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Clémentine Hugol-Gential
University of Burgundy
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All content following this page was uploaded by Clémentine Hugol-Gential on 13 February 2018.
1. Introduction
A l’heure où nous pouvons faire apparaître la mention « fait maison » sur son
menu afin de garantir à sa clientèle que les plats à la carte ne sont pas des produits
industriels, la question de la valorisation de ses plats grâce aux mots employés pour
1 Chapitre rédigé par Clémentine Hugol-Gential, Laboratoire CIMEOS, équipe 3S, Université
de Bourgogne
les décrire et les définir est une question cruciale. La traversée de plusieurs crises
alimentaires a renforcé le besoin de transparence et la valorisation du terroir semble
de plus en plus présente (Parizot, 2014), le menu se trouve alors objet de valorisation
du savoir-faire et objet visant à faire savoir. Dans le même temps, des recherches ont
montré que la dimension poétique du menu dans des restaurants étoilés est une
dimension également à ne pas négliger (Dupuy, 2009). Le menu est alors un objet
complexe à construire alors même qu’il joue un rôle essentiel dans la construction de
l’image du restaurant et de l’identité de son chef. Le menu donne à voir ce que l’on
va manger et il permet de promouvoir la gastronomie d’un établissement et donc, par
extension, un patrimoine culturel (Hugol-Gential, 2014). Ainsi, dans le cadre de cette
contribution, nous nous interrogeons sur les enjeux de la conceptualisation d’un
menu, sur la manière de présenter les plats aux clients et sur les impacts que les
intitulés peuvent avoir sur la clientèle. Par ailleurs, nous souhaitons souligner que la
découverte du menu est souvent conduite en interaction permettant ainsi aux
participants au repas de décrire, d’imaginer et de définir conjointement les intitulés
proposés. Dans cette perspective, il est alors crucial de considérer son usage situé et
de s’engager alors dans une étude sémio-pragmatique de la mobilisation du menu.
Savoir ce que l’on va manger est une question de poids et comme nous l’avons
souligné précédemment, les récentes crises auxquelles ont été confrontés les
consommateurs cristallisent le besoin de savoir ce que l’on va manger. Le « principe
d’incorporation », développé par Rozin et Falon (1981) dont l’idée principale est
« on est ce que l’on mange », semble primordial dans la compréhension de la
construction identitaire de l’individu. En effet, la nourriture joue un rôle important
sur la psyché humaine et les croyances magiques qui lui sont attribuées influencent
grandement les choix de l’individu : « L’ingestion, elle, produit un mélange-fusion
entre le corps du mangeur et les aliments qui viennent de l’extérieur » (Rozin,
1994 : 24). Ainsi, dans de nombreuses cultures, les attributs d’un aliment peuvent
devenir les attributs du consommateur après qu’il l’ait ingéré. Les études en
ethnographie alimentaire montrent que ce principe d’incorporation se trouve
également fortement ancré dans les cultures occidentales contemporaines (Rozin,
1994).
Par conséquent, le principe d’incorporation est, selon Fischler (1988), une clé
dans la construction de notre identité. Ce principe d’incorporation a des
conséquences importantes sur notre représentation de nourriture et sur les effets que
nous lui attribuons, l’aliment ingéré pouvant ainsi devenir une source d’anxiété.
Ainsi, un plat familier sera plus apprécié qu’un plat méconnu, la nourriture
« étrange » ou inconnue étant souvent considérée avec suspicion, puisque l’individu
ne connait pas son goût mais également les conséquences physiques et sociales liées
à son ingestion (Rozin, 1995).
3. Méthodologie de recherche
Alors que Robert et Jean sont engagés dans une lecture silencieuse, Xavier, en
ligne 31 entame un nouveau tour de parole qu’il murmure afin d’exhiber son
incompréhension comme s’il s’agissait d’une remarque uniquement adressée à lui-
même, puis, à haute voix exhibant ainsi clairement qu’il s’adresse aux deux autres
clients, il annonce le nom du plat « Bourride de sébaste/ » avec une accentuation du
son « b » et une intonation montante (l. 33), la lecture oralisée a donc ici également
un effet d’annonce. Puis, en ligne 35, il thématise clairement son incompréhension
alors qu’en chevauchement Robert répète le nom du plat et commence à l’expliciter.
Par ailleurs, après avoir longuement discuté les plats proposés sur les deux
menus, l’extrait se conclut par le fait que les explications du maître d’hôtel sont
indispensables pour bien comprendre les différents choix proposés :
Ainsi, les intitulés du plat ne se suffisent pas ici et une explication est requise par
les clients afin de bien comprendre les plats proposés. Lors des différents terrains
conduits, à plusieurs reprises les chefs et les maîtres d’hôtels ont expliqué mettre
sciemment des intitulés qui nécessiteront une explication complémentaire. Le menu
devient alors un outil d’un dispositif de communication qui vise à promouvoir la
relation du client avec le maître d’hôtel et les équipes de service. Ainsi, certains
restaurateurs osent des intitulés très complets (« Le Saint-Pierre de petits
bateaux cuit à la vapeur d’algues wakamé, crémeux de chou-fleur, émulsion
aromatisée à la fleur de jasmin » Menu de Anne-Sophie Pic Hiver 2012) alors que
d’autres, au contraire, privilégient des intitulés très minimalistes (« Bar, coquillages,
céleris » Menu de Alain Ducasse Hiver 2012) en partant du principe que ces intitulés
permettront également de donner lieu à des interactions avec le personnel de service
permettant alors de valoriser les produits, le terroir ou bien encore les modes de
préparation.
Cette volonté de privilégier les interactions avec la clientèle dans leur dispositif
de communication peut s’expliquer par le fait que les professionnels de la
restauration sont confrontés à plusieurs changements radicaux dans leur métier et
dans leur relation à la clientèle. En effet, les pratiques de service techniques telles
que les découpages, les tranchages ou bien encore les flambages largement
pratiquées au cours du XIXe siècle tendent à disparaître (Poulain, 2002). Ces
changements ont engendré une dépréciation des fonctions de serveur et de maître
d’hôtel dans les restaurants (Gachet, 1998) mais ont également fortement modifié la
relation à la clientèle. Un service simplifié avec l’apport en salle des assiettes déjà
dressées est privilégié et transforme donc profondément les pratiques de service.
Désormais, la mise en scène du professionnalisme et la transmission du savoir du
personnel de service sont diffusés grâce aux interactions avec la clientèle et non plus
par une théâtralisation de l’aliment.
producteurs mais aussi, plus généralement le terroir comme en atteste l’extrait ci-
dessous :
Extrait 4 - 110513_resto_appli 15’22-16’19 : PAU (Paul), PIE (Pierre)
Ces informations sur la provenance du vin, sur la description du terroir donne des
informations précises aux clients, le sommelier est ici dans une démarche de faire
savoir après avoir valorisé le savoir-faire mais la description du lieu confère aussi
une dimension affective. On voit ainsi se dessiner un triptyque avec trois dimensions
clés : le faire savoir, le savoir-faire et le faire rêver qui permet de transcender
l’expérience gustative et de la ré-enchanter.
Néanmoins, dans l’école hôtelière où nous avons conduit des observations, nous
avons pu faire le constat que les étudiants, avant le service au restaurant
d’application, disposaient de nombreuses informations pour mettre en mots le plat à
la carte.
Extrait 6 - 090418_briefing 05’16-06’22 : Mai (maître d’hôtel), CAM
(Camille), JER (Jérémy)
1 MAI deux:: deux possibilités soit trois plats avec\ (.) le skrei
2 de norvè/ge (0.5)le skrei je vous dis ce que le skrei vous le
3 le savez les culinaires/ (0.4) euh c’est quoi le skrei vous
4 pouvez euh expliquez au manag`ment ce que c’est le skrei/
5 camille/
6 (0.5)
7 JER °c’est un ca[billaud°
8 CAM [c’est un cabill[aud euh::
9 MAI [tu t’appelles camille ((en
10 regardant jérome))
11 CAM c’est un cabillaud qui remonte les rivières froides
12 MAI d’accord/ euh (0.6) et alors (0.1) qu’est ce que ça lui
13 apporte/
14 (0.5)
15 CAM ça lui:: apporte de euh de jolie chair un peu blanche/
16 MAI oui absolument
17 CAM °et après° (0.6)
18 MAI une chair beaucoup plus goûteuse et effectivement pl- plu- plus
19 (0.3) plus blanche parc`qu’il est pêché dans les rivières
20 froides de norvège (0.6) euh:: les saints jacques
21 (0.3)d’accord/ dans un fumet de crustacés xxxxx °d’irlande/°
22 MAI d’irlande pour venir d’écosse égal`ment du canada mais en
23 l’occurrence c- c- celui-ci nous vient d’irlande\
Dans cet extrait, enregistré lors d’un briefing avant le service du déjeuner on voit
le maître d’hôtel qui interpelle les étudiants concernant la description d’un plat
proposé à la carte : « le skrei ». Lors du briefing, deux promotions d’étudiants sont
mises ensemble : le cycle culinaire (étudiants destinés à travailler en cuisine) et le
Consignes générales 13
1 SER est-ce que vous avez fait votre choix\ ou est-ce que vous avez
2 des questions euh:/ sur le menu\
3 ROB non j`crois que: nous avons fait notre choix/
4 (2.4)
5 SOP enfin si on avait euh: on voulait savoir s’assurer que c’était
6 bien du saumon de norvège c’est ça/
7 SER le skrei/
8 SOP oui
9 SER non\ alors alors le skrei c’est un cabillaud\
10 SOP ah/ [d’accord ]
11 SER [mais c’est] un cabillaud qui remonte les rivières/ comme
12 euh comme le saumon\ ce qui lui procure une chair beaucoup plus
13 tendre et: beaucoup plus claire en fait
14 (0.7)
15 SOP d’accord mais c’est au niveau goût c’est c’est
16 SER au niveau goût c’est c- c’est c’est un goût qui se rapproche
17 plus du cabillaud que du saumon [quand même]
18 SOP [ah ouais/ ] d’accord
19 (2.0)
20 SER c’est un poisson à chair blanche\ (.) préparée avec une
21 vinaigrette truffée et des p`tites lamelles de truffe
Ainsi, dans l’extrait enregistré, nous pouvons voir que lors de la séquence de
prise de commande, la cliente demande plus précisément ce qu’est le skrei en
demandant s’il s’agit bien de saumon (l. 6). En ligne 9, le serveur apprenti mobilise
les informations données lors du briefing et rectifie la proposition faite par la cliente
en lui indiquant qu’il s’agit en fait d’un cabillaud, puis il donne des informations
complémentaires en contant tout d’abord la spécificité de ce produit (remonte les
rivières froides) et en donnant les propriétés sensorielles de ce produit en comparant
avec le saumon mobilisant alors la dimension esthésique de l’expérience
gastronomique. En ligne 15, la cliente demande des précisions au niveau des
propriétés gustatives et le serveur apprenti spécifie à nouveau le goût de ce poisson.
Enfin, il termine sa présentation du poisson en soulignant la préparation de celui-ci
propre à ce restaurant donnant ainsi l’empreinte identitaire du chef. Cet extrait nous
montre alors que la connaissance précise des produits permet tout d’abord de créer
un moment particulier avec le client en lui contant tout d’abord le produit et en
insistant sur son caractère exceptionnel, en lui donnant à voir l’expérience
sensorielle qu’il va vivre et en soulignant les spécificités de la préparation proposée
par le chef. Il s’agit alors de ré-enchanter le repas et de faire vivre une expérience
unique au client.
6. Conclusion
Bibliographie