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Africanistes
Vernier E. Étude sur la fabrication des Lambamena. In: Journal de la Société des Africanistes, 1964, tome 34, fascicule 1. pp.
7-34;
doi : https://doi.org/10.3406/jafr.1964.1377
https://www.persee.fr/doc/jafr_0037-9166_1964_num_34_1_1377
PAR
E. VERNIER
Village d'Andina.
Le village d'Andina.
Le village d'Andina est un chef-lieu de canton en pays Betsileo,
à 17 km à l'ouest d'Ambositra, auquel il est relié par une route caros-
sable en toutes saisons (Fig. 1). C'est un village petit, mais très ancien
où une alliance (à moins que ce soit un contrat) a dû être conclu dans
les temps immémoriaux ainsi que le nom même de la localité semble
l'indiquer — Andina, de dina = serment.
La population du « quartier » d'Andina, qui groupe onze villages,
est en grosse majorité Betsileo et s'adonne à la culture de magnifiques
rizières en gradins dont la superficie totale est évaluée à 1 043 ha.
Une colonie Merina, établie depuis plusieurs générations (Merina
valovotaka), compte au total 195 individus (enfants compris), dont
les 8/10e réside dans le seul village d'Andina. Cette colonie Merina
est originaire d'Ambohimanambola, agglomération qui se trouve
sur la voie ferrée Tananarive-Tamatave, à 15 km de la capitale.
Ces Merina portent le nom d'Andrian'Ambohimanambola et
tiennent particulièrement à cette dénomination nobiliaire. Ils
contribuent à la prospérité du pays et à son développement, soit par
la culture du riz, des agrumes et des caféiers (347 ha de ces derniers),
soit en participant tous plus ou moins à l'industrie particulière au
pays : l'élevage des vers à soie et la fabrication des lambamena ou
suaires en soie. On compte une quinzaine de métiers dans le village,
1/3 entre les mains des Betsileo, 2/3 utilisés par les Merina.
Culture du mûrier \
Mûrier : noms vernaculaires : voaroy hazo en dialecte betsileo,
hazon-dandy en Merina.
1. Il semble bien que les premiers mûriers introduits à Madagascar l'aient été dès 1826 par
M. Cummins, agent technique de la Mission Protestante britannique.
ETUDE SUR LA FABRICATION DES LAMB AMEN A
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80
cm
Dès que l'éclosion s'est produite, les jeunes vers sont délicatement
brossés avec une plume de poule pour les faire tomber sur la natte,
le papier Kraft où les œufs étaient collés est brûlé, et sans tarder
on nourrit (mamahana) les jeunes vers avec les pousses tendres du
ÉTUDE SUR LA FABRICATION DES LAMBAMENA 13
mûrier (laingo). Ces pousses sont hachées menu au couteau et
répandues délicatement en couche fine sur les vers (bibin-dandy) qui
rapidement montent sur leur nourriture et se mettent à manger. Ils sont
nourris trois fois par jour jusqu'à la première mue qui dure vingt-
quatre heures pendant lesquels les vers ne mangent pas (matory).
Quand la mue est terminée (miofakd), les murs sont à nouveau
approvisionnés en jeunes feuilles hachées (les 2e et 3e de la tige en
partant du bourgeon terminal). Ces feuilles doivent être exemptes
de pluie ou de rosée. Si la pluie persiste, on essore les feuilles à la
main (méthode du panier à salade) ; si l'élevage est peu important
les feuilles sont épongées avec un chiffon.
Les mues se succèdent, quatre en tout, et à mesure que les vers
grossissent on leur donne des feuilles entières (les 4-5-6-7 et 8e de la
tige du mûrier), elles sont mises à plat et à l'endroit, les vers peuvent
être pris avec les doigts afin de procéder au nettoyage des nattes qui
a lieu tous les deux jours.
Après la dernière mue, les vers sont nourris quatre fois par jour de
grosses feuilles versées en vrac. Au cours de l'élevage on ne nourrit
jamais pendant la nuit mais le feu est constamment entretenu. A
chaque mue, on surveille attentivement pour découvrir les vers
malades (boka), on les reconnaît au fait qu'ils gonflent et ne perdent
pas leur peau (tsy mety miofakd), ils sont pris avec les doigts et jetés
aux poules.
La surveillance est également étendue :
1° Aux fourmis qui risqueraient d'envahir les claies, elles sont
arrêtées par les récipients plein d'eau placés sous les pieds des étagères.
2° Aux rats qui sont aussi friands des vers, pour les empêcher
d'accéder aux étagères, celles-ci peuvent être suspendues par des
fils de fer fixés au plafond.
3° Aux pulvérisations de D. D. T. qui sont mortelles pour
l'élevage, on s'arrange pour que la pièce d'élevage échappe au zèle des
agents du Service de désinsectisation.
Une semaine après la dernière mue, on prépare les étagères pour
la « montée » des vers à soie (akaran-dandy). L'éleveur rassemble des
petites branches d'eucalyptus, ou bien des fougères sèches, mais
surtout de la bruyère (anjavidy = Philippia Goudotiana Ericacées).
On choisit de préférence l'espèce de bruyère dite : kisiasia, d'où
l'expression manangana kisiasia : « dresser la bruyère » pour parler
des travaux préliminaires à la montée des vers à soie.
, Les nattes étant préalablement débarrassées de tous les déchets,
les vers sont mis en tas au centre, puis les branches de bruyère sont
disposées de façon à dessiner sur les nattes des carrés d'environ
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40 x 40 cm. Quelques fois les branches sont piquées dans la natte
et leurs brindilles terminales sont entremêlées (andoha-lambd).
Les vers répartis dans chaque carré ne tardent pas à monter dans
les branches pour y filer (manao trano). Les quelques retardataires
sont nourris en attendant qu'ils se décident à filer, ce qui n'excède
pas trois jours, on doit pendant cette courte période surveiller
attentivement les feuilles de peur que quelque ver ne se mette à filer
dessous.
Pendant le filage des cocons la pièce est aérée abondamment « pour
qu'ils restent bien ferme », ils sont laissés 8 jours sur les branches,
puis on les recueille quand la chrysalide est libre à l'intérieur (maneno).
Dans leur grosse majorité les cocons sont jaune d'or, il y en a
quelques-uns de blancs, mais ils sont toujours plus petits. Les cocons
sont conservés dans un panier (sobika) et les éleveurs peuvent soit
les vendre soit les employer eux-mêmes. A Andina les Betsileo les
vendent sur la base de 200 f (4 NF) le kilogramme en vrac et pleins,
c'est-à-dire que la chrysalide est encore dans le cocon et sans que
l'acheteur puisse trier les plus beaux 1 Les cocons portent à ce
moment-là le nom d'akoran-dandy.
A. Fil de chaîne.
Ce sont les femmes qui filent avec des fuseaux de fabrication
locale (ampela). On en observe deux modèles : Yampela-kely ou fuseau
court et Yampela-be, fuseau plus gros, le premier servant
exclusivement à filer, le second utilisé pour les bobinages (Fig. 3).
Le petit fuseau est composé d'une tige fine de 5 mm de diamètre
et d'une longueur moyenne de 30 cm, taillée dans le bois de nato
(Labramia Bojeri) ou de kinangala (Phloga Polystachya).
Cette tige porte le nom de tahon-ampela. L'une des extrémités a
été taillée pour qu'on y accroche le fil ; il existe trois modèles
différents de mode d'accrochage : soit qu'un renflement ait été prévu,
soit encore que la tige ait été travaillée en forme de fer de lance,
ou bien encore qu'on ait ficelé perpendiculairement une petite tige
de bois de 1 cm de long.
A 6 cm de cette extrémité se trouve un disque généralement en
os, en forme de cône très aplati de 35 mm de diamètre et de 8 mm
d'épaisseur au centre (lohan-ampela).
Le grand fuseau est en bois de nato d'un diamètre plus
important (9 mm) et plus long (50 cm), il ne comporte pas d'extrémité
travaillée pour l'accrochage du fil et la « rondelle » est hémisphérique,
taillée en général dans une rotule de bœuf. On reconnaît les fuseaux
vraiment anciens au fait que l'os est devenu brun foncé à l'usage,
les disques des fuseaux modernes vendus en boutiques sont très
souvent en bois.
La fileuse prend une « galette » de cocons secs, la place sur une
table ou une planche et l'y frappe vigoureusement avec une baguette
pour ramollir cette masse de soie, puis elle sépare les cocons les uns
des autres (vohavohaina), en choisit un et le carde avec ses doigts
en étirant les fils entremêlés amorçant ainsi un fil de soie de 1/2 mm
de diamètre qui est fixé au fuseau. Elle file à ses moments perdus
(mamoly).
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Quand le fuseau est garni et se révèle trop plein, le fil est bobiné
sur une canette (volotara) faite d'un tronçon de gros roseau (long :
23 cm ; diam. : 2 cm) dont les nœuds intérieurs ont été supprimés
pour permettre l'introduction d'un grand fuseau, (ampela-bë). La
canette est coincée sur son axe par un déchet de soie de façon à ce
que la rotation du fuseau l'entraîne et enroule le fil terminé
provenant de Yampela-kely.
B. Fil de trame.
Le fil de trame (fahana foly rano) est filé d'une autre manière :
les cocons étant étirés avec les doigts, le fil est formé par torsion puis
roulé humide sur la cuisse ou sur un cylindre de bois. La première
méthode n'est plus guère employée, car nous a-t-on dit « ça donne
froid » (sic), reste celle du cylindre en bois. Ce cylindre, ou plus
exactement le tronc de cône a 40 cm de long et 18 de diamètre moyen,
un méplat a été aménagé sur sa longueur pour donner de la stabilité.
Bol
Une canette garnie de soie est mise sur un gros fuseau (ampelabe)*
Ce fuseau est tenu de la main droite et le fil conduit d'un piquet à
l'autre, alternativement au sommet et à la base pour former un
écheveau.
Les 2/3 des fils sont en rouge et le 1/3 restant réparti en trois
couleurs, d'où le verbe manato landy pour teindre, littéralement :
« passer à l'écorce de nato. »
L'intérêt de l'étude faite à Andina réside principalement dans le
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fait qu'on utilise encore dans cette région des procédés « naturels »
pour certaines de ces teintures.
Les couleurs de base sont :
On s'approvisionne en :
1° feuilles de zahamborozano (Eugenia jamb osa) ou d'eucalyptus.
Il n'y a pas de préférence pour une essence plutôt que pour une autre,
on utilise les jeunes feuilles du premier arbre à proximité. Pour 200 isa
de soie à teindre en noir il faut un petit panier de feuilles fraiches ;
2° en boue noir (fota-mainty). Il s'agit d'une boue de rizière,
noirâtre, qui ne colle pas aux mains et assez difficile à trouver car très
localisée. On la recueille dans une cruche (siny) ou de préférence dans
une petite marmite en fer blanc dite maharitrafo *.
Les feuilles de zahamborozano ou d'eucalyptus sont pilonnées
vigoureusement puis mises dans une marmite avec de l'eau froide, le mélange
1. Nous remercions Mme Ruf de FI. R. S. M. à Tananarive d'avoir bien voulu, après essais en
laboratoire, nous expliquer le rôle joué par cette terre dont le fer ferreux réagit sur les matières
organiques libérées par les feuilles d'eucalyptus et de bongo.
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est porté à ebullition, puis on y plonge les écheveaux de soie, le tout
est bouilli pendant une heure (manao handatra).
La soie est essorée, puis trempée et frottée dans la boue liquide.
Le mélange boue-soie est bouilli pendant une grande heure. Les
écheveaux sont ensuite rincés et séchés.
Certaines femmes ont abandonné ce procédé ancien et préfèrent
teindre à la teinture chimique en mélangeant empiriquement «
beaucoup de poudre verte » avec « un peu de poudre rouge », ce qui donne
un noir peu apprécié d'ailleurs par les clients fidèles au « bon vieux
temps ». •
On s'approvisionne de :
1° Deux morceaux de racine de tamotamo (Curcuma Longa), safran
de l'Inde, frais ou sec, de la grosseur du pouce.
2° Une cuillère de teinture chimique en poudre (10 f = 0,20 NF)
« Orange II extra » importé par Chan-Pin et CIe, Tananarive et
Tamatave (sans indication d'origine sur les emballages).
Le safran est pilonné dans le mortier à riz, mis dans un litre d'eau
et bouilli. La soie est plongée dans le liquide en ebullition et
maintenue sous la surface du liquide avec une longue cuillère en bois
(sotro-be) pendant vingt minutes. La soie est ensuite retirée, essorée
à la main et placée dans une cuvette ; elle est jaune paille.
L'eau de teinture est conservée et on y ajoute la poudre « jaune »,
le mélange ainsi enrichi est porté à ebullition et on y met à tremper
la soie précédemment passée au safran. Après einq minutes d'ébul-
lition la soie a pris la teinture (mandray loko ny landy), elle est jaune
vif. On essore et met à sécher.
Le fixage.
L'expérience qui a guidé les Malgaches pour le choix des plantes
tinctoriales leur a également appris que la soie teinte devait passer
par un bain fixatif, ce bain est à base de cendres. Il y a eu pendant
longtemps deux méthodes d'extraction de l'eau de cendre. La
première avait le gros avantage de donner un liquide relativement
propre (heza-madio), qui ne souillait pas la soie de débris. Des herbes
spéciales étaient récoltées, séchées puis brûlées, la cendre obtenue
était mise dans un petit panier, arrosée d'eau chaude et le liquide
recueilli était utilisé en teinturerie. Ce procédé a été
malheureusement abandonné, les raisons suivantes nous en ont été données : tout
d'abord on ne se souvient plus bien des herbes jadis utilisées, et puis
le procédé est long et « comme on est devenu paresseux »... (sic).
Pour la seconde méthode il convient d'amasser tout simplement
de la cendre ordinaire (hezam-patanà) en veillant attentivement à
ce que de la cendre de paille de riz (lavena molold) ne soit pas mélangée
à la cendre de bois, sa présence est néfaste : les couleurs mal fixées
s'atténueraient à la longue (miofofo). On n'utilise donc plus à l'heure
actuelle que de la cendre de bois (hezam-patanà), et ceci de deux
façons différentes, en vue d'ailleurs d'un même résultat.
a) Procédé humide. Dans une cuvette on met pour un « hira » de
soie teinte trois pleines mains jointes de cendre et trois litres d'eau
froide. Les écheveaux sont mis à tremper dans ce mélange et
maintenus au fond de la cuvette avec la cuillère en bois, on évite d'y
mettre trop les mains, l'expérience ayant montré que l'eau de cendre
attaquait la peau. Au bout d'une heure les écheveaux sont retirés,
mis à sécher, puis lavés rapidement à la rivière pour les débarrasser
des particules de cendre, enfin on les sèche à l'air libre.
b) Cendre sèche. Le second procédé consiste à mettre les écheveaux
sortant de la teinture et encore humides, sur un van. Ils y sont très
largement saupoudrés puis roulés dans la cendre. Ensuite ils sont
étalés au soleil, retournés de temps à autre afin qu'ils sèchent, enfin
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la soie sèche mais toute souillée de cendre est lavée à la rivière et
suspendue pour être séchée.
Ourdissage.
Ourdissage (fananiana).
Matériel type :
1° Un ourdissoir : c'est un madrier dont les dimensions moyennes
sont : long. 155 cm, largeur 25 cm, épaisseur 8 cm. Sept trous y sont
ménagés pour l'implantation des fiches (ankaniana) de 30 cm de
hauteur, elles sont en bois, cylindriques. Les trous étant numérotés de 1 à 7,
de gauche à droite, voici leur écartement respectif d'axe en axe :
entre 1 et 2 = 6 cm
2 et 3 = 33 —
3 et 4=5 —
4 et 5 = 72 —
5 et 6=4 —
6 et 7 = 11 —
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Fig. 6. — Cycle de l'ourdissage.
Л 2 3 4
Tenant à la main un grand fuseau sur lequel est enfilée une canette
de soie rouge, elle attache le début du fil à la fiche 1 et le déroule
suivant ce schéma :
i 2
Technique du tissage.
Le lé ourdi est monté sur le métier et la lisse est bouclée sur tous
les fils pairs, les cordes de tension sont raidies, la femme s'installe
par terre de façon à avoir la poitrinière devant elle, tous les
instruments sont mis en place, ainsi que le bol d'eau à portée de la main
pour mouiller légèrement la chaîne.
Le travail, très simple commence, en voici la décomposition :
1° passer la navette dans un sens
2° coup de couteau tasseur
3° croisement des fils de chaîne
4° un coup de fofy
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5° un coup de couteau tasseur
6° passage du fanindrin-tenona
7° passer la navette dans l'autre sens
8° coup de couteau-tasseur
9° croisement des fils de chaîne, etc., etc.
Les opérations de 1 à 6 forment une duite et durent en moyenne
quinze secondes. Le travail avance rapidement, de temps en temps
la tisseuse s'interrompt, desserre les cordes de tension et tire la chaîne
vers elle pour faire glisser au-dessous le tissu terminé, elle en profite
pour asperger la chaîne.
Quand il ne reste plus que 15 cm de chaîne non tissée, le travail
est arrêté, la chaîne coupée au milieu de cette partie non tissée, ce
qui donnera les bouts libres à chaque extrémité du lamba pour les
franges (rambon-damba).
Isifany
m h\ t-j
A. tokam-bitrana В. telo-vitrana.
Fig. 9.
Glossaire.