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Editions Belin

L’INTRUSION DE LA JUSTICE AU SEIN DU FOYER. LA VIOLENCE CONJUGALE JUGÉE


DEVANT LA SÉNÉCHAUSSÉE DE MARSEILLE AU SIÈCLE DES LUMIÈRES
Author(s): Christophe REGINA
Source: Annales de démographie historique , No. 2 (118), Familles et justices à l'époque
moderne Autorité, pouvoir, conflits (2009), pp. 53-76
Published by: Editions Belin
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/10.2307/26251196

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ANNALES DE DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 2009 n° 2 p. 53 à 75

L’INTRUSION DE LA JUSTICE AU SEIN DU FOYER.


LA VIOLENCE CONJUGALE JUGÉE
DEVANT LA SÉNÉCHAUSSÉE DE MARSEILLE
AU SIÈCLE DES LUMIÈRES
par Christophe REGINA
Le mariage prépare le gouvernement de famille et amène l’ordre social […].
Le mariage paraît établi pour le bonheur et le maintien de la société,
bien plus que pour les plaisirs des époux. […].
Le mariage, comme la vie entière qu’il embrasse, a ses plaisirs et ses peines,
ses beaux jours et ses orages1.
J. Girard,1797.

Sous l’Ancien Régime, la notion de s’agisse des séries criminelles ou civiles


famille renvoie à une identité de des fonds des sénéchaussées, ou bien
groupe, fédérée par des liens de sang, encore des fonds parlementaires, mon-
mais également par des liens d’amitié, trent bien à quel point la vie privée est
de solidarités et d’intérêts. Furetière chose publique (Regina, 2010). Existen-
(1690) définit la famille comme « un ces et trajectoires se construisent et s’in-
ménage composé d’un chef & de ses tègrent au sein d’un système de récipro-
domestiques, soit femmes, enfants, ou cité et d’échanges qu’est le voisinage. Le
serviteurs ». Ainsi, la famille, à l’époque rôle de ce dernier dans les affaires de
moderne, figure avant tout comme une violences conjugales est essentiel, parce
composante élargie d’un ensemble plus qu’il participe directement ou indirecte-
vaste qui est celui de la sociabilité. Cette ment à ces violences du quotidien,
conception étendue de liens interper- comme nous le verrons. Le couple
sonnels implique des rapports particu- forme une sous-entité au sein des
liers à la communauté qui structure la familles dont il est constitutif tout
société d’Ancien Régime : le voisinage. autant que tributaire. Afin d’approcher
Ces liens sont animés par le respect et la substance d’un couple et sa réalité
l’application de ce que Montaigne appe- sous l’Ancien Régime, notre étude
lait « les loix de la conscience2 », c’est-à- portera sur les « mauvais traitements »,
dire l’ensemble des lois censées non c’est-à-dire les violences conjugales
seulement régir les bonnes mœurs mais portées en justice à Marseille au XVIIIe
encore aller de soi. Il existe une très forte siècle devant le tribunal criminel de la
proximité entre la famille et la sociabilité sénéchaussée4. Probablement sous-
qui interagissent réciproquement l’une représentées, les violences conjugales
sur l’autre. Au sein des familles, la rela- traduites en justice permettent cepen-
tion liant les conjoints apparaît donc dant de cerner en partie, mais de façon
privée dès le départ de tout espoir d’inti- plus précise, la réalité d’un couple au
mité, notion étrangère à l’Ancien quotidien5. Elles permettent aussi d’ap-
Régime (Pardailhé-Galabrun, 1988)3. précier de quelle façon la pression
En effet, les archives judiciaires, qu’il sociale induite par le groupe des voisins

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contribue à interférer au sein même du nous détournons volontairement, afin de


couple. Les violences conjugales sont ici l’appliquer à l’analyse des couples qui
envisagées comme un fondement possi- procèdent de cette double réalité que
ble de l’étude des couples, structure sont la famille et la lutte pour le pouvoir
élémentaire et première des familles (le mundium des Germains). Au sein du
(Gauthier, 2003). couple, c’est la tension des autorités dont
Qu’entendons-nous par violences chacun des membres est investi qui
conjugales ? Nous désignons ainsi toutes fonde la souveraineté domestique
les formes de contraintes s’exerçant au (Guizot, 1851, 381).
sein du couple, aussi bien dans le cadre Une telle souveraineté renvoie d’abord
du foyer qu’en dehors de ce dernier, à l’exercice au sein du couple, puis dans
contraintes ayant pour finalité d’imposer la famille, d’une autorité qui n’est pas
à l’autre sa volonté arbitrairement. Nous sexuée. L’idée de souveraineté induit la
évacuons volontairement de notre défi- dimension d’équilibre nécessaire à la
nition l’usage de la force qui n’est qu’un quiétude relative d’une vie conjugale
moyen parmi d’autres de cette imposi- (Lebrun, 1993). C’est la rupture plus ou
tion. Les violences conjugales sont assi- moins violente de cette entente qui
milables à une dégradation progressive émerge sur la scène judiciaire. L’exercice
des systèmes relationnels qui ne se de l’autorité ne se limite pas à une
fondent plus sur la communication, simple démonstration de force, dans
mais au contraire sur une sorte de totali- laquelle chaque rôle est dévolu de façon
tarisme ménager. Dans le couple, l’indi- péremptoire6. L’idée d’un masculin
vidualité s’installe et l’autre est vécu asservissant le féminin doit être remise
comme un obstacle au bonheur ou à en cause, du moins relativisée (Murphy,
toute autre fin. La réciprocité, le partena- 2004). Envisager les liens qui unissent et
riat et l’échange, qui sont en théorie structurent un couple suppose de penser
source d’unité dans le couple, sont les formes d’exercice de ce que nous
dissous, plaçant chaque membre du avons qualifié de souveraineté domes-
couple en rivalité avec l’autre dans l’ac- tique. Comme l’a indiqué Nicole
complissement de soi. L’autre est dès lors Castan, « plus que d’une subordination
vécu comme une entrave. Cette violence il conviendrait de parler de partage
est parfois unilatérale, parfois réci- d’espaces, d’activité et de responsabili-
proque, jamais univoque. L’usage de la tés » (Castan, 1981, 69)7. Le passage en
violence conjugale met au jour une justice constitue dans l’équation
évidente divergence des humeurs, mais « couple », la variable responsable d’une
au-delà, une lutte pour l’exercice de la redéfinition impossible de la souverai-
souveraineté domestique. Nous em- neté domestique. La rupture de cet équi-
ployons cette expression afin de nous libre nécessite le recours à la justice,
distinguer de l’idée de Pierre Petot chargée de redistribuer au profit de l’un
(1955) qui comparait l’autorité maritale des deux époux la pratique unilatérale
au XVIe siècle à une « monarchie domes- de cette souveraineté. Approcher la
tique ». La souveraineté domestique, telle question des violences conjugales dues à
que la définissait Guizot chez les Francs, la souveraineté domestique permet
procédait de la famille et de la conquête. d’éviter la condamnation classique, ipso
Nous reprenons ici cette définition que facto, des hommes et la relégation des

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femmes au seul rôle de victime. Si les de taire de telles actions agressives, sources
archives au criminel de la sénéchaussée évidentes de déshonneur et de risée
de Marseille tendent à établir une sociale10. Quoi qu’il en soit, s’il n’est pas
violence conjugale fortement masculine, possible de parvenir à des conclusions
il nous semble important de se défaire définitives à partir de nos seules archives,
du postulat qui associe masculinité et il est néanmoins permis de saisir la
violence, féminité et victime. logique et les mécanismes des violences
Les archives étudiées sont soumises à la conjugales qui drainent dans leur sillage
lumière de cette approche qui considère le un enchevêtrement de réalités plurielles.
couple comme une structure dynamique L’enjeu de ce travail consiste donc à
et complexe dans laquelle s’enchevêtrent éprouver la notion de souveraineté
sentiments, conflits d’intérêts et visibilité domestique face à l’expérience des violen-
sociale. Réfléchir sur la souveraineté ces conjugales.
domestique implique, en amont, de
pouvoir, dans la mesure du possible, en LE MARIAGE DE RAISON :
justifier les fondements. Les procès
UNE PRÉMISSE AUX VIOLENCES
étudiés, s’ils ne restituent pas toute l’éten-
CONJUGALES ?
due et la complexité des violences s’exer-
çant au quotidien au sein du foyer, On retrouve dans les catégories popu-
permettent néanmoins d’analyser les laires les mêmes préoccupations que
manifestations des désaccords et la nature pour les grands lignages, fondés sur l’en-
des difficultés conjugales qui produisent dogamie sociale et la conservation des
les altercations (Jury, 2003). Parmi les intérêts (Daumas, 1996 ; Daumas,
fonds criminels de la sénéchaussée de 2004 ; Nassiet, 1989 ; Goody, 1985).
Marseille, 147 procédures pour violences 97 % des plaintes étudiées jusqu’ici sont
conjugales ont été identifiées8. Ceci nous portées en justice par les épouses (144
invite à nous interroger sur la part réelle sur 147). Le tableau qui suit permet
jouée par les actes violents du couple au d’identifier l’appartenance socioprofes-
sein de la société marseillaise d’Ancien sionnelle de ces femmes qui viennent
Régime9, ainsi que sur la volonté probable porter plainte.
Tab. 1 Appartenances sociales des plaignantes d’après les 147 procédures étudiées
Catégories socioprofessionnelles Nombres absolus %
Activités maritimes 9 6,1
Artisanat 35 23,8
Bâtiment 5 3,5
Boutiques 7 4,8
Métiers de bouche 23 15,7
Ouvrier 13 8,5
Services 24 16,5
Autres 15 10,2
Indéterminé 16 10,8
Total 144 100
Note : Nous n’avons pas inclus les 3 procès instruits à l’initiative des hommes contre leurs femmes.

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Le monde de l’artisanat et de la petite de convenance, c’est-à-dire un mariage


boutique regroupe l’essentiel des plai- mal assorti15. »
gnantes. Mais comme nous allons le L’image du couple mal assorti fait
voir, la question des violences conjugales partie des topoï de la littérature d’Ancien
touche tous les milieux sociaux. C’est la Régime, mais aussi des représentations
visibilité de ces violences qui varie, en collectives (Marais, 1980). Ce mariage
fonction des enjeux économiques et n’eut d’autre finalité que d’unir les inté-
sociaux qui pèsent sur un couple. L’im- rêts de deux maisons tournées vers le
portance de l’honneur achève de dyna- commerce maritime et les activités affé-
miser les rapports du couple au groupe. rentes. Le consul vénitien est non seule-
Si le XVIIIe siècle marque a priori le ment un beau parti, mais aussi un
triomphe du mariage amoureux, le miroir dans lequel une famille issue de
mariage est encore cependant le fruit l’élite marseillaise en contemple une
d’une logique sociale ayant pour but de autre, dans un souci de symétrie d’inté-
préserver, au-delà des intérêts respectifs rêts (Girard, 1981 ; Bonte, 1994).
des familles, l’ordre exigé par la justice et Lorsque la dame Cornet fait rédiger ces
l’autorité royale (Fillon, 1986)11. Avant lignes, elle n’a que trop éprouvé les joies
d’être un sacrement, le mariage est un d’un mariage de convenance (Daumas,
contrat12 entre deux partis supposés 1987), l’incitant à souligner sa critique
mettre en commun leurs biens dans l’in- en affirmant que « tous les mariages se
tention de produire des biens, desquels ressemblent assez par leur commence-
la bonne entente doit résulter13. Surgit ment : dans ces premiers instants l’âme
alors une contradiction entre l’intérêt enchantée de son nouvel état, prend
des familles et les sentiments des époux aisément le change sur tout ce qu’elle
(Heichette, 2005, 69-114)14. ressent, les illusions du plaisir rempla-
La source des maux dont on vient se cent le plaisir lui-même ; la vertu se
plaindre en justice est à rechercher dans confond avec son simulacre, les sensa-
la genèse des unions « mal assorties », tions jouent le sentiment le plus
ayant pour origine non pas une logique tendre & l’avarice, cette passion basse &
amoureuse, mais au contraire, une rampante, se cache honteusement sous
logique économique. Ainsi la dame Rose le masque de l’amour. Il n’y a guerre que
Cornet, épouse d’un consul vénitien le sceau du tems qui vienne en marquer
auquel elle livre une guerre judiciaire les diverses nuances, & qui pare les
sans merci, s’indigne d’un mariage vertus & les vices des attributs & des
qu’elle n’accepta de contracter que pour couleurs qui leur sont propres16 ».
plaire à ses parents : « Une union si peu Ce discours s’inscrit dans une longue
assortie & qui devoit causer tant de tradition moraliste voire moralisatrice,
malheurs, ne rencontra point d’obsta- pétrie de lieux communs forts et d’une
cles, tandis que par une singulière fata- culture populaire prégnante (Lebrun,
lité, il s’en élève d’invincibles contre ces 2001 ; Muchembled, 1991 ; Quéniart,
mariages où les époux apportent une 1978). Mais il est aussi ancré dans une
égalité d’amour & de désirs. Des liens réalité socioculturelle (Guillerm et al.,
qui doivent se changer en chaînes. […] 1983). Le couple incarne alors des
Enfin, pour nous servir d’une expression valeurs contradictoires, dichotomiques,
consacrée par l’usage, ce fut un mariage en investissant mari et femme de vertus

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L’INTRUSION DE LA JUSTICE AU SEIN DU FOYER

et de vices. Le couple est dès lors une apprend dans la plainte que les desseins
sorte de psychomachie. Les 40 cas où du père étaient d’assurer un beau mariage
sont évoquées les contraintes initiales à sa fille, qu’il pensait marier avec un
ayant donné lieu à l’union montrent que bourgeois fortuné, mais qui au contraire
le mariage de convenance relève d’une était sans le sou. Une union imposée, et
pratique encore vivace à Marseille dans la de surcroît fondée sur un mensonge
seconde moitié du XVIIIe siècle. Les initial, ne laissait rien présager de bon. La
mariages de convenance, s’ils sont ratio- souveraineté qui procède d’un tel type
nalisés dans l’espoir d’accorder les inté- d’union ne pouvait donc être que conflic-
rêts des familles, relèvent du pari dès tuelle. Si le mariage de convenance est
qu’il s’agit de considérer les sentiments. pointé du doigt, la duperie des senti-
Ainsi, demoiselle Élizabeth Ollivier ments est aussi mise en avant dans l’en-
« remontre qu’elle eut le malheur d’être semble des procédures traitées. La
conjointe en mariage le 19 avril 1756 maxime « l’amour rend aveugle », et les
par l’effet d’une contrainte paternelle et illusions des premiers moments raillées
dans un âge fort tendre avec le nommé par la dame Cornet constituent le second
Aubergy qu’elle ne connaissoit point ; acte des malheurs à venir. En effet, dans
tous les efforts qu’elle fit pour empêcher toutes les procédures ayant trait aux
un pareil engagement devinrent inutiles violences conjugales, les plaintes débu-
auprès de la volonté de feu son père, tent toujours sur le constat funeste du
vis-à-vis duquel on avoit trouvé le moyen mariage qui a été célébré, insistant sur des
de captiver ses volontés en faveur dudit expressions telles que « a eu le malheur de
Aubergy. Bien de personnes sont instrui- se joindre en mariage avec18 », « eut le
tes de tous les efforts que la suppliante fit malheur d’être conjointe en mariage19 »,
pour s’opposer à cet engagement ; elle « a eû le malheur d’épouser un misé-
prevoyoit et sentoit d’avance les mal- rable20 ». Le ton est ainsi donné. La
heurs qui s’en ensuivroient et les tour- plainte développe ce profond désarroi
ments auxquels elle s’exposoit avec un distillé au quotidien selon des modalités
homme de l’espèce dudit Aubergy17 ». diverses mais toujours cruelles. La décou-
On retrouve ici encore le sceau de la verte du véritable visage de l’autre n’in-
puissance paternelle qui contraint à un duit pas le rejet immédiat ; on tente de
mariage d’intérêt Élizabeth Ollivier. On s’en accommoder autant que possible.
Tab.2 Durée moyenne des mariages au moment du passage en justice d’après les 147 procédures étudiées

Durée du mariage %
Moins d’un an 7,5
Entre 1et 5 ans 36,5
Entre 5 et 10 ans 28,5
Entre 10 et 15 ans 10
Entre 15 et 20 ans 12,5
Plus de 20 ans 5

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Malgré l’existence de violences conju- explicite, parfois implicite26. L’appel à la


gales, ce n’est pas en général dans les justice est le seul moyen de se défaire
premiers temps du mariage que la d’un époux ou d’une épouse violente,
plainte est déposée : il faut souvent mais encore faut-il faire juger la plainte,
attendre plusieurs années, voire plus ce qui est rarement le cas. Porter plainte
d’une décennie. Le passage en justice est paraît dissuasif et rappelle à l’ordre l’un
un acte déterminé et résolu trahissant des deux membres du couple. Porter
probablement une atteinte morale et un plainte au criminel témoigne d’un acte
seuil de tolérance dépassé, une certaine déterminé et fort. En effet, la demande
lassitude et une crainte. Comment justi- de séparation, en théorie, ne doit pas se
fier la tolérance des violences exercées faire ailleurs qu’au civil. Le recours à la
sur des laps de temps aussi longs ? Il y a voie extraordinaire n’est permis que si le
tout d’abord une constante invariable et mari tente ou a tenté d’assassiner son
systématique dans les procédures pour épouse27. Sur l’ensemble des procédures,
violences conjugales, fondée sur la des femmes vont au bout du procès dans
patience, véritable vertu présentée dans 11 cas seulement et obtiennent la sépa-
les plaintes comme l’apanage des ration de biens et de corps28. Faire juger
femmes. Les expressions telles que « sa une plainte n’est pas donné à tout le
docilité, sa patience, ses sentiments de monde, et la justice n’est pas favorable à
tendresse21 », « la suppliante avoit tou- la multiplication des séparations. Les
jours cru que la patience feroit changer frais de justice interdisent le plus
son mary22 », « s’étoit flattée de ramener souvent aux femmes d’aller jusqu’au
son mari à la raison par sa douceur et sa bout de leur démarche. Ce chiffre trahit
patience23 », émaillent la plainte et lui également la crainte de se retrouver
attribuent une réelle efficacité, ainsi seules, angoisse parfois plus forte que
qu’une force de persuasion considérable. celles des violences habituelles. Mais
La souveraineté domestique ne se pense quelles sont les causes de ces violences ?
plus en termes de pouvoirs mais de Les procédures en font émerger une
vertu. Certaines avancent qu’elles sont multitude ; il paraît cependant possible
restées silencieuses dans la crainte de de les regrouper en deux grandes catégo-
perdre leur mari et de se retrouver livrées ries : d’une part, les violences dues aux
à elles-mêmes, redoutant de finir leurs désordres privés ; d’autre part, le désor-
jours au refuge de Marseille, véritable dre des intérêts.
galère des femmes (Regina, 2007 ; Riani,
1982 ; Carrez, 2005). Le passage en LES MANIFESTATIONS
justice est présenté par les plaignantes DE LA VIOLENCE CONJUGALE
comme l’ultime recours, afin de ne pas
AU QUOTIDIEN :
« succomber sans le secours et la protec-
UNE VIOLENCE PARTAGÉE ?
tion des lois24 », d’être « mise[s] sous la
sauvegarde du roy et de la justice25 ». Il Les violences conjugales sont essentiel-
devient dès lors possible de se soustraire lement de deux sortes, verbale et
à son époux en se plaçant sous la protec- physique, l’une étant aussi importante
tion royale. Chaque plainte en matière que l’autre dans une société où la préser-
de violences conjugales suppose la vation de l’honneur, rigoureuse, se fonde
rédaction d’une telle requête de façon sur le jugement formulé par les autres

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(Larguèche, 1983). Pour augmenter la condamnation de l’accusé » (Bruneau,


force persuasive des plaintes, les plai- 1715, 59). Tout passage en justice, quel
gnants joignent parfois à la procédure un que soit le délit ou la plainte présentés
rapport du chirurgien qui constate les aux autorités de la sénéchaussée, a pour
éventuelles séquelles physiques provo- finalité première de restaurer le lien social
quées par la violence du conjoint. Les brisé. La souveraineté domestique se
rapports des chirurgiens sont établis de nourrit de ce maintien de l’honneur dont
deux façons : soit ce sont directement les elle procède et qui contribue à faire fonc-
plaignants qui sollicitent l’intervention tionner la sociabilité du voisinage. La
du chirurgien pour venir constater les violence verbale, tout d’abord, est la plus
éventuelles blessures et douleurs, soit le courante, quoiqu’elle soit aussi redouta-
juge demande une visite, en ayant pris ble que la violence physique. L’injure est
soin de faire jurer le chirurgien. Le fait de une véritable arme sociale comme le
prêter serment confère à ces rapports constate le juriste François Dareau, lequel
beaucoup plus de poids et les fait regarder souligne que les « gens du peuple, parmi
« comme méritant beaucoup plus de foi lesquels nous comprenons les gens de la
que les premiers […] et servir de preuve campagne, sont encore plus délicats sur
pour constater l’existence du crime & par les injures qu’on ne le pense communé-
conséquent pour donner lieu à la ment » (Dareau, 1775, 291).
Tab. 3 Relevé statistique des injures utilisées contre les femmes dans les 147 affaires
de violences conjugales étudiées29
Types d’injures utilisées Occurrences relevées %

Abandonnée 21 3,4
Coquine 30 5
Garce 105 17,3
Gueuse 69 11,4
Infâme 9 1,5
Malheureuse 66 11
Maquerelle 33 5,4
Marriasse 6 0,9
Mauvaise 36 6
Misérable 12 1,9
Prostituée 6 0,9
Putain 174 28,7
Salope 12 1,9
Autres 29 4,7
Total 608 100

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Le tableau 3 n’épuise pas le génie rôle ; toute femme qui plaide en sépara-
argotique des catégories populaires. Il se tion, fait la même chose. Il semble
contente de formaliser les termes inju- même, disoit un Orateur célèbre, qu’il y
rieux les plus récurrents, ceux qui, par ait pour ces sortes de femmes une
leur fréquence et par leur emploi, expli- formule commune, & toute dressée, où
quent les altercations quotidiennes. chacune d’elles a recours au besoin ;
L’analyse du fonds criminel de la séné- leurs maris ont presque toujours voulu
chaussée est particulièrement intéres- les faire périr, les égorger ; le poison, la
sante de ce point de vue, dans la mesure canne, le couteau sont introduits sur la
où l’étude des expressions injurieuses scène. [A ces lieux communs] la Dame
permet de caractériser de quelle façon Cornet ajoutoit d’affreux détails, & le
l’autre est diabolisé, caricaturé, ou tout pinceau de son trop zélé défenseur char-
simplement moqué. Sans surprise, on geoit le portrait de son mari des
constate qu’on attaque toujours en couleurs les plus noires. Que d’horreurs
priorité chez une femme sa moralité et n’avoient pas été imputées au sieur
ses mœurs30. Le trio « putain, gueuse et Cornet ! Que d’abominables & d’absur-
garce » domine largement. En injuriant des projets ne lui avoient-ils pas été
directement leur féminité, on cherche à prêtés !31 ».
inspirer le dégoût des corps, voire le Il y aurait une façon d’orchestrer la
dégoût d’elles-mêmes. La justice se plainte, véritable scénario proposé à la
montre très attentive aux questions de sagacité du juge32. Il y a effectivement
mœurs et en premier lieu à celles des dans les archives étudiées récurrence des
femmes. Elle n’est toutefois pas dupe violences citées ici, mais aussi récurrence
des utilisations qui sont faites de ces des armes utilisées33. Toutefois, il
injures. Un extrait tiré de nos archives a convient de reconnaître que les hommes
retenu notre attention. Les défenseurs recourent volontiers aux mêmes procé-
du sieur Cornet, aux prises avec son dés que les femmes pour dénoncer ou
épouse (voir supra), témoignent d’une accabler celles qu’ils souhaitent voir
grande acuité et maîtrise des façons de condamnées. La construction de l’ar-
dire et de faire en justice. Aussi peut-on chive n’est pas innocente, nous y revien-
lire que la plainte en sévices de la Dame drons. Le tableau 4 propose d’identifier
Cornet, et sa demande en séparation, la fréquence de certaines expressions
« avoient la fausseté pour appui ». Elle figées, systématiquement employées
avait dénoncé, avec force détails, les dans les plaintes ou dans la bouche des
faits les plus graves, « elle avoit fait son témoins.
Tab. 4 Occurrence des expressions relatives aux menaces de meurtre relevées
dans les 147 procédures étudiées34

Lexique Occurrences %
Luy disant qu’il vouloit la tuer 52 35,5
Étant revenu pour achever de l’assassiner 44 30
Il la menacé de l’égorger 8 5,5
La menace de la faire mourir 16 11
Qu’elle périra sous sa main 20 13,7

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L’INTRUSION DE LA JUSTICE AU SEIN DU FOYER

On remarque qu’il y a effectivement de mettre en évidence les prédisposi-


adéquation entre doxa et savoir judi- tions de l’autre au crime de sang qui
ciaire. Les plaignants savent infléchir exigent une intervention judiciaire.
leur discours, doublement formalisé par En effet, les coups de pieds, de
la connaissance de ce qu’il importe de poings, les égratignures et autres souf-
dire en justice pour obtenir gain de flets sont monnaies courantes. Systéma-
cause, tout comme par l’intervention tiquement, les violences physiques
du greffier qui achève de normaliser la succèdent aux violences verbales dans
plainte qui doit être présentée au juge un ordre quasi immuable « soufflets »,
(Regina, à paraître). Il faut conserver à « coups de poings », « coups de pieds »,
l’esprit que la plainte a pour vocation de « renversée à terre et traînée sur le sol ».
permettre au juge de voir le crime dont Il faut donc rendre la plainte efficace en
on se plaint. La plainte doit permettre la renforçant par la preuve d’une
d’imaginer pleinement la réalité du volonté de mort, l’homicide étant un
délit. Dans ce même souci, une atten- crime sévèrement puni, beaucoup plus
tion particulière est accordée aux instru- qu’une simple violence physique
ments de la violence physique. Remar- (Garnot, 1993). La grande ordonnance
quons malgré tout qu’aucune mort n’est criminelle consacre un article particu-
à déplorer, et pour cause, cela engagerait lier aux uxoricides35. Des objets du
une autre procédure, l’enjeu est ailleurs. quotidien sont ainsi détournés de leurs
Dans 30 % des procédures étudiées est fonctions habituelles et deviennent des
mentionnée l’expression « laissée pour instruments de mort. Nous avons
morte », qui rend diaphane la limite formalisé les données tirées des procé-
entre la vie et la mort, et du coup plus dures étudiées, afin de quantifier l’utili-
nette la proximité entre le projet de sation d’objets pour administrer la mort
supprimer l’autre et l’homicide. Il s’agit (tableau 5).
Tab. 5 Les objets utilisés dans les violences conjugales

Objets utilisés Nombres absolus %


Bâton 96 31,3
Bouteille 15 4,9
Canne 12 3,9
Couteau 153 49,8
Pistolet 18 5,9
Autres (poison, chandelier, cordes…) 13 4,2
Total 307 100

Le couteau est indubitablement dont l’acquisition, ainsi que le


associé au crime et au meurtre, sa transport, sont aisés. Il est toujours
fonction première étant de découper, mentionné que le couteau est sorti de
trancher, saigner. Il est l’objet du la poche, preuve qu’il peut être instru-
quotidien le plus banal, mais aussi le ment de mort à tout instant. Les
plus redoutable, le plus facile d’accès, autres objets comme le bâton ou la

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canne font également partie du quoti- organisation sociale et morale à laquelle


dien : manche à balais, cannes, bûches, il est impossible de se soustraire, et avec
tout ce qui peut heurter et blesser laquelle il faut compter, y compris pour
étant utilisé. Enfin, plus exception- espérer obtenir gain de cause en justice.
nels, les pistolets (Bouchard, 1999, Comme nous venons de le voir, la
20-25 ; Broocker, 2006), dont la violence peut s’exprimer de différentes
possession est prohibée, ne sont que manières et entraîner dans son sillage
peu utilisés, tout comme le poison. voisins et parents. Si injures et coups
Pourtant, Marguerite Savignon a failli donnent aux violences conjugales une
y succomber : « Cependant il y a envi- visibilité sociale, il importe d’envisager
ron dix années que Clemens dans dans la mesure du possible les causes
l’objet d’épouser une autre femme profondes de ces conflits.
attentat à la vie de l’exposante, et en
effet un soir dont elle n’est pas mémo-
rative tandis qu’elle étoit à souper, son
LES MOTIFS
DES VIOLENCES CONJUGALES
mary luy mit dans son bouillon qu’elle
étoit en usage de prendre tous les soirs L’étude des procédures permet de
du poison et elle n’eut pas plutôt pris mettre au jour les enjeux qui se dissimu-
du bouillon qu’elle perdit à l’instant lent derrière les violences conjugales
l’usage des sens et enne eut une grande (Lottin, 1975). Dans un premier temps,
sufocation et une agression mais il y a des motifs économiques. En ce qui
heureusement pour elle sa fille qui concerne les épouses, la dilapidation de
étoit présente poussa de haut cris et les la dot par un mari indélicat est souvent
voisins étant accourus au secours, on mise en avant, car elle constitue une
appella le sieur Parremont chirurgien atteinte à leurs droits et, à long terme, le
lequel ayant reconnu qu’elle étoit risque de se retrouver sans ressources, en
empoisonnée il luy donna les contre- cas de disparition de l’époux (Groppi et
poisons et remède si à propos qu’heu- Fine, 1998). Les violences physiques et
reusement elle échappa de ce danger36. » verbales, avérées ou non, deviennent dès
Quelle que soit la gravité des coups lors la gangue qui entoure les motifs
dénoncés, ou quelles que soient les économiques. Le montant des dots
tentatives utilisées pour faire disparaître parfois indiqué37 rend compte d’une
l’autre, il existe toujours une interven- part de l’enjeu économique qu’elles
tion d’un tiers – un ou des voisins le plus représentent, s’échelonnant entre 500
souvent – qui, in extremis, empêche livres38, pour la moins importante, et
l’acte irréversible qu’est le meurtre. Si 50 000 livres, mais encore de la diversité
l’on s’acharne à mettre autant en avant sociale des couples en litige, qui va du
le meurtre qui a été « presque » commis, monde de la boutique au négoce et à la
c’est dans le but de noircir l’honneur grande bourgeoisie. La souveraineté
(Pitt-Rivers, 1997) de celui ou de celle domestique plonge ses racines dans les
que l’on accuse, en l’érigeant comme enjeux économiques portés par les dots,
une menace pour l’ordre et, donc, pour dont la possession et la maîtrise sont
le roi. L’intervention des voisins dans les objets de conflit. Dans plus de 41 % des
conflits conjugaux est également très affaires étudiées, la dot est donc à la fois
importante, car elle est révélatrice d’une objet de litige et d’instrumentalisation,

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L’INTRUSION DE LA JUSTICE AU SEIN DU FOYER

afin d’insister sur l’aisance que l’épouse a mari] provenoient moins de sa faiblesse
procuré à son époux par le mariage et sa d’esprit que de ses vices : cet homme
dot, telle Élizabeth Ollivier, épouse de s’abandonna à tous les excès de la débau-
Charles Aubergy, qui « remontre qu’en che et bientôt on le vit étroitement lié
l’année 1757, la suppliante épousa le avec tout ce qu’il y a de plus vil sur le
sieur Aubergy : cet homme là ne possé- pavé de Marseille42 ».
dant absolument rien et il n’eut tenu Mari collectionnant les maîtresses,
qu’à lui d’être heureux, car il fut reçu fréquentant des prostituées, vecteur de
dans la maison de son beau-père qui se maladies vénériennes ; ivrogne, enclin à
seroit fait un plaisir de partager sa la folie et à des velléités meurtrières ;
fortune avec luy, mais il avoit des défauts tout est mis à profit pour triompher de
notables desquels on ne s’étoit point l’autre, pour donner à la justice l’image
malheureusement aperçu ; ils se dévelop- d’un homme incapable, chargé des vices
pèrent bientôt39 ». les plus condamnables et condamnés.
Il s’agit de discréditer le mari en le Cette incapacité est soulignée afin
dépossédant de ses « attributs virils », d’augmenter les chances d’enregistrer
comme celui de pourvoir aux besoins une séparation de biens et de corps au
élémentaires du couple. La récurrence profit de l’épouse (Bézard, ca 1934 ;
des verbes « dissiper », « dilapider », Hardwick, 1998a/b ; Schneider, 2000),
« manger », « envahir », assimile le mari à le divorce n’existant pas dans sa forme
un banqueroutier, donc, encore une moderne. Afin d’obtenir gain de cause,
fois, à un criminel. Dans le prolonge- il convient de s’assurer du soutien des
ment de cette idée, sont aussi mis en témoins qui, seuls, sont capables de
valeur l’incapacité ou le refus du mari de décider le juge à se prononcer en faveur
nourrir sa femme et ses enfants, ce qui de l’un des deux partis, et surtout de
oblige les épouses à solliciter le soutien permettre la restitution de la dot
du voisinage ou des parents, s’ils sont (Agresti, 2008).
encore vivants40. La folie et la déraison
sont également convoquées par la plai-
gnante, afin de noircir davantage le
LA SOCIÉTÉ DU VOISINAGE FACE
AUX VIOLENCES CONJUGALES
portrait de l’époux qu’elle brosse en
justice. Des expressions telles qu’ « égare- La notion d’intimité, comme nous
ments », « faiblesse d’esprit », « folie l’avons indiqué, est étrangère à la société
furieuse », « délires », « débiles », sont urbaine marseillaise, où vivre chez soi
fréquemment employées41. Le dérègle- revient surtout à vivre avec les autres : les
ment psychique ne peut qu’entraîner un voisins. L’étude des 685 témoignages
dérèglement moral total. Succèdent issus des procédures est particulièrement
ensuite, parmi les griefs dénoncés, la révélatrice de cette intrusion de l’autre
lubricité du mari (soulignée dans 63 % dans le quotidien de chacun, soulignant
des affaires étudiées) ou encore l’ivresse. les liens particulièrement étroits d’en-
Cette vie lubrique qui est dévoilée en traide et de solidarités plurielles qui se
justice passe par les maladies vénérien- tissent dans l’enceinte des maisons et des
nes, la débauche, la prostitution et immeubles. La rudesse de la vie est
l’adultère. Ainsi Élizabeth Ollivier se compensée par un système de récipro-
plaint que les « égarements [de son cité d’échanges humains et matériels qui

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fédèrent la sociabilité. Dans ce système la voisine sont autant de facteurs,


de don et de contre don, le partage au potentiels, passionnels et agitateurs
quotidien des tensions conjugales ou de caractérisant les plaintes et distribuant
tout autre sentiment, violent ou non, la conflictualité dans le voisinage. Ces
procède donc du partage, de l’échange. altérations de l’équilibre nécessitent
L’importance de l’honneur dans cette une régulation de la part du groupe,
société prend alors tout son sens : échan- qui se manifeste par une prise de posi-
ger avec une personne dont la réputa- tion notable au travers des témoignages
tion est menacée, c’est risquer de voir judiciaires (Garnot, 2003). Le rôle des
rejaillir le discrédit sur celui avec qui le voisins, face à ces altérations, s’avère
partage s’effectue. Cette vigilance accrue pluriel. Le voisin dans son action régu-
pour préserver sa propre réputation latrice est ainsi amené à révéler
entraîne une étroite surveillance de l’au- plusieurs traits : tour à tour, il apparaît
tre, ce que restituent les témoignages. vengeur, juge, ennemi, ami, confident,
Comment les voisins réagissent-ils allié, consolateur, sauveur, bourreau,
aux violences conjugales dont ils sont spectateur, acteur et toujours sur le qui-
les observateurs privilégiés ? Il y a au- vive nécessaire à cette dynamique
delà de la connaissance des violences, animant la vie quotidienne. Cette liste
une profonde connaissance des diffi- hétéroclite de postures rend manifeste
cultés conjugales, puisque 80 % des l’hétérogénéité des circonstances dans
témoins rapportent dans leur déposi- lesquelles le voisin est impliqué ou
tion qu’ils ont assisté en de nombreuses instrumentalisé. Il y a un évident parti
occasions aux violences relatées, ayant pris de la part des témoins qui, dans
même souvent été conduits à intervenir 95 % des cas, déposent en faveur de
physiquement et à séparer les couples l’épouse. Plus de 60 % des déposants
en conflit. Jalousie, adultère ou légè- entendus sont des femmes. Le tableau 6
reté d’un mari séduit par les appâts de indique leurs situations maritales.
Tab. 6 Distribution par sexe et par situation familiale des témoins de violences conjugales
d’après les 147 procédures étudiées43

Témoins Nombre d’individus %


Femmes mariées 216 31,5
Femmes veuves 77 11,2
Femmes célibataires 111 16,2
Total des femmes témoins 404 59
Total des hommes témoins 281 41
Nombre total des témoins 685 100

Ces données mettent en évidence une témoignent en faveur des épouses qui
implication remarquable des femmes en portent plainte contre leur mari. Au-delà
justice dans les cas de violences conjuga- d’une certaine forme de solidarité, ces
les: près de 45% de tous les témoins sont femmes transposent la situation de
des femmes mariées ou qui l’ont été, et violence dont elles ont été les témoins à
dans cet ensemble, toutes sans exception leur propre existence. Témoigner en

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L’INTRUSION DE LA JUSTICE AU SEIN DU FOYER

faveur des épouses plaignantes reste une par l’ensemble du groupe qui est impliqué
façon de se préserver elles-mêmes en dans la procédure.
suggérant à leur époux les risques
auxquels ils s’exposeraient s’ils les maltrai-
taient. Il n’est pas rare de voir les voisins
L’ART DE METTRE EN SCÈNE LES
VIOLENCES CONJUGALES EN
s’impliquer directement dans les conflits
conjugaux, qu’il s’agisse d’actions pour JUSTICE : ANALYSE FORMELLE DES
séparer les époux aux prises ou encore PLAINTES
d’actions préventives dans l’intention Quel que soit le crime envisagé, l’ex-
d’empêcher une nouvelle scène violente. ploitation des fonds judiciaires nécessite
Ainsi Anne Gayet qui « a été obligée au préalable un questionnement appro-
plusieurs fois de mettre la paix entre Anne fondi de l’archive. L’étude de sa forme
Lautier et Fichet son mari et après les est essentielle, car elle rend manifeste la
avoir séparé elle fut obligée de coucher façon selon laquelle chaque délit se
dans leur maison pour prévenir toute trouve ritualisé en justice. Les 147
dispute, laquelle a continué jusqu’à procédures analysées présentent toutes,
aujourd’hui44 ». à quelques exceptions près, une struc-
Les voisins qui sont aussi les témoins ture analogue révélant un schéma narra-
assurent donc un rôle de médiation tant tif quasi immuable. Cet apparent immo-
auprès des couples que lors des procès bilisme formel, auquel l’intervention des
résultant des violences conjugales. La greffiers n’est pas étrangère, est quelque
famille remplit également un rôle de peu nuancé par la façon dont les
médiation dans le cadre des conflits éléments rapportés par la partie plai-
conjugaux ; l’implication de ses membres gnante sont rendus dynamiques, au sein
est souvent mentionnée. Ainsi, Claire même de ces récits préétablis, et d’une
Vigne qui «est logé chez son beau-frère», certaine façon singularisés. En dépit
ou encore le frère de Rose Rougier qui d’un cadre structurel commun à toutes
rencontre son beau-frère pour le rappeler les plaintes, on remarque cependant des
à l’ordre et dénoncer les mauvais traite- traits formels, voire stylistiques, iden-
ments qu’il inflige à sa sœur45. Qu’il tiques d’une plainte à l’autre en fonction
s’agisse de la parole des plaignants ou bien du délit dénoncé. Il nous a donc été
encore de la façon de dire la souffrance de possible de formaliser la plainte pour
l’autre dans les témoignages, une pratique cause de violence conjugale de la
du discours en justice se trouve partagée manière suivante (tableau 7).
Tab. 7 Structure des plaintes pour violences conjugales

À la célébration des noces succède, de façon quasi immédiate, les temps de violence qui se déclenchent
entre le mariage et les trois premières années. Constat alors des malheurs à venir.
Dilapidation des biens de l’épouse (dot principalement).
Les violences, d’abord verbales, sont très rapidement assorties de coups, tant au sein du foyer qu’en
public.
L’épouse choisit la patience dans l’espoir d’un retour de la paix au sein du couple.
L’époux fait mettre à la rue son épouse sans le sou ni de quoi manger, ou bien abandonne son épouse
plusieurs années de suite.
Le paroxysme de la violence est atteint par la tentative de meurtre empêchée par l’intervention d’un
tiers, qui convainc la partie plaignante de recourir à la justice.

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La structure de la plainte épouse celle personnalité positif annonçant la sincé-


d’un schéma narratif. Les femmes, lors- rité de la déposition qui doit suivre. Sur
qu’elles déposent en justice, se servent la scène judiciaire, lorsqu’on est femme,
de différents registres pour donner corps il n’existe peut-être pas d’argument plus
à leur plainte : celui de la colère, du efficace que la maternité. En effet, étant
pathos, de la douceur, de la patience, perçue comme une attribution naturelle
etc., tout en nourrissant leur présenta- de la femme, la maternité constitue l’un
tion du récit des vertus ou des vices que des rares domaines qui ne lui est pas
l’on prête à leur sexe. Quel que soit le contesté, surtout au XVIIIe siècle. Une
visage de la femme en justice, il y a maternité bafouée ou malmenée
toujours une habile utilisation des repré- dégrade la femme de sa fonction natu-
sentations de la prétendue « nature fémi- relle. Il est nécessaire alors d’insister
nine », tant dans ses aspects les meilleurs davantage sur le rôle tenu par la plainte
que dans ses prétendus excès. On dans le dévoilement de la perfidie de
instruit une plainte qui repose sur des l’autre qui va jusqu’à mépriser cette
clichés dont les femmes jouent aussi fonction divine. La thématique de
bien à leur profit qu’au détriment de l’avortement dû à des violences subies
leur époux. L’investissement de la scène revient donc souvent. Dans les procédu-
judiciaire ne peut se réaliser autrement. res qui évoquent un avortement par
Cette pratique de la scène judiciaire violence, un tel argument représente
n’est pas le seul apanage des Marseil- une des clefs de voûte de la plainte, car il
laises, puisque Jean Renard (1982, 72), fait figure de manifestation paroxystique
dans le cas de Baugé en Anjou, et Joël de la vio-lence exercée sur une femme.
Hautebert (2001, 332)46, pour Nantes, La maternité bafouée est sur la scène
ont établi un constat similaire : celui judiciaire une occasion à saisir. La puis-
d’une culture de la justice largement sance maternelle court-circuite l’autorité
partagée, une culture qui permet la mise maritale et tend à rétablir, par le biais de
en scène des femmes, de leurs mots et de la justice, la souveraineté domestique au
leurs maux. Elles savent comment profit de l’épouse (Doyon, 2007).
instruire et infléchir leur discours pour L’exercice des violences conjugales
espérer triompher, tout comme elles serait donc, a priori, l’apanage des
maîtrisent l’art de se peindre. Très époux dans les procès étudiés. Mais une
souvent, dans la structure même de la réalité ainsi traduite ne reviendrait-elle
plainte, une présentation liminaire de pas à confiner l’épouse dans la plus
soi, éminemment vertueuse, est effec- totale passivité, ainsi que dans le rôle de
tuée, afin de mettre en abyme la noir- la victime, qui est le plus souvent effec-
ceur de l’époux que l’on accuse. Parmi tivement recherché ? Il est pourtant légi-
les vertus liées à la féminité, se distingue, time de poser la question de la récipro-
par exemple, la douceur. Aussi est-il cité des violences au sein du couple en
fréquent de trouver des expressions inversant les rôles et en mettant l’époux
comme « remontre que bien qu’elle n’aye dans la position de la victime et non
jamais donné aucun sujet de plainte a plus dans celle de l’agresseur. On peut
personne47 », « bien loin de s’adresser à la lire dans Le grand vocabulaire Francois
suppliante avec la même douceur48 » : il de Guyot (1773, 172), à l’article « sépa-
s’agit d’amorcer son récit par un trait de ration de corps & d’habitation » qu’« il y

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L’INTRUSION DE LA JUSTICE AU SEIN DU FOYER

a cependant quelques exemples que des à M. le lieutenant général civil par les
maris ont demandé d’être séparés de fins de laquelle il demanda à ce qu’il fut
leurs femmes à cause de leur violence ou assisté d’un huissier et des records, lors
autres déportemens, mais ces exemples de l’enlèvement qu’il ferait de partie des
sont rares & ne sont pas dans les vrais meubles qui lui étoient nécessaires pour
principes ; la femme qui se conduit mal son usage, il intervint décret qui fit
envers son mari, ne doit pas pour cela droit à la demande du suppliant, cette
être délivrée de sa puissance, le mari commission fut exercée par un huissier,
peut faire ordonner que sa femme sera bien loin par cette femme de déférer au
renfermée dans un Couvent ». Violences décret du sieur Lieutenant et de le lais-
conjugales décrétées minoritaires mais ser exécuter, elle se jetta sur le suppliant
pourtant violences effectives. De tous à diverses fois, lui donna divers coups
les procès étudiés, un seul nous permet de pied, de poing et des soufflets, il [sic]
d’envisager cet aspect, trahissant par là l’auroit entièrement assassiné si l’huis-
même une réalité marquée par la sier et les records ne l’eussent retenue,
honte49. Le procès que le sieur Jean ce fait étant dans le verbal fait le 27 juin
Combaco, musicien de son état, intente dernier. Vendredi dernier cette femme
à son épouse est révélateur de cette se transporta dans la maison où le
réalité et constitue l’exception qui suppliant a été obligé de loger en atten-
« infirme » la règle si l’on ose dire. Sa dant qu’elle se comporte de la manière
plainte est instructive à plus d’un titre qu’elle se doit et ayant monté vis-à-vis
et mérite d’être citée amplement, car de l’appartement du suppliant elle
elle reprend tous les éléments qui carac- enfonça la porte de la chambre d’une
térisent la plainte en justice pour cause femme, en croyant que ce fut celle de
de violences conjugales : « Remontre son mari, elle le chargea encore des
qu’il y a onze mois qu’il eut le malheur injures les plus atroces. Enfin dimanche
d’épouser Anne Monier, sans aucune dernier le suppliant sortant de la cathé-
dot, cette femme qui est sujette au vin drale où il est engagé en qualité de
et qui se livre à tous les excès possibles musicien, lorsque ladite Monier vint
n’a pas fait difficulté du depuis de l’attendre à la place, et lui sauta dessus
battre, excéder et maltraiter le en présence des personnes qui sortaient
suppliant. […] Cette femme le traita de de l’église, et le traita de voleur, coquin,
coquin, de voleur, de marrias, de marrias en le menaçant de l’assassiner et
maquereau, en le menaçant de l’assassi- lui donna divers coups de pied et de
ner et sautant sur le suppliant, elle lui poing, demi heure après elle se porta
donna divers coups de pied et de poing dans le chœur de l’église et enleva le
et l’auroit assommé si le suppliant n’eut basson du suppliant qui s’y trouvait, elle
pris la fuite. Du depuis cette femme a a gardé cet instrument pour l’empêcher
toujours continuée ses excès, elle a de faire valoir son industrie, du depuis
même menacé plusieurs fois le le suppliant qui est privé de cet instru-
suppliant d’un couteau, tantôt elle s’ar- ment ne peut remplir ses obligations,
moit de bâton, et de chandeliers, qu’elle elle fut après diner à St Laurens en
jettoit sur le suppliant, enfin celui-ci croyant de trouver le suppliant à la
fatigué de tous ces mauvais traitements, procession qu’on devait faire, elle
présenta le 27 juin dernier une requête demanda son mari à divers musiciens et

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leur dit ainsi qu’à divers autres person- Les violences au sein du couple
nes qu’elles avoient tort de le fréquen- rendent perceptible un processus de
ter, parce que c’était un coquin, un communication et de socialisation
voleur, qui avait mérité la potence, et fondé sur l’exacerbation des passions.
comme pareilles injures, calomnies Les altercations violentes constituent des
atroces, coups, excès et mauvais traite- temps de rupture d’un consensus et une
ments réitérés et commis avec scandale remise en cause de l’ordre censé fédérer
par une femme vis-à-vis son mari méri- le couple. La souveraineté domestique
tent punition, le sujet à pour cet effet est, finalement, un champ de tensions et
recours à votre justice50. » d’affrontements entre la puissance
La plainte rend compte des différents maternelle et la mission que la société
aspects évoqués dans notre analyse, qu’il d’Ancien Régime reconnaît aux femmes
s’agisse des motifs des violences, de la – à savoir la bonne gestion du foyer dont
mise en scène de la plainte ou encore des elles sont les gardiennes –, et la puis-
manifestations de la violence, aspects sance paternelle dont la principale
confirmés par l’ensemble des déposants. démonstration réside dans l’assurance de
L’un des témoignages de cette affaire, la subsistance du foyer. La concorde de
celui de Jacques Boiseau, a retenu notre ces deux forces productrices et garantes
attention, car ce dernier indique que de la souveraineté domestique fonc-
« comme bien des gens faisoient honte à tionne tant que l’équilibre est maintenu.
Combaco sur ce qu’il se faisait ainsy La violence, quel qu’en soit le motif,
traité par une femme il la fit retirer luy introduit alors un facteur déstabilisant
donnant deux ou trois coups de obligeant les individus concernés à redé-
canne51 ». La violence exercée par une finir les forces respectives dont le couple
femme sur un homme est source de est porteur, une redéfinition qui, faute
honte sociale faisant écho au burlesque de trouver une solution interne, néces-
de la femme dominante qui trahit la site le recours à la justice, laquelle doit
crainte d’un pouvoir féminin surclassant impérativement, à défaut de régler le
l’autorité masculine. C’est parce que problème, ramener l’ordre, restaurer et
l’autorité maritale est publiquement gérer l’honneur bafoué, ainsi que calmer
malmenée que la foule encourage les dissensions privées. Le fait de porter
l’époux à corriger sa femme. Si la grande en justice les violences conjugales
majorité des témoins se rangent du côté revient à soumettre au jugement public
de l’épouse lors d’une plainte déposée en et à l’appréciation de l’œil du roi, par le
justice, force est d’admettre qu’au quoti- biais de la sénéchaussée, des éléments de
dien la société désire, sans doute de troubles qui viennent gripper la bonne
façon illusoire, au nom de l’ordre, que marche de l’autorité. Il y a donc une
chacun demeure à sa place. Aux intervention du pouvoir royal dans la
hommes la rassurante idée d’exercer de redistribution des pouvoirs domes-
façon despotique le pouvoir dans les tiques, en faveur de l’épouse dans la plus
foyers, aux femmes la consolation de grande majorité des cas, parfois de
savoir qu’elles sont de loin les principa- l’époux. En définitive, le couple ne doit
les actrices du bon fonctionnement des plus être regardé comme étant un espace
maisonnées. Or la réalité est beaucoup de guerre des sexes, mais plutôt comme
plus complexe, nous l’avons montré. le lieu d’une mise en adéquation des

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L’INTRUSION DE LA JUSTICE AU SEIN DU FOYER

intérêts, à défaut des sentiments. Si l’en- aussi sur les thèmes des sentiments et de
traide et la solidarité semblent être la la séduction. La part de l’intime dans
règle dans la plupart des couples, les cette construction de la stabilité des
procédures étudiées ont néanmoins couples et dans la définition de la souve-
permis de mettre en évidence les formes raineté domestique est fondamentale.
possibles de tensions et de ruptures qui L’introduction de la violence – véritable
peuvent animer le mariage. Les sources élément perturbateur – donne à voir,
littéraires, les mémoires judiciaires, les au-delà des crises suscitées, la réalité
livres de raisons, et bien d’autres d’un couple tel qu’il peut être, d’ailleurs,
chemins documentaires, pourraient être aujourd’hui encore (de Singly, 2007).
mis à profit pour compléter la réflexion Christophe REGINA
proposée dans cet article autour de la UMR 6570 TELEMME,
souveraineté domestique que nous MMSH Aix-en-Provence,
avons envisagée ici sous l’angle de la Université de Provence.
violence, mais qui pourrait se décliner christopheregina@free.fr

NOTES

1. Jacques GIRARD, Considérations sur le 6. La puissance maritale fondée et justifiée par les
mariage et sur le divorce, Paris, impr. de Deltufo et écrits de saint Paul (Corinthiens, 7, 3 [2] et 7, 4)
Éverat, 1797, p. 3-4. Nous retrouvons ici les deux doit être nuancée. Les références scripturaires ont
finalités majeures du mariage – garantir la stabi- en effet tendance à permettre une évacuation trop
lité de l’État et préserver l’ordre social –, bien plus rapide d’une réflexion centrée sur le partage des
importantes que le bonheur du couple. pouvoirs au sein du couple. Affirmer la supréma-
2. « Les loix de la conscience, que nous disons tie masculine au sein du couple en se retranchant
naistre de nature, naissent de la coustume : derrière les Écritures revient à nier toutes les stra-
chacun ayant en veneration interne les opinions tégies d’évitements et d’oppositions qu’adoptent
et mœurs approuvées et receuës autour de luy, ne les épouses, notamment grâce à l’investissement
de la scène judiciaire.
s’en peut desprendre sans remors, ny s’y appli-
quer sans applaudissement », cité dans (Pech, 7. Julie Hardwick, qui a travaillé sur la ville de
2000, 146). Nantes sous l’Ancien Régime, aborde également
le couple comme un espace de réciprocité et de
3. L’auteur s’attache à montrer et à décrire l’inti-
partages, et non dans une perspective de rapport
mité des intérieurs parisiens, mais finalement ne
subordonnant/ subordonné (Hardwick, 1998-b).
s’intéresse pas vraiment à l’intimité en tant que
telle, ni à sa fonction sociale. 8. Le fonds des procédures criminelles de la séné-
chaussée de Marseille a été presque entièrement
4. Les procédures sont d’une richesse inégale, dépouillé. Plus de 11 000 procès, soit plus de
toutes cependant comportent au moins la requête 80 % des procédures, ont été inventoriés, avec
(plainte) et le cahier d’information (témoigna- indication pour chacun d’eux, les noms et profes-
ges). sions des parties, le type et le lieu du crime, ainsi
5. Les fonds de la sénéchaussée couvrent essen- que la date de ce dernier. L’interrogation de cette
tiellement la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ils base de données nous a permis d’étudier les 147
contiennent environ 13 000 procédures. Seules procédures qui concernent des violences conjuga-
147 d’entre elles sont instruites pour cause de les ou mauvais traitements (il n’y a pas d’unifor-
violences conjugales. misation parfaite de la nomenclature des crimes).

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9. Ce nombre permet de supposer non pas que household and, for the majority of European women
les violences conjugales sont peu nombreuses, who did marry, it was in theory a guarantor of
mais plutôt qu’elles sont rarement mises en status in society.” (Abrams, 2006, 24).
évidence. Les violences conjugales dénoncées en 13. Rappelons que le mariage ne devient un
justice coexistent avec les violences conjugales sacrement qu’au moment du concile de Florence
muettes, probablement bien plus nombreuses. de 1439, ce qui sera confirmé par le concile de
Rappelons que la sociabilité formée par les Trente en 1563. Voir sur la question (Duval,
voisins contribue très souvent en amont à la paci- 1981).
fication des conflits conjugaux. En effet, il n’est
14. L’auteur, qui exploite également des archives
pas rare de lire dans les témoignages les tentatives
judiciaires, étudie les situations conflictuelles
de médiation entamées par les voisins pour
comme des temps de solidarités familiales
calmer les conflits entre les époux. En ville, le rôle
montrant que les désordres des familles, dont les
des ecclésiastiques dans le retour de la paix des
violences conjugales font partie, ne sont pas la
ménages n’a jusqu’ici jamais été observé dans les
règle.
procédures dépouillées. Enfin, le nombre de
procédures conduit à supposer que la plupart des 15. A.D. des Bouches-du-Rhône (désormais
mariages, à défaut d’être heureux, fonctionnent A.D. B.D.R.) 9 F 34. La série F est extrêmement
plus ou moins dans une société où l’entraide et hétérogène mais néanmoins, très riche. Elle
l’assistance réciproque sont des impératifs vitaux. compte notamment des mémoires narratifs et des
collections de recueils de jurisprudence (8 F 1-
10. Si aujourd’hui lever la main sur son conjoint 251, 9 F 1-95), ayant trait à l’histoire administra-
ou sa conjointe est passible de sanction, sous tive de l’ancienne Provence. Ainsi, est conservée
l’Ancien Régime l’ordonnance criminelle confie à dans ces fonds une quantité remarquable de
l’arbitraire des juges le soin d’évaluer si la violence factums (ou mémoires judiciaires). Le catalogue
dont a usé un époux sur sa femme excède ce qui des factums et d’autres documents judiciaires anté-
est admis par la loi. Or la loi, comme nous allons rieurs à 1790, en 10 volumes, d’Augustin Corda,
le voir, n’est pas particulièrement claire sur la répertorie les mémoires relatifs aux causes célè-
question, autorisant en définitive une utilisation bres (Corda, 1890-1936). Voir sur l’étude des
presque naturelle de la force et de la contrainte au factums (Maza, 1987).
sein du couple : « Une femme injuriée par son
mari, ne peut se plaindre contre lui par une 16. A.D. B.D.R, 2 B 1490.
action criminelle ; ce qui est une suite de l’auto- 17. A.D. B.D.R., 2 B 1257 n°3 année 1763.
rité que le mari a sur sa femme. Néanmoins s’il 18. A.D. B.D.R., 2 B 1219 n°20 année 1768.
avoit usé à son égard de mauvais traitements qui 19. A.D. B.D.R., 2 B 1257 n°3 année 1763.
excédassent le droit qu’il a sur elle, c’est-à-dire
d’une correction modique, alors elle seroit reçue à 20. A.D. B.D.R., 2 B 1257 n°17 année 1770.
se plaindre en Justice de ces mauvais traitements. 21. A.D. B.D.R., 2 B 1257 n°3 année 1763.
Il en est de même des injures proférées par la 22. A.D. B.D.R., 2 B 1340 n°20 année 1788.
femme contre son mari. » (Jousse, 1771, III,
23. A.D. B.D.R., 2 B 1406 n°4 année 1779.
639).
24. A.D. B.D.R. ,2 B 1618 n°1 année 1777.
11. Anne Fillon (1986) montre dans son analyse
la place importante qui est accordée au libre 25. A.D. B.D.R. ,2 B 1594 n°28 année 1772.
choix de l’époux ou de l’épouse, et la place des 26. Un jugement en faveur de l’épouse place de
sentiments dans ce choix. fait cette dernière sous la protection de la décision
12. Furetière, dans son dictionnaire, ne dit pas de justice dont elle est la bénéficiaire.
autre chose : « Contract civil par lequel un 27. « La séparation de corps ne dissout pas le
homme est joint à une femme pour la procrea- mariage. Cette séparation ne s’ordonne que pour
tion des enfans legitimes. Le mariage est du droit cause de sévices et de mauvais traitements de la
des gens, & est en usage chez tous les peuples. Le part du mari envers sa femme. Il n’y a guère que
mariage chez les Cath. Rom. est un Sacrement, la femme qui demande d’être séparée de corps et
un lien sacré & indissoluble. » C’est d’abord un de biens, parce qu’étant sous la puissance de son
contrat, puis un sacrement (Furetière, 1690). mari, elle ne peut régulièrement le quitter sans y
Lynn Abrams abonde en ce sens : “The marital être autorisée par Justice. […]. La séparation de
alliance was the economic and emotional basis of the corps ne doit être ordonnée que pour des causes

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graves ; ainsi la diversité d’humeur, & même les 36. A.D. B.D.R., 2 B 1745 n°6 année 1752.
petites altercations qui peuvent survenir entre 37. Le montant exact de la dot est indiqué dans
mari & femme ne sont pas des causses suffisantes 20 procédures.
de séparations. » (Guyot, 1773, 172).
38. A.D. B.D.R., 2 B 1659 n°6 année 1754. Dot
28. Sur les 147 procédures étudiées, 11 affaires de Magdeleine Estienne épouse d’Antoine
aboutissent à une séparation de biens et de corps. Gaubert boulanger.
Les femmes qui vont jusqu’au bout de la procé-
dure demandent systématiquement d’obtenir les 39. A.D. B.D.R., 2 B 1257 n°17 année 1770.
deux séparations afin de jouir librement de leur 40. Détenant une place essentielle, la famille joue
dot. Le recours à la justice temporelle en est un rôle très important dans le cadre des violences
symptomatique puisqu’elle est la seule à pouvoir conjugales, tantôt assumant un rôle de média-
se prononcer sur la question de la séparation des tion, tantôt compliquant les tensions. Lorsque les
biens, alors que la justice ecclésiale n’a autorité épouses sont mises à la rue, elles cherchent à se
que sur la séparation des corps. retirer dans leurs familles.
29. Le relevé ne concerne pas seulement les procès 41. La folie est un enjeu important, les insensés
intentés pour violences conjugales, mais il englobe ne sont pas traités juridiquement de la même
la totalité des affaires étudiées, tout type de délits et manière que les autres (Muyart de Vouglans,
de sexes confondus. Les femmes utilisent entre elles 1781, 25).
les mêmes injures que les hommes à leur endroit. 42. A.D. B.D.R., 2 B 1257 n°17 année 1770.
30. Nicole Castan (1984) relève les mêmes inju- 43. Lorsqu’un homme témoigne, la justice ne lui
res pour le Languedoc. demande jamais sa situation familiale, contraire-
31. A.D. B.D.R., 9 F 34. ment aux femmes qui sont toujours en justice
32. Le champ lexical du théâtre est particulière- soit filles, soit femmes, soit veuves.
ment dense, il traverse toutes les procédures de la 44. A.D. B.D.R., 2 B 1614 n°2 année 1766.
sénéchaussée. 45. A.D. B.D.R., 2 B 1257 n°2 année 1764.
33. Il y a ici deux hypothèses à formuler : soit il y 46. Michel Heichette (2005), dans les procédures
a instrumentalisation de la réalité détournée, afin pour violences conjugales qu’il a étudiées, établit
de renforcer la démonstration ; soit ce discours un constat analogue au nôtre, tant dans les argu-
témoigne de la maîtrise du discours des femmes ments utilisés que dans la façon de les formuler. Il
en matière judiciaire. Quoi qu’il en soit, il y a ici existe une culture commune manifeste de la
une mise en valeur d’une pratique de la scène pratique judiciaire.
judiciaire. 47. A.D. B.D.R., 2 B 1237 fol. 17, 1751.
34. Dans une même plainte, plusieurs de ces 48. A.D. B.D.R., 2 B 1450 fol. 11, 1787.
expressions peuvent être utilisées.
49. Il n’existe pas à l’heure actuelle de synthèse en
35. Uxoricide : « C’est le nom qui est donné dans le histoire concernant les violences féminines exer-
droit canonique au meurtre commis par un mari cées sur les hommes. À en croire les sources
envers sa femme. Nous y comprenons aussi celui étudiées, la violence conjugale semble exercée par
commis par la femme envers son mari, en ce qu’ils les hommes, très majoritairement incriminés
renferment également l’un et l’autre l’infraction dans ce type d’affaires. Nous citons cette procé-
d’une des premières loix de la société civile, en dure parce qu’en l’état actuel de nos dépouille-
même tems que la profanation d’un sacrement ments, c’est le seul cas de dénonciation de
[…]. Cependant il paroît […] que le meurtre violence conjugale féminine qui soit corroboré
commis par un mari envers sa femme, a encore par l’ensemble des témoins.
quelque chose de plus grave que celui commis par
cette dernière envers son mari. » (Muyart de 50. A.D. B.R.R., 2 B 1480 n°2 année 1781.
Vouglans, 1781, 163-164). La peine prévue pour 51. Ibid.
les maris meurtriers de leurs épouses est la roue.

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RÉSUMÉ
La violence conjugale est une violence trans- violences n’appartiennent en rien à la sphère
culturelle, immuable, et elle constitue une privée, mais à la sphère publique. Vivre en
réalité sociale condamnable mais indéniable. ville, c’est vivre avec ses «étranges voisins», au
Cette violence, le plus souvent présentée et fait de tout ce qui se dit et de tout ce qui se
perçue comme une violence masculine, est voit dans l’immédiat territoire que forme le
dans les faits plus complexe. Elle ne repose pas quartier, régi par ses codes, ses normes et ses
que sur la seule instrumentalisation et utilisa- lois. La violence conjugale est donc au croise-
tion de la force, qui n’est qu’un moyen et non ment du public, du judiciaire et du sensible.
une fin en soi. La violence conjugale est Pour entrapercevoir les formes de ces violen-
davantage à voir comme une manifestation ces, ont été consultées les archives judiciaires
directe d’une lutte de pouvoir qui s’exerce au de la sénéchaussée de Marseille au siècle des
sein du foyer, afin d’accéder à l’exercice de ce Lumières. Celles-ci livrent quelques clés pour
que nous appelons la « souveraineté domes- comprendre que, au-delà des coups et des
tique ». Reproches, injures, et coups sont les injures, c’est la société marseillaise qui se laisse
manifestations les plus perceptibles et les plus approcher dans sa complexité. La mise à mal
identifiables dans l’espace urbain marseillais de l’union matrimoniale résulte d’un enchevê-
au XVIIIe siècle. Mais quelles sont les causes trement complexe de sensibilité, d’honneur et
profondes des violences conjugales ? Ces d’intérêts.

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L’INTRUSION DE LA JUSTICE AU SEIN DU FOYER

SUMMARY
Marital violence is transcultural, immutable does not belong to the private but to public
and constitutes a condemnable but unde- sphere. Living in a city means living with
niable social reality. This violence, generally “strange neighbors”, well aware of all that is
presented and perceived like a male said and seen in the immediate territory
violence, is in fact more complex. It is not that forms the district, governed by its
solely based on the instrumentalization and codes, its standards and its laws. Marital
use of force, which is only a means to an violence is thus at the crossroads of public,
end. Marital violence can be seen as a direct legal, and mental spaces. To catch a glimpse
manifestation of a power struggle within of these forms of violence, the criminal files
the home, to implement what we describe of the sénéchaussée of Marseille in the Age
as “domestic sovereignty”. Reproaches, of Enlightenment deliver some keys to
insults, and blows are the most visible and understand that beyond the blows and the
identifiable signs of this violence in the insults, the Marseille society is revealed in
Marseille urban landscape of the XVIIIth all its complexity. The crisis of the matrimo-
century. But what are the fundamental nial union results from a complex mix of
causes of marital violence? This violence sensitivity, honor, and interests.

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