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L’Institut Royal des Etudes stratégiques (IRES) a organisé le jeudi 17 mars 2022
une séance de brainstorming sur le thème : « Quel avenir de l’eau au Maroc ? », en
présence d’experts nationaux et internationaux.
Les échanges ont porté sur la situation actuelle de l’eau ainsi que sur les enjeux
soulevés par l’aggravation du déficit hydrique. L’objectif étant de faire ressortir, dans
le cadre d’un exercice d’intelligence collective, des idées et des propositions innovantes
destinées à préserver le capital hydrique national et à rénover la gestion de l’eau.
Le Maroc est passé au cours des deux dernières décennies d’une situation
de « stress hydrique » à une situation de « rareté hydrique »1. Selon les estimations
actuelles, l’approvisionnement moyen par habitant et par an en eau douce n’excède
pas, actuellement, 650 m3 par habitant et par an contre 1000 m3 au début des années
2000. En 1960, ce chiffre atteignait 2500 m3 par habitant et par an. Cette situation est
aggravée par la baisse de la qualité des eaux en raison de la pollution générée par le
système productif.
Le potentiel des ressources en eau naturelles, déjà faible, est estimé en 2020,
selon le département ministériel chargé de l'eau, à 22 milliards de m3 par an dont 18
milliards de m3 de réserves en eaux superficielles et environ 4 milliards de m 3 en eaux
souterraines. Ces ressources sont réparties inégalement sur le territoire. Plus de 50 %
d’entre elles sont concentrées dans les régions du Nord et du Centre 2.
Les eaux superficielles (18 milliards de m3) sont constituées principalement par
les retenues d’eaux des barrages. Leur volume est sujet à de fortes variations annuelles,
entre 5 et 50 milliards de m³ en fonction des aléas climatiques.
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Le taux de remplissage global des barrages, à fin février 2022, n’excède pas 34%
contre 51% enregistré à la même période de 2021. La pénurie des eaux de surfaces
conduit, à son tour, à la surexploitation des nappes phréatiques impactant
négativement le volume et la qualité des ressources en eaux souterraines.
Sur les 130 nappes phréatiques répertoriées, 32 sont des nappes profondes et
98 sont des nappes superficielles, sachant que les systèmes aquifères couvrent une
superficie totale de près de 80.000 km², soit environ 10% du territoire. Leur
surexploitation entraîne une diminution de la ressource à un rythme qui dépasse leur
taux de renouvellement ainsi qu’une baisse continue de leur niveau piézométrique.
Les eaux souterraines (4 milliards de m3) représentent, malgré leur faible volume,
une source essentielle d'approvisionnement en eau potable des populations. Elles
fournissent de l’eau douce à plus de 90% de la population rurale, irriguent près de 40%
de la superficie totale des zones agricoles du pays et contribuent à plus de 50% à
la" valeur économique "de l'ensemble des superficies agricoles irriguées3.
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Le Moyen Atlas, considéré auparavant comme le "château d’eau" du
Maroc, ne l’est plus en raison de la surexploitation des écosystèmes et des lacs
naturels, qui jouent un rôle fondamental dans la recharge des aquifères. Ce phénomène
est exacerbé par une gestion du "capital hydrique", autrefois exemplaire, qui s’avère
aujourd’hui de plus en plus inadaptée.
Ces acquis ont permis de mobiliser des ressources en eau qui assurent des taux
d’approvisionnement en eau potable de 100% de la population urbaine et de 97,8% de
la population rurale, ainsi que l’irrigation de 2 millions d’hectares 6 . Cependant, ce
modèle de gestion de l’eau a atteint ses limites, en privilégiant une politique de
l’offre qui consiste à puiser dans des ressources de plus en plus limitées pour satisfaire
la demande.
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2. Les enjeux d’avenir : gouvernance, durabilité,
compétitivité, innovation, équité.
La question de l’eau a été maintes fois mise en avant dans les Discours Royaux
comme devant être un enjeu central de politique publique. Cette problématique a été
relayée, également, dans les travaux réalisés par l’IRES. La situation actuelle du déficit
hydrique corrobore ce constat.
Au niveau des territoires, les agences et les conseils de bassins ont pour mission
d’appliquer la règlementation localement. Cependant, ces structures manquent de
moyens financiers et de ressources humaines, ce qui limite leur efficacité.
Sur le plan législatif, deux lois importantes ont été promulguées : la loi 10-95 sur
l’eau qui date de l’année 1995 et la loi 36-15, plus récente (année 2015). Elles
constituent des outils législatifs relativement complets et représentent un acquis
important pour la gouvernance de l’eau. Mais, sur ce volet également, force est de
constater qu’elles ne sont pas encore appliquées en totalité.
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Lors du brainstorming organisé par l’IRES le 17 mars 2022, plusieurs experts ont
suggéré la nécessité de repenser, à la lumière d’un bilan hydrique approfondi, le
modèle productif en vigueur. Cela concerne en particulier les stratégies sectorielles
mises en œuvre (plan Maroc-Vert, stratégie Génération Green, plan d’accélération
industrielle, tourisme…). En effet, plusieurs segments du système productif seraient
contre-productifs du fait de leurs impacts négatifs sur la ressource hydrique et
sur l’environnement de manière générale, comparés à leur contribution au PIB.
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Au Canada, par exemple, la province de l’Ontario a opté pour faire de
l’innovation technologique dans le secteur de l’eau une véritable industrie et un levier
stratégique de compétitivité économique. La stratégie adoptée souligne l’intérêt
d’atteindre, dans le domaine de la gestion de l’eau, les objectifs environnementaux
tracés au plan local tout en assurant à l'Ontario une position très compétitive au niveau
international dans le secteur des technologies propres8.
Comme mentionné plus haut, plus de 50% des ressources en eaux superficielles
et souterraines se situent au Nord et au Centre du Maroc. Une pénurie durable en eau
risque d’aggraver les disparités spatiales en raison de l’accès inégal à cette ressource
vitale. Des impacts négatifs peuvent en résulter au plan des équilibres territoriaux en
raison de la migration climatique intra et interrégionale vers des zones où la ressource
est plus accessible. Ce phénomène migratoire pourrait, à son tour, fragiliser, dans les
régions d’accueil, la cohésion sociale en cas de pression sur les ressources en eau et
sur les écosystèmes locaux.
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2.5. Des enjeux de développement durable
A cette fin, les experts réunis au siège de l’IRES le 17 mars 2022 ont formulé
quelques propositions stratégiques, déclinées en mesures opérationnelles, visant à
repenser la gestion de l’eau au Maroc, tout en capitalisant sur les acquis. L’objectif
recherché est de garantir la sécurité et la souveraineté hydriques au niveau national,
dans l’optique d’une croissance économique durable et inclusive. Les propositions
suggérées sont les suivantes :
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• Actualiser le cadre législatif et réglementaire par le biais de mesures visant à
préserver le capital hydrique, résumées comme suit :
• Mieux contrôler la qualité des eaux non conventionnelles traitées et imposer aux
régies l’utilisation des énergies renouvelables dans les processus de
déminéralisation des eaux saumâtres.
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• Conditionner l’octroi de permis de construction par la collecte des eaux pluviales.
1Le concept d’eau virtuelle associe à quelques biens de consommation ou intermédiaires la quantité d’eau nécessaire
à leur fabrication.
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S'agissant de la sécurité et de la souveraineté hydriques :
• Disposer d’une carte d’aptitudes et de vocation agricoles ainsi que d’une évaluation
de l’usage de l’eau pour les différentes spéculations agricoles.
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Procéder à la rationalisation de la consommation en eau :
Sur un autre registre, il serait judicieux de prendre acte, sur le plan industriel, du
fait que le secteur de l’eau est un secteur d’avenir et d'envisager, par ricochet, les
mesures suivantes :
Il est suggéré de se rapprocher d’une gestion de l’eau qui reflète les "coûts réels"
en assurant en même temps une équité sociale qui garantisse "l’inclusivité". Par
conséquent, la gestion par les coûts réels nécessiterait la mise en place de mécanismes
de compensation et de solidarité nationale au profit des populations défavorisées
moins consommatrices de l'eau.
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3.5. Faire de l’eau une cause nationale citoyenne et inclusive
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Notes de références bibliographiques
1Falkenmark and Lindh 1976, cité dans UNEP/WMO, « Climate Change 2001: Working
Group II: Impacts, Adaptation and Vulnerability »
NB : L'indicateur de Falkenmark mesure les zones touchées par le « manque d'eau »
selon la quantité d'eau disponible par habitant et par an (m 3/hab/an). Celles dont la
disponibilité en eau par an et par habitant est inférieure à 1 700 m3/hab/an, sont
considérées en situation de "stress hydrique" (en tension mais sans manque important).
Il s'agit principalement des zones arides. Entre 1 700 et 1 000 m3/hab/an, on parle alors
de pénurie d'eau (qui peut être périodique ou limitée). Lorsqu'une région fait moins de
1 000 m3/hab/an, cette région est alors confrontée à la rareté de l'eau. Les pays
du Proche-Orient, du Moyen-Orient, d'Afrique et de l'Asie sont considérablement
touchés par ce phénomène.
NB : le rapport du HCP intitulé « Examen volontaire de la mise en œuvre des Objectifs
de Développement Durable, daté de 2020, souligne que la part de l’eau disponible par
habitant ne cesse de rétrécir passant d’environ 2560 m3/habitant /an en 1960 à 620 m3
en 2019.
2RapportIRES, la question de l’eau au Maroc selon l’approche Nexus dans le contexte
du changement climatique, 2020.
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IRES, op. Cité, 2020 : "La demande en eau globale est évaluée, selon le Département
de l’Eau, à 16,28 Milliards de m3/an. Elle est répartie en 14,53 Milliards de m3/an pour
l’Agriculture, soit 89,26% de la demande en eau globale du Maroc et 1,75 Milliards de
m3/an d’Eau Potable, Industrielle et Touristique (AEPIT), soit environ 10,74 % de la
demande en eau globale du Maroc. La demande en eau globale estimée à l’horizon
2050 est de 18,69 Milliards de m3/an. Elle est répartie en 2,6 Milliards de m3/an d’Eau
Potable, Industrielle et Touristique (AEPIT), soit environ 13,91 % de la demande en eau
globale du Maroc, et 16,09 Milliards de m3 /an pour l’Agriculture, soit 89,09 % de la
demande en eau globale du Maroc"
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Liste des experts ayant participé au brainstorming de l'IRES sur la
question de l'eau au Maroc
• M. ABOUFIRASS Mohamed, Spécialiste en génie rural
• Mme ACHBAH Mounia, Expert en eaux et forêts
• M. AMEZIANE Tayeb, Spécialiste sècheresse et agronomie
• M. BAZZA Mohamed, Expert international en sècheresse, FAO
• M. BOUAZIZ Ahmed, Enseignant-chercheur en agronomie
• M. DAKI Mohamed, Hydrologue et expert zones humides
• M. DAKINA Abdelaali, spécialiste énergies renouvelables et dessalement
• M. EL HAIBA Mustapha, Spécialiste en génie rural
• M. EL HAJI Kamal, Spécialiste en traitement des eaux usées
• M. EL HARIZI Khalid, Agroéconomiste, FAO
• M. EL MAHBOUL Abdellah, Expert international en eau
• Mme. EL MEKNASSI Ehssan, Expert en eau
• M. EL RHAZ Khalid, Expert Climat
• M. KHATTABI Abdellatif, Expert des questions environnementales, Chercheur
associé à l'IRES
• M. LARABI Abdelkader, Expert en ressources hydriques
• M. LARAICHI Abdellah, Expert en transformation agricole
• M. MAKRAM Fraj, Expert ressources hydriques et sècheresse
• M. MESKI Driss, Expert international en ressources hydriques
• Mme SEBARI Karima, Expert en irrigation
• M. SINAN Mohamed, Expert en changement climatique et eaux souterraines
• M. TOBI Mohamed, Expert en aménagement forestier
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