science les secrets

du cerveau des bébés

EXPLORER • DÉCOUVRIR • COMPRENDRE

AOÛT 2015

Redécouvrir
leViêt Nam
La perle de l’Indochine n’a rien perdu de son charme.
Reportage dans la cité impériale de Huê.

INCLUS BONUS NUMÉRIQUES

 L’édito
DE JEAN-PIERRE VRIGNAUD,
RÉDACTEUR EN CHEF

Bébé, la machine à apprendre

Plongeons dans le cerveau humain. Il compte près de 100 milliards de neurones à la naissance. Au fil des
jours et des mois, alors que le bébé reçoit un flux de données sensorielles, les neurones se raccordent
à d’autres neurones. Des centaines de milliers de milliards de connexions se produisent, des réseaux
se créent. Chaque tâche (par exemple, attraper un jouet), chaque stimulus (écouter une berceuse) aide
à créer de nouveaux réseaux. Plus on active ces réseaux de façon répétée, plus ils se renforcent,
s’« épaississent », et plus… les impulsions électriques peuvent y voyager rapidement. Le cerveau va
« penser » mieux, plus vite. À l’opposé, sur les circuits peu utilisés, les connexions se rompent. Un cerveau
peu sollicité dans les premières années affiche une activité cérébrale moins intense par la suite.
Voilà pour l’explication scientifique. Concrètement, les nouvelles recherches montrent de manière
toujours plus nette que, si le cerveau d’un bébé possède dès l’origine des capacités prodigieuses,
son développement dépend très fortement des stimuli de son environnement. Et ça se passe très tôt :
les enfants à qui l’on parle le plus, à qui l’on fait la conversation, obtiennent des résultats plus élevés
aux tests de QI à l’âge de 3 ans. On observe également que le langage fourni par la télé, les livres audio
ou l’Internet n’a pas du tout cet effet. L’interaction humaine, affirment des chercheurs, semble par
exemple être indispensable pour qu’un bébé puisse reconnaître les sons de différentes langues. C’est
bon à savoir, non ? Tous les parents doivent absolument lire la formidable enquête sur le cerveau des
bébés que nous publions ce mois-ci.

PHOTO : LYNN JOHNSON

 La Ligne de CHANEL - Tél. 0 800 255 005 (appel gratuit depuis un poste fixe).
www.chanel.com

CHANEL REMPORTE LE 30ÈME GRAND PRIX

DE LA PUBLICITÉ PRESSE MAGAZINE.
DEPUIS TOUJOURS, LA PRESSE MAGAZINE
OFFRE À CHAQUE lecteur DES INSTANTS UNIQUES.

WWW.PRESSEMAGAZINE.COM / SEPM MARKETING & PUBLICITÉ

Sommaire Août 2015

Huê, toute l’âme les barrages

du viêt nam vont-ils tuer
Ancienne capitale le Mékong ?
impériale, la ville Le Mékong traverse
exhale un parfum six pays sur 4 200 km.
suranné d’Indochine. Son potentiel
Mais, à l’ombre de hydroélectrique fait
son palais et en dépit des envieux, mais
du régime, le pays menace les poissons,
d’aujourd’hui bouge les rizières et même
et innove. les habitants. Un
Écoutez la version + vidÉo instantanÉs au dilemme pour l’Asie
audio de notre article Bord du Fleuve du Sud-Est.

+ de PHotos
Balade À travers une ville au cHarMe indolent

les secrets À quoi ça sert

du cerveau de l’empailler ?
des bébés Il y a un siècle,
Les neurosciences la taxidermie aidait
révèlent quelle à promouvoir la
incroyable machine protection de la vie
à apprendre constitue sauvage. De nos
le cerveau d’un bébé. jours, le sujet
Et soulignent l’impor- fait polémique.
tance d’avoir des
parents attentionnés.
+ vidÉo ils sont avides + vidÉo la seconde vie
de dÉcouvertes des esPÈces Éteintes

le chemin insectes
de compostelle au fond
Ce pèlerinage des yeux
multiséculaire L’œil s’est adapté de
connaît un regain façon extraordinaire
d’intérêt. Pas au fil de l’évolution.
seulement pour La preuve chez les
des raisons insectes, avec des
religieuses. photos sidérantes.

l e m a g a z i n e d e l a naT i O na l g e O g R a P H i C S O C i e T Y
Août 2015

Rubriques

SERVICE ABONNEMENTS
NATIONAl GEOGRAphIC FRANCE
ET DOM-TOM
3 Édito 62066 ARRAs CEDEX 09
Tél. : 0811 23 22 21
PRismAshOP.nATiOnAlgEOgRAPhiC.FR
8 Visions CANADA : ExpRESS MAGAzINE
Trois images 8155, RuE lARREy - AnjOu - QuébEC

pour vous h1j2l5

Tél. : 800 363 1310
surprendre
ÉTATS-UNIS : ExpRESS MAGAzINE
PO bOX 2769 PlATTsbuRg nEw yORk
12901 - 0239.
usACAn mEDiA CORP, 123A DisTRibuTiOn
wAy builDing h-1, suiTE 104

PETE OXFORD PlATTsbuRgh, ny 12901

BElGIqUE : pRISMA/EDIGROUp
bAsTiOn TOwER éTAgE 20 - PlACE Du

14 nos actus ChAmP-DE-mARs 5

1050 bRuXEllEs. Tél. : (0032) 70 233 304
PRismA-bElgiQuE@EDigROuP.bE
planète terre
SUISSE : EDIGROUp
Quand le Rwanda prend des airs de paradis 39, RuE PEillOnnEX - 1225 ChênE-bOuRg
Tél. : 022 860 84 01 -
alimentation AbOnnE@EDigROuP.Ch

Où sont nés nos fruits et nos légumes ? ABONNEMENT UN AN/12 NUMÉROS :

FRAnCE : 45 €, bElgiQuE : 45 €,
patrimoine suissE : 14 mOis - 14 numéROs : 79 ChF,
CAnADA : 73 CAn$ (AvAnT TAXEs).
SOS Taj Mahal (OFFRE vAlAblE POuR un PREmiER
AbOnnEmEnT)

vie animale
VENTE AU NUMÉRO ET CONSUlTATION

Contrôler la vente des espèces sauvages Tél. : 0811 23 22 21 (PRiX D’unE

COmmuniCATiOn lOCAlE)

Le bison d’Europe revient à la charge COURRIER DES lECTEURS

Seuls les petits dinosaures ont survécu nATiOnAl gEOgRAPhiC

13, RuE hEnRi-bARbussE
92624 gEnnEvilliERs CEDEX
mondes anciens nATiOnAlgEOgRAPhiC@ngm-F.COm

Comment protéger à distance les sites

archéologiques en Syrie
Ce numéro comporte une carte jetée
abonnement kiosques Suisse, une carte jetée
Bêtes de sexe abonnement kiosques Belgique, une carte
jetée abonnement kiosques France, un encart
Les copines sexy des femelles guppys Multi titres Welcome Pack sur les nouveaux
abonnés, un encart Ça M’intéresse Histoire
sur les abonnés.

130 La sélection NG piochée dans les livres, les films, les expos

135 Le zoom. 1909. Costumes et robes sur la plage

138 Innover pour changer le monde. La bague qui détecte les maladies

En couverture
Pêcheurs à l’embouchure de la rivière des Parfums,
au bord de la ville de vinh Diên. Photo de Maika Elan/VII.
En haut : bébés à new york. Photo de Lynn Johnson.

Rejoignez-nous Retrouvez nos rubriques, la galerie photos du mois, blogs

sur notre page Facebook et news insolites sur notre site www.nationalgeographic.fr
vous pouvez également vous abonner au magazine.
NATIONAL GEOGRAPHIC
FRANCE c’est simple et pRatique !
Publi-rédactionnel
ENVOLEZ-VOUS VERS L’INDOCHINE EN AIRBUS A350
À PARTIR DE 529€ TTC** AVEC VIETNAM AIRLINES
Envie de dépaysement et de partir à la
découverte de destinations diverses et
magiques… Cap sur le Vietnam, le Laos et
le Cambodge avec Vietnam Airlines, pour
un séjour inoubliable.
6 BONNES RAISONS DE
S’ENVOLER POUR L’INDOCHINE
PAYSAGES ÉPOUSTOUFFLANTS
Des montagnes du Nord Vietnam au delta
du Mékong, en passant par la Baie d’Along,
le mont Phu Si, la cave de Son Doong ou
les nombreux parcs naturels, l’Asie du
Sud-Est regorge d’une grande variété de
sites à découvrir, qui ne manqueront pas
d’émerveiller petits et grands.
GASTRONOMIE
Le Vietnam est connu et reconnu pour sa
gastronomie ; fraicheur des ingrédients,
diversité des arômes et des herbes, un
délice pour les papilles et un paradis pour
les amateurs de cuisine, qui pourront se
régaler à chaque coin de rue auprès des
vendeurs ambulants ou dans l’une des
meilleures tables du pays. Le Cambodge et
le Laos sont moins connus pour leur
cuisine qui vaut néanmoins le détour. On
conseillera l’Amok Tei (Cambodge), Tam
Mak Hung (Laos) et bien entendu le Pho
pour s’enivrer de toutes les saveurs du
Vietnam.
CULTURE RICHE
Avec plus de 10 sites inscrits au Patrimoine
Mondial de l’UNESCO, la péninsule
indochinoise est une région marquée par
son histoire, avec notamment les temples
d’Angkor ou l’ancien port de commerce de
Hoi An.
Pour plus d’informations :
Tél : 01 44 55 39 90 - www.vietnamairlines.com
DESTINATION VIETNAM, LAOS, CAMBODGE
EN AIRBUS A350 DÈS OCTOBRE 2015
AVEC VIETNAM AIRLINES
Le Delta du Mekong
Les touristes apprécieront également FACILITÉ DE VISA
l’héritage de la période coloniale française : NOUVEAU : les touristes français se rendant
la poste et la cathédrale de Saigon, le pont au Vietnam entre le 1er Juillet 2015 et le 30
de Long Bien... Sans oublier Juin 2016, sont exemptés de visa pour des
l’emblématique chapeau conique en paille séjours de 15 jours maximum. Les passeports
de riz et la tenue traditionnelle « Ao Dai » doivent être valides au moins 6 mois après la
du Vietnam, les musiques traditionnelles date retour, et deux entrées consécutives
de chaque pays, mais aussi des compagnies sans visa ne sont pas possibles à moins de 30
de cirque et des artistes de rue jours d’intervalle. Les touristes à destination
internationalement connus, qui font du Cambodge et du Laos peuvent obtenir
rayonner la culture de ces pays à leur visa à l’arrivée pour 30$.
l’international.
ACTIVITÉS EN TOUT GENRE
Laa péninsule indochinoise propose aux
voyageurs une multitude d’activités
permettant de découvrir ces pays et leurs
richesses sous un autre jour. Laissez-vous
tenter par une balade à dos d’éléphant au
Laos, un trekking à la découverte des
ethnies minoritaires du Nord Vietnam, une
VIETNAM AIRLINES
plongée au cœur des récifs coralliens de Au départ de Paris :
Nha Trang ou bien une baignade sur l’une
• Hanoi : 5-7 vols directs/semaine
des nombreuses plages du Vietnam ou du
Cambodge. À moins, que vous ne préfériez • Ho Chi Minh Ville : 6-7 vols
découvrir la baie d’Along en Kayak ou directs/semaine
participer à une séance de Tai-Chi matinale
dans les jardins des grandes villes du EN A350 DÈS OCTOBRE 2015*
Vietnam.
PARIS-HANOI
TROIS DESTINATIONS EN UNE À PARTIR DE 565€TTC**
Grâce à un large réseau de destinations au
PARIS-HO CHI MINH VILLE
Vietnam, Cambodge et Laos, ainsi que des
vols Trans Indochine, Vietnam Airlines offre À PARTIR DE 529€TTC**
à ses clients la possibilité de voyager
facilement d’un pays à l’autre. À noter : les * En A350 sur les vols Hanoi dès octobre 2015 et
vols domestiques, régionaux et asiatiques sur les vols Ho Chi Minh dès novembre 2015
**Offres soumises à disponibilités et selon
sont accessibles à tarifs préférentiels pour
conditions - hors frais de service
les passagers Vietnam Airlines, lorsque les
vols sont réservés et émis avec le vol
France/Vietnam.
AU-DELÀ DES VOYAGES
VISIONS
MARIAGE EN TERRE SAINTE
Israël Un couple d’expatriés
érythréens et leurs invités
posent pour une photo de
mariage à Haïfa. Depuis
2006, Israël a accueilli près
de 34 000 demandeurs d’asile
venus d’Érythrée. Seuls
quatre d’entre eux ont obtenu
le statut de réfugié du fait
d’une politique d’immigration
très controversée.
MALIN FEZEHAI
LE FESTIN DES REQUINS
Îles Fidji Au large de la côte
sud de Viti Levu, des requins-
bouledogues – dont certains
dépassent 3 m – sont attirés
par des appâts lancés depuis
la surface. Huit espèces
de requins et au moins
400 autres de poissons plus
petits vivent dans la réserve
marine de Shark Reef.
PETE OXFORD
LA DANSE DES DIABLES
Pérou Des participants
masqués et costumés défilent
dans Puno pour la Diablada
(« danse des Diables »), lors
de la fête de la Vierge de la
Chandeleur, une manifestation
annuelle de plusieurs jours,
née il y a des siècles. Ce
mélange de cérémonies
religieuses andines symbolise
la lutte entre le Bien et le Mal.
JUAN MANUEL CASTRO PRIETO/AGENCE VU
NOS ACTUS
Planète Terre

Quand le Rwanda prend des

Les habitants pratiquent une agriculture durable, le marché de l’emploi est
en croissance et des fleurs blanches parsèment le paysage. Ce monde bucolique
n’est pas un rêve. C’est le Rwanda où, en 1994, le conflit entre Hutu et Tutsi a fait
près de 1 million de morts. Ce pays d’Afrique centrale est en train de se relever,
en partie grâce à ses champs de fleurs lucratifs. Bien que Chrysanthemum
cinerariifolium soit d’ordinaire une plante exigeante, il prospère sur les collines
rwandaises, qui bénéficient d’un sol volcanique et de précipitations abondantes.
Les chrysanthèmes fournissent du pyrèthre, un insecticide naturel très recherché.
Dans les années 1970, la transformation et la vente de cet insecticide à des
firmes étrangères étaient florissantes. Les affaires ont ralenti à l’époque
du conflit mais, aujourd’hui, l’industrie rebondit. Le pyrèthre est devenu la

14
airs de paradis
troisième exportation du pays, après le café et le thé. Jusqu’à présent, alors
même qu’ils exportaient du pyrèthre, les Rwandais avaient l’habitude de traiter
leurs cultures avec des pesticides de synthèse importés et moins onéreux,
parfois interdits dans les pays développés. C’est peut-être en train de changer.
L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture a financé
des formations sur le développement durable et l’usage des pesticides, tandis
que l’entreprise Agropharm Africa met au point de nouveaux produits à base Le pyrèthre est un insecticide
de pyrèthre que les fermiers rwandais pourraient utiliser localement, mais aussi naturel dérivé de certains types
de chrysanthèmes. Ci-dessus,
commercialiser à l’international. Selon Therese Karitanyi, directrice générale des villageois en cultivent dans
d’Agropharm Africa, « cette pratique est plus durable pour le pays, mais aussi le nord du Rwanda.
meilleure pour notre santé et notre environnement ». — Catherine Zuckerman PHOTOS : PAUL ELLEDGE
 Alimentation
RÉGION D’ORIGINE DE NOS ALIMENTS
AVOCAT
Le fruit est apparu au
Mexique et en Amérique
centrale. Aujourd’hui,
il en existe trois espèces,
poussant chacune dans
des conditions différentes.
AMÉRIQUE
DU NORD
AMÉRIQUE
DU SUD
FRAISE
La fraise moderne est
l’hybride de deux
variétés, l’une d’Amérique
du Sud et l’autre
d’Amérique du Nord.
Où sont nés
nos fruits
et nos
légumes?
TOURNESOL RAISIN POMME AGRUMES
Cette plante est l’une Les raisins sauvages n’ont Originaire d’Asie Les oranges et les
des rares originaires été domestiqués qu’une centrale, ce fruit mandarines actuelles ont
d’Amérique du Nord. seule fois, dans le sud aurait commencé à évolué à partir des
Ses graines sont du Caucase. Les cultivars se propager le long mandarines et des
souvent récoltées pour ont ensuite voyagé dans de la route de la Soie. pamplemousses primitifs
produire de l’huile. le monde entier. d’Asie de l’Est.
ASIE
EUROPE
AFRIQUE
AUSTRALIE
ANANAS CAFÉ AUBERGINE BANANE
Le fruit est né en L’Éthiopie est la première Deux variétés ont été Les premières bananes
Amazonie. Les explo- à avoir cultivé la plante. Le domestiquées en Inde sont apparues en
rateurs européens en café a ensuite conquis l’Asie, et en Chine méridio- Nouvelle-Guinée. La
auraient emporté des l’Europe, puis l’Amérique du nale. L’une s’est principale variété actuelle
échantillons à l’Est. Sud – qui est aujourd’hui sa répandue vers l’Est, est un clone d’une variété
principale région de culture. l’autre vers l’Ouest. d’Asie du Sud-Est.
Les fruits et les légumes d’aujourd’hui sont le résultat de millénaires de
tâtonnements en matière de culture et de sélection. Les premières variétés
sauvages des principales semences du monde ont évolué dans l’isolement
géographique, avant de se propager grâce au vent, aux crues ou aux
excréments des animaux. Au fil du temps, les hommes ont développé des
préférences particulières, mis de côté certaines graines et fait des essais pour
trouver les conditions nécessaires à la culture des aliments désirés. La plupart
des cultures alimentaires modernes ne ressemblent pas à leurs ancêtres,
plus primitifs et moins raffinés. Les premières fraises étaient plus petites et
moins sucrées que celles d’aujourd’hui. Les pommes des supermarchés,
qui sont des clones, seraient difficiles à produire sans greffage. Remonter à
l’origine d’un aliment demande un gros travail d’enquête scientifique. À l’aide
du génome des plantes et des archives sur les cultures, les chercheurs peuvent
retracer le parcours d’une semence. « En général, l’évolution d’une plante
est bouleversée quand l’homme intervient dessus », explique Paul Gepts,
botaniste à l’université de Californie à Davis. En utilisant leurs connaissances
sur l’histoire des aliments, les scientifiques pourront mieux deviner ce qui se
trouvera demain dans nos assiettes. — Daniel Stone
ILLUSTRATIONS : EMILY M. ENG, ÉQUIPE DU NGM. SOURCE : PAUL GEPTS
 Patrimoine
En 1983, quand la photo
ci-dessus a été prise, le marbre
du Taj Mahal était étincelant.
Depuis, l’air pollué a recouvert
la pierre de particules sombres
que même les pluies de la
mousson ne peuvent faire
disparaître. Pour restaurer la
couleur d’origine, un masque
d’argile est appliqué
régulièrement, avant d’être
rincé à l’eau distillée. À droite :
une opération de nettoyage.
PHOTOS : STEVE MCCURRY (EN HAUT) ; MIKE BERGIN
SOS
Taj Mahal
Autrefois tableau féerique
d’un blanc éclatant, le
Taj Mahal a perdu de son
lustre depuis quelques
décennies. À mesure que la
population de la ville indienne
d’Agra, où se situe le
mausolée, a augmenté et que
la pollution de l’air s’est
aggravée, le marbre de
ce tombeau monumental
du xviie siècle a commencé
à jaunir. Pourtant, la cause
précise de cette coloration
restait inconnue. Était-elle due
à l’industrie ? Aux transports ?
Aux travaux de construction ?
Ou à une autre activité
de ce carrefour industriel
bourgeonnant ? Une récente
étude menée par des
scientifiques indiens et
américains a identifié les
coupables : la poussière,
sans doute soulevée par la
circulation sur les routes non
pavées ; et la suie produite
par l’incinération des ordures
ménagères et des déchets
agricoles, par la
consommation d’énergies
fossiles, ainsi que par le bois
et les excréments que les
habitants font brûler pour
cuisiner et se chauffer. Dès
la parution de l’article, le
Parlement indien s’est emparé
du sujet et les autorités d’Agra
ont adopté des mesures pour
améliorer la qualité de l’air,
comme la conversion de
4 000 camions Diesel au gaz
naturel. — A. R. Williams
Tous les papiers se recyclent,
alors trions-les tous.

Il y a
des gestes simples
qui sont
des gestes forts.

La presse écrite s’engage pour le recyclage

des papiers avec Ecofolio.
 Vie animale

Commerce des animaux sauvages vivants, état des lieux

Chiffres fournis espèce par espèce (source CITES, 2012)

Tortue géographique
REPTILES Graptemys
145 espèces Elles étaient autrefois vendues un peu partout comme animaux de compagnie.
Les mesures prises par l’Agence des produits alimentaires et médicamenteux
335 562 des États-Unis (FDA) a entraîné un déclin des élevages et des ventes.
animaux
vendus

GROUPE Tortues géographiques Tortues terrestres

ORDRE Tortues 238 913

Les animaux qui font le plus couramment

l’objet d’échanges sont ceux de la classe
des reptiles ; ils sont surtout utilisés dans la
fabrication d’articles en cuir.

Conure veuve
Myiopsitta monachus
OISEAUX Originaires d’Amérique du Sud, ces perruches
92 espèces sont très prisées comme animaux de compagnie,
mais sont aussi considérées comme une
105 449 espèce nuisible pour l’agriculture. Elles sont
animaux Perroquets
vendus interdites dans plusieurs États américains.
africains

GROUPE Conures veuves

ORDRE Perroquets et cacatoès 104 230

Les oiseaux sont principalement vendus comme

Oiseaux de proie
animaux de compagnie : environ 62 % des 342
ventes d’oiseaux inscrits à l’Annexe II* de la
CITES sont nés en captivité et le reste a été
capturé dans la nature.

Contrôler la
vente des espèces
sauvages
Vertébrés : Dans de nombreux pays, le commerce des espèces
559 639 sauvages joue un rôle important dans l’économie locale
spécimens vendus
– tortues et perruches vendues comme animaux
de compagnie, pythons dont la peau est transformée
en sacs, œufs d’esturgeon vendus en caviar… Afin
de mieux protéger les 35 000 espèces d’animaux et
de plantes sous sa protection, la CITES (Convention
Autres sur le commerce international des espèces de faune et
invertébrés : de flore sauvages menacées d’extinction) organise le
152 030 Coraux contrôle de ce commerce. Il s’agit de « nous assurer qu’il
Anthozoaires est légal, durable et traçable, et qu’il n’est pas néfaste
Les espèces collectées dans la
nature représentent 98 % des coraux
à la survie des espèces dans la nature », explique John
de l’Annexe II vendus dans le monde. E. Scanlon, secrétaire de la CITES. — Margaret G. Zackowitz
Coraux :
Plus de la moitié sont destinés aux
1 212 155 aquariophiles américains.
*Les espèces de l’Annexe II de la CITES ne sont pas nécessairement
menacées, mais pourraient le devenir si le commerce n’est pas contrôlé.
 Tortue amyda Python royal
Amyda cartilaginea Python regius
Ces tortues à carapace molle – utilisées dans l’alimentation En Asie du Sud-Est, presque tout
et les remèdes traditionnels – sont élevées par millions, mais le commerce des peaux de
les populations sauvages restent à un niveau très bas. python est destiné à l’industrie
Lézards- européenne de la mode.
dragons

Tortues serpentines Trionychidae Terrapènes Varans Caméléons Geckos Pythons Boas

Lézards 74 740 Serpents 19 292

Alligators
2 617

Esturgeon blanc
ANIMAUX AQUATIQUES Acipenser transmontanus AMPHIBIENS MAMMIFÈRES
15 espèces Les espèces d’esturgeons les plus 13 espèces 72 espèces
104 520 pêchées pour le caviar sont en 11 646 2 462
animaux danger ou menacées de disparition. animaux animaux
vendus vendus vendus

Esturgeons
Esturgeons et poissons-spatules 99 900

Le caviar est la marchandise la plus chère issue Les amphibiens sont surtout exportés
Hippocampes
des poissons et gérée par la CITES. Les exporta- 2 907
pour être mangés ou servir d’animaux
tions d’origine sauvage déclinent depuis 1999. de compagnie. Les mammifères
représentaient 15 % de la valeur
totale du commerce des animaux de
l’Annexe II (2006-2010).

Chers reptiles Valeur estimée du commerce des espèces de l’Annexe II de la CITES

par groupe taxinomique, en 2010 (en millions de dollars de 2010)
Les reptiles et leurs peaux
figurent parmi les produits les
plus onéreux surveillés par la
CITES, mais tout dépend de ce 16,5 Invertébrés
qui en est fait. Si un chasseur 59,4
peut vendre un python qu’il a Oiseaux
capturé pour 30 dollars, un
élégant sac à main fabriqué
232 12 Mammifères
en peau de python peut coûter
Reptiles
jusqu’à 10 000 dollars.
0,2
40,5 Amphibiens
Animaux
aquatiques

JASON TREAT ET EMILY M. ENG, ÉQUIPE DU NGM ; MEG ROOSEVELT

SOURCE : SECRÉTARIAT DE LA CITES (2012), RAPPORT SUR LES TENDANCES DU COMMERCE

DES ESPÈCES DE L’ANNEXE II DE LA CITES (1996-2010), PRÉPARÉ PAR LE PNUE-WCMC
 Vie animale

Environ deux
tiers des 5 000
Bison bonasus
– le plus grand
mammifère
du Vieux
Continent –
vivent en liberté
dans l’est
de l’Europe.

Le bison Ils avaient grandi dans des zoos et des centres de reproduction.
Malgré cela, quand des bisons d’Europe ont été relâchés au sein

d’Europe revient d’un grand enclos, en mai 2014, dans les Alpes de Transylvanie
(Roumanie), la plupart se sont bien acclimatés à leur nouvel

à la charge environnement. En juin dernier, quatorze d’entre eux ont été

libérés – dernière étape d’un effort en cours pour réintroduire
Bison bonasus en Europe. Le bison a commencé à arpenter le
Vieux Continent il y a environ 10 000 ans. Au VIIIe siècle, la chasse
et la destruction de son habitat ont réduit et déplacé son aire
de répartition à l’Est. Plus tard, les souverains l’ont chassé. Les
OCÉAN guerres ont décimé les troupeaux restants, jusqu’à ce que le
RUSSIE
ATLANTIQUE dernier bison sauvage s’éteigne en 1927. La génération suivante
ORU
BIÉLORUSSIE
a été élevée à partir de douze spécimens survivant dans des
LITUANIE
E zoos. Les campagnes de réintroduction ont commencé en Europe
ALL. POL. P
O orientale dans les années 1950. Une fois les quatorze bisons remis
U R UKR.
E en liberté, d’autres ont été préparés à être placés dans l’enclos.
ROU. Mer Noire
SLOVAQUIE
L’association Rewilding Europe et le WWF coordonnent leur
Site de réintroduction
action avec les habitants tout en lorgnant vers les touristes. Les
en juin 2015 libérations futures devraient amener la population roumaine de
MMe
edri tM
eréra
dniteearrnaSneéae bisons à plus de 300 individus d’ici à 2025. Contrairement à Bison
0 500 km bison, son cousin américain, Bison bonasus n’est pas une icône
culturelle. « Méconnu, il n’est pas aimé. Et comme il n’est pas
Aire approximative Troupeau sauvage aimé, il n’y a pas assez de soutien pour sa conservation », note
de répartition du bison réintroduit
européen, en 5000 av. J.-C. Joep Van de Vlasakker, conseiller sur le projet. — Alison Fromme

CARTE : JAMIE HAWK. SOURCES : TOBIAS KUEMMERLE, UNIVERSITÉ HUMBOLDT DE BERLIN, ALLEMAGNE ;
MAŁGORZATA BOŁBOT, EUROPEAN BISON PEDIGREE BOOK. PHOTO : STAFFAN WIDSTRAND
Seuls les petits
VERS LES OISEAUX ACTUELS
RAISON DU

Avialiens
dinosaures
CHANGEMENT
Un poids léger
coïncide souvent avec

ont survécu
Qiliania une reproduction fré-
13,6 g quente, ce qui permet
Archéoptéryx plus de mutations.
1 kg
Les dinosaures n’ont pas tous DÉVELOPPEMENT

Maniraptoriens
Vélociraptor RAPIDE
disparu. Leurs descendants vivent Les théropodes mani-
15 kg
toujours à travers les avialiens, raptoriens ont évolué
vite et souvent. Mis à
autrement dit les oiseaux. Afin de part les avialiens,
savoir pourquoi ce groupe a aucune espèce de leur
lignée n’a survécu
prospéré alors que d’autres se sont jusqu’à nos jours.
éteints, des scientifiques ont
TRAITS COMMUNS

Théropodes
mesuré des centaines de fémurs de Les théropodes, et
dinosaures pour déterminer la notamment les carni-
vores bipèdes, avaient
masse de chaque animal. Selon Tyrannosaure des traits communs
les conclusions des chercheurs, 8 tonnes avec les oiseaux
Spinosaure modernes, comme
les survivants se sont adaptés 7 tonnes des os creux et parfois
grâce à une évolution des plumes.
continue et une diversité
écologique. Pour
les avialiens,
la survie a été
liée à une LES PLUS GROS
Sauropodomorphes

diminution de DINOSAURES
Argentinosaurus
taille. — Lindsay faisait plus de six
N. Smith Argentinosaure millions de fois la taille
Apatosaure 100 tonnes de Qiliania graffini,
44 tonnes le plus petit oiseau
du Mésozoïque.

Shantungosaure
19 tonnes

Ancêtre
commun des PAUSE DANS
Ornithischiens

dinosaures L’ÉVOLUTION
11 à 34 kg Les lignées dont la
taille a évolué rapide-
ment au début de
leur développement,
Iguanodon avant de s’arrêter, ont
9 tonnes été désavantagées
quand il est devenu
indispensable de
changer pour survivre.
Tricératops
15 tonnes

Stégosaure
8 tonnes

Fruitadens
725 g

TRIAS JURASSIQUE CRÉTACÉ

– 250 à – 200 millions d’années – 200 à – 145 MA – 145 à – 66 MA

Les dinosaures ne sont pas dessinés à l’échelle.

INFOGRAPHIE : MATTHEW TWOMBLY, ÉQUIPE DU NGM. SOURCE : ROGER BENSON
 LE NOUVEAU

+ d’analyses

+ de proximité
+ de conseils

+ d’optimisme
+ de révélations
+ de décryptages
+ d’inspirations

+ d’idées business

EN VENTE
ACTUELLEMENT

LE PLAISIR DE COMPRENDRE L’ÉCONOMIE

 Mondes anciens
Il y a plus de 4 000 ans, quand
Ourkish était à son apogée, les
rois hourrites recevaient leurs
courtisans dans leur palais
(ci-dessous). Cette petite
figurine féminine en argile
(ci-dessus) a été retrouvée près
d’une profonde fosse d’où les
mages hourrites invoquaient
les esprits de l’au-delà.
PHOTOS : KENNETH GARRETT
Comment protéger à distance
les sites archéologiques en Syrie
Pendant des siècles, on a cru que l’antique cité d’Ourkish avait disparu. Désormais,
les archéologues qui ont exhumé ses vestiges dans l’actuelle Syrie travaillent
d’arrache-pied pour ne pas la perdre de nouveau. Ourkish a prospéré aux IVe et
IIIe millénaires avant notre ère, comme capitale et centre religieux de la civilisation
hourrite. Mais au XXe siècle, elle avait fini par sombrer dans la mythologie, effacée
par le site kurde de Tell Mozan, dans le nord-est de la Syrie. En 1984, Giorgio et
Marilyn Buccellati ont entamé des fouilles sur ce site et découvert, dix ans plus
tard, que Tell Mozan et l’Ourkish de l’Antiquité ne faisaient qu’un. Ils sont
régulièrement retournés sur place, jusqu’en décembre 2011. Aujourd’hui, l’endroit
est pris en étau entre Raqqa, la capitale autoproclamée de Daech, et la ville de
Mossoul, où des membres du groupe islamiste ont détruit antiquités et œuvres
d’art. Malgré tout, les Buccellati continuent de superviser à distance les efforts de
conservation des lieux. Les murs qui soutenaient autrefois les édifices d’Ourkish
ont été recouverts de toiles de protection. Les archéologues ont engagé deux
hommes – un Kurde et un Arabe – pour monter la garde. Quatre villageois
poursuivent les fouilles, sous la direction des archéologues, pour préserver le
mortier entre les blocs de pierre, rapiécer les toiles endommagées et envoyer des
photos des zones à problèmes où il faut intervenir. — Sharon Jacobs
Ces travaux ont été rendus possibles grâce au soutien de la National Geographic Society.
 Cet été, laissez-vous
guider par vos passions

Pour trouver le marchand de journaux le plus proche, téléchargez

Disponible sur www.prismashop.fr et sur votre tablette

Se poser des questions, fait avancer.

 Bêtes de sexe
Une subtile étude de l’amour et du désir dans le règne animal
Les copines
sexy des
femelles
guppys
HABITAT
Originaires du Brésil, du Guyana,
du Venezuela et des Caraïbes.
STATUT DE CONSERVATION
Échappés d’aquariums ou réintro­
duits dans les eaux de tous les
continents sauf l’Antarctique,
les guppys peuvent nuire
aux poissons indigènes en
mangeant leurs œufs ou en leur
transmettant des parasites.
Ces guppys (Poecilia reticulata)
ressemblant à des spécimens sauvages
ont été photographiés dans le zoo de
Tulsa, dans l’Oklahoma.
Dans l’ordre social humain, un homme peut faire la conquête d’une
femme avec l’aide d’un entremetteur. Dans celui des guppys
(Poecilia reticulata) de Trinidad, la femelle repousse ses soupirants
avec sa propre tactique du « compère ». Chez ce petit poisson d’eau
douce, la femelle n’est réceptive à la cour du mâle et à ses tentatives
d’accouplement qu’à des moments précis lors desquels elle envoie un
signal chimique. En revanche, le mâle est prêt en permanence.
Même s’il croise une femelle qui n’émet pas de « oui » chimique, il peut
tenter une copulation. Au lieu de gaspiller leur énergie à repousser ces
avances, les femelles « auraient tout avantage à savoir comment réduire
le harcèlement dont elles font l’objet », écrit la chercheuse Safi Darden
dans une étude publiée dans Proceedings of the Royal Society B. Les
femelles déploient donc la stratégie dite de « la bonne copine ». Celles
qui ne sont pas d’humeur nagent près de celles qui libèrent le doux
parfum du oui chimique. « S’associer à des femelles plus attirantes
sexuellement » aide les non-réceptives à esquiver les sollicitations
malvenues, explique Safi Darden. Cet instinct qui pousse les femelles
non intéressées à se mettre à l’abri derrière leurs consœurs plus sexy
est-il puissant ? Oui, répond la chercheuse. Au point que, pendant
les tests dans des bassins de laboratoire, les femelles non réceptives
ont nagé vers un endroit où il n’y avait aucun autre guppy — juste
parce que l’eau avait été imprégnée d’arômes de disponibilité par les
femelles réceptives. — Patricia Edmonds
Les guppys femelles
évitent les sollicitations
malvenues en nageant à
côté de leurs consœurs
plus attirantes.
PHOTO : JOEL SARTORE/NATIONAL GEOGRAPHIC CREATIVE
 Document

Insectes
au fond
des yeux
Texte et photographies de Martin Oeggerli

Je suis passionné par l’évolution. Or l’œil,

cet organe perfectionné à l’extrême, s’est
adapté de façon extraordinaire au fil du
temps. La photo ci-contre montre les yeux
considérablement agrandis au sommet
de la tête d’un éphémère mâle. Ils sont dits
« en turban » du fait de leur forme. Grâce à
eux, l’insecte peut apercevoir la silhouette
d’une femelle dans la faible lumière du
crépuscule. Il n’a pas de bouche : quand le
cycle de votre vie ne dure qu’une journée,
comme c’est en général le cas des mâles
adultes, manger n’est pas nécessaire.
Des yeux terriblement performants sont,
en revanche, indispensables pour trouver
une femelle avant de mourir.
Je suis chercheur en cancérologie, mais
aussi photographe scientifique sous le
pseudonyme de « Micronaut ». « Micro »,
car je réalise des images de l’infiniment
petit grâce au microscope à balayage
électronique de l’École des sciences de la
vie, à Muttenz (Suisse) ; et « naut », parce
qu’avec mon scanner, je me sens comme
un astronaute volant d’une découverte
à l’autre. Le scanner permet d’obtenir des
images en noir et blanc qu’il me faut
ensuite parfois une semaine pour coloriser.
Ces recherches n’ont pas seulement
un intérêt scientifique. Elles nous font
découvrir un univers de toute beauté.

Les yeux en turban, qu’on ne trouve

que chez certains éphémères mâles,
permettent de voir dans la pénombre.

28
La drosophile (ou
mouche du vinaigre)
possède des yeux
composites :
des rangs serrés
d’objectifs simples
(ou ommatidies)
qui quadrillent son
champ de vision.
Les poils pourraient
protéger les yeux,
dépourvus
de paupière, de
la poussière et
d’autres saletés.
Le scorpion des
livres doit son nom
à sa prédilection
pour les vieux
ouvrages. Il dispose
d’un ensemble
rudimentaire d’yeux
munis de peu
de récepteurs.
Privées d’yeux
externes, certaines
espèces de
pseudoscorpions
utilisent des
récepteurs de
lumière situés
juste sous la peau.
Les huit yeux de
l’araignée sauteuse
lui offrent une
vision à quasiment
360° de son
environnement.
Leur rétine l’aide
à évaluer
les distances.
Ce petit prédateur
peut parcourir
en un seul saut
l’équivalent de plus
de dix fois sa taille.
en couverture
 Huê, toute l’âme
du Viêt Nam
Lovée sur les bords de la rivière des Parfums, la cité impériale
s’ouvre à la modernité sans renoncer à sa splendeur passée.
Notre reporter a découvert un Viêt Nam fascinant.

Les sampaniers de la rivière

des Parfums passent toute
leur vie sur leur bateau, une
petite embarcation à fond plat.
Ces familles pauvres vivent
de la pêche et de l’extraction
illégale du sable de la rivière.
PAUSE-CAFÉ Jadis réservée à
l’administration impériale, la citadelle
abrite aujourd’hui des logements
et une multitude de cafés et de
restaurants de rue. Les habitants
ont l’habitude de s’y retrouver au
petit matin avant d’aller travailler.
PASSÉ-PRÉSENT Un groupe de
touristes se fait photographier
sur le site du tombeau de Khai Dinh,
au sud de Huê. Douzième empereur
de la dynastie Nguyên, Khai Dinh
fut porté sur le trône par les Français
en 1916. Les statues, à gauche,
figurent sa garde d’honneur.
 Spiritualité urbaine
Cette chiffonnière collecte
des déchets dans une ruelle
de la ville. Au-dessus d’elle,
des autels dédiés aux divinités,
omniprésents dans les rues.

42 nat iona l g e o gr a ph ic • aoû t 2 015

 Fl

Mé
.R CHINE
ou

ko
ge

ng
Par Marie-Amélie Carpio-Bernardeau LAOS
Hanoï
Golfe
Photographies de Maika Elan / VII

S
du
Tonkin

Huê

écoutez la verSion THAILANDE

audio de notre article VIET NAM

CAMBODGE

Hô Chi Minh-Ville

0 200 km Delta
du Mékong

ur l’écran d’ordinateur, des dizaines de photographies

défilent. Et autant de lingots d’or superbement ouvragés,
ornés de fleurs, de soleils ou de dragons auxquels ne manque pas une écaille.
« Les plus gros pèsent 3,8 kg. Ce sont les lingots anciens les plus lourds
jamais frappés. La grande finesse du travail de
l’or donne une idée de la puissance et du rayon­
nement des souverains qui les ont façonnés »,
observe François Thierry, conservateur géné­
ral au département des Monnaies, médailles et
antiques de la Bibliothèque nationale de France
(BNF). Les monarques en question, ce sont les
Nguyên, les derniers empereurs du Viêt Nam.
Partir sur leurs traces imposait un détour par
la BNF, auprès de ce spécialiste de l’ancien
trésor royal de Huê.
« C’est le seul trésor d’Extrême­Orient qui
subsiste, s’enthousiasme François Thierry. Les
autres ont été dilapidés ou fondus. » Celui de
Huê, devenu butin de guerre lors de la conquête
coloniale, n’a pas échappé au creuset du fondeur
au xixe siècle, mais des conservateurs ont pu en
sauver une partie pour la postérité, entreposée
depuis à la Monnaie de Paris. Un fragment de
l’ancien empire du Viêt Nam en terre française.
À plus de 9 000 km de là, le souvenir des
Nguyên perdure, pétrifié dans la cité qu’ils
firent bâtir au bord de la rivière des Parfums, au
centre du Viêt Nam. Au petit matin, j’y suis
accueillie par le chant des cigales, mêlé au vrom­
bissement de nuées de scooters.
Malgré l’étouffante chaleur de juin, les
femmes circulent couvertes de la tête aux pieds,
visage masqué et mains gantées. La pâleur de la
peau, qu’impose une coquetterie ancestrale, est
à ce prix. En fin de journée, cette foule motori­
sée se déversera sur les trottoirs, s’installant sur
les minuscules chaises en plastique des gargotes
qui pullulent dans la citadelle, pour déguster
une soupe aux nouilles ou siroter un jus de
canne à sucre. La dolce vita à la vietnamienne.
Les lieux y invitent, qui distillent une délicate
quiétude.
La capitale établie en 1802 par Gia Long,
le fondateur de la dynastie des Nguyên, est
gouvernée par les principes de la géomancie, la
recherche de l’harmonie entre l’architecture et
la nature. Partout des jardins et des douves peu­
plées de carpes orange, tapissées de nénuphars,
des longaniers et des flamboyants qui répandent
une lumière poudrée. Les constructions s’insè­
rent dans le décor comme des poupées russes :
une citadelle à la Vauban, dans laquelle sont
emboîtées la Cité impériale et la Cité pourpre
interdite. Toutes deux ont été conçues sur le
modèle de la Cité interdite de Pékin, dans une
succession de palais et de temples laqués de
rouge et d’or, peuplés de dragons rampant sur
les colonnes, les escaliers et les toits.
Dans l’un des pavillons, converti en salle
d’exposition permanente, de vieilles photogra­
phies restituent la pompe et l’apparat de l’ancien
empire : cérémonies aux gestes calculés, faste
infini des princes, soie et brocart miroitant…
Ce sont les derniers éclats d’un monde qui, déjà,
disparaît. Car aucune réforme, aucun projet

v i ê t na m 43
 « Huê a été construite au milieu de la nature, et
corsetée dans des rituels figés et un confucia-
nisme sclérosé. « Tout était hyper-codifié,
jusqu’aux vêtements des mandarins ou au
choix des concubines, qui était reporté chaque
soir dans les registres », souligne Dominique
Guglieri, à l’origine de l’exposition.
« Partout, au xixe siècle, les autres pays confu-
céens débattent des raisons de leur faiblesse et
de la force de l’Occident, perçu comme un adver-
saire et un modèle, ajoute François Thierry.
Au Viêt Nam, les élites se sont fermées. »
Gia Long avait unifié le pays. Dès 1884, son
empire n’est plus qu’un morceau d’Indochine
et ses héritiers, des marionnettes revêtues des
insignes du pouvoir, mais qui en ont abandonné
l’exercice aux Français. À l’image d’un Thanh
Thai, prince sadique qui suppliciait ses concu-
bines. Ou d’un Bao Dai, ultime souverain de la
lignée, que les Anglais surnommaient « l’empe-
reur des night-clubs ». Dans le lot, il y eut aussi
quelques empêcheurs de coloniser en paix,
promptement exilés en Algérie ou à La Réunion.
« Environ 80 000 ouvriers et soldats ont
travaillé jour et nuit, de 1804 à 1833, pour
construire Huê », m’indique Long, mon guide,
alors que nous pénétrons dans la Cité pourpre
interdite, jadis réservée à la famille royale, aux
concubines et aux eunuques. Les marteaux des
artisans y résonnent encore, reconstruisant ou
restaurant les bâtiments. Abandonnée en 1945,
après l’abdication de Bao Dai, la Cité a subi de
nombreuses destructions lors de la guerre
d’Indochine et, surtout, de l’offensive du Têt, en
1968. Pendant un mois, les communistes ont
occupé la ville, qui se trouvait sous le 17e paral-
lèle séparant le Nord Viêt Nam de Hô Chi Minh,
du Sud Viêt Nam, pro-occidental.
An Thuan Phan a assisté aux affrontements
depuis son jardin. Corps frêle flottant dans une
tunique blanche, l’historien porte avec grâce ses
75 ans. Témoin du crépuscule des Nguyên, il fait
partie des vieux lettrés de la ville, qui cultivent
la vie contemplative de l’ancienne aristocratie.
« Huê a été construite au milieu de la nature,
et la nature a pénétré peu à peu l’âme des habi-
tants. Ils vivent plus doucement, plus lentement
44 nat iona l g e o gr a ph ic • aoû t 2 015
que les autres Vietnamiens », affirme-t-il alors
que nous faisons le tour de la demeure familiale,
aux allures de musée. Dans la pièce principale,
l’autel des ancêtres est encadré de bibliothèques
débordant de livres, de photos et d’antiquités
– médailles, diplômes impériaux, porcelaines et
même cure-dents royaux en bambou.
D’un tiroir, Phan tire un numéro de National
Geographic datant de 1931. Un groupe de man-
darins y prend la pose dans un reportage sur
l’Indochine. L’un d’eux, au centre, se détache,
bras croisés et mine austère. « Mon grand-
père », précise l’historien dans un mélange de
fierté et de mélancolie. Phan est un gardien du
temple. Il a œuvré au classement des monu-
ments de Huê à l’Unesco, finalisé en 1993. Et
transmis le flambeau à ses filles, l’une spécia-
liste de la restauration d’édifices ; l’autre, de la
musique de cour. « Ma famille a eu de la chance.
Nous avons traversé tant de guerres… », dit-il
sobrement. Les combats du Têt et ceux de 1975,
qui ont abouti à la victoire des communistes,
ont été émaillés d’exils et d’exécutions, en par-
ticulier de membres de l’élite compromis avec
les autorités coloniales ou le gouvernement
du Sud. Un passé étouffé ou revisité tout en
litotes et en ellipses dans la ville.
Même pudeur sur l’autre rive de la rivière des
Parfums, dans un immeuble de l’ancien quar-
tier colonial. Y Buu vit entouré de littérature
française, sa passion. Son histoire familiale a
épousé la grande. Comme un certain nombre
d’habitants de Huê, il est un descendant direct
de Minh Mang, souverain aux 142 enfants,
auquel la rumeur prête 500 concubines.
« Ma famille s’est scindée en 1945, quand les
trois aînés de la fratrie sont partis au Nord
rejoindre le Viêt-minh [ndlr : parti d’Hô Chi
Minh], explique Buu. Ça s’est déroulé presque
dans l’ombre, dans le silence. » L’année 1975 puis
la réunification du pays sous l’égide des commu-
nistes ont cristallisé la rupture. « Il y a d’abord
eu beaucoup d’effusions de sentiments quand
nous nous sommes retrouvés, poursuit-il. Mais
je sentais que nous étions devenus différents. »
De ce passé tourmenté, les nouvelles généra-
tions font table rase. « Les Vietnamiens oublient
la nature a pénétré peu à peu l’âme des habitants.»
vite, affirme Buu. C’est le présent, l’avenir qui
compte à nos yeux. » Il se joue désormais au rez-
de-chaussée du bâtiment, où ses enfants ont
créé un de ces restaurants coquets qui pros-
pèrent grâce aux visiteurs étrangers.
Le tourisme est devenu la principale activité
de Huê depuis le virage vers l’économie de
marché opéré par le Viêt Nam en 1986 et l’ouver-
ture consécutive du pays. À 55 ans, Le Thanh
Cong, chemise à carreaux, fines lunettes et capi-
talisme triomphant à la boutonnière, est un pur
produit de la politique du doi moi (« renouveau »).
Ouvrier d’une usine textile dans sa jeunesse,
il a connu les pénuries de l’économie dirigée,
qui conduisit le pays au bord de la ruine entre
1975 et 1986. Dès 1988, il créait une entreprise
publicitaire : six personnes et deux ordinateurs
dans la maison familiale.
« Quand j’étais au lycée, un professeur m’avait
dit que la pub était un métier d’avenir. J’ai vendu
mes bijoux en or et emprunté de l’argent à des
voisins, et je me suis lancé. J’étais le seul sur ce
créneau à Huê. Quand Pepsi et Coca sont arri-
vés, en 1989-1990, ils se sont adressés à moi. » La
suite relève de la success story exemplaire. Avec
200 employés et un chiffre d’affaires annuel de
1,2 million d’euros, la société Thanh Cong est le
leader de l’affichage publicitaire dans le pays.
Si Huê a son lot de nouveaux entrepreneurs,
elle n’a pourtant pas connu le décollage de
Hanoï ou de Hô Chi Minh-Ville. Elle se déve-
loppe, mais prend son temps. Fiers de leur passé
impérial, les habitants cultivent un quant-à-soi
orgueilleux, largement indifférents à la fréné-
sie économique qui prévaut ailleurs. « C’est sans
doute pour sortir Huê de son rôle de Belle au
bois dormant que les autorités ont instauré un
festival international », avance Dominique
Guglieri. Tous les deux ans depuis 2000, il réunit
des spectacles traditionnels d’une quarantaine
de pays. « La France en est le plus gros contri-
buteur en terme d’envoi d’artistes, précise
Nicole Lavergne, directrice de l’Institut français
de Huê. Avec ce genre d’événements, le comité
populaire de la province entend faire de la ville
la capitale culturelle du Viêt Nam. »
Dans la New Space Art Gallery, près de la
rivière des Parfums, Le Ngoc Thanh et Le Duc
Hai secouent aussi la torpeur locale. Cheveux
en chignon, piercings et avant-bras couverts de
tatouages, les jumeaux réalisent des perfor-
mances artistiques. Ils ont fédéré autour d’eux
un cercle d’artistes contemporains, en exposant
les œuvres de Vietnamiens et en ouvrant une
résidence pour les créateurs internationaux.
« Dans notre travail, la couleur rouge symbo-
lise le communisme », m’explique Thanh, en me
montrant l’un de ses courts-métrages, Along
the Sea. Dans cette errance poétique en bord de
mer, l’un des frères enveloppe l’autre d’un long
tissu rouge, jusqu’à lui donner l’aspect d’une
momie. « Des conservateurs de musée étrangers
ont dit que cela représentait le manque de liber-
tés dans notre pays. Bien sûr, cette interpré-
tation n’engage qu’eux », ajoute Thanh dans
un large sourire. Au Viêt Nam, chaque œuvre
d’art doit obtenir l’imprimatur d’un comité de
contrôle, qui bannit toute critique du régime.
À quelques encablures, le marché Dong Ba,
le ventre de Huê, bourdonne d’activité. Des
scooters chargés de caisses de poulets et des
porteuses de palanche y louvoient dans un
dédale d’étals remplis de fruits et de légumes,
de viandes et d’herbes aromatiques. Luon est
l’une de ces besogneuses figures.
Elle appartient à ces marges grises de l’éco-
nomie vietnamienne, où vivotent 12 millions de
travailleurs informels, les laissés-pour-compte
des projets de développement. Abritée du soleil
sous un chapeau conique, elle vend le maïs de
son lopin pour 100 000 dongs par jour, environ
4 euros. « Selon la saison, je (suite page 51)
Partir à la découverte de Huê
Quand partir ? Les mois de février à mai constituent
la meilleure période.
Sur place : l’agence de voyage Allibert Trekking
propose des circuits dans la citadelle, la ville et la
campagne avoisinante. Possibilité de croisière
sur la rivière des Parfums incluant l’hébergement sur
un bateau traditionnel avec Asiatica Travel.
www.allibert-trekking.com ; www.voyage.asiatica.com
v i ê t na m 45
DERNIÈRE DEMEURE Autour
de Huê, la campagne est parsemée
des mausolées somptuaires des
empereurs Nguyên. Le tombeau
de Khai Dinh est le plus excentrique.
Il accueille une statue en bronze
dorée du souverain.
ART CONTEMPORAIN Les frères Le,
les artistes contemporains les plus
célèbres de Huê, prennent la pose au
milieu des créations de la plasticienne
australienne Annabelle Collett.
Celle-ci séjourne pour quelques
mois dans la résidence pour artistes
étrangers qu’ils ont créée.
Cyclopousse sur le pont Trang Tien, qui relie la citadelle à la ville moderne. Groupe d’étudiants dans la

Le bain du soir dans un village de sampaniers, sur la rivière des Parfums. Un coiffeur coupe les cheveux

Des services de manucure, coiffure et massage bon marché se trouvent au coin de la rue. Une famille de retour du marché

pagode Tu Hieu, lors de la fête bouddhiste du Vesak.
de son premier client de la journée.
aux poissons de Vinh Diên.
(suite de la page 45) vends du maïs, du manioc
ou de la patate douce. Si les autorités ne me
prennent pas la terre, ajoute-t-elle d’emblée.
C’est arrivé à mes voisins. Leur parcelle a servi
à construire des logements, et ils n’ont pas été
indemnisés. » Les paysans bénéficient d’un droit
d’usage, mais pas d’un droit de propriété de
la terre, qui n’appartient qu’à l’État.
À la sortie du marché, une procession de
mariage passe. Silhouettes drapées de longues
tuniques de soie – rouges pour les femmes,
blanches pour les hommes –, défilant sous de
lourds parasols. Vision fugace d’un autre temps.
Les mariés disparaissent dans une berline,
le cortège s’égaye et des corps vêtus de jeans et
de tee-shirts se découvrent sous les tuniques
blanches. Comme pour tout événement majeur
de la vie, c’est un thay boi, un devin, qui a fixé
la date de la cérémonie. La clientèle de Cao Vinh
compte des Vietnamiens de tous âges, des
lycéens aux vieillards.
« Faire de la divination, c’est comme faire des
maths. Chaque date de naissance est associée à
certaines étoiles et à un élément : l’eau, le feu, le
fer, la terre ou le bois. À partir de leur combinai-
son, on peut deviner ce qui va arriver dans le
futur », assure ce septuagénaire voûté, au rire
facile. On s’en remet à lui pour déterminer le
jour propice à la construction d’une maison,
à l’ouverture d’un commerce, ou pour savoir
comment réussir un examen ou remporter plus
de votes. « Je ne compte plus les hommes poli-
tiques qui viennent me voir, pouffe-t-il. J’en ai
des maux de tête ! » Cao Vinh consulte aussi par
téléphone, sollicité par de nombreux émigrés
aux États-Unis, anxieux de connaître les bonnes
périodes pour faire des affaires.
Le culte des ancêtres témoigne lui aussi de
la vivacité des croyances millénaires. Dans
toutes les habitations, un autel lui est dévolu.
Il déborde parfois même dans les rues, où les
bâtons d’encens se consument jusque sur les
trottoirs et les troncs d’arbre. La fumée porte
les pensées des vivants vers les défunts, dont les
âmes sont censées survivre et protéger leurs
descendants. Ce lien par-delà la mort prolonge
la proximité des générations de leur vivant.
Sur l’esplanade de la porte Ngo Mon, l’entrée
v i ê t na m 51
« On ne s’intéresse pas à la politique. Au quotidien,

principale de la Cité impériale, Giang, 23 ans,

profite de la douceur de la soirée en sirotant
un jus de canne à sucre.
« Je veux avoir une certaine liberté, vivre seul
avec ma femme pendant cinq ans. Quand nous
aurons des enfants, mes parents s’installeront
avec nous pour s’en occuper. Et je pourrais
prendre soin d’eux. Je suis leur premier fils, c’est
à moi que cela incombe », explique-t-il, tiraillé
entre devoirs de la piété filiale et velléités
d’indépendance. Giang est un enfant du siècle,
de ce Viêt Nam qui s’engouffre sans complexe
dans la modernité sans pour autant abdiquer
ses valeurs ancestrales. Ni, officiellement, son
idéologie communiste.
17 h 30, au village de Thuy Bieu, dans la ban-
lieue de Huê. Les haut-parleurs qui jalonnent
les rues crachent les nouvelles du jour. Diffusés
partout dans le pays à 5 h 30, 11 h et 17 h 30, les
bulletins se suivent et se ressemblent, qui
exaltent les réussites du Parti, entre deux chan-
sons pop. Les mantras de la propagande n’abu-
sent pourtant plus les jeunes générations.
« Quand j’étais enfant, on se réunissait sous
les appareils pour écouter les nouvelles.
Maintenant, tout le monde a une télévision, ça
n’a plus aucun sens », ironise un entrepreneur
trentenaire. « On ne s’intéresse pas à la poli-
tique. Au quotidien, on se préoccupe surtout de
faire de l’argent », ajoute un autre représentant
de cette jeunesse fourbue par des années de
parti unique, qui préfère l’indifférence à la
contestation. « Les jeunes Vietnamiens ont réagi
au Printemps arabe en se disant qu’ils avaient
de la chance de vivre dans un pays en paix, com-
mente un observateur étranger qui souhaite
garder l’anonymat. Ils ont grandi dans un cadre
de pensée où l’on n’affronte pas l’autorité, mais
où on la contourne. La population louvoie telle-
ment que le besoin de s’insurger n’est pas fort. »
Des petits arrangements effectivement
omniprésents, depuis les bakchichs, versés à
tous les niveaux, jusqu’aux cafés, en plein essor,
dont la décoration sert de paravent à l’expo-
sition d’œuvres d’art hors du contrôle de la
censure. Au Viêt Nam, les transgressions se font
avec une douceur de soie. j

52 nat iona l g e o gr a ph ic • aoû t 2 015

on se préoccupe surtout de faire de l’argent. »

PARTIE DE PÊCHE Au petit matin, une famille part à la pêche

à l’embouchure de la rivière des Parfums, au bord de la ville de
Vinh Diên, à 50 km au sud de Huê. L’endroit est célèbre pour
son marché aux poissons nocturne.
+ de photos À la découverte d

La photographe Maika Elan a pro

dans les rues de Huê et au bord d
En quête de l’âme de l’ancienne c
de Huê

PHOTOS : Maika ELan

omené son objectif

de la rivière des Parfums.
capitale impériale.
Par Marie-Amélie Carpio-Bernardeau. Infographies : Antoine Levesque

UN DRAGON ASIATIQUE ? STAKHANOVISTES DU RIZ

Le delta du Mékong permet aujourd’hui jusqu’à trois récoltes
Le pays a connu une croissance annuelle
de riz par an, grâce à l’amélioration des systèmes d’irrigation,
moyenne de 7 % entre 1986 et 2012.
Le taux de pauvreté a chuté
à l’usage de nouvelles variétés de riz, et à celui d’engrais et
de pesticides. Le VIÊT NAM est le troisième exportateur de riz
de 65 % entre 2005 et 2012. du monde, après l’INDE et la THAÏLANDE.

Le Viêt Nam,
faits et chiffres
•Superfi cie : 331 210 km , soit 60 %
de la France métropolitaine
2

• Population : 93 421 835 habitants

• Population urbaine : 33 % de la population

•1Revenu national brut par habitant :

740 dollars par an (en 2013)

• Taux de chômage : 3,1 % GÉNIES

TUTÉLAIRES
LE POIDS DE LA DIASPORA Après leur mort, les guerriers
Les Viet kieu, ou Vietnamiens résidant à vietnamiens qui ont marqué
l’étranger, sont près de 4 millions. Ils vivent l’histoire accèdent souvent au
rang de génies tutélaires, des
surtout aux États-Unis (2,2 millions), en France
divinités bienfaisantes ayant le
et en Australie (300 000 chacune). En 2013, ils
pouvoir de repousser les mauvais
ont envoyé 11 milliards de dollars de devises, esprits. Décédé en 2013, le
contribuant à 8 % du PIB du Viêt Nam. général Giáp, grande figure de
Cette diaspora est issue en majorité la lutte contre les Français puis
des exils et des expulsions qui ont suivi contre les Américains, est en
la victoire des communistes, en 1975. passe de rejoindre le panthéon.
SOURCES : FAO ; LE VIÊT NAM, IDÉES REÇUES, DE HIÊN DO BENOIT, ÉD. LE CAVALIER BLEU ; VIETNAM, L’ÉPHÉMÈRE ET L’INSUBMERSIBLE, DE JEAN-CLAUDE POMONTI,
ÉD. NEVICATA ; UNICEF ; WWW.DPAA.MIL ; AMBASSADE DE LA RÉPUBLIQUE SOCIALISTE DU VIETNAM EN FRANCE ; LA NOUVELLE GAZETTE FRANÇAISE ; BANQUE
MONDIALE, 4° BAISSONS LA CHALEUR, RAPPORT DE JUIN 2013 ; LE COURRIER DU VIETNAM ; CIA, THE WORLD FACTBOOK.
« Cent femmes ne valent pas un garçon »
Cet ancien dicton disait la force des discriminations contre les femmes. Depuis 1946, leur égalité avec
les hommes est inscrite dans la Constitution. Mais les préjugés demeurent. Le pays compte désormais
120 garçons pour 100 filles, selon le ministère vietnamien de la Santé. Ce ratio atteint 150 pour 100
dans certaines régions du Nord. Des chiffres qui témoignent de l’importance des avortements sélectifs.

UN TOIT, TROIS MIA (MISSING IN ACTION )

GÉNÉRATIONS
La cohabitation des générations
sous le même toit reste la règle,
s’occuper de ses parents
relevant d’un devoir encore
1627
vivement ressenti chez les
jeunes. Mais elle tient aussi à
des motifs plus prosaïques : la
quasi absence de maisons de
retraite et un immobilier hors
de prix, jusqu’à 6 500 euros/m2
dans la capitale, Hanoï.
S O U S L E S E AU X
Le Viêt Nam est l’un des cinq
pays du monde les plus menacés
par le réchauffement climatique.
Le niveau de la mer pourrait
monter de 30 cm d’ici à 2040 et
de 1 m d’ici à 2100.
soldats américains
restent portés
disparus au Viêt Nam.
Depuis le début des années 1990, un programme
de coopération entre Washington et Hanoï œuvre à retrouver
les corps. La localisation des dépouilles des combattants
vietnamiens repose, elle, sur le travail des médiums du pays,
et en particulier sur ceux du Vien Nghien Cuu Con Nguoi,
un institut de sciences humaines financé par l’État.
« FLASH MOB » PATRIOTIQUE
Les îles Paracel et les îles Spratly, plate-forme pétrolière chinoise
dans la mer de Chine méridionale, près des îles Paracel a mis le feu
empoisonnent les relations entre aux poudres au Viêt Nam. Le gou-
Beijing (Pékin) et Hanoï, qui se vernement a fait envoyer des SMS
disputent leur souveraineté. à toute la population, l’appelant
En mai 2014, l’installation d’une à manifester contre la Chine.
HÉRITAGE EMPOISONNÉ
Quarante ans après la guerre du Viêt Nam, l’agent orange,
massivement répandu par l’armée américaine sur le maquis
communiste, fait encore des victimes. Dans la région de
Da Nang, l’une des plus touchées, 1 400 enfants souffrent
aujourd’hui d’un handicap physique et/ou mental lié à cet
herbicide hautement toxique.
reportage

Les barrages
vont-ils tuer le
MÉKONG ?
Le fleuve – qui traverse six pays, de la Chine au Viêt Nam –
voit se multiplier les chantiers hydroélectriques. La région
a une énorme soif d’énergie. Mais que va-t-il advenir du
poisson, des rizières… et des habitants ?
56
Laos
Un pêcheur s’apprête à jeter ses
filets dans un coin des chutes de
Khone, la cascade qui a le plus gros
débit en Asie. Une partie du Mékong
sera détournée au profit du barrage
hydroélectrique de Don Sahong.
Chine
Le chantier du barrage de Miaowei,
en 2012. L’ouvrage sera achevé
en 2016. Il constituera le huitième
barrage sur le fleuve Lancang
– le nom donné par la Chine à sa
portion de 2 100 km du Mékong.
PANORAMA COMPOSÉ DE DEUX IMAGES
Thaïlande
La soif d’électricité en Thaïlande
favorise l’édification de barrages sur
le Mékong inférieur, au Laos et au
Cambodge. À Bangkok, le complexe
CentralWorld (à droite) abrite 500 bou­
tiques, un hôtel et une patinoire.
 Par Michelle Nijhuis

I
Photographies de David Guttenfelder

l a beau vivre dans le nord de la Thaïlande, Pumee Boontom

regarde la météo à la télé chinoise. Quand une tempête frappe
le sud de la Chine, les barrages en amont lâchent beaucoup d’eau,
inondant souvent son village. En théorie, le gou-
vernement chinois doit alerter les pays en aval.
En pratique, selon Boontom, la mise en garde
arrive souvent trop tard – si elle arrive.
« Avant les barrages, dit-il, l’eau montait et
descendait peu à peu, au rythme des saisons.
À présent, elle monte et descend brutalement,
et nous ne savons pas quand ça va arriver,
à moins de surveiller les tempêtes. »
Boontom est le chef de Ban Pak Ing, un épar-
pillement de maisons en parpaings et de rues
non bitumées entre la rive abrupte du Mékong
et un temple bouddhiste. Il y a vingt ans, comme
nombre de ses voisins, Boontom pêchait pour
vivre. Puis, la Chine a construit un barrage, un
deuxième, et bientôt sept. Les quelques cen-
taines d’habitants de Ban Pak Ing ont vu le
Mékong changer. Les brusques fluctuations du
niveau de l’eau affectent la migration et la repro-
duction des poissons. Bien que le village ait pro-
tégé les frayères locales, il n’y a plus assez de
poisson pour tout le monde.
Ces dernières années, Boontom et beaucoup
d’autres ici ont vendu leur bateau de pêche pour
cultiver du maïs, du tabac et des haricots. Une
activité risquée, et pas celle qu’ils connaissent
le mieux. Les fréquentes inondations com-
pliquent encore les choses. En 2008, des mai-
sons ont été inondées jusqu’au premier étage.
Ban Pak Ing augure peut-être du futur. Cinq
autres barrages sont en construction en Chine.
En aval, au Laos et au Cambodge, onze grands
barrages (dont le premier sur le cours principal
du Mékong inférieur) sont en chantier ou en
projet. En perturbant la migration et la repro-
duction des poissons, ces ouvrages pourraient
menacer l’approvisionnement alimentaire de
60 millions d’habitants. Les barrages sur le
Mékong inférieur produiront une électricité
surtout destinée aux villes en plein essor de la
Thaïlande et du Viêt Nam. Ancien sénateur thaï-
landais, Kraisak Choonhavan les qualifie de
« désastre aux proportions effarantes ».
Un barrage prévu au Laos se situe à seulement
60 km en aval de Ban Pak Ing. Le village serait
alors pris en étau entre des inondations prove-
nant du nord et un réservoir en augmentation
de volume au sud. « Fermez les yeux et imagi-
nez, dit Boontom. Imaginez ce qui va nous arri-
ver. » Il claque ses mains l’une contre l’autre.
Le Mékong naît sur le plateau du Tibet. Le
plus long fleuve d’Asie du Sud-Est traverse
sur 4 200 km la Chine, le Myanmar, la Thaïlande,
le Laos, le Cambodge et le Viêt Nam. Il se jette
dans la mer de Chine méridionale. Vital pour
ses riverains, il offre la pêche en eaux intérieures
la plus fructueuse du monde. Les Cambodgiens
et les Laotiens capturent plus de poisson d’eau
douce par habitant que n’importe qui. Dans bien
des endroits le long du fleuve, « poisson » (on en
dénombre 500 espèces dans le fleuve) et « nour-
riture » sont des termes synonymes.
Au xixe siècle, les gorges étroites et les cas-
cades rugissantes du Mékong firent obstacle aux
explorateurs européens en quête d’une route
commerciale entre la mer de Chine méridionale
et la Chine occidentale. Mais elles font rêver

62 nat ional g eo graphic • aoû t 2015

 Thaïlande À Bangkok, à des centaines de kilomètres du Mékong, la nuit devient un temps
de loisirs où la lumière est reine, comme devant l’Asiatique, un nouveau centre commercial.
depuis longtemps les bâtisseurs de barrages. Les
États-Unis envisagèrent des ouvrages dès les
années 1960 sur le Mékong inférieur, en espé-
rant que le développement économique jugu-
lerait la montée du communisme au Viêt Nam.
Dans les années 1990, la Chine fut la première
à endiguer le cours principal du fleuve.
L’Asie du Sud-Est est aujourd’hui plutôt
paisible, et l’économie de la plupart des pays se
porte bien. Mais seuls un Cambodgien et deux
Laotiens sur trois ont accès à l’électricité, et à
un prix souvent terriblement élevé. Croissances
économique et démographique aidant, la
demande régionale en électricité devrait gon-
fler de 80 % lors des vingt prochaines années,
selon une étude réalisée en 2013 par l’Agence
internationale de l’énergie. Avec le réchauffe-
ment climatique, qui implique des sources
d’énergie non carbonées, le potentiel hydro-
électrique du Mékong est d’autant plus tentant.
La Commission du Mékong (ou MRC, pour
Mekong River Commission) est censée super-
viser la construction de barrages sur le fleuve.
Elle est financée par des agences internationales
de développement et par ses quatre membres
(Viêt Nam, Cambodge, Thaïlande, Laos). Ceux-ci
ne sont pas liés par un traité juridiquement
contraignant, mais par leur intérêt commun
pour le cours d’eau et la paix dans la région.
N’étant pas membre à part entière de la com-
mission, la Chine n’a aucune obligation expli-
cite de consulter ses voisins en aval quant à ses
activités sur le Mékong supérieur. C’est ainsi
qu’un jour de 1995 où les représentants des pays
de la MRC devaient célébrer la signature d’un
accord par une promenade sur le Mékong, leurs
bateaux durent rester à quai : le niveau du fleuve
était trop bas, car la Chine remplissait un nou-
veau barrage, en amont. (suite page 69)
les auteurs de ce reportage
Michelle Nijhuis, spécialiste des questions climatiques et
de conservation, collabore régulièrement au NGM et au
New Yorker. Célèbre pour ses reportages en Corée du Nord,
le photographe David Guttenfelder a été distingué sept
fois par le World Press Photo.
mékong 63
 Le Mékong prend sa
source sur le plateau
du Tibet. Il parcourt
environ 4 200 km à
travers six pays. Son
delta, au Viêt Nam,
se jette dans la mer Barrage de Wunonglong Le gouvernement
de Chine méridionale. communiste laotien
espère que l’hydro-
électricité fera du
Laos « la batterie de
t
be Barrage de Miaowei l’Asie du Sud-Est ».
Ti Barrage de Gongguoqiao
du 1
u
ea Baoshan
l at
P NE

Lan c a
I
CH
TAN

ng
U (M
B HO éko
2 ng
)

PAL OS
N E Le Mékong ne coule au LA
Myanmar (ex-Birmanie)
H que sur 190 km environ.
D ES
G LA M A R)
B AN A ANN IE Ban Khok Yai
Ban
3
Dacca M BYI R M Pak Ing
(
Vientiane

BASSIN
Kolkata
(Calcutta) HYDROGRAPHIQUE
Nay Pyi Taw DU MÉKONG
DE
IN 90°N

20°
N
N DE
LA
A I
AS I E Yangon
TH
(Rangoun)
BASSIN
DU MÉKONG OCÉAN
OCÉAN
PACIFIQUE

ÉQUATEUR Bangkok
r
OCÉAN Me an
INDIEN d am
n
AUSTRALIE d ’A
N
15°

RYAN MORRIS, ÉQUIPE DU NGM

Barrages sur le Mékong
SOURCES : WORLDFISH CENTER ; INTERNATIONAL RIVERS ; Existant
COMMISSION DU MÉKONG ; INSTITUT DE BOTANIQUE DE
KUNMING, ACADÉMIE CHINOISE DES SCIENCES En chantier
NOTE : LE BARRAGE CHINOIS DE BAITA (EN PROJET)
NE FIGURE PAS SUR LA CARTE. En projet
 N
WA
TA I

23 000 grands barrages se trouvent

0°E
en Chine, soit 40 % du total mondial. 12
Le pays est aussi un constructeur
et un bailleur de fonds important pour
°N
les barrages à l’étranger, notamment Hongkong 20
sur le Mékong inférieur.

I NE
CH

NA
M
Plus de trente
barrages en projet
T
IE N
I NA
V Hanoï
HA
fe
ol
G 60 millions de personnes vivent du poisson du Mékong
du
in et du riz de son delta. Mais la Chine a édifié sept grands
o nk
T barrages en deux décennies ; vingt et un autres sont en
chantier ou en projet. À cette « cascade de barrages »,
comme on l’appelle, s’ajoutent onze ouvrages envisagés
au Laos et au Cambodge. Un fossé est ainsi en train
de se creuser : d’un côté, les besoins en électricité de
la région ; de l’autre, ses besoins alimentaires, comme
M les moyens d’existence des pêcheurs et des agriculteurs,
ék o
ng tributaires de la libre circulation des eaux du fleuve.

1. Le plus grand édifice de

la « cascade », le barrage
n) de Xiaowan, en Chine, est
sa
entré en service en 2010.
(Se

2. Le barrage de Nuozhadu
San

Chutes de Khone
a démarré sa production
4 d’hydroélectricité en 2012.
E 5
G 3. Le Laos construit le barrage de
OD 6 Xayaburi malgré les objections
MB M du Cambodge et du Viêt Nam,
CA Tonlé
Sap NA inquiets pour la sécurité alimen-
taire et l’écologie du Mékong.
ET
VI 4. Le barrage de Don Sahong
Hô Chi Minh-Ville bloquera bientôt l’unique route
Phnom Penh migratoire entre le Cambodge
et le Laos que les poissons
ale

peuvent suivre toute l’année.

DELTA DU 5. Le Lower Sesan 2, sur un
on

Can Tho MÉKONG affluent du Mékong, coupera un

autre itinéraire-clé de migration.
di

6. Prévu pour produire jusqu’à

ri

2 600 MW, le barrage de

é

L’ÉCHELLE VARIE DANS CETTE PERSPECTIVE.

Sambor provoquerait le dépla-
m

LA LONGUEUR DU BASSIN DU MÉKONG

EST D’ENVIRON 2 900 KM ; SA SUPERFICIE
EST D’ENVIRON 795 000 KM2.
cement de 19 000 personnes.
e
n

i
h
C
e
d
er
M
Chine
Sixième plus haut barrage du monde
avec ses 292 m, Xiaowan alimente surtout
en électricité les villes et l’industrie de
la côte méridionale de la Chine. Achevé
en 2010, l’ouvrage a entraîné le déplace-
ment de plus de 38 000 personnes.
Chine Les nouveaux barrages inondent villes, fermes et routes. Ci-dessus : des chèvres empruntent
une route surélevée, créée le long du réservoir du barrage de Gongguoqiao. Près de celui de Wunonglong,
des ouvriers bâtissent des logements neufs au-dessus du fleuve pour les familles ayant perdu leur maison.
(suite de la page 63) Les onze barrages sur le
cours principal envisagés plus récemment au
Laos et au Cambodge ont affaibli le pouvoir déjà
fragile de la MRC. En 2010, une évaluation envi-
ronnementale qu’elle avait commandée appe-
lait à un moratoire de dix ans sur l’édification de
barrages sur le cours principal. Le rapport citait
de potentiels effets dévastateurs pour les res-
sources alimentaires de la région et de probables
« dommages écologiques irréversibles ».
Pays pauvre et longtemps isolé, le Laos sou-
haite désormais attirer les investissements
étrangers. Il se rêve en « batterie de l’Asie du
Sud-Est », vendant de l’hydroélectricité à la
Thaïlande et à d’autres voisins. L’opposition de
la MRC comme du Viêt Nam, allié traditionnel
du Laos, n’y change rien. À la fin de 2012, après
des années de dénégation, les autorités du pays
ont admis qu’un barrage était en chantier à
Xayaburi, dans le Nord, sur un bras isolé du
Mékong. Un projet financé par la Thaïlande.
Une fois achevé (peut-être dès cette année),
le barrage de Xayaburi sera haut de 32 m sur
plus de 800 m de long. Je me suis rendu sur
place en 2013. Les rives en amont étaient déjà
émaillées de carrières de sable et de gravier pour
la construction du barrage et de routes. Sur le
site, des grues se balançaient au-dessus du
fleuve, et de petits groupes d’ouvriers portant
des casques changeaient les berges escarpées
en terrasses planes à coups d’explosifs.
Dans un petit village, juste de l’autre côté du
fleuve, les habitants m’ont raconté que les dyna-
mitages duraient depuis trois ans. Ils s’apprê-
taient à partir dans un village bâti depuis peu
en amont ; certains d’entre eux paraissaient
optimistes. Ils avaient hâte d’emménager dans
des maisons neuves et d’échapper à l’ombre
grandissante du barrage. Beaucoup espéraient
pouvoir continuer à pêcher.
Un autre village s’étendait juste en aval du
site. Ses habitants ont été relogés en 2013 dans
un chapelet de maisons neuves en bois et en
béton, à bonne distance de la gorge du fleuve.
Là, l’optimisme n’était guère de mise. Selon les
villageois, la terre et l’argent promis par la
société du barrage à titre de compensation pour
leur départ étaient insuffisants et se faisaient
attendre. Nombre d’entre eux ressentaient les
effets jusqu’alors inconnus de l’économie de
marché. « Dans l’ancien village, on ne gagnait
pas beaucoup, mais on pouvait manger le riz
qu’on faisait pousser, disait une jeune femme
avec deux enfants. Ici, on peut gagner de l’argent
tous les jours, mais, tous les jours, on doit dépen-
ser plus qu’on ne gagne. »
Le plus gros impact du Xayaburi réside peut-
être dans l’exemple qu’il a donné. En ignorant
les recommandations du rapport de la MRC, le
Laos a préparé le terrain pour toute une série
de barrages en projet, dont certains font peser
une menace bien plus grave sur le Mékong.
Le cœur de la pêche dans le Mékong se situe
au Cambodge, où l’immense lac Tonlé Sap est
relié au cours principal du fleuve tels les pou-
mons à la trachée. Le Tonlé Sap gonfle à la saison
humide et se réduit à la saison sèche. À son plus
haut, on n’en voit pas les berges depuis le milieu.
Au Laos, le barrage de
Don Sahong affectera
sans doute la migration
d’une centaine d’espèces
de poissons.
L’eau boueuse et les courants changeants
du Tonlé Sap constituent une usine à poissons
naturelle. Ils nourrissent de nombreux cypri-
nidés de la longueur d’un doigt comme des
poissons-chats géants de 290 kg. Cette abon-
dance subvient aux besoins des villages flottants
amarrés le long des rives du lac.
Plus d’une centaine d’espèces de poissons du
Tonlé Sap migrent loin en amont, parfois
jusqu’au Laos. Le barrage de Xayaburi, à envi-
ron 900 km en amont, est sans doute trop éloi-
gné pour les affecter de façon significative. Mais
d’autres projets sont bien plus proches.
Juste au nord de la frontière entre le Laos et
le Cambodge, un autre barrage sur le cours prin-
cipal, le Don Sahong, sera bientôt en chantier.
Bien qu’obstruant un seul des bras du fleuve, il
affectera sans doute la migration des poissons,
ainsi que l’habitat de l’orcelle – ce dauphin dont
le Mékong n’abrite même plus cent individus.
Un danger encore plus grand se dessine dans
le nord même du Cambodge, sur un affluent du
Mékong, le Tonlé San – appelé (suite page 73)
mékong 69
Laos
À Ban Khok Yai, le long du Mékong,
trois générations partagent un dîner
à la chandelle. Comme 30 % des
Laotiens, ils n’ont pas l’électricité.
Une fois le barrage voisin de Xayaburi
achevé, leur village sera sous les eaux.
Laos Un fils de pêcheur sommeille au-dessus du dispositif de son père, qui piège le poisson lors de sa
migration vers l’amont. Le barrage de Don Sahong s’élèvera bientôt non loin de là, coupant la route migratoire.
À plus de 700 km au nord, un bateau orné de fleurs artificielles se dirige vers le barrage de Xayaburi.
(suite de la page 69) également le Sesan. Celui-ci
prend sa source au Viêt Nam et rencontre le
Mékong à environ 50 km en aval du Don Sahong.
On sait qu’il s’agit d’une voie de migration-clé
pour des dizaines d’espèces de poissons, dont
beaucoup nourrissent la population locale. Or
le barrage Lower Sesan 2, en cours de construc-
tion à 24 km à l’est du point de confluence, rom-
prait le lien entre le Tonlé San et le Mékong.
Juste en amont du site du barrage, on n’accède
au village de Vern Houy que par bateau. Presque
tous ses habitants ont grandi là. J’interroge un
groupe de femmes : que signifie le barrage pour
elles ? « Nous mourrons », répondent-elles. Je
demande à mon traducteur s’il faut entendre
ces paroles au sens littéral. « Il s’agit d’une
crainte réelle, dit-il. Elles pensent vraiment
qu’elles vont mourir. » Leur vie actuelle est la
seule qu’elles connaissent ; elles ne sauraient en
imaginer d’autre. Le réservoir inondera sans
cesse le village, le rendant quasi inhabitable.
Des hommes prennent leur repas dans la
maison du chef du village, une pièce unique bâtie
sur pilotis et fermée par des paillassons. Le chef
adjoint, In Pong, explique qu’avec le soutien
d’une association locale, les habitants de Vern
Houy et de villages voisins se sont unis pour pro-
tester contre la construction du barrage. Ils ont
envoyé des lettres au Parlement cambodgien et
ont fait le voyage jusqu’à la capitale pour plai-
der leur cause – sans résultat pour l’heure. « Je
n’irai nulle part, et surtout pas en ville, ajoute
Pong. Je ne sais vraiment pas quoi faire. »
Loek Soleang, un enseignant et l’un des seuls
habitants qui n’est pas né au village, contredit
alors Pong : « Je ne suis pas inquiet. Nous pou-
vons utiliser l’électricité. Nous avons besoin de
nous développer. S’ils inondent ici, nous irons
tout simplement sur des terres plus haut. »
Les hommes autour de lui gardent le silence,
fixant leurs genoux. Pong souffle la fumée de
sa cigarette d’un air songeur.
Une chose est certaine : les habitants du
bassin du Mékong ont besoin de davantage
d’électricité. Vern Houy n’en a pas du tout. Dans
le village d’O Svay, en aval du Don Sahong, il y a
celle de générateurs Diesel sales et bruyants.
Seules les familles les plus aisées peuvent s’en
offrir. Tout comme, dans une grande partie de
l’Asie du Sud-Est rurale, seuls les enfants privi-
légiés peuvent finir leurs devoirs à la lumière
d’une lampe ou dormir avec un ventilateur
durant l’été. Les autorités du Cambodge et du
Laos affirment que les barrages profiteront aux
populations pauvres de leur pays en rendant
l’électricité moins coûteuse et plus accessible.
Les responsables cambodgiens s’opposent à
des barrages en amont sur le cours principal du
Mékong, au Laos. Mais ils font l’éloge du Lower
Sesan 2 et d’autres projets de barrage sur des
affluents. « Il y a plus de possibilités de gagner
sa vie avec de l’électricité qu’avec la pêche,
assure Touch Seang Tana, président d’un comité
cambodgien pour la protection du dauphin du
Mékong et le développement économique.
Les barrages sont un moyen pour les gens de
dépasser le stade de la survie. »
« Il y a plus de possibilités
de gagner sa vie avec
de l’électricité qu’avec
la pêche », assure un
responsable cambodgien.
Les barrages prévus au Cambodge et au Laos
produiraient bien plus d’électricité que n’exige
la demande intérieure. Mais ils ne rendraient
pas pour autant l’électricité disponible pour
tous dans ces pays. 90 % de l’énergie produite
par les barrages sur le cours principal seraient
vendus à la Thaïlande et au Viêt Nam. La plus
grande partie des bénéfices irait aux sociétés
concessionnaires, et non aux pauvres vivant le
long du fleuve. Au bout du compte, selon le rap-
port de 2010 commandé par la MRC, les pertes
pour la pêche provoquées par ces projets ne
feraient qu’aggraver la pauvreté.
Des responsables arguent que l’aquaculture
et la riziculture pourraient compenser toute
diminution des ressources alimentaires. Les
spécialistes de la pêche ne sont pas d’accord :
les barrages du cours principal auraient sur
cette activité des effets cumulés, inéluctables et
dévastateurs. Dans d’autres rivières de la région,
les prises ont dégringolé de 30 % à 90 % après
la création de barrages. Certes, l’aquaculture se
pratique déjà couramment sur le Mékong : dans
de nombreuses maisons flottantes, une trappe
ouvre sur un enclos d’élevage. (suite page 77)
mékong 73
Cambodge
Riche en nutriments, le lac Tonlé Sap
fournit de grandes quantités de
poissons à la saison sèche, quand
ses eaux se retirent vers le Mékong.
Les barrages pourraient perturber
le cycle d’inondation saisonnière sur
lequel repose la pêche.
Cambodge Des enfants remontent chez eux, sur le bord du Tonlé Sap. Les maisons sont bâties sur
pilotis pour s’adapter aux fluctuations saisonnières du lac. Ci-dessous : un commerçant recharge avec
un générateur les batteries de voiture dont se servent les habitants de son village flottant pour s’éclairer.
(suite de la page 73) Mais les poissons qu’il ren-
ferme sont nourris avec d’autres plus petits tirés
du Mékong, qu’il reviendrait bien trop cher de
remplacer par des aliments industriels. Projetés
dans l’économie de marché, beaucoup de ceux
qui vivent de la pêche et de l’aquaculture à petite
échelle ne disposeraient ni du capital ni des
connaissances requises pour s’en sortir.
Le fleuve n’est pas la seule source d’énergie
émettant peu de carbone dans la région. Les
onze barrages prévus sur le cours principal du
Mékong inférieur devraient couvrir 6 à 8 % de
la demande en électricité de l’Asie du Sud-Est
en 2025. Des analyses montrent que des inves-
tissements et la prise de mesures efficaces dans
le solaire et d’autres technologies plus propres
pourraient fournir autant – voire plus – d’éner-
gie pour moins cher.
De telles solutions n’en sont toutefois qu’à
leurs balbutiements en Asie du Sud-Est. Pour
les autorités du Cambodge et du Laos, l’hydro-
électricité est plus familière, plus accessible et
plus rentable comme produit d’exportation.
Est-il possible d’exploiter la puissance du
Mékong tout en préservant sa prodigalité ? Une
étude réalisée en 2012 par Guy Ziv, écologue à
Princeton, et ses collègues a passé en revue
vingt-sept barrages en projet sur les affluents
du fleuve. Elle a comparé la puissance prévue
pour chacun d’entre eux et les dommages pro-
bables aux activités de pêche. Conclusion : les
coûts écologiques des divers ouvrages sont très
différents. Le Lower Sesan 2 est le pire, et de
loin : à lui seul, il réduirait la biomasse de pois-
sons dans le bassin inférieur de plus de 9 %.
À l’inverse, quelques barrages bien placés ail-
leurs dans le bassin versant pourraient fournir
beaucoup d’énergie avec peu de conséquences
sur l’approvisionnement alimentaire.
Une telle planification exigerait une action
coordonnée des pays du Mékong et de leurs
investisseurs. Or la coordination est justement
ce qui manque. « Pour tirer le meilleur parti de
la ressource en eau, on doit travailler à l’échelle
du bassin, souligne Brian Richter, spécialiste de
l’eau à l’ONG Nature Conservancy. En un sens,
il faut voir le Mékong comme un plateau de jeu,
où l’on peut décider de placer un barrage ici, mais
pas là et, ce faisant, maintenir le fonctionne-
ment écologique de tout le bassin fluvial. Ce qui
est extrêmement difficile sur le Mékong. »
À plus de 1 600 km en aval des barrages de la
Chine, le delta du Mékong forme un réseau
en apparence interminable de marais, bras,
canaux et polders jusqu’à la mer de Chine méri-
dionale. Le delta a longtemps été un bourbier
au sens propre comme au figuré, notamment
pour les troupes vietnamiennes, françaises et
américaines qui y ont lutté et péri.
Au Viêt Nam, près du centre du delta, dans la
ville de Can Tho, le biologiste spécialiste des
zones humides Nguyen Huu Thien regarde le
fleuve. Il désigne les essaims de motos qui
passent, la plupart montées par des jeunes.
« Que savent-ils des barrages ?, s’interroge-t-il.
Très, très peu d’entre eux ont la moindre idée
de ce qui va arriver. »
Aménagé par des siècles
d’efforts humains,
le delta du Mékong
au Viêt Nam est
aujourd’hui menacé.
Nguyen a grandi dans les années 1970 et,
comme bien d’autres enfants, il allait nager dans
les canaux et les champs inondés du delta, attra-
pant du poisson à la main. Au contraire de ses
frères et sœurs plus âgés, dont la scolarité a été
hachée par la guerre, Nguyen a pu suivre des
études et étudier la biologie de la conservation
à l’université du Wisconsin. « J’ai appris la théo-
rie dans le Wisconsin, mais le delta du Mékong
est unique, explique-t-il. J’ai dû apprendre à
le comprendre sur place. »
Le delta offre un mélange d’eau salée et d’eau
douce. Des siècles d’efforts humains pour le
gérer ont abouti à un espace aménagé complexe,
trop souvent considéré comme distinct du reste
du Mékong. En 2009, Nguyen y travaillait sur la
restauration des zones humides. On lui a alors
proposé de participer à l’évaluation des barrages
prévus sur le cours principal au Laos et au
Cambodge commandée par la MRC. Nguyen a
vite réalisé que ces ouvrages condamneraient
tout ce qu’il pourrait accomplir dans le delta.
L’équilibre du delta entre eau douce et eau de
mer est déjà en train de changer. Les récentes
sécheresses ont affaibli le débit (suite page 81)
mékong 77
Viêt Nam
Dans le delta du Mékong, un tracteur
menace de déverser son chargement
de riz. Le delta chaud et humide,
fertilisé par les sédiments du fleuve,
a permis au Viêt Nam de devenir un
important exportateur de riz.
Viêt Nam L’un des nombreux marchés flottants du delta du Mékong propose les fruits des sols fertiles
de la région — dont des pastèques. Ci-dessous : un bateau chargé de riz navigue lentement sur l’un des canaux
du delta. Les barrages retiendront les sédiments de l’amont, menaçant les récoltes.
(suite de la page 77) du fleuve et permis à l’eau
de mer de pénétrer plus en amont. Résultat, de
graves problèmes pour les agriculteurs. Les bar-
rages en amont changeraient plus de la moitié
du Mékong inférieur en une suite de réservoirs,
modifiant son débit du tout au tout.
Ces ouvrages retiendraient aussi une grande
partie des sédiments riches en nutriments.
Or ceux-ci fertilisent les champs du delta et
engraissent les poissons dans tout le réseau
hydrographique du Mékong, qui s’étend au-delà
du fleuve lui-même. En mer de Chine méri-
dionale, les bateaux peuvent pêcher plus de
500 000 t par an dans le panache du Mékong.
Nguyen constate les limites de l’ingéniosité
humaine dans le delta. Les canaux et les polders
ont stimulé la production de riz mais, au bout
du compte, ils ne résistent pas aux attaques de
la mer. De même, l’ingénierie ne suffira pas à
réparer les dégâts causés par les barrages.
« À mesure que le climat change, ce que Dieu
fait résiste mieux que ce que nous faisons. La
logique de la nature prévaut toujours. »
Nguyen travaille à d’autres évaluations de
barrages. Il ne s’attend pas à ce qu’elles aient
plus d’effet que les précédentes. Parfois, il parle
des barrages à ses frères aînés, qui tous sont
revenus travailler la terre familiale. Ces der-
niers se contentent de hausser les épaules. « On
n’y peut rien », disent-ils. Nguyen partage le
même sentiment, ces derniers temps : « Nous
devons attendre et voir. Attendre et voir à quoi
ressemblera l’avenir. »
Fin janvier 2013, des militants locaux étaient
réunis par dizaines près du bord du Mékong,
à Ban Huay Luek, village du nord de la Thaïlande.
En cette soirée glaciale, nombre de participants
étaient emmitouflés dans des couvertures, à
côté de feux de camp improvisés. Ils venaient
d’effectuer une marche de 124 km le long du
fleuve pour attirer l’attention du public sur les
projets de barrages en aval. Menés par des
moines bouddhistes et rejoints par une équipe
tournante d’agriculteurs, de politiciens locaux
et de randonneurs étrangers, beaucoup de ces
manifestants avaient passé près de deux
semaines sur les routes, campant dans les cours
des écoles et des temples.
« Nous avons fait tout ce qui était possible et
imaginable, expliquait l’organisateur, Somkiat
Khuenchiangsa, un professeur de lycée. Nous
avons mené des recherches sur ces barrages,
nous avons envoyé des lettres, nous avons mani-
festé, protesté encore et encore. »
Cette nuit-là, les manifestants reposaient
leurs pieds en sang tandis que des membres du
Parlement prononçaient des discours. Ils ont
fait silence quand le militant progressiste
Kraisak Choonhavan est monté à la tribune de
fortune. Au contraire de ses voisins, la Thaïlande
possède une tradition de mouvements popu-
laires et d’actions de protestation.
Choonhavan a rappelé que, des années plus
tôt, quand le gouvernement chinois avait fait
sauter des rapides afin d’assurer la navigabilité
d’une section du Mékong, les manifestants dans
le nord de la Thaïlande les avaient empêchés de
« Nous avons envoyé
des lettres, nous avons
manifesté, protesté encore
et encore », souligne un
militant thaïlandais.
terminer le travail. Certains des participants à
cette lutte se trouvaient dans le public. « Sans
vous, a lancé Choonhavan, ils auraient tout fait
sauter. Alors, maintenant, vous devez vous lever
et utiliser de nouveau ce pouvoir. »
Ce n’étaient pas que des mots en l’air. La
Thaïlande exerce une influence sur les barrages
du cours principal. Une grande partie de l’élec-
tricité que ces ouvrages produiraient vise le
marché des infrastructures thaïlandaises. Or de
tels contrats requièrent l’approbation du gou-
vernement thaïlandais. Si l’opinion publique s’y
oppose, elle pourrait convaincre les autorités
de demander la révision, voire une annulation,
des projets de barrages.
Après la manifestation, un groupe de trente-
sept villageois, dont certains des participants à
la marche, a préconisé d’engager des poursuites
contre le gouvernement. À l’été 2014, un tribu-
nal national a accepté d’examiner la plainte.
Toutefois, il est sans doute trop tard pour inter-
rompre la construction du barrage de Xayaburi.
Dans les prochains mois, il devrait s’étendre
d’une rive à l’autre, fermant pour la première
fois le cours principal du Mékong inférieur. j
mékong 81
BONUS VIDÉO Instantanés au b

Des instants de vie immortalisés chaque j

David Guttenfelder lors de son reportage
bord du Mékong

jour par notre photographe

sur les barrages du Mékong. ( Durée 1’30 )
science

Âgés de 7 mois et demi, les jumeaux Felix et Viva Torres s’imprègnent

des bruits et des lumières de Greenwich Village, à New York. Ils entendent
deux langues maternelles à la maison, l’anglais et l’espagnol.
LES SECRETS
DU CERVEAU
DES BÉBÉS
Le cerveau d’un enfant
se développe beaucoup
mieux avec de l’affection.
Mais cela ne suffit pas.
Dernières découvertes en
direct des neurosciences.

83
RATTRAPER LE TEMPS PERDU Ginny Mooney
réconforte sa fille adoptive, Lena, à Fayetteville (Arkansas),
après une séance de rééducation physique et de thérapie
de la parole. Lena, 6 ans, souffre de déficits cognitifs et
comportementaux, en partie dus aux carences dont elle
a pâti dans un orphelinat en Ukraine. Apportés assez tôt,
des soins adaptés peuvent corriger ces déficiences.
Par Yudhijit Bhattacharjee
Photographies de Lynn Johnson
F in des années 1980 :
l’épidémie de crack – de la
cocaïne trafiquée – ravage
les villes des États-Unis.
Pédiatre néonatalogiste à
Philadelphie, Hallam
Hurt s’inquiète des dégâts chez les enfants nés
de mères toxicomanes. Avec ses collègues, elle
étudie des enfants de 4 ans issus de familles à
bas revenus ayant été exposés ou non à la
drogue. Mais elle ne décèle pas de différence
significative. En revanche, les QI des enfants
sont très inférieurs à la moyenne dans les deux
groupes – 82 ou 83, contre 100 en moyenne, se
rappelle Hurt. « C’était très déroutant. »
Les chercheurs se focalisent alors sur ce qui
rapproche les enfants des deux groupes plutôt
que sur leurs différences : avoir été élevés dans
la pauvreté. Ils se rendent dans les familles,
posent des questions aux parents : avez-vous au
moins dix livres pour enfants ? Un lecteur de CD
pour écouter des chansons ? Des jouets pour
apprendre les nombres ? Ils notent si les parents
parlent aux bambins sur un ton affectueux,
prennent du temps pour répondre à leurs ques-
tions, se montrent affectueux…
L’enquête montre que les enfants recevant
davantage d’attention et d’encouragements à la
maison ont en général un QI plus élevé. Les plus
stimulés sur le plan cognitif sont meilleurs dans
les activités liées au langage, et ceux encoura-
gés le plus chaudement réussissent mieux dans
les activités liées à la mémoire.
Des années plus tard, quand ces enfants
arrivent à l’adolescence, on leur fait passer des
IRM du cerveau. Les données recueillies sont
86 national geo graphic • AOÛ T 2015
confrontées à ce que l’on sait de l’attention et
de l’affection dont les enfants ont bénéficié à
4 ans et à 8 ans. Une forte corrélation apparaît
entre des soins soutenus à l’âge de 4 ans et la
taille de l’hippocampe (la partie du cerveau
associée à la mémoire). Mais aucun lien ne
ressort entre les soins reçus à 8 ans et cette
région du cerveau. Ce qui démontre à quel point
un environnement offrant un soutien émotion-
nel fort est crucial à un très jeune âge.
Publiés en 2010, ces résultats ont été parmi
les premiers à prouver que les expériences
de l’enfance façonnent la structure du cerveau
en développement. Depuis, d’autres études ont
établi un lien entre le statut socio-économique
d’un bébé et la croissance du cerveau. Celui-ci
jouit dès le départ de capacités prodigieuses,
mais son développement dépend très largement
des stimuli de son environnement.
En scrutant le cerveau avec de nouveaux
outils d’imagerie, les scientifiques sont en passe
de saisir comment un enfant, qui voit à peine
à la naissance, devient capable de parler, de
monter sur un tricycle, etc. Plus nous en appre-
nons sur la façon dont les enfants acquièrent
leur aptitude au langage, au calcul et à l’intelli-
gence émotionnelle pendant cette période, plus
nous réalisons que le cerveau du bébé est une
incroyable machine à apprendre.
Qu’un agrégat de cellules devienne un être
tétant le sein de sa mère semble un véritable
miracle, tout autant que la transformation de
cet enfant tanguant sur ses jambes en un bambin
capable de marcher et de parler – et de négocier
son heure de coucher. Ce prodige, je l’ai vu se
 GROSSESSE SANS STRESS Natasha Alvarez fait la planche dans une rivière près
de Lancaster (Pennsylvanie). Elle espère qu’une maternité dénuée d’angoisse aidera
le cerveau de son enfant à se développer in utero.

produire alors même que je réalisais mes
recherches pour cet article. Ma fille, un nour-
risson agité n’utilisant qu’un unique cri perçant
pour signaler sa faim, est devenue une effrontée
de 3 ans exigeant ses lunettes de soleil dès qu’elle
sort de la maison. La dextérité avec laquelle
le cerveau d’un bébé parvient à appréhender
le monde m’a de plus en plus stupéfié.
Tout parent connaît bien ces étapes. À 2 ans,
par exemple, ma fille en savait assez pour réali-
ser qu’elle n’avait plus besoin de me tenir la main
en marchant sur le trottoir ; elle ne me tendait
sa main que pour traverser la rue. Comment les
bébés font-ils de si gigantesques progrès ?
Malgré l’expérience accumulée pendant des mil-
lénaires, nous n’en savons pas grand-chose.
L’incroyable rapidité du développement
lors des premières années coïncide avec
la formation d’un vaste écheveau de circuits
neuraux. Le cerveau compte près de 100 mil-
liards de neurones à la naissance – soit autant
qu’à l’âge adulte. À mesure que le bébé grandit et
reçoit un flux constant de données sensorielles,
les neurones se raccordent à d’autres neurones.
Il en résulte plusieurs centaines de milliers de
milliards de connexions à l’âge de 3 ans. Divers
stimuli et tâches (comme écouter une berceuse,
attraper un jouet…) aident à créer de nouveaux
réseaux entre neurones.
Ces circuits se renforcent quand on les active
de façon répétée. Des gaines enveloppent les
fibres nerveuses. Faites de myéline, un maté-
riau protecteur, elles s’épaississent le long des
parcours souvent utilisés, aidant les impulsions
électriques à voyager plus vite. Mais, sur les cir-
cuits peu sollicités, les connexions se rompent
– c’est l’« élagage synaptique ». Entre 1 et 5 ans,
puis au début de l’adolescence, le cerveau passe
par des cycles de croissance et d’optimisation.
La sélection des circuits appelés à durer repose
notamment sur leur utilisation. (suite page 90)
les « cerveaux » de cet article
Journaliste scientifique, Yudhijit Bhattacharjee collabore à
Science, The New York Times et Wired. Lynn Johnson dit
apprécier les sujets difficiles à saisir. Elle a réalisé les photos
du reportage sur la disparition des langues (juillet 2012).

c erv eau des bébés 87

BIEN ÉTABLIR LES CONNEXIONS Tiffany Painter
passe de tendres moments avec Taevon, son fils de
6 mois, dans leur maison de Pittsburgh (Pennsylvanie).
Après le petit déjeuner, Taevon regardera des vidéos de
musique tandis que sa mère suivra des cours en ligne.
Le cerveau d’un bébé compte autant de neurones que
celui d’un adulte, mais il reste à bien les interconnecter.
 MESURE D’ACTIVITÉ Dans le laboratoire de Patricia Kuhl (université de l’État de Washington),
des chercheurs étudient l’activité cérébrale des bébés de moins de 1 an. Ils mesurent le champ
magnétique autour du cuir chevelu pour révéler la configuration des décharges neuronales.
(suite de la page 87) Le développement de
l’aptitude au langage fournit l’exemple le plus
frappant de la façon dont l’inné et l’acquis se
combinent pour façonner le cerveau. Qu’est-ce
qui est en place dès la naissance, et comment les
bébés acquièrent-ils le reste ? Je rends visite à
Judit Gervain, spécialiste en neurosciences cogni-
tives à l’université Paris Descartes. Elle étudie
depuis une décennie les facultés linguistiques
des enfants âgés de quelques jours à 3 ou 4 ans.
Nous nous rencontrons à l’hôpital Robert-
Debré, à Paris, où elle met au point une expé-
rience sur les nouveau-nés. Je suis Judit Gervain
dans une salle située au fond du hall d’entrée de
la maternité. Le premier patient de la matinée
est amené sur un brancard, emmailloté dans une
couverture, suivi de son papa. Un assistant ins-
talle sur le cuir chevelu de l’enfant une calotte
hérissée de capteurs en forme de boutons. Le
but est d’obtenir des images du cerveau du bébé
pendant qu’on lui fera écouter diverses
séquences sonores telles que « nou-ja-ga ». Mais,
avant même le début des observations, le bébé
émet une série de cris perçants, pour bien signi-
fier qu’il ne se laissera pas faire. L’assistant retire
la calotte, et le père prend l’enfant dans ses bras.
Après leur départ, Judit Gervain, elle-même
devenue mère quelques mois plus tôt, me confie
que de tels échecs sont assez fréquents. Un autre
nouveau-né, également accompagné par son
père, est introduit dans la pièce. L’assistant suit
le même protocole et, cette fois, l’observation
se déroule sans encombre. Le bébé dort pendant
toute la durée de l’expérience.
La chercheuse et son équipe ont mis au point
une procédure similaire pour étudier la capa-
cité des nouveau-nés à différencier des séries de
sons. Grâce à la spectroscopie proche infrarouge,
ils ont pris des images du cerveau de bébés aux-
quels ils faisaient écouter des séquences. Dans
certaines, les sons se répétaient selon le schéma
ABB (par exemple, « mou-ba-ba ») ; dans d’autres,
selon le schéma ABC (« mou-ba-dji »).
Cette étude a montré que les régions du cer-
veau responsables de la parole et du traitement
des sons sont plus réceptives aux séquences de
type ABB. Dans une étude ultérieure, l’équipe
90 national geo graphic • AOÛ T 2015
a constaté que le cerveau du nouveau-né était
également capable de distinguer entre des
séquences de type AAB et ABB.
Ces découvertes enthousiasment Judit
Gervain. L’ordre des sons est en effet le socle
sur lequel se fondent les mots et la grammaire.
« Les données de position sont la clé du langage.
Le fait qu’un mot soit au début ou à la fin d’une
phrase change tout. “Jean a tué l’ours” est très
différent de : “L’ours a tué Jean.” »
Le cerveau d’un bébé répond dès le premier
jour à une séquence dans laquelle les sons sont
disposés de façon particulière. Cela suggère
que les algorithmes fondant l’apprentissage
du langage font partie du schéma neural dont
sont dotés les enfants dès la naissance.
« Nous avons longtemps eu cette conception
linéaire de l’apprentissage : les bébés apprennent
d’abord les sons, puis ils comprennent les mots,
puis les groupes de mots. Mais, souligne Judit
Gervain, de récentes études ont montré que
presque tout commence à se développer depuis
le début. Les bébés se mettent à apprendre les
règles grammaticales dès le départ. »
Des preuves de cette compréhension précoce
sont venues d’une expérience sur des bébés
de 4 mois exposés à un langage qui ne leur était
pas familier, à l’Institut Max-Planck de neurolo-
gie et des sciences cognitives, à Leipzig. L’équipe
de la neuropsychologue Angela Friederici a fait
écouter aux enfants une série de phrases en ita-
lien présentant deux types de construction : « Le
frère sait chanter » et « La sœur chante ». Puis,
au bout de trois minutes, on leur a fait écouter
une autre série de phrases en italien, dont cer-
taines étaient grammaticalement incorrectes
(« Le frère est chanté », « La sœur peut chante »).
Lors de cette phase, l’activité cérébrale des
bébés était mesurée par de minuscules élec-
trodes plantées dans leur cuir chevelu. Pendant
la première série de tests, les cerveaux réagis-
saient de la même façon aux phrases correctes
et incorrectes. Mais, après plusieurs séries de
tests, la zone concernée s’activait de façon très
différente quand les bébés entendaient des
constructions erronées. En un (suite page 94)
Les débuts du cerveau
Le cerveau commence à se développer dans l’utérus, puis
connaît une croissance spectaculaire pendant les premières
années de la vie. Des expériences positives à cette période
contribuent à façonner une architecture cérébrale forte.

LA PREMIÈRE ANNÉE
À L’ÂGE ADULTE
Le cerveau de l’enfant en bas âge contient bien plus
de synapses que celui de l’adulte. Ces connexions
Nombre de croissent rapidement en nombre après la naissance,
connections puis entament un déclin naturel à mesure que le
(synapses) cerveau se spécialise. Consolidées par un usage
dans fréquent, les connexions actives se stabilisent, tandis
le cerveau que les liaisons faibles (peu utilisées) disparaissent.

Crête

RIEL
SO
EN
S

S
RE
E
AG

EU
RI
NG

PÉ
LA

SU
S

I
VE

IT
GN
CO
NS
C TIO
F ON Niveau de
connexions synaptiques
d’un adulte

0
-4 Naissance 1 an 5 10 15 20
MOIS ANNÉES

Avec le temps, l’enfant Vision Symboles, idées Sens critique

acquiert des aptitudes de Ouïe Interactions sociales Pensée réflexive
plus en plus complexes. Toucher Facultés verbales Réactions appropriées

ILLUSTRATION : LAWSON PARKER. SOURCES : CHARLES NELSON, FACULTÉ DE MÉDECINE DE HARVARD ; PAT LEVITT, HÔPITAL PÉDIATRIQUE
DE LOS ANGELES. DESSINS DE SYNAPSES FONDÉS SUR DES COLORATIONS DE GOLGI RÉALISÉES ENTRE 1939 ET 1967, PAR J. L. CONEL.
LES GOÛTS ET LES COULEURS, DISCUTONS-EN
Pour stimuler Allie, 20 mois, Julien Inzodda, de Pittsburgh,
l’initie aux épices. Une occasion ludique pour la fillette
d’en savoir plus sur les couleurs, les textures, les goûts
– et d’établir des connexions entre neurones. Le goût
préféré d’Allie est la sauce au piment, « forte, forte, forte ».
LA SANTÉ INFLUE SUR LE CERVEAU Lucas Guidry, 5 mois, regarde sa mère Sydney (au centre)
tenir un miroir, dans l’unité néonatale de soins intensifs de l’hôpital pédiatrique du Texas (Houston).
Les enfants prématurés ou nés avec une maladie présentent des risques de retards cognitifs.

(suite de la page 90) quart d’heure à peine, les
bébés semblaient avoir saisi ce qui était correct.
« D’une manière ou d’une autre, ils doivent l’avoir
appris, même s’ils ne comprennent pas la signi­
fication des phrases, m’explique Friederici. À ce
stade, ce n’est pas de la syntaxe. On ne peut parler
que de régularité phonologique encodée. »
Les chercheurs ont montré que des enfants
de 2 ans et demi peuvent corriger des fautes de
grammaire commises par des poupées. À 3 ans,
la plupart semblent maîtriser un nombre consi­
dérable de règles grammaticales. Leur vocabu­
laire s’enrichit très vite. Et ce, grâce aux nouvelles
connexions qui s’établissent entre les neurones,
permettant le traitement du langage à de mul­
tiples niveaux : son, signification, syntaxe.
Reste aux scientifiques à déterminer préci­
sément comment le cerveau du bébé évolue vers
la maîtrise du langage. Ce qui est sûr, selon les
mots d’Angela Friederici, c’est que « le matériel
de base ne suffit pas. Il faut aussi l’alimenter. »
Lors de mon voyage vers Leipzig, mon atten­
tion avait été attirée par une mère et son jeune
fils, à l’aéroport de Munich. Ils étaient en pleine
conversation, dans le bus menant vers l’avion.
« Que vois­tu là­bas ?, demandait la mère.
— Je vois plein d’avions ! », s’exclamait l’enfant,
qui ne tenait pas en place sur son siège.
Assis une rangée devant moi pendant le vol,
ils ont poursuivi leurs échanges avec une éner­
gie inlassable. La femme a lu à l’enfant plusieurs
livres d’images d’affilée ; elle s’arrêtait à chaque
question du petit garçon, dont l’enthousiasme
semblait sans limites. À l’atterrissage, j’ai appris
que la maman, Merle Fairhurst, était une neu­
roscientifique cognitive étudiant le développe­
ment de l’enfant et la cognition sociale.
C’est une découverte surprenante qu’ont
réalisée voilà plus de vingt ans Todd Risley
et Betty Hart, pédopsychologues à l’université
du Kansas à Lawrence. Ils ont enregistré des
centaines d’heures d’interactions entre enfants
et adultes de quarante­deux familles issues de
tous les milieux socio­économiques. Les enfants
ont été suivis de leurs 9 mois à leurs 3 ans.
L’étude des transcriptions a montré que, dans
les familles aisées (dont les parents avaient le

94 national geo graphic • AOÛ T 2015

plus souvent suivi des études supérieures),
2 153 mots par heure en moyenne étaient adres­
sés aux enfants, contre 616 mots aux enfants de
familles bénéficiant d’aides sociales. Soit un défi­
cit cumulé de 30 millions de mots à l’âge de 4 ans.
Les parents des foyers modestes avaient ten­
dance à émettre des commentaires plus courts
et superficiels – « Arrête ça », « Descends ». Les
parents plus aisés entretenaient des conversa­
tions plus prolongées et diversifiées avec leurs
enfants, encourageant le développement de la
mémoire et de l’imagination.
Or les chercheurs ont observé que la quantité
de conversation entre parents et enfants avait
une grande importance. Les enfants à qui l’on
parlait le plus obtenaient des résultats plus
élevés aux tests de QI à l’âge de 3 ans. Et ils réus­
sissaient mieux à l’école vers 10 ans.
Les années critiques
La quantité d’activité cérébrale dans les premières
années affecte son intensité ultérieure. Ces électro­
encéphalogrammes d’enfants de 8 ans issus
d’orphelinats montrent que ceux n’ayant pas été
placés avant 2 ans en famille d’accueil ont une
activité cérébrale moins forte que ceux l’ayant été.
Activité électrique cérébrale
Placés en famille d’accueil Placés en famille d’accueil
Faible Forte
Alors, suffit-il d’exposer les enfants à un
plus grand nombre de mots ? A priori, cela
pourrait constituer une solution assez simple.
Mais le langage fourni par la télévision, les livres
audio, l’Internet ou les smartphones – que ce
soit dans un but pédagogique ou non – ne semble
pas faire l’affaire. C’est ce qu’une équipe dirigée
par Patricia Kuhl, neuroscientifique à l’univer­
sité de l’État de Washington à Seattle, a constaté
sur des enfants de 9 mois.
Son objectif était de résoudre l’un des grands
mystères de l’acquisition du langage : comment
les bébés reconnaissent spécifiquement les sons
phonétiques de leur langue maternelle à l’âge
de 1 an ? Dans les premiers mois de leur vie, ils
savent parfaitement faire la différence entre des
sons de n’importe quelle langue, maternelle ou
SOURCE : CHARLES NELSON, FACULTÉ DE MÉDECINE DE HARVARD
étrangère. Mais, entre 6 mois et 1 an, ils com­
mencent à perdre la capacité à établir de telles
distinctions dans une langue étrangère, tout en
améliorant leur aptitude à différencier les sons
de leur langue maternelle. Les enfants japonais,
par exemple, ne sont plus capables de faire la
différence entre les sons « l » et « r ».
Les chercheurs ont exposé des bébés de
9 mois issus de familles anglophones à du
chinois mandarin. Certains des enfants inter­
agissaient avec des tuteurs de langue maternelle
chinoise, qui jouaient avec eux et leur faisaient
la lecture. « Les bébés étaient fascinés par ces
tuteurs », se rappelle Patricia Kuhl. Un autre
groupe d’enfants voyait et entendait le même
groupe de tuteurs parlant le chinois, mais dans
une présentation vidéo. Et un troisième groupe
entendait seulement la bande sonore.
Enfants placés en institution Jamais placés
Après l’âge de 2 ans Avant l’âge de 2 ans
Les chercheurs s’attendaient à ce que les
enfants ayant regardé les vidéos soient aussi
performants que ceux ayant interagi avec les
tuteurs en personne. En fait, ils ont constaté une
énorme différence. Les enfants exposés au lan­
gage via des interactions humaines faisaient la
différence entre des sons chinois aussi bien que
des bébés de langue maternelle chinoise. Mais
les autres, qu’ils aient regardé la vidéo ou écouté
la bande, n’avaient absolument rien retenu.
« Nous étions stupéfaits, avoue Kuhl. Cela a
fondamentalement changé notre regard sur le
cerveau. » Les résultats de l’étude (puis d’autres)
l’ont incitée à avancer l’« hypothèse du déclen­
chement social » : l’idée que l’expérience sociale
conditionne l’accès au développement linguis­
tique, cognitif et émotionnel. (suite page 98)
c erv eau des bébés 95
VIVE LA LIBERTÉ ! À l’école Waldorf de l’île de
Whidbey (État de Washington), des enfants jouent
sous la surveillance des instituteurs. Selon la
philosophie de cette école (inspirée des principes
de Rudolf Steiner), le jeu libre est essentiel pour
le développement physique, cognitif, linguistique
et social des jeunes enfants.
(suite de la page 95) Après son accès au pouvoir
en Roumanie, au milieu des années 1960,
Nicolae Ceauşescu décida de mesures dras-
tiques pour industrialiser le pays, encore très
agricole. Des milliers de familles rurales emmé-
nagèrent en ville afin de travailler dans les
usines d’État. Cette politique contraignit de
nombreux parents à abandonner leurs nouveau-
nés, ainsi placés dans des orphelinats publics.
Le reste du monde ne découvrit les effroyables
conditions de vie de ces enfants qu’après la
« Dans les toutes premières années, la malléabilité
du cerveau permet aux enfants de surmonter
des expériences négatives. » — Nathan Fox, pédopsychiatre
chute et l’exécution de Ceauşescu, en 1989. Dans
leur plus jeune âge, ils étaient laissés dans leurs
lits à barreaux pendant des heures entières. En
général, leurs seuls contacts avec des humains
avaient lieu lorsque les aides-soignants, respon-
sables chacun de quinze à vingt enfants,
venaient leur donner à manger ou les baigner.
Le système de soins dans ces établissements
fut lent à changer. En 2001, des chercheurs amé-
ricains ont lancé une étude sur 136 enfants issus
de six orphelinats. Le but était de mesurer
l’impact des carences dont ces enfants avaient
souffert sur leur développement.
Les chercheurs ont été frappés par les com-
portements aberrants des enfants. Âgés de
moins de 2 ans au début de l’étude, nombre
d’entre eux ne manifestaient aucun attache-
ment au personnel soignant. Quand ils étaient
contrariés, ils ne s’adressaient pas aux infir-
mières. « À la place, ils adoptaient ces compor-
tements quasi sauvages que nous n’avions
jamais vus auparavant : ils erraient sans but, se
tapant la tête contre le sol, ou tourbillonnaient
avant de se figer sur place », se rappelle Nathan
Fox, pédopsychiatre à l’université du Maryland,
codirecteur de l’étude avec les neuroscienti-
fiques Charles Zeanah, de l’université Tulane
(Louisiane), et Charles Nelson, de Harvard.
98 national geo graphic • AOÛ T 2015
Des électroencéphalogrammes ont révélé
que les cerveaux de ces enfants émettaient des
ondes plus faibles que celles enregistrées en
général chez des enfants du même âge dans
l’ensemble de la population. « C’était comme si
un variateur d’intensité commandait leur acti-
vité cérébrale et que celui-ci restait bloqué dans
la position la plus basse », explique Fox.
Avec ses collègues, il a ensuite confié la moitié
des enfants à des familles d’accueil choisies avec
l’aide de travailleurs sociaux. L’autre moitié
est restée dans les orphelinats. Les familles
d’accueil ont reçu une rémunération mensuelle,
ainsi que des couches, des livres, des jouets et
d’autres outils pédagogiques ; les travailleurs
sociaux leur rendaient visite périodiquement.
Fox et ses collègues ont ensuite observé les
enfants pendant plusieurs années. Avec des dif-
férences spectaculaires entre les deux groupes.
À l’âge de 8 ans, les enfants placés dans des
familles d’accueil à 2 ans, voire plus tôt, avaient
des électroencéphalogrammes identiques à la
moyenne des enfants de 8 ans. Mais les enfants
demeurés dans les orphelinats ont continué à
présenter des encéphalogrammes plus faibles.
Tous les sujets de l’étude avaient en outre des
cerveaux moins volumineux que les enfants
d’âge similaire dans l’ensemble de la population.
Toutefois, ceux placés en famille possédaient
plus de matière blanche (les axones reliant les
neurones) que ceux demeurés dans un établis-
sement. Selon Nathan Fox, « cela laisse penser
que davantage de connexions neuronales se
sont établies » chez les enfants placés en famille.
La différence la plus frappante entre les deux
groupes d’enfants, évidente dès l’âge de 4 ans,
résidait dans les aptitudes sociales. « Nous avons
constaté qu’un grand nombre d’enfants en pla-
cement familial, particulièrement ceux extraits
tôt de l’orphelinat, se comportaient désormais
avec le personnel soignant de façon normale,
souligne Fox. Dans les toutes premières années,
la malléabilité du cerveau permet aux enfants
de surmonter des expériences négatives. »
Voilà qui constitue une excellente nouvelle,
estime le chercheur. On peut corriger certains
des effets débilitants des carences subies à un
âge précoce avec des soins appropriés, à condi-
tion qu’ils soient fournis assez tôt pendant la
période de développement la plus critique.
Une formation pour les parents a été mise
sur pied à cette fin. Elle est dirigée par
Helen Neville, neuroscientifique à l’université
de l’Oregon. Les chercheurs recrutent les par-
ticipants parmi les familles bénéficiant du Head
Start, un programme public américain qui four-
nit un soutien aux enfants de maternelle issus
de familles à faibles revenus. Parents et person-
nel soignant assistent à un cours hebdomadaire
pendant deux mois. Lors des premiers cours,
ils apprennent à réduire le stress ressenti quand
on s’occupe chaque jour d’enfants.
Tout parent peut en témoigner : ce stress est
parfois susceptible de submerger même les plus
sereins d’entre nous. Et il peut être encore plus
difficilement supportable pour des parents ren-
contrant des problèmes financiers. « On se
retrouve vite à bout quand la vie n’est faite que
de privations », dit Patricia Kycek, maman d’un
petit Eugene et qui suit les cours.
La formation apprend aux parents à insister
sur les aspects positifs et à féliciter les enfants
quand ils réussissent ce qui leur est demandé.
Sarah Burlingame, ex-instructrice pour parents,
explique : « Nous incitons les adultes à remar-
quer tout ce que leurs enfants font de bien, au
lieu de les gronder à chaque fois qu’ils font
quelque chose de mal. »
Au cours des dernières semaines, les parents
apprennent à stimuler leur enfant. Dans une
activité qu’on les encourage à pratiquer à la
maison, il s’agit de demander à l’enfant de
choisir divers objets (une cuiller, une bouteille,
un crayon…), puis de deviner lesquels flotteront
et lesquels couleront. On invite ensuite l’enfant
à tester chaque prédiction dans un seau d’eau
ou dans une baignoire.
Les enfants sont entraînés à développer leur
attention et à mieux se contrôler lors d’une
séance hebdomadaire de quarante minutes. Ils
s’efforcent de se concentrer sur une tâche au
milieu de distractions – par exemple, colorier à
l’intérieur des contours d’un personnage pen-
dant que d’autres enfants font rebondir des bal-
lons autour d’eux. Les instructeurs les aident
également à mieux identifier leurs émotions.
Au bout des huit semaines, les chercheurs
évaluent l’aptitude au langage, le QI non verbal
et la capacité d’attention de chaque enfant.
Ils évaluent aussi leurs progrès en matière de
comportement par le biais d’un questionnaire
remis aux parents. Dans un article publié en juil-
let 2013, Neville et ses collègues observent que
les enfants de familles bénéficiant du Head Start
et ayant suivi la formation obtenaient de bien
meilleurs résultats que ceux de familles ne
l’ayant pas suivie. Les parents ont indiqué qu’ils
se sentaient désormais beaucoup moins stres-
sés en s’occupant de leurs enfants.
« Quand on change le comportement des
parents et que le stress diminue, note Neville,
cela débouche sur une meilleure gestion des
émotions et facilite l’apprentissage des enfants. »
Tana Argo, jeune mère de quatre enfants, a
décidé de suivre le programme pour ne pas leur
faire subir les carences dont elle a souffert dans
sa propre enfance. « J’ai grandi avec beaucoup
de stress et de drames, raconte-t-elle. Je me suis
dit : “Je m’en souviendrai pour mes gosses.
Cela ne leur arrivera pas.” » Ce que Tana Argo
a appris, selon ses termes, a modifié la « dyna-
mique » de sa famille, en l’incitant à consacrer
plus de temps au jeu et à l’apprentissage.
Quand je lui rends visite chez elle, un après-
midi, elle me dit à quel point elle s’est sentie heu-
reuse quelques jours plus tôt, quand elle a vu sa
petite fille de 4 ans, la plus jeune, s’asseoir sur
le tapis et commencer à feuilleter une encyclo-
pédie junior. En partant, je remarque l’encyclo-
pédie, posée au sommet d’une pile de livres – la
plupart pour enfants. Si tout va bien, cette pile
servira peut-être de rempart contre l’effet
domino engendré par la pauvreté et les carences
au fil des générations. Et elle aidera les enfants
de Tana à se construire un avenir qu’elle-même
n’a pu ni se forger… ni s’imaginer. j
c erv eau des bébés 99
BONUS VIDÉO Des bébés avide

Dès la naissance, le cerveau des bébés est en a

un immense terrain de jeu. Mais cette incroyab
Dès l’âge de 7 ans, les enfants ne s’extasient pl
es de découvertes

alerte. Le monde leur apparaît comme

ble ouverture d’esprit ne dure pas longtemps.
lus autant face à la nouveauté… ( Durée 3’00 )
ENQUÊTE

À quoi ça sert
de l’empailler
l’empailler?
?
Aux États-Unis, le débat fait rage. Est-il bien
moral d’empailler les animaux?

Le taxidermiste George Dante met

la dernière main à un ours brun,
au Muséum américain d’histoire
naturelle (AMNH), à New York. Les
visiteurs peuvent y voir des animaux
dans un habitat reconstitué.
101
LES ANIMAUX DU MONDE L’art
taxidermique s’est développé
au xixe siècle, comme l’illustre
l’arche de Noé de la maison
Deyrolle, une institution de
renom fondée à Paris en 1831.
Par Bryan Christy
Photographies de Robert Clark

JE ME FAUFILE ENTRE UN ZÈBRE qui projette une lionne en l’air et

un grand requin blanc à taille réelle poursuivant un bébé phoque. Lions,
pumas, léopards, loups : au Championnat du monde de taxidermie, les
plus grands prédateurs de la planète voisinent avec un buffle du Cap,
une antilope cervicapre ou un serpent à sonnettes. En arrivant au palais
des congrès de Saint Charles (Missouri), les visi- invétérés sont parfois devenus des protecteurs
teurs passent devant un cou et une tête de girafe intransigeants de la faune. Et si j’ai moi-même
disposés comme si elle s’abreuvait. Mais le corps écrit pendant des années sur les massacres et le
manque et, dans la cavité à la base du cou, une trafic international dont sont victimes les ani-
saynète montre trois girafes miniatures se réga- maux sauvages, je le dois en définitive à mon
lant de minuscules feuilles d’arbres. passé de jeune taxidermiste.
La taxidermie ne relève pas toujours de l’art, Depuis le xixe siècle, quand des chasseurs
mais la longue évolution de cette pratique a confiaient à des tapissiers le soin d’empailler,
engendré un étrange paradoxe : des chasseurs (ou « naturaliser ») leurs trophées, la taxidermie

104 national g eo graph i c • aoû t 2 015

 L’ÉLÉPHANT DE ROOSEVELT La salle Akeley, au Muséum américain d’histoire
naturelle, est consacrée aux mammifères africains. L’Alerte, une œuvre
du début du xxe siècle, y montre des éléphants sur le qui-vive. L’un des
animaux mis en scène fut tué par le président Theodore Roosevelt.

a joué un rôle important dans la conservation
des espèces. Un animal bien préservé vous
donne une occasion unique d’apprécier une
créature que vous ne rencontreriez sans doute
jamais dans la nature. Inutile de vous rendre
dans un zoo : la voici sous vos yeux, telle qu’elle
se montrerait à l’état sauvage. Pour Timothy
Bovard, conservateur du Muséum d’histoire
naturelle du comté de Los Angeles, « cette expé-
rience a quelque chose d’élémentaire ».
Après mes enquêtes sur l’exploitation crimi-
nelle de la faune sauvage, je m’imagine donc que
le Championnat du monde de taxidermie sera
un événement de tout repos. Sauf que voici une
femme en train de hurler.
« C’est illégal ! », crie-t-elle en désignant un
gorille des plaines auquel Wendy Christensen,
taxidermiste au muséum de Milwaukee, arrange
des poils de doigts. « Je suis allée au Rwanda, tem-
pête la visiteuse, et je sais que les gorilles sont
protégés ! » Christensen fait face à son accusa-
trice et lui répond calmement que Samson le
gorille constitue l’attraction du zoo de Milwaukee
depuis trois décennies. La visiteuse présente ses
excuses puis, bouche bée, écoute les précisions
de Christensen : l’animal qu’elle a sous les yeux,
réplique parfaite de Samson, ne contient pas
la moindre partie de gorille véritable.
À la fin du xixe siècle, quand l’idéologie de la
« destinée manifeste » faisait de l’Ouest une
terre à conquérir et à dominer, les Américains
exploitaient sans vergogne les ressources infi-
nies de la vie sauvage. Des chasseurs abattaient
le gibier à une cadence industrielle pour alimen-
ter les fourreurs, les restaurateurs, les tapissiers
et d’autres commerçants. Comme si une espèce
ne pouvait pas disparaître.
Pour l’argent ou pour le plaisir, les Américains
ont massacré des millions de bisons – il n’en
restait même plus un millier à la fin du siècle.
Quant aux tourtes voyageuses, l’espèce d’oiseau
la plus répandue en Amérique, près de 1 milliard
furent tirées par des chasseurs (suite page 110)

PANORAMA COMPOSÉ DE PLUSIEURS IMAGES ta x i d e r m i e 105

COMME À LA MAISON En rendant des poses naturelles, la taxidermie peut faire œuvre de pédagogie
comme susciter l’émotion. À gauche : E. A. Hankins III porte un bébé de gorille des plaines de l’Ouest
qu’il a préservé après sa mort naturelle dans un zoo de Californie. En haut : un léopard des neiges
travaillé par le naturaliste canadien Ken Walker et exposé dans la chambre d’amis de sa maison.
Ci-dessus : Bertie, un fox-hound naturalisé par la Britannique Emily Mayer.

COLLECTION DU MUSÉUM MONDIAL D’HISTOIRE NATURELLE, UNIVERSITÉ LA SIERRA, CALIFORNIE

DANS LE SALON D’UN TUEUR Kerry
Krottinger pose avec sa femme parmi
ses trophées, dans leur maison
de Dallas. Selon lui, les droits de
chasse qu’il paie aident les pays
d’Afrique à protéger leur faune. Les
États-Unis ont toutefois interdit
l’importation de trophées d’éléphants
du Zimbabwe, et l’Union européenne
a durci début 2015 sa réglementation
sur l’importation de dépouilles – dont
celles de lions, d’ours et d’éléphants.
Cinq étapes pour
prendre la pose
Pour s’assurer d’un rendu fidèle
à l’original, les taxidermistes
commencent par mesurer
leur spécimen avec précision.
Le modelage de l’animal peut de
nos jours s’effectuer avec de la Dépouiller
mousse de polyuréthanne, au On sépare délicatement la peau
lieu des traditionnels copeaux de la chair. Tissus et organes
de bois et fibres de chanvre. périssables sont retirés.
(suite de la page 105) professionnels en quelques
semaines, en 1878, près de Petoskey (Michigan),
pour le marché de la restauration. Le dernier de
ces pigeons mourut en 1914, et fut naturalisé par
un taxidermiste de la Smithsonian Institution.
La liste des espèces massacrées à cette époque
est longue, rappelant beaucoup la situation
actuelle en Afrique et en Asie.
Président des États-Unis de 1901 à 1909,
Theodore Roosevelt fut à la fois un amoureux
de la nature et un chasseur. C’était aussi le cas
des nombreux amis qu’il rassembla en 1887 pour
fonder le Boone and Crockett Club – du nom des
héros de sa jeunesse. Celui-ci s’était fixé deux
missions étroitement liées : favoriser la protec-
tion de la faune et garantir aux chasseurs de ne
jamais manquer de gibier.
Le club fut à l’origine de la création de la
Société zoologique de New York, qui deviendra
la Wildlife Conservation Society (Société pour
la conservation de la vie sauvage). William
T. Hornaday, membre influent du club de
Roosevelt, deviendra directeur du zoo du Bronx
et responsable du département de taxidermie
de la Smithsonian Institution.
Je suis tombé dans la taxidermie à l’âge de
12 ans. Comme beaucoup de concurrents du
Championnat du monde, j’ai fait mes débuts en
m’inscrivant à la Northwestern School of Taxi-
dermy d’Omaha (Nebraska), une école par cor-
respondance qui propose des cours faciles à
110 national g eograph i c • aoû t 2 015
Tanner
Du borax, du sel et divers agents
chimiques permettent de nettoyer,
de désinfecter et de conserver la peau.
suivre (leçon n° 1 : lisez ce livre en entier ; leçon
n° 2 : procurez-vous un pigeon ; leçon n° 3 :
acquérez l’équipement : scalpel, grattoir à os,
cuiller à cervelle, arsenic…).
Tout néophyte apprend que le père de la taxi-
dermie moderne est Carl Akeley. Né dans l’État
de New York, ce naturaliste et explorateur a fait
passer à lui tout seul la taxidermie du stade de
l’empaillage plus ou moins nauséabond (écor-
cher l’animal, faire bouillir les os, assembler le
squelette, remettre la peau en place et remplir
le tout de paille et de bourre) à une forme d’art.
Akeley présentait les animaux dans des posi-
tions naturelles. Il utilisait l’argile et le papier
mâché pour rendre avec une exactitude anato-
mique sans précédent les muscles ou les veines
d’un spécimen avant de le recouvrir de peau. Il
a aussi eu l’idée de regrouper ses pièces de façon
à recréer des scènes de la vie sauvage grandeur
nature – ce qu’on appelle les dioramas. Il allait
jusqu’à choisir les feuilles que l’animal aurait
trouvées sur le sol dans son habitat réel.
En plus d’introduire de nouvelles techniques
de conservation des dépouilles, Carl Akeley a
créé un cadre narratif autour de l’animal mort,
un concept qui se perpétue à notre époque.
« La clé de la taxidermie consiste à raconter une
histoire dans sa totalité », souligne Jordan Hackl,
22 ans, qui participe au Championnat du monde
pour la première fois. Il ne suffit pas de remplir
un cerf avec de la paille, explique-t-il : il faut
saisir l’animal dans différents moments de sa
Créer le mannequin
Le corps est modelé avec de la mousse
de polyuréthanne, du papier mâché ou
de l’argile. Puis on peaufine les détails.
vie. Sommes-nous en hiver? Alors, il vous faut
montrer un cerf avec son pelage hivernal. Est-il
en rut? Y a-t-il une biche dans les parages? Les
narines de votre cerf devront être dilatées.
L’influence d’Akeley se retrouve partout où
l’on croise des animaux naturalisés. Certaines
de ses créations les plus célèbres sont exposées
en permanence au muséum Field, à Chicago, et
au Muséum américain d’histoire naturelle, à
New York. Là, dans la salle Akeley, consacrée
aux mammifères africains, trône L’Alerte, sa
mise en situation d’un groupe de huit éléphants.
Vieille d’un siècle, cette scène a gardé toute sa
fraîcheur, et reste souvent considérée comme
la plus belle réussite de la taxidermie.
Mais la plus grande contribution d’Akeley est
peut-être une autre œuvre de la même salle: un
diorama représentant des gorilles de montagne
tués par son équipe au Congo belge en 1921.
Cette expédition devait changer la vie d’Akeley.
Plus tard, considérant l’un des cadavres, il aura
ces mots: «Il fallait vraiment croire à la valeur
scientifique de notre travail pour ne pas se
considérer comme un meurtrier.»
À son retour d’Afrique, il n’eut de cesse de
convaincre Albert Ier, le roi des Belges, de créer
un sanctuaire pour les gorilles de montagne.
Inauguré en 1925, le parc national Albert,
devenu le parc national des Virunga, est le pre-
mier en date des parcs africains. Les efforts
d’Akeley pour protéger les gorilles en font un
pionnier dans ce domaine.
ILLUSTRATIONS : JOHN BURGOYNE. SOURCE : GEORGE DANTE
Monter Mettre en situation
«Taxidermie » vient du grec taxis – « arran- Sur une estrade ou dans un diorama,
gement » – et derma – « peau », laquelle on recrée un habitat qui évoque le plus
est enfilée et collée sur le mannequin. fidèlement possible celui de l’animal.
La taxidermie avait une véritable utilité
scientifique, estimait-il, en tant que moyen de
préserver ce qu’il craignait de voir disparaître.
C’est ce qu’il expliquait dans un article écrit
pour National Geographic en août 1912 et racon-
tant la chasse aux éléphants mise en scène dans
le diorama L’Alerte. Akeley y avoue être déçu
par le faible poids des défenses du plus beau
mâle qui a été tué (pas plus de 45 kg chacune),
alors que des éléphants aux défenses de 90 kg
n’étaient pas rares. Il espère pouvoir s’en pro-
curer afin de les préserver pour les générations
futures, et prédit que, bientôt, «les plus grands
animaux seront tués pour leur ivoire». De nos
jours, voir un éléphant avec une défense de 45 kg
est devenu exceptionnel.
George Dante ouvre son congélateur et en
sort Georges le Solitaire, la dernière tortue
des Galápagos de l’île Pinta, décédée en 2012.
Dante, l’un des taxidermistes les plus respectés
du monde, a été appelé pour la préserver.
Tout en disposant l’animal congelé sur une
table, Dante se dit ennuyé par la célébrité de
Georges le Solitaire, car il sera difficile de lui
rendre justice sous sa forme naturalisée. C’est
une chose de réaliser une structure représen-
tative d’une espèce; c’en est une autre quand
l’animal possède une individualité, une appa-
rence reconnaissable. C’est pourquoi, explique
Dante, «je refuse de faire des animaux de com-
pagnie. Les gens connaissent (suite page 116)
ta x i d e r m i e  111
IMMORTALISÉS Kylie Boyd, Miss
Teen Texas 2013, se fait prendre
en photo lors d’un concours de
rodéo, à Las Vegas. À ses côtés,
le cheval Trigger et le chien Bullet,
partenaires de l’acteur Roy Rogers
dans de nombreux westerns des
années 1940 et 1950.
VICTIMES DE GUERRE À Qalqilya, en
Cisjordanie, Sami Khader pose dans
le diorama du zoo qu’il dirige et dont
les animaux sont notamment morts
de faim ou d’asphyxie lors du conflit
israélo-palestinien. « Je n’ai pas voulu
les perdre », explique Khader,
vétérinaire de formation et taxidermiste
autodidacte. Il les a donc naturalisés
pour continuer à les montrer.
 trop bien leur tête, et il est
(suite de la page 111)
impossible de reproduire ce qu’ils espèrent
retrouver en eux. » Puis Dante soupire de sou-
lagement. Malgré son séjour au froid, « Georges
le Solitaire semble en bonne forme ».
L’histoire de Samson est très différente.
Suralimenté, pesant 296 kg, ce gorille des
plaines, originaire du Cameroun, était connu
pour sa manie de marteler avec ses poings les
parois en Plexiglas de son enclos, au zoo du
comté de Milwaukee. Ce qui ravissait et terri-
fiait les visiteurs tout à la fois. Mais, un jour de
1981, Samson s’est écroulé, les mains agrippées
à sa poitrine. Les vétérinaires n’ont pas réussi
à le ranimer. L’autopsie a révélé qu’il avait déjà
fait cinq crises cardiaques.
La dépouille de Samson est restée dans la
chambre froide du zoo pendant des années.
Quand le muséum public de Milwaukee a fini
par l’acquérir, ses responsables ont estimé que
sa peau était trop abîmée pour l’utiliser sur une
structure. Le musée a exposé le seul squelette,
mais c’était une bien faible évocation du magni-
fique animal. Samson n’était pas seulement
mort, il disparaissait à jamais.
Voilà qui ne plaisait pas à Wendy Christensen.
Membre du personnel du musée, elle pratiquait
la taxidermie depuis l’âge de 12 ans (et, oui, elle
aussi grâce aux leçons de la Northwestern
School of Taxidermy). Elle a proposé de ressus-
citer le gorille en utilisant la technique dite de
« recréation ». Il s’agit de la reproduction arti-
ficielle d’un animal sans utiliser ni le spécimen
d’origine ni un individu de son espèce. En 2006,
vingt-cinq ans après la mort de Samson, Wendy
Christensen a entrepris de créer un double syn-
thétique du grand singe en partant de zéro.
Le masque mortuaire en plâtre de Samson et
des milliers de photographies ont permis de
créer un moule de son visage. Christensen a
commandé la réplique d’un squelette de gorille
à un spécialiste, Bone Clones, et le mélange de
poils de yak et de poils artificiels à National
Fiber Technology – la société qui a fourni la
fourrure de Chewbacca, la créature simiesque
de Star Wars. Pour les mains de Samson, elle a
116 national g eograph i c • aoû t 2 015
pris les empreintes de celles de gorilles du zoo
de Philadelphie et les a reproduites en silicone
– dermatoglyphes compris. Enfin, sur les faux
yeux de Samson, elle a posé des faux cils ache-
tés dans un grand magasin.
Christensen a alors décidé de se mettre elle-
même en scène. Pendant un an, elle a travaillé
dans un atelier ouvert, visible de tous les visi-
teurs. Elle implantait les cheveux et les poils sur
le visage et le cou du singe, tandis que les enfants
posaient des questions et que leurs parents
se remémoraient avec nostalgie leur visite au
célèbre gorille, du temps de leur jeunesse.
Dans le monde des taxidermistes, les avis
divergent entre les tenants de l’utilisation
de matériaux synthétiques et ceux qui privilé-
gient les tissus animaux. Les visiteurs demandent
souvent à propos des animaux exposés « les-
quels sont vrais et lesquels sont faux, et leur
réaction est différente en fonction du modèle »,
observe Timothy Bovard, du muséum du comté
de Los Angeles. À notre époque où les médias et
la technologie proposent en continu de nou-
velles versions de la réalité, estime-t-il, l’article
authentique conserve une aura très forte.
C’est une des façons de voir les choses. En
privé, un juge du Championnat du monde se
demande si l’aspect artistique de la discipline
n’est pas allé trop loin. En chassant les animaux
les plus susceptibles de remporter des trophées
lors des concours de taxidermie, s’inquiète-t-il,
« on prélève les meilleurs gènes du réservoir
génétique » des espèces.
Lorsque Wendy Christensen a présenté
Samson au Championnat du monde, elle s’est
retrouvée en concurrence avec d’autres auteurs
de recréations, mais aussi avec les meilleurs
taxidermistes travaillant sur des animaux réels.
Elle a remporté le premier prix de la catégorie
« Recréation », ainsi que le prix du jury et le prix
de la mise en scène. Elle a damé le pion à des
spécialistes du monde entier, venus concourir
avec leurs plus belles œuvres réalisées à partir
d’animaux naturalisés, bien réels ceux-là. Un
succès remporté sans avoir arraché le moindre
poil à un gorille vivant. j
 SAISI SUR LE VIF Un faucon
naturalisé vers le milieu du
xixe siècle par John Hancock.
Ce taxidermiste britannique
était l’un des plus célèbres
de son époque grâce à
ses mises en scène réalistes.

GREAT NORTH MUSEUM: HANCOCK, NEWCASTLE UPON TYNE, ANGLETERRE

BONUS VIDÉO La seconde vie d

Le loup de Tasmanie, le pigeon américain,

Chassées par l’homme, ces espèces ont p
La taxidermie permet de conserver une tr
des animaux disparus

, la tortue géante des Galapagos…

presque toutes disparu de la surface du globe.
race de leur existence. ( Durée 3’51 )
voyage

Sur le chemin
de Compostelle
Texte et photographies de
MICHAEL GEORGE

L
ors des étés 2012 et 2013, j’ai parcouru plus de « J’ai marché et j’ai
1 500 km sur le chemin de Saint-Jacques-de- souffert », a écrit
le photographe
Compostelle. Depuis le début de la décennie, Michael George
le nombre de pèlerins y oscille entre 183 000 dans son carnet.
et 273 000 par an, venus du monde entier. Ses pieds ont payé
L’itinéraire traverse des villes, franchit des cols et suit le prix fort, mais le
souvent d’anciennes voies romaines entre la France et paysage lui a fait
oublier la douleur.
l’Espagne. La marche s’achève devant la cathédrale de Le chemin du Puy
Saint-Jacques-de-Compostelle, où seraient conservés (à droite) fait partie
les restes de saint Jacques, l’un des douze apôtres. des « plus belles
Parcourir ce chemin, c’est renouer avec une tradition journées de marche
qui connaît un regain d’intérêt. Le renouveau de ce en Europe ».
pèlerinage, vieux de plusieurs siècles et qui appartient
à la tradition chrétienne, illustre surtout une approche
spirituelle non confessionnelle. En 2012, près de 40 %
des pèlerins affirmaient marcher au nom de leur foi
dans le Christ. Pour les autres, il s’agissait d’un moment
de transition – après une perte d’emploi, un départ à la
retraite, un divorce – ou d’une volonté de s’écarter un
peu de la routine pour décompresser, (suite page 122)

118 national g eograph i c • aoû t 2 0 1 5

Sur le chemin du
Puy, rencontre
avec deux frères
catholiques
à la tête d’un
groupe de jeunes.
« Sur le chemin,
tout le monde
a du temps,
note George.
Tout le monde
a de l’espace. »
(suite de la page 118) se ressourcer ou faire le point. George a parcouru
En discutant, j’ai souvent entendu des gens dire qu’ils le camino francés
(« chemin français »,
étaient là pour mieux se connaître ou pour résoudre en espagnol), où il
un problème particulier. Beaucoup m’ont aussi avoué, a photographié ces
confiants et pleins d’espoir, qu’ils attendaient que pèlerins quittant
le pèlerinage leur indique quel sens donner à leur vie. une auberge à
Roncevaux, en
Espagne, ainsi que
Un esprit communautaire règne sur le trajet. le chemin du Puy,
Si vous commencez votre marche seul, vous ne où les marcheurs
tarderez pas à vous faire des amis. Jour après jour, vous rangent leurs
ne savez jamais qui va vous rejoindre ou va vous quitter. chaussures avant
Mais j’éprouvais toujours une certaine mélancolie d’entrer à l’abbaye
de Conques.
quand un nouvel ami n’était plus qu’un point à l’horizon.
Mon pèlerinage s’est achevé sur la côte occidentale
de l’Espagne, face à l’Atlantique. Au soleil couchant,
j’ai marché jusqu’à un phare et observé les feux allumés
par les pèlerins, qui brûlaient leurs chaussures sous
un ciel aux couleurs d’incendie. Sur les falaises, j’ai
compris que j’étais parvenu au terme de quelque chose,
et j’ai ressenti une exaltation presque douloureuse.
Je confie souvent aux gens que, sur le chemin, j’ai
connu un moment de douceur et de sérénité, un simple
rappel de ce que la vie pourrait être. Certains diront
que c’est un peu comme trouver Dieu – une sorte de
viatique spirituel pour temps difficiles. j

122 national g eograph i c • aoû t 2 0 1 5

Le camino francés
traverse la Meseta,
le vaste plateau
du centre de
l’Espagne. « Si
vous êtes
fatigué, souffrant,
ou que vous vous
éprenez d’une ville
ou de quelqu’un,
vous vous
arrêtez », décrit
George. Pour lui,
explorer un lieu à
pied « est la façon
la plus simple
et la plus intense
de voir le monde ».
Des volutes parfumées s’élèvent du botafumeiro,
un des encensoirs les plus grands du monde, lors
de la messe dans la cathédrale de Saint-Jacques-
de-Compostelle. De nombreux pèlerins célèbrent
la fin de leur itinéraire en s’y recueillant. George
a marché plus loin, le long du chemin du cap
Finisterre, la pointe la plus occidentale de l’Espagne.
Devant le coucher du soleil, un chien semblait
posé en équilibre « à l’extrémité de la Terre ».

co m p o s t e l l e 127
 Abonnez-vous vite à National
National
Geographic PRÈS DE
1 an/12 numéros
COMPRENEZ
LE MONDE D’AUJOURD’HUI
35
DE RÉDUCTION*
%

EXPLOREZ
LES TERRES DU BOUT DU MONDE

CHAQUE MOIS, AVEC NATIONAL GEOGRAPHIC, VIVEZ UNE AVENTURE HUMAINE UNIQUE !
Avec National Geographic, sillonnez la planète et comprenez les enjeux géographiques et
géopolitiques d’aujourd’hui. De grands reporters, des experts scientifiques renommés, des
photographes talentueux font avancer votre connaissance du monde.
Une expérience journalistique incomparable à travers des reportages d’une qualité
exceptionnelle.

numéro 4 science

HORS-SÉRIE
+
Les hors-séries
100
découvertes
1 an/3 numéros
scientifiques National Geographic
qui ont changé
le monde
vous propose
La théorie de l’évolution de Darwin • Les
mystères du big bang • La thérapie génique 3 hors-séries par an qui
permettent d’approfondir
• Les nanotechnologies • La loi de la gravi-
tation de Newton • L’hypothèse Gaïa • Le
séquençage de l’ADN • La voiture électrique...

un sujet spécifique.

 EN SOUSCRIVANT UN ABONNEMENT, VOUS SOUTENEZ LES PROJETS DE LA NATIONAL GEOGRAPHIC SOCIETY

National Geographic est la principale publication de la National Geographic Society, l’une des plus importantes organisations scientifiques
et éducatives non-lucratives dans le monde qui a pour mission d’inspirer « le désir de protéger la planète ». L’abonnement au magazine
contribue à financer des explorations dédiées ainsi que des programmes d’éducation ou de recherches spécifiques…

Préserver et transmettre l’essentiel

 BON D’ABONNEMENT
Geographic !


À compléter et à retourner sous enveloppe non affranchie à :
NATIONAL GEOGRAPHIC - Libre réponse 10005 - Services abonnements
62069 ARRAS CEDEX 9

Le superbe 1 JE CHOISIS MA FORMULE D’ABONNEMENT

votre
CADEAU ensemble L’OFFRE CLUB
Je m’abonne à

Laguiole ®
Près de
NATIONAL GEOGRAPHIC + 3 HORS-SÉRIES
(1 an - 15 nos) pour 54€ au lieu de 83€ *. 10
35 %

de réduction

Je ne règle rien maintenant, je paierai à la réception de votre facture.

Je préfère m’abonner à L’OFFRE ESSENTIELLE

NATIONAL GEOGRAPHIC Près de

(1 an - 12 n ) pour os
45 €
au lieu de 62€ *. 40 35 %

de réduction

Je ne règle rien maintenant, je paierai à la réception de votre facture.

Je reçois MON CADEAU, l’ensemble Laguiole, quelle que soit la formule choisie

2 JE REMPLIS LES COORDONNÉES Offrez

vous !
 Mme  M (Civilité obligatoire)
Nom :
Prénom :
Adresse :

En vous abonnant, recevez cet ensemble Code Postal : Ville :

montre + couteau Laguiole !
 La montre Laguiole au bracelet en cuir
véritable habillera votre poignet avec élégance.
 Le couteau ultra pratique et indispensable
avec ses 11 fonctions dont : scie, ouvre-boîtes,
tournevis, tire-bouchon et ciseaux.
e-mail : ................................................................................................ @ .....................................................................................
 Je souhaite être informé(e) des offres commerciales du Groupe PRISMA MEDIA et celles de ces partenaires.
Offrez !
Je souhaite offrir cet abonnement, j’indique les coordonnées du bénéficiaire
de l’abonnement :  Mme  M (Civilité obligatoire)
Nom :
Prénom :
Adresse :

+ Profitez d’un étui de qualité

pour transporter votre
couteau en toute simplicité.
VOS AVANTAGES ABONNÉS
BÉNÉFICIEZ D’UNE RÉDUCTION
IMPORTANTE PAR RAPPORT
AU PRIX DE VENTE AU NUMÉRO.
VOUS RECEVREZ DES OFFRES
PRIVILÉGIÉES POUR COMPLÉTER
VOTRE ABONNEMENT À NGE.
EN OPTANT POUR L’OFFRE LIBERTÉ,
VOUS ÊTES LIBRE DE SUSPENDRE
VOTRE ABONNEMENT À TOUT
MOMENT.

Code Postal : Ville :
e-mail : ................................................................................................. @ .....................................................................................
3 JE RÈGLE MON ABONNEMENT
 Chèque bancaire à l’ordre de NATIONAL GEOGRAPHIC NGE191D
 Carte bancaire  Visa  Mastercard
N° :
Indiquez les 3 derniers chiffres Signature :
du numéro qui figure au verso
de votre carte bancaire :
Sa date d’expiration :
L’abonnement c’est aussi sur :
www.prismashop.nationalgeographic.fr
ou au 0 826 963 964 (0,15€/min)

VOUS RECEVEZ VOTRE MAGAZINE
CHAQUE MOIS À DOMICILE
ET VOUS ÊTES SÛR DE NE RATER
AUCUN NUMÉRO.
* Offre réservée aux nouveaux abonnés en France Métropolitaine, valable jusqu’au 30/07/2015 dans la limite des stocks
disponibles. Délai de livraison des cadeaux : 6 semaines environ. Les informations ci-dessus sont indispensables au traite-
ment de votre abonnement par PRISMA MEDIA. A défaut, votre abonnement ne pourra être mis en place. Ces informations
sont communiquées à des sous-traitants pour la gestion de votre abonnement. Par notretez pas, vous pou intermédiaire,
vous pouvez être amenés à recevoir des propositions des partenaires commerciaux du groupe PRISMA MEDIA. Si vous ne le
souhaivez cocher la case ci-contre . Vous disposez d’un droit d’accès, de rectification et d’opposition pour motifs légitimes
aux informations vous concernant auprès du groupe PRISMA MEDIA.
 La sélection de National Geographic
Rubrique réalisée par Marie-Amélie Carpio-Bernardeau et Céline Lison
La mine aux 8 millions de morts
L a mine d’argent de Potosí, en
Bolivie, fut à coup sûr l’une des
plus meurtrières de l’histoire. Pour
l’exploiter, les colonisateurs espa-
gnols y ont envoyé des Indiens en
masse dès le milieu du XVIe siècle.
LU DANS Le Monde du dessous, BD de Didier Tronchet et Anne Sibran, éditions Casterman.
En cachant des graines dans le sol, le casse-noix
moucheté fait parfois naître des arbres.
130
piochée dans les livres, les films et les expos
En quatre cents ans, les vapeurs
de mercure et les explosions de
gaz ou de dynamite ont fait 8 mil-
même qu’avec les ossements de
tous ceux qui avaient péri à l’inté-
rieur des galeries, on aurait pu
lions de victimes. La mine a été construire un pont entre la ville de
baptisée wala urku, « la montagne Potosí et celle de Madrid, à plus
de sang ». Les Indiens racontaient de 9 000 km de distance.
Un oiseau cachottier
Le casse-noix moucheté, une espèce
européenne de passereau, a la
particularité de constituer ses réserves
pour l’hiver en prélevant des graines
de conifères, notamment celles du pin
cembro (Pinus cembra), qui vit en
haute montagne. Le volatile enfouit
ses trésors dans la terre, les recouvre
de mousse ou de lichen. Quelques
mois plus tard, il retrouve presque
toutes les graines, même sous la neige.
Les rares qu’il ne consomme pas ont
été mises dans les conditions idéales
pour faire naître un nouvel arbre.
LU DANS Arbres remarquables des Hautes-
Alpes, de l’Association méluzine, éd. Actes Sud.
ILLUSTRATION : DIDIER TRONCHET, ANNE SIBRAN. PHOTO : MURRAY B. HENSON
C’EST VOTRE PHOTO !
L’auteur de notre photo du mois ne manque
pas d’imagination. « C’est en soignant mes
plantes, à La Réunion, que j’ai découvert
le caméléon panthère. Depuis cinq ans, j’ai
entamé une série de clichés représentant
des spécimens sauvages habillés d’un
Cette fiole
végétal », explique Nicolas Petit. Il compare
d’apothicaire
à un défilé de mode ces moments où du XVIIIe siècle
l’animal, originaire de Madagascar, est contenait de
drapé dans le vert des plantes. Ici, un la poudre de
momie, aux
Furcifer pardalis a été immortalisé sur une vertus suppo-
feuille de philodendron. sées curatives.

Partagez vos photos sur

http://communaute.nationalgeographic.fr

Miam, de la momie!
Les momies peuvent soigner. C’est en tout cas l’une
des multiples superstitions qui ont émaillé l’histoire de
l’Occident. Au XVIe siècle, les Européens consommaient
de la poudre de momie, convaincus de ses vertus
médicinales. François Ier lui-même en avait toujours
un petit sac sur lui. Las, au fil du temps, le stock
s’est épuisé. Des marchands sans scrupules ont alors
fabriqué des faux, en faisant macérer des cadavres
dans du bitume liquide sale.
LU DANS Atlas des préjugés, de Yanko Tsvetkov,
éditions Les Arènes.

1/3
C’est la proportion de vignes que l’Europe a perdues depuis 1986. Cela
représente plus de 2 millions d’hectares de vignoble. Cette disparition tient
à des arrachages massifs menés en particulier en Espagne, en Italie et en
France, principaux producteurs du continent. En cause, la concurrence
des nouveaux pays viticoles (Chine, Afrique du Sud, Argentine, Chili…),
le recul de la consommation de vin en Europe, la disparition des pratiques
de polyculture et les politiques de restructuration de l’Union européenne,
qui privilégient la spécialisation sur des cépages de qualité.

LU DANS Atlas de la vigne et du vin, de François Legouy et Sylvaine Boulanger, éditions Armand Colin.

PHOTOS : NICOLAS PETIT (CAMÉLÉON) ; BULLENWÄCHTER 131

 La sélection de National Geographic

Orages de l’espace
L es tempêtes qui se produisent à la surface
du Soleil peuvent avoir de lourdes consé-
quences sur la Terre. La plus grosse connue,
baptisée « événement de Carrington », du nom
de l’astronome qui observa le phénomène,
se produisit le 1er septembre 1859. En frap-
pant la Terre, l’orage géomagnétique
engendra des aurores boréales visibles
jusqu’aux Caraïbes et incendia des télé-
graphes. De nombreux employés furent
tués par des décharges électriques. Dans
l’univers technologique actuel, pareil
événement aurait des effets considérables.
Selon un rapport publié aux États-Unis en
2009, une tempête solaire de grande ampleur
pourrait notamment mettre à genoux l’économie
nord-américaine pendant dix ans et coûter au
pays 6 000 milliards de dollars.

À DÉCOUVRIR dans le documentaire La Météo de

l’espace, l’émergence d’une nouvelle science, de
Jean-Louis Saporito, sur France 5, le 3 août, à 14 h 30.

Personnage de
Le jeu vidéo,
jeu vidéo, Sonic
le hérisson a c’est bon
le pouvoir
de courir à pour la… course
une vitesse
supersonique. La science le prouve : jouer à des
jeux d’action améliore et prolonge la
capacité d’attention lorsque des
obstacles sont placés dans le champ
de vision. Les amateurs de jeux vidéo
parviennent mieux à anticiper, réagir
et « lire » le terrain. Des qualités
également utiles aux pratiquants de
course à pied dans la nature. Certains
ont d’ailleurs tenté l’expérience
de façon empirique… et obtenu de
meilleurs résultats après avoir joué.

LU DANS Trail running, préparez vos défis !,

de Sylvain Bazin et Jean-Marc Delorme,
éditions Amphora.

132 NASA/SDO (ÉRUPTION SOLAIRE) ; SEGA

Le test du gorille invisible
L’homme dispose d’assez piètres
capacités d’observation. Jusqu’à
être parfois aveugle à ce qui
se déroule sous ses yeux. Des
chercheurs en ont apporté la
preuve grâce au test du gorille
invisible. L’expérience consiste
à faire regarder à des cobayes
une vidéo montrant des individus
LU DANS Mon cerveau, ce héros, d’Elena Pasquinelli, éditions Le Pommier.
DANIEL SIMONS (EN HAUT) ; PASCAL FALIGOT/MUSÉE DES ARTS ET MÉTIERS-CNAM
qui jouent au ballon, les uns
vêtus de blanc, les autres de noir.
Les spectateurs doivent compter
le nombre de passes entre les
joueurs en blanc. Au cours de la
vidéo, un gorille fait son appari-
tion pendant dix secondes,
se déplaçant tranquillement et
se frappant même la poitrine
L’ancêtre de
l’autocuiseur
Il s’appelle le « Digesteur »
et on peut le considérer
comme l’ancêtre de nos
autocuiseurs domestiques.
Ce tout premier autoclave
a été mis au point par
le physicien et inventeur
français Denis Papin, à la
fin du XVIIe siècle. La force
de cet appareil était telle
qu’il pouvait réduire des os
d’animaux en gelée. Plus
de trois siècles plus tard,
les caractéristiques
mécaniques n’ont pas
changé : contenant réalisé
d’un seul tenant, soupape,
système de verrouillage…
VU À l’exposition Invention/Design,
au Musée des arts et métiers
(Paris), jusqu’au 6 mars 2016.
au beau milieu des joueurs.
Pourtant, seule la moitié des
personnes testées remarquent
l’animal. Ce phénomène,
qualifié de « cécité d’inattention »,
prouve qu’il ne suffit pas de fixer
quelque chose des yeux pour
le voir, mais bien qu’il faut aussi
être concentré.
5,2
millions
C’est le nombre d’hectares de
forêts qui ont disparu chaque
année dans le monde entre
2000 et 2010. Soit environ
l’équivalent de la superficie
de la République dominicaine.
Le Brésil est le pays le plus
touché par la déforestation,
suivi par l’Australie, l’Indonésie,
le Nigeria et la Tanzanie.
LU DANS L’Avenir des forêts ?
Comprendre vite et mieux,
de Stéphane Guéneau et Isabelle
Biagiotti, éditions Belin.
133
ENVIES ACTUALITÉS COMMERCIALES

FLEUR DE FIGUIER
DE ROGER & GALLET
En pleine nature, magnifique, tortueux
et généreux, le figuier porte un des fruits
les plus goûteux de la planète, gorgé du
soleil de Méditerranée. Fleur de figuier
rend hommage à l‘arbre, à la verdure de
ses feuilles, à son fruit charnu, à la sève
lactée de ses ramures. Une fraîcheur pul-
peuse se dessine, enveloppante, douce et...
gourmande. Fleur de figuier s’intensifie
aujourd’hui et se dessine désormais en
Eau de parfum aux essences précieuses distillées, une première pour la
maison Roger&Gallet. Plus intense. Plus riche. Plus sensuelle. Joie de
vivre, exubérance, bonheur en flacon, Fleur de Figuier Eau de parfum
est un délicieux pêché de gourmandise.
www.roger-gallet.com
LA COLLECTION
COCCINELLE 2015
Avec ses cinq séries spéciales, la Collection
Coccinelle 2015, a tout pour séduire.
Disponible en coupé ou cabriolet, cette nouvelle
Collection s’équipe de haute technologie et
surtout de style : sélectionnez celle qui vous
caractérise (trendy, chic, fun, rétro ou sportive)
et personnalisez davantage votre Cox grâce
à une sélection d’équipements à la fois
esthétiques et exclusifs, sans parler de sa jolie
gamme de couleurs. Un vrai bijou !
www.volkswagen-coccinelle.fr

AM.PM.
Depuis 1997, AM.PM. a su s’imposer
comme la marque de mobilier, de déco-
ration et de linge de maison. L’esprit
AM.PM. s’apprécie au travers de
collections modernes, en créant des
atmosphères uniques. Bois massifs
(chêne, hêtre, peuplier, bouleau…),
cuir vachette, étoffes naturelles (pur
lin lavé, percale 100% coton, éponge
épaisse et moelleuse…), verre trempé :
la marque sélectionne avec soin des
matières haute qualité pour des pièces qui durent et s’embellissent
naturellement au fil du temps.
www.ampm.fr

BALLANTINE’S BRASIL
From Scotland with a zest do Brasil. C’est
de la rencontre du savoir-faire écossais et
OLD EL PASO™ SANS PIMENT, d’une coutume brésilienne ancestrale selon
laquelle les Brésiliens ont l’habitude d’ajouter
PLEIN DE SAVEURS du citron vert dans leur spiritueux qu’est né
Old El Paso™ met tout le monde Ballantine’s Brasil, spiritueux à 35% alcool
d’accord, avec 4 nouvelles recettes à base de whisky écossais, partiellement
pleines de saveurs, mais sans piment, macéré avec des écorces de citrons verts bré-
idéales pour ceux qui préfèrent les siliens. Pour célébrer et partager ce mélange
recettes douces. À savourer pour les de culturesao, Ballantine’s Brasil part sur les
repas festifs en famille et entre amis ! routes et prendra place au sein de plusieurs
Kit pour tacos pour un moment fun et festivalsao.
décontracté en famille : Une pointe de cumin pour parfumer le bœuf et www.pernod-ricard.com
lui donner cette saveur inspirée du Mexique, mais sans piment ! L’abus d’alcool est dangereux pour la santé.
www.oldelpaso.fr À consommer avec modération.
 Le zoom
Rubrique réalisée par l’archiviste Bill Bonner

1909. Costumes et
robes sur la plage
En 1909 déjà, les touristes d’Atlantic City (New Jersey) avaient plus
que le sable et la mer pour s’occuper. Un regard à travers une loupe
révèle que le centre de loisirs du Steeplechase Pier leur proposait
aussi des souvenirs impérissables. Une pancarte dit : « Faites-vous
photographier en costume de bain. » Le terme « maillot de bain »
n’existait pas encore. Peu de femmes savaient même nager. Celles
qui allaient à la plage (dans de longues robes en coton ou en laine)
se contentaient de barboter dans les vagues en allant jusqu’où elles
avaient pied et souvent en se tenant la main entre elles pour ne pas
perdre l’équilibre. — Margaret G. Zackowitz

PHOTO : H. SMITH COMPANY/NATIONAL GEOGRAPHIC CREATIVE

 .fr
Le kiosque officiel de vos magazines préférés

Les meilleures offres d’abonnement sont sur :

www.prismashop.fr

10% de réduction supplémentaire

avec le code promo : PMSAP

+ Une sélection de produits à petits prix dans notre espace shopping !

Livres Multimédia Bijoux Cuisine Santé Pratique

& Papeterie & Accessoires & Bien-être & Loisirs
 Inspirer le désir de protéger la planète Le mois prochain
Septembre 2015
National Geographic Society est enregistrée à Washington, D.C. comme
organisation scientifique et éducative à but non lucratif dont la vocation
est « d’augmenter et de diffuser les connaissances géographiques ».

NATIONAL GEOGRAPHIC FRANCE president and ceo Gary E. Knell

13, rue Henri-Barbusse - 92624 Gennevilliers Cedex Inspire science and exploration: Terry D. Garcia
Standard : 01 73 05 60 96 Illuminate media: Declan Moore
Teach education: Melina Gerosa Bellows
RÉDACTEUR EN CHEF JEAN-PIERRE VRIGNAUD
executive management
RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Catherine Ritchie
legal and international publishing: Terry Adamson
Christian Levesque
CHEF DE STUDIO chief of staff: Tara Bunch
CHEF DE SERVICE Céline Lison communications: Betty Hudson
content: Chris Johns
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Fabien Maréchal
ng studios: Brooke Runnette
VERSION NUMÉRIQUE ET ASSISTANTE talent and diversity: Thomas A. Sabló
DE LA RÉDACTION Nadège Lucas operations: Tracie A. Winbigler

SITE INTERNET Olivier Liffran international publishing

CARTOGRAPHE Emmanuel Vire senior vice president: Yulia Petrossian Boyle
vice president of strategic development: Ross Goldberg
vice president of international publishing and business
CONSULTANTS SCIENTIFIQUES SARAH CARON
development: Rachel Love
Philippe Bouchet, systématique
Cynthia Combs, Ariel Deiaco-Lohr, Kelly Hoover,
Jean Chaline, paléontologie
Diana Jaksic, Jennifer Jones, Jennifer Liu, Rachelle Perez À La Havane, une jeune femme se rend
Françoise Claro, zoologie à son mariage avec son père et son oncle,
board of trustees
Bernard Dézert, géographie
Jean-Yves Empereur, archéologie
chairman: John Fahey à bord d’une vieille voiture américaine.
Dawn L. Arnall, Wanda M. Austin, Michael R. Bonsignore,
Jean-Claude Gall, géologie Jean N. Case, Alexandra Grosvenor Eller, Roger A. Enrico,
Jean Guilaine, préhistoire William R. Harvey, Gary E. Knell, Maria E. Lagomasino,

Cuba libre !
André Langaney, anthropologie Jane Lubchenco, Nigel Morris, George Muñoz, Reg Murphy,
Pierre Lasserre, océanographie Patrick F. Noonan, Peter H. Raven, Edward P. Roski, Jr.,
Frederick J. Ryan, Jr., B. Francis Saul II, Ted Waitt,
Hervé Le Guyader, biologie
Hervé Le Treut, climatologie
Tracy R. Wolstencroft La poignée de main entre Obama
research and exploration committee
Anny-Chantal Levasseur-Regourd, astronomie chairman: Peter H. Raven
et Raúl Castro, le 10 avril 2015,
Jean Malaurie, ethnologie
François Ramade, écologie
vice chairman: John M. Francis a fait couler beaucoup d’encre.
Paul A. Baker, Kamaljit S. Bawa, Colin A. Chapman,
Alain Zivie, égyptologie Keith Clarke, J. Emmett Duffy, Carol P. Harden, Kirk Johnson, Qu’en est-il dans les faits et dans
Jonathan B. Losos, John O’Loughlin, Naomi E. Pierce,
Jeremy A. Sabloff, Monica L. Smith, Thomas B. Smith, les têtes du vent de liberté qui
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO : Wirt H. Wills
Emanuela Ascoli, Philippe Babo, Béatrice Bocard, explorers - in - residence
soufflerait sur l’île des barbudos ?
Philippe Bonnet, Jean-François Chaix, Robert Ballard, Lee R. Berger, James Cameron, Sylvia Earle,

Les belles américaines

Sonia Constantin, Bernard Cucchi, Joëlle Hauzeur, J. Michael Fay, Beverly Joubert, Dereck Joubert,
Sophie Hervier, Hélène Inayetian, Louise Leakey, Meave Leakey, Enric Sala, Spencer Wells
Marie-Pascale Lescot, Hugues Piolet, Hélène Verger fellows
Dan Buettner, Sean Gerrity, Fredrik Hiebert, Zeb Hogan,
de Cuba
Licence de la NATIONAL GEOGRAPHIC SOCIETY
Corey Jaskolski, Mattias Klum, Thomas Lovejoy,
Greg Marshall, Sarah Parcak, Sandra Postel, Paul Salopek,
Chevrolet, Pontiac, Chrysler…
Magazine mensuel édité par : NG France Joel Sartore, Barton Seaver Ces voitures américaines
Siège social : 13, rue Henri-Barbusse, treasurer : Barbara J. Constantz
92624 Gennevilliers Cedex finance : Michael Ulica des années 1950 font partie de
Société en Nom Collectif au capital de 5 892 154,52 € development : Bill Warren
Ses principaux associés sont : PRISMA MÉDIA et VIVIA technology : Jonathan Young l’image « carte postale » de l’île.
MARTIN TRAUTMANN, DIRECTEUR DE LA PUBLICATION À leur bord, nous avons exploré
MARTIN TRAUTMANN, PIERRE RIANDET, GÉRANTS national geographic magazine
13, rue Henri-Barbusse, 92624 Gennevilliers Cedex editor in chief Susan Goldberg La Havane et ses environs.
Tél. : 01 73 05 60 96 digital general manager Keith Jenkins

Sauver les trésors

FABRICE ROLLET, DIRECTEUR COMMERCIAL managing editor: David Brindley.
Éditions National Geographic executive editor environment: Dennis R. Dimick.
Tél. : 01 73 05 35 37
director of photography: Sarah Leen.
executive editor news and features: David Lindsey
de Mes Aynak
creative director: Emmet Smith. En Afghanistan, un richissime
executive editor science: Jamie Shreeve.
MARKETING ET BUSINESS DÉVELOPPEMENT executive editor cartography, art and graphics: gisement de cuivre se trouve sous
Julie Le Floch, Directrice adjointe Kaitlin M. Yarnall
DIFFUSION un précieux site bouddhiste antique.
Serge Hayek, Directeur Commercial Réseau (01 73 05 64 71) international editions
Bruno Recurt, Directeur des ventes (01 73 05 56 76) editorial director: Amy Kolczak.
Laurent Grolée, Directeur Marketing Client
(01 73 05 60 25)
deputy editorial director: Darren
multimedia editor: Laura L. Ford.
Smith.
Un animal haut en couleur
production: Sharon Jacobs
Charles Jouvin, Directeur Marketing Opérationnel
(01 73 05 53 28)
Ses variations chromatiques
editors
PUBLICITÉ arabic : Alsaad Omar Almenhaly. expressives, ses coups
DIRECTEUR EXÉCUTIF PRISMA PUB :
azerbaijan : Seymur Teymurov.
Philipp Schmidt (01 73 05 51 88)
brazil : Angélica Santa Cruz.
de langue, son habitat en péril :
DIRECTRICE COMMERCIALE : Virginie Lubot (01 73 05 64 50)
DIRECTRICE COMMERCIALE (opérations spéciales) :
bulgaria : Krassimir Drumev. les scientifiques ont toutes les
Géraldine Pangrazzi (01 73 05 47 49) china : Bin Wang.
DIRECTEUR DE PUBLICITÉ : croatia : Hrvoje Prćić. raisons de s’intéresser au caméléon.
Arnaud Maillard (01 73 05 49 81) czechia : Tomáš Tureček.
DIRECTRICES DE CLIENTÈLE : estonia : Erkki Peetsalu.
Evelyne Allain Tholy (01 73 05 64 24); Karine Azoulay
(01 73 05 69 80); Sabine Zimmermann (01 73 05 64 69)
farsi : Babak Nikkhah Bahrami. L’art sur le pas de la porte
france : Jean-Pierre Vrignaud.
DIRECTRICE DE PUBLICITÉ – SECTEUR AUTOMOBILE ET LUXE : georgia : Levan Butkhuzi. Muni d’un téléphone portable,
Dominique Bellanger (01 73 05 45 28)
Responsable Back Office : Céline Baude (01 73 05 64 67)
germany : Florian Gless. un photographe répertorie la flore
hungary : Tamás Vitray.
Responsable Exécution : Laurence Prêtre (01 73 05 64 94)
Assistante Commerciale : Corinne Prod’homme india : Niloufer Venkatraman. et la faune de son jardin.
(01 73 05 64 50) indonesia : Didi Kaspi Kasim.
israel : Daphne Raz.
FABRICATION
italy : Marco Cattaneo.
Stéphane Roussiès, Maria Pastor
japan : Shigeo Otsuka.
Imprimé en Pologne : RR Donnelley, ul. Obr. Modlina 11,
korea : Junemo Kim.
30-733 Kraków, Poland
latin america : Fernanda González Vilchis.
Dépôt légal : août 2015
latvia : Linda Liepiņa.
Diffusion : Presstalis. ISSN 1297-1715. La rédaction du magazine
lithuania : Frederikas Jansonas.
Commission paritaire : 1214 K 79161. n’est pas responsable de la
netherlands / belgium : Aart Aarsbergen. perte ou détérioration des
SERVICE ABONNEMENTS nordic countries : Karen Gunn. textes ou photographies qui
lui sont adressés pour appré-
NATIONAL GEOGRAPHIC FRANCE ET DOM-TOM poland : Martyna Wojciechowska.
ciation. La reproduction,
62066 Arras Cedex 09. Tél. : 0 811 23 22 21 portugal : Gonçalo Pereira. même partielle, de tout maté-
www.prismashop.nationalgeographic.fr romania : Catalin Gruia. riel publié dans le magazine
est interdite. Tous les prix
VENTE AU NUMÉRO ET CONSULTATION : Tél. : 0 811 23 22 21 russia : Alexander Grek. indiqués dans les pages sont
(prix d’une communication locale) serbia : Igor Rill. donnés à titre indicatif.
Abonnement slovenia : Marija Javornik.
France : 1 an - 12 numéros : 45 € spain : Josep Cabello.
Belgique : 1 an - 12 numéros : 45 € Copyright © 2014 National Geographic Society
taiwan : Yungshih Lee.
Suisse : 14 mois - 14 numéros : 79 CHF All rights reserved. National Geographic and Yellow Border:
(Suisse et Belgique : offre valable pour un premier abonnement) thailand : Kowit Phadungruangkij. Registered Trademarks ® Marcas Registradas. National
Canada : 1 an - 12 numéros : 73 CAN$ turkey : Nesibe Bat. Geographic assumes no responsibility for unsolicited materials.
Le mois prochain Destination

Le régime castriste relâche la p

Mais les Cubains rêvent-ils vraim
Reportage dans la Havane d’au
 Cuba

pHoto : saRaH CaRon

pression, les États-Unis se rapprochent…

ment d’une vie à l’occidentale ?
ujourd’hui.
 Innover pour changer le monde

Entrepreneuse russe
de 32 ans, Irina
Rymshina a contribué
à mettre au point
un test de dépistage
original des maladies
sexuellement
transmissibles.

La bague qui détecte

les maladies
La syphilis, la chlamydiose, la gonorrhée et la
trichomoniase font partie des maladies sexuellement
transmissibles les plus communes. Elles infectent
chaque année 500 millions de personnes dans le
monde mais, dans les trois quarts des cas, aucun
symptôme n’est visible. Et c’est bien là que le bât
blesse. Car si elles ne sont pas détectées et traitées,
ces infections peuvent conduire à des cas d’infertilité
et/ou de cancer. L’été dernier, avec deux autres
chercheurs, Irina Rymshina a eu l’idée de créer un outil
de diagnostic fiable, simple d’utilisation et peu
onéreux. Le projet ? Hoope, une bague à enfiler au
pouce, qui réalise en quelques secondes un
prélèvement sanguin indolore et analyse l’échantillon.
« Un minilaboratoire est intégré à la bague, détaille
la scientifique. À l’intérieur, un papier spécial détecte
les anticorps éventuellement présents dans le sang.
La réaction chimique provoque un signal électronique
spécifique. » Le résultat de l’analyse est envoyé grâce
à une connexion Bluetooth sur le smartphone de
la personne testée. L’application Hoope lui propose
alors des conseils adaptés de traitement ou de
prévention. La bague est réutilisable, en changeant à
chaque fois la partie « laboratoire ». « L’objectif est de
vendre Hoope directement aux utilisateurs, explique
Irina Rymshina. Non seulement dans les pharmacies,
mais aussi dans les magasins que fréquentent les
jeunes adultes. Plus besoin d’aller chez le médecin ou
dans des centres spéciaux pour se tester. » Un
prototype devrait être prêt d’ici à la fin de l’année. Puis,
Hoope sera commercialisé en Europe et aux États-Unis,
pour 50 dollars. Mais, comme la jeune femme le
précise, « nous espérons le vendre encore moins cher
dans les pays en développement. » — Céline Lison Portée au pouce, la bague prélève
un échantillon de sang et l’analyse.
Plus d’infos (en anglais) : www.hoope.io

138 ILLUSTRATION : RAPHAËL DROMMELSCHLAGER

 1 FEMME
SUR 3È L E
ES T INFID