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Jalons pour une archéologie du goût

Christian Barrère
Laboratoire Regards, Université de Reims Champagne Ardenne

1 Présence et absence du goût


Un nombre croissant de biens joignent ou substituent à leurs caractéristiques utilitaires, instrumentales ou
fonctionnelles, qui sont du domaine de la nécessité et s’inscrivent dans le registre des besoins, des
caractéristiques hédonistes, liées au domaine du plaisir (Hirschman et Holbrook, 1982 ; Holbrook and
Hirschman, 1982) et/ou éthiques, liées à celui des valeurs (Garabedian, 2007). Leur demande fait alors appel,
directement ou indirectement, aux ‘goûts’ des consommateurs. Ceux-ci n’interviennent pas seulement dans le
domaine du goût alimentaire et de ce qui a été longtemps considéré comme le superflu, les loisirs ou la
culture, ou encore la sphère d’intimité des individus, mais concernent aujourd’hui la quasi-totalité des biens
de consommation finale. Les effets-goûts que nous pouvons percevoir (dont les snob, bandwagon ou Veblen
effects ne sont qu’une petite partie), à côté des traditionnels effets-prix et effets-revenu mais différents d’eux,
se déclinent désormais dans pratiquement tous les domaines de la consommation.
Les sciences de gestion s’intéressent de plus en plus aux stratégies des firmes en matière de
caractéristiques de goût et les économistes commencent à tenir compte de phénomènes économiques qu’on
ne retrouve pas ou avec la même ampleur sur les marchés de biens qui en sont dépourvus : phénomènes de
mode, de cascades informationnelles, comportements moutonniers, importance des prescripteurs, rôle des
experts, déconnexion entre coût de fabrication et prix, importance de l’image et de la communication, appui
sur les patrimoines, ... Pour autant ces approches restent handicapées par le postulat de base de l’analyse des
marchés selon lequel De gustibus non est disputandum (Stigler et Becker, 1977 ; Becker, 1996) : le goût n’est
pas du domaine de l’analyse économique.
Pourtant le goût a bien des effets et des conditions économiques et ceux-ci peuvent être
particulièrement forts. Quand Apple dévoila son projet d’Iphone, en 2007, le PDG de Microsoft, Steve
Ballmer, estimant que le produit ne rencontrerait aucune demande déclara « There's no chance that the
iPhone is going to get any significant market share. No chance. ». Fin 2018 Apple revendique un parc
d’Iphones actifs de 1,4 milliard d’appareils !
Imaginer une analyse économique du goût passe par une construction préalable de son objet, ce qui
implique de définir le goût et de spécifier sa dimension économique pour élaborer ensuite une problématique
permettant de rendre compte des conditions et effets économiques du goût. Notre texte vise à contribuer à cet
effort collectif en avançant des propositions pour une définition opératoire du goût.

Quand nous nous tournons vers les discours du goût nous constatons qu'avant le XVII° siècle on n’y
rencontre pas la notion de goût, que ces discours soient profanes ou sacrés, vulgaires ou savants. Avant le
XVIII° et la philosophie de Hume en particulier, on ne la rencontre pas de façon régulière et elle n’est pas
l’objet de débats. Le terme de goût existe mais il se réfère à l’un des sens, le sens gustatif, relié
essentiellement au goût alimentaire. Ainsi pendant deux millénaires les différentes sociétés occidentales ont
pu penser le monde et la société et débattre des comportements humains sans avoir besoin de recourir à cette
notion de goût. Et cela, alors qu’aujourd’hui, au contraire, il serait impossible de décrire le fonctionnement
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social sans faire intervenir la catégorie de goût, dans ses différentes dimensions. Impossible de décrire
l’évolution des arts sans faire intervenir la dimension esthétique du goût. Impossible de décrire le
fonctionnement des marchés sans faire intervenir l’évolution des goûts des consommateurs potentiels.
Une telle observation n’est pas sans rapport avec celles que formule Michel Foucault (1966, 1969),
quand il s’intéresse aux notions de folie, de richesse ou de sexualité. Il en a déduit que différents discours
conceptualisent, explicitement mais surtout implicitement, de façon différente, des domaines analogues.
Ainsi les discours sur 'le monde du sexe’ qui portent sur des objets similaires (les pratiques sexuelles) vont
des discours du monde des plaisirs de l’Antiquité à celui, contemporain, du genre, en passant par un discours
médiéval sur le monde de la chair puis par le discours moderne sur le monde de la sexualité. Au lieu de
chercher à repérer une vérité trans-historique (le sexe, pour Foucault, le goût, pour nous), le chercheur doit
d’abord s’efforcer de repérer et de distinguer les différents discours, tenus à des époques différentes, sur des
faits et pratiques voisins (même si leur délimitation diffère), en une archéologie du savoir. Pour nous une
archéologie des savoirs relatifs au goût, ou, pour simplifier une archéologie du goût.
Dans le cas du goût, des biens qu'aujourd'hui nous qualifierions volontiers de biens de goût existent
bien avant le XVIII° siècle. C’est dire que le discours sur le goût qui apparait à ce moment là est précédé
d’autres discours, sur un domaine proche de celui qui sera l’objet du discours du goût : le monde du goût, qui
émerge au XVIII°, va remplacer le monde du beau qui régnait dans l'Antiquité et que la Renaissance avait ré-
interrogé et le monde du bien (celui de la norme morale chrétienne) qui avait très profondément marqué la
société féodale et dont le discours avait plus ou moins absorbé le discours antique du beau. L’approche de
Foucault s’efforce de mettre ces discours en relation avec leurs socles épistémologiques, définis comme
épistémès. On peut aussi, comme le fait Foucault dans certains cas, et d’autant plus que notre objectif ultime
est une analyse économique des conditions et effets économiques du goût, chercher à mettre ces épistémès et
ces discours, conditions culturelles d’une époque, en relation avec les conditions socio-économiques de cette
même époque.
Comprendre comment apparaissent à un moment donné des discours qui portent explicitement sur le
goût, et comment, au contraire, dans les périodes qui les précèdent, les questions qui émergeront comme des
questions de goût sont posées en d'autres termes ou sont occultées, comprendre comment, à un moment
donné, les individus se perçoivent comme des sujets porteurs de goûts, identifier les enjeux essentiels de ces
discours, leurs conditions, théoriques et matérielles de développement, est essentiel pour cerner les questions
qu'aujourd'hui l'analyse économique peut adresser à ce domaine. Comprendre l’absence du goût permet, par
différence, de comprendre les enjeux de la présence du goût et donc de sa définition pour aujourd’hui.
Nous opposerons aux discours qui ne laissent pas d’espace théorique à la notion de goût, les discours
de l’Antiquité et du Moyen Age (point 2), les discours du goût qui se construisent au contraire pour traiter de
cette catégorie, le discours kantien du goût démocratique (point 3) et les discours de la production (point 4),
discours caractéristiques de la modernité. Cela nous conduira, dans un point 5, conclusif, à préciser les
enjeux de la définition du goût pour aujourd’hui.

2 L’absence du goût : les discours du monde de la Beauté et du monde du Bien


2.1 le goût dissimulé par la beauté qui se trouve dans les choses
Que la beauté soit un élément de la nature créée par les Dieux, qu’elle soit développée par l’art pour leur
rendre gloire ou qu'elle soit aussi, comme dans les mondes grecs et romain goûtée pour elle-même parce
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qu'elle embellit la cité et accroit le bonheur de ses habitants, elle est au centre des discours qui concernent les
caractéristiques de goût. Le discours dominant est donc un discours de l'esthétique. Ce que nous, modernes,
appelons goût est identifié au goût pour le beau. La notion de goût n'apparait pas dans la mesure où son
domaine est recouvert par celui du beau et que le beau est objectif donc indiscutable. Puisque la beauté est
pensée comme propriété endogène et objective des choses (et principalement de la nature) le rôle des
individus et du public est limité, ils n’ont pas à ‘apprécier’ le Beau mais seulement à le ‘reconnaître’. La
recherche des principes de la beauté (l'harmonie, la mesure, ...) exprime cette conception objectiviste.
La domination de l’esthétique a pour pendant la dévalorisation du goût sensuel, dévalorisation qui
s'inscrit dans une démarche plus générale de dévalorisation des sens et occulte ce que Kant appellera le goût
de l’agréable, réduit à la notion de plaisir inférieur qui ne mérite pas de théorisation. Platon imposera pendant
bien longtemps l'image de sens trompeurs, créateurs d'illusion et incapables de mener le sage à la
connaissance, comme l'illustre le célèbre mythe de la caverne. Une conception fondamentale car elle
représente l'une des principales façons de concevoir la relation entre le corps et l'esprit (ou l'âme), conception
qui sera, par la suite, très fréquemment reprise, en particulier par le stoïcisme romain puis par le
christianisme. Les sens et les plaisirs sensuels ne sont pas mauvais en eux-mêmes mais ne conduisent qu'à
une forme de plaisir limitée alors que s'élever du monde sensible au monde intelligible, celui des idées,
permet d'atteindre le véritable plaisir, celui de la sagesse, situé beaucoup plus haut que le précédent.
L'Antiquité, en distinguant au sein du monde des choses objectivement et indiscutablement belles a
posé les bases de ce qui deviendra la conception occidentale de l'esthétique, pendant des siècles. Elle lègue
une conception de la beauté qui sera reprise et ré-interprétée par l'idéologie religieuse du christianisme
occidental.

2.2 Les discours du monde du Bien : le goût dicté par les normes morales
Le Moyen Age occidental dépasse le discours antique du monde de la Beauté en un discours du monde du
Bien. Les choix de consommation, et, plus largement, les formes de comportement, se déduisent, de façon
très stricte et forte, du critère du Bien. Dans ces conditions le goût n'a pas de place car les choix individuels
sont entièrement et strictement déterminés par des normes reliées, par l'Eglise, à ce qui est Bien, ce qui est
conforme aux valeurs chrétiennes. Les individus ont seulement à choisir entre la voie du bien et celle du mal,
choix de fait impossible car la société du Moyen Age n'offre aucun espace de liberté pour subsister hors de
l'appartenance à la communauté des chrétiens. Ce que nous appelons le goût est donc recouvert par la notion
de respect des normes religieuses.
Ce monde fixe la notion de Salut comme but de la vie humaine et s'organise, pour l’atteindre, sous la
direction de l'Eglise. Celle-ci remplit, dès lors, la fonction de déterminer les attitudes des fidèles en
définissant des valeurs et en les faisant respecter au moyen d'un ensemble de normes de comportement et de
dispositifs coercitifs extrêmement forts, engendrant un système de disciplinarisation des âmes (Baschet,
2018 ; Croix et Quéniart, 2005). Le monde des hommes, celui des Chrétiens, est complètement structuré par
une lecture religieuse qui oppose frontalement deux mondes irréconciliables, en guerre permanente, et entre
lesquels chacun devra choisir : le monde du bien et le monde du mal. Le premier est celui de Dieu, de la vie
éternelle, du respect de la parole divine et de l'ordre qu'il a voulu et créé ; le second est celui du Diable, de la
damnation et de l'enfer, du péché. La surdétermination de la vie présente par l'anticipation de l'au-delà, dans
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le cadre d’un régime d’historicité eschatologique (Hartog, 2003), est d'autant plus forte, d'un côté que la vie
terrestre est courte, de l'autre que chacun croit à l'imminence du Jugement dernier.
La puissance de l'Eglise ne résulte pas seulement de sa capacité à terroriser les chrétiens mais,
simultanément, du fait qu'elle propose des solutions et qu'elle est seule à le faire. Elle impose d'un côté
l'idéologie du péché, péché originel qui frappe toute créature humaine dès sa conception, et, d'un autre, elle
propose la seule voie qui permettra d'obtenir le pardon divin. L'Eglise met ainsi en place des dispositifs qui
fonctionnent en système et quadrillent la société, assurant, en particulier via la délivrance des sacrements et
le triptyque prédication - confession - communion (Baschet, 2018), la disciplinarisation des âmes en
définissant les valeurs, en en déduisant le système des péchés, sur la base de la doctrine du péché originel, et
les normes détaillées de comportement que doivent suivre ceux qui cherchent à gagner leur salut.
L'opposition dualiste du bien et du mal est redoublée par l'idée d'un ordre naturel voulu et créé par
Dieu autour d'un principe hiérarchique, allant du Ciel, domaine de Dieu au souterrain, domaine de Lucifer.
Un ordre qui affecte à toute chose, tout être, tout groupe, une place déterminée et qu'il convient évidemment
de respecter puisqu'elle a été voulue par Dieu. Un tel ordre donne un principe d’homologie parfaite, ce qui
permet de définir des goûts, en réalité des normes, convenants aux différents groupes situés dans l'ordre
social , comme l’exprime parfaitement la représentation de la Grande Chaîne de l’Etre (Lovejoy, 1936).
Ainsi, en matière d’alimentation, une structure extrêmement nette articule trois modèles
d'alimentation, aristocratique, monastique et paysan (Birlouez, 2011), contraignant les familles à se nourrir
conformément à leur statut social, à la fois en termes de quantités (le noble doit manger nettement plus que le
paysan, le moine doit être frugal), de qualités (le pain blanc et le pain noir), de types de biens (les nobles
mangent de la viande quand les "pôvres" se contentent de légumes et de pain, et les moines doivent
privilégier le poisson), de modes de préparation (rôti et grillé pour les nobles, bouilli pour les autres), de
manières de table. Comme chacun doit ‘tenir son rang’, impératif majeur d’une société d’ordres et de liens
personnels et non marchands, à ces trois modèles alimentaires correspondent trois types de goût, le goût des
nobles, le goût des clercs et le goût des paysans, chacun se rangeant ‘dans sa case’ ; des goûts qui ne sont que
l'incorporation personnelle des normes sociales, via l'ensemble du conditionnement idéologique de la société,
de sorte qu’il n’y a pas à en discuter (et à les problématiser) puisqu’ils n’ont en eux-mêmes aucune épaisseur,
purs reflets des normes morales. De même, la supériorité des hommes sur les femmes (dont témoigne la
différence entre le statut d'Eve, pécheresse et corruptrice, et celui d'Adam, pêcheur mais corrompu par Eve)
implique-t-elle des formes différentes de nourriture masculine et féminine. Exhiber des goûts ne
correspondant pas à son statut social conduit soit à déroger à sa condition (et de voir ainsi dévalorisé sa
position originelle) soit à faire preuve de vanité (tenter de se faire passer pour ce que l'on n'est pas) et tomber
sous la critique de ses pairs, de ses supérieurs et, surtout, de l'Eglise donc de Dieu (qui, ne l'oublions pas, voit
tout).
Le discours antique de l'esthétique de la beauté se trouve absorbé dans celui qui transforme la beauté
en élément de l'ordre divin de sorte que le goût esthétique se déduit de l'éthique des valeurs religieuses,
privilégiant notamment la sensibilité symbolique. Et cela d’autant plus que la beauté, créée par Dieu, est
destinée à honorer les grands, seuls aptes à en saisir la portée, mais surtout Dieu. La prégnance des valeurs
religieuses refoule le goût hédonique, dévalorise les goûts et plaisirs sensuels au nom d'un idéal d'austérité
qui conduit à contrôler les sens, voire à les réprimer dans une logique de mortification, valorisant la
souffrance (Baschet, 2018).
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On comprend que dans un tel système il soit impossible de penser la catégorie de goût, les choix
importants ne pouvant laisser de place à l'idiosyncrasie. Une fois le choix de la recherche du Salut effectué,
les comportements ne laissent aucune place au choix. Et, en cas de doute, la consultation des clercs permet
d'obtenir les réponses nécessaires.

Comme le montre Eco (1987), aux alentours du XV° s'opère un changement radical de la sensibilité
esthétique qui clôt l'esthétique médiévale et ouvre sur celle de la Renaissance. Si la logique esthétique et
celle des plaisirs des sens s'efforcent de cohabiter avec la religion en en respectant formellement les interdits,
elles en détournent la logique. La prise en compte de la beauté, sous prétexte d'honorer les puissants ou de
représenter une Antiquité mythique, manifeste l’attention accordée à l’esthétique, au plaisir et au sensible. Le
statut de l’artiste en est modifié ce qui contribuera à mettre les questions esthétiques en débat et à préparer
ainsi la réflexion sur le goût. Ce faisant deux notions nouvelles apparaissent. D'une part, l'idée d'une
communauté d'art entre exécutants des diverses époques et donc d'une unité de l'art comme domaine
autonome, ce qui remet en cause sa soumission pure et simple aux valeurs et normes religieuses. D'autre part
l'idée de styles différents, dans le temps et dans l'espace, et, par conséquent, d'un relativisme des normes
artistiques, là encore autonomisées par rapport aux normes religieuses. De ce fait, la réduction du goût à la
constatation de la beauté des choses et la conception objectiviste de cette beauté, qui, créée par Dieu,
s’impose naturellement aux gens de qualité, vont progressivement entrer en crise sous l’influence de deux
mouvements complémentaires. Le premier est l’extension du domaine du goût à celui des manières. Le
second est la complexification de la définition du beau dans l’art au fur et à mesure de l’évolution de celui-
ci : la prétention universelle du modèle de l’esthétique classique est contestée par d’autres modèles
d’esthétique, porteurs d’autres conceptions du Beau et du bon goût, comme le baroque, la préciosité ou la
vision libertine ; l’exacerbation de la sophistication des manières et l’extravagance de la vie de Cour
conduisent nombre d’esprits à remettre en cause la prétention de celle-ci à définir de belles manières à un
moment où l’idée de la relativité des moeurs et des goûts commence à percer et où la puissance économique
de la bourgeoisie grandit ; l’immédiateté du bon goût des gens de qualité glisse vers le bon goût des gens qui
ont été éduqués et connaissent les normes de représentation de la beauté. Un tel mouvement ruine à terme la
prétention aristocratique à posséder un goût immédiat.
Le développement de l'humanisme questionne, implicitement ou explicitement, par la critique
frontale ou par l'ironie, le discours religieux de culpabilisation des hommes et de refoulement du plaisir
(Margolin, 2004). Plus largement, la réflexion sur le beau et le bien s’inscrit désormais dans le cadre d’une
épistémè de la Représentation en rupture avec celle de la Ressemblance, caractéristique du Moyen Age. Au
lieu de chercher des similitudes ou des analogies la pensée rationnelle recherche des identités et des
différences donc classe et ordonne pour repérer les ordres ‘naturels’ ou ‘divins’ et en comprendre les lois, et
non plus les traiter comme ensembles, plus ou moins fantasmagoriques, de signes à décrypter.
Dans le domaine du goût cette rupture implique que l'on ne peut plus déduire les goûts de la seule
observation des ressemblances. L'or n'est plus seulement beau parce qu'il brille et ce caractère brillant ne
justifie plus qu'il soit 'goûté' et recherché. Les goûts ne sont plus déduits, ils doivent être construits. Le beau
ne s'impose plus de lui-même comme quelque chose de naturel, simplement parce qu'il ressemble à telle ou
telle qualité divine mais doit être défini et analysé : qu'est-ce qui justifie que tel objet soit dit beau ? En outre,
le Beau n'est plus seulement donné mais peut être produit ou représenté. Il faut donc désormais désigner et
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évaluer les qualités des choses. Ce qui brille peut être faux et manipulateur, le parfum qui sent bon peut être
séducteur et condamnable. Le goût devient une découverte de la qualité de la chose, qualité qui lui demeure
intrinsèque. Pour cela la société va s’aider de critères de jugement pour constater si la chose est conforme
aux canons et aux règles du beau et du bon goût. D’où le rôle des normes et des dispositifs (l’Académie sera
un dispositif d’énonciation des règles qui permettra à chacun de juger aisément). Le goût (c-à-d l'observation
des règles de la bonne représentation de la Beauté) résulte de la discussion, de la critique, de l'apprentissage,
de la science. Il reste tout aussi objectif que dans l'épistémè de la Ressemblance, non plus maintenant du fait
que les choses elles-mêmes sont transparentes et la beauté évidente, mais de l'édiction de normes et de
dispositifs qui définissent le beau et le laid et permettent à la fois de les repérer et de les produire.
L’analyse des discours et des pratiques qui naissent, à partir du XV° siècle, autour du goût montre
que vont être progressivement remplies trois conditions permettant l’émergence d’une notion explicite de
goût et débouchant sur une problématisation du goût :
1°) la reconnaissance sociale de l’existence dans les biens, les choses, ou encore les manières, de
caractéristiques particulières qui ont à voir avec le plaisir ou l’émotion, caractéristiques qui seront à un
moment donné prises en charge par l’esthétique. Ces caractéristiques esthétiques sont alors pensées comme
ayant une valeur en elles-mêmes, une valeur proprement esthétique, et non plus comme appendices d'autres
valeurs, religieuses ou politiques.
2°) la fin de la subordination du goût à une beauté objective par nature (c'est-à-dire par création
divine), et, en revanche, l’idée selon laquelle l’appréciation de ces caractéristiques de goût ne se réduit pas à
la constatation d'une beauté objective et indiscutable, venant de Dieu ou du respect d'un ordre naturel. Ce qui
passera par l'émergence, avec Kant, du sujet, de l'homme, comme personnage central du monde du goût.
Cette émergence de l'homme a elle-même pour condition la rupture avec l'idée de société et de monde
hiérarchisés, d'ordres sociaux qui mettent au premier plan l'hétérogénéité des personnes et la hiérarchie des
groupes sociaux, attribuant un bon goût inné à certains d’entre eux. Le triomphe de 'l'homme', être générique,
qui dépasse les particularismes sociaux, passe par la rupture avec le primat de l'inégalité et le postulat, que
les Lumières approfondiront, de l'égalité des hommes. C'est en ce sens que le goût kantien pourra être
qualifié de goût démocratique. Ce faisant, la construction kantienne développe la révolution introduite par
Descartes, qualifié par Hegel de fondateur de la modernité en ce qu'il inverse le rapport entre l'homme et le
monde. L'homme n'est plus un simple élément du monde créé par Dieu et, en tant que tel, soumis à son plan,
il se distingue de lui, et peut le dominer parce qu'il le pense. La conception cartésienne de l'essence de
l'homme comme être pensant, qui peut donc connaitre la nature et le monde, en dépassant les apparences et
le domaine du sensible pour accéder à la connaissance rationnelle, rigoureuse, voire scientifique, met
désormais au premier rang cet homme et permettra à Kant de le concevoir comme étant aussi un être goûtant,
source d'appréciation des beautés et des plaisirs du monde.
3°) la fin de la subordination du goût à une beauté objective, par construction (c'est-à-dire par respect
des normes), et son correspondant le « bon goût », a priori, immédiat, indiscutable et naturel, donc conçu, lui
aussi, comme objectif. Le goût comme relation objet – sujet, que le sujet soit le créateur ou qu’il soit
l’amateur, qui n’était pas conceptualisé en tant que tel dans les discours de la beauté, n’apparaitra que lorsque
sera introduit un intermédiaire, le jugement, mettant en jeu la personnalité et l’individualité de ceux qui le
formulent. C’est bien pourquoi Kant l’appréhendera via le jugement de goût, l’appréciation par le sujet de
l’objet.
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Le dépassement des limites des discours de la Beauté et du Bien va intervenir au cours du XVIII° siècle lors
des débats qui vont désormais porter explicitement sur le goût, en le fondant sur la sensibilité et le plaisir,
comme le fera la philosophie britannique empiriste, de Shaftesbury à Hume, donc en prenant en compte le
relativisme des goûts et en s’interrogeant sur la possibilité de normes de goût. Hume (1739, 1741, 1751,
1757) est le premier à exprimer clairement, avant Kant, le fait que le goût est le résultat d’un jugement : les
individus aiment ou n’aiment pas, ressentent du goût ou du dégoût, du plaisir, du déplaisir ou de la peine.
Hume parle du goût comme « verdict ». Il ajoute que les individus sont naturellement aptes à produire de tels
jugements et que ces jugements sont importants et complexes. Loin de la simple observation et constatation
de beautés objectives, le jugement de goût passe par les sens mais implique la réflexion, grâce à la raison, à
l’imagination, aux connaissances accumulées. C’est aussi ce qui marque progressivement la philosophie
française dominante, de Montesquieu aux Encyclopédistes, en passant notamment par Charles Batteux et le
courant libertin. Les individus deviennent les acteurs du monde du goût parce que ce sont eux qui, in fine,
détermineront ce qui est de bon goût ou pas. Leur liberté interdit de les considérer comme purs observateurs
de normes hétéronomes ou de règles pré-établies – celles de l’esthétique classique par exemple, mais ouvre
aussi la possibilité de jugements non unanimes, s’écartant d’une convenance objective et universellement
valable. Cela débouchera, à terme, sur la révolution copernicienne de Kant qui traite des qualités des choses
comme de relations hommes – réel et non d’éléments internes aux choses et indépendantes des catégories
humaines de l’entendement.

3 Le discours du goût démocratique : le goût est dans le jugement du public


C’est Kant (1790) qui développera et synthétisera tous les apports de l’époque dans une révolution théorique
qui met au premier plan l’homme, et non plus Dieu, avec comme conséquence la nécessité de prendre en
compte et la raison et la sensibilité, en particulier via le sentiment. Nous avons alors un fondement explicite
et cohérent d’une théorie de l’esthétique (Ferry, 1990). Kant théorisera la relation choses – personnes comme
une relation de jugement, le jugement de goût : le goût apparaît comme jugement du public et fait référence à
l’esthète. Et c’est lui qui se proposera de dépasser la diversité des goûts subjectifs, le relativisme absolu (du
type De gustibus non est disputandum) pour expliquer deux choses : en premier lieu, la convergence de
nombre de goûts pour distinguer des qualités différentes des œuvres d’art (à peu près tout le monde juge que
Van Gogh est meilleur peintre que les vendeurs de croûtes de la place du Tertre à Montmartre) ; en second
lieu, l’existence de goûts plus ou moins « justes » ou « éclairés » (à peu près tout le monde pense que le
conservateur du Louvre a un goût plus ‘sûr’ que le nouveau riche russe ou chinois). Pour lui comme pour
Hume précédemment il y a des différences de ‘qualité’ et dans les œuvres et dans les capacités à juger, ce qui
le conduira à proposer une distinction rigoureuse entre beau et agréable, entre sentiment et sensation.
Kant écrit à un moment où la bourgeoisie prend de plus en plus conscience de son poids économique
et s’affirme dans tous les domaines, notamment intellectuels et artistiques, comme public principal de l’art
contre l’ancien modèle de la Cour. Kant apparait, selon de nombreuses interprétations dont celle,
particulièrement vigoureuse, de Bourdieu (1989), comme celui qui légitimerait le goût bourgeois comme seul
véritable goût en le reliant à la raison et défendrait la bourgeoisie éclairée et travailleuse contre les
courtisans, superficiels et parasites, qui dominent jusque là le monde de l’art, du goût et des conventions. On
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peut en effet relire sa théorie de l’esthétique comme une remise en cause du goût inné des gens de qualité en
s’interrogeant sur le goût comme universel, accessible à tous, en quelque sorte la première interrogation sur
le goût démocratique mais aussi sur sa formation dans un contexte d’intersubjectivité (Uzel, 2004).

3.1 le jugement de goût, type spécifique de jugement


Tout jugement se fonde sur les possibilités humaines de connaissance données par les deux facultés
humaines que sont la sensibilité (faculté de recevoir des objets extérieurs des sensations) et l’entendement
(faculté de juger en formant des concepts et organisant un raisonnement logique à l’aide de catégories et de
règles). Celles-ci constituent un système dans la mesure où chacune doit s’appuyer sur l’autre, l’entendement
ne peut rien en dehors des données de l’expérience mais celles-ci ont besoin d’être unifiées par
l’entendement pour donner une perception et pas seulement l’écho d’un chaos de sensations. Dès lors
l’approche purement empiriste des fondateurs de l’esthétique ne suffit plus, la sensation n’est pas le seul
intermédiaire entre le sujet et l’objet esthétique. Néanmoins la difficulté commence dès lors que le jugement
de goût est spécifique.
Le jugement de goût ne peut prendre pour modèle ni le jugement scientifique ni le jugement moral.
Le critère de vérité n’est pas opératoire dans le champ particulier qu’est le champ de l’art. Un tableau ne peut
être dit vrai comme un théorème mathématique mais il est dit beau. Par conséquent le jugement de goût ne
peut être un jugement a priori c.-à-d. indépendant de l’expérience, et appartenant au monde de la vérité,
monde qui est un monde commun (tout le monde peut s’accorder sur un théorème mathématique, qui est vrai
ou faux pour tous). Il n’est pas jugement de connaissance, jugement logique et objectif mais jugement
esthétique et subjectif.
Une telle affirmation nous paraît sans doute banale aujourd’hui mais propose ou enregistre pourtant
un changement essentiel par rapport aux discours de la Beauté et du Bien. Le goût, réduit au goût pour le
beau donc à l’art, était implicitement défini comme lui, soit à partir d’une théorie des normes esthétiques soit
à partir de la morale. Dire que l’art échappe à la vérité scientifique comme à la morale pratique c’est donner
à l’art son indépendance, par suite au goût également, ce qui représente une rupture fondamentale avec les
siècles précédents.
Le jugement de goût n’est pas un jugement déterminant, comme dans le cas de la raison théorique où
un concept déterminé est subsumé sous un concept plus général, avec application au particulier d’une
catégorie universelle (la beauté est ceci, donc le tableau est beau puisqu’il contient ceci). C’est un jugement
réfléchissant, c-à-d qu’on déduit le concept général à partir du particulier. La détermination de l’esthétique
est un processus cognitif subjectif dans lequel on attribue le prédicat « beau » ou « laid » à un objet, partant
du particulier pour s’élever vers des catégories universelles (le tableau qui a ces qualités appartient à la
catégorie du beau, qui se définit par des qualités telles que celles que le tableau exhibe). La théorie du goût
ne peut donc faire partie de celle de la raison pure, de la théorie de la connaissance. Le beau ne s’explique
pas par la seule raison comme le pensait Baumgarten (1750), le beau n’est pas le parfait.
La théorie du goût ne peut non plus s’inscrire dans une théorie de la morale, de la raison pratique.
Mais pour Kant l’esthétique n’est pas construite seulement comme réponse à un cas particulier qui échappait
à la répartition raison pure – raison pratique, connaissance et vrai vs. morale et bon. L’expérience de la
beauté est pour Kant le moyen pour l’homme d’unifier la connaissance, accord rationnel de vérité avec le
monde, et la morale, accord rationnel de pratique avec ses semblables. Le beau est l’unité du vrai et du bien,
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mais le beau ne s’identifie plus immédiatement à la vérité comme au Moyen Age où il s’agit que le tableau
représente de façon véridique la scène historique ou religieuse. Il passe par un jugement, un jugement
complexe, le jugement de goût. C'est dire le caractère fondamental de ce jugement et, plus largement, du
goût, dans cette approche !

3.2 La dissociation du goût : goût des sens (l’agréable) et goût de réflexion (le beau)
Pour Kant, le terme de goût est équivoque car il désigne à la fois le goût des sens, la perception de ce qui est
agréable, et le goût de réflexion, la représentation de ce qui est beau. Il s’agit là d’un point essentiel pour la
pertinence de la conception kantienne. Juger de l’agréable et juger du beau sont deux choses différentes.
Kant limite, de fait, la notion de jugement de goût à celle de beau, et, dans l’esthétique, privilégie le domaine
du beau bien que, dans son principe, le goût qui ne se rapporte qu’aux sensations fasse aussi partie de
l’esthétique ; ce qui ne manquera pas de nous poser quelques problèmes pour analyser le goût contemporain
dans une optique kantienne.
La dispersion des goûts et l’opposition entre goût de la Cour et goût bourgeois conduisent à remettre
en cause toute donnée a priori du goût. Le beau ne peut s’apprécier sur la base des seules sensations comme
l’écrivait Burke ni sur celle de la seule raison comme l’affirmait Baumgarten, mais sur la base du sentiment.
Il suppose un jugement, le jugement de goût, et le goût devient la disposition à définir, identifier, caractériser
le beau, la faculté de juger du beau. De même que la vérité ou le bien ne se trouvent ni dans les choses ni
dans l’esprit, mais dans les relations entre elles et les consciences, le beau n’est pas dans les choses parce que
c’est une catégorie de l’esprit humain, il est dans la relation entre les choses et l’homme.
Appartient-il pour autant seulement au monde de l’opinion, qui n’est pas un monde commun, selon
l’adage traditionnel « des goûts et des couleurs on ne discute pas, tous les goûts sont dans la nature » ? Si
Kant refuse de placer le goût dans le monde des vérités, il ne veut pour autant l’inscrire dans celui de
l’opinion et, en particulier, de penser que « tous les goûts se valent ». Ce faisant Kant affronte le premier le
redoutable problème de penser rigoureusement la diversité des jugements de goût en même temps que leur
inégale pertinence, c.-à-d. de s’interroger sur la « qualité » du jugement de goût. Pour cela il convient de
s’appuyer sur la distinction entre goût des sens et goût de réflexion :

• Le goût de réflexion est désintéressé à la différence du goût des sens. Le jugement qui se fonde sur le
goût des sens et porte sur l’agréable exprime un intérêt porté à l’objet c.-à-d. à son existence pour moi (il
m’est agréable parce que je puis le consommer et prendre du plaisir à cette consommation, comme dans le
cas du vin des Canaries, exemple célèbre pris par Kant). L’agréable traduit une simple inclination. Le
jugement de goût de réflexion est, au contraire, désintéressé. La satisfaction obtenue est indépendante de
l’existence de l’objet, l’objet étant jugé comme « dans une simple contemplation », le jugement étant par là
impartial. Il n'apparaît que lorsque nous ressentons un accord et un plaisir liés à l'objet que nous percevons
sans que ce soient pour autant des intérêts matériels, symboliques ou conceptuels qui nous déterminent à le
faire. Chacun doit pouvoir se prononcer sur la beauté d’un objet indépendamment de sa situation
personnelle par rapport au bien de goût (propriétaire, auteur, vendeur, acheteur, spectateur…).

• Le goût de réflexion est universel à la différence du goût des sens. Le jugement sur l’agréable est un
jugement intérieur, sans prétention à l’universalisation et qui ne s’explique que par la seule sensation. Il
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relève un intérêt individuel pour la chose (j’aime fumer c'est-à-dire que la cigarette ou le cigare me
donnent du plaisir), une inclination, sans que cela soit généralisable : tout le monde n’aime pas fumer et le
plaisir que je ressens à fumer n’est pas nécessairement bon et universalisable puisqu’il peut avoir comme
contrepartie des risques pour ma santé et celle des autres. Ce jugement n'a de valeur que pour sa propre
personne (« quand je dis que le vin des Canaries est agréable, je souffre volontiers qu'on me reprenne et
qu'on me rappelle que je dois dire seulement qu'il m’est agréable», (Kant, 1790 [2007], §7), et,
inversement, il n'est pas possible de contester le plaisir ressenti par l'autre (« en fait d’agréable, il faut donc
reconnaître ce principe que chacun a son goût particulier », (Kant, 1790 [2007], § 7).

Juger du beau c’est dire si, pour moi, mais pour moi en tant que membre d’une humanité susceptible de
formuler le même type de jugement, tel tableau relève du beau, c.-à-d. est beau pour moi mais pour les autres
aussi. L’agréable ne fait appel qu’à la sensation, alors que le beau fait appel au sentiment, et fait donc
intervenir l’entendement, même si le jugement n’a pas sa source dans les concepts et ne produit donc pas une
universalité logique et objective mais une universalité subjective. Le beau est jugé par un sens commun
esthétique, accord entre la faculté sensible de connaître et la faculté intellectuelle de connaître. Ainsi, pour
Kant, le jugement de goût de réflexion est un véritable jugement, alors que le goût des sens n’implique pas
grand-chose au-delà de la pure perception, pas de réflexion, « aussi ceux qui ne tendent qu’à la jouissance
(c’est le mot par lequel on exprime la quintessence du plaisir) se dispensent volontiers de tout
jugement » (Kant, 1790 [2007], §3). La dévalorisation du goût des sens s’exprime tout au long de
l’Analytique du beau comme en témoigne la formulation « Il y a aussi de l’agréable pour des animaux
dépourvus de raison ; il n’y a de beau que pour des hommes » (Kant, 1790 [2007], § 5).

L'affirmation selon laquelle le jugement de goût, bien que subjectif, atteigne l'universel, permet à
Kant de penser le Beau comme élément subjectif mais non relatif : le Beau est ce qui plait "universellement
et sans concept". Nous supposons que l’objet qui nous plaît contient un principe de satisfaction pour tous. De
ce fait, le jugement de goût ne résulte pas seulement des préférences des individus mais de traits présents
dans les œuvres. Les jugements, certes subjectifs, se fondent sur des qualités du réel comme l’indique
l’exemple selon lequel la plupart des gens trouvent que les roses sont belles. En même temps le jugement
s’appuie sur la distribution universelle des facultés de connaître, qui s’oppose à la notion de goût inné
réservé à l’aristocrate, et donc oppose le jugement de goût au don. La base du beau c’est l’accomplissement
de l’objet, de l’œuvre, qui a réalisé sa finalité et en tire une harmonie interne. Les individus vont le percevoir
en tant qu’individus égaux et pensants. Grâce à ce sens commun esthétique présent en tout être possesseur
d’une sensibilité et d’un entendement, le jugement de goût, universel, peut devenir objectif. Comme
l’indique Paul Ricoeur (Brohm et Uhl, 1996), Kant introduit l’universalité via la communicabilité, seul
moyen de faire partager quelque chose qui n’est pas du domaine de la connaissance mais de l’émotion, entre
individus différents.
L’existence d’un jugement conduit à mettre l’accent sur la formation des goûts et notamment sur le
rôle de l’expérience, de l’apprentissage et de la discussion, dans l'inter-subjectivité sociale. Y. Michaud
(2011) interprète la relation oeuvre-sujet de Kant comme s’inscrivant dans un jeu de langage à la
Wittgenstein, un jeu d’évaluation, de perception et de sentir (Michaud, op. cit. p. 40), tel que Baxandall le
représente avec la notion d’un oeil du Quattrocento (Baxandall, 1981), qui impose au sujet de devenir un
11
‘connaisseur’ pour formuler un jugement valable. L’évaluation qui en résulte n’est ni purement individuelle
et subjective, ni unanime et objective, mais collective (au sein d’une communauté pratiquant le jeu défini et
donc en partie objective en correspondant aux critères du jeu) et sociale (liée à la culture et aux valeurs
privilégiées dans le jeu en question, donc relative).

3.3 Le goût dans l'épistémè moderne : l'homme jugeant du goût, demandant du goût et produisant du goût
L’épistémè de la modernité est celle de l’homme, l’homme qui va devenir l’objet nouveau et privilégié de la
connaissance, remplaçant en cela le Dieu de l’épistémè de la Ressemblance et l’ordre naturel de celle de la
Représentation. Comme le montre Foucault, cet homme, c’est l’homme qui produit, d’où l’économie
politique ; qui vit, d’où la biologie ; qui parle, d’où la philologie. Ainsi l’économie politique remplace-t-elle
l’analyse des richesses, en mettant au centre l’homme-producteur et échangiste, la philologie la grammaire
générale, avec l’homme-locuteur, la biologie l’histoire naturelle, avec l’homme-vivant (Foucault, 1966). On
comprend comment elle permet à Kant de poser le goût comme relation entre un sujet et un objet, et non
plus, ni comme une propriété objective des choses, ni comme une énonciation indiscutable par un groupe
social doté d'un sens inné du goût, ni même comme la simple application de lois du goût. Pour lui, comme
nous l’avons vu, l’homme produit, dans le dialogue avec les autres hommes, des jugements de goût, tout
comme il produit de la connaissance et de la morale.
Jusque là le centre était l’ordre cosmique, des Dieux ou de Dieu, allant du divin à la glèbe et aux
enfers, pour l’épistémè de la Ressemblance, ou était l’ordre naturel, qui ne se montre pas immédiatement
mais qu’on peut découvrir et dont on peut déduire des principes d’évaluation et de production de la Beauté,
en poésie comme en peinture, en musique comme dans la tragédie. Pour autant ces règles ne pouvaient être
discutées que comme des interprétations éventuellement fausses de règles objectives, éléments d’un ordre
naturel et, donc, elles, indiscutables. C’est, désormais, dans le cadre d'une épistémè de l’homme, que les
discours du goût s’organisent. Le passage d’une épistémè de la Ressemblance à une épistémè de la
Représentation avait permis un premier pas vers l’idée de jugement de goût en introduisant l’idée d’une
nécessaire réflexion sur le goût, supposant un travail d’élaboration et non plus seulement d’observation, par
exemple quand il s’agissait de déterminer les normes et règles de la tragédie classique. Kant systématise et
pousse à son terme cette évolution en faisant du goût un produit de l’homme. Il convient de prendre
conscience du changement ainsi opéré, qui ne va pas de soi. Le goût est une relation entre sujet et objet mais,
dans cette relation, c’est le sujet qui pose la relation, produit le jugement de goût, et littéralement produit le
goût, transforme une sensation en goût ; il n’y a pas de goût avant son intervention. Même dans le domaine
alimentaire, souvent considéré comme le plus proche de l’objectivité, il n’y a pas à proprement parler de goût
objectif. C’est l’homme qui conceptualise le goût en établissant son langage parce que, pour constituer le
goût, il faut le nommer et le faire entrer dans un ensemble de notions. L'homme, et lui seul, déclare tel
aliment salé et tel autre sucré, c-à-d les fait entrer dans le registre du goût comme éléments de plaisir ou de
déplaisir. Avant son jugement l’aliment n’est pas ‘salé’ : il contient seulement des molécules de chlorure de
sodium ; l’aliment n’est pas sucré, il contient seulement de la saccharose. Constituer le goût, créer le goût,
produire le goût, toutes ces locutions marquent le fait que le goût est une projection de l'homme sur les
choses, projection qui suppose le langage et passe par lui, projection qui se fait dans un jugement, qu’il soit
plus ou moins élaboré, plus ou moins explicite, plus ou moins avisé.
On comprend alors mieux l'absence du goût dans les épistémès antérieures. Au lieu de concevoir un
monde tournant autour de l’homme, elles le concevaient comme tournant autour de Dieu. La tâche de
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l’homme était seulement de lire correctement l'ordre naturel et/ou divin. Les beautés et qualités
différentielles devaient soit être perçues via les signes qui les révélaient par les ressemblances, dans
l'épistémè du même nom, soit être découvertes par la classification dans l'épistémè de la représentation. Le
goût, loin d'être une projection de l'homme sur les choses, ne pouvait être que l'enregistrement de la
définition par Dieu des choses ; Dieu était l'architecte du goût.
Un tel point d’ancrage humain du goût permet de le conceptualiser de façon cohérente avec la vision
générale qu’utilise la modernité pour voir le monde et la société, la nature et la culture, cette fameuse
épistémè de l’homme, qu’elle mette ensuite plutôt l’accent sur son caractère rationnel ou au contraire sur son
caractère émotif ; qu'elle mette également plutôt l'accent sur le subjectivisme et l'individualisme, la diversité
des personnalités humaines et, par conséquent, de leurs jugements sur le goût ou sur l'objectivisme et la
socialisation des hommes (pour Marx l'homme est "l'ensemble de ses rapports sociaux"), et, par conséquent,
les normes sociales de goût. En outre - et ce n’est pas le moindre de ses mérites - la définition kantienne du
goût comme produit social de l’homme permettra de dépasser la forme particulière de la construction même
de Kant en s’interrogeant sur le mode d’appréhension de cet homme producteur du goût, pour le spécifier et
l’enrichir. Quel est cet homme ? Est-ce un homme générique, ‘représentant de l’humanité’ dans sa généralité
et son universalité ? est-ce un homme socialisé, historicisé, institutionnalisé ? est-ce un homme ayant un
genre, appartenant à un groupe social ? est-ce un spectateur, un artiste ? est-ce un consommateur, est-ce un
producteur, lié à une logique non marchande, à une logique marchande ou encore capitaliste ?
Peuvent alors s’ouvrir des discours de la production, qui proposeront des réponses différentes, le culte
nietzschéen du subjectif, des émotions et de l'irrationnel se voyant contesté par la réponse néo-rationaliste de
l'Ecole de Francfort, qui dénonce la captation de ce pouvoir par le capital.

4 Les discours de la production

Le thème du génie qui, à côté de Dieu, a un pouvoir créateur, introduit dès le XVIII° (Godin, 2007), va
s’étendre et mettre en débat la question de la création artistique. En opposition à Kant et au culte de la raison,
le courant minoritaire du romantisme développe un discours sur le monde du goût et de l’art centré sur la
sensibilité et sur le rôle exceptionnel de l’artiste. La conceptualisation du Beau comme produit de la Création
se développera chez Goethe et Hugo puis chez Nietzsche, et, par la suite, du fait d’importantes mutations
dans le monde de l’art et de la culture, chez des auteurs qui, comme ceux de l’Ecole de Francfort, relieront
systématiquement conditions de la production capitaliste et monde de l’art et du goût. Avant que le goût ne se
fonde sur le jugement du public, donnant ainsi le rôle majeur à la demande, ses objets doivent être produits,
ce qui fait intervenir le génie particulier du créateur ou la logique de la production de valeur, donc l’offre.

4.1 le goût comme résultat de l’activité créatrice


A l'apollinien, c'est-à-dire à l’ordonné et au rationnel, censé être le propre du génie occidental, tel que Rome
l'aurait développé et légué à l'Occident, Nietzsche oppose la sensibilité contraire, celle du dionysiaque, de
l’esthète, propre à la culture grecque et partagée par l'Orient, caractérisée par l’instabilité, le sensuel,
l’inspiration. Et, pour lui, sous la raison se tiennent les passions puisque la raison n’est que la tentative de
donner un sens au désordre et au chaos. Le culte du créateur en découle puisque ce dernier est la source du
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mouvement, le représentant de la domination de la raison par la passion. Il est singulier en créant ses propres
valeurs et références dans un monde dans lequel « l’art a plus de valeur que la vérité ».
La mort de Dieu, dont l'homme avait construit la figure et dont il se débarrasse, ouvre à ce dernier la
voie de la liberté et met l'artiste créateur, celui qui introduit la nouveauté, qui transgresse les règles, à la place
du Dieu créateur. L'art manifeste l'être parce que la compréhension du monde, limitée quand on recourt à la
seule pensée conceptuelle et rationnelle, suppose une appréhension intuitive, sensuelle et esthétique. Et l’art
est le moyen de subvertir le processus de rationalisation et de banalisation de la vie quotidienne. Nietzsche
critique donc le goût bourgeois, le 'bon goût', avec l'aphorisme "Le mauvais goût a son droit autant que le
bon goût ». Il justifie philosophiquement le tournant romantique et engage l’art dans la voie qui sera
désormais dominante, celle d’une critique sociale, d’une révélation de ce que les discours rationalisateurs
occultent. L’art produit, comme la science, de la vérité, mais une vérité inaccessible à la méthode
scientifique, une vérité du domaine de l’esthétique et non de la raison, du domaine de Dionysos et non
d’Apollon. C’est ce que reprendront, en insistant sur le rôle de la sensibilité et des émotions, des auteurs
comme Bergson ou Merleau-Ponty, dont les analyses ne sont pas sans intérêt pour définir le goût
contemporain en ‘ouvrant’ le rationalisme kantien (Becq, 1994).

4.2 Le goût incarné dans les marchandises


Walter Benjamin (1936) et l’École de Francfort ont été les premiers à interpréter les changements
fondamentaux qui sont intervenus dans le champ culturel dans la première moitié du XX° siècle (notamment
dans les domaines de la photographie, de l'imprimerie et de la presse, du cinéma, de la radio, de la musique,
de l'architecture) comme la naissance d'une culture de masse adaptée à une société de masse. Les masses,
jusque là écartées des champs politiques et sociaux, soumises au gouvernement des élites, font irruption dans
le champ social (avec notamment le syndicalisme), dans le champ politique (comme le manifesteront les
grands mouvements de masse du XX° siècle que furent le communisme, le fascisme ou les mouvements de
libération nationale) mais aussi dans celui de la consommation, y compris de culture.
Les théoriciens de l'Ecole de Francfort veulent appréhender l'art et la culture de leur époque en
analysant les rapports sociaux dans lesquels ils s'organisent, en liaison avec l'état des forces productives qui
les caractérisent. L'art n'est donc pas -seulement ou principalement - le produit individuel d'un artiste mais le
produit social des conditions socio-économiques d'une époque. Benjamin met alors en évidence la
transformation qui intervient, dans le second quart du XX° siècle, dans les conditions de la reproduction des
oeuvres d’art, puis, dans un second temps, Benjamin, Adorno et Horkheimer en déduisent les changements
qui marquent les modalités d'organisation de l’art et de la culture en général.
L'oeuvre d'art est rapidement devenue reproductible et cette reproductibilité a évolué, notamment
avec l'apparition de l’imprimerie et de la lithographie, puis de la photographie, du cinéma, et, fait encore
inconnu de Benjamin, aujourd'hui avec la numérisation. La reproduction technique ou mécanisée de l'oeuvre
d'art permet de "standardiser l'unique", à la différence de la reproduction manuelle et constitue une nouveauté
essentielle en devenant reproduction de masse. Ce changement quantitatif se transforme en changement
qualitatif, en faisant de la reproduction le but principal de la création même de l'oeuvre d'art (alors que,
précédemment, elle n'en était qu'un élément secondaire). Benjamin étudie alors l'effet de ce changement sur
le statut social et économique de l'oeuvre d'art, en particulier sur le statut de la valeur de l'oeuvre d'art.
S'inspirant du cas de Andy Warhol - qui réalisa lors du second semestre 1962 environ deux mille tableaux
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soit plus de trois cents par mois (Boulbina, in Benjamin, 1939, p. 62) - il en déduit - sans doute bien
rapidement - que l'inspiration de l'artiste disparait. A côté de l'éventuel marché résiduel des originaux, le
marché essentiel devient celui des reproductions, des répliques, domaine de la multiplicité et non plus de
l'unicité, de la contemporanéité et non plus de l'ancienneté. L’oeuvre devient ‘abordable’ et entre dans la
sphère de la communication et de la consommation de masse. Des milliards d'individus connaissent la
Joconde de Léonard de Vinci (ç-à-d en ont vu une reproduction), indépendamment de sa place dans l'histoire
de la peinture, alors que lorsqu'elle était propriété de François Ier, vraisemblablement quelques centaines de
personnes seulement avaient pu voir le tableau.
L'industrialisation a permis de développer et de vendre moins cher des produits culturels pour mettre
à disposition de chacun des biens de consommation jusque là réservés à des groupes sociaux limités (la
‘révolution’ du livre de poche est significative de ce processus) puis de produire en masse des biens matériels
culturels nouveaux et différenciés, transformant souvent des services culturels marchands en biens
reproductibles en grande série (l'écoute de musique passe, de façon dominante, de la présence à des concerts
à public limité, à l'achat de disques puis de fichiers dématérialisés). La globalisation a accru la dimension des
débouchés potentiels des industries de contenu, comme en attestent les chiffres de vente d'albums des stars
de la pop-music ou des écrivains à succès. La culture peut alors entrer dans l'ère de la marchandise, être
produite en masse pour être diffusée et consommée en masse, selon un schéma industrialiste jadis
caractéristique des seuls biens industriels (production avec des équipements, supposant des investissements
financiers élevés et permettant des économies d'échelle, ...).
La marchandisation de la culture développe ainsi des industries culturelles, que nous pouvons
considérer aujourd’hui comme des industries du goût, et qui, depuis, ont été rejointes par d’autres industries
du goût, comme celles de la mode ou des accessoires. Elles produisent en masse des caractéristiques et biens
de goût. S’est ainsi formé un nouvel ensemble extrêmement vaste qui offre des biens et services porteurs
d’utilités immatérielles, que celles-ci constituent la base essentielle de leur valeur ou qu’elles s’ajoutent à des
utilités matérielles.
La culture est prise comme nouveau champ d’investissement de capital à une époque où sa
suraccumulation entraine des problèmes de rentabilité dans ses sphères traditionnelles d’investissement. Une
nouvelle conception du goût peut alors se fonder sur l’idée que le goût réside aujourd’hui, pour l’essentiel,
dans les marchandises, soit qu’il s’agisse de biens de goût soit que les marchandises intègrent des
caractéristiques de goût, et que celles-ci sont produites, non par des petits producteurs marchands mais par
des firmes authentiquement capitalistes, c'est-à-dire attentives en premier lieu à la rentabilité du capital
investi.
Le goût ne s’inscrit pas seulement dans des biens marchands ou des services marchands mais aussi
dans des activités, des pratiques qui étaient traditionnellement (et restent parfois encore) extérieures à la
consommation marchande : faire du sport, se promener en forêt, marcher, courir, ... Cependant, la plupart de
ces activités passent aujourd’hui par des formes et un accès marchand, le capital, à la recherche
d’opportunités de rentabilité cherchant à transformer ces activités en activités marchandes où investir et donc
en activités capitalistiques, voire à élargir le champ de ces activités ou des produits associés (on produit de
nouveaux sports, de nouveaux types de spectacles, comme l’on produit de nouvelles saveurs de yaourts ou de
nouvelles senteurs de parfums). La marchandisation et l’industrialisation des goûts découlent eux aussi de la
marchandisation de la culture. Puisque le goût est de plus en plus incarné dans des marchandises, le rapport
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des individus au goût passe désormais par leur rapport à des biens et services marchands, et se noue sur le
marché.
De plus l’idée d’industrialisation du goût permet d’intégrer tous les types de goûts et de sens. Au lieu
de partir, comme Kant, de deux domaines a priori, celui du beau et de l’art, celui de l’agréable et des sens
vulgaires, l’on part du but, la production de profit, et celle-ci intègre toutes les occasions de profit, donc tout
ce qui peut engendrer une demande de masse. L’on comprend même comment les caractéristiques de goût
vont rechercher à jouer plutôt sur l’agréable que sur le beau, ou à faire du beau une composante de
l’agréable, afin d’attirer les consommateurs.
Le nouveau statut du goût modifie profondément la relation kantienne entre l'objet et le sujet, donc
les conditions du jugement de goût. Alors que Kant imaginait une relation directe objet - sujet, les catégories
de l'entendement étant intériorisées dans le sujet comme données universelles, caractéristiques de l'esprit
humain, l'approche critique de l'école de Francfort fait intervenir une médiation institutionnelle entre objet et
sujet, exercée, dans un but déterminé (rentabiliser le capital), par des appareils et dispositifs spécifiques,
comme le marketing (Cochoy, 1999), la publicité, ou les médias. Ce faisant les intermédiaires tendent à
spécifier les catégories, censées être universelles, de Kant, pour, à la façon de Bourdieu, les transformer en
habitus aptes à la soumission et, éventuellement, socialement différenciés.
Une telle analyse préfigure les études contemporaines qui portent sur l'existence d'appareils sociaux
de jugement contribuant à la formation des jugements individuels de goût : la critique littéraire ou
cinématographique, la critique de mode, la critique gastronomique, les forums internet, les médias, les clubs
d'amateurs, les conseillers en goût, sans compter les prescripteurs, amateurs ou professionnels, de goût, et
l'ensemble des dispositifs qui mettent en scène les caractéristiques de goût, des défilés de haute couture aux
salons de l'automobile ou aux musées. Les goûts, loin d’être à l’origine du processus de constitution de la
valeur, sont eux-mêmes produits par le jeu de ces institutions et les stratégies de valorisation du capital qui
sont au coeur.
L’approche de l’Ecole de Francfort peut s’enrichir des nombreuses réflexions de Gramsci relatives
au rôle nouveau de la culture dans le capitalisme moderne et, notamment, au rôle nouveau de l’entreprise
comme centre de production idéologique. Appliqué aux goûts l’on aurait là une possible explication de l’effet
macro-social de la production par des acteurs privés autonomes de nouveaux types de marchandises,
incorporant une dimension culturelle, entrainant indirectement une hégémonie (au sens gramscien) du capital
sur les goûts. Ceux-ci, au lieu d’être influencés par des méta-valeurs issues de l’idéologie du bien commun et
de la solidarité nationale, découlent des méta-valeurs véhiculées par l’entreprise capitaliste (l’initiative
individuelle, l’efficacité, la rémunération du mérite et du talent individuel, …).
On peut également mobiliser les résultats des analyses de Fernand Braudel (1985) et Maurice Dobb
(1969) pour comprendre l’importance de la dynamique relevée par l’Ecole de Francfort et, parallèlement,
relativiser la portée des constructions en termes de capitalisme esthétique, hédonique ou artiste (Clouscard,
1981 ; Lipovetsky, 2004 ; Charles, 2005 ; Lipovetsky et Serroy, 2013 ; Maffesoli, 1988, 1990 ; Assouly ,2008
; Boltanski et Chiapello, 1999). Braudel montre que le développement économique en Occident concerne
trois niveaux d’activité : la vie matérielle, marquée par l’importance des activités non marchandes (auto-
production et auto-consommation, travail domestique, …) ; l’économie de marché, marquée par l’échange
marchand, le calcul des coûts et la recherche de leur couverture ; l’économie capitaliste, dans laquelle règne
l’accumulation et la mise en valeur du capital sous toutes ses formes, commerciales, financières,
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industrielles, … et qui se situe ‘au sommet’, à la fois parce qu’elle dégage les profits les plus importants et
parce qu’elle se nourrit des deux ‘étages’ précédents (op. cit., p. 116-117). Les activités capitalistes ont
toujours monopolisé les domaines offrant les plus fortes rentabilités, ce qui explique leur dynamique
incomparable ; le commerce au loin, celui des épices et des produits de luxe, à partir du XIII° siècle, avec
l’hégémonie de Venise, puis celui de l’argent et du crédit.
Là encore, la soumission du champ de la culture au capital mise en avant par l’Ecole de Francfort ne
serait pas seulement l’ouverture d’un nouveau domaine pour l’investissement capitaliste par la création de
nouveaux marchés ; elle permettrait surtout l’entrée du capital dans une zone à forte rentabilité potentielle
car largement déconnectée de la régulation que la concurrence des producteurs peut exercer sur les normes
de coût. Comme au Moyen Age le commerce (et désormais la production) de biens de luxe est un des lieux
stratégiques offrant une rentabilité exceptionnelle (il suffit de penser à l’industrie du parfum ou aux
accessoires proposés par les maisons de luxe). Il en est de même pour les biens culturels, qui échappent aux
processus de production industriels classiques (en particulier dans les nouvelles industries de la
communication) ou s’émancipent de leurs contraintes concurrentielles par le monopole des marques.
Le développement de la consommation de masse n’a rien d’une hypertrophie de la consommation
mais correspond d’abord à l’envahissement par la logique capitaliste et ses acteurs de domaines jusque là
couverts par une autoproduction non marchande ou une économie de marché fonctionnant sur la base de
rapports marchands et non capitalistes. Envahissement qui permet évidemment un développement de ces
secteurs du fait de la logique d’accumulation (avec la concurrence et le développement technologique qui en
résulte) qui les gouverne alors. L’extension de cette logique au champ culturel correspond de la même façon
à la substitution d’une production et d’une accumulation capitalistes aux formes non-capitalistes qui
existaient jusque là, avec l’extension qui en résulte. Ainsi, les industries du goût, proposant des produits dont
les caractéristiques essentielles sont des caractéristiques de goût, pénètrent non seulement dans l’étage
capitaliste de Braudel mais y annexent les domaines traditionnels du goût qui participaient essentiellement
des deux étages précédents, la vie matérielle et l’économie de marché. L’extension des industries du goût,
ouvre ainsi de nouveaux horizons au capitalisme le plus avancé.
Enfin, l’on peut relier la spécificité du discours de l’Ecole de Francfort à des étapes successives dans
le développement de l’esthétique sociale définie par Simmel (1903, 1907). Les discours de la Beauté et du
Bien se rapportaient à des époques dans lesquelles l’esthétique sociale concernait essentiellement la relation
des hommes (ou plus précisément de la communauté des hommes) à la nature, à son imitation ou à son
dépassement dans l’art, ou à Dieu. Le discours du beau a évolué en discours sur les belles manières quand la
sensibilité sociale a concerné les relations inter-individuelles dans des sociétés de Cour ou du paraître. La
construction de l’Ecole de Francfort correspond à une époque où la sensibilité sociale s’étend au monde des
marchandises, à la fois pour elles-mêmes (des ‘marchandises sensuelles’) et pour leur signification sociale,
parce que les relations inter-personnelles passent aussi par le filtre des détentions et consommations de biens
et services marchands. Cela conduit à l’apparition, aujourd’hui, sur la scène publique de ces marchandises
sensuelles, comme le relèvent les analystes de l’esthétisation du monde contemporain.

5 Les enjeux de la définition du goût


L’approche kantienne nous permet de concevoir le goût comme une relation entre un objet (un bien, un
service, marchands ou non marchands) et un sujet (un individu, un groupe, une société) : le goût est le
17
jugement émis par un sujet sur les caractéristiques de l’objet lui apportant (ou non) des aménités. Ces
aménités sont du domaine du plaisir mais ce plaisir peut être de divers types et ne se réduit pas à l’hédonisme
au sens restreint du terme. Il peut être intellectuel (lire un bon roman), sensuel (manger un bon plat, regarder
un beau tableau, …), ou encore émotionnel (visiter un pays étranger, partager un repas, …), voire éthique
(réussir à manger bio, dialoguer avec des autochtones, …).
L'approche kantienne du goût, indépassable en tant qu'elle définit le goût comme relation sujet - objet, est
néanmoins susceptible d'être enrichie pour permettre l'analyse du goût contemporain :

• nous ne pouvons plus suivre Kant quand il réduit la demande liée au goût de réflexion à une demande de
« beauté » dès lors que la demande d’art ne se réfère elle-même plus à la beauté. L’art contemporain a
radicalement dépassé l’idée que l’art se définit par la production du beau, mouvement corrélatif du
dépassement de l'objectivisme de la beauté, de la prise en compte de la subjectivité dans la relation objet
- sujet, prise dans son double sens de relation de l'objet artistique au sujet-spectateur et aussi de relation
de l’objet artistique au sujet-créateur. La conception kantienne du goût en déplaçant l’accent de la nature
vers l’homme, et en interprétant le subjectivisme du XVIII° siècle, non comme un effet d’irrationalité
mais comme la prise en compte de l’intervention rationnelle de l’homme dans le rapport entre objet et
sujet, justifie la prétention ultérieure des artistes à devenir l’élément actif de l’art au lieu d’être seulement
des serviteurs de la représentation de la nature. Elle permet par conséquent d’intégrer cette évolution de
l’art qui a pour condition l’action sur la relation elle-même, en même temps qu’elle tend à contredire la
recherche d’un critère universel du beau puisque les contextes joueront sur l’évaluation des oeuvres et
que leur choix s’inscrira dans des stratégies, notamment de valorisation des capitaux engagés dans le
champ artistique. Les conventions artistiques, comme le soulignent Y. Michaud (2011) et Heinich,
Schaeffer et Talon-Hugon (2014) peuvent dès lors valoriser des caractéristiques esthétiques ou
sémiotiques très diverses (l’originalité, l’expressivité, …).

• la conception kantienne des sens et du goût s’est en partie constituée contre celle que développaient, à
partir de la dernière moitié du XVII°, les empiristes britanniques qui insistaient sur le rôle des sens. Kant,
au contraire, veut ‘rationaliser’ le goût, le dissocier autant que possible des sens pour le mettre sous le
contrôle de la raison, et, de ce fait, hiérarchise les sens en dévalorisant ceux qui sont les plus ‘physiques’
ou ‘physiologiques’ au bénéfice de ceux qui sont les plus ‘intellectuels’, les plus liés à l’entendement.
Nous ne pouvons, dès lors que nous voulons éclairer les caractéristiques de goût contemporaines,
reprendre la distinction kantienne entre goût intellectuel pour la beauté et goût sensuel de l’agréable,
avec la dévalorisation de ce dernier qu’elle implique. On ne peut plus laisser le goût de l’agréable à la
seule subjectivité et à l’immédiateté et donc finalement sans explication dès lors que la demande de
caractéristiques de goût portera de plus en plus sur des caractéristiques relevant de l’agréable, au sens
large, et non de la beauté, au sens étroit. Le goût de l’agréable est désormais analysé, lui aussi, comme
impliquant un jugement complexe. Aucun spécialiste de la gastronomie ou de l’oenologie, aucun
gourmet ne pense plus que l’appréciation d’un plat ou d’un vin est une chose simple et immédiate ne
faisant appel qu’à une sensation brute. L’appel aux catégories de l’entendement pour organiser et classer
les informations transmises par les sens, leur mise en relation avec la mémoire d’expériences passées et
l’apprentissage qu’elles induisent, leur lien à la culture d’une société mais aussi à l’histoire et au
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patrimoine de l’individu sont des éléments essentiels du jugement sur l’agréable. De plus l'agréable
s'inscrit dans des activités, des pratiques et des institutions, souvent marchandes et capitalistes, mettant
en jeu des intérêts matériels bien déterminés, et liant ainsi étroitement subjectivité et objectivité. Il
convient donc de réunifier goût esthétique et goût pour l'agréable. On peut alors s'intéresser à la
connaissance du beau, comme l'esthétique traditionnelle, mais aussi à la connaissance des saveurs ou des
odeurs, des couleurs ou des textures, des sons ou des chants des oiseaux. En outre, dans les
caractéristiques de goût, le mélange entre éléments liés à la beauté et éléments liés à l’agréable, est de
règle - en particulier dans les biens de luxe - et empêche par conséquent de séparer un domaine de la
beauté et un domaine de l’agréable.

• l’intégration de la dimension hédonique découle aussi du nouveau rapport au corps qu'établit


progressivement la modernité en Occident et qui s'oppose complètement au statut que des siècles de
Moyen Age avaient imposé. Il remet frontalement en cause la conception de la sexualité véhiculée par le
christianisme médiéval, conception qui faisait converger vers le sexe le mépris du corps et le refus du
plaisir au nom de la recherche du Salut. La révolution sexuelle introduite par la modernité bouleverse
alors le statut du plaisir dans la société avec de multiples conséquences, notamment sur la
consommation. Elle affirme le primat du plaisir et la volonté de dépasser le domaine de la nécessité pour
atteindre celui du plaisir. Le goût s'émancipe alors de ses entraves passées. Il s'est, dans un premier
temps, émancipé du beau qui le dissimulait en le transformant en enregistrement de la beauté objective
des choses ; ce que Kant va théoriser. Il s'est, dans un second temps, émancipé de l’intégrisme de la
dissimulation du plaisir, réduit à une activité sensible encore proche de l'animalité, au profit du goût
noble, le goût esthétique et intellectuel. Il inclut aujourd’hui les goûts sensuels, ce qui conduit à dépasser
l'approche kantienne mais sans rejeter l'approche en elle-même parce qu'il s'agit d'une approche
rationnelle du goût, capable de s'auto-critiquer et de s'auto-dépasser.

• les caractéristiques de goût incluent également aujourd’hui des éléments appartenant au registre de
l’éthique, faisant référence à des valeurs. Celles-ci peuvent concerner le domaine de l’esthétique (ainsi
des valeurs d’originalité ou de créativité qui se substituent, à un moment donné, aux valeurs d’habileté
technique). Elles peuvent également concerner le domaine de l’éthique, comme les valeurs de
convivialité qui expliqueront, par exemple, les goûts des Français en matière d’organisation de
l’alimentation. De même les consommateurs contemporains font-ils intervenir des préoccupations liées
au caractère économe en énergie des consommations, à leurs effets écologiques, au caractère équitable
des relations d’approvisionnement entre distributeurs et producteurs, à l’origine géographique des
produits et à leurs aspects identitaires, etc…

• l’universalisme du goût intellectuel de Kant et son hypothèse de désintéressement rencontrent la critique


bourdieusienne et post-bourdieusienne qui font du goût un lieu de distinction et rompent donc l’accord
de tous autour des mêmes valeurs. Alors que Kant règle la question du sens commun en affirmant que,
dans le goût intellectuel, chaque sujet tend à se mettre en même temps à la place d’un autre, Bourdieu
nous affirme que, précisément, chacun cherche à se distinguer de l’autre et non à s’identifier à lui de
sorte que l’universel est au mieux fractionné en plusieurs et différents universels de goûts. La
communicabilité, selon le terme de Ricoeur (1985), censée être recherchée par tous les êtres humains
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pour Kant, est refusée, selon Bourdieu, par ceux qui ne veulent pas s’inscrire dans un commun partagé
par tous mais au contraire s’en échapper pour affirmer leur supériorité. La prise en compte du rapport
sensible de l'individu au monde, et notamment des émotions qu'il véhicule, conduit aussi à ré-interroger
le désintéressement kantien. Les jugements de goût concernent des caractéristiques de goût généralement
insérées dans des marchandises, produites et consommées en masse, dans des rapports marchands et
capitalistes, et sont donc loin de s’opérer dans des contextes de « simple contemplation ».

Ces observations nous conduisent à garder de Kant l’élément fondamental de définition du goût comme
relation sujet-objet tout en élargissant son approche pour faire du sujet non plus un être abstrait mais un
individu socialisé ou un groupe, à la recherche de satisfactions esthétiques, hédoniques et éthiques, porteurs
d’intérêts, matériels et symboliques, déterminés, dans le contexte de rapports marchands et capitalistes.

Une dernière hypothèse mérite d’être envisagée. Kant et Nietzsche s’inscrivaient dans une épistémè de
l’homme. Nous avons été amenés à relier l’homme kantien à sa socialisation par des rapports non
marchands, marchands et capitalistes. La logique de la production de goût devient de plus en plus celle de
l’accumulation et de la rentabilité du capital. En rendre compte demande peut-être de changer d’épistémè, de
dépasser celle de l’homme vers une épistémè de la logique systémique. Est-ce encore, comme le pensaient
Kant et Nietzsche, la volonté humaine qui s’impose au monde, l’homme qui produit et juge du goût ? Ne
serait-ce pas plutôt la dynamique endogène d’une logique systémique, celle de l’accumulation et de la
rentabilité du capital, capable de transformer les hommes, de définir les goûts, de discipliner les
consommations (Barrère, 2016) ?
Michel Foucault écrivait : « L’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément
la date récente. Et peut-être la fin prochaine. Si ces dispositions venaient à disparaître comme elles sont
apparues (...) alors on peut bien parier que l’homme s’effacerait, comme à la limite de la mer un visage de
sable » (Foucault, 1966, p. 398). N’est-il pas précisément en train de s’effacer à la frontière du capital ?

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