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Économie rurale
Agricultures, alimentations, territoires
370 | octobre-décembre
varia
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/economierurale/7297
DOI : 10.4000/economierurale.7297
ISSN : 2105-2581
Éditeur
Société Française d'Économie Rurale (SFER)
Édition imprimée
Date de publication : 31 décembre 2019
Pagination : 101-123
ISSN : 0013-0559
Référence électronique
Liliane Bonnal, Marie Ferru et Denis Charles, « Perceptions et comportements d’achat des produits
alimentaires locaux », Économie rurale [En ligne], 370 | octobre-décembre, mis en ligne le 01 janvier
2022, consulté le 28 juin 2022. URL : http://journals.openedition.org/economierurale/7297 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/economierurale.7297
L’étude repose sur des données originales issues d’enquêtes réalisées auprès de plus de
1 500 consommateurs de produits alimentaires (locaux ou non), sur le territoire de Poitiers,
une ville moyenne dynamique où la part des étudiants apparaît relativement importante. Nous
étudions les perceptions et comportements d’achat des produits alimentaires locaux. S’appuyant
sur une analyse des comportements d’achat, notre travail, essentiellement empirique, révèle :
1) la prégnance des critères qualitatifs sur le prix, 2) une perception favorable vis-à-vis des produits
alimentaires locaux, 3) l’impact significatif de déterminants traditionnels de consommation sur la
probabilité d’achat, 4) des modes d’achat différents pour les étudiants et les non-étudiants invitant
à mettre en place des politiques marketing ciblées.
MOTS-CLÉS : consommateurs, produits alimentaires locaux, critères d’achat, perceptions
Perceptions and purchasing behavior regarding local food products
Our study is based on original data from surveys conducted with more than 1,500 food consumers
(local or non-local) in Poitiers, a dynamic, medium-sized city with a relatively high number of
students. We study the perceptions and purchasing behavior regarding local food products. Based
on an analysis of purchasing behavior, our work, which is essentially empirical, reveals: i) the effect
of qualitative criteria on price; ii) a favorable perception of local food products; iii) the significant
impact of traditional consumption determinants on the probability of purchase; iv) different
purchasing methods for students and non-students, which indicates the benefits of implementing
targeted marketing policies. (JEL: Q11, Q18, D12)
KEYWORDS: consumers, local food products, purchasing criteria, perceptions
epuis les années 1980, nous assistons alternatifs, tels que les Associations pour
D en France à une industrialisation accé-
lérée du secteur agroalimentaire (Combris
le maintien d’une agriculture paysanne
(AMAP), les coopératives ou plus récem-
et Nefussi, 1984), une diversification des ment les plateformes, à l’instar de « La
produits mis sur le marché et la mondialisa- ruche qui dit oui » qui répertorie plus de
tion de l’économie. En réaction, un mouve- 850 « ruches » (points de retrait de pro-
ment social de consommation locale s’est duits locaux) en France en 2019.
amorcé (Starr, 2010) – les « locavores » Cette évolution est apparue en France
(Poulot, 2012) représentent cette nou- à la suite de différents scandales sani-
velle tendance1 – et s’exprime aujourd’hui taires (vache folle et grippe aviaire, affaire
au travers de circuits de distribution de la viande de cheval Spanghero et le
faux étiquetage de plats surgelés, etc.)2.
1. Ce nouveau modèle de consommation, apparu
en Californie en 2005, suppose de manger local
en achetant des denrées produites dans un rayon 2. Pour une liste des différents scandales voir
d’environ 150 km autour de son domicile. l’article du Monde.
La perception des risques sanitaires s’est est que le produit doit être consommé le
accrue entre 1988 et 2003 (Cazes-Valette, plus près possible de son lieu de produc-
2001 ; Fischler, 2001) et 79 % des Français tion (Roininen et al., 2006 ; Seyfang,
jugent aujourd’hui probable le risque que 2006) et que les liens entre producteurs
les aliments nuisent à leur santé (Enquête et consommateurs doivent être facilités.
Food 360, 2016). Les consommateurs sont Néanmoins, la notion de produit local n’est
ainsi plus sensibles à la qualité des pro- pas encadrée par un texte réglementaire
duits consommés mais également aux pro- qui en donnerait une définition officielle ;
blématiques environnementales et préco- les contours restent ainsi assez flous, en
nisent ainsi la consommation de produits particulier sur la distance entre la pro-
locaux (limitant les émissions de CO2 par duction et la consommation. La notion se
exemple) et biologiques (réduisant l’utili- distingue des Circuits courts alimentaires
sation de pesticides notamment). Ces élé- (CCA) qui mettent l’accent sur l’existence
ments semblent devenir déterminants dans « d’un intermédiaire au maximum entre
leur choix de consommation (Baromètre le producteur et le consommateur » sans
des perceptions alimentaires MAAP/ qu’une limite géographique soit explicitée
CREDOC, 2009). (Chaffotte et Chiffoleau, 2007)3. Le pro-
La proximité géographique des pro- duit local diffère également des produits
ducteurs constitue une première réponse du terroir qui renvoient à une production
positive à ces attentes : les consommateurs issue d’un territoire géographique donné,
selon des méthodes et un savoir-faire issus
sont en effet nombreux à exprimer leur
de la culture et des ressources spécifiques.
souhait de consommer autrement en re-
Ils ne peuvent pas être associés aux pro-
cherchant des biens produits dans leur ré-
duits biologiques qui sont fabriqués selon
gion (Fumey, 2010 ; Merle et Piotrowski,
le respect de méthodes et standards de
2012). La confiance du consommateur est
l’agriculture biologique (en particulier en
améliorée par l’assurance d’une origine
termes de pesticides, OGM, etc.).
identifiée et avérée, ce qui est par essence
le cas du local (Cova et Cova, 2001). De Toutefois, « malgré cet enthousiasme,
son côté, l’État cherche à renforcer l’agri- aussi bien du point de vue consommateur
culture locale ainsi que la communication que du point de vue étatique, rares sont les
entre les producteurs et les consommateurs recherches à s’être intéressées au phéno-
et encourage, grâce à la loi de 2014 faisant mène de consommation locale de produits
référence au Projet alimentaire territorial alimentaires » (Merle et Piotrowski, 2012).
(PAT), les circuits courts. Des initiatives En effet, les travaux sur les produits locaux
plus locales sont aussi mises en place correspondent plutôt à des études de mar-
pour éduquer le consommateur à manger ché ou à des baromètres. La compréhen-
sain et local (Hochedez et Le Gall, 2015). sion approfondie des motivations et des
La consommation locale apparaît ainsi comportements des consommateurs reste
comme un marché porteur (Byker et al., rare compte tenu du « manque de données
2010 ; Curtis et al., 2008 ; McEachern empiriques relatives aux perceptions des
et al., 2010 ; Naylor, 2012). consommateurs vis-à-vis de l’alimentation
locale » (Weatherell et al. [2003], notre
Nous nous centrons dans ce papier sur
la consommation de produits locaux, géné-
ralement définie comme la consommation 3. Boutry et Ferru (2016) montrent que bien que
les CCA reposent majoritairement sur une proxi-
de produits conçus et transformés dans mité géographique (moins de 80 km séparent le
un espace géographique restreint (Merle consommateur du producteur pour 103 cas sur
et Piotrowski, 2012). L’idée sous-jacente 119), cette dernière n’est pas indispensable.
traduction). Quand ils existent, les travaux du produit acheté. De plus, leur capacité
(voir Feldmann et Hamm [2015] pour une à percevoir l’information sur les attributs
revue de la littérature récente) restent trop de la qualité diffère d’un consommateur à
souvent centrés sur un produit alimentaire l’autre, ce qui peut biaiser leur rationalité
particulier et/ou sur un mode de distribu- d’achat (Mamine et al., 2016). En consé-
tion spécifique et/ou portent sur un échan- quence, le prix n’est pas le seul indica-
tillon restreint de consommateurs. teur de la qualité qui guiderait la décision
Différents travaux, relatifs aux com- d’achat des consommateurs. Des éléments
portements de consommation de biens plus subjectifs, relatifs à la perception
alimentaires, soulignent tout d’abord des consommateurs apparaissent détermi-
l’importance des caractéristiques sociodé- nants dans la consommation de tels biens
mographiques des acteurs – âge, revenu et où la qualité (au sens large) constitue un
niveau d’études – sur la réceptivité socié- attribut essentiel. À cet égard, le travail de
tale des consommateurs. Selon Binninger Chambers et al. (2007), confirmé par le
(2006), la sensibilité sociétale est plus rapport Defra (2008), met en évidence le
importante chez les adultes de 36 à 65 ans rôle de la perception de normes, de fraî-
que chez les jeunes adultes (18 à 35 ans), cheur et de goût, l’importance accordée
elle se renforce donc avec l’âge (1) ; les au soutien à la communauté locale et les
classes sociales les plus aisées sont géné- avantages environnementaux perçus pour
ralement les plus actives dans la consom- les consommateurs de produits locaux en
mation responsable (2) ; la sensibilité so- Angleterre. En dépit de l’intérêt de ces
ciétale augmente avec le niveau d’études travaux, Brown et al. (2009) et Thilmany
(3). D’autres travaux s’intéressent plus et al. (2008) soulignent que l’analyse de
spécifiquement aux freins et motivations ces motivations et des perceptions n’est
à consommer des produits alimentaires jamais mise en relation avec l’achat effec-
locaux. Merle et Piotrowski (2012), grâce tif des produits locaux. Seuls les travaux
à une étude qualitative auprès de 52 ache- de Birch et al. (2018) montrent que l’aug-
teurs français de produits locaux, révèlent mentation de la fréquence d’achat des
4 grandes motivations à consommer local : aliments locaux est positivement associée
(1) la réduction des risques sanitaires ; (2) aux motivations des consommateurs.
la redécouverte des vraies saveurs à travers Notre travail, essentiellement empi-
la fraîcheur des produits ; (3) l’engage- rique, s’inscrit dans la continuité de ces
ment liés à des préoccupations environne- recherches tout en cherchant à les com-
mentales et sociales ; (4) la recherche d’un pléter grâce à un échantillon élargi et un
lien social conduisant le consommateur à ensemble de données permettant d’étu-
interagir avec les producteurs et d’autres dier les comportements d’achat de pro-
consommateurs. duits locaux. Plus précisément, au regard
La question du prix et du consentement des différents travaux existants, notre tra-
à payer est également largement abordée vail cherche à tester deux grandes hypo-
dans ce cadre. Pour les produits alimen- thèses. Nous vérifions tout d’abord les
taires certifiés par exemple, les consomma- hypothèses classiques selon lesquelles les
teurs acceptent souvent que les prix soient caractéristiques sociodémographiques des
plus élevés que ceux de leurs homologues consommateurs et le prix influencent le
conventionnels (Harris et Freeman, 2008) comportement d’achat. Nous analysons
et sont prêts à payer plus pour les acquérir ensuite les motivations et perceptions des
(Maguire, 2004 ; Gam et al., 2010). Les consommateurs vis-à-vis des produits ali-
consommateurs ont des difficultés d’esti- mentaires locaux. Suivant en cela la lit-
mation du prix pouvant refléter la qualité térature existante, nous supposons que le
Figure 2. Lieu principal des achats alimentaires des non-étudiants et lieu d’habitation
Notes : * local : achat sur des marchés de plein vent, des magasins gérés par des producteurs ou encore à la ferme ou
en circuit court ; GS/HD : Grande Surface / Hard Discount.
Source : les auteurs
Ensemble Non-étudiants
Fréquence Étudiants
de l’échantillon Ensemble Poitiers-GP HGP
Jamais 18,6 33,7*** 13,3 10,6ns 15,6
Parfois 50,1 51,9*** 47,6 44,5ns 50,2
(61,5) (78,3) (54,8) (53,4) (55,9)
Régulièrement 31,3 14,4*** 39,3 45,4ns 34,2
(38,5) (21,7) (45,2) (46,6) (44,1)
Effectif 1565 541 1024 465 559
Notes : *** : proportion entre les étudiants et les non-étudiants significativement différente à 1 % (colonnes 2 et 3 du
tableau, test de Khi-deux). ns : proportion entre les habitants de Poitiers-GP et ceux HGP non significativement différente
pour les non-étudiants (colonnes 4 et 5 du tableau, test de Khi-deux). Lecture : 18,6 % des personnes de l’échantillon
total n’achètent jamais de produits locaux, 50,1 % en achètent parfois et 31,3 % en achètent régulièrement. Les chiffres
entre parenthèses représentent les fréquences d’achat conditionnellement à la consommation : parmi les personnes de
l’échantillon total ayant déclaré consommer des produits locaux, 61,5 % en achètent parfois et 38,5 % régulièrement.
Source : les auteurs.
pas la même pour tous. Près d’un non- ont-ils des produits locaux ? Deux ques-
étudiant sur deux (47,6 %) déclare acheter tions posées aux enquêtés vont permettre
de façon irrégulière des produits alimen- de donner des éléments de réponse.
taires locaux et plus d’un sur trois déclarent
en acheter régulièrement (39,3 %). Parmi 1. Critères d’achat
les acheteurs de produits alimentaires des produits alimentaires en général
locaux, près d’un sur deux en consomme La question concernant l’achat de pro-
de façon régulière (45,2 %). La fréquence duits alimentaires (locaux ou pas) est
d’achat des étudiants est plus faible : un « quelle importance accordez-vous aux
sur trois (33,7 %) déclare ne jamais en critères suivants lors de l’achat de produits
acheter et un sur sept (14,4 %) déclare en alimentaires ? ». Les différents critères
acheter régulièrement. Au total, deux étu- annoncés sont donnés dans le tableau 2.
diants sur trois (66,3 %) déclarent consom- Les réponses pouvaient aller de 1 à 4 (1 =
mer des produits locaux ; parmi eux, seu- sans importance ; 4 = très important). Les
lement un sur quatre (21,7 %) en achète critères ont été classés par ordre d’impor-
régulièrement. La fréquence des achats tance, quelle que soit la fréquence d’achat.
est révélatrice d’un vrai contraste dans la À l’exception de la traçabilité (qui apparaî-
consommation de produits locaux entre les trait en avant-dernière position) cet ordre
étudiants et non-étudiants. Nous observons est relativement proche pour les étudiants
enfin que pour les non-étudiants, le lieu de et les non-étudiants.
résidence n’est pas fortement corrélé à la
fréquence d’achat. Le critère d’achat le plus important est
le goût et la fraîcheur des produits, lequel
reste en haut du classement lorsqu’on dis-
Critères d’achat des produits tingue la fréquence d’achat de produits lo-
alimentaires et perception caux. Nous retrouvons à travers l’analyse
des produits locaux de ces critères les principales motivations
Parmi les non-étudiants, les personnes à consommer des produits locaux mis en
seules consomment moins des produits avant notamment par Merle et Piotrowski
locaux tandis que les personnes vivant en (2012) pour la France.
zone rurale en consomment plus (cf. ta- En deuxième position, nous retrouvons
bleau A1). De manière plus générale, il ap- le prix. Les consommateurs de produits
paraît que, particulièrement pour les non- alimentaires locaux auraient un consen-
étudiants, la consommation de produits tement à payer ces produits plus fort. Ce
locaux augmente avec l’âge, le niveau résultat corrobore les travaux de Brown
d’études et le revenu. En termes de reve- (2003) sur le Missouri pour les produits
nu, nous notons que pour les personnes alimentaires locaux et ceux de Maguire
ayant un revenu mensuel dans la tranche et al. (2004) ou Gam et al. (2010) portant
la plus faible (moins de 1000 euros) le sur l’achat de produits certifiés. Notons
pourcentage d’achat est inférieur de plus que le prix est un critère encore moins
de 20 points de pourcentage à celles ayant important lorsque l’achat de biens locaux
déclaré un revenu mensuel d’au moins est régulier.
2000 euros (tableau A1). La saisonnalité des produits, les labels
Quels sont les critères avancés par les et les normes arrivent en troisième posi-
consommateurs pour les achats de pro- tion. À ces éléments particulièrement im-
duits alimentaires ? Ces critères sont-ils portants pour les personnes déclarant ache-
différents pour l’achat de produits locaux ? ter régulièrement des produits locaux, nous
Quelles perceptions les consommateurs ajoutons le respect de l’environnement.
Tableau 2. Critères d’achat de produits alimentaires et fréquences d’achats de produits locaux (en %)
Non-étudiants Étudiants
Fréquence d’achat Fréquence d’achat
Ens. Ens.
Critères Rég. parfois jamais Rég. parfois jamais
Goût/fraîcheur 97,1*** 99,8 97,1 88,3 96,4 96,2*** 97,2 96,4***
Prix 82,4*** 74,4 86,9 90,8 94,4 92,2*** 95,0*** 94,4
Saisonnalité 75,5*** 94,5 70,2 33,3 47,2*** 67,5*** 52,1*** 29,0
Label/norme 67,0*** 80,9 63,8 34,8 53,2*** 79,2 52,0*** 43,2*
Traçabilité 61,7*** 79,1 53,6 35,8 32,6*** 62,3*** 36,4*** 23,5**
Respect de l’environnement 56,9*** 82,8 58,5 29,2 46,1*** 70,1** 48,6*** 30,2
Apport énergétique 47,2*** 57,7 40,7 38,3 43,5** 49,4 46,4 35,8
Marque 34,0 33,1 33,5 39,2 40,3 31,2 42,5*** 40,7
Packaging 16,6 15,7 16,4 20,0 19,8 22,1 18,2 19,1
Notes : les chiffres sont associés à la proportion de consommateurs de l’échantillon considérant le critère important
lors de l’achat de produits alimentaires. *p-value < 0,1 / **p-value < 0,05 / ***p-value < 0,01. Dans les colonnes
Ens., nous lisons les résultats de tests d’indépendance de Khi-deux entre les critères et la fréquence d’achats. Les
autres éléments correspondent à des tests Khi-deux de comparaison de proportion entre les étudiants et les non-
étudiants. Lecture : 97,1 % de l’échantillon des non-étudiants considèrent que le goût / la fraîcheur des produits
alimentaires est un critère d’achat important. Pour ce critère, les pourcentages sont significativement différents en
fonction de la fréquence d’achat (*** de la colonne Ens.). Pour les personnes ayant déclaré ne jamais acheter de
produits alimentaires locaux, ce pourcentage est de 88,3 pour les non-étudiants et de 96,4 pour les étudiants. Ces
pourcentages sont significativement différents (*** de la colonne jamais).
Source : les auteurs.
Ces dernières semblent accorder une im- de produits locaux permet d’acquérir des
portance à la qualité (saisonnalité, traçabi- informations importantes sur la qualité et
lité, normes et labels) des produits. la traçabilité que les consommateurs sont
Les éléments non prioritaires pour les prêts à valoriser. Bien que non prioritaire,
achats de produits alimentaires sont le pac- la traçabilité apparaît plus déterminante
kaging, la marque et l’apport énergétique pour les personnes déclarant consommer
du produit. Autrement dit, les éléments de régulièrement des produits alimentaires
marketing pourtant directement visibles ne locaux, confirmant les travaux de Birch
sont pas, de manière consciente, considé- et al. (2018) (« l’augmentation de la fré-
rés comme des critères déterminant dans le quence d’achat d’aliments locaux est as-
comportement d’achat des consommateurs sociée à un intérêt pour la traçabilité »).
interrogés. La traçabilité semble donc être un cri-
Comme l’ont montré Birch et al. tère particulièrement déterminant pour le
(2018), l’importance accordée aux dif- consommateur mais cette information est
férents critères d’achat est à mettre en encore peu disponible. L’achat de biens
relation avec la fréquence d’achat. Cette locaux permet alors aux consommateurs
relation peut être interprétée dans les deux d’acquérir de façon relativement simple
sens. Certains éléments, tels que le prix, des informations sur l’origine géogra-
peuvent modifier la fréquence d’achat. phique et le processus de production, en
Inversement, la fréquence d’achat peut particulier si ce bien est acheté sans inter-
modifier l’importance accordée à certains médiaire (dans ce cas la traçabilité est,
critères (Mamine et al., 2016). En tant a priori, parfaite et devient un critère indi-
que biens d’expérience, la consommation rectement important).
Non-étudiants Étudiants
Les produits locaux … Fréquence d’achat Fréquence d’achat
Ens. Ens.
Rég. parfois jamais Rég. parfois jamais
soutiennent l’économie locale 95,1*** 97,0 95,5 87,5 94,3*** 98,7 96,8 87,4
sont plus frais 87,4*** 94,5 87,1 65,0 85,1** 90,9 86,5 79,6***
respectent les saisons 86,5*** 95,0 85,0 64,2 77,5*** 77,6*** 83,3 67,9
ont un meilleur goût 83,0*** 89,3 81,4 60,0 70,3*** 76,9*** 77,9* 56,8
sont de meilleure qualité 80,9*** 89,3 80,5 55,2 72,3* 76,9*** 74,4** 65,7**
respectent l’environnement 74,1*** 82,3 72,7 52,5 64,6* 70,5** 66,2* 57,2
sont meilleurs pour la santé 75,3*** 84,3 72,1 58,3 66,4* 69,2*** 70,5 61,1
ne sont pas plus chers 55,6*** 69,2 51,8 25,8 41,2*** 55,8** 43,8** 24,1
se conservent mieux 49,9*** 61,4 46,6 24,2 30,6*** 44,2*** 34,5*** 17,9
sont plus difficiles à trouver 32,5*** 22,6 34,7 56,7 44,3*** 24,7 40,6 60,5
sont un effet de mode 27,0*** 16,9 30,8 45,0 33,1*** 19,4 31,4 42,6
Notes : les chiffres sont associés à la proportion de consommateurs de l’échantillon considérant le critère important
lors de l’achat de produits alimentaires. *p-value < 0,1 / **p-value < 0,05 / ***p-value < 0,01. Dans les colonnes
Ens., nous lisons les résultats de tests d’indépendance de Khi-deux entre les critères et la fréquence d’achats. Les
autres éléments correspondent à des tests Khi-deux de comparaison de proportion entre les étudiants et les non-
étudiants. Lecture : 55,6 % de l’échantillon des non-étudiants et 41,2 % de l’échantillon des étudiants considèrent
que les produits locaux ne sont pas plus chers que les autres. Pour ce critère, les pourcentages sont significati-
vement différents en fonction de la fréquence d’achat (*** dans les colonnes Ens.). Pour ceux déclarant acheter
régulièrement des produits alimentaires locaux, ce pourcentage est de 69,2 pour les non-étudiants et de 55,8 pour
les étudiants. Ces pourcentages sont significativement différents (** dans la colonne Reg.).
Source : les auteurs.
pas consommer de produits locaux consi- qui ne consomment pas régulièrement des
dère que ces biens ne sont pas plus chers. produits locaux).
La proportion des consommateurs plutôt
d’accord avec cette affirmation augmente 3. Profil des consommateurs
avec la fréquence d’achat des biens locaux. de produits alimentaires locaux
Pour les acheteurs réguliers, elle est proche Deux types d’analyses ont été menés
de 70 % pour les non-étudiants et de 56 % en parallèle pour définir le profil des
pour les étudiants. consommateurs de produits locaux pour
Les perceptions varient en fonction de les sous-populations des étudiants et des
la fréquence d’achat, de la même manière non-étudiants : une analyse factorielle
que nous l’avions noté lors de l’analyse des correspondances multiples (AFCM)
des critères d’achat de l’ensemble des permet d’identifier plusieurs types de
produits alimentaires. Le pourcentage de consommateurs alors qu’un modèle éco-
personnes considérant que les produits ali- nométrique cherche à préciser les déter-
mentaires locaux sont plus frais, de saison, minants de la consommation de produits
de meilleur goût et qualité est plus faible locaux.
au fur et à mesure que la fréquence d’achat Les graphiques des deux premiers
diminue. Ceux ne consommant jamais axes associés aux AFCM réalisées pour
de produits locaux sont plus nombreux à les deux sous-populations sont présentés
estimer que les produits alimentaires sont en annexe 2. L’axe 1 porte sur les spé-
plus difficiles à trouver ou qu’ils sont un cificités des produits alimentaires et sur
effet de mode. Comme l’indiquent Birch l’importance accordée à ces produits par
et al. (2018), une perception favorable les consommateurs. Cet axe est mis en
impliquerait ainsi une plus grande fré- évidence aussi bien pour les étudiants que
quence d’achat. Le lien entre fréquence et les non-étudiants. Il oppose deux types de
perception positive peut également signi- consommateurs : ceux attachés aux pro-
fier que plus les consommateurs achètent duits de saison, de qualité, à la traçabilité
régulièrement des produits alimentaires des produits et au respect de l’environne-
locaux et plus leurs perceptions sont ment et ceux ayant un intérêt limité pour
positives. le goût des produits. La projection de la
Notons enfin que ces perceptions variable caractérisant la fréquence d’achat
sont indépendantes de la localisation du de produits locaux montre que le premier
consommateur (Poitiers, GP, HGP). type de consommateurs achète réguliè-
Cette analyse descriptive montre rement des produits locaux. Nous retrou-
que, malgré des caractéristiques socio- vons ici une « première famille », la plus
économiques différentes, les étudiants et concernée, à la recherche de plus de bien-
les non-étudiants semblent avoir une per- être et d’équilibre, proche de celle mise en
ception comparable des produits alimen- évidence par l’étude Ethicity (2011)6. Le
taires et classent leurs critères d’achat de second type de consommateurs déclare
manière très proche. Toutefois, les étu- majoritairement ne jamais acheter de pro-
diants attachent plus de poids au critère duits alimentaires locaux. Nous sommes
de prix (relativement aux non-étudiants). plutôt proches de la « troisième famille »
Ceux qui consomment régulièrement des
produits locaux accordent par ailleurs une
6. Baromètre annuel (2011). Les Français et
importance comparable au soutien à l’éco-
la consommation durable, élaboré par Ethicity,
nomie locale et à la fraîcheur des produits cabinet de conseil en développement & marketing
(relativement aux non-étudiants et à ceux durable, en partenariat avec l’ADEME.
décrite dans l’étude Ethicity (2011), « fa- l’achat de produits locaux. Ces profils de
mille » qui est encore dans un mode de consommateurs diffèrent principalement
consommation plus classique et peut-être selon la fréquence d’achat de produits lo-
dans le déni et le scepticisme sur l’intérêt caux, nous affinons cela grâce à un modèle
de l’action individuelle. économétrique.
La définition du second axe n’est pas L’analyse économétrique permet d’esti-
la même pour les deux sous populations. mer la probabilité d’achat de produits ali-
Pour les étudiants, l’axe oppose ceux qui mentaires locaux et de voir l’impact, sur ces
attachent peu d’importance à la marque probabilités, des caractéristiques person-
lors de leurs achats de produits alimen- nelles (sexe, âge, niveau d’études, type de
taires aux étudiants ayant un intérêt pour ménage, zone d’habitation, type d’habitat)
la marque et le packaging mais étant et liées au comportement d’achat des pro-
peu sensibles aux prix. Pour les non-étu- duits alimentaires (lieu d’achat principal,
diants, l’axe 2 oppose plutôt deux types éléments importants lors de l’achat de ces
de ménages ayant a priori des modes de produits). Afin de tenir compte de la fré-
vie différents : les personnes seules ou les quence des achats de produits locaux, nous
couples sans enfant, plutôt jeunes, vivant avons estimé un modèle Probit ordonné à
en appartement et les ménages avec des trois modalités : pas d’achat, achat irrégu-
enfants vivant plutôt en zone rurale. lier, achat régulier. Les estimations ont été
L’analyse de ces axes met en évidence réalisées pour les sous-populations des étu-
trois groupes d’étudiants : i) ceux que nous diants et des non-étudiants. Pour des pro-
pourrions qualifier de « sceptiques » (inté- blèmes d’effectifs, il n’a pas été possible de
ressés essentiellement par l’apparence des mener toutes les estimations par territoire.
produits) ; ii) à l’opposé, nous retrouvons Cette information est donc introduite dans
les « convaincus » (qui accordent de l’im- le modèle comme variable de contrôle.
portance lors de leurs achats aux produits Les résultats des estimations sont don-
de saison, respectueux de l’environnement nés dans les tableaux 4A (modèle 1) et 4B
et sont favorables à la traçabilité) et, enfin (modèle 2) pour les non-étudiants et dans
iii) les « neutres » n’ayant pas, a priori le tableau 5 pour les étudiants. L’analyse
lorsqu’ils achètent des biens alimentaires, se fait toutes choses égales par ailleurs.
de critères précis qui pourraient orienter Pour chaque groupe de consommateurs
leur choix vers des produits locaux. deux modèles ont été estimés : le modèle 2
Parmi les non-étudiants, nous distin- intègre les critères importants d’achat des
guons également trois groupes. i) Nous produits alors que le modèle 1 ne les in-
retrouvons les « convaincus » qui se dis- tègre pas.
tinguent par leurs préférences de consom- Le sexe et la taille du ménage n’ont pas
mation puis deux groupes qui diffèrent d’effet significatif sur la probabilité d’ache-
plus au regard de la composition du mé- ter des produits locaux. En revanche, les
nage : d’un côté, nous avons ii) les per- personnes diplômées de l’enseignement
sonnes seules privilégiant plutôt la qualité, supérieur ont une probabilité plus forte
et de l’autre iii) les « family » – pour re- de consommer régulièrement des produits
prendre la typologie de consommateurs de alimentaires locaux. Ce premier résultat
Loussaïef et Moigno (2012) – privilégiant corrobore des études antérieures montrant
plutôt le goût. l’importance du diplôme sur le comportant
Les analyses descriptives et statistiques d’achat des produits en circuits courts (en-
menées semblent montrer que nous retrou- quête nationale http://codia.gret.org/IMG/
vons bien des profils spécifiques liés à pdf/synthese_enquete_quantitative-2.pdf).
ou très important Goût et fraîcheur -8,85 -11,34 20,19*** -8,55 -10,90 19,45** -9,58 -11,45 21,03**
pour l’achat Labels et normes -3,92 -5,02 8,94*** -4,79 -6,10 10,89** -3,89 -4,65 8,54**
de produits Apport énergétique -0,38 -0,49 0,86 -0,31 -0,39 0,70 -0,49 -0,58 1,07
alimentaires Respect de l’environnement -5,42 -6,95 12,37*** -3,80 -4,85 8,65* -7,13 -8,52 15,65***
Saisonnalité du produit -11,47 -14,70 26,17*** -12,24 -15,60 27,84*** -10,41 -12,46 22,87***
Traçabilité du produit -1,80 -2,30 4,10 -3,51 -4,47 7,98* -0,16 -0,19 0,35
Marque 0,99 1,27 -2,26 2,09 2,66 -4,75 0,23 0,27 -0,50
Packaging 0,19 0,24 -0,42 -0,59 -0,75 1,34 1,16 1,39 -2,54
Note : *p-value < 0,1 / **p-value < 0,05 / ***p-value < 0,01.
Source : les auteurs.
RECHERCHE
Liliane BONNAL, Marie FERRU, Denis CHARLES
Tableau 6. Effets marginaux associés aux déterminants de la fréquence d’achats de produits locaux pour
les « étudiants »
caractéristiques individuelles et dans s’en dégage peut inspirer les acteurs sou-
leurs comportements d’achat puisqu’ils haitant favoriser le local. Plus précisément,
achètent moins fréquemment de produits les acteurs publics, au travers notamment
alimentaires locaux que les non-étudiants. des Plans alimentaires territoriaux, pour-
Toutefois, ils priorisent, de la même façon raient s’appuyer sur de tels résultats pour
que leurs aînés, les critères d’achats de donner du poids à leurs actions en faveur
produits alimentaires. Bien que le prix, de la consommation et production alimen-
le goût et la fraîcheur des produits soient taire locale. De leur côté, les producteurs
leurs critères d’achats principaux, ils de biens alimentaires semblent avoir tout
semblent attachés aux aspects environ- intérêt à continuer à valoriser les produits
nementaux, sociétaux et éthiques. Enfin, alimentaires locaux et à présenter davan-
nous pouvons légitimement penser que tage les producteurs de biens alimentaires
leurs modes de consommation de produits locaux comme des alliés patriotiques pour
alimentaires vont évoluer en faveur des le développement économique local. Plus
produits locaux compte tenu 1) que la pro- précisément, au regard de nos résultats
babilité d’achat augmente avec l’âge et/ou sur les étudiants, des politiques marke-
le revenu et 2) d’un effet d’apprentissage ting ciblées en faveur de cette population
(construction de leur identité et leurs sys- pourraient être mises en place afin de les
tèmes de valeurs). inciter à avoir un comportement d’achat
Bien que les résultats reposent sur du plus « responsable ». Cette dernière sug-
déclaratif et que la méthode du question- gestion interroge également l’influence des
naire puisse laisser envisager certains biais, labels, de la mention « d’origine locale »
les résultats apparaissent suffisamment so- sur les comportements d’achat des pro-
lides pour rendre compte de l’importance duits alimentaires locaux, éléments qu’il
accordée aux motivations altruistes et plus conviendrait d’intégrer dans une prochaine
particulièrement le patriotisme local qui étude. ■
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ANNEXES