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Études caribéennes 

50 | décembre 2021
Anthropologie de l’expérience de l’accouchement dans le monde

Reconquête de l’agrodiversité tropicale par les


semences
Reconquest Tropical Agrodiversity Through Seeds

David Lange, Harry Ozier-Lafontaine et Laurent Penet

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/22874
ISSN : 1961-859X

Éditeur
Université des Antilles

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Ce document a été généré automatiquement le 30 mars 2022.


Reconquête de l’agrodiversité tropicale par les semences 1

Reconquête de
l’agrodiversité tropicale par les
semences
Reconquest Tropical Agrodiversity Through Seeds

David Lange, Harry Ozier-Lafontaine et Laurent Penet

Introduction
Contexte général : Importance des semences dans l’agriculture

1 La biodiversité végétale englobe les espèces sauvages et cultivées se retrouvant dans les
exploitations agricoles et dans les jardins familiaux ou résidentiels (Comtois, 2013). Les
semences sont à la fois le commencement et la fin du cycle de vie d’une plante. La
semence correspond à une graine ou un fruit ou autre partie du végétal, adaptée pour
assurer la dissémination de l’espèce après semis ou enfouissement (Leprince 2019). Le
tubercule d’igname est donc une semence tout comme le grain de maïs, ou la bouture
de canne à sucre ou de manioc. À l’origine du végétal, les semences font partie des
grandes solutions dont nous disposons aujourd’hui pour relever les défis auxquels sont
confrontées l’agriculture et, plus généralement, notre société. C’est un travail collectif,
dans lequel les semenciers, industriels ou artisans, les paysans et agriculteurs, les
distributeurs et les jardiniers, sont tous engagés. L’enjeu de la reconquête des semences
locales répond à trois défis majeurs (Deprez 2019) :
• Le premier défi, est répondre aux besoins de la population en termes de quantité de
nourriture, mais également en termes de qualité et de diversité des produits consommés.
Ces aspects sont exacerbés par les défis sanitaires – i.e. crise du COVID-19 - et les problèmes
de santé publique.
• Le second défi, est celui de la raréfaction de la ressource, qu’il s’agisse des terres agricoles,
mais également de l’eau dans un contexte de changement climatique avéré.

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• Le troisième défi est celui de la circulation accrue des hommes et des marchandises, qui
s’accompagne d’une dissémination de nouvelles pestes et de nouveaux ravageurs.
2 Dans ce contexte, la priorité consiste à disposer de variétés de semences plus
résistantes, rustiques et productives, garantissant des niveaux de rendement élevés et
stables dans le temps. Une seconde priorité, à l’adresse des semenciers, consiste à
mettre à disposition des variétés adaptées aux besoins des agriculteurs, qu’il s’agisse de
modes de production conventionnels, ou s’inspirant des principes de l’agroécologie.
L’agriculture évolue majoritairement vers une diversification (Desclaux 2019), en lien
avec :
• la diversité des territoires, des lieux de culture, l’évolution du climat, la diversité des modes
de production allant de l’agriculture conventionnelle aux pratiques de rupture (agriculture
biologique, agroforesterie, agriculture de conservation, permaculture, etc.) ;
• la diversité des techniques de transformation de produits (filière paysanne, filière
artisanale, filière industrielle) ;
• la diversité des circuits de commercialisation (des grandes surfaces aux marchés locaux,
circuits courts)…
3 Une filière, c’est un ensemble d’acteurs qui concourent à l’élaboration d’un produit, à
destination des utilisateurs. La filière a deux impératifs, celui d’identifier les attentes
des utilisateurs, et celui de permettre aux acteurs de la filière de construire une
réponse à ces attentes (Pages, 2019). L’organisation en filière permet de mieux
identifier les besoins et les contraintes des producteurs, tout en évaluant les besoins
des utilisateurs. La spécificité de la filière semence, c’est d’être une filière longue, qui
intègre vraiment tous les maillons, depuis la création des variétés, jusqu’à l’utilisateur
final qui va cultiver sa variété. La filière semence en France correspond ainsi à une
chaine d’acteurs, que sont les sélectionneurs, les agriculteurs-multiplicateurs, les
producteurs, les distributeurs et enfin les utilisateurs (agriculteurs, jardiniers
amateurs). Le constat est la difficulté d’accès à la diversité des espèces et variétés pour
le développement agricole. Les semences font ainsi partie des solutions que la filière
peut apporter aux grands enjeux des transitions agroécologique, alimentaire et
climatique.
4 La diversité recueillie dans ces formes sauvages, ancestrales ou anciennes est devenue
une ressource génétique indispensable à l’amélioration des plantes modernes (David,
2019). Des exemples très nombreux peuvent être donnés des verrous agronomiques,
industriels ou sanitaires que les ressources génétiques ont permis de lever. Leur
utilisation permet de réinjecter régulièrement de la diversité dans nos champs par le
travail des sélectionneurs. Mais il s’agit là d’une vision minière des ressources
génétiques. Nous vivons sur le patrimoine multimillénaire accumulé, mais nous ne le
faisons plus fructifier.
5 Les ressources phytogénétiques sont non seulement un atout dans la recherche de
résilience face aux changements globaux, mais elles apparaissent aussi comme un
élément important de l’innovation dans la production, la transformation, la
distribution au service d’une société en évolution rapide, d’une part à la recherche de
goût et d’usage nouveau, mais aussi, d’autre part, à la recherche de son passé, d’identité
et de rapport au terroir (Dreyfus, 2019).

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6 Les ressources phytogénétiques sont menacées à deux titres :


• parce qu’elles ne sont pas toujours, voire quelquefois pas du tout, prises en charge par le
marché. Ainsi, le coût de leur conservation, de leur protection, de leur multiplication n’est
pas assuré par le simple jeu économique ;
• elles peuvent être aussi menacées par les changements dans leur écosystème, dans
l’environnement dont elles sont originaires.
7 Face à ces deux menaces, la société se pose alors la question de leur conservation.
Aujourd’hui, au regard de la diversité des modalités de conservation et de gestion qui
est pratiquée sur le territoire, il s’agit d’appuyer l’existant et d’innover pour améliorer
l’efficacité, la durabilité et les synergies entre les acteurs et les pratiques.
8 La conservation des ressources phytogénétiques d’espèces cultivées (RPG) et de leurs
apparentées sauvages, qui sont les espèces avec lesquelles les espèces cultivées peuvent
se croiser, repose sur une très grande diversité d’acteurs. Dans l’Hexagone et dans
l’Outre-Mer, une vingtaine de centres de ressources biologiques maintiennent des
collections ex-situ, c’est-à-dire en dehors de leur milieu naturel, sur environ une
cinquantaine d’espèces. Ces centres, majoritairement dans des instituts de recherche
publics, gèrent des collections en chambres froides ou en vergers conservatoires, selon
des normes qualité.
9 Au niveau des territoires, les centres régionaux de ressources génétiques, les
conservatoires botaniques, les parcs naturels ou encore les collectivités locales
conservent leurs collections à la fois in situ, c’est-à-dire dans leur milieu naturel et ex-
situ. Ils développent des actions pour relancer les savoir-faire traditionnels et intégrer
les variétés anciennes locales dans une filière économique.
10 Des agriculteurs, des associations et des particuliers ont également développé de fortes
expertises dans la gestion majoritairement « à la ferme » des ressources
phytogénétiques. Ils cherchent à adapter des variétés en les laissant évoluer dans leurs
terroirs et à les valoriser en filières courtes en lien avec les savoirs traditionnels.
11 C’est dans l’objectif de faciliter l’accès et le partage des avantages que le Traité
international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture,
appelé TIRPAA a été établi. 64 espèces ont été identifiées, du fait de leur importance
pour l’alimentation, pour faire partie d’un « pot commun ». La France y contribue par la
mise à disposition des collections nationales, à ce jour, l’aubergine, l’avoine, le blé
tendre, les espèces fourragères, le maïs, la pomme de terre et le triticale, l’igname. Le
fonds de partage des avantages du TIRPAA permet de financer des projets renforçant
les capacités des pays en développement, en améliorant l’échange d’informations et le
transfert de technologies pour la conservation et l’utilisation durable des ressources
phytogénétiques (Didier, 2019).
12 Dans la Caraïbe, le programme Local d’Innovation agricole (PIAL) piloté par le ministère
de l’Agriculture de Cuba en collaboration avec l’Association National des Petits
Producteurs (ANAP) a permis de mettre en réseau, 45 municipalités cubaines (50 000
personnes). Ce programme a pour objectif de garantir l’autonomie et la sécurité
alimentaire de la population en quantité et en qualité par l’innovation des techniques
culturales et la production de semences. Il se base sur un système d’innovation plus
décentralisé, où les acteurs principaux ne sont pas les scientifiques, mais les
producteurs (Pérez, 2015).

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La situation locale

13 Le site d’étude est localisé en Guadeloupe, Département français, constitutif des Petites
Antilles dans la mer des Caraïbes (Latitude : 16°59′45″ Nord - Longitude : 62°04′03″
Ouest). C’est un archipel constitué de sept îles (1 702 km 2). Dans tout l’archipel on
distingue deux saisons, une saison sèche appelée « carême » qui va de janvier à juin et
une saison humide dite « hivernage » qui s’étale de juillet à décembre. Concernant la
température, avec une moyenne de 27 °C, il n’y a que peu de différence entre les mois
les plus chauds (de 25 °C à 32 °C) et les mois les plus froids (de 23 °C à 29 °C). La
Guadeloupe et les Antilles constituent un hot spot de biodiversité.
14 La Guadeloupe en chiffres (d’après AGRESTE, 2020) :
• 52 165 hectares de surface agricole utilisée, soit 30 % du territoire ;
• 74 500 hectares d’espaces forestiers, soit 40 % du territoire ;
• 7 000 exploitations agricoles, dont 81 % de petites exploitations ;
• 12 000 actifs permanents ;
• 592 000 tonnes de canne à sucre produites ;
• 75 270 tonnes de bananes produites.
• 28 245 tonnes de légumes produits
• 4091 tonnes de tubercules produits
• 4436 tonnes de fruits
• Balance produits agricoles bruts - 45 040 milliers d’euro
• Balance des produits agricoles transformés - 431 243 milliers d’euro
• 265 446 tonnes de produits importés pour l’alimentation humaine et animale
15 Le taux de couverture des importations par les exportations est élevé (de l’ordre de
80 %). Le taux de chômage en Guadeloupe est important (23,7 % de la population active
en 2015). L’agriculture (canne à sucre, banane, melon, café, vanille), autrefois moteur
économique de l’île, ne survit que grâce aux subventions de l’État et des collectivités
locales. Et les deux plus grosses productions de l’île, la canne à sucre et la banane sont
en crise. L’étude « ChlEauTerre » dévoilée en mars 2018 conclut que 37 molécules
anthropogéniques différentes (dont plus de la moitié est issue des résidus de pesticides
désormais interdits, comme le chlordécone) ont été retrouvées sur « 79 % des bassins
versants analysés en Grande-Terre et 84 % sur la Basse-Terre » 35. Un rapport de
l’Office de l’eau de Guadeloupe fait état en 2019 d’une « dégradation généralisée des
masses d’eau ». En termes de gastronomie, la cuisine guadeloupéenne est une cuisine
métissée des influences africaine, européenne et asiatique. (Wikipédia, Guadeloupe).
16 En Guadeloupe, la fréquence des cyclones est élevée. La pression des bio-agresseurs et
les épidémies contraignent l’agriculture (Citrus Greenning, maladie du Huanglonghbing
des agrumes, la Cercosporiose noire et le charançon noir du bananier, les flétrissements
bactériens des solanacées ou encore de nombreuses viroses et l’Anthracnose de
l’igname). Les contraintes pédoclimatiques (forte pluviométrie, hygrométrie et
températures annuelles élevées, faible amplitude thermique jour/nuit vs sols à
contraintes physiques ou chimiques) provoquent également une instabilité de la
production et des risques accrus de perte de récolte. Par ailleurs, ces contraintes
affectent sévèrement la qualité et la durabilité de la production et, incidemment, les
revenus de la profession agricole.
17 La biodiversité, et plus particulièrement l’agrodiversité des agricultures domiennes,
constitue un levier puissant de valorisation alimentaire ou non alimentaire des

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productions locales, dans une logique de diversification et de développement


économique de territoires climato-intelligents (Ozier-Lafontaine et al., 2020). Les
semences sont ainsi un élément moteur de la diversification agricole. La Guadeloupe
possède un patrimoine naturel et une agrodiversité cultivée et cultivable remarquables,
insuffisamment valorisés, car l’essentiel des semences commercialisées proviennent de
productions exogènes. De plus l’identification de cette biodiversité cultivée est
approximative et basée sur une description succincte de couleurs ou de formes.
18 Le manque de diversité des cultures augmente les risques pour le cultivateur. En effet,
la diversité des espèces, des variétés et de leur durée de cycle de production permet au
cultivateur de faire face à une pandémie ou une catastrophe naturelle en répartissant
les risques, et de disposer de trésoreries complémentaires. Cette diversité a aussi
comme avantage de réguler la pression des bioagresseurs, et de pouvoir être mobilisée
dans les pratiques agroécologiques pour réguler les équilibres faune/flore ainsi que la
vie du sol (plantes de services, push-pull, mellifères, engrais vert, etc.). Que ce soit d’un
point de vue identitaire, pour le dynamisme démographique, ou encore pour la vitalité
économique, la préservation du patrimoine cultivé est un levier essentiel pour une
Guadeloupe durable.
19 Bien que les échanges informels soient dans les mœurs, les cultivateurs ne sont pas
fédérés autour d’organisations permettant un accompagnement de la production de
semences avec un contrôle de la qualité/traçabilité et une gestion de l’offre et de la
demande. L’augmentation de la pression foncière, la volonté de réduction des intrants,
les besoins sous formes variées du matériel de reproduction végétale des plantes
tropicales (graines, tubercules, boutures, plants, etc.) sont des contraintes propres à la
Guadeloupe. Les particularités des logiques des acteurs locaux (mauvaise
communication inter professionnelle et intra professionnelle, crainte de non
reconnaissance/valorisation, pas de politique de fixation des prix, choix des plantes par
mode ou en fonction des affinités, marchés et réseau de commercialisation pas fédéré,
besoins en produits végétaux non identifiés), sont des éléments interagissant
également sur la filière.
20 Un exemple rare de conservation, le Centre de Ressources Biologiques Plantes
Tropicales (CRB-PT) qui a pour objectif de mettre à la disposition des utilisateurs de la
recherche, des acteurs du développement et de l’enseignement, les ressources
biologiques et les informations associées à ces dernières (données d’origine,
caractéristiques génétiques et agronomiques). Ce CRB compte cinq collections de
ressources génétiques (banane, canne à sucre, igname, mangue et ananas). Basé en
Guadeloupe, le CRB-PT est issu d’une collaboration entre INRAE et le CIRAD (Portail,
Crb-Tropicaux).

Problématique de recherche :

Le Réseau Semences Gwada

21 Le Réseau Semences Gwada ayant mené l’étude, est basé à l’unité de recherche ASTRO
du Centre INRAE des Antilles Guyane. Ce réseau a été conçu pour tenter de répondre
aux problématiques des semences tropicales et de leur filière agricole en Guadeloupe
avec l’implication de tous les acteurs et de tous les secteurs d’activité liés aux

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semences. Son ambition consiste à préserver et restaurer, renforcer et valoriser la


biodiversité, en assurer l’usage durable et équitable.
22 Un comité scientifique composé d’agents des centres INRAE des Antilles Guyane, de
Rennes et de Versailles, a permis de mûrir le concept, de par leurs expériences
respectives. La fédération d’acteurs extérieurs motivés a permis la mise en place d’un
Comité de Pilotage (COPIL). Celui-ci est formé du comité scientifique du réseau, de
membres représentants de trois associations œuvrant dans la sauvegarde et la
valorisation des plantes patrimoniales (APECA « Agriculture paysanne et écologique
dans la Caraïbe », le GDA Écobio « Groupement de développement de l’agriculture
écologique et biologique de Guadeloupe », Nature Kulture971), d’une représentante de
l’Association des Cuisinières de la Guadeloupe, et enfin de membres œuvrant pour le
don et les échanges de semences de savoir et de savoir-faire sur des sites sociaux du
web (Gratiféria, Mon jardin sans dépenser).
23 La finalité du projet vise à la mise en place d’une filière semence durable avec des
plantes locales et patrimoniales qui répondent aux besoins à la fois des agriculteurs et
des consommateurs grâce à leur rusticité, leur adaptabilité et leurs qualités
agronomiques, nutritionnelles et gustatives.

Questionnement

24 Afin de mener à bien cette mission, deux questions scientifiques ont été au préalable
identifiées par le Copil (Étienne, 2009) :
• Quels sont les principaux acteurs qui semblent pouvoir ou devoir jouer un rôle décisif dans
la gestion des semences de ce territoire ? Quelles sont les principales dynamiques en jeu, en
quoi ces dynamiques sont elles affectées par ces acteurs ?
• Quelles sont les principales ressources du territoire et les informations essentielles à
connaître pour en garantir une utilisation durable ?
25 Un état des lieux via une enquête était nécessaire. Dans cet article, la synthèse de cette
enquête est présentée sous la forme suivante :
• Le cahier des charges et la formulation du questionnaire pour la réalisation d’un diagnostic
du réseau
• Le matériel et les méthodes
• Les résultats
• Les perspectives du projet et les futures actions envisagées par Réseau Semences Gwada

1. Stratégie de mise en place


1.1. Le diagnostic

26 Lorsqu’un institutionnel aborde un projet, et que le mot « diagnostic » est formulé, la


réaction première est rarement positive ! Pour répondre au principe de désirabilité,
notre choix s’est donc orienté vers un diagnostic partagé. Il s’agit dans notre démarche
d’intégrer la réalité vécue par les uns et les autres, tout en les intégrant dans le projet.
« Personne ne rentre de gaîté de cœur dans un projet, si on n’a pas pris son avis, ou
celui de ses collègues de même métier » (Couix et al., 2011).

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27 L’idée étant d’associer à ce projet tous les acteurs qui pourraient apporter leurs savoirs
et leurs savoir-faire, leurs ressources et leurs besoins. Le développement de la filière
semence doit démarrer par la compréhension de la logique de ses acteurs pour qu’elle
soit durable.
28 Le diagnostic global envisagé permettra d’avancer suffisamment dans le repérage de
conflits d’usages et dans leur résolution. Le diagnostic a été fait en Guadeloupe dans un
premier temps. Le diagnostic dit global est divisé en trois sous diagnostics : le
diagnostic « ressource » que nous développerons dans cet article, le diagnostic « 
compétences » et le diagnostic « filières ». L’enquête a été ouverte à tous les acteurs et
parties prenantes du développement agricole et plus particulièrement du secteur des
semences végétales, aux passionnés et autres acteurs voulant s’impliquer.
29 Un diagnostic, de quoi ?
• Du questionné : Environnement de travail et géographique, centres d’intérêt, savoir-faire
• Ressources possédées : type, obtention, mode de culture, échanges
• Besoins : accessibilité, attentes pour le développement de la filière
• Plantes et semences jugées utiles pour demain
• Nature de l’engagement dans la filière
30 C’est une enquête conçue par le Copil (voir annexe 1 : Structuration du
questionnaire V5) est matérialisé par un questionnaire en ligne. En dehors de l’aspect
innovant, il permet de toucher un plus large public. C’est aussi une démarche moins
intrusive qui permet à l’enquêté de répondre aux questions à son rythme et au moment
où il le souhaite. Cette méthode permettra également un traitement plus aisé des
données récoltées.

2. Matériel et méthodes
2.1. Questionnaire

31 Le logiciel d’enquête choisi est Lime Survey. Quelques options ont été sélectionnées afin
de respecter la vie privée des enquêtés, de faciliter le déroulé, et d’avoir des éléments
utiles pour une analyse fine des enquêtes. Ainsi les réponses à ce questionnaire sont
anonymes. La présentation des questions se fait groupe par groupe. Les réponses sont
datées. Des cookies sont utilisés pour le contrôle d’accès. Les participants peuvent
sauvegarder un questionnaire partiellement complété. La notification de participation
à l’enquête est envoyée à l’administrateur responsable de l’enquête.
32 Le déroulé des questions ne suit pas forcement l’ordre chronologique des groupes de
questions. Ceci a été fait volontairement pour éviter d’influencer des choix liés à un
même groupe. Pour faciliter le traitement de l’enquête, les données quantitatives ont
été privilégiées.
33 Trente-huit questions ont été réparties dans sept groupes de questions :
• Qui êtes-vous ?
• Quels sont vos centres d’intérêt ?
• Quel est votre savoir-faire ?
• Quelles sont vos ressources ?
• Quels sont vos besoins ?
• Quelles plantes et semences jugez-vous utiles pour demain ?

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• Quel serait votre engagement ?


34 Types de questions
• Questions à choix multiples (permet de comprendre la logique, liste ou tableau)
• Questions à 1 choix (lorsque la réponse est évidente, ex : oui ou non)
• Questions ouvertes (peu, car difficiles à traiter, réponses qualitatives)
• Questions avec réponses classées (cinq boutons permettent d’avoir une représentation plus
fine des idées)

2.2.1. Mise à disposition de l’enquête

35 Trois modes de transmission du lien de l’enquête ont été choisis : https://


enquetes.inra.fr/index.php/survey/index/sid/275234/newtest/Y/lang/fr
• Transmission du lien aux membres partenaires du Copil pour diffusion dans leur propre
structure
• Envoi individuel à toute autre personne jugée acteur potentiel du projet
• Affichage avec lien détachable et QR code

2.2. Traitement des données


2.2.1. Soumissions

36 Deux administrateurs ont été choisis pour le suivi des réponses et pour l’administration
du site. L’enquête a été clôturée le 4 juin 2019 soit 239 jours après son ouverture le 08
octobre 2018. Il y a eu 247 soumissions au total. Nous avons choisi, par souci d’équité,
de ne traiter que les 108 soumissions complètes, c’est-à-dire celles pour lesquelles
toutes les questions étaient renseignées.

2.2.2. Statistiques de synthèse

37 Les données de l’enquête ont été extraites sous la forme d’un fichier EXCEL brut
contenant le détail des réponses par question pour chaque soumission complète. Un
traitement uni varié des données a été pratiqué. Des filtres ont été créés pour chaque
question, afin que chaque sous-question y soit compilée. D’autres tableaux ont ainsi été
créés. Les résultats obtenus ont alors été représentés par des graphiques avec des
pourcentages lorsqu’on veut voir la répartition des réponses, avec le nombre de
réponses lorsqu’on veut voir l’intensité des réponses. Lorsque le nombre de réponses
est important et très varié, les réponses sont classées par thème dans un tableau
comprenant le nombre de réponses.

3. Résultats et commentaires
3.1. Qui êtes-vous ?

38 L’objectif de ce groupe de questions est de connaître le public répondant aux questions.


Une majorité de femmes ont répondu (Figure 1). Nous avons choisi 4 classes d’âges
correspondant aux jeunes (20 à 34 ans), aux personnes en force d’activité (35 à 49 ans),
aux personnes mûres (50 à 64 ans), et aux retraités (65 ans et plus). Toutes ces
générations sont concernées avec une dominance des générations des Baby-boomers et

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de la génération X (Figure 2). Ils sont majoritairement originaires du continent


guadeloupéen (57 % pour la Basse Terre, et 38 % pour la Grande Terre) (Figure 3). Ils
habitent à la campagne pour 81 % d’entre eux, et en ville pour 19 % (Figure 4). La
majorité des personnes ayant répondu sont en activité (32 % de cadres et 27 % de
techniciens/employés) (Figure 5). Les secteurs d’activités dans lesquels ils travaillent
sont majoritairement le tertiaire avec 44 %, suivi du primaire avec 29 % et du
secondaire avec 22 % (Figure 6).

Figure 1. Sexe

Figure 2. Âge

Figure 3. Lieu d’habitation

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Figure 4. Cadre d’habitation

Figure 5. Emploi

Figure 6. Secteur professionnel

3.2. Quels sont vos centres d’intérêts ?

39 La vision des intérêts recensés (Figure 7) par cette enquête révèle une nette position
pour l’utilisation actuelle et à venir des produits locaux. La diversité est cultivée pour le
plaisir d’être cuisinée et par conviction. Le nombre de fruits et légumes sur les marchés
semble satisfaire les enquêtés.

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Figure 7. Vision des intérêts

40 Le critère majeur du choix des plantes (Figure 8) est le bon impact sur la santé et
l’utilisation pour l’alimentation. En troisième plan viennent les critères agronomiques
et patrimoniaux. Les capacités de commercialisation ont moins d’importance.

Figure 8. Critères de choix

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3.3. Quel est votre savoir-faire ?

41 Les enquêtés ne se sentent pas experts de la gestion des plantes qu’ils conservent chez
eux (Figure 9).

Figure 9. Niveau d’expertise

42 La figure 10 résume les utilisations pour la cuisine et pour les autres usages, ainsi que
l’éthique attachée à la conservation des plantes. Ainsi, les plantes sont utilisées en
majeure partie pour la cuisine. Elles sont cultivées davantage en jardin familial qu’en
agriculture.

Figure 10. Domaines d’utlisation

43 Les échanges de savoir-faire se font majoritairement dans la famille (Figure 11). Les
autres transmissions se font lors de manifestations ou via le monde associatif.

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Figure 11. Transmission du savoir faire

3.4. Quels sont vos ressources ?

44 La Figure 12 représente les plantes possédées par les enquêtés. Trente-sept plantes ont
été proposées. Le choix a été de mettre dans cette liste des plantes cultivées et
consommées couramment (ex : laitue, tomate, concombre), des plantes vivrières (ex :
banane plantain, ignames, patate douces), des plantes à forte valeur patrimoniale (ex :
citron pays, manioc, pois boucoussou, sapotille, cacao), des plantes sans précision sur la
variété ou espèce (fruits, haricot), des plantes peu cultivées par les agriculteurs (ex :
café, madères, corrossol, topinanbour, banane pomme, christophine verte, arbre
d’ébénisterie), des épices (ex : piment fort, poivre, cannelle), des plantes importées « 
récemment » (ex : clémentine, longane, combava), et enfin des plantes rares, peu
connues ou anciennes (ex : tomadose, surette, girofle).

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Figure 12. Plantes possédées

45 Les critères les plus importants dans le choix des plantes sont leurs qualités pour la
santé et pour le goût (Figure 13). Les critères de conduite agronomique de culture
agroécologique sont bien présents (culture aisée et adaptée au climat, plante résistante)
ne sont pas en reste. Les plantes multiservices représentent également un intérêt.

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Figure 13. Points forts

46 Il était important de comprendre la dynamique d’appropriation des semences des


plantes détenues (Figure 14). Le domaine professionnel (achat et agriculteurs) est
moins utilisé que le réseau principal d’obtention qui est l’entourage (famille et amis).
Les échanges de semences se sont aussi démocratisés également entre collègues, via les
réseaux sociaux sur le web et à travers de manifestations associatives. Les plantes sont
conservées de façon pérenne, la plupart ayant été obtenues depuis moins de 10 ans. La
nature des semences est répartie équitablement entre les plants, les boutures et les
graines.

Figure 14. Obtention et durée de conservation

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47 Pour l’agencement des cultures (Figure 15) on constate que la majorité des plantes sont
cultivées à proximité de l’habitation et sur de petites surfaces.

Figure 15. Agencement de culture

48 Les pratiques bio sont privilégiées avec usage de fumier ou de compost (Figure 16). Les
plantes sont cultivées majoritairement du type urban farmer (en pot) ou du type
traditionnel en jardin créole.

Figure 16. Mode de culture

49 Les semences en graines sont majoritairement utilisées pour la replantation ou mises


attente de don de vente ou d’échange (Figure 17). Une partie est utilisée en cuisine et
sert peu à l’alimentation des animaux. Les récoltes n’entrent pas ou peu dans le circuit
de la distribution commerciale. Elles servent notamment à l’autoconsommation et à du
partage comme des dons.

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Reconquête de l’agrodiversité tropicale par les semences 17

Figure 17. Gestion des semences et récoltes

3.5. Quels sont vos besoins ?

50 Pour le développement d’une filière semence durable, il fallait identifier les éléments
qui y contribueraient, car, par développement, on entend l’amélioration des
performances (techniques, économiques, sociales, etc.). Ainsi on retrouve dans la
Figure 18 les contraintes subies par les producteurs dans leurs cultures. Les maladies et
les ravageurs sont les problématiques majeures. Pour les semences, leur disponibilité et
la perte variétale sont à prendre en compte.

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Reconquête de l’agrodiversité tropicale par les semences 18

Figure 18. Problématique de production

51 Les enjeux d’une future filière semence sont identifiés dans la Figure 19. On y retrouve
les points d’amélioration des performances des critères techniques en majorité (qualité,
conservation, traitements, quantité, traitement de semences), les critères économiques
(prix) et sociaux (filière, accès à tous) sont du même taux.

Figure 19. Enjeux de la filière

52 « Quelles semences n’arrivez-vous pas à trouver ? » : cette question permet d’identifier


une demande restée orpheline ou l’offre inexistante (Tableau 1). Nous avions demandé
de citer 4 réponses. Dans cette liste on retrouve des noms de plantes génériques
(piment, carottes, laitue, maïs, pois, etc.), des plantes connues (pomme liane,

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Reconquête de l’agrodiversité tropicale par les semences 19

barbadine, muscadier, cannelier, etc.), des plantes où les variétés sont précisées
(piment bonda man Jack, igname patte à chouval, pois carré, citron caviar, etc.) et des
plantes pas courantes (poncorius, riz de montagne, luffa, mansoa alliacea, etc.).

Tableau 1. Semences indisponibles

3.6. Plantes et semences de demain

53 Pour les plantes et semences de demain 3 enjeux majeurs prédominent (Figure 20). Il
s’agira de cultiver des plantes qui puissent résister aux maladies et aux ravageurs des
cultures et d’avoir des semences de qualité et des plantes qui entreraient dans la
diversification de l’agriculture. Pour les enjeux de conservation (Figure 21), les critères
de qualité prédominent avec une importance pour des plantes bénéfiques pour la santé
et ayant bon goût. La préservation du patrimoine est également un enjeu d’importance.

Figure 20. Critères de choix des plantes

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Reconquête de l’agrodiversité tropicale par les semences 20

Figure 21. Enjeux de conservation

54 Nous avons demandé de choisir 12 plantes d’intérêt (Tableau 2). En fonction des
réponses, ces plantes ont été classées en 8 types, avec pour chacune le nombre de
plantes et le score obtenu. Les plus nombreux sont les fruits. Les tubercules ont été
séparés des légumes, car ils ont eu un intérêt majeur. Aditionnés aux légumes, ces deux
types auraient eu le score le plus élevé. Les épices, bananes, citrons, pois, tomates ont
beaucoup d’intérêt. On remarque quelques plantes « exotiques » ou pas communes.

Tableau 2. Plantes d’intérêt

3.7. Quel serait votre engagement ?

55 Le diagnostic étant construit dans un esprit partagé. Le point de vue des enquêtés sur
leur engagement potentiel et les points sur lesquels ils pourraient s’engager étaient

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Reconquête de l’agrodiversité tropicale par les semences 21

très important à recenser. Des propositions ont été faites et des besoins ou idées ont
également été émis. Peu sont opposés à s’engager (Figure 22), et la moitié « attend pour
voir ».
56 Avec la question ouverte « Dans quels domaines proposeriez-vous des actions ? », nous
avons proposé cinq domaines (Figure 23). Les propositions sont majoritairement dans
le savoir-faire, majoritairement dubitatifs.

Figure 22. Engagement dans le réseau

Figure 23. Domaines d’engagement

57 Les besoins et propositions sont répertoriés dans le tableau 3. Ainsi, dans le domaine de
la conservation certains détiennent quelques semences ou possèdent une collection
(pois, plantes médicinales, exotiques, aromatiques, potagères). D’autres se proposent
comme multiplicateurs. D’autres encore proposent de partager leur savoir dans la
conservation de plantes. La nécessité de la création d’un conservatoire, de la
conservation des plantes mères, de la mise en place de chantiers techniques partagés et
accessibles pour l’identification des contraintes de conservation, a été évoquée. Dans le
domaine de la distribution et du partage certains s’engagent à mettre à disposition
(gratuit ou en achat) leurs excédents de culture et des semences, plants et graines
paysannes dites non hybride et non stériles, de plantes endémiques patrimoniales et
médicinales. D’autres proposent l’organisation de marchés/trocs de semences locales.
Des besoins ont été évoqués en semences bio locales, pour la mise en place de circuits
courts ou d’une banque de troc, et pour l’accès à tous. Dans le domaine des actions
collectives, les propositions vont dans le domaine de la formation, du conseil et de
l’encadrement : ces actions pourraient prendre la forme de conférences, d’échanges de

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Reconquête de l’agrodiversité tropicale par les semences 22

savoir-faire, d’animation à la demande, et pourraient se faire sur une exploitation. Les


domaines d’actions proposés sont l’utilisation de fibre de coco, l’utilisation des plantes
et de leurs fruits, les recettes culinaires, la permaculture, l’aquaponie, greffage,
transmission aux jeunes de méthodes ancestrales, l’agroforesterie,
l’agrotransformation, l’expertise variétale, les besoins des plantes, les itinéraires
techniques, les dispositifs d’obtention variétale, l’agroécologie, la sélection, les tests sur
la qualité, et la multiplication.

Tableau 3. Engagement (besoins et propositions)

58 Ceux qui n’ont pas pu se prononcer ne l’ont pas fait, car n’ayant pas reçu suffisamment
d’informations sur les actions ; d’autres ne se prononceront qu’en fonction du temps
d’investissement. D’autres encore, sont ouverts à propositions ou pourront se
positionner dans le secrétariat la communication ou encore la distribution.

Conclusion
59 L’agriculture d’aujourd’hui et de demain devra relever de nombreux défis face aux
problématiques liées au changement climatique, à la réduction des intrants chimiques
et aux besoins en autosuffisance alimentaire. Les hommes changent également, et leurs
besoins avec. Ils sont à la recherche de goûts plus perceptibles et moins monotones
dans les fruits et légumes commercialisés ainsi que d’usages nouveaux, d’une part, mais
aussi à la recherche du passé de ses richesses végétales d’identité et de rapport au
terroir, d’autre part. L’érosion, la disparition d’espèces, la faible valorisation de plantes
patrimoniales conservées par des passionnés (en voie de disparition) impose une
sécurisation dynamique pour innover dans la production, la transformation et la
distribution. Le patrimoine naturel et la biodiversité cultivable remarquable de la
Guadeloupe doivent être valorisés par les semences qui sont un élément moteur de la
diversification agricole. En outre, la diversité des espèces et des variétés répondrait aux

Études caribéennes, 50 | décembre 2021


Reconquête de l’agrodiversité tropicale par les semences 23

diverses contraintes que subit l’agriculture guadeloupéenne (différentes transitions à


conduire).
60 Réseau Semences Gwada, à travers sa démarche du diagnostic ressources a cherché à
savoir comment nous percevons nous-mêmes nos usages de la diversité. 247
internautes se sont mobilisés, ce qui prouve l’intérêt apporté à cette enquête. Cette
enquête a permis répondre aux questions « Qui sont les acteurs potentiels ? » et « Quels
besoins sont identifiés en ressources ? ». Le choix d’avoir ouvert cette enquête tant aux
passionnés qu’aux acteurs de la profession a permis de recueillir des approches
innovantes et complémentaires. Les agriculteurs ne sont pas les seuls à pouvoir
interagir sur une filière semence durable. Les détenteurs de l’agrodiversité, les consom-
acteur, les transformateurs, les associatifs, les politiques ou d’autres acteurs étrangers
au monde agricole ont aussi un rôle important à jouer. Malgré leur faible niveau
d’expertise, ils détiennent une diversité importante obtenue majoritairement dans
l’environnement amical et familial pour lequel ils transmettent également leur savoir-
faire en conduite non conventionnelle. Leur perception idéaliste de l’agrodiversité est
la préservation du patrimoine local avec des plantes bonnes pour la santé et ayant du
goût. Ces acteurs sont sensibles à l’accessibilité à tous de l’agrodiversité et du partage
des savoir-faire. Les actions filières semences devront être structurées et accessibles et
fédérées en réseaux, conservatoires, bourses d’échanges ou banques de semences in
situ. Les partages de savoir-faire, animations et les formations devront aborder les
thèmes de conduite culturale, de gestion des semences, de qualité des semences, de
valorisation du patrimoine, de circuit court, de connaissances des plantes.
61 La diversité existe même si elle est concentrée sur des plantes courantes et exogènes.
La demande est axée sur des plantes rares et sur des variétés paysannes. Cette demande
correspond aux enjeux de perception idéaliste de l’agrodiversité citée plus haut. Pour
être désirable acceptable et viable, il sera nécessaire d’associer tous les acteurs à des
niveaux adaptés et cohérents. Les réponses permettront d’orienter le choix des plantes
à privilégier à travers les critères relevés importants. Les enjeux et les contraintes
identifiées des cultures de la biodiversité et de la production de semences permettront
d’identifier les points d’amélioration à apporter par la profession. Les enquêtés se sont
montrés prêts à être acteur dans les domaines de la conservation, de la distribution et
du partage et dans des actions collectives de conseil et de formation.
62 Le développement des filières semencières devra se faire avec les avis des multi-acteurs
consommateurs, techniques, marchands et politiques pour constituer une
représentation réaliste des problématiques. Pour amorcer ces débats, un workshop sur
les semences serait à programmer pour la Guadeloupe, voire pour la Caraïbe.

Perspectives
63 Suite à cette enquête, un atelier sur la problématique du développement des filières
semencières sera organisé sous la forme d’un colloque. Il aura pour objectif, le cas
échéant, d’approfondir et de valider les résultats de l’enquête. Il s’agira aussi et surtout
de trouver les stratégies pour que ces résultats soient pris en compte par les différents
acteurs et parties prenantes dans leurs efforts spécifiques de redynamisation de la
filière semencière en Guadeloupe. L’atelier réunira principalement les participants de
l’enquête qui se seront distingués par la qualité et la contribution de leurs
interventions à l’enrichissement du débat. Tous les autres acteurs identifiés comme

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Reconquête de l’agrodiversité tropicale par les semences 24

pouvant interagir sur le choix des plantes à privilégier et sur la stratégie de mise en
place d’une filière semence durable seront invités.
64 Identifier les acteurs concernés au niveau des agriculteurs ou acteurs à même de
participer. L’enjeu consistera selon nous à prendre en compte leur insertion dans
quatre types de réseaux, de façon à couvrir une large gamme de situations : le réseau
sociotechnique, le réseau de pouvoir, le réseau de dialogue professionnel, le réseau
d’échanges de conseil autour de l’usage des semences et variétés.
65 Un autre diagnostic destiné à la profession portant sur l’organisation et les
compétences dans la filière semence pourra être mis en place. Ce diagnostic « 
compétence » consistera à caractériser, avec diplomatie, là où en est la filière, et de le
faire avec différents avis, pour constituer une représentation réaliste. Il devra répondre
aux questions suivantes :
• Quels sont les savoir-faire essentiels des cultivateurs ? Sont-ils clairs pour tous ? Seront-ils
les mêmes demain ?
• Quelles sont les grandes aspirations des cultivateurs ?
• Les cultivateurs ne font-ils que produire ? Gèrent-ils de l’information ? Interviennent-ils sur
des problématiques de la filière ? Prennent-ils des initiatives ? Quels sont les interactions
(pratiques, semences) ? Gèrent-ils des imprévus ? Dans quelle mesure ?
• Quelle appréciation des uns et des autres sur les pratiques de la filière semence actuelles ?
• Quel est leur impact et leur perception sur l’agrodiversité ?
66 Enfin, un diagnostic filières finalisera le projet. Il permettra de caractériser les marchés
et d’étudier des actions de développement :
• Étude de marché :
◦ Caractérisation des types de marchés et impact sur la diversité qui y transite
◦ Organisation de la diversité entre producteurs/vendeurs/marché/saison
◦ Étude d’acceptabilité de nouvelles denrées
◦ Caractérisation de la répartition des plantes sur le territoire
◦ Étude des besoins globaux du fonctionnement
• Développement :
◦ Projection sur des modèles de filière (organisationnels et économiques)
◦ Étude de viabilité (taille du marché, coût de production, besoins dans le temps, revenu des
agriculteurs, étude d’impacts/viabilité)

BIBLIOGRAPHIE
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Chambre d’Agriculture de Guadeloupe – Mai 2018, Le réseau DEPHY Guadeloupe à la rencontre


des agriculteurs cubains, 2 p.

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Reconquête de l’agrodiversité tropicale par les semences 25

Comtois, N. (2013). La forêt qui marche : projet de valorisation d’arbres et d’autres végétaux provenant de
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Couix, N., Pardo, C., Arranz, J-M., (2011). Élaborer un diagnostic partagé du territoire - Choisir une
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Étienne M., (2009). Co-construction d’un modèle d’accompagnement selon la méthode ARDI : guide
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(Facebook, Flash ouragan météo Antilles, 2021).

Filière intégrée, Revue française du marketing, no 200, décembre 2004.

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10 idées reçues sur les semences, Réseau semences paysannes, septembre 2013, 2 p.

Inf’OGM - Veille citoyenne sur les OGM > Actualités > n°128, mai/juin 2014 > La recherche
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2011-2020,

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l’Énergie

La sélection participative, du Sud au Nord : enjeux et conditions d’un « transfert » Yuna


Chiffoleau UMR Innovation, INRA, 2 place Viala, 34060 Montpellier cedex 1.

Leprince, O., Deprez, F., Desclaux, D., Pages, P., David ; J., Dreyfus, F., Didier, A., (2019) MOOC « 
Semences végétales, quels enjeux pour notre avenir ? », GNIS, Agreenium, Agro campus Ouest,
FUN France université numérique.

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www.eip-agri.eu, Région Aquitaine et au Ministère de l’Agriculture de l’Agroalimentaire et de la
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Paysannes, Fédération des agriculteurs bio d’Aquitaine, Biodiversité Échanges et Diffusion
d’Expérience projet agricole projet de société pour la souveraineté alimentaire.

N° 140 SÉNAT. SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016. 12 mai 2016 PROJET DE LOI pour la reconquête
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Ortíz Pérez, R., Miranda Lorigados, S., Rodríguez Miranda, O., Díaz, V. G., Márquez Serrano, M., &
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Plan semences 2015-2019 Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt.

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ANNEXES
Annexe 1 : Structuration du questionnaire en Copil RSG V5

RÉSUMÉS
La Guadeloupe, comme de nombreux pays de la Caraïbe, montre une très forte dépendance aux
importations alimentaires. Une des alternatives consisterait à mieux connaître la richesse de nos
ressources agricoles pour mieux les domestiquer et les valoriser dans notre alimentation, notre
culture et nos paysages. L’agrodiversité peut prendre des formes diverses – type, nombre,
agencement d’espèces - en lien avec les influences culturelles des agriculteurs ou des jardiniers,
leurs finalités, et les conditions pédoclimatiques des zones d’implantation. Il devient urgent
d’inventorier cette agrodiversité et d’organiser la collecte, la conservation et l’accès à la diversité
en semences locales. Réseau Semences Gwada propose une démarche originale pour dynamiser
de façon durable, la filière des semences en Guadeloupe. Un premier état des lieux de
l’agrodiversité cultivée et cultivable a été réalisé en mettant l’accent sur la perception de la
diversité et sa conservation par les acteurs concernés. Un questionnaire web a été élaboré et
soumis à l’interprofession agricole, aux agro-transformateurs, à la recherche agronomique, aux
associations œuvrant au profit de l’agriculture paysanne ou de l’agriculture biologique, ou encore
à des groupes de discussion locaux de jardins hébergés par les médias sociaux d’internet. Nos
résultats ont démontré que la tradition, le goût, la rupture avec le mode de consommation
conventionnel, et l’expertise sont liés avec la diversité cultivée dans les jardins. L’utilisation
pratique des plantes est structurée en niches de motivations des cultivateurs (valeur
agronomique, éligibilité et propriétés médicinales). Le partage d’expertises est en attente d’une
structuration pour un engagement durable.

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Reconquête de l’agrodiversité tropicale par les semences 27

Guadeloupe, like many Caribbean countries, is very dependent on food imports. One of the
alternatives would be to gain a better understanding of the richness of our agricultural resources
in order to better domesticate them and make use of them in our food, our culture and our
landscapes. Agrodiversity can take various forms - type, number, arrangement of species - in
relation to the cultural influences of farmers or gardeners, their purposes, and the soil and
climate conditions of the areas where they are planted. It is becoming urgent to inventory this
agrodiversity and to organise the collection, conservation and access to local seed diversity.
Réseau Semences Gwada proposes an original approach to boost the seed sector in Guadeloupe in
a sustainable manner. An initial inventory of cultivated and cultivable agrodiversity was carried
out, focusing on the perception of diversity and its conservation by the stakeholders. A web
questionnaire was developed and submitted to the agricultural interprofession, agro-processors,
agronomic research, associations working for the benefit of peasant agriculture or organic
farming, and local garden discussion groups hosted by the internet social media. Our results have
shown that tradition, taste, break with conventional consumption patterns, and expertise are
linked to the diversity grown in gardens. The practical use of plants is structured in niches of
motivations of growers (agronomic value, eligibility and medicinal properties). The sharing of
expertise is waiting for structuring and a sustainable commitment.

INDEX
Mots-clés : agrodiversité, semences, organiser, filière, questionnaire, motivations, expertise
Keywords : agro-diversity, seeds, access, questionnaire, motivation, expertise

AUTEURS
DAVID LANGE
Animateur du projet Réseau Semences Gwada, UR ASTRO, INRAE, Prise d’Eau, 97170 Petit-Bourg,
Guadeloupe France, UR ASTRO : Unité de Recherche Agro Systèmes TROpicaux, INRAE : Institut
National de Recherche pour l’Agriculture l’alimentation et l’Environnement,
david.lange@inrae.fr

HARRY OZIER-LAFONTAINE
Chercheur, UR ASTRO, INRAE, Prise d’Eau, 97170 Petit-Bourg, Guadeloupe France, UR ASTRO :
Unité de Recherche Agro Systèmes TROpicaux, INRAE : Institut National de Recherche pour
l’Agriculture l’alimentation et l’Environnement

LAURENT PENET
Chercheur, UR ASTRO, INRAE, Prise d’Eau, 97170 Petit-Bourg, Guadeloupe France, UR ASTRO :
Unité de Recherche Agro Systèmes TROpicaux, INRAE : Institut National de Recherche pour
l’Agriculture l’alimentation et l’Environnement

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