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démographie historique
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femmes au seul rôle de victime. Si les de taire de telles actions agressives, sources
archives au criminel de la sénéchaussée évidentes de déshonneur et de risée
de Marseille tendent à établir une sociale10. Quoi qu’il en soit, s’il n’est pas
violence conjugale fortement masculine, possible de parvenir à des conclusions
il nous semble important de se défaire définitives à partir de nos seules archives,
du postulat qui associe masculinité et il est néanmoins permis de saisir la
violence, féminité et victime. logique et les mécanismes des violences
Les archives étudiées sont soumises à la conjugales qui drainent dans leur sillage
lumière de cette approche qui considère le un enchevêtrement de réalités plurielles.
couple comme une structure dynamique L’enjeu de ce travail consiste donc à
et complexe dans laquelle s’enchevêtrent éprouver la notion de souveraineté
sentiments, conflits d’intérêts et visibilité domestique face à l’expérience des violen-
sociale. Réfléchir sur la souveraineté ces conjugales.
domestique implique, en amont, de
pouvoir, dans la mesure du possible, en LE MARIAGE DE RAISON :
justifier les fondements. Les procès
UNE PRÉMISSE AUX VIOLENCES
étudiés, s’ils ne restituent pas toute l’éten-
CONJUGALES ?
due et la complexité des violences s’exer-
çant au quotidien au sein du foyer, On retrouve dans les catégories popu-
permettent néanmoins d’analyser les laires les mêmes préoccupations que
manifestations des désaccords et la nature pour les grands lignages, fondés sur l’en-
des difficultés conjugales qui produisent dogamie sociale et la conservation des
les altercations (Jury, 2003). Parmi les intérêts (Daumas, 1996 ; Daumas,
fonds criminels de la sénéchaussée de 2004 ; Nassiet, 1989 ; Goody, 1985).
Marseille, 147 procédures pour violences 97 % des plaintes étudiées jusqu’ici sont
conjugales ont été identifiées8. Ceci nous portées en justice par les épouses (144
invite à nous interroger sur la part réelle sur 147). Le tableau qui suit permet
jouée par les actes violents du couple au d’identifier l’appartenance socioprofes-
sein de la société marseillaise d’Ancien sionnelle de ces femmes qui viennent
Régime9, ainsi que sur la volonté probable porter plainte.
Tab. 1 Appartenances sociales des plaignantes d’après les 147 procédures étudiées
Catégories socioprofessionnelles Nombres absolus %
Activités maritimes 9 6,1
Artisanat 35 23,8
Bâtiment 5 3,5
Boutiques 7 4,8
Métiers de bouche 23 15,7
Ouvrier 13 8,5
Services 24 16,5
Autres 15 10,2
Indéterminé 16 10,8
Total 144 100
Note : Nous n’avons pas inclus les 3 procès instruits à l’initiative des hommes contre leurs femmes.
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et de vices. Le couple est dès lors une apprend dans la plainte que les desseins
sorte de psychomachie. Les 40 cas où du père étaient d’assurer un beau mariage
sont évoquées les contraintes initiales à sa fille, qu’il pensait marier avec un
ayant donné lieu à l’union montrent que bourgeois fortuné, mais qui au contraire
le mariage de convenance relève d’une était sans le sou. Une union imposée, et
pratique encore vivace à Marseille dans la de surcroît fondée sur un mensonge
seconde moitié du XVIIIe siècle. Les initial, ne laissait rien présager de bon. La
mariages de convenance, s’ils sont ratio- souveraineté qui procède d’un tel type
nalisés dans l’espoir d’accorder les inté- d’union ne pouvait donc être que conflic-
rêts des familles, relèvent du pari dès tuelle. Si le mariage de convenance est
qu’il s’agit de considérer les sentiments. pointé du doigt, la duperie des senti-
Ainsi, demoiselle Élizabeth Ollivier ments est aussi mise en avant dans l’en-
« remontre qu’elle eut le malheur d’être semble des procédures traitées. La
conjointe en mariage le 19 avril 1756 maxime « l’amour rend aveugle », et les
par l’effet d’une contrainte paternelle et illusions des premiers moments raillées
dans un âge fort tendre avec le nommé par la dame Cornet constituent le second
Aubergy qu’elle ne connaissoit point ; acte des malheurs à venir. En effet, dans
tous les efforts qu’elle fit pour empêcher toutes les procédures ayant trait aux
un pareil engagement devinrent inutiles violences conjugales, les plaintes débu-
auprès de la volonté de feu son père, tent toujours sur le constat funeste du
vis-à-vis duquel on avoit trouvé le moyen mariage qui a été célébré, insistant sur des
de captiver ses volontés en faveur dudit expressions telles que « a eu le malheur de
Aubergy. Bien de personnes sont instrui- se joindre en mariage avec18 », « eut le
tes de tous les efforts que la suppliante fit malheur d’être conjointe en mariage19 »,
pour s’opposer à cet engagement ; elle « a eû le malheur d’épouser un misé-
prevoyoit et sentoit d’avance les mal- rable20 ». Le ton est ainsi donné. La
heurs qui s’en ensuivroient et les tour- plainte développe ce profond désarroi
ments auxquels elle s’exposoit avec un distillé au quotidien selon des modalités
homme de l’espèce dudit Aubergy17 ». diverses mais toujours cruelles. La décou-
On retrouve ici encore le sceau de la verte du véritable visage de l’autre n’in-
puissance paternelle qui contraint à un duit pas le rejet immédiat ; on tente de
mariage d’intérêt Élizabeth Ollivier. On s’en accommoder autant que possible.
Tab.2 Durée moyenne des mariages au moment du passage en justice d’après les 147 procédures étudiées
Durée du mariage %
Moins d’un an 7,5
Entre 1et 5 ans 36,5
Entre 5 et 10 ans 28,5
Entre 10 et 15 ans 10
Entre 15 et 20 ans 12,5
Plus de 20 ans 5
57
58
Abandonnée 21 3,4
Coquine 30 5
Garce 105 17,3
Gueuse 69 11,4
Infâme 9 1,5
Malheureuse 66 11
Maquerelle 33 5,4
Marriasse 6 0,9
Mauvaise 36 6
Misérable 12 1,9
Prostituée 6 0,9
Putain 174 28,7
Salope 12 1,9
Autres 29 4,7
Total 608 100
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Le tableau 3 n’épuise pas le génie rôle ; toute femme qui plaide en sépara-
argotique des catégories populaires. Il se tion, fait la même chose. Il semble
contente de formaliser les termes inju- même, disoit un Orateur célèbre, qu’il y
rieux les plus récurrents, ceux qui, par ait pour ces sortes de femmes une
leur fréquence et par leur emploi, expli- formule commune, & toute dressée, où
quent les altercations quotidiennes. chacune d’elles a recours au besoin ;
L’analyse du fonds criminel de la séné- leurs maris ont presque toujours voulu
chaussée est particulièrement intéres- les faire périr, les égorger ; le poison, la
sante de ce point de vue, dans la mesure canne, le couteau sont introduits sur la
où l’étude des expressions injurieuses scène. [A ces lieux communs] la Dame
permet de caractériser de quelle façon Cornet ajoutoit d’affreux détails, & le
l’autre est diabolisé, caricaturé, ou tout pinceau de son trop zélé défenseur char-
simplement moqué. Sans surprise, on geoit le portrait de son mari des
constate qu’on attaque toujours en couleurs les plus noires. Que d’horreurs
priorité chez une femme sa moralité et n’avoient pas été imputées au sieur
ses mœurs30. Le trio « putain, gueuse et Cornet ! Que d’abominables & d’absur-
garce » domine largement. En injuriant des projets ne lui avoient-ils pas été
directement leur féminité, on cherche à prêtés !31 ».
inspirer le dégoût des corps, voire le Il y aurait une façon d’orchestrer la
dégoût d’elles-mêmes. La justice se plainte, véritable scénario proposé à la
montre très attentive aux questions de sagacité du juge32. Il y a effectivement
mœurs et en premier lieu à celles des dans les archives étudiées récurrence des
femmes. Elle n’est toutefois pas dupe violences citées ici, mais aussi récurrence
des utilisations qui sont faites de ces des armes utilisées33. Toutefois, il
injures. Un extrait tiré de nos archives a convient de reconnaître que les hommes
retenu notre attention. Les défenseurs recourent volontiers aux mêmes procé-
du sieur Cornet, aux prises avec son dés que les femmes pour dénoncer ou
épouse (voir supra), témoignent d’une accabler celles qu’ils souhaitent voir
grande acuité et maîtrise des façons de condamnées. La construction de l’ar-
dire et de faire en justice. Aussi peut-on chive n’est pas innocente, nous y revien-
lire que la plainte en sévices de la Dame drons. Le tableau 4 propose d’identifier
Cornet, et sa demande en séparation, la fréquence de certaines expressions
« avoient la fausseté pour appui ». Elle figées, systématiquement employées
avait dénoncé, avec force détails, les dans les plaintes ou dans la bouche des
faits les plus graves, « elle avoit fait son témoins.
Tab. 4 Occurrence des expressions relatives aux menaces de meurtre relevées
dans les 147 procédures étudiées34
Lexique Occurrences %
Luy disant qu’il vouloit la tuer 52 35,5
Étant revenu pour achever de l’assassiner 44 30
Il la menacé de l’égorger 8 5,5
La menace de la faire mourir 16 11
Qu’elle périra sous sa main 20 13,7
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afin d’insister sur l’aisance que l’épouse a mari] provenoient moins de sa faiblesse
procuré à son époux par le mariage et sa d’esprit que de ses vices : cet homme
dot, telle Élizabeth Ollivier, épouse de s’abandonna à tous les excès de la débau-
Charles Aubergy, qui « remontre qu’en che et bientôt on le vit étroitement lié
l’année 1757, la suppliante épousa le avec tout ce qu’il y a de plus vil sur le
sieur Aubergy : cet homme là ne possé- pavé de Marseille42 ».
dant absolument rien et il n’eut tenu Mari collectionnant les maîtresses,
qu’à lui d’être heureux, car il fut reçu fréquentant des prostituées, vecteur de
dans la maison de son beau-père qui se maladies vénériennes ; ivrogne, enclin à
seroit fait un plaisir de partager sa la folie et à des velléités meurtrières ;
fortune avec luy, mais il avoit des défauts tout est mis à profit pour triompher de
notables desquels on ne s’étoit point l’autre, pour donner à la justice l’image
malheureusement aperçu ; ils se dévelop- d’un homme incapable, chargé des vices
pèrent bientôt39 ». les plus condamnables et condamnés.
Il s’agit de discréditer le mari en le Cette incapacité est soulignée afin
dépossédant de ses « attributs virils », d’augmenter les chances d’enregistrer
comme celui de pourvoir aux besoins une séparation de biens et de corps au
élémentaires du couple. La récurrence profit de l’épouse (Bézard, ca 1934 ;
des verbes « dissiper », « dilapider », Hardwick, 1998a/b ; Schneider, 2000),
« manger », « envahir », assimile le mari à le divorce n’existant pas dans sa forme
un banqueroutier, donc, encore une moderne. Afin d’obtenir gain de cause,
fois, à un criminel. Dans le prolonge- il convient de s’assurer du soutien des
ment de cette idée, sont aussi mis en témoins qui, seuls, sont capables de
valeur l’incapacité ou le refus du mari de décider le juge à se prononcer en faveur
nourrir sa femme et ses enfants, ce qui de l’un des deux partis, et surtout de
oblige les épouses à solliciter le soutien permettre la restitution de la dot
du voisinage ou des parents, s’ils sont (Agresti, 2008).
encore vivants40. La folie et la déraison
sont également convoquées par la plai-
gnante, afin de noircir davantage le
LA SOCIÉTÉ DU VOISINAGE FACE
AUX VIOLENCES CONJUGALES
portrait de l’époux qu’elle brosse en
justice. Des expressions telles qu’ « égare- La notion d’intimité, comme nous
ments », « faiblesse d’esprit », « folie l’avons indiqué, est étrangère à la société
furieuse », « délires », « débiles », sont urbaine marseillaise, où vivre chez soi
fréquemment employées41. Le dérègle- revient surtout à vivre avec les autres : les
ment psychique ne peut qu’entraîner un voisins. L’étude des 685 témoignages
dérèglement moral total. Succèdent issus des procédures est particulièrement
ensuite, parmi les griefs dénoncés, la révélatrice de cette intrusion de l’autre
lubricité du mari (soulignée dans 63 % dans le quotidien de chacun, soulignant
des affaires étudiées) ou encore l’ivresse. les liens particulièrement étroits d’en-
Cette vie lubrique qui est dévoilée en traide et de solidarités plurielles qui se
justice passe par les maladies vénérien- tissent dans l’enceinte des maisons et des
nes, la débauche, la prostitution et immeubles. La rudesse de la vie est
l’adultère. Ainsi Élizabeth Ollivier se compensée par un système de récipro-
plaint que les « égarements [de son cité d’échanges humains et matériels qui
63
Ces données mettent en évidence une témoignent en faveur des épouses qui
implication remarquable des femmes en portent plainte contre leur mari. Au-delà
justice dans les cas de violences conjuga- d’une certaine forme de solidarité, ces
les: près de 45% de tous les témoins sont femmes transposent la situation de
des femmes mariées ou qui l’ont été, et violence dont elles ont été les témoins à
dans cet ensemble, toutes sans exception leur propre existence. Témoigner en
64
faveur des épouses plaignantes reste une par l’ensemble du groupe qui est impliqué
façon de se préserver elles-mêmes en dans la procédure.
suggérant à leur époux les risques
auxquels ils s’exposeraient s’ils les maltrai-
taient. Il n’est pas rare de voir les voisins
L’ART DE METTRE EN SCÈNE LES
VIOLENCES CONJUGALES EN
s’impliquer directement dans les conflits
conjugaux, qu’il s’agisse d’actions pour JUSTICE : ANALYSE FORMELLE DES
séparer les époux aux prises ou encore PLAINTES
d’actions préventives dans l’intention Quel que soit le crime envisagé, l’ex-
d’empêcher une nouvelle scène violente. ploitation des fonds judiciaires nécessite
Ainsi Anne Gayet qui « a été obligée au préalable un questionnement appro-
plusieurs fois de mettre la paix entre Anne fondi de l’archive. L’étude de sa forme
Lautier et Fichet son mari et après les est essentielle, car elle rend manifeste la
avoir séparé elle fut obligée de coucher façon selon laquelle chaque délit se
dans leur maison pour prévenir toute trouve ritualisé en justice. Les 147
dispute, laquelle a continué jusqu’à procédures analysées présentent toutes,
aujourd’hui44 ». à quelques exceptions près, une struc-
Les voisins qui sont aussi les témoins ture analogue révélant un schéma narra-
assurent donc un rôle de médiation tant tif quasi immuable. Cet apparent immo-
auprès des couples que lors des procès bilisme formel, auquel l’intervention des
résultant des violences conjugales. La greffiers n’est pas étrangère, est quelque
famille remplit également un rôle de peu nuancé par la façon dont les
médiation dans le cadre des conflits éléments rapportés par la partie plai-
conjugaux ; l’implication de ses membres gnante sont rendus dynamiques, au sein
est souvent mentionnée. Ainsi, Claire même de ces récits préétablis, et d’une
Vigne qui «est logé chez son beau-frère», certaine façon singularisés. En dépit
ou encore le frère de Rose Rougier qui d’un cadre structurel commun à toutes
rencontre son beau-frère pour le rappeler les plaintes, on remarque cependant des
à l’ordre et dénoncer les mauvais traite- traits formels, voire stylistiques, iden-
ments qu’il inflige à sa sœur45. Qu’il tiques d’une plainte à l’autre en fonction
s’agisse de la parole des plaignants ou bien du délit dénoncé. Il nous a donc été
encore de la façon de dire la souffrance de possible de formaliser la plainte pour
l’autre dans les témoignages, une pratique cause de violence conjugale de la
du discours en justice se trouve partagée manière suivante (tableau 7).
Tab. 7 Structure des plaintes pour violences conjugales
À la célébration des noces succède, de façon quasi immédiate, les temps de violence qui se déclenchent
entre le mariage et les trois premières années. Constat alors des malheurs à venir.
Dilapidation des biens de l’épouse (dot principalement).
Les violences, d’abord verbales, sont très rapidement assorties de coups, tant au sein du foyer qu’en
public.
L’épouse choisit la patience dans l’espoir d’un retour de la paix au sein du couple.
L’époux fait mettre à la rue son épouse sans le sou ni de quoi manger, ou bien abandonne son épouse
plusieurs années de suite.
Le paroxysme de la violence est atteint par la tentative de meurtre empêchée par l’intervention d’un
tiers, qui convainc la partie plaignante de recourir à la justice.
65
66
a cependant quelques exemples que des à M. le lieutenant général civil par les
maris ont demandé d’être séparés de fins de laquelle il demanda à ce qu’il fut
leurs femmes à cause de leur violence ou assisté d’un huissier et des records, lors
autres déportemens, mais ces exemples de l’enlèvement qu’il ferait de partie des
sont rares & ne sont pas dans les vrais meubles qui lui étoient nécessaires pour
principes ; la femme qui se conduit mal son usage, il intervint décret qui fit
envers son mari, ne doit pas pour cela droit à la demande du suppliant, cette
être délivrée de sa puissance, le mari commission fut exercée par un huissier,
peut faire ordonner que sa femme sera bien loin par cette femme de déférer au
renfermée dans un Couvent ». Violences décret du sieur Lieutenant et de le lais-
conjugales décrétées minoritaires mais ser exécuter, elle se jetta sur le suppliant
pourtant violences effectives. De tous à diverses fois, lui donna divers coups
les procès étudiés, un seul nous permet de pied, de poing et des soufflets, il [sic]
d’envisager cet aspect, trahissant par là l’auroit entièrement assassiné si l’huis-
même une réalité marquée par la sier et les records ne l’eussent retenue,
honte49. Le procès que le sieur Jean ce fait étant dans le verbal fait le 27 juin
Combaco, musicien de son état, intente dernier. Vendredi dernier cette femme
à son épouse est révélateur de cette se transporta dans la maison où le
réalité et constitue l’exception qui suppliant a été obligé de loger en atten-
« infirme » la règle si l’on ose dire. Sa dant qu’elle se comporte de la manière
plainte est instructive à plus d’un titre qu’elle se doit et ayant monté vis-à-vis
et mérite d’être citée amplement, car de l’appartement du suppliant elle
elle reprend tous les éléments qui carac- enfonça la porte de la chambre d’une
térisent la plainte en justice pour cause femme, en croyant que ce fut celle de
de violences conjugales : « Remontre son mari, elle le chargea encore des
qu’il y a onze mois qu’il eut le malheur injures les plus atroces. Enfin dimanche
d’épouser Anne Monier, sans aucune dernier le suppliant sortant de la cathé-
dot, cette femme qui est sujette au vin drale où il est engagé en qualité de
et qui se livre à tous les excès possibles musicien, lorsque ladite Monier vint
n’a pas fait difficulté du depuis de l’attendre à la place, et lui sauta dessus
battre, excéder et maltraiter le en présence des personnes qui sortaient
suppliant. […] Cette femme le traita de de l’église, et le traita de voleur, coquin,
coquin, de voleur, de marrias, de marrias en le menaçant de l’assassiner et
maquereau, en le menaçant de l’assassi- lui donna divers coups de pied et de
ner et sautant sur le suppliant, elle lui poing, demi heure après elle se porta
donna divers coups de pied et de poing dans le chœur de l’église et enleva le
et l’auroit assommé si le suppliant n’eut basson du suppliant qui s’y trouvait, elle
pris la fuite. Du depuis cette femme a a gardé cet instrument pour l’empêcher
toujours continuée ses excès, elle a de faire valoir son industrie, du depuis
même menacé plusieurs fois le le suppliant qui est privé de cet instru-
suppliant d’un couteau, tantôt elle s’ar- ment ne peut remplir ses obligations,
moit de bâton, et de chandeliers, qu’elle elle fut après diner à St Laurens en
jettoit sur le suppliant, enfin celui-ci croyant de trouver le suppliant à la
fatigué de tous ces mauvais traitements, procession qu’on devait faire, elle
présenta le 27 juin dernier une requête demanda son mari à divers musiciens et
67
leur dit ainsi qu’à divers autres person- Les violences au sein du couple
nes qu’elles avoient tort de le fréquen- rendent perceptible un processus de
ter, parce que c’était un coquin, un communication et de socialisation
voleur, qui avait mérité la potence, et fondé sur l’exacerbation des passions.
comme pareilles injures, calomnies Les altercations violentes constituent des
atroces, coups, excès et mauvais traite- temps de rupture d’un consensus et une
ments réitérés et commis avec scandale remise en cause de l’ordre censé fédérer
par une femme vis-à-vis son mari méri- le couple. La souveraineté domestique
tent punition, le sujet à pour cet effet est, finalement, un champ de tensions et
recours à votre justice50. » d’affrontements entre la puissance
La plainte rend compte des différents maternelle et la mission que la société
aspects évoqués dans notre analyse, qu’il d’Ancien Régime reconnaît aux femmes
s’agisse des motifs des violences, de la – à savoir la bonne gestion du foyer dont
mise en scène de la plainte ou encore des elles sont les gardiennes –, et la puis-
manifestations de la violence, aspects sance paternelle dont la principale
confirmés par l’ensemble des déposants. démonstration réside dans l’assurance de
L’un des témoignages de cette affaire, la subsistance du foyer. La concorde de
celui de Jacques Boiseau, a retenu notre ces deux forces productrices et garantes
attention, car ce dernier indique que de la souveraineté domestique fonc-
« comme bien des gens faisoient honte à tionne tant que l’équilibre est maintenu.
Combaco sur ce qu’il se faisait ainsy La violence, quel qu’en soit le motif,
traité par une femme il la fit retirer luy introduit alors un facteur déstabilisant
donnant deux ou trois coups de obligeant les individus concernés à redé-
canne51 ». La violence exercée par une finir les forces respectives dont le couple
femme sur un homme est source de est porteur, une redéfinition qui, faute
honte sociale faisant écho au burlesque de trouver une solution interne, néces-
de la femme dominante qui trahit la site le recours à la justice, laquelle doit
crainte d’un pouvoir féminin surclassant impérativement, à défaut de régler le
l’autorité masculine. C’est parce que problème, ramener l’ordre, restaurer et
l’autorité maritale est publiquement gérer l’honneur bafoué, ainsi que calmer
malmenée que la foule encourage les dissensions privées. Le fait de porter
l’époux à corriger sa femme. Si la grande en justice les violences conjugales
majorité des témoins se rangent du côté revient à soumettre au jugement public
de l’épouse lors d’une plainte déposée en et à l’appréciation de l’œil du roi, par le
justice, force est d’admettre qu’au quoti- biais de la sénéchaussée, des éléments de
dien la société désire, sans doute de troubles qui viennent gripper la bonne
façon illusoire, au nom de l’ordre, que marche de l’autorité. Il y a donc une
chacun demeure à sa place. Aux intervention du pouvoir royal dans la
hommes la rassurante idée d’exercer de redistribution des pouvoirs domes-
façon despotique le pouvoir dans les tiques, en faveur de l’épouse dans la plus
foyers, aux femmes la consolation de grande majorité des cas, parfois de
savoir qu’elles sont de loin les principa- l’époux. En définitive, le couple ne doit
les actrices du bon fonctionnement des plus être regardé comme étant un espace
maisonnées. Or la réalité est beaucoup de guerre des sexes, mais plutôt comme
plus complexe, nous l’avons montré. le lieu d’une mise en adéquation des
68
intérêts, à défaut des sentiments. Si l’en- aussi sur les thèmes des sentiments et de
traide et la solidarité semblent être la la séduction. La part de l’intime dans
règle dans la plupart des couples, les cette construction de la stabilité des
procédures étudiées ont néanmoins couples et dans la définition de la souve-
permis de mettre en évidence les formes raineté domestique est fondamentale.
possibles de tensions et de ruptures qui L’introduction de la violence – véritable
peuvent animer le mariage. Les sources élément perturbateur – donne à voir,
littéraires, les mémoires judiciaires, les au-delà des crises suscitées, la réalité
livres de raisons, et bien d’autres d’un couple tel qu’il peut être, d’ailleurs,
chemins documentaires, pourraient être aujourd’hui encore (de Singly, 2007).
mis à profit pour compléter la réflexion Christophe REGINA
proposée dans cet article autour de la UMR 6570 TELEMME,
souveraineté domestique que nous MMSH Aix-en-Provence,
avons envisagée ici sous l’angle de la Université de Provence.
violence, mais qui pourrait se décliner christopheregina@free.fr
NOTES
1. Jacques GIRARD, Considérations sur le 6. La puissance maritale fondée et justifiée par les
mariage et sur le divorce, Paris, impr. de Deltufo et écrits de saint Paul (Corinthiens, 7, 3 [2] et 7, 4)
Éverat, 1797, p. 3-4. Nous retrouvons ici les deux doit être nuancée. Les références scripturaires ont
finalités majeures du mariage – garantir la stabi- en effet tendance à permettre une évacuation trop
lité de l’État et préserver l’ordre social –, bien plus rapide d’une réflexion centrée sur le partage des
importantes que le bonheur du couple. pouvoirs au sein du couple. Affirmer la supréma-
2. « Les loix de la conscience, que nous disons tie masculine au sein du couple en se retranchant
naistre de nature, naissent de la coustume : derrière les Écritures revient à nier toutes les stra-
chacun ayant en veneration interne les opinions tégies d’évitements et d’oppositions qu’adoptent
et mœurs approuvées et receuës autour de luy, ne les épouses, notamment grâce à l’investissement
de la scène judiciaire.
s’en peut desprendre sans remors, ny s’y appli-
quer sans applaudissement », cité dans (Pech, 7. Julie Hardwick, qui a travaillé sur la ville de
2000, 146). Nantes sous l’Ancien Régime, aborde également
le couple comme un espace de réciprocité et de
3. L’auteur s’attache à montrer et à décrire l’inti-
partages, et non dans une perspective de rapport
mité des intérieurs parisiens, mais finalement ne
subordonnant/ subordonné (Hardwick, 1998-b).
s’intéresse pas vraiment à l’intimité en tant que
telle, ni à sa fonction sociale. 8. Le fonds des procédures criminelles de la séné-
chaussée de Marseille a été presque entièrement
4. Les procédures sont d’une richesse inégale, dépouillé. Plus de 11 000 procès, soit plus de
toutes cependant comportent au moins la requête 80 % des procédures, ont été inventoriés, avec
(plainte) et le cahier d’information (témoigna- indication pour chacun d’eux, les noms et profes-
ges). sions des parties, le type et le lieu du crime, ainsi
5. Les fonds de la sénéchaussée couvrent essen- que la date de ce dernier. L’interrogation de cette
tiellement la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ils base de données nous a permis d’étudier les 147
contiennent environ 13 000 procédures. Seules procédures qui concernent des violences conjuga-
147 d’entre elles sont instruites pour cause de les ou mauvais traitements (il n’y a pas d’unifor-
violences conjugales. misation parfaite de la nomenclature des crimes).
69
9. Ce nombre permet de supposer non pas que household and, for the majority of European women
les violences conjugales sont peu nombreuses, who did marry, it was in theory a guarantor of
mais plutôt qu’elles sont rarement mises en status in society.” (Abrams, 2006, 24).
évidence. Les violences conjugales dénoncées en 13. Rappelons que le mariage ne devient un
justice coexistent avec les violences conjugales sacrement qu’au moment du concile de Florence
muettes, probablement bien plus nombreuses. de 1439, ce qui sera confirmé par le concile de
Rappelons que la sociabilité formée par les Trente en 1563. Voir sur la question (Duval,
voisins contribue très souvent en amont à la paci- 1981).
fication des conflits conjugaux. En effet, il n’est
14. L’auteur, qui exploite également des archives
pas rare de lire dans les témoignages les tentatives
judiciaires, étudie les situations conflictuelles
de médiation entamées par les voisins pour
comme des temps de solidarités familiales
calmer les conflits entre les époux. En ville, le rôle
montrant que les désordres des familles, dont les
des ecclésiastiques dans le retour de la paix des
violences conjugales font partie, ne sont pas la
ménages n’a jusqu’ici jamais été observé dans les
règle.
procédures dépouillées. Enfin, le nombre de
procédures conduit à supposer que la plupart des 15. A.D. des Bouches-du-Rhône (désormais
mariages, à défaut d’être heureux, fonctionnent A.D. B.D.R.) 9 F 34. La série F est extrêmement
plus ou moins dans une société où l’entraide et hétérogène mais néanmoins, très riche. Elle
l’assistance réciproque sont des impératifs vitaux. compte notamment des mémoires narratifs et des
collections de recueils de jurisprudence (8 F 1-
10. Si aujourd’hui lever la main sur son conjoint 251, 9 F 1-95), ayant trait à l’histoire administra-
ou sa conjointe est passible de sanction, sous tive de l’ancienne Provence. Ainsi, est conservée
l’Ancien Régime l’ordonnance criminelle confie à dans ces fonds une quantité remarquable de
l’arbitraire des juges le soin d’évaluer si la violence factums (ou mémoires judiciaires). Le catalogue
dont a usé un époux sur sa femme excède ce qui des factums et d’autres documents judiciaires anté-
est admis par la loi. Or la loi, comme nous allons rieurs à 1790, en 10 volumes, d’Augustin Corda,
le voir, n’est pas particulièrement claire sur la répertorie les mémoires relatifs aux causes célè-
question, autorisant en définitive une utilisation bres (Corda, 1890-1936). Voir sur l’étude des
presque naturelle de la force et de la contrainte au factums (Maza, 1987).
sein du couple : « Une femme injuriée par son
mari, ne peut se plaindre contre lui par une 16. A.D. B.D.R, 2 B 1490.
action criminelle ; ce qui est une suite de l’auto- 17. A.D. B.D.R., 2 B 1257 n°3 année 1763.
rité que le mari a sur sa femme. Néanmoins s’il 18. A.D. B.D.R., 2 B 1219 n°20 année 1768.
avoit usé à son égard de mauvais traitements qui 19. A.D. B.D.R., 2 B 1257 n°3 année 1763.
excédassent le droit qu’il a sur elle, c’est-à-dire
d’une correction modique, alors elle seroit reçue à 20. A.D. B.D.R., 2 B 1257 n°17 année 1770.
se plaindre en Justice de ces mauvais traitements. 21. A.D. B.D.R., 2 B 1257 n°3 année 1763.
Il en est de même des injures proférées par la 22. A.D. B.D.R., 2 B 1340 n°20 année 1788.
femme contre son mari. » (Jousse, 1771, III,
23. A.D. B.D.R., 2 B 1406 n°4 année 1779.
639).
24. A.D. B.D.R. ,2 B 1618 n°1 année 1777.
11. Anne Fillon (1986) montre dans son analyse
la place importante qui est accordée au libre 25. A.D. B.D.R. ,2 B 1594 n°28 année 1772.
choix de l’époux ou de l’épouse, et la place des 26. Un jugement en faveur de l’épouse place de
sentiments dans ce choix. fait cette dernière sous la protection de la décision
12. Furetière, dans son dictionnaire, ne dit pas de justice dont elle est la bénéficiaire.
autre chose : « Contract civil par lequel un 27. « La séparation de corps ne dissout pas le
homme est joint à une femme pour la procrea- mariage. Cette séparation ne s’ordonne que pour
tion des enfans legitimes. Le mariage est du droit cause de sévices et de mauvais traitements de la
des gens, & est en usage chez tous les peuples. Le part du mari envers sa femme. Il n’y a guère que
mariage chez les Cath. Rom. est un Sacrement, la femme qui demande d’être séparée de corps et
un lien sacré & indissoluble. » C’est d’abord un de biens, parce qu’étant sous la puissance de son
contrat, puis un sacrement (Furetière, 1690). mari, elle ne peut régulièrement le quitter sans y
Lynn Abrams abonde en ce sens : “The marital être autorisée par Justice. […]. La séparation de
alliance was the economic and emotional basis of the corps ne doit être ordonnée que pour des causes
70
graves ; ainsi la diversité d’humeur, & même les 36. A.D. B.D.R., 2 B 1745 n°6 année 1752.
petites altercations qui peuvent survenir entre 37. Le montant exact de la dot est indiqué dans
mari & femme ne sont pas des causses suffisantes 20 procédures.
de séparations. » (Guyot, 1773, 172).
38. A.D. B.D.R., 2 B 1659 n°6 année 1754. Dot
28. Sur les 147 procédures étudiées, 11 affaires de Magdeleine Estienne épouse d’Antoine
aboutissent à une séparation de biens et de corps. Gaubert boulanger.
Les femmes qui vont jusqu’au bout de la procé-
dure demandent systématiquement d’obtenir les 39. A.D. B.D.R., 2 B 1257 n°17 année 1770.
deux séparations afin de jouir librement de leur 40. Détenant une place essentielle, la famille joue
dot. Le recours à la justice temporelle en est un rôle très important dans le cadre des violences
symptomatique puisqu’elle est la seule à pouvoir conjugales, tantôt assumant un rôle de média-
se prononcer sur la question de la séparation des tion, tantôt compliquant les tensions. Lorsque les
biens, alors que la justice ecclésiale n’a autorité épouses sont mises à la rue, elles cherchent à se
que sur la séparation des corps. retirer dans leurs familles.
29. Le relevé ne concerne pas seulement les procès 41. La folie est un enjeu important, les insensés
intentés pour violences conjugales, mais il englobe ne sont pas traités juridiquement de la même
la totalité des affaires étudiées, tout type de délits et manière que les autres (Muyart de Vouglans,
de sexes confondus. Les femmes utilisent entre elles 1781, 25).
les mêmes injures que les hommes à leur endroit. 42. A.D. B.D.R., 2 B 1257 n°17 année 1770.
30. Nicole Castan (1984) relève les mêmes inju- 43. Lorsqu’un homme témoigne, la justice ne lui
res pour le Languedoc. demande jamais sa situation familiale, contraire-
31. A.D. B.D.R., 9 F 34. ment aux femmes qui sont toujours en justice
32. Le champ lexical du théâtre est particulière- soit filles, soit femmes, soit veuves.
ment dense, il traverse toutes les procédures de la 44. A.D. B.D.R., 2 B 1614 n°2 année 1766.
sénéchaussée. 45. A.D. B.D.R., 2 B 1257 n°2 année 1764.
33. Il y a ici deux hypothèses à formuler : soit il y 46. Michel Heichette (2005), dans les procédures
a instrumentalisation de la réalité détournée, afin pour violences conjugales qu’il a étudiées, établit
de renforcer la démonstration ; soit ce discours un constat analogue au nôtre, tant dans les argu-
témoigne de la maîtrise du discours des femmes ments utilisés que dans la façon de les formuler. Il
en matière judiciaire. Quoi qu’il en soit, il y a ici existe une culture commune manifeste de la
une mise en valeur d’une pratique de la scène pratique judiciaire.
judiciaire. 47. A.D. B.D.R., 2 B 1237 fol. 17, 1751.
34. Dans une même plainte, plusieurs de ces 48. A.D. B.D.R., 2 B 1450 fol. 11, 1787.
expressions peuvent être utilisées.
49. Il n’existe pas à l’heure actuelle de synthèse en
35. Uxoricide : « C’est le nom qui est donné dans le histoire concernant les violences féminines exer-
droit canonique au meurtre commis par un mari cées sur les hommes. À en croire les sources
envers sa femme. Nous y comprenons aussi celui étudiées, la violence conjugale semble exercée par
commis par la femme envers son mari, en ce qu’ils les hommes, très majoritairement incriminés
renferment également l’un et l’autre l’infraction dans ce type d’affaires. Nous citons cette procé-
d’une des premières loix de la société civile, en dure parce qu’en l’état actuel de nos dépouille-
même tems que la profanation d’un sacrement ments, c’est le seul cas de dénonciation de
[…]. Cependant il paroît […] que le meurtre violence conjugale féminine qui soit corroboré
commis par un mari envers sa femme, a encore par l’ensemble des témoins.
quelque chose de plus grave que celui commis par
cette dernière envers son mari. » (Muyart de 50. A.D. B.R.R., 2 B 1480 n°2 année 1781.
Vouglans, 1781, 163-164). La peine prévue pour 51. Ibid.
les maris meurtriers de leurs épouses est la roue.
71
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73
RÉSUMÉ
La violence conjugale est une violence trans- violences n’appartiennent en rien à la sphère
culturelle, immuable, et elle constitue une privée, mais à la sphère publique. Vivre en
réalité sociale condamnable mais indéniable. ville, c’est vivre avec ses «étranges voisins», au
Cette violence, le plus souvent présentée et fait de tout ce qui se dit et de tout ce qui se
perçue comme une violence masculine, est voit dans l’immédiat territoire que forme le
dans les faits plus complexe. Elle ne repose pas quartier, régi par ses codes, ses normes et ses
que sur la seule instrumentalisation et utilisa- lois. La violence conjugale est donc au croise-
tion de la force, qui n’est qu’un moyen et non ment du public, du judiciaire et du sensible.
une fin en soi. La violence conjugale est Pour entrapercevoir les formes de ces violen-
davantage à voir comme une manifestation ces, ont été consultées les archives judiciaires
directe d’une lutte de pouvoir qui s’exerce au de la sénéchaussée de Marseille au siècle des
sein du foyer, afin d’accéder à l’exercice de ce Lumières. Celles-ci livrent quelques clés pour
que nous appelons la « souveraineté domes- comprendre que, au-delà des coups et des
tique ». Reproches, injures, et coups sont les injures, c’est la société marseillaise qui se laisse
manifestations les plus perceptibles et les plus approcher dans sa complexité. La mise à mal
identifiables dans l’espace urbain marseillais de l’union matrimoniale résulte d’un enchevê-
au XVIIIe siècle. Mais quelles sont les causes trement complexe de sensibilité, d’honneur et
profondes des violences conjugales ? Ces d’intérêts.
74
SUMMARY
Marital violence is transcultural, immutable does not belong to the private but to public
and constitutes a condemnable but unde- sphere. Living in a city means living with
niable social reality. This violence, generally “strange neighbors”, well aware of all that is
presented and perceived like a male said and seen in the immediate territory
violence, is in fact more complex. It is not that forms the district, governed by its
solely based on the instrumentalization and codes, its standards and its laws. Marital
use of force, which is only a means to an violence is thus at the crossroads of public,
end. Marital violence can be seen as a direct legal, and mental spaces. To catch a glimpse
manifestation of a power struggle within of these forms of violence, the criminal files
the home, to implement what we describe of the sénéchaussée of Marseille in the Age
as “domestic sovereignty”. Reproaches, of Enlightenment deliver some keys to
insults, and blows are the most visible and understand that beyond the blows and the
identifiable signs of this violence in the insults, the Marseille society is revealed in
Marseille urban landscape of the XVIIIth all its complexity. The crisis of the matrimo-
century. But what are the fundamental nial union results from a complex mix of
causes of marital violence? This violence sensitivity, honor, and interests.
75