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André Larané

Le mariage dans tous ses états

ISBN 978-2-9523882-7-6
Sommaire

Le mariage dans tous ses états L’Essentiel


Chapitre 1 :
par André Larané De Sumer aux Germains,
un mariage pas si archaïque
Chapitre 2 :
Un document inédit d’Herodote.net De Charlemagne au Siècle des Lumières,
avec un choix de textes évocateurs « gai, gai, marions-nous »
Chapitre 3 :
de la Révolution à nos jours,
« je t’aime, moi non plus »
mars 2013 Bibliographie
Choix de textes
Avec la collaboration Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (extraits)
d’Isabelle Grégor et de Jean-Marc Simonet

ISBN 978-2-9523882-7-6

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L’Essentiel dont nous avons fait conjoint et conjugal.
Il signifie que les époux portent ensemble (cum) le
même joug (jugium) et se traduit par une belle formule
qu’échangent les époux au moment du mariage : «Ubi
Le mariage est l'institution sociale la plus ancienne. Il tu Gaius, ego Gaia» (Où tu es toi Gaius, je suis moi
n'a pas été établi pour consacrer l'amour de deux êtres Gaia).
(on n'a pas besoin d'une reconnaissance sociale pour
s'aimer et vivre ensemble) mais pour assurer une «Gai, gai, marions-nous»
protection juridique aux enfants appelés à naître de
cette union et garantir leur droit à hériter. Chapitre 2 : de Charlemagne au Siècle des Lumières
Le mariage a connu depuis le commencement de À la fin de l’Antiquité, l’Église médiévale demeure en
l’Histoire des évolutions contrastées, en lien très fort Occident la seule institution stable et respectée.
avec le statut social de la femme. En voici le récit Concernant le mariage, elle s’inscrit dans la tradition
détaillé, dans le cadre de l'Europe et du monde romaine et promeut l’égalité de l’homme et de la femme
méditerranéen. dans le couple. Elle met en avant aussi le devoir de
solidarité et d’affection.
Les clercs usent de leur autorité spirituelle pour
Pas si archaïque que ça ! imposer aux guerriers féodaux et aux souverains le
Chapitre 1 : de Sumer aux Germains respect de la monogamie, l’interdit de la répudiation et
l’interdit de la consanguinité.
Les Égyptiens de l’époque pharaonique s’en sont tenus
à une vision simple de l’humanité : des hommes et des En 1215, le grand concile œcuménique de Latran IV
femmes faits pour vivre ensemble sur un pied d’égalité. hisse le mariage au rang de sacrement religieux. Il
Ils se différenciaient ce faisant du monde oriental et de devient indissoluble. L’adultère lui-même n’est pas un
la Grèce elle-même, attachés à une conception motif de dissolution et peut tout au plus justifier une
inégalitaire des sexes. séparation de corps. Mais le mariage peut être assez
facilement annulé pour des raisons de consanguinité.
Sous l’Empire romain, au début de notre ère, on voit
apparaître toutefois une conception très moderne du Plus important encore, l’Église médiévale impose le
mariage, lequel ne requiert même pas l’accord parental. libre consentement des époux au mariage, devant un
prêtre. Autrement dit, les parents n’ont pas leur mot à
Le terme romain employé à son propos est conjugium,
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dire. Cette disposition favorise les mariages Les premières réduisent le mariage à une alliance
d’inclination et concourt à l’émancipation juridique des contractuelle entre familles, avec mise en commun de
femmes. Mais elle ne fait pas l’affaire des grandes titres et de fortunes. Les secondes, moins sensibles à
familles de la haute aristocratie et de la bourgeoisie... ces aspects, montrent davantage de liberté en matière
de mœurs et restent attachées au mariage d’inclination.
À la fin de la Renaissance, ces dernières ont raison du
mariage chrétien. En France comme dans la plupart des Ces divergences se retrouvent aux siècles suivants et
grands pays européens, les souverains réintroduisent jusqu’à nos jours avec la concurrence entre mariage
l’obligation du consentement parental, au moins dans arrangé et mariage d’amour, entre pudibonderie et
les grandes familles. liberté sexuelle, entre soumission de la femme et
émancipation.
Cette mesure entraîne la disparition des mariages
d’amour dans les classes supérieures et va de pair avec La parenthèse révolutionnaire se referme bien vite avec
une singulière régression du statut juridique de la l’accession de la bourgeoisie aux commandes. L’Église
femme, laquelle redevient comme dans l’Antiquité une perd définitivement son monopole sur l’institution
mineure soumise d’abord à son père puis à son mari. matrimoniale mais il faut attendre en France 1884 pour
que le divorce soit légalisé.
La légalisation du divorce par la Réforme protestante a
l’effet paradoxal de rendre les sociétés concernées Le droit au divorce et le libre consentement des époux
beaucoup plus exigeantes à l’égard du mariage. Celui-ci vont de pair avec l’émancipation des femmes. Ces
se doit d’être sans tâche et pour échapper aux acquis se retrouvent plus que jamais menacés en ce
tentations coupables, les époux s’astreignent à début du XXIe siècle avec le retour en force des
l’austérité dans les vêtements et les mœurs, ainsi qu’à mariages arrangés, des mariages forcés d’adolescentes
une extrême pudibonderie. et également de la polygynie, y compris en Europe.

«Je t'aime, moi non plus»


Chapitre 3 : de la Révolution à nos jours
Le XVIIIe siècle ou Siècle des Lumières est aussi le
siècle du clair-obscur, mêlant le pire et le meilleur, avec
des comportements divergents face au mariage, selon
que l’on appartient aux classes supérieures ou aux
classes populaires.
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Bibliographie

Dans cette enquête sur le mariage, nous nous sommes


très largement inspirés de l’Histoire du mariage en
Occident, un ouvrage de Jean-Claude Bologne (Jean-
Claude Lattès, 1995, épuisé) ainsi que d'un beau livre
richement illustré de Sandrine Melchior-Bonnet et
Catherine Salles : Histoire du mariage (Éditions de la
Martinière, 2001).
Nous avons aussi tiré parti du passionnant livre
d'entretiens entre l'historien Michel Rouche et le
journaliste Benoît de Sagazan : Petite histoire du couple
et de la sexualité (CLD, 2008) ainsi que de la somme
d'Emmanuel Todd : L'origine des systèmes familiaux
(Gallimard, 2011).

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Chapitre 1 :
De Sumer aux Germains,
un mariage pas si archaïque

Le mariage est l'institution sociale la plus ancienne. Il


n'a pas été établi pour consacrer l'amour de deux êtres
(on n'a pas besoin d'une reconnaissance sociale pour
s'aimer et vivre ensemble) mais pour assurer une
protection juridique aux enfants appelés à naître de
cette union et garantir leur droit à hériter.
L'anthropologue Claude Lévi-Strauss écrit : «La
famille, fondée sur l'union de deux individus de sexes
différents qui fondent un ménage, procréent et élèvent
des enfants, apparaît comme un phénomène
pratiquement universel». (Le Regard éloigné, 1983).
Sur le mariage, autrement dit l’union de l’homme et de
la femme en vue de la perpétuation de l’espèce, la
Genèse – le premier livre de la Bible –, nous propose
non pas une mais deux versions, dont l’une, la plus
célèbre, fait de la femme un sous-produit de l’homme et
l’autre place les deux sexes sur le même plan.

Adam et Ève (Lucas Cranach, 1531, Berlin)

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Version “classique” : Le modèle égyptien
Le Seigneur Dieu fit tomber dans une torpeur l’homme Les Égyptiens de l’époque pharaonique ignoraient tout
qui s’endormit ; il prit l’une de ses côtes et referma les d’Adam et Ève... Ils s’en sont tenus à une vision simple
chairs à sa place. de l’humanité : des hommes et des femmes faits pour
Le Seigneur Dieu transforma la côte qu’il avait prise à vivre ensemble sur un pied d’égalité.
l’homme en une femme qu’il lui amena. L’homme
s’écria :
«Voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair,
celle-ci, on l’appellera femme [isha en hébreu] car c’est
de l’homme [ish en hébreu] qu’elle a été prise» (Gen, 2,
21-23).

Version “égalitaire” :
Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le
créa ; mâle et femelle il les créa.
Dieu les bénit et Dieu leur dit : «Soyez féconds et
prolifiques, remplissez la terre et dominez-la...» (Gen,
1, 27-28).
Ce doublon vient de ce que la Bible est la juxtaposition
de récits conçus à différentes époques. Il a cela de
pratique qu’il satisfait tous les points de vue !
Les théologiens des trois religions monothéistes
mettent en avant l’une ou l’autre version selon qu’ils Akhenaton, Nefertiti et leurs enfants, protégés par le soleil Aton
veulent promouvoir l’égalité des sexes ou signifier la (bas-relief de Tell el Armana)
prédominance de l’homme sur la femme.
Des premiers pharaons à la conquête arabe, soit
pendant près de quatre millénaires (deux fois la durée
qui nous sépare de Jésus-Christ), tout donne à penser
que la plupart des habitants de la vallée du Nil vivaient
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en ménage comme tout bon Européen des «Trente
Glorieuses».
Les deux sexes avaient un statut similaire, y compris
dans le panthéon égyptien où le culte d’Isis était
indissociable de celui de son époux Osiris.
Certes, le pharaon et quelques hauts notables s’offraient
le luxe de plusieurs épouses et de nombreuses
concubines... mais il s’agit là d’un privilège propre aux
puissants, dans quasiment toutes les époques et toutes
les civilisations.
Au demeurant, les Égyptiens acceptaient aussi qu’une
femme accède au statut de pharaon. Ce fut entre autres
le cas d’Hatchepsout dont on ne sait si elle avait son
harem de jeunes éphèbes...
Quand le christianisme pénètre en Égypte, ses
habitants se distinguent des communautés chrétiennes
de Grèce ou de Syrie en mettant en avant le culte de la
Vierge Marie. Jusqu’à la veille de la conquête arabe, ils
semblent témoigner d’une conception très moderne de
la femme et des rapports dans le ménage.
Couple mésopotamien (Temple d’Inanna à Nipur, 2700 av. J.-C.)
Le modèle oriental
L’Orient antique est très différent de l’Égypte et l’on n’y
voit par exemple aucune représentation de couples
main dans la main ou tendrement enlacés. Comme dans la plupart des civilisations anciennes, le
Il faut remonter aux premiers temps de Sumer, vers mariage y est une convention privée. On ne s’appesantit
2700 avant JC, pour rencontrer une exception à la règle pas sur ses contours juridiques.
(ci-contre). Elle est susceptible d’être rompue sur décision du mari.
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Étymologiquement, le mot mari vient du latin mas, supérieures, elle est reléguée au gynécée, la partie de la
maris, qui veut dire mâle ; il désigne celui qui doit se maison qui lui est réservée.
conduire en mâle.
Les Grecs, qui ont inventé le mot, sont eux-mêmes très
Les chefs de clan et riches propriétaires s’octroient le soucieux de maintenir chacun à sa place : hommes et
privilège de posséder plusieurs femmes et servantes, femmes, citoyens et métèques, hommes libres et
avec un statut préférentiel à celle dont les garçons esclaves.
recevront l’héritage.
Dans la Bible, Sarah, qui ne peut donner un héritier à Le choix du fiancé (Ésope, « Le Lion amoureux et le
son époux Abraham, met dans son lit sa servante Agar, laboureur, » Fables, VIIe-VIe s. av. J.-C.)
qui lui donnera Ismaël (mais tout rentrera dans l’ordre Un lion s’étant épris de la fille d’un laboureur, la demanda en
quand Sarah, par la grâce de Dieu, engendrera enfin mariage ; mais lui, ne pouvant ni se résoudre à donner sa fille à
Isaac). une bête féroce, ni la lui refuser ... Lire la suite du texte.

MARIAGE DES HÉBREUX


(Article de l’Encyclopédie, 1851-1865) En dépit de son charisme, le grand Périclès ne peut
obtenir que les enfants nés de sa femme Aspasie (une
Les mariages se firent d’abord chez les Hébreux avec beaucoup de étrangère !) acquièrent la citoyenneté athénienne.
simplicité, ... Lire la suite du texte.

Comme Abraham, les anciens Hébreux sont polygames


– du moins les plus riches d’entre eux –, tout en
manifestant souvent un fervent amour pour leur épouse
principale (Isaac et Rébecca, Jacob et Rachel...).
Beaucoup plus tard, les Mormons se référeront à ces
illustres exemples pour justifier l’introduction de la
polygamie au Nevada.
Dans les sociétés du Moyen-Orient, la femme est une
éternelle mineure et n’a pas de statut juridique. Elle est
souvent mariée très tôt à un homme déjà mûr, dans la
trentaine, ce qui facilite sa soumission. Dans les classes
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Polygamie, polygynie, polyandrie La tradition romaine
La polygamie est bien plus répandue en Orient qu’en Si l’on en croit la légende de l’enlèvement des Sabines,
Égypte, de même que l’esclavage (le commerce des femmes les premiers Romains avaient une manière très virile de
se concilie bien avec celui des esclaves).
faire la cour ! Pour échapper au célibat forcé, ils invitent
En fait de polygamie (du grec polus-, nombreux, et gamos, leurs voisins à une fête et enlèvent leurs filles sous leur
mariage), il serait plus judicieux de parler de polygynie (du nez.
grec guné, femme) : droit d’un homme à posséder plusieurs
femmes. Dès lors que ce droit n’est pas réciproque, il induit
une inégalité de statut entre les sexes.
Le contraire de la polygynie est la polyandrie (du grec
andros, homme). C’est le fait pour une femme d’avoir
plusieurs maris (ce phénomène existait encore au XXe siècle
dans telle et telle communautés des confins du Tibet, à
Ceylan ou encore au Congo).

L’enlèvement des Sabine (Jean-Fraçois de Troy, 1716, détail)

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Cette pratique ne relève pas seulement de la légende.
Elle reflète une réalité assez commune chez les
Romains et leurs voisins Germains, dont les mœurs
conjugales étaient assez proches.
On la rencontre aussi chez les peuples «primitifs» de
Papouasie et d’Amazonie, où l’enlèvement des femmes
constitue l’un des principaux motifs de guerre, d’après
les anthropologues qui se sont penchés sur la question.
En souvenir du rapt des Sabines, les premiers Romains
pratiquent un mariage «de fait» (per usum en latin),
consacré par une année de cohabitation mais avec le
consentement préalable des parents. Il suffit, pour le
rompre, que la femme découche trois nuits de suite.
Une autre forme de mariage est le mariage «par achat
réciproque» (coemptio en latin) : les deux époux Mariage patricien à Rome (confarreatio)
simulent l’achat mutuel de l’un par l’autre en
échangeant des cadeaux.
Cette forme d’union plutôt sympathique et moderne est C’est la première forme d’union que l’on connaisse qui
pratiquée aux premiers temps de la République par les ne soit pas seulement de droit privé mais également
plébéiens ou Romains des classes populaires. sanctifiée par les autorités religieuses et reconnue par
les autorités civiles.
Une troisième forme de mariage est le mariage
solennel, appelé confarreatio, du nom du gâteau Les trois formes de mariage ci-dessus reposent sur la
d’épeautre (panis farreus) que les époux mangent en transmission de l’autorité du père au mari par une
présence du Flamen Dialis (le grand prêtre de Jupiter) poignée de main (cum manu).
et du Grand Pontife.
C’est un héritage de la tradition orientale qui fait de la
Ce mariage remonte à l’époque royale. Il se pratique femme une éternelle mineure.
dans les familles patriciennes.

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MARIAGE DES ROMAINS Le gendre idéal : Pline le Jeune, Lettre XIV (1er s.)
(Article de l’Encyclopédie, 1851-1865)
PLINE À JUNIUS MAURICUS.
le mariage se célébrait chez les Romains avec plusieurs Vous me priez de chercher un parti pour la fille de votre frère. C’est
cérémonies scrupuleuses qui se conservèrent longtemps, du moins avec raison que vous me donnez cette commission plutôt qu’à tout
parmi les bourgeois de Rome.... Lire la suite du texte. autre... Lire la suite du texte.

La modernité romaine La plupart des plébéiens se marient en fait à un âge


avancé : en moyenne vingt ans pour les femmes, trente
Sous l’Empire romain, à la cour impériales et chez les pour les hommes, âge auquel il devient difficile
notables, les mœurs sont dissolues. On divorce pour un d’accepter l’autorité du pater familias.
rien ; on se prostitue, on pratique l’échangisme ; on On voit donc se généraliser le mariage «sans la
force les servantes ; on ne dédaigne pas les caresses main» (sine manu), dans lequel les parents n’ont pas
juvéniles... Autant dire que certains dirigeants leur mot à dire.
européens actuels ne seraient pas dépaysés à la cour de
Tibère ou de Néron. Le terme romain employé à son propos est conjugium,
dont nous avons fait conjoint et conjugal. Il signifie que
Mais ne nous y trompons pas, la sexualité chez les les époux portent ensemble (cum) le même joug
Romains n’a rien de l’exubérance joyeuse que semble (jugium) et se traduit par une belle formule
indiquer une observation superficielle des peintures qu’échangent les époux au moment du mariage : «Ubi
murales de Pompéi. Cette sexualité est au contraire tu Gaius, ego Gaia» (Où tu es toi Gaius, je suis moi
bridée par de strictes contraintes sociales, qu’il s’agisse Gaia).
des relations avec les prostituées ou entre les conjoints.
Au début de notre ère, il n’y a guère que quelques
familles patriciennes qui continuent de pratiquer le
mariage solennel, pour des raisons de convenance. Il
leur arrive aussi de marier leurs filles très jeunes en vue
de s’allier les unes aux autres.

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nos mœurs du XXIe siècle.
Notons que les esclaves sont exclus de ces
considérations. Ces «outils animés» sont voués à
l’union libre, le contubernium ou «camaraderie de
tente».

Rites romains, rites chrétiens


L’âge légal au mariage chez les Romains est de douze ans
pour les filles, quatorze pour les garçons.
L’Église chrétienne a repris cette convention de même
qu’une innovation romaine : le mariage réduit à une
cérémonie unique.
Dans la plupart des autres cultures, en effet, encore de nos
jours, le rituel du mariage se présente comme un
cheminement d’étape en étape, qui peut parfois s’étaler sur
plusieurs jours.

La transition barbare
Comme les Romains, les Germains ont une approche
flexible du mariage.

Rapt consenti :

Proculus et son épouse ; portrait d’un couple romain Ils pratiquent en premier lieu une forme de
(Fresque de Pompéï, 1er s. J.-C.) concubinage, le Friedelehe, ou mariage d’amitié, qui
peut débuter par un rapt de la jeune fille ! L’union sera
stable et les enfants à naître seront légitimés à moins
qu’un mariage officiel ne vienne troubler l’union.
Ce mariage à la romaine rappelle singulièrement notre
moderne PACS (pacte civil de solidarité) et sans doute C’est en souvenir de cette tradition que le duc de
les plébéiens romains se couleraient-ils facilement dans Normandie Robert le Fort légitimera son fils, le futur
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Guillaume le Conquérant, né de son concubinage avec tenter d’imposer une seule forme de mariage avec de
une certaine Ariette. fortes contraintes : consentement mutuel,
indissolubilité...
Guillaume poursuivra dans la même veine en enlevant
la jeune fille dont il a décidé de faire sa femme, contre
son gré et celui de son père ! Épouse comblée d’un mari
amoureux et fidèle, Mathilde de Flandre s’accommodera
en définitive très bien de son sort...

Cadeau du matin :
Les Germains pratiquent aussi un mariage officiel, le
Muntehe, qui débute par une demande solennelle au
père de la promise. Par la même occasion, le prétendant
lui remet des cadeaux, c’est en quelque sorte une dot du
mari, inverse de la dot habituelle aux Romains. Ensuite
vient le passage de la jeune fille de la maison paternelle
à celle de son futur époux, puis la cérémonie du coucher
des mariés qui valide enfin l’union.
Au réveil, le mari fait un cadeau à sa femme pour prix
de sa virginité. C’est le Morgengabe.
De ce mot germanique, le droit français a tiré le mot
morganatique, qui désigne une union dans laquelle la
femme s’en tient à son rôle d’épouse et renonce aux
honneurs et dignités auxquelles son mariage lui donne
normalement droit. Ainsi le remariage de Louis XIV
avec Madame de Maintenon est-il un mariage
morganatique.
À la fin de l’empire romain, ce qui reste d’autorité en
Europe de l’Ouest est détenu par les rois barbares et les
évêques. Avec leurs maigres moyens, ces derniers vont

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Chapitre 2 : évêques et les abbés sur leurs mœurs conjugales non
conformes. Plusieurs sont excommuniés et de fait mis
de Charlemagne au Siècle des Lumières, au ban de la société.
«gai, gai, marions-nous» Les griefs de l’Église portent sur la polygamie, la
répudiation et la consanguinité.
A la fin de l’Antiquité, quand s’effondre l’empire La polygamie :
romain, l’Eglise médiévale demeure en Occident la
seule institution stable et respectée. C’est à elle qu’il va Sous les Pippinides et Carolingiens, il est encore en
revenir de jeter les fondations morales des temps à usage, comme chez les anciens chefs barbares, d’avoir
venir. une épouse principale et plusieurs épouses secondaires.
Concernant le mariage, elle s’inscrit dans la tradition Ainsi Charlemagne s’attire-t-il régulièrement de sévères
romaine et promeut l’égalité de l’homme et de la femme remontrances de la part des évêques de son entourage
dans le couple. Elle met en avant aussi le devoir de car, en sus de ses trois épouses successives, il a quatre
solidarité et d’affection. épouses coutumières, sans compter les concubines
occasionnelles.
Les premiers ducs de Normandie, qui descendent de
Des Francs aux premiers Capétiens rudes Vikings, ne veulent pas non plus renoncer à leurs
épouses coutumières. Mais la pression de l’Église
À l’époque franque, sous les Mérovingiens et les devient telle qu’après l’An Mil, ils admettent enfin,
Carolingiens, l’Église d’Occident se voit menacée de comme tous les seigneurs et souverains d’Occident, de
perdre son autonomie face aux souverains, comme n’avoir qu’une épouse régulière.
avant elle l’Église d’Orient, inféodée à l’empereur
byzantin. La répudiation :
Les clercs ou hommes d’Église vont résister pied à pied L’Église innove par rapport à l’Antiquité et aux autres
en usant de leur autorité spirituelle et, curieusement, la cultures en proclamant très tôt l’indissolubilité du
législation du mariage va se révéler leur arme la plus mariage. Tout au plus admet-elle que le mariage puisse
efficace. être annulé pour vice de forme dans des cas très
C’est ainsi que les plus grands rois d’Occident, de Pépin restreints. Il n’est plus question de répudier son épouse,
encore moins de quitter son mari.
le Bref à Philippe Auguste, se font sermonner par les
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Plusieurs souverains, et non des moindres, sont s’attirer ses bonnes grâces.
excommuniés pour avoir répudié leur épouse sans
motif valable. C’est le cas de Robert, fils d’Hugues Le duc de Normandie Guillaume le Bâtard doit négocier
Capet, que l’on surnomme pourtant le Pieux. âprement avec la papauté le droit de conserver pour
Également de son petit-fils Philippe Ier et de son épouse sa cousine Mathilde de Flandre. Le roi Louis VII
lointain descendant, Philippe Auguste. le Jeune excipe cet interdit pour se séparer de son
épouse Aliénor d’Aquitaine après quinze ans d’union !
Après ce dernier, les souverains se montrent D’autres souverains, pour s’éviter des ennuis, vont
généralement chastes et fidèles à leur épouse. chercher des épouses à l’autre bout du pays, voire du
monde. Henri Ier épouse une Russe, Philippe Auguste
Dans les campagnes, la question ne se pose pas. On une Danoise...
s’unit sans formalité, sans même la présence d’un
prêtre, et jusqu’à l’An Mil, le vernis chrétien est encore Du fait de l’interdit de consanguinité, les grandes
trop mince pour modifier en profondeur les mœurs familles sont empêchées de se replier sur elles-mêmes.
héritées du passé. Au lieu de la formation de clans familiaux puissants qui
pourraient constituer une menace pour leurs voisins et
La consanguinité : pour l’Église elle-même, on assiste à la formation d’un
vaste réseau familial à l’échelle européenne, ce qui
Le combat le plus décisif que mène l’Église au Moyen facilite le règlement des conflits en tous genres.
Âge est dirigé contre les mariages «consanguins» ou
«incestueux». Les clercs donnent une acception très L’interdit de consanguinité devient très vite dans la
large à ce concept. Ils considèrent consanguins des chrétienté occidentale le principal motif d’annulation
mariages entre cousins jusqu’au septième degré, d’un mariage, loin devant l’autre motif qui est
autrement dit avec un seul parent commun... à la l’impuissance masculine (celle-ci donne lieu à quelques
septième génération ! procès pittoresques et retentissants à la fin du Moyen
Âge et à la Renaissance).
Pour l’écrasante majorité de la population, qui ne
s’éloigne jamais de son village natal, cette règle est La sacralisation du mariage
proprement inapplicable, tous les habitants du village
étant peu ou prou cousins. La grande période du Moyen Âge (XIIe-XIIIe siècles)
L’Église ferme les yeux sur cette réalité paysanne mais voit l’avènement de sociétés stables fondées sur le droit,
dégaine volontiers l’interdit de consanguinité pour le développement des villes et la construction des
déstabiliser un puissant seigneur ou au contraire cathédrales. L’Église médiévale jouit d’une primauté
incontestée.
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Dès lors, d’un concile à l’autre, elle impose ses
préceptes moraux jusque dans les campagnes les plus
reculées. C’est ainsi que le grand concile œcuménique
Latran IV, en 1215, jette les bases du mariage chrétien,
qui ne changeront plus guère jusqu’à la Révolution
française.
Le concile rappelle que le mariage est indissoluble
(mais peut être annulé en cas de consanguinité ou
d’impuissance masculine). C’est une façon d’affirmer le
devoir d’assistance entre les époux et d’empêcher les
répudiations de convenance.
Surtout, le concile, à la suite de plusieurs autres,
impose le libre consentement des futurs époux, lequel
doit s’exprimer devant un prêtre. Il ne s’agit plus que
des familles puissent marier leurs enfants contre leur
gré, en vue de calculs patrimoniaux.
Un évêque prononce l’annulation d’un mariage
Le prêtre, à la suite du concile Latran IV, ne se contente (miniature du XIIIe s.)
pas d’enregistrer le consentement mutuel des époux. Il
leur apporte aussi la bénédiction divine. Ainsi, le
mariage qui n’était qu’un acte civil, devient un acte
religieux.
Pour être complet, le mariage se déroule en deux
Mieux encore, il est hissé au rang des sacrements de étapes, selon un rituel qui n’est pas sans rappeler le
l’Église catholique, au côté du baptême, de l’eucharistie mariage romain.
(la communion), et plus tard de la confirmation,
l’ordination, l’extrême-onction et la pénitence. Il débute par les fiançailles, ou desponsatio : les futurs
époux échangent devant le prêtre une promesse
mutuelle qui ne pourra ensuite plus être rompue ! Les
noces proprement dites, ou nuptiae, viennent ensuite,
dans la foulée ou plusieurs mois après : le prêtre bénit
les mariés dans l’église, au milieu de leurs proches. La

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cérémonie s’accompagne de festivités, cela va de soi. Le sexe bienvenu dans le mariage
Enfin, la mariée est conduite en cortège vers sa nouvelle Contrairement à une idée convenue, l’Église médiévale
demeure et, avant de rendre le couple à son intimité, le se montre compréhensive à l’égard du «congrès» (ce
prêtre bénit le lit conjugal pour en écarter le malheur. mot désigne les relations sexuelles sous l’Ancien
Régime). À l’exception de quelques théologiens obtus,
les clrcs le tiennent pour une affaire privée qui n’a rien
à voir avec la recherche de Dieu, ce qui explique aussi
leur propre liberté à l’égard du sexe.
L’Église condamne toutefois les relations hors mariage,
mais c’est avant tout pour protéger les filles contre la
violence masculine et les grossesses non désirées. Elle
condamne de même l’adultère qui brise la confiance
entre les époux, mais les personnes concernées, en état
de péché mortel, peuvent toutefois obtenir le pardon en
confessant leur faute et en faisant pénitence.
Il est à souligner que l’adultère ne justifie en aucune
façon la rupture du mariage et du projet familial qu’il
sous-tend, mais tout au plus une séparation de corps.
C’est ainsi qu’après le scandale de la tour de Nesle, les
brus du roi Philippe le Bel, convaincues d’adultère, sont
enfermées dans un couvent mais sans que leur époux
puisse se remarier.
Ces dispositions sur le mariage vont de pair avec une
singulière émancipation de la femme au Moyen Âge,
Les époux se glissent dans le lit nuptial (Miniature du XIIe s.) visible au moins dans les classes supérieures. Elles
héritent et gèrent leurs affaires. Elles peuvent régner
(Aliénor) et parfois combattre (Jeanne d’Arc).
Pour en prendre la mesure révolutionnaire, il faut les
comparer à ce que l'on observe dans l'islam et le

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judaïsme. Dans ces sphères religieuses, l'adultère
féminin est puni par la lapidation à mort, l'adultère
masculin étant quant à lui parfaitement toléré. C'est le
propre de sociétés fortement misogynes qui ravalent la
femme au statut de reproductrice.

L'amour au Moyen Âge


L'Église médiévale se montre accommodante par rapport
aux aspects charnels de l'union conjugale, en conformité
avec les Évangiles (jamais le Christ lui-même n'a dicté de
règle concernant les relations sexuelles).
Les décors des cathédrales attestent de cette liberté d'esprit
tout autant que les textes. Il vaut la peine de lire les lettres
de l'abbesse Héloïse à celui qui fut son époux dans le secret,
le philosophe Abélard : «Ces voluptés chères aux amants
que nous avons eues ensemble me furent douces (...). Quelle
reine, quelle grande dame ne jalouserait nos joies et mon
lit ?».

Les parents reprennent la main


Les mœurs changent à la fin du Moyen Âge, au XVe
siècle, quand se desserre l’étreinte de l’Église.
Chez les derniers Valois comme chez les Tudors
d’Angleterre, les rois ne craignent plus de s’afficher
avec des maîtresses. Le haut clergé et les papes eux-
mêmes ne s’en privent pas.
Les époux Arnolfini (Jan Van Eyck, 1434, Londres)
Charles VII est le premier roi de France à officialiser sa
relation avec une maîtresse, Agnès Sorel. Mais
personne ne s’en scandalise outre-mesure.

18
Plus décisive est la Réforme luthérienne et calviniste personnes consentantes que le pasteur se contente
qui brise l’unité religieuse de l’Occident. Les nouvelles d’enregistrer.
Églises protestantes se montrent plus attentives que
l’Église catholique à l’Ancien Testament, judaïque et
pré-chrétien.

Danse de mariage (Bruegel l’ancien, XVIe s.)

Bénédiction du lit nuptail (Bruegel l’ancien, XVIe s.) En toute logique, les Églises protestantes réintroduisent
le divorce, avec plusieurs motifs tels que l’adultère ou la
mésentente. Curieusement, dans les guerres de religion
qui vont ensanglanter la fin de la Renaissance, on se
tuera moins sur ces questions concrètes du mariage et
Elles puisent dans celui-ci un motif de désacraliser le du divorce que sur des questions purement
mariage. Celui-ci n’est plus pour les protestants un théologiques comme la présence effective ou non du
sacrement mais simplement un contrat entre deux
19
Christ dans l’hostie. d’Henri II, à la suite du mariage entre une fille
légitimée du roi et François de Montmorency, fils du
En France, dans les campagnes restées massivement prestigieux connétable. Une jeune noble désargentée
catholiques, les curés diffusent avec succès le modèle prétend peu après avoir reçu du marié une promesse de
matrimonial institué par le concile Latran IV et rappelé mariage en bonne et due forme. Émoi à la cour. Et
par le concile de Trente (1545-1563). chacun de s’insurger contre les prêtres qui font fi de
l’avis des parents pour marier leurs enfants.
Érasme (1466-1536) - Éloge de la folie (1511)
En février 1556, Henri II prend en conséquence un édit
C’EST LA FOLIE QUI PARLE. pour exiger le consentement paternel au mariage des
[...] Et puis, quel homme, je le demande, tendrait le col au joug du «enfants de [bonne] famille».
mariage, si, comme font nos sages, il calculait préalablement les
inconvénients d’un tel état ? ... Lire la suite... À défaut de pouvoir annuler un mariage conclu sans le
consentement paternel, le roi autorise le père à
déshériter son fils et il enlève aux contrevenants tous
Ce dernier réaffirme le caractère sacramentel du les droits et avantages habituellement reconnus aux
mariés. Il menace aussi de sanctions les prêtres et
mariage et le libre consentement des époux : «Il est témoins qui se sont faits complices du mariage.
criminel de violer la liberté du mariage». Il exige
toutefois le consentement parental pour les femmes de
moins de vingt-cinq ans et les hommes de moins de La décision (François Rabelais, Tiers Livre, IX - 1552)
trente ans ! Pour prévenir la bigamie, il impose la Seigneur vous avez ma délibération entendue, qui est me marier, si
présence au mariage de quatre témoins ainsi que du de malencontre n’étaient tous les trous fermés, clos et bouclés ; je
curé de la paroisse des promis (lequel curé est mieux à vous supplie par l’amour que si longtemps m’avez porté, dites-m’en
même de connaître leur situation familiale qu'un votre avis [....] Lire la suite du texte.
quelconque prêtre). Cette disposition est rendue
obligatoire en France, en 1579, par une ordonnance du
roi Henri III. Henri II a été précédé dans cette voie par l’empereur
Les classes populaires commencent de la sorte à Charles Quint, qui, en 1540, aux Pays-Bas, a imposé le
assimiler le «mariage chrétien» mais celui-ci va être consentement des parents au mariage contre l’avis de
ébranlé par les rudes coups portés par la bourgeoisie et l’Église. Et celle-ci n’a pas davantage réussi à empêcher
l'aristocratie. le roi d’Angleterre Henri VIII de divorcer d’avec sa
première épouse et de se remarier en 1534.
En France, la première attaque survient sous le règne
20
Ce sont les premières interventions des États séculiers
dans le droit matrimonial, jusque-là chasse gardée de
l’Église. Les États multiplient dès lors les pressions
contre les «mariages clandestins» qui ont pour
principal tort de compromettre les stratégies familiales.
Que penser d’un jeune prince énamouré qui épouserait
une soubrette à défaut de simplement la trousser...

MARIAGE CLANDESTIN,
(Article de l’Encyclopédie, 1851-1865)
Le Mariage clandestin est celui qui est célébré sans y observer
toutes les formalités requises pour la publicité des mariages,
comme lorsqu’il n’y a pas le concours des deux curés, ... Lire la
suite du texte.

Au siècle suivant, dans les grandes familles d’Occident,


les mariages arrangés deviennent la règle et, souvent,
L’accordée de village ou la signature du contrat (Greuze, 1761, Paris)
l’on ne se prive pas de marier une adolescente à un
vieux barbon fortuné (Molière, L’Avare). Le notaire, qui
préside à la signature du contrat de mariage, en vient à Le mariage fait peur aux jeunes filles et beaucoup y
prendre le pas sur le prêtre. Ce travers est mis en échappent en entrant au couvent. Au moins
lumière par Molière, dans Le Malade imaginaire. s’épargnent-elles la rudesse d’un mari, d’une vie de
En conséquence de quoi, l’amour et le mariage soumission et les dangers des grossesses à répétition
deviennent – sauf exception – antinomiques. Dans le (Molière, L’École des femmes).
roman La princesse de Clèves (1678), le prince de Les bonnes mœurs ne gagnent rien à l’affaire. Le Grand
Clèves, au moment de mourir, demande pardon à sa Siècle est aussi celui du libertinage et derrière les belles
femme de l’avoir trop aimée, jusqu’à en être ridicule ! façades classiques de Versailles, les jeunes gens de
bonne famille se livrent à des débauches dont l’Affaire
des Poisons offre un aperçu.

21
Le siècle des possibles D’ailleurs, l’Angleterre, dont les mœurs politiques sont
citées en exemple par les «philosophes» et qui avait
Le XVIIIesiècle ou Siècle des Lumières est celui de tous jusque-là laissé chacun libre de se marier avec la
les possibles. Dans les classes populaires et la personne de son choix, impose en 1754 la publication
paysannerie, le mariage se renforce. des bans, le mariage devant témoins et, pour les
mineurs, le consentement des parents. L’Écosse étant
Dans les campagnes, avec l’amélioration des conditions
matérielles, il apparaît plus que jamais comme un exemptée du Marriage Act, on voit arriver à la frontière
facteur de stabilité. On se marie pour s’établir et de jeunes couples pressés de conclure leur union !
trouver une aide dans les épreuves de la vie, en En 1782, à la veille de la Révolution française, la
s’appliquant dans certaines limites les préceptes publication d’un roman épistolaire, Les liaisons
chrétiens de fidélité et d’affection mutuelles. dangereuses, annonce de grands changements dans
Dans la haute société, cependant, l’institution une institution matrimoniale à bout de souffle...
matrimoniale arrive à bout de souffle. C’est la rançon de
ces mariages arrangés, déterminés par la cupidité des
familles.
Les «philosophes» et autres penseurs ébauchent des
remèdes divers et variés qui relèvent de l’utopie.
Helvétius préconise le mariage à l’essai ou à durée
déterminée. Diderot, inspiré par les récits de voyage de
Bougainville, érige en modèle les mœurs libres des
Tahitiennes. Mais, concrètement, ils se montrent
timides dans la remise en cause du droit de regard des
parents sur le choix du conjoint.

MARIAGE (Droit naturel)


(Article de l’Encyclopédie, 1851-1865)
C’est la première, la plus simple de toutes les sociétés, et celle qui
est la pépinière du genre humain. Une femme, des enfants, .... Lire
la suite du texte.

22
Dot et douaire
La dot et le douaire sont deux mots de même origine (le
latin dotis) qui se rapportent au mariage.
– La dot est, à l’inverse, un bien ou une somme que les
parents de la mariée cèdent au futur époux, étant entendu
que celui-ci devra la rembourser s’il répudie sa femme.
Cette pratique était commune chez les Romains. Elle a été
beaucoup pratiquée également dans le monde occidental,
où elle est aujourd’hui tombée en désuétude.
Dans les Indes britanniques, au début du XXe siècle, la dot
était pratiquée dans une fraction étroite de la moyenne
bourgeoisie. Par imitation sociale, elle s’est diffusée à
l’ensemble des classes sociales de l’Union indienne jusqu’à
devenir aujourd’hui une contrainte très lourde pour tous les
ménages de ce pays qui ont des filles à marier («avoir une
fille, c’est arroser le jardin du voisin», disent les Indiens de
façon imagée).
– Le douaire est un bien ou une somme que le mari assigne
à sa femme pour lui assurer un minimum vital au cas où il
viendrait à disparaître (ou à la répudier). Cette pratique
était commune chez les Germains, au début de notre ère.
Aujourd’hui, elle est plutôt le fait du monde islamique.
Une veuve qui succède à son mari à la tête d’un État est dite
douairière ; ainsi Cixi fut-elle impératrice douairière de
Chine.
NB : le douaire et la dot se distinguent de la remise d’un
bien ou d’une somme au père de l’épousée, qui revient à
acheter celle-ci, pratique commune en Afrique
subsaharienne.

23
Chapitre 3 : Le XVIIIe siècle ou Siècle des Lumières est aussi le
siècle du clair-obscur, mêlant le pire et le meilleur, avec
de la Révolution à nos jours, des comportements divergents face au mariage, selon
je t’aime, moi non plus que l’on appartient aux classes supérieures ou aux
classes populaires.
Ces divergences se retrouvent aux siècles suivants et
jusqu’à nos jours avec la concurrence entre mariage
arrangé et mariage d’amour, entre pudibonderie et
liberté sexuelle, entre soumission de la femme et
émancipation.

Mariages arrangés, femmes soumises


Dans l’aristocratie européenne et la haute bourgeoisie,
le mariage chrétien et le consentement mutuel des
époux sont relégués parmi les vieilleries médiévales, au
profit du mariage arrangé. Celui-ci devient avant tout
un contrat entre deux familles qui rapprochent fortunes
et titres.
Cette évolution du mariage va de pair avec une
importante dégradation du statut social de la femme,
sensible dès la fin de la Renaissance.
Le 28 juin 1593, l’arrêt Lemaître a interdit aux femmes
d’exercer une quelconque fonction dans
l’administration du royaume. Et après quelques
grandes souveraines d’exception, la régente Anne
d’Autriche, l’impératrice Marie-Thérèse, la tsarine
Les mariés de la Tour Eiffel (Marc Chagall, 1938, Paris) Catherine II, il faudra attendre deux siècles avant que
des femmes reviennent en politique, autrement que
dans un rôle de potiches.

24
Pour les bourgeois et aristocrates français ou anglais de Sexe joyeux
l’Ancien Régime, s’il est convenable d’aimer la femme
ou le mari auquel on a été lié pour toute la vie, il est par Dans les classes populaires et paysannes, il en va
contre jugé inconvenant de se marier par amour. différemment des classes supérieures : on s’y marie
plus volontiers par inclination ou par amour, même si
les mariages arrangés demeurent très largement
majoritaires. La liberté de choix des époux est mieux
assurée et avec elle le bonheur conjugal.
Dès le milieu du XVIIIe siècle, la France paysanne
connaît une liberté de mœurs dont témoignent les récits
picaresques de Nicolas Restif de la Bretonne.
À trop «garder les cochons ensemble» (l’expression est
de l'époque), beaucoup de bergers et bergères se
trouvent conduits devant Monsieur le curé par une
grossesse inopinée. Les jeunes filles confient à leur curé
qu'elles se sont faites volontairement engrosser par leur
amant pour obliger les parents à consentir à leur
mariage. On dit de ces couples qu'ils «fêtent Pâques
avant les Rameaux».
Les années 1760 attestent en effet d'une progression
très sensible du taux de conceptions prénuptiales ou de
conceptions hors mariage (environ 5% du total des
Le contrat de mariage (William Hogarth, 1743, Londres)
naissances au lieu d’1% auparavant).
À l'opposé des mariages d'inclination, les mariages
Cette opinion continue de prévaloir au XXIe siècle dans dissymétriques entre un riche barbon et une jeune
les sociétés où domine le mariage arrangé, autrement paysanne provoquent de bruyants «charivaris» de la
dit dans la plus grande partie de l’Asie et du monde part des jeunes villageois qui se voient privés d'une
musulman contemporains. Dans toutes ces régions du possibilité d'union.
monde, le mariage arrangé va de pair avec une
dévalorisation sociale de la femme. En général, les unions sont assez brèves, une quinzaine
d'années en moyenne, car la mortalité est sévère, en
25
particulier lors des accouchements. Malgré cela, grâce Sexe honteux
aux progrès de l'hygiène, l'espérance de vie s'élève et les
nouveaux-nés survivent en plus grand nombre que Dans l’ensemble de l’Europe, cependant, une nouvelle
précédemment. éthique se répand, qui dissocie le sexe du mariage, tant
dans les sociétés protestantes que dans les sociétés
Soucieux de leur bien-être, les paysans français limitent catholiques...
le nombre de naissances, en premier lieu par le coïtus
interrumptus. L'espacement moyen entre deux Au Moyen Âge, l’Église voyait dans le mariage un projet
naissances passe de dix-huit mois à trente mois. familial qui devait être mené jusqu’à son terme naturel :
le décès de l’un des époux. En foi de quoi, elle se
Ils limitent aussi leur progéniture en retardant tout montrait tolérante sur les questions sexuelles et pouvait
simplement l'âge au mariage. À la veille de la pardonner les écarts de conduite, y compris quand ils
Révolution, les filles se marient en moyenne à vingt-six venaient de la femme.
ans et les garçons à trente ans ; c'est autant de gagné sur
leur vie féconde et autant d'enfants en moins. À la Renaissance, la Réforme protestante introduit le
droit au divorce, en référence à l’Ancien Testament (la
On observe en conséquence, dès les années 1760, en Bible judaïque).
France, une première diminution de l'indice de
fécondité (nombre moyen d'enfants par femme). Conséquence inattendue de cette liberté nouvelle : les
protestants se montrent plus exigeants vis-à-vis du
De l'autre côté de la Manche, les mœurs décontractées mariage. Ils en attendent une fidélité absolue et un
de l'Angleterre rurale valent à celle-ci le qualificatif de comportement exemplaire de chacun à l’égard de son
«Merry England» (l’Angleterre joyeuse). Barry conjoint. Si ces impératifs ne sont pas respectés, autant
Lyndon (1975), chef-d'œuvre cinématographique de dissoudre l’union, ce qui est toujours déplaisant, y
Stanley Kubrick, nous en offre un bel aperçu. À cette compris pour Dieu.
époque se diffuse l'expression «flirt», dérivée du vieux
français «conter fleurette». Pour se prémunir contre les tentations coupables, ils
promeuvent donc un modèle conjugal extrêmement
Avant la Révolution française, dans les classes rigoriste : austérité des habits, retenue dans les gestes,
populaires et paysannes, toutefois, on se marie plus pudeur des sentiments.
volontiers par inclination ou par amour. La liberté de
choix des époux est mieux assurée et avec elle le On en voit encore la trace dans la communauté des
bonheur conjugal. Amish, en Nouvelle-Angleterre. Le ruban blanc, film de
Michael Haeneke (2009), en offre aussi une tragique
illustration dans les milieux luthériens allemands
26
d’avant la Grande Guerre. de ce que les protestants soient condamnés à vivre dans
le péché, faute de pouvoir faire enregistrer leur union
La Contre-Réforme catholique, mise en œuvre par le par un prêtre.
concile de Trente (1545-1563), se veut tout aussi
rigoriste, en bonne partie pour faire oublier le À leur intention, le roi établit donc un mariage civil le
relâchement moral antérieur. 17 novembre 1787. C’est un premier coup de canif dans
le monopole de l’Église sur l’institution matrimoniale.
Le plaisir sexuel devient honteux. Il est même mis à
l’index et un pape ordonne de recouvrir d’une feuille de Deux ans plus tard, au début de la Révolution, une
vigne les sexes des fresques de la chapelle Sixtine, chef- affaire «people» agite le petit monde parisien : Talma,
d’œuvre de Michel-Ange. que l’on dit le plus grand comédien de tous les temps,
annonce son intention de se marier. Le hic, c’est que
Ces nouveaux préceptes sont mis en application chez l’Église exclut les comédiens de l’accès aux sacrements,
les champions de la Contre-Réforme, en Autriche et mariage compris. Le comédien adresse une requête à
plus encore en Espagne et au Portugal, en dépit de l’Assemblée nationale et en appelle à l’égalité de tous
l’étiolement de la foi religieuse dans les milieux devant la loi. Il finira par se marier devant un prêtre
populaires. accommodant.
Au XVIIIe siècle y apparaît la «chemise conjugale», qui Entre temps, le principe du mariage civil fait son
évite d’exposer sa nudité au conjoint, avec des orifices chemin. Il est inscrit dans la Constitution du 3
pour les actes indispensables à la procréation. septembre 1791, qui établit en France une monarchie
Véhiculée par la bourgeoisie, soucieuse d’ordre moral, constitutionnelle (la Législative).
cette pudibonderie affectera la plupart des autres pays Dès lors que le mariage n’est plus un sacrement mais
européens au XIX e siècle, après la tourmente un simple contrat civil, le droit au divorce s’impose. Il
révolutionnaire qui porte un coup fatal au monopole de est voté par l’assemblée l’année suivante, le jour même
l’Église sur le mariage. de la bataille de Valmy (20 septembre 1792)... En même
temps que l’interdiction des vœux perpétuels.
Le mariage civil et le divorce révolutionnaires
Ses promoteurs y voient le moyen paradoxal de
En France, depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts renforcer le lien matrimonial : dès lors que celui-ci
(1539), les prêtres ont la responsabilité de l’état-civil et pourra être facilement résilié, il paraîtra moins pesant
de l’enregistrement des mariages. aux époux. Le divorce peut être prononcé par
consentement mutuel ou pour incompatibilité
Sous le règne de Louis XVI, les législateurs s’inquiètent d’humeur.
27
Beaucoup de couples en profitent pour casser des l’accès à trois motifs : la condamnation du conjoint à
unions mal assorties. L’époque est à la libération des une peine afflictive et infamante, les coups et blessures
femmes. Celle-ci est aussi perceptible dans la mode : les ainsi que l’adultère (dans le cas du mari, l’adultère n’est
robes à corsets et baleines cèdent le pas devant les admis qu’à la condition qu’il se produise au domicile
robes chemises en mousseline, qui libèrent le corps et conjugal !).
en révèlent les formes.
Suite à la chute de l’Empire napoléonien, le droit au
divorce est purement abrogé le 8 mai 1816. La
Retour de balancier bourgeoisie, soucieuse d’ordre, s’impose dès lors une
Quand la Révolution prend fin avec le Consulat, rigueur morale de façade qui s’accommode tant bien
Napoléon Bonaparte conclut un Concordat avec le que mal de l’amour romantique : les jeunes gens rêvent
Saint-Siège. Il rétablit le mariage religieux (sacrement) de l’amour-passion en attendant de se ranger.
sans abroger pour autant le mariage civil (contrat). Les souverains, tels Louis-Philippe Ier et Marie-Amélie
Aussitôt, des foules de catholiques se pressent dans les en France, Victoria et Albert en Angleterre, deviennent
églises pour régulariser leur union. le modèle du mariage bourgeois, raisonné, pudique,
fidèle et tendre. Celui-ci va de pair avec le retour de la
Pour conserver la mainmise de l’État sur l’institution, la femme aux fourneaux. L’Europe du XIXe siècle est une
loi du 10 germinal An X (8 avril 1802) impose que le
mariage civil précède toujours le mariage religieux. société d’hommes à de rarissimes exceptions (George
Sand).
Inscrite dans l’article 214 du Code civil, cette clause
sera maintenue un siècle plus tard en dépit de la La femme s’émancipe
séparation des Églises et de l’État (la logique eut voulu
qu’elle disparaisse, l’État n’ayant pas à s’occuper des En France, le mariage d’inclination revient en vogue
rituels religieux dès lors qu’ils n’ont pas de valeur sous la IIIe République, à la fin du XIXe siècle. Et pour
officielle ou juridique). les mêmes raisons que sous la Révolution, on plaide
pour le droit au divorce. On y voit la garantie d’unions
Aujourd’hui, elle apparaît singulièrement décalée par solides, fondées sur un attachement sincère et non sur
rapport à la réalité, ne pesant de fait que sur les la contrainte.
mariages catholiques, juifs et protestants, à l’exclusion
des autres (musulmans, bouddhistes...). Après plusieurs tentatives, le député Alfred Naquet
arrive à faire voter la loi sur le divorce le 27 juillet 1884.
Le retour de balancier touche aussi le divorce. En 1804, Ce droit se limite aux trois causes retenues par
le Premier Consul Napoléon Bonaparte en restreint Napoléon quatre-vingts ans plus tôt : adultère, coups et
28
blessures, condamnation (il faudra attendre le 11 juillet Un intellectuel brillant, Léon Blum (35 ans), publie en
1975 pour que soit rétabli en France le divorce par 1907 Du mariage. Dans cet essai qui fait scandale, il
consentement mutuel, sous la présidence de Valéry recommande l’expérimentation sexuelle avant le
Giscard d’Estaing). mariage, pour les jeunes femmes comme pour les
jeunes hommes.
Visionnaire, il devine que les moyens de contraception
écarteront un jour les grossesses imprévues. Ce sera le
cas un demi-siècle plus tard avec la fameuse pilule du
docteur Gregory Pincus.

La noce à Yport (Albert Fourié, 1886)

Voyage de noces (Ernst Heilemann, 1908)


De pair avec la libéralisation du mariage, la «Belle
Époque», au tournant du XXe siècle, voit un début
d’émancipation des femmes. Celles-ci réclament de
voter et de travailler.
29
En attendant, le mariage bourgeois du XIXe siècle tend les y oblige plus car les enfants nés hors mariage
à devenir la norme dans la plupart des pays européens. acquièrent les mêmes droits que les autres et les
Comme si se réalisait la prédiction des révolutionnaires : concubins sont soumis aux mêmes devoirs que les
la légalisation du divorce renforce le lien conjugal en époux.
allégeant celui-ci.
Le retour du concubinage
Tant en Amérique qu’en Europe occidentale, les
«Trente Glorieuses» (1944-1974) témoignent de Le mariage traditionnel régresse, encombré par des
l’épanouissement de la famille nucléaire : un couple dispositions héritées du concile de Trente et qui ont
solidaire entouré de deux ou trois enfants. perdu leur raison d’être : publication des bans,
présence des témoins. Son principal atout demeure son
Les femmes acquièrent partout le droit de vote et aspect festif et l’occasion de rapprocher deux familles
investissent massivement le marché du travail. Mais en autour d’un grand moment de joie.
France, c’est seulement le 13 juin 1965 que le législateur
se décide à mettre fin à la puissance maritale, Malgré cela, la moitié des couples lui préfèrent une
autrement dit à la primauté de l’homme sur la femme formule plus souple : le PACS (pacte civil de solidarité),
dans le couple (jusque-là, la femme avait par exemple institué en 1999. C’est la version moderne du mariage
besoin d’une autorisation de son mari pour travailler à romain sine manu, opposé au mariage patricien (notre
l’extérieur). mariage traditionnel).

En 1973, la fin des «Trente Glorieuses» amorce une En rupture avec l’effervescence brouillonne de la fin du
rupture brutale. En Europe, elle se solde par une crise XXe siècle, notre XXIe siècle s’ouvre sur de nombreux
économique doublée d’un choc démographique. points d’interrogation.
L’indice de fécondité en-dessous du seuil de Le mariage stérile
renouvellement de la population, soit bien en dessous
de la moyenne de deux enfants par femme. Dans les années qui suivent les «événements» de Mai
68, il était de bon ton de se gausser du mariage. Il n’y
Carrefours et interrogations aura bientôt plus que les prêtres pour souhaiter encore
se marier, ironisait-on. Surprise. Les mêmes, quarante
Parallèlement se développe un phénomène inédit : la ans plus tard, les cheveux grisonnants, défendent bec et
«cohabitation juvénile». C’est la concrétisation du rêve ongles l’accès des homosexuels au mariage bourgeois.
de Léon Blum. La cohabitation se prolonge par le En même temps, de l’Allemagne au Japon en passant
concubinage. De plus en plus déjeunes ménages par la Russie, la Grèce... c’est la finalité même du
négligent en effet de régulariser leur situation. Rien ne
30
mariage – la fondation d’une famille et la poursuite de «épouses» : esclaves sexuelles, génitrices et bonnes à
la chaîne des générations – qui se dissout avec un tout faire. La polygamie, qui était autrefois l’apanage
indice de fécondité moyen proche d’un enfant par d’une riche minorité, devient un luxe à la porté d’un
femme. quelconque imigrant sur le sol européen.
Dans les banlieues ethniques des métropoles En Inde, fait curieux, la dot était au début du XXe siècle
européennes, c’est un tout autre son de cloche avec une obligation limitée à une petite fraction de la classe
l’irruption de phénomènes oubliés ou jusque-là ignorés moyenne. Elle s’est diffusée à l’ensemble de la société et
du Vieux Continent : mariages forcés d’adolescentes, est devenue une charge exorbitante pour tous les
mariages arrangés, dévalorisation sociale de la femme, parents qui ont le malheur d’avoir des filles... Il s’ensuit
polygynie. une multiplication des avortements sélectifs de filles.
Internet, vecteur du communautarisme Bien malin qui peut dire quel phénomène l’emportera
dans le siècle qui s’ouvre, du sexe joyeux du temps des
En Europe et dans le reste du monde, la modernité et le Lumières, du mariage librement consenti de l’époque
développement de l’économie monétaire ont des médiévale, de l’union sous contrainte ou de la
résultats paradoxaux. soumission de la femme au mari, au clan et à la
Tandis que la bourgeoisie préserve son intégrité en communauté.
rapprochant ses enfants dans des «rallyes» très
sélectifs, de façon à éviter les mésalliances. Mais d’un
autre côté, l’avènement d’internet donne une nouvelle
vie aux agences de mariage communautaires. Par le
biais du réseau, musulmans, juifs ou catholiques
intégristes, Africains... cherchent sur ces réseaux une
âme sœur qui leur ressemble. Le communautarisme et
l’endogamie (le mariage à l’intérieur du clan) s’en
trouvent paradoxalement renforcés.
La polygamie a le vent en poupe
Dans les mondes africain et musulman, la polygamie
bénéficie d’un nouvel élan grâce aux revenus du pétrole
ou aux salaires de l’émigration. Leurs bénéficiaires
peuvent à bon compte s’offrir une, deux ou plusieurs
31
Choix de textes

Le choix du fiancé
(Ésope, Le Lion amoureux et le laboureur,
Fables, VIIe-VIe s. av. J.-C.)
Un lion s’étant épris de la fille d’un laboureur, la demanda en
mariage ; mais lui, ne pouvant ni se résoudre à donner sa fille à une
bête féroce, ni la lui refuser à cause de la crainte qu’il en avait,
imagina l’expédient que voici. Comme le lion ne cessait de le presser,
il lui dit qu’il le jugeait digne d’être l’époux de sa fille, mais qu’il ne
pouvait la lui donner qu’à une condition, c’est qu’il s’arracherait les
dents et se rognerait les griffes ; car c’était cela qui faisait peur à la
jeune fille. Il se résigna facilement, parce qu’il aimait, à ce double
sacrifice. Dès lors le laboureur n’eut plus que mépris pour lui, et,
lorsqu’il se présenta, il le mit à la porte à coups de bâton.
Cette fable montre que ceux qui se fient aisément aux autres, une
fois qu’ils se sont dépouillés de leurs propres avantages, sont
facilement vaincus par ceux qui les redoutaient auparavant.

32
Le gendre idéal : Pline le Jeune, Lettre XIV (1er s.)
PLINE À JUNIUS MAURICUS.
Vous me priez de chercher un parti pour la fille de votre frère. C’est
avec raison que vous me donnez cette commission plutôt qu’à tout
autre. Vous savez jusqu’où je portais mon attachement et ma
vénération pour ce grand homme. Par quels sages conseils n’a-t-il
point soutenu ma jeunesse ? Par quelles avances de louanges ne
m’a-t-il pas engagé à en mériter ? Vous ne pouviez donc me charger
d’une commission plus importante, et qui me fit tout à la fois et plus
de plaisir et plus d’honneur, que celle de choisir un homme digne de
faire revivre Rusticus Arulenus dans ses descendants. […]
[Pline fait l’éloge d’Acilianus]
Sa physionomie est heureuse, ses couleurs vives. Il est parfaitement
bien fait. Il a l’air noble, et toute la majesté d’un sénateur. Loin de
croire qu’il faille négliger ces avantages, je suis au contraire
persuadé qu’il faut les chercher, comme la récompense que l’on doit
aux mœurs innocentes d’une jeune personne. Je ne sais si je dois
ajouter que le père est fort riche. Quand je me représente le
caractère de ceux qui veulent un gendre de ma main, je n’ose parler
de ses biens ; mais ils ne me semblent pas à mépriser quand je
consulte l’usage établi, et même nos lois, qui mesurent les hommes
principalement par leurs revenus. Et franchement on ne peut jeter les
yeux sur les suites du mariage sans mettre les biens au nombre des
choses nécessaires pour sa félicité. Vous croyez peut-être que mon
cœur a conduit mon pinceau, dans le portrait que j’ai fait d’Acilianus.
Ne vous fiez jamais à moi, s’il ne vous tient plus que je ne vous ai
promis. Je vous avoue que je l’aime comme il le mérite, c’est-à-dire
de tout mon cœur. Mais, selon moi, le meilleur office que puisse
rendre un ami, c’est de ne pas donner à celui qu’il aime plus de
louanges qu’il n’en peut porter.

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Érasme (1466-1536) - Éloge de la folie (1511) - extraits
C’EST LA FOLIE QUI PARLE.
XI. [...] Et puis, quel homme, je le demande, tendrait le col au joug du
mariage, si, comme font nos sages, il calculait préalablement les
inconvénients d’un tel état ? Et quelle femme irait à l’homme, si elle
méditait ce qu’il y a de dangereux à mettre un enfant au monde et de
fatigues pour l’élever ? Comme vous devez la vie au mariage, vous
devez le mariage à ma suivante l’Étourderie. Et à moi, voyez aussi
combien vous m’êtes redevables. Quelle femme, ayant passé par là,
voudrait recommencer, si l’Oubli, que voici, n’était auprès d’elle ?
Vénus elle-même, quoi qu’en pense Lucrèce, y userait vraiment sa
force, si je n’intervenais pas dans l’affaire. [...]
XX. — Ce que je dis de l’amitié s’applique mieux encore au mariage,
union contractée pour la vie. Dieux immortels ! Que de divorces et
d’aventures pires que le divorce ne multiplierait pas la vie domestique
de l’homme et de la femme, si elle n’avait pour aliments et pour
soutiens : la complaisance, le badinage, la faiblesse, l’illusion, la
dissimulation, enfin tous mes satellites ! Ah ! qu’il se conclurait peu
de mariages, si l’époux s’informait prudemment des jeux dont la
petite vierge, aux façons délicates et pudiques, s’est amusée fort
avant les noces ! Et plus tard, quel contrat pourrait tenir, si la
conduite des femmes ne se dérobait à l’insouciance et à la bêtise des
maris ! Tout cela s’attribue à la Folie ; c’est par elle que la femme
plaît à son mari, le mari à sa femme, que la maison est tranquille et
que le lien conjugal ne se dénoue pas. On rit du cocu, du cornard ;
comment ne l’appelle-t-on pas ! Mais lui sèche sous ses baisers les
larmes de l’adultère. Heureuse illusion, n’est-ce pas ? et qui vaut
mieux que se ronger de jalousie et prendre tout au tragique !

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La décision quelque femme de bien et elle me battît, je sera plus que tiercelet de
(François Rabelais, Tiers Livre, IX - 1552) Job, si je n’enrageais tout vif. Car l’on m’a dit que ces tant femmes de
bien ont communément mauvaise tête. Aussi ont-elles bon vinaigre
« Seigneur vous avez ma délibération entendue, qui est me marier, si en leur ménage. Je l’aurais encore pire, et lui battrais tant et trestant
de malencontre n’étaient tous les trous fermés, clos et bouclés ; je sa petite oie, ce sont bras, jambes, tête, poumon, foie et ratelle ; tant
vous supplie par l’amour que si longtemps m’avez porté, dites-m’en lui déchiquetterais ses habillements à bâtons rompus, que le grand
votre avis [....] Diole en attendrait l’âme damnée à la porte. De ces abus je me
— J’en suis, répondit Pantagruel, d’avis et vous le conseille. passerai bien pour cette année, et content serais n’y entrer point .
— Mais, dit Panurge, si vous connaissiez que mon meilleur fût tel — Point donc ne vous mariez, répondit Pantagruel.
que je suis demeurer, sans entreprendre cas de nouvelleté, j’aimerais — Voire mais, dit Panurge. Etant en état tel que je suis, quitte et non
mieux ne me marier point. marié, notez que je dis quitte en la male heure, car étant bien fort
— Point donc ne vous mariez, répondit Pantagruel. endetté, mes créditeurs ne seraient que trop soigneux de ma
— Voire mais, dit Panurge, voudriez-vous qu’ainsi seulet je paternité, mais quitte et non marié, je n’ai personne qui tant de moi
demeurasse toute ma vie sans compagnie conjugale ? Vous savez se souciât et amour tel me portât, qu’on dit être amour conjugal… »
qu’il est écrit : VAE SOLI. L’homme seul n’a jamais tel plaisir qu’on
voit entre gens mariés.
— Mariez-vous donc, de par Dieu ! répondit Pantagruel.
— Mais si, dit Panurge, ma femme me faisait cocu, comme vous
savez qu’il en est grande année, ce serait assez pour me faire
trépasser hors les gonds de patience. J’aime bien les cocus, et me
semblent gens de bien, et les hante volontiers, mais pour mourir je
ne le voudrais être. C’est un point qui trop me point.
— Point donc ne vous mariez, répondit Pantagruel, car la sentence
de Sénèque est véritable hors toute exception : ce qu’à autrui tu
auras fait, sois certain qu’autrui te fera.
— Dites-vous, demanda Panurge, cela sans exception ?
— Sans exception il le dit, répondit Pantagruel.
— Ho ! Ho ! dit Panurge, de par le petit diable ! Il entend en ce
monde, ou en l’autre ?
— Voire mais, puisque de femme ne me peux passer en plus qu’un
aveugle de bâton (car il faut que le virolet trotte, autrement vivre ne
saurais), n’est-ce le mieux que je m’associe quelque honnête et
prude femme, qu’ainsi changer de jour en jour avec continuel danger
de quelque coup de bâton, ou de la vérole pour le pire ? Car femme
de bien onques ne me fut rien. Et n’en déplaise à leurs maris.
— Mariez vous donc, de par Dieu ! répondit Pantagruel.
— Mais si, dit Panurge, Dieu le voulait, et advînt que j’épousasse
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Les 10 commandements du mariage au XVIIe s. Car, pour bien plaire à son époux,
(Molière, L’École des femmes – tirade d’Arnolphe - 1662) Elle ne doit plaire à personne.

LES MAXIMES DU MARIAGE CINQUIÈME MAXIME


OU LES DEVOIRS DE LA FEMME MARIÉE Hors ceux dont au mari la visite se rend,
AVEC SON EXERCICE JOURNALIER La bonne règle défend
De recevoir aucune âme :
PREMIÈRE MAXIME Ceux qui de galante humeur
Celle qu’un lien honnête N’ont affaire qu’à madame
Fait entrer au lit d’autrui, N’accommodent pas monsieur.
Doit se mettre dans la tête,
Malgré le train d’aujourd’hui, SIXIÈME MAXIME
Que l’homme qui la prend ne la prend que pour lui. Il faut des présents des hommes
Qu’elle se défende bien ;
ARNOLPHE Car, dans le siècle où nous sommes,
Je vous expliquerai ce que cela veut dire ; On ne donne rien pour rien.
Mais pour l’heure présente, il ne faut rien que lire.
SEPTIÈME MAXIME
AGNÈS poursuit. Dans ses meubles, dût-elle en avoir de l’ennui,
DEUXIÈME MAXIME Il ne faut écritoire, encre, papier, ni plumes :
Elle ne se doit parer Le mari doit, dans les bonnes coutumes,
Qu’autant que peut désirer Ecrire tout ce qui s’écrit chez lui.
Le mari qui la possède :
C’est lui qui touche seul le soin de sa beauté ; HUITIÈME MAXIME
Et pour rien doit être compté Ces sociétés déréglées,
Que les autres la trouvent laide. Qu’on nomme belles assemblées,
Des femmes tous les jours corrompent les esprits.
TROISIÈME MAXIME En bonne politique on les doit interdire ;
Loin ces études d’oeillades, Car c’est là que l’on conspire
Ces eaux, ces blancs, ces pommades, Contre les pauvres maris.
Et mille ingrédients qui font des teints fleuris :
A l’honneur, tous les jours, ce sont drogues mortelles ; NEUVIÈME MAXIME
Et les soins de paraître belles Toute femme qui veut à l’honneur se vouer
Se prennent peu pour les maris. Doit se défendre de jouer,
Comme d’une chose funeste ;
QUATRIÈME MAXIME Car le jeu, fort décevant,
Sous sa coiffe, en sortant, comme l’honneur l’ordonne, Pousse une femme souvent
Il faut que de ses yeux elle étouffe les coups ; A jouer de tout son reste.
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DIXIÈME MAXIME
Des promenades du temps,
Ou repas qu’on donne aux champs,
Il ne faut point qu’elle essaye ;
Selon les prudents cerveaux,
Le mari, dans ces cadeaux,
Est toujours celui qui paye.

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Le choix de la fiancée
(Jean de la Fontaine, « L’Homme entre deux âges, et ses deux
Maîtresses », Fables, livre I, 1668)
Un homme de moyen âge,
Et tirant sur le grison,
Jugea qu’il était saison
De songer au mariage.
Il avait du comptant,
Et partant
De quoi choisir. Toutes voulaient lui plaire ;
En quoi notre amoureux ne se pressait pas tant ;
Bien adresser n’est pas petite affaire.
Deux veuves sur son coeur eurent le plus de part :
L’une encor verte, et l’autre un peu bien mûre,
Mais qui réparait par son art
Ce qu’avait détruit la nature.
Ces deux Veuves, en badinant,
En riant, en lui faisant fête,
L’allaient quelquefois testonnant,
C’est-à-dire ajustant sa tête.
La Vieille à tous moments de sa part emportait
Un peu du poil noir qui restait,
Afin que son amant en fût plus à sa guise.
La Jeune saccageait les poils blancs à son tour.
Toutes deux firent tant, que notre tête grise
Demeura sans cheveux, et se douta du tour.
Je vous rends, leur dit-il, mille grâces, les Belles,
Qui m’avez si bien tondu ;
J’ai plus gagné que perdu :
Car d’Hymen point de nouvelles.
Celle que je prendrais voudrait qu’à sa façon
Je vécusse, et non à la mienne.
Il n’est tête chauve qui tienne,
Je vous suis obligé, Belles, de la leçon.

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La toute-puissance paternelle
(Molière, L’Avare, I, 4 - 1668)
HARPAGON — [...] Quant à ton frère, je lui destiné une certaine veuve
dont ce matin on m’est venu parler ; et, pour toi, je te donne au
seigneur Anselme.
ÉLISE — Au seigneur Anselme ?
HARPAGON — Oui, Un homme mûr, prudent et sage, qui n’a pas plus
de cinquante ans, et dont on vante les grands biens.
ÉLISE, faisant une révérence — Je ne veux point me marier, mon
père, s’il vous plaît.
HARPAGON, contrefaisant sa révérence — Et moi, ma petite fille, ma
mie, je veux que vous vous mariiez, s’il vous plaît.
ÉLISE — Je vous demande pardon, mon père.
HARPAGON — Je vous demande pardon, ma fille.
ÉLISE — Je suis très humble servante au seigneur Anselme mais,
avec votre permission, je ne l’épouserai point.
HARPAGON — Je suis votre très humble valet ; mais, avec votre
permission, vous l’épouserez dès ce soir.
ÉLISE — Dès ce soir ?
HARPAGON — Dès ce soir.
ÉLISE — Cela ne sera pas, mon père.
HARPAGON — Cela sera, ma fille.
ÉLISE — Non.
HARPAGON — Si.
ÉLISE — Non, vous dis-je.
HARPAGON — Si, vous dis-je.
ÉLISE — C’est une chose où vous ne me réduirez point.
HARPAGON — C’est une chose où je te réduirai.
ÉLISE — Je me tuerai plutôt que d’épouser un tel mari.
HARPAGON — Tu ne te tueras point, et tu l’épouseras. Mais voyez
quelle audace ! A-t-on jamais vu une fille parler de la sorte à son
père ?
ÉLISE — Mais a-t-on jamais vu un père marier sa fille de la sorte ?
HARPAGON — C’est un parti où il n’y a rien à redire, et je gage que
tout le monde approuvera mon choix.

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Le jour du mariage Jusqu’au soir, on mangea. Quand on était trop fatigué d’être assis, on
(Gustave Flaubert, Madame Bovary - 1857) allait se promener dans les cours ou jouer une partie de bouchon
dans la grange ; puis on revenait à table. Quelques-uns, vers la fin,
Les conviés arrivèrent de bonne heure dans des voitures, carrioles à s’y endormirent et ronflèrent. Mais, au café, tout se ranima ; alors on
un cheval, chars à bancs à deux roues, vieux cabriolets sans capote, entama des chansons, on fit des tours de force, on portait des poids,
tapissières à rideaux de cuir, et les jeunes gens des villages les plus on passait sous son pouce, on essayait à soulever les charrettes sur
voisins dans des charrettes où ils se tenaient debout, en rang, les ses épaules, on disait des gaudrioles, on embrassait les dames. Le
mains appuyées sur les ridelles pour ne pas tomber, allant au trot et soir, pour partir, les chevaux gorgés d’avoine jusqu’aux naseaux,
secoués dur. Il en vint de dix lieues loin, de Goderville, de eurent du mal à entrer dans les brancards ; ils ruaient, se cabraient,
Normanville et de Cany. On avait invité tous les parents des deux les harnais se cassaient, leurs maîtres juraient ou riaient ; et toute la
familles, on s’était raccommodé avec les amis brouillés, on avait écrit nuit, au clair de la lune, par les routes du pays, il y eut des carrioles
à des connaissances perdues de vue depuis longtemps. […] emportées qui couraient au grand galop, bondissant dans les
La mairie se trouvant à une demi-lieue de la ferme, on s’y rendit à saignées, sautant par-dessus les mètres de cailloux, s’accrochant
pied, et l’on revint de même, une fois la cérémonie faite à l’église. Le aux talus, avec des femmes qui se penchaient en dehors de la
cortège, d’abord uni comme une seule écharpe de couleur, qui portière pour saisir les guides.
ondulait dans la campagne, le long de l’étroit sentier serpentant entre Ceux qui restèrent aux Bertaux passèrent la nuit à boire dans la
les blés verts, s’allongea bientôt et se coupa en groupes différents, cuisine. Les enfants s’étaient endormis sous les bancs.
qui s’attardaient à causer. Le ménétrier allait en tête, avec son violon
empanaché de rubans à la coquille ; les mariés venaient ensuite, les
parents, les amis tout au hasard, et les enfants restaient derrière,
s’amusant à arracher les clochettes des brins d’avoine, ou à se jouer
entre eux, sans qu’on les vît. La robe d’Emma, trop longue, traînait
un peu par le bas ; de temps à autre, elle s’arrêtait pour la tirer, et
alors délicatement, de ses doigts gantés, elle enlevait les herbes
rudes avec les petits dards des chardons, pendant que Charles, les
mains vides, attendait qu’elle eût fini. Le père Rouault, un chapeau
de soie neuf sur la tête et les parements de son habit noir lui
couvrant les mains jusqu’aux ongles, donnait le bras à madame
Bovary mère. Quant à M. Bovary père, qui, méprisant au fond tout ce
monde-là, était venu simplement avec une redingote à un rang de
boutons d’une coupe militaire, il débitait des galanteries d’estaminet à
une jeune paysanne blonde. Elle saluait, rougissait, ne savait que
répondre. Les autres gens de la noce causaient de leurs affaires ou
se faisaient des niches dans le dos, s’excitant d’avance à la gaieté ;
et, en y prêtant l’oreille, on entendait toujours le crin-crin du ménétrier
qui continuait à jouer dans la campagne. […]
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L’attente
(Paul Verlaine, “Donc, ce sera par un clair jour d’été”,
La Bonne chanson, 1870)
Donc, ce sera par un clair jour d’été ;
Le grand soleil, complice de ma joie,
Fera, parmi le satin et la soie,
Plus belle encor votre chère beauté ;
Le ciel tout bleu, comme une haute tente,
Frissonnera somptueux à longs plis
Sur nos deux fronts heureux qu’auront pâlis
L’émotion du bonheur et l’attente ;
Et quand le soir viendra, l’air sera doux
Qui se jouera, caressant, dans vos voiles,
Et les regards paisibles des étoiles
Bienveillamment souriront aux époux.

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Une fête originale : la visite du Louvre le cou, et ils ne distinguaient rien. Alors, avant d’entrer dans le salon
(Émile Zola, L’Assommoir - 1876) carré, il indiqua une fenêtre du geste, en disant : – Voilà le balcon
d’où Charles IX a tiré sur le peuple.
Enfin, après avoir descendu la rue Croix-des-Petits-Champs, on
arriva au Louvre. Cependant, il surveillait la queue du cortège. D’un geste, il
M. Madinier, poliment, demanda à prendre la tête du cortège. commanda une halte, au milieu du salon carré. Il n’y avait là que des
chefs-d’œuvre, murmurait-il à demi-voix, comme dans une église. On
C’était très grand, on pouvait se perdre ; et lui, d’ailleurs, connaissait fit le tour du salon. Gervaise demanda le sujet des Noces de Cana ;
les beaux endroits, parce qu’il était souvent venu avec un artiste, un c’était bête de ne pas écrire les sujets sur les cadres. Coupeau
garçon bien intelligent, auquel une grande maison de cartonnage s’arrêta devant la Joconde, à laquelle il trouva une ressemblance
achetait des dessins, pour les mettre sur des boîtes. En bas, quand avec une des ses tantes. Boche et Bibi-la-Grillade ricanaient, en se
la noce se fut engagée dans le musée assyrien, elle eut un petit montrant du coin de l’œil les femmes nues ; les cuisses de l’Antiope
frisson. Fichtre ! il ne faisait pas chaud ; la salle aurait fait une surtout leur causèrent un saisissement. Et, tout au bout, le ménage
fameuse cave. Et, lentement, les couples avançaient, le menton levé, Gaudron, l’homme la bouche ouverte, la femme les mains sur son
les paupières battantes, entre les colosses de pierre, les dieux de ventre, restaient béants, attendris et stupides, en face de la Vierge de
marbre noir muets dans leur raideur hiératique, les bêtes Murillo.
monstrueuses, moitié chattes et moitié femmes, avec des figures de Le tour du salon terminé, M. Madinier voulut qu’on recommençât ; ça
mortes, le nez aminci, les lèvres gonflées. Il trouvaient tout ça très en valait la peine. Il s’occupait beaucoup de madame Lorilleux, à
vilain. On travaillait joliment mieux la pierre au jour d’aujourd’hui. [...] cause de sa robe de soie ; et, chaque fois qu’elle l’interrogeait, il
Ce fut avec un grand respect, marchant le plus doucement possible, répondait gravement, avec un grand aplomb. Comme elle
qu’ils entrèrent dans la galerie française. s’intéressait à la maîtresse du Titien, dont elle trouvait la chevelure
Alors, sans s’arrêter, les yeux emplis de l’or des cadres, il suivirent jaune pareille à la sienne, il la lui donna pour la Belle Ferronnière,
l’enfilade des petits salons, regardant passer les images, trop une maîtresse d’Henri IV, sur laquelle on avait vu un jour un drame, à
nombreuses pour être bien vues. Il aurait fallu une heure devant l’Ambigu.
chacune, si l’on avait voulu comprendre. Que de tableaux, sacredié ! Puis, la noce se lança dans la longue galerie où sont les écoles
ça ne finissait pas. Il devait y en avoir pour de l’argent. Puis, au bout, italiennes et flamandes. Encore des tableaux, toujours des tableaux,
M. Madinier les arrêta brusquement devant le Radeau de la Méduse ; des saints, des hommes et des femmes avec des figures qu’on ne
et il leur expliqua le sujet. Tous, saisis, immobiles, ne disaient rien. comprenait pas, des paysages tout noirs, des bêtes devenues
Quand on se remit à marcher, Boche résuma le sentiment général : jaunes, une débandade de gens et de choses dont le violent tapage
c’était tapé. de couleurs commençait à leur causer un gros mal de tête. M.
Dans la galerie d’Apollon, le parquet surtout émerveilla la société, un Madinier ne parlait plus, menait lentement le cortège, qui le suivait en
parquet luisant, clair comme un miroir, où les pieds des banquettes ordre, tous les cous tordus et les yeux en l’air. Des siècles d’art
se reflétaient. Mademoiselle Remanjou fermait les yeux, parce qu’elle passaient devant leur ignorance ahurie, la sécheresse fine des
croyait marcher sur de l’eau. On criait à madame Gaudron de poser primitifs, les splendeurs des Vénitiens, la vie grasse et belle de
ses souliers à plat, à cause de sa position. M. Madinier voulait leur lumière des Hollandais.
montrer les dorures et les peintures du plafond ; mais ça leur cassait
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La cérémonie reigieuse du mariage Il posa les questions d’usage, échangea les anneaux, prononça les
(Guy de Maupassant, Bel-Ami. 1885) paroles qui lient comme des chaînes, et il adressa aux nouveaux
époux une allocution chrétienne. Il parla de fidélité, longuement, en
Les premiers invités apparurent bientôt, ceux qui voulaient être bien termes pompeux. C’était un gros homme de grande taille, un de ces
placés pour tout voir. Ils prirent les chaises en bordure, le long de la beaux prélats chez qui le ventre est une majesté.
nef centrale.
Un bruit de sanglots fit retourner quelques têtes. Mme Walter pleurait,
Peu à peu, il en venait d’autres, des femmes qui faisaient un bruit la figure dans ses mains.
d’étoffes, un bruit de soie, des hommes sévères, presque tous
chauves, marchant avec une correction mondaine, plus graves Elle avait dû céder. Qu’aurait-elle fait ? Mais depuis le jour où elle
encore en ce lieu. avait chassé de sa chambre sa fille revenue, en refusant de
l’embrasser, depuis le jour où elle avait dit à voix très basse à Du
L’église s’emplissait lentement. Un flot de soleil entrait par l’immense Roy, qui la saluait avec cérémonie en reparaissant devant elle: «Vous
porte ouverte éclairant les premiers rangs d’amis. Dans le chœur qui êtes l’être le plus vil que je connaisse, ne me parlez jamais plus, car
semblait un peu sombre, l’autel couvert de cierges faisait une clarté je ne vous répondrai point !» elle souffrait une intolérable et
jaune, humble et pâle en face du trou de lumière de la grande inapaisable torture. Elle haïssait Suzanne d’une haine aiguë, faite de
porte. On se reconnaissait, on s’appelait d’un signe, on se réunissait passion exaspérée et de jalousie déchirante, étrange jalousie de
par groupes. Les hommes de lettres, moins respectueux que les mère et de maîtresse, inavouable, féroce, brûlante comme une plaie
hommes du monde, causaient à mi-voix. On regardait les femmes. vive.
[...]
Et voilà qu’un évêque les mariait, sa fille et son amant, dans une
Puis Georges Du Roy parut avec une vieille dame inconnue. Il levait église, en face de deux mille personnes, et devant elle ! Et elle ne
la tête sans détourner non plus ses yeux fixes, durs, sous ses pouvait rien dire ? Elle ne pouvait pas empêcher cela ? Elle ne
sourcils un peu crispés. Sa moustache semblait irritée sur sa lèvre. pouvait pas crier: «Mais il est à moi, cet homme, c’est mon amant.
On le trouvait fort beau garçon. Il avait l’allure fière, la taille fine, la Cette union que vous bénissez est infâme.»
jambe droite. Il portait bien son habit que tachait, comme une goutte
de sang, le petit ruban rouge de la Légion d’honneur. [...] Plusieurs femmes, attendries, murmurèrent: «Comme la pauvre mère
est émue.»
Et toujours les orgues chantaient, poussaient par l’énorme monument
les accents ronflants et rythmés de leurs gorges puissantes, qui L’évêque déclamait : «Vous êtes parmi les heureux de la terre, parmi
crient au ciel la joie ou la douleur des hommes. On referma les les plus riches et les plus respectés. Vous, monsieur, que votre talent
grands battants de l’entrée, et, tout à coup, il fit sombre comme si on élève au-dessus des autres, vous qui écrivez, qui enseignez, qui
venait de mettre à la porte le soleil. conseillez, qui dirigez le peuple, vous avez une belle mission à
remplir, un bel exemple à donner...»
Maintenant Georges était agenouillé à côté de sa femme dans le
chœur, en face de l’autel illuminé. Le nouvel évêque de Tanger, Du Roy l’écoutait, ivre d’orgueil. Un prélat de l’Église romaine lui
crosse en main, mitre en tête, apparut, sortant de la sacristie, pour parlait ainsi, à lui. Et il sentait, derrière son dos, une foule, une foule
les unir au nom de l’Éternel. illustre venue pour lui. Il lui semblait qu’une force le poussait, le

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soulevait. Il devenait un des maîtres de la terre, lui, lui, le fils des
deux pauvres paysans de Canteleu. [...]

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Une demande en mariage – Pardon, mais je ne pouvais plus me taire. Je vous aime depuis
(Guy de Maupassant, Pierre et Jean. 1887) longtemps. Aujourd’hui vous m’avez grisé à me faire perdre la raison.
Mme Rosemilly et Jean sont à la pêche aux salicoques... Alors, tout à coup, elle sembla en prendre son parti, se résigner à
parler d’affaires et à renoncer aux plaisirs.
Elle était adroite et rusée, ayant la main souple et le flair de chasseur – Asseyons-nous sur ce rocher, dit-elle, nous pourrons causer
qu’il fallait. Presque à chaque coup, elle ramenait des bêtes tranquillement.
trompées et surprises par la lenteur ingénieuse de sa poursuite. Jean
maintenant ne trouvait rien, mais il la suivait pas à pas, la frôlait, se Ils grimpèrent sur le roc un peu haut, et lorsqu’ils y furent installés
penchait sur elle, simulait un grand désespoir de sa maladresse, côte à côte, les pieds pendants, en plein soleil, elle reprit :
voulait apprendre. – Mon cher ami, vous n’êtes plus un enfant et je ne suis pas une
– Oh ! montrez-moi, disait-il, montrez-moi ! jeune fille. Nous savons fort bien l’un et l’autre de quoi il s’agit, et
nous pouvons peser toutes les conséquences de nos actes. Si vous
Puis, comme leurs deux visages se reflétaient, l’un contre l’autre, vous décidez aujourd’hui à me déclarer votre amour, je suppose
dans l’eau si claire dont les plantes noires du fond faisaient une glace naturellement que vous désirez m’épouser.
limpide, Jean souriait à cette tête voisine qui le regardait d’en bas, et
parfois, du bout des doigts, lui jetait un baiser qui semblait tomber Il ne s’attendait guère à cet exposé net de la situation, et il répondit
dessus. niaisement :
– Ah ! que vous êtes ennuyeux, disait la jeune femme ; mon cher, il – Mais oui.
ne faut jamais faire deux choses à la fois. – En avez-vous parlé à votre père et à votre mère ?
– Non, je voulais savoir si vous m’accepteriez.
Il répondit :
– Je n’en fais qu’une. Je vous aime. Elle lui tendit sa main encore mouillée, et comme il y mettait la sienne
avec élan :
Elle se redressa, et d’un ton sérieux : – Moi, je veux bien, dit-elle. Je vous crois bon et loyal. Mais n’oubliez
– Voyons, qu’est-ce qui vous prend depuis dix minutes, avez-vous point, que je ne voudrais pas déplaire à vos parents.
perdu la tête ? – Oh ! pensez-vous que ma mère n’a rien prévu et qu’elle vous
– Non, je n’ai pas perdu la tête. Je vous aime, et j’ose, enfin, vous le aimerait comme elle vous aime si elle ne désirait pas un mariage
dire. entre nous ?
Ils étaient debout maintenant dans la mare salée qui les mouillait – C’est vrai, je suis un peu troublée.
jusqu’aux mollets, et les mains ruisselantes appuyées sur leurs filets, Ils se turent. Et il s’étonnait, lui, au contraire, qu’elle fût si peu
ils se regardaient au fond des yeux. troublée, si raisonnable. Il s’attendait à des gentillesses galantes, à
Elle reprit, d’un ton plaisant et contrarié : des refus qui disent oui, à toute une coquette comédie d’amour
– Que vous êtes malavisé de me parler de ça en ce moment. Ne mêlée à la pêche, dans le clapotement de l’eau ! Et c’était fini, il se
pouviez-vous attendre un autre jour et ne pas me gâter ma pêche ? sentait lié, marié, en vingt paroles. Ils n’avaient plus rien à se dire
puisqu’ils étaient d’accord, et ils demeuraient maintenant un peu
Il murmura : embarrassés tous deux de ce qui s’était passé, si vite, entre eux, un
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peu confus même, n’osant plus parler, n’osant plus pêcher, ne
sachant que faire.

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Wollaston. Quoi qu’il en soit, celui qui joint la raison à la passion, qui
Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des regarde l’objet de son amour comme exposé à toutes les calamités
sciences, des arts et des métiers, humaines, ne cherche qu’à s’accommoder à son état et aux
situations où il se trouve. Il devient le père, l’ami, le tuteur de ceux qui
première édition (1751-1765) ne sont pas encore au monde. Occupé dans son cabinet à
débrouiller une affaire épineuse pour le bien de sa famille, il croit que
Extraits de l’article Mariage son attention redouble lorsqu’il entend ses enfants, pour l’amour
desquels il n’épargne aucun travail, courir, sauter et se divertir dans
MARIAGE, s. m. (Droit naturel) la première, la plus simple de toutes la chambre voisine. En effet, dans les pays où les bonnes mœurs ont
les sociétés, et celle qui est la pépinière du genre humain. Une plus de force que n’ont ailleurs les bonnes lois, on ne connaît point
femme, des enfants, sont autant d’otages qu’un homme donne à la d’état plus heureux que celui du mariage. « Il a pour sa part, dit
fortune, autant de nouvelles relations et de tendres liens, qui Montagne, l’utilité, la justice, l’honneur et la constance. C’est une
commencent à germer dans son âme. douce société de vie, pleine de fiance et d’un nombre infini de bons,
de solides offices, et obligations mutuelles : à le bien façonner, il n’est
Partout où il se trouve une place où deux personnes peuvent vivre point de plus belle pièce dans la société. Aucune femme qui en
commodément, il se fait un mariage, dit l’auteur de l’esprit des lois. savoure le goût, ne voudrait tenir lieu de simple maîtresse à son mari
La nature y conduit toujours, lorsqu’elle n’est point arrêtée par la ».
difficulté de la subsistance. Le charme que les deux sexes inspirent
par leur différence, forme leur union ; et la prière naturelle qu’ils se Mais les mœurs qui dans un état commencent à se corrompre,
font toujours l’un à l’autre en confirme les nœuds : contribuent principalement à dégoûter les citoyens du mariage, qui
n’a que des peines pour ceux qui n’ont plus de sens pour les plaisirs
O Vénus, ô mère de l’amour, de l’innocence. Écoutez ceci, dit Bacon. Quand on ne connaîtra plus
Tout reconnaît tes lois !.... de nations barbares, et que la politesse et les arts auront énervé
Les filles que l’on conduit par le mariage à la liberté, qui ont un esprit l’espèce, on verra dans les pays de luxe les hommes peu curieux de
qui n’ose penser, un cœur qui n’ose sentir, des yeux qui n’osent voir, se marier, par la crainte de ne pouvoir pas entretenir une famille ; tant
des oreilles qui n’osent entendre, condamnées sans relâche à des il en coûtera pour vivre chez les nations policées ! voilà ce qui se voit
préceptes et à des bagatelles, se portent nécessairement au parmi nous ; voilà ce que l’on vit à Rome, lors de la décadence de la
mariage : l’empire aimable que donne la beauté sur tout ce qui république.
respire, y engagera bientôt les garçons. Telle est la force de On sait quelles furent les lois d’Auguste, pour porter ses sujets au
l’institution de la nature, que le beau sexe se livre invinciblement à mariage. Elles trouvèrent mille obstacles ; et trente-quatre ans après
faire les fonctions dont dépend la propagation du genre humain, à ne qu’il les eut données, les chevaliers romains lui en demandèrent la
pas se rebuter par les incommodités de la grossesse, par les révocation. Il fit mettre d’un côté ceux qui étaient mariés, et de l’autre
embarras de l’éducation de plusieurs enfants, et à partager le bien et ceux qui ne l’étaient pas : ces derniers parurent en plus grand
le mal de la société conjugale. nombre, ce qui étonna les citoyens et les confondit. Auguste avec la
La fin du mariage est la naissance d’une famille, ainsi que le bonheur gravité des anciens censeurs, leur tint ce discours.
commun des conjoints, ou même le dernier séparément selon
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« Pendant que les maladies et les guerres nous enlèvent tant de hommes qui sont sourds à la voix de la nature ; mais cet état peut-il
citoyens, que deviendra la ville si on ne contracte plus de mariages ? être permis sans le consentement des pères et mères ? Ce
la cité ne consiste point dans les maisons, les portiques, les places consentement est fondé sur leur puissance, sur leur amour, sur leur
publiques : ce sont les hommes qui font la cité. Vous ne verrez point raison, sur leur prudence, et les institutions ordinaires les autorisent
comme dans les fables sortir des hommes de dessous la terre pour seuls à marier leurs enfants. Cependant, selon les lois naturelles,
prendre soin de vos affaires. Ce n’est point pour vivre seuls que vous tout homme est maître de disposer de son bien et de sa personne. Il
restez dans le célibat : chacun de vous a des compagnes de sa table n’est point de cas où l’on puisse être moins gêné que dans le choix
et de son lit, et vous ne cherchez que la paix dans vos dérèglements. de la personne à laquelle on veut s’unir ; car qui est-ce qui peut
Citerez-vous l’exemple des vierges vestales ? Donc, si vous ne aimer par le cœur d’autrui, comme le dit Quintilien ? J’avoue qu’il y a
gardiez pas les lois de la pudicité, il faudrait vous punir comme elles. des pays où la facilité de ces sortes de mariages sera plus ou moins
Vous êtes également mauvais citoyens, soit que tout le monde imite nuisible ; je sais qu’en Angleterre même les enfants ont souvent
votre exemple, soit que personne ne le suive. Mon unique objet est la abusé de la loi pour se marier à leur fantaisie, et que cet abus a fait
perpétuité de la république. J’ai augmenté les peines de ceux qui naître l’acte du parlement de 1753. Cet acte a cru devoir joindre des
n’ont point obéi ; et à l’égard des récompenses, elles sont telles que formes, des termes et des gênes à la grande facilité des mariages ;
je ne sache pas que la vertu en ait encore eu de plus grandes : il y en mais il se peut que des contraintes pareilles nuiront à la population.
a de moindres qui portent mille gens à exposer leur vie ; et celles-ci Toute formalité restrictive ou gênante est destructive de l’objet auquel
ne vous engageraient pas à prendre une femme et à nourrir des elle est imposée : quels inconvénients si fâcheux a donc produit dans
enfants ». la Grande-Bretagne, jusqu’à présent, cette liberté des mariages,
qu’on ne puisse supporter ? des disproportions de naissance et de
Alors cet empereur publia les lois nommées Pappia-Poppæa, du nom fortunes dans l’union des personnes ? Mais qu’importent les
des deux consuls de cette année. La grandeur du mal paraissait mésalliances dans une nation où l’égalité est en recommandation, où
dans leur élection même : Dion nous dit qu’ils n’étaient point mariés la noblesse n’est pas l’ancienneté de la naissance, où les grands
et qu’ils n’avaient point d’enfants. Constantin et Justinien abrogèrent honneurs ne sont pas dus privativement à cette naissance, mais où
les lois pappiennes, en donnant la prééminence au célibat ; et la la constitution veut qu’on donne la noblesse à ceux qui ont mérité les
raison de spiritualité qu’ils en apportèrent imposa bientôt la nécessité grands honneurs ; l’assemblage des fortunes les plus
du célibat même. Mais, sans parler ici du célibat adopté par la disproportionnées n’est-il pas de la politique la meilleure et la plus
religion catholique, il est du moins permis de se récrier avec M. de avantageuse à l’état ? C’est cependant ce vil intérêt peut-être, qui,
Montesquieu contre le célibat qu’a formé le libertinage : « Ce célibat plus que l’honnêteté publique, plus que les droits des pères sur leurs
où les deux sexes se corrompant par les sentiments naturels même, enfants, a si fort insisté pour anéantir cette liberté des mariages : ce
fuient une union qui doit les rendre meilleurs pour vivre dans celle qui sont les riches plutôt que les nobles qui ont fait entendre leurs
rend toujours pire. C’est une règle tirée de la nature, que plus on imputations : enfin, si l’on compte quelques mariages que l’avis des
diminue le nombre des mariages qui pourraient se faire, plus on parents eût mieux assortis que l’inclination des enfants (ce qui est
corrompt ceux qui sont faits ; moins il y a de gens mariés, moins il y a presque toujours indifférent à l’état), ne sera-ce pas un grand poids
de fidélité dans les mariages, comme lorsqu’il y a plus de voleurs, il y dans l’autre côté de la balance, que le nombre des mariages, que le
a plus de vols ». luxe des parents, le désir de jouir, le chagrin de la privation, peut
Il résulte de cette réflexion, qu’il faut rappeler à l’état du mariage les supprimer ou retarder, en faisant perdre à l’état les années

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précieuses et trop bornées de la fécondité des femmes ? Il a toujours été naturel aux pères de veiller sur la pudeur de leurs
enfants. Chargés du soin de les établir, ils ont dû leur conserver et le
Comme un des grands objets du mariage est d’ôter toutes les corps le plus parfait, et l’âme la moins corrompue, tout ce qui peut
incertitudes des unions illégitimes, la religion y imprime son mieux inspirer des désirs, et tout ce qui est le plus propre à donner
caractère, et les lois civiles y joignent le leur, afin qu’il ait l’authenticité de la tendresse. Des pères toujours occupés à conserver les mœurs
requise de légitimation ou de réprobation. Mais pour ce qui regarde la de leurs enfants, ont dû avoir un éloignement naturel pour tout ce qui
défense de prohibition de mariage entre parents, c’est une chose très pourrait les corrompre. Le mariage n’est point une corruption, dira-t-
délicate d’en fixer le point par les lois de la nature. on ; mais, avant le mariage, il faut parler, il faut se faire aimer, il faut
Il n’est pas douteux que les mariages entre les ascendants et les séduire ; c’est cette séduction qui a dû faire horreur. Il a donc fallu
descendants en ligne directe, ne soient contraires aux lois naturelles une barrière insurmontable entre ceux qui devaient donner
comme aux civiles ; et l’on donne de très fortes raisons pour le l’éducation et ceux qui devaient la recevoir, et éviter toute sorte de
prouver. corruption, même pour cause légitime.

D’abord le mariage étant établi pour la multiplication du genre L’horreur pour l’inceste du frère avec la sœur a dû partir de la même
humain, il est contraire à la nature que l’on se marie avec une source. Il suffit que les pères et mères aient voulu conserver les
personne à qui l’on a donné la naissance, ou médiatement ou mœurs de leurs enfants et leur maison pure, pour avoir inspiré à
immédiatement, et que le sang rentre pour ainsi dire dans la source leurs enfants de l’horreur pour tout ce qui pouvait les porter à l’union
dont il vient. De plus, il serait dangereux qu’un père ou une mère, des deux sexes.
ayant conçu de l’amour pour une fille ou un fils, n’abusassent de leur La prohibition du mariage entre cousins germains a la même origine.
autorité pour satisfaire une passion criminelle, du vivant même de la Dans les premiers temps, c’est-à-dire, dans les âges où le luxe n’était
femme ou du mari à qui l’enfant doit en partie la naissance. Le point connu, tous les enfants restaient dans la maison et s’y
mariage du fils avec la mère confond l’état des choses : le fils doit un établissaient : c’est qu’il ne fallait qu’une maison très petite pour une
très grand respect à sa mère ; la femme doit aussi du respect à son grande famille, comme on le vit chez les premiers Romains. Les
mari ; le mariage d’une mère avec son fils renverserait dans l’un et enfants des deux frères, ou les cousins germains, étaient regardés et
dans l’autre leur état naturel. se regardaient entre eux comme frères. L’éloignement qui était entre
Il y a plus : la nature a avancé dans les femmes le temps où elles les frères et sœurs pour le mariage, était donc aussi entre les
peuvent avoir des enfants, elle l’a reculé dans les hommes ; et, par la cousins germains.
même raison, la femme cesse plus tôt d’avoir cette faculté, et Que si quelques peuples n’ont point rejeté les mariages entre les
l’homme plus tard. Si le mariage entre la mère et le fils était permis, il pères et les enfants, les sœurs et les frères, c’est que les êtres
arriverait presque toujours que, lorsque le mari serait capable intelligents ne suivent pas toujours leurs lois. Qui le dirait ! Des idées
d’entrer dans les vues de la nature, la femme en aurait passé le religieuses ont souvent fait tomber les hommes dans ces
terme. Le mariage entre le père et la fille répugne à la nature comme égarements. Si les Assyriens, si les Perses ont épousé leurs mères,
le précédent ; mais il y répugne moins parce qu’il n’a point ces deux les premiers l’ont fait par un respect religieux pour Sémiramis ; et les
obstacles. Aussi les Tartares qui peuvent épouser leurs filles, seconds, parce que la religion de Zoroastre donnait la préférence à
n’épousent-ils jamais leurs mères. ces mariages. Si les Égyptiens ont épousé leurs sœurs, ce fut encore

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un délire de la religion égyptienne qui consacra ces mariages en effet admirable de la sagesse du Créateur, cette règle est
l’honneur d’Isis. Comme l’esprit de la religion est de nous porter à constamment observée par les animaux mêmes destitués de raison.
faire avec effort des choses grandes et difficiles, il ne faut pas juger
qu’une chose soit naturelle parce qu’une religion fausse l’a Mais quoique les besoins des enfants demandent que l’union
consacrée. Le principe que les mariages entre les pères et les conjugale de la femme et du mari dure encore plus longtemps que
enfants, les frères et les sœurs, sont défendus pour la conservation celles des autres animaux, il n’y a rien, ce me semble, dans la nature
de la pudeur naturelle dans la maison, doit servir à nous faire et dans le but de cette union, qui demande que le mari et la femme
découvrir quels sont les mariages défendus par la loi naturelle, et soient obligés de demeurer ensemble toute leur vie, après avoir
ceux qui ne peuvent l’être que par la loi civile. élevé leurs enfants et leur avoir laissé de quoi s’entretenir. Il n’y a
rien, dis-je, qui empêche alors qu’on n’ait à l’égard du mariage la
Les lois civiles défendent les mariages lorsque, par les usages reçus même liberté qu’on a en matière de toute sorte de société et de
dans un certain pays, ils se trouvent être dans les mêmes convention : de sorte que moyennant qu’on pourvoie d’une manière
circonstances que ceux qui sont défendus par les lois de la nature ; ou d’autre à cette éducation, on peut régler d’un commun accord,
et elles les permettent lorsque les mariages ne se trouvent point dans comme on le juge à propos, la durée de l’union conjugale, soit dans
ce cas. La défense des lois de la nature est invariable, parce qu’elle l’indépendance de l’état de nature, ou lorsque les lois civiles sous
dépend d’une chose invariable ; le père, la mère et les enfants lesquelles on vit n’ont rien déterminé là-dessus. Si de là il naît
habitant nécessairement dans la maison. Mais les défenses des lois quelquefois des inconvénients, on pourrait y en opposer d’autres
civiles sont accidentelles ; les cousins germains et autres habitant aussi considérables, qui résultent de la trop longue durée ou de la
accidentellement dans la maison. perpétuité de cette société. Et après tout, supposé que les premiers
fussent plus grands, cela prouverait seulement que la chose serait
On demande enfin quelle doit être la durée de la société conjugale sujette à l’abus, comme la polygamie, et qu’ainsi, quoiqu’elle ne fût
selon le droit naturel, indépendamment des lois civiles : je réponds pas mauvaise absolument et de sa nature, on devrait s’y conduire
que la nature même et le but de cette société nous apprennent avec précaution. (D. J.)
qu’elle doit durer très longtemps. La fin de la société entre le mâle et
la femelle n’étant pas simplement de procréer, mais de continuer
l’espèce, cette société doit durer du moins même, après la MARIAGE CLANDESTIN, est celui qui est célébré sans y observer toutes
procréation, aussi longtemps qu’il est nécessaire pour la nourriture et les formalités requises pour la publicité des mariages, comme
la conservation des procréés, c’est-à-dire, jusqu’à ce qu’ils soient lorsqu’il n’y a pas le concours des deux curés, ou qu’il n’y a pas eu
capables de pourvoir eux-mêmes à leurs besoins. En cela consiste la de publication de bans, ou du moins une dispense pour ceux qui
principale et peut-être la seule raison, pour laquelle le mâle et la n’ont pas été publiés.
femelle humains sont obligés à une société plus longue que
n’entretiennent les autres animaux. Cette raison est que la femme est Ces sortes de mariages sont nuls, du moins quant aux effets civils,
capable de concevoir, et se trouve d’ordinaire grosse d’un nouvel ainsi les enfants qui en proviennent sont incapables de toutes
enfant longtemps avant que le précédent soit en état de pourvoir lui- successions directes et collatérales.
même à ses besoins. Ainsi le mari doit demeurer avec sa femme Mais la clandestinité ne fait pas toujours seule annuler un mariage,
jusqu’à ce que leurs enfants soient grands et en âge de subsister par on le confirme quelque fois quoad foedus, ce qui dépend des
eux-mêmes, ou avec les biens qu’ils leur laissent. On voit que par un circonstances, et néanmoins ces sortes de mariages ne produisent
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jamais d’effets civils. (A) censée nubile à douze.
Le jour des noces on avait coutume en coiffant la mariée, de séparer
MARIAGE DES HÉBREUX, (Hist. des Juifs.) Les mariages se firent les cheveux avec le fer d’une javeline et de les partager en six
d’abord chez les Hébreux avec beaucoup de simplicité, comme on tresses à la manière des vestales, pour lui marquer qu’elle devait
peut le voir dans le livre de Tobie. 1°. Tobie demande en mariage vivre chastement avec son mari. On lui mettait sur la tête un chapeau
Sara fille de Raguel ; on la lui accorde. 2°. Le père prenant la main de fleurs, et par-dessus ce chapeau une espèce de voile, que les
droite de sa fille, la met dans la main droite de l’époux, ancienne gens riches enrichissaient de pierreries. On lui donnait des souliers
coutume ou cérémonie dans les alliances. 3°. Le père écrit le contrat de la même couleur du voile, mais plus élevés que la chaussure
et le cachète. 4°. Un festin suit ces engagements. 5°. La mère mène ordinaire, pour la faire paraître de plus grande taille. On pratiquait
la fille dans une chambre destinée aux époux. 6°. La mère pleure, et anciennement chez les Latins une autre cérémonie fort singulière, qui
la fille aussi ; la mère, parce qu’elle se sépare de sa fille ; et la fille, était de présenter un joug sur le cou de ceux qui se fiançaient, pour
parce qu’elle va être séparée de sa mère. 7°. Le père bénit les leur indiquer que le mariage est une sorte de joug : et c’est de là, dit-
époux, c’est-à-dire, fait des vœux pour eux ; cela était fort simple ; on, qu’il a pris le nom de conjugium. Les premiers Romains
mais l’essentiel s’y trouve. Ces festins nuptiaux duraient sept jours, observaient encore la cérémonie nommée confarréation, qui passa
coutume ancienne. Dans la suite des temps les mariages des Juifs dans la suite au seul mariage des pontifes et des prêtres. Voyez
furent chargés de cérémonies. (D.J.) CONFARRÉATION.
La mariée était vêtue d’une longue robe blanche ou de couleur de
safran, semblable à celle de son voile ; sa ceinture était de fine laine
MARIAGE DES ROMAINS, (Hist. rom.) le mariage se célébrait chez les nouée du nœud herculéen qu’il n’appartenait qu’au mari de dénouer.
Romains avec plusieurs cérémonies scrupuleuses qui se On feignait d’enlever la mariée d’entre les bras de sa mère pour la
conservèrent longtemps, du moins parmi les bourgeois de Rome. livrer à son époux, ce qui se faisait le soir à la lueur de cinq
flambeaux de bois d’épine blanche, portés par de jeunes enfants
Le mariage se traitait ordinairement avec le père de la fille ou avec la qu’on nommait pueri lauti, parce qu’on les habillait proprement et
personne dont elle dépendait. Lorsque la demande était agréée et qu’on les parfumait d’essences : ce nombre de cinq était de règle en
qu’on était d’accord des conditions, on les mettait par écrit, on les l’honneur de Jupiter, de Junon, de Vénus, de Diane, et de la déesse
scellait du cachet des parents, et le père de la fille donnait le repas de Persuasion. Deux autres jeunes enfants conduisaient la mariée,
d’alliance ; ensuite l’époux envoyait à sa fiancée un anneau de fer, et en la tenant chacun par une main, et un troisième enfant portait
cet usage s’observait encore du temps de Pline ; mais bientôt après devant elle le flambeau de l’hymen. Les parents faisaient cortège en
on n’osa plus donner qu’un anneau d’or. Il y avait aussi des chantant hymen, ô hyménée. Une femme était chargée de la
négociateurs de mariages auxquels on faisait des gratifications quenouille, du fuseau et de la cassette de la mariée. On lui jetait sur
illimitées, jusqu’à ce que les empereurs établirent que ce salaire la route de l’eau lustrale, afin qu’elle entrât pure dans la maison de
serait proportionné à la valeur de la dot. Comme on n’avait point fixé son mari.
l’âge des fiançailles avant Auguste, ce prince ordonna qu’elles
n’auraient lieu que lorsque les parties seraient nubiles ; cependant Dès qu’elle arrivait sur le seuil de la porte, qui était ornée de
dès l’âge de dix ans on pouvait accorder une fille, parce qu’elle était guirlandes de fleurs, on lui présentait le feu et l’eau, pour lui faire

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connaître qu’elle devait avoir part à toute la fortune de son mari. On sans même une interruption de trois jours : c’est ce qui s’appelait un
avait soin auparavant de lui demander son nom, et elle répondait mariage par l’usage, ex usu. L’autre manière était d’épouser une
Caïa, pour certifier qu’elle serait aussi bonne ménagère que Caïa femme après des conventions matrimoniales, et ce mariage
Caecilia, mère de Tarquin l’ancien. Aussi tôt après on lui remettait les s’appelait de vente mutuelle, ex coemptione : alors la femme donnait
clés de la maison, pour marquer sa juridiction sur le ménage ; mais à son mari trois as en cérémonie, et le mari donnait à sa femme les
en même temps on la priait de s’asseoir sur un siège couvert d’une clés de son logis, pour marquer qu’il lui accordait l’administration de
peau de mouton avec sa laine, pour lui donner à entendre qu’elle son logis. Les femmes seules qu’on épousait par une vente mutuelle,
devait s’occuper du travail de la tapisserie, de la broderie, ou autre étaient appelées mères de famille, matres-familias, et il n’y avait que
convenable à son sexe : ensuite on faisait le festin de noces. Dès celles-là qui devinssent les uniques héritières de leurs maris après
que l’heure du coucher était arrivée, les époux se rendaient dans la leur mort.
chambre nuptiale, où les matrones qu’on appelait pronubæ
accompagnaient la mariée et la mettaient au lit génial, ainsi nommé, Il résulte de-là que chez les Romains le matrimonium ex usu, ou ce
parce qu’il était dressé en l’honneur du génie du mari. que nous nommons aujourd’hui concubinage, était une union moins
forte que le mariage de vente mutuelle ; c’est pourquoi on lui donnait
Les garçons et les filles en quittant les époux leur souhaitaient mille aussi le nom de demi-mariage, semi-matrimonium, et à la concubine
bénédictions, et leur chantaient quelques vers fescennins. On avait celui de demi-femme, semi-conjux. On pouvait avoir une femme ou
soin cette première nuit de ne point laisser de lumière dans la une concubine, pourvu qu’on n’eût pas les deux en même temps : cet
chambre nuptiale, soit pour épargner la modestie de la mariée, soit usage continua depuis que par l’entrée de Constantin dans l’Église,
pour empêcher l’époux de s’apercevoir des défauts de son épouse, les empereurs furent chrétiens. Constantin mit bien un frein au
au cas qu’elle en eût de cachés. Le lendemain des noces il donnait concubinage, mais il ne l’abolit pas, et il fut conservé pendant
un festin où sa femme était assise à côté de lui sur le même lit de plusieurs siècles chez les chrétiens : on en a une preuve bien
table. Ce même jour les deux époux recevaient les présents qu’on authentique dans un concile de Tolède, qui ordonne que chacun, soit
leur faisait, et offraient de leur côté un sacrifice aux dieux. laïc, soit ecclésiastique, doive se contenter d’une seule compagne,
ou femme, ou concubine, sans qu’il soit permis de tenir ensemble
Voilà les principales cérémonies du mariage chez les Romains ; l’une et l’autre. ... Cet ancien usage des Romains se conserva en
j’ajouterai seulement deux remarques : la première que les femmes Italie, non seulement chez les Lombards, mais depuis encore quand
mariées conservaient toujours leur nom de fille, et ne prenaient point les Français y établirent leur domination. Quelques autres peuples de
celui du mari. On sait qu’un citoyen romain qui avait séduit une fille l’Europe regardaient aussi le concubinage comme une union
libre, était obligé par les lois de l’épouser sans dot, ou de lui en légitime : Cutas assure que les Gascons et autres peuples voisins
donner une proportionnée à son état ; mais la facilité que les des Pyrénées n’y avaient pas encore renoncé de son temps (D. J.)
Romains avaient de disposer de leurs esclaves, et le grand nombre
de courtisanes rendait le cas de la séduction extrêmement rare.
2°. Il faut distinguer chez les Romains deux manières de prendre
leurs femmes : l’une était de les épouser sans autre convention que
de les retenir chez soi ; elles ne devenaient de véritables épouses
que quand elles étaient restées auprès de leurs maris un an entier,

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