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Le 20 mai 1498, trois vaisseaux portugais, après avoir doublé le cap de

Bonne-Espérance, atteignent les côtes des Indes orientales. Cet événement


majeur dans l’histoire du monde inaugure une longue période d’échanges
entre Occidentaux et Orientaux.
Chaque grande nation européenne, désireuse de disposer de sa propre
Compagnie des Indes, met en place de puissantes institutions qui
bénéficient du monopole des relations commerciales et maritimes. Le
développement de leurs flottes transforme cette aventure en épopée
maritime. La demande croissante de produits d’Asie conduit les
Compagnies à rivaliser pour la conquête de nouveaux marchés. Installées
peu à peu dans toutes les Indes orientales, elles deviennent de formidables
machines de pouvoir, élément essentiel du processus de conquête du monde
par les Européens.
Le présent ouvrage est la première approche comparative consacrée aux
différentes Compagnies des Indes.
Philippe HAUDRÈRE : agrégé d’histoire, docteur d’état, est professeur à
l’Université d’Angers et membre de l’Académie de marine. L’essentiel de
ses travaux porte sur les Compagnies des Indes. Il a publié notamment La
Compagnie française des Indes au XVIIIe siècle et aux éditions
Desjonquères, en 1992, La Bourdonnais, marin et aventurier.
DU MÊME AUTEUR

La Bourdonnais. Marin et aventurier, Paris, Desjonquères, 1991 (Prix de


l’Académie de Marine).
La Compagnie française des Indes au XVIIIe siècle, 1e éd., Paris, Librairie
de l’Inde, 1989 ; 2e éd., Paris, Les Indes savantes, 2005.
Les Flottes des Compagnies des Indes (XVIIe - XIXe siècles), Vincennes,
Service historique de la Marine.
L’Empire des rois (v. 1500 - v. 1789), Paris Denoël, 1996 (Prix de
l’Académie des sciences morales et politiques).
Le Grand commerce maritime. Les espaces maritimes, Paris, S.E.D.E.S.,
1997.
De l’esclave au citoyen, Paris, Gallimard, 1998.
Les Compagnies des Indes, Rennes, Ouest-France, 1999 ; 2004 (Prix du
Grand Ouest).
DANS LA MÊME COLLECTION
OUTREMER

— Jean MEYER, Histoire du sucre


— Paul BUTEL, Histoire du thé
— Frédéric MAURO, Histoire du café
— Jean-Baptiste SERIER, Histoire du caoutchouc
— Alain HUETZ DE LEMPS, Histoire du rhum
— Jean-François LABOURDETTE, Vergennes,
Ministre principal de Louis XVI

— Philippe HAUDRÈRE, La Bourdonnais : marin et aventurier


— Philippe HAUDRÈRE Les Compagnies des Indes orientales
Trois siècles de rencontres entre Orientaux et Occidentaux

— Catherine COQUERY-VIDROVITCH, Les Africaines


Histoire des femmes d’Afrique noire du XIXe au XXe siècle

— Bartolomé BENNASSAR, Histoire de la tauromachie


Une société du spectacle

— Geneviève BOUCHON, Albuquerque :


Le lion des mers d’Asie

— Frédérique RÉMY, Histoire des Pôles :


Mythes et réalités polaires (XVIIe-XVIIIe siècles)
PHILIPPE HAUDRÈRE

LES COMPAGNIES DES INDES ORIENTALES

Trois siècles de rencontre


entre Orientaux et Occidentaux
(1600 - 1858)

Publié avec le concours du


Centre National du Livre

ÉDITIONS DESJONQUÈRES
www.centrenationaldulivre.fr

© Éditions Desjonquères, 2006


15-17, rue au Maire
75003 PARIS

ISBN EPUB : 978-2-84321-495-0


ISBN papier : 978-2-84321-083-9
INTRODUCTION

L’arrivée de trois vaisseaux portugais dans le port de Calicut, sur la côte


sud-ouest de l’Inde, le 20 mai 1498, est un événement majeur dans
l’histoire du monde. Pour la première fois, des navires armés en Europe
atteignent la côte de l’Asie orientale ; c’est le prélude à une longue période
d’échanges entre Orientaux et Occidentaux, échanges tant de biens
commerciaux — métaux précieux et marchandises — que d’éléments
culturels, comme les modes de vie et les idées.
Avant l’ouverture de cette nouvelle route maritime, les Occidentaux
avaient une connaissance fragmentaire et souvent erronée de l’Asie
orientale. Depuis longtemps pourtant ils en appréciaient les principaux
produits, surtout les soieries de la Chine et les épices de l’Inde. Au premier
siècle de notre ère, Pline l’Ancien déplore l’engouement des riches
Romains pour ces produits : « Il n’est pas d’années, écrit-il, où l’Inde tire
moins de cinquante millions de sesterces de notre empire en échange de
marchandises vendues chez nous cent fois leur prix » 1, ou encore : « Il est
étonnant que l’usage [du poivre] ait rencontré tant de faveur. Dire qu’il ne
plaît que par son amertume, et qu’on va le chercher dans l’Inde ! Le poivre
et le gingembre poussent à l’état sauvage dans leurs pays, et pourtant ils
s’achètent au poids comme l’or ou l’argent » 2. Les Romains se procurent
ces produits dans les pays du Proche-Orient où ils arrivent par la route des
caravanes, surtout la fameuse « route de la soie », ou encore par voie
maritime dans les ports du golfe Persique et de la mer Rouge. Les
Byzantins poursuivent ces trafics, et les Francs y participent lorsqu’ils
s’installent au Levant durant les Croisades.
Au Moyen-Âge, de grands changements ont lieu. La production de soie se
développe en Occident. Des œufs auraient été apportés à Constantinople en
533 par un moine, qui les aurait dissimulés dans un bâton creux, sans doute
un bambou. À la fin du VIe siècle le travail de la soie, c’est-à-dire non
seulement l’élevage des vers à soie et la production des cocons, mais aussi
la filature et le moulinage, qui supposent une technique éprouvée, s’installe
au Proche-Orient ; de là il gagne les îles de la Méditerranée, puis il pénètre
en Italie avec les retours des premières croisades. La production locale n’est
pas suffisante pour pouvoir répondre complètement à la demande, aussi un
courant d’importation depuis la Chine est-il maintenu ; cependant
l’Occident échappe en grande partie à sa dépendance vis-à-vis de la « route
de la soie ».
À la suite des Croisades et grâce aux relations étroites avec l’empire
byzantin, les Européens sont assez bien informés sur les régions voisines de
la Méditerranée, mais ils ignorent à peu près tout du reste du continent. À
partir du XIIIe siècle cependant, quelques voyageurs se rendent en Asie
centrale et en Chine, le plus célèbre est le commerçant Marco Polo, parti de
Venise en 1271 avec son père et son oncle, et revenu en 1295, après avoir
passé plus de dix-sept ans en Chine. Le récit de son voyage — le Livre des
merveilles du monde —, écrit peu avant l’apparition de l’imprimerie,
connaît une diffusion considérable. Son tableau de la Chine paraît si
extraordinaire que beaucoup de ses contemporains y voient une œuvre
d’imagination ; l’auteur s’en défend jusque sur son lit de mort, assurant
qu’il n’a pas raconté la moitié de tout ce qu’il aurait pu dire, et sa fortune
considérable — son livre est surnommé Il Milione — ainsi que les quelques
objets orientaux ramenés par lui paraissent confirmer ses dires.
À la fin du XIIIe siècle les Occidentaux perdent leurs derniers
établissements au Levant, en particulier Saint-Jean-d’Acre, évacué en 1291.
Au XIVe siècle, la menace ottomane sur Byzance devient de plus en plus
pressante ; vers 1340, les Ottomans atteignent le Bosphore et la « nouvelle
route de la soie » — voie de commerce libre pour les Gênois et les
Vénitiens vers les ports de la mer Noire et au-delà vers l’Asie centrale —,
est fermée. En 1453 enfin, la nouvelle de la prise de Constantinople par les
Ottomans éclate comme un coup de tonnerre.
Les négociants de Venise, devenus les premiers fournisseurs de produits
d’Orient depuis la victoire de la Sérénissime sur Gênes en 1381,
développent un trafic de substitution par Alexandrie, qui reçoit les produits
venus d’Orient par la voie maritime de la mer Rouge. Les échanges portent
sur de la soie et des soieries, des épices, surtout le poivre, des cotonnades et
de l’or, obtenus contre de l’argent, de la quincaillerie et des draps de laine,
dont l’Italie est une grande productrice depuis le milieu du XIIIe siècle.
Toute cette organisation va être menacée par l’irruption des Portugais
dans l’océan Indien.
Dans cette région du monde, comme le montre la diversité des produits
proposés aux Vénitiens sur la place d’Alexandrie, les échanges maritimes
sont alors très actifs. Une voie navigable joint les ports de la mer de Chine à
ceux du golfe Persique et de la mer Rouge, avec des centres commerciaux
très actifs dans l’archipel et en Malaisie, au Bengale et sur la côte orientale
de l’Inde, au Goudjerat et sur la côte occidentale de la presqu’île. De cette
voie principale partent de nombreuses routes : les ports de la Chine sont en
relation avec ceux du Japon ; les bâtiments arabes se rendent sur la côte de
l’Afrique orientale. Ici la pratique de la navigation obéit au régime de la
mousson : celle de l’été porte les navires d’Ouest en Est ; celle de l’hiver
dans le sens inverse. Il faut environ deux ans pour parcourir l’ensemble de
la route, ce que font très peu de navigateurs. En revanche, il faut moins de
six mois, en partant d’Extrême-Orient, pour atteindre le port de Malacca,
situé au milieu du dispositif, sur le détroit qui a pris son nom, et autant pour
en revenir ; de même, depuis le golfe Persique ou la mer Rouge, il faut
moins de six mois pour gagner la péninsule malaise ou pour en revenir. Le
port de Malacca revêt donc une importance commerciale considérable. On y
échange les produits d’Extrême-Orient, soie, porcelaine, bois de santal et
épices, contre des produits de l’Inde et de l’Asie occidentale, cotonnades,
l’encens, ivoire, objets en métal. Les volumes transportés sont
considérables. Un Britannique déclare en 1688 : « En faisant la guerre [aux
armateurs des ports de l’Inde] nous bloquons leur commerce avec toutes les
nations orientales, qui représente dix fois plus que le nôtre et celui de toutes
les nations européennes réunies » 3.
Un siècle durant, les Portugais vont être les seuls Européens à se rendre
aux Indes orientales par la nouvelle route du cap de Bonne-Espérance, donc
à participer à ces trafics ; leur influence en l’Asie est alors importante. En
Europe, et principalement en Europe du Nord, où les consommateurs sont
les plus nombreux, les Portugais prennent le contrôle du marché des épices
jusqu’alors dominé par les Vénitiens (comme en témoigne l’importance du
Fondaco dei Tedeschi) : en 1501, le premier navire chargé d’épices
apportées par la route du Cap entre à Anvers ; en 1508, la Casa de India de
Lisbonne, organisme d’État chargé de la vente des produits venus des Indes
orientales, ouvre une succursale dans le port flamand.
C’est la fortune à la fois de Lisbonne et d’Anvers. Mais celle-ci sera de
courte durée — jusqu’au milieu du XVIe siècle —, car les Portugais
refusent de faire évoluer un monopole d’État devenu, par manque de
capitaux, incapable de répondre à l’accroissement de la demande. Leurs
difficultés sont exploitées par les Vénitiens. Dès 1530, la Sérénissime ouvre
à nouveau un marché du poivre ; celui qu’elle propose est plus cher que
celui des Portugais, mais en général de meilleure qualité. En 1549, les
Portugais ferment leur agence d’Anvers qui n’est plus rentable, les
Vénitiens ayant repris le contrôle de près de la moitié du marché européen.
Durant la seconde moitié du XVIe siècle, la situation commerciale et
financière des Portugais continue de se détériorer, si bien qu’au début du
XVIIe siècle d’autres puissances maritimes, ayant acquis les connaissances
maritimes nécessaires pour parcourir la route du Cap, arrivent aux Indes
orientales.
Pour conduire les échanges, ces puissances créent des Compagnies des
Indes. Ce sont des associations de grands négociants ayant le monopole des
relations commerciales et maritimes entre l’Asie et l’Europe par la route du
cap de Bonne-Espérance. Chaque nation d’Europe du Nord-Ouest dispose
de sa Compagnie des Indes et chaque souverain, en autorisant sa création,
s’engage à faire respecter le monopole de navigation par ses sujets. Ce
monopole permet un ravitaillement correct du marché, et attire les
placements, car il assure une bonne rentabilité. Les Compagnies des Indes
reçoivent une délégation de souveraineté : elles peuvent ainsi passer des
traités avec les princes régnant sur les territoires où elles établissent leurs
comptoirs, rendre la justice, battre monnaie, entretenir des armées.
On distingue généralement trois grandes périodes dans la création des
Compagnies des Indes orientales : entre 1600 et 1630, le modèle est mis au
point par les Hollandais, puis par les Anglais, qui s’emparent d’un marché
dont ils ont écarté les Portugais ; de 1660 à 1680, de nouvelles compagnies
sont créées à l’initiative des souverains de France et de Danemark ; enfin,
entre 1720 et 1740, la Compagnie impériale (l’empereur du Saint Empire
romain germanique dispose d’un accès à la mer du Nord depuis que les
Pays-Bas du Sud lui ont été cédés par le traité d’Utrecht de 1713) et la
Compagnie suédoise voient le jour, répondant à un souci de relance
économique, après une série de guerres difficiles.
La puissance des Compagnies des Indes en Asie vient avant tout de leurs
marines. Des formules originales vont être mises au point pour la
construction navale, la conduite des vaisseaux et le recrutement du
personnel navigant.
Créées avant tout pour le négoce, les Compagnies des Indes rivalisent
dans la recherche de nouveaux marchés, tant en Europe qu’en Asie. Ces
heurts vont conduire à des guerres puis à la domination coloniale. La
gestion d’une importante armée et d’un domaine colonial étendu excèdent
peu à peu les capacités de ces sociétés de commerce de sorte que les
Compagnies des Indes disparaissent progressivement entre la fin du
XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle.
I

LA CRÉATION DES COMPAGNIES DES INDES


I
LES PORTUGAIS ET L’OUVERTURE
DE LA ROUTE DU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE

L’événement de 1498 est l’aboutissement d’un projet qui débute presque


un siècle plus tôt, en 1415, par la prise de Ceuta, première installation
portugaise sur le sol africain et se poursuit le long des côtes de l’Afrique en
direction du sud. Le cap Bojador, promontoire rocheux, situé au sud du
Maroc actuel, s’avance sur plus de quarante kilomètres vers l’ouest.
Précédé de récifs, souvent environné de brouillards épais, et balayé de vents
violents, il constitue un obstacle naturel redoutable pour les navigateurs de
l’époque. En outre un fort courant empêche le retour vers le nord. Ce cap
est franchi en 1435. Vers 1460 les Portugais atteignent le Sierra Leone et
autour de 1470 la Côte de l’Or. En 1488 enfin, une flotte placée sous le
commandement de Bartholomé Diaz franchit l’extrémité méridionale du
continent africain, son retour en Europe annonce l’ouverture de la route
maritime vers l’Inde.
Cette progression est appuyée sur des installations permanentes. Les
Portugais colonisent d’abord les îles : Madère à partir de 1419, les Açores
en 1439, l’archipel du Cap Vert en 1456, et surtout Saint-Tomé et Principe
dans le golfe de Guinée, où ils s’établissent en 1470. Ils s’installent alors
sur le continent africain lui-même, pratiquant le troc à partir des vaisseaux
stationnés dans les rades ou les estuaires. Ils créent une factorerie sur l’île
d’Arguin, près du cap Blanc pour attirer le trafic caravanier en provenance
du Soudan et acquérir de la poudre d’or, de l’ivoire et des esclaves qui sont
échangés contre des étoffes, du blé, des chevaux et de la dinanderie. Ils
s’établissent ensuite à l’embouchure du Sénégal, puis à celle de la Gambie.
La construction du fort Saint-George de la Mine (Elmina) sur la côte de
l’Or, en 1482 permet le développement des activités commerciales des
Portugais qui contrôlent désormais la majeure partie de la production du
métal précieux obtenu dans la région par orpaillage.
Simultanément les Portugais organisent des formes originales de
colonisation. Ainsi dans les factoreries, ils encouragent l’installation de
commerçants ou d’aventuriers, contraints parfois de s’expatrier après une
condamnation pénale (ce sont les degrados). Ils fondent souvent des
familles et leurs enfants mulâtres s’intègrent dans la société africaine. Dans
les îles, encore désertes à leur arrivée, les premiers colons créent des
plantations de canne à sucre, dirigées par des Portugais venus de la
métropole mais mises en valeur par des esclaves africains transportés
depuis le continent.
Toute cette activité suppose une bonne maîtrise de la navigation. Les
Portugais mettent au point un bâtiment nouveau, la caravelle, capable de
remonter assez correctement au vent. Ils disposent de boussoles et
d’instruments d’observation astronomique, sans doute empruntés aux
navigateurs arabes, qui les tenaient eux-mêmes des marins d’Extrême-
Orient.

POURQUOI LES PORTUGAIS ?

Cet art de la navigation n’est pas propre aux seuls Portugais. D’autres
nations en Europe, comme les Galiciens, les Basques, les Bretons, les
Flamands et d’autres populations riveraines de la mer du Nord, ont une
maîtrise analogue de la navigation au long cours. La principale
interrogation est donc : pourquoi les Portugais et non les autres peuples
engagèrent-ils cette aventure commerciale ?
Il est difficile d’apporter une réponse satisfaisante tant les comportements
sont ambigus. La religion, le commerce, la politique et la stratégie sont
étroitement mêlés dans les mentalités de l’époque ; ainsi ce marchand de
Prato commençait-il ses livres de comptes par l’invocation : « Au nom de
Dieu et du profit ». Au risque de simplifier, on peut cependant distinguer
quatre objectifs principaux assignés aux expéditions navales : 1. la
poursuite de la croisade contre les infidèles ; 2. la recherche de métaux
précieux ; 3. l’alliance avec le prêtre Jean ; 4. la recherche des épices.
Essayons de préciser l’importance relative de chacun de ces objectifs. Il
est certain que l’expansion portugaise a un aspect missionnaire très marqué,
les souverains utilisent habilement l’idée de croisade, à laquelle ils sont
réellement attachés, pour obtenir puis conserver le monopole de
l’exploitation commerciale des terres nouvellement découvertes. En 1455, à
la demande du roi Alphonse V et de son oncle, le prince Henri le
Navigateur, le pape Nicolas V autorisait les Portugais, et eux seuls, à
évangéliser les populations des régions nouvellement découvertes. Dans ces
mêmes régions, il donnait aux Portugais, à l’exclusion des autres puissances
maritimes, le monopole de l’exploration et du commerce, à l’exception de
la vente des armes à feu et d’autres engins de guerre. L’année suivante le
pape Calixte III confirmait la décision de son prédécesseur et la renforçait
même en donnant à l’Ordre du Christ, dont le prince Henri le Navigateur
était le protecteur, la juridiction spirituelle sur toutes les terres conquises ou
à conquérir par les Portugais, « depuis le cap Bojador […], sur la route de
Guinée, et au-delà, vers le Midi ».
Les voyages d’exploration et de conquête coûtent cher et les Portugais ont
de gros besoins financiers. Les seules ressources de la métropole sont
insuffisantes. Cette préoccupation apparaît dès 1415 : lors de la prise de
Ceuta le prince Henri s’inquiète auprès des prisonniers maures — selon une
lettre écrite par le capitaine Diego Gomes à Martin Behaim de
Nuremberg — des conditions de navigation vers les régions situées au sud
du Sahara, ces régions d’où provient l’or, « afin de pouvoir faire du
commerce avec les habitants de celles-ci, et ainsi entretenir sa maison » 4.
La création du fort d’Arguin, puis de celui d’Elmina répond à la même
volonté. Et cette politique porte des fruits. En 1457, Lisbonne commence à
frapper le cruzado (la croisade !), pièce à forte teneur en or, qui demeurera
en circulation durant plus d’un siècle. Aux profits qu’apporte le commerce
du métal précieux, viennent s’ajouter les bénéfices du trafic des esclaves,
pratiqué avec la collaboration des marchands africains et l’accord des chefs
locaux.
La quête du royaume du prêtre Jean est aussi un objectif important. Dans
les récits de voyages fantastiques, ce souverain est à la tête d’un royaume
mythique situé à l’est ou au sud-est de la Méditerranée, vers l’Afrique
orientale, l’Éthiopie ou l’Asie. Il pourrait devenir un allié de revers précieux
dans la lutte contre les Musulmans. Après l’échec des tentatives effectuées
pour remonter les fleuves Sénégal et Gambie, puis le Niger et le Congo, il
apparaît probable que ce royaume se trouverait en direction de l’est et ne
serait accessible que par voie maritime.
La recherche des épices présente également un grand intérêt pour les
dirigeants du Portugal. Les princes de la maison d’Aviz, dont fait partie
Henri le Navigateur, comprennent très vite les profits considérables pour la
Couronne qu’apportent les taxes prélevées sur le commerce lointain, et ils
peuvent s’y intéresser d’autant plus que le royaume a désormais une forte
unité politique. Le reste de la péninsule en revanche est perturbé par « le
temps des troubles » qui précéde l’avènement des rois catholiques. Quant
aux autres puissances maritimes de l’Europe occidentale, comme la France
et l’Angleterre, elles sont engagées dans la guerre de Cent Ans. En outre, au
Portugal, les grands commerçants, et en particulier les négociants
armateurs, occupent une place de premier ordre dans la société depuis la
disparition de la majeure partie de l’ancienne noblesse, tuée ou exilée pour
avoir pris le parti des envahisseurs castillans, définitivement battus à
Aljubarotta le 14 août 1385.
La volonté commerciale royale apparaît clairement dans les instructions
remises par Don Manuel Ier à Vasco de Gama, commandant de la flotte,
armée en 1497, qui ouvrit la route des Indes. Elles indiquaient entre autres
qu’il fallait parvenir à s’approprier le marché de la fourniture des épices à
l’Europe, en écartant les Vénitiens qui se procurent ces denrées auprès des
marchands musulmans d’Égypte et du Levant, eux-mêmes ravitaillés par
des caravanes venues d’Orient. Le projet du souverain portugais est de créer
une route maritime permettant le transport de grandes quantités d’épices à
partir des Indes orientales, comme ses prédécesseurs l’avaient fait pour l’or
de la Guinée.
Toutefois, l’esprit de la croisade n’est pas oublié. Vasco de Gama
emporte, non seulement des échantillons d’épices et de poudre d’or destinés
à être exhibés lors des escales pour savoir si de tels produits sont connus,
mais aussi des lettres de créance par lesquelles le roi du Portugal propose
d’ouvrir des relations diplomatiques avec le prêtre Jean ou le roi de Calicut.
Citons cette anecdote : lorsque les Portugais débarquent à Calicut, ils
rencontrent deux marchands tunisiens qui connaissent la langue castillane ;
à leur question angoissée : « Que diable venez-vous faire ici ? », Vasco de
Gama répond : « Nous sommes venus chercher des chrétiens et des
épices » 5. Plus tard, en juillet 1499, quelques jours après le retour des
caravelles à Lisbonne, Don Manuel annonce aux rois catholiques que les
explorateurs ont trouvé beaucoup de clous de girofle, de cannelle et autres
épices, ainsi que « des contrées dans lesquelles il y a des mines d’or ». Puis
il leur fait part de sa volonté de s’emparer du trafic des épices vers
l’Europe, en l’ôtant — au besoin par la force — aux Musulmans, avec
l’aide des chrétiens de l’Inde (sans doute des Nestoriens) rencontrés par les
Portugais. Il envoie une missive analogue au pape et en profite pour
solliciter la confirmation de la bulle donnant à sa Couronne « suzeraineté et
domination » sur les terres découvertes, contre l’obligation d’assurer
l’évangélisation.
Les profits attendus de la mainmise sur le commerce entre l’Asie et
l’Europe, conduisent le roi — qui porte désormais le titre de « Seigneur de
Guinée et de toutes les mers ouvertes à la navigation et au commerce en
Éthiopie, Arabie, Perse et Inde » — et ses conseillers, à engager les
dépenses nécessaires pour parvenir à prendre le contrôle des voies
maritimes de l’océan Indien.

UN MONDE FAIBLE MILITAIREMENT ET DIVISÉ POLITIQUEMENT

La situation politique et militaire est favorable à une telle initiative, car


les puissances riveraines de l’océan Indien sont affaiblies par des rivalités
interminables.
En premier lieu, les découvreurs portugais reconnaissent sur la côte de
l’Afrique orientale les cités-états de Monbaze et de Melinde, en lutte
continuelle pour le contrôle des échanges de produits venus de l’intérieur du
continent — esclaves, or et ivoire, contre marchandises, cotonnades,
soieries et perles, amenées par les marchands arabes et goudjeratis. Ils
apprennent que la navigation dans la mer Rouge est dominée par le très
puissant empire mamelouk 6, qui contrôle le trafic entre l’Asie et l’Europe
par les ports de Suez et d’Alexandrie, mais que celui-ci est désorganisé par
les attaques victorieuses des Ottomans. En outre, dans le golfe Persique, le
commerce maritime est perturbé par la rivalité entre le shah de Perse, Ismaïl
Ier, fondateur de la dynastie des Safavides, et les Ottomans. La cité
d’Ormuz, bâtie sur une petite île à l’entrée du golfe, est le principal port de
la région et une étape importante sur la route des échanges entre l’Orient et
l’Occident, mais son très riche souverain n’a aucune puissance militaire et
ne parvient pas même à imposer son autorité sur les citadins du sud de la
péninsule arabique, dont il se prétend le suzerain.
L’Inde, quant à elle, est divisée entre Hindous et Musulmans. À la fin du
XVe siècle, avant la conquête des Mongols, les puissants royaumes du
Bengale, du Goudjerat et de Delhi sont gouvernés par des princes
musulmans, même si le nombre des Hindous convertis à l’Islam est peu
élevé. Une situation analogue se rencontre dans la péninsule du Deccan, où
cinq sultanats musulmans rivalisent entre eux et s’opposent au royaume
hindou de Vijayanagar — le plus important des États de la région au
moment de l’arrivée des Portugais —, affaibli par la perte de son accès à la
mer pour les régions situées dans sa partie occidentale. En effet le sultan de
Bijapour est parvenu à prendre le contrôle du port très actif de Goa et plus
au sud le Samorin de Calicut domine la plaine côtière. Le plus souvent,
dans tous les ports du Deccan, des communautés de marchands musulmans,
arabes ou goudjeratis, régissent le grand commerce maritime.
Plus à l’est, entre l’Inde et la Chine, s’étend une vaste région partagée
entre plusieurs puissances. L’empire Khmer a disparu (le site d’Angkor est
devenu un champ de ruines envahies par la végétation) et les Cambodgiens
parviennent difficilement à résister à la progression des Annamites. Les
Siamois qui disposent d’une double façade maritime, sur le golfe du
Bengale et sur la mer de Chine, voient leurs échanges perturbés par
l’activité des pirates venus des petits ports du nord de la péninsule malaise,
Ligor et Patani en particulier, sur lesquels ils tentent vainement d’imposer
leur autorité. Le sultanat de Malacca est le grand marché de la région, à la
fois entrepôt des épices venues principalement des îles Moluques, et centre
des échanges pour les produits de l’Inde, de l’Arabie et de l’Extrême-
Orient. Les premiers Portugais qui visitèrent cette place furent éblouis par
sa richesse : « Je ne connais pas de port aussi important que celui de
Malacca, ni d’entrepôt où l’on puisse trouver des marchandises aussi belles
et aussi précieuses », écrit en 1515 Tomé Pires dans sa Suma Oriental.
« Vous pouvez y trouver tout ce que vous voulez, et souvent beaucoup plus
que vous ne pouviez le penser » 7. La situation de Malacca est comparable à
celle d’Ormuz : ce sont deux places commerciales, situées chacune à une
extrémité de l’océan Indien, grands entrepôts permettant simultanément
l’échange et la distribution des marchandises de luxe, en particulier des
épices.
L’archipel malais est, lui aussi, partagé entre de nombreuses puissances.
Sumatra est composé de plusieurs petits États, dont le plus important est
celui d’Achem, au nord-ouest. C’est un lieu d’échanges très actifs avec
Malacca et plus largement avec l’Inde et la Chine dont il reçoit des produits
de l’artisanat contre de l’or et du poivre dont il dispose en abondance. Les
autres ports tirent leur richesse du commerce du bois et des denrées
alimentaires récoltées en grande quantité, grâce à la richesse du sol. À Java,
les rivalités entre petites puissances ont un aspect religieux et politique très
marqué. Le royaume hindou de Madjapahit, qui dominait encore la majeure
partie de l’île au début du XVe siècle, est désormais en déclin et ne contrôle
plus que le centre et l’est. Parmi les autres îles, il faut souligner
l’importance commerciale de Timor — qui fournit le bois de Santal, très
apprécié en Chine — de Ternate et de Tidore, qui se disputent la première
place dans la production des épices. À Bornéo enfin, les habitants du petit
sultanat de Brunei, au nord de l’île, jouent un certain rôle dans les échanges
avec les pays voisins, mais dans le reste de l’île, les difficultés de
circulation à travers la forêt tropicale humide handicapent les activités
commerciales.
Il faut aussi décrire brièvement la situation politique et commerciale en
Extrême-Orient que les Portugais atteindront un peu plus tard. En Chine, les
empereurs Ming ont renoncé à leurs grands projets d’expansion et leurs
flottes ne se rendent plus dans le golfe Persique et en mer Rouge, comme au
temps du célèbre amiral Cheng Ho et de Marco Polo. Les marchands
chinois toutefois continuent de fréquenter les ports des Philippines, des îles
de la Sonde et également le port de Malacca. Leurs activités sont ignorées,
voire réprouvées, par l’administration impériale, et elles sont d’assez faible
importance. La Corée reconnaît la suzeraineté de l’empereur de Chine, mais
n’a aucune relation avec l’extérieur ; c’est déjà le « royaume ermite » !
Quant au Japon, divisé entre seigneurs (daimios) rivaux tandis que
l’empereur et le shogun n’ont qu’un rôle presque exclusivement
honorifique, il est peu actif en dehors de l’archipel.
Il faut souligner que tous les conflits entre ces puissances se déroulent
généralement sur terre. Il n’y a pas de flottes de guerre dans les mers
orientales. Les Arabes, les Goudjeratis et les autres navigateurs de la région
possèdent de gros vaisseaux de commerce qui ne disposent que d’une
artillerie très réduite. L’absence de quille et leur construction trop légère ne
leur permettent pas de supporter le poids d’un grand nombre de canons. Il
en est de même pour les jonques chinoises. Les Hindous, très actifs dans le
commerce maritime, ne participent pas à la navigation hauturière car ils
redoutent la promiscuité qui règne à bord des vaisseaux. L’ensemble de ces
facteurs rend très favorable la poursuite des projets de domination de la
Couronne portugaise qui dispose de caravelles armées d’une bonne
artillerie.

UNE DOMINATION NAVALE

Les Portugais parviennent avec une étonnante rapidité à établir un


contrôle efficace sur les routes navales de l’océan Indien. Leur stratégie
consiste à faire la conquête d’un petit nombre de ports, soigneusement
choisis. Ils recourent systématiquement à la force et rejettent toutes
tentatives de négociation, leurs premières expériences leur en ayant montré
les difficultés face à des interlocuteurs rusés et hostiles. En revanche, leur
puissance de feu leur permet de s’imposer.
Il n’est pas question de raconter ici les exploits militaires des Portugais, et
on se contentera de préciser à grands traits les principales étapes de leur
installation. La première est l’aménagement d’escales fortifiées sur la route
maritime entre l’Europe et l’Asie, à Sofala (1503) puis à Mozambique
(1507) en particulier. La suivante est marquée par la bataille navale de Diu,
emportée en février 1509 par une escadre portugaise sur une flotte,
hâtivement formée par les Mamelouks et les Goudjeratis, composée de
bâtiments de commerce équipés de canons servis par des Vénitiens
« renégats » (ou supposés tels). La troisième est conduite de 1509 à 1515
par le vice-roi Albuquerque. Celui-ci, profitant de sa supériorité navale et
agissant avec une brutalité impitoyable — les Hindous le surnomment « le
terrible » —, parvient à s’emparer de trois places maritimes et
commerciales essentielles : L’île de Goa, tout d’abord, excellent abri naturel
situé au voisinage des principales régions productrices de poivre et
principal point d’échange entre les productions du royaume de Vijayanagar
et celles de l’Asie occidentale, est conquise en 1510 et devient
immédiatement le chef-lieu des établissements de l’Estado da India. Le port
d’Ormuz, point de passage obligé pour le trafic avec le golfe Persique,
tombe ensuite. Celui de Malacca enfin, au point de rencontre des routes
commerciales de l’océan Indien, de la mer de Chine et de la mer de Java,
est placé sous le contrôle des Portugais en 1511.
Le seul échec portugais sera l’impossibilité de contrôler le passage entre
l’océan Indien et la mer Rouge. L’île de Socotora, occupée dans un premier
temps, doit rapidement être abandonnée, trop pauvre en ressources
naturelles et trop éloignée du détroit de Bab-el-Mandeb pour pouvoir être
utilisée comme base navale. Après l’échec d’Albuquerque en mars 1513
pour s’emparer d’Aden, les Portugais préfèrent renoncer à l’organisation
d’une nouvelle expédition, jugée trop coûteuse en hommes et en matériel, et
se contentent d’organiser régulièrement des croisières à l’entrée du détroit
pour contrôler le mouvement commercial durant la période la plus
favorable à la navigation. Par ailleurs, la position commerciale d’Aden
devenait précaire, le trafic en mer Rouge étant profondément perturbé par la
guerre entre les Mamelouks et les Ottomans qui finirent par prendre Aden
en 1538. L’essentiel des échanges se fit alors par le golfe Persique, où les
Portugais pouvaient compter sur l’appui des Perses, leurs alliés dans leur
haine commune envers les Ottomans.
Les liens tissés entre les trois positions essentielles de Goa, Ormuz et
Malacca furent renforcés par la création d’un réseau de villes côtières bien
fortifiées, à Diu, Cochin, Tidore, Ternate et Amboine, ainsi que par
l’installation de « factoreries », simples agences commerciales, destinées à
servir d’entrepôt : Saint Thomé de Meliapour sur la côte de Coromandel,
Hooghly au Bengale et plus tard Macao en Chine. Là, les Portugais ne
cherchent pas à s’imposer par la force, ils se contentent de passer des
accords commerciaux avec les souverains locaux, accoutumés depuis
longtemps à recevoir et à protéger des communautés de négociants
étrangers.
L’objectif recherché par l’installation de cette « thalassocratie » n’est pas
d’arrêter le trafic commercial — les Portugais n’y ont d’ailleurs aucun
intérêt —, mais de parvenir à le contrôler. Les conquérants obligent les
armateurs locaux à faire l’achat d’une licence ou cartaz dont le coût s’élève
à environ 5 % de la valeur de la cargaison. Un bâtiment rencontré par un
navire de guerre portugais sans cette cartaz peut être saisi ou coulé. Les
commerçants locaux acceptèrent assez facilement cette taxe, d’un montant
supportable, qui permettait d’acheter la sûreté et la tranquillité de la
navigation. Les sommes ainsi collectées entraient pour une part importante
dans les revenus de l’Estado. Grâce à cette organisation, les Portugais
parvinrent à mettre la main sur les activités les plus rentables : la licence
mentionnait en effet la nature de la cargaison, les ports d’armement et de
désarmement. Les autorités pouvaient par ailleurs opposer un refus ou
retarder la délivrance de l’autorisation.
Malgré le faible nombre de Portugais présents en Asie, la mise en place
de cette organisation fut rapide, et se révéla à l’usage parfaitement efficace.
Seul l’empire espagnol d’Amérique pourrait lui être comparée, à cette
différence que les conquistadores ont vaincu au Mexique et au Pérou des
guerriers n’ayant que des armes primitives, alors que les Portugais durent
affronter des ennemis habitués au maniement des armes à feu. Il est certain
que leur supériorité navale et la division de leurs adversaires expliquent
pour une large part leur succès, mais il faut y ajouter l’incroyable ténacité
des Portugais. Ainsi les attaques menées contre Goa, Malacca et Ormuz
ayant échoué lors de la première tentative sont-elles reprises et poursuivies
jusqu’au succès. De plus, beaucoup de souverains d’Asie partagent l’avis de
Bahadur Shah, souverain du Goudjerat : « Les batailles navales, affirme-t-il,
sont des affaires de marchands, elles n’ajoutent rien à la gloire des rois ».

UNE ORGANISATION COMMERCIALE CONTRÔLÉE PAR L’ÉTAT

Les dépenses nécessaires sont réglées par la Couronne du Portugal, qui,


en retour, en attend de gros revenus et se réserve le monopole du transport
et de la vente en Europe de quelques produits de l’Asie.
De quels produits s’agit-il ? Essentiellement des épices, et surtout du
poivre. Les Portugais embarquent chaque année 40 000 à 70 000
quintaux 8d’épices, dont 20 000 à 30 000 de poivre, 10 000 à 20 000 de
cannelle, clou de girofle, macis, muscade, gingembre et autres. À partir des
années 1580, le tonnage des cotonnades devient significatif, jusqu’à
rivaliser, en valeur, au début du XVIIe avec celui des cargaisons de poivre.
Le poivre provient surtout de la côte de Malabār, où les agents de la
Couronne l’achètent, en concurrence avec les marchands hindous, sur les
marchés de Cochin et de Cananore ; ils s’en procurent aussi à Sumatra et
sur la côte occidentale de Java, où ils sont en forte rivalité avec les
acheteurs chinois et ceux du sultanat d’Achem, qui approvisionnent
l’Europe par l’intermédiaire du Levant. La cannelle vient des basses terres
de Ceylan, placées sous le contrôle étroit de la Couronne portugaise.
Cependant, en dépit d’une surveillance tatillonne, les officiers des galions et
les facteurs royaux détournent une partie de la production pour la revendre
à des marchands hindous et musulmans. Les autres épices, clous de girofle,
noix muscade et macis viennent des Moluques et des îles de la mer de
Banda. Les profits sont moins importants car les frais d’armement sont
élevés en raison de la longueur du trajet, en outre les charges pour
l’entretien et la défense des forts d’Amboine, de Ternate et de Tidore sont
lourdes. Le trafic de contrebande y est particulièrement actif et la
concurrence des marchands locaux très vive.
Les producteurs locaux exigent d’être payés en métal précieux — or ou à
défaut argent. Au début les Portugais apportent ces métaux d’Afrique, puis,
à partir du milieu du XVIe siècle, d’Amérique. Leur rôle est capital. En
1547, Goa commence à frapper une pièce d’or, le Sao Tome, qui circulera
en Asie durant plus de deux siècles, au milieu des ducats vénitiens, des
sequins turcs et des monnaies des Mogols.
Les ventes de Lisbonne sont fréquentées par des négociants venus de
toute l’Europe. Au départ, elles sont ouvertes à tous les acheteurs, puis à
partir de 1503, elles sont organisées par l’administration de la Casa de India
et réservées aux seuls gros acheteurs qui acquièrent les épices en grande
quantité — sauf quelques petits lots pour les apothicaires. Les Italiens et les
Allemands sont les plus nombreux. Leurs importantes disponibilités
financières, — celles des Portugais sont réduites — leur permettent de
prendre une part croissante dans le trafic. En 1503, le plus gros acheteur est
le florentin Bartholome Marchione, déjà fortement engagé dans le
commerce de Guinée. À partir des années 1530, les Fugger, les Affaitadi
(que les Portugais nomment Lafeta), les Giraldi, rivalisent ou mieux
s’arrangent entre eux pour acheter le poivre et les autres épices avec des
contrats de paiement à long terme en contrepartie d’avances faites à la
Couronne. En 1549, ils obtiennent la fermeture de l’agence commerciale
officielle d’Anvers et à la fin du XVIe siècle, ils sont même autorisés à
envoyer des représentants chargés de surveiller l’achat et l’embarquement
des cargaisons à Goa et Cochin. Dès ce moment une grande partie du trafic
commence à échapper au contrôle du trésor royal.
Malgré tout, durant tout le XVIe siècle, le trafic demeure rentable pour la
Couronne. Le manque à gagner sur le commerce des épices entraîné par la
perte de Ternate, dont une puissance locale s’empare en 1575, est largement
compensé par le monopole du commerce avec la Chine et le Japon. En 1521
les Portugais avaient essayé d’aborder les côtes de la Chine, mais leurs
galions avaient été obligés de battre en retraite devant l’attitude hostile des
gardes impériaux. Cependant les commerçants de Goa profitèrent de cette
tentative pour entrer en relations avec leurs homologues chinois des ports
du sud et poursuivirent ces échanges en toute illégalité, grâce à la
complaisance intéressée des mandarins locaux, jusqu’à s’installer
provisoirement à Macao vers 1537. Un décret impérial rendu vingt ans plus
tard donna une existence légale à cet établissement. Avec beaucoup
d’habileté, les Portugais exploitèrent le conflit quasi permanent à l’époque
entre la Chine et le Japon. Se plaçant en position de neutralité, ils parvinrent
à monopoliser la presque totalité des échanges entre les deux empires. Les
Portugais ne furent pas les seuls à intervenir dans ce trafic, mais
l’interdiction émise par l’empereur de Chine de faire du commerce avec les
voisins de l’archipel du soleil levant était suffisamment contraignante pour
gêner les contrebandiers.
Le voyage de Goa à Nagasaki, seul port du Japon ouvert au commerce
étranger à partir de 1570, dure de huit mois à trois ans, selon la durée des
escales à Macao et à Nagasaki, et selon que le capitaine a « manqué » ou
« attrapé » la mousson. Le trafic est limité à un seul bâtiment par an, placé
sous le commandement d’un capitaine désigné par le roi et pour lequel ce
voyage constitue une très grande récompense, car il permet de faire fortune.
En effet il est seul autorisé à charger des marchandises mais peut monnayer
cette autorisation à des négociants de Macao contre un droit de fret. C’est
toujours un trafic hautement rentable. Citons le témoignage de ce marchand
hollandais, un peu envieux, qui écrit en 1610 : « Le navire venant de Macao
porte habituellement deux cents marchands et parfois davantage qui louent
des maisons pour s’établir avec leurs domestiques et leurs esclaves. Ils ne
regardent pas à la dépense et rien n’est trop cher pour eux […], ce dont les
habitants tirent de gros revenus, et c’est la raison pour laquelle les Japonais
les apprécient beaucoup » 9.

UNE COMMUNAUTÉ BIEN INTÉGRÉE

Cette observation pourrait s’appliquer à toute l’Asie, les Portugais étant


généralement bien intégrés dans les sociétés locales. À côté des agents
supérieurs de l’Estado da India et des officiers de marine, dont la durée de
séjour en Orient est nécessairement brève, bon nombre de Portugais
s’installent à demeure. En 1635, en Inde, le nombre de ces casados est
estimé à plus de 12 000, dont environ 3 000 dans la seule ville de Goa. Ils
ont un comportement très différent de celui des autres Européens. Le
gouverneur hollandais Van Diemen observe ainsi au début du XVIIe siècle :
« La plupart des Portugais établis en Inde [c’est-à-dire en Asie] considèrent
cette terre comme leur patrie. Ils oublient le Portugal. Ils font très peu de
commerce avec celui-ci ou même pas du tout, mais ils se contentent de faire
du trafic entre les ports d’Asie, tout à fait comme s’ils en étaient originaires
et ne connaissaient d’autres pays… » 10, cinquante ans plus tard, le caporal
Saar, vétéran des guerres de Ceylan, renchérit : « Une fois qu’ils [les
Portugais] sont débarqués, ils s’installent ici pour le reste de leurs jours et
ne pensent nullement à revenir au Portugal, alors qu’un Hollandais, quant il
arrive en Asie, pense : Quand mes six années de service seront terminées, je
retournerai en Europe » 11.
L’activité préférée des Portugais est le commerce d’Inde en Inde, c’est-à-
dire entre les divers ports d’Asie. Ils entrent dans les circuits commerciaux
traditionnels et à partir du milieu du XVIe siècle y jouent un rôle essentiel,
achetant de grandes quantité de cannelle à Ceylan, des clous de girofle aux
Moluques, de la noix muscade à Banda, de la soie en Chine. Dans les
années 1550 un tiers seulement du commerce portugais est destiné à
l’Europe et deux tiers au trafic local. L’irruption des Portugais dans le
monde commercial de l’Asie met en péril les intérêts des Goudjeratis,
contraints de se retirer des places où ils sont minoritaires, et favorise les
Hindous, avec lesquels les nouveaux venus sont tout à fait disposés à
collaborer. En 1521, Jorge de Albuquerque fait proclamer dans les ports de
la côte Coromandel qu’on accorderait « de grandes libertés » aux
marchands qui viendraient s’installer à Malacca, car il en espère une
augmentation des revenus de la douane, seul revenu public du port. Et cette
politique réussit. On peut citer à la même époque le cas de Ninal Chatu,
principal marchand tamoul du port, chef de sa communauté, puis
bendahara, sorte de « premier ministre », qui fut capable en une année
d’envoyer deux bâtiments au Siam et un au Bengale tout en armant trois
navires en association avec le roi du Portugal, un pour le Pegu (Birmanie),
un pour la Chine et le dernier pour le Coromandel.
Le rôle joué par la langue portugaise — au moins sa forme créole —,
dans les échanges entre négociants en Orient, témoigne de l’importance de
l’activité commerciale. À Ceylan, le roi de Kandy, Sinha II (1629-1687),
allié des Hollandais, en guerre avec les Portugais, refuse de recevoir des
lettres écrites dans la langue de ses amis, et demande que la correspondance
se fasse en portugais, langue qu’il connaît parfaitement. À Batavia même,
où les Portugais n’ont jamais été installés à demeure, le créole portugais,
introduit par des domestiques venus du Bengale, est largement utilisé par
tous les habitants et même par les Hollandais, comme l’observe un
gouverneur en 1659 : « La langue portugaise est facile à parler et à
apprendre. C’est pourquoi nous ne pouvons empêcher nos esclaves, ni
même nos propres enfants, de l’utiliser par préférence à toutes les
autres » 12.
Lorsque les autres Européens commencèrent à s’établir en Asie, ils furent
étonnés par l’attachement marqué des Orientaux à l’égard des Portugais,
alors que ces derniers s’étaient comportés de la manière la plus brutale qui
soit. On peut citer, entre beaucoup d’autres, deux témoignages hollandais de
la fin du XVIIe siècle. Le premier, celui d’un marchand installé à Surate,
Gillis van Ravestyn, constate : « Les Hindous sont beaucoup mieux
disposés envers les Portugais qu’envers les autres chrétiens » ; l’autre, du
secrétaire général de la Compagnie des Indes orientales, Pieter van Dam
qui, dans un travail encyclopédique confidentiel destiné à l’information des
seuls directeurs, assure que les Orientaux apprécient particulièrement les
Portugais, bien que ceux-ci les aient souvent maltraités « en capturant et en
brûlant leurs vaisseaux, en endommageant et en razziant leurs ports, en les
convertissant de force, en levant des taxes arbitraires sur les cargaisons
transportées sur leurs navires, enfin en se comportant en tout de manière
orgueilleuse et arrogante » 13.
Comment expliquer cette attitude favorable des Orientaux ? Certains
historiens ont avancé que les Portugais vivaient plus fréquemment avec des
femmes du pays que les autres Européens. L’argument paraît mal fondé, la
plupart des Européens vivant avec des femmes originaires du pays ; peut-
être cependant les épousent-ils moins souvent que les Portugais. Le
chroniqueur Antonio Bocarro observe quant à lui que les Portugais, peu
nombreux par rapport à la population, donnent des emplois aux habitants
des régions où ils sont établis, et leur font emballer et charger les produits
de leur commerce, tandis que les Hollandais et les Anglais font accomplir
ce travail par leurs employés et leurs matelots. Mais la principale raison est
sans aucun doute l’attachement à la religion catholique.
Si l’on admet que Vasco de Gama et ses compagnons sont venus en Asie
pour trouver des chrétiens et des épices, il est certain qu’ils ont recherché
avec beaucoup plus d’assiduité celles-ci que ceux-là. Certains missionnaires
en furent scandalisés, comme Saint François-Xavier, secouant ses
vêtements et ses sandales en s’éloignant de Malacca, pour ne rien emporter,
fut-ce un peu de poussière, de ce temple abominable du commerce. Tous ses
confrères ne partagent pas cet avis, ainsi le grand jésuite missionnaire
Antonio Vieira : « S’il n’y avait pas de marchands pour transporter les
trésors de la terre aux Indes orientales, dit-il, qui transporterait les
missionnaires avec leurs trésors célestes ? Les missionnaires portent
l’Évangile et les marchands portent les missionnaires » 14.
Les Portugais implanteront le catholicisme de force dans les pays soumis
à leur autorité ; puis, une fois cette religion solidement installée, elle
deviendra presque impossible à déraciner. Tous les témoignages concordent.
Le gouverneur hollandais Antonio van Diemen, très zélé en faveur du
calvinisme, observe avec regret que les missionnaires portugais « sont trop
forts pour nous […], leurs prêtres papistes font preuve de beaucoup plus de
zèle et d’énergie que nos prédicateurs et nos catéchistes » 15. Un peu plus
tard Pieter van Dam explique le maintien des Portugais dans leurs
possessions éparses de l’Asie, en particulier dans les îles de la Sonde, fort
éloignées de Goa, par « leurs prêtres et leur clergé, dont beaucoup de
membres sont nés dans le pays. Bonne politique, dont ils recueillent
maintenant la moisson » 16. Il faut encore citer le britannique Alexandre
Hamilton, qui observe que les habitants de l’Afrique orientale, « veulent
faire du commerce avec les Portugais uniquement, et avec aucune autre
nation, car les Portugais maintiennent quelques prêtres sur cette côte, et
ceux-ci dominent des populations locales imbéciles, se faisant remettre les
dents [les défenses d’éléphant] et l’or en échange de bagatelles » 17. Les
jésuites portugais missionnaires à la Cour de Pékin sont aussi pour une
grande part responsables, grâce à leur audience auprès de l’empereur, de la
permanence du comptoir de Macao, ainsi que de l’échec des tentatives
hollandaises pour établir un commerce régulier en Chine.
Dans les places portugaises dont s’emparent les Hollandais, à Batavia,
Malacca, Coromandel, Ceylan et Malabār, les communautés catholiques
demeurent nombreuses et solides, tandis que très peu d’habitants se
convertissent au calvinisme même s’ils courent de grands risques à
pratiquer ouvertement leur foi et malgré les avantages que pourrait leur
apporter cette conversion. À de rares exceptions près (la principale
concerne l’île d’Amboine), les conversions au protestantisme obtenues par
les Hollandais dans les anciennes possessions portugaises n’ont pas survécu
dans le monde actuel, alors que les communautés catholiques établies par
les Portugais sont toujours actives.
Le lien étroit entre la Croix et la Couronne, trait original des dominations
coloniales ibériques, se retournait parfois contre les Portugais. La crainte
d’une forme d’espionnage chrétien fut la principale raison de la fermeture
du Japon, en 1639, au commerce des Européens, à l’exception des
Hollandais. Cette crainte, toujours latente chez les chefs militaires fut
attisée par les protestants hollandais, qui dénonçaient, depuis le début du
XVIIe siècle, l’action subversive conduite par les catholiques romains sur
les habitants de l’archipel. À l’autre extrémité de l’Orient, en 1614, le
« grand soufi » de Perse, Shah Abbas Ier, demandait aux Portugais de ne
plus lui envoyer de prêtres catholiques comme ambassadeurs, « car un
religieux hors de son monastère est comme un poisson hors de l’eau » 18.
Cependant cette attitude anticléricale est loin d’être générale dans un monde
où les brahmanes ou les bonzes conduisaient fréquemment des missions
diplomatiques.
FAIBLESSES DE L’ORGANISATION PORTUGAISE

À côté de ces éléments de force, les plus importants venant de la religion,


certains éléments de faiblesse contribuèrent à fragiliser l’organisation
portugaise.
Le premier est le petit nombre de marins et de navires. Albuquerque,
véritable créateur de l’empire portugais d’Asie, estimait que celui-ci
pouvait être tenu « avec cinq forteresses et une grosse flotte bien armée,
montée par 3 000 Portugais nés en Europe » 19. Il obtint trois forteresses sur
les cinq souhaités, mais ne disposait ni de la flotte, ni des Portugais. Pour
quelles raisons ? En premier lieu parce que la population de la métropole est
peu nombreuse ; selon le recensement fiscal de 1527, la population du
royaume comprenait un peu plus d’un million d’habitants mais seulement
10 000 « hommes de mer ». Ensuite parce que les marins embarqués vers
l’Asie ont une faible espérance de vie. Jeunes lors de leurs premiers
embarquements leur mortalité est forte : à bord en raison de la longue durée
des voyages ; et à terre, car les ports d’Afrique et d’Asie sont situés dans
des zones tropicales humides où la malaria et les autres fièvres tropicales
sévissent à l’état endémique. Ce manque de « gens de mer » crée une
situation particulièrement problématique pour le maintien de la domination
portugaise. Dans la seconde moitié du XVIe siècle et au XVIIe siècle les
vice-rois n’ont guère plus d’une centaine de marins à leur disposition et les
gros bâtiments qui doivent assurer les liaisons entre les établissements
portugais en Orient sont surtout manœuvrés par des « lascars » chrétiens
nés en Inde et placés sous le commandement de quelques officiers
portugais. À bord des petites unités, seul le capitaine et plus rarement le
second sont Portugais.
Le manque de navires est une autre source de difficultés. Nous n’avons
pas de chiffres précis pour le XVIe siècle, mais deux contemporains bien
informés, Garcia de Resende et Damao de Goa assurent que les Portugais
disposent de plus de trois cents gros bâtiments de mer vers 1536, à l’apogée
de leur puissance navale 20. Ce chiffre est élevé, surtout pour un petit pays,
mais il est à peine suffisant pour couvrir un domaine maritime immense.
Dans la seconde moitié du XVIe siècle le nombre des bâtiments aurait
diminué d’un tiers. En effet, le bois de construction est rare au Portugal, les
essences ne répondent pas à la demande des constructeurs, et les routes et
les voies d’eau ne permettent pas d’assurer le transport depuis les forêts de
l’intérieur. La majeure partie du bois utilisé pour la construction navale
vient des pays de l’Europe du Nord ainsi que le fer, le chanvre et le
goudron, marchandises fort coûteuses par ailleurs. Le chantier de l’arsenal
de Goa, approvisionné en bois de teck venant des forêts du nord-ouest de
l’Inde, apporte une contribution appréciée mais de faible importance, en
raison du manque de crédits ; de même les chantiers des ports de la
péninsule malaise, qui proposent de petites unités, mais une fois encore à un
coût assez élevé.
Le manque de moyens financiers par la Couronne portugaise explique
également la médiocrité de l’organisation militaire. Les soldats envoyés en
Asie sont le plus souvent des « gibiers de potence » recrutés dans les
prisons de la métropole, peu disposés à supporter une discipline militaire.
Selon les contemporains, c’est la principale raison des échecs des Portugais.
Le savant Manuel Severim de Faria, chanoine d’Evora, affirme, lorsqu’il
apprend la perte d’Ormuz, en 1622 : « On ne pouvait rien espérer de mieux,
avec le mauvais choix des soldats portugais envoyés en Inde, qui consiste à
vider les prisons de tous les rufians qui y sont enfermés, et de malfaiteurs
qui ne croient ni à Dieu, ni aux hommes. Il n’est pas surprenant que ceux
qui se comportent si mal dans leur patrie se comportent de la même façon
ailleurs » 21. Le témoignage de Joao Ribeiro, vétéran des guerres de l’Inde,
va dans le même sens : « Ceux qui ont une mauvaise conduite au Portugal
ne peuvent avoir un meilleur comportement en Asie » 22, écrit-il en 1598.
Le trait le plus marquant est une grande négligence dans le service. Ainsi,
lors d’une tournée d’inspection effectuée en 1595, l’officier Francisco
Rodrigues de Silveira constate que la plupart des soldats de la garnison
d’Ormuz logés hors de la citadelle, arrivent avec deux heures de retard pour
prendre leur service et se font précéder par un esclave (ou une esclave)
portant leur mousquet 23. On cite également le cas de marins débarquant
sans être annoncés à Damao en 1649 et qui pénètrent dans la citadelle sans
rencontrer âme qui vive, toute la garnison étant profondément endormie
durant la sieste.
Il faudrait des fonds pour pouvoir remédier à ces faiblesses, mais la
Couronne portugaise manque toujours d’argent. En outre, le développement
de la production du sucre au Brésil, dans le troisième tiers du XVIe siècle,
amènera un intérêt plus marqué pour l’Amérique. Un grand planteur du
Brésil ira jusqu’à affirmer que le sucre rapporte davantage à la monarchie
que le poivre, les épices, les diamants et toutes les autres marchandises de
l’Orient. De multiples tentatives furent engagées pour diminuer les frais de
la navigation entre le Portugal et l’Asie. En 1549 la Couronne décida de
confier la conduite des opérations commerciales à des sociétés de
marchands privés, autorisées à envoyer leurs propres vaisseaux en Asie,
contre le paiement d’une taxe versée au fisc et leur engagement à régler
toutes les dépenses. Les résultats espérés se faisant attendre, elle proposa à
ces mêmes marchands de prendre le monopole, toujours en association avec
la Couronne, du transport et de la vente de l’une ou l’autre des épices,
comme le macis, la noix muscade ou même le poivre. Mais la monarchie ne
parvint toujours pas à enrayer la chute de ses profits. À partir de 1620, le
trafic des Portugais ne cessant de diminuer du fait de la concurrence des
autres nations, les conseillers de la Couronne envisagèrent la création d’une
Compagnie « à l’imitation de celle de la Hollande, [… car les Hollandais et
les Anglais] ont des forces supérieures aux nôtres dans ces mers [et ne
peuvent être écartés] sauf par des forces militaires importantes et des
vaisseaux dont nous disposons ». Une charte de fondation fut publiée en
1628, mais la nouvelle société offrait des conditions si peu attrayantes aux
actionnaires que le capital social ne fut pas entièrement souscrit ; manquant
de disponibilités financières, elle fit faillite en 1635 après avoir armé
quatorze vaisseaux 24. On revint alors au système antérieur, et les échanges
commerciaux des établissements portugais se poursuivirent sans
changements notables, avec des capitaux d’État et une activité médiocre.
L’abandon dans lequel se trouvaient les possessions des Portugais en
Orient favorisa alors les initiatives des Hollandais qui cherchaient à
s’emparer du commerce des produits de l’Orient destinés à l’Europe. Pour
ce faire, ils reprirent les routes tracées par les Portugais qui avaient eu le
mérite « d’engager la partie, dont les autres se sont emparés, aussitôt qu’elle
a été commencée », comme le constate avec un certain cynisme le
hollandais Guillaume Bosman 25.
II
LES HOLLANDAIS ET LA CRÉATION DE LA COMPAGNIE DES
INDES

La révolte des Pays-Bas du Nord en 1568, puis la reconnaissance des


Provinces-Unies par l’Espagne et les autres puissances européennes lors du
traité de Munster de 1648 entraînent une nouvelle organisation des nations
européennes. La révolte des habitants de quelques villes flamandes contre
l’autorité des Espagnols a, dans ses débuts, un aspect marqué de croisade.
Les calvinistes, hostiles à l’influence du roi catholique, jouent un rôle
important dans l’organisation de la résistance. Au cours de cette guerre
longue et brutale, les Hollandais, pour survivre, font preuve de beaucoup de
réalisme et, avant la croisade, le commerce est leur préoccupation
essentielle. La volonté de sécuriser les échanges, de réserver un bon accueil
aux négociants, de préserver la tolérance religieuse, priment la volonté de
détruire la domination espagnole, d’éliminer le catholicisme et de conquérir
les Pays-Bas du Sud. Pourquoi ce changement ? L’équipement des flottes et
des armées nombreuses nécessitent des moyens financiers importants et ce
petit pays a besoin d’alliés pour résister à ses ennemis, nombreux et
puissants. Par ailleurs, contrairement à leurs rivaux commerciaux, les
habitants des Provinces-Unies sont incapables de mener des actions rapides.
Unis pour résister aux dangers extérieurs, ils demeurent à l’intérieur divisés
en une confédération de provinces et de villes, toutes désireuses, dans la
tradition médiévale, de conserver leurs droits et leurs libertés.

UNE PUISSANCE COMMERCIALE EN PLEIN ESSOR

Le succès des Provinces-Unies dans la guerre contre l’Espagne est dû


avant tout au remarquable développement du commerce maritime des deux
provinces de Hollande et de Zélande. Comment, en une génération, ces
deux provinces ont-elles pu devenir la principale puissance maritime du
monde ? Certains éléments sont antérieurs au conflit avec l’Espagne. La
position géographique des Pays-Bas sur la mer du Nord et l’accès facile de
leurs ports aux marchés d’Allemagne, de France et d’Angleterre, leur a
permis, dès la fin du Moyen Âge, de l’emporter sur leurs rivaux tant pour le
commerce du poisson que pour le celui du fret, les Hollandais proposant des
prix particulièrement bas. Le développement de ces trafics a enrichi les
marchands et les plus fortunés occupent des fonctions municipales et jouent
un rôle important dans le soulèvement contre l’autorité du roi d’Espagne.
Les vicissitudes de la guerre favorisent le développement des activités
d’Amsterdam et des autres villes marchandes des Pays-Bas au détriment
d’Anvers. Dans la première moitié du XVIe siècle cette place était devenue
le plus grand entrepôt commercial de l’Europe, en particulier pour les
marchandises en provenance d’Asie — la couronne du Portugal y
entretiendra une agence jusqu’en 1549. Beaucoup des riches négociants de
la ville étaient calvinistes, et lorsque le duc de Parme remit cette ville sous
l’autorité du roi d’Espagne et de l’Église catholique, dans le traité de
capitulation, il offrit aux protestants, qui souhaitaient quitter la ville plutôt
que d’abjurer, deux années de délai pour vendre leurs biens et mobiliser leur
fortune. Bien des villes des Pays-Bas du Nord profitèrent de cet apport en
hommes et en capitaux, et particulièrement Amsterdam. La population de
cette ville augmenta de 75 000 personnes entre 1585 et 1622, et, sur un total
de 105 000 habitants en 1622, un tiers étaient des immigrants venus des
Pays-Bas du Sud ou issus de la première génération. Un de ces nouveaux
venus peut écrire en 1594 : « Ici, c’est Anvers même, changé en
Amsterdam ». Rappelons qu’aux Pays-Bas du Nord les terres agricoles sont
rares, le prix élevé, aussi beaucoup de familles aux moyens financiers
modestes qui, en d’autres régions, auraient cherché à louer ou même à
acheter des terres, préférèrent investir dans des parts de pêche ou de
commerce en cabotage. La croissance rapide d’Amsterdam comme place de
commerce internationale apparaît, dès 1585, dans la publication
hebdomadaire de mercuriales, dont Londres ne se dotera que huit ans plus
tard, et dans la création de la Bourse en 1561, puis de la Banque en 1609.
Un autre facteur d’accélération des échanges maritimes fut la mise au
point de la « flûte ». Ce navire de charge construit à faible prix et en grande
quantité — il ne portait pas ou très peu de canons — pouvait charger des
quantités plus importantes que les bâtiments antérieurs, et être manœuvré
par un équipage réduit en raison de sa grande stabilité.
À tous ces facteurs, il faut ajouter l’augmentation de la production
manufacturière, particulièrement celle du textile avec un afflux
d’entrepreneurs et d’artisans. Tout ceci conduit les Hollandais à rechercher
de nouveaux marchés en Méditerranée, au Levant et en Amérique, et ce
d’autant plus qu’ils souffraient de l’embargo sur les marchandises décidé
par la Couronne d’Espagne (unie avec celle du Portugal depuis 1580) en
1585, 1595 et 1598, pour les navires armés aux Pays-Bas du Nord et
voulant entrer dans les ports de la péninsule ibérique.

PREMIERS VOYAGES EN ASIE

Dans les années 1590, les Hollandais développent rapidement leur


commerce dans des directions lointaines et tentent de pénétrer dans l’océan
Indien. Ceux de leurs compatriotes engagés au service de Portugais qui
s’étaient rendus dans cette partie du monde, (le plus connu était van
Linschoten 26) en étaient revenus avec des informations détaillées indiquant
que l’Estado da India ne disposait pas de l’autorité que pouvaient laisser
entendre les titres prestigieux portés par le roi du Portugal. Le souvenir de
l’embargo de 1585 et l’annonce de celui de 1595 firent comprendre aux
négociants hollandais que le commerce des épices avec Lisbonne serait de
plus en plus précaire. Aussi en mars 1594, neuf marchands d’Amsterdam
trouvèrent assez de crédits pour envoyer une flotte en Extrême-Orient. En
apparence le résultat ne fut pas heureux. Sur cinq navires, trois seulement
rentrèrent au port en août 1597, mais ils ramenaient de Java une cargaison
de poivre suffisante pour couvrir, et au-delà, le coût de l’armement. Ce
voyage pionnier ayant montré qu’un voyage en droiture, même
médiocrement organisé, pouvait apporter des profits élevés, vingt-deux
navires, armés par cinq Compagnies rivales, appareillèrent des ports des
Provinces-Unies pour les Indes orientales pendant l’année 1598.
Le retour, en juillet 1599, après un voyage de quinze mois, des quatre
bâtiments armés par la « Compagnie des terres lointaines » d’Amsterdam,
placés sous le commandement de Jacob van Neck confirma les espoirs des
commerçants. « Depuis que la Hollande est la Hollande, jamais on n’a vu
des vaisseaux aussi richement chargés », assure un contemporain. Le
capitaine et son état-major furent reçus solennellement à l’Hôtel de Ville et
félicités en présence du corps de ville. Les espoirs des actionnaires furent
comblés : la vente des épices des cargaisons rapporta quatre cents pour
cent 27.
Toutes les expéditions ne furent pas aussi heureuses, néanmoins les
Compagnies d’armement à destination des Indes orientales se mirent à
proliférer. En 1601, soixante navires, regroupés en une quinzaine
d’escadres, quittèrent les Provinces-Unies pour l’Asie. Le trafic prenait
désormais une toute autre dimension, et il apparaissait clairement que la
rivalité entre les sociétés d’armement, organisées suivant une base
municipale ou provinciale, devenait préjudiciable au bon développement du
trafic. En effet, la compétition faisait monter les prix à l’achat en Orient et
diminuer les cours à la vente en Europe. Dès 1599, les États souhaitèrent
que les différentes Compagnies s’entendent au lieu de poursuivre une
rivalité suicidaire. La proposition n’avait eu aucun effet immédiat, mais
avait permis d’entamer des discussions entre les principaux armateurs du
pays, à l’initiative et sous la présidence du grand homme d’État Johan van
Oldenbarnevelt. Celui-ci dut faire preuve de beaucoup de patience et de tact
pour réussir à surmonter la jalousie traditionnelle entre Hollande et Zélande,
pour éviter, sans discussion préalable, le rejet par les grands négociants
hollandais de toute disposition pouvant ressembler à l’instauration d’un
monopole, enfin pour ménager tous les grands intérêts déjà engagés dans le
trafic avec l’Orient. Il parvint à obtenir la fusion des Compagnies
pionnières dans une Vereenigde Oostindishe Compagnie (V.O.C.) ou
Compagnie unie pour le commerce des Indes orientales, au capital de six
millions et demi de florins. La charte, approuvée par les États Généraux le
20 mars 1602, donnait à cette association le monopole de la navigation et
du commerce entre les Provinces-Unies et les régions situées à l’est du cap
de Bonne-Espérance et à l’ouest du détroit de Magellan. L’autonomie
régionale était assurée grâce à six chambres établies dans les ports
d’armement des Compagnies pionnières : Amsterdam, Middleburg, Delft,
Rotterdam, Hoorn et Enkhuizen. Chacune disposait d’un ou de plusieurs
chantiers de construction navale et de radoub, et pouvait procéder avec
l’accord de la direction générale aux armements et aux désarmements. Un
conseil des dix-sept directeurs généraux (Heeren XVII) choisis par les
actionnaires des différentes chambres dispose de pouvoirs étendus comme
ceux de conclure des traités de paix et d’alliance, d’engager des guerres
défensives, de construire des forteresses dans les régions avec lesquelles le
commerce est concédé et d’entretenir des armées et des flottes pour assurer
la défense, tant sur mer que sur terre. Les directeurs généraux décidaient
chaque année du nombre des bâtiments devant être envoyés en Asie, de la
répartition des armements entre les chambres, de la valeur des cargaisons
d’envoi et de la composition des retours, enfin de la date des ventes.

UN LIEN MARQUÉ ENTRE AFFAIRES ET POLITIQUE

Les premiers actionnaires de la nouvelle Compagnie appartiennent à tous


les milieux, mais on y rencontre beaucoup plus de grosses fortunes que dans
les autres sociétés d’armement pour un motif clairement indiqué par un
contemporain : « Le profit est pour quelques personnes riches et puissantes,
qui peuvent renoncer à leur capital pour un temps assez long, car les autres
ont besoin plus rapidement de leurs dividendes, et préfèrent investir dans le
commerce avec les nations voisines ». Des marchands-banquiers, souvent
venus d’Anvers et des Pays-Bas du Sud, de riches commerçants et
armateurs, des conseillers des assemblées urbaines et provinciales sont donc
les principaux actionnaires de la V.O.C. lors de sa création et leur
importance ne cesse d’augmenter au cours du XVIIe siècle.
Les directeurs des chambres régionales sont nommés à vie (de droit au
début, puis de fait ensuite), lorsque l’un d’eux décède ou, plus rarement,
démissionne, ses confrères soumettent une liste de noms d’actionnaires aux
États provinciaux et ceux-ci choisissent soit l’un d’entre eux, soit un
membre du conseil de la ville concernée.
La carrière de Cornelis de Witt, aïeul du célèbre Jean de Witt « grand
pensionnaire » au milieu du XVIIe siècle, en offre un exemple. Dès la fin du
XVe siècle on trouve des représentants de cette famille dans le conseil de la
ville de Dordrecht. Né en 1545, Cornelis, héritier d’un actif commerce de
bois, adhère au calvinisme ; vers 1572 il choisit le camp des révoltés, puis
est nommé à plusieurs reprises échevin et bourgmestre de la ville. Il devient
le plus important souscripteur à la chambre de Zélande de la V.O.C. lors de
sa création en 1602 et membre du conseil dès sa fondation 28.
Les difficultés proviennent du partage de l’autorité entre les chambres
régionales et la direction générale des Heeren XVII dont les membres sont
pris parmi les directeurs régionaux à raison de huit pour la chambre
d’Amsterdam, cinq pour celle de Middelburg, un pour chacun des quatre
autres ports d’armement. Le dix-septième directeur est nommé par rotation
parmi toutes les chambres, excepté celle d’Amsterdam. En dépit des
précautions destinées à éviter un poids trop important des représentants
d’Amsterdam, ceux-ci imposent leur volonté, d’autant qu’ils sont de plus en
plus nombreux parmi les actionnaires détenant jusqu’aux trois-huitième du
capital de la chambre de Zélande (avec 108 gros actionnaires) et la moitié
du capital social de la Compagnie à la fin du XVIIe siècle. De plus les
Heeren XVII se réunissent à Amsterdam et l’advocaat ou secrétaire général
de la Compagnie est toujours originaire de cette ville. Son rôle est
considérable : il examine les comptes, lit la correspondance reçue, prépare
les réponses, tient les registres de délibération, prépare les projets de
rédaction des ordres, et assure en général l’unité et la permanence de la
direction.

L’INSTALLATION DES HOLLANDAIS EN ASIE

La V.O.C. a été créée en premier lieu pour permettre l’établissement


d’agences commerciales permanentes en Asie. Il apparaît bien évident que
les Portugais, qui disposent toujours du monopole des relations maritimes et
commerciales entre les Indes orientales et l’Europe, s’opposeront à ce
projet. Mais l’union en 1580 de la couronne de l’Espagne avec celle du
Portugal, après la disparition sans héritier direct du dernier souverain de ce
pays, les laisse dans une situation délicate.
Dans cette union personnelle, les deux royaumes devaient demeurer
séparés. Philippe II d’Espagne s’y était engagé devant l’assemblée des
Cortès du Portugal en promettant de maintenir leurs lois et leur langue, de
consulter les conseillers portugais sur toutes les affaires concernant ce pays
et ses possessions outre-mer, et d’y placer des officiers portugais à leur tête.
Qui plus est, il était expressément interdit aux Espagnols de faire du
commerce et de s’installer dans l’empire portugais et réciproquement.
Les Portugais ont affirmé par la suite que l’union de leur couronne avec
celle de la Castille avait motivé l’attaque de leurs possessions d’outre-mer
par les Hollandais. Il est bien certain que les tentatives de Philippe II pour
mettre fin à la révolte des Provinces-Unies, ainsi que ses décisions visant à
écarter les commerçants hollandais du trafic des ports ibériques et de ses
empires coloniaux, engagèrent rapidement les Portugais dans les hostilités.
De plus, la guerre une fois entamée, le Portugal, associé le plus faible de
l’Union, souffrit davantage que la Castille des attaques des puissantes
escadres de guerre des Hollandais. Cependant il devenait également évident
que les Portugais se montraient de plus en plus incapables de répondre à la
forte demande des Européens en produits d’Orient et que les puissances
protestantes supportaient de plus en plus difficilement le monopole de
Lisbonne sur les échanges avec les pays situés au-delà du cap de Bonne-
Espérance.
Les premières opérations navales de la V.O.C. sont menées par des
vaisseaux armés « en guerre » par la Compagnie et les États Généraux afin
de prendre le contrôle des îles d’où viennent les épices qui donnent à la
revente les bénéfices les plus élevés. En 1603, ils s’emparent de Ternate ; en
1605,Tidore se rend après une forte résistance, tandis qu’Amboine capitule
rapidement. L’année suivante, les Espagnols montent, à partir des
Philippines, une contre-offensive qui leur permet de récupérer Tidore et une
partie de Ternate (qu’ils conserveront jusqu’en 1662) ; mais la menace
d’une attaque des Chinois contre Manille les oblige à rappeler leurs
garnisons installées aux Moluques et à renoncer au commerce des clous de
girofle. Les Portugais conservent pour leur part une certaine activité dans le
trafic des épices ; après leur expulsion des Moluques, ils s’établissent à
Macassar, au sud des Célèbes, qu’ils utilisent comme base commerciale
pour acheter des clous de girofle, du bois de santal et autres produits de la
région. Les Hollandais devront monter deux grandes expéditions contre leur
factorerie, en 1660 et 1667, pour parvenir à les expulser.
Dans une seconde étape les Hollandais cherchèrent à créer une base
navale, commerciale et militaire que les Heeren XVII désignaient dans leurs
dépêches par le terme français de « rendez-vous général ». Les flottes
d’envoi et de retour pourraient ainsi y charger et décharger les cargaisons et
les marchandises venant des différentes régions. Elles pourraient y être
rassemblées et abritées. Les forts dont ils s’étaient emparés sur les Portugais
dans les îles aux épices ne pouvaient convenir. Ils étaient trop éloignés, et le
« rendez-vous » devait se situer au voisinage des détroits de Malacca et de
la Sonde, région où convergent les routes du commerce et les vents
dominants de la mousson. Ayant échoué de peu dans une tentative pour
s’emparer de Malacca, en 1606, ils jetèrent leur dévolu sur le petit port de
Djakarta, dans l’île de Java ; le gouverneur Jan Pieterszoon Coen s’en
empara en 1619, malgré la résistance du sultan de Bantam, souverain de la
région, et contre l’avis des Heeren XVII qui avaient demandé que le
« rendez-vous général » soit obtenu par la négociation et non par la force.
Les termes enthousiastes utilisés par Coen pour annoncer aux directeurs
généraux ce succès ne sont pas sans rappeler ceux qu’avait utilisés un siècle
plus tôt Albuquerque pour faire connaître au roi du Portugal la conquête de
Goa et de Malacca. « Tous les souverains de la région savent très bien ce
que la création de notre colonie de Djakarta signifie, et quelles en seront les
conséquences » ajoutait-t-il. Les craintes des chefs locaux étaient
parfaitement justifiées. Moins d’un an après la prise de Djakarta et le début
de la construction d’une citadelle et d’une ville fortifiée, Coen émit la
prétention d’établir un « royaume » dont il fixa les limites : Bantam à
l’ouest, Cheribon à l’est, les îles du littoral au nord et l’Océan au sud 29.
C’était l’équivalent de Goa, mais cette fois à l’extrémité orientale de
l’océan Indien. Ce programme toutefois ne put être réalisé avant le début du
XVIIIe siècle en raison de l’hostilité du sultan de Mataram dont l’autorité
s’étendait sur la majeure partie de Java, Bantam demeurant à l’écart.
Dans une troisième étape les Hollandais firent progressivement la
conquête de la longue chaîne des établissements côtiers et commerciaux
portugais depuis le golfe Persique jusqu’au Japon. Le blocus de Malacca,
entamé en 1634, aboutit à la capitulation de cette forteresse en janvier
1641 ; puis de 1638 à 1658, mêlant habilement la force et la diplomatie, et
sans tenir compte de la séparation, intervenue en 1640, entre les couronnes
d’Espagne et de Portugal, ils firent la conquête des établissements portugais
sur la côte de Ceylan et main basse sur le trafic de la cannelle ; ils
complétèrent enfin leur domination du sud de la péninsule en s’emparant de
Cochin et des autres points d’appui de leurs rivaux sur la côte Malabār en
1663. Ils prirent ainsi le contrôle d’une grande partie du commerce du
poivre. En Extrême-Orient, les Hollandais furent les seuls Européens
autorisés à faire du commerce au Japon après l’expulsion des Portugais en
1639, pour des raisons politiques et religieuses, durant la dictature militaire
des Tokugawa.
Quels sont les motifs de ces succès contre les Portugais ? D’abord un plus
grand nombre de marins. Les deux pays ont sensiblement le même nombre
d’habitants (environ 1 300 000), mais les Portugais doivent recruter des
matelots pour le service des bâtiments espagnols, alors que les Hollandais
en trouvent en Scandinavie et en Allemagne. L’écrivain jésuite Antonio
Vieira va jusqu’à affirmer que les Hollandais peuvent disposer en 1649 de
250 000 hommes, alors que les Portugais en ont seulement 4 000. Vieira
exagère sans doute, mais beaucoup d’indices montrent que l’ordre de
grandeur de ces chiffres est exact. Ainsi en 1620, un recensement des
marins disponibles au Portugal compte 6 260 hommes pour tout le pays ;
plus tard, en 1643, lors d’une réunion tenu à la Casa de India, on constate
que l’on n’a pas assez de pilotes qualifiés à Lisbonne pour conduire les
vaisseaux en Asie — ceux qui ont les connaissances nécessaires ayant été
retenus à Goa par le blocus des Hollandais. Au manque d’hommes s’ajoute
le manque de bâtiments ; le même Vieira annonce — toujours avec une
certaine exagération — que les Hollandais possèdent plus de 14 000
bâtiments pouvant être équipés en guerre, alors que les Portugais en ont
seulement 4 000 30.
On constate par ailleurs, des différences dans les compétences des
officiers. Les Portugais donnent généralement le commandement de leurs
flottes à des nobles venus de l’armée de terre, alors que les capitaines
hollandais sont des « loups de mer » ayant une longue expérience de la
navigation.
Enfin et surtout, les moyens financiers dont peuvent disposer les
Hollandais sont sans commune mesure avec ceux des Portugais. Ainsi le
jésuite Fernao de Queiroz, dans son récit des combats menés à Ceylan parle
d’une « guerre de pauvres gens » (guerra de pobre) 31. La correspondance
adressée aux vice-rois par les commandants des détachements locaux
abonde en remarques de cet ordre. En 1663 un officier écrit : « C’est un fait
bien connu que la fortune de guerre ne peut se conquérir sans des hommes
et de l’argent, et c’est la raison pour laquelle nous voyons tant de désordres,
tant de larmes, et tant de pertes, car le trésor du Roi est vide, et ses vassaux
ne peuvent le remplir » 32. L’année suivante un autre commandant portugais
formule des remarques analogues : « Tous les capitaines hollandais ont de
grands pouvoirs et beaucoup d’argent, qu’ils peuvent utiliser à discrétion,
lorsqu’ils l’estiment utile, alors que nous devons demander la permission de
nos supérieurs pour la moindre action, et cette permission nous parvient en
général trop tard. De plus, comme nous sommes mal pourvus, nous sommes
toujours plus ou moins obligés de mendier, ce qui nous empêche d’agir,
d’autant qu’avec les habitants de l’Inde rien ne peut être fait sans
argent… » 33. Citons encore cette remarque tirée d’une pétition présentée
par les soldats de la garnison de Ceylan en 1644 : « Nous sommes si
maigres et si affamés que trois d’entre nous équivalent à peine à un
Hollandais » 34.
Cependant les Hollandais ne remportent pas que des victoires. On connaît
leur échec dans leur tentative de mainmise sur le Brésil ; en Asie quelques
places leur échappent, comme les îles les plus orientales de l’archipel de la
Sonde,Timor et Flores, riches en bois de santal, mais dont la population est
convertie par des missionnaires dominicains très actifs, ou encore Macao,
qui repousse deux attaques en 1622 et en 1660 (cette dernière doit
rapidement être abandonnée pour assurer la défense de Formose).
Mozambique enfin résiste à un long siège en 1607 et 1608. Ces échecs sont
dus pour une large part à l’hostilité de la population envers le système
commercial développé par les Hollandais.

LE CONTRÔLE DE LA PRODUCTION

En effet, alors que les Portugais s’étaient insérés dans une organisation
commerciale existante, en achetant les produits dont ils avaient besoin sur
des marchés organisés, les Hollandais veulent contrôler la production des
épices. Ce qui conduisit à de grands changements à la fois dans la vie
quotidienne des agriculteurs et dans l’organisation des circuits de la
navigation commerciale.
Dès 1614, les Heeren XVII sont décidés à prendre les moyens nécessaires
pour obtenir le monopole du commerce dans les Moluques. Ce monopole
exclurait tous les autres concurrents, aussi bien les Portugais (qui auraient
pu sans doute conduire une politique analogue au XVIe siècle, mais n’y ont
jamais songé) que les Espagnols, les Anglais ou les Chinois, et même les
commerçants locaux. Ils approuvent la politique du gouverneur Coen, qui
veut diriger les insulaires « avec un aiguillon bien pointu » et affirme que
dans cet archipel il est inutile « de chercher à tenir une conduite vertueuse
ou de vouloir faire le bien ». Le massacre de la population de Djakarta leur
inspire d’abord un sentiment d’horreur, mais ils s’en remettent rapidement
et donnent leur accord à la formule de leur gouverneur : « Il n’y a rien au
monde de plus efficace, écrit celui-ci, que la puissance et la force ajoutées
au droit » 35. Des principes analogues prévalent tout au long du
XVIIe siècle. Ainsi en 1651, à la suite du massacre de 160 Hollandais dans
l’île de Ceram, des expéditions punitives sont organisées et se terminent par
le transfert des 12 000 survivants sur les plantations de l’île d’Amboine.
Dans les accords passés avec les petits souverains des îles, les Hollandais
se voient accorder soit le monopole, soit la préférence commerciale pour le
commerce des épices — clous de girofle, macis, noix muscade — à
l’exclusion de tous les marchands étrangers, européens ou orientaux. Ils
sont autorisés à installer des forts ou des garnisons partout où bon leur
semble, et leurs représentants ont le droit d’intervenir dans les conflits
locaux comme arbitres ou médiateurs. Les puissances locales sont
incapables de réagir : elles n’ont pas de force navale et les plantations
situées sur le littoral peuvent être facilement incendiées. De plus les
habitants des îles dépendent pour leur vie quotidienne des importations de
riz, de cotonnades et autres produits en provenance de Java, de la Malaisie
ou de l’Inde dont les Hollandais assurent le trafic mais qu’ils pourraient
toujours interrompre.
Ce tableau de la domination hollandaise ne concerne pas l’ensemble de
l’Asie. En Inde, en Chine et au Japon, les positions de la V.O.C. sont moins
fortes. Ils n’ont pas, sur le continent, de base aussi solide que leurs rivaux
portugais à Goa et doivent compter avec de puissants souverains dont les
armées peuvent menacer leurs comptoirs, même s’ils sont fortifiés (ainsi
Pulicat au Coromandel et Zeelandia à Formose). Dans leurs instructions
générales permanentes de 1650 les Heeren XVII recommandent alors : « une
attention spéciale doit être portée à conduire pacifiquement le commerce, ce
qui permettra de faire de la bonne cuisine dans la mère-patrie ». Cette
remarque est particulièrement valable pour le Japon où les agents de la
V.O.C. devront « examiner avec attention les demandes de cette nation
hardie, hautaine et minutieuse, afin de parvenir à lui plaire en toutes
choses », et les gouverneurs veiller à n’envoyer que des sujets « modestes,
humbles, polis et amicaux » 36. Ils devront en particulier être attentifs à
éviter toute manifestation d’ordre religieux, ce que leurs rivaux ibériques
dénoncent comme une attitude servile et une reconnaissance du paganisme.
Au Japon, cette politique permet aux Hollandais d’exploiter le
mécontentement des dirigeants contre le développement de l’activité des
autres commerçants européens. Les Britanniques sont contraints de fermer
leur factorerie en 1623, les Espagnols sont expulsés en 1624, et les
Portugais, soumis à des contraintes de plus en plus fortes, quittent le pays
en 1638. Les Hollandais restent donc les seuls Européens autorisés à
séjourner au Japon, même si leurs activités sont étroitement réglementées.
Ils disposent d’une seule agence commerciale pour tout l’archipel, établie
sur l’îlot de Deshima, en rade de Nagasaki ; le nombre des employés est
limité à vingt personnes, confinés dans leur résidence, ne devant sous aucun
prétexte gagner le rivage voisin ni avoir de relation avec la population sauf
les marchands et les prostituées dûment autorisés par le gouverneur. Pour
prévenir toute demande des étrangers désireux d’étudier la langue du pays,
les autorités japonaises désignent des interprètes capables de lire, d’écrire et
de parler le Néerlandais.
Les agents de la V.O.C. savent admirablement utiliser les possibilités
commerciales ouvertes par cette politique d’exclusion menée par le shogun.
En 1635, celui-ci interdit aux Japonais de quitter l’archipel, mettant fin au
trafic avec la Chine. Les Hollandais sont donc les seuls à pouvoir
approvisionner le marché insulaire en produits de la Chine, (en particulier
en soie, très recherchée), qu’ils échangent contre des métaux — argent,
cuivre —, qui trouvent un débouché dans le reste de l’Asie. Dans ce pays, la
diplomatie et le savoir-faire des Hollandais emportent un grand succès.
Il n’en est pas de même en Chine. Dès le début du XVIIe siècle le
gouvernement impérial après avoir reçu les plaintes des marchands chinois
empêchés d’acheter des épices dans les îles placées sous le contrôle des
Hollandais, préfère continuer à faire du commerce avec les Portugais ou
éventuellement avec les Espagnols des Philippines, et les tentatives
diplomatiques faites par les employés de la V.O.C. pour pénétrer sur le
marché chinois n’aboutissent pas. Les Heeren XVII, sollicités par le
belliqueux gouverneur Coen, autorisent le recours à la force. Les Hollandais
commencèrent par faire le blocus du port de Manille ; il y eut peu de
combats, mais selon le gouverneur de Batavia, « de nombreuses jonques
faisant le commerce entre la Chine et Manille ont été capturées et des prises
de valeur ont été faites » 37. Puis, en 1622, ils envoyèrent seize vaisseaux de
guerre avec 1 300 soldats pour s’emparer de Macao. L’attaque fut repoussée
avec des pertes importantes pour la V.O.C. et la cour de Pékin fit connaître
son mécontentement, ce qui excluait toute démarche diplomatique. Coen
changea alors de tactique, attaquant les navires chinois sur la côte sud de
l’Empire et contraignant les mandarins à passer des accords locaux. En
1624, les Hollandais, qui venaient d’établir un poste sur les îles Peng-Hu
entre Formose et le continent, reçurent l’autorisation d’installer un comptoir
fortifié à Formose même (fort Zeelandia), en échange de l’abandon du
précédent et la renonciation à la course. Les marchands de Canton ne
montrèrent alors aucune hésitation à faire du commerce avec ce nouvel
établissement européen et fort Zeelandia devint, dans les années 1630, un
des entrepôts européens les plus florissants en Asie. Les Espagnols tentèrent
de limiter son activité en installant divers postes dans le nord de Formose,
mais une intervention de la force navale de la V.O.C. les contraignit à
abandonner ceux-ci en 1641.
Le triomphe des Hollandais fut d’assez courte durée, car s’ils sont
parvenus à exploiter une situation de faiblesse passagère du pouvoir
impérial, celle-ci ne dura pas, et en 1662 une grosse escadre impériale se
présenta devant Formose, où, profitant de la faiblesse des forces militaires
hollandaises établies à demeure, elle prit le contrôle de l’île et s’empara du
fort Zeelandia. Situation fort humiliante pour la V.O.C., établie à Formose
depuis près de quarante ans ! Entre 1664 et 1668 elle essaya bien de
s’installer à Keelung, dans le nord de Formose, mais dut y renoncer en
raison de l’hostilité de la Cour de Pékin, et pour éviter une rupture tant
diplomatique que commerciale.
Ailleurs l’opposition aux Hollandais est moins brutale, cependant elle est
tout aussi vive. La grande réussite de la V.O.C. au milieu du XVIIe siècle est
l’expulsion des Portugais de Ceylan et la prise de contrôle du trafic de la
cannelle dont cette île est le seul producteur. Cependant les Hollandais s’ils
parviennent à tenir les ports et les régions littorales où se trouvent les
plantations, n’ont aucune autorité sur le centre de l’île, toujours placée sous
le gouvernement du roi de Kandy. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle
ils essayent de prendre le contrôle de la production et du commerce du
poivre et de l’opium de la côte de Malabār : « Ils ont interdit, explique un
agent britannique de Surate, tant aux cultivateurs qu’aux marchands
d’acheter du poivre et d’en transporter pour leur propre compte, sous peine
de confiscation des cargaisons et des navires. Ils ont mis des sanctions
analogues sur le commerce de l’opium, du coton et du cardamome, et ils
obligent tous ces pauvres gens à demander des laisser-passer, n’admettent
aucune dérogation, et font le blocus des ports avec des bâtiments montés
chacun par huit ou dix hommes ; ils ont en sus des embarcations légères qui
vont et viennent, de sorte que rien ne peut leur échapper » 38. Mais ici ils se
heurtent à la fois aux Britanniques, alliés des Portugais, et au groupe des
puissants marchands Goudjeratis qui sollicitent et obtiennent l’intervention
diplomatique du Mogol, contraignant les Hollandais à cesser leurs
agissements. De même en Perse, les Hollandais ne parviennent pas à
s’emparer du trafic de la soie, en raison de l’attitude hostile des négociants
Goudjeratis, Arméniens et Juifs, et de l’intervention du Shah. Il faut encore
citer l’échec de leur tentative pour parvenir à prendre le contrôle du trafic
de l’étain de Malaisie, après qu’ils se soient emparés de Malacca, qui était
jusqu’alors le principal débouché de ce métal. En raison de l’attitude hostile
des puissances musulmanes de la région, en particulier du sultan d’Achem,
l’activité d’entrepôt de Malacca décline rapidement après 1641, le
commerce de l’étain étant détourné vers d’autres ports à l’instigation des
Goudjeratis et des marchands hindous, qui veulent échapper à la volonté de
monopole des Hollandais.

PUISSANCE DE LA COMPAGNIE HOLLANDAISE

Ces quelques échecs ne doivent pas dissimuler les succès commerciaux


considérables de la V.O.C. en Asie. Le principal est d’avoir réussi à mettre
en place un réseau commercial d’Inde en Inde, d’échanges de produits entre
l’Extrême-Orient, l’Inde, l’Archipel et le Proche-Orient, de manière telle
que les profits engendrés couvrent la plus grande partie des dépenses
consacrées à l’achat des cargaisons envoyées en Europe. Contrairement aux
Portugais et aux autres puissances européennes, les Hollandais peuvent
poursuivre leurs activités avec des apports réduits de métaux précieux. Le
contrôle sur le commerce d’Inde en Inde est mis en place à partir de 1619
par le jeune gouverneur Jan Pieterszoon Coen (il a 31 ans). Il demande aux
Heeren XVII de lui envoyer des vaisseaux (25 % des bâtiments hollandais
terminent leur activité en Asie pour la navigation d’Inde en Inde) et de
l’argent (« un peu d’eau pour amorcer la pompe »). Son projet est le
suivant : les cotonnades du Goudjerat seront acquises contre des épices et
de l’argent, puis seront portées et échangées à Sumatra contre du poivre ;
les cotonnades du Coromandel seront achetées avec des épices, des produits
de la Chine et des piastres puis vendues contre du poivre à Bantam ; en
Chine, du bois de santal, du poivre et de l’argent portés dans le pays seront
échangés contre des soieries et de l’or (le Céleste Empire manque d’argent
et la parité entre l’or et l’argent est plus avantageuse pour l’or que dans le
reste du monde) ; les soieries de Chine ainsi que des épices seront
échangées contre de l’argent au Japon (l’archipel dispose de mines
d’argent) : des épices et des cotonnades seront vendues contre de l’argent en
Arabie 39.
Cette vaste organisation commerciale dépend pour fonctionner d’un
apport régulier d’argent, venu des marchés de l’Asie. On en trouve aux
Philippines, livré par le galion de Manille, mais les Espagnols interdisant
aux Européens l’entrée dans les ports de cet archipel, les Hollandais
s’engagent à plusieurs reprises, et en dernier lieu par les traités de
Westphalie de 1648, à respecter cette interdiction (la fraude reste malgré
tout importante). On en trouve également sur les places portuaires de la mer
Rouge et du golfe Persique, importé d’Europe par la route commerciale du
Levant. Mais ici les Hollandais rivalisent avec d’autres puissances
européennes, en particulier avec les Britanniques, et ils éprouvent de telles
difficultés qu’en 1655 ils doivent se retirer de la Perse et ne conservent que
la seule agence de Moka en Arabie. Finalement la principale source de
métal précieux est le Japon, producteur d’argent depuis la découverte de
gisements au XVIe siècle. Après une première reconnaissance effectuée en
1609 les Hollandais y développent leurs activités. Comme les Japonais
demandent des soies, soieries et autres produits de la Chine, les directeurs
de la V.O.C. donnent l’ordre d’établir un poste commercial sur la côte de cet
empire. Après l’échec de la tentative de prise de Macao en 1622, Formose
offre en 1624 le relais nécessaire. Le Bengale où les Hollandais développent
leurs établissements dans les années 1630 demeure un marché subsidiaire
pour la fourniture de la soie et des soieries.
L’apport par le Japon des métaux précieux est considérable. Les quantités
sont comparables à celles provenant des Provinces-Unies, le commerce des
Européens s’effectuant par échange d’argent contre des matières premières
ou des produits fabriqués en Asie. Dans les années 1628-1632, les
Hollandais disposent de 120 tonnes d’argent venues en totalité d’Europe :
de 1633 à 1639 de 140 tonnes, dont 60,7 % vient du Japon ; de 1640 à
1649, de 230 tonnes, dont 61,8 % vient du Japon ; en 1650-1659, de 202
tonnes, dont 61,1 % vient du Japon ; en 1660-1669, de 248 tonnes, dont
54,9 % vient du Japon. Dans le dernier quart du XVIIe siècle, le commerce
avec le Japon devient difficile, car en 1668 l’exportation de l’argent devient
provisoirement interdite. Elle le sera également en 1672 puis à nouveau en
1685, année où le commerce extérieur est contingenté ; en outre les
Hollandais sont obligés de quitter Formose en 1662. Pour toutes ces raisons
leur commerce d’Inde en Inde diminue.
Essayons d’en mesurer l’importance. Les chiffres du commerce général
de la V.O.C. donnent une indication. Entre 1640 et 1688, la Compagnie
envoie en Asie pour 120 millions de florins en métaux précieux et en
marchandises. Elle achète localement pour 150 millions de produits
d’exportation, et la différence, soit 30 millions, ou 20 %, provient du profit
du commerce d’Inde en Inde. Pendant la même période, les ventes en
Europe rapportent 420 millions de florins avec un bénéfice de 20 % (soit 84
millions de florins). Les Heeren XVII sont très attachés à cette organisation :
« Le commerce d’Inde en Inde et le profit qui en est retiré sont l’âme de la
Compagnie, écrivent-ils, et ils doivent être conservés soigneusement, car si
l’âme se perd, le corps tout entier disparaît ». Le commerce d’Inde en Inde
joue donc un rôle essentiel dans le développement des activités
commerciales de la Compagnie.
Par ailleurs, la V.O.C., en étendant son autorité sur quelques-unes des îles
Moluques, dispose du monopole de la commercialisation de certaines
épices. Son contrôle sur le marché va jusqu’à pouvoir détruire une partie
des récoltes, lorsque celles-ci, trop abondantes, risquent d’entraîner une
chute des cours et donc des profits.
La V.O.C. devient très vite la première entreprise commerciale qui
approvisionne les Européens en produits des Indes orientales. Elle dépasse
rapidement les Portugais ; au cours du XVIIe siècle le rythme de ses
armements et désarmements ne cesse d’augmenter et le nombre des retours
est très supérieur à celui des entreprises concurrentes 40. Ce succès repose
d’abord sur l’importance du capital souscrit par de nombreux actionnaires
qui permet l’investissement initial. En complément, des institutions
financières remarquables, telles que la Bourse et la Banque d’Amsterdam,
prennent le relais. L’État apporte également son aide par l’intervention des
États Généraux, marquant ainsi le lien étroit entre le personnel politique et
les grands négociants. Il y a également, on l’a observé, les performances de
la flotte marchande qui permettent de transporter de lourdes charges à bas
prix.
Dans les années 1660, à l’apogée de la puissance commerciale
hollandaise, le retour des flottes des Indes orientales devient un événement
majeur du calendrier commercial des Provinces-Unies. Il n’est comparable
qu’à celui du retour des flottes venant de Smyrne et de Cadix.
Tout ceci permet aux Heeren XVII de distribuer de généreux dividendes
qui selon les années varie entre quinze et demi et cinquante pour cent du
capital ; la période la plus faste se situe entre 1715 et 1721, avec un
dividende de quarante pour cent durant six années.
III
LES BRITANNIQUES : DE LA SOCIÉTÉ LOCALE
À LA COMPAGNIE NATIONALE

Dans le dernier quart du XVIe siècle les Britanniques rencontrent les


mêmes difficultés que les Hollandais pour acquérir les marchandises
d’Asie. En guerre avec l’Espagne (unie au Portugal), considérés comme
hérétiques, ils ne peuvent désormais se procurer ces marchandises à
Lisbonne ou à Anvers. Après avoir vainement essayé d’atteindre l’Asie par
la mer Blanche et le « passage du nord-est » (Expédition de Hugh
Willoughby et Richard Chancellor en 1553-1554), puis par le « passage du
nord-ouest » (Expéditions de Martin Frobisher en 1575 et de John Davis en
1586), ils choisissent l’ancienne route de la Méditerranée orientale,
fréquentée de longue date par les Italiens et les Français. En 1578, ils
ouvrent une ambassade près de la Porte, et le premier titulaire négocie avec
le gouvernement ottoman un traité de « capitulation » par lequel les
Britanniques sont autorisés à établir dans le pays six factoreries dirigées
chacune par un consul. En septembre 1581, des lettres patentes de la reine
Élisabeth Ière octroient à la Compagnie du Levant le monopole des relations
commerciales entre les îles Britanniques et les ports de la Méditerranée
orientale. Les directeurs, tous marchands armateurs de Londres, s’engagent
à payer une redevance annuelle à la Couronne et à régler les gages de
l’ambassadeur et des consuls. La Compagnie du Levant n’a pas de capital
social : chaque adhérent se charge de l’achat et de la vente des
marchandises qu’il expédie sur les navires armés par la Compagnie et paye
les droits de fret ; chacun peut correspondre librement avec les « facteurs »
ou agents de la Compagnie, autorisés par ailleurs à faire du commerce pour
leur propre compte.
L’ESSOR D’UNE NOUVELLE PUISSANCE COMMERCIALE

La création d’une Compagnie britannique des Indes orientales, l’East


India C°, fut une réponse au succès extraordinaire des Hollandais, en juillet
1599, avec la vente de leurs cargaisons ramenées d’Asie. Les quantités
importantes, le prix peu élevé et la bonne qualité des produits laissaient
prévoir une difficile concurrence commerciale pour la Compagnie du
Levant. Afin de pouvoir rivaliser avec les marchands des Provinces-Unies
les armateurs de Londres décident d’appliquer la même stratégie. Ils
sollicitent de la reine d’Angleterre de nouvelles lettres patentes qui rendues
le 31 décembre 1600, autorisent, pour une durée de quinze ans 41, la
création d’une Compagnie des Indes orientales, bénéficiant du monopole
des relations commerciales avec les régions situées « au-delà du cap de
Bonne-Espérance ». Il faut insister sur le lien très étroit de cette nouvelle
Compagnie avec celle du Levant : un tiers des 219 actionnaires et la moitié
des 24 directeurs appartient aux deux sociétés. Les hésitations de certains
autres actionnaires et directeurs sont à relever, car il paraît évident que cette
nouvelle entreprise sera amenée à rivaliser tout à la fois avec la puissance
financière des Provinces-Unies et avec la puissance militaire et navale des
couronnes unies de l’Espagne et du Portugal. Aussi la première expédition,
organisée en 1601, avec quatre bâtiments, apparaît-elle aux contemporains
comme une aventure spéculative d’issue incertaine. L’échec d’une tentative
précédente, avec le naufrage en 1591 de trois vaisseaux marchands placés
sous le commandement de James Lancaster 42, n’incitait pas à l’optimisme.
Au cours de cette nouvelle tentative, les officiers, beaucoup mieux
informés, firent d’abord relâche dans le port d’Achem au nord de Sumatra,
où l’autorité des Portugais était contestée et où le sultan leur fit un bon
accueil ; puis ils se rendirent à Bantam, dans l’île de Java, où ils purent se
procurer des épices et obtenir l’autorisation de laisser quelques acheteurs
pour réunir les prochaines cargaisons 43. Cette première expédition ayant
bien réussi, une seconde fut organisée en 1604 avec le même succès 44.
À partir de la troisième expédition, en 1607, les directeurs modifièrent
leur politique commerciale. Ils continuèrent d’envoyer des navires dans
l’archipel, en particulier dans les factoreries de Bantam et Banda et s’y
établirent définitivement en 1609, et simultanément ils cherchèrent de
nouvelles sources d’approvisionnement sur le continent, à Surate d’abord
(en 1608), le port le plus actif de l’empire mogol, puis sur les rives de la
mer Rouge, à Moka et Aden (en 1609), où ils se procurèrent du café, des
soieries, des cotonnades, de l’indigo, du salpêtre, ainsi qu’un peu de poivre.
Il apparut rapidement que la principale activité de ces ports était le transit et
qu’il fallait installer d’autres « factoreries », des « loges » ou établissements
commerciaux, au milieu des régions de production : à Masulipatam, dans le
royaume de Golconde, en 1611, pour les cotonnades ; à Patna, au Bengale,
en 1620, pour le salpêtre ; dans les ports persans du golfe Persique pour la
soie. Ils obtiennent là des conditions avantageuses grâce au Shah qui avait
apprécié leur aide navale lors de la prise d’Ormuz sur les Portugais. En
1612, un agent de la Compagnie fut envoyé au Japon où il obtint
l’autorisation de créer un comptoir à Hirado. Mais celui-ci fut fermé au bout
de dix ans en raison de la persécution contre les chrétiens et surtout de la
concurrence hollandaise qui avait toujours entravé le développement des
échanges.
Les autres établissements ne connurent pas ces difficultés et en définitive
les profits de la Compagnie durant les dix premières années de son
existence furent élevés, de l’ordre de 155 %. Toutefois l’organisation
traditionnelle consistant à financer séparément chaque expédition était mal
adaptée à la permanence d’un trafic et à la nécessité de réunir à chaque fois
des sommes considérables. En 1613, deux ans avant la date fixée pour
l’expiration du monopole, la Compagnie fut dotée d’une nouvelle structure
financière avec un capital social permanent de 400 000 livres sterling et des
actionnaires plus nombreux recrutés en dehors du cercle limité des
négociants-armateurs de Londres. Ceux-ci demeurèrent toutefois fort actifs
et jouèrent toujours un rôle essentiel dans la Compagnie. C’est le cas de
Thomas Smith, directeur depuis 1600, président du conseil de direction de
1607 à 1621 et par ailleurs directeur de la Compagnie de Moscovie (pour le
compte de laquelle il avait effectué au début du XVIIe siècle une mission
délicate auprès du tsar) et actionnaire de la société de colonisation de la
Virginie ainsi que de celle des Bermudes. Citons encore Morris Abbot,
membre de la corporation des marchands drapiers de Londres, actionnaire
de la Compagnie du Levant, directeur de la Compagnie des Indes orientales
depuis sa fondation, président du conseil de direction à partir de 1624. Il
démissionnera en 1638 pour remplir la charge de lord-maire. La Compagnie
encourage l’entrée dans le capital d’aristocrates, en particulier de nobles de
la Cour, elle en espère à la fois des capitaux et un appui dans la poursuite de
ses opérations. Ainsi en 1614, lorsque James Stonehouse, conseiller privé
du roi, est admis parmi les actionnaires, tous se réjouissent d’avoir l’aide
d’un familier du roi. La même année, Thomas Edmunds, ambassadeur
d’Angleterre en France, et John Digby, envoyé à la Cour d’Espagne,
deviennent actionnaires. Un peu plus tard, lorsque le chancelier Francis
Bacon demande à entrer dans la Compagnie, les directeurs estiment « ne
pouvoir refuser cette proposition de Sa Seigneurie » 45. Mais ils essuient
parfois des mécomptes, ainsi en 1618 lorsque sir John Villiers, futur duc de
Buckingham, n’ayant pas couvert sa souscription de 1 000 livres, vend sa
part à Lionel Cranfield, les directeurs interrogés sur la validité de cette
transaction, donnent leur accord, « car un seigneur aussi riche peut rendre
des services à la Compagnie » 46. Cette noblesse de Cour n’intervient
évidemment pas dans la gestion quotidienne, mais joue un rôle important
dans les assemblées d’actionnaires formant un groupe homogène qui
n’hésite pas à affirmer sa position.
On compte par ailleurs de plus en plus d’étrangers parmi les actionnaires.
En 1613, l’adhésion de Peter Hough d’Amsterdam est refusée sous prétexte
que le nombre des étrangers est trop important, mais trois ans plus tard il
sera admis — les directeurs estimant que sa présence augmentera
l’audience internationale de la Compagnie et permettra d’obtenir des
informations sur les projets de la V.O.C. 47En 1625, un groupe de négociants
français est autorisé à entrer dans la Compagnie « avec beaucoup
d’argent » 48. L’année suivante, lorsque les actionnaires s’élèvent contre le
grand nombre des étrangers, les directeurs rétorquent qu’il n’y a là rien que
de bien naturel.

LA RIVALITÉ ANGLO-HOLLANDAISE DANS L’ARCHIPEL MALAIS

Dans le développement des échanges avec l’Orient, la principale difficulté


rencontrée par les Britanniques est l’hostilité des Hollandais. Depuis leurs
installations de Bantam et de Banka les Anglais se rendent dans les autres
îles où ils se procurent des épices rares comme la muscade et le macis. En
1609, pour arrêter cette expansion, la V.O.C. fait construire une grande
citadelle, dénommée fort Nassau, sur Banda Neira, la plus étendue des îles
du groupe des Bandas. Les Anglais contournent l’obstacle en faisant du
commerce avec les petites îles, en particulier à Polo Run, et en
encourageant un mouvement anti-hollandais dans les petites principautés
insulaires. Ils s’affirment alors comme des rivaux commerciaux beaucoup
plus redoutables que les Portugais dans les ports du golfe Persique et du
nord-ouest de l’Inde.
Les dirigeants des Provinces-Unies estimaient nécessaire de conserver de
bonnes relations avec les Britanniques dont l’aide pouvait être décisive en
cas de conflit ouvert avec les Espagnols ; mais par ailleurs il leur paraissait
impossible de renoncer au quasi monopole du commerce des épices si
chèrement acquis. Une députation des États généraux se rendit à Londres en
1613 pour essayer de faire diminuer la tension née de cette ambiguïté ; elle
comprenait entre autres le célèbre érudit et homme politique Hugo Grotius,
auteur du Mare liberum, ouvrage récemment publié (1609), dans lequel il
avait utilisé tous les arguments possibles pour démontrer, contre les
prétentions des Portugais, que les mers devaient être librement ouvertes à
tous ; curieusement, il lui fallut un grand renfort de citations latines pour
tenter de convaincre ses interlocuteurs qu’ils n’avaient pas le droit d’entrer
dans un trafic dont les Hollandais s’étaient emparés en dépensant tant
d’argent et tant d’efforts. La discussion engagée sur de telles bases n’aboutit
évidemment pas. Une seconde conférence tenue en 1615 essaya à nouveau
de favoriser un accord entre les deux Compagnies. Elle échoua une fois
encore.
Dans le même temps, dans l’archipel, la rivalité entre les deux puissances
européennes devenait de plus en plus âpre. En janvier 1616, une flotte
hollandaise obligea les Anglais à fermer leur factorerie de l’île de Banda.
Deux ans plus tard, peu après la nomination du nouveau gouverneur général
hollandais Jan Pietersz Coen, bien décidé à résister aux Britanniques, les
puissances s’opposèrent à nouveau, et cette fois ouvertement, au cours
d’incidents à Bantam et à Djakarta.
Alarmés par ces nouvelles et redoutant l’éventualité d’un conflit avec les
Anglais et les Ibériques alliés contre eux, les Heeren XVII entamèrent de
nouvelles négociations. Leur idée était de passer un compromis par lequel
ils conserveraient quatre-vingt pour cent du trafic, tandis que vingt pour
cent iraient aux Anglais. Les Britanniques refusèrent absolument de se
prêter à un tel arrangement. En 1619 les directeurs de la V.O.C. durent
signer une convention assez lâche : les Anglais recevaient un tiers des
épiceries fines importées en Europe, le poivre demeurant hors du
contingent, contre une promesse vague de participer aux dépenses militaires
des Hollandais en Asie. Lorsqu’il eut connaissance du contenu de l’accord,
Coen fit part de son mécontentement à ses directeurs en des termes peu
diplomatiques, affirmant que les Anglais leur devaient beaucoup, puisque,
après avoir été pratiquement évincés de l’archipel, ils y revenaient grâce
aux Heeren XVII. En application de la convention, les Britanniques
établirent des loges à Batavia, Amboine et Banda, tout en développant leurs
installations de Bantam.
Les Hollandais firent preuve de beaucoup de mauvaise volonté dans
l’application des clauses du traité. « Nous pensions pouvoir partager leurs
conquêtes sans faire les dépenses et autres charges habituelles dans les
débuts, écrit un agent britannique dès 1621, mais leurs procédés faux et
couverts, ainsi que le comportement insolent de leurs chefs, nous prouvent
que nous ferions bien moins de dépenses en retrouvant notre liberté » 49.
Les nouvelles loges étant au voisinage des forts hollandais, il devenait
facile à leurs chefs d’intervenir à leur propre avantage dans les ventes et les
achats de marchandises ainsi que dans la discussion des prix. À chaque
instant les marchands britanniques se trouvaient gênés dans leurs activités
par l’« insolence insupportable » de leurs partenaires. « Nous sommes
partout en dessous des Hollandais, assure le chef de Bantam en mars 1622,
et nous ne pouvons rien acheter sans régler des droits très lourds et sans
passer par l’esclavage de leur volonté » 50. Les employés de la V.O.C.
disposaient non seulement de la supériorité financière, mais de la force
militaire, avec plus de deux mille soldats installés dans une vingtaine de
forts répartis dans l’archipel. Un très grave incident, le « massacre
d’Amboine », survint en février 1623. Le chef de cette citadelle hollandaise
fit mettre à mort ses hôtes britanniques suspects d’avoir organisé un
complot pour s’emparer de la position. Ce massacre mit fin à la tentative
d’entente. La Compagnie anglaise, tout en continuant à proclamer son droit
théorique à faire du commerce dans tout l’archipel, ferma la plupart de ses
établissements, conservant seulement ceux de Bantam, de Macassar aux
Célèbes et de Jambi (transféré en 1681 à Bencoolen) à Sumatra qui
suffisaient à leur procurer les épices nécessaires. Elle ne chercha pas par
ailleurs à augmenter ses achats, voulant éviter de se lancer dans une rivalité
coûteuse ; quant au prix du poivre, moins recherché en Europe, il se
stabilisa et la concurrence fut moins vive. En 1682, la direction générale de
l’East India C° décida de renoncer au commerce de l’archipel et de fermer
la factorerie de Bantam après celle de Macassar, ne conservant que
Bencoolen qui suffisait à compléter les achats de poivre en provenance de
l’Inde.

LE DÉVELOPPEMENT DES ÉTABLISSEMENTS


SUR LE CONTINENT INDIEN

Les difficultés avec les Hollandais entraînèrent une chute du profit, dont
le taux plafonna à 12 % seulement entre 1617 et 1632. La reprise s’amorça
avec le développement des factoreries de l’Inde. À partir de Surate, les
agents de la Compagnie s’installent au Sind (1635) et à Rajapur (1637) ; un
accord local avec les Portugais leur permet de venir chercher du poivre dans
les ports de Cochin et de Calicut. Sur la côte orientale le commerce se
développe depuis la factorerie de Masulipatam dans la région de Madras.
Cette concession obtenue en 1639 a une croissance si rapide qu’elle peut
remplacer Bantam en 1652 comme siège du conseil pour le commerce de
l’Extrême-Orient. La première factorerie sur la côte d’Orissa est ouverte à
Balasore en 1633 ; celle du Bengale à Hooghly est créée en 1651.
Les autorités mogoles autorisent volontiers ces implantations dans la
mesure où les visées britanniques paraissent être uniquement commerciales.
« Il faut tout supporter et poursuivre notre trafic, assure le président du
conseil de Surate en 1657, lors de l’attaque de la ville par le prince Mourad.
Il faut faire allégeance aux autorités et tâcher d’obtenir une diminution des
taxes ». C’est une politique toute différente de celle, belliqueuse, des
Hollandais ; ici les Britanniques cèdent toujours lorsqu’ils sont en
désaccord avec les représentants du Mogol. Ainsi lorsqu’en 1624 le
président du conseil de Surate est emprisonné par le gouverneur de la ville à
la demande de négociants hindous mécontents des retards dans le paiement
de dettes, les directeurs généraux de l’East India C° refusent de faire le
blocus du port, comme cela leur était proposé par leurs employés en Asie, et
acceptent de régler une compensation en argent. Une situation analogue se
présente trente-cinq ans plus tard dans la partie orientale de l’Inde : en
1656, un conseiller de Madras avait fait saisir un navire appartenant à Mir
Jumla, ancien général de l’armée de Golconde, qui devait une somme
importante à des Britanniques ; ceux-ci pensaient n’avoir rien à craindre
puisque cet officier supérieur était en disgrâce. Mais il conservait des
partisans dans la région qui réagirent en bloquant les voies terrestres menant
à Madras et en arrêtant le trafic maritime anglais à Masulipatam. Lorsque
Mir Jumla fut choisi en 1659 pour prendre le commandement de l’armée du
Mogol au Bengale, il s’empressa de faire connaître son mécontentement
aux chefs des établissements britanniques dans la région. Ceux-ci
décidèrent alors de lui présenter des excuses pour la confiscation de 1656 et
de lui donner une indemnité.
Les directeurs généraux de la Compagnie appliquèrent une politique
analogue en Extrême-Orient où ils essayèrent de prendre pied, les produits
en provenance de cette région étant de plus en plus recherchés en Europe.
Une tentative faite en 1635 pour ouvrir une factorerie à Macao, avec
l’accord du vice-roi de Goa, n’aboutit pas en raison de l’hostilité des
négociants locaux, qui voulaient conserver la maîtrise des échanges. À trois
reprises, en 1644, 1656 et 1664, de nouvelles tentatives connurent des
échecs analogues. Les Britanniques ne parviennent pas davantage à revenir
au Japon en 1673 et leur factorerie de Formose n’a qu’une brève existence,
de 1678 à 1685, avec une activité commerciale médiocre. Ici encore ils
s’opposent aux Hollandais qui conscients de la faiblesse de leur position
dans la région veulent éviter l’installation de rivaux.
En Chine la rencontre entre les Hollandais et les Anglais tourne cette fois
à l’avantage de ces derniers. En 1685, les directeurs de la V.O.C. envoient
une grande ambassade à Pékin, avec des cadeaux de valeur, pour solliciter
l’autorisation d’ouvrir un établissement dans un port de la Chine du sud.
L’ambassade échoue, à cause peut-être du souvenir de la politique de force
menée par Coen un demi-siècle plus tôt. Les Hollandais engagent alors des
pourparlers avec les Portugais pour essayer d’échanger Macao contre
Cochin, dont l’importance commerciale est désormais bien médiocre ; une
fois encore les discussions n’aboutissent pas, tant et si bien que les
Hollandais renoncent à tous projets et confirment leur organisation
consistant à recevoir à Batavia les produits apportés par les jonques
chinoises. Les Britanniques exploitent aussitôt ce recul et commencent à
faire du commerce à Canton à partir de 1690.

DÉVELOPPEMENT DU COMMERCE PRIVÉ D’INDE EN INDE

Avec des effectifs militaires réduits, bien inférieurs en nombre et en coût à


ceux que les Hollandais et même les Portugais avaient entretenus, les
Britanniques parviennent à s’établir à demeure en Asie et à créer un trafic
important. Ce succès est dû essentiellement au savoir-faire commercial de
leurs employés. Dès la création de l’East India C° les directeurs généraux
avaient annoncé qu’ils préféreraient toujours « un marchand peu
expérimenté en navigation à un navigateur peu habitué au commerce ».
L’examen de quelques dossiers de candidature à des postes en Asie montre
qu’ils sont toujours très attachés à ce principe. En 1616, ils engagent
William Merwold, « employé par Mr. Randel Mannying, formé depuis neuf
ans dans la marchandise, ayant servi le même Mannying pendant cinq ans à
Middleburg, comprenant la langue des Français et celle des Hollandais,
disposé à servir partout où on le jugera compétent » 51. En 1623, ils
choisissent George Parkin, « qui a voyagé en Barbarie, Espagne, Portugal,
Flandre et connaît l’espagnol », George Barklie, « élevé dans la
marchandise depuis son enfance, marchand en Orient puis aux îles
Canaries », ainsi que Hugh Hammersley, « ancien marchand au Levant,
parlant le turc, le grec et l’italien, bon connaisseur de toutes les sortes de
cargaisons du Levant » 52.
Ces commerçants employés par la Compagnie, lorsqu’ils sont autorisés à
se rendre en Asie, souhaitent continuer à faire des affaires pour leur propre
compte. Au début les directeurs généraux cherchent à les en dissuader sans
y parvenir, (au contraire des Heeren XVII qui rencontrent cependant
beaucoup de difficultés). Ainsi dès 1613, lorsque le James venant de
Bantam, entre à Surate, il est tellement surchargé de plus de trois cents
balles de marchandises pour le compte de personnes privées qu’il ressemble
davantage à « une porcherie pour des truies, qu’à un bâtiment pour des
hommes ». Les sanctions, comme les rappels en métropole suivis d’un
procès pour détournements, ont peu d’effet, tant les profits sont élevés. Et
les directeurs répugnent à les multiplier, car ils en connaissent les
inconvénients. Il faut « laisser faire le commerce privé, prévient le conseil
de Surate en 1620, sinon nous ne trouverons plus personne pour monter sur
nos vaisseaux, sauf des désespérés » 53. La Compagnie manque d’employés
compétents et elle est parfois obligée d’engager à nouveau ceux qu’elle a
précédemment renvoyés pour avoir fait du commerce privé. De plus
beaucoup d’employés ont des protecteurs influents, y compris parmi les
directeurs généraux. En 1628, ceux-ci essayèrent de limiter les activités du
commerce privé en en fixant un quota, et en annonçant des sanctions
sévères contre les employés qui dépasseraient ce quota. Dès 1635, ils durent
convenir que la mesure était inefficace et annoncèrent que les employés
rentrant en Europe avec une fortune d’un montant supérieur à celui prévu
par le règlement de 1628 seraient seuls sanctionnés. Cette nouvelle
disposition n’apportant pas le résultat espéré ils durent se résoudre à
légaliser, en 1661, la participation de leurs agents au commerce d’Inde en
Inde.
Quelles sont les principales directions de ce commerce ? Dans la partie
occidentale de l’océan Indien, outre les ports de l’Inde, ceux de la mer
Rouge et du golfe Persique sont très fréquentés. Dans la partie orientale, les
bâtiments se dirigent vers les places commerciales du golfe du Bengale, du
détroit de Malacca, de l’archipel des Philippines et de la Chine du sud. Tous
les établissements britanniques, tant sur la côte Malabār que sur la côte
Coromandel et au Bengale, participent à cette activité. À la fin du
XVIIe siècle, Masulipatam est le plus important comptoir, dépassé au début
du XVIIIe siècle par ceux du Bengale.
Chaque navire est armé par une société particulière. Elle est dirigée par un
ou plusieurs britanniques, généralement un employé de l’East India C° et
comprend des Anglais, des Européens d’autres nations, et des marchands
locaux, Hindous, Arméniens, Chinois. Dans la seconde moitié du
XVIIe siècle, le gouverneur de Madras, John Harrisson, est à la tête d’une
société comprenant le Britannique Joseph Collet, chef de l’établissement de
Bencoolen (et auparavant conseiller à Madras), et un Hindou Sunku Rama,
le plus important marchand de Madras. John Scatergood, négociant
britannique de la même place, est associé à la même époque au Portugais
Joao de Matta et au Chinois Chan Yungqua, pour envoyer des vaisseaux à
Malacca, Manille et Macao.
Les chargements sont effectués en priorité pour le compte des associés,
mais ils peuvent prendre également des marchandises pour le compte de
négociants locaux. Ceux-ci préfèrent s’adresser aux Britanniques malgré un
coût du fret supérieur à celui demandé par les armateurs locaux. Ainsi en
1699, pour le voyage du golfe Persique, les Anglais de Madras demandent
huit roupies par balle de marchandise et les locaux cinq roupies.
L’explication tient à la plus grande efficacité des Britanniques : ils savent
mieux que les autres « attraper » la mousson et donc respecter les délais de
transport ; ils ont moins d’accidents, car leurs bâtiments sont mieux
commandés ; ils sont redoutés des pirates, car ils portent une artillerie ; et
surtout les navires armés par les Anglais bénéficient des mêmes avantages
douaniers que ceux de l’East India C°.
Les Britanniques accumulent ainsi des bénéfices importants. Dans la
première moitié du XVIIe siècle, les employés de la Compagnie rentrent en
métropole avec des fortunes dont le montant est de 10 000 à 40 000 livres
sterling ; dans les années 1650, on dépasse 50 000 livres ; à la fin du
XVIIe siècle, deux gouverneurs de Madras,Thomas Pitt et Elihu Yale, ont
gagné plus de 200 000 livres lorsqu’ils quittent leurs fonctions, ce qui
permet à ce dernier de créer une Université. Les retours se font
généralement en diamants (ainsi le célèbre diamant Pitt, devenu le Régent),
qui ne sont pas soumis au monopole commercial de la Compagnie et
peuvent entrer librement en Grande-Bretagne sous réserve d’acquitter une
taxe de 4 % ad valorem. La « route du diamant » se déplace alors vers le
milieu du XVIIe siècle du trajet Goa-Lisbonne vers Madras-Londres.
Parallèlement, les diamantaires de Lisbonne, généralement des marchands
juifs, quittent le Portugal pour s’établir en Grande-Bretagne.
La Compagnie britannique met en place une organisation commerciale
très différente de celle de la Compagnie hollandaise. La V.O.C. se réserve le
monopole du commerce d’Inde en Inde, et les profits qu’elle en retire lui
permettent d’acheter une partie des cargaisons destinées à être envoyées en
Europe en économisant les métaux précieux. L’East India C°, au contraire,
amène de grandes quantités d’argent et d’or qu’elle se procure en Amérique
(jusqu’à 70 % de la valeur des cargaisons d’envoi), puis fait ensuite rentrer
des capitaux en Europe grâce aux retours des fortunes privées.
LA CONTESTATION DU MONOPOLE COMMERCIAL

L’importance de ces fortunes suscite le mécontentement des actionnaires


qui présument, avec raison, qu’elles ont été acquises, pour partie à leur
détriment, et la jalousie de ceux qui se trouvent écartés de ces trafics. Le
monopole commercial de la Compagnie et son organisation sont contestés,
d’autant que les changements politiques en Grande-Bretagne au cours du
XVIIe siècle permettent l’expression de critiques. Dès 1618, le roi Jacques
Ier donne des lettres patentes à son ami et protégé James Cunningham
l’autorisant à créer une Compagnie écossaise des Indes orientales. Cette
permission est retirée quelques mois plus tard sur la demande des directeurs
de l’East India C° qui s’engagent en contrepartie à verser une forte
indemnité à Cunningham. En 1624, tirant argument du « massacre
d’Amboine », le souverain propose aux directeurs d’entrer à leurs côtés
dans la Compagnie. Leurs bâtiments pourraient ainsi, dit-il, porter le
pavillon royal. Les directeurs écartent poliment cette offre dangereuse, qui
leur aurait enlevé toute liberté, en assurant que « la condition d’associé dans
une Compagnie de commerce est bien au dessous de la dignité et de la
majesté d’un roi ». En 1635, Charles Ier, voulant prélever une part des
profits du commerce des Indes orientales (indépendamment du Parlement
qui se réserve les taxes exigées lors du renouvellement régulier de la charte
de monopole), autorise la création d’une association rivale, dirigée par
Courteen et Porter, destinée au trafic vers les ports d’Asie où ne se rendent
pas les navires de l’East India C°. La société Courteen fit faillite assez
rapidement, mais son action eut des conséquences, en particulier en Inde,
où les autorités locales rendirent les agents de l’East India C° responsables
des actes de piraterie commis par leurs concitoyens et rivaux contre des
vaisseaux appartenant à des sujets du Mogol.
Pendant la guerre civile anglaise qui porta Cromwell au pouvoir, les
directeurs de la Compagnie furent obligés à deux reprises, en 1648 et en
1650, de payer au Parlement un supplément de taxe d’un montant total de
sept millions de livres ; puis, entre 1654 et 1657, ils durent lutter contre des
« interlopes ».
Lorsque le monopole de la Compagnie fut renouvelé par Cromwell en
1657, puis confirmé par Charles II en 1661, la situation se rétablit, d’autant
que la monarchie lui donna un nouvel avantage avec la cession de Bombay.
En effet, par le traité d’alliance entre l’Angleterre et le Portugal — signé en
juin 1661, dont le principal objet visait à renforcer la protection de ce
dernier dans l’hypothèse d’un tentative de reconquête espagnole —,
Bombay revient à Charles II comme une partie de la dot de son épouse
Catherine de Bragance, avec l’obligation pour lui de venir au secours des
établissements portugais au cas d’attaques par les Hollandais. La présence
d’une colonie de la Couronne sur le littoral de l’Inde devient vite un
embarras pour les employés de la Compagnie, qui s’opposent aux agents du
roi sur l’organisation de la navigation, et le territoire est remis à l’East India
C° en 1668. Bombay est alors un petit centre commercial et artisanal, avec
peu de tisserands, mais il dispose d’un port bien abrité et la Compagnie
conçoit ce territoire comme une position de refuge, avec une garnison
légère de 150 à 200 militaires britanniques et autant de soldats d’origine
portugaise. Une petite force navale y est installée à partir de 1670, afin
d’assurer la police dans la région et de lutter contre la petite piraterie qui est
endémique. Bombay prend de l’importance à la fin du XVIIe siècle, après
sa résistance victorieuse lors du siège par une armée du Mogol (février
1689 et juin 1690) et la destruction de la factorerie de Surate par ces mêmes
forces. À la suite de ces évènements le Conseil pour le commerce
britannique de la partie occidentale de l’océan Indien est transféré à
Bombay.
Le heurt entre les forces du Mogol et celles de l’East India C° trouve son
origine dans la politique belliqueuse conduite par John Child, nommé en
1685 « capitaine-général et amiral » pour les établissements britanniques en
Asie, poste transformé plus tard en celui de « gouverneur-général ». Child,
qui dispose de pouvoirs étendus, envisage de multiplier les établissements
fortifiés et annonce sa volonté de maintenir vigoureusement les privilèges
commerciaux de la Compagnie contre les interlopes et surtout contre les
pouvoirs locaux. En 1686, il organise une expédition militaire au Bengale
avec 300 soldats britanniques et autant de mercenaires portugais et rajputs
pour contraindre le nabab à renoncer à l’instauration de nouvelles taxes
— qualifiées par les Anglais d’« exactions » — sur les exportations
britanniques. Le nabab demande l’aide du Mogol, qui envoie une armée de
12 000 hommes ; les Britanniques, battus à plusieurs reprises et obligés
d’abandonner leurs factoreries détruites, doivent se replier dans le village de
Kalikata, situé à l’embouchure de l’Hooghly, bras majeur du delta du
Gange, dans un site marécageux et insalubre. La situation des Anglais
paraissait désespérée, — d’autant que leur factorerie de Surate venait d’être
détruite — le Mogol accepta toutefois d’entrer en négociation. La raison
avancée fut que le blocus des principaux ports de l’Inde par les forces de
l’East India C° empêchait le départ des pèlerins vers La Mecque ; peut-être
faut-il y ajouter la gêne ressentie par tous les acteurs locaux du commerce
maritime. Ainsi une fois de plus le poids de la domination navale exercée
par les Occidentaux se fait sentir. En février 1690, le nabab reçut l’ordre du
Mogol de laisser les Britanniques poursuivre leurs activités sans modifier le
régime douanier. Les agents de la Compagnie furent autorisés à s’installer à
demeure à Kalikata, devenu Calcutta, où ils firent plus tard construire le
Fort William, de grande importance stratégique, par sa position à l’entrée du
fleuve. En 1699 un troisième Conseil y fut établi, à égalité avec ceux de
Madras et de Bombay. Après cet épisode guerrier, exceptionnel dans la
politique de la Compagnie britannique au XVIIe siècle, le commerce reprit
son cours.

À la fin du XVIIe siècle toujours, l’East India C° rencontra une autre


difficulté, en métropole cette fois, avec la création d’une Compagnie rivale.
La direction de la Compagnie, la [London] East India Company étant
demeurée proche des Stuarts, Guillaume d’Orange, après la « glorieuse
révolution » de 1688, fut assez satisfait de pouvoir offrir à ses partisans
d’entrer dans une English East India Company, créée en 1698 avec l’appui
des parlementaires qui se faisaient l’écho des plaintes des armateurs de
Bristol, Liverpool et Hull, se plaignant d’être exclus des profits du
commerce avec l’Orient. En 1709, après quelques années de rivalités
ruineuses pour les deux sociétés, elles fusionnèrent pour donner naissance à
The United Company of Merchants of England trading to the East Indies,
raison sociale conservée jusqu’en 1833. En fait, l’ancienne Compagnie resta
la plus influente dans cette nouvelle société.
La charte de 1709 qui établit l’organisation de la Compagnie sera
conservée dans ses grandes lignes jusqu’en 1859. Un conseil de 24
directeurs est élu chaque année par les actionnaires parmi les propriétaires
d’actions d’une valeur de 2 000 livres sterling au minimum. Le conseil
dispose de pouvoirs étendus pour l’organisation du commerce et la gestion
des fonds. Sept comités, comprenant trois directeurs chacun, assurent la
gestion quotidienne : le comité des comptes (le plus prestigieux), des
achats, du commerce privé, de la correspondance, des armements, des
magasins, des caisses. La fonction de directeur est très recherchée ; elle est
l’objet de brigues et il faut dépenser une fortune en réceptions pour pouvoir
y accéder ; chaque directeur représente une faction d’actionnaires, et pour
être élu il faut pouvoir succéder au représentant de sa faction. Le plupart
des directeurs appartiennent à deux groupes professionnels : en premier
lieu, les grands commerçants, de Londres (où résident la plupart des
directeurs), les banquiers et les propriétaires des navires loués à la
Compagnie, tous en relation d’affaires ; en second lieu, les anciens
employés de la Compagnie en Asie, de plus en plus nombreux à partir du
milieu du XVIIIe siècle. Lorsqu’un directeur est élu, il peut espérer être
renouvelé régulièrement. Toutefois, le règlement de 1735 interdit de se
représenter pendant une année après cinq mandats consécutifs.
L’assemblée générale des actionnaires se réunit une fois par trimestre à
l’hôtel de la Compagnie à Londres. Il y a plus de 2 000 actionnaires au
XVIIIe siècle (2 140 en 1752 ; 2 700 en 1793) avec un nombre assez
important d’étrangers (un quart au milieu du XVIIIe siècle). Le montant du
capital est de 4 200 000 livres. Les actionnaires sont en quelque sorte des
rentiers puisque, depuis 1709, une partie du dividende est réglé par l’État,
avec un prélèvement sur le produit de la ferme du sel et sur celle du papier
timbré. Le reste du dividende dépend de l’activité commerciale. Entre 1660
et 1685, le dividende annuel est en moyenne de 17 % de la valeur de
l’action ; il diminue fortement, jusqu’à 2 %, entre 1688 et 1709 puis
remonte à 8 % en moyenne de 1710 à 1750, mais avec de fortes variations
annuelles (22 % en 1713, rien en 1722) ; dans la seconde moitié du
XVIIIe siècle, il oscille entre 8 et 10 %.

PROSPÉRITÉ DE LA COMPAGNIE BRITANNIQUE

À la fin du XVIIe siècle, les Hollandais demeurent les premiers, devant


les Anglais, pour les relations commerciales entre l’Asie et l’Europe. Ils
sont les maîtres du marché des épices — poivre mis à part qu’ils ne
contrôlent pas entièrement et dont la production continue à augmenter. Ils
développent le commerce du café, dont la consommation augmente en
Europe, et qu’ils importent depuis leur établissement de Moka (ouvert en
1680) et depuis leurs plantations de Java, dont la croissance est rapide. Le
montant en valeur des importations de la V.O.C. passe de 10 millions et
demi de florins en 1668-1670 à 15 millions en 1698-1700. Si le chiffre des
affaires des Hollandais demeure le plus important et est en forte
augmentation, celui des Britanniques s’accroît plus vite encore. Aux mêmes
périodes, le montant en valeur des importations de l’East India C° passe de
4 millions à 13 millions et demi (en équivalent du florin).
En trente ans en effet la composition des cargaisons a beaucoup changé, la
part du poivre et des épices diminuant au profit des soies, des soieries et des
cotonnades. Chez les Hollandais, poivre et épices qui représentaient en
1668-1670 43 % en valeur, tombent à 23 % en 1698-1700, tandis que soies
et cotonnades pour les mêmes périodes passent de 36 % à 55 %. Même
tendance chez les Britanniques où fils et tissus entrent désormais pour 80 %
dans leurs importations. Ces produits textiles viennent surtout du
Bengale 54et en moindre quantité du Coromandel 55, or ce sont deux régions
où l’East India C° est mieux implantée que la V.O.C. et peut donc avoir des
cargaisons mieux assorties. Par ailleurs la demande de thé augmente
fortement en Europe, mais les Hollandais ne sont toujours pas autorisés à
faire du commerce en Chine, contrairement aux Britanniques et aux autres
Européens.
IV
LES COMPAGNIES ROYALES

À l’instar de l’Angleterre, les succès commerciaux des Hollandais


amènent d’autres puissances maritimes à tenter de pénétrer sur les marchés
de l’Asie — le Danemark et la France en particulier. Chacune crée une
Compagnie des Indes orientales dont le roi — nous sommes ici dans des
systèmes de monarchie absolue — souscrit la majeure partie du premier
capital et fait contrôler soigneusement la gestion par ses officiers. Puis, au
début du XVIIIe siècle, l’accroissement du trafic, la forte demande de
produits d’Asie en Europe, et l’augmentation des profits de ce commerce
conduisent des négociants à former le projet d’une Compagnie
internationale, ou « interlope ». Les Compagnies nationales se liguent
contre ce projet et en empêchent l’aboutissement. Cependant, la Compagnie
danoise, transformée en 1732, et la Compagnie suédoise, créée en 1731,
présentent un caractère international fortement marqué, tant dans le
recrutement de leur personnel, que dans leurs marchés d’écoulement des
produits importés.

LA COMPAGNIE FRANÇAISE DES INDES ORIENTALES

Premières tentatives françaises


En France, dès 1601, une « Compagnie des marchands de Saint-Malo,
Laval et Vitré » envoie deux bâtiments aux Moluques avec le concours de
pilotes hollandais. Une fois les navires rentrés en Bretagne, le marchand
François Martin, publie le récit du voyage, à la demande de Henri IV,
auquel l’ouvrage est dédié, afin de faire connaître aux Français les
ressources du trafic et les embûches de la navigation 56. Deux ans plus tard,
le roi accorde une charte donnant le monopole de la navigation à un groupe
d’armateurs et de financiers. Les Hollandais, alors alliés aux Français, mais
qui n’ont plus besoin de leur aide contre les Espagnols depuis la signature
de la trêve de douze ans, font preuve de mauvaise volonté. Malgré tout, un
bâtiment est armé en 1614, puis deux en 1617 (dont un fut confisqué par les
Hollandais). À partir de Rouen et de Saint-Malo, ces affaires s’élargissent
peu à peu, à la manière des Provinces-Unies. Richelieu se penche sur le
projet et essaye d’accompagner le mouvement. Il fait connaître aux notables
lors de leur assemblée de 1626 son projet de « faire de grandes
Compagnies, [d’]obliger les marchands d’y entrer, [de] leur donner de
grands privilèges, [car] faute de ces Compagnies, et pour ce que chaque
petit marchand trafique à part et de son bien, et partant pour la plupart en
des petits vaisseaux et assez mal équipés, ils sont la proie des corsaires et
des princes nos alliés, parce qu’ils n’ont pas les reins assez forts comme
aurait une grande Compagnie » 57. Il parvient à former des Compagnies plus
ou moins actives pour commercer avec l’Afrique et l’Amérique mais
échoue complètement en ce qui concerne l’Orient, les négociants refusant
d’entrer dans la lourde machine administrative qu’il souhaite créer.
Les relations maritimes et commerciales entre la France et les pays
riverains de l’océan Indien n’en sont pas pourtant interrompues. Quelques
colons s’installent dans le sud de Madagascar et à l’île Mascareigne,
rebaptisée Bourbon. Chaque année, un ou deux vaisseaux français se
rendent dans cette région du monde. Cependant les Français n’ont
d’établissement permanent ni dans la péninsule indienne ni dans l’archipel
de la Sonde.
Comment expliquer ce retard ? Les contemporains, qui en ont bien
conscience, y voient une marque de l’individualisme des Français. « Ce
désordre, assure le roi Louis XIII en 1626, est arrivé par la division de nos
sujets, qui, voulant chacun faire bande à part, et ne songeant qu’à leur profit
particulier, ont souffert de grandes pertes » 58. Certes l’affirmation du
patriotisme urbain des armateurs de Rouen ou de Saint-Malo, ou encore le
patriotisme régional des Normands ou des Bretons, paraît contraire à la
formation d’une grande société nationale, mais l’argument à une valeur
toute relative puisqu’aux Provinces-Unies la rivalité entre ports et entre
provinces n’a pas empêché la création de la V.O.C. L’échec relatif des
Français reflète surtout l’incapacité à rassembler un gros capital dans un
royaume divisé, avec des régimes fiscaux différents, avec des provinces
séparées par des douanes intérieures, formant autant de petits marchés
commerciaux autonomes. Il n’existe rien de tel en Angleterre ou aux
Provinces-Unies. Paris, enfin, n’est ni Londres, ni Amsterdam. La capitale
française n’a pas d’accès direct à la mer, et son poids financier et
économique est inférieur à celui de ces deux autres villes.
Colbert et la création de la Compagnie des Indes orientales
Colbert, intendant des finances en 1661, contrôleur général en 1665,
voulut remédier à cette lacune en créant, en 1664, la Compagnie française
des Indes orientales. Il s’agissait pour lui de « procurer au royaume l’utilité
du commerce [de l’Asie] et empêcher que les Anglais et les Hollandais n’en
profitassent seuls, comme ils avaient fait jusqu’alors » 59. À sa demande, le
caissier de la nouvelle société établit un compte d’où il ressortait que le gain
pour les Français serait de 40 % au moins.
Admirateur de la réussite commerciale des Hollandais, ici comme en
d’autres domaines, Colbert voulut organiser la Compagnie sur le modèle de
la V.O.C., avec cinq chambres particulières établies à Lyon, Rouen, Le
Havre, Nantes et Bordeaux. Chacune d’entre elles disposerait d’un budget
autonome, et serait dotée du droit d’armer des navires, de vendre ou
d’acheter des marchandises, de déléguer un à trois de ses membres, selon le
nombre des actions dont elle disposerait, pour s’intégrer à une chambre
générale, installée à Paris. La prééminence de cette dernière sera assurée,
tout comme celle d’Amsterdam, par la désignation de douze directeurs sur
un total de vingt et un. Le « modèle » hollandais apparaît aussi dans le
choix de Madagascar comme base d’action. Colbert voulait faire du petit
établissement français de Fort-Dauphin, dans le sud de l’île, un nouveau
Batavia, à la fois entrepôt dans lequel seraient regroupées les productions
locales et les marchandises venues d’autres régions de l’océan Indien, et
escale où les vaisseaux viendraient se ravitailler en vivres frais et effectuer
les réparations nécessaires avant de poursuivre leur route vers l’Extrême-
Orient. Le ministre préfère engager des Hollandais comme spécialistes du
commerce et de la navigation. En 1665, Caron, ancien chef du comptoir de
Deshima, et vingt-deux hommes originaires des Pays-Bas du Nord, parmi
lesquels treize pilotes, obtiennent des lettres de naturalisation.
Enfin Colbert, toujours à l’instar de la Compagnie hollandaise, s’attache à
donner à la société une solide assise financière. Il fixe le montant du capital
à quinze millions de livres, somme considérable, qui fait de la Compagnie
la première entreprise commerciale du royaume. Pour faciliter la
souscription des actions, il fait intervenir l’autorité royale, seule capable de
surmonter les forces divergentes, par exemple, en envoyant des lettres
d’incitation aux magistrats municipaux et aux membres des parlements.
Cette incitation accroîtra la méfiance des négociants à l’égard de cette
entreprise d’État, dans laquelle le ministre voudrait les contraindre à entrer
sans leur donner le moindre pouvoir. Le roi demeure le premier des
actionnaires avec une participation de 3,5 millions de livres tournois ; il est
suivi par les financiers, obligés par leurs fonctions d’obéir au contrôleur
général des finances (3,5 millions de livres), par les ministres (y compris
Colbert) et les grands officiers (800 000 livres). Les autres versements
s’élèvent au total à 2,6 millions de livres dont moins d’un million pour les
milieux du grand commerce maritime 60. Le capital n’est pas entièrement
souscrit. Le roi est alors obligé de faire des versements supplémentaires
destinés à couvrir les retards dans les souscriptions. En 1668 sa part
s’élèvera à 57 % du total.
Dans ces conditions, l’influence du ministre l’emporte évidemment sur
celle des actionnaires. Les assemblées sont tenues de façon irrégulière et le
résultat des délibérations fixé à l’avance, selon la volonté du ministre ; la
comptabilité est contrôlée par des commissaires désignés par le contrôleur
général ; les directeurs sont choisis par le roi, sans consultation des
actionnaires.
L’intervention de l’État dans les affaires de la Compagnie a cependant
quelques avantages. Le premier est de pouvoir disposer aisément d’avance
de fonds, ce qui facilite le premier investissement, toujours difficile à
réaliser. Le second est d’avoir l’appui primordial de la marine de guerre. Ce
sera le cas lorsque le roi décide d’envoyer dans l’océan Indien l’escadre de
Perse, forte de neuf vaisseaux de guerre, placée sous le commandement de
Blanquet de La Haye. Cette escadre arrive dans les mers d’Asie en 1670, au
moment où la Compagnie, après avoir constaté l’échec de son établissement
de Madagascar, entreprend de s’établir en Inde, à Surate d’abord, puis sur la
côte de Coromandel, en sollicitant l’accord du Mogol. Par ailleurs, Colbert
fait agir les représentants du roi en Europe, en particulier son ambassadeur à
Lisbonne, auquel il donne pour instruction d’utiliser le mécontentement des
Portugais après la conquête hollandaise de Cochin et Cananore, en 1662 et
1663. Il s’agit de persuader ses interlocuteurs qu’une autorité partagée entre
les Portugais et les Français permettrait de prendre le contrôle de tout le
commerce de l’Asie. Mais les Portugais ne souhaitent évidemment pas
ouvrir leurs ports aux négociants français, qui sont des rivaux très actifs.
Au printemps de 1672, alors que la guerre de Hollande s’engage en
Europe, Blanquet de La Haye tente vainement de s’installer à Trincomalée,
au nord-est de Ceylan, avant de s’emparer de San Thomé, où il se fortifie. Il
résiste pendant un certain temps aux attaques conjointes des forces des
Hollandais et du sultan de Golconde, avant de capituler en 1674.
Fondation de Pondichéry
Peu auparavant, Blanquet de la Haye avait envoyé un de ses officiers,
Bellanger de Lespinay, auprès d’un chef local qui semblait souhaiter faire
alliance avec les Français. « Le gouverneur qui était pour le roi de
Visiapour (Bijâpur) dans ces quartiers, c’était Chircan Loudy (Sher Khân
Lodi), écrit l’employé de la Compagnie, François Martin, qui accompagnait
Bellanger. Nous avions entretenu correspondance avec lui depuis la fin de
l’année 1670. Sur l’avis qu’il eut de la prise de San Thomé, il écrivit à
Monsieur de La Haye et lui fit offre d’un lieu pour un établissement sur les
terres de son gouvernement » 61. Ce « lieu » est un petit village de pêcheurs
et de tisserands, nommé Poudouchery, ou Pondichéry, au sud de San
Thomé. L’offre fut acceptée et une maison concédée aux Français servit
d’abri à quelques dizaines de personnes, des soldats surtout, échappés lors
de la reddition de San Thomé.
La paix étant rétablie en Europe, les Hollandais n’osent chasser les
Français de ce petit établissement. Ils profitent de la guerre de la Ligue
d’Augsbourg pour tenter de faire la conquête de Pondichéry et s’en
emparent facilement pendant l’été 1693. Cependant, l’espoir des
Heeren XVII de parvenir à exclure les Français de l’Inde du sud fut déçu, en
effet Pondichéry servit de gage dans les difficiles négociations entre les
envoyés des Etats-Généraux et ceux de Louis XIV. Après plusieurs mois de
vaines négociations à Paris, le roi de France accepta de recevoir seul le chef
de la délégation hollandaise et l’accord se fit sur la rétrocession de
Pondichéry contre un retour au tarif douanier de 1664. Les Français
installés à nouveau dans le comptoir, en juin 1699, le roi donna l’ordre d’y
construire une forteresse sur le modèle des grandes citadelles du nord du
royaume, en particulier celle de Tournai. Ce fort, achevé en 1706, est alors
considéré, tant par les Hindous que par les Européens installés en Asie,
comme la meilleure place fortifiée de la région et les Français disposent
désormais d’une « place de retraite », d’un point d’appui pour la sécurité de
leurs échanges commerciaux.
François Martin, gouverneur de cet établissement, y fit transférer le
personnel de la factorerie de Surate, et envoya son gendre, Bourreau-
Deslandes, sur une concession obtenue du nabab du Bengale, au village de
Chandernagor, sur l’Hooghly, en amont de Calcutta. Puis il fit établir des
« loges » ou entrepôts commerciaux à Balasore, Cassimbazar et Patna.
C’est à la fin du XVIIe siècle également que les Français commenceront à
parcourir la route vers la Chine, ouverte par le voyage de l’Amphitrite en
1698.
Augmentation du nombre des actionnaires
Tout ces investissements coûtaient cher et le capital de la Compagnie
avait été englouti dans les opérations militaires infructueuses de la guerre de
Hollande. Le commerce entre l’Asie et l’Europe demeurait fort rentable,
mais la Compagnie manquait des moyens financiers nécessaires pour le
développer ou même simplement le poursuivre. Dès la fin de la décennie
1670, Colbert accepte que des négociants privés soient autorisés à charger
du fret sur les navires de la Compagnie. Deux de ses directeurs participent à
ces contrats. Après le décès de Colbert en 1683, son fils et successeur
Seignelay, puis les Pontchartrain père et fils, élargissent encore l’ouverture
des échanges entre l’Asie et la France au commerce privé. Au début du
XVIIIe siècle le trafic est assuré par un groupe de négociants de Saint-Malo,
associé aux financiers parisiens Samuel Bernard et Antoine Crozat. Ils
finissent par obtenir le monopole des armements moyennant une taxe de
5 % du montant des ventes, versée à la Compagnie des Indes pour lui
permettre de régler ses dettes. L’excellente gestion commerciale des
Malouins et les hauts prix obtenus sur des cargaisons bien choisies,
permettent de payer cette taxe sans difficulté. On semble donc se diriger
vers une liquidation progressive de la Compagnie et une remise du
monopole aux Malouins, mais ce caractère trop exclusif et donc trop limité
en constitue la faiblesse.
En 1714, et à nouveau en 1715, les Malouins repoussent des propositions
d’association formulées par des armateurs d’autres ports. Ils se privent ainsi
d’une assise plus large dans les milieux du négoce maritime qui leur fit
cruellement défaut lorsque le gouvernement, en 1719, sous l’impulsion du
duc d’Orléans, devenu Régent, approuva les projets de Law pour la
formation d’un vaste « consortium » ayant le monopole du commerce
extérieur français en contrepartie de la charge du règlement de la dette de
l’État.
S’il n’est pas possible de présenter ici l’ensemble de l’œuvre originale de
cet Écossais devenu contrôleur général des finances du royaume de France,
il faut toutefois en préciser les conséquences pour la Compagnie des Indes
orientales. Celle-ci put, tout d’abord, disposer de sommes importantes
mises à sa disposition par la banque royale, nouvellement créée, permettant
à la direction de liquider ses dettes, d’acheter en Asie d’importantes
cargaisons de retour et d’augmenter le nombre des actions qui fut porté à
56 000, dont 11 835 appartenaient au roi. Les autres propriétaires venaient
de tous les milieux sociaux, et on peut affirmer que l’ensemble des Français
étaient intéressés à la prospérité de la Compagnie. Jusqu’aux années 1740,
les princes du sang et la noblesse de la Cour demeurent de grands
actionnaires. Citons par exemple la fille du duc de Bourbon, qui possède
1 226 actions ; la duchesse de Modène, fille du duc d’Orléans, ancien
Régent, 500 actions ; la marquise de Lassay, 1 237 actions. Cependant la
prééminence des grands seigneurs disparaît peu à peu, soit parce qu’ils
vendent leurs actions pour avoir des liquidités, soit parce que celles-ci sont
partagées entre leurs héritiers.
Au milieu du XVIIIe siècle, la majorité passe à des banquiers. Le Parisien
Jean Boissière détient 438 actions ; le Britannique Jean Waters, 400
actions ; le Genevois Ami Pictet, 74 actions. Beaucoup de ces banquiers,
bien qu’installés à Paris, sont d’origine étrangère. Si l’on observe la part
relative des diverses nations, on constate que les Anglais sont majoritaires,
viennent ensuite les citoyens de Genève, mais en petit nombre, car ils
considèrent ce titre comme un placement peu sûr, puis des Hollandais ou
des Rhénans, très peu nombreux, pour le même motif.
Les financiers, nombreux lors de la création de la Compagnie, sont
toujours très présents, mais leurs portefeuilles d’actions sont généralement
moins importants que ceux des banquiers. Jean Deharan de Borda, fermier
général, a 499 actions ; son confrère Isaac Jogues de Martinville, 44 ;
Joachim Faguet de Villeneuve, trésorier de France de la généralité de
Châlons, 26. Il en est de même pour les ministres et les grands officiers.
Gabriel de Sartine, ministre d’État, a 324 actions ; le célèbre président du
Parlement de Dijon, Charles de Brosses, 80.
Les directeurs et les agents supérieurs de la Compagnie forment un
groupe homogène. Les directeurs respectent l’obligation légale de posséder
au moins cinquante actions, ils sont rejoints par leurs employés en Asie,
comme Pierre Duvelaer, chef du comptoir de Canton, propriétaire de 200
actions.
Les autres actionnaires appartiennent à des milieux divers. Voltaire écrit à
un ami : « Je m’intéresse à la Compagnie parce que j’ai une partie de mon
bien sur elle » 62, et, dans une autre lettre, il assure que ces actions lui
rapportent 20 000 livres tournois chaque année. On trouve aussi un maître-
graveur parisien ayant 4 actions, un cocher qui en a 2, un peintre en
bâtiment le même nombre, et un journalier vivant dans un hameau de
Normandie, une vingtaine 63.
Chaque année, au mois de décembre, se tient une réunion des
actionnaires, présidée par le contrôleur général. Un syndic des actionnaires,
qui participe au conseil d’administration, présente le bilan et annonce le
montant du dividende annuel. Il n’y a pas de vote. Le syndic, s’il doit être
remplacé, est désigné « à la pluralité des voix » par les propriétaires de plus
de vingt-cinq actions. Ceux-ci élisent deux candidats et le choix définitif
appartient au roi.
Le poids de l’État
L’autorité du souverain, détenteur du cinquième des actions, est
importante. Le roi est représenté dans le conseil d’administration de la
Compagnie par un maître des requêtes, « commis » à cette fonction. C’est
souvent une étape pour accéder à un poste ministériel ; François Peyrenc,
Étienne Silhouette ou Antoine Rouillé en bénéficièrent. Ce commissaire est
placé sous l’autorité du contrôleur général, auquel il rend compte
hebdomadairement de la gestion de la Compagnie. Il préside le conseil
d’administration, oriente les décisions dans le sens souhaité par le ministre,
et peut même demander une nouvelle délibération si le ministre n’est pas
satisfait.
C’est encore le roi qui nomme les huit directeurs, sur proposition du
contrôleur général. Ceux-ci sont généralement d’excellents spécialistes du
commerce maritime, anciens armateurs des ports du royaume, comme
Jacques Duval d’Epremesnil, du Havre ; Gabriel Michel, de Nantes ;
Nicolas Claessen, de La Rochelle ; ou encore des négociants de Cadix,
principal centre d’arrivée en Europe des piastres venues d’Amérique,
comme Simon Gilly. Il peut s’agir aussi d’employés supérieurs de la
Compagnie en Asie, comme Pierre Lenoir et Benoît Dumas, anciens
gouverneurs de Pondichéry, ou Pierre Duvelaer et François Roth, anciens
directeurs du comptoir de Canton. Chaque directeur est à la tête d’un
service, en relation avec sa carrière antérieure — ainsi l’ancien gouverneur
de Pondichéry est au « Bureau de l’Inde ».
La troisième grande Compagnie des Indes
La liquidation des dettes héritées de la période initiale de création,
l’apport d’argent frais durant la période du Système de Law,
l’accroissement du nombre des actionnaires, le bon recrutement des
directeurs, expliquent le développement rapide des activités commerciales
de la Compagnie.
Dans la décennie de 1725/26 à 1734/35, le montant annuel moyen des
ventes est de 5,22 millions de livres tournois, avec un taux de profit de
104 % ; durant la période suivante ; de 1735/36 à 1744/45, le montant passe
à 8,87 millions de livres avec un taux de profit de 87 %. Ce montant est
encore bien inférieur à celui des Anglais et des Hollandais, mais le fossé se
comble rapidement, la croissance du chiffre des affaires de la Compagnie
française étant plus rapide que celui de ses deux concurrents.
La compétition commerciale devient alors très vive entre les trois nations.
En 1725, le chef du comptoir hollandais de Hooghly au Bengale explique à
ses supérieurs à Batavia qu’il est dans l’incapacité de leur procurer la
quantité de textile qu’ils souhaitent, face à la demande des autres
Européens, en particulier des Français qui ont reçu un grand nombre de
vaisseaux. En 1731, cinq des principaux marchands du Bengale, qui
fournissaient des étoffes aux Hollandais, passent au service des Français de
Chandernagor. En 1735, les chefs des comptoirs anglais et hollandais font
une démarche conjointe auprès du nabab du Bengale pour lui demander de
fixer un quota pour les achats de salpêtre par les Français. Cette
concurrence inquiète les directeurs de l’East India C° : « The most
particular intelligence procurable concerning those powerful competitors,
the French, and their commerce, must annualy be communicated to us » 64,
écrivent-ils à leurs employés en Asie en 1737.
La montée de la rivalité commerciale entre ces trois grandes puissances
européennes est sans aucun doute le fait majeur dans l’histoire économique
de l’Asie durant la première moitié du XVIIIe siècle.

LA COMPAGNIE DANOISE DES INDES ORIENTALES

La Compagnie française et la Compagnie danoise peuvent être comparées


dans la mesure où, pour toutes deux, le rôle de l’État est primordial.
La Compagnie danoise est créée par une décision royale de mars 1616,
rendue à la demande de deux marchands de Copenhague établis aux
Provinces-Unies. Une nouvelle fois l’organisation est très inspirée de celle
de la V.O.C. avec neuf directeurs qui portent le titre hollandais de
bewindhebbers. La principale difficulté rencontrée par les fondateurs est le
manque de capitaux, et ceci demeurera un frein à toutes les initiatives
danoises dans le domaine du grand commerce maritime au cours des XVIIe
et XVIIIe siècles. Le capital initial de 180 000 rixdales permet de préparer
une première expédition de trois navires marchands escortés par deux
navires de guerre, à l’automne de 1618. Ce capital est d’origine variée :
12,5 % provient du roi ; 15,5 % de la noblesse de Cour ; 35 % des
marchands de Copenhague, dont beaucoup travaillent pour la Cour ; 29,5 %
des marchands des autres villes du royaume, ainsi que des Duchés et de la
Norvège, unis à la couronne du Danemark ; 2,5 % de Hambourg ; 5 % des
Provinces-Unies. De nombreux actionnaires ayant refusé de régler la
seconde souscription à laquelle ils s’étaient engagés, le roi détient
rapidement plus de la moitié des actions.
Les Danois disposent très vite d’une installation permanente en Inde. La
flotte partie en 1618 se rend d’abord dans l’île de Ceylan, un transfuge
hollandais ayant fait espérer au roi de Danemark la signature d’un accord
avec le roi de Kandy, moyennant une aide dans sa lutte contre les Portugais.
L’espoir se révéla rapidement sans fondement. Les Danois parcourent alors
les ports de la côte de Coromandel pour se procurer une cargaison de retour,
et acceptent une offre du rajah de Tanjore d’établir un comptoir à
Tranquebar avec l’autorisation de s’y fortifier pour être protégé contre
d’éventuelles incursions de pillards. Le rajah, comme bien d’autres princes
de l’Inde, souhaitait pouvoir bénéficier de l’apport des métaux précieux par
les Européens et de l’augmentation du revenu des taxes portuaires résultant
de l’accroissement du trafic.
Grâce aux fonds apportés par l’escadre, les Danois aménagent ce premier
établissement en faisant construire le fort Dansborg, puis, l’année suivante,
ils ouvrent une factorerie à Masulipatam. À partir de 1623, un courant
commercial régulier, mais de faible importance, se poursuit. Durant seize
années, de 1623 à 1639, la Compagnie envoie treize vaisseaux. Elle connaît
cepandant des difficultés financières, la monarchie étant incapable de
poursuivre ses avances de fonds, en raison de l’engagement
— malheureux — de son pays dans la guerre de Trente Ans. En 1638, le roi
Christian IV, très attaché à l’existence de la Compagnie, refuse d’en
prononcer la dissolution, comme le souhaitaient les autres actionnaires, et
un dernier navire est envoyé à Tranquebar en 1639. Finalement la
liquidation de la Compagnie intervient en 1650, deux ans après la mort de
Christian IV, et les Danois cherchent à vendre leur établissement de l’Inde,
le proposant successivement aux Hambourgeois et aux Prussiens. Tous deux
refusèrent.
La colonie de Tranquebar continue toutefois à se développer, car les
Danois, bien intégrés dans la société des commerçants locaux, pratiquent le
commerce d’Inde en Inde. Ils se rendent en particulier à Macassar et à
Bantam, où ils échangent des cotonnades de la côte Coromandel contre des
épices. Ce trafic inquiète les employés de la V.O.C., mais ils n’interviennent
pas pour y mettre fin, du fait de son importance relativement faible.
En 1668, la Couronne danoise décide d’envoyer un bâtiment de guerre à
Tranquebar pour y renouveler la garnison et y apporter de l’argent et des
marchandises. Le même vaisseau se rend ensuite à Bantam où il prend une
cargaison d’épices, avant de rentrer à Copenhague en 1670. Son chargement
se vend fort bien. En conséquence le roi Christian V accepte, en novembre
1670, la création d’une nouvelle Compagnie ayant le monopole du
commerce entre le Danemark et l’Asie. Celle-ci profite de la neutralité du
pays dans les guerres de la fin du XVIIe siècle, et envoie chaque année un
ou deux navires à Tranquebar. Un courant commercial régulier se met ainsi
en place, et — preuve du succès des Danois — une factorerie est implantée
à Hooghly au Bengale.
Cette Compagnie conserve un caractère étatique. Le roi est toujours le
premier actionnaire, avec 22 000 rixdales sur un capital total de 162 000. Il
est suivi par des seigneurs de la Cour et d’autres personnages officiels. Un
ministre préside le conseil des directeurs. Théoriquement, selon la charte de
fondation, ceux-ci doivent être élus par les actionnaires, mais le roi nomme
les premiers, prétextant la nécessité de ne pas prendre de retard dans les
opérations d’armement, puis il intervient de manière telle qu’en 1698
l’assemblée générale des actionnaires émet le vœu que le roi ou les
membres de la famille royale cessent de se mêler de la désignation des
directeurs.
La fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle est une période de
grande prospérité, durant laquelle les Danois profitent de la réduction
d’activité des autres pays européens, empêtrés dans des conflits. Entre 1709
et 1720, la guerre qui sévit au nord de l’Europe paralyse à nouveau la
Compagnie. Plusieurs bâtiments sont capturés et la dette de la société qui
s’élève à 300 000 rixdales en 1729 ne peut être réglée. La dissolution est
alors prononcée, et le comptoir de Tranquebar remis à la Couronne.
Toutefois, dès 1732, une nouvelle association commerciale à monopole est
créée, conséquence directe de la suppression de la Compagnie impériale
d’Ostende.
LA COMPAGNIE IMPÉRIALE D’OSTENDE

Les expéditions « interlopes »


et la création de la Compagnie impériale d’Ostende
Cette compagnie est tout à fait originale, totalement internationale,
composée d’hommes et de capitaux venus de toutes les régions de l’Europe
occidentale, qui se placent sous la protection du pavillon impérial, sans que
l’empereur en soit le principal actionnaire.
À l’origine de la formation de cette Compagnie se trouve la réussite de
quelques expéditions privées que l’on nomme « interlopes », car elle ne
bénéficient pas de la légalité des Compagnies nationales reconnues par les
États fondateurs. Elles sont organisées à partir du port d’Ostende par des
armateurs qui souhaitent profiter de la forte demande en Europe des
produits d’Asie, après l’interruption partielle du trafic durant la guerre de
Succession d’Espagne. Les Pays-Bas du sud, placés désormais sous
l’autorité de l’empereur et non plus du roi d’Espagne, permettent
l’organisation de ces voyages.
Le premier est accompli par le Saint-Mathieu, armé par Laurent Duenas
d’Anvers, qui se rend à Surate en 1715 et revient en 1716. Le second par le
Charles VI, commandé par Godefroy La Merveille de Saint-Malo, qui parti
en 1718, rentre en 1719, après avoir obtenu une concession pour installer
une factorerie sur la côte de Coromandel, à Cabelon, entre Pondichéry et
Madras. En 1720, la Ville d’Ostende, appartenant à Jacques Maelcamp,
commandée par le britannique John Harrison, avec le subrécargue écossais
Alexandre Hume, fait escale à Cabelon, puis charge une cargaison au
Bengale, tandis que le Prince Eugène, armé par Jacques Cloots, de Gand,
commandé par l’irlandais Jacques Tobin, entre à Canton. Ces voyages, qui
sont au départ de simples expéditions privées, deviennent de plus en plus
fréquents et la valeur des retours de plus en plus élevée. Les état majors,
comme les matelots, sont flamands, mais aussi anglais, irlandais, français,
et parfois norvégiens.
Dès 1719, les autorités impériales, voulant tirer profit de l’accès
nouvellement autorisé à la mer du Nord avaient envisagé de créer une
« Compagnie d’Orient ». Une démarche des négociants d’Anvers,
sollicitant la fondation d’une société privilégiée, est donc bien accueillie, et
en 1722 l’empereur concède à la « Compagnie impériale et royale des Indes
orientales » le monopole des relations entre les ports placés sous sa
domination et ceux de l’Asie. Le capital est de six millions de florins,
partagé en 6 000 actions de 1 000 florins chacune. En fait, il ne sera souscrit
sur le marché financier que quatre millions et demi de florins seulement.
Les armements à destination de la Chine sont poursuivis activement. De
1718 à 1732, vingt-six bâtiments sont envoyés à Canton, où les autorités
sont disposées à recevoir tous les Européens.
En Inde, en revanche, les Ostendais se heurtent à beaucoup de difficultés.
Le Charles VI part à nouveau d’Ostende en 1723, sous le commandement
de John Harrison, avec le subrécargue Alexandre Hume, et Jacques Cobbé,
d’Anvers, comme lieutenant général pour l’empereur, chargé de
l’administration civile et militaire des établissements. Après une escale à
Cabelon, il se rend au Bengale et en repart avec un chargement, laissant
Cobbé et quelques hommes, hébergés provisoirement dans l’ancienne
maison des Danois, dans l’attente de l’autorisation du nabab pour faire
construire un établissement définitif. L’autorisation étant freinée par les
manœuvres des autres Européens, Cobbé s’impatiente, s’empare de
quelques bâtiments de navigation locale pour disposer d’un moyen de
pression, provoque une intervention de l’armée du nabab, et est tué au cours
d’une escarmouche. Les Ostendais abandonnent alors leur installation et
viennent se réfugier à Chandernagor, sous la protection des Français.
Lorsque la nouvelle de la mort de Cobbé et des incidents qui
l’accompagnent est connue à Anvers, les directeurs décident de placer
l’Écossais Hume à la tête de leurs établissements en Inde en lui octroyant le
salaire très élevé de 6 000 roupies (à l’époque le salaire annuel d’un chef
des établissements hollandais au Bengale est de 2 100 roupies) ainsi que
6 % de commission sur le produit de la vente des marchandises du Bengale
à Ostende. Arrivé au Bengale en 1726, avec la Paix et l’Espérance, Hume
aménage une installation provisoire sur un terrain cédé par les Français,
auquel il donne le nom de Banquibazar, puis charge les deux navires et les
renvoie en Europe. Il sollicite enfin du nabab l’autorisation de disposer d’un
établissement permanent. En juin 1727, n’ayant toujours rien obtenu,
malgré de multiples sollicitations, il profite de l’arrivée de deux bâtiments
venus d’Ostende, l’Archiduchesse Marie-Elisabeth et le Charles pour
attaquer, le 2 juin, un navire d’Inde en Inde dans l’Hooghly et s’en emparer
avec une cargaison de cauris des Maldives valant 30 000 roupies. Ce
recours à la force est cette fois efficace. Dès le 5 juin les Impériaux
obtiennent du nabab l’autorisation de créer une installation permanente avec
des avantages douaniers analogues à ceux des Hollandais, ainsi que des
loges commerciales à Balassor, à l’entrée de l’Hooghly, à Dacca et
Bouroumpour, près de Murshidabad, pour entreposer les soies et les
soieries.
Suspension de la Compagnie d’Ostende
Les hésitations des autorités locales pour accorder à une nouvelle nation
européenne l’autorisation d’avoir un établissement, autorisation accordée
auparavant sans aucune difficulté, sont la conséquence des menées des
Anglais et des Hollandais pour empêcher le développement d’une nouvelle
Compagnie.
Dès l’octroi de la charte de création par la chancellerie impériale, les
Heeren XVII avaient demandé aux États Généraux de faire des
représentations auprès de Vienne (autorité de tutelle) et s’étaient rapprochés
des Britanniques pour conduire une action commune. En 1724 les directeurs
de l’East India C° interdirent à leurs employés d’entrer en communication
avec les Ostendais. En juin 1727, peu avant que ces derniers aient obtenu
l’autorisation d’établir une installation permanente, les Britanniques
cherchèrent à les impliquer dans un incident en envoyant leurs propre
soldats incendier un village bengali au cri de : « Vive l’Empereur ! Nous
sommes Allemands ! ».
Au printemps de 1728, on apprit au Bengale que les représentations
internationales faites auprès de l’empereur avaient porté leurs fruits et que
l’activité de la Compagnie d’Ostende serait suspendue. En contrepartie,
Marie-Thérèse, fille de Charles VI succéderait à l’empereur, à la suite d’un
accord avec les Provinces-Unies, la Grande-Bretagne et la France. Les
directeurs de la Compagnie d’Ostende, prévenus dès le mois de mai 1727,
de l’imminence de cette décision, avaient néanmoins décidé d’envoyer au
Bengale deux bâtiments en cours d’armement, en leur donnant des
passeports polonais. Lorsqu’ils l’apprirent, les Anglais et les Hollandais
armèrent deux bâtiments de commerce pour garder l’entrée de l’Hooghly,
de manière à pouvoir empêcher l’arrivée des Ostendais. Hume fit une
démarche auprès du nabab pour obtenir qu’il condamne cette initiative et
fasse respecter la neutralité sur le Gange, mais le souverain, après lui avoir
tenu des propos rassurants, changea d’avis après avoir reçu des deux autres
puissances un cadeau de 325 000 roupies. Les navires sous pavillon
polonais, après s’être présentés aux bouches du Gange, n’insistèrent pas et
préférèrent gagner Mergui, port du Pegu (Birmanie), puis furent autorisés à
entrer à Goa, grâce à une intervention des Français. Ils y embarquèrent une
cargaison de cotonnades, avec laquelle ils rentrèrent en Europe.
En 1731 finalement, un accord international entérina la suppression
définitive de la Compagnie et les Ostendais furent autorisés à envoyer un
dernier bâtiment en Asie pour embarquer le personnel et les marchandises
restantes. Les comptoirs et les loges furent remises à l’empereur, représenté
sur place par François de Schonamille, ancien marchand d’Anvers et ancien
employé de la Compagnie, qui établit sa résidence à Banquibazar. Celui-ci
poursuivit une activité commerciale d’Inde en Inde, faisant des affaires avec
des Hindous et des Européens comme Joseph Dupleix, directeur du
comptoir français de Chandernagor, et Jean Albert Sichterman, chef du
comptoir hollandais de Hooghly. En 1744, enfin, Banquibazar fut fermé
après une intervention des forces du nabab.
Si on se limite à son activité purement commerciale, la Compagnie
d’Ostende eut peu d’importance, mais le récit de ses aventures met en
évidence les trois grandes orientations nouvelles de la politique des
Européens en Asie dans la première moitié du XVIIIe siècle : 1. l’union
entre les deux principales Compagnies, la V.O.C. et l’East India C°, pour
empêcher l’apparition d’un nouveau rival, capable de prendre une part
importante du marché ; 2. le développement du trafic entre la Chine et
l’Europe, qui répond à une demande de plus en plus forte ; 3. la tendance à
l’internationalisation du commerce d’Asie.

LA COMPAGNIE SUÉDOISE

Une partie des hommes et des capitaux sans emploi à la suite de la


disparition de la Compagnie d’Ostende gagne la Compagnie suédoise des
Indes orientales.
Celle-ci avait été créée en juin 1731, avec le soutien appuyé du roi
Frédéric Ier. En mars 1732, un premier navire, le Fredericus Rex Suediae,
quittait le port de Göteborg pour Canton. Immédiatement les autres
puissances européennes commencèrent à exercer de vives pressions sur la
Suède, comme en témoignent les instructions remises par le secrétaire
d’État britannique, William Stanhope, à l’ambassadeur de Grande-Bretagne
à Stockholm 65.
Les premières difficultés apparaissent lors du retour du Fredericus Rex
Suediae depuis Canton. Il est arrêté dans le détroit entre Java et Sumatra par
sept vaisseaux de guerre hollandais qui l’emmènent sous escorte à Batavia.
Mais le premier subrécargue Colin Campbell, un ancien de la Compagnie
d’Ostende, avait pris la précaution de se faire désigner par la chancellerie de
Suède comme ministre plénipotentiaire du roi. Bénéficiant de l’immunité
diplomatique il parvint à démontrer au gouverneur hollandais que l’origine
des capitaux est en majorité suédoise (ce qui est confirmé par l’étude
récente de C. Koninckx 66). Le bâtiment put alors rentrer librement en
Europe après que les Hollandais ont fourni du ravitaillement. Cependant les
directeurs de la Compagnie se plaignirent auprès des États-Généraux des
Provinces-Unies, car le vaisseau avait deux mois de retard, ce qui leur
causait un préjudice commercial. La discussion se termina à l’amiable à
l’automne 1733, lorsque les Hollandais reconnurent la Compagnie suédoise.
Si les Suédois parviennent à commercer librement en Chine, il n’en est
pas de même en Inde comme le montrent les incidents lors de l’arrivée de
trois de leurs navires dans la péninsule. Le premier, l’Ulrica Eleonora, avait
quitté Göteborg en février 1733 et gagné Porto Novo, ancien établissement
portugais situé sur la côte Coromandel, où tous les Européens pouvaient
faire du commerce moyennant le paiement d’une taxe. Les subrécargues,
après avoir vendu une partie de la cargaison, obtinrent du nabab
l’autorisation d’établir une petite installation fortifiée. Pendant ce temps
l’Ulrica Eleonora se rendait au Bengale, où il vendait une partie de sa
cargaison et se procurait d’autres marchandises. Regagnant la côte
Coromandel, il fut pris en chasse par deux vaisseaux, l’un britannique et
l’autre français, mais parvint à leur échapper. À l’arrivée devant Porto
Novo, les officiers virent flotter un pavillon hollandais sur la factorerie ;
redoutant un piège, ils décidèrent de rentrer directement en Europe. Sage
décision, pendant leur absence l’établissement avait été occupé par six cents
soldats britanniques et français, qui s’étaient emparés des marchandises
ainsi que des caisses de métaux précieux et avaient emprisonnés six
Britanniques passés au service des Suédois. L’Ulrique Eleonora fit relâche
à l’île de France, où il fut bien reçu, puis rentra à Göteborg en février 1735.
Les Suédois protestèrent, exigèrent une forte indemnité de 66 000 livres,
pour transiger finalement à 12 000 livres, les Britanniques prétendant qu’ils
avaient voulu empêcher leurs nationaux d’entrer au service des Suédois,
tandis que les Français soulignaient la qualité de leur accueil à l’île de
France. En 1739 les Suédois firent une seconde tentative avec le Suecia,
entré dans l’Hooghly au mois de novembre, puis venu s’ancrer devant
Banquibazar, l’ancienne factorerie de la Compagnie d’Ostende, où il fut
accueilli par François de Schonamille. Son séjour fut agité, une sentinelle
suédoise tua un Bengali qui voulait pénétrer dans le comptoir et, à la suite
de cet incident, l’armée du nabab fit le blocus du comptoir durant six
semaines. Le Suecia repartit en février 1740 avec un chargement de
produits du Bengale, mais fit naufrage sur les îles Orcades. Une troisième
tentative fut faite l’année suivante, dans des conditions analogues, avec le
Fredericus Rex Sueciae, mais le profit net de ce voyage représenta à peine
10 %, taux bien inférieur à celui des voyages vers Canton, et les Suédois
renoncèrent donc à l’Inde pour se tourner vers la Chine où ils envoyèrent
deux vaisseaux chaque année.
À trois reprises, en 1752, 1756 et 1762, un navire suédois fit cependant
escale à Surate pour charger des cotonnades, avant de se rendre à Canton
pour les revendre. Cette initiative, qui visait à créer un nouveau trafic, fut
mal accueillie par les autres Européens, qui prévinrent les autorités mogoles
contre ces nouveaux venus et les Suédois renoncèrent finalement à cette
escale.
La Compagnie suédoise ressemble par plusieurs caractères à la
Compagnie danoise. Elle importe surtout des produits de la Chine, du thé
principalement, non pour la consommation des nationaux, mais pour celle
des Anglais. Ce thé est l’objet d’une contrebande active avec les îles
Britanniques. En outre l’assise financière de la Compagnie reste étroite. Il
faudra attendre 1753 pour qu’elle dispose d’un capital social permanent ;
précédemment, elle organisait une souscription pour chaque armement.
LA COMPAGNIE ASIATIQUE DANOISE

La Compagnie danoise bénéficie également, nous l’avons dit, de la


disparition de la Compagnie d’Ostende. Elle hérite d’un personnel
expérimenté et de nouveaux capitaux qui permettent sa résurrection en
1732. Pourtant le manque d’argent se fait encore sentir, comme lors de la
période précédente. Le capital de 100 000 rixdales distribué en 400 actions
à 250 rixdales chacune est à peine suffisant pour équiper un navire.
Lorsqu’un armement est décidé, chaque associé est invité à souscrire ; s’il
ne peut le faire, on s’adresse à d’autres qui, lors des retours, bénéficient
d’une part plus importante.
Le lien avec la monarchie demeure étroit. En 1732, lors de la nouvelle
fondation, le président du conseil de direction est le ministre des finances ;
en 1743, il est remplacé par le ministre des affaires étrangères. Le lien
institutionnel est supprimé en 1772, mais le poids de l’État demeure
important, quoique moins apparent.
Le commerce de Chine devient l’essentiel, la Compagnie y envoie au
moins un navire chaque année. Le commerce de l’Inde, où les Danois
conservent le comptoir de Tranquebar et la loge de Frederiksnagore, sur
l’Hooghly, près de Calcutta, au Bengale, est moins actif : un bâtiment armé
tous les deux ans, parfois davantage, généralement par des négociants
privés ayant obtenu la permission, onéreuse, de la direction de la
Compagnie. Ce trafic, peu important, est toléré par les autres nations
européennes.

LES AUTRES COMPAGNIES DES INDES ORIENTALES

La Compagnie d’Ostende ne fut pas la seule entreprise interlope. Tout au


long du XVIIIe siècle de nombreux projets fleurissent. Parmi ceux qui ont
pris corps on peut citer la « Compagnie prussienne du Bengale », établie à
Emden, créée en 1754 par des officiers britanniques du commerce d’Inde en
Inde et par des employés de l’East India C° au Bengale, pour parvenir à
transférer de façon illicite des fonds en Europe. Elle survivra pendant une
dizaine d’années.
La « Compagnie impériale de Trieste », fondée en 1770, fut
particulièrement active durant la guerre de l’indépendance des États-Unis,
car elle profita de la neutralité des Habsbourg. Elle disparut en 1783, lors de
la signature de la paix.
La « Compagnie des Philippines », fondée en 1780, est une tentative des
Espagnols pour entrer dans le commerce des Indes orientales ; la guerre
maritime, à partir de 1792, entraîna sa liquidation.

En résumé, à un XVIe siècle marqué par l’ouverture de la route maritime


entre l’Europe et les Indes orientales en passant par le Cap, succède un
XVIIe siècle dominé par des organisations commerciales originales, les
Compagnies des Indes. Les Hollandais sont les inventeurs de la formule.
Elle leur permet de dominer l’archipel malais et de garder la première place
dans les échanges entre l’Asie et l’Europe jusqu’au milieu du XVIIIe siècle.
Les Britanniques s’inspirent de la réussite hollandaise ; ils l’adaptent avec
pragmatisme au trafic entre l’Inde et l’Europe, qui devient leur activité la
plus importante à la fin du XVIIe siècle, les Hollandais étant parvenus à les
écarter de l’archipel malais. Les Français créent eux aussi une Compagnie
des Indes capable de rivaliser avec les deux précédentes dans la première
moitié du XVIIIe siècle, tandis que la Compagnie impériale, transcendant
largement les frontières européennes, et qualifiée d’interlope, est étouffée
par la coalition des Anglais et des Hollandais. Le commerce avec la Chine,
qui prend une grande importance à partir du milieu du XVIIIe siècle, suscite
la formation de nouvelles Compagnies, comme celles du Danemark et de la
Suède, moins actives que les précédentes, mais qui réalisent néanmoins des
profits importants en particulier grâce à la revente du thé, et qui
développent les échanges entre l’Extrême-Orient et l’Europe.
II

LA MAÎTRISE NAVALE DES OCCIDENTAUX


V
LES VAISSEAUX

« Si l’industrie et l’audace de nos nations modernes ont un avantage sur le


reste de la terre, […] c’est par nos expéditions maritimes » 67. assure
Voltaire. La réussite des expéditions européennes en Asie s’explique en
premier lieu par la bonne tenue de leurs vaisseaux, leur maîtrise des routes
maritimes, et la qualité manœuvrière de leurs marins.
Depuis l’ouverture de la route du Cap en 1498 jusqu’au long conflit
maritime de la période révolutionnaire et impériale entamé en 1792, soit
durant trois siècles, 10 000 à 11 000 vaisseaux européens furent envoyés
dans l’océan Indien et en mer de Chine. On en compte 750 au XVIe siècle,
3 200 au XVIIe siècle, 6 700 au XVIIIe siècle, toutes nations confondues 68.
Au XVIe siècle, les Portugais sont les seuls à armer des navires pour les
Indes orientales. Après leur installation, entre 1500 et 1520, le rythme
diminuera progressivement jusqu’à cinq vaisseaux par an durant la seconde
moitié du siècle. Une reprise a lieu au début du XVIIe siècle, les Portugais
essayant de conserver leur première place sur le marché européen. Ils seront
définitivement supplantés par les Hollandais à partir de 1620-1630 et
n’armeront plus que trois navires par an en moyenne jusqu’à la fin du
XVIIIe siècle.
Premiers importateurs, les Hollandais voient leur développement
s’accentuer rapidement jusqu’aux années 1660-1670 avec l’envoi de plus de
vingt navires par an ; on constate ensuite une certaine stagnation, et même
une régression durant la guerre de Hollande. Dans la première moitié du
XVIIIe siècle, les Hollandais demeurent la première puissance européenne
pour le commerce vers les Indes orientales, avec une croissance rapide de
leurs échanges, au moins jusqu’aux années 1750. La période allant de 1720
à 1740 est particulièrement prospère, avec trente-sept à trente-huit navires
par an. Mais à partir du milieu du XVIIIe siècle, en raison de la vive
concurrence des Britanniques et des Français, le trafic décline avec moins
de trente envois par an.

Au cours du XVIIe siècle, le développement des activités de l’East India


C° est beaucoup plus lent que celui de la V.O.C. On ne compte que sept à
huit navires par an seulement. Après une période de croissance jusqu’en
1630, la guerre civile entraîne une régression (cinq à six navires par an). À
partir de 1660, après la chute de Cromwell, la Restauration relance l’activité
avec l’envoi de treize à quatorze navires par an. Nouveau déclin entre 1690
et 1710 à la suite de la « glorieuse révolution » et de l’apparition de
Compagnies rivales, mais également des guerres contre le Mogol et contre
les autres puissances européenne (guerres de la Ligue d’Augsbourg et de la
Succession d’Espagne). À partir de 1710, la croissance commerciale
reprend, régulière et rapide : treize vaisseaux par an entre 1710 et 1719,
quatorze entre 1720 et 1729, quinze entre 1730 et 1739, dix-huit entre 1740
et 1749, 19 entre 1750 et 1759. Après 1760, le développement du
commerce britannique s’accentue encore, avec vingt à trente navires par an.
Il supplante celui des Hollandais vers 1780 — mouvement d’autant plus
accéléré que le Commutation Act de 1784 supprime la taxe sur le thé.
Quant aux armements français, ils commenceront à prendre une certaine
importance à partir des années 1660-1670, avec trois à quatre navires
chaque année. Une seconde étape est franchie en 1720, avec l’envoi de dix
navires chaque année dans l’océan Indien. La guerre de Sept Ans perturbe
fortement le trafic, mais celui-ci reprend de manière tout à fait satisfaisante
après le conflit. À partir de 1770 les Français peuvent rivaliser avec les
Britanniques et les Hollandais.
La guerre d’Indépendance des États-Unis entraîne une diminution de
l’activité des armements des trois grandes puissances commerciales, au
profit des Danois, restés neutres.

TYPES DE BÂTIMENTS

Dans l’ensemble, les vaisseaux des Compagnies des Indes (nommés


returnship par les Hollandais et indiamen par les Britanniques) ressemblent
aux vaisseaux de guerre tant par leur technique de construction que par leur
allure. La quille, l’étrave, l’étambot, les varangues et les barrots sont en
chêne ; le bordé de la coque et les ponts en sapin. Les nombreux sabords et
les quelques pièces d’artillerie apparentes accentuent la ressemblance. La
confusion est fréquente jusqu’au XIXe siècle. Avant son départ pour la
Chine en 1805 le capitaine John Wordsworth, de l’East India C°, décrit le
bâtiment dont il vient de recevoir le commandement, le Abergravenny,
comme « le plus beau de la flotte. On dirait un 74 canons ». En 1746,
lorsque l’escadre de guerre commandée par Peyton rencontre la flotte de
commerce dirigée par La Bourdonnais au large du cap Comorin, l’amiral
britannique décide de refuser le combat l’ennemi étant supérieur en nombre
et donc, pense-t-il, en puissance de feu 69. En 1800, lorsque le capitaine de
la Médée, frégate de guerre française, se rend sans combat après avoir été
pris en chasse par deux vaisseaux de l’East India C°, le Bombay Castle et
l’Exeter, il demande, en arrivant à bord et en découvrant les pièces
d’artillerie disposées sur le pont : « Quel est donc ce bâtiment ? »
Apprenant qu’il s’agit d’un « marchand », il demande à retourner à son
bord pour engager le combat, ce qui lui est refusé.
Au-delà des apparences, les différences sont importantes. Tout d’abord,
les pièces d’artillerie embarquées à bord des vaisseaux des Compagnies
sont en petit nombre et à peine suffisantes pour intimider d’éventuels
pirates. Un ordre de la Couronne portugaise daté de 1604 exige que chaque
bâtiment envoyé en Asie porte au moins 28 canons, dont 20 « grands
canons ». Beaucoup cependant n’en ont que 25, voire 22, en général de
calibre 8. En 1670, les directeurs de l’East India C° décident que leurs
vaisseaux porteront de 24 à 28 canons ; ce nombre restera inchangé jusqu’à
la fin du XVIIIe siècle, sauf par temps de guerre. Pour les Français, il n’y a
pas de règle générale, mais le dépouillement des registres d’armement
montre que le rapport est d’une pièce pour 21 tonneaux soit 28 à 30 canons
pour un bâtiment du début du XVIIIe siècle. Ce rapport est d’une pièce pour
38 tonneaux après 1750, soit 22 à 24 canons. En même temps, le calibre,
calculé d’après le poids du boulet de fer, diminue de 24 livres à 12, puis à 8.
En second lieu, l’organisation intérieure des vaisseaux marchands est faite
pour libérer un maximum d’espace dans la cale : deux ponts seulement et
non plusieurs faux-ponts comme dans les vaisseaux de guerre. Le volume
de la cale n’est coupé que par le passage des conduits des pompes, par celui
des mâts et par quelques poutres ou barrots destinés à assurer la solidité de
l’ensemble. La coque ressemble à une boîte rectangulaire ; le rapport entre
la longueur et la largeur est de 3,6 pour 1, alors que dans les vaisseaux de
guerre il est de 3,8 pour 1. Le creux est moins marqué sur les navires de
commerce, car les varangues se rapprochent de l’horizontale permettant de
diminuer le tirant d’eau. Le volume intérieur est encore augmenté par la
réduction des parties saillantes de l’étrave et de l’étambot.
Ce modèle est constamment amélioré au cours des XVIIe et
XVIIIe siècles. Notons deux innovations principales. La première est la
création d’un autre pont sans augmentation de la hauteur des gaillards
d’avant et d’arrière, ce qui assure une plus grande solidité. Les Britanniques
en construisent dès la fin du XVIIe siècle ; les Suédois à partir du milieu du
XVIIIe siècle. Au même moment les Hollandais font des essais dans ce
sens, mais y renoncent bientôt. La seconde innovation, à partir des années
1780, porte sur la protection de la coque. Jusqu’alors celle-ci, préalablement
calfatée et goudronnée, était recouverte par une toile cirée fixée par un très
grand nombre de clous jusqu’à former une sorte de carapace métallique
destinée à protéger le bois contre les attaques des carets et autres animaux
des mers chaudes. La marine de guerre britannique, après avoir fait un
essai, jugé satisfaisant en 1761, décide de faire recouvrir de plaques de
cuivre la coque de tous les navires nouvellement construits. L’East India C°
hésite à suivre cet exemple, car ces plaques sont très coûteuses ; en 1779,
William Hickey, embarqué sur un bâtiment de la Compagnie, assure :
« Pratiquement aucun de nos vaisseaux n’a de protection en cuivre » 70.
Finalement, en 1780, les directeurs décident d’adopter les plaques de
cuivre, car les radoubs périodiques seront moins fréquents et la durée de vie
des vaisseaux plus longue. Dix ans plus tard, vingt-deux bâtiments de la
Compagnie sont ainsi protégés 71. Ces plaques permettent en outre de
naviguer à plus grande vitesse. En 1788, le conseil des employés de la
Compagnie à Canton ayant acheté une cargaison de belles soieries décide
de la charger de préférence sur le Belvédère, c’est « un bâtiment protégé par
des plaques de cuivre et cet article pourra ainsi être transporté de la manière
la plus rapide » 72. Rebutés par son coût élevé (le double de la méthode
traditionnelle estiment-ils), les Heeren XVII hésitent à adopter cette
innovation, bien que les officiers de marine y soient favorables. Les plaques
en outre pourraient être endommagées par les caissons utilisés pour
soulever les bâtiments dans la sortie du Zuiderzee. Malgré différents essais,
aucune décision n’est prise avant la suppression de la Compagnie en
1795 73.
Des éléments en fer sont de plus en plus utilisés dans la construction (par
la Compagnie française à partir de 1760 et par la Compagnie britannique à
partir de 1770), en particulier pour les pièces courbes, en raison du manque
de bois et du manque de diversité des échantillons disponibles.
À côté de ces navires de commerce qui forment l’essentiel des flottes des
Compagnies, on utilise divers bâtiments pour des besoins spécifiques.
Citons quelques exemples. En 1714, les directeurs de la V.O.C. ayant décidé
d’amener de grandes quantités de sucre depuis Batavia font construire des
flûtes réservées exclusivement à ce transport, ces bâtiments peuvent en effet
porter des charges importantes avec un équipage peu nombreux d’environ
76 hommes. L’augmentation de la production de sucre dans les Antilles,
plus proches de l’Europe, les amène, sept ans plus tard, à renoncer à
importer ce produit de Batavia et à vendre les flûtes construites pour ce
trafic. Il existe aussi des bâtiments de faible tonnage utilisés soit pour le
commerce d’Inde en Inde, soit pour les relations rapides entre les comptoirs
et l’Europe : des corvettes, des pinasses et des frégates. En 1788, la V.O.C.,
à la demande des États Généraux, organise un service de paquebots, avec
des embarcations petites mais rapides, partant à des dates fixes cinq fois par
an de la métropole pour rallier le Cap en trois mois et Batavia en cinq mois.
À partir de 1831 les directeurs de l’East India C° envisagent de mettre en
place un service analogue, mais avec des bâtiments à vapeur. L’ouverture de
cette ligne est retardée. Il faut en effet choisir entre les demandes des
négociants de Calcutta, qui préfèrent la route du Cap, et celles des
négociants de Bombay, qui se prononcent en faveur de la route par la mer
Rouge jusqu’à Suez. Après une enquête minutieuse le conseil de la
Compagnie choisit la seconde solution, avec toutefois une alternative
possible par le golfe Persique qui permet de gagner la Grande-Bretagne en
deux mois, contre quatre par la route du Cap.

LE DÉBAT SUR LE TONNAGE

Peu après l’ouverture de la route du Cap un débat s’engage au Portugal


sur le tonnage le plus adapté à la navigation vers les Indes orientales. Faut-il
continuer à utiliser les bâtiments existants, c’est à dire des galions de 350 à
400 tonneaux ou bien construire de grosses unités de 1 000 tonneaux ou
davantage, des caraques, capables de transporter des cargaisons
importantes. Au milieu du XVIe siècle, le débat prend un tour polémique
avec le pamphlet de Fernando Oliveira en faveur des caraques 74. Il expose
d’abord les arguments des défenseurs des galions : les bâtiments de plus
faible tonnage sont plus maniables, ce qui facilite l’entrée et la sortie des
ports ; ils sont plus rapides et échappent plus aisément à une attaque par des
pirates ; ils sont plus faciles à charger et demeurent moins longtemps dans
les rades. À ces arguments, il répond que les caraques sont capables
d’affronter les pires temps et que leur seule apparition suffit généralement à
décourager les pirates. Elles emmènent de nombreux soldats et disposent
d’une artillerie puissante contrairement aux galions. De plus ces derniers
sont beaucoup plus sensibles que les caraques aux variations du vent et
peuvent ainsi se trouver en difficulté face aux pirates.
Le règlement de la Casa da India sur le commerce du poivre, daté de
1570, tentera de mettre fin au débat en fixant le tonnage des bâtiments de la
Carrera entre 350 et 400 tonneaux, décision justifiée par un coût plus faible
des armements, une plus grande facilité à trouver de petites cargaisons et
par le petit nombre des matelots nécessaires. Les frais d’éventuels
hivernages en diminuent d’autant et l’augmentation du nombre des navires
entraîne une activité plus importante des chantiers de construction.
Cette décision officielle semble avoir été mal appliquée, on rencontre,
bien après 1570, des caraques de 1500 à 2000 tonneaux dont les dimensions
impressionnent les contemporains. L’anglais Richard Hakluyt lorsqu’il
visite la Madre de Deus, prise par les Britanniques aux Açores en 1597 et
conduite à Dartmouth rapporte : « La caraque ne porte pas moins de 1600
tonnes, à l’estimation de personnes sages et d’expérience, dont 900 pour la
plus grande partie de la cargaison et le reste pour 32 pièces [de canons] de
cuivre de tous calibres, ainsi que pour les biens des passagers et les vivres
qui ne peuvent être en petite quantité si l’on considère le nombre des
personnes, entre 600 et 700, et la durée de la navigation. Après avoir
examiné avec émerveillement la charpente, il [le capitaine Richard Adams]
trouva qu’elle avait de longueur depuis la proue jusqu’à la poupe (où se
trouve une lanterne) 165 pieds. Dans le second pont fermé (le bâtiment en
comportant trois) où la largeur était la plus importante, il mesura 46 pieds et
10 pouces. Il tirait d’eau 31 pieds à son départ de Cochin en Inde, mais
seulement 26 à son arrivée à Dartmouth, car il avait été allégé de 5 pieds
durant le voyage par diverses façons. Il a sept étages de soutes, trois ponts
fermés, un gaillard d’avant et un château d’arrière de chacun deux étages.
La longueur de la quille est de 100 pieds, du grand mât de 121 pieds, avec
10 pieds 7 pouces de circonférence ; le pont principal a 106 pieds de long.
Une fois toutes ces mesures effectuées, on le considéra comme le plus
grand navire au monde, que ce fut pour la guerre ou pour le commerce » 75.
Une observation analogue est faite par le père Fournier au milieu du
XVIIe siècle : les caraques ont « habituellement de 1500 à 2000 tonneaux et
parfois davantage […Ce] sont les plus grands vaisseaux qui soient au
monde » 76. Citons encore monsieur de Monconys, un Français de passage à
Lisbonne en 1628: « Il se trouvait alors dans ce port l’un de ces vaisseaux
[…], nous nous y rendîmes et lorsque nous y fûmes entrés nous fûmes
remplis d’admiration […] Je pense que j’ai vu le plus beau vaisseau que
l’on ait jamais rencontré dans le monde » 77.
Mais ces « monstres » sont peu nombreux et les navires de la carrera sont
généralement d’un tonnage beaucoup plus faible. Selon le marquis de Santa
Cruz, chargé en 1581 de les examiner, leur contenance moyenne est de 600
tonneaux, ce qui est bien suffisant, assure-t-il, pour transporter les
cargaisons pour le compte du roi, qui sont de grande valeur, mais de faible
encombrement, de l’argent et du poivre, le reste de l’espace étant occupé
par des marchandises volumineuses embarquées par l’équipage, pour des
trafics généralement illégaux.
En somme, le vaisseau de 600 tonneaux est l’instrument préféré pour le
commerce des Européens aux Indes orientales. Aux qualités mentionnées, il
faut ajouter le faible tirant d’eau qui permet d’entrer dans le Gange et de
franchir les détroits de la Sonde et de Banka. Toutes les Compagnies
européennes l’utilisent. En 1615, les directeurs de l’East India C° estiment
qu’il ne faut pas descendre en dessous de 300 tonneaux, ni dépasser 700
tonneaux ; presque deux siècles plus tard, en novembre 1789, le Maidstone
Journal, rendant compte du lancement d’un nouveau navire de la
Compagnie, ajoute : « 700 à 800 tonneaux sont la taille utilisée jusqu’à
présent ». La flotte de la Compagnie française entre 1720 et 1770 comprend
124 bâtiments de 600 à 700 tonneaux, mais seulement 22 de 900 tonneaux
et autant de 1 200 tonneaux.
On observe cependant à partir du milieu du XVIIIe siècle une tendance à
l’augmentation du tonnage, et dans les années 1790 le bâtiment de 600 à
700 tonneaux est remplacé par celui de 900 à 1 000 tonneaux 78. Les navires
de la Compagnie suédoise ont également une capacité moyenne de 570
tonneaux entre 1730 et 1740 ; 880 tonneaux entre 1760 et 1770 ; 950
tonneaux entre 1790 et 1800.
Tous ces chiffres conduisent à s’interroger sur l’équivalence entre les
tonneaux des XVIIe et XVIIIe siècles et ceux d’aujourd’hui. Dans la marine
on calcule actuellement en tonneaux-poids ou tonneaux de déplacement.
Une tonne de 1 000 kg représente alors la quantité d’eau déplacée par le
navire, en vertu du principe d’Archimède, cette quantité est égale au poids
du navire, y compris sa cargaison. La marine des XVIIe et XVIIIe siècles
utilisait une autre définition, celle du tonneau d’arrimage, ou tonneau de
capacité. Pour un navire donné, le calcul de la capacité était obtenu par les
mesures de la longueur totale du pont, de la plus grande largeur extérieure,
et du creux de l’intérieur. Le produit de ces trois dimensions donnait le
volume d’un parallélépipède rectangle et on estimait le volume de la cale
aux 420 millièmes de ce dernier. Pour la commodité du commerce, le
tonneau d’arrimage était mis en relation avec le tonneau-poids, il équivalait
à 2 000 livres, soit 979 kg. Le tonneau d’arrimage était donc légèrement
inférieur au tonneau de déplacement actuel, et, à chiffre égal, les navires des
XVIIe et XVIIIe siècles étaient de plus faible volume que ceux
d’aujourd’hui.

LA RECHERCHE DE NORMES DE CONSTRUCTION

Un autre débat, celui des normes de construction, anime les directions des
Compagnies des Indes. Les Hollandais sont les premiers à s’en préoccuper
en raison de la dispersion de leurs chantiers de construction. Ils veulent
pouvoir utiliser les agrès et autres équipements des vaisseaux destinés à
finir leur carrière en Asie. En 1614, les Heeren XVII mettent au point un
tableau des principales dimensions ; ce tableau sera peu à peu modifié pour
aboutir en 1697 à une norme définitive et en usage durant plus d’un
siècle 79. L’apparente précision de ces mesures est illusoire ; dans l’ancienne
marine les constructeurs avaient une grande liberté et les chiffres indiqués
doivent plutôt être considérés comme des ordres de grandeur. Les
constructeurs de la V.O.C. fabriquent également des flûtes de 130 pieds
ainsi que des bâtiments adaptés à la navigation d’Inde en Inde.
Dans la Compagnie française, il faudra attendre 1765 pour que les
directeurs fixent également des normes théoriques 80.
Cette tendance à l’uniformisation donne lieu à une tentative de
rapprochement des flottes de guerre et de celles des Compagnies des Indes.
En 1765, Gabriel Snodgrass, inspecteur des constructions navales de l’East
India C°, préconise de construire les 1 200 tonneaux de manière à pouvoir
les transformer en vaisseaux de guerre, mais il n’est pas suivi, les directeurs
ayant estimé cette modification trop coûteuse. Les Français vont plus loin
dans la réflexion, car les bâtiments de leur Compagnie sont souvent
capturés, la marine de guerre n’ayant pas les navires nécessaires pour les
escorter (alors que les vaisseaux de l’East India C° sont protégés jusqu’à
Sainte-Hélène). Après la guerre de Succession d’Autriche, les Français font
construire des « 1 200 tonneaux qui puissent se manœuvrer avec peu de
monde et qui ne tirassent pas tant d’eau que des vaisseaux ordinaires de
cette grandeur », capables de porter une forte cargaison en temps de paix, et
pouvant être solidement armés en temps de guerre. Mais les constructeurs,
empêtrés dans des exigences contradictoires, réalisèrent finalement des
bâtiments lourds, lents et inadaptés au commerce. Les officiers les
qualifient de « vaisseaux de guerre manqués » 81. Durant la guerre de Sept
Ans, pour le même motif, on construit des bâtiments dont les dimensions
sont analogues à ceux des 74 canons, mais sans artillerie sur les gaillards, et
portant 58 canons seulement. Les directeurs en attendent « le double
avantage d’une marche supérieure, même aux vaisseaux du Roy de même
rang, par la suppression de l’artillerie de leurs gaillards, qui seront
construits très légèrement, et d’un plus grand port qu’aucun navire qu’ait eu
la Compagnie… ». Une fois encore, le résultat est loin d’être satisfaisant 82.
En 1767, l’assemblée des maîtres-constructeurs constate que « dans la
dernière guerre, les vaisseaux d’une construction mixte n’avaient pas toutes
les qualités nécessaires… [elle] écarte toute idée de construction mixte » et
décide de faire bâtir des navires sur le même modèle que ceux de la marine
du roi 83.

LES CONSTRUCTIONS EN EUROPE

Après la période initiale au cours de laquelle les bâtiments étaient achetés,


toutes les Compagnies des Indes aménagent des chantiers spécialisés ; leurs
vaisseaux doivent être construits par des ouvriers « spécialisés », d’une
compétence analogue à ceux des arsenaux militaires.
Ces ouvriers sont assez nombreux aux Provinces-Unies et la V.O.C. met
en place une organisation originale : un chantier dans chacun des six ports
où sont établies les chambres, les décisions restant à la direction générale.
Au printemps de chaque année les Heeren XVII décident des nouvelles
constructions à réaliser dans les dix-huit mois qui suivent et les attribuent à
chacune des six chambres. La répartition est délicate, ce n’est pas tant le
nombre des navires qui est en cause que l’équilibre entre les tonneaux ; il
faut en outre tenir compte du nombre des actionnaires. Pendant les deux
siècles d’existence de la V.O.C. la chambre d’Amsterdam construit 728
vaisseaux (49,8 %) ; celle de Zélande, 306 (20,9 %) ; Rotterdam, 107
(7,3 %) ; Delft, 111 (7,6 %) ; Hoorn, 107 (7 %) ; Enkhuizen, 108 (7,4 %) 84.
Le chantier d’Amsterdam est le plus important ; entièrement réorganisé sur
le site d’Oostenbourg, acheté en 1661, il possède trois cales de construction
et emploie 690 personnes 85.
L’East India C° quant à elle, dispose de deux chantiers qu’elle a fait
aménager sur la Tamise, à Deptford pour les seules constructions et à
Blackwall pour les constructions et les radoubs. Pendant un demi-siècle elle
utilise les installations pour son compte, puis en 1652 les directeurs
décident de les louer à un constructeur privé pour 200 livres par an. Des
navires de guerre sont alors construits dans les mêmes cales que ceux de la
Compagnie. À partir de 1660 le chantier de Blackwall est modernisé, ainsi
que l’observe Samuel Pepys dans son journal en janvier 1661 : « Nous
avons pris une barque pour nous rendre à Blackwall et voir les magasins qui
viennent d’y être édifiés […], ainsi qu’un beau navire marchand, qui doit
être lancé prochainement et qui se nomme le Royal Oak » (le Royal Oak est
armé pour Bantam au début de 1663). Selon un rapport de 1742, il y a un
quai et trois cales sèches, dont une double et deux simples. En 1790, une
nouvelle installation, nommée « bassins Brunswick » est ouverte à
proximité, avec deux vastes bassins, dont l’un peu recevoir trente des plus
gros navires de la Compagnie 86.
Lorsque la demande est trop forte, d’autres chantiers, toujours situés sur
la Tamise, sont mis à contribution, tels ceux de Stanton et Wells. À partir de
la fin du XVIIIe siècle, la Compagnie s’adresse à des firmes de Liverpool
(où Humble et Hurry construisent le Charlton, l’Asia et l’Europe), de Hull
et de Durham.
La Compagnie française pour sa part dispose de trois cales dans son
arsenal de Lorient, où elle construit les deux tiers des navires qu’elle
utilise ; les autres sont achetés dans divers ports français, à Nantes en
particulier, ou dans ceux des Provinces-Unies, de Hambourg ou de Londres
encore, où l’on dispose de la main d’œuvre spécialisée. La Compagnie
danoise se dote en 1732 d’un arsenal à Copenhague, où sont construits
35 % des navires qu’elle utilise ; les autres viennent des chantiers de
commerce, de Copenhague ou d’autres ports ; ils peuvent aussi être achetés
à la marine de guerre. La Compagnie suédoise, contrainte par un article de
sa charte d’acheter ses navires dans le pays même, se procure surtout ses
bâtiments à Göteborg. La Compagnie d’Ostende fait construire deux
vaisseaux, l’un à Ostende même, l’autre à Hambourg, et elle achète les
autres à l’étranger, en particulier aux Provinces-Unies, mais ces achats lui
coûtent cher, et elle doit « ruser » 87pour échapper à l’hostilité des autres
puissances commerciales.

LES CONSTRUCTIONS HORS D’EUROPE

Une partie des bâtiments utilisés par les Compagnies sont construits hors
d’Europe. L’initiative vient des Portugais qui reconnaissent l’exceptionnelle
solidité des vaisseaux en bois de teck construits en Inde. Un ordre royal de
1585, renouvelé neuf années plus tard, insiste sur la nécessité de construire
les navires utilisés pour la Carrera, non pas en Europe, mais en Inde, car ils
durent plus longtemps et reviennent moins cher, d’autant que le bois devient
de plus en plus rare en Europe. Quelques bâtiments sont ainsi construits à
Goa. On cite en particulier la caraque le Cinco Chagas, bâtie en 1560 sous
la direction personnelle du vice-roi, « qui choisit le bois pièce par pièce » ;
elle navigue durant vingt-cinq années et fait une dizaine de voyages. Les
autres unités de la route des Indes n’en font que quatre ou cinq et ne durent
qu’une dizaine d’années. L’expérience montre que ces bâtiments, s’ils sont
plus solides, ne sont pas moins coûteux, les capitaines des forteresses
portugaises, situées à proximité des forêts de teck de la côte occidentale de
l’Inde et chargés de surveiller l’exécution des coupes puis la conduite du
transport, demandant de grosses indemnités. Par exemple, le commandant
de la citadelle de Damao fait payer en 1664, 40 xerafines le candil, un bois
qui ne revient qu’à 5 xerafines. Pour cette raison la majeure partie des
navires portugais envoyés en Asie aux XVIIe et XVIIIe siècles sont
construits à Lisbonne, sur le chantier royal de Ribeira dos Naos. À la fin du
XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle cependant, la couronne portugaise
engage un effort considérable pour développer la construction navale au
Brésil, où l’on trouve des bois d’excellente qualité, encore plus résistants à
la pourriture que le teck. La difficulté vient du manque de main d’œuvre
expérimentée et de la nécessité de régler de hauts salaires, ces chantiers
étant en effet en concurrence avec les plantations de canne à sucre et les
exploitations de minerais précieux ; de plus les cordages et les autres
équipements nécessaires sont plus rares et plus chers en Amérique qu’en
Europe. Malgré tout, au cours du XVIIIe siècle les administrateurs de l’Inde
portugaise demandent régulièrement des bâtiments construits au Brésil. Le
vice-roi écrit de Goa en 1713: « Les vaisseaux qui durent le plus longtemps
en Inde sont ceux qui ont été construits au Brésil, car les vers ne peuvent
s’y mettre, ainsi qu’il a été observé sur la frégate Nostra Senhora de
Estrella, ainsi que sur celle [Nostra Senhora de Piedade] qui vient de faire
voile pour le royaume ; bien qu’elles soient ici depuis près de cinquante
ans, elles rendent encore de grand service. Il n’est sans doute pas
impossible de trouver à Porto d’autres vaisseaux pouvant convenir pour la
navigation de l’Inde, car beaucoup de ceux qui s’y trouvent en ce moment
ont été construits au Brésil ». Deux de ses successeurs, dans des lettres de
1719 et de 1721, marquent la même préférence pour les navires construits
au Brésil, en particulier à Bahia, pour les échanges entre l’Asie et l’Europe.
Les Britanniques eux aussi font construire des bâtiments hors d’Europe.
En avril 1619 le conseil de direction de l’East India C° décide de procéder à
une expérience intéressante en faisant bâtir deux vaisseaux semblables, l’un
en Grande-Bretagne, l’autre en Inde. Le résultat n’est guère concluant, les
constructeurs de l’Asie ayant des techniques très différentes de celles
pratiquées en Europe. À la fin du XVIIe siècle, il fut décidé de faire
aménager un arsenal à Bombay afin de procéder en Asie même aux
réparations sur les vaisseaux endommagés au cours de leurs voyages depuis
l’Europe. Dans les périodes au cours desquelles les bâtiments européens ont
quitté les Indes orientales, le personnel travaille à la construction de navires
pour le commerce d’Inde en Inde, sous la direction de maîtres européens.
Au début du XVIIIe siècle, des constructeurs Parsis venus de Surate
prennent le contrôle de ces installations ; très actifs, ils réalisent des navires
pour le commerce d’Inde en Inde, pour la flotte de Bombay, chargée, pour
le compte de Britanniques, de la surveillance des routes maritimes de
l’océan Indien, puis, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, de gros
vaisseaux pour les relations commerciales entre l’Asie et l’Europe. Bombay
utilise le teck, dont la résistance est proverbiale — c’est le « chêne de
l’Hindoustan » venu des forêts voisines. Il est réputé être le plus beau de la
péninsule. Sa richesse en résine empêche la pourriture, écarte les vers et
rend la coque imperméable. Le Bombay, navire d’Inde en Inde naviguera
durant plus de soixante ans, et le Swallow, lancé en 1777, fera naufrage sur
un banc de sable dans le Gange en 1823, après quarante-six années de
service.
Les Français font construire des bâtiments pour leur navigation locale
dans l’île de France (île Maurice actuelle) et au Pegu (Birmanie actuelle),
mais ils ne peuvent répondre aux besoins de la navigation d’Inde en Inde, et
ils font venir des navires d’autres pays d’Europe ou bien en achètent en
Inde. Il en est de même pour les Danois et les Suédois. Les Hollandais
quant à eux font venir des Provinces-Unies la plus grande partie de leurs
navires pour la navigation locale malgré un chantier bien équipé à Batavia.

MÂTURE ET VOILURE

La coque du bâtiment achevé, il faut y installer la mâture, puis la voilure.


La mâture des vaisseaux des Compagnies est identique à celle des bâtiments
de commerce de tonnage semblable, mais moins haute que pour les navires
de guerre 88. Il s’agit sans doute de prévenir la rupture des mâts, accident
fréquent dans l’ancienne marine. À l’inverse, la dimension des vergues est
supérieure sur les vaisseaux des Compagnies 89. Ainsi, la surface de la
voilure est quasi analogue et l’allure sous voile tout à fait semblable.
Les voiles sont réalisées avec du fil de lin, tissé extrêmement serré, de
manière à obtenir une bonne résistance, avec des lez assemblés par couture
à petits points. Le poids de ces voiles est très élevé (supérieur à deux
kilogrammes par mètre carré) en raison de la grande densité du fil. Les
cordages sont en fils de chanvre, assemblés dans des corderies, puis plongés
dans du goudron chaud, pour prévenir la pourriture et l’usure prématurée.
Au retour de chaque campagne, mâture et voilure sont démontées et
placées dans un magasin prévu à cet effet, où elles sont révisées et
conservées à l’abri des intempéries.

AVITAILLEMENT

Par avitaillement, on entend tout ce qui est nécessaire à la vie quotidienne


des hommes : les vêtements de rechange pour l’équipage, le nécessaire pour
l’éclairage, mais aussi, et surtout, le ravitaillement, tous les ustensiles
utilisés pour la conservation, la préparation et la présentation des aliments,
comme les outils du boulanger, du boucher, du tonnelier, et le linge de table.
La bonne organisation du ravitaillement est essentielle en raison de la
durée des traversées ; elle est l’objet des préoccupations constantes des
administrateurs des Compagnies. Plus de la moitié des vivres est composée
de féculents. Il s’agit soit de farine, utilisée dans les fours à pain et à
pâtisserie, généralement aménagés à bord, en particulier sur les bâtiments
français, soit de biscuit de mer, ayant subi une double cuisson pour une
meilleure conservation. Ce biscuit de mer est très dur. William Hickey
embarqué à bord du Plassey en 1769, parie avec un autre passager qu’il
pourrait sans boire manger un biscuit en moins de cinq minutes 90 ! Il perd
son pari, mais de quelques secondes seulement. La viande — bœuf, porc ou
lard salé — entre pour un quart dans les cargaisons de ravitaillement. Le
reste comprend des légumes secs, du poisson séché et du fromage. Les
réserves de boisson comprennent de la bière (sauf sur les navires portugais
et français), du vin — en particulier du Bordeaux, très apprécié par les
officiers de toutes les Compagnies — et des alcools à haute teneur. La
ration est de 75 centilitres de vin ou de bière par homme et par jour, ou de
25 centilitres d’alcool. La quantité de nourriture et de boisson est prévue
pour deux ans sur les vaisseaux envoyés en Chine, pour dix-huit mois sur
ceux qui vont en Inde. Cependant en 1770, les directeurs de l’East India C°
décident que la ration ne sera embarquée que pour sept mois, puisqu’ils
disposent désormais d’escales bien ravitaillées.
Il est également embarqué des produits frais, essentiellement destinés à la
nourriture des malades. Il s’agit d’œufs, de fruits secs, de beurre salé et
d’animaux vivants, comme des moutons et des volailles, avec le
ravitaillement en fourrages pour une durée de dix mois.
La cargaison d’eau correspond à une consommation de trois litres par
homme et par jour durant dix mois. Un litre est destiné à la boisson ; le reste
sert à la préparation des aliments et à la toilette. La bonne qualité de l’eau,
conservée dans des futailles, est un souci constant des directeurs des
Compagnies (la Compagnie française fait ainsi capter dans un rayon d’une
dizaine de kilomètres autour de Lorient une vingtaine de sources dont l’eau
est amenée dans le port par une conduite). Cependant l’idéal est rarement
atteint. L’eau de la Tamise embarquée à bord des vaisseaux de l’East India
C°, a la réputation d’être très purgative 91. Il faut également de l’eau pour
les animaux vivants.
Le bois tient une place importante à bord. On embarque 350 stères de bois
sur un 650 tonneaux pour le fonctionnement, pendant dix mois, des fours et
pour les potagers (sortes de grilles permettant la cuisson des aliments sur
des braises).
Il faut enfin embarquer des accessoires de marine — des voiles, des
cordages de rechange, de la peinture, du goudron, de la poudre…

DISPOSITION DU CHARGEMENT

La répartition du chargement à l’intérieur du vaisseau répond en premier


lieu aux nécessités du commerce. La cale à eau, ayant une forme moins
régulière, est placée à l’avant. Placée au centre du navire et plus exposée à
l’humidité, elle risquerait de mouiller et donc de détériorer les marchandises
précieuses. Cette disposition déséquilibre les bâtiments, elle tend à les faire
plonger vers l’avant, rend les mouvements du tangage très durs et fait
travailler la charpente. Mais ces inconvénients sont compensés par la bonne
conservation de la cargaison. La partie située à l’arrière est occupée par
deux petites soutes : au fond, la soute à poudre, où l’on met également la
cargaison de métaux précieux, de manière à essayer de rétablir l’assiette du
navire ; au-dessus, une autre soute contient la réserve de biscuit, conservée
dans des tonneaux. Les deux soutes communiquent par un écouvillon
laissant le passage à un seul homme et que seul le maître canonnier est
autorisé à ouvrir.
L’espace central est affecté aux marchandises. Au départ de l’Europe, le
fond du bâtiment est rempli avec des lingots de fer, d’étain ou de cuivre. Ils
baignent dans l’humidité constante, et leur poids compense en partie celui
de la cargaison d’eau. Sur ce lest on dispose les marchandises qui ne
craignent pas l’humidité, les barriques de vin ou d’eau de vie, ou encore le
charbon. La partie supérieure de cette grande cale est remplie par des
marchandises sèches, lainages, farines, et autres effets destinés à la
consommation des Européens établis dans les comptoirs d’Asie.
Au retour, la disposition est différente. Le lest, composé de bûches de bois
de teinture, de fagots de rotins et de caisses de porcelaine de Chine, est
disposé à la fois sur le fond, autour de la cale et séparé du reste de la
cargaison par de la toile à voile fixée grossièrement. Le but est de protéger
de l’humidité les marchandises précieuses et fragiles, soieries, cotonnades,
thé, café, ou épices. On répand le poivre sur chaque plan des balles
d’étoffes pour remplir les interstices et chasser les insectes 92.
Sur le premier pont, et à l’arrière, une chambre est réservée à l’écrivain,
au maître canonnier et au chirurgien. De part et d’autre de l’échelle qui
permet de gagner le pont supérieur, sont disposées des soutes à fourrage et à
légumes, ainsi qu’un parc à moutons à deux étages. À l’avant, au-dessus de
la cale à eau, se trouvent des cambuses pour les provisions, les soutes pour
le charpentier et le calfat, le poste du chirurgien et l’infirmerie. Le reste de
l’entrepont est rempli par les coffres et les hamacs de l’équipage qui s’y
tient souvent, surtout par gros temps.
Sur le second pont, exposé aux intempéries, on trouve le cabestan, les
canons, la cuisine et les fours. Des chaloupes sont disposées sur le panneau
de l’écoutille qui donne accès à l’entrepont, et de là à la grande cale. Sur ce
même pont on accède à la grande chambre, autour de laquelle sont
disposées les cabines réservées aux passagers de marque. À l’étage
supérieur enfin se trouve la chambre du conseil, qui est aussi l’appartement
du capitaine, et qui ouvre sur l’extérieur par une galerie. On y trouve
fréquemment des cabines de toile abritant les lits des principaux officiers.
Toute cette partie du bâtiment est richement décorée de façon baroque, ainsi
qu’en témoigne une notation d’Edouard Barlow, embarqué sur le vaisseau
de l’East India C°, le Sampson, qui revient d’Asie de conserve avec un
autre navire de la même Compagnie, le Modena. Le Sampso, après avoir
subi un fort coup de vent durant la nuit, rencontre le lendemain matin des
débris de bois « peints en blanc et noir, avec des filets rouges, des fleurs, et
d’autres figures, que je pensais provenir du Modena, qui avait un très beau
décor dans sa grande chambre et à sa poupe » 93.

UNE ORGANISATION COÛTEUSE

Toute cette organisation navale, tant pour la construction que pour la


mise-hors et l’avitaillement, est coûteuse et ses montants ne cessent
d’augmenter. La construction d’un 600 tonneaux coûte 50 000 florins à la
V.O.C. dans les années 1680, 85 000 florins dans les années 1730. Les
archives de la Compagnie française apportent quelques précisions. Un 600
tonneaux revient environ à 160 000 livres tournois, soit 260 livres par
tonneau (53 % pour la fourniture du bois, 23,5 % pour les produits ouvrés,
comme les clous, les chevilles ou les pièces de fer, 23,5 % pour les
salaires). À ces dépenses de construction, il faut ajouter les frais du radoub
effectué au retour de chaque voyage. En moyenne l’opération revient à
35 livres par tonneau (35 % pour le bois, 21 % pour les clous, l’étoupe, le
goudron et autres fournitures, 44 % pour les salaires). Pour un navire de 600
tonneaux il faut donc ajouter 50 000 livres de frais de radoub, soit 30 % en
plus du coût de la construction.
Dans la compagnie française toujours, au retour de chaque expédition, un
maître constructeur examine le bâtiment pour déterminer les travaux
nécessaires à une remise en état, et donne en même temps une estimation de
sa valeur. On obtient ainsi une idée de l’usure relative, sachant que ces
vaisseaux, comme ceux des autres Compagnies, durent à peu près dix ans et
font quatre voyages. Le taux de dégradation par rapport au coût de la
construction est de 28,5 % au cours de la première expédition ; 47,5 % au
cours de la seconde ; 63,2 % au cours de la troisième 94.
Aux dépenses de construction et de radoub, il faut ajouter les frais
d’armement et d’avitaillement, qui s’élèvent, toujours pour les Français, à
233 livres par tonneau, au milieu du XVIIIe siècle. Au total le coût moyen
par tonneau armé atteint 530 livres. En moyenne les dépenses de marine
s’élèvent au total à quatre millions et demi de livres par an : 40 % pour les
salaires, 38 % pour l’armement et l’avitaillement, 21 % pour la construction
et le radoub. Ces quatre millions et demi de livres forment les deux tiers du
total des dépenses de la Compagnie. Ces chiffres, tirés des archives de la
Compagnie française conservées au port de Lorient, sont sans aucun doute
applicables aux autres. La recherche d’économies conduit les Britanniques
à la mise en place d’une organisation originale.

UN DILEMME : LOCATION OU PROPRIÉTÉ ?

Les directeurs de l’East India C° n’ont jamais été entièrement convaincus


que la construction par eux-mêmes de leurs vaisseaux était la meilleure
solution. Ils ont envisagé à plusieurs reprises, en 1607 puis en 1627, de
louer ceux dont ils avaient besoin. À chaque fois pourtant le recours à la
location avait été écarté en raison de son coût. Ils s’y décident à partir de
1639, au moment où la Compagnie connaît de grosses difficultés
financières en raison de la guerre civile. À partir de 1659, la Compagnie ne
possède plus aucun navire. Tous les bâtiments réservés aux seuls voyages
aux Indes sont loués. Ils sont construits sur les chantiers spécialisés et loués
par la Compagnie à des entrepreneurs privés.
Le développement de la construction navale sur les rives de la Tamise
n’est pas étranger à ce choix. Dans l’Angleterre du XVIIe siècle, armateur
et marchand deviennent des activités disjointes ; l’armateur est un
spécialiste à la compétence reconnue, ce qui n’est pas encore le cas sur le
continent.
Comment fonctionne cette location ? Chaque futur actionnaire achète une
part d’un navire en construction ; chaque part est un multiple de quatre,
ainsi il est possible d’acquérir par exemple 1/16° ou 1/32° de la propriété
totale. À tout moment les parts peuvent être vendues ou échangées à une
valeur qui tient compte du profit espéré ou de la vente éventuelle. Le prix
est élevé. En 1750 il faut payer en moyenne 680 livres sterling pour 1/16°,
et en 1770, 1 000 livres. Le propriétaire reçoit alors une partie
proportionnelle du loyer. L’avantage de ce placement pour celui qui dispose
d’un capital est l’absence de responsabilité de gestion : il ne risque que le
montant de sa part, selon un principe du droit maritime encore inconnu en
droit civil.
Il y a bien sûr un risque de perte, un navire peut faire naufrage ou être
capturé, et les propriétaires se protègent en démultipliant les risques. Henry
Johnson, locataire et directeur du chantier de Blackwall possède ainsi 90
parts (de chacune 1/32°) sur 39 navires différents 95 ; Richard Benyon,
ancien gouverneur de Madras et directeur de la Compagnie, a 14 parts (de
1/16°) sur autant de vaisseaux 96. Il est possible aussi de souscrire des
assurances, en particulier auprès de la Lloyds, dont le rôle, depuis la fin du
XVIIe siècle, est devenu important dans le commerce maritime. En général
une portion seulement de la part est assurée (Henry Johnson, 300 livres
pour des parts de 500 livres ; Richard Benyon, 400 à 500 livres pour
1 000 livres).
Le rendement du capital est élevé, William Braund, membre d’une famille
d’officiers des vaisseaux de la Compagnie, propriétaire d’une douzaine de
parts, reçoit 900 livres de loyer pour une part de 640 livres sur le Edgecote
armé en 1746, 800 livres pour une part de 600 livres sur le Boscawen armé
en 1748. Il y a bien sûr des risques, le même Braund obtient 100 livres
seulement pour les 750 livres placés sur le Grantham qui fait naufrage 97.
Parmi les propriétaires on trouve à la fois des aristocrates, proches de la
Cour, des membres du Parlement, des marchands de la Cité, des directeurs
et des employés de la Compagnie. Tous ont en commun des intérêts
d’argent, des affinités de sang ou d’alliance matrimoniale 98.
Dans cette organisation, le ship’s husband, propriétaire d’une ou de
plusieurs parts occupe une position éminente. Il réunit les fonds, dirige la
construction, signe les contrats passés avec les maîtres constructeurs et les
directeurs du chantier, surveille le lancement puis la disposition de
l’avitaillement, engage enfin les officiers et les matelots. C’est
généralement un ancien capitaine des vaisseaux de la Compagnie, à la
compétence reconnue. Sa position est très enviée, le ship’s husband est payé
à la commission sur les sommes versées aux propriétaires, et il conserve
une grande influence sur le personnel navigant de la Compagnie dans la
mesure où il choisit les officiers. De plus il dispose du droit de bottom, que
l’on pourrait traduire par « croupe », c’est-à-dire qu’il a le pouvoir d’être
« husband » du vaisseau qui succède à celui dont il avait la charge ; s’il veut
se retirer, il peut présenter son successeur.
Cette organisation est souvent critiquée par les actionnaires qui, à la fin du
XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle, font campagne pour que les
directeurs ne puissent détenir des parts, afin d’éviter des conflits d’intérêt.
Ils obtiennent gain de cause en 1709, mais l’interdiction n’est pas toujours
respectée 99. Par ailleurs, les constructeurs des ports britanniques, autres que
celui de Londres, dénoncent le monopole des « anciens propriétaires », cet
« énorme champignon qui épuise la sève de l’arbre sur lequel il prospère »,
et proposent de bâtir des navires analogues à un prix inférieur. Au début du
XIXe siècle, après avoir résisté durant plus de trente ans, les “anciens
propiétaires” finissent par accepter d’ouvrir les marchés à tous les
Britanniques.
Le système de la Compagnie anglaise est-il supérieur à celui des autres
Compagnies ? On peut en douter. En 1788, Van der Hoop, l’un des
Heeren XVII, soumet à ses confrères un rapport argumenté selon lequel la
location des navires serait moins coûteuse pour la V.O.C. que la
construction « directe », et propose d’adopter le système anglais. Personne
ne le suit. L’année suivante une étude menée par d’autres directeurs assure
que le voyage d’un vaisseau de la Compagnie hollandaise aux Indes
orientales revient de 190 à 220 florins le tonneau contre 333 florins le
tonneau pour celui d’un navire de l’East India C°. On est en présence d’une
situation commerciale paradoxale : d’un côté la lourde machine
administrative hollandaise, dont la gestion revient très cher, et de l’autre une
structure légère, avec une gestion économique sans avance de fonds pour la
Compagnie, et la possibilité, au moins en théorie, pour le conseil
d’administration de mettre les principaux constructeurs en concurrence et
d’obtenir les prix les plus bas. En fait le système britannique a de gros
inconvénients : les propriétaires de ports forment un « lobby » puissant,
influent dans le conseil de direction, qui maintiennent un tarif élevé pour la
location des vaisseaux ; les « croupes » héréditaires assurent la permanence
de l’influence de ce groupe ; durant les périodes de guerre, les navires sont
retenus longtemps aux Indes orientales et l’East India C° doit régler de
lourdes indemnités aux propriétaires pour avoir dépassé la durée de location
prévue dans le contrat En revanche, les six chantiers de la V.O.C., quant à
eux, une fois aménagés, deviennent de plus en plus rentables ; la
Compagnie hollandaise envoie des navires en Asie non seulement pour les
retours en Europe, mais aussi pour les besoins de la navigation d’Inde en
Inde. La présence de ces bâtiments fortement armés en impose aux
puissances locales, tandis que l’East India C° ne dispose, pour avoir la
même influence, que de la « flotte de Bombay », construite en Inde même,
où les dépenses de son arsenal sont élevées. La complexité de cette
question, et l’impossibilité d’apporter une réponse claire montre bien
l’ambiguïté de la situation des Compagnies des Indes, à la fois sociétés
commerciales privées et entreprises publiques.
VI
LES MARINS

Chaque année, 1 000 marins environ au XVIe siècle, 3 000 à 4 000 au


XVIIe siècle, 8 000 à 10 000 au XVIIIe siècle, toutes nationalités
confondues, sont embarqués à destination de l’Asie. Chacun de ces marins
fait en moyenne quatre à cinq voyages. Il faut cependant de moins en moins
d’hommes par rapport à la contenance des vaisseaux. À bord des bâtiments
de la V.O.C. on compte 45 hommes pour 100 tonneaux dans la décennie
1630-1640 ; 30 en 1690-1700 ; 27 en 1730-1739 ; 25 en 1780-1790.
Toutefois le tonnage augmentant, le nombre des hommes embarqués
augmente également. Toujours pour la Compagnie hollandaise et pour les
mêmes périodes, on compte 184 marins pour un bâtiment de 537 tonneaux,
puis 185 pour un 711 tonneaux, 198 pour 761 tonneaux, 208 pour 802
tonneaux. Comme le trafic s’accroît la demande en marins reste importante.

DES OFFICIERS COMPÉTENTS ET BIEN PAYÉS

Le rôle du capitaine est essentiel. Il est responsable de tout, de la conduite


du vaisseau, en particulier du choix du meilleur itinéraire selon la saison,
pour ne pas « manquer » la mousson, mais aussi du respect de la discipline
à bord, et du bon déroulement des opérations commerciales, qu’il surveille
en compagnie du subrécargue, s’il s’en trouve un à bord. Il est secondé dans
sa tâche par les autres officiers ; pour un 600 tonneaux, on en compte six.
Chez les Portugais, l’organisation est un peu différente. Le capitaine et les
principaux officiers appartiennent généralement à l’armée de terre et sont
choisis surtout en raison de leur naissance et parce que le roi veut
récompenser leur fidélité par la perspective de gains importants. Ils n’ont
pas de compétence particulière pour la navigation, et la conduite du
vaisseau incombe aux pilotes 100. Les pilotes portugais ont dans l’ensemble
bonne réputation. Au cours du XVIIe siècle, les Hollandais, les Britanniques
et les Français qui commencent à suivre la route du Cap, cherchent à les
faire passer à leur service : l’ambassadeur de France à Lisbonne recrute, en
1667, pour une grosse somme, le pilote Manuel da Fonseca, présenté
comme « une illustration dans son art », et qui a dirigé déjà six voyages
entre l’Europe et l’Asie. De même Richard Hawkins constate en 1622 :
« Les Portugais dépassent tout ce que j’ai rencontré ailleurs pour l’attention
portée à la navigation, et je souhaiterais que nous puissions suivre leur
exemple. Dans chaque vaisseau ils ont un fauteuil où ils s’asseyent, de jour
comme de nuit, à côté de la boussole, d’où ils suivent tout ce qui se fait, ce
qui leur permet d’intervenir rapidement pour réparer les erreurs de ceux qui
sont placés sous leurs ordres » 101. Le roi Jean IV, en 1647, va jusqu’à
proposer de remplacer les capitaines fidalgos par des marins professionnels,
qui ne seraient pas nécessairement nobles. Il s’oppose à son conseil et
surtout aux officiers nobles qui refusent d’obéir à des hommes d’un rang
inférieur au leur, et doit renoncer à son projet au bout de cinq ans.
Cependant à partir de la fin du XVIIe siècle, le commandement des navires
est de plus en plus souvent donné à des marins expérimentés.
Dans les Compagnies des Indes, les officiers sont recrutés après une
longue période de formation, commencée vers l’âge de 17 ans, au cours de
laquelle ils effectuent quatre à cinq voyages sans avoir de responsabilités.
L’apprentissage est payant, et, pour permettre son entretien à bord, la
famille du jeune homme doit verser au capitaine une somme assez
importante. Ce sont des guinea pigs, dans l’argot de l’East India C°. Seules
des familles assez fortunées peuvent payer la somme demandée. Le
capitaine peut aussi choisir les candidats, et cette organisation favorise
l’endogamie ; les fils, neveux, cousins d’officiers sont très nombreux parmi
les cadets. Ils appartiennent généralement à des familles déjà engagées dans
le trafic maritime et établies dans les grands ports, ce qui donne un
recrutement géographique homogène. Ce trait est particulièrement
marquant dans la Compagnie française, où les deux tiers des officiers de
marine sont originaires de Saint-Malo et des villages voisins.
Outre la formation pratique, qui est essentielle, les officiers reçoivent un
enseignement théorique. Entre chacun des embarquements on leur apprend
l’usage des instruments d’observation astronomique, la pratique de la
navigation à l’estime, la théorie de la manœuvre et quelques notions de
construction navale.
À l’issue de chaque voyage, l’élève officier est noté ; s’il donne
satisfaction il est admis, vers l’âge de vingt-cinq ans, au service de la
Compagnie. Il accède alors à un corps hiérarchisé et franchit les grades
successifs d’enseigne, de lieutenant, puis de capitaine, d’abord en second,
puis en premier. Sauf faute professionnelle majeure, les promotions
interviennent régulièrement toutes les deux campagnes, si bien que
l’officier devient capitaine entre 50 et 55 ans, avant de quitter le service
vers l’âge de 60 ans.
Dans la Compagnie britannique, le choix de l’état-major du vaisseau
appartient aux propriétaires, sous réserve de l’approbation des directeurs de
la Compagnie.
Dans les autres Compagnies le conseil d’administration arrête chaque
année le tableau des embarquements, en prévoyant un temps de repos pour
les officiers entre chaque voyage.
Parfois les officiers viennent de la marine de guerre. Chez les Danois et
les Suédois ils représentent environ 25 % du personnel. Nombreux aussi
lors de la création de la Compagnie française des Indes leur importance
diminue ensuite. Les officiers de la Compagnie hollandaise peuvent servir
sur des bâtiments de guerre qui sont armés par les amirautés provinciales,
proches des chambres régionales.
Les fonctions d’officiers, très lucratives, sont recherchées. Les salaires
sont analogues à ceux versés généralement sur les bâtiments de commerce,
mais il y a d’autres sources de gain. En principe, tous les hommes
embarqués ont droit au transport gratuit d’une certaine quantité de
marchandises, plus ou moins importante selon le grade ou la fonction
occupée, c’est le « port-permis ». Au XVIe et au XVIIe siècles, chez les
Portugais, puis chez les Hollandais, les Anglais et les Français, c’est un
volume qui est attribué, c’est-à-dire un ou plusieurs coffres, dont la
dimension est déterminée à l’avance. Au XVIIIe siècle, les Anglais et les
Français, ainsi que les Danois et les Suédois, donnent au port-permis une
valeur déterminée. Le principe est le suivant : l’officier embarqué dépose
une somme d’un montant fixe auprès du caissier de la Compagnie dans le
port d’embarquement ; il lui est délivré un reçu. Cette somme est utilisée
pour acheter des marchandises en Asie ; au retour la Compagnie organise
une vente et rend à l’officier le capital augmenté du produit de la vente. Les
profits sont considérables. Ainsi un capitaine de l’East India C° qui dispose
d’un port-permis de 1 500 livres sterling peut-il recevoir le triple ou le
quadruple de cette somme au retour. Il en est de même pour les capitaines
français, qui pour environ 9 000 livres tournois versées reçoivent environ
35 000 livres. Une disposition analogue est prévue pour les grades
inférieurs, avec des sommes plus faibles.
Par ailleurs beaucoup d’officiers se livrent à la « pacotille ». Ils achètent
des produits en Europe, les transportent, et les revendent avec bénéfice en
Asie (les vins de France y sont particulièrement recherchés) ; puis ils
achètent des marchandises locales qu’ils revendent en Europe 102. Ainsi en
1735 le capitaine du bâtiment français l’Argonaute apporte-t-il en Chine
une caisse de corail d’une valeur de 3 986 livres ; il la vend 4 909 livres, ce
qui lui permet de se procurer « 24 coquilles de porcelaine, 10 cabarets de
vernis, 10 gobelets, 110 images, 4 tableaux et 1 table de vernis avec sa
monture » qu’il ramène en Europe. Il est impossible d’estimer les profits
dégagés par ces trafics frauduleux, mais ils sont certainement élevés. Dès
1609, les Heeren XVII observent amèrement : « les capitaines, les officiers,
[…] et toutes les autres personnes au service de la Compagnie […],
achètent, transportent et vendent […] les plus belles et meilleures qualités
de porcelaine, les ouvrages laqués et autres curiosités de l’Inde, en
contravention avec les termes de leur contrat d’engagement » 103. Les
directeurs de la Compagnie française font des constations analogues en
1724 : « Ce qui nous revient des pacotilles des vaisseaux est un brigandage
sans exemple. Bientôt ces officiers anéantiront les ventes de la Compagnie
si chaque vaisseau apporte en pacotille deux cents balles de
marchandises » 104, puis encore en 1751 : « Il est de notoriété publique que
jamais le commerce de pacotille n’a été poussé aussi loin qu’il l’a été sur
les navires qui sont revenus en dernier lieu des Indes et de la Chine. Loin de
se cacher d’avoir fait d’aussi grands profits, on s’en vante. Ni un, ni deux
exemples de sévérité, ne suffiront point pour remédier au désordre. On sait
qu’il s’est fait à la Chine seule, pour plus d’un million de commerce de
pacotille » 105.
L’efficacité des mesures réglementaires est nulle, car on n’ose pas prendre
de sanctions. À plusieurs reprises, selon le secrétaire général de la V.O.C.,
Pieter van Dam, les directeurs les envisagent, mais ils arrivent toujours à la
conclusion qu’un renforcement des contrôles ou même une augmentation
des salaires ne serviraient à rien, car ils ne pourraient empêcher « que ne
s’exerce l’avidité des navigants ». Dans la Compagnie française la situation
est analogue. « À l’égard des officiers, déplore le directeur des fermes
générales à Lorient, il est certain que toutes les marchandises saisies à bord
par les employés sont rendues à ceux qui les ont apportées » 106. C’est,
disent les Hollandais, que des hommes qui risquent continuellement leur vie
dans ces voyages ne peuvent se contenter de « manger du foin » ou
« d’attraper des mouches ». Et les directions générales qui ont besoin des
services des navigants veulent éviter de les décourager.

LE RECRUTEMENT DIFFICILE DES MATELOTS

Parmi les matelots on distingue traditionnellement les « maîtres », qui


dirigent la manœuvre, hommes expérimentés, ayant souvent plus de trente
ans ; les matelots proprement dit, âgés de vingt à trente ans pour la plupart
et qui forment le groupe le plus nombreux ; les « novices », qui font leur
premier ou second voyage et ont une « basse paie » ; quelques mousses,
enfants ou adolescents entre 14 et 17 ans.
Sur un 600 tonneaux il faut 12 à 30 mariniers, 70 à 90 matelots, 10 à 15
novices et autant de mousses. Dans le rapport hommes/tonneaux, le tonnage
augmente alors que le nombre des hommes diminue, ainsi qu’il a déjà été
dit, et la diminution est particulièrement sensible pour les maîtres. Sur les
bâtiments de la Compagnie suédoise ce rapport est en moyenne de 26 dans
la première moitié du XVIIIe siècle, contre 18 dans la première moitié du
XIXe siècle ; sur ceux de la Compagnie française, il est de 30 dans la
décennie 1720, contre 18 dans la décennie 1760.
Le recrutement est difficile. Les salaires sont inférieurs d’un tiers environ
à ceux qui sont versés habituellement dans la marine de commerce.
Cependant ils augmentent. Dans la Compagnie suédoise la solde la plus
basse est augmentée de 128 % en un siècle, la plus haute de 57 %. À la fin
du XVIIe siècle, Pieter Van Dam, regrette, dit-il, le temps passé où l’on
pouvait donner aux gens de mer des gages de 8 à 9 florins par mois, alors
qu’il est impossible maintenant d’en trouver à moins de 10 ou 11 florins, et
même parfois est-on obligé d’y ajouter une légère augmentation. Dans le
même temps les matelots engagés par la Compagnie française sont payés un
quart en sus de ce qui est versé sur les vaisseaux du roi (qui est inférieur au
commerce). Mais le port-permis, auquel tout le personnel navigant a droit,
compense largement la différence des salaires. Sur les bâtiments de l’East
India C° à la fin du XVIIe siècle les gages d’un matelot sont en moyenne de
12 livres sterling et le port-permis 60 livres. Sans doute est-ce beaucoup
moins que ceux d’un capitaine, mais c’est loin d’être négligeable.
Sur les navires de la V.O.C. les hommes viennent de tous les pays
d’Europe. En 1629, le gouverneur général Speck le déplore et adresse une
demande aux Heeren XVII : « Nous avons tant de difficultés avec les
Anglais et les Français que nous espérons que Vos Honneurs voudront bien
les prévenir en envoyant de bons Hollandais » 107. Il n’est pas entendu, car
les « bons Hollandais » ne sont pas assez nombreux, et le chirurgien suédois
Thunberg envoyé par la V.O.C. à Nagasaki en 1775 observe que les
matelots sont des « Suédois, Danois, Allemands, Portugais, Espagnols ». Il
y a plus de la moitié d’étrangers dans la première moitié du XVIIe siècle ;
un peu moins dans la seconde moitié ; puis le taux augmente à nouveau au
début du XVIIIe, et reste stable autour de 40 % à partir de 1730.
Dans les Provinces-Unies, les besoins sont considérables alors que le
nombre des habitants s’accroît assez peu (il se stabilise autour d’un million
à un million et demi). La part de la Compagnie ne cesse d’augmenter dans
le total des gens de mer employés par la République : de 8,6 % en 1730-
1740 (4 000 hommes pour un total de 46 000 navigants), on passe à 17 %
en 1680 (8 500 pour 50 000), 22 % en 1725 (11 000 pour 49 500), 25 % en
1770 (11 500 pour 44 500).
Les directeurs de la V.O.C. font appel à des « marchands d’âmes » qui
parcourent l’Europe pour trouver des jeunes gens à la recherche d’un
emploi et les conduire jusqu’aux ports où ils les hébergent avant
l’embarquement. C’est alors qu’ils se payent sur les sommes versées aux
matelots à ce moment-là. Les logements qu’ils fournissent sont misérables.
Un témoin oculaire raconte qu’en 1778 il a trouvé 300 hommes logés dans
un grenier de faible hauteur, « où ils doivent se tenir jour et nuit, où ils
accomplissent leurs fonctions naturelles, et où ils n’ont pas de lit, mais
doivent s’entasser les uns contre les autres… J’ai vu d’autres fois, ajoute-t-
il, des hommes entassés dans des caves, où ils étaient déjà depuis cinq mois,
n’ayant qu’un air malsain pour respirer » 108. Il y aurait deux cents de ces
abris dans le seul port d’Amsterdam, principal centre des armements de la
Compagnie.
Ces conditions de recrutement expliquent les nombreux actes
d’insubordination et même les mutineries, fréquentes sur les navires de la
V.O.C. Il fermente toujours quelques mouvements parmi les matelots et
pour en empêcher le développement les officiers sont obligés de prendre
des sanctions au moindre incident, sinon leurs propres vies seraient en
danger. De plus l’alimentation est souvent insuffisante car certains officiers
économisent sur les rations et vendent le surplus à l’arrivée à Batavia.
Tant que les bâtiments sont à l’est du cap de Bonne-Espérance les
hommes ne manifestent pas trop vivement leur mécontentement, car ils
redoutent d’être obligés de servir longuement en Asie, mais, dans la
dernière partie du trajet, ils s’emparent parfois du vaisseau et exercent leurs
vengeances. Un voyageur embarqué en 1701 sur un vaisseau hollandais
raconte comment un infortuné cuisinier suspecté de détourner une partie des
rations fut si sévèrement battu avec ses propres instruments et reçut une
telle fessée « qu’il fut dans l’incapacité de se déplacer pendant un long
moment et ne put même pas venir prendre son coffre et recevoir ses
gages ». Le capitaine parvint tout d’abord à échapper aux meneurs, mais
une fois le bâtiment entré au port, « ils lui jetèrent au visage en présence des
directeurs qui assuraient le paiement des gages, qu’il était un vaurien, un
voleur de ration, une brute, et ils menacèrent de lui faire payer à terre tout
ce qu’ils avaient subi. Ce qu’ils firent effectivement à Middelburg, où ils lui
donnèrent des coups jusqu’à le réduire quasiment en marmelade » 109. On
comprend pourquoi les autres capitaines marchands sont réservés lorsque se
présentent lors des campagnes d’engagement des hommes ayant navigué
pour « l’honorable Compagnie ».
La zone de recrutement des matelots au service de l’East India C° est
moins étendue que celle des Hollandais : essentiellement les îles
Britanniques et très souvent l’Irlande. La difficulté est le remplacement des
hommes décédés ou restés malades en Asie (ainsi que des déserteurs
éventuellement). Les propriétaires calculent au minimum le nombre des
hommes nécessaires et parfois il n’y a pas assez de marins pour assurer la
manœuvre lors du voyage de retour. À partir de 1699 des matelots indiens,
les fameux « lascars » sont embarqués ; le conseil de Calcutta passe un
contrat avec un capitaine bengali qui se charge de fournir les hommes
nécessaires. La principale difficulté est le payement du voyage au retour
vers l’Asie, puisque l’engagement relève de l’autorité des propriétaires. En
1717, dix-sept lascars, trouvés sans ressources à Londres, adressèrent une
requête à la reine pour se plaindre du capitaine qui les avait engagés à
Calcutta et leur avait fait signer un contrat qui ne prévoyait pas le payement
du voyage de retour, contrat qu’ils n’avaient pas compris, car il était rédigé
en anglais. La direction de la Compagnie prit l’affaire en main, décida de
verser immédiatement quatre mois de gages aux lascars, leur trouva un
embarquement et donna ordre aux conseils de rédiger à l’avenir les contrats
d’engagement à la fois en anglais et dans la langue locale.
Chez les Français, les hommes sont recrutés pour environ un tiers « de gré
à gré », le reste « d’autorité », c’est-à-dire qu’ils sont désignés et contraints
de servir sur les bâtiments de la Compagnie dans les mêmes conditions que
sur ceux du roi. Ils bénéficient en contrepartie des avantages accordés aux
gens de mer « classés », c’est-à-dire de soins médicaux gratuits dans les
hôpitaux de la marine, d’une pension d’invalidité s’ils ne sont capables de
naviguer, et en cas de décès d’une pension pour leur veuve si celle-ci est
sans ressources. Dans la Compagnie du Danemark et dans celle de Suède,
un quart des matelots vient de la marine de guerre.

L’ENCOMBREMENT DES VAISSEAUX

En plus de l’état-major et des matelots, tout un personnel qui ne participe


pas à la manœuvre est embarqué. Les bâtiments sont encombrés avec 300 et
même parfois 400 hommes en sus du personnel navigant. Quelques-uns
appartiennent à l’état-major comme l’aumônier, le chirurgien et l’écrivain ;
d’autres sont des « maîtres », comme le tonnelier, le charpentier et les
canonniers ; d’autres encore sont domestiques. Mais il y a également des
passagers, généralement embarqués pour le compte de la Compagnie,
parfois ce sont des négociants qui se sont mis d’accord avec le capitaine
pour payer leur nourriture et le transport. Enfin, les soldats sont très
nombreux.
À bord de chaque navire, sauf sur les petites unités, l’aumônier est choisi
par les directeurs ou les propriétaires dans les mêmes conditions que les
officiers. Dans la Compagnie suédoise, ils doivent avoir obligatoirement la
nationalité du pays et être « fervents, érudits, et de religion évangélique
luthérienne ». Chez les Français, les aumôniers ne peuvent être désignés
sans avoir obtenu l’autorisation écrite de leur évêque, et la moitié d’entre
eux sort du séminaire irlandais de Nantes. À bord, ils doivent diriger la
prière le matin et le soir, célébrer le service ou la messe le dimanche et les
jours de fête, si le temps le permet, organiser des cérémonies d’action de
grâce (avec procession !) après avoir franchi heureusement un passage
difficile comme le cap de Bonne-Espérance, dispenser l’enseignement de la
religion aux mousses et aux cadets, donner les « secours de la religion » aux
malades et aux mourants, présider les cérémonies de funérailles. Leur
bonne formation intellectuelle leur permet de jouer un certain rôle dans la
recherche scientifique, en particulier pour l’astronomie et pour les sciences
naturelles. Ils reçoivent le même salaire que les enseignes et ils disposent
d’un port-permis du même montant.
Les connaissances médicales des chirurgiens ne leur permettent guère
d’aller au-delà des soins les plus urgents. On constate, d’après la
composition de leurs coffres, qu’ils peuvent faire des saignées avec des
lancettes, arracher des dents avec des pinces, nettoyer et débrider des plaies
avec des bistouris, des ciseaux courbes et des sondes. Ils peuvent aussi
réduire des fractures, et disposent d’une petite pharmacopée de
désinfectants, d’analgésiques, de vomitifs et de laxatifs.
Les écrivains établissent les rôles d’équipage et de payement ; ils
indiquent en apostille les mutations, désertions, décès ; ils gèrent les biens
des morts et s’occupent de la vente de leurs hardes ; ils établissent le
compte des dépenses sur les fonds remis par la Compagnie ; ils s’occupent
des achats de nourriture dans les escales.
Les tonneliers sont responsables de l’usage et de la bonne conservation
des provisions de bouche et de l’eau potable. Sous la surveillance de
l’écrivain, ils fournissent journellement aux cuisiniers les rations
alimentaires et le bois pour la préparation des repas.
Le nombre des soldats varie beaucoup selon les Compagnies et selon les
époques. Il est toujours important — entre 80 et 300 — à bord des
vaisseaux hollandais et représente en moyenne 30 % des hommes
embarqués. Ces nombreux soldats contribuent à la forte tension à bord des
navires de la V.O.C., et seule une stricte discipline les empêche bien souvent
d’en venir aux mains avec les matelots. « Je vois que les vieilles passions ne
sont pas éteintes, observe un gouverneur lors de son voyage de retour aux
Provinces-Unies en 1636, et que les matelots sont toujours les ennemis
mortels des soldats » 110. À bord des bâtiments des Anglais et des Français
le nombre des soldats est moins élevé, sauf durant les périodes de guerre. Il
est plus faible encore sur ceux des autres Compagnies, qui n’ont que de
petits établissements.
VII
LES VOYAGES

Les Européens vont acquérir peu à peu la maîtrise de la route maritime


entre l’Europe et l’Asie. Ils apprennent à connaître les mouvements des
vents et des courants, et adaptent les itinéraires, les escales et le calendrier à
ces conditions naturelles. En 1574, le jésuite italien Alessandro Valignano
assure qu’il s’agit encore du voyage le plus périlleux qui soit au monde,
mais dès 1597 le code des assurances d’Anvers propose pour les voyages
vers l’océan Indien un tarif plus faible que pour ceux de la Méditerranée.

UN CALENDRIER IMPÉRATIF

Cette navigation obéit à un calendrier précis. Il faut nécessairement


quitter l’Europe entre octobre et mars. « Le dernier jour de mars, il est
encore temps, le premier jour d’avril, il est trop tard » écrit, en 1628, le
pilote portugais Duarte Gomes. Dans ce laps de temps les départs ont lieu
plus ou moins tôt selon la distance à parcourir : les bâtiments envoyés en
Chine partent les premiers, puis viennent ceux qui vont en Inde, d’abord au
Bengale, puis sur la côte de Coromandel et de Malabār. Les Hollandais qui
envoient leurs navires presque exclusivement à Batavia et naviguent en
convois organisent trois départs successifs : la « flotte de la foire » dont
l’appareillage coïncide avec la fin de la foire d’Amsterdam, début octobre ;
la « flotte de Noël », fin décembre ; la « flotte du printemps » début avril.
Ce calendrier est fonction de la mousson, qui impose une traversée de
l’océan Indien au moment favorable, c’est-à-dire en utilisant la mousson du
sud-ouest, qui souffle d’avril à octobre et porte les navires vers le littoral de
la Chine et de l’Inde. On étudie ensuite seulement les circonstances
politiques et commerciales. Dans l’ensemble la concurrence impose
d’arriver en Asie assez tôt dans la saison pour éviter la montée du prix des
denrées résultant de l’accroissement du nombre des vaisseaux européens
dans les ports. Il faut également prendre en compte la durée des escales
éventuelles, l’existence de vents contraires dans la Manche ou le golfe de
Gascogne, ou encore les difficultés rencontrées dans la sortie des ports
d’armement.

LES ALÉAS DU DÉPART

C’est en Hollande sans doute que la sortie des ports est la plus délicate en
raison de la faible profondeur des chenaux de circulation, tant dans le port
d’Amsterdam que dans ceux de Delft et de Rotterdam. Les vaisseaux de la
V.O.C. sont soulevés par des « chameaux », caissons munis de pompes,
placés sur chaque flanc, puis vidés de leur contenu, l’ensemble est
remorqué par plusieurs navires. Mal placés, ces chameaux peuvent faire
travailler le vaisseau ou provoquer la rupture du plancher du pont, qui prend
alors la forme caractéristique en « dos de chien ». Ailleurs les difficultés
sont moins grandes ; cependant, par fort vent d’ouest, la sortie de Lorient
comme celle d’Ostende est impossible et la présence de bancs de vases
exigent d’attendre une forte marée et demandent l’aide d’un pilote. Parfois
la neige et le gel empêchent le départ des Danois, des Suédois et des
Hollandais.
Pour ces trois Compagnies les officiers doivent choisir, dès le départ,
entre deux routes : la Manche ou le nord de l’Écosse. La première est plus
courte, mais les vents d’ouest, fréquents en hiver, rendent la navigation
difficile ; le mauvais temps justifie des relâches dans les ports britanniques
ou français, ce qui favorise la contrebande ou la désertion, si bien que les
directeurs de la V.O.C., par un règlement daté de 1620, les interdisent à
leurs capitaines, sauf en cas de « nécessité » absolue. Par ailleurs, en temps
de guerre, le danger d’une capture par des corsaires existe. Ceux-ci sont
moins nombreux sur la route du nord de l’Écosse qui, quoique plus longue,
est aussi rapide, car on y profite plus souvent de vents porteurs ; en
revanche elle est dangereuse, les mauvais temps y sont fréquents. Cette
route est généralement utilisée par les Suédois et les Danois (70 % des
voyages dans la seconde moitié du XVIIIe siècle) ; beaucoup moins par les
Hollandais (qui l’utilisent surtout en temps de guerre) et encore moins par
les Britanniques ; jamais par les Français ni les Ostendais.
Après avoir fait le tour des îles Britanniques, ou bien être entré dans le
golfe de Gascogne, les bâtiments font route vers le sud-sud-ouest et passent
au large du cap Finistère pour rallier Madère et les Canaries, ou bien Cadix,
pour prendre une cargaison de métaux précieux d’Amérique, dont ce port
est le point d’arrivée. Les Hollandais et les Portugais quant à eux ne
s’arrêtent jamais à Cadix, ils obtiennent par d’autres sources les métaux
précieux dont ils ont besoin. Les Britanniques et les Français rarement
(12 % seulement des vaisseaux français envoyés en Asie au XVIIIe siècle) ;
les Danois, les Ostendais et les Suédois fréquemment. Cette escale est
souvent cause de retards, en effet la durée de l’escale est d’au moins quinze
jours, parfois de trois semaines ou d’un mois lorsque l’autorisation de
charger une importante cargaison de métaux précieux se fait attendre.
Au large de Madère et des Canaries, les bâtiments entrent dans la zone
des alizés. C’est une période de navigation aisée après les gros temps du
golfe de Gascogne et beaucoup de navires — en particulier ceux qui ne se
sont pas arrêtés à Cadix —, font une brève escale dans l’une des îles du Cap
Vert, généralement à San Tiago qui offre les ressources alimentaires les plus
abondantes. Les Français peuvent aussi faire escale à leur établissement de
Gorée.

LA DIFFICULTÉ DU PASSAGE DE L’ÉQUATEUR

Au sud de l’archipel du Cap Vert commence la zone des vents variables et


des zones de calme qui s’étendent de part et d’autre de l’équateur. Les
calmes sont fréquemment à l’origine de retards. En janvier 1733, le
vaisseau français l’Argonaute passe la Ligne « après avoir été depuis le 8°
près d’un mois » 111. Cette partie du trajet exige beaucoup d’habileté et
d’expérience ; le principal danger est de se laisser entraîner dans le golfe de
Guinée, où dominent les vents de sud-ouest. Les instructions hollandaises
de 1617 donnent pour conseil de : « naviguer aussi près que possible du
vent », et « ne pas gouverner trop à l’est ». Celles de 1627 proposent une
route, le « wagenspoor » 112. Au milieu du XVIIIe siècle, le Neptune
Oriental du Français d’Après de Mannevillette 113assure que : « la meilleure
manœuvre est de tenir le plus vers le sud […], sans s’attacher à passer la
Ligne par aucun point déterminé pour ne pas augmenter la durée de la
traversée » 114. Une relâche au Brésil, soit à Bahia, soit à Rio-de-Janeiro,
soit plus au sud à l’île Sainte-Catherine, est possible, mais elle risque
d’entraîner un retard, aussi n’est-elle pratiquée qu’en cas de manque d’eau,
de nourriture ou d’avaries. Toutefois, à partir de 1776, elle est pratiquée
systématiquement par les Portugais, qui chargent du tabac pour le vendre en
Asie et diminuent d’autant les envois de métaux précieux.
La route se poursuit ensuite vers le sud à la rencontre des grands vents
frais d’ouest puis passe au nord des îles Tristan d’Acunha et continue à l’est
de manière à pouvoir doubler le cap de Bonne-Espérance. Ce dernier
généralement invisible est reconnu par la sonde du banc des Aiguilles, qui
s’étend à plus de cent milles vers le sud. Ce parcours est rapide, mais
difficile par gros temps.

NÉCESSITÉ D’UNE ESCALE

Au voisinage du Cap une escale s’impose. Il s’est écoulé quatre à cinq


mois depuis le départ de l’Europe, et le scorbut commence à faire son
apparition. Le seul traitement consiste à débarquer les hommes qui en sont
atteints et à les alimenter avec des produits frais. En 1507, les Portugais
s’installent sur l’île de Mozambique. Les Hollandais, après avoir tenté sans
succès de s’en emparer, retiennent la baie de la Table, voisine du Cap,
comme escale et, en 1652, y mettent un poste permanent. Les Britanniques
s’établissent à Sainte-Hélène à partir de 1659. Les Français colonisent l’île
Bourbon à partir de 1663, après avoir vainement tenté de s’installer dans le
sud de Madagascar. Ceux qui ne disposent pas d’escales permanentes,
comme les Danois et les Suédois, relâchent généralement au Cap, qui
accueille également les Britanniques et les Français en cas de besoin, en
particulier lorsqu’ils veulent ensuite gagner l’Inde ou la Chine en droiture.
Les Ostendais envisagent de profiter de cette escale, mais lorsque
l’Empereur Charles VI, placé sous le commandement de La Merveille,
entre dans la baie du Cap en 1718, les autorités hollandaises lui ordonnent
de repartir immédiatement ; il gagne alors un havre voisin, puis revient au
Cap en portant les couleurs françaises et sollicitant l’aide des capitaines des
vaisseaux des autres nations. Cette aide lui est refusée et il est contraint de
poursuivre sa route avec un navire en mauvais état 115. L’économie de ces
escales est organisée pour le ravitaillement des équipages, et à Sainte-
Hélène comme à Bourbon, situées sous un climat tropical, on favorise les
cultures vivrières et non les produits d’exportation comme dans les colonies
des Antilles.
La durée de l’escale tend à s’allonger. Elle passe de trois semaines en
moyenne pour les Hollandais, au XVIIe siècle, à quatre semaines au
XVIIIe siècle ; et de quatre semaines chez les Français dans la première
moitié du XVIIIe siècle, à cinq semaines dans la seconde.

ROUTES À TRAVERS L’OCÉAN INDIEN

Au-delà de l’extrémité méridionale de l’Afrique, trois routes s’offrent aux


navigateurs désireux de gagner l’Asie : le « passage intérieur » par le canal
de Mozambique ; la « petite route » par l’est de Madagascar ; la « grande
route » par le sud-est de l’océan Indien.
L’accès au « passage intérieur », presque aussitôt après avoir doublé le
cap de Bonne-Espérance, impose de suivre la côte méridionale de l’Afrique
jusqu’à la hauteur du 45e de longitude. Les vents sont favorables dans le
canal de Mozambique pendant une période assez brève, de début mars
jusqu’à fin juillet. Cette route n’est empruntée que par les vaisseaux ayant
appareillé depuis l’Europe en janvier au plus tard. Ils s’exposeraient sinon à
rencontrer des calmes ou des vents contraires. Cette route est fréquentée par
toutes les nations européennes faisant du commerce en Inde, surtout par les
Portugais, qui relâchent à Mozambique et par les Anglais qui font escale à
la baie Saint-Augustin au sud de Madagascar, ou bien à Anjouan, l’une des
Comores, où ils peuvent trouver des légumes, des fruits et de la viande
fraîche, ainsi que de l’eau.
La « petite route » est utilisée par les navires ayant passé le cap après la
mi-juillet. Elle est très fréquentée par les Français qui peuvent faire escale
aux Mascareignes. Au départ de ces îles, à moins d’avoir longé la côte est
de Madagascar, il faut se diriger vers le nord, vers les Seychelles. Après
avoir franchi l’équateur au voisinage du 54° de longitude, il faut entrer dans
le canal entre les Maldives et les Laquedives et rallier la côte du sud de
l’Inde.
Cette route, au départ des Mascareignes, fait un détour de huit degrés vers
l’ouest pour reconnaître le cap d’Ambre, puis huit autres degrés vers l’est,
pour gagner le continent, détours jugés nécessaires pour éviter les îles et les
bans que l’on imagine nombreux au milieu de l’Océan, et difficiles à
localiser en l’absence de cartes hydrographiques précises. Vers 1625, le
pilote portugais Aleixo da Mota conseillait, avec une expérience de trente-
cinq années de navigation, d’être particulièrement vigilant dans toute cette
traversée : « Entre l’île Saint-Laurent [Madagascar] et l’Équateur, vous
devez naviguer avec la plus grande attention, de jour comme de nuit, en
vous souvenant que les latitudes des récifs et des îles ne sont pas toujours
marquées avec exactitude sur les cartes, et que d’autres ne sont pas
marquées du tout. Aussi, de jour, il faut toujours avoir un homme à la tête
du grand mât qui puisse signaler les changements de la couleur de la mer.
De nuit, un homme doit être placé à l’avant pour indiquer les modifications
dans le mouvement du ressac, et il faut réduire la voilure. Avec la grâce de
Dieu et avec ces précautions, vous devriez pouvoir éviter les
difficultés » 116. En 1748, le voyage de l’escadre britannique commandée
par Boscawen prouva que ces dangers étaient imaginaires : après avoir
renoncé à faire le blocus des Mascareignes, et voulant se porter rapidement
à la côte de Coromandel, l’amiral gouverna plein nord et parvint sans
encombre en Inde. Le célèbre marin et hydrographe français d’Après de
Mannevillette fit de même en 1754 117. Mais il fallut attendre 1770, et la
publication des résultats des voyages d’exploration menés en 1767 et 1768
par l’enseigne des vaisseaux de la marine de guerre française Grenier, pour
que cette route soit couramment utilisée 118.
La « grande route » poursuit vers l’est après avoir franchi le Cap, en
restant sur le même parallèle, et en se laissant porter par les vents d’ouest,
qui soufflent en permanence. Il est recommandé de ne pas faire route vers le
nord, vers l’Asie, avant d’avoir reconnu les îles Saint-Paul et Amsterdam.
L’avantage de ce trajet est qu’il peut être parcouru par tous les temps, car il
est moins sensible que les autres à l’effet de la mousson. Il fut exploré en
1611 par Henrik Brouwer, officier des vaisseaux de la V.O.C., qui parvient à
faire un voyage particulièrement rapide de deux mois et demi seulement
entre le cap de Bonne-Espérance et Java. Depuis 1617, c’est le trajet obligé
des vaisseaux hollandais se rendant à Batavia, il permet aux directeurs de la
V.O.C. d’être moins attentifs que leurs confrères aux dates de départ depuis
l’Europe. D’autres Européens utilisent également cette route, pour aller à
Canton en particulier. Un peu plus longue que les deux autres en durée
— un peu moins de trois mois en moyenne, contre un peu plus de deux
mois — et sans escales, elle présente l’avantage d’échapper en grande
partie à la mousson.

UNE APPROCHE PARFOIS DIFFICILE

La côte de l’Inde une fois reconnue, il faut gagner les ports de destination
et trouver un abri. Sur la côte de Coromandel le littoral bas, sableux, n’offre
pas de protection naturelle et les rades, comme à Madras ou à Pondichéry,
sont « foraines », les vaisseaux demeurent au large et communiquent avec
la terre grâce à des embarcations à fond plat, ou chelingues, capables de
franchir la barre. En l’absence de protection contre d’éventuels coups de
vent, ils stationnent brièvement à leur arrivée, entre juillet et octobre, juste
pour décharger leur cargaison. Y rester entre octobre et janvier, au moment
du changement de la mousson, serait très dangereux. Les Hollandais se
retirent à Batavia, les Britanniques à Trincomalee au nord de Ceylan, les
Français et les Danois dans la rade d’Achem au nord de Sumatra. Ils
reviennent en janvier, lorsque les vents permanents de la mousson d’hiver
sont bien établis. Le choix de la date est délicat : revenir trop tôt, c’est
risquer un accident, comme celui qui endommage le 2 janvier 1760 la flotte
britannique, revenue de Trincomalee pour faire le blocus de Pondichéry ;
revenir trop tard, c’est, compte-tenu du temps nécessaire pour charger la
cargaison de retour, risquer de ne pouvoir franchir à temps le cap de Bonne-
Espérance.
Sur la côte Malabār, la situation est plus favorable pour les navigateurs.
La mousson y est moins violente et il existe des abris naturels comme les
ports de Cochin, Goa, Surate ou Diu.
Les vaisseaux envoyés au Bengale peuvent, durant le changement de la
mousson, stationner dans les bouches du Gange où ils sont à l’abri. La
difficulté est de remonter l’Hoogly, opération pénible et dangereuse.
Pénible pour les équipages, car, durant une quinzaine de jours, ils doivent
« touer », c’est-à-dire haler le vaisseau à partir d’une ancre préalablement
disposée dans le lit du fleuve et reliée à un câble qu’il faut enrouler sur un
cabestan. Dangereuse en raison de la violence du courant, de la brutalité des
crues et des bancs de sable qui encombrent le lit du fleuve. La sécurité du
navire repose sur la compétence du pilote, et toutes les Compagnies
européennes entretiennent des « pilotes du Gange » qui conduisent
indifféremment les bâtiments de toutes les nationalités. Lorsque se trouve à
bord une cargaison d’argent, elle est transférée, par précaution, sur le bateau
du pilote qui précède le navire et lui ouvre la voie.
La route vers la Chine est particulièrement longue et délicate. Il faut
d’abord franchir un détroit, soit celui de la Sonde, le plus fréquenté, soit
celui de Malacca, soit encore celui de Bali ; ce dernier allonge le trajet et
n’est utilisé que durant les périodes de guerre afin d’échapper à
d’éventuelles croisières ennemies. Dans le détroit de la Sonde, et dans celui
de Bangka qui le suit immédiatement, la principale difficulté tient à la faible
profondeur du chenal, d’environ huit mètres en son centre, alors que les
bâtiments ont un tirant d’eau égal ou supérieur à six mètres. Dans celui de
Malacca, le navigateur est fréquemment ralenti par des vents contraires.
Au-delà des détroits, l’île de Bornéo contraint les bâtiments à se diriger
vers le nord, en prenant garde aux îles et aux récifs qui parsèment cet
itinéraire, — par ailleurs médiocrement cartographié. Les pilotes
gouvernent nord-nord-est jusqu’au-delà de Poulo Condore, puis longent la
côte d’Annam, de Haï-Nan, et enfin de Kouang-Toung. Après 1740, une
nouvelle route s’impose, consistant à effectuer un vaste mouvement vers
l’est jusqu’à la côte des Philippines, puis, une fois parvenu au nord de cet
archipel, à changer de cap pour se diriger vers la Chine. Cet itinéraire plus
long, mais plus sûr, évite l’approche du continent, toujours dangereuse, et
permet surtout de naviguer à contre-mousson, avantage considérable pour
des vaisseaux expédiés trop tard ou retardés en cours de route. Plus tard,
vers 1770, ce glissement vers l’est est encore accentué par quelques
capitaines qui gouvernent plein est à partir de Poulo Condore, de manière à
reconnaître le nord de Bornéo avant de longer les Philippines. L’approche
de la rivière de Canton est rendue délicate par la présence de nombreuses
îles et bancs de sable, et surtout par les typhons qui de juillet à octobre,
coïncident avec celle de l’arrivée des vaisseaux.

RETOURS
Les retours s’effectuent avec la mousson continentale, qui souffle du
nord, à partir du début de janvier, soit quatre ou cinq mois après l’arrivée en
Asie. Il faut prévoir de franchir le cap de Bonne-Espérance avant la
mauvaise saison qui débute fin mai. Les trajets sont semblables à ceux de
l’aller, et les précaution analogues, tant dans les détroits de Bangka et de la
Sonde, que dans la descente du Gange, d’autant que les bâtiments sont
maintenant à pleine charge.
Le passage du cap de Bonne-Espérance, situé à la jonction de plusieurs
systèmes de vent, constitue la partie la plus délicate du voyage. Il faut
commencer par reconnaître la côte du Natal, puis la prolonger vers l’ouest,
en demeurant à une distance de douze à quinze lieues. On évite ainsi les
dangers et on profite du courant qui porte dans la bonne direction. Si la
brume est trop épaisse, situation fréquente dans ces parages, il faut sonder
pour parvenir à trouver le banc des Aiguilles, et le suivre. La force des
vents d’ouest, si utiles pour aller de l’Atlantique vers l’océan Indien, rend le
passage presque impossible dans l’autre sens durant l’hiver austral, entre
mai et octobre. Lorsqu’un bâtiment se présente trop tard et ne parvient pas à
franchir le cap, situation rare (2 à 3 % des voyages de retour), la seule
solution est de gagner un port voisin, sur le littoral de l’océan Indien, et
d’attendre un moment favorable. Les Portugais se rendent alors au
Mozambique, les Français aux Mascareignes, les Britanniques à
Madagascar.
Quelle que soit la saison le passage du cap est toujours une épreuve
redoutable, et l’obstacle franchi l’aumônier du vaisseau, s’il s’en trouve un
à bord, fait chanter un Te Deum.
Deux mois et demi à trois mois sont nécessaires pour aller de l’Asie à
l’extrémité de l’Afrique, et à peu près autant pour gagner l’Europe. Le
franchissement du cap est souvent l’occasion de prendre du ravitaillement.
Les Hollandais s’arrêtent toujours au Cap et y passent environ un mois, non
seulement pour prendre de l’eau et des produits frais, mais aussi pour se
regrouper avant de traverser l’Atlantique. Les autres nations utilisent
également la même escale, cependant les Français préfèrent, s’ils ne sont
pas en retard, s’arrêter aux Mascareignes, et les Britanniques gagner Sainte-
Hélène. Les Ostendais, les Danois et les Suédois, dont le trafic se fait
surtout avec la Chine, profitent souvent du passage des détroits pour
embarquer du ravitaillement, ce qui leur permet ensuite de franchir le cap à
un moment favorable et de gagner l’Europe en droiture et d’arriver les
premiers.
Après avoir franchi le cap, les vaisseaux se laissent porter par l’alizé du
sud-est. Ils se tiennent d’abord assez près de la côte d’Afrique pour pouvoir
profiter du courant de Benguela, puis gouvernent en direction des îles de
Sainte-Hélène et de l’Ascension. Sainte-Hélène offre des vivres frais et de
l’eau en abondance. Les Portugais, les premiers à en avoir reconnu la
situation, n’y avaient pas créé d’établissements permanents mais y avaient
apporté des plants et des animaux ; c’est le « meilleur lopin de terre de toute
la pomme du monde » assure le pilote Joao Afonso dans sa Cosmographie.
Les Hollandais s’y installent en 1645, avant d’être remplacés par les
Britanniques en 1651. Depuis, tous les vaisseaux de l’East India C° y
relâchent au retour de l’Asie. On y rencontre aussi des bâtiments d’autres
Compagnies (26 % des navires français s’y arrêtent au retour), en
particulier s’ils ne se sont pas arrêtés au Cap. Beaucoup passent un ou deux
jours à l’île de l’Ascension ; celle-ci est déserte, sans sources, mais on y
trouve de nombreuses tortues de mer, dont la chair bouillie est réputée
excellente pour prévenir l’apparition du scorbut. Les Ostendais, puis les
Français, tenteront vainement d’aménager une escale sur l’île Fernando de
Noronha, inhabitée, proche de la côte du Brésil, mais comme elle relève du
domaine du Portugal, la couronne y fait relâcher régulièrement des
vaisseaux de guerre pour chasser les intrus. À partir de 1665, les Portugais
s’arrêtent régulièrement dans un port du Brésil, généralement à Bahia, pour
ravitailler leur colonie en produits d’Asie, en échange d’or et de tabac, et
pour profiter de l’escorte militaire donnée aux « flottes du sucre » dans leur
retour vers l’Europe. Toutes les autres nations interdisent les escales en
Amérique, sauf en cas de nécessité absolue, afin d’empêcher la contrebande
sur les produits ramenés d’Asie.
Ces escales permettent d’être informé de la situation politique en Europe.
En cas de conflit, les capitaines hollandais reçoivent au Cap des instructions
pour rejoindre une escadre stationnée dans la partie septentrionale de
l’Atlantique, et se placer sous sa protection. Les vaisseaux britanniques sont
protégés par la Royal Navy depuis Sainte-Hélène. Les Français n’ont pas les
mêmes facilités. Après avoir recherché diverses solutions (dont l’une
consistait à laisser des messages dans une bouteille dissimulée dans une
grotte de l’île de l’Ascension, cachette qui fut rapidement découverte par
les Britanniques), ils choisirent, en cas de guerre, de faire stationner une
corvette devant cette île, afin de mettre en garde les officiers et de leur
communiquer un point de rendez-vous dans un port neutre ou allié, par
exemple dans le sud de l’Espagne, ou bien dans une rade de la Nouvelle-
France, comme Louisbourg.
Après l’île de l’Ascension et le passage de l’équateur, la route
généralement suivie contourne les Açores pour profiter des vents favorables
durant l’été et le début de l’automne. Plus au nord, on rejoint la route
maritime très fréquentée venant d’Amérique et on entre dans la zone des
vents d’ouest dominants. Les officiers doivent alors choisir, comme à
l’aller, de contourner les îles Britanniques par le nord-est ou bien de
s’engager dans la Manche. Le tour des îles Britanniques est long et
dangereux, cette route n’est utilisée qu’en temps de guerre par les
Hollandais, les Danois et les Suédois. Les Britanniques (comme les
Ostendais) passent toujours par la Manche. Les Français gagnent le port de
Lorient. Dans l’ensemble la navigation au voisinage des côtes de l’Europe
est plus aisée qu’au départ car les retours ont lieu durant la belle saison.

DURÉE DES VOYAGES

Les voyages durent de 14 à 22 mois, dont 11 à 18 en mer. La durée des


escales, les temps de déchargement et de chargement, la poursuite
d’éventuels voyages d’Inde en Inde, les aléas de la navigation, expliquent
ces différences. Dans l’ensemble les voyages sont plus brefs à partir de la
seconde moitié du XVIIIe siècle. Avant 1750, les Danois, par exemple, dont
les trajets sont toujours particulièrement rapides, mettent environ 15 mois
pour l’aller et le retour entre l’Europe et la Chine, ensuite 14 mois et demi.
Les directeurs de la V.O.C. qui souhaitent encourager leurs officiers à
parcourir rapidement cette route, leur promettent une prime de 600, 300 ou
150 florins pour une durée de six, sept ou huit mois. Les directeurs de
l’East India C° recommandent à leurs capitaines de respecter le délai fixé
pour la durée de location des vaisseaux, puisqu’une fois le temps écoulé ils
doivent de fortes indemnités aux propriétaires. Mais plus que le gain de
temps, la régularité, la sécurité, ainsi que le respect d’un calendrier
commercial permettant le bon déroulement des ventes sont recherchés avant
tout. L’usage généralisé des nouveaux instruments de navigation et la plus
grande fidélité des cartes hydrographiques participent à cette recherche de
la sécurité.

LES INSTRUMENTS DE NAVIGATION

Les instruments traditionnels sont toujours utilisés. Le plus ancien est le


compas, ensemble constitué par la boussole et la rose des vents. Chaque
jour le pilote trace sur la carte la route à parcourir et définit, grâce à un
rapporteur, une direction qu’il communique au timonier. Celui-ci s’efforce
de conserver ce cap grâce au « compas à pinulles » ou compas de variation,
qui permet de connaître l’angle entre la route, préalablement définie, et la
quille, et donc de calculer approximativement la dérive due au vent ou au
courant, et de la corriger. La route demeure cependant imprécise car les
navigateurs n’ont pas de tables correctes des variations du magnétisme
terrestre et donc de la position exacte du pôle magnétique, surtout lorsqu’ils
se trouvent dans l’hémisphère sud.
Le loch est utilisé pour mesurer la distance parcourue. Il s’agit d’un filin
portant à intervalles réguliers des nœuds dont la rapidité de défilement est
mesurée au sablier. La distance entre chaque nœud est d’environ quinze
mètres (en équivalent actuel). Le recours à la sonde est fréquent, et le plomb
de sonde est souvent graissé de manière à ramener quelques échantillons du
fond, dont la composition peut apporter des indications sur la position.
D’autres indices, les variations de la couleur de l’eau, l’apparition
d’oiseaux, la présence de morceaux de bois flottant à la surface, sont
observés avec intérêt.
Les instruments d’observation astronomique apportent d’autres
informations. À la fin du XVe siècle, l’astrolabe est remplacé par
l’arbalestrille, « flèche » ou règle en bois ou en fer, sur laquelle coulissent
des « marteaux » qui permettent de mesurer la hauteur du soleil au-dessus
de l’horizon, en particulier lorsqu’il est au zénith, et de connaître ainsi la
position en latitude. Ce moyen précis de mesure est un apport des Portugais
qui acquièrent une grande adresse dans le maniement de l’arbalestrille ;
leurs erreurs de calcul ne dépassent pas trente minutes et sont fréquemment
inférieures à dix minutes.
Les navigateurs utilisent en outre des recueils de conseils pour la
navigation, les « routiers ». Au XVIe siècle, ceux des Portugais André Pires
(1501 et 1520), Joao de Lisboa (1514) et Joao de Castro (1538), pilotes très
expérimentés 119, sont particulièrement remarquables. D’autres établissent
des cartes nautiques, en particulier Duarte Pacheco. Au XVIIe siècle, les
Hollandais sont les plus compétents dans ce domaine. La V.O.C. utilise les
services de fameux cartographes 120, tels Petrus Plancius (1522-1622), les
Blaeu (trois générations entre 1633 et 1705) et de plusieurs membres de la
famille van Keulen. Par ailleurs les officiers reçoivent des instructions
détaillées, remises à jour fréquemment, sur les routes à suivre. Beaucoup de
ces documents demeurent confidentiels et les capitaines ont ordre, en cas de
capture, de les jeter à la mer ; les autres Européens purent pourtant disposer
de quelques-uns d’entre eux, en particulier des cartes des van Keulen.
Au cours du voyage, toutes les informations sont portées sur une carte
marine et la route « estimée » tracée à l’aide d’un « quartier de réduction »,
ou rapporteur permettant de déduire le tracé d’ensemble à partir de
plusieurs routes particulières.
La navigation à l’estime laisse une grande place à l’incertitude ; les
instruments disponibles ne permettent pas d’apprécier la longitude, et le
navigateur a bien souvent pour seule ressource de rectifier sa route en
reconnaissant la côte. En mai 1735, le pilote de l’Argonaute, vaisseau de la
Compagnie française, note dans son journal, alors qu’il approche d’une côte
présumée être celle de l’Afrique, au voisinage du cap de Bonne-Espérance :
« Nous avons été bien surpris de reconnaître la terre pour l’île de
Madagascar, qui n’a pas laissé de nous surprendre tous, ne nous attendant
pas à une si lourde erreur » 121.

LES AMÉLIORATIONS DU XVIIIe SIÈCLE

Au cours du XVIIIe siècle les conditions de la navigation se sont


transformées grâce à certains perfectionnements. L’observation
astronomique gagne en précision avec l’invention par James Hadley de
l’octant, présenté à la Société Royale de Londres en 1731 122. Les
Britanniques sont les premiers à l’adopter, puis les Français à partir de
1739, à l’initiative d’un lieutenant des vaisseaux de la Compagnie des
Indes, d’Après de Mannevillette, qui publie, à la demande des directeurs
généraux, un manuel intitulé Description et usage d’un nouvel instrument
pour observer la latitude sur mer […] 123. En 1747 les directeurs de la
V.O.C. décident de confier un octant à chaque officier de leur marine avant
l’embarquement. L’octant permet de calculer la hauteur du soleil au-dessus
de l’horizon et donc de connaître la latitude ; de nuit, il permet aussi de
mesurer la distance entre la lune et une étoile fixe et donc de connaître
également la longitude. Ce dernier calcul est difficile, mais les officiers
disposent de tables de déclinaison de plus en plus perfectionnées et sûres,
établies par des astronomes ayant découvert la loi des mouvements lunaires.
En 1770, les directeurs de l’East India C° obligent tous les officiers de la
marine de leur Compagnie à utiliser la méthode des distances lunaires ;
après s’être heurtés à de vives réticences, ils obtiennent en cinq ans que
l’usage en soit généralisé. À partir de 1780 les officiers des vaisseaux des
Compagnies des Indes seront les premiers parmi les marins à disposer
d’horloges permettant de connaître l’heure du méridien d’origine.
Simultanément, de nouveaux routiers et de nouveaux recueils de cartes
sont publiés favorisant les Français et les Anglais au détriment des
Hollandais. « Il est vraiment triste, écrit l’officier Stavorinus en 1760, qu’un
corps aussi puissant que la Compagnie des Indes orientales, dont la
prospérité dépend de la sécurité et du succès des voyages effectués par ses
vaisseaux, se préoccupe si peu de l’amélioration de la navigation en
général, et de l’amélioration des cartes en particulier. Je peux donner de
nombreux exemples de leurs erreurs, tant pour l’Asie que pour la côte
d’Afrique. Les Anglais, les Français et les autres progressent rapidement et
découvrent de nouvelles techniques, de nouvelles terres, de nouvelles
routes, alors que notre commerce des Indes orientales qui devrait être une
excellente école de formation pour les gens de mer et une pépinière
d’innovations pour la navigation, en raison du nombre important des
vaisseaux et des hommes qui y sont employés, se développe plus lentement
que les autres » 124.
John Thornton, hydrographe de l’East India C°, publie en 1703 l’Oriental
navigation (tome 3 de l’English Pilot), synthèse de travaux antérieurs. Puis
Alexandre Dalrymple, à partir des années 1770, poursuit une œuvre
considérable de cartographie. Envoyé à Madras en 1753, à l’âge de 15 ans,
en qualité d’écrivain, il s’intéresse à la navigation dans les mers de l’Asie et
dépouille les journaux de bord conservés dans les archives du comptoir ;
puis il est envoyé par le gouverneur sur une corvette pour établir une carte
de la région encore mal connue située entre Bornéo et le continent. Revenu
en Europe en 1766, il est associé en 1768 à la Société Royale et publie, en
1774, une Collection of plans of ports in the East Indies indiquant leurs
moyens d’accès. Nommé hydrographe de la Compagnie des Indes
orientales, il s’appuie sur son importante collection des journaux de bord,
conservée à Londres, pour préparer un nouveau routier, l’East India
Directory, publié en 1808, qui demeurera en usage durant une cinquantaine
d’années.
Les Français ont également une activité importante de recherches et de
publications. Le Routier des côtes des Indes orientales et de la Chine […]
rédigé par d’Après de Mannevillette et imprimé en 1745, est un instrument
remarquable qui repose sur le dépouillement quasi exhaustif des journaux
de bord des vaisseaux de la Compagnie française, conservés à Lorient. Sa
compréhension s’appuie sur une expérience de vingt-cinq années de
navigation dans les mers de l’Inde. Ce Routier eut, dès sa publication, un
grand succès parmi les officiers de toutes les Compagnies européennes. Il
fut complété en 1753 par l’édition d’une Carte réduite de l’océan Oriental
permettant aux pilotes et aux officiers d’y reporter leur parcours. Comparée
à la carte de Pieter Goos, révisée par van Keulen vers 1710 et utilisée sur
les bâtiments de la V.O.C. comme sur ceux de la plupart des Compagnies
européennes, les améliorations sont considérables. Sur la carte de van
Keulen la position des terres en longitude, par comparaison avec une carte
actuelle, était erronée d’une trentaine de kilomètres (Afrique orientale) à
une centaine et parfois davantage (Australie) ; les îles situées au nord-est de
Madagascar, ainsi que les Maldives, étaient particulièrement mal
cartographiées, lacunes graves sur des routes très fréquentées. En revanche,
la carte établie par d’Après donne pour l’Afrique comme pour l’Asie des
positions en longitude à peu près satisfaisantes ; l’archipel proche de
Madagascar est figuré avec beaucoup de précision, et surtout le détail des
représentations est tout à fait remarquable. L’île de Madagascar (figurée
selon une forme et une orientation erronée sur la carte de Pieter Goos
— van Keulen), est tracée correctement ; pour la première fois le
renflement de la partie littorale du sud-est ainsi que le littoral du cap
d’Ambre sont figurés avec fidélité. Malgré ces progrès considérables, cette
carte conserve encore des imprécisions 125.
J.-B. d’Après ne cessa de perfectionner son travail par des additions tirées
de sa pratique de la navigation, de celle de ses confrères ou de celle des
pilotes qui, utilisant les nouveaux instruments d’aide à la navigation,
pouvaient calculer avec plus de précision la position en latitude et en
longitude. Il fit publier en 1775 une édition totalement refondue de son
routier, sous le nouveau titre de Neptune oriental. On y trouve une
représentation correcte de Madagascar et de l’archipel situé au nord-est
grâce aux travaux d’exploration menés par l’enseigne de vaisseau Grenier.
Le tracé des côtes Ouest et Est de la grande île sont plus précis et les
Seychelles sont correctement placées. Quelques hésitations demeurent dans
la représentation du nord-est et du sud de Madagascar, ainsi que dans celle
des bancs et des îles situées au nord des Mascareignes. La côte au voisinage
du cap de Bonne-Espérance également est mieux dessinée grâce aux
indications fournies par Dalrymple. Le figuré de la côte de Sumatra et du
détroit de la Sonde, ainsi que celui de l’Insulinde en général, sont améliorés
grâce aux relevés effectués par les officiers de la Compagnie française des
Indes. Cette carte, comme l’ensemble du routier, est d’une exceptionnelle
qualité et restera en service jusqu’à la publication des nouvelles instructions
nautiques de 1840.

NAUFRAGES

Cette amélioration des cartes marines et des instruments de navigation ne


semble guère permettre de diminuer le nombre des accidents et en
particulier celui des naufrages. Chez les Hollandais, le nombre des voyages
double du XVIIe siècle au XVIIIe siècle et celui des naufrages triple : entre
1602 et 1699, on compte 34 naufrages, soit 3,4 % des navires armés ; de
1700 à 1795, 107 naufrages, soit 4,5 % des navires armés. Les pourcentages
sont analogues chez les Français avec 60 naufrages, 6,5 % des navires
armés ; chez les Danois, 15 naufrages, 6 % ; et chez les Suédois, 8
naufrages, 6 %. Les raisons peuvent être multiples : une trop grande
confiance accordée aux instruments, la recherche de la vitesse, la
dégradation des conditions climatiques. Les naufrages se produisent en
premier lieu au départ et au retour, sur les rivages de l’Europe. Sur 15
navires danois ayant fait naufrage, 7 disparaissent au voisinage de la
Scandinavie, 4 sur les rivages des îles Britanniques, en particulier aux
Shetlands et aux Feroes ; sur 8 bâtiments suédois, 2 coulent sur le littoral de
la Scandinavie, 1 dans la Manche, 3 sur les Shetlands ; sur 60 vaisseaux
français, 13 font naufrage sur la côte sud de la Bretagne, 2 à l’entrée de
Cadix. Ensuite, dans la baie du Cap, très dangereuse durant l’hiver austral,
particulièrement en mai et juin. Durant la seule année 1722, cinq navires
hollandais y coulent, et dans la seule journée du 21 mai 1737, 8 navires. À
la suite de ces catastrophes, les Heren XVII décident que d’avril à septembre
leurs vaisseaux stationneront dans la rade de False Bay. 2 navires français et
3 danois font également naufrage au Cap, n’ayant pu gagner le large avant
un coup de vent brutal. Les cyclones qui sévissent dans le sud de l’océan
Indien sont une autre cause de naufrages ; 6 navires hollandais disparaissent
dans ces parages en 1722, 3 en 1723, 3 encore en 1739 et 6 durant les
années suivantes. Au XVIIIe siècle, 10 navires français et 2 bâtiments
suédois font naufrage dans la même région. Les côtes de l’Inde sont
dangereuses elles aussi, de même que les bouches du Gange. Les Français y
perdent 6 vaisseaux, dont 2 dans l’Hooghly ; les Danois et les Ostendais
chacun un. Enfin, toujours au XVIIIe siècle, trois vaisseaux danois et autant
de vaisseaux français prennent feu en pleine mer.
Le caractère dramatique de ces naufrages frappent l’opinion, comme en
témoigne le naufrage du Saint-Géran, le 18 août 1744, évoqué par
Bernardin de Saint-Pierre dans Paul et Virginie, trente ans après les
événements : « […] avec son pont chargé de monde, ses vergues et ses mâts
de hune amenés sur le tillac, son pavillon en berne, mouillé entre l’île
d’Ambre et la terre, en deçà de la ceinture de récifs qui entoure l’île de
France et qu’il avait franchie par un endroit où jamais vaisseau n’était passé
avant lui », puis, les câbles des ancres s’étant rompu, « il est jeté sur les
rochers à une demie encablure du rivage », et l’équipage se lance à la mer
pour essayer de gagner le rivage, accroché à des vergues, des planches, des
cages à poules, des tonneaux. « Mais une montagne d’eau d’une effroyable
grandeur s’engouffra entre l’île d’Ambre et la côte et s’avança en rugissant
vers le vaisseau qu’elle menaçait de ses flancs noirs et de ses sommets
écumants […] Tout fut englouti ! » 126. En réalité le Saint-Géran fut victime
d’une erreur de navigation. Ayant reconnu, le 17 au soir, la côte à
l’extrémité nord de l’île de France, il met à la cape pour attendre le jour,
avant de gagner Port-Louis, mais, dans la nuit, il s’approche imprudemment
des récifs de coraux où il talonne. La mer fortement houleuse le prend alors
en travers et le pousse sur les récifs ; le grand mât se casse, brisant la
chaloupe que l’on tentait de mettre à l’eau ; les mâts d’artimon et de
misaine tombent à leur tour, heurtant la coque, et le navire se rompt par le
milieu avant de couler. Il y avait plus de cent malades à bord, et seuls les
valides, montés sur le pont, parvinrent à se jeter à la mer ; neuf d’entre eux
réussirent à gagner l’île d’Ambre. Les autres, au nombre de 181, furent
noyés 127.
Les avaries sont nombreuses, mais toutes, heureusement, ne s’achèvent
pas par un naufrage. La rupture d’un ou de plusieurs mâts est fréquente
dans l’Atlantique septentrional ou au voisinage du cap de Bonne-
Espérance ; la réparation est possible car les navires portent une mâture de
rechange, mais la mise en place est délicate et ne peut être effectuée que par
une mer calme. La destruction du gouvernail est un accident plus rare, mais
dont les conséquences sont toujours catastrophiques, il devient alors
impossible de diriger le vaisseau et d’effectuer la réparation en pleine mer.
La seule ressource est de gagner le port le plus proche avec un gouvernail
de fortune. L’apparition d’une voie d’eau est plus dangereuse encore,
surtout si l’accident se produit dans la partie du trajet où la mer est grosse et
où le bâtiment travaille beaucoup, comme dans le golfe de Gascogne ou au
voisinage du cap de Bonne-Espérance.

CAPTURES

Un autre danger guette les navigateurs, la capture par des ennemis ou des
flibustiers. Pour la V.O.C., le nombre est à peu près stable du XVIIe siècle
(9 soit 0,9 % des bâtiments armés) au XVIIIe siècle (19 soit 0,8 %). Pour les
Français, au XVIIe siècle, le pourcentage est beaucoup plus élevé (54 soit
7,2 %), en raison de la violence et de la longue durée des conflits dans
lesquels ils sont engagés. Les vaisseaux de la Compagnie française étaient
semble-t-il assurés (sans doute auprès de Compagnies britanniques), et la
perte financière est moins importante qu’elle ne pourrait paraître à première
vue. La plupart des bâtiments français (42 sur 54) sont capturés près des
côtes d’Europe, à la sortie ou à l’entrée d’un port ; quelques-uns sont
surpris en Asie ignorant qu’une guerre a été déclarée contre leur pays ; deux
sont pris en 1745 à Louisbourg où ils s’étaient réfugiés pour attendre une
escadre de guerre et rentrer en métropole 128.
Les actes de piraterie sont rares. Les bâtiments de la V.O.C. s’y livrent
parfois pour nuire à leurs rivaux, prenant prétexte d’une confusion avec un
ennemi ou avec un navire de la Compagnie d’Ostende. En 1725 un vaisseau
français doit se défendre contre une agression de cette sorte à la sortie du
port de Cadix 129, puis en 1731 un autre dans les bouches du Gange 130. Les
périodes de tensions qui précèdent les guerres européennes sont fertiles en
incidents analogues ; ainsi en mai 1742, au voisinage des îles du Cap Vert,
un vaisseau échange-t-il « environ 80 coups de canon avec un Anglais qui
tirait à démâter » 131, ou encore en décembre 1767, sur la côte Malabār, un
Britannique et un Français se canonnent mutuellement 132. Certains navires
sont victimes de véritables pirates. Les Angrias, pirates indiens qui écument
les côtes de l’Inde, s’attaquent rarement aux navires européens, les sachant
capables de se défendre avec succès, mais les flibustiers chassés des
Antilles (à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle) et réfugiés à
Madagascar, comme le célèbre Olivier Levasseur, dit La Buse, perturbent
profondément la navigation entre 1715 et 1730. Desforges-Boucher,
gouverneur de l’île française de Bourbon, parvint à mettre fin à leurs
agissements en leur offrant une amnistie générale, accompagnée de
concessions gratuites de terres. Ceux, peu nombreux, qui refusèrent, furent
pourchassés, capturés, jugés et pendus, comme La Buse, exécuté à Saint-
Denis en 1730.

DIFFICULTÉS DE LA VIE QUOTIDIENNE

La crainte de ces accidents s’ajoute aux difficultés de la vie quotidienne.


La première est la promiscuité. La surface disponible à bord d’un navire est
restreinte. L’entrepont, où se tient généralement l’équipage, est d’une
surface d’environ deux cents mètres carrés, il est très encombré non
seulement par des hamacs et des bagages, mais aussi par des cages et des
parcs qui abritent les animaux vivants. La situation des passagers, soldats et
employés des Compagnies, n’est guère meilleure. Les premiers partagent le
sort des matelots, les autres se disputent les meilleures places, du moins
celles que les officiers veulent bien leur laisser, sur la dunette.
Dans ce milieu confiné, les relations sociales sont tendues, tout d’abord
entre les passagers : « Un vaisseau, dès qu’il s’éloigne de terre, écrit Pierre
Poivre, au retour de l’un de ses nombreux voyages, devient une petite
république flottante, isolée du reste de l’Univers ; la société qui s’y trouve
est souvent un assemblage d’hommes qui ne se connaissent point et qui
n’ont rien de commun que la folie de courir les mers. Les premiers jours
qu’on est à bord, on se regarde, on s’étudie mutuellement, on se prévient
même de quelques politesses marines qui sont courtes, bientôt on se
connaît, on s’entretient les uns des autres, les petites coteries se forment
[…], les esprits s’aigrissent. On se voit, on se rencontre partout, mais on ne
se parle plus, la médisance commence, la désunion croît, dès lors on
cherche à se mortifier ; lorsque l’un cherche le repos et veut dormir, l’autre
aime le fracas et se plaît à chanter. On s’interrompt, on se gêne, on se
critique, on s’insulte, tout est brouillé […] » 133.
Entre les membres de l’équipage, les tensions sont plus vives encore. Il y
a des heurts entre les différentes nationalités, ainsi à bord des bâtiments de
la V.O.C. entre Hollandais et Allemands ou plus souvent entre Hollandais et
Français, ou encore des conflits entre officiers et matelots. Les actes
d’insubordination sont réprimés avec vigueur ; il faut mener les matelots
avec une « main de fer » rapporte un officier de la V.O.C. en 1677, car ils
« se comportent comme des bêtes fauves ; ils chapardent et volent, boivent
et agissent toujours si méchamment qu’ils paraissent n’avoir aucune
pudeur » 134. À l’issue de plusieurs voyages l’employé Nicolas de Graaf est
d’un tout autre avis : « Jean Maat, écrit-il, le dernier et le plus humble à
bord, doit être disponible au plus léger signe ou indication de n’importe
lequel de ses supérieurs pour faire ce qui lui est ordonné, sans pouvoir
émettre aucune protestation. Les matelots doivent grimper dans les haubans
de jour comme de nuit, durant des orages comme au cours des tempêtes. Ils
doivent charger et décharger les navires et se comporter en tout comme des
esclaves obéissants, se tenir sur la passerelle, le couvre-chef à la main,
lorsque le capitaine ou un autre officier quitte le bord ou y revient […] » 135.
Dans cette société masculine, les actes d’insubordination ont
fréquemment une connotation sexuelle, avivés par la présence d’un petit
nombre de femmes à bord. En 1629, après le naufrage sur la côte orientale
de l’Australie, du Batavia, navire de la V.O.C., la chaste épouse d’un jeune
marchand de la Compagnie et sa servante sont à l’origine d’une émeute qui
se termine par un massacre 136 ; en 1657, un maître d’équipage est
convaincu d’adultère avec la jeune épouse d’un marchand.
La répression est impitoyable, les sanctions pouvant aller dans les cas les
plus graves jusqu’à la peine de mort. On condamne le coupable à la cale
humide, châtiment consistant à le laisser tomber plusieurs fois dans l’eau
par le moyen d’un cordage auquel il est attaché, l’autre extrémité étant fixée
à une vergue ; ou bien à la cale sèche, dans laquelle on le fait tomber
jusqu’à la surface de l’eau ; on le condamne également à être frappé de
plusieurs coups, en particulier à « courir la bouline », c’est-à-dire à passer
entre deux haies de camarades qui le frappent avec un bout de corde ou
« bouline » ; il peut encore être mis aux fers à fond de cale, au pain et à
l’eau. Des extraits du journal de bord du Mars, vaisseau de la Compagnie
française, parti de Lorient le 27 octobre 1727, montrent la fréquence de ses
sanctions : « 4 novembre [1727]. On fait courir la bouline à un soldat qui
avait volé un sac […]. 6 décembre. Donné la cale à un matelot pour avoir
donné un coup de couteau à son camarade […]. 7 juin [1728]. On a donné
la cale à un soldat pour avoir fait la démonstration avec son fusil, la
baïonnette au bout, à son caporal de garde qui lui avait dit de ne pas fumer à
l’arrière du grand mât où il était en faction […]. 7 novembre. On a fait
courir la bouline à un matelot qui se battait le couteau à la main […].
9 décembre. On a fait courir la bouline à un matelot pour ivrognerie,
mutinerie et avoir tiré le couteau en le mettant au fer » 137.

L’ENNUI ET SES REMÈDES

L’ennui exacerbe les tensions lorsque l’équipage est désœuvré, les marins
se réunissent par groupes, et, observe Bernardin de Saint-Pierre, « Il y [en]
a qui ont beaucoup d’imagination et qui pendant la durée d’un quart de six
heures racontent à leurs camarades rassemblés autour d’eux des histoires
merveilleuses dont ils entrelacent les événements avec autant d’art et
d’intérêt que ceux des Mille et une nuits ; d’autres, fort taciturnes, écoutent
toujours, et sont des jours entiers sans proférer un mot » 138. Ils chantent
aussi : « Les hommes de quart s’unissent en des chœurs de l’harmonie la
plus achevée, observe William Hickey, et celui-ci qualifie leur mélodie de
“plaintive, douce, et tout à fait à mon goût” » 139. Parmi les passagers
certains jouent aux cartes, mais sans risquer d’argent ; d’autres lisent,
pendant la journée seulement, car dès la tombée de la nuit tous les feux
doivent être éteints. D’autres encore passent la journée à rêver et à faire des
projets. « Nos passagers se sont munis de fortes pacotilles, la plupart
passent le temps à refaire des factures, écrit un employé français. Leur
prétention qui n’allait qu’à cent pour cent en partant, s’est accrue jusqu’à
trois et quatre cent pour cent, sans autre raison que leur avidité. Les factures
s’en sont ressenties et tel qui n’avait que pour 10 000 livres de capital
employé, s’en trouve vingt sur le papier » 140.
Toutes les distractions sont bien accueillies. Il peut s’agir de la rencontre
d’un autre vaisseau à qui l’on confie des lettres s’il rentre en Europe ou de
la découverte de passagers clandestins : plus de sept en moyenne sur chaque
bâtiment français armé entre 1760 et 1770. Les hommes sont les plus
nombreux, mais on trouve parfois des femmes et des enfants. Parmi les
vingt clandestins découverts à bord du vaisseau français l’Ajax en 1763, on
compte douze hommes, une femme et sept enfants 141. Ceux qui quittent
l’Europe veulent rejoindre gratuitement un parent installé en Asie ou dans
une escale. Ceux qui viennent d’un port d’Afrique ou d’Asie sont le plus
souvent des ouvriers ou des soldats qui affirment avoir été obligés de rester
au-delà de leur temps d’engagement. L’ennui des longes journées de mer est
coupé par des fêtes profanes ou religieuses. Le passage de l’Équateur est
l’occasion de réjouissances et les principales fêtes du calendrier
ecclésiastique sont marquées par une célébration solennelle, surtout
lorsqu’il y a un aumônier à bord.

UNE RATION ALIMENTAIRE DÉSÉQUILIBRÉE

Des conditions matérielles médiocres s’ajoutent à la promiscuité et à


l’ennui. L’humidité est constante à bord, les matelots ont peu de vêtements
et même s’ils ont la possibilité d’en changer, ils ne peuvent les faire sécher
et conservent des tenues humides durant presque tout le voyage. Les puces,
les poux, la vermine prolifèrent sur ces vêtements mal entretenus. La saleté
est répugnante comme le constate le français Pyrard de Laval, embarqué sur
un vaisseau portugais en 1610 : « Ces navires sont absolument dégoûtants
et ils puent horriblement ; les hommes pour la plupart n’hésitent pas à aller
faire leurs besoins naturels sur le pont. Les Espagnols et les Français font de
même, mais les Anglais et les Hollandais sont extrêmement soigneux et très
propres » 142. Cependant, même sur les bâtiments de ces deux nations, les
nouvelles recrues souffrent tellement du mal de mer qu’ils n’ont pas la force
de gagner les « poulaines » et les malades restent dans leurs propres
excréments. Le capitaine d’un bâtiment hollandais en relâche au Cap en
1774 observe, à propos du vaisseau naviguant de conserve avec lui, qui a
plus de 80 malades à bord : « Ils se tenaient dans l’entrepont, qui était si
plein d’ordure que mes officiers m’ont assuré n’en avoir jamais vu d’aussi
sale, même chez les Français » 143.
La ration alimentaire journalière, jugée monotone et peu digeste, est le
sujet des conversations et des critiques. Les féculents y tiennent une grande
place (750 grammes de pain chez les Français et les Ostendais ; 600
grammes de flocon d’avoine, de biscuit de mer ou de riz chez les
Britanniques et les Hollandais). Ils sont accompagnés de viande salée (250
à 300 grammes de bœuf, de lard ou de pieds de porc) ou de poisson salé
(environ 150 grammes de morue ou de hareng) les jours maigres. On sert
également des légumes secs, haricots, pois chiches, lentilles (150 grammes),
assaisonnés d’huile d’olive (4 cl.) ou d’un peu de beurre salé. On donne
aussi du fromage (150 gr.).
La consommation d’alcool est importante. Sur les vaisseaux portugais,
français et impériaux : un litre (ou 75 cl.) de vin par homme et par jour.
Chez les Français, on commence par consommer les vins blancs légers, le
« vin de Nantes » ou Muscadet, puis les rouges légers de Saintonge et de
Languedoc, et enfin les rouges plus riches en tanin comme le Bordeaux,
réputé être d’excellente conservation. À défaut de vin, surtout à la fin du
voyage, on donne de l’eau de vie à raison de 20 à 25 cl. par jour ; cette
ration est doublée dans les passages difficiles, comme celui du cap de
Bonne-Espérance, sur le chemin du retour. Sur les navires britanniques,
hollandais, danois et suédois, on consomme de la bière au début du voyage,
puis, lorsqu’elle devient imbuvable au bout de deux ou trois mois, en raison
de la fermentation ajoutée à la chaleur, on passe au vin, souvent embarqué
lors d’escales : Canaries, Madère, ou Cadix.
Dans l’ensemble la ration alimentaire est suffisante en valeur nutritive,
avec plus de 3 000 calories par jour ; elle est en revanche déséquilibrée en
principes énergétiques : beaucoup de protides, peu de lipides et de glucides,
ce qui entraîne une digestion lente et pénible. Elle fournit très peu de
vitamine B 1 et B 2, et surtout pas du tout de vitamine C. D’où des anémies,
une faible résistance aux maladies infectieuses, en particulier au scorbut et à
la dysenterie — cette « diarrhée rouge » — qui se développent aisément
dans le milieu humide, mal aéré et mal nettoyé de l’entrepont.
L’eau douce est rare et de qualité médiocre. Au départ, il est embarqué
une ration pour cinq mois, à raison de cinq litres par jour et par personne,
tous besoins confondus. En raison des fuites, cette ration est souvent
insuffisante et il faut rationner ; « Nous étions tous réduits à une bouteille
d’eau par jour, écrit en 1761 le chanoine-astronome Pingré embarqué sur un
vaisseau de la Compagnie française. Cette obligation a peut-être été ce que
j’ai éprouvé de plus dur durant tout mon voyage » 144. De plus l’eau devient
rapidement saumâtre malgré les soins apportés à la propreté des barriques et
au bon choix des sources. Les tentatives faites par les Hollandais entre 1702
et 1707 pour faire bouillir de l’eau de mer et obtenir de l’eau douce sont
vite stoppées, le fonctionnement des chaudières exigeant des quantités trop
importantes de bois.
Toutes ces mauvaises conditions de la vie expliquent en partie la forte
mortalité.

UNE FORTE MORTALITÉ

À bord des vaisseaux de la V.O.C. le taux de mortalité était de 7,3 % en


1710-1720, puis de 16 % en 1770-1780 avec une moyenne générale de
11 % ; chez les Français, il était de 11,4 % en 1750-1760, de 20,6 % en
1740-1750, avec une moyenne de 13,4 % ; chez les Danois, de 14,6 % et
chez les Suédois de 12,5 %.
La maladie est, de très loin, la principale cause de décès, de 7,8 % chez
les Hollandais et de 9,9 % chez les Français, chiffre d’autant plus frappant
qu’il concerne des hommes jeunes. Les observations des aumôniers,
rapportées dans les Lettres édifiantes et curieuses marquent les étapes de la
dégradation progressive de la santé des matelots. À bord du français le Duc
d’Orléans, en mars 1754, dix jours après le départ, « La malpropreté, jointe
à des maux que je n’ose nommer (syphilis ?), infectèrent bientôt
l’équipage » ; un mois plus tard, peu après une escale à Gorée : « À peine
fûmes-nous en mer que les maladies augmentèrent à un point qu’il me serait
impossible de vous rendre la triste situation où fut réduit l’équipage. Aux
maux dont je vous ai déjà parlé, se joignirent la gale, la dysenterie ou flux
de sang… » 145. Le scorbut apparaît souvent, après quatre à cinq mois de
navigation, ainsi à bord du Beaumont en 1767, peu avant de pénétrer dans le
détroit de la Sonde : « Le scorbut avait gagné notre vaisseau, cinquante
matelots étaient hors de combat, leurs gencives tombaient en pièces, leurs
jambes étaient enflées et livides. Cinquante autres pour être moins malades
n’étaient cependant pas à leur aise. L’espérance de terre les soutenant, une
contradiction d’un mois en eut fait périr plus de la moitié » 146. Au scorbut,
toujours redoutable, et à la dysenterie, viennent s’ajouter parfois des
maladies épidémiques comme le typhus, rare, mais très meurtrier, ainsi que
la variole et la fièvre jaune ou « mal de Siam ».

L’ESCALE DU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE

Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, le seul remède pour soigner les malades
est d’organiser une escale où les hommes puissent se reposer, trouver de
l’eau pure et une alimentation variée et de bonne qualité.
Le modèle de ces escales est Le Cap. Depuis 1616, les Hollandais s’y
arrêtent tant à l’aller qu’au retour pour échanger des informations et prendre
des vivres. En 1647, les Heeren XVII envoient un marchand examiner la
possibilité d’une installation permanente. À son retour, celui-ci présente un
rapport favorable 147et en 1652 une petite garnison de soixante-dix soldats y
est envoyée avec quelques colons. Les début sont difficiles, à tel point
qu’en 1660 près des deux tiers des colons (42 sur 70) s’embarquent
clandestinement pour la métropole — avec la complicité de matelots. Les
cultures nécessaires pour le ravitaillement des équipages fournissent
rapidement les quantités nécessaires et les Hottentots sont disposés à fournir
du bétail, mais pour les féculents les colons dépendent durant trente ans des
importations de riz et des céréales de Batavia ou d’autres ports d’Asie.
L’établissement prend de l’importance à partir des années 1680 lorsque les
directeurs réalisent qu’il est plus avantageux d’encourager la colonisation
plutôt que de se contenter d’une simple escale. Ils nomment un gouverneur
énergique, Simon van der Steel, qui organise le peuplement et la mise en
valeur, en particulier avec des huguenots français réfugiés aux Provinces-
Unies après la révocation de l’édit de Nantes. Le nombre des colons passe
de 600 en 1680 à 12 000 un siècle plus tard.
Il y a aussi des esclaves. Les Heeren XVII interdisent la mise en esclavage
des Hottentots, les administrateurs de la colonie doivent donc faire venir
des esclaves du Mozambique, de Madagascar, plus rarement, de Java ou du
Bengale. Leur nombre est toujours un peu supérieur à celui des colons
blancs. On en compte 800 à la fin du XVIIe siècle, 4 000 vers 1750, 12 000
vers 1780. La question du développement de l’esclavage est posée au
conseil de gouvernement de la colonie en 1716, et presque tous les
conseillers — en majorité des colons et des commerçants — se prononcent
favorablement. Seul, le commandant de la garnison s’y oppose, ses soldats
étant souvent « engagés » sur les plantations et salariés pour une période
d’une année renouvelable, avec l’obligation de les défendre en cas de
nécessité. Une vive discussion s’engage alors. L’un des conseillers affirme
que l’examen des livres de compte permettrait de constater qu’un esclave
coûte 40 florins par an et un engagé 175 florins, qu’en outre les esclaves
sont plus obéissants et travaillent davantage pour pouvoir se racheter, tandis
que les engagés tombent souvent dans l’ivrognerie et sont alors une charge
pour la colonie. Le commandant réfute avec force ces arguments, affirmant
qu’à long terme un travailleur blanc coûte moins cher qu’un esclave, dont il
faut payer le transport, assurer la surveillance et l’encadrement sans
compter l’éventualité de sa fuite. Le gouverneur se rallie à l’avis de la
majorité : « nul ne peut douter, affirme-t-il, de l’intérêt du travail des
esclaves, comme on le constate en Asie et dans toutes les colonies des Indes
occidentales, ainsi le Surinam […] ». Ce choix, approuvé par les
Heeren XVII l’année suivante, sera évidemment d’une grande importance
pour l’avenir 148.
La mise en valeur progresse alors rapidement. Au début du XVIIIe siècle
Le Cap peut ravitailler en céréales Batavia frappée par une faible
production des rizières de l’île, dévastées durant les guerres de succession
et la désintégration du sultanat de Mataran. À partir de 1750, tous les
établissements hollandais d’Asie reçoivent du blé du Cap, et, à partir de
1767, les Provinces-Unies elles-mêmes, malgré la distance. D’autres
cultures se développent. Celle de la vigne est introduite dès 1652. Simon
van der Steel créé le célèbre vignoble de Constantia, et plusieurs huguenots
français sont recrutés pour leur expérience dans la taille et la vinification.
La production de vin augmente rapidement et permet le ravitaillement des
vaisseaux, malgré une qualité médiocre, comme l’observe l’astronome
français La Caille lors de son séjour au Cap en 1750. L’élevage se
développe aussi, il demande peu de main d’œuvre et de grandes étendues de
pâturages sont disponibles, malgré le peu d’humidité. Le nombre de bêtes
par troupeau est considérable ; au cours de son voyage, Thunberg rencontre
un éleveur qui possède 3 000 bovins et 12 000 moutons 149. Selon le
recensement de 1780, il y aurait à cette date 1 250 000 têtes de moutons
dans la colonie. L’essor de l’élevage s’accompagne d’un mouvement de
colonisation en direction du nord et de l’est, les colons s’emparent des
meilleures terres des Hottentots à partir des années 1730 et parviennent
même dans les années 1770 jusqu’au pays Bantou.
Le développement de la colonie est soumis aux nombreuses restrictions
émises par les directeurs de la V.O.C. Les activités commerciales des
habitants du Cap sont étroitement surveillées, les Heeren XVII voulant
éviter — sans y parvenir totalement — que les vaisseaux de la Compagnie
ne soient encombrées de pacotilles destinées à des trafics illicites. La
témérité des marins ne cesse d’augmenter malgré la menace d’une saisie et
d’une amende. Le prix des produits alimentaires est tarifé, en particulier
pour les achats par les capitaines des navires de la V.O.C., et les agriculteurs
comme les éleveurs ne cessent de regretter la faiblesse des prix. Ils se
rattrapent sur les ventes aux étrangers dont les prix sont libres. Le nombre
des bâtiments britanniques ou français qui relâchent dans la colonie ne
cesse d’augmenter au cours du XVIIIe siècle faisant la fortune des
habitants. Une voyageuse anglaise, madame Kindersley, lors de son passage
au Cap en 1765 rapporte : « Il n’y a rien de plus agréable pour les habitants
de cette colonie, écrit-elle, que l’annonce de l’arrivée d’un navire
britannique, car il amène de l’argent, et en vérité ce sont les Britanniques
qui font vivre les habitants de la ville, non seulement parce que les
capitaines, les officiers et les passagers prennent pension chez eux, mais
aussi parce qu’ils fournissent des provisions pour les vaisseaux. Beaucoup
de bâtiments français aussi s’arrêtent ici, ainsi que tous les Hollandais allant
en Inde et en revenant ; toutefois ces derniers achètent les provisions à un
prix fixé à l’avance par leur Compagnie, et ni les Hollandais, ni les Français
ne dépensent leur argent aussi largement que les Anglais, et ne sont donc
attendus avec autant d’impatience. Le coût habituel est d’une piastre par
personne nourrie et logée et pour ce prix on dispose de tout : les tables sont
bien garnies, les maisons sont propres, les habitants accueillants, et, ce qui
rend le séjour particulièrement agréable, la plupart d’entre eux parlent
l’anglais. Le français aussi est parlé par beaucoup, si bien que les étrangers
se trouvent chez eux dans ce port, et bien plus que l’on ne pourrait le
penser » 150. Quelques années plus tard, en 1768, Stavorinus fait la même
observation : « les étrangers, dit-il, dépensent sans compter leur argent, et
ils en couvrent les dames » 151. Pour tous ces marins et voyageurs, Le Cap
c’est la « taverne des deux mers » !

LES MASCAREIGNES FRANÇAISES

L’archipel des Mascareignes, à 800 km à l’est de Madagascar, comprend


deux îles principales, Bourbon (La Réunion) et l’île de France (Maurice).
Elles sont de petite taille (2 512 et 1 014 km2), mais très bien situées, à la
rencontre des grands vents d’ouest et de la mousson.
Après avoir renoncé à créer un établissement à Madagascar, en raison de
l’hostilité des populations locales, les Français s’installent à l’île Bourbon
en 1666, occupée théoriquement depuis 1642, mais demeurée déserte. La
population (dont les recensements régulièrement organisés permettent de
connaître le nombre), augmente lentement : 269 personnes en 1686, 488 en
1697, 894 en 1709, 1 171 en 1713. La production agricole s’accroît
parallèlement et à partir de la fin du XVIIe siècle l’île peut assurer le
ravitaillement des bâtiments de passage. Comme au Cap, l’offre dépasse
vite la demande ; au début du XVIIIe siècle, la direction générale cherche
une solution pour créer à la fois des revenus aux colons et à la Compagnie,
tout en poursuivant le défrichement. Elle choisit d’introduire la culture du
café, produit de luxe, dont la consommation augmentait rapidement en
France et qui jusqu’alors provenait uniquement de la péninsule arabique. En
1720, il fut ordonné à chaque habitant de cultiver au moins dix pieds de
caféier par tête d’esclave, la Compagnie s’engageant à faire l’avance de
fonds tant pour l’achat des graines et des outils que pour celui des esclaves,
et à payer 10 sols chaque livre de café, prix fixé à la livraison en magasin
avant le transport en France. En contrepartie, la Compagnie se réservait le
monopole des marchandises étrangères à Bourbon, qu’elle revendait aux
habitants avec un bénéfice de 100 % sur le prix de facture pour les articles
d’Europe, et 50 % pour ceux en provenance de l’Asie.
Le développement de la culture du café favorise un nouvel essor de
l’économie de l’île, une augmentation du nombre des plantations et des
habitants. On compte 6 000 personnes en 1731, 9 000 en 1735, 11 500 en
1740, 17 000 en 1754, avec environ 80 % d’esclaves, venus surtout de
Madagascar.
Distante d’environ cinquante lieues (180 km) de l’île Bourbon, l’île de
France est d’abord occupée par les Hollandais, qui la baptisent du nom de
Maurice en l’honneur de Maurice de Nassau. Ils l’abandonnent en 1710,
l’estimant coûteuse et d’une utilité médiocre. Les directeurs de la
Compagnie française en apprenant cette décision décidèrent de la faire
occuper pour disposer d’une rade bien abritée — ce dont ils manquaient à
Bourbon. Un poste militaire fut installé pour assurer la prise de possession
et éventuellement porter secours aux navires désemparés. Il faudra attendre
1735, et une série de catastrophes — des navires jetés sur la côte de
Bourbon, après avoir été surpris par un cyclone —, pour que la direction
générale engage des crédits pour un aménagement. Il fut confié à un marin
énergique, La Bourdonnais, qui en cinq ans édifia une nouvelle escale sur le
rivage de la rade du nord-ouest, avec un arsenal qu’il nomma le Port-Louis.
La fonction de ravitaillement assurée par Bourbon fut complétée par une
activité d’entretien et de réparation des bâtiments.
Pour le ravitaillement en blé, riz et viande, ainsi que pour la défense
contre une éventuelle attaque ennemie, La Bourdonnais développe des
exploitations agricoles : 61 en 1736, 112 en 1740, 265 en 1764. La
population augmente parallèlement, le pourcentage d’esclaves est supérieur
à celui de Bourbon, dépassant toujours 80 % : (1 145 personnes en 1736, à
3 350 en 1740, puis 17 500 en 1764.)
Les Mascareignes peuvent rendre de grands services aux bâtiments qui y
font relâche à l’aller comme au retour. Les Français disposent désormais
d’une base navale dans l’océan Indien qui peut leur rendre des services
analogues à ceux dont jouissent les Britanniques à Calcutta et les
Hollandais à Batavia. Toutefois cette organisation donne rapidement des
signes de faiblesse, à la fois sur le plan économique et social : la diminution
de la rentabilité de la production du café de Bourbon, vivement concurrencé
en métropole par celui des Antilles, oblige la Compagnie à baisser son prix
d’achat, entraînant un appauvrissement de toute la population insulaire.
Pour pallier cette difficulté, La Bourdonnais aurait voulu transformer l’île
de France en un vaste entrepôt commercial, centre d’échange entre les
produits de l’Europe et de l’Asie, à l’instar de Batavia. Selon lui, un tel
entrepôt aurait permis une forte réduction des dépenses des vaisseaux venus
d’Europe, la durée de navigation pouvant passer des dix-sept à dix-huit
mois habituels à neuf ou dix ; et des petits bâtiments, armés en Inde, montés
par des matelots recrutés sur place, d’entretien moins coûteux que celui des
Européens, pourraient suffire pour la navigation entre l’Asie et les
Mascareignes. Ce projet fut repoussé par les directeurs de la Compagnie :
« Tout mûrement considéré, écrivirent-ils, la Compagnie ne pensera jamais
à former un entrepôt à l’île de France » 152, la réalisation nécessiterait des
travaux importants, donc des frais élevés ; elle imposerait l’installation
d’une forte garnison, nouvelle source de dépenses ; et surtout les bâtiments
français n’apparaîtraient plus sur les littoraux de l’Asie, ce qui pourrait faire
douter de la puissance de la nation. Il faudra attendre les années 1770 pour
que le Port-Louis de l’île de France commence à jouer ce rôle de centre de
redistribution envisagé par La Bourdonnais quarante ans plus tôt.
Sainte-Hélène enfin, escale de l’East India C° depuis 1659, dispose de
l’excellent abri naturel de Jamestown. L’île, bien que de faible superficie
(125 km2 dont un tiers cultivable) offre les ressources agricoles nécessaires
pour le ravitaillent des équipages des vaisseaux.

RECHERCHE D’AUTRES ESCALES

Ces escales indispensables sont très insuffisantes, comme l’observe en


1720 le commissaire de la Marine chargé des liaisons avec la Compagnie
française : « Il paraît toujours que les équipages sont fort maltraitez par la
longueur de la traversée, en ce que, manquant de raffraichissemens, faute de
relasche dans les endroits où ils en pourroient trouver, la plupart
périssent » 153. Tout au long du XVIIIe siècle les Compagnies recherchent
de nouvelles escales, d’abord dans l’océan Indien. Les Britanniques
s’installent en 1695 dans l’île de Poulo Condor, au débouché des détroits,
sur la route vers Canton, espérant développer l’agriculture et profiter d’un
abri naturel pour créer un port de commerce pouvant accueillir des jonques
chinoises. Ils échouent totalement et abandonnent l’île en 1706, les
médiocres ressources en eau offertes par l’île ne permettant pas la mise en
culture ; par ailleurs, les marchandises chinoises sont de qualité médiocre,
d’un prix élevé. En 1720, les Français firent le même constat négatif et se
retirèrent dès 1721. Les Hollandais, après avoir renoncé à leurs installations
permanentes de l’île Maurice et de Sainte-Hélène, se ravisèrent et tentèrent
vainement de revenir. Les Ostendais envisagèrent de s’établir au Fort-
Dauphin de Madagascar, abandonné par les Français, puis s’installèrent
temporairement sur l’île Maurice après le départ des Hollandais.
Dans l’Atlantique sud, les Impériaux tentent de s’établir à Fernando de
Noronha, au large du Brésil. Ils sont suivis, entre 1734 et 1737, par des
Français, vite expulsés par les Portugais. Les directeurs de la Compagnie
française des Indes envisagent également de faire une installation à Martin
Vaz, îlot situé à mi-chemin entre Sainte-Hélène et la côte de l’Amérique du
sud, puis à Ascension, et enfin à l’île Panedo ou rocher de Saint-Pierre au
large de la Guyane. Des campagnes d’exploration, méticuleusement
conduites, montrèrent l’impossibilité de poursuivre ces projets.

DIMINUTION DE LA MORTALITÉ

Malgré l’absence de nouvelles escales, le pourcentage de la mortalité


parmi les marins embarqués sur les navires des Compagnies des Indes
diminue à partir du milieu du XVIIIe siècle 154.
L’amélioration de la formation donnée aux chirurgiens navigants fournit
une première explication. C’est une formation pratique. Il y a loin en effet
entre la pratique quotidienne au chevet du malade et la recherche médicale.
Lorsqu’en 1736, les Heeren XVII, inquiets de la forte mortalité à bord des
navires de la V.O.C. sollicitent une consultation (qu’ils paient fort cher), de
Herman Boerhave, fameux professeur de médecine de l’Université de
Leide, ils sont déçus des conclusions car le seul remède proposé est de
veiller à la bonne aération de l’entrepont 155. Depuis la fin du XVIIe siècle,
dans toutes les Compagnies des Indes, un chirurgien au moins est embarqué
sur chaque vaisseau armé, après avoir servi dans les hôpitaux de la Marine
où ils reçoivent une première formation. Ces chirurgiens, de bonne qualité,
sont payés comme les officiers.
La principale explication de la diminution de la mortalité reste
l’amélioration de la ration alimentaire et l’introduction d’aliments
antiscorbutiques. L’effet bénéfique du jus de citron doit être pris en compte.
Cet effet pourtant était connu depuis longtemps : le britannique James
Lancaster l’utilisait déjà lors de son voyage en Asie à la fin du XVIe siècle,
et en 1612 les directeurs de l’East India C° rappellaient à leurs capitaines
que le citron est un « remède précieux et bien adapté » 156pour lutter contre
le scorbut. Chez les Français, le médecin Dellon, dans son Traité des
maladies particulières aux pays orientaux et dans la route et de leurs
remèdes, préconise, pour lutter contre le scorbut, la consommation de jus de
citron et des ablutions fréquentes ; en 1658, Flacourt, l’historien de
Madagascar, conseille de « se frotter les gencives de jus de citron et de
vinaigre […], mais le jus de citron est meilleur » ; en 1726 encore, Luillier
assure : « Les particuliers doivent, s’il leur est possible, faire provision de
jus de citron […], s’abstenir, autant que faire se pourra, d’aliments, s’ils ne
sont pas frais […], se laver très souvent la bouche et le corps pour en ôter
l’ordure » 157. Citons encore l’incident survenu en 1715 à bord du Saint-
Mathieu, bâtiment armé à Ostende, venant de Surate. Il fit escale à Sainte-
Hélène où le capitaine demanda seulement des citrons pour pouvoir soigner
les nombreux malades ; les Britanniques ayant refusé, le Saint-Mathieu
gagna le plus rapidement possible Pernambuc pour se procurer les précieux
fruits et selon le journal de bord, « en quatre jours de temps les malades du
vaisseau, presque désespérés, ne pouvant remuer ni pieds, ni mains, ont été
parfaitement rétablis par l’usage des citrons et autres légumes » 158.
Dans les années 1740, la lutte contre le scorbut prend un caractère
scientifique avec les travaux de James Lind, qui traite simultanément des
malades avec du jus de citron, du vinaigre, du cidre, de l’eau de mer et
prouve que seul le premier de ces remèdes est efficace. Ces travaux sont
vulgarisés par divers auteurs, dont Duhamel du Monceau en France, avec
son Moyens de conserver la santé des équipages, publié en 1758. Après
avoir insisté sur la nécessité d’une bonne hygiène à bord, il recommande la
consommation de jus de citron, dont il indique une méthode de
conservation, ainsi que de légumes frais, de la choucroute, des haricots
verts, des artichauts et de l’oseille. La diffusion de ces ouvrages est rapide
comme en témoigne une lettre adressée en 1759 par le gouverneur des
Mascareignes aux directeurs de la Compagnie française : « J’ai trouvé,
écrit-il, [votre] première lettre accompagnée de deux livres qui traitent du
scorbut et des remèdes qui y sont propres. Je vais faire en conséquence telle
provision de citrons qui seront partagés sur les navires […] Je ne suis pas
mal sur l’article des légumes » 159. Citons encore une délibération de la
chambre de Zélande en 1790, qui ordonne de faire embarquer
soigneusement du jus de citron, du gingembre, des amandes, du raisin sec,
de la graine de moutarde et de la choucroute, à bord des vaisseaux dont elle
doit assurer l’avitaillement.
En trois siècles les voyages entre l’Asie et l’Europe font ainsi de grands
progrès en régularité, en sécurité et, tout particulièrement, en ce qui
concerne la santé à bord et la lutte contre la trop forte mortalité.
III

DU COMMERCE À LA DOMINATION
COLONIALE
VIII
LE COMMERCE

La recherche du profit est évidemment la préoccupation essentielle des


directeurs de toutes les Compagnies des Indes. « C’est la fiancée autour de
laquelle nous dansons » 160assurent les Heeren XVII.

LES ENVOIS

Dans les envois, les métaux précieux forment la part la plus importante en
valeur, entre 65 % et 90 %. Outre quelques pièces d’or, la majeure partie
des cargaisons — 85 % à 90 % — est en piastres d’argent à la marque
d’Espagne. Au XVIe siècle jusqu’en 1650, ce sont des pièces de huit réaux,
puis des « piastres fortes » dites « à colonnes » ou « aux deux globes »,
d’un poids de 27,088 grammes, contenant 24 grammes d’argent fin. En Asie
ces pièces sont considérées comme une marchandise ; elles sont fondues et
frappées à nouveau avant de pouvoir entrer dans la circulation monétaire ;
dans les escales sur la « route des Indes » elles sont utilisées pour les
paiements. En cas de pénurie de piastres au départ de l’Europe les bâtiments
des Compagnies des Indes peuvent être autorisés à charger des pièces d’or
et d’argent à la marque de leur nation, mais cela reste un expédient et
toujours pour moins du quart de la cargaison de métaux précieux.
Les quantités d’argent envoyées en Asie sont considérables, et leur
importance ne cesse d’augmenter, selon les informations fragmentaires dont
nous pouvons disposer 161.
Cette exportation massive d’argent donne lieu à de constantes critiques
contre le commerce des Européens en Asie. On se limitera à quelques
exemples. Le voyageur italien Gemelli Carreri, dans son récit publié en
1695, à son retour de l’Inde, crée l’expression de « tombeau de
l’argent » 162, reprise et vulgarisée quelques années après par l’un des
directeurs de la Compagnie britannique, Sir John Wolstenholme 163. En
1791, cette idée est reprise par A. Arnould : « Peut-on concevoir, écrit-il
dans sa Balance du commerce, rien de plus monstrueux que le parallèle à
faire entre l’écoulement d’un milliard dans le gouffre d’Asie et le chétif
résultat d’un débouché de quelques centaines de mille livres qu’obtiennent
aujourd’hui les produits de notre sol et de notre industrie » 164.
Il paraît surprenant que les contemporains ne se soient pas davantage
intéressés à l’origine de ces cargaisons de métaux précieux. Cependant dès
1621, Thomas Mun, l’un des directeurs de l’East India C°, assure dans son
Discourse of trade 165, qu’on ne peut séparer l’exportation des métaux
précieux de l’ensemble du mouvement du commerce d’échange, mais cette
idée n’est pas reprise ultérieurement. Tout cet argent provient en effet des
produits de l’agriculture de l’Europe, vin, blé, farine ; de ceux des
manufactures, en particulier des toiles, et encore des marchandises de
l’Asie, surtout des cotonnades. Transportés et vendus en Amérique, les
produits reviennent en Europe sous forme de piastres.
C’est-à-dire que les Compagnies des Indes doivent se brancher sur la
route des retours de l’Amérique vers l’Europe. Comment le font-elles ?
D’abord en ayant des correspondants à Cadix, point d’arrivée des navires
espagnols venant des Indes occidentales et escale sur la route vers les Indes
orientales. La colonie des marchands étrangers établis sur cette place fournit
l’essentiel des produits envoyés en Amérique, et reçoit en échange de
grandes quantité de piastres. Toutefois, la relâche dans ce port peut faire
manquer une expédition, il n’est pas rare que l’autorisation de charger d’un
coup 200 000 à 300 000 piastres se fasse attendre, aussi les Compagnies
utilisent-elles souvent des voies plus rapides, quoique moins directes. La
plus fréquentée semble bien être la place d’Amsterdam, où les piastres ne
manquent jamais en raison des rapports incessants avec Cadix et de la
contrebande active entretenue avec l’Amérique espagnole par le relais des
îles de Curaçao et de Saint-Eustache. Amsterdam entretient aussi des liens
étroits avec Londres — place particulièrement bien ravitaillée en période de
guerre grâce aux corsaires —, et avec les ports français de Saint-Malo (où
les Britanniques se procurent des piastres au XVIIe siècle) et de Bayonne,
toujours bien approvisionnés en raison du trafic actif avec les ports de
l’Andalousie et de la contrebande à travers les Pyrénées. Il existe également
de multiples filières privées, toujours vaguement clandestines, sur
lesquelles les informateurs sont volontairement discrets et dont il est
difficile de mesurer l’importance. Lors du retour à Saint-Malo en 1749 d’un
bâtiment venant de Callao (port de Lima au Pérou) avec une cargaison
estimée à trois millions de livres, le commissaire de la marine établi dans ce
port breton n’hésite pas à écrire au ministre : « Monseigneur n’ignore pas
l’intérêt qu’a le commerce à dissimuler des retours qui ne consistent qu’en
matières d’or et d’argent » 166 !
Parvenues en Asie, les piastres sont parfois vendues à des changeurs
locaux, selon les conditions d’un contrat passé à l’avance, mais plus
généralement elles sont portées dans des ateliers monétaires officiels, ou, à
partir de la fin du XVIIe siècle, dans les ateliers aménagés dans quelques
comptoirs, Britanniques, Français et Hollandais. Les premiers à obtenir du
Mogol l’autorisation de frapper des roupies, principale monnaie de l’Inde,
sont les Britanniques de Madras, en 1692. « Nous épargnons ainsi les droits
de monnayage [dans les ateliers impériaux] qui sont très élevés, écrit alors
le président du conseil de ce comptoir aux directeurs, et nous évitons les
aléas de la confiscation ou du refus de monnayage que nous avons connu
autrefois » 167. Les Français de Pondichéry obtiennent la même facilité en
1736, le gouverneur en attend une économie de 5 % sur le monnayage. Il
s’y ajoute la taxe perçue sur les cargaisons amenées par les Européens qui
ne bénéficient pas de la même facilité comme les Portugais et les Danois et
font frapper dans le comptoir les monnaies qui leur sont nécessaires. Toutes
ces monnaies, en particulier les roupies d’argent, les plus nombreuses, du
même type que celles du Mogol, peuvent circuler dans tout l’empire. Cet
apport massif et régulier d’argent est un élément favorable au bon
développement économique.
Les Compagnies utilisent aussi pour faire leurs achats en Asie les fonds
accumulés par les Européens, lorsque ceux-ci veulent rentrer en Europe.
Dans la Compagnie française le capital est restitué au bout de deux ans avec
un intérêt de 30 % ; en cas de perte ou de prise du bâtiment, seul le capital
est restitué. Les actionnaires de la Compagnie britannique et les directeurs
de la Compagnie hollandaise s’inquiètent fréquemment de cette pratique,
estimant — souvent à juste titre — que ces fortunes sont acquises à leur
détriment, cependant ils préfèrent tolérer les transferts de fonds pour éviter
que leurs propres employés ne s’adressent aux Compagnies rivales.
Les marchandises de fabrication européenne entrent pour une part
médiocre dans la valeur des cargaisons d’envoi. On trouve tout d’abord des
produits destinés à satisfaire les besoins des Européens installés en Asie, en
particulier du vin. Le marché est dominé par les Français et le Bordeaux,
transporté en bouteilles, est le cru le plus recherché avec les eaux de vie
d’Armagnac et du pays charentais. Pondichéry demande chaque année
10 000 bouteilles de Bordeaux et 20 000 litres d’eau de vie ; Chandernagor,
autant de Bordeaux et 30 000 litres d’eau de vie. On trouve également des
vins français sur les bâtiments des autres nations, par exemple du Bordeaux
sur l’Amsterdam, armé par la V.O.C., naufragé sur la côte britannique en
1749, peu de temps après son appareillage 168. Les effets de marine, pièces
de mâture, ancres, toiles à voile, câbles et cordages, tiennent une assez
grande place dans les cargaisons.
Les métaux courants et les étoffes de laine vendus aux populations locales
ont une certaine importance commerciale. Les métaux ont l’avantage de
pouvoir servir de lest. Il s’agit de fers plats ou en lingots, de plomb (utilisé
pour la fabrication des balles d’armes à feu et pour garnir intérieurement les
caisses de thé ou de soieries fines), d’étain (mais celui de Cornouailles
amené par les Anglais est peu apprécié, il est plus difficile à travailler que
celui de Malaisie, dont les Hollandais se réservent le trafic) et du cuivre de
Suède. On trouve aussi du mercure et du corail, mais les Compagnies
renoncent à en transporter dès la fin du XVIIe siècle, l’abandonnant au port-
permis de leurs employés.
Pour les lainages, il s’agit essentiellement d’étoffes légères, camelots,
étamines, perpétuanes et sempiternes ; les Européens se donnent beaucoup
de mal pour les écouler en Asie, de manière à diminuer les envois de
métaux précieux. Chez les Britanniques, les manufacturiers du textile, bien
représentés au Parlement, exercent une pression constante sur les directeurs
de l’East India C°. En 1693, ceux-ci sont obligés de s’engager à exporter
chaque année pour 150 000 livres sterling de marchandises « d’origine et de
fabrication anglaise » ; en 1698, un amendement, introduit lors du
renouvellement de la charte, prévoit que le neuvième de la valeur des
cargaisons d’envoi devra être en marchandises de fabrication britannique,
disposition qui sera maintenue tout au long du XVIIIe siècle. C’est un souci
constant pour les directeurs d’obéir à cette disposition ; à défaut, il faudrait
réduire les envois de métaux précieux et donc le chiffre d’affaires. En Inde,
toutes les solutions sont envisagées pour maintenir ou développer
l’écoulement des marchandises anglaises ; les Britanniques tentent d’abord
de baisser les prix pour rendre leurs produits plus attractifs, en vain ; ils
cherchent alors à obtenir le monopole de la fourniture des couvertures et
des vêtements pour l’armée du Mogol, avec un certain succès, mais le
renouvellement des couvertures, utilisées surtout dans la cavalerie, est assez
lent. En 1717, la direction générale va jusqu’à demander que les marchands
hindous se présentent devant les conseils locaux vêtus de lainages
anglais 169 ; le président du conseil de Calcutta se contente de répondre qu’il
lui paraît difficile de modifier les habitudes vestimentaires ancestrales des
Hindous. L’East India C° tente par ailleurs de pénétrer le marché persan,
mais elle se heurte à la fois à la Compagnie du Levant (dont elle est proche)
et au quasi monopole des Arméniens.
Les employés de la Compagnie se plaignent de la vive concurrence des
Français. En 1737, ils annoncent à Londres que les marchands de Surate
refusent de leur acheter des lainages, au prétexte que ceux des Français sont
moins chers et plus appréciés pour leur texture et pour leur couleur. Que
penser de cette rivalité commerciale ? En moyenne, au XVIIIe siècle, les
Anglais vendent à peu près 5 000 pièces de laine par an en Inde, dont 60 à
80 % à Surate, et 2 000 pièces en Perse ; dans le même temps, les Français
en écoulent à peu près 3 000 en Inde seulement.
Ces chiffres sont très faibles. L’explication généralement avancée est que
rien de ce qui est proposé ne correspond aux besoins des acheteurs de l’Asie
— le climat chaud en particulier expliquerait le manque d’intérêt pour les
lainages. Comment expliquer alors le succès de ces mêmes lainages en
Amérique centrale ? L’explication la plus plausible, proposée par David
Ricardo 170est le prix élevé demandé pour les marchandises européennes ;
cette explication est bien claire car il est certain que le niveau de vie des
habitants de l’Europe est plus élevé que celui des habitants de l’Asie.
Ricardo ajoute que les marchés orientaux, mieux approvisionnés que ceux
de l’Europe, ont toujours un large surplus, ce qui favorise des prix bas.

LES RETOURS

Les épices
Le poivre, la cannelle, le clou de girofle, la muscade et le macis sont la
part la plus importante et la plus précieuse des cargaisons de retour jusqu’au
milieu du XVIIe siècle. Au XVIe siècle, Don Manuel avait fondé l’empire
colonial portugais d’Asie sur le monopole du commerce des épices et au
début du XVIIe siècle cette même politique est reprise par les Hollandais.
L’un des motifs de la création de la V.O.C. est la volonté de contrôler les
quantités et les prix des épices vendues en Europe, afin que ce trafic
demeure rentable. Dans ce but, les Hollandais s’emparent de la totalité de la
production du clou de girofle à Amboine, Ternate et Macassar, par contrat
avec les souverains locaux entre 1605 et 1609 d’abord, puis par conquête à
partir de 1669. Ils font de même pour la noix muscade et le macis aux îles
Banda, la cannelle à Ceylan (conquête entre 1638 et 1658), enfin le poivre,
à Sumatra et sur la côte Malabār, dont ils deviennent les principaux
importateurs en Europe. Ils ne parviennent pas toutefois à écarter les
Britanniques qui conservent jusqu’en 1682 après le « massacre
d’Amboine » une factorerie à Bantam, transférée ensuite à Bencoolen. En
1622 les directeurs de la V.O.C. estiment les importations de poivre en
Europe à 7 millions de livres, dont 1,4 par les Portugais, 1,6 par les Anglais,
et le reste, soit 4 millions, par eux-mêmes. Dans les années 1648-1650 le
poivre représente 50,3 % des ventes de la Compagnie britannique, c’est le
produit le plus rentable.
À partir du milieu du XVIIe siècle la demande d’épices par les Européens
stagne, et le marché se stabilise. Les Hollandais conservent le monopole de
la fourniture du clou de girofle, de la noix muscade et du macis, ainsi que
de la cannelle, dont ils réussissent à maintenir le cours au même prix entre
1680 à 1740. Au besoin ils procèdent à la destruction des excédents — en
1735, 1 250 000 livres de noix muscade sont brûlées sur le quai de Batavia.
Grâce au monopole, les profits demeurent élevés : les épices entrent pour
3 % en moyenne dans la valeur des cargaisons de retour, mais elles donnent
20 à 24 % du produit des ventes. C’est un élément de force pour la V.O.C. :
« Nous avons les épices des Moluques, mais ils [les autres Européens] ne
les ont pas », constatent les directeurs en 1682 171.
Pour le poivre, il n’y a pas de monopole. Cependant les Hollandais
demeurent les principaux importateurs avant les Britanniques. Dans le
seconde moitié du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle, ces derniers
amènent chaque année deux millions et demi de livres de poivre en Europe,
dont un million et demi de la côte Malabār (ils possèdent le comptoir de
Tellichery), et le reste de Sumatra. Les Français occupent le troisième rang,
avec 600 000 livres environ de poivre embarqué chaque année de Mahé,
factorerie située sur la côte Malabār, acquise en 1721.
Les rivalités commerciales, les grandes quantités disponibles sur le
marché, alors que la demande est stable, entraînent une diminution des prix
si forte que les Britanniques envisagent, au milieu du XVIIIe siècle, de
fermer leur comptoir de Tellichery sur lequel ils ont une perte de
90 000 livres en dix ans (la factorerie de Bencoolen a un déficit de
32 000 livres au même moment). Ils y renoncent finalement estimant que le
poivre fournit un lest commode, et que ce serait laisser le champ libre aux
Français ! La perte sur le poivre, est compensée largement par le profit sur
les autres marchandises, en particulier sur les cotonnades.
Les textiles
En Europe, le développement de l’usage des cotonnades de l’Inde marque
un changement considérable dans le mode de vie, changement analogue à
celui de l’augmentation de la consommation du tabac, du sucre, du café, du
thé… ou de la circulation de l’argent provenant d’Amérique. Les
cotonnades sont utilisées d’abord dans les maisons, comme élément du
mobilier et du décor : on en recouvre les sièges, on en fait des rideaux, on
les porte comme vêtement. Ce sont des étoffes peu coûteuses, faciles à
laver, conservant leurs couleurs après lavages, confortables comme sous-
vêtements. Elles permettent aux plus riches de varier leurs tenues suivant
les saisons, et d’en changer fréquemment, donnant ainsi naissance à une
mode.
Les Britanniques sont les premiers, parmi les Européens, à connaître un
engouement pour les « indiennes ». Ils chargent leurs premières pièces en
1609, puis, en raison du succès, en importent 100 000 pièces en 1620 172et
jusqu’à un million de pièces en 1684 (73 % des marchandises apportées
d’Asie par la Compagnie). L’usage des cotonnades devient universel : « En
moins de vingt ans, écrit J. Cary en 1699, nous avons vu les cotonnades
devenir le principal ornement de nos plus aimables mignons, alors que ces
étoffes étaient presque inconnues auparavant […] Tous, depuis le petit
maître le plus apprêté jusqu’à la cuisinière la plus vulgaire, pensent qu’ils
ne peuvent s’en passer » 173. Tous les habitants de l’Europe, à commencer
par ceux des Provinces-Unies et de la France, suivent le mouvement.
En Inde, les cotonnades sont produites surtout dans trois régions : le
Goudjerat et le Pendjab, au nord-ouest du pays, la côte de Coromandel, le
Bengale. Chacune a des fabrications différentes, et, selon l’évolution du
goût des Européens, les acheteurs se tournent vers l’un ou l’autre de ces
marchés. Dans la première moitié du XVIIe siècle, ils chargent surtout des
toiles du Goudjerat et du Pendjab, exportées par Surate. Après 1650, ils
recherchent en priorité celles du Coromandel ; puis, après 1690, celles du
Bengale. Cette province devient alors, au début du XVIIIe siècle, la
première région commerciale d’Asie pour le trafic avec les Européens : en
1710, Surate fournit 25 % des cotonnades importées par les Britanniques
vers Europe ; Madras, 28 % ; Calcutta, 47 %. Cet accroissement de la
demande a des répercussions sur le niveau de vie des tisserands et des
nombreux autres artisans comme les fileurs, les apprêteurs, les
blanchisseurs et les emballeurs.
En Europe, le développement de l’usage des cotonnades met en danger les
manufactures d’étoffes de laine et surtout de lin. Les cotonnades sont
proposées à un prix plus faible que celui des toiles de lin ; elles sont plus
agréables à porter et d’un entretien plus facile. Les tisserands français sont
les premiers à s’inquiéter de cette concurrence, et en 1686, sur un rapport de
Louvois, un édit réglemente le commerce des indiennes dans le royaume. Il
distingue deux catégories d’étoffes : 1. les toiles blanches, dont la vente est
libre, sous réserve qu’elles portent aux deux extrémités la marque de
l’importation par la Compagnie française, seule autorisée à introduire ces
marchandises dans le royaume ; 2. les toiles « peintes et teintes », dont la
vente est interdite, mais dont l’acquisition reste possible dans les ventes aux
enchères de la Compagnie, sous réserve de signer un engagement de
rapporter dans un délai de six mois la preuve de leur envoi à l’étranger. Il
faut rappeler à ce propos que les cotonnades teintes en bleu, à l’indigo,
occupent une place importante dans les cargaisons de la traite négrière, car
elles sont très demandées en Afrique. D’autres toiles « peintes ou teintes »
sont expédiées vers d’autres pays d’Europe, surtout vers ceux qui n’ont pas
de Compagnies des Indes, ou bien vers les colonies, en particulier
l’Amérique espagnole.
En Grande-Bretagne, en 1685, une taxe de 10 % ad valorem est fixée sur
la vente des indiennes ; présentée officiellement comme un moyen de
financer les opérations militaires de Jacques III contre le duc de Monmouth,
cette mesure a un caractère nettement protectionniste. Elle est jugée
insuffisante par les manufacturiers, et un grand débat public s’engage,
ponctué par de violentes émeutes d’ouvriers (ainsi à Londres en 1697), qui
se termine par l’adoption d’une réglementation semblable à celle de la
France pour les toiles « peintes et teintes ». Dans le même temps la taxe est
ramenée à 2,5 %, de manière à pouvoir faciliter la vente à l’étranger.
Comme en France encore, les toiles blanches peuvent entrer librement dans
le pays ; elles sont souvent imprimées dans des manufactures avec des
motifs ronds, ovales ou rayés, le plus souvent d’une seule couleur dont
l’aspect, il faut l’avouer, est bien différent des feuillages gracieux et des
oiseaux au plumage multicolore des productions orientales.
En Angleterre, comme en France, l’interdiction du commerce des toiles
peintes et teintes est encore renforcée dans la première moitié du
XVIIIe siècle. Mais en vain, la contrebande reste considérable. Les
acheteurs, aux ventes de Lorient et de Londres, présentent de faux
certificats, ou bien se procurent des étoffes de « pacotille » auprès des
marins. Et surtout, les Provinces-Unies et les autres puissances
continentales qui ont des Compagnies des Indes n’adoptent pas une
législation aussi contraignante, et les indiennes pénètrent par toutes les
frontières. Les documents des lieutenants généraux de police de Paris
chargés de faire appliquer la mesure d’interdiction parmi les habitants de la
ville, témoignent du grand nombre de contraventions 174. Ceux qui
devraient sanctionner les contrevenants, sont les premiers à transgresser
l’interdiction. En 1736, la femme d’un conseiller au Parlement de Rennes
est surprise « À onze heures du matin sur les lices, habillée en
indienne » 175, en 1752 un marchand de Caen note sur son livre de
comptes : « Un ballot […] venant de Lorient, adressé à Mgr de La
Bourdonnaye [intendant à Rouen], contenant damas des Indes […] et
indiennes, fut arrêté et confisqué, le tout pure perte 12 000 livres » 176.
Dans la première moitié du XVIIIe siècle, la réglementation douanière,
quoique tempérée par la fraude, explique la relative stabilité du marché. Les
Britanniques demeurent les premiers importateurs, avec 350 000 pièces par
an, suivis des Hollandais, avec environ 300 000 pièces et des Français, avec
250 000 pièces. Chez ces derniers, comme chez les Anglais, les toiles
blanches entrent pour les trois quarts dans la composition des cargaisons.
On apporte également des fils de coton, mais en assez faible quantité, à
peu près 5 000 livres en poids pour chaque nation, utilisés presque
exclusivement pour la fabrication des futaines. Avant le milieu du
XVIIIe siècle les Occidentaux n’envisagent pas de créer des manufactures
de cotonnades malgré leur savoir-faire, leurs capitaux et les projets qui ne
manquent pas. Mais avant tout, les directeurs des Compagnies des Indes,
qui apprécient la forte différence des prix entre l’Inde et l’Europe,
souhaitent pouvoir conserver le monopole de l’importation.
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la situation change totalement,
lorsque des manufactures de cotonnades sont installées en Europe. En 1759,
la réglementation interdisant l’entrée des toiles peintes et teintes est
supprimée en France. Et à la fin du siècle, l’Inde commence à acheter des
cotonnades en Europe. En effet — dans un premier temps du moins —
l’Inde est incapable de relever le défi de la « révolution industrielle » ; les
Hindous ne possèdent pas les connaissances techniques nécessaires et l’idée
même de productivité leur est tout à fait étrangère. Dans la fabrication des
« toiles peintes » surtout, qui font l’admiration des Européens, ils sont
arrivés à une telle perfection que les artisans peuvent difficilement changer
leurs méthodes de travail.
Pour la soie et les soieries, l’organisation du marché est différente. Les
régions méridionales de l’Europe, en particulier la Lombardie, la Provence
et le Languedoc, produisent de la soie, et la plupart des grandes puissances,
y compris dans la partie septentrionale du continent, disposent d’une
activité artisanale développée de fabrication de soieries. Dès le XVIe siècle,
Britanniques et Hollandais font venir une partie des soies qui leur sont
nécessaires depuis la Perse, par la route du Levant. Les Compagnies des
Indes vont poursuivre ce trafic et l’élargir. À partir des années 1670, elles
achètent de la soie non seulement en Perse, mais aussi au Bengale, et, vers
1730, en Chine. Cependant, en Asie, la technique des fileurs, différente de
celle des Européens, rend le produit difficile à travailler pour ceux qui n’en
ont pas l’habitude ; il est réservé à quelques fabrications particulières et les
quantités demeurent réduites (environ 1 % des importations de la
Compagnie britannique au cours du XVIIIe siècle). En France, les quantités
importées sont encore plus faibles, car le royaume est producteur de soie et
le commerce est strictement réglementé depuis le début du XVIe siècle
— toutes les soies importées de l’étranger doivent obligatoirement passer
par la douane de Lyon.
Pour les soieries, un régime d’interdiction de la vente dans le pays est mis
en place en France et en Angleterre, aux mêmes dates que pour les
indiennes. L’importation des soieries est libre aux Provinces-Unies (bien
que la République ait une activité de fabrication) et dans les pays de
l’Europe du Nord, cependant il y a peu de trafic de contrebande, les
produits européens pouvant rivaliser avec ceux de l’Orient.
Le café et le thé

À partir de la fin du XVIIe siècle deux produits nouveaux, le café et le


thé, apparaissent dans les cargaisons envoyées en Europe suscitant un
engouement comparable à celui des épices et des cotonnades.
Les régions de production du café sont peu nombreuses et de faible
étendue. Les caféiers sont cultivés d’une part dans quelques régions de
l’Éthiopie, difficiles d’accès car éloignées de la mer, d’autre part, et surtout
au Yémen, dans cette contrée nommée « Arabie heureuse » par les Anciens,
c’est-à-dire sur la chaîne de montagnes situées au voisinage de la mer
Rouge. Ici, entre 2 000 et 3 000 mètres d’altitude, le climat plutôt humide,
assez semblable à celui des rivages de la Méditerranée orientale, favorise la
croissance des caféiers ; ils sont cultivés sous d’autres arbres qui les
protègent aux heures les plus chaudes de la journée. Le principal marché est
établi à Beith-el-Fakih, gros bourg commerçant situé au pied de la
montagne, à deux ou trois jours de marche des régions de production. À
partir de Beith-el-Fakih, le café peut aisément être transporté dans les ports
de Moka et Djedda.
Le café est connu des Européens depuis le XVIe siècle au moins. Des
ports du Levant il est amené dans toute l’Europe méditerranéenne ; dès
1592 un médecin de Padoue en publie une étude scientifique sous le titre De
Plantis Exoticis 177. Cependant le prix trop élevé en limite la
consommation. Dans les années 1660, les Britanniques, puis les Hollandais,
et enfin les Français, commencent à transporter de grandes quantités de
cafés et diminuent leurs profits pour rendre le prix accessible. En 1664
l’East India C° met en vente vingt tonnes de moka avec un profit de 6,5
pour 1 ; en 1672, cinquante-six tonnes avec un profit de 1,5 pour 2. Au
début du XVIIIe siècle le café est devenu un produit de consommation
courante : en 1711, les Anglais en importent 250 tonnes ; en 1724, 1 200
tonnes — un record — ; ensuite les quantités transportées annuellement
avoisinent 450 tonnes. Les Français chargent 350 tonnes en 1725 et 500
tonnes en 1730. Cependant, à partir des années 1730, la demande de moka
diminue : en effet les Européens commencent à produire du café dans leurs
colonies (les Hollandais à Java ; les Français à Bourbon et aux Antilles, les
Anglais aux Antilles également). Et en 1735 le moka ne représente plus que
10 % des cargaisons de café transportées par les Hollandais et les Français
(150 tonnes pour cette dernière).
Le développement de la consommation du thé est parallèle à celui du
café, mais il est plus rapide, avec un engouement qui rappelle le succès des
cotonnades. Le thé apparaît dans les cargaisons britanniques et hollandaises
dans les années 1660. À partir de 1678, les directeurs de la Compagnie
britannique décident d’en envoyer de grandes quantités et se donnent
beaucoup de mal pour en répandre l’usage. « Ici la consommation de thé
augmente, écrivent-ils à leurs employés de Madras en 1685. Nous en avons
offert à quelques-uns de nos meilleurs amis à la Cour, et nous souhaitons
recevoir chaque année cinq ou six caisses de la meilleure qualité et du plus
frais ; celui qui donne une belle couleur à l’eau dans laquelle il est infusé,
surtout le thé vert, est le plus recherché » 178. De l’autre côté de la mer du
Nord les directeurs hollandais font de même et s’adressent en particulier au
corps médical. Le fameux docteur Nicolas Tulip, d’Amsterdam,
recommande de boire du thé pour se bien porter ; son confrère Cornelis
Decker, dit Bontekoe, « premier médecin de S.A.E. de Brandebourg »
publie en 1685 un « Traité de l’excellente herbe nommée thé », et conseille
à ses patients de prendre chaque jour cinquante à deux cents tasses de thé
[sic], remède souverain contre tous les maux dont ils pourraient souffrir 179.
À la fin du XVIIe siècle, c’est encore la boisson de l’élite, pour les gens
fortunés qui la dégustent dans des tasses de porcelaine fine, accompagnée
de sucre de canne de la meilleure qualité ; au début du XVIIIe siècle son
usage est devenu courant dans tous les milieux, et on trouve des marchands
de thé dans toutes les villes 180.
Comment les Européens se procurent-ils tout ce thé ? La réponse est
différente selon les Compagnies et selon les périodes. Pour les Britanniques,
jusqu’en 1682, ils le prennent à Bantam où il est apporté par des jonques
chinoises ; la fermeture de leur factorerie à la suite de la conquête du port
par les Hollandais interrompt ce trafic, ce sont désormais des bâtiments
d’Inde en Inde armés par des employés du comptoir de Madras qui vont
chercher directement le thé à Canton. À partir de 1697 la direction générale
de la Compagnie prend en charge ce commerce avec des vaisseaux assurant
des relations directes entre la Grande-Bretagne et la Chine. Le trafic des
Hollandais connaîtra plusieurs modifications : après leur départ de
Formose, en 1662, les Hollandais reçoivent à Batavia du thé amené par des
marchands chinois et ils le chargent sur les bâtiments envoyés en Europe.
Mais en 1718 le trafic est interrompu à la suite d’une initiative du conseil de
Batavia qui diminue unilatéralement le prix d’achat du thé, sous prétexte de
conditionnement médiocre, et surtout pour mieux concurrencer les
Britanniques ; en réplique les marchands armateurs chinois ne se rendent
plus dans le comptoir hollandais, et ces derniers perdent leurs clients
traditionnels. Les directeurs généraux de la V.O.C. envisagèrent d’envoyer
directement des vaisseaux en Chine depuis l’Europe, mais ils y renoncèrent,
à la demande du conseil de Batavia et en raison des réactions hostiles des
autorités chinoises. En 1723 les jonques revinrent à Batavia, avec des thés
toujours conditionnés dans des paniers d’osier et non dans des caisses, de
qualités peu variées et souvent médiocres, proposés à des prix élevés. À
partir de 1729 et durant tout le XVIIIe siècle un trafic direct entre les
Provinces-Unies et la Chine fut organisé, à l’aller par la grande route avec
une escale au Cap puis à Batavia, et au retour par le chemin en droiture,
avec seulement une escale au Cap. Pour les Français, l’évolution fut
analogue. Ils se procurèrent d’abord le thé à Pondichéry, grâce à des
bâtiments d’Inde en Inde, puis à partir de 1697 ils organisent des armements
en droiture depuis la France et poursuivirent un mouvement commercial
régulier ; en 1724, ils furent les premiers à recevoir l’autorisation d’avoir du
personnel commercial à demeure (après les Portugais), sans aucun doute
grâce à l’intervention des missionnaires jésuites de Pékin. Les Ostendais,
les Danois, puis les Suédois suivirent les mêmes routes, avec une
organisation analogue, et une activité commerciale importante à Canton.
Il y a de grandes différences dans les qualités des thés achetés par les
Européens. Les Britanniques chargent des thés verts (Sonlo, Hauysen,
Impérial) pour environ 30 % de leurs cargaisons, et des thés noirs de la
meilleure qualité (Kanhou, Pekeau, Saotchaon), pour environ 40 % ; le
bouy, de qualité plus courante, au goût moins fin, entre pour à peu près
30 % dans les chargements. Chez les Hollandais, les Français et autres
continentaux, les cargaisons sont formées pour 70 à 80 % de bouy. Celui-ci
est destiné en grande partie à la consommation des habitants des îles
britanniques où il parvient en contrebande souvent après « coupage » avec
des herbes locales pour abaisser le prix. Selon les contemporains la fraude
équivaut à deux fois le commerce légal. Les thés importés par la
Compagnie britannique sont en effet grevés de lourdes taxes, au moins
40 %, dont ni les directeurs ni les marchands de thé (réunis au milieu du
XVIIIe siècle autour de Thomas Twinnings) ne parviennent à obtenir la
suppression ou du moins la diminution. Il faut attendre 1784 et le
Commutation Act de Pitt — le second Pitt — pour que les droits soient
ramenés à 12,5 %, entraînant aussitôt un développement rapide du trafic :
six millions de livres en poids transportés en 1784, seize millions en 1785 et
vingt millions en 1786.
Les porcelaines et les « curiosités »
À la suite des Portugais, les Hollandais importent massivement des
porcelaines de Chine et du Japon ; au XVIe siècle, elles sont connues
surtout dans la péninsule ibérique ; aux XVIIe et XVIIIe siècles elles
gagnent l’ensemble de l’Europe. Le mouvement commence aux Provinces-
Unies avec la capture de deux caraques portugaises, le Santiago en 1602 et
la Santa-Catharina en 1603, contenant une grande quantité de porcelaines
dont la vente remporte un grand succès (depuis lors on donne le nom de
« porcelaine de caraque » au bleu et blanc de l’époque Ming). La V.O.C.
s’efforce de répondre à la demande. Dès 1614, un guide du voyageur dans
la ville d’Amsterdam prétend que « la porcelaine est d’usage quotidien chez
la plupart des habitants ». En 1640, Peter Mundy observe que dans presque
tous les intérieurs des Provinces-Unies on trouve des porcelaines de
Chine 181. Il y a également une très forte demande de la part des autres pays
européens. Trois millions de pièces de porcelaines de Chine auraient été
amenées en Europe par la V.O.C. entre 1602 et 1695 ainsi que 190 000
pièces de porcelaine du Japon entre 1659 et 1682, (après que les Hollandais
aient été expulsés de leurs établissements de Formose). Avec l’ouverture du
commerce direct entre Canton et l’Europe par les Britanniques et les
Français, puis par les autres nations, des quantités plus importantes encore
sont proposées. Chaque année, au XVIIIe siècle, un million de pièces
arrivent sur le marché.
L’immense succès de la porcelaine tient à sa beauté, à son imperméabilité,
à la facilité avec laquelle elle peut être lavée, à son faible prix. Le bleu et
blanc est presque seul utilisé au XVIIe siècle ; il domine encore au
XVIIIe siècle, où il entre à peu près pour deux tiers dans la composition des
cargaisons, le reste est formé de porcelaine polychrome. Dès 1614, la
fabrique de faïence de Delft tente de tirer profit de cet engouement en
combinant son décor bleu et blanc avec des éléments chinois, japonais et
hindous, avec un certain succès. Au XVIIIe siècle, après qu’un missionnaire
jésuite a fait connaître dans une relation publiée dans les Lettres édifiantes
et curieuses… 182 le secret de la fabrication en Chine à partir du kaolin, des
manufactures de porcelaine se créent, d’abord en Saxe, puis en Bavière, en
France et dans toute l’Europe.
On trouve également dans les vaisseaux des Compagnies des Indes des
objets de luxe comme des vases céladon, des services complets portant les
armoiries des familles qui les ont commandés, des paravents et des meubles
laqués, des rouleaux de papier peint, des estampes et autres « curiosités ».
Marchandises pondéreuses
En Chine, la porcelaine est un lest commode pour compléter les
chargements de thé. En Inde, le lest est plutôt composé de salpêtre, de
cauris et de bois de teinture ou d’indigo. Le salpêtre, utilisé pour la
fabrication des poudres de guerre, peu abondant en Europe, est très
recherché. Dans les monarchies, cette fabrication est un monopole royal et
l’État achète directement la totalité des quantités importées. Le salpêtre
provient surtout du Bengale, où il est extrait dans des carrières situées au
voisinage de Patna et peut facilement être transporté par le Gange jusqu’aux
ports d’embarquement. C’est un sujet de rivalité entre les puissances,
d’abord entre les Britanniques et les Hollandais, puis s’y ajoutent les
Français, lorsque ils s’installent à Patna. En 1735 les Britanniques et les
Hollandais font une démarche commune auprès du nabab pour lui
demander de fixer un quota pour les achats des Français 183. Au cours du
XVIIIe siècle chacune des trois puissances charge de 150 000 à
300 000 livres en poids de salpêtre par an.
L’indigo également tient une place importante dans la première moitié du
XVIIe siècle, puis il est concurrencé par celui produit en Amérique et
disparaît peu à peu des cargaisons. Des bois de teinture, comme le bois
rouge ou le bois de sapan, le remplacent. On y ajoute les cauris, petits
coquillages provenant des Maldives, très recherchés sur la côte de Guinée
où ils sont utilisés comme monnaie divisionnaire, et demandés par les
armateurs qui font la traite des esclaves.
D’autres produits sont transportés en faible quantité, en complément de
cargaison. On peut citer certaines drogues pour la pharmacie et la
parfumerie, comme le camphre, la gomme, l’aloès ; des métaux, étain de
Malaisie ou cuivre du Japon ; du sucre du Bengale ; ou encore du rotin en
paquets.

BILAN COMMERCIAL

Les ventes
Les ventes de ces cargaisons se déroulent selon trois modalités
principales. La première est la remise à un seul acheteur d’une grande
quantité d’un seul produit à un prix fixé par contrat ; c’est ainsi que les
manufacturiers d’indiennes se procurent les toiles blanches pour y porter
des impressions et que les fermiers des poudres achètent le salpêtre. La
seconde est la vente à un prix fixé et stable d’un produit dont la Compagnie
a le monopole commercial ; c’est ainsi que la V.O.C. écoule les principales
épices, ce qui lui permet d’en maintenir le prix sur une longue durée, — le
cours du clou de girofle à 75 florins la livre demeure inchangé de 1677 à
1744. La troisième forme, la plus répandue, est la vente aux enchères. Aux
Provinces-Unies, elles sont organisées sous la surveillance des chambres
régionales dans les ports de débarquement ; en Grande-Bretagne, à l’hôtel
de la Compagnie à Londres ; en France, d’abord au Havre, puis à Saint-
Malo et à Nantes depuis la fin du XVIIe siècle, enfin à Lorient à partir de
1733, lorsque les aménagements du port permettent de recevoir des
marchands ; au Danemark, à l’hôtel de la Compagnie, à Copenhague ; en
Suède, au port de Göteborg. Toutes ces ventes se tiennent entre la seconde
quinzaine du mois de septembre et la fin du mois de novembre, suivant les
retours des vaisseaux venant d’Asie. Les Britanniques quant à eux
organisent généralement quatre ventes, une par trimestre, la dernière de
l’année étant la plus importante, afin d’éviter l’effondrement des cours qui
pourraient résulter de la mise rapide sur le marché d’une grande quantité
d’un produit. Les Français, les Danois et les Suédois préfèrent retirer de la
vente les lots n’ayant pas atteint un prix de réserve.
Ces ventes touchent un large public, tant dans les pays d’armement que
dans le reste de l’Europe. Les étrangers sont particulièrement nombreux aux
Provinces-Unies ; en 1700, selon le secrétaire général de la V.O.C., Pieter
Van Dam 184, les trois-quarts des produits mis en vente sont envoyés à
l’étranger. Même remarque en 1743 par l’auteur anonyme d’une
Description de la Hollande : « À ce jour, pour deux ou trois millions de
florins en espèces que la Compagnie hollandaise envoie aux Indes
orientales, elle ramène quinze ou seize millions en marchandises, dont la
douzième ou la quinzième partie est consommée par les Hollandais. Le
reste est envoyé dans les autres parties de l’Europe » 185. En 1778 encore
Van der Oudermeulen assure : « trois quarts ou huit dixièmes » des
quantités sont envoyées hors des Provinces-Unies, ce qui permet de dire
que « notre nation conduit le commerce des Indes orientales pour les autres
et non pour elle-même » 186. Dans les autres Compagnies, les pourcentages
sont moins élevés, cependant on rencontre des étrangers agissant soit pour
eux-mêmes soit par des commissionnaires. N’oublions pas que les produits
des Indes orientales tiennent une place importante dans les cargaisons
envoyées en Afrique et en Amérique.
Les Compagnies des Indes rivalisent pour obtenir une place toujours plus
grande sur le marché européen. Le contexte d’expansion rapide de
l’économie, favorisé par l’augmentation de la population et par
l’amélioration générale du niveau de vie, encourage cette rivalité. La
Compagnie hollandaise demeure à la première place jusqu’en 1765 ; elle est
ensuite dépassée par les Britanniques lorsque ceux-ci trouvent de nouvelles
ressources financières en Inde même. À partir de 1725, la Compagnie
française connaît une croissance plus rapide que les autres. Les rivalités
sont scandées par les conflits : guerre de la Ligue d’Augsbourg pour les
Hollandais, guerre de la Succession d’Espagne et de l’Oreille de Jenkins
pour les Anglais, guerre de Sept Ans pour les Français. Elles ont pour
conséquence des pertes de marchés pour les vaincus, des gains pour les
vainqueurs.
Évolution contrastée du profit commercial
Dans ce contexte de rivalités commerciales le taux de profit connaît de
fortes variations. Durant la première moitié du XVIIIe siècle, au moins
jusqu’aux années 1740, les Britanniques ont des taux de rentabilité
supérieurs à 75 %, les Hollandais autour de 60 %, les Français de 50 %,
puis les profits des Britanniques diminuent rapidement 187, tandis que ceux
des Français augmentent, évolution qui explique en partie le conflit entre
les deux puissances en Inde. Après la guerre de Sept Ans, donc après 1765,
la situation change à nouveau : les Anglais retrouvent la première place,
autour de 60 %, tandis que les Français et les Hollandais sont proches de
50 %. Dans l’ensemble, pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, les
profits sont moins élevés que durant la première 188.
Les bénéfices diminuent
L’évolution des achats des Britanniques dans les différentes régions
d’Asie étudiée par K.N. Chaudhuri, montre les changements de la demande,
et les répercussions sur les régions productrices en Asie 189. Au milieu du
XVIIe siècle, les produits de la côte Malabār et de l’Archipel demeurent très
demandés ; ils sont supplantés à partir des années 1680 par ceux du
Coromandel et surtout du Bengale. Au début du XVIIIe siècle, plus de la
moitié des achats des Anglais sont effectués dans cette province. Par
ailleurs le trafic avec la Chine ne cesse de croître et prend une importance
capitale à partir du milieu du XVIIIe siècle 190. L’adaptation au goût des
consommateurs liée à la recherche du profit le plus élevé possible permet
d’augmenter les bénéfices pour faire face aux charges générales incombant
aux Compagnies qui ne cessent de croître.
Les Compagnies des Indes éprouvent de plus en plus de difficultés à
remplir leur obligation d’approvisionnement du marché. Dans la très active
V.O.C. par exemple, le montant des dépenses augmente plus vite que celui
des recettes 191. Jusqu’aux années 1770 on observe une lente érosion, et
donc un affaiblissement progressif des quantités vendues puis celles-ci
diminuent sensiblement en raison de la très vive concurrence britannique
que les Hollandais ne peuvent surmonter et le déficit apparaît.
Pour expliquer cette dégradation, on ne peut incriminer le montant trop
élevé des dividendes, comme cela a été fait sur la foi des comptes-rendus
des assemblées d’actionnaires, car le lien entre le montant du dividende et
les opérations commerciales est assez lâche. En Angleterre, il est assis sur
la ferme du papier timbré et sur une partie de celle du sel ; en France, sur
celle du tabac ; en Hollande sur les profits généraux de la Banque
d’Amsterdam. Le remboursement des emprunts est une charge plus lourde
que celle du règlement des dividendes. Les Compagnies, en effet, sont
amenées à s’endetter fortement durant les périodes de guerre afin de
pouvoir maintenir leurs activités. Cependant le poids de la dette n’est
jamais tel qu’il ne puisse être compensé par une bonne gestion, car le
commerce avec l’Asie est toujours rentable. L’explication du déficit doit
être recherchée ailleurs, dans le coût croissant de la présence commerciale
et militaire des Européens en Asie.
IX
LES COMMERÇANTS

Au début du XVIIIe siècle, les Européens sont peu nombreux aux Indes
orientales. Il n’y a pas plus de 1 500 Portugais et 10 000 Hollandais, dont
2 000 dans les services administratifs et commerciaux. En 1740, la direction
de la Compagnie britannique évalue le nombre des nationaux à 2 000 dont
400 se livrent au commerce, et les Français, à la même date, seraient au
nombre de 1 800. On peut donc estimer qu’à cette époque, il n’y a pas plus
de 16 000 Européens, dont 3 000 commerçants, dans cette partie du monde.
La plupart des commerçants (au moins 90 %) sont au service d’une
Compagnie des Indes et assurent l’administration des comptoirs. Ils sont
placés dans une structure hiérarchique où ils progressent selon des grades.
Dans la Compagnie britannique et dans la Compagnie française, on
commence par être « écrivain » ou « commis en second » durant cinq ans
environ, puis on devient « facteur » ou « commis » ; au bout de trois ans on
peut obtenir le grade de junior merchant ou « sous-marchand », puis, après
trois années encore, celui de senior merchant ou « marchand ».
L’avancement est régulier et tient compte surtout de la date de l’arrivée en
Asie. Le caractère systématique des promotions est tempéré par des
avancement exceptionnels, rarement accordés, et par l’engagement de
commerçants expérimentés, plus âgés, qui sont admis directement dans des
grades supérieurs. En moyenne, dans la première moitié du
XVIIIe siècle 192, chaque Compagnie recrute de 20 à 40 employés chaque
année.
Pour un tiers environ ce sont des enfants d’employés des Compagnies,
soit en Asie, soit en métropole. Dans la Compagnie anglaise trois familles
d’employés, les Russels, les Franklands et les Eyres, fournissent dix
membres du conseil du Bengale, dont cinq gouverneurs, dans la première
moitié du XVIIIe siècle. Un autre tiers est composé de commerçants qui
sont engagés dans l’armement maritime, et le reste de professionnels liés au
maniement de l’argent : financiers et banquiers, notaires ou encore avocats.
Ceux qui entrent au service d’une Compagnie à un âge plus avancé sont
fréquemment des commerçants ayant fait faillite. Ainsi chez les Français,
Étienne Hargenvilliers, notaire à Paris, contraint de vendre sa charge après
avoir fait de « mauvaises affaires », passe en Asie en 1728 193 ; François
Lemaire, armateur de Rouen, en fait autant en 1738 194 ; Pierre Boudet,
négociant de Saint-Domingue ruiné en 1761, est engagé en 1765 195.
Certains feront de belles carrières, ainsi le Hollandais van Diemen, ancien
négociant d’Amsterdam, passé en Asie après une faillite, devient
gouverneur général en 1636 196. Les étrangers ne sont pas exclus du
service ; ils sont particulièrement nombreux dans la V.O.C. ; on trouve
également des Jacobites dans la Compagnie française, ainsi que des réfugiés
protestants français dans la Compagnie anglaise.
Les motifs de l’entrée au service sont divers. Il peut y avoir l’esprit
d’aventure, comme l’affirme le Hollandais van Neck, qui « toute sa vie [il]
a désiré voir les pays étrangers » 197, mais le plus fréquent est la volonté de
faire fortune. C’est ce que Dupleix, gouverneur des établissements français,
affirme à plusieurs reprises dans sa correspondance : « Quel chagrin pour
un employé sans bien en Europe de ne pouvoir espérer d’y retourner sans
courir risque d’y mourir de faim ? Y a-t-il rien de plus mortifiant que de se
voir forcé de passer ses jours dans des climats si contraires à notre
tempérament et parmi des nations dont les mœurs et les façons nous sont si
étrangères ? Quelle joie, au contraire, ne ressentirait-on pas si, après avoir
bien servi et avoir par ménagement ramassé quelque chose, l’on espérait de
l’augmenter considérablement de retour en France et de pouvoir par ce
moyen finir ses jours avec tranquillité dans le sein de sa patrie », ou
encore : « Lorsque nous serons rendus en Europe, chacun rentrant dans sa
coquille ne se fera distinguer qu’autant qu’il aura du bien » 198. Cet avis est
partagé par La Bourdonnais : « On ne vient aux Indes que pour faire des
affaires, écrit-il, l’opinion contraire ne peut être exigée, n’étant pas
naturelle » 199, ou encore, « Le bien est considéré comme le seul fruit que
l’on rapporte de l’Inde et le seul aussi où on s’attache » 200. Même son chez
les Hollandais — où un employé parle de « secouer l’arbre aux
pagodes » — et chez les Britanniques. Un garçon de 17 ans partant pour le
Bengale espère revenir en métropole « libre et indépendant comme peut
l’être un gentleman », et un autre à peine plus âgé assure : « Je resterai là-
bas quinze ans, vingt au plus. Peut-être deviendrai-je gouverneur. À défaut,
j’aurai une fortune qui me permettra de vivre en gentleman » 201.

LA VIE QUOTIDIENNE

Combien d’entre eux atteignent leur objectif ? En fait, un petit nombre.


Bien souvent ils trouvent la mort ; plus de la moitié des Européens envoyés
en Asie décèdent l’année qui suit leur arrivée. Sur 647 employés
britanniques envoyés en Inde entre 1707 et 1775, 368 — soit 57 % —
meurent dans le pays, chiffre certainement inférieur à la réalité ! Pour les
autres, la durée du séjour varie de 14 à 22 ans. Le retour en métropole est
volontaire, sauf quelques cas de renvoi pour malversations. Quelques-uns
utilisent les fonds de leur Compagnie pour mener leurs affaires privées ;
d’autres font du trafic sur des produits dont leur Compagnie se réserve le
monopole, comme l’opium chez les Britanniques ; d’autres encore, en
particulier chez les Hollandais, font du commerce local, même si la V.O.C.
l’interdit à ses employés. On ne connaît pas de renvoi pour incapacité
notoire.
Peu d’Européens — moins de 10 % — s’établissent dans le pays. Cette
grande différence avec les Portugais s’explique en partie par le faible
nombre des mariages. En général, les Compagnies des Indes ne sont pas
hostiles à l’envoi en Asie d’hommes mariés, sauf au Japon et en Chine où
les puissances locales n’admettent les familles que dans des « loges »
isolées, la présence d’Européennes avec des enfants pouvant créer un
trouble et fournir un moyen de pression aux autorités locales. La plupart des
employés sont célibataires lorsqu’ils arrivent en Asie. Ils leur est difficile de
trouver une épouse parmi les asiatiques en raison de la diversité des cultures
et du poids du système des castes en Inde ; ils se tournent plutôt vers les
jeunes filles nées dans les familles européennes établies en Asie, en
particulier dans les familles portugaises. La différence d’âge entre les époux
est importante : l’âge moyen au premier mariage est de 31 ans pour les
hommes et de 18 ans pour les femmes. Moins de la moitié des employés
sont mariés. Évidemment le célibat n’exclut pas le concubinage : les
Compagnies n’autorisant pas le mariage avec des femmes non-chrétiennes,
ces unions ne peuvent être régularisées.
Dans ces petites sociétés européennes on s’ennuie beaucoup. Le travail
pour le compte des Compagnies est peu absorbant, sauf dans les moments
de presse lorsqu’il faut charger les vaisseaux afin de respecter le calendrier
de la mousson. La description de la vie quotidienne à Deshima, faite par le
chirurgien Thunberg, après le départ des navires hollandais pour Batavia, en
novembre 1775 pourrait être appliquée à beaucoup de postes : « Un
Européen qui demeure ici est d’une certaine façon mort et enterré dans un
coin obscur du monde. Il ne reçoit aucune nouvelle, rien au sujet des
guerres ou autres maux qui infectent le monde ; et pas davantage les
rumeurs de l’intérieur ou de l’extérieur ne viennent le réjouir ou l’inquiéter
[…] La manière de vivre des Européens est par ailleurs analogue à celle des
autres régions de l’Inde [de l’Asie], c’est-à-dire luxueuse et ennuyeuse. Ici
comme à Batavia, nous rendons visite chaque soir au chef après avoir
parcouru plusieurs fois les deux rues. Ces visites durent généralement de six
heures du soir à dix heures et parfois onze heures ou minuit ; elles
constituent une manière très désagréable de vivre, convenant seulement à
ceux qui n’ont d’autre occupation que de tirer sur leur pipe » 202. Dans les
établissements plus importants, la vie de société est plus développée ; les
femmes sont plus nombreuses et la civilisation, ici comme en Europe,
s’organise autour d’elles. Lorsque plusieurs nations européennes se
côtoient, comme à Surate ou sur les bords de l’Hooghly, on organise des
réceptions, en particulier pour célébrer la fête du souverain. Cependant les
tensions demeurent dans ce monde étroit : « Chaque individu défend
âprement sa place dans la hiérarchie sociale, et réagit vivement à toute
atteinte à ses privilèges comme si son bonheur ou son malheur dépendait
étroitement de celle-ci, observe Stavorinus, lors de son passage à Batavia en
1768. Il est assez fréquent que deux dames de même rang se rencontrent
alors qu’elles sont en voiture, l’une refusant le passage à l’autre, si bien
qu’elles sont obligées de rester de nombreuses heures dans la rue. Peu de
temps avant mon départ de Batavia, ceci arriva entre deux femmes de
pasteurs, qui se rencontrèrent par hasard en voiture dans une rue étroite et
aucune ne voulut laisser le passage, mais s’empêchèrent réciproquement de
passer durant un quart d’heure, durant lequel elles s’injurièrent de la
manière la plus violente, utilisant des épithètes inconcevables dans leur
bouche, et s’envoyant les mots de « putain » ou « fille d’esclave » sans
pitié. La mère de l’une de ces dames, semble-t-il, était une esclave, et
l’autre, m’a-t-on dit, n’était pas peu susceptible de recevoir le premier
adjectif. Elles s’éloignèrent enfin, continuant à se lancer des injures tant
qu’elle furent en vue l’une de l’autre » 203. Tout est sujet à querelles : les
vêtements des employés (et ceux de leurs femmes), le nombre des
palanquins dont ils peuvent disposer et leurs décorations, l’ordre de
préséance dans des réceptions ou dans d’autres cérémonies, comme les
enterrements, et des centaines d’autres occasions…
En général les activités intellectuelles sont de médiocre qualité, quelques
employés cependant montrent de l’intérêt pour la langue et les coutumes du
pays. Isaac Titsingh, après avoir passé trois ans au Japon, de 1780 à 1783,
poursuit une correspondance amicale avec des interprètes et des daïmios qui
lisaient le Hollandais et s’intéressaient aux découvertes faites par les
Européens en médecine, astronomie, mathématiques, construction navale et
navigation 204. En Inde, William Jones, juge à la cour de Calcutta à la fin du
XVIIIe siècle, traduit des œuvres majeures de la poésie et de la littérature
hindoue qu’il fait connaître aux Européens 205 ; Anquetil-Duperron, résidant
à Surate, étudie les textes sacrés des Parsis, apprend le sanscrit et publie
pour la première fois en Europe une traduction du Zend-Avesta 206 ; Jean-
Baptiste Gentil, employé au Bengale, est « antiquaire » au sens du
XVIIIe siècle : auteur de plusieurs ouvrages érudits sur l’histoire de la
province, il réunit une belle collection de médailles, de miniatures et de
manuscrits, qu’il lèguera à la bibliothèque du roi à Paris 207. Citons encore
William Marsden, qui passe plus de dix ans à Bencoolen et apprend la
langue malaise, dont il publie la première grammaire et le premier
dictionnaire 208.

PRATIQUES COMMERCIALES

Dans chaque établissement important, un conseil formé des principaux


employés dirige les achats, en suivant les instructions générales adressées
depuis l’Europe. Selon les nations, l’organisation est un peu différente.
Chez les Britanniques, les conseils de Calcutta, Madras, Bombay et Canton
ont une grande liberté de décision, limitée évidemment par le montant des
fonds qui leur est adressé, objet d’une longue discussion à la direction
générale. Chez les Hollandais le conseil de Batavia, comprenant dix
principaux employés sous la présidence du gouverneur général, adresse des
instructions précises aux conseils locaux, sauf durant les rares périodes où
ceux-ci reçoivent des vaisseaux venus en droiture de l’Europe. Chez les
Français, le conseil de Pondichéry a les mêmes fonctions. Les conseils
locaux comprennent, outre le directeur, un conseiller chargé plus
spécialement du commerce (le fiscal chez les Hollandais), un autre chargé
des livres, et enfin un garde-magasin. Ils peuvent correspondre directement
avec la direction générale en Europe, passant ainsi par-dessus le conseil
principal auquel ils sont subordonnés. Les conseils s’occupent non
seulement de commerce, mais aussi d’administration, de police et de
justice.
Selon les régions, les modalités du commerce sont différentes. Au Japon
et en Chine, les Européens sont soumis à un règlement très strict. Au Japon,
suivant le règlement ou pancado de 1604, accepté par les Portugais, puis
par les Hollandais, les Européens sont obligés de vendre la soie de Chine,
principal produit d’importation, à un prix fixé par la corporation des
marchands des cinq cités impériales, Edo (Tokyo), Osaka, Kyoto, Sakai et
Nagasaki ; lorsque les Européens se plaignent d’un prix trop faible, il leur
est répondu qu’ils sont libres de quitter l’archipel, et ils restent ! En 1672, le
système du pancado est étendu à tous les produits importés, au grand
mécontentement du directeur hollandais : « Il semble, écrit-il, que les
Japonais ont laissé de côté tout sens de l’honneur et de la décence pour nous
obliger à danser au son de leur flûte », mécontentement partagé par le
conseil de Batavia : « Quoique les Hollandais fassent du commerce partout
dans le monde, ils n’ont jamais trouvé une place où le seul acheteur fixe les
prix à l’avance ! ». De plus les Hollandais doivent s’adresser uniquement
aux intermédiaires agréés par l’administration impériale 209.
À Canton, seul port chinois ouvert aux Européens, ceux-ci sont obligés de
s’adresser à des négociants privilégiés, les hannistes, au nombre de seize,
groupés dans une Compagnie officielle, ou Cohong, seule autorisée à faire
du commerce et dont tous les membres sont solidaires. Les hannistes
vendent des marchandises qu’ils font venir des diverses régions de la Chine
et achètent les produits d’Europe qu’ils expédient ensuite vers l’intérieur du
pays. Ce sont en même temps des mandarins, responsables de la perception
des taxes pour le trésor impérial, et garants du bon ordre durant le séjour
des étrangers. L’institution révèle la volonté d’assurer les rentrées fiscales,
mais aussi le souci de protéger l’étranger contre les agissements
malhonnêtes de marchands peu fidèles, qui pourraient disparaître après
avoir reçu des avances. D’un point de vue strictement commercial, le Co-
hong a une structure assez lâche et chaque hanniste rivalise pour obtenir au
meilleur prix les marchés avec l’une ou l’autre des nations européennes.
Les étrangers dépendent encore d’une administration douanière spécialisée,
indépendante du gouverneur de la province, dirigée par un receveur, le
hopou, représentant direct du trésor impérial, auquel il envoie chaque année
les taxes collectées, qui représentent 30 à 40 % de la valeur des cargaisons.
Enfin les Européens ne sont pas autorisés à résider à Canton pendant la
morte saison ; ils gagnent Macao, d’où ils reviennent à l’arrivée des
premiers vaisseaux.
Dans les îles de la Sonde, où les Hollandais disposent du monopole du
trafic, sauf pour le poivre, le commerce est pratiqué selon les stipulations
des traités passés avec les souverains locaux, qui fixent les quantités
annuelles et les prix.
À Java, à Ceylan, sur la côte Malabār et à Moka, les acheteurs européens
se rendent sur les marchés locaux. La difficulté est alors d’éviter les
« coalitions » des principaux vendeurs pour faire monter les prix. À Moka,
en 1724, le chef de la factorerie anglaise passa un accord avec ses
homologues français et hollandais pour fixer le prix d’achat de la balle de
café à 150 piastres et s’opposer ainsi à la tentative des cinq plus gros
marchands de faire monter le cours 210.
Sur la côte de Coromandel et au Bengale, régions commerciales les plus
importantes pour les Européens au XVIIIe siècle, l’organisation diffère
selon les produits. Pour les cotonnades et les soieries, qui forment la plus
grande part des cargaisons, le conseiller chargé du commerce ou le directeur
du comptoir fait assembler dans le courant du mois de mai, à la diligence de
ses subordonnés, les principaux marchands ou dadni et leur annonce les
quantités et qualités demandées ainsi que le prix auxquelles elles seront
reçues. Après discussion, on passe un contrat écrit par lequel les dadni
s’engagent à fournir les marchandises au prix indiqué, et reçoivent une
avance de 30 à 50 %. Les marchands envoient leurs agents ou paquers dans
la région environnante pour passer des commandes aux tisserands et faire
des avances en fil et en argent (50 à 75 % du prix du produit fini). Le rayon
d’action de ces paquers est assez étendu, — à Madras et à Pondichéry il est
de plus de 150 kilomètres autour des comptoirs.
Au mois de septembre, à l’arrivée des premiers vaisseaux venus
d’Europe, les marchandises commencent à rentrer, et lorsqu’il y en a une
certaine quantité on ouvre la « visite », — travail effectué par les seuls
employés européens. Elle consiste à ouvrir les pièces d’étoffes, à les
examiner, à les classer selon leur qualité, la première seule étant
généralement retenue. Cette opération difficile qui demande beaucoup de
soin et d’attention, se poursuit jusqu’à fin décembre, moment où commence
le chargement des vaisseaux. Les pièces d’étoffes rejetées sont laissées aux
marchands puis écoulées sur le marché local. C’est à l’issue de la visite que
les comptes sont soldés.
Cette organisation présente de nombreux défauts. Le premier est
l’absence d’un fonds de roulement. En 1737, la direction de la Compagnie
anglaise annonce sa volonté de créer un double fonds en Inde et entreprend
immédiatement sa mise en place, suivie en 1740 par la Compagnie
française. Mais les deux Compagnies ne parviennent pas à faire aboutir leur
projet, car une partie des capitaux envoyés d’Europe est affectée à des
dépenses militaires à court terme. Conséquence : les directeurs des
comptoirs se trouvent bien souvent dans des situations difficiles, comme à
Chandernagor en 1750 : « Sur les assurances de la Compagnie qui m’avait
annoncé des fonds non seulement suffisants pour former quatre cargaisons
et acquitter toutes ses dettes, mais encore pour avoir de quoi travailler à
l’avance pour l’année suivante, j’avais pris des arrangements dès le mois
d’avril [1749], comptant que l’Espérance qui arriva pour lors avec des
fonds serait suivie de quelque autre vaisseau, mais rien n’a paru jusqu’au
mois de septembre [1749] que le Brillant est entré dans le Gange. Il n’était
pas attendu avec moins d’impatience par nos créanciers qui pressaient le
remboursement de ce qui leur était dû, que par les marchands, qu’il fallait
aussi satisfaire, principalement ceux qui avaient pris dans les terres des
engagements en conséquence des demandes de la Compagnie. Les fonds
modiques qu’il apporta ne pouvant suffire à ces différentes opérations, je ne
fus pas moins embarrassé à l’égard des uns comme des autres, irrités
d’avoir été trompé dans les promesses que je leur avait fait avec confiance
sur les lettres de la Compagnie ; ils voulaient être incessamment payés. Les
fonds du vaisseau le Maréchal de Saxe, arrivé ici le 13 du courant [janvier
1750] ont heureusement levé tous ces obstacles, mais après tant de
difficultés, c’est tout ce que je puis faire que de me mettre en état de
renvoyer à la Compagnie les deux premiers vaisseaux dont les cargaisons
n’ont pu être assorties aussi bien que je m’en étais flatté d’abord » 211.
Les conseils peuvent par ailleurs s’adresser aux banquiers locaux pour des
emprunts à court terme, et ils ne s’en privent pas, mais c’est une ressource
coûteuse, les taux sont de 12 à 18 % au XVIIe siècle, de 9 à 14 % au
XVIIIe siècle, contre 5 à 6 % au XVIIIe siècle en Europe.
La seconde difficulté est l’insolvabilité des marchands et des tisserands. Il
arrive que ceux-ci disparaissent après avoir reçu les avances sans assurer les
fabrications. Pour les marchands, la situation est compliquée par le fait
qu’ils assurent également la vente des marchandises apportées d’Europe. À
la fin du XVIIe siècle les Compagnies mettent en place une organisation
nouvelle avec des sociétés de marchands solidaires, de manière à éviter
l’insolvabilité. Ces sociétés de marchands sont fréquemment dirigées par un
courtier ou dobash, qui choisit les associés, les présente aux autorités
européennes, et agit comme intermédiaire principal entre les Hindous et les
Européens. Le journal d’Anandarangapoulle, courtier à Pondichéry au
temps de Dupleix, témoigne du rôle de cet interlocuteur privilégié pour
toutes les opérations commerciales 212.
À Cassimbazar, la situation est originale, les Hollandais, les Britanniques
et les Français font travailler dans chacune de leurs loges de nombreux
ouvriers salariés, environ 3 000 pour chaque nation, chargés de dévider la
soie et de préparer le fil. Ils évitent de la sorte d’en faire l’avance aux
marchands.
La troisième difficulté est le manque de coordination entre la demande
des consommateurs européens et la composition des cargaisons. C’est une
inquiétude constante de toutes les directions générales, qui adressent
régulièrement des instructions précises à leurs employés à ce sujet,
fournissant, pour les étoffes, des échantillons, et pour les porcelaines, des
dessins. Mais, comme il s’écoule plus de deux ans entre les instructions, qui
tirent les leçons des résultats des ventes, et l’arrivée des marchandises
d’Asie, il y a toujours de grands écarts. Les directeurs de l’East India C°
n’hésitent pas à prendre des sanctions en cas de manquement. En 1728, ils
décident de rappeler le directeur du Bengale, car, écrivent-ils : « Nous
avons reçu de très nombreuses plaintes au sujet du prix élevé et de la
médiocre qualité des produits du Bengale mis en vente l’année dernière, et
nous en avons éprouvé une telle gêne que nous avons pensé qu’il était
nécessaire de changer de mains » 213.
Enfin, en Inde comme en Arabie, les autorités consentent aux Européens
des exemptions douanières, destinées à encourager l’entrée des métaux
précieux et le développement des fabrications locales. Ces exemptions sont
réservées aux produits chargés pour le compte de l’une ou l’autre des
Compagnies, cependant les employés essayent fréquemment de les étendre
aux produits embarqués pour leur propre compte dans le trafic local ou
« d’Inde en Inde », qui est la principale source de leurs revenus.

LE COMMERCE D’INDE EN INDE

En général, les employés sont insuffisamment payés. Un écrivain


britannique reçoit 34 livres sterling par an, un sous marchand 225 livres, un
marchand 600 livres. Ce sont des salaires qui seraient satisfaisants en
Angleterre, mais pas en Asie, où tous les produits venus d’Europe sont très
coûteux. « Chaque chose ici vaut le double de ce qu’elle veut en
métropole », assure, en 1754, un écrivain récemment arrivé à Calcutta 214.
Un train de maison dans ce comptoir revient au moins à 1 000 livres par an.
Chez les Français, la situation est analogue. « Un employé dépense au
moins le tiers de ses appointements pour se loger simplement à
Chandernagor » 215observe Dupleix en 1738. Au même moment le conseil
de Pondichéry assure, dans une lettre envoyée à la direction générale : « Il
est impossible à un conseiller de vivre, de s’habiller et de soutenir les
dépenses avec 1 500 et 1 800 livres d’appointements », et il conclut : « Ne
trouvant pas de quoi se sustenter dans le service de la Compagnie, ses
serviteurs s’occupent de leur commerce particulier et de leur industrie qui
fait leur ressource » 216.
À la fin du XVIIe siècle et durant la première moitié du XVIIIe siècle, ce
« commerce particulier », pour les Britanniques, les Français et les autres
Européens, à l’exclusion des Hollandais, est celui « d’Inde en Inde » ou
country trade, c’est-à-dire dans l’océan Indien et la mer de Chine.
Comment un employé de l’une des Compagnies des Indes désireux
d’entrer dans ce trafic procède-t-il ? Avant son embarquement pour l’Asie,
il doit se procurer des fonds. Chez les Français, Jean-Baptiste Pechevin, fils
du caissier général de la Compagnie, nommé en Chine, part avec
24 000 livres tournois prêtés par son père 217. Si la fortune familiale ne
suffit pas, il faut s’adresser à des amis, comme le fait Jean-Baptiste
Chevalier, fils d’un avocat général à la chambre des comptes de Blois,
envoyé au Bengale en 1752, qui emprunte 12 300 livres, dont « 2 200 livres
à la dame de Lestenduère, 2 000 livres au sieur de Goinville, 180 livres au
sieur Loison, 700 livres à la Charité de Saint-Nicolas, 1 000 livres à la
demoiselle Guillon, 1 800 livres à la demoiselle Bonne de la Motte » 218.
D’autres s’adressent à des banquiers, citons par exemple Noël Dumont,
frère cadet du secrétaire général de la Compagnie qui, envoyé à Canton en
1773, emprunte 400 000 livres à Jean-Joseph de Laborde, banquier de la
Cour ; l’argent prêté en France au taux de 6 % l’an est placé en Chine à
18 % 219 ; l’opération est rentable, à la condition de faire valoir habilement
les fonds.
Les sommes empruntées servent à acquérir en Europe des marchandises
qui seront revendues en Asie avec un profit intéressant. Renault de La Fuye,
nommé au Bengale en 1766, charge à Lorient des vins et liqueurs pour un
montant de 1296 livres puis les revend à Chandernagor 2543 livres, avec un
bénéfice net de 1247 livres, soit 96 % 220. Claude Dutour de Noirfosse,
arrivé à Pondichéry en 1754, assure : « On gagne 400 % sur le vin. J’ai
vendu 48 sous la bouteille un vin qui me coûtait tous frais payés, 14 sous à
Lorient » 221, et il poursuit dans une autre lettre, six mois plus tard : « Avec
la vente des marchandises que j’ai apportées […], je me trouve la valeur de
9700 livres, tant en argent qu’en effets. J’emporte avec moi [pour une autre
destination en Inde] pour 8000 livres de marchandises […] J’espère gagner
sur le tout au moins 80 %. C’est un pays admirable que celui-ci. Quand on a
une fois 25000 à 30000 livres, cela va tout seul, on est en état de faire un
peu tous les commerces ».
D’autres employés qui manient de fortes sommes pour le compte de leur
Compagnie les utilisent pour leur trafic particulier, ce qui leur évite de
contracter des emprunts à des taux élevés. Tant que les profits sont
importants et que les fonds rentrent à temps dans la caisse de la Compagnie,
ce manège passe inaperçu. Mais ce n’est pas toujours le cas : Thomas
Cooke, directeur du comptoir britannique de Dacca, décède en 1736, après
avoir pris 100 000 roupies dans la caisse de la Compagnie. Ses avoirs ne
permettront pas de rembourser cette somme 222.
Pour faire du commerce d’Inde en Inde, il faut entrer dans une société
d’armement et la diversité des origines de ses associés reflète celle de la
société des comptoirs. Ainsi lorsque La Bourdonnais entreprend ce trafic en
1727, il achète le Pondichéry, navire de 400 tonneaux moyennant
28 000 livres tournois avec Cyril Wich, négociant britannique de Madras, et
Isaac Elias, commerçant arménien de Pondichéry 223. Dupleix, directeur de
Chandernagor, travaille avec les Britanniques Eliott, Price, Benett et Court,
négociants de Calcutta, avec le Hollandais Sichterman, le Portugais
Carvalho, l’Hindou Jaga Seth, ainsi qu’avec des Ostendais, des Arméniens
et des Musulmans 224.
Les associés doivent ensuite choisir une destination et préparer la
cargaison. C’est une partie délicate, car il faut connaître l’état du marché et
prévoir la demande lors de l’arrivée dans un autre port quelques mois plus
tard. Les armements au départ du Bengale qui donnent les profits les plus
élevés sont les plus recherchés, la diversité des productions de cette
province permettant d’avoir une très grande variété de produits et donc de
compenser les pertes des uns avec les gains des autres. Une partie de la
cargaison est chargée pour le compte des associés ; le complément consiste
en fret.
Les armements d’Inde en Inde suivent trois trajets principaux. Le premier
consiste à faire du cabotage le long des côtes de la presqu’île de l’Inde, du
Bengale au Goudjerat. Dans un sens on charge surtout des cotonnades, des
soieries, de l’opium et du sucre ; dans l’autre, du coton, du poivre et autres
épices ; une escale en Malaisie permet d’acquérir de l’étain et une autre aux
Maldives de prendre des cauris. Le second trajet est un voyage au long
cours vers les ports du golfe Persique, de la mer Rouge et de l’Afrique
orientale. Dans ce cas, on emporte des cotonnades, des produits
alimentaires comme du riz et du sucre, et on rapporte du café et des
piastres, venues par la vieille route de la Méditerranée. Le troisième trajet,
toujours au long cours mais en direction de l’est, va jusqu’en Chine et aux
Philippines. Dans ce dernier cas, on emporte des cotonnades, de l’étain et
des épices, et on rapporte des Philippines des piastres venues d’Amérique à
travers le Pacifique par le fameux galion de Manille, et de Chine, du thé,
des porcelaines et des soieries, ainsi que de l’or échangé contre de l’argent.
Dans la première moitié du XVIIIe siècle, le profit sur le trafic des métaux
précieux est essentiel et rapporte beaucoup ; « Un voyage en Chine met en
état de se passer de tout le monde, assure Dupleix à son retour de Canton en
1724, 25 000 et 30 000 roupies sont bientôt mises en poche » 225. C’est le
trafic entre l’Inde et les ports de l’Ouest de l’océan Indien qui est le plus
important ; entre 1731 et 1742 Dupleix participera à 79 voyages vers l’ouest
pour 12 voyages vers l’est 226. Pendant la même période, les échanges se
développent, en 1714, le port de Calcutta reçoit 23 country ships et 41 vingt
ans plus tard. Les Britanniques et les Français participent à un courant
d’échange traditionnel, là où les Portugais les avaient précédés, suivant eux-
mêmes les routes des navigateurs arabes.
Faut-il parler d’une rivalité entre les Orientaux et les Européens ou bien
d’une complémentarité ? La complémentarité semble bien l’emporter. Les
commerçants locaux, Hindous, Musulmans, Arméniens et autres, chargent
leurs produits sur des navires armés par des Européens, malgré des tarifs
élevés. C’est un choix librement consenti, les armateurs locaux poursuivant
par ailleurs leurs activités. Pourquoi ce choix ? Pour leur commerce d’Inde
en Inde les Européens remettent aux navires qu’ils arment des
« passeports » semblables aux cartaz des Portugais, sans chercher à exclure
quiconque. Selon les contemporains, si les Orientaux choisissent des
navires européens malgré un coût du fret élevé, c’est également en raison
d’une sécurité plus grande. Les bâtiments européens sont généralement plus
solidement construits et mieux commandés. Les officiers disposent
d’instruments modernes de navigation, ils ont l’habitude de la grande route
entre l’Europe et l’Asie, et parviennent mieux que les autres à « attraper » la
mousson et donc à ne pas prendre de retard. Il y a peut-être d’autres
raisons : dans une période de forte croissance des échanges, comme celle
que connaît l’Orient à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle, la
demande pour le transport de fret s’accroît et les Européens veulent en
profiter. Les comptoirs européens se développent rapidement également et
ils attirent par l’importance même de leur population.
Le commerce d’Inde en Inde est à l’origine des grandes fortunes des
Européens. Le profit commercial est très élevé 227, comme le montre le
calcul de rentabilité théorique du Recovery armé par le conseil de Calcutta
en 1712 à destination de la Perse 228.
Malgré les frais de l’armement et de l’avitaillement, les profits restent
sans commune mesure avec ceux que l’on obtient en Europe. Dès 1644, un
employé britannique fait ce constat : « Le commerce de port en port entre
les places de l’Inde et avec celles des royaumes voisins est parmi les plus
avantageux du monde, et, avec la bénédiction de Dieu, une fortune (et
même le superflu) peuvent être obtenu en 4, 5, 6 ou 7 ans, avec un total 3
ou 4 fois plus élevé que dans d’autres régions […] Dans un voyage de 3, 4
ou 5 mois, il est possible d’obtenir 30, 40, 50, 60, 80 ou 100 pour 100 de
profit, et parfois davantage sur quelques marchandises ». Pour La
Bourdonnais, « Le profit roule de 15 à 50 %, mais bon ou mauvais voyage,
c’est 20 à 25 % pendant le cours d’une année », et il précise dans une lettre
adressée à son banquier de Saint-Malo : « Les armements est ce qu’il y a de
meilleur, et je vous en citerai pour exemple le compte que je vous rends. La
première année, 100 à donné 116, 116 la seconde année 150. Si cette année
comme l’autre, ça donnera 195 […] » 229. Avec une mise de fonds assez
médiocre au départ, il quitte l’Asie au bout de dix ans avec une fortune d’un
million de livres environ.
Les Hollandais, écartés théoriquement du commerce d’Inde en Inde par la
décision de la V.O.C. qui s’en réserve le monopole, y participent cependant
de manière indirecte, en prenant des parts sur des navires armés par
d’autres. Ainsi Jean-Albert Sichterman, chef de la factorerie hollandaise de
Hooghly, place 87 000 roupies sur le François armé par Dupleix pour
Bassorah en 1736, ou bien ils font du commerce clandestin. À la fin du
XVIIe siècle, Pieter van Dam estime que celui-ci est au moins aussi
important que le commerce officiel. Les procédés sont généralement à la
limite de la légalité, comme le montre l’anecdote suivante. En 1679, le
directeur du comptoir d’Hooghly, Jacob Verburg, crée une « petite société »
sous le nom de sa femme ; les deux principaux actionnaires sont les neveux
de Madame Verburg, l’un est le garde-magasin du comptoir et l’autre le
« procureur fiscal », chargé de faire respecter la réglementation
commerciale de la Compagnie, en particulier l’interdiction du commerce
privé d’Inde en Inde ! À ce titre, il est autorisé à inspecter la cargaison de
tous les navires hollandais entrant dans le Gange. Lorsque des marchandises
appartenant à une personne privée sont découvertes sur un navire de la
V.O.C., le procureur fiscal offre de les acheter à un prix inférieur à celui du
marché ce que le propriétaire s’empresse d’accepter, sachant que s’il refuse
ses marchandises seront confisquées et vendues au profit de la V.O.C. La
société Verburg vendra alors ces mêmes marchandises sur le marché libre
avec un bon profit. Puis elle achète des produits sous le nom d’un marchand
bengali fictif et les fait charger sur des vaisseaux envoyés à Batavia. Peu
avant l’arrivée dans ce port, des petites embarcations, équipées par des
correspondants de la société Verburg, viennent enlever la cargaison illicite.
Une idée de l’importance de ces profits est donnée par les 600 000 florins
rapportés aux Provinces-Unies par Madame Verburg, après la mort de son
mari en 1681. La V.O.C. ne parvenant plus à sanctionner les nombreuses
malversations, finit par accepter en 1740 d’ouvrir partiellement le
commerce d’Inde en Inde à ses nationaux.
Bien sûr, il y a des risques. D’abord celui de naufrages. C’est ainsi que
deux vaisseaux armés par Dupleix disparaissent : l’Aimable en 1735, au
retour de Djedda, avec une cargaison de 500 000 roupies, et le Balocopal en
1739, dans le golfe du Bengale, sur la route vers Manille, avec un
chargement de 240 000 roupies, dont 3 000 pour le compte de l’armateur.
Les risques de captures ensuite ; plusieurs bâtiments appartenant au même
Dupleix sont pris par l’escadre Barnett en 1745 ; toutefois, ils étaient
assurés 230.
L’évolution de la conjoncture constitue un autre facteur de risque.
Jusqu’aux années 1740, celle-ci est favorable, c’est le moment où les
Européens font de grosses fortunes. Samuel Feake, employé britannique au
Bengale, rentré en 1722 en Grande-Bretagne, achète un domaine dans
l’Essex, puis devient président du conseil des directeurs de l’East India C° ;
Edmund Crisp, revenu en 1724, laisse une fortune de 38 000 livres sterling
à son décès ; Edward Stephenson, dès son retour en Angleterre en 1736,
commence par acheter à Lord Bolingbroke, le domaine de Dawley, l’année
suivante il est le premier ancien employé de la Compagnie à entrer au
Parlement 231. D’autres sont moins ambitieux, David Anderson espère
disposer de 20 000 livres pour acheter « une propriété dans un district
agréable de l’Écosse, située dans un bon voisinage, avec une maison
convenable pour un gentleman avec un revenu de 500 à 600 livres par an » ;
Randolph Mariott, après treize ans passés en Inde, se félicite d’avoir pu se
procurer pour 5 000 livres une maison et un terrain dans le Yokshire avec
« assez de terrain pour m’occuper et obtenir, je l’espère, assez de blé, de
fourrage pour mes chevaux, de pain, de miel, de lait et de beurre pour
pouvoir nourrir ma famille ».
Mais dès la fin des années 1730, des faillites de plus en plus fréquentes se
produisent. Clive assure même que la prise de Calcutta par le nabab en
1756 vient à point nommé pour beaucoup d’employés sur le point de
« connaître une banqueroute universelle ». On tempérera le pessimisme du
propos en constatant que les transferts de fonds entre Calcutta et Londres,
entre 1748 et 1755, s’élèvent en moyenne à 100 000 livres sterling par an.
La ruine de la communauté britannique ne paraît pas imminente !
La pratique du commerce d’Inde en Inde assure aux Britanniques une
connaissance remarquable des marchés de l’Orient, c’est une des raisons
qui explique leurs succès commerciaux et militaires dans la seconde moitié
du XVIIIe siècle. Sans doute les Portugais, et dans une moindre mesure les
Français, disposent-ils de la même compétence, mais leurs moyens
militaires sont très inférieurs.
X
LES MILITAIRES

Chaque Compagnies des Indes dispose de sa propre armée. En Asie, les


Européens prennent appui sur la force, et tout particulièrement sur la
puissance de feu de leurs canons de marine. Les Portugais sont les premiers
à les utiliser, ce qui leur permet d’emporter la victoire, d’abord à Diu en
1509, puis à Malacca en 1513 ; ils seront suivis des Hollandais qui
installent à Batavia une flotte permanente assez nombreuse (29 bâtiments
en 1626 ; 76 en 1635), capable d’imposer l’autorité de la V.O.C. dans
l’archipel ; enfin par les Britanniques. En 1622, l’opération combinée
anglo-persane contre les Portugais d’Ormuz, montre la puissance des
Britanniques et a de profondes répercussions en Orient, prouvant que sans
force navale il n’est pas de commerce possible pour les Européens. La
présence des Européens s’affirme également par les imposantes
fortifications de leurs installations côtières, gardées par des garnisons.
Celles des autres Compagnies sont moins nombreuses. En 1680, les
Hollandais entretiennent 8000 soldats en Asie, dont 2000 à Batavia et
autant à Ceylan à la même date, les Britanniques y ont à peu près 400
hommes et les Français encore moins pour assurer la défense des comptoirs
— il n’est pas question d’opération militaire à l’intérieur du pays. L’échec
des Britanniques au Bengale en 1686 est dans la mémoire de tous les
Européens et montre l’impossibilité d’envisager l’envoi d’un corps
expéditionnaire.

RECRUTEMENT

En Europe, pour le recrutement des soldats, les Compagnies se heurtent


aux agents recruteurs des souverains et doivent souvent se contenter des
plus médiocres. La V.O.C. engage beaucoup d’étrangers dans son armée,
comme dans sa marine : en janvier 1622, sur un matricule de 143 soldats en
garnison à Batavia on en compte seulement 17 originaires des Provinces-
Unies, à côté de 60 Allemands, de Suisses, d’Écossais et d’Irlandais 232. La
Compagnie britannique utilise la « presse », comme pour les matelots. La
Compagnie française recrute soit parmi les pauvres des grandes villes, en
particulier de Paris (27 %), soit dans les campagnes bretonnes au voisinage
du port de Lorient (24 %), soit enfin dans l’Est du royaume, d’où viennent
également un grand nombre des recrues de l’armée royale. Pour les
Français encore, pour lesquels nous disposons d’une bonne documentation
pour le XVIIIe siècle, l’âge moyen de l’entrée au service est de 21 ans ; les
citadins sont majoritaires (54 %) et plus jeunes que les ruraux ; parmi les
recrues âgées de moins de 30 ans beaucoup (56 %) ont perdu leur père et les
difficultés financières qui en découlent pourraient expliquer leur
engagement. La durée de l’engagement est de six à huit ans ; il est
évidemment possible de le renouveler ou de rester dans la colonie pour s’y
établir 233.
Le recrutement des officiers ressemble à celui des soldats (le taux
d’encadrement est d’un officier pour vingt hommes en moyenne). Chez les
Hollandais, beaucoup sont originaires des Provinces-Unies, cependant les
étrangers, en particulier les Allemands, sont nombreux. L’un d’eux,
J. Rhenius, est gouverneur de la colonie du Cap de 1728 à 1740, et un
huguenot français, Isaac de Saint-Martin, commande la garnison de Batavia
de 1686 à 1696. Les officiers de l’East India C° viennent en quasi-totalité
des îles Britanniques, avec un pourcentage important d’Écossais. Les
conditions du recrutement sont moins sévères que pour l’armée du roi ;
selon le duc d’York, futur commandant en chef de celle-ci, « les officiers de
la Compagnie sont généralement des jeunes gens qui se sont ruinés eux-
mêmes et ont été contraints de quitter le pays, ou bien ce sont des gens
d’une basse extraction qui sont envoyés [en Asie] par leur famille pour faire
fortune » 234 ; quant au colonel Draper du 79e régiment royal, envoyé à
Madras en 1762, il assure que : « la plupart des officiers de la Compagnie
sont des hommes de la plus basse éducation. Ils conviennent parfaitement
pour les garnisons à la fois par la médiocrité de leurs connaissances et par
leur comportement » 235. Il n’y a pas d’équivalence, pour l’avancement,
entre les services effectués pour la Compagnie et ceux qui sont faits pour le
roi, et George III lui-même avoue que ce serait le seul moyen « pour
parvenir à donner aux militaires servant en Inde une honorabilité à laquelle
le service de la Compagnie ne peut prétendre » 236. Mais les officiers de la
Compagnie redoutent qu’une telle équivalence n’accentue le poids du
patronage et ne les cantonne dans des fonctions subalternes. Dans la
Compagnie française, les officiers sont nommés par les directeurs puis
reçoivent un brevet du roi. Les lieux de recrutement sont analogues à ceux
des soldats : les Parisiens dominent, suivis par les Bretons ; ce qui frappe
par rapport aux officiers des autres Compagnies est une grande
homogénéité sociale : on compte plus d’un tiers d’enfants « d’officiers
d’épée », un tiers d’enfants d’employés de commerce et un tiers d’enfants
d’officiers de l’armée royale, ou d’officiers ayant effectué des services
assez longs pour le roi, en particulier dans les armes « techniques » comme
l’artillerie. Ce caractère original est dû sans aucun doute au lien
administratif entre la troupe de la Compagnie et l’armée royale. Les
promotions se font à l’ancienneté lorsqu’il y a une place vacante sur le
tableau d’avancement. Il faut de douze à quinze ans de service à un cadet
pour parvenir au grade de capitaine
Dans toutes les Compagnies, le motif de l’entrée au service, tant pour les
soldats que pour les officiers, est la volonté d’améliorer leur situation
financière, sinon de faire fortune, car les soldes sont payées régulièrement,
ce qui n’est pas toujours le cas dans le service de l’État. Parfois la curiosité,
le goût pour le dépaysement ou pour l’exotisme expliquent l’engagement,
ainsi le colonel Gentil, célèbre collectionneur d’antiquités hindoues, avoue
son « envie [qu’il avait] de satisfaire sa curiosité, d’après ce qu’il avait
entendu raconter sur les richesses de l’empire Mogol » 237.
Comment sort-on du service ? Plus de la moitié (52 %) des militaires
décède sur place, généralement de maladie, rarement de mort violente. La
désertion est fréquente (environ 15 %) car les soldats se trouvent maltraités.
Ainsi chez les Hollandais, au témoignage du chirurgien suédois Thunberg :
« Les soldats sont souvent plus maltraités et avec moins de compassion que
les esclaves même. En ce qui concerne ceux-ci, les maîtres non seulement
prennent soin de leur nourriture et de leur vêtement, mais aussi, lorsqu’ils
sont malades veillent à ce qu’ils reçoivent les soins nécessaires et une
nourriture appropriée. Les autres vont comme ils peuvent, c’est-à-dire nus,
ou habillés de loques, ce qui après tout leur est égal, et quand ils meurent,
c’est un lieu commun de dire que la Compagnie pourra en engager un autre
pour neuf guinées » 238. Citons encore les aveux fait par quelques déserteurs
français à un missionnaire jésuite : « Depuis notre débarquement, nous nous
sommes vus réduits à la plus extrême misère. Ce n’est pas l’intention du roi
qu’on traite ainsi des sujets qui s’expatrient pour son service. On nous avait
fait les promesses les plus flatteuses, et non seulement on nous a manqué de
parole, mais encore on nous a maltraités » 239. Pour éviter la multiplication
des désertions, fléau commun aux armées de toutes les Compagnies,
Hollandais, Britanniques, Français et Danois passent des accords de
restitution mutuelle, sans grand effet, car la plupart des déserteurs gagnent
l’intérieur du pays et sont recrutés par les souverains locaux pour apprendre
à leurs troupes la pratique de la manœuvre « à l’Européenne » !
À côté des soldats, on trouve quelques artisans européens, en particulier
des armuriers, car les Compagnies réservent l’exclusivité aux Européens.
Dans les ports d’escale, les artisans sont plus nombreux et les métiers plus
divers, ainsi au cap de Bonne-Espérance ou aux Mascareignes, alors qu’en
Asie, on trouve une main d’œuvre locale très habile.
En Inde, une grande partie des tâches militaires incombe à des soldats
recrutés localement. C’est une tradition ancienne : les Portugais engagent
des Hindous chrétiens ou Topas ; les Hollandais utilisent les services de
Japonais, de Javanais et d’Africains ; les Britanniques et les Français ont
des corps de topas, dont le nombre ne dépasse pas 30 % de celui des
Européens. Dupleix, gouverneur de Pondichéry, prend l’initiative, en 1746,
de former des corps de « cipayes », troupes indigènes musulmanes,
commandées par leurs propres officiers, conservant leur organisation
originale, mais placés sous l’autorité d’officiers majors européens qui leur
font faire l’exercice. En 1746, on compte 600 cipayes ; en 1755, 3 500 ; en
1758, 4 500 pour 1 000 Européens. Ce sont des fantassins, toutefois on y
adjoint un petit corps de cavaliers, d’environ 300 hommes, chargés de
poursuivre l’ennemi en retraite. Les Britanniques adoptent rapidement le
même mode de recrutement, leurs effectifs augmentent plus rapidement que
ceux des Français car ils engagent non seulement des Musulmans, mais
aussi des Hindous de haute caste, attirés par la promesse d’une paye
régulière. Comme chez les Français la proportion est de 4 à 5 cipayes pour
un Européen.
UNE VIE DE GARNISON

À côté des « factoreries », ou maisons de commerce avec un entrepôt et


quelques logements, toutes les Compagnies européennes disposent de
« places de sûreté » où leurs ressortissants peuvent se réfugier en cas de
difficulté. Les Britanniques sont à Bombay, Madras et Calcutta ; les
Français à Pondichéry. Ces installations fortifiées peuvent résister à un
siège mené par les armées locales, ainsi Bombay contre l’armée du Mogol
en 1686 ; Madras contre la même armée en 1702 ; Pondichéry contre les
Mahrattes en 1740 ; et si l’armée du nabab du Bengale parvient à s’emparer
du Fort William de Calcutta en 1756, c’est à cause de la « trahison » de 56
soldats hollandais de la garnison, mal payés, qui ouvrent la porte de la
citadelle. Les fortifications sont réalisées selon les connaissances de l’art
militaire du moment. Celles de Pondichéry, édifié de 1701 à 1710
s’inspirent de la citadelle de Courtrai, achevée dix ans plus tôt sous la
direction de Vauban. Mais les fortifications vieillissent mal, les Compagnies
ne voulant pas engager des dépenses coûteuses pour les moderniser.
Pour les dirigeants de l’Inde, comme pour les négociants et les artisans
locaux, ces enclaves fortifiées ont une importance considérable. Elles
peuvent leur servir de refuge dans les périodes de crise. Ainsi en 1740, la
famille du nabab de Pondichéry vient se réfugier dans la ville pour échapper
à une incursion des Mahrattes ; en 1742, l’homme le plus riche du Bengale,
le « banquier du monde », Fateh Chand Jaga Seth, sollicite une faveur
analogue pour sa famille auprès des autorités de Calcutta, pour le même
motif. Le bon accueil réservé aux artisans qui se placent sous la protection
des Européens répond à une volonté politique : « Il est sans aucun doute de
notre intérêt de faire de nos garnisons de l’Inde des abris pour les nations du
pays, assure un directeur de l’East India C°. Nous pourrons ainsi augmenter
en peu de temps nos revenus et donc notre puissance » 240.
Selon les termes même de leur contrat d’engagement, soldats et officiers
mènent une vie de garnison. Ils reçoivent une solde, doivent être logés,
nourris, vêtus et soignés. Sur ces trois derniers points on constate de
nombreuses plaintes. Les rations alimentaires sont jugées suffisantes en
quantité, mais médiocre en qualité. Il n’y a jamais assez d’uniformes, et on
habille les soldats avec des cotonnades de rebut de différentes couleurs,
restées dans les magasins après le départ des vaisseaux. Quant aux
hôpitaux, ils sont trop petits en raison du nombre élevé de malades qui peut
atteindre le tiers de la garnison.
Les soldats mènent une vie assez ennuyeuse, prenant le tour de garde aux
portes, surveillant les quais de débarquement ou d’embarquement, formant
un détachement d’honneur pour escorter le gouverneur ou les conseillers
lorsqu’ils doivent rencontrer les autorités locales ou les représentants des
autres Compagnies européennes, ou bien encore faisant l’exercice deux fois
par semaine. Les soldats quittent en de rares occasions l’établissement :
pour escorter et protéger les bateaux qui remontent le Gange jusqu’à Patna
prendre du salpêtre, pour assurer la garde sur un vaisseau à destination de
Canton, les autorités chinoises refusant la présence permanente de soldats
étrangers dans l’Empire, et enfin, parfois, mais rarement, pour participer à
une expédition militaire.
Dans toutes les garnisons européennes, les soldats trompent leur ennui en
jouant et en consommant des alcools de fabrication locale. « Notre nation
doit boire ou périr », assure le gouverneur hollandais Coen, et il ne fait pas
allusion à l’eau ! En 1674, sur 340 résidents hollandais à Batavia qui ne
sont pas employés par la Compagnie, 53 sont des taverniers. « Le vil prix
auquel la raque se vend […] donne occasion d’un furieux redoublement
d’ivrognerie, observe le conseil de Pondichéry en 1721. Le major et les
officiers nous ont diverses fois vivement représenté que la garnison achevait
de se perdre infailliblement […] En vain les punitions les plus sévères ont
été employées. Le soldat dès longtemps habitué à l’usage de cette
malheureuse et infâme boisson retombait sur le champ dans les excès
desquels il sortait d’être puni » 241.
Les officiers participent à la vie de société du comptoir ainsi qu’aux
réceptions. Ils y retrouvent les employés de commerce et les quelques
Européens installés sur place qui ne sont pas au service de la Compagnie.
Lorsque les établissements européens sont voisins les uns des autres,
comme sur l’Hooghly, plusieurs nations s’y retrouvent.
Avant tout les officiers cherchent à faire fortune. « Je veux revenir [en
Europe] riche d’argent et d’honneur », écrit un Britannique dans une lettre
privée. Ce n’est pas facile, car les traitements sont modiques eu égard au
coût élevé de la vie, surtout en Asie ; les « primes de campagne » ou batta,
sont bien venues, mais elles sont rares, car les campagnes sont
exceptionnelles. Les officiers affectés à l’une des escales peuvent participer
à la mise en valeur d’une concession, à la condition d’avoir au départ une
somme d’argent qui leur permette d’acheter des esclaves. Ensuite les profits
sont élevés : « Il est de notoriété publique que les biens fonds exploités dans
ces îles [des Mascareignes] avec les noirs produisent plus de dix pour
cent… par an » 242, assure l’un de ces colons et officiers. Mais, jusqu’au
milieu du XVIIIe siècle, l’origine des fortunes militaires vient des
placements dans le commerce d’Inde en Inde. L’officier François Meder,
après vingt-six années passées à Pondichéry, possède 73 000 livres, fortune
que l’on peut qualifier d’importance moyenne, dont 23 % pour la valeur de
son habitation dans laquelle il habite, 30 % en diamants (le placement
préféré des officiers en raison de sa mobilité), et 47 % en participations
dans le commerce d’Inde en Inde 243. Cependant les officiers ont moins
d’occasions que les employés de commerce de faire du commerce. Chez les
Français installés en Asie au XVIIIe siècle, et en ne retenant que les
fortunes d’un montant supérieur à 4 000 livres, la moyenne est de
300 000 livres dans la plume, 56 000 livres dans l’épée.

Tout change à partir du second tiers du XVIIIe siècle, lorsque les


Européens commencent à intervenir fréquemment dans les affaires de
l’Inde. En effet après la disparition d’Aurengzeb en 1707, l’autorité du
Mogol, affaiblie par des conflits de succession est de plus en plus mal
supportée ; pour les Hindous en général, l’empereur est un étranger qui
s’appuie sur une armée d’occupation pour exercer le pouvoir. Au Deccan et
au Bengale, en particulier, l’autorité du souverain avait toujours été
lointaine, mal établie, et ses représentants, soubabs et nababs, profitaient
des difficultés de succession pour prendre davantage d’autonomie. Les
tribus belliqueuses, comme les Mahrattes, installées dans les régions
montagneuses de l’Ouest, qui avaient toujours refusé de se soumettre à
l’autorité du Mogol, profitent de l’affaiblissement de l’empire pour y faire
des razzias, allant même jusqu’aux plaines de l’Indus et du Gange.
Cette situation devait conduire inévitablement à une intervention politique
et militaire des Européens dans les affaires de l’Inde, la sécurité et la
rentabilité des opérations commerciales dans les comptoirs n’étant possible
qu’avec une présence militaire assurant la tranquillité dans l’arrière-pays.
De plus, les adversaires en présence, Mahrattes et grands féodaux, désireux
d’étendre ou simplement de conserver leur domination, firent appel de plus
en plus souvent aux Européens, qui, avec leurs armées bien équipées,
pouvaient offrir une protection ou bien aider à emporter la victoire.
Une telle situation se présenta pour les Français de Pondichéry en 1740.
Le nabab du Carnatic cherchant à étendre sa domination au détriment du
souverain hindou de Tanjore, ce dernier fit appel aux Mahrattes pour le
défendre ; au cours de la bataille qui suivit, le nabab fut tué. Son fils prit la
tête de son armée, la réorganisa et demanda asile dans Pondichéry pour sa
famille et ses biens. Le conseil et le gouverneur, après avoir hésité,
décidèrent d’accepter : « Il y avait à craindre que les Mahrattes, informés du
lieu de la retraite de toute cette famille et qu’ils y avaient transporté toutes
leurs richesses ne se déterminassent à venir assiéger Pondichéry dans la vue
de s’en rendre maîtres. D’un autre côté, si les Français avaient refusé
l’entrée de leur ville à cette famille, la moindre révolution faisant changer
les affaires de face et obligeant les Mahrattes à se retirer du pays, […] les
officiers du Mogol n’auraient jamais pardonné aux Français de leur avoir
refusé l’entrée de leur ville dans une occasion aussi pressante et aussi
critique » 244.
Les Mahrattes vinrent effectivement faire le siège de la ville, puis ils y
renoncèrent devant l’impossibilité d’affamer une ville pouvant être
ravitaillée par mer, les aléas d’une attaque en force, et la présence d’une
puissante artillerie. Soumis par ailleurs aux escarmouches des troupes du
nouveau nabab, ils décidèrent de quitter la région.
Les Français s’empressèrent d’exploiter ce succès en obtenant la
concession de deux villages près de Pondichéry et surtout l’envoi par le
Mogol, à la demande du nabab du Carnatic, d’une « patente de nabab »
pour le gouverneur du comptoir français et ses successeurs. Cette dignité
considérable était la première qu’un Européen recevait en Inde. Le conseil
du comptoir y vit l’occasion d’obtenir de nouveaux avantages commerciaux
et une meilleure protection de l’établissement en cas d’attaque.
La seconde occasion tout aussi importante fut la victoire emportée par les
Français le 24 octobre 1746, près de San Thomé, sur l’armée du nabab
d’Arcate. En effet, après la prise du comptoir britannique de Madras par les
Français au début de l’année 1746, le nabab, allié des Anglais, après avoir
essayé d’empêcher que le conflit entre les deux nations ne s’étende à la côte
de Coromandel, avait décidé d’organiser une expédition pour reprendre
l’ancienne colonie anglaise. À la surprise générale son armée fut mise en
déroute par une escouade française. Événement capital : pour la première
fois, une petite troupe européenne l’emportait sur une forte armée hindoue.
Ce succès décida plusieurs princes de l’Inde à solliciter l’alliance et la
protection des Français. Le premier, un rival du nabab d’Arcate, l’emporte
en juillet 1749 grâce à l’aide de 400 soldats et 1 200 cipayes prêtés par les
Français ; le second, un ancien soubab du Deccan, représentant le Mogol
dans le sud du pays, aspirant à retrouver la dignité dont il avait été privé par
un rival, triomphe en 1750 et 1751 avec 300 Européens et 1 800 cipayes
placés sous le commandement de Bussy. Il demande alors que cette force
reste auprès de lui pour assurer la défense de la citadelle d’Aurengabad
dans laquelle il réside.
Ces victoires sont dues à l’entraînement des troupes. De nombreux
exercices leur permettent de conserver l’ordre et de poursuivre le combat
malgré le feu de l’ennemi. Elles sont dues également à la bonne qualité de
l’armement, en particulier des canons de campagne, dont la mobilité et la
cadence de tir est bien supérieure à celle des lourdes pièces utilisées par les
armées locales.
Ces victoires entraînent de grands changements dans l’organisation de la
présence européenne en Inde. Tout d’abord la fortune s’offre aux militaires
en raison des gratifications princières. En 1749, le nabab d’Arcate remet
aux Français : « une gratification de 50 000 roupies sicca [environ
120 000 livres tournois] pour la troupe, dont moitié pour le soldat, 4 000 à
chaque capitaine, 2 000 au lieutenant et 1 000 à l’enseigne » 245. Le soubab
du Deccan en fait autant et Dupleix lui-même est surpris par l’importance
des sommes qui sont versées : « Nos Messieurs qui sont à Aurengabad ont
fait des fortunes immenses, écrit-il à son gendre en octobre 1751. Vincens
possède au moins deux lacks [480 000 livres tournois] et Bussy et Kerjean
de quatre à cinq lacks. Ces fortunes sont aussi extraordinaires que vraies.
Celles-ci existent en bonnes espèces sonnantes et rendues dans la colonie où
il est entré depuis un an des richesses immenses » 246. Bussy, qui épousera
plus tard une nièce de Choiseul, alors principal ministre, aurait réuni une
fortune de trente millions de livres pendant son séjour à Aurengabad.
Ces initiatives finirent par inquiéter les Britanniques. Pour les Français, la
présence de petits groupes de soldats en quelques points d’appui est
simplement destinée à maintenir l’alliance avec les grands féodaux du sud
de l’Inde, à éviter « bien des avanies », assure Dupleix, à dresser une sorte
de « glacis » protecteur autour des établissements ; ce n’est en aucun cas la
première étape de l’installation d’une colonie ni même d’un protectorat.
Mais les Britanniques y voient la poursuite d’un plan visant à les isoler, à
les couper de l’arrière-pays, et à empêcher l’acheminement des cargaisons
de cotonnades et d’autres produits d’exportation.

LA RIVALITÉ ENTRE BRITANNIQUES ET FRANÇAIS

En théorie les guerres entre Européens, qui se déroulent tant sur les
continents — en Europe et en Amérique —, que sur mer, ne doivent pas
gagner l’Asie. Au Japon, en Chine, en Inde, en Perse, les souverains
imposent le respect de la neutralité. En Inde toutefois ce principe est mis à
mal, à l’initiative des Français.
Le 21 septembre 1746, après trois jour de bombardement par les Français
commandés par La Bourdonnais, le comptoir britannique de Madras
capitule. Il est rapidement rendu en échange de la citadelle de Louisbourg
sur l’île du Cap Breton, dont les Anglais s’étaient emparés. Mais cette
victoire des Français en Inde marque le début d’une âpre rivalité militaire
entre les deux puissances.
Dès 1748, les directeurs de la Compagnie britannique tirent les leçons de
leur échec militaire. Ils affectent des crédits importants à l’édification et à
l’entretien des ouvrages fortifiés — ce qu’ils s’étaient toujours refusés à
faire jusqu’alors en raison de la médiocre utilité commerciale de ces
investissements —, puis ils recrutent trois officiers supérieurs de l’armée
royale, en position de demi-solde, pour prendre le commandement des
garnisons de Madras, Calcutta et Bombay et augmentent les effectifs : 3 000
dès 1749, 6 000 dans les six années suivantes.
Cette troupe permet aux Britanniques d’intervenir dans les affaires de
l’Inde du Sud, à l’exemple des Français. En septembre 1751, le capitaine
Clive, jeune officier ayant préféré l’épée à la plume, prend le contrôle en un
raid audacieux de la capitale du Carnatic, faisant mettre à mort le protégé
des Français pour le remplacer par un seigneur client des Britanniques et
renvoie à Pondichéry la petite troupe qui en avait été détachée.
Ces événements inquiètent les directeurs de la Compagnie française qui
décident, en 1753, de rappeler Dupleix en métropole : « On préfère
généralement ici [à Paris] la paix à des conquêtes, et les succès
n’empêchent qu’on ne désire un état moins brillant, mais plus tranquille et
plus favorable au commerce, écrit le commissaire du roi au gouverneur. On
ne veut que quelques établissements en petit nombre pour aider et protéger
le commerce. Point de victoire, point de conquêtes, beaucoup de
marchandises et quelque augmentation de dividende » 247. Godeheu, le
successeur de Dupleix passe un accord avec le gouverneur de Madras selon
lequel les deux nations renoncent à intervenir dans les différends entre les
seigneurs du Carnatic, et se partagent les zones d’influence commerciale
dans la même province. C’est « un traité dont en général les conditions sont
bonnes, honorables, et ont été approuvées », déclarent les directeurs de la
Compagnie française 248.
Cependant les Français restent méfiants. À la demande du gouverneur de
Pondichéry, Bussy reste dans le Deccan, et les forces militaires de l’Inde
sont progressivement portées à 6 000 hommes comme chez les
Britanniques. Lors de la déclaration de guerre de la France à l’Angleterre en
juin 1756, à la suite de la « rafle de Boscawen », le gouvernement français
décide d’ouvrir un front secondaire en Asie et d’y envoyer un corps de
l’armée royale placé sous le commandement du lieutenant général Lally ;
les Britanniques font de même. Après quelques succès, Lally échoua devant
Madras en 1758 et fut obligé de se retirer à Pondichéry en février 1759 lors
de l’arrivée d’une escadre anglaise. Avec ces renforts les Britanniques
prirent l’offensive ; Bussy, rappelé, dû abandonner le Deccan, et
Pondichéry, assiégée, capitula en janvier 1761. La ville fut rendue aux
Français en 1763, après la destruction de la citadelle et de toutes ses
fortifications.
D’autres événements, plus importants encore, se déroulaient au même
moment au Bengale. Il faut rappeler que cette région de plaine formée par
les alluvions du Gange et du Brahmapoutre, est la plus fertile de l’Inde,
celle où l’on trouvait la majeure partie des produits d’exportation vers
l’Europe. Depuis le XVIe siècle, c’est une province de l’empire mogol,
gouvernée par deux officiers, le « soubab » (subahadar), commandant des
forces armées, chargé du maintien de l’ordre, et le « divan » (diwan),
responsable des finances et de la justice. En 1717, le divan Murshid Kuli
Khan prend également la fonction de soubab, devenant ainsi le premier
« nabab » du Bengale, et crée une dynastie. À sa mort en 1737, la province
est presque autonome ; le tribut continue d’être payé à l’empereur mogol,
mais désormais le nabab ne se reconnaît aucune obligation envers lui.
Vers 1630, les Britanniques commencent à faire du commerce dans la
région et obtiennent rapidement l’autorisation d’avoir des factoreries
permanentes, analogues à celles dont disposent déjà les Portugais et les
Hollandais. Et surtout, ils obtiennent en 1651 un avantage douanier très
appréciable : la fixation du montant forfaitaire de leurs taxes annuelles à
l’exportation à 3 000 roupies (environ 350 livres sterling). C’est une somme
modeste en raison du niveau faible du commerce britannique, mais quand
celui-ci se développe, dans les années 1670, les officiers du Mogol
demandent la révision de cet accord ; une difficile négociation s’engage,
interrompue par l’attaque des Anglais en 1686. Malgré leur échec relatif,
l’avantage de « l’abonnement » à 3 000 roupies est confirmé par un firman
du Mogol en 1717. Le nabab du Bengale ne fait pas toujours preuve de la
même bonne volonté et exige régulièrement le versement de taxes
additionnelles 249.
En 1756, le nouveau nabab Siraj-ud-daula voulut mettre fin à l’exemption
douanière dont bénéficiaient les Britanniques. Peut-être aussi voulait-il
éviter que ne se produisent au Bengale des événements semblables à ceux
qui venaient de se dérouler au Carnatic. Constatant que les Français et les
Anglais renforçaient leurs fortifications en prévision d’un conflit, le nabab
leur demanda de cesser les travaux. Le directeur de Chandernagor fit une
réponse lénitive. Quant au gouverneur de Calcutta, peu expérimenté, il
envoya une lettre dont le nabab considéra les termes comme insultants pour
lui. Il réunit donc son armée et arriva au milieu du mois de juin devant le
comptoir anglais, s’empara rapidement de la ville puis commença le siège
de la citadelle, dont une partie de la garnison avait été évacuée sur des
vaisseaux qui stationnaient au large. Le soir du 20 juin, la porte fut ouverte
par la « trahison » de soldats hollandais et les soldats du nabab enfermèrent
146 Européens dans un cachot habituellement réservé aux soldats ou aux
matelots en état d’ivresse. Pendant la nuit, 123 hommes décédèrent dans ce
« trou noir », pièce étroite et sans air. Lorsque ces événements furent
connus d’abord en Inde, puis en métropole, ils suscitèrent parmi les
Britanniques un mouvement d’horreur qui explique la suite des événements.
Le récit publié quelques jours plus tard par un survivant ; Holwell, président
du tribunal, renforça ce sentiment ; il fallait une vengeance 250.
Au même moment, Clive arrivait à Madras, venant de la métropole. Il
avait été bien reçu par les directeurs après son succès dans le Carnatic. Pour
récompenser « les mérites du capitaine Clive, au courage et à la bonne
conduite duquel l’heureux achèvement des dernières affaires est dû en
grande partie » 251, on lui confia le gouvernement de Madras. Lorsqu’il
apprit les événements de Calcutta, Clive décida d’utiliser les forces dont il
disposait, destinées à la guerre contre les Français de Pondichéry, pour
reprendre le comptoir du Bengale. En février 1757, il débarqua dans cette
province avec 2 000 hommes et 7 canons, affrontant l’armée du nabab forte
de 30 000 hommes et de 40 canons. La rencontre fut indécise, mais le
déroulement tel que Siraj-ud-Daula dut accepter de négocier et de rendre
Calcutta aux Britanniques, nouvelle qui remplit d’aise les directeurs
généraux de la Compagnie. « Selon les nouvelles reçues du Bengale,
écrivent-ils, nous avons toutes les raisons de croire que le nabab est revenu
à une conduite pacifique, et qu’il a accepté de réintégrer la Compagnie dans
ses possessions, droits et privilèges […] » 252.
Avant de quitter le Bengale, Clive décida d’utiliser son armée pour
s’emparer du comptoir français. Le 14 mars, il adressa un ultimatum au
directeur : « Le roi de la Grande-Bretagne ayant déclaré la guerre à la
France, je vous ordonne en son nom de rendre Chandernagor. En cas de
refus, vous devrez répondre des conséquences et vous attendre à être traité
selon les lois de la guerre » 253. Le lendemain, n’ayant reçu aucune réponse,
il commença le siège. Les Français, écrasés sous le feu des canons des
navires anglais ancrés devant le comptoir, durent se rendre.
Puis, Siraj-ud-Daula, ayant refusé de régler l’indemnité réclamée par les
Britanniques pour le pillage de leurs biens à Calcutta et tenté de les
empêcher d’attaquer les Français, Clive monta une nouvelle campagne
contre lui. Le 13 juin, il se mit en marche en direction de Murshidabad,
capitale du nabab. Il disposait de 3000 hommes, dont environ 2000
Européens, et d’une douzaine de pièces d’artillerie, mais il n’avait toujours
pas de cavalerie. Le souverain s’avança à sa rencontre et les deux armées se
rejoignirent près du village de Plassey (ou Palasi) le 23 juin. Siraj-ud-Daula
disposait de 50000 hommes et de l’aide d’un petit groupe de Français venus
se placer sous son autorité. À la fin de la journée, Siraj-ud-Daula, défait,
s’enfuit à Murshidabad, où il fut mis à mort tandis que Mir Jafar, son oncle
et général de l’armée, était proclamé nabab. Celui-ci tint immédiatement
l’engagement secret passé avec Clive de verser 1 750 000 livres sterling en
indemnités pour les pertes subies lors de la prise de Calcutta. Le trésor
descendit le fleuve en grande pompe, « tambour battant et couleurs
levées », passant devant l’établissement hollandais et il fut reçu avec le
même appareil dans le comptoir britannique. Ce fut le triomphe de Clive,
déjà vainqueur au Coromandel et maintenant au Bengale !
Clive resta au Bengale trois années, après avoir envoyé à Madras une
partie de son armée, pour poursuivre la guerre contre les Français. Il
organisa l’exploitation commerciale de la province au profit de la
Compagnie, obtenant du nabab, dès 1757, le monopole du commerce du
salpêtre, puis l’année suivante celui de l’opium 254.
En 1764, on apprend à Londres la nouvelle du massacre de 170
britanniques à Patna. Une fois de plus la position anglaise au Bengale paraît
bien fragile, et à nouveau la direction de la Compagnie se tourne vers celui
qui paraît le plus compétent : Lord Clive of Plassey. Celui-ci hésite, mais si
la position de la Compagnie au Bengale devait être perdue, les ennemis de
Clive auraient beau jeu de critiquer la fragilité de son œuvre. Finalement il
décide de gagner une nouvelle fois la province, part en juin 1764 pour
arriver un an plus tard.
Les décisions prises lors de son second gouvernement seront capitales
pour l’avenir. Clive contraint d’abord le nabab du Bengale à licencier son
armée puis à signer un traité (Traité d’Allahabad, 12 août 1765) par lequel
la Compagnie perçoit directement les impôts de la province — le Diwani —
et s’engage à verser une rente au Mogol et au nabab pour leurs dépenses
d’administration ; le surplus pouvant être utilisé pour son commerce.
« Habituellement, écrit Clive, chaque nation qui fait du commerce aux
Indes orientales apporte de l’argent pour acheter les marchandises.
L’acquisition du Diwani rend ce trafic inutile pour la Compagnie
britannique ; nos investissements peuvent être effectués, nos dépenses
civiles et militaires réglées, et une grande quantité d’argent être adressé en
Chine, sans que nous ayons besoin d’y envoyer une seule piastre » 255. Et il
poursuit dans une autre lettre : « Depuis l’acquisition du Diwani le pouvoir
qui appartenait au nabab est entièrement passé à la Compagnie des Indes
orientales. Il ne reste rien au nabab, seulement le nom et l’ombre de
l’autorité ».
Il est difficile de démêler la part des intérêts privés et de ceux de la
Compagnie dans ce changement capital. Si la direction de la Compagnie est
hostile aux opérations militaires, toujours coûteuses, elle tient toutefois à
conserver les avantages douaniers exorbitants dont elle dispose et veut
écarter ses rivaux, particulièrement les Français, dans la poursuite du
commerce. En recourant à la force elle est amenée à demander des cessions
de territoires et obtient donc des revenus plus importants pour entretenir une
armée de plus en plus forte. Le rôle de la direction générale est
certainement essentiel dans les événement de Calcutta en 1756 ; mais il
n’en sera plus de même ensuite — les intérêts particuliers des employés de
la Compagnie, leur désir de fortune, l’ambition vont prendre une place
essentielle. Finalement ce que le conseil de Calcutta reproche aux nababs
est leur générosité insuffisante vis-à-vis de leurs « bienfaiteurs »
britanniques ! Le modèle est Clive, qui rentre en métropole à l’issue de son
premier gouvernement, avec une fortune d’au moins 320 000 livres sterling
(dont 234 000 sont un cadeau personnel de Mir Jafar), auquel il faut ajouter
les revenus d’un jagir ou domaine qui s’élèvent à 27 000 livres par an. Le
personnel suit cet exemple, tant parmi les civils que les militaires. Francis
Sykes, civil, résident à Murshidabad, est considéré par ses contemporains
comme l’un des hommes les plus riches rentré d’Asie, propriétaire d’un
domaine dans le comté d’Oxford, membre du Parlement et baronet 256. Le
major Kilpatrick, mort deux années après Clive laisse une fortune de
60 000 livres 257.
L’imbrication entre intérêts privés et intérêts publics s’explique en partie
par la politique de la Compagnie des Indes. Cette ambiguïté conduira
finalement après bien des avatars à la disparition de la Compagnie elle-
même.
XI
LA FIN DES COMPAGNIES DES INDES

L’East India C°, « corps de marchands », devient donc à partir de 1765 un


« corps politique » chargé d’administrer un vaste territoire. Cette nouvelle
orientation de la Compagnie durera presque un siècle. En 1766, William
Pitt, — le premier Pitt — dépose un projet de loi pour que les nouvelles
conquêtes en Inde appartiennent de droit à la Couronne et non à la
Compagnie. Ce premier point acquis, il propose à la Compagnie
d’administrer les territoires moyennant un versement annuel à l’État, « sorte
de cadeau du ciel », ce qui aboutirait à un contrôle du budget de l’East
India C° par le Parlement. Il est critiqué par le chancelier de l’Échiquier qui
souhaite maintenir la Compagnie hors du contrôle du Parlement. Après cet
échec, aucun gouvernement ne fait de nouvelle tentative, au moins jusqu’au
vote de la charte de 1813.
Cependant, la Compagnie qui assure la gestion d’un « empire », dont
l’importance est capitale pour l’économie britannique, est souvent l’objet de
critiques. Mais pour lui en ôter la gestion il faudrait une décision du
Parlement. Celui-ci n’y est pas favorable car la sauvegarde des libertés
constitutionnelles lui paraît plus importante que le gouvernement de l’Inde.
Depuis 1698, en effet, les chartes organisant la Compagnie sont octroyées
par le Parlement, non par la Couronne, et toute mesure portant atteinte à
cette disposition serait comprise comme une atteinte à la liberté des
Britanniques. En 1783, un défenseur de la Compagnie assure que si elle
était supprimée, la Banque d’Angleterre suivrait, et qu’il n’y aurait plus de
sécurité pour la propriété privée. En 1813 encore, un parlementaire assure
que si la Couronne prenait le contrôle de l’Inde, « il serait impossible que
l’ombre de la liberté se maintienne dans ce pays ». Toutefois une
organisation sera progressivement mise en place, la Compagnie y
conservera l’apparence du pouvoir, l’État ayant l’essentiel de celui-ci.

LA MAINMISE DE L’ÉTAT BRITANNIQUE SUR LA COMPAGNIE


Il faut d’abord mettre fin aux agissements des employés de la Compagnie
en Inde. Jusqu’aux années 1770 les fortunes des « nababs » alimentent la
chronique scandaleuse en métropole. Après celle de Clive, la plus
importante est sans doute celle de Richard Barwell, estimée, peut-être avec
exagération, à 400 000 livres sterling, fortune acquise pendant qu’il assurait
à Dacca la direction de la ferme du sel 258. James Alexander, résident à
Murshidabad, puis à Patna, évalue sa fortune à 150 000 livres lorsqu’il
quitte le Bengale en 1772. Il achète un grand domaine en Ulster, sa province
d’origine, et il en espère un revenu annuel de 7 000 livres ; il est aussi le
premier lord Caledon 259. Quelques officiers sont presque aussi heureux.
Richard Smith possède déjà 60 000 livres, gagnées au service du nabab du
Carnatic, lorsqu’il arrive au Bengale en 1764 ; il en repart six ans plus tard,
après avoir été commandant en chef, avec une fortune de 300 000 à
400 000 livres 260. Même un chirurgien entreprenant peut devenir riche,
comme William Semple, « formé à la médecine […] [qui] se rend en Orient
pour faire fortune, ce qu’il parvient à faire dans ce pays beaucoup plus
rapidement qu’aucun autre avant lui ». Il aurait gagné 30 000 livres en trois
ans, essentiellement grâce au commerce 261.
C’est que le trafic intérieur du Bengale, où les Européens étaient
jusqu’alors peu actifs, leur est maintenant ouvert, et remplace
avantageusement le commerce d’Inde en Inde. Les employés peuvent
demander à bénéficier de l’exemption douanière accordée à la Compagnie.
Et la concession du diwani ouvre de nouvelles possibilités. Les employés
utilisent des prête-noms, — des banians — avec lesquels ils ont l’habitude
de travailler, qui prennent à ferme la perception des impôts dans une
circonscription et demandent une somme plus élevée que celle indiquée par
la Compagnie, puis partagent le surplus avec leur protecteur. Parfois, les
employés avancent de l’argent aux nababs, et, en raison du risque,
demandent un taux élevé. Au Bengale, les sommes empruntées sont
modestes, car le nabab a de faibles ressources, mais au Coromandel elles
sont importantes. D’autres pratiques, déjà connues avant Plassey, prennent
de l’ampleur. Les prix des fournitures demandées par la Compagnie sont
majorés de 30 à 40 %, ou bien l’argent avancé pour faire les achats est
d’abord utilisé à des fins personnelles. Ceux qui manient des sommes
importantes, ainsi à la paierie du Bengale, les utilisent pour des trafics
personnels avant de les remettre dans la caisse.
Une autre difficulté, rencontrée par la direction générale de la Compagnie,
est l’augmentation des dépenses militaires due à l’accroissement des
effectifs. On passe de 18000 hommes en 1764 à 115 000 en 1782, situation
d’autant plus surprenante que les directeurs ne cessent dans leur
correspondance d’en exiger la diminution. C’est que la Compagnie, en
prenant en charge l’administration du Bengale, est obligée d’accomplir une
partie des fonctions exercées auparavant par l’armée du nabab. Il faut
assurer la sécurité à l’intérieur de la province, d’autant que le diwani
comporte la surveillance de la justice civile ; il faut poursuivre les
contribuables défaillants et assurer la protection des frontières. Il faut
encore prêter des contingents militaires aux princes alliés. Tout ceci coûte
cher, et les revenus importants escomptés ne sont pas obtenus, d’autant que
le Bengale connaît une terrible famine en 1769 et 1770.
En 1772, la Compagnie, incapable de payer ses débiteurs et le dividende
aux actionnaires, demande l’aide du gouvernement. Celle-ci lui est accordée
en 1773, sous la forme d’un versement de 1500000 livres. La condition
posée est une première atteinte à son indépendance : le préambule du
Regulating Act affirme que la responsabilité de la Compagnie n’est pas
seulement commerciale et que la nation est garante du bon ordre dans les
affaires de l’Inde. Un gouverneur général est installé à Calcutta, assisté et
surveillé par un conseil de cinq membres nommé par le parlement. Les
salaires des employés sont fixés une fois pour toutes selon leur grade et il
est interdit de recevoir des cadeaux. Une cour suprême, chargée de
poursuivre les malversations, est établie près du gouverneur avec des juges
indépendants, payés par la Couronne. Le contrôle du gouvernement sur la
Compagnie fait obligation aux directeurs de donner connaissance aux
ministres, dans les quinze jours suivant la réception, de toutes les lettres
reçues des gouverneurs et des conseils établis aux Indes orientales. En
même temps Clive est mis en cause devant la chambre des Communes sur
l’origine de sa fortune ; le débat passionne l’opinion publique ; il est
finalement acquitté, mais avec des attendus qui laissent planer un doute,
renforcé par sa mort soudaine peu après, soit à la suite de l’absorption d’une
dose trop forte d’opium, soit, ce qui est le plus plausible, d’un suicide.
En raison de la guerre de l’indépendance des États-Unis, la discussion sur
l’amendement du Regulating Act ne se déroule qu’en 1784, mais il est
depuis longtemps évident, tant en Angleterre qu’en Inde, que ce texte ne
répond plus aux attentes. Le conseil de gouvernement est inefficace, les
membres se disputent entre eux, et leur autorité sur les gouverneurs des
autres établissements (Madras et Bombay) n’est pas clairement précisée.
Les malversations des employés se poursuivent et un comité des
Communes, présidé par Burke, les dénonce avec vigueur. Enfin la situation
financière de la Compagnie est toujours aussi difficile, car elle est amenée à
conduire une série d’opérations militaires contre Haïder Ali, souverain du
Mysore, et contre les Mahrattes, et doit demander trois années durant, en
1782, 1783 et 1784, l’aide de l’État. Après plusieurs débats, Pitt, — Pitt le
jeune — propose un nouveau texte, très élaboré, qui est approuvé en juillet
1784 et devient l’India Act. Il institue le Board of control, conseil privé de
six membres, nommés par le roi, parmi lesquels le secrétaire d’État et le
chancelier de l’Échiquier, qui siègent à côté de la direction générale de la
Compagnie et sont chargés d’examiner toute la correspondance envoyée en
Asie et de surveiller tant les affaires civiles, militaires que financières de
l’Inde. En cas de difficultés, en particulier militaires, un comité secret peut
être formé et autorisé à donner des ordres directement aux gouverneurs. Les
guerres de conquête sont déclarées « contraires à la volonté et à l’honneur
de la nation ». L’administration générale des établissements en Inde
demeure confiée à un gouverneur général, résidant à Calcutta, assisté d’un
conseil de trois membres et de deux gouverneurs subordonnés, l’un à
Madras et l’autre à Bombay. Le gouverneur général, nommé par le roi, peut
être rappelé sur son ordre. Les directeurs de la Compagnie conservent la
gestion des affaires commerciales ainsi que la nomination des employés et
des officiers, ce qui leur permet d’exercer un patronage.
L’équilibre entre les deux pouvoirs, l’État et la Compagnie, est considéré
par les contemporains comme bien assuré et conforme à la constitution de
la Grande-Bretagne. C’est le thème développé par James Mill dans son
History of British India, publiée en 1806. Dans la pratique cependant
l’autorité des directeurs diminue au profit de celle du Board of control. Son
président joue un rôle capital, c’est un véritable secrétaire d’État à l’Inde, et
lorsqu’il s’agit d’un homme expérimenté, comme Henry Dundas qui
remplit cette fonction de 1784 à 1801 et dispose de l’appui d’une bonne
majorité parlementaire, il parvient à ses fins, même contre l’avis des
directeurs de la Compagnie.

LA DISPARITION DES AUTRES COMPAGNIES DES INDES

Après la bataille de Plassey et la victoire décisive de Clive au Bengale, les


autres Compagnies dépendent étroitement pour financer les achats de leurs
retours des remises de fonds faites par les employés de la Compagnie
britannique en Asie. Ceux-ci veulent faire revenir leur fortune en Europe et
ils répugnent, pour des raisons évidentes de discrétion à faire transiter de
grosses sommes par leur Compagnie. Une fois encore le modèle est donné
par Clive. Lorsqu’il quitte le Bengale en 1760, il transfère 230 000 livres
sterling en lettres de change sur les Hollandais, 41 000 livres en lettres de
change sur sa propre Compagnie, 30 000 livres en diamants par Madras,
4 000 livres en port-permis sous des prête-noms sur des vaisseaux de l’East
India C°, 5 000 livres sur le caissier de Bombay et 7 000 livres en une lettre
de change sur un directeur de la Compagnie. En 1767, il revient avec
54 000 livres en lettres de change sur la Compagnie hollandaise et
20 000 livres sur la Compagnie française 262.
Dans ces transferts la place des Hollandais est toujours importante ; entre
1770 et 1785, les montants s’élèveraient à 1 775 000 livres. Les sommes
remises aux Français sont un peu moins élevées, mais le calcul est difficile
à faire. Entre 1765 et 1769, vingt millions de livres tournois auraient été
envoyées à Paris au compte de la banque Necker. Après 1769, la
Compagnie française cesse ses activités et les Britanniques s’adressent à
des particuliers. Le premier d’entre eux semble bien être Jean-Baptiste
Chevalier, directeur du comptoir de Chandernagor, auparavant employé par
des commerçants anglais à la frontière avec l’Assam. En 1775 il charge
trois vaisseaux, les Duc d’Aiguillon, Duc de la Vrillière et Boyne avec
400 000 livres sterling en lettres de change sur des banques de Londres 263.
La guerre de l’indépendance des États-Unis interrompt ce trafic. Les
Britanniques s’emparent de Chandernagor et Chevalier, fait prisonnier, est
renvoyé en Europe. Ses créanciers lui réclament alors des sommes de plus
de trois millions de livres tournois, dont il règle la quasi-totalité. La
nouvelle Compagnie française des Indes, créée en 1785, tire la plus grande
partie de ses ressources de ces transferts. Les Portugais et surtout les Danois
sont actifs pendant la guerre de l’indépendance des États-Unis, car ils sont
neutres. Entre 1778 et 1783, un million de livres sterling sont envoyées en
Europe, dont 750 000 à partir du Bengale, par la Compagnie danoise. C’est
donc bien la majeure partie de l’activité commerciale de toutes les nations
européennes présentes en Asie qui dépend des envois de fonds par les
Britanniques.
Par ailleurs, depuis 1769, l’East India C° encourage les transferts d’argent
à Canton pour pouvoir acheter du thé ; en échange elle remet des lettres de
change sur Londres qui portent intérêt à un taux plus élevé que celles qui
viennent du Bengale. Trois millions de livres sterling transitent ainsi par la
Chine entre 1769 et 1783.
Les diamants, dont on a vu qu’ils sont utilisés par Clive pour transférer
une partie de sa fortune, ont moins de succès à la fin du XVIIIe siècle, car
les diamantaires européens sont de plus en plus nombreux en Inde.
Néanmoins il semble bien que le montant total de la valeur des diamants
envoyés en Grande-Bretagne depuis l’Inde entre 1770 et 1785 s’élève à plus
de 200 000 livres.
On peut donc se rallier à l’estimation globale de dix-sept millions de
livres proposée par Peter Marshall dans East Indian Fortunes 264pour les
transferts de fonds effectués par les Anglais à partir du Bengale entre 1757
et 1784.
Il faut y ajouter les lettres de change sur les particuliers ou sur les
Portugais pour environ un million de livres, soit un total d’à peu près dix-
huit millions de livres sterling. C’est près de 650 000 livres par an !
Évidemment presque tout cet argent reste en Asie puisqu’il sert à acheter
les cargaisons de retour ou à payer des salaires. La nouveauté est que les
Européens n’amènent plus ou presque plus de métaux précieux, ce qui
entraîne des difficultés monétaires en Asie.
Par ailleurs, le contrôle politique exercé par les Britanniques sur des
régions de plus en plus étendues place leur Compagnie dans une position
très avantageuse par rapport à celles des autres Européens. Au Bengale, les
Hollandais et les Français paient leurs marchandises à un prix supérieur de
25 % en moyenne à celui déboursé par les Britanniques. La direction de
l’East India C° déclare hautement son attachement à la liberté du
commerce, cependant elle prend des mesures contraires, comme le
monopole de l’opium du Bengale, dont toute la production est livrée à
Calcutta — puis vendue à des négociants anglais qui l’envoient en
Chine —, et transformée en lettres de change sur Londres qui servent à
acheter du thé. De fait, le trafic de l’opium, activité importante du
commerce d’Inde en Inde des Hollandais, leur échappe.
La compagnie française est la première à disparaître. Lourdement
endettée, d’au moins cinquante millions de livres tournois, à la fin de la
guerre de Sept Ans, elle doit engager de grosses dépenses pour reconstruire
sa flotte, qui a subi des pertes importantes du fait de sa vétusté et des
captures. Quant au monopole commercial de la Compagnie, il est l’objet
des critiques de plus en plus vives de la part des armateurs du royaume, à la
recherche de nouveaux marchés. Le gouvernement, sensible à ces critiques,
refuse de donner à la Compagnie les moyens financiers qui lui font défaut,
si bien qu’en 1769 le monopole est suspendu et la route du Cap ouverte à
tous les négociants français. Une nouvelle organisation commerciale se met
en place, le Port-Louis de l’île de France devient un entrepôt pour les
marchandises de l’Asie comme pour celles de l’Europe.
La Compagnie hollandaise perd progressivement ses principales positions
commerciales. En 1784, à l’issue de la guerre de l’indépendance des États-
Unis, elle est contrainte de céder aux Britanniques l’importante factorerie
de Negapatam et de renoncer au monopole de l’achat des épices de
l’archipel. Elle connaît la même année une grave crise de liquidités qui
l’oblige à demander l’aide de l’État puis à se placer sous son contrôle. La
création de la République Batave en 1795, à la suite de l’entrée des Français
aux Provinces-Unies, entraîne sa disparition. En 1825, les dernières
possessions des Hollandais en Inde sont échangées contre les établissements
britanniques de Sumatra.
La Compagnie danoise connaît en 1772 des difficultés financières
analogues à celles de ses rivales, et le gouvernement ouvre le commerce de
l’Inde aux armateurs privés — à la manière des Français — mais maintient
le monopole de la Compagnie pour le trafic de la Chine. La neutralité
danoise durant la guerre de l’indépendance des États-Unis, puis pendant les
guerres de la Révolution et de l’Empire, du moins jusqu’en 1807, favorise
l’activité commerciale. C’est un « âge d’or » de courte durée car les
établissements sont occupés par les Britanniques en 1808 avant d’être
restitués en 1815. La Compagnie n’a alors plus de disponibilités et, après
avoir envoyé un vaisseau en Inde et cinq en Chine, elle est mise en
liquidation en 1844. Les établissements seront vendus aux Britanniques
l’année suivante.
La quatrième charte de la Compagnie suédoise s’achève en 1813 et le
monopole n’est pas renouvelé, le commerce de l’Asie est alors ouvert à tous
les négociants.
La Compagnie britannique reste ainsi la dernière des Compagnies des
Indes.

LA FORMATION DE L’EMPIRE BRITANNIQUE


ET LE DÉVELOPPEMENT DU COMMERCE PRIVÉ

Après la guerre de l’indépendance des États-Unis, l’opinion publique


britannique se rallie progressivement à l’idée d’une conquête militaire de
l’Inde. Jusqu’alors les opérations militaires dans cette partie du monde
suscitaient de vives réserves. Clive est mis en cause devant les Communes
pour sa conduite dans les opérations militaires tant au Coromandel qu’au
Bengale. Il répond qu’il a voulu rétablir l’autorité du Mogol sur un vassal,
le nabab du Bengale, qui refusait d’obéir, et qu’au Coromandel, il a cherché
à consolider le pouvoir des nababs, alliés reconnaissants des Britanniques.
Cette réponse modérée est approuvée. Plus tard le gouverneur de Madras
est accusé d’avoir provoqué la première guerre du Mysore, de 1767 à 1769,
contre Haïder Ali, raja du Mysore, en voulant développer un projet
d’expansion territoriale. En 1774, lorsque le gouverneur général Warren
Hastings appuie le nabab-vizir d’Oud (aujourd’hui Uttar Pradesh) dans une
guerre contre les Rohilas, habitants de la haute plaine du Gange, au nord-
ouest du Bengale, ce qui lui permet d’obtenir la cession de la ville et du
territoire de Bénarès, puis surtout en 1780, quand le même Warren Hastings
prononce l’annexion de la province de Gondelour, qui suscite une nouvelle
guerre avec Haïder Ali, l’inquiétude est très grande à la chambre des
Communes. Sur une proposition de Henry Dundas, futur président du Board
of control, qui assure « préférer le développement du commerce et des
échanges aux exploits militaires » 265, une motion est votée, demandant de
rappeler le gouverneur et de prendre pour règle en Inde que « tout projet de
conquête et d’extension de domination est à rejeter comme contraire à la
volonté, l’honneur et la politique de la nation » 266. Cette motion est ensuite
inscrite dans l’India Act de 1784, ce qui lui donne force de loi. La plupart
des accusations portées par le politicien whig Edmund Burke contre
Hastings, lors de l’examen de sa gestion devant le Parlement en 1786,
portent sur l’engagement d’opérations militaires injustifiées. L’opinion
craint une expansion militaire incontrôlée, conduisant à l’instauration d’un
régime despotique et à la toute puissance d’une armée de mercenaires,
contraire à l’idéal d’un peuple libre gouverné par une constitution libérale.
Le revirement de l’opinion se produit un peu plus tard. En 1789, lorsque
le fils de Haïder Ali, Tipu Sultan, chef du puissant État du Mysore, attaque
son voisin, le faible raja de Travancore, allié de la Compagnie britannique,
le gouverneur général Cornwallis réagit rapidement en organisant une
campagne militaire qui s’achève par la défaite de Tipu, accompagnée de la
cession de nouveaux territoires à la Compagnie, et le règlement d’une forte
indemnité de guerre, sans que le Parlement n’émette la moindre
protestation. Mieux encore, à l’issue de la guerre, les Communes votent à
l’unanimité des félicitations au gouverneur qui à son retour en métropole est
reçu triomphalement.
La quatrième guerre du Mysore en 1799, puis la seconde guerre mahratte
de 1803 à 1805, ne suscitent pas davantage l’hostilité de l’opinion. En 1804,
lorsque le gouverneur général Wellesley entre à Delhi, la London Chronicle
assure : « Si nous poursuivons la même politique nous obtiendrons la
domination, soit par la conquête, soit par l’alliance, de toute l’Inde du Nord-
Ouest, d’autant que nous avons déjà le Bengale, le Bihar et l’Orissa, et
d’immenses richesses soit minières, soit de revenus, seront accessibles à la
Grande-Bretagne. » 267
En même temps les effectifs de l’armée augmentent sans cesse. On passe
de 115 000 hommes en 1782, à 155 000 en 1805 et 230 000 en 1820 (dont
80 % de cipayes). Cette augmentation rapide est d’autant plus surprenante
que les directeurs ne cessent de demander des économies. Pourquoi donc
cette évolution ? C’est que les armées de l’Inde assimilent vite les
techniques de combat des Européens (grâce à leurs « conseillers
militaires », parmi lesquels de nombreux Français) et deviennent capables
de l’emporter sur leurs adversaires. Les Britanniques sont alors amenés à
engager des hommes pour pouvoir se rapprocher de l’égalité numérique.
Les guerres du Mysore illustrent bien cette évolution : lors de la première,
en 1767-1769, 10 000 Européens et cipayes se battent contre 70 000
hommes de Haïder Ali, soit un rapport de 1 à 7 ; lors de la seconde guerre,
dix ans plus tard, c’est 15 000 pour 90 000, soit un rapport de 1 à 6 ; pour la
troisième, en 1790-1792, le rapport est de 1 à 2,5 ; et pour la dernière, en
1799, le rapport est de 1 à 1,2.
Cette augmentation des effectifs explique en grande partie l’expansion des
Britanniques. Il faut pouvoir trouver de nouveaux revenus pour payer des
hommes de plus en plus nombreux. En 1801, lorsque le gouverneur
Wellesley exige du nabab d’Oud la cession de neuf districts pour créer une
marche de séparation avec « l’État français récemment formé sur la
Jamuna » par les Mahrattes sur les conseils de l’officier du Perron, il ajoute
à destination du résident à Lucknow : « Vous exigerez que Son Excellence
cède en perpétuelle souveraineté une portion de territoire qui puisse fournir
les sommes nécessaires pour régler ces dépenses que l’on ne peut
éviter » 268.
À côté de l’extension de la domination britannique et de l’évolution de
l’opinion publique en métropole, il faut insister sur le développement du
commerce privé. Ces trois aspects sont liés. Les victoires des Britanniques
dépendent beaucoup des intérêts privés qui anticipent les succès avant d’en
tirer parti grâce à la suppression des obstacles réglementaires que les
souverains locaux pourraient apporter à leurs activités. Ainsi dans le
royaume d’Oud, dans les années 1790, les agissements des commerçants
créent des difficultés pour le nabab. Ceux-ci en effet tentent d’échapper au
paiement des droits de douanes, en sollicitant des exemptions, ou bien
mettent en place un monopole commercial pour les produits d’exportation,
comme le coton, ou encore cherchent à entrer dans leurs affaires des
notables, ou à encourager à des actes d’indépendance vis-à-vis du pouvoir.
Si le nabab veut réagir, ils demandent l’intervention du résident, lui-même
appuyé par le contingent britannique installé près du souverain. L’annexion
est toujours bien accueillie, car elle signifie la création d’une cour de justice
sur le modèle britannique, la suppression des péages intérieurs et des taxes
indues, et une plus grande sécurité pour la propriété. Toutefois
l’administration directe n’a pas que des avantages : les commerçants privés
sont obligés d’accepter la Compagnie des Indes, alors que son absence avait
été l’un des motifs de leur installation dans la région ; ils doivent supporter
le monopole de la Compagnie pour le sel et le salpêtre, puis l’interdiction
de la culture de l’opium, pour ne pas concurrencer le Bengale.Tout ceci les
amène à critiquer malgré tout la Compagnie, et à souhaiter, sinon sa
disparition, du moins un assouplissement de sa réglementation en matière
de commerce.
Ils obtiendront gain de cause en 1813, lorsque le monopole commercial de
la Compagnie pour l’Inde sera supprimé en raison des demandes réitérées
des commerçants britanniques en Asie et surtout de la pression des
manufacturiers de la métropole.
Les commerçants privés britanniques s’organisent dans les années 1790.
Des « agences » commerciales actives s’installent dans les grands ports de
Calcutta, de Madras et de Bombay et dénoncent les restrictions imposées
par la Compagnie sur les relations avec la métropole : elles voudraient
envoyer le produit de leurs trafics en Europe et recevoir en contrepartie des
marchandises pour les vendre. La Compagnie, toujours disposée à se
charger du fret, ne s’y oppose pas en principe. Mais cette offre ne satisfait
pas les agences, qui voudraient pouvoir envoyer en Europe leurs propres
navires qui coûtent moins cher, à la fois pour la construction, l’armement et
les équipages de « lascars ». Une solution urgente doit être trouvée, car les
« agences » font un commerce clandestin avec d’autres pays européens, et
non avec la Grande-Bretagne, et transfèrent ainsi, une fois encore, les fonds
que les Anglais installés en Asie veulent rapatrier. Les produits sont vendus
à Lisbonne, Copenhague ou Amsterdam et concurrencent ceux qui sont
proposés par l’East India C°. En 1793 les agences britanniques sont
autorisées à charger chaque année 3 000 tonnes de marchandises sur les
vaisseaux de la Compagnie à un prix inférieur à celui demandé
habituellement pour le fret, et Henry Dundas, président du Board of control,
demande à la direction générale d’abaisser progressivement les tarifs. Mais
il se heurte au shipping interest, par ailleurs la guerre maritime diminue
l’urgence de la recherche d’une solution.
À partir de 1812, les manufacturiers et les commerçants de la métropole
entament une campagne d’opinion contre la Compagnie. Ici, c’est tout le
développement de l’industrie cotonnière britannique qui est en cause. Un
premier heurt entre les manufacturiers du Lancashire et de l’Écosse et la
Compagnie s’était déjà produit en 1788, lorsque les manufacturiers
accusaient la Compagnie d’augmenter ses importations de cotonnades et
d’en faire baisser les prix pour mieux les exclure. Ils avaient proposé à la
Compagnie de restreindre ses importations de cotonnades et de les
remplacer par du coton. La direction générale avait répliqué en annonçant
des importations de coton, mais en refusant absolument de diminuer la
quantité de cotonnades mises en vente. Cinq ans plus tard, en 1793, lors du
renouvellement de la charte, les mêmes manufacturiers firent circuler une
pétition demandant à nouveau que la Compagnie restreigne ses importations
de cotonnades. Ils n’obtinrent rien, car l’East India C° était encore en
position de force, les étoffes de l’Inde valant moins cher et étant de
meilleure qualité que celles des îles britanniques. Dundas ironisait à la
Chambre en demandant si un manufacturier anglais « pourrait rivaliser avec
le maître dans cet art, dans lequel il est seulement un imitateur » 269. En
1813, la situation est entièrement différente. Les manufacturiers du
Royaume-Uni envoient leurs produits dans toute l’Europe, malgré le blocus
continental, et ceux-ci rivalisent même avec les étoffes de l’Inde sur les
marchés coloniaux. Aux Communes, un orateur fait observer que l’Inde
demeure la première pour les plus belles pièces, mais en ce qui concerne les
articles courants, les fabrications britanniques sont aussi bonnes, sinon
meilleures. Un autre orateur annonce le moment où « l’habitant de l’Inde
sera habillé avec des cotonnades faites ici avec son propre coton, laissant à
la métropole les profits du fret, des commissions, de l’assurance et de la
fabrication » 270.
Les manufacturiers s’adressent à l’opinion. Des délégations manifestent à
Londres, des pétitions circulent, de très nombreux articles sont publiés
dénonçant l’échec de la Compagnie pour exporter les produits britanniques.
Pour sa défense la Compagnie insiste sur l’aléa représenté par une ouverture
incontrôlée du marché, sur le lien nécessaire en Asie entre commerce et
gouvernement, sur le fait que l’ouverture du marché conduirait à la
colonisation, ce qui ne paraît pas souhaitable, car les colons réclameront des
droits politiques et opprimeront les Hindous qui alors se révolteront. Ces
arguments ne sont pas entendus, car les difficultés financières de la
Compagnie et les résultats médiocres de son commerce en Inde donnent du
poids à ses adversaires. Le gouvernement doit trancher. Après un long
débat, la charte de 1813 ouvre le commerce de l’Inde aux Britanniques,
mais conserve le monopole de celui de la Chine à la Compagnie. Le trafic
avec la Chine, qui ne supporte pas les dépenses militaires et
d’administration, est le seul qui soit réellement rentable. Cette organisation
donne raison aux partisans du commerce libre : les exportations anglaises
vers l’Asie passent de 9 % (du total des exportations du pays) en 1816-
1820, à 12 % en 1823-1826, puis 16 % en 1838-1842 ; dans le même temps
des quantités croissantes de matières premières viennent de l’Inde.
La charte, renouvelée en 1833, supprime le monopole du commerce avec
la Chine afin de répondre à la demande des négociants. La Compagnie
devient de fait l’agent du gouvernement pour l’administration de l’Inde.
Lors du renouvellement de 1853 les pouvoirs du Board of control sont
élargis en matière de surveillance des finances de la Compagnie et un tiers
des directeurs sont désormais nommés par la Couronne.
Pour accomplir correctement les tâches administratives qui lui incombent,
la Compagnie s’attache à l’amélioration de la formation de son personnel.
Depuis le Regulating Act de 1773 les appointements sont élevés, supérieurs
à ceux qui sont donnés en métropole, et des jeunes gens de bonne famille en
assez grand nombre souhaitent entrer au service de la Compagnie. Un
collège est organisé en 1806 pour former le personnel civil ; on y entre à
partir de l’âge de 17 ans et la scolarité dure deux ans. Un établissement
analogue est fondé en 1809 pour les officiers ; les premiers de chaque
promotion reçoivent un complément de formation pour les armes savantes
de l’artillerie et du génie dans les centres de formation de l’armée royale.
Dans ces collèges, le personnel enseignant est réputé (Thomas Robert
Malthus y enseigne l’histoire), et certains étudiants ont une grande
renommée intellectuelle, comme John Stuart Mill, le philosophe de
l’utilitarisme. En Inde même, des écoles destinées à former les cadres
administratifs sont fondées sous la surveillance de Thomas Macaulay,
secrétaire du Board of control, et plus tard historien célèbre.
Malgré ce souci de bonne administration, la population de l’Inde est de
plus en plus mécontente de la domination anglaise. Il ne s’agit pas d’un
mouvement d’opposition nationale mais plutôt d’une réaction contre des
décisions jugées injustes : telles la volonté de réorganiser la propriété de la
terre, afin de la rapprocher de celle de l’Europe, le développement de
l’activité des missionnaires — la charte de 1813 a installé un évêque à
Calcutta avec des missionnaires salariés par la Compagnie —, et l’annonce
faite par le gouverneur Canning qu’à la mort de l’empereur mogol régnant
le titre sera éteint, et la famille impériale contrainte de quitter Delhi. Il y a
encore les atteintes aux privilèges des castes. Désormais dans les cours de
justice des parias peuvent déposer une plainte contre n’importe quel
représentant des hautes castes, et dans les wagons des chemins de fer, dont
la construction est poursuivie activement, les brahmanes sont mêlés avec
des inférieurs. Et surtout il y a le mécontentement des cipayes.
Il faut rappeler que les cipayes, surtout au Bengale, sont des combattants
qui accomplissent un service honorable. Beaucoup sont des brahmanes qui
entendent faire respecter leurs modes de vie, en particulier leur régime
alimentaire. Au début du XIXe siècle ils s’étaient mutinés lorsqu’on avait
voulu les contraindre à ôter les marques de leur caste. Dans les années 1850
on assiste à un mécontentement diffus des cipayes, signalé à plusieurs
reprises dans les rapports des officiers supérieurs. En 1856, ce
mécontentement devient très vif avec la décision du gouverneur Canning
d’obliger les cipayes du Bengale à servir hors de leur région de recrutement
et à être embarqué pour d’autres pays, en particulier la Birmanie, sur
laquelle les Britanniques sont en train d’établir leur domination.
Au début de 1857, le mouvement prend de l’ampleur. Les cipayes ayant
reçu de nouvelles armes, la rumeur court que les cartouches sont enduites
de graisse de porc, ce que ne peuvent supporter ni les Hindous, ni les
Musulmans. Le 26 février, un premier régiment se soulève, puis d’autres
peu à peu ; le 10 mai, la révolte éclate brutalement à 40 milles de Delhi
dans une garnison ; les Européens y sont tués et les casernements incendiés.
Les mutins entrent à Delhi et rallient le Mogol à leur cause. La situation
devient difficile pour la puissance coloniale : entre Calcutta et Delhi, il y a
moins de 3 000 soldats européens au milieu de quarante millions
d’habitants qui leur sont hostiles. Le mouvement de protestation est général,
venant de presque tous les milieux. Cependant il est limité au gouvernement
du Bengale ; il n’atteint pas ceux de Madras et de Bombay. Il faudra
attendre la fin de l’année 1858 pour que l’autorité des Britanniques soit
restaurée grâce à des troupes venues de l’Europe.
La Compagnie est jugée responsable, au moins en partie, de cette
mutinerie. Ce sont ses régiments de cipayes qui se sont soulevés. Par
ailleurs sa dette a beaucoup augmenté pendant cette révolte, pour atteindre
le neuvième du total de la dette nationale. En général la Compagnie est peu
appréciée par l’opinion publique qui y voit une institution anachronique, la
survivance d’un privilège (en 1857, il y a 1 700 actionnaires). Ses
responsabilités, c’est-à-dire l’administration directe ou indirecte de 250
millions d’hommes, dépassent manifestement ses capacités. En février
1858, Palmerston, Premier Ministre, propose de placer les affaires de l’Inde
sous la direction d’un président et d’un conseil de huit personnes ayant eu
des responsabilités en Inde ou d’anciens directeurs de la Compagnie. Celle-
ci se justifie dans une brochure rédigée par John Stuart Mill : un
département ministériel serait une bien piètre amélioration, assure-t-il, par
comparaison avec l’expérience et le savoir-faire élaboré par la Compagnie.
Celle-ci est la meilleure institution pour administrer l’Inde, car elle se situe
au-dessus d’une politique partisane ; enfin elle n’est en rien responsable de
la mutinerie. Toutefois après une longue discussion, poursuivie sous
Disraéli, le Parlement approuve, le 2 août 1858, la suppression de la
Compagnie à dater du 1er septembre. Le personnel européen, tant civil que
militaire, passe au service de la Couronne. Une longue liquidation
commence, elle prend fin en 1874. Chaque propriétaire d’une action de
100 livres sterling recevra le double.
CONCLUSION

L’histoire des Compagnies des Indes fait partie de l’histoire du


« désenclavement » du monde, c’est-à-dire de l’ouverture de tous les
continents aux échanges des produits, des techniques, des hommes et des
idées. S’agissant des Indes orientales, trois thèmes essentiels se dégagent :
1. l’extension de l’autorité des États aux échanges commerciaux au long
cours ; 2. la mise au point de techniques de navigation perfectionnées ; 3.
l’élargissement de la souveraineté territoriale des Européens.

DES COMPAGNIES D’ÉTAT

Le développement de la puissance des États européens au Moyen Âge et à


l’époque moderne est un thème souvent développé par les historiens, et mis
en relation avec la croissance des armées nationales. En Asie, l’autorité des
États s’exerce avant tout dans le domaine commercial. La longue quête des
Portugais pour parvenir à prendre le contrôle des ressources de l’Afrique
puis de l’Asie est dirigée par la Couronne, qui assure le financement des
premières expéditions, le contrôle du trafic, la protection des vaisseaux et
des hommes, puis la commercialisation d’une partie des produits. De cette
participation, le roi de Portugal attend une augmentation du bien-être de ses
sujets et surtout de ses revenus fiscaux, donc de la puissance militaire de
son État. Une fois le contrôle de son État bien établi sur la route du Cap, il
veut pouvoir utiliser les profits de son investissement à des fins politiques
qui lui paraissent urgentes, comme l’organisation de la colonie du Brésil ou
encore l’augmentation de la puissance de sa flotte de guerre de l’Atlantique.
Le manque de capitaux qui auraient permis le développement des échanges
entre l’Asie et l’Europe en est la conséquence directe.
Au début du XVIIe siècle, l’originalité du système commercial mis en
place aux Provinces-Unies consiste à recourir à des capitaux privés, d’une
manière beaucoup plus systématique que ne l’avait fait la monarchie
portugaise. Par la suite la puissance publique, représentée par les États
Généraux, devra intervenir pour organiser le marché, afin d’éviter une
faillite en chaîne d’entreprises de navigation, mettant en danger l’économie
du pays. Le monopole des armements, qui garantit à la fois la rentabilité
commerciale et un approvisionnement correct du marché, associé à la
création d’une société par action, dans laquelle tous les citoyens peuvent
entrer, est une initiative majeure. C’est la réponse à un véritable « défi »
commercial et une forme tout à fait neuve d’intervention de l’État dans
l’économie.
Durant tout le XVIIe siècle, les autres États de l’Europe occidentale vont
s’inspirer de ce modèle pour créer des Compagnies des Indes orientales,
sous des formes diverses correspondant à leur propre organisation politique.
Les Britanniques, d’abord réticents à s’engager sur la route du Cap, s’y
risquent à leur tour, pour ne pas laisser aux Hollandais tout le profit d’un
trafic rémunérateur. Dans la monarchie anglaise, la Compagnie des Indes
est une initiative conjointe de la Cour et des armateurs de Londres
(principal port du pays), conçut selon une forme traditionnelle, héritée de la
corporation médiévale. Il faut attendre plusieurs dizaines d’années avant
que la Compagnie de Londres ne s’ouvre à d’autres actionnaires, et le début
du XVIIIe siècle pour qu’elle devienne une entreprise réellement nationale.
Les monarchies du Danemark, de la France et de la Suède s’inspirent
également de l’organisation hollandaise, mêlant capitaux privés et
monopole commercial accordé par l’État. S’agissant de monarchies
« absolues », les représentants du roi siègent dans les conseils de direction
et y disposent d’une grande autorité.
Sous des formes variées l’État est ainsi toujours en relation avec les
Compagnies des Indes : il fait respecter le monopole des armements, assure
la protection des routes maritimes et des ports en donnant l’appui de la
flotte de guerre, autorise les levées de soldats et de matelots, et accorde
parfois aux actionnaires des monopoles annexes (ainsi la ferme du sel et
celle du papier timbré en Angleterre, la ferme du tabac en France) qui
permettent le versement des dividendes, y compris durant les périodes
troublées. L’État confie à chaque Compagnie des pouvoirs régaliens,
comme ceux de frapper monnaie, de rendre la justice et de disposer de
représentants accrédités auprès des souverains de l’Asie. Toutes les
Compagnies des Indes ont ainsi des liens étroits avec chacun des États dans
lesquels elles sont établies ; aux Provinces-Unies et au Royaume-Uni ces
liens moins étroits n’en sont pas moins forts.
Ces Compagnies vont être contestées par des associations « interlopes »,
créées par des négociants désireux d’échapper à la tutelle de la puissance
publique. La plus achevée de ces associations est la Compagnie d’Ostende,
qui se caractérise par son recrutement international, tant des actionnaires
que du personnel, et le versement de dividendes élevés en raison de
l’absence de dépenses de souveraineté. En contrepartie elle est très
vulnérable du fait de l’absence de protection par un État. De nombreuses
associations interlopes se créent continuellement puis disparaissent au bout
de quelques années, fournissant la preuve qu’une Compagnie des Indes ne
peut exister sans un lien étroit avec un État national, dont les autorités
exercent sur elle une tutelle plus ou moins étroite.

DES TECHNIQUES NAVALES PERFECTIONNÉES

La route maritime entre l’Europe et l’Asie est l’une des plus longue parmi
celles parcourues par les Européens. Pour en obtenir la maîtrise, ils vont
être conduits à élaborer des techniques navales perfectionnées, dans
lesquelles chaque nation de l’Europe prend part.
La première application est la mise au point d’un vaisseau, le 600
tonneaux, proche d’un navire de guerre par sa taille et sa construction,
voisin d’un bâtiment de commerce par sa mâture, sa carène et ses
aménagements intérieurs. Tout y est fait de manière à assurer dans les
meilleures conditions de sécurité le transport d’une cargaison précieuse.
L’artillerie, qui équivaut à peu près au tiers de celle d’un vaisseau de guerre
de même tonnage, est plus importante sur les bâtiments des Compagnies
des Indes que sur ceux des lignes commerciales de l’Atlantique, car il faut
pouvoir en imposer aux pirates dont la présence est récurrente dans les mers
d’Asie ; et manifester dans ces contrées lointaines la force des puissances
protectrices.
La conduite de ces « machines » perfectionnées demande des hommes
bien entraînés. Les matelots sont recrutés au voisinage des ports spécialisés,
ainsi Londres en Angleterre, Saint-Malo puis Lorient en France. Les
officiers, dont le rôle est capital pour le bon déroulement des voyages, sont
soigneusement formés, et reçoivent un enseignement pratique. Après un
apprentissage d’à peu près sept ans, au cours duquel ils font quatre à cinq
voyages en Asie, ils sont admis au grade d’enseigne, sur avis favorable
d’officiers plus âgés qui suivent leur formation.
Les fonctions d’officiers de marine au service des Compagnies des Indes
sont très recherchées en raison des revenus élevés : en sus de salaires
analogues à ceux qui sont versés dans les autres sociétés de commerce, ils
reçoivent un « port permis », c’est-à-dire l’autorisation de transporter et de
vendre pour leur compte une certaine quantité de marchandises. En outre ils
peuvent s’adonner à la « pacotille », théoriquement interdite, mais tolérée à
condition de rester à un niveau acceptable. Ces avantages permettent aux
officiers de tripler ou de quadrupler le montant de leurs salaires. Les
matelots bénéficient proportionnellement d’avantages analogues, aussi les
Compagnies des Indes éprouvent-elles peu de difficultés pour recruter leur
personnel navigant.
Les officiers des Compagnies des Indes sont très engagés dans les
recherches destinées à augmenter la sécurité de la navigation. Ils sont parmi
les premiers à utiliser les nouveaux instruments d’observation astronomique
et les tables de déclinaison permettant d’établir avec plus de certitude la
position en latitude et surtout en longitude. Ils diffusent leurs connaissances
en publiant des routiers et des cartes marines, ainsi le portugais Pires au
XVIe siècle, les hollandais Blaeu et van Keulen au XVIIe siècle, le français
d’Après de Mannevillette et le britannique Dalrymple au XVIIIe siècle. En
accord avec les officiers, les directions des Compagnies des Indes se
préoccupent du maintien de la bonne santé des équipages. Aux XVIe et
XVIIe siècles, la mortalité demeure forte, en moyenne 14 %, surtout en
raison de la fréquence de scorbut. Pour y remédier les Compagnies
aménagent des escales au cap de Bonne-Espérance ou bien au voisinage de
celui-ci, c’est-à-dire à peu près au milieu de la route, afin de permettre aux
hommes de prendre du repos et d’avoir une meilleure alimentation. Au
XVIIIe siècle, les recherches des médecins montrent les carences du régime
alimentaire pratiqué à bord, en particulier l’absence de la vitamine C. Les
Compagnies y remédient en embarquant des légumes et des fruits riches en
vitamines, ramenant le taux de mortalité en dessous de 10 %.
Dans l’ensemble les organisations navales des Compagnies des Indes sont
remarquables, mais d’un coût élevé : les dépenses de marine absorbent les
deux-tiers des profits commerciaux.

DU COMMERCE À LA COLONISATION

La place commerciale relative de chaque nation ainsi que celle de la


demande des Européens en produits en provenance de l’Asie va évoluer
d’un siècle à l’autre. Au XVIe siècle et dans la première moitié du
XVIIe siècle, les épices entrent pour plus de la moitié dans la valeur des
cargaisons et, à la suite des Portugais, les Hollandais vont dominer le
marché. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, la consommation des
épices stagne, tandis que la demande de cotonnades est très forte. Au
XVIIIe siècle, les cargaisons de cotonnades augmentent lentement en raison
des mesures de protection prises par les États en Europe pour éviter la
disparition de leurs manufactures nationales. Quant à la demande de café et
surtout de thé, elle croît dans de grandes proportions. Les Français et plus
encore les Britanniques, bien placés en Inde et en Chine, sont les principaux
bénéficiaires de ces changements.
Les produits sont stockés en Asie dans des établissements européens
permanents. Selon leur importance, on distingue des comptoirs, des loges et
des factoreries. Ces dernières sont de simples maisons de commerce avec
un entrepôt et un logement au-dessus pour les Européens. Les loges sont
établies sur un terrain plus vaste avec plusieurs bâtiments. À Canton, seul
port de la Chine ouvert au grand commerce maritime, seules les factoreries
sont autorisées. Certains comptoirs importants sont fortifiés et peuvent
servir de « place de retraite » en cas de difficultés avec les puissances
orientales. Les établissements des Portugais et des Hollandais ont
généralement été installés par la force, ceux des autres puissances ont été
concédés par des princes locaux, désireux de profiter du mouvement
commercial créé par les Européens.
Les employés des Compagnies sont peu nombreux, sauf à Batavia,
principal établissement européen aux Indes orientales. En général ils sont
entre trente et quarante dans un comptoir, deux à six dans une loge ou une
factorerie. Ils exercent des fonctions d’administration et de surveillance du
commerce ; transmettent les instructions des directeurs généraux, veillent à
leur exécution et collaborent, de manière étroite, avec de nombreux
marchands locaux, chargés de procurer les produits demandés.
Les emplois au service des Compagnies sont médiocrement payés,
cependant ils sont recherchés en raison des profits annexes qu’ils procurent.
Ils permettent ainsi de faire du trafic privé dans le « commerce d’Inde en
Inde », et de pouvoir gagner des fortunes importantes avec du savoir-faire et
un peu de chance. Seule la Compagnie hollandaise interdit le commerce
d’Inde en Inde à ses employés au moins jusqu’au milieu du XVIIIe siècle.
Ainsi, grâce à la poursuite des activités commerciales en association avec
des marchands locaux, tant pour le compte de la Compagnie que pour leur
propre compte, les employés acquièrent une bonne connaissance des
marchés orientaux.
Outre les employés de commerce, les comptoirs disposent de petites
garnisons de militaires européens. Ils sont peu nombreux — à peine 400
hommes chez les Britanniques à la fin du XVIIe siècle, et moins encore
chez les Français à la même date — car ils doivent uniquement assurer la
protection des biens des Européens contre la menace d’éventuels pillards.
Les Hollandais disposent toutefois d’un nombre d’hommes plus important,
leur armée étant utilisée pour les livraisons d’épices auxquelles les
souverains locaux se sont engagés. Ces corps militaires sont bien équipés,
en particulier avec une artillerie de campagne, ils sont bien commandés,
souvent par d’anciens officiers des armées royales, qui préfèrent le service
des Compagnies dans lesquelles les soldes sont régulièrement payées. Dans
l’ensemble la qualité de leur équipement et leur entraînement leur donnent
une supériorité sur les armées orientales, infiniment plus nombreuses, mais
dont les techniques de combat demeurent traditionnelles.
La tentation est grande pour des princes orientaux de solliciter l’aide des
militaires européens pour écarter un rival ou bien conquérir le pouvoir. Les
directeurs des comptoirs, qui détiennent le commandement militaire, sont
disposés à accepter leurs offres, contre des avantages commerciaux et une
extension de leur domination territoriale. Avec Dupleix, gouverneur des
établissements français de l’Inde au milieu du XVIIIe siècle, la politique
d’intervention dans les affaires intérieures du pays devient systématique.
Elle répond à une visée commerciale : il s’agit d’obtenir des concessions de
provinces avec le droit d’y percevoir les impôts. Les sommes prélevées
doivent permettre d’acheter sur place des cargaisons plus importantes de
produits. En effet, les Orientaux n’achètent pas de produits venus
d’Occident, car ceux-ci sont proposés à des prix trop élevés, les
Compagnies des Indes sont donc obligées d’apporter de grandes quantités
de métaux précieux — 70 à 80 % de la valeur des cargaisons d’envoi — en
or et surtout en argent, pour payer leurs achats. Seuls les Hollandais
échappent un peu à cette obligation, grâce aux profits qu’ils tirent du
commerce d’Inde en Inde. Outre la nécessité de fournir de l’argent en
quantité de plus importante au fur et à mesure de l’augmentation de la
valeur des cargaisons de retour, les directions générales des Compagnies
doivent tenir compte de la diminution des bénéfices nets. Aux XVIe et
XVIIe siècles, les Européens achètent à bas prix en Orient et vendent à haut
prix en Europe. Mais au XVIIIe siècle, c’est de moins en moins possible, les
prix augmentent en Orient en raison de la forte demande, et diminuent en
Occident du fait de la concurrence entre les Compagnies sur un marché de
mieux en mieux approvisionné.
Obtenir des ressources financières en Asie (en percevant un impôt dans
quelques régions) devrait permettre de remédier à cette difficulté ; à
condition toutefois d’augmenter les effectifs militaires pour poursuivre les
contribuables récalcitrants. Mais les directeurs généraux des Compagnies
redoutent une augmentation des dépenses sans contrepartie commerciale
réelle. Dupleix, qui n’accepte pas les instructions adressées en ce sens, est
rappelé en 1753. Cependant sa politique est reprise cinq ans après par le
britannique Clive, elle aboutit à la mainmise sur la ferme des impôts du
Bengale, la plus riche et la plus active province de l’Inde.
Les Britanniques deviennent alors les plus actifs dans les échanges entre
l’Asie et l’Europe. Leur Compagnie n’est plus seulement une société
commerciale ; c’est de plus en plus une organisation militaire et
administrative. Cette nouvelle orientation n’est pas adaptée aux structures
de la Compagnie anglaise des Indes orientales, et après avoir provoquée la
disparition de ses rivales européennes, celle-ci est dissoute en 1858.
Placées dans une perspective historique, les Compagnie des Indes,
apparaissent alors comme une étape dans le processus de mainmise des
Européens sur le monde. Elles préparent l’expansion des puissances
industrielles en leur donnant la maîtrise des marchés, puis celle des flux
financiers, et, un peu plus tard, la domination militaire. La prise de contrôle
de l’appareil d’État par les puissances européennes qui se produit dans la
seconde moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle est le stade ultime
de l’expansion.
ABRÉVIATIONS UTILISÉES

A.D. : Archives Départementales [en France]


A.N.F. : Archives Nationales de France
A.R.A. : Algemeen Rijksarchief [La Haye]
B.N.F. : Bibliothèque Nationale de France [Paris]
N.A.F. : Nouvelles Acquisitions Française [au cabinet des manuscrits de
la B.N.F.]
ANNEXES
ANNEXE I
ANNEXE II

Ces quantités sont de 12 à 15 tonnes par an avant 1650, de 25 à 30 tonnes


dans les années 1670, de 60 à 70 tonnes vers 1690 (jusqu’en 1680 les
Hollandais se procurent une partie de leurs cargaisons de métaux précieux
en Asie même), et de plus de cent tonnes au début du XVIIIe siècle, pour
atteindre un point culminant entre 1720 et 1760, avec 100 à 150 tonnes
d’argent par an.
ANNEXE III
ANNEXE IV
ANNEXE V
ANNEXE VI
ANNEXE VII
BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1 Histoire naturelle, Livre VI, éd. ANDRÉ, J. et FILLIOZAT, J., Paris, 1980, 2e partie, chap.
XXVI, p. 54.
2 Id. Livre XII, éd. ERMONT, A., Paris, 1949, chap. XIV, p. 27-28.
3 Cité par WOODRUFF, Ph. (pseud. pour MASON, Ph.), The Men who Ruled India, 1. The
Founders, Londres, 1965, p. 73.
4 GOMES, D., De la première découverte de la Guinée, éd. Th. Monod, R. Mauny et G. Duval,
Lisbonne, 1959, p. 11.
5 GAMA, Vasco de, La relation du premier voyage aux Indes (1497-1499), éd. Teyssier, P.,
Paris, 1998, p. 71. Voir aussi Voyages de Vasco de Gama. Relations des expéditions de 1497-1499 et
1502-1503. Récits et témoignages traduits et annotés par Teyssier, P., et Valention, P., Paris, 1995.
6 Dynastie tcherkesse qui régna jusqu’en 1517.
7 The Suma Oriental of Tome Pires…, éd. A. CORTESAO, New-Delhi, 1990, t. 2, p. 285.
8 Le quintal portugais équivaut à 51,405 kg.
9 TERPSTRA, H, Jan van Neck, Amsterdam, 1960, p. 74.
10 Generale missiven van Gouverneurs-generaal en raden aan Heren XVII der Verenigde
Oostindische compagnie…, t. 1, 1610-1638, éd. Ph. COOLHAAS, La Haye, 1960, p. 104.
11 SAAR, J., Ost Indianishe Funfzehen-Jährige Kriegs… von Anno Christi 1644 biss Anno
Christi 1659, Nuremberg, 1672, p. 78.
12 Generale missiven…, op. cit., t. 3, p. 263.
13 VAN DAM, P., Beschryvinge van de Oost-indische compagnie… éd. F.W. Stapel, La Haye,
1954, t. 3, p. 87.
14 VIEIRA, A., Cartas do Padre Antonio Vieira, éd. J. L. de Azevedo, Lisbonne, 1971, t. 2,
p. 97.
15 Generale missiven… op. cit., t. 3, p. 104.
16 VAN DAM, P., Beschryvinge…, op. cit., t. 2, p. 63.
17 HAMILTON, A., A new account of East Indies… from the year 1688-1723, New-Delhi,
1995, t. 1, p. 73.
18 Documenta indica, Rome, 1948, t. 89, p. 28.
19 Cartas de Afonso de Albuquerque, Lisbonne, Académie des Sciences, t. 7, p. 58. Voir aussi
BOUCHON, G., Albuquerque. Le lion des mers d’Asie, Paris, 1992.
20 SILVEIRA, F. R. da, Memorias de un soldado da India, 1585-1598, éd.Costa Lobo, A. de S.
S., Lisbonne, 1877, p. 41 ; et HIRSH, E. F., Damiao de Gois, the life an thought of a Portuguese
humanist, 1502-1574, La Haye, 1967, p. 67-68.
21 FARIA, M. S. de, Noticias de Portugal, Lisbonne, 1791, t. 1, p. 74.
22 RIBEIRO, J., The historic tragedy of the island of Ceilao (trad. de Fatalidades historica de
ilha de Ceilao), New-Delhi, 1999, p. 22.
23 Memorias de un soldado da India, 1585-1598, op. cit., p. 318.
24 WINIUS, George G., « Two Lusitanian Variations on a Duth Theme : Portuguese Companies
in Times of Crisis, 1628-1662, » dans Companies and trade : essays on overseas trading companies
during the Ancien Régime, Leiden University Press, 1981, p. 119-133.
25 BOSMAN,W., Voyage de Guinée, par Guillaume Bosman, (traduit du hollandais), Utrecht,
1705, p. 498.
26 LINSCHOTEN, J. H. van, Le Grand routier de mer… contenant une instruction des routes et
cours qu’il convient tenir en la navigation des Indes orientales, le tout fidèlement recueilli des
mémoires et observations des pilotes espagnols et portugais, Amsterdam, 1619.
27 TERPSTRA, H. Jan van Neck, Amsterdam, 1960, p. 74-75.
28 JAPISKE, N., Johan de Witt, Amsterdam, 1928.
29 Generale missiven op. cit., t. 1.
30 VIEIRA, A., Cartas do Padre Antonio Vieira, éd. J.-L. de Azevedo, Lisbonne, 1970, t. 1,
p. 267 et 390.
31 QUEIROZ, F. de, The temporal and spiritual conquest of Ceylon…, traduit du portugais,
New-Delhi, 1992, t. 1, p. 96.
32 Documentos remetidos da India…, Lisbonne, 1884, t. 2, p. 423.
33 Id., p. 121.
34 Id, t. 4, p. 47.
35 HAAN, F. de, Oud Batavia, Batavia, 1922, t. 1, p. 19, 45.
36 « Punten en Artikelen inforn van Generale Instructie », Amsterdam, 26 avril 1650, dans
MYER, P., Verzamelling van Instructien, Ordonnancien en reglementen voor de regering van
Nederlandsh Indie, Batavia, 1848, p. 71, 116.
37 Kroniek van het Historich Genootschap gevestig to Utrecht, Utrecht, 1853, t. 9, p. 113-114.
38 Cité par FOSTER, W., English Factories, Oxford, 1926, t. 12, p. 102.
39 J. P. Coen aux Heeren XVII, dans COLENBRANDER, H.T., Jan Pietersz Coen.
Levensbeschryving, La Haye, 1934, p. 64.
40 On compte 5 retours par an dans la décennie 1610-1619 ; 7 entre 1620 et 1629 ; 7 à 8 de
1630 à 1639 ; 9 de 1640 à 1649 ; 10 de 1650 à 1659 ; 12 entre 1660 et 1669 ; 13 de 1670 à 1679 ; 14
de 1680 à 1689 ; 15 de 1690 à 1699.
41 Texte transcrit de The first Letter Book of the East India Company, 1600-1619, éd. FOSTER,
W., Londres, 1892, p. 12.
42 The Voyages of Sir James Lancaster…, éd. FOSTER, W., Londres, 1940.
43 The dawn of British trade to the East Indies as recorded in the Court Minutes of the East
India Company, 1599-1603, éd. BIRDWOOD, J., Londres, 1886.
44 FOSTER, W., England Quest of Eastern trade, Londres, 1933.
45 India Office Library, Court Book of the East India Company, III, f° 70, 141, 149.
46 Id., Court Book IV, f° 165.
47 Id., Court Book III, f° 180.
48 Id., Court Book VII, f° 414.
49 English factories in India, éd. FOSTER, W. Oxford, 1908, t. 2, p. 47.
50 Id., p. 63.
51 Court Book III, 464.
52 Id. 411, 287, 282.
53 Letters received by the East India Company…, éd. FOSTER, W, Londres, 1902, t. 1, p. 78.
54 63 % pour les Hollandais et 78 % pour les Britanniques.
55 30 % pour les Hollandais et 21 % pour les Britanniques.
56 MARTIN, F., Description du premier voyage que les Marchands français de Saint-Malo, de
Vitré, et de Laval ont fait aux Indes orientales, Paris, 1604.
57 Cité par WEBER, H., La Compagnie française des Indes, Paris, 1904, p. 68.
58 Cité par DERMIGNY, L., « East India Company et Compagnie des Indes », dans Sociétés et
Compagnies de commerce en Orient et dans l’océan Indien, Paris, 1970, p. 456.
59 Archives Nationales [Paris] Colonies C2/13, f° 10.
60 DESSERT, D. et JOURNET, J.-L., Le lobby Colbert, un royaume ou une affaire de famille,
Annales E.S.C., 1975, t. 30, p. 1312-1336.
61 Cité par KROELL, A., « La ruée vers l’Inde au XVIIe siècle », dans Pondichéry, 1674-
1721…, dir. Vincent, R., Paris, 1993, p. 24-25.
62 Voltaire à Pilavoine, 23 avril 1760, œuvres complètes, éd. Besterman, 1971, t. 105, p. 179-
180, 256.
63 Sur les actionnaires, HAUDRÈRE, Ph., La Compagnie française des Indes au XVIIIe siècle,
Paris, 2005, t. 1, p. 169-172.
64 Archives de Madras, Public despatches from England, 30 déc. 1737, cité par DODWELL,
H. Dupleix and Clive, Londres, 1967, p. 3.
65 Cette société commerciale lui semblait être une nouvelle version de la Compagnie d’Ostende,
vision confirmée par la chronologie et surtout par le fait qu’il y avait dans la Compagnie suédoise
plusieurs transfuges de la société anversoise, personnel commercial, officiers de marine, investisseurs
enfin. Selon Stanhope, un agent de la Compagnie suédoise se serait même rendu à Anvers pour
trouver des fonds.
66 KONINCKX, C., The First an Second Charters of the Swedish East India Company (1731-
1766). A contribution to the maritime, Économic and social history of northwestern Europe in its
relationships with Far East, Courtrai, 1980, p. 53-54.
67 Cité par DERMIGNY, L., La Chine et l’Occident. Le commerce à Canton au XVIIIe siècle…,
Paris, 1964, t. 2, p. 772.
68 Voir tableau : annexe 1.
69 Journal du voyage fait aux Indes sur l’escadre française armée en guerre… sous les ordres
de M. Mahé de La Bourdonnais [par ROSTAING], Paris, 1766.
70 HICKEY, W., Memoirs, éd. Spencer, A., Londres, 1913, t. 1, p. 177.
71 MORSE, H. B., Chronicles of the East India Company trading to China, 1635-1834,
Londres, 1926, t. 2, p. 180.
72 Id., t. 2, p. 448.
73 Algemeen Rijksarchief, VOC 198, résolution des 17 directeurs du 4 décembre 1788, et VOC
85, minute des résolutions des 17 directeurs du 10 avril 1789.
74 « Livro da fabrica das naos », dans LOPES DE MENDONCA, H., O Padre Fernando
Oliveira e su obra nautica…, Lisbonne, 1898.
75 The Original Writings and Correspondence of the two Richard Hakluyts, éd. E. G. R. Taylor,
Londres, 1935, t. 1, p. 73.
76 FOURNIER, le Père Georges, Hydrographie, contenant la théorie et la pratique de toutes les
parties de la navigation…, 2e édition, Paris, 1679, p. 97.
77 Journal des voyages de M. de Monconys… où les savants trouveront un nombre infini de
nouveautez…, Lyon, 1665, t. 2, p. 220.
78 Cette augmentation apparaît dans la composition de la flotte de la V.O.C. étudiée par J. Bruijn
et ses collaborateurs, Dutch-Asiatic Shipping, La Haye, 1987, t. 1, p. 52.
79 Tableau des normes de construction établies par les Heeren XVII

80 Tableau des normes de construction françaises à partir de 1765.

81 Archives du port de Lorient, 1 P 297, l. 15, p. 47.


82 Archives Nationales de France, Marine B 256, f° 60-65.
83 2 mai 1767, A.N.F., Colonies C 208, f° 216.
84 Dutch Asiatic Shipping, La Haye, 1987, t. 1, p. 54.
85 Le chantier de Zélande emploie lui aussi 690 ouvriers, les quatre autres beaucoup moins,
(150 à Enkhuizen). Les petites chambres sont très attachées à la permanence de cette activité, pour
des ports comme Hoorn ou Enkhuizen c’est leur seul lien avec le grand commerce maritime.
86 GREEN, H. et WIGRAM, R., Chronicles of Blackwall Yard, Londres, 1881.
87 Ce fut le cas pour le Tijger, acheté à Amsterdam le 3 décembre 1725 par Jacob Scheltes à son
concitoyen Abraham Notten moyennant 24 000 florins. Scheltes représente Edouard Morgan,
marchand à Dunkerque. Une fois arrivé dans ce port le bâtiment est vendu le 2 janvier 1726 à un
marchand d’Ostende, Arnold Hoys, intermédiaire de la Compagnie. Celle-ci règle 54331 florins, dont
30000 sont versés aux intermédiaires ! Et elle doit encore payer 31619 florins pour la mise-hors.
88 La dimension du grand mât par rapport à celle du maître-bau est de 2,4 à 1 sur les vaisseaux
de commerce alors qu’il est de 2,5 à 1 sur les navires de guerre.
89 La proportion par rapport au maître-bau est de 1,50 à 1 pour les Compagnies et de 1,35 à 1
pour la marine militaire.
90 HICKEY, W., op. cit., t. 1, p. 150.
91 INGRAM, B., Three Sea Journals of Stuart Times, Londres, 1936, p. 185.
92 GROIGNARD, A., « Mémoire sur l’arrimage des vaisseaux », dans BOURDE de
VILLEHUET, Principes fondamentaux de l’arrimage des vaisseaux, Paris, 1814, p. 3-43.
93 LUBBOCK, B., Barlow’s Journal, Cambridge, 1934, t. 2, p. 448.
94 D’après Archives du port de Lorient, 1P 212 à 239.
95 British Museum, Add. Mss. 22, 184, f° 151.
96 Berkshire Record Office, Reading, Papiers de Richard Benyon, D/E, B6.
97 Essex Record Office, Papiers de Samuel Braund, D/Dru B 26, f ! 90 et SUTHERLAND, L.,
A London Merchant, Oxford, 1962, appendice 5, p. 152-153.
98 A la fin du XVIIe siècle, on trouve parmi les détenteurs de parts le comte de Berkeley, l’un
des six pairs du royaume envoyés auprès de Charles II en 1660 pour lui demander de rentrer en
Angleterre. Il est marié à la fille de John Massingbird, trésorier général de la Compagnie, et membre
du conseil de direction durant quarante années (GIBBS,V., éd. The Complete Peerage, Londres,
1910). On trouve également le duc de Beaufort et son frère, le marquis de Worcester, filleuls de
Charles II, tous deux membres du même conseil dans les années 1680 (Id.). Il y a des roturiers
comme Josiah Child, directeur de la Compagnie pendant un quart de siècle, président du conseil à
trois reprises, élevé à la pairie en 1686 et dont les filles épousent l’une John Howland de Streatham,
l’autre le marquis de Worcester ; enfin les Henry Johnson, l’aîné et le cadet, tous deux locataires du
chantier de Blackwall. Ceux-ci seront anoblis par Charles II et le cadet épousera la baronne
Wentworth. Au milieu du XVIIIe siècle, les détenteurs de parts se recrutent dans les mêmes milieux.
Parmi les dix-huit propriétaires du Boscawen, lancé à Blackwall en 1747, on trouve William Baker,
conseiller chargé des questions commerciales auprès du duc de Newcastle, premier ministre ; son
beau-frère, Jacob Tonson, marchand-papetier en gros et fournisseur de la Compagnie ; Charles Pole
et Henry Crabb, membres du Parlement ; Samuel Braund, officier de la marine de la Compagnie, son
frère Qilliam, déjà mentionné, son gendre John Harrison, ainsi que son beau-frère Léonard Pead
(SUTHERLAND, L., A London Merchant, Oxford, 1962).
99 Un manque de souplesse est souvent dénoncé, les « croupiers » font pression sur la direction
de la Compagnie pour obtenir la construction de nouveaux bâtiments destinés à remplacer ceux qui
sont détruits, même si l’évolution des besoins du commerce ne le justifie pas. En 1772, Gabriel
Snodgrass, inspecteur des constructions de la Compagnie, assure que 55 navires seulement, sur les 87
loués, sont réellement nécessaires, et, à la suite de son rapport, le conseil d’administration décide de
ne pas accepter de nouvelles constructions jusqu’à ce que le chiffre le plus bas soit atteint (India
Office Library, BHS, fo 39).
100 Parmi ceux-ci, quelques-uns sont peu compétents, ainsi le dramaturge Gil Vicente dans son
Triomphe de l’hiver, joué pour la première fois en 1529, met-il en scène un pilote qui ne parvient pas
à surmonter les difficultés rencontrées sur la route du Cap, car il a pour seule expérience les voyages
de Guinée. Ce cas est plutôt rare.
101 The observations of Richard Hawkins…, Londres, 1847, p. 147.
102 A.N.F. 94 AQ 2, f° 72 ; A.D. Morbihan 9 B 111.
103 A.R.A., VOC 222, f° 802.
104 A.N.F. Colonies C 18, f° 220.
105 A.N.F., Colonies C 37, f° 202.
106 A.N.F., H1 610, dossier 1, pièce 33.
107 HULLU, J. de, « De voeding op de schepen der Oost-Indische Compagnie ». Bijdragen tot
de Taal-landen Volkenkunde van Nederlandsch Indie, t. 67, 1913, p. 549.
108 VEIRAC, J. et HUSSEM, B., Verhandelingen over de bestmettelijke rotkoorts op de
uitgaande Oost-Indische schepen, Middlelburg, 1778.
109 HULLU, J. de, art. cit., p. 550.
110 HULLU, J. de, art. cit., p. 558.
111 8° de latitude nord. A.N.F., Marine 4 JJ 96, n° 41.
112 Il s’agit d’une zone limitée par deux lignes parallèles orientées nord-nord-ouest et sud-sud-
est entre le 20° et le 30° degrés de latitude ouest, avec possibilité de se porter vers l’ouest en
direction de la côte du Brésil.
113 APRES DE MANNEVILLETTE, J.-B. d’, Le Neptune Oriental, Paris, 1775, t. 2, col. 7.
114 La plupart des navires franchissent l’équateur vers le 25° de longitude ouest, très à l’ouest
du méridien de l’île de l’Ascension, et à proximité du littoral du Brésil. Ce trajet permet d’éviter le
golfe de Guinée, de contourner l’alizé de l’hémisphère sud et de gagner plus rapidement la zone des
hautes latitudes où soufflent les vents d’ouest. La route qui longe la côte du Brésil, puis passe entre le
continent et l’île de la Trinité, est finalement plus assurée que celle qui se dirige vers le sud-est,
même si celle-ci est plus courte.
115 Archives du royaume de Belgique, Raad van Financien, n° 8604.
116 D’après la traduction de THEVENOT, M., Relation de divers voyages curieux… Paris,
1666, t. 2, p. 71.
117 Le Neptune Oriental, t. 2, col. 49.
118 Mémoire de la campagne de découverte dans les mers des Indes, par Mr. Le Chevalier
Grenier, Brest, 1770.
119 VASCONCELOS, J. A. Frazao de, Pilotos das Navegaçoes Portuguesas dos séculos XVIe
XVIIe, Lisbonne, 1942.
120 VAN DAM, P., Beschryvinge van de Oostindische Compagnie, éd. Stapel, F.W., La Haye,
1977, vol. 63, p. 402-403 et 414-415.
121 A.N.F. Marine 4 JJ 96, n° 41.
122 Il s’agit d’un appareil utilisant deux miroirs permettant d’aligner la ligne d’horizon et le
soleil ou un autre astre. Lorsque les deux images sont réunies, la mesure de l’angle est reportée sur un
secteur gradué de 45°, soit la huitième partie d’un cercle, d’où le nom d’octant qui lui est donné par
les Français. La précision dans la mesure des angles est beaucoup mieux assurée si l’appareil est bien
construit, il faut en effet des miroirs parfaitement plans pour éviter la réfraction et un secteur
finement gradué. De plus son maniement est délicat et les officiers de marine n’acceptèrent de
l’utiliser qu’après une longue période d’expérimentation.
123 B.N.F. V 20.860.
124 Voyages to the East Indies, Londres, 1798, t. 2, p. 45.
125 La rade de Diego-Suarez n’est pas figurée, le tracé de la côte sud est peu fidèle, le cap
Saint-André, point très important pour la construction de la carte est trop au nord ou trop à l’est. Par
ailleurs la représentation de l’archipel situé au nord-est de la grande île, quoique bien améliorée,
présente encore de nombreux récifs et bancs d’existence douteuse ; la position des îles de l’Insulinde,
en particulier celle de Bornéo, est très approximative de même que celle de l’Australie.
126 TRAHARD, P., Paris, 1864, p. 199-203.
127 LEMONTEY, P.-E., Étude littéraire sur la partie historique du roman de Paul et Virginie,
Paris, 1823.
128 Récit dans VOLTAIRE, Le Siècle de Louis XV, Paris, 1879, t. 15, p. 321.
129 A.N.F., Marine B 273, f° 290.
130 B.N.F., Mss. NAF 2.551, f° 148.
131 A.N.F., Marine 4 JJ 144 B.
132 A.N.F., Colonies B 131, f° 124.
133 POIVRE, P., Les Mémoires d’un voyageur, éd. Malleret, L., Paris, 1968, p. 17.
134 Cité par BOXER, C.R., « The Dutch East-Indiamen ; their sailors, their navigators, and life
on board », 1602-1795, Mariner’s Mirror, t. 49, 1963, p. 81-104.
135 Nicolaus de Graaff, Ostindise spiegel, éd. Warnsinck, J. C. M, La Haye, 1930, p. 25-26.
136 BROCK, E. D., Voyage to disaster.The Batavia mutiny, Sydney, 1963.
137 A.N.F., Marine B 39, f° 470-478.
138 Voyage à l’île de France, Paris, 1840, p. 247.
139 Memoirs, éd. SPENCER, A., Londres, 1913.
140 A.N.F., Colonies, C 98, f° 109.
141 Archives du Port de Lorient, 1 P 298, liasse 17, pièce 24.
142 PYRARD [de Laval], F., Discours du voyage des François aux Indes Orientales, enssemble
des divers accidens, adventures et dangers de l’auteur en plusieurs royaumes des Indes et du séjour
qu’il y a fait par dix ans, depuis l’an 1601 jusques en cette année 1611, Paris, 1611, p. 243.
143 STAVORINUS, J. S., Voyages to the East-Indies, Londres, 1798, t. 2, p. 90-91.
144 VIVIELLE, J.-B., La mission du chanoine Pingré à l’île Rodrigue, Paris, 1925, p. 15.
145 Lettres édifiantes et curieuses, op. cit., t. 29, p. 3-15.
146 Id., p. 119-120.
147 JONG, C. de, « De reis van de retourvloot van 1648… », Tijdschriftvoor zeegeschiedenis,
t. 4, 1985, p. 7-22.
148 KOCK, V. de, Those in Bondage. An account of the life of the slave at the Cape in the days
of the Dutch East India Company, Le Cap, 1950.
149 THUNBERG, C. P., Travels in Europe,Africa and Asia. Performed between theyears
1770 and 1779, Londres, 1795, t. 1, p. 256.
150 Letters from the island of Teneriffe, Brazil, the Cape of Good Hope, and the East Indies…,
Londres, 1777, p. 166.
151 STAVORINUS, J. S., Voyages, 1768-1778, op. cit., t. 2, p. 71.
152 Paris, 20 novembre 1737, dans : MAHÉ DE LA BOURDONNAIS, B.-F., Mémoire des îles
de France et de Bourbon, éd. Lougnon, A., Paris, 1937, p. 124-125.
153 Le Port-Louis, 9 mai 1720, A.N.F., Marine B 330, f° 177.
154 Chez les Hollandais, il est de 8,4 % en 1750-1760, 9,7 % en 1760-1770 (avec une période
de conflit qui a pour conséquence, en dépit de la neutralité des Provinces-Unies, un allongement de la
durée des voyages) ; chez les Français, il est de 11,7 % entre 1750 et 1759 (alors que se déroulent les
opérations navales de la guerre de Sept-Ans), puis 6,4 % entre 1760 et 1769.
155 DE HULLU, « Ziekten en dokters », dans BRUIJN, J. R. et LUCASSEN, J., Op de schepen
der Oost-Indische Compagnie, Groningue, 1980, p. 81-97.
156 « Moyens dont il faut se précautionner contre les maladies », à la suite de l’Histoire de la
grande isle de Madagascar, Paris, 1658.
157 Nouveau voyage aux grandes Indes… avec un traité des maladies particulières aux pays
orientaux, Rotterdam, 1726.
158 Archives du Royaume de Belgique (Bruxelles), Raab van Financien, n° 8603.
159 A.N.F., MM 1198, f° 224.
160 En 1745, Tijdschrift voor Geschiedenis, Groningue, 1960, t. 42, p. 539.
161 Voir annexes 2 et 3.
162 Voyage du tour du monde, traduit de l’italien de Gemelli Careri…, Paris, 1719, t. 3, p. 85.
163 En 1710, British Museum 816. m5 (32).
164 De la balance du commerce, Paris, 1791, t. 1, p. 270.
165 A Discourse of trade from England unto the East Indies, answering to diverse objections…
The second impression corrected and amended…, Londres, 1621, p. 26.
166 Le Port-Louis, 13 avril 1742, A.N.F. Marine B 405, f° 256 v°.
167 The Diary and Consultation Book of 1692 (Records of Fort St. George), 19 avril 1692,
p. 11.
168 MARSDEN, P., The wreck of the Amsterdam, Londres, 1974, p. 226. L’analyse du contenu
(bien conservé) des bouteilles révèle qu’il s’agit de Monbazillac récolté dans les environs de
Bergerac.
169 India Office Library, Despatch Book, 18 janvier 1717, vol. 99, f° 74-75.
170 Principes de l’économie politique et de l’impôt…Traduit de l’anglais…, Paris, 1934, t. 2,
p. 27.
171 Cité par GAASTRA, FEMME S., The Dutch East India Company in national and
international perspective, Les flottes des Compagnies des Indes, 1600-1857, éd. HAUDRÈRE, Ph.,
Vincennes, 1996, p. 316.
172 123 000 en 1621, 220 000 en 1625. La demande s’essouffle un peu ensuite, avec 250 000
pièces par an en moyenne entre 1630 et 1660, puis dans les années 1660 les cargaisons augmentent
fortement.
173 A discourse concerning the East India trade shewing how it is unprofitable to the kingdom
of England...writen by John Cary...And also a copy of the French king’s decree, concerning printed
callicoes, Londres, 1699.
174 Au hasard des pièces conservées on rencontre trois procès-verbaux de saisie en 1721, onze
en 1727, dix-sept en 1728, trente-sept en 1729 (parmi les contrevenants se trouvent la femme et la
fille du concierge de l’hôtel de la Compagnie des Indes), dix-huit en 1730, trente-neuf en 1735,
soixante-six en 1736, soixante-treize en 1737… B.N.F., Mss. Fr. 21.780, f° 111-161.
175 A. D. Ille-et-Vilaine, C 1530.
176 Cité par DARDEL, P., Les manufactures de toiles peintes et de serges imprimées à Rouen et
à Bolbec aux XVIIe et XVIIIe siècles, Rouen, 1940, p. 21.
177 L’ouvrage est publié à Venise.
178 India Office Library, Despatch Book, 13 février 1685, vol. 90, f° 266.
179 PISON, W., Opuscula Neerlandicorum de arte medica, Fasc. V, Tractaat van het excellenste
kruyd thee. Treatise about the most excellent herb tea (Texte hollandais avec traduction anglaise en
regard), Amsterdam, 1927.
180 Les quantités transportées augmentent rapidement. Ainsi l’East India C° amène environ
huit millions de livres en poids dans la décennie 1720-1730, onze millions entre 1730 et 1740, vingt
millions entre 1740 et 1750, trente-sept millions entre 1750 et 1760. Le mouvement est analogue
dans les autres compagnies, avec des quantités légèrement inférieures d’un dixième pour les
Hollandais, d’un tiers pour les Français et davantage pour les autres.
181 TEMPLE, R.C., Travels of Peter Mundy, 1600-1657, Londres, 1925, t. 4, p. 70.
182 En 1712, par le père d’Entrecolles, Lettres édifiantes et curieuses de Chine par des
missionnaires jésuites…, Paris, 1996, p. 181.
183 India Office Library, Bengal Public Consultations, 7 avril 1735, vol. 11, f° 13-14 et
Despatch Book, 12 décembre 1735, vol. 106, f° 521.
184 Beschryvinge van de Oostindische Compagnie, éd. Stapel, F.W., La Haye, 1979, t. 2, p. 515.
185 B.N.F. Mss., N.A.F. 4.897.
186 « Iets dat tot voordeel der Deelgenoten van de Oost Indische Compagnie en tot nut van
ieder ingezeten van dit Gemeene Best kan strekken », van HOGEN-DORP, D., éd. Stukken raakende
den tegenwoordigen toestand der Bataafsche Bezinttingen in Oost-Indië, La Haye-Delft, 1801, p. 43-
337.
187 Voir annexe 4.
188 Voir annexe 5.
189 Voir annexe 6.
190 CHAUDHURI, K.N., The trading world of Asia and the English East India Company,
1660-1760, Cambridge, 1978, table C2, p. 508-510.
191 Voir annexe 7.
192 MARSHALL, P. East Indian Fortunes, Oxford, 1976, p. 12.
193 B.N.F., N.A.F. 9.224, f° 162.
194 A.N.F. Colonies C 284, f° 41.
195 A.N.F. Colonies E 44.
196 COOLHAAS,W. P., Een lastig heerschap tegenover een lastig volk, Bijdragen tot de Taal-
land-en Volkenkunde van Nederlandsch Indië, t. 103, 1943-46, p. 469-546, et du même, Een Indisch
verslag uit 1631, van de hand van Antonio van Diemen, Bijdragen en Medelingen van het Historich
Genootschap gevestigd te Utrecht, t. 65, 1943-46, p. 1-237.
197 TERPSTRA, H., Jacob van Neck, Amsterdam, 1960, p. 185.
198 A.N.F. Colonies C 32, f° 42 et B.N.F. Mss. Fr. 8979, f° 13.
199 MAHÉ DE LA BOURDONNAIS, B.-F., Mémoire des îles…, éd. Lougnon, A., Saint-Denis
de La Réunion, 1937, p. 70.
200 A.N.F. Colonies C 25, f° 172 v°.
201 Cités par MARSHALL, P., East Indian Fortunes, Oxford, 1976, p. 215.
202 THUNBERG, C. P., Travels in Europe, Africa and Asia. Performed between the years
1770 and 1779, Londres, 1795, t. 3, p. 63-64.
203 STAVORINUS, J. S., Voyages to the East Indies…, Londres, 1798, t. 1, p. 313-314.
204 The private correspondence of Isaac Titsingh, éd. LEQUIN, F., 2 vol., Amsterdam, 1990.
205 The collected works of Sir William Jones, éd. CANNON, G., 13 vol., New-York, 1993.
206 HAUDRÈRE, Ph., La Compagnie française des Indes au XVIIIe siècle, Paris, 2005, t. 2,
p. 603 et 800.
207 Id., p. 557, 598, 604.
208 Grammaire de la langue malaise…publiée à Londres en 1812 et traduite de l’anglais par
ELOUET, C. P. J., Haarlem 1824 ; Histoire de Sumatra… traduite de l’anglais sur la deuxième
édition… par PARRAUD, M…, 2 vol, Paris, 1788.
209 BOXER, C. R., Jan Compagnie in Japan 1600-1850, La Haye, 1950.
210 CHAUDHURI, K.N., The Trading World of Asia and the English East India Company,
1660-1760, Cambridge, 1978, p. 379.
211 A.N.F. Colonies C 82, f° 378.
212 The private Diary of Ananda Ranga Pillai, dubash to Joseph François Dupleix…governor
of Pondichery. A record of matters political, historical social and personal, from 1736 to
1761.Translated from the Tamil…, Madras, 1904, 9 vol.
213 India Office Library, Despatch Book, 17 février 1727, vol. 103, p. 504.
214 MARSHALL, P., East Indian Fortunes, op. cit., p. 35.
215 A.N.F. Section Outre-mer, Pondichéry 102, p. 325.
216 A.N.F. Colonies, C 120, f° 77.
217 Quittance, Paris, 22 novembre 1753, A.N.F. Minutier central XCV-229.
218 Ratification d’actes, Chandernagor, 25 janvier 1755, A.N.F. Section Outremer, Notaires
Chandernagor 24.
219 D’après une lettre de Robien à son frère, Canton, 20 janvier 1773, A.D. Yvelines E 3056.
220 VALLEE, G., Lettres inédites d’une famille du Poitou au XVIIIe siècle, les Renault de
Saint-Germain, Paris, 1938, p. 41-42.
221 Lettres et souvenirs de Du Tour de Noirfosse, officier de l’armée des Indes (1753-1763),
Carnets de la Sabretache, 1901, t. 9, p. 588-589.
222 MARSHALL, P., East Indian Fortunes, Oxford, 1976, p. 160.
223 Vente, Pondichéry, 31 mai 1727, A.N.F. Section Outre-mer, Notaires Pondichéry 31.
224 MARTINEAU, A., Dupleix et l’Inde française, Paris, 1925, t. 1, p. 345.
225 Dupleix à Vincens, Chandernagor, 23 mai 1732, A.N.F. Colonies C 199, pièce 54, f° 2 v°.
226 MARTINEAU, A., Dupleix…, t. 1, p. 515-530.
227 Profit dégagé par le commerce d’Inde en Inde

228 India Office Library, Bengal Public Consultations, 30 août 1712, vol. 2, p. 252.
229 Cité par THOMAZI, J.-F., Un millionnaire au service du roi, La Bourdonnais, Paris, 1963,
p. 73 et 75.
230 DODWELL, H., Dupleix and Clive, Londres, 1967, p. 9.
231 Exemples dans MARSHALL, P., East Indian Fortunes, op. cit., p. 228-229.
232 HULLU, J. de, « De Matrozen en soldaten op de schepen der Oost-Indische Compagnie »,
Bijdragen tot de Taal-land-en Volkenkunde van Nederlandsch Indië, t. 69, 1914, p. 318-365.
233 HAUDRÈRE, Ph., La Compagnie française des Indes au XVIIIe siècle, op. cit., p. 567 à
580.
234 THOMSON, E.J. et GARRATT, G. T., The Rise and Fulfilment of British Rule in India,
Londres, 1934, p. 175.
235 Dans une lettre envoyée au Secrétaire d’État à la guerre, 27 juillet 1762, Public Record
Office, W. O. 1/319,f° 353.
236 Dans une lettre envoyée à William Pitt, 3 juillet 1784, citée dans British colonial
Developments 1774-1834, selected documents, éd.V. Harlow, Oxford, 1953, t. 1, p. 193.
237 Mémoires sur l’Indoustan ou Empire Mogol, Paris, 1822, p. 53-54.
238 Travels in Europe, Africa and Asia, 1770-1779, Londres, 1795, t. 1, p. 277.
239 Lettre du père X. de Saint-Estevan, Karikal, 15 novembre 1755, dans Lettres édifiantes…,
op. cit., t. 30, p. 20.
240 MARSHALL, P., East Indian Fortunes, op. cit., p. 118.
241 A.N.F., Colonies C 72, f° 102.
242 Liquidation de la succession de Nicolas Gonnet, habitant et officier à l’île de France,
28 octobre 1756, Archives de Maurice, Notaires 12/3 (14).
243 Partage, Pondichéry, 19 juin 1770, A.N.F., Section Outre-mer, Notaires Pondichéry 1770.
244 A.N.F. Colonies C 80, f° 15.
245 B.N.F., Mss. Fr. 12.087, f° 84.
246 A.D.Yvelines E 3.749, f° 7.
247 Paris, 13 septembre 1752, B.N.F. Mss. N.A.F. 9.150, f° 266.
248 A.N.F. Colonies C 204, f° 26.
249 Pour compenser le manque à gagner pour son trésor, ainsi en 1727, 1731, 1732, 1736, 1740,
1744 et 1749. Le conseil de Calcutta accepta de payer les sommes demandées, après avoir fait
quelques difficultés.
250 Dans Evènemens historiques intéresssans, relatifs aux provinces de Bengale et à l’empire de
l’Indostan…Ouvrage traduit de l’anglois…, 2 vol., Paris, 1768.
251 HARVEY, R., Clive : the life and death of a British emperor, Londres, 1998.
252 Le conseil des directeurs au conseil de Calcutta, Londres, 3 août 1757, éd. SINHA, F. N.,
Fort-William-India house correspondance, t. 2 (1757-1759), New-Delhi, 1957, p. 40-41.
253 HILL, S.C., Three Frenchmen in Bengal, or the commercial ruins of the French
Settlements…, Londres, 1903.
254 Cependant Mir Jafar n’est pas un allié fidèle ; il complote contre les Britanniques et reçoit
en 1759 l’aide des Hollandais, qui organisent une petite expédition militaire, mais échouent. Le
conseil de Calcutta oblige alors Mir Jafar à se retirer, et à remettre le pouvoir à son fils Mir Kasim
qui donne immédiatement de nouveaux avantages aux Anglais. Cependant Mir Kasim refuse d’être
un fantoche ; il quitte la province, demande l’aide du Mogol, qui la lui accorde, et revient à la tête
d’une armée, mais il est battu par les forces britanniques en 1764. Contraint à l’exil il est remplacé
par un autre fils de Mir Jafar.
255 Fort William-India House Correspondence. t. 4 (1764-1766), éd. C. S. Srinivashari, New-
Delhi, 1962, p. 337-349.
256 MARSHALL, P., East Indian Fortunes, Oxford, 1976, p. 198.
257 Id., p. 239.
258 MARSHALL, P., op. cit., p. 244.
259 Id., p. 238.
260 Id., p. 240.
261 Id., p. 241.
262 Id., p. 225.
263 Id., p. 226.
264 Id., p. 255.
Lettres de change sur l’East India C° : 10 381 025 £
Lettres de change sur l’E. I. C° via Canton : 1 500 000 £
Lettres de change sur les Hollandais et les Français : 4 000 000 £
Lettres de change sur les Danois après 1778 : 750 000 £
Diamants : 275 000 £
Total : 16 906 025 £
265 The Parliamentary History of England from the Earliest Period to the Year 1803, éd.
W. Cobbett, Londres, t. XXII, p. 1280.
266 Journals of the House of Commons, t. XXXVIII, p. 1032.
267 The London Chronicle, 7 avril 1804.
268 Wellesley à W. Scott, 22 janvier 1801 ; N. Edmonstone à W. Scott, 27 mai 1801, dans
Parliamentary Papers, Londres, 1806,t. XV, p. 403 et p. 467.
269 The Parliamentary History of England, op. cit., t. XXX, p. 677.
270 Discours de J. Prinsep, dans Cobbett’s Parliamentary Debates…, Londres, t. VI, p. 445.
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PAR LEKTI EN
JANVIER
2013

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