environnement et de
au Sénégal (Bélières et Touré, 1999). On trouve l'Eau du Burkina Faso, 2001). Le gravitaire est
aussi une multitude de petits périmètres situés le particulièrement indiqué pour la riziculture qui
long des fleuves ou autour des barrages, grands et consomme de grands volumes d’eau. La réduction
petits, dans les zones péri-urbaines ou dans les des volumes d’eau sur les périmètres rizicoles est
mangroves de Casamance (Posner et al., 1988) et complexe, car dans beaucoup de cas il faut gérer
de Guinée Bissau. la salinisation des sols par des lessivages massifs.
La réduction des gaspillages est particulièrement
Les plans d’ajustement structurel ont nettement difficile quand l’eau est gratuite. Les meilleurs
ralenti le développement des périmètres irrigués. résultats sont obtenus dans les périmètres qui
Ceux-ci sont effectivement coûteux (Berthome et pompent l’eau, ce qui incite les irrigants à réduire
a l., 1986) et plus chers en Afrique qu’ailleurs la facture énergétique.
(FAO/AQUASTAT, 2005). Les périmètres sont en
moyenne relativement peu productifs et peu Les modes d’exhaure de l’eau sont également
rentables. Le manque d’expérience des irrigants et variés, de la calebasse à l’hydrovis, en passant par
leur manque d’organisation ne favorisent pas une les shadoufs, les motopompes, les pompes à pied
gestion rationnelle des eaux, des sols et des ou à chaîne. Le renchérissement des
infrastructures (Bethemont et al., 2003). Dans hydrocarbures devrait favoriser l’exhaure humaine
certains cas, des pratiques inadaptées ont salinisé et animale pour les cultures à haut rapport. Les
ou dégradé les sols (Bertrand et al., 1993). La pompes solaires sont pratiquement inexistantes.
riziculture, privilégiée par les aménagistes, est L’irrigation de complément des cultures pluviales à
concurrencée par les importations de riz asiatique partir de petits bassins se révèle rentable sous
bon marché (Barbier et al., 2005). Les faibles taxes certaines conditions de coûts d’opportunité (Fox et
à l’importation des pays de la CEDEAO et la a l ., 2005) mais l’adoption de telles techniques pour
surévaluation du Franc CFA par rapport au dollar les cultures pluviales est nulle.
défavorisent la production locale. Mais c’est aussi
la faible adoption de pratiques agricoles adaptées, L’irrigation par aspersion est rare à cause des
le manque d’entretien des réseaux et la faible pertes par évaporation, de la fragilité des systèmes
efficience des systèmes irrigués qui sont à l’origine et du coût du pompage sous pression. L’aspersion
des coûts de production élevés (Loquay et à partir de pivots, fort rare, est surtout utilisée pour
Leplaideur, 1995). la canne à sucre. Le goutte-à-goutte, « adapté »
pour le petit maraîchage bien que constamment
Les cultures maraîchères, en pleine expansion, promu dans les conférences, est rare sur le terrain.
vont-elles remplacer la riziculture ? Elles Les systèmes dits californiens avec tuyaux
nécessitent moins d’eau, un peu moins de travail enterrés sont plutôt utilisés pour les cultures à
que le riz et des infrastructures moins complexes haut rapport comme le haricot vert.
que la riziculture qui, elle, nécessite des sols
hydromorphes ou vertiques, des planages L’aménagement des bas-fonds est bien moins
coûteux, une lame d’eau constante et des digues coûteux que l’irrigation gravitaire, mais le contrôle
de protection contre les crues. Au contraire du riz, de l’eau est très partiel, permettant des
le maraîchage peut être réalisé à peu près partout rendements plus modérés et irréguliers (Albergel
où il y a de l’eau, autour d’une mare, d’un puits ou et al., 1993 ; Jamin et Windmeijer, 1996 ; Sally,
36 VOL 84-1-2/2009 Le retour des grands investissements hydrauliques en Afrique de l’Ouest
1997 ; Legoupil et al., 1999 ; Dembélé et al., 2001 ; où un barrage hydroélectrique relâche l’eau
FAO, 2003). turbinée en aval. Un barrage qui régule un cours
d’eau peut aussi augmenter le productible
La réduction des volumes d’eau nécessaires à électrique des barrages situés en aval. De plus, un
l’irrigation se heurte à la désorganisation des barrage hydroélectrique écrête les crues et
périmètres irrigués. Leur gestion a été en grande soutient les étiages, permettant de contrôler les
partie remise aux coopératives et groupements de inondations et de construire plus facilement des
producteurs. Si à l’Office du Niger la participation périmètres irrigués en amont et en aval. Toutefois
des producteurs à la gestion est considérée dans les zones arides, un barrage hydroélectrique
comme un succès (Bonneval, 2002), en règle consomme de l’eau par évaporation. Par exemple,
générale, l’autogestion se révèle décevante. Les le barrage de Taoussa dans la boucle du Niger au
groupements se heurtent à une certaine Mali évaporera une lame d’eau de trois mètres,
incohérence des politiques publiques qui passent réduisant le débit du fleuve d’un bon tiers (ABN,
trop vite de la gestion étatique à un libéralisme qui 2007).
équivaut à un abandon (Bethemont et al., 2003).
De nouveaux modes de gestion sont proposés, L’hydroélectricité contribue tout de même à 40%
tels que la professionnalisation des différentes de la production totale d’électricité de la sous-
fonctions des périmètres irrigués (Compaoré et al., région, le reste étant produit par les usines
2002). La Banque Mondiale soutient le thermiques à partir de pétrole ou de gaz naturel
développement de petits périmètres privés, mais (FMI, 2009). Si l’électricité est très bon marché au
le mode de production capitaliste de type Nigéria et abordable au Ghana et en Côte d’Ivoire,
patron/salarié se montre rarement plus efficace elle atteint des records mondiaux dans les pays
que le petit paysannat. De même, les tentatives sahéliens enclavés, à cause des coûts de transport
d’intégration verticale des filières maraîchères et du carburant (Diaw, 2004), de sorte que le coût
fruitières sont restées très timides. élevé de l’électricité handicape fortement la sous-
région. La consommation d’électricité est faible
L’irrigation, si coûteuse et souvent décevante, est- dans les pays du golfe de Guinée et dérisoire dans
elle réellement nécessaire ? Le climat de l’Afrique les pays du Sahel qui ensemble consomment
de l’Ouest est relativement bien arrosée. Les pays l’équivalent de 1 % de la consommation de la ville
côtiers du golfe de Guinée bénéficient d’un climat de New York (Minvielle, 1999). Elle varie de
humide de type bimodal, favorable aux cultures 346 kwh/habitant à 22 kwh/habitant selon les pays
pérennes et à la double culture. Les zones situées de la sous-région. La consommation moyenne
sous climat soudano-guinéen à régime avoisine 127 kwh/habitant, soit trois fois moins
monomodal sont encore relativement peu que la moyenne de l’Afrique subsaharienne,
exploitées et offrent un potentiel appréciable pour environ cinquante fois moins qu’un Français ou
les cultures pluviales. Elles sont en voie de cent fois moins qu’un Américain. Les handicaps
colonisation par les populations venant du Sahel sont à la mesure du développement économique
et des zones soudaniennes (Cour, 1994 ; Ninnin, de la région. Les sociétés d’électricité peinent à
1994 ; Snrech, 1995). Ces zones sont très recouvrer leurs coûts car les marchés d'énergie
favorables au maïs. Les paysans encadrés nationaux sont étroits. Les infrastructures de
produisent aisément plusieurs tonnes de grains production et de transport d'énergie électrique
par hectare. C’est là que se trouvent les greniers à sont très coûteuses. Le privé ne contrôle pas plus
céréales des pays sahéliens, mais aussi les de 10 % du total de la production et les pertes en
cultures de coton dont l’Afrique de l’Ouest est le ligne sont élevées (entre 14 et 45% selon les pays).
deuxième exportateur mondial. La plupart des
pays sahéliens sont proches de l’autosuffisance et Le kilowatt/heure produit par l’hydroélectricité est
voient leurs rendements moyens croître nettement moins coûteux que celui produit à
rapidement (FAOSTAT, 2009). partir de centrales thermiques alimentées par des
hydrocarbures dont le prix risque encore de
Seules les parties soudaniennes et sahéliennes de progresser dans les décennies à venir. Le potentiel
l’Afrique de l’Ouest se trouvent dans une situation hydroélectrique de l’Afrique de l’Ouest avoisine
défavorable aux cultures pluviales, surtout depuis 25 000 mégawatts, principalement dans les pays
la baisse des pluies des années 1970. Les régions bordant le golfe de Guinée comme le Nigéria
sahéliennes sont souvent peu peuplées et celles (37%), la Guinée (26%), le Ghana (11%), la Côte
éloignées des fleuves tendent à se dépeupler. Les d’Ivoire (11%) et la Sierra Leone (5%). En 1999, le
abords des fleuves Niger et Sénégal permettent projet d'Échanges d'énergie électrique d’Afrique
d’envisager un certain développement de l’Ouest- (EEEAO) prévoyait l’aménagement de
agropastoral et halieutique. Si c’est dans ces zones nouveaux sites sur la Volta (Bui au Ghana), sur le
que se justifie l’irrigation, c’est aussi dans ces Niger (Fomi et Fello Sounga en Guinée), sur le
zones que l’évaporation de l’eau des barrages fleuve Sénégal (Sambagalou au Sénégal et
induit le plus de gaspillage. Manantali au Mali), sur le Niger (Kandadji au
Niger) et en Sierra Leone (le Rokel à Bumbuna)
Hydroélectricité ou thermique ? pour une capacité totale installée de 1010 MW et
un coût de 1,7 milliard de dollars US (de 1999). En
Les manuels décrivent l’hydroélectricité comme outre le Burkina Faso a entamé la construction
une utilisation non consommatrice dans la mesure d’un barrage à Samandéni sur le Mouhoun et en
Le retour des grands investissements hydrauliques en Afrique de l’Ouest VOL 84-1-2/2009 37
en abondance au Nigéria, au Ghana et en Côte ACHARYA G., BARBIER E. B., 2000, Valuing
d’Ivoire pour réduire le coût de la facture groundwater recharge through agricultural
énergétique. production in the Hadejia-Nguru wetlands in
northern Nigeria, Agricultural Economics, 22,
Le choix des infrastructures dépendra p. 247-259.
premièrement de l’évolution des différentes
demandes. Si la priorité va aux demandes en eau ALBERGEL J., LAMACHÈRE J. M., LIDON B.,
potable, qui vont augmenter plus vite que la MOKADEM A. I., DRIEL W. V. (éds.), 1993, Mise en
population elle-même, les besoins devraient être valeur agricole des bas-fonds au Sahel : typologie,
assez facilement couverts par les aquifères et les Fonctionnement hydrologique, potentialités
eaux de surface. La demande en eau par l’industrie agricoles, Wageningen, Pays Bas, Commission
restera probablement modérée et restera confinée des Communautés Européennes, Direction
aux pays côtiers humides. C’est l’irrigation qui va générale XII.
rapidement rencontrer des limites, même si une
grande partie de l’eau des fleuves Ouest-africains ANDREINI M., VAN DE GIESEN N., VAN EDIG A.,
va à la mer. Les projets d’extension des périmètres FOSU M., ANDAH W., 2000, Volta Basin Water
le long des fleuves vont nécessiter la régularisation Balance, ZEF Discussion Paper n°21, ZEF, Bonn,
de ces fleuves, d’où un impact sur les zones Germany.
humides.
ARDOIN-BARDIN S., DEZETTER A., SERVAT E.,
L’Afrique de l’Ouest a besoin de compétences PATUREL J. E., MAHE G., NIEL H., DIEULIN C.,
pour mettre en valeur ses ressources en eaux de 2009, Using general circulation model outputs to
surface et souterraines. Pour réduire le recours aux assess impacts of climate change on runoff for
compétences extérieures, les États de la CEDEAO large hydrological catchments in West Africa,
doivent développer leurs propres capacités Hydrological Sciences Journal, 54(1), p. 77-89.
techniques. Il faudra renforcer les capacités du
secteur public pour contrôler les travaux, gérer les BARBIER B., LONCILI K., MANDÉ T., 2005,
ouvrages et les différents marchés qui vont se Prospect for rice production and consumption in
mettre en place pour l’eau et l’énergie. Il faudra Burkina Faso: Policy implications, Atelier Adrao sur
aussi former un nombre important d’experts " les politiques et stratégies pour la promotion
africains pour satisfaire les besoins des entreprises rizicole et la sécurité alimentaire en Afrique
privées africaines et étrangères. subsaharienne ", Cotonou Bénin.
En somme, l’Afrique de l’Ouest est une des BARRIERE O., BARRIERE C., 2002, Des conflits
régions de la planète les plus en demande fonciers environnementaux. Un droit à inventer :
d’infrastructures hydrauliques. Si les grandes foncier et environnement dans le delta intérieur du
ambitions hydrauliques semblent de retour, les Niger (Mali), O. Barrière and C. Barrière. Paris, IRD
obstacles restent nombreux. La crise financière Edition, 200 p.
mondiale aura un impact sur la générosité des
financiers internationaux. Il y a ensuite le risque BELIÈRES J. F., TOURÉ E. A., 1999, Impact de
d’endetter à nouveau des pays dont l’assise l'ajustement structurel sur l'agriculture irriguée du
financière reste fragile. Les projets de grands delta du Sénégal, Ecole nationale supérieure
barrages Ouest africains ont des taux internes de agronomique de Montpellier, Montpellier, France.
rentabilité relativement modestes, surtout quand
les économistes calculent les externalités BERTHOME P., GOUEFFON M., PIATON H., 1986,
environnementales. Les groupes environne- Aménagements hydroagricoles en zone soudano-
mentaux sont de plus en plus convaincus qu’il sahélienne: leurs coûts, leur résultats, Aix en
existe des alternatives raisonnables à la Provence, CEMAGREF, 50 p.
construction de grands barrages. Il faudra un
certain courage politique aux agences de bassin BERTRAND R., KEÏTA B., N'DIAYE K., 1993, La
pour orienter les ambitions des décideurs vers des dégradation des sols des périmètres irrigués des
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