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Journal de la Société des

Africanistes

Étude sur la fabrication des Lambamena


E. Vernier

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Vernier E. Étude sur la fabrication des Lambamena. In: Journal de la Société des Africanistes, 1964, tome 34, fascicule 1. pp.
7-34;

doi : https://doi.org/10.3406/jafr.1964.1377

https://www.persee.fr/doc/jafr_0037-9166_1964_num_34_1_1377

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ÉTUDE SUR LA FABRICATION
DES LAMBAMENA

PAR

E. VERNIER

A une époque où les techniques de fabrication évoluent avec une


très grande rapidité, il a semblé utile de noter les détails de l'une
d'entre elles qui joue un rôle important sur les « Hauts-Plateaux »
de Madagascar : la fabrication des lambamena ou suaires en soie
naturelle.
Les lambamena sont utilisés immédiatement après le décès et aussi
au cours de cérémonies familiales (famadihana) qui consistent, entre
autres rites, à envelopper à nouveau les restes des ancêtres. Il s'en
fait une très large utilisation chaque année, tout particulièrement
pendant la saison froide.
Nous avons pu visiter au Betsileo un village où, non seulement
on peut étudier le cycle complet en partant de la culture du mûrier
pour arriver au tissu terminé, mais encore noter des techniques
tinctoriales très anciennes et encore en usage.
Ce sont les résultats de cette enquête qui sont exposés ici.

Quartier d'Andina : onze villages.

ADULTES TOTAL ENFANTS TOTAL


TOTAUX
hommes femmes adultes garçons filles enfants

Merina. .. 37 -45 82 53 60 113 195


Betsileo . 460 545 1 005 370 410 780 1 785

497 590 1 087 423 470 893 1 980


SOCIETE DES AFRICANISTES

Village d'Andina.

ADULTES TOTAL ENFANTS TOTAL


TOTAUX
hommes femmes adultes garçons filles enfants

Merina. . . 27 25 52 41 61 102 154


Betsileo . 31 28 59 21 26 47 106
58 53 111 62 87 149 260

Le village d'Andina.
Le village d'Andina est un chef-lieu de canton en pays Betsileo,
à 17 km à l'ouest d'Ambositra, auquel il est relié par une route caros-
sable en toutes saisons (Fig. 1). C'est un village petit, mais très ancien
où une alliance (à moins que ce soit un contrat) a dû être conclu dans
les temps immémoriaux ainsi que le nom même de la localité semble
l'indiquer — Andina, de dina = serment.
La population du « quartier » d'Andina, qui groupe onze villages,
est en grosse majorité Betsileo et s'adonne à la culture de magnifiques
rizières en gradins dont la superficie totale est évaluée à 1 043 ha.
Une colonie Merina, établie depuis plusieurs générations (Merina
valovotaka), compte au total 195 individus (enfants compris), dont
les 8/10e réside dans le seul village d'Andina. Cette colonie Merina
est originaire d'Ambohimanambola, agglomération qui se trouve
sur la voie ferrée Tananarive-Tamatave, à 15 km de la capitale.
Ces Merina portent le nom d'Andrian'Ambohimanambola et
tiennent particulièrement à cette dénomination nobiliaire. Ils
contribuent à la prospérité du pays et à son développement, soit par
la culture du riz, des agrumes et des caféiers (347 ha de ces derniers),
soit en participant tous plus ou moins à l'industrie particulière au
pays : l'élevage des vers à soie et la fabrication des lambamena ou
suaires en soie. On compte une quinzaine de métiers dans le village,
1/3 entre les mains des Betsileo, 2/3 utilisés par les Merina.

Culture du mûrier \
Mûrier : noms vernaculaires : voaroy hazo en dialecte betsileo,
hazon-dandy en Merina.
1. Il semble bien que les premiers mûriers introduits à Madagascar l'aient été dès 1826 par
M. Cummins, agent technique de la Mission Protestante britannique.
ETUDE SUR LA FABRICATION DES LAMB AMEN A

Vert Anlatilfoês/
FANDRtANA

A- bary' VTsaras&otra

Fig. 1. — Carte de la région d'Andina.


10 ' SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
A Andina les plantations de mûriers sont faites par boutures, de
préférence au mois d'août. Il existe sur place deux variétés : Morus
alba var. indica à petites feuilles (tongotr-akoho), Morus alba var.
latifolia à grande feuilles (be ravina) (Perrier de La Bathie, Flore de
Madagascar).
L'éleveur de vers à soie plante plus volontiers l'espèce dite be-
ravina (latifolia), dont les feuilles sont larges et peu découpées. Les
boutures sont mises en terre, à peu près à 80 cm l'une de l'autre ;
dans un terrain proche du village et, à l'heure actuelle, encore assez
riche pour ne pas exiger de fumure.
En culture intercalaire, on plante des haricots nains ou des
arachides, l'expérience a été faite de semer du maïs, mais s'est révélée
malencontreuse, l'ombre donnée par cette plante empêche les feuilles
du mûrier de se développer normalement et surtout d'être
franchement vertes (miamena volo ny ravina).
Les divers soins apportés aux mûriers sont :
1° Un sarclage annuel (miava), peu profond, juste pour détruire
les herbes folles et aérer le sol, il se pratique simplement à la bêche
malgache (angady).
2e Une taille (manety) également annuelle qui se fait à la saison
froide, de préférence en juillet. Elle est pratiquée à 50 cm du sol et
transforme l'arbuste en têtard, les branches taillées sont utilisées
en partie comme boutures, le reste comme combustible.
3° Les têtards trop vieux sont recépés (mamarana) au niveau du
sol.
4° Les pieds recépés qui repartent mal ainsi que ceux qui sont
morts, sont arrachés et immédiatement remplacés par une bouture.
Les plantations de mûriers sont individuelles, et chacun plante
le nombre de pieds qu'il juge nécessaires à l'élevage de ses vers à
soie. Si, pour une raison ou pour une autre, un propriétaire de mûrier
n'utilise pas ses feuilles, elles ne sont pas perdues pour autant, il les
vend en bloc sur pied. Le prix varie avec la superficie du champ.
Au moment de l'enquête le lot le moins important s'est vendu 150 f
(3 NF) — le plus vaste 4 000 f (80 NF) — un lot moyen de 35 pieds :
800 f (16 NF).
Il ne semble pas que les mûriers d'Andina soient parasités de
façon dangereuse, ce que les planteurs redoutent ce sont les
pulvérisations d'agricide pratiquées sur les caféiers au moment où ceux-ci
sont atteints par le parasite dit anano. Les feuilles des mûriers
voisins touchées par le produit deviennent toxiques pour les vers à
soie.
A l'avenir, il serait bon que les planteurs séparent très nettement
ÉTUDE SUR LA FABRICATION DES LAMBAMENA 11
les caféiers des mûriers, gardant ceux-ci près des habitations pour
avoir les feuilles fraîches sous la main, les caféiers étant groupés
en dehors de la zone plantée en mûriers.

Élevage des vers a soie.


Il importe de préciser qu'on distingue deux sortes de vers à soie
à Madagascar :
1° Le landy-kely qui est le vers à soie classique qui a été importé
et qu'on élève : c'est le Bombyx sericaria mauri.
2° Le landy-be qui vit spontanément sur les « tapia » (Chrysopia
bojeri Baill.), et dont les cocons blanc sale avec des pointes
noirâtres sont récoltés à la saison.
A Andina, on élève exclusivement les landy-kely et ceci depuis
soixante-dix ans. Il ne semble pas que cet élevage soit réservé à tel
ou tel clan, ni même que des tabous créent des sortes de privilèges.
La « graine » est achetée chez un des cinq « graineurs » de la
province de Tananarive, soit à la Station de Nanisana (Tananarive),
soit à Mahitsy près d'Ambohidratrimo. L'expérience a prouvé que
l'élevage des papillons sur place à Andina donnait des déboires,
aussi tous les éleveurs font-ils leurs achats à partir d'octobre dans
les centres spécialisés.
Les papillons ayant été contraints de pondre sur une surface
limitée de papier Kraft, chaque ponte est nettement isolée ; elle compte
en moyenne 350 œufs, porte le nom de « cellule » et se vend 5 f (0, 10 NF).
Une cellule se dit : iray тепу.
En moyenne, un éleveur d'Andina achète 60 cellules, au minimum
20 et au maximum 200. Notons en passant que les Betsileo élèvent
beaucoup moins que les Merina, ils achètent en moyenne 5 fois moins
de cellules.
Cette « graine » est conservée dans un panier à couvercle, dans un
coin frais et sec de la maison et les étagères d'élevage sont mises en
état pour la nouvelle campagne d'élevage qui dure de novembre
à avril.
Ces étagères sont faites d'un cadre en petits rondins d'environ
3 m de longueur, 2 de hauteur et 1 de largeur. Elles comportent une
série de claies faites en éclat de hampe d'aloès (lahin-taretrd),
séparées les unes des autres d'environ 30 cm. (fig. 2)
Les murs de la pièce d'élevage sont reblanchis à la terre blanche
(tany-fotsy) trouvée dans le pays ; les nattes (tsihy) sont lavées à la
rivière, énergiquement brossées pour les débarrasser de toute
souillure restant de l'élevage précédent, puis elles sont passées à la flamme.
12 SOCIETE DES AFRICANISTES
Une torche d'herbe sèche (bozaka) est introduite rapidement entre
les claies, le long des montants des étagères pour les stériliser.
Quand tout est prêt, les cellules sont sorties du panier et étalées
sur une des nattes, et la salle d'élevage est légèrement chauffée
grâce à un petit feu entretenu dans une marmite en terre ou en fer
placée le plus loin possible des claies.

80
cm

Fig. 2. — Étagère à vers à soie.

Dès que l'éclosion s'est produite, les jeunes vers sont délicatement
brossés avec une plume de poule pour les faire tomber sur la natte,
le papier Kraft où les œufs étaient collés est brûlé, et sans tarder
on nourrit (mamahana) les jeunes vers avec les pousses tendres du
ÉTUDE SUR LA FABRICATION DES LAMBAMENA 13
mûrier (laingo). Ces pousses sont hachées menu au couteau et
répandues délicatement en couche fine sur les vers (bibin-dandy) qui
rapidement montent sur leur nourriture et se mettent à manger. Ils sont
nourris trois fois par jour jusqu'à la première mue qui dure vingt-
quatre heures pendant lesquels les vers ne mangent pas (matory).
Quand la mue est terminée (miofakd), les murs sont à nouveau
approvisionnés en jeunes feuilles hachées (les 2e et 3e de la tige en
partant du bourgeon terminal). Ces feuilles doivent être exemptes
de pluie ou de rosée. Si la pluie persiste, on essore les feuilles à la
main (méthode du panier à salade) ; si l'élevage est peu important
les feuilles sont épongées avec un chiffon.
Les mues se succèdent, quatre en tout, et à mesure que les vers
grossissent on leur donne des feuilles entières (les 4-5-6-7 et 8e de la
tige du mûrier), elles sont mises à plat et à l'endroit, les vers peuvent
être pris avec les doigts afin de procéder au nettoyage des nattes qui
a lieu tous les deux jours.
Après la dernière mue, les vers sont nourris quatre fois par jour de
grosses feuilles versées en vrac. Au cours de l'élevage on ne nourrit
jamais pendant la nuit mais le feu est constamment entretenu. A
chaque mue, on surveille attentivement pour découvrir les vers
malades (boka), on les reconnaît au fait qu'ils gonflent et ne perdent
pas leur peau (tsy mety miofakd), ils sont pris avec les doigts et jetés
aux poules.
La surveillance est également étendue :
1° Aux fourmis qui risqueraient d'envahir les claies, elles sont
arrêtées par les récipients plein d'eau placés sous les pieds des étagères.
2° Aux rats qui sont aussi friands des vers, pour les empêcher
d'accéder aux étagères, celles-ci peuvent être suspendues par des
fils de fer fixés au plafond.
3° Aux pulvérisations de D. D. T. qui sont mortelles pour
l'élevage, on s'arrange pour que la pièce d'élevage échappe au zèle des
agents du Service de désinsectisation.
Une semaine après la dernière mue, on prépare les étagères pour
la « montée » des vers à soie (akaran-dandy). L'éleveur rassemble des
petites branches d'eucalyptus, ou bien des fougères sèches, mais
surtout de la bruyère (anjavidy = Philippia Goudotiana Ericacées).
On choisit de préférence l'espèce de bruyère dite : kisiasia, d'où
l'expression manangana kisiasia : « dresser la bruyère » pour parler
des travaux préliminaires à la montée des vers à soie.
, Les nattes étant préalablement débarrassées de tous les déchets,
les vers sont mis en tas au centre, puis les branches de bruyère sont
disposées de façon à dessiner sur les nattes des carrés d'environ
14 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
40 x 40 cm. Quelques fois les branches sont piquées dans la natte
et leurs brindilles terminales sont entremêlées (andoha-lambd).
Les vers répartis dans chaque carré ne tardent pas à monter dans
les branches pour y filer (manao trano). Les quelques retardataires
sont nourris en attendant qu'ils se décident à filer, ce qui n'excède
pas trois jours, on doit pendant cette courte période surveiller
attentivement les feuilles de peur que quelque ver ne se mette à filer
dessous.
Pendant le filage des cocons la pièce est aérée abondamment « pour
qu'ils restent bien ferme », ils sont laissés 8 jours sur les branches,
puis on les recueille quand la chrysalide est libre à l'intérieur (maneno).
Dans leur grosse majorité les cocons sont jaune d'or, il y en a
quelques-uns de blancs, mais ils sont toujours plus petits. Les cocons
sont conservés dans un panier (sobika) et les éleveurs peuvent soit
les vendre soit les employer eux-mêmes. A Andina les Betsileo les
vendent sur la base de 200 f (4 NF) le kilogramme en vrac et pleins,
c'est-à-dire que la chrysalide est encore dans le cocon et sans que
l'acheteur puisse trier les plus beaux 1 Les cocons portent à ce
moment-là le nom d'akoran-dandy.

Utilisation des cocons.


Contrairement à ce qui se passe dans d'autres régions du monde,
les cocons ne sont pas dévidés, la soie n'est pas moulinée mais
seulement cardée avec les doigts.
L'utilisateur des cocons les entaille (manety landy) avec des ciseaux,
en retire la chrysalide (soherina) qui se vend 50 f (1 NF) l'assiette,
c'est une friandise recherchée. Les cocons vides sont plies et
introduits de force dans l'un d'entre eux, en moyenne on peut mettre
six cocons dans un, ils sont ainsi prêts pour la cuisson.
Dans une grande marmite, voire même dans un demi-fût
d'essence, on a mis de l'eau froide et du savon, ce dernier dans la
proportion de 7 cubes à 10 f (0,20 NF) pour un panier de cocon. On
utilise indifféremment le savon d'importation ou celui de
fabrication locale. L'un ou l'autre est émincé pour fondre plus rapidement,
les cocons sont mis par poignées dans l'eau qui est portée et
maintenue à ebullition pendant toute la journée, ils y macéreront encore
vingt-quatre heures une fois le feu éteint, puis seront rincés à l'eau
claire.
Étant donné le fait que les cocons ont été ouverts, d'innombrables
fils de soie sont embrouillés et le tout forme une masse compacte.
Les cocons sont donc arrachés par poignées et mis à sécher soit sur
ÉTUDE SUR LA FABRICATION DES LAMBAMENA 15
une natte, soit plus souvent collés sur un mur ensoleillé sous forme
de petites galettes plates d'une dizaine de centimètres de diamètre,
la couleur en est gris sale et même brun suivant le savon utilisé.
Quand les cocons bouillis sont secs ils sont conservés dans un panier
et se vendent 2 500 f (50 NF) le kilogramme, ils sont dit alors : voan-
dandg masaka.

Filage de la soie (famolesana).

A. Fil de chaîne.
Ce sont les femmes qui filent avec des fuseaux de fabrication
locale (ampela). On en observe deux modèles : Yampela-kely ou fuseau
court et Yampela-be, fuseau plus gros, le premier servant
exclusivement à filer, le second utilisé pour les bobinages (Fig. 3).
Le petit fuseau est composé d'une tige fine de 5 mm de diamètre
et d'une longueur moyenne de 30 cm, taillée dans le bois de nato
(Labramia Bojeri) ou de kinangala (Phloga Polystachya).
Cette tige porte le nom de tahon-ampela. L'une des extrémités a
été taillée pour qu'on y accroche le fil ; il existe trois modèles
différents de mode d'accrochage : soit qu'un renflement ait été prévu,
soit encore que la tige ait été travaillée en forme de fer de lance,
ou bien encore qu'on ait ficelé perpendiculairement une petite tige
de bois de 1 cm de long.
A 6 cm de cette extrémité se trouve un disque généralement en
os, en forme de cône très aplati de 35 mm de diamètre et de 8 mm
d'épaisseur au centre (lohan-ampela).
Le grand fuseau est en bois de nato d'un diamètre plus
important (9 mm) et plus long (50 cm), il ne comporte pas d'extrémité
travaillée pour l'accrochage du fil et la « rondelle » est hémisphérique,
taillée en général dans une rotule de bœuf. On reconnaît les fuseaux
vraiment anciens au fait que l'os est devenu brun foncé à l'usage,
les disques des fuseaux modernes vendus en boutiques sont très
souvent en bois.
La fileuse prend une « galette » de cocons secs, la place sur une
table ou une planche et l'y frappe vigoureusement avec une baguette
pour ramollir cette masse de soie, puis elle sépare les cocons les uns
des autres (vohavohaina), en choisit un et le carde avec ses doigts
en étirant les fils entremêlés amorçant ainsi un fil de soie de 1/2 mm
de diamètre qui est fixé au fuseau. Elle file à ses moments perdus
(mamoly).
16 SOCIETE DES AFRICANISTES
Quand le fuseau est garni et se révèle trop plein, le fil est bobiné
sur une canette (volotara) faite d'un tronçon de gros roseau (long :
23 cm ; diam. : 2 cm) dont les nœuds intérieurs ont été supprimés
pour permettre l'introduction d'un grand fuseau, (ampela-bë). La
canette est coincée sur son axe par un déchet de soie de façon à ce
que la rotation du fuseau l'entraîne et enroule le fil terminé
provenant de Yampela-kely.

Fig. 3. — Les trois sortes de petit fuseaux (ampelakely).


Un grand fuseau (ampelabe) portant une canette (vololara).

La fileuse tient de la main gauche le petit fuseau chargé de fil


terminé, de la main droite le grand fuseau qu'elle a saisi par la tête,
et d'un rapide mouvement du poignet droit elle fait passer le fil
de Yampela-kely sur la canette.
Les canettes garnies de soie grège sont rangées dans une armoire
en attendant la teinture, le fil est très irrégulier, son diamètre moyen
est de 1/2 mm, c'est le fil de chaîne.
ETUDE SUR LA FABRICATION DES LAMBAMENA 17

B. Fil de trame.
Le fil de trame (fahana foly rano) est filé d'une autre manière :
les cocons étant étirés avec les doigts, le fil est formé par torsion puis
roulé humide sur la cuisse ou sur un cylindre de bois. La première
méthode n'est plus guère employée, car nous a-t-on dit « ça donne
froid » (sic), reste celle du cylindre en bois. Ce cylindre, ou plus
exactement le tronc de cône a 40 cm de long et 18 de diamètre moyen,
un méplat a été aménagé sur sa longueur pour donner de la stabilité.

Сосопл Cylindre Paniter

Bol

Fig. 4. — Filage du fil de trame.

La fileuse s'assied sur la natte, place le cylindre droit devant elle,


à main droite un bol avec de l'eau et un petit panier, à gauche la
masse des cocons à travailler (Fig. 4). Le fil est étiré, mouillé dans l'eau,
roulé sur le cylindre avec la paume de la main droite, puis mis dans
le panier. Il est sensiblement plus gros que le fil de chaîne (1 mm de
diamètre), il est lui aussi très irrégulier.
Ce fil de trame suit ensuite la même filière de fabrication que le
fil de chaîne : mise en échevau, teinture, apprêt, etc.
Le filage de la soie se paie soit au poids soit à la longueur. Dans le
Africanistes. 2
18 SOCIETE DES AFRICANISTES
premier cas la fileuse reçoit 500 f (10 NF) par kilog. de cocons
transformés en fil.
Le second est assez curieux car il a pour base la pointure du pied
de la fileuse. Une unité (tohana) reconnue par tous et matérialisée
par une tringle de bois, représente six pointures (enina did) soit
environ 1,35. La fileuse plante en terre deux piquets (fantaka) et
place le « mètre » (tohana) entre ces piquets de façon à empêcher que
leurs têtes se rapprochent, ainsi la mesure restera exacte. Le fil
(landy voafoly) est alors enroulé autour des deux piquets et, par
conséquent mesuré. Il est payé non plus au poids mais à la longueur.

Mise en écheveau (manisa landy).


Les fileuses les mieux outillées ont un ourdissoir en bois (cf. plus
loin) où deux trous ont été prévus pour la mise en écheveau des fils
de soie, les autres plantent deux piquets dans un tronçon de tronc
de bananier ou même simplement en terre. Dans tous les cas l'écar-
tement entre les piquets est d'un tohana (Fig. 5).

Fig. 5. — Mise en écheveau de la soie filée.

Une canette garnie de soie est mise sur un gros fuseau (ampelabe)*
Ce fuseau est tenu de la main droite et le fil conduit d'un piquet à
l'autre, alternativement au sommet et à la base pour former un
écheveau.

Comptage des fils (isa).


Au cours de la mise en écheveau les fils sont comptés au point de
croisement, 4 par 4. Tous les 10 groupes de 4, soit 40 fils, on attache
avec un fil de soie isany. Cet ensemble de 40 fils porte le nom de
kofehy. Quand les piquets sont chargés de 5 kofehy l'écheveau est à
moitié terminé, c'est un zato soit 200 fils. Deux zato forment un ira,
l'écheveau est complet. Une boucle en soie aloalony placée le long
ÉTUDE SUR LA FABRICATION DES LAMBAMENA 19
du piquet de gauche lie tous les kofehy, cette boucle servira à
manipuler l'écheveau au cours des travaux qui suivront.
Une fois l'écheveau terminé, il est retiré des piquets, mis en réserve,
la soie est prête pour la teinture. La mise en écheveau se paie à
l'ouvrière 50 F (1 NF) le zato.

Table des mesures.


L'unité de mesure reconnue est le tohana, baguette dont la
longueur correspond à enina-dia, soit six pointures de la fileuse.

1 tohana : 1,30 approx.


2 tohana 1 vatana
4 vatana 1 isa
10 isa 1 kofehy
5 kofehy 1 zato
2 zato 1 ira
1 ira 2 zato
ou 10 kofehy
» 100 isa
» 400 vatana
» 800 tohana

La teinture (manato ou mandoko landy).


Le lambamena (littéralement : tissu rouge) doit son nom à la
couleur dominante qui est le rouge foncé. Les lambamena d'Andina ont
des colorations-types et la répartition des couleurs est fixée par
la tradition, aussi faut-il avant d'entreprendre les opérations de
teinture prévoir la quantité de soie grège nécessaire et sa répartition
entre les différents colorants. Pour un lamba courant à trois lés on
prévoit :
100 isa en vert
100 isa en jaune
J . ,., , , л
о„л fil de chaîne
200 isa en noir
600 isa en rouge
et 200 isa en rouge fil de trame

Les 2/3 des fils sont en rouge et le 1/3 restant réparti en trois
couleurs, d'où le verbe manato landy pour teindre, littéralement :
« passer à l'écorce de nato. »
L'intérêt de l'étude faite à Andina réside principalement dans le
20 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
fait qu'on utilise encore dans cette région des procédés « naturels »
pour certaines de ces teintures.
Les couleurs de base sont :

a) nato : rouge foncé, c'est le n° 715 de la table Novémail.


b) mainty : noir 701
c) vony : jaune 718
d) maitso : vert 13.28

Matériel utilisé pour la teinture :


Une marmite, de préférence en terre, avec couvercle.
Une mesure à eau (zinga), boîte de conserve d'un litre à laquelle
une poignée a été soudée.
Un van (sahafa).
Une cuvette en émail.
Une cuillère en bois, grosse louche plate.
Un foyer trois pierres alimenté au bois sec.

A. Teinture en rouge-brun (nato).

Avant d'entreprendre cette teinture, il convient de


s'approvisionner en ingrédients :
1° L'écorce de nato (Labramia Bojeri A.) est importée de la forêt
tanala. Ce sont les Tanala eux-mêmes qui l'apportent au marché
d'Andina en toutes saisons. Cette écorce se présente sous forme de
plaques légèrement cintrées ayant en moyenne 45 cm de long et
15 de large, 3 mm d'épaisseur. L'écorce de nato est vendue par
paquets de 10 unités pour 50 f (1 NF). Pour teindre 800 isa de soie,
il faut quatre écorces.
2° Des feuilles de bongo (Danaïs Lyallii Baker), liane qui pousse
dans la région, il y en a même un pied au Sud de la maternité
d'Andina. Si on ne peut se procurer de bongo on utilise du sel de cuisine :
250 g remplacent quatre poignées de bongo frais.
Ces ingrédients rassemblés, la teinturière se met au travail. Les
écorces de nato sont pilonnées dans le mortier à riz familial, quitte
à le rincer soigneusement après. La poudre obtenue est mise dans la
grande marmite réservée à la teinture, on y verse de l'eau froide, y
ajoute quatre poignées de feuilles de bongo (sèches ou fraîches) et
l'on fait bouillir cinq heures, soit du matin jusqu'à midi, puis on
laisse reposer. Vers 15 h le feu est rallumé, les écheveaux sont étirés
soigneusement et lovés un à un dans la marmite en croisant les
ÉTUDE SUR LA FABRICATION DES LAMBAMENA 21
enroulements, on fait bouillir à nouveau jusqu'au moment du coucher
(vers 21 h). Le matin les écheveaux sont retirés de la teinture un à un
en les prenant par la boucle aloalo, ils sont essorés par torsion, mis
dans une cuvette, puis suspendus à une corde pour les faire sécher.
La teinture a été conservée dans la marmite, on fait le plein d'eau
sans ajouter de colorant, le feu est rallumé vers 15 h, la soie mise
à nouveau à la teinture, le cycle de la veille est repris, il en est ainsi
pendant quatre jours.
Tel est le procédé ancien de teinture en rouge foncé encore
couramment employé à Andina, certains ajoutent un peu de teinture
en poudre à l'écorce de nato, d'autres teignent entièrement avec de
la teinture chimique importée d'Allemagne, et que l'épicier d'Andina
vend à la cuillère. Pour 800 isa de soie il en faut une cuillère à soupe
vendue 10 f (0,20 NF). C'est le « Rouge Fuchsine » de la Farben
Fabrik Bayer-Leverkusen.
La teinture chimique a l'avantage d'être beaucoup plus rapide,
puisqu'en un seul passage la soie a entièrement pris sa couleur qui
est plus rouge que celle du nato.
Les tisseuses reconnaissent au premier coup d'œil les fils teints
au nato pur, ceux teints au nato mélangé de poudre tinctoriale et
enfin ceux qui doivent leur couleur aux chimistes d'Outre-Rhin.
Notons que les clients donnent très nettement leur préférence
aux lambamena teints au nato pur.

B. Teinture en noir (mainty).

On s'approvisionne en :
1° feuilles de zahamborozano (Eugenia jamb osa) ou d'eucalyptus.
Il n'y a pas de préférence pour une essence plutôt que pour une autre,
on utilise les jeunes feuilles du premier arbre à proximité. Pour 200 isa
de soie à teindre en noir il faut un petit panier de feuilles fraiches ;
2° en boue noir (fota-mainty). Il s'agit d'une boue de rizière,
noirâtre, qui ne colle pas aux mains et assez difficile à trouver car très
localisée. On la recueille dans une cruche (siny) ou de préférence dans
une petite marmite en fer blanc dite maharitrafo *.
Les feuilles de zahamborozano ou d'eucalyptus sont pilonnées
vigoureusement puis mises dans une marmite avec de l'eau froide, le mélange

1. Nous remercions Mme Ruf de FI. R. S. M. à Tananarive d'avoir bien voulu, après essais en
laboratoire, nous expliquer le rôle joué par cette terre dont le fer ferreux réagit sur les matières
organiques libérées par les feuilles d'eucalyptus et de bongo.
22 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
est porté à ebullition, puis on y plonge les écheveaux de soie, le tout
est bouilli pendant une heure (manao handatra).
La soie est essorée, puis trempée et frottée dans la boue liquide.
Le mélange boue-soie est bouilli pendant une grande heure. Les
écheveaux sont ensuite rincés et séchés.
Certaines femmes ont abandonné ce procédé ancien et préfèrent
teindre à la teinture chimique en mélangeant empiriquement «
beaucoup de poudre verte » avec « un peu de poudre rouge », ce qui donne
un noir peu apprécié d'ailleurs par les clients fidèles au « bon vieux
temps ». •

C. Teinture en jaune (vony).

On s'approvisionne de :
1° Deux morceaux de racine de tamotamo (Curcuma Longa), safran
de l'Inde, frais ou sec, de la grosseur du pouce.
2° Une cuillère de teinture chimique en poudre (10 f = 0,20 NF)
« Orange II extra » importé par Chan-Pin et CIe, Tananarive et
Tamatave (sans indication d'origine sur les emballages).
Le safran est pilonné dans le mortier à riz, mis dans un litre d'eau
et bouilli. La soie est plongée dans le liquide en ebullition et
maintenue sous la surface du liquide avec une longue cuillère en bois
(sotro-be) pendant vingt minutes. La soie est ensuite retirée, essorée
à la main et placée dans une cuvette ; elle est jaune paille.
L'eau de teinture est conservée et on y ajoute la poudre « jaune »,
le mélange ainsi enrichi est porté à ebullition et on y met à tremper
la soie précédemment passée au safran. Après einq minutes d'ébul-
lition la soie a pris la teinture (mandray loko ny landy), elle est jaune
vif. On essore et met à sécher.

D. Teinture en vert (lomotra ou maitso).

L'ancienne technique qui consistait à teindre au lomotra (Vauche-


ria Sessilis) a été abandonnée à la suite de la disparition de cette
algue des ruisseaux de la région. On n'en continue pas moins à employer
le mot lomotra concurremment avec maitso pour désigner quelque chose
de vert foncé.
Pour la teinture en vert le procédé est exactement le même que
pour la couleur jaune en ce qui concerne la première opération :
teinture au safran. Puis l'eau de safran est jetée, la marmite
soigneusement lavée est remplie d'eau froide dans laquelle on a mis
ÉTUDE SUR LA FABRICATION DES LAMBAMENA 23
une cuillère à café arasée de teinture verte : « vert malachite » de la
Farben Fabriken Bayer.
Le mélange est porté à ebullition, la soie y est introduite et
maintenue cinq minutes sous la pression de la grosse cuillère. Les éche-
veaux sont essorés, séchés, ils sont vert vif.
Quand la teinture est terminée, tous les écheveaux, rouge, noir,
jaune et vert, sont rangés dans une malle ou un panier à couvercle
(saron-karona) en attendant les opérations de fixage et d'encollage.

Le fixage.
L'expérience qui a guidé les Malgaches pour le choix des plantes
tinctoriales leur a également appris que la soie teinte devait passer
par un bain fixatif, ce bain est à base de cendres. Il y a eu pendant
longtemps deux méthodes d'extraction de l'eau de cendre. La
première avait le gros avantage de donner un liquide relativement
propre (heza-madio), qui ne souillait pas la soie de débris. Des herbes
spéciales étaient récoltées, séchées puis brûlées, la cendre obtenue
était mise dans un petit panier, arrosée d'eau chaude et le liquide
recueilli était utilisé en teinturerie. Ce procédé a été
malheureusement abandonné, les raisons suivantes nous en ont été données : tout
d'abord on ne se souvient plus bien des herbes jadis utilisées, et puis
le procédé est long et « comme on est devenu paresseux »... (sic).
Pour la seconde méthode il convient d'amasser tout simplement
de la cendre ordinaire (hezam-patanà) en veillant attentivement à
ce que de la cendre de paille de riz (lavena molold) ne soit pas mélangée
à la cendre de bois, sa présence est néfaste : les couleurs mal fixées
s'atténueraient à la longue (miofofo). On n'utilise donc plus à l'heure
actuelle que de la cendre de bois (hezam-patanà), et ceci de deux
façons différentes, en vue d'ailleurs d'un même résultat.
a) Procédé humide. Dans une cuvette on met pour un « hira » de
soie teinte trois pleines mains jointes de cendre et trois litres d'eau
froide. Les écheveaux sont mis à tremper dans ce mélange et
maintenus au fond de la cuvette avec la cuillère en bois, on évite d'y
mettre trop les mains, l'expérience ayant montré que l'eau de cendre
attaquait la peau. Au bout d'une heure les écheveaux sont retirés,
mis à sécher, puis lavés rapidement à la rivière pour les débarrasser
des particules de cendre, enfin on les sèche à l'air libre.
b) Cendre sèche. Le second procédé consiste à mettre les écheveaux
sortant de la teinture et encore humides, sur un van. Ils y sont très
largement saupoudrés puis roulés dans la cendre. Ensuite ils sont
étalés au soleil, retournés de temps à autre afin qu'ils sèchent, enfin
24 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
la soie sèche mais toute souillée de cendre est lavée à la rivière et
suspendue pour être séchée.

Apprêtage (manao an-dranom-bary).


L'apprêtage est destiné à donner un peu de raideur au fil et
surtout à coller ensemble les innombrables brins de soie qui dépassent
du fil tordu à la main et dont la présence freinerait considérablement
le travail de tissage.
L'apprêt est préparé de la façon suivante : 500 g de riz blanc sont
mis à tremper pendant une demi-heure dans très peu d'eau froide,
l'excès d'eau non absorbé est jeté, puis les grains sont réduits en pâte
par pilonnage. Dans une cuvette on met une demi-cruche d'eau
froide, on ajoute la pâte de riz qui s'y dilue, le liquide est décanté,
le déchet jeté et l'eau mise à bouillir. Pendant qu'elle chauffe on la
tourne sans arrêt, dès qu'elle bout, elle est versée à l'aide de la cuillère
en bois sur les écheveaux étalés sur un van ou dans une cuvette.
Quand toute la soie est bien imbibée d'apprêt elle est essorée à la
main par simple pression puis chaque écheveau est placé sur deux
piquets (fantaka) que tiennent deux femmes. Par un mouvement de
rotation inversée, elles essorent encore une fois la soie par traction,
elles retirent, les piquets sont fichés en terre de façon à allonger au
maximum les écheveaux. Il est fréquent de voir devant les maisons
de véritables chaînes d'écheveaux.

Dévidage et mise sur canette (manatsody).


La soie teinte et apprêtée doit être mise sur canette encore une
fois avant l'ourdissage. Le matériel utilisé est :
1° Un dévidoir : c'est un moulinet en bois à quatre branches fait
de deux lattes d'un mètre de longueur, monté sur un axe également
en bois de 32 cm de haut, lui-même planté sur un support. A
l'extrémité de chaque branche il y a quatre trous alignés qui permettent
de déplacer une fiche verticale suivant la grandeur de l'écheveau.
2° Une provision de canettes (volotara), ce sont des tronçons de
gros roseau (Phragmites communis) d'une longueur moyenne de
24 cm et de 2 cm de diamètre.
3° Un grand fuseau (ampelabe).
L'ouvrière, assise sur une natte, place le dévidoir devant elle
légèrement à gauche. L'écheveau est bien étiré à la main, placé sur le
dévidoir et les fiches mises en place pour bien tendre les fils, les
boucles aloalo sont supprimées et le début du fil est enroulé sur la
Planchk I.

Plantation d3 mûriers à Andina.

Essorage après l'apprètage. Séchage après l'apprêtage.


Planche II.

Ourdissage.

Un lé prôl à être monté sur le métier à tisser.


ÉTUDE SUR LA FABRICATION DES LAMBAMENA 25
canette. Celle-ci est enfilée sur le grand fuseau et coincée avec un
déchet de soie afin de faire corps avec lui. L'ouvrière tient le fuseau
la pointe en l'air et par un habile mouvement du poignet droit lui
imprime une rapide rotation. Chaque canette reçoit à peu près
60 isa de fil, trois bobines sont comptées pour 200 isa. Une canette
garnie porte le nom d'iray volotara.

Ourdissage (fananiana).

Matériel type :
1° Un ourdissoir : c'est un madrier dont les dimensions moyennes
sont : long. 155 cm, largeur 25 cm, épaisseur 8 cm. Sept trous y sont
ménagés pour l'implantation des fiches (ankaniana) de 30 cm de
hauteur, elles sont en bois, cylindriques. Les trous étant numérotés de 1 à 7,
de gauche à droite, voici leur écartement respectif d'axe en axe :

entre 1 et 2 = 6 cm
2 et 3 = 33 —
3 et 4=5 —
4 et 5 = 72 —
5 et 6=4 —
6 et 7 = 11 —

2° Un maillet en bois : fiveli ou zanaka mofoka. Il arrive assez


souvent que l'ourdisseuse n'ait pas de véritable ourdissoir, elle ne
possède que les fiches et le maillet. Dans ce cas elle a le choix entre :
planter les fiches à la bonne distance les unes des autres dans le sol
de sa maison ou, si la pluie n'est pas à craindre, sur le terre-plein
à l'ombre de cette maison. S'il pleut et qu'elle ne puisse planter les
fiches dans le sol, elle se procurera un tronc de bananier élagué de
toutes ses feuilles et y enfoncera les fiches à coup de maillet.
L'ourdissage consiste à entrelacer les fils autour de quatre fiches
verticales de façon à avoir une chaîne que l'on tendra
horizontalement sur le métier. Les fiches 2 et 5 (ou bien 2 et 6) déterminent la
longueur de cette chaîne et par conséquent la longueur du tissu.
Sur le métier la fiche 2 sera remplacée par la poitrinière, la 5 (ou la 6)
par le rouleau.
Les fiches 3 et 4 permettent le croisement des fils sur le métier,
elles seront remplacées par la lisse (Fig. 6).
Le tissage d'un lambamena se faisant par lé, on ourdit un lé à la
fois. Les lambamena courants ont deux lés de largeur (tokambitrana)
26 SOCIETE DES AFRICANISTES

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2 14 3 1 4

3 2 1
Fig. 6. — Cycle de l'ourdissage.

ou bien 3 lés (telo-vitrana). Dans ce dernier cas le lé central est rouge


foncé uni, les 2 lés extérieurs ont des rayures dans le sens de la
longueur.
L'ourdissage d'un lé uni est très simple, car il ne pose pas de
problème de changement de couleur, celui d'un lé bariolé est beaucoup
ÉTUDE SUR LA FABRICATION DES LAMBAMENA 27
plus long car il suppose une grande attention, la disposition des
rayures devant suivre des règles imperatives tant d'emplacement
que de largeur.
Voici à titre d'exemple, le schéma type d'un lé d'Andina, en
partant de la gauche d'un lamba terminé.

1 bordure extérieure obligatoirement rouge


de 400 mm de large (sisiny)
1 ligne en vert de 4 mm
1 jaune 4 mm
1 bande en noir 65 mm
1 ligne en jaune 5 mm
1 noir 3 mm
1 vert 4 mm
1 jaune 3 mm
1 vert 3 mm
1 rouge 3 mm
1 vert 3 mm
1 jaune 3 mm <
1 bande rouge appelée vatomangany 70 mm

puis 14 lignes de 3 mm de large, successivement : vert, noir, jaune,


vert, rouge, vert, jaune, noir, vert, jaune, noir, jaune, vert, rouge,
vert, jaune, noir, vert, noir, jaune, noir, noir, jaune, vert, enfin une
bande rouge de 10 mm appelée famitrana vitrana, la largeur totale
de ce lé étant de 73 cm.
Le second lé coloré, donc à l'extrême droite du lambamena
considéré, aura les mêmes dispositions mais inversées.
Pour réaliser cette succession de coloris, l'ourdisseuse prélève
sur ses réserves de soie teinte les quantités suivantes exprimées en
isa :

rouge : 200 + 1 + 15 + 10 316 isa rouge


vert : 1 + 1 + 4 + 4 + 1 + 1 + 1 + 1. 14 isa vert
jaune : 1 + 1 1/2 + 1 1/2 + 1 + 4 9 isa jaune
noir: 20 + 1 + 1 + 3 25 isa noir

On constate que c'est à juste titre que ces suaires s'appellent


lambamena puisque la couleur rouge prédomine très largement.
Une fois approvisionnée en couleurs la femme s'installe par terre
devant son ourdissoir, elle a placé ses fiches en 1-2-3-4.
28 SOCIETE DES AFRICANISTES

Л 2 3 4
Tenant à la main un grand fuseau sur lequel est enfilée une canette
de soie rouge, elle attache le début du fil à la fiche 1 et le déroule
suivant ce schéma :

Au tour suivant on inverse le croisement en 2 et 3, ce qui donne :

Le passage des fils continu suivant ce cycle, en observant très


soigneusement les changements de couleur (le nœud fait pour ajouter
un fil à l'autre n'a rien de caractéristique, il varie d'ailleurs suivant
les ourdisseuses, chacune a le sien).
Sur l'ourdissoir un lé prêt à être transporté sur le métier se
présente ainsi :

i 2

Avant de le retirer on place cinq liens en soie pour maintenir les


croisements et éviter que tout s'embrouille, ils sont indiqués par les
chiffres 1-2-3-4-5.

Le métier a tisser (tenona).


C'est un métier à chaîne continue dont les lisses sont aménagées
pour tisser un seul point dit « armure toile » : un pris, un sauté. C'est
le plus simple des tissages (Fig. 7).
ÉTUDE SUR LA FABRICATION DES LAMBAMENA 29
Le cadre du métier à 2 m de long sur 1 de large, il est muni de fiches
verticales aux deux extrémités. La chaîne est tendue entre ces fiches
par quatre cordes passant par les extrémités de la poitrinière (vodi-
Ъао) et du rouleau (loha-tenona).
La lisse (haraka) est supportée par une tringle de bois (voanaka-
raka) dont les extrémités reposent sur deux cales évidées (tongo-
dovià).
La navette est un simple morceau de bois cylindrique de 30 cm
de long.
La latte en bambou, taillée en pointe aux deux extrémités (tsipika),
sert à tendre la chaîne devant la tisseuse et à assurer une largeur
uniforme au lé en cours de tissage.
La tisseuse emploie encore deux instruments :
le fanindrin-tenona, sorte de poignée plate en forme d'arc de cercle
qu'elle passe rapidement sur les fils devant elle avant chaque duite ;
le fofy : tige cylindrique en os de 15 cm de longueur et 0,5 de
diamètre qui sert à séparer les fils avant chaque croisement en le passant
de gauche à droite sur la trame tendue.

Fig. 7. — Le métier à tisser les lambamena.


1. vodibao : poitrinière. 2. lanatana : Couteau tasseur. 3. voanakaraka : support de lisse. 4. fan-
draisana : barre d'écartement. 5. hazokelg tenona : baguette d'envergeur. 6. loha tenona : rouleau.
7. fitondran-tenona : baguette d'envergeur (début du tissu). 8. fanontana tenona : baguette (raoin-
dahasa). 9. longo-dovia : support de lisse.

Technique du tissage.
Le lé ourdi est monté sur le métier et la lisse est bouclée sur tous
les fils pairs, les cordes de tension sont raidies, la femme s'installe
par terre de façon à avoir la poitrinière devant elle, tous les
instruments sont mis en place, ainsi que le bol d'eau à portée de la main
pour mouiller légèrement la chaîne.
Le travail, très simple commence, en voici la décomposition :
1° passer la navette dans un sens
2° coup de couteau tasseur
3° croisement des fils de chaîne
4° un coup de fofy
30 SOCIETE DES AFRICANISTES
5° un coup de couteau tasseur
6° passage du fanindrin-tenona
7° passer la navette dans l'autre sens
8° coup de couteau-tasseur
9° croisement des fils de chaîne, etc., etc.
Les opérations de 1 à 6 forment une duite et durent en moyenne
quinze secondes. Le travail avance rapidement, de temps en temps
la tisseuse s'interrompt, desserre les cordes de tension et tire la chaîne
vers elle pour faire glisser au-dessous le tissu terminé, elle en profite
pour asperger la chaîne.
Quand il ne reste plus que 15 cm de chaîne non tissée, le travail
est arrêté, la chaîne coupée au milieu de cette partie non tissée, ce
qui donnera les bouts libres à chaque extrémité du lamba pour les
franges (rambon-damba).

Les franges (rambon-damba).


Pour faciliter le nouage des fils de chaîne aux deux extrémités du
lé terminé on tisse à la main un dernier fil spécial (Fig. 8). Ce gros fil
(tsifany) est composé de trois fils rouges torsadés (telo sosona). Les fils
de frange sont groupés par 6 ou 7, passés derrière le tsifany pour former
un nœud bien serré qui maintient la trame et dont les fils libres forment
ornement :

Isifany

Fig. 8. — Nouage des fils de chaîne.

Notons que le mot rambon-damba — franges — est rituellement


employé au cours des visites de condoléances : les amis offrent à la
famille du défunt une petite somme d'argent pour aider aux frais
des funérailles, on dit « c'est pour les franges »... pour ne pas employer
le mot « linceul » jugé trop direct en la circonstance.

Les perles (vakana).


Les lambamena sont souvent ornés de perles (vakana) à chaque
extrémité, mais ce n'est pas rituellement obligatoire, cependant si
ETUDE SUR LA FABRICATION DES LAMBAMENA 31
on en met elles doivent être soit en verre blanc (vakampotsy) soit en
plomb (flraka).
Les tisseuses d'Andina n'utilisent que les perles de verre blanc
qu'elles achètent au marché du samedi à Ambositra. Ces perles sont
enfilées par cinquante sur un brin de raphia, le paquet de dix raphias
se vend 50 f (1 NF).
Les perles sont enfilées sur un fil spécial une fois le lé retiré du
métier, elles sont séparées les unes des autres par le fil de trame,
tout le dessin occupe quelques centimètres de hauteur. Il n'y a pas
de motif imposé, on trouve donc toute une gamme de dessins depuis
la ligne sinueuse jusqu'aux chevrons, en passant par les petites croix
de cinq perles. Certains clients font tisser un nom en perles, mais
c'est rare.
Quand le tissage est terminé l'ouvrière groupe les lés suivant la
commande :
si c'est un lamba tokam-bitrana, il n'y aura que deux lés bariolés
cousus ensemble (Fig. 9 A) ;
si c'est un lamba telo-vitrana, ces deux lés bariolés encadreront
un lé rouge uni, il y aura donc deux coutures (Fig. 9 В).

"('bl^Wfbil m»' (■HI. ■i. л


.i.V.'.'i'.iS'.'iv'..1,

m h\ t-j
A. tokam-bitrana В. telo-vitrana.
Fig. 9.

Les lambamena terminés sont soigneusement plies et enveloppés


d'une étoffe pour les protéger. S'ils ont été commandés d'avance le
client est averti et viendra en prendre livraison. S'il en est
autrement les lambamena sont mis en vente sur place à Andina, de bouche
à oreille court la nouvelle : « Une telle a terminé son lambamena »,
il sera acquis par une famille en vue des cérémonies de famadihana
ou par un intermédiaire qui le portera à Ambositra pour le vendre
au marché.
A la saison des famadihana (août et septembre), il est pratiquement
impossible d'acheter un lambamena à Andina, ils sont très recherchés
à cause de leur qualité et de leur teinture, très souvent ils sont «
vendus sur le métier ».
32 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
II a paru important de noter le détail de cette industrie malgache
en voie de disparition, en effet on importe d'Europe des lambamena
en bourrette de soie, ils sont mis en vente sur les marchés à des prix
très inférieurs à ceux pratiqués pour les lambamena authentiques.
Les personnes qui ne peuvent acheter un « vrai » se contentent
d'un article d'importation mais expliquent longuement à leur
entourage le pourquoi de ce manquement aux traditions.

Table des plantes citées.

Anjavidg... Philippia Gondotiana, Éricacée.


Bongo... Danaïs Lyallii Baker.
Bozaka... Aristidia ascencionis.
Eucalgptus dit Kinina par les Malgaches.
Zahamborozano... Eugenia Jambosa. Myrtacée.
Kinangala... Palmier Phloga Polystachya.
Lomotra... Vaucheria Sessilis.
Nato... Labramia Bojeri.
Ranom-barg, de Vary... Oryza sativa.
Tamotamo... Curcuma longa.
Tapia... Chrysopia Bojeri Baill.
Volotara... Phragmites communis.
Voarog hazo... Mûrier en dialecte betsileo.
Hazon-dandg... id. merina.
Voarog hazo tongotr'akoho... Morus alba var. indica.
Voarog hazo be-ravina... Morus alba var. latifolia.
Taretra... Fourcroya Gigentea Vent.

Glossaire.

Les mots malgaches insérés dans le texte, souvent des provinci a-


lismes, sont répertoriés ici avec la traduction de leur acception
particulière à l'industrie de la soie.
lambamena... suaire en soie.
famadihana... translation des restes mortels.
andina... de Dina le serment.
betsileo... une des ethnies des Hauts-Plateaux.
merina... ou hova : ethnie la plus nombreuse et la plus évoluée.
andriana... noble.
voaroy hazo... mûrier en dialecte betsileo.
ÉTUDE SUR LA FABRICATION DES LAMBAMENA 33
hazon-dandy... mûrier en dialecte merina.
... tongotr-akoho : mûrier aux feuilles découpées.
... be ravina : mûrier à grandes feuilles.
miamena volo ny ravina... les feuilles rougissent.
miava... sarcler la terre.
angady... bêche malgache.
manety... tailler.
mamarana... recéper.
anano... parasite du caféier.
landy-kely... vers à soie importés (Bombyx sericaria mauři).
landy-be... vers à soie autochtones.
tapia... Chrysopia Bojeti Baill
iray-гепу... une ponte de papillon.
lahin-taretra... hampe florale de l'aloès (Fourcroya gigantea)
tany-fotsy... terre blanche.
tsihy... natte.
bozaka... herbe commune des Hauts-Plateaux (Aristida ascencionis).
mamahana... nourrir.
laingo... bourgeon terminal.
bibin-dandy... vers à soie nouvellement éclos.
matory... dormir, être inerte.
miofàka... muer.
boka... ver à soie malade (litt. : lépreux).
акагап-dandy... la « montée » des vers pour filer.
anjavidy... bruyère (Phillipia Goudotiana).
manangana kisiasia... dresser la bruyère.
andoha-lambo... façon d'entremêler verticalement les tiges.
manao trano... filer son cocon (litt. : faire sa maison).
maneno... résonner.
sobika... grande corbeille.
akoran-dandy... cocons encore pleins.
manety-landy... ouvrir les cocons.
soherina... chrysalide.
voan-dandy masaka... cocons ébouillantés.
ampela... fuseau ; -kely : petit ; -be : grand.
nato... arbre (Labramia Bojeri)
kinangala... Palmier Phloga Polystachya.
tahon ampela... manche du fuseau.
lohan-ampela... fusaïole.
vohavohaina... séparé par arrachement.
mamoly... filer la soie.
volotara... roseau (Phragmites communis).
fahana foly rano... fil de trame.
tohana... unité de mesure.
enina-dia... six longueurs de pied.
fantaka... piquet en bois.
landy voafoly... fil de chaîne.
manisa landy... mettre en écheveau (litt. : compter la soie).
aloalony... boucle lâche pour tenir les écheveaux.
mandoko landy... teindre la soie.
Africanistes. 3
34 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
manato landg... teindre en rouge.
mainly... noir.
vony... jaune.
maitso... vert = Lomotra.
zinga... mesure d'un litre en fer blanc. ■
sahafa... van.
fota-mainty... boue noire.
siny... cruche.
maharitrafo... petite marmite en fer blanc.
manao handatra... ebullition dans la teinture.
tamotamo... Safran (Curcuma longa).
sotro-be... grosse louche plate en bois.
mandray loko ny landy... la soie prend la teinture.
lomotra... algue d'eau douce (Vaucheria Sessilis).
saron-karona... corbeille rectangulaire à couvercle.
heza-madio... fixatif «propre».
hezam-patana... cendres du foyer servant de fixatif.
lavena mololo... cendre de paille de riz.
miofofo... s'atténuer, en parlant d'une couleur.
manao an-dranom-bary... apprêter à l'eau de riz.
manatsody... dévider.
iray volotara... une canette garnie de soie teinte.
fananiana... ourdissage.
flveli... maillet en bois.
tokam-bitrana... suaire à deux lés.
telo-vitrana... suaire à trois lés.
sisiny... lisière d'un tissu (bord externe du lé).
vatomangany... bande rouge dans un lé.
famitrana vitrana... lisière interne d'un lé.
tenona... tissage.
haraka... lisse d'un métier à tisser.
vodibao... poitrinière...
loha-lenona... rouleau...
tongo-dovia... support de lisse...
tsipika... latte d'écartement...
fanindrin-tenona... poignée spéciale pour le tissage.
fofy... tige cylindrique... id.
tanatana... couteau tasseur.
rambon-damba... franges d'un tissu.
tsifany... gros fil de fin de tissage.
telo-sosona... torsade à trois brins.
vakana... perles. Vakampotsy... perles blanches en verre.
firaka... perles en plomb (litt. plomb).

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