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Quels critères pertinents de différenciation pour les produits alimentaires de terroir?

François LENGLET

Maître de conférences

Université de Savoie

IREGE

francois.lenglet@univ-savoie.fr

 
 
Quels critères pertinents de différenciation pour les produits alimentaires de terroir?

Résumé :

Face à l’offre pléthorique des produits se revendiquant d’un terroir, les entreprises du secteur

pourraient trouver avantage à préciser leur positionnement en tenant compte de ce que

représente réellement le terroir du point de vue du consommateur. Cette recherche contribue à

identifier des attributs spécifiques du terroir en phase avec les attentes du consommateur, et

teste leur capacité à améliorer les évaluations et jugements du consommateur pour ces

produits. Les résultats mettent notamment en évidence le potentiel de valorisation d’un

positionnement basé sur l’environnement, à la fois respecté par les pratiques du terroir, et

garant de la qualité du produit.

Mots-clés : terroir, attentes, évaluations hédoniques, positionnement

How to differenciate terroir products ?

Abstract :

Confronted to a very important offer of terroir products, the local food companies could find

advantage to specify their positioning by taking into account what represents the terroir for

the consumers.  This research contributes to identify specific attributes of the terroir in stage

with consumer’s expectations, and tests their capacity to ameliorate valuation and judgements

of the consumer for these products.   Results shows the potential of a positioning based on

environment, who is respected by terroir producers practices, and also guarantees   the   quality  

of  the  product.

Key-words : terroir, expectations, hedonic evaluation, market-positionning

2  
 
Quels critères pertinents de différenciation pour les produits alimentaires de terroir?

Introduction

Le marché des produits alimentaires de terroir connaît une croissance remarquable depuis une

vingtaine d’années et « cristallise aujourd’hui les attentes d’un nombre grandissant d’acteurs »

(Bérard et Marchenay, 2000). Cet engouement a suscité de nombreux travaux de recherches

davantage centrés sur les préoccupations de l’offre que celles de la demande, à quelques

exceptions près (Aurier, Fort et Sirieix, 2004). Or, face à la profusion de l’offre1, la simple

évocation du terroir ne suffira sans doute bientôt plus pour valoriser le produit, et il semble

désormais urgent d’affiner les stratégies de positionnement grâce à une meilleure

connaissance des critères potentiels de différenciation sur ce marché.

Dans l’esprit du consommateur, le produit du terroir n’évoque pas seulement une origine, un

nom de lieu éventuellement protégé ; il ne se résume pas à des caractéristiques objectives et

parfois mesurables, et son attrait réside au moins autant dans sa capacité à répondre à des

attentes et des motivations spécifiques, qu’il convient dès lors d’identifier. C’est le premier

objectif de cette communication. Par ailleurs et à l’instar des régions, tous les terroirs n’ont

probablement pas la même force et la même richesse d’évocation (Chamard et Liquet, 2007).

Il paraît donc prudent d’étudier le rôle et l’importance des critères potentiels de

différenciation spécifiquement à un produit et un terroir, avant d’envisager de possibles

généralisations.

Dans cette perspective, cette recherche se propose dans un premier temps d’identifier les

attributs spécifiques d’un produit de terroir du point de vue du consommateur sur la base

d’une revue de littérature et d’une étude exploratoire. Un modèle théorique du processus de

choix du consommateur est ensuite proposé, puis testé dans le cas particulier d’un produit

                                                                                                           
1
  Sur le site de l’INPI, une simple recherche des marques déposées utilisant le terme « terroir » génère
à ce jour plus de 1000 résultats.  
1  
 
alimentaire de terroir. L’analyse des résultats conduit à formuler des implications théoriques

et managériales, et à proposer de nouvelles pistes de recherche.

1. Le terroir et le consommateur

L’objectif de cette recherche suppose en premier lieu d’analyser le concept même de terroir,

de comprendre les attentes du consommateur à l’égard des produits qui en sont issus,

d’identifier les motivations à l’origine de leur achat.

1.1. La conceptualisation du terroir

Le terme terroir, intraduisible en anglais, est aujourd’hui largement mobilisé par les

entreprises du secteur agroalimentaire, alors même qu’il n’existe guère de définition

consensuelle (Aurier, Fort et Sirieix, 2004). Un tel paradoxe s’explique sans doute par la

nature polysémique de ce concept (Fort et Remaud, 2002) et la multiplicité des approches

disciplinaires : le terroir est investi par les historiens, géographes, économistes, sociologues,

anthropologues, ou gestionnaires. Le produit alimentaire de terroir souffre en outre de

confusion avec d’autres concepts proches, tels les produits d’origine (pays ou région) ou

encore les produits locaux, et les définitions divergent encore selon qu’elles se réfèrent au

point de vue de l’offre (acteurs de filières) ou qu’elles s’intéressent aux attentes des

consommateurs.

En conséquence, la dimensionnalité du concept demeure problématique, et selon les auteurs

deux, trois, voire cinq facteurs émergent. Sans prétendre à l’exhaustivité, la synthèse proposée

dans le tableau en Annexe 1 illustre les principales caractéristiques du terroir, telles qu’elles

émergent dans la littérature.

Au-delà de différences formelles (libellé et niveau de généralité des dimensions) il semble

bien que la plupart des auteurs s’entendent sur l’existence de deux dimensions générales du

2  
 
produit alimentaire de terroir : sa spécificité tient à des facteurs naturels comme les

caractéristiques du sol, du climat, l’adaptation variétale à l’environnement, et des facteurs

humains liés à l’histoire et au savoir-faire. L’approche de Rastoin et Vissac-Charles (1999)

paraît plus singulière, mais peut-être aussi plus riche en intégrant à la fois des antécédents

(origine, process, histoire) et des conséquences (organoleptiques et économiques) qui

caractérisent et distinguent les produits alimentaires de terroir. L’un des principaux atouts de

la recherche d’Aurier, Fort et Sirieix (2004) est qu’elle procède d’une démarche empirique

permettant de valider et préciser la dimensionnalité du concept ; elle représente aussi l’une

des rares études qui s’intéresse aux représentations non pas du point de vue de l’offre, mais de

la demande.

La définition du produit alimentaire de terroir peut encore être précisée en opérant une

distinction avec d’autres concepts proches. Ainsi, la littérature sur l’effet du pays ou de la

région d’origine est généralement mobilisée quand il s’agit de conceptualiser le terroir. En

partant de l’idée de distinguer pays et région d’origine (Askegaard et Ger, 1999), la recherche

s’est recentrée sur la région d’origine et son effet, d’autant plus puissant que le territoire est

homogène et petit (Stefani & al., 2006), et que l’adéquation ou congruence entre la région et

le produit est forte (Van Ittersum & al., 2003 ; Aurier et Fort, 2005). La bidimensionnalité

(facteur naturel et humain) semble commune aux produits d’origine et aux produits de terroir.

Mais la congruence produit-terroir est acquise aux yeux du consommateur qui perçoit la

spécialisation des terroirs, leurs typicités et leur légitimité à fabriquer le produit (Trognon &

al., 1999).

Le produit de terroir doit également être distingué du produit de consommation locale (« local

food ») : tous les deux partagent une même caractéristique (origine géographique identifiée),

mais la spécificité du produit local réside dans la proximité géographique et/ou physique entre

producteurs et consommateurs (Merle, Piotrowski et Prigent-Simonin, 2009). En outre, le

3  
 
« locavore » se caractérise par une consommation engagée (« food-miles » ; circuits courts)

qui n’est pas nécessairement présente ou centrale dans le cas du produit de terroir.

Enfin, le produit de terroir peut aussi être mis en perspective par rapport aux produits de

développement durable. Si le développement durable est conceptualisé dans un cadre global,

voire « aspatial » (Torres, 2002), il ne peut cependant être mis en application qu’au niveau des

territoires : seule l’action locale permet de prendre en compte de manière transversale les

dimensions économiques, sociales et environnementales du développement durable. Or les

produits de terroir véhiculent une image positive quant à leurs aspects économiques, sociaux,

environnementaux liés par exemple à la tradition ou au patrimoine. En ce sens, ils peuvent et

doivent répondre aux attentes sociétales liées au développement durable.

Dans une perspective de différenciation, et au-delà d’une focalisation sur les caractéristiques

spécifiques du produit alimentaire de terroir, il pourrait donc s’avérer fructueux d’envisager

les attentes et motivations du consommateur : l’importance du facteur humain, la proximité du

produit alimentaire de terroir avec les produits locaux, son inscription possible dans le cadre

du développement durable sont autant d’éléments qui suggèrent d’explorer en particulier les

motivations non fonctionnelles du consommateur. Pour Fort et Fort (2006), les produits

alimentaires de terroir constituent d’ailleurs aujourd’hui « un archétype des produits

postmodernes qui jouent sur la nostalgie, l’authentique et le rattachement à une tribu

particulière ».

1.2. Une approche motivationnelle du terroir

Les motivations alimentaires correspondent à un « ensemble de considérations susceptibles

d’être prises en compte par les individus pour choisir ce qu’ils vont manger » (Steptoe & al.,

1995). L’analyse des principaux outils de mesure développés dans le domaine alimentaire par

l’approche motivationnelle quantitative (ex : FCQ-Food Choice Questionnaire, Steptoe & al.,

4  
 
1995 ; FMS-Food Motivation Scale, Martins et Pliner, 1998) conduit finalement à considérer

cinq facteurs principaux (figure 1). Il a été montré que ces facteurs ont non seulement un effet

direct sur les choix alimentaires, mais encore un effet indirect médiatisé par les réponses

hédoniques : ainsi les individus qui présentent une attitude positive à l’égard des produits à

teneur réduite en graisse évaluent plus positivement le caractère plaisant de ces produits

(Aaron & al., 1994).

Figure 1. Les principales motivations alimentaires (adapté de auteur, 2006)

Il faut alors considérer que les caractéristiques spécifiques du produit alimentaire de terroir ne

peuvent constituer des critères pertinents de différenciation que si elles répondent

efficacement aux motivations du consommateur : par exemple les caractéristiques reliées au

facteur humain peuvent satisfaire des motivations idéologiques et celles qui relèvent du

facteur naturel peuvent faire écho à un besoin de réassurance par rapport à des préoccupations

santé. Plus généralement la spécificité naturelle et humaine du produit de terroir devrait

constituer un avantage pour répondre aux attentes environnementales et éthiques des

consommateurs. Comme pour d’autres aliments, la perception des produits de terroir par le

consommateur pourrait dépendre de « l’idéologie qui sous-tend leur représentation des

rapports de l’Homme avec la Nature » (Cazes-Valette, 2001). En revanche le packaging

minimaliste attendu pour un produit de terroir (Aurier, Fort et Sirieix, 2004) ne saurait

convaincre un consommateur avec de fortes attentes de service et de praticité.

5  
 
La confrontation des caractéristiques distinctives du terroir avec les motivations alimentaires

du consommateur peut alors servir de base à la proposition d’un modèle théorique explicatif

de la consommation de ces produits.

1.3. Modéliser le comportement de consommation des produits alimentaires de terroir

Les attributs d’un produit alimentaire de terroir sont perçus au travers de deux types de

stimuli :

-­‐ Lors de l’achat ou de la confrontation initiale avec le produit, le consommateur est soumis

à des stimuli dit « informationnels » (e.g. : prix, marque, ingrédients, label, allégations

nutritionnelles, environnementales, etc. ; Steenkamp, 1989), qui contribuent à la formation

d’attentes. Celles-ci résultent également de la représentation a priori du produit de terroir,

propre au consommateur.

-­‐ Puis la consommation effective confronte le consommateur à des   stimuli sensoriels,

perçus par les cinq sens (e.g. : apparence, couleur, taille, forme, texture, odeur, arôme,

goût, température), qui conduisent à former une évaluation du produit.

Le jugement global du consommateur tendra finalement soit vers les attentes, soit vers

l’évaluation issue de la seule dégustation, selon l’influence respective des types de stimuli et

les phénomènes d’assimilation ou de contraste qui en résultent (voir par exemple

Schifferstein, 1999, pour une revue). Des facteurs extérieurs aux produits, individuels ou

situationnels, peuvent également influencer les attentes, l’évaluation gustative ou le jugement

global, ou encore modérer les relations entre attente ou évaluation d’une part et jugement

global d’autre part. Cette approche stimuli-réponse classique en marketing sensoriel est

schématisée dans la figure 2.

6  
 
 

Figure 2. Modèle de base pour l’évaluation d’un produit alimentaire de terroir

Ce modèle de base permet d’évaluer le rôle des sources perçues du produit de terroir. Les

stimuli informationnels représentent une variable d’action marketing pour les acteurs

économiques des filières de terroir : il est possible de focaliser la communication sur le

facteur humain ou le facteur naturel, sur l’attribut origine, savoir-faire, histoire, etc. en

fonction de l’impact positif obtenu pour les attentes et le jugement global. Un critère de

différenciation pertinent est identifié dès lors que le stimulus qui le porte conduit à une attente

supérieure (en comparaison d’un autre critère), et que le jugement global est meilleur que

l’évaluation sur la base de la seule dégustation (déviation due à l’information positive). En

revanche les représentations terroir du consommateur s’imposent à la stratégie marketing, de

même que les stimuli sensoriels, du moins quand ces derniers résultent essentiellement d’un

process fixé (label ou cahier des charges par exemple).

Le modèle peut ensuite être validé empiriquement en testant le rôle des critères potentiels de

différenciation d’un produit alimentaire de terroir, présentés sous forme de stimuli

informationnels, sur les attentes et jugement du consommateur.

2. Méthodologie

Une étude empirique a permis d’appliquer le modèle proposé au fromage Abondance, produit

alimentaire emblématique d’un terroir savoyard et bénéficiant d’une appellation d’origine


7  
 
protégée. Les stimuli informationnels testés sont des scenarii illustrant certaines

caractéristiques du terroir correspondant aux deux facteurs (naturel et humain) identifiés dans

la littérature. Le protocole expérimental mis en œuvre permet de mesurer les représentations

« terroir » des consommateurs pour le fromage Abondance, de les soumettre aux stimuli et

d’apprécier les attentes, évaluations, et jugements globaux qui en découlent.

2.1. Les critères de différenciation

Les attributs du terroir, critères potentiels de différenciation pour le fromage Abondance ont

été définis sur la base de la revue de littérature et de deux focus group impliquant des

consommateurs locaux ; ils ont été sélectionnés pour le protocole expérimental puis formulés

sous forme de scenarii par un comité réunissant des professionnels de la filière fromagère et

des enseignants-chercheurs en marketing. Pour chaque facteur (humain et naturel), deux

attributs ont été retenus : le caractère artisanal et plus précisément la taille réduite de l’unité

productive, ainsi que l’organisation sociale sous forme coopérative illustrent le facteur

humain ; la préservation de l’environnement grâce aux pratiques productives, et la qualité de

l’environnement comme garant de la qualité du fromage constituent également deux attributs

représentatifs du facteur naturel. L’impact potentiel de ces attributs sur les attentes et

jugements globaux sera testé dans le cadre du protocole expérimental.

Afin de tester la supériorité éventuelle de ces attributs par rapports à d’autres caractéristiques

de l’offre moins directement liées au terroir, d’autres scenarii ont également été formulés. Il

s’agit d’autres critères potentiels de choix du produit, comme le lieu d’achat (maître affineur

réputé) ou de production (entreprise d’affinage locale connue) ou la présence de marque ou

signe non officiel de qualité (premier prix de concours agricole, marque de distributeur à

image terroir). La formulation de l’ensemble des scenarii est présentée en Annexe 2.

8  
 
2.2. Le protocole expérimental

Le protocole, réalisé en laboratoire d’évaluation sensorielle, incorpore trois types de stimuli

(sensoriels seuls, informationnels seuls ; complets) et commencent par les dégustations en

aveugle. L’étape suivante consiste à évaluer les attentes induites par l’information. Enfin le

protocole se termine par l’évaluation des stimuli complets qui permettent alors au sujet

d’associer un goût à un produit. Il évite la contiguïté des deux mesures d’évaluation en

intercalant une période de trois semaines : les sujets participent à une première phase en

laboratoire durant laquelle ils évaluent en aveugle les produits proposés et déclarent leurs

attentes. Ils reviennent ensuite pour une seconde phase qui permet de recueillir leurs

évaluations hédoniques avec information sur les critères.

Le fromage d’Abondance est commercialisé selon deux types : (fermier ou laitier, selon que

le lait provient d’une seule ou de plusieurs exploitations agricoles). Au cours des deux phases,

un même dégustateur ne goûte que de l’Abondance laitier ou que de l’Abondance fermier :

dans la pratique des tests, les produits retenus dans le cadre d’une séance de dégustation

relèvent d’une même catégorie finement définie. Ce choix réduit par nature la validité externe

de ces recherches et justifie pleinement l’importance des études de réplication. Dans le cadre

de cette recherche l’échantillon total (n = 325 consommateurs locaux de fromage) a été scindé

en 2 groupes. Concrètement, les sujets participant à l’expérimentation ont été soumis au

protocole suivant :

Première phase du test (séance 1)

Le protocole est rigoureusement identique en ce qui concerne l’ordre des opérations pour les

deux types de produits (fermier et laitier).

9  
 
- Tests en aveugle de quatre portions de fromage d’Abondance, en monadique séquentiel :

dégustation d’un produit d’échauffement2, puis de trois produits correspondant à trois scenarii

illustratifs d’attributs du terroir (scenarii non communiqués) ; deux scenarii correspondant aux

facteurs naturel et humain sont communs aux types laitiers et fermiers : « préservation de

l’environnement » et « petite production/petit producteur » ; par nature, le scénario

« coopérative » est spécifique aux fromages laitiers. Enfin, le scénario « environnement au

service de la qualité » est attribué aux fromages fermiers. L’évaluation hédonique est mesurée

sur une échelle à sémantique différentiel mixte allant de 0 (je n’aime pas du tout) à 10 (j’aime

beaucoup).

- Présentation d’un questionnaire auto-administré destiné à recueillir les caractéristiques

individuelles, et de perception sur l’image terroir du fromage d’Abondance.

L’opérationnalisation de cette variable adaptée de l’échelle de mesure des sources perçues du

terroir (Aurier, Fort et Sirieix, 2004) est présentée en Annexe 3.

- Présentation d’un questionnaire auto-administré destiné à recueillir les réponses d’attentes à

cinq scénarii portant sur des fromages d’Abondance.

Deuxième phase du test (séance 2, trois semaines plus tard)

Tests avec information (les scenarii) de quatre portions de fromage d’Abondance, en

monadique séquentiel : dégustation d’un produit d’échauffement, puis de trois produits

correspondant à trois scenarii illustratifs d’attributs du terroir (scenarii communiqués). Un

scenario est également communiqué pour le produit d’échauffement : « ce fromage est un

Abondance laitier/fermier fabriqué en Haute-Savoie. Il bénéficie d’une AOC (Appellation

d’origine contrôlée) ». Le jugement global du consommateur est mesuré de la même manière

que l’évaluation hédonique recueillie en phase 1 du test.

                                                                                                           
2
  Un effet de rang, particulièrement pour le premier produit dégusté, est souvent observé lors des tests
hédoniques : il est alors surévalué et la variance de la note hédonique est plus faible (Norme AFNOR
XP V 09-500, p.17). En conséquence, il convient de l’écarter des analyses.
10  
 
3. Résultats

3.1. Impact des critères sur les attentes

Tableau 2. Fromages laitiers : évaluation des attentes

Pour les fromages laitiers, toutes les attentes sont significativement différentes sur la base de

tests de comparaisons par paires. Les attentes les plus élevées concernent le fromage 5

(scénario « Préservation de l’environnement par les pratiques »). En seconde position, on

trouve le fromage 1 (scénario « Petite production »), en troisième position le fromage 3

(scénario « coopérative ») puis en quatrième position le fromage 2 (Notoriété, fromagerie

Pochat). Le fromage 4 (Marque de distributeur à positionnement terroir) présente les plus

faibles attentes. Il apparaît donc que l’exposition du consommateur à des informations sur le

terroir améliore significativement ses attentes par rapport à d’autres informations plus neutres

sur le produit.

11  
 
Tableau 2. Fromages fermiers : évaluation des attentes

Seule l’attente 3 (scénario « Environnement au service de la qualité ») diffère

significativement de toutes les autres (p ≤ 0,02) dans le cas des fromages fermiers. Cette

information améliore significativement les attentes du consommateur par rapport à toutes les

autres informations testées. Les autres attentes sont comparables à p = 0,05.

3.2. Impact des critères sur la déviation hédonique

12  
 
Tableau 4. Evaluations en aveugles, attentes, et jugements globaux sur les fromages

A l’exception du fromage fermier 3 (scenario : préservation de l’environnement grâce aux

pratiques), tous les cas correspondent à une non-confirmation des attentes : la déviation

hédonique due au sensoriel, c’est-à-dire la différence entre l’évaluation hédonique informée

13  
 
(ou jugement global) et les attentes, est négative et significative (p<0,001). Les informations

sur le terroir ne suffisent pas à maintenir le niveau des attentes lors du jugement global.

En revanche, il est intéressant d’observer les cas où la déviation hédonique due à

l’information, c’est-à-dire la différence entre l’évaluation hédonique informée et l’évaluation

hédonique en aveugle est significative : cette situation traduit la capacité du scénario à

améliorer le jugement global par rapport à l’évaluation initiale. Elle est observée pour les

scenarii :

-­‐ « préservation de l’environnement grâce aux pratiques » en fromage laitier (p < 0,001)

-­‐ « coopérative » en fromage laitier (p = 0,016)

-­‐ « environnement au service de la qualité du produit » en fromage fermier (p < 0,001)

De plus, deux de ces scenarii, spécifiques à la dimension naturelle du terroir, correspondent

également aux attentes les plus élevées.

3.3. Impact des représentations « terroir » du produit sur les attentes et sur le jugement

global.

Des analyses de corrélation (voir Annexe 4) ont permis de vérifier l’existence de liens entre

les sources perçues du terroir pour le fromage Abondance et les attentes ou jugements

globaux du consommateur soumis à une information terroir. Les attentes semblent liées de

manière quasi-systématique à la dimension Temps et culture du terroir en ce qui concerne les

fromages Abondance laitiers, les résultats étant plus nuancés pour les fromages fermiers. Il est

à noter qu’un scénario simplement évocateur du terroir (MDD positionnée terroir) mais non

relié explicitement à l’une de ses dimensions naturelle ou humaine, correspond aussi à des

attentes d’autant plus élevée que la dimension temps et culture comme source perçue du

terroir pour l’Abondance est importante.

14  
 
En revanche, la dimension origine du terroir ne semble guère avoir d’influence sur les attentes

ou évaluations du consommateur, du moins pour les fromages laitiers. Pour les fromages

fermiers, elle paraît reliée positivement aux attentes ou jugements résultant d’une exposition à

des informations sur les aspects naturels du terroir, en particulier l’environnement vue comme

une garantie de qualité pour le produit.

Conclusion

L’objectif principal de cette recherche était de vérifier si certaines caractéristiques spécifiques

d’un terroir pouvaient valoriser le produit qui en est issu, et donc contribuer explicitement à

son positionnement. Les résultats montrent dans le cas du fromage d’Abondance que

communiquer sur la dimension naturelle du terroir (attributs évoquant l’environnement)

procure l’impact le plus positif sur les attentes à l’égard de ce produit, tant en type laitier que

fermier. Pour le type laitier, les attentes formées à partir d’informations sur la dimension

humaine du terroir (petite production et coopérative) se situent en seconde et troisième

position.

De plus, il apparaît que les attributs évoquant l’environnement améliorent significativement le

jugement global par rapport à la seule évaluation en aveugle. La prise en compte de

l’environnement semble donc intéressante tant pour favoriser l’achat (impact sur les attentes)

que le réachat (amélioration du jugement global après consommation). L’information sur

l’organisation humaine (coopérative) présente des effets comparables pour le fromage

Abondance de type laitier. Enfin, la manière dont le consommateur perçoit le terroir influence

significativement ses attentes, sinon son jugement global sur le produit. Plus la dimension

Temps et Culture est déterminante dans la perception du terroir, plus les attributs terroir du

produit seront valorisés par le consommateur. Ces résultats confortent ceux de Aurier et ses

collègues (2004). Ils mettent en lumière la vision potentiellement divergente entre des

15  
 
producteurs qui insistent sur la dimension origine du terroir, et des consommateurs qui

valorisent surtout sa dimension humaine. Résoudre une telle contradiction suppose sans doute

pour les acteurs des filières de terroir d’envisager un meilleur équilibre entre marketing de

l’offre et marketing de la demande.

Au-delà des résultats et de leurs implications, il semble nécessaire de poursuivre les

recherches sur la conceptualisation du terroir, sa perception et ses conséquences du point de

vue du consommateur. Dans une perspective de positionnement et de segmentation, l’étude

des interactions entre produits, terroirs et consommateurs pourrait s’avérer très fructueuse. En

particulier, la nécessité de différencier le marketing des produits de terroir selon la cible

(résidents du terroir vs non-résidents, ou touristes) méritent de nouvelles investigations.

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18  
 
Annexe 1. : Quelques dimensions du produit alimentaire de terroir

Auteurs, source Dimensions du terroir Sous-dimensions


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-­‐ Origine -­‐ Histoire, rituel
-­‐ Territoire, région, terre
Rastoin (2004) 3 -­‐ Ressources tangibles -­‐ Sol, climat, variétés
-­‐ Ressources intangibles -­‐ Compétences humaines et
-­‐ Ressources temporelles savoir-faire
-­‐ Histoire et traditions
Fort et Fort (2006) -­‐ Origine de la matière
première
-­‐ Origine de la recette
-­‐ Origine locale de l’entreprise
Rastoin et Vissac- -­‐ Goût typé
Charles (1999) -­‐ Origine territoriale
5 -­‐ Process artisanal
-­‐ Histoire sociale
-­‐ Prix élevé

19  
 
Annexe 2. : Les stimuli informationnels présentés sous formes de scenarii

Mesures des attentes : « Pour chacun de ces fromages Abondance AOC de Haute-Savoie, et

à la vue des informations fournies, veuillez préciser comment vous vous attendez à les

apprécier : »

« Notez chaque fromage de 0 (je n’aimerais probablement pas du tout à 10 (j’aimerais

probablement beaucoup) dans le cadre prévu à cet effet : »

(Abondances Laitiers)

• Cet Abondance AOC est fabriqué dans une petite fromagerie à la Chapelle d’Abondance par

Joël Bouvier, artisan fromager. Il transforme le lait de 9 éleveurs autour de la commune.

Note  :                    /10  

• Cet Abondance AOC est fabriqué par la fromagerie Pochat et Fils dans ses ateliers implantés

près d’Evian sur les hauteurs du Léman. Sa durée d’affinage est de cinq mois.

Note  :                    /10  

• Coopérative de Gruffy. Cet Abondance AOC est issu d’une coopérative de 20 producteurs qui

ont mis en commun leurs moyens financiers pour fabriquer et vendre leur production. Ainsi

ils partagent équitablement le fruit de leur travail. Note  :                    /10  

• Cet Abondance AOC est commercialisé sous la marque « Nos régions ont du talent »

(magasins Leclerc). Sa teneur en matière grasse est de 33% et sa durée d’affinage est de trois

mois au minimum. Note  :                    /10  

• Fromagerie de Féternes. Cet Abondance AOC est issu d’une agriculture de montagne, qui par

ses pratiques respectueuses de l’environnement (pâturage extensif, limitation des engrais)

préserve la qualité de l’eau sur le bassin de d’Evian.

Note  :                    /10  

20  
 
(Abondances fermiers)

• Cet Abondance AOC fermier est fabriqué par Sylvie et Dominique Grillet-Aubert, petits

producteurs installés à Saint-Paul en Chablais. Ils transforment chaque jour le lait de leur

troupeau d’une vingtaine de vaches. Note  :                    /10  

• Cet Abondance AOC fermier est sélectionné, affiné et commercialisé par Pierre Gay, maître

affineur installé à Annecy. Ce fromage est affiné dans les caves centenaires de l’une des plus

belles fromageries de France. Note  :                    /10  

• Exploitation Gallay. Cet Abondance AOC fermier est fabriqué à Chévenoz, dans la vallée

d’Abondance. Les vaches laitières pâturent dans des prairies naturelles riches en flore de

montagne. L’altitude, l’absence de pollution et la biodiversité font de cet Abondance un

produit sain. Note  :                    /10  

• GAEC le Géant à Châtel. Cet abondance AOC fermier a obtenu le premier prix au concours

annuel 2009 du fromage Abondance organisé en octobre dernier lors de la foire agricole

d’Abondance. Note  :                    /10  

• GAEC le Mont Chauffé à Abondance. Cet abondance AOC fermier est issu d’une exploitation

de montagne, qui par ses pratiques respectueuses de l’environnement (pâturage extensif,

limitation des engrais) participe à la préservation d’espaces protégés (Zone Natura 2000).

Note  :                    /10  

Pour la mesure des évaluations en aveugle et du jugement global (dégustation avec

information scénarisée), conformément aux pratiques en vigueur en économie expérimentale

(Ohana, 2004), les fromages retenus correspondaient réellement aux caractéristiques décrites

dans les scénarii. Le choix a été réalisé par les organismes interprofessionnels de la filière

Abondance.

21  
 
Annexe 3. : La mesure des représentations terroir du fromage Abondance

Cette variable a été mesurée avec l’échelle proposée par Aurier, Fort et Sirieix (2004), dont le

libellé de la question a été adapté au cas du produit étudié : « Selon vous, ce qui détermine

l’origine du fromage abondance (au lieu de produit de terroir), c’est : …». Le répondant

donnait son degré d’accord sur une échelle de Likert en cinq points. L’échelle est conçue de

manière tridimensionnelle et se compose de 8 items. Les données sont factorisables (indice

KMO = 0,744). Après élimination de deux items mal représentés dans la solution factorielle

(la tradition et le savoir-faire), et en utilisant une rotation oblique de type Promax comme

Aurier et ses collègues, l’analyse met ici en évidence une structure bidimensionnelle restituant

63,26% de la variance de l’échelle. Ces facteurs correspondent à deux des trois dimensions

proposées par les auteurs dans leur étude exploratoire :  

  Composante

  F1 origine F2 Temps et culture

Région ,869  
Recette   ,808

Territoire ,899  
Terre ,561  
Histoire   ,567

Rituel   ,914

α de Cronbach 0,718 0,680

 
Le facteur 1 obtenu dans cette étude est identique au facteur 3 obtenu par Aurier et al. (2004),

dénommé Origine. Le facteur 2 retient deux des items (Histoire et Rituel) correspondant au

facteur 2 dénommé Temps et Culture et un item (Recette) correspondant au facteur 1

dénommé Métier. La recette est en effet un terme qui fait référence au métier ou savoir-faire,

mais qui relève également très légitimement de la culture (gastronomique) d’un territoire. En

ce sens, l’axe 2 révélé ici paraît cohérent tant dans sa structure que son interprétation.

22  
 
Annexe 4. : Corrélations entre les attentes et jugements globaux et les scores factoriels

des répondants sur les deux facteurs des représentations Terroir de l’Abondance

23  
 

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