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Linx

Revue des linguistes de l’université Paris X Nanterre

58 | 2008
Aspects de comme
Marianne Desmets, Antoine Gautier et Thomas Verjans (dir.)

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/linx/316
DOI : 10.4000/linx.316
ISSN : 2118-9692

Éditeur
Presses universitaires de Paris Nanterre

Édition imprimée
Date de publication : 1 juin 2008
ISSN : 0246-8743

Référence électronique
Marianne Desmets, Antoine Gautier et Thomas Verjans (dir.), Linx, 58 | 2008, « Aspects de comme » [En
ligne], mis en ligne le 07 juillet 2011, consulté le 02 octobre 2020. URL : http://
journals.openedition.org/linx/316 ; DOI : https://doi.org/10.4000/linx.316

Ce document a été généré automatiquement le 2 octobre 2020.

Département de Sciences du langage, Université Paris Ouest


1

SOMMAIRE

Présentation : Aspects de comme


Marianne Desmets, Antoine Gautier et Thomas Verjans

I. Synchronie

Le mot comme : problèmes et perspectives en synchronie


Antoine Gautier

L’emploi exclamatif de comme, proforme qu- de manière


Estelle Moline

Ellipses dans les constructions comparatives en comme


Marianne Desmets

Analogie et coordination en comme


François Mouret et Marianne Desmets

« Comme » devant l’attribut de l’objet : une approche constructionnelle


Els Tobback et Bart Defrancq

L’interprétation des segments comme N : invariants sémantiques et facteurs contextuels


Antoine Gautier et Mélanie Morinière

II. Diachronie

Comme en diachronie : bilan


Mélanie Morinière et Thomas Verjans

Évolution des emplois du segment comme N en diachronie


Mélanie Morinière

Incidences et valeur prépositionnelle de com(e) suivi d’un adjectif qualificatif en français


médiéval
Thierry Ponchon

Un adverbe disparu : cumfaitement


Thomas Verjans

Compte rendu

n° 6 de la revue Corpus de l’UMR 6039, 2007, Interprétation, contextes, codage, sous la


direction de B. Pincemin
Denise Malrieu

Linx, 58 | 2008
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Présentation : Aspects de comme


Marianne Desmets, Antoine Gautier et Thomas Verjans

1 Ce numéro, intitulé « Aspects de comme », est issu de travaux menés dans le cadre du
projet Gram-M1. L’objectif initial de ce groupe de recherche fut double. Ce fut, d’une
part, d’établir un état des connaissances sur comme afin d’obtenir une vue globale de ce
terme si labile, en confrontant à la fois différentes études descriptives existantes, et en
produisant un certain nombre d’études originales visant à éclairer des aspects moins
bien repérés dans la littérature. D’autre part, l’originalité du projet fut de réunir des
chercheurs provenant de plusieurs horizons théoriques ; la confrontation critique des
modèles convoqués (grammaire syntagmatique, approche constructionnelle,
psychomécanique du langage) permettant de saisir en quoi leur exploitation permettait
de rendre compte des multiples aspects du mot comme, de situer celui-ci dans
l’ensemble plus vaste des systèmes auxquels il appartient, tant du point de vue interne
que du point de vue externe.
2 Le présent recueil se veut ainsi complémentaire des études contemporaines 2 qui visent
à recenser les différents types d’emploi assumés par comme. Dans la perspective
d’appréhender un large spectre du fonctionnement de ce terme, nous avons regroupé
les travaux en deux ensembles, selon que la perspective des contributions est
synchronique ou diachronique, chacun des deux ensembles étant ouvert par une
synthèse générale constituant un état des lieux des principaux travaux menés sur la
question. En outre, nous avons délibérément choisi des contributions d’arrière-plans
théoriques variés, et qui portent un intérêt tout particulier à comme en regard des
relations systématiques qu’il entretient non seulement entre ses différents emplois,
dont l’emploi comparatif, que l’on peut à bon droit tenir pour prototypique, mais aussi
avec d’autres marqueurs, conjonctions ou proformes.
3 Dans la perspective synchronique, Antoine Gautier propose un parcours de l’ensemble
des travaux de façon à isoler les principaux problèmes suscités par comme, et tout
particulièrement le problème de son appartenance catégorielle et le problème de la
possibilité d’une description unifiée de ses valeurs d’emploi. La section consacrée aux
contributions diachroniques se fonde principalement sur une périodisation des emplois
de comme, et s’ouvre à une réflexion épistémologique sur les mérites et manques d’une
telle démarche.

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4 Dans la perspective synchronique, l’article d’Estelle Moline interroge d’abord l’emploi


exclamatif de comme au prisme de la réflexion menée sur les proformes indéfinies.
Partant de l’hypothèse que comme est, dans cet emploi, un adverbe de manière, l’article
met en évidence un ensemble de propriétés spécifiques qui distinguent comme des
autres proformes exclamatives. Marianne Desmets s’attache ensuite à la question de
l’ellipse dans les constructions comparatives en comme. Optant pour une approche
constructionnelle, elle isole ainsi les propriétés de ces séquences fragmentaires et
montre le caractère « trans-constructionnel » attaché à ce phénomène. François
Mouret, en collaboration avec Marianne Desmets, interroge la valeur coordonnante de
comme dans les suites SN comme SN en position sujet et avec accord du verbe au pluriel.
Ces auteurs montrent ainsi que, dans ces emplois, proches des comparatives d’analogie
mais s’en distinguant pragmatiquement et prosodiquement, comme doit être
recatégorisé en tant que conjonction de coordination. Les différentes analyses sont
présentées dans le cadre d’une grammaire syntagmatique. Els Tobback et Bart Defrancq
examinent, quant à eux, le cas de comme introduisant un attribut de l’objet. Choisissant
de recourir à une approche constructionnelle, ils mettent en évidence les propriétés
qui déterminent l’apparition du morphème dans ces configurations et qui en font une
structure marquée, par opposition à la structure non marquée sans comme, des facteurs
catégoriels et informationnels décidant de l’emploi de l’un ou de l’autre de ces deux
« allostructions ». Enfin, Antoine Gautier et Mélanie Morinière, qui s’inscrivent
également dans le cadre d’une approche de type constructionnelle, s’attachent à
l’interprétation des segments comme N, en isolant ce qui relève de l’invariant
sémantique et des propriétés micro-sémantiques de comme de ce qui tient aux facteurs
contextuels mis en jeu, les plus importants étant en l’occurrence la structuration
informationnelle de l’énoncé et la position du segment dans la phrase.
5 Les contributions diachroniques qui constituent la seconde partie de ce volume font
d’abord écho aux précédentes. Ainsi, Mélanie Morinière, prolongeant l’article en
collaboration avec A. Gautier, se concentre sur l’évolution des emplois du segment
comme N, en montrant d’abord que comme peut, dès l’ancien français, assumer le rôle
d’indicateur fonctionnel, mais que ce n’est que bien plus tardivement qu’il a pu être
employé dans des structures à renversement de l’orientation informationnelle, proche
en cela d’un circonstant de domaine. Enfin, elle parvient à dater du début du XXe siècle
l’apparition de l’emploi non paradigmatique de comme. Th. Ponchon, dans le cadre de la
psychomécanique du langage, s’intéresse à la valeur de com(e) en français médiéval
lorsqu’il est suivi d’un adjectif. Mettant en lumière la double incidence à laquelle
répond com(e) dans ce type d’emplois, il argumente ainsi en faveur d’une catégorisation
en préposition, emploi spécifique au français médiéval et qui tend à disparaître à l’aube
du siècle renaissant. Enfin, Thomas Verjans aborde les dérivations à partir de com(e), et
plus particulièrement le cas d’un adverbe relativement méconnu : cumfaitement. Celui-
ci, apparu dès la Chanson de Roland, entre en concurrence avec com(e) et comment,
particulièrement dans la série des emplois interrogatifs (interrogation directe et
indirecte). Il se donne pour premier objectif de proposer une description syntactico-
sémantique de cumfaitement, avant d’envisager plus précisément les rapports de
concurrence qu’il entretient avec com(e) et comment. Par ailleurs, le fait que ce terme ne
survive pas au-delà du XIIIe siècle permet d’aborder la question du changement
linguistique par le biais du phénomène des disparitions et, ce faisant, d’appréhender la
façon dont une disparition se corrèle aux relations systématiques.

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NOTES
1. Groupe de travail réunissant jeunes chercheurs et chercheurs confirmés, créé par A. Gautier et
Th. Verjans, affilié à l’équipe Sens, Texte, Informatique et Histoire (Paris-Sorbonne), et consacré à
l’étude des mots grammaticaux.
2. Notamment Flaux & Moline (2008).

AUTEURS
MARIANNE DESMETS
Université Paris-Ouest-UMR 7110-LLF & UMR 7114-MODYCO

ANTOINE GAUTIER
Université Paris-Sorbonne-EA 4089-STIH

THOMAS VERJANS
Université Paris-Sorbonne-EA 4089-STIH

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I. Synchronie

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Le mot comme : problèmes et


perspectives en synchronie
Antoine Gautier

1 Les éléments de synthèse qui suivent se proposent d’offrir une lecture globale des
derniers travaux sur le mot comme en soulignant les grandes problématiques qu’a
favorisées le récent regain d’intérêt pour ce morphème. Cet état de l’art se veut un
prolongement de la présentation de Flaux & Moline (2008), axé en priorité sur les
problèmes méthodologiques que soulève l’étude particulière du morphème comme.
2 On observera d’abord que les études sur comme adoptant une perspective
morphosyntaxique traditionnellese heurtent à un problème qui est d’abord
taxinomique : dans quelle(s) catégorie(s) grammaticale(s) faut-il classer ce mot ? Par
ailleurs, doit-on postuler que la pluralité des emplois de comme correspond aux facettes
d’une même entité lexicale (hypothèse polysémique) ou bien à des unités distinctes
(hypothèse homonymique) ? Et quels sont du reste les présupposés et les implications
de ces différentes hypothèses ? Ce sont là les problèmes que doivent résoudre les études
grammaticales et linguistiques du mot comme – quitte à ménager de nouvelles places
dans les nomenclatures.
3 D’une part, dans des travaux relevant essentiellement de la sémantique ou de la
stylistique, comme est souvent évoqué dans les champs onomasiologiques de la
manière, du degré et de la comparaison. L’un des attraits de ces approches est de dégager
la valeur de comme par opposition à celle de morphèmes sémantiquement voisins ou
concurrents formant système ; mais à leur tour les notions de manière, de degré et de
comparaison appellent un effort définitoire. D’autre part, un second ensemble de
contributions cherche explicitement à pallier l’un des défauts majeurs de l’approche
sémasiologique – qui est aussi son principal atout, à savoir l’adoption d’un simple
signifiant pour point de départ. Ces travaux s’attachent à distinguer les propriétés qui
sont attribuables au seul morphème, c’est-à-dire à un élément objectivé et isolé de tout
contexte, et celles qui ne le sont pas, étant au contraire liées à ce qu’on peut appeler
des « effets contextuels ». Cela peut en particulier conduire à l’identification de
constructions, dotées de propriétés non compositionnelles, par conséquent non
observables à partir du seul morphème comme.

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I. À quelle(s) catégorie(s) appartient comme ?


4 Les approches descriptives traditionnelles1 ont pour objectif de consigner dans une
nomenclature les différents éléments de la langue et non de discuter la constitution de
cette nomenclature. Pour un mot tel que comme, qui connaît comme on sait une large
variété d’emplois, on note d’importantes variations dans le classement que proposent
les grammaires, mais aussi quelques positions communes.
5 Ainsi, dans le corpus examiné, la plupart des auteurs reconnaissent un avatar
conjonctif de comme, porteur de trois valeurs majeures : comparative, temporelle et
causale. En confrontant ces trois valeurs, certains remarquent que la confusion
fréquente des deux dernières est sans doute liée à ce que l’effet de sens causal procède
de la valeur temporelle, qui note l’antériorité ou la simultanéité2. Sandfeld (1965 : 325)
reconnaît pour sa part qu’il « n’est pas toujours possible de faire nettement la
différence entre comme causal et comme temporel », et il réunit ces deux valeurs autour
d’un comme « primitivement […] comparatif », qui peut aussi marquer la simultanéité
(de même que quand et lorsque) et « la conformité de la cause avec l’effet » (à l’instar de
puisque). En comparant ainsi plusieurs morphèmes, Sandfeld note un fait de système
rarement souligné, à savoir que la valeur temporelle de comme remédie à l’impossibilité
pour quand de fonctionner avec l’imparfait sans se charger de facto d’une valeur
itérative (Ex. : *Quand il sortait, il se mit à pleuvoir).
6 Malgré tout, il n’existe qu’un consensus limité autour de comme conjonctif. L’édifice
semble même se démanteler de part et d’autre : non seulement la relation entre les
valeurs conjonctives n’est pas régulièrement pointée3 (il y aurait donc plusieurs
conjonctions), mais en outre la catégorie de comme pour chaque valeur ne fait pas
l’unanimité : ainsi pour Wagner & Pinchon (1993 : 451, 656), comme comparatif est selon
sa « portée » tantôt conjonction, tantôt adverbe. Lorsqu’il est question des segments
comparatifs non propositionnels introduits par comme, les points de désaccord sont
bien connus: ils touchent à l’alternative entre une interprétation par l’ellipse et le
postulat d’un comme préposition. Si Monneret & Rioul (1999) s’élèvent contre cette
dernière hypothèse, celle-ci est soutenue par Moignet (1981), Béchade (1996 : 296),
Wilmet (1997) et (quoique prudemment) par Riegel et al., (1994 : 515). Quant au Bon
Usage, des cas tels que « Je le prends comme témoin » contraignent ses auteurs à
délaisser le rasoir d’Occam pour le marteau du forgeron et à créer ex nihilo une classe
d’introducteurs4.
7 Cela dit, les études récentes proposent des tests formels convaincants, qui mettent en
évidence des propriétés prépositionnelles du mot comme dans quelques cas précis
(Pierrard, 2002) : (i) les constructions à attribut du complément d’objet (« Je considère
Paul comme fou. ») et (ii) les segments périphériques en comme N introduisant une
prédication seconde (« Tu prendras quoi/ du chocolat comme dessert ? »). Le principal
critère est que la reconstruction d’une configuration comparative est plus difficile à
partir de ces exemples qu’à partir des comparants non propositionnels 5 ; mais encore
faut-il prêter crédit au test de la reconstruction de séquences absentes en surface
(Desmets, 2001 : 144).
8 Autre point commun des ouvrages examinés (relevant ou non de la « tradition »), la
reconnaissance du comme adverbe exclamatif, qui ne soulève guère de problème dans
le cas de l’exclamation directe : « Comme c’est beau ! ». On sait pourtant en quels termes

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la classe grammaticale de l’adverbe a été décrite, ce qui a amené à distinguer une


fonction adverbiale non coextensive à la classe proprement dite 6 (Nølke, 1993 : 25).
Dans l’exclamation, le morphème est associé au haut degré par Riegel et al., à l’intensité
par Wagner & Pinchon ou Charaudeau (1992 : 369), lequel reprend l’idée culiolienne de
« comparaison non évaluable tant elle est extrême ». Comme est généralement analysé
dans ces cas-là comme un adverbe portant sur des procès ou des « qualités » (Arrivé
et al., 1986 : 263). Mais le consensus sur ces emplois s’effrite dès qu’on approche de
l’interrogation et de l’exclamation indirectes, comme étant alors donné pour équivalent
de combien ou comment, selon les cas.Ainsi Wagner & Pinchon (1993 : 441) voient dans
« Vous n’ignorez pas comme vont les choses » une persistance archaïque du « Comme
est-il mort ? » de Corneille (où comme équivaut bien à comment ), mais ils font
correspondre comme à combien dans un tour moderne qu’ils décrivent comme une
interrogation portant sur la manière : « Avez-vous vu comme il dort ? ». Le Bon Usage,
pour sa part, fait de comme un adverbe équivalent « littéraire » de comment dans
l’interrogation indirecte : « Vous verrez comme il faut que l’on gouverne » (Grevisse,
1993 : 1390, §940) mais reconnaît ailleurs l’exclamation indirecte dans « Regarde comme
il est sage » (Id. : 1681). Pour Sandfeld (1965 : 60), comment est limité, dans l’exclamation,
à l’expression de la manière, autrement dit-il caractérise la qualité « remarquable,
excellente, révoltante, blâmable, etc. » d’un procès, d’un état ou d’une qualité ; à
l’inverse, comme traduit principalement le degré, mais il peut aussi apparaître comme
un équivalent familier de comment : « Ça m’épate comme vous dirigez. » On peut tenter
d’expliquer la disparité de ces multiples analyses ; il ressort tout d’abord que l’objet de
la demande d’information ou de l’exclamation n’est pas toujours bien identifié dans les
phrases complexes à Interrogative ou Exclamative enchâssées. En outre, le sens très
ténu de comme lui confère une place ambiguë entre exclamation et interrogation (avec
circonspection, Riegel et al., 1994 : 404, en font mention). Seul Sandfeld semble tenir
compte de la porosité de la frontière entre les deux « modalités ». Il affirme ainsi
« qu’une proposition interrogative indirecte, introduite par un mot interrogatif
marquant le degré ou la quantité, s’emploie également comme exclamation » ;
cependant, cette analyse ne semblera pas valable au même degré pour « Si c’est
possible de rentrer à pareille heure ! » et « Ah mon frère, comme tu as raison et que
c’est vrai ! », que Sandfeld (1965 : 78) range pourtant dans la même catégorie. En tout
état de cause, l’analyse des interrogatives indirectes est grandement compliquée par
l’instabilité actuelle des mots comme, comment et combien, dont les recouvrements, les
concurrences et l’usure sont encore difficilement lisibles, étant en outre soumis à
d’importantes variations sociolectales.
9 Autre valeur du comme adverbe, l’emploi modalisateur7 est reconnu par la plupart des
auteurs8 mais il connaît des analyses très différentes sur le fond. Certains, à l’image de
Wagner & Pinchon, soulignent une valeur d’approximation ou parlent « d’adverbe
modificateur » (Riegel et al., 1994 : 515), mais d’autres le rattachent explicitement à la
comparaison (Charaudeau, 1992 : 369 ; Monneret & Rioul, 1999 : 267). Pour ces derniers,
le lien avec les emplois comparatifs s’établit en restituant le terme implicite d’une
relation d’analogie :
Il se tut encore quelques instants (pour une certaine raison), comme (s’il se taisait
parce qu’il était) désireux de plonger plus avant ou comme (s’il était) désireux…
(Monneret & Rioul, ibid.)

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10 Paradoxalement, le rattachement au système comparatif ne s’accompagne cette fois


d’aucune interrogation sur la catégorie grammaticale de comme : sa nature d’adverbe
n’est pas mise en doute.
11 Au-delà de ces emplois bien observés, on rencontre dans les grammaires quelques cas
moins communs. Arrivé et al. (1986 : 22), Monneret & Rioul (1999) et Béchade (1996)
recensent ainsi un comme de coordination (explicitement conjonctif ou non) ; si les
premiers s’appuient sur des critères de distribution et d’accord (« L’alcoolisme comme le
tabagisme sont des fléaux sociaux. », Arrivé et al., 1986 : 25), Monneret & Rioul (1999 :
261) n’évoquent la coordination qu’à demi mot, comme un effet secondaire de
« l’expression de la similitude, réduite au minimum ». Or, il semble qu’une approche
strictement syntaxique du phénomène soit préférable à une analyse fondée sur le degré
d’analogie de deux prédications, lequel n’est pas toujours facile à quantifier (voir la
contribution de Mouret & Desmets dans le présent numéro).
12 Comme on peut le constater, les cadres usuels de la morphosyntaxe semblent peu
préparés à intégrer de manière cohérente tous les emplois de comme. Moins assujettis à
cette vulgate grammaticale, Damourette & Pichon (1941-1943) proposent une approche
originale du morphème dont certains aspects seront repris sous la plume d’autres
linguistes travaillant la même matière (notamment Le Goffic). Selon leur analyse, les
emplois de comme sont répartis dans trois catégories : les chaînons à noyaux factifs
(§ 3122), les chaînons à noyaux non factifs (§ 3123 à 3127), et les emplois exclamatifs
(§ 3128). Les premiers et deuxièmes correspondent aux occurrences de comme
introduisant un segment subordonné, propositionnel ou non. Pour ces auteurs, c’est la
valeur « confrontante » (i.e. comparative) qui est primordiale. Dans les segments
propositionnels, où comme est de nature conjonctive, elle subsume les valeurs
comparative, temporelle et causale (ce qui est un avis assez partagé, on l’a vu). Dans les
chaînons à noyaux non factifs, Damourette & Pichon subsument sous la valeur
confrontante les tours échantillants (i.e. comparatifs elliptiques) et qualifiants,
considérés comme très proches, ainsi que les tours quasiceptifs. On note par ailleurs
que ces derniers reçoivent la même analyse chez Monneret & Rioul (1999). Étudié à
part, l’emploi exclamatif est dérivé d’anciennes constructions interrogatives directes
ou indirectes, considérées par les auteurs comme disparues : « Comme est-ce que chez
moi s’est introduit cet homme ? » (Molière, Ibid. : § 3128) ; « Il commença à lui raconter
comme il avoit entendu sa conversation… » (Mme de Lafayette, Ibid. : § 3128).

II. Approches sémasiologiques


13 N’hésitant pas à se défaire de l’appareil traditionnel de la morphosyntaxe, la tentative
de description unifiée du morphème comme menée par Damourette et Pichon a été
pionnière dans un domaine aujourd’hui plus fréquenté. Depuis lors, en effet, un certain
nombre d’études linguistiques ont été exclusivement consacrées à comme. Adoptant une
démarche sémasiologique, ces études avaient en commun le postulat d’un unique
morphème polysémique9 correspondant à la pluralité des emplois et d’effets de sens
rencontrés en discours.
14 C’est le cas chez Moignet (1981), qui, par le biais du concept de subduction (éso- et
exotérique), étend son analyse à un micro-système composé de comme et ses dérivés
étymologiques combien et comment. Il répartit l’ensemble des emplois du mot sur les

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catégories de l’adverbe non-prédicatif10et de la conjonction. La première rassemble


les emplois exclamatifs, comparatifs et interrogatifs, la seconde les emplois temporels
et causaux. Mais Moignet n’exclut pas, dans la première catégorie, que comme
comparatif ait des propriétés de relatif sans antécédent (« Il ment comme il respire »,
Ibid. : 198) voire de « quasi-préposition, du fait que la phrase qu’il introduit est très
aisément elliptique du verbe » (Ibid. : 198). La démarche critique de Le Goffic (1991,
1993, et passim) conduit elle aussi à une refonte de certaines catégories grammaticales,
et par conséquent à un réagencement des emplois de comme. Dès ses premiers travaux
touchant au problème, Le Goffic (1991) fonde son analyse sur l’hypothèse de la famille
des mots *kw-, dans laquelle celui-ci assigne à l’adverbe tous les emplois de comme ; il y
associe selon les cas le rôle de connecteur intégratif, qui lui confère le rôle de
subordonnant et souligne sa double fonction, dans la structure matrice et dans la
structure enchâssée :
Le terme connecteur est […] le pivot organisateur des deux structures de phrase. Il
est doté d’une fonction dans sa subordonnée […]. Mais il est aussi en rapport avec le
verbe principal : il a en fait une double portée (fondamentalement à l’identique),
sur les deux verbes […]. (Le Goffic, 1993 : 45)
15 Autour de cette valeur centrale sont distribuées la plupart des valeurs secondaires
(Le Goffic, 1993 : 394 sqq.) associées à des changements contextuels, syntaxiques et
sémantiques (ellipse, absence de déterminant du nom situé à droite de comme,etc.). La
ligne théorique demeure la même dans l’importante étude de Fuchs & Le Goffic (2005),
qui confère cette fois à comme la valeur fondamentale de marqueur d’identité,opérant
tantôt sur des « manières de faire » (modus faciendi), tantôt sur des « manières d’être »
(modus essendi). Le choix se porte ainsi sur une base sémantique abstraite dont dérivent
dix-neuf types de configurations syntaxico-sémantiques réparties en trois sous-
ensembles.
16 Certains travaux de Pierrard (1999b, 2002a, et passim) et de Léard (Léard & Pierrard,
2003) adoptent une même approche sémasiologique visant à produire une description
unifiée du morphème. Dans la continuité de Le Goffic (1991), Pierrard fait du morphème
comme une forme en QU- dont les emplois essentiels combinent les traits d’indéfinition et
d’identité. « Le partage du trait /INDÉFINI/ entre deux prédications, expliquent les
auteurs, représente le mécanisme de subordination, d’intégration » (Léard & Pierrard,
2003 : 207). Reprenant l’esprit du guillaumisme (mais non la lettre), les auteurs donnent
le primat au sémantique – sinon dans les faits, du moins dans l’analyse et la typologie.
17 Dans cette optique, les auteurs dégagent certaines valeurs prototypiques de comme,
délimitées par la superposition des traits d’indéfinition et d’identité 11 ; celles-ci sont
complétées par des emplois dits « périphériques », qui trahissent un affaiblissement
sémantique et ne relèvent, quant à eux, que de l’identité. Soucieux de ne pas objectiver à
l’excès (voir infra), les auteurs confrontent chaque valeur à des expressions
concurrentes dans un contexte donné, ce qui, notamment, fournit quelques éléments
d’une typologie en creux des différents emplois de comment.
18 Le problème de la catégorisation de comme prend ensuite une nouvelle dimension avec
la notion de proforme indéfinie, introduite par les mêmes auteurs afin de répondre à
deux questions essentielles :
Comment expliquer la large diffusion des termes indéfinis en qu- en connexion
interpropositionnelle […] ? Et comment concilier des emplois particuliers
disséminés dans de multiples tours avec une appréhension cohérente de leur rôle
dans le mécanisme de subordination ? (Pierrard, 2005 : 235)

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19 Ces proformes sont définies par un faisceau de traits assez réguliers (qui peuvent être
neutralisés selon les contextes) : au plan sémantico-référentiel, l’indéfinition affectant
les traits ± animé (que, qui), lieu (où), temps (quand), manière (comme, comment), etc. ; au
plan syntaxique, l’instauration d’un rapport de « dépendance par cosaturation »,
associé au marquage fonctionnel du rôle joué dans la prédication intégrée (fonction
proforme) (Pierrard, ibid. : 239).
20 Malgré ces propriétés qui l’intègrent de droit à l’ensemble des proformes, comme se
distingue de celles-ci par des aspects importants (Pierrard & Léard, 2004 : 270 et sqq.) :
en premier lieu, il refuse les emplois interrogatifs, étant remplacé à ce poste par
comment ; deuxièmement, son sémantisme ne différencie pas toujours la qualité et la
quantité ; enfin, il ne tolère pas la réduction propositionnelle (Muller, 1996) à la
proforme « nue » (ou sluicing) : « *je ne sais pas comme » vs. « je ne sais pas comment ».
21 De toute évidence, la catégorie proforme est d’une grande plasticité. C’est sans doute là,
du reste, que réside son principal intérêt : dans la déformabilité acquise par l’appareil
descriptif. En effet, l’ensemble des critères définissant la catégorie n’a pas à être
intégralement réalisé dans un objet particulier pour qu’il soit intégré à celle-ci. En
somme, les problèmes rencontrés par l’approche traditionnelle ont trouvé des amorces
de solutions dans l’hypothèse polysémique, qui a permis des descriptions unifiées du
morphème via un signifié fondamental associé au signifiant, ainsi que dans la classe des
proformes, qui a mis en lumière d’importantes parentés syntactico-sémantiques entre
des formes jusque là séparées (parenté confortée par l’étymologie, qui plus est).

III. Comme : comparaison et approches


constructionnelles
22 Il est difficile d’évoquer comme sans aborder plus généralement le système de la
comparaison (Rivara, 1990). Question très vaste, intéressant autant les sciences du
langage que les philosophes, elle ne sera considérée ici que sous son aspect proprement
linguistique. Comme processus sémantique, la comparaison pourrait se définir comme
le marquage « d’un rapport d’égalité ou d’inégalité d’une action ou d’un fait quelconque
avec une autre action ou un autre fait » (Sandfeld, 1965 : 424). Mais le caractère peu
approprié de la dyade égalité/inégalité fera préférer la définition de Muller (1996 : 89),
plus moderne, pour qui la comparaison consiste en une « confrontation de mesures » ;
ce procédé implique au moins deux quantités ou qualités entre lesquelles elle établit
une « commensuration ». Ainsi, c’est la dimension quantitative de la comparaison qui
semble avoir la primauté.
23 Pourtant le rapport privilégié de comme avec le degré soulève des contestations : pour
Sandfeld (1965 : 424), par exemple, comme sert d’abord à « désigner la conformité en ce
qui concerne la manière dont s’accomplit une action ou se présente un fait » (nous
soulignons). Dans leur étude comparative de comme et des tours corrélatifs en que,
Fournier & Fuchs (2007) semblent confirmer cette idée :
Analogues en tant qu’opérateurs de chevillage, les deux adverbes s’opposent par
leur sémantisme : que est à la base un marqueur de degré et comme est un marqueur
de modus ; ainsi la comparaison avec que est prototypiquement une comparaison
quantitative (par identification d’un degré indéterminé), et la comparaison avec
comme est prototypiquement qualitative (par identification d’un modus
indéterminé). (Fournier & Fuchs, Ibid. : 102)

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24 En outre, l’utilisation assez contrainte du premier s’oppose à la souplesse du second,


dont la portée variable est propice à de nombreux effets de sens conduisant jusqu’aux
limites de la comparaison. Cette souplesse d’emploi ressort tout autant si l’on considère
plus largement le système de la comparaison, ce que font Hadermann, Pierrard & Van
Raemdonck (2006), qui s’intéressent conjointement aux introducteurs de propositions
comparatives, les « marqueurs d’identité similative » ainsi que, comme, de même que, etc.
25 Plus spécifiquement, d’autres travaux s’attachent aux seules comparatives encomme,
avec l’objectif de rendre compte des régularités à la fois syntaxiques et sémantiques
correspondant à des « types » de constructions identifiés. En s’intéressant à
l’articulation des plans syntaxique et sémantique, Desmets (2001) montre comment le
sens de manière associé à comme, alors introducteur d’une relative adverbiale sans
antécédent12, produit l’effet de sens comparatif portant sur des qualités. En cherchant à
proposer une analyse unifiée du fonctionnement comparatif de comme, l’étude de
Desmets fait dériver les différentes valeurs interprétatives (manière, degré, qualia,
valeur de vérité, etc.) du type d’items confrontés par la comparaison : entités, procès,
propositions, etc. Prônant également une unification des comparatives en comme,
Moline (2006) s’élève contre la sous-spécification proposée par Leroy (2003, 2004), qui
suggère d’isoler le type des comparaisons à parangon, du type « sale comme un
peigne ». Pour Leroy, en effet, ces constructions ne sont comparatives qu’en apparence,
faisant usage d’un comparant stéréotypé pour signifier en réalité le haut degré. Pour
des motifs essentiellement méthodologiques, Moline (2006 : 19) s’inscrit en faux contre
une telle analyse et, afin de conserver une « description syntaxique unifiée des
comparatives en comme », elle choisit de faire passer au second plan l’effet de sens de
haut degré lié à certains comparants.
26 Bien que ce débat semble consacré à des aspects très particuliers de la comparaison, il
soulève la question difficile de la délimitation de l’objet en linguistique : faut-il limiter
la description aux propriétés inhérentes au mot ou au morphème (si tant est qu’on les
ait identifiées), ou bien faut-il au contraire proposer une typologie des macrostructures
dans lesquelles ce morphème apparaît ? Illustrant cette dernière approche, les travaux
de Lambrecht (1995, 2004), reprenant la suite de Fillmore & Kay, s’attachent à identifier
et à décrire des constructions grammaticales13 intégrant le morphème comme, c’est-à-
dire des
configuration[s] morphosyntaxique[s] et prosodique[s] dont la forme et
l’interprétation ne peuvent être entièrement expliquées à partir des autres
propriétés grammaticales du langage, et qui requièr[ent] donc une description
indépendante (Lambrecht, 1995 : 187, nous traduisons).
27 Le travail sur des structures de grande dimension nécessite de déborder le cadre
morphosyntaxique, aussi Lambrecht prend-il également en compte les propriétés
pragmatiques et informationnelles de son objet. Néanmoins, l’identification de telles
constructions ne présente un réel intérêt que si les effets de sens non-compositionnels
sont motivés, c’est-à-dire reliés à d’autres régularités de la langue. C’est ainsi que
Lambrecht s’attache à confronter les constructions du type « c’est joli, comme
endroit », à d’autres constructions fréquentes du français oral contemporain, qui
entrent en concurrence dans certains contextes précis. On voit ainsi se dessiner la
possibilité d’une systématique des unités de discours qui articule très clairement les
déterminations globales (contexte, macrostructures) et les phénomènes analysés
localement (microsyntaxe).

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Ouvertures
28 Les points abordés dans ces quelques pages n’ont pas l’ambition de constituer la
synthèse complète des études relative au morphème comme : la brève étude qui vient
d’être proposée ne vise qu’à poser un regard prospectif sur les problématisations à
venir.
29 En premier lieu, la question de la polysémie ou de l’homonymie de comme semble
devoir se résoudre à l’avantage de la première hypothèse, ce à quoi l’influence du
paradigme cognitiviste et, avant cela, celle de la psychomécanique du langage, ne sont
sans doute pas étrangères. Mais les théories mentalistes de comme 14 doivent proposer
une description plus précise du signifié fondamental de comme au sein du lexique
mental mais aussi une simulation du fonctionnement cognitif du morphème. Quoi qu’il
en soit, faute de données neurolinguistiques, cette question relève encore d’un parti
pris méthodologique et ne se résoudra sans doute pas par l’observation empirique des
faits linguistiques. Il reste que l’hypothèse polysémique apparaît en outre plus élégante
par son économie – et par le fait qu’elle masque partiellement (ou du moins qu’elle
retarde) la répartition des occurrences en classes artificielles.
30 Ensuite, le problème de la catégorie de comme ne sera sans doute pas tranché sans une
résistance des tenants de la nomenclature traditionnelle des parties du discours. Fort
heureusement, la possibilité d’une autre typologie demeure, une typologie ayant acquis
les propriétés de déformabilité nécessaires à la prise en compte d’objets complexes.
Mais acceptera-t-on de parler de mots plus ou moins conjonctifs ou prépositionnels ? Se
résignera-t-on aux comportements adverbiaux ? Rien n’est moins sûr. En somme, la
remarque très pertinente de Culioli peut paraître optimiste :
Pendant longtemps et de façon, au reste, inévitable, on a insisté sur les propriétés
classificatoires des phénomènes linguistiques. D’où un travail fondé sur des
étiquettes, des propriétés en tout ou rien, des identifications stables et prises dans
des hiérarchies rigides […]. Grâce à une solide division disciplinaire (phonétique ;
syntaxe ; sémantique ; pragmatique), on n’avait pas à aborder de front la question
de la complexité des phénomènes. (Culioli, 1990 : 128)
31 Pourtant, la plupart des études récentes du morphème comme semblent avoir pris acte
de ces nouvelles exigences, que ce soit par l’intermédiaire de classes aux contours flous
ou à travers la notion de proforme, dont les traits définitoires prototypiques relèvent
de niveaux d’analyse différents (syntaxe, sémantique). Mais il n’est pas exclu que cette
classification prenne pour objets les contextes où apparaissent les morphèmes, et non
les morphèmes eux-mêmes : la classification réductionniste des unités lexicales doit
être complétée par une typologie holiste des structures fondée sur la mise en évidences
de contraintes globales correspondant aux différents paliers de complexité (Rastier
2001).

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NOTES
1. L’ habitus des « grammaires traditionnelles » se compose d’un certain nombre de traits
réguliers : observation exclusive des réalisations écrites et littéraires de la langue, caractère
normatif, absence de cadre théorique de référence, travail descriptif et taxinomique ne
distinguant pas les niveaux d’analyse (Lerot apud Lauwers & Neveu, 2007 : 13).
2. C’est ce que défendent notamment certaines grammaires de notre corpus, telles Arrivé et al.
(1986 : 110) ou Gardes-Tamine (1998 : 52).
3. Grevisse (1993 : 1626 sqq., §1078-1079) distingue trois propositions adverbiales en comme sans
lien entre elles.
4. Défini comme un « mot invariable qui sert à introduire un mot, un syntagme, une phrase »
(Grevisse-Goosse 1993 : 1558 sqq., §1043-1044).
5. Comparer « Je l’ai aimée comme [aime] un fou » et « *Je le considère comme [je considère] (un)
fou ».
6. Chez G. Guillaume, les classes de parties de langue se définissent par la prévision de leur
mécanisme d’incidence. La distinction entre catégorie et fonction se trouve donc partiellement
revue : l’adverbe, en l’occurrence, se définit par son incidence externe du second degré,
autrement dit par le fait qu’il constitue un apport de sens à un autre apport de sens, par exemple
de l’adjectif au nom (un enfant très pâle) ou du verbe au nom sujet (il dort beaucoup) (Moignet
1981 : 50 sqq.). On peut voir dans cette incidence le trait fondamental de la fonction adverbiale.

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7. Opérant par exemple sur un attribut : « J’en suis resté comme abasourdi » (Riegel et al., 1994 :
515) ou sur un adjectif apposé : « Il se tut encore quelques instants, comme désireux de plonger
plus avant » (Monneret & Rioul, 1999 : 267).
8. Gardes Tamine (1998 : 76), Riegel et al. (1994 : 515), Monneret & Rioul (1999).
9. Mais Gardes-Tamine (1998 : 75) d’une part, et Desmets (2001 : 54) d’autre part, ont pu faire état
de comme homonymes.
10. C’est-à-dire d’adverbes dont le contenu sémantique est ténu et/ou abstrait : au contraire de
courageusement, qui est prédicatif, ainsi ou ailleurs ont des signifiés « dématérialisés » (Moignet,
1981 : 196).
11. Ce qui peut s’illustrer ainsi : Il ment comme il respire > « la manière (indéfinie) dont il ment est
identique à la manière (indéfinie) dont il respire. »
12. Autrement dit, une relative ayant pour antécédent non pas un nom mais une relation
prédicative. Cette analyse va dans le sens de Sandfeld (1965 : 428), Moignet (1981 : 198), Monneret
& Rioul, 1999 : 263). Mais aucun d’entre eux ne se résolvait à faire explicitement état de
« relative ».
13. Cf. la contribution de Tobback et Defrancq dans ce volume.
14. Entre autres Léard & Pierrard (2003) et Fuchs & Le Goffic (2005).

RÉSUMÉS
Cette contribution constitue une synthèse des principaux problèmes théoriques liés à l’étude du
morphème ’comme’. Dans un premier temps, nous nous interrogeons sur les réponses apportées
dans la littérature au problème de la classification du mot au sein des catégories
morphosyntaxiques traditionnelles, puis nous examinons les études ayant choisi de s’affranchir -
ou au moins de s’écarter - de ce problème en adoptant une lecture polysémique du morphème.
Enfin, nous rendons compte des travaux attachés à l’analogie, ou à la comparaison, qui inscrivent
le morphème dans des systèmes fonctionnels beaucoup plus vastes. Nous concluons en évoquant
quelques scénarios possibles de la recherche sur le morphème “comme”.

This paper summarizes current trends in the linguistic study of the french “comme” morpheme.
At first, we take a look at the strong categorization issue involved by “comme”, and then we
examine other ways to deal with this word, so as to avoid such syntactic categorization issue.
Lastly, we take a look at global studies on analogy or comparison, for which “comme” is a simple
way, amongst others, to express semantic relationships. We conclude the paper by sketching a
prospective scenario of future research about “comme”.

AUTEUR
ANTOINE GAUTIER
Paris IV – Sens, Texte, Histoire

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L’emploi exclamatif de comme,


proforme qu- de manière
Estelle Moline

Introduction
1 Cette étude est consacrée à quelques aspects de l’utilisation exclamative de la proforme
qu- de manière comme. Dans la première section, les emplois exclamatifs de comme
seront comparés à ceux des autres morphèmes exclamatifs qu-, à savoir que, combien, ce
que, qu’est-ce que, comment et quel, ce qui permettra d’en dégager les spécificités. Dans la
deuxième section, je replacerai comme dans le contexte plus général des proformes qu-,
qui apparaissent dans différentes constructions, parmi lesquelles les constructions
exclamatives. En effet, comme et comment constituent, dans certains de leurs emplois
tout au moins, deux réalisations de la proforme qu- de manière, et l’interprétation
sémantique relève à la fois de mécanismes communs à tous les emplois de la proforme
de manière (intégratif, interrogatif et exclamatif notamment) et de paramètres
spécifiques à chacun d’entre eux. Dans la troisième section, je m’attacherai plus
spécifiquement à l’interprétation sémantique de comme exclamatif incident à un
prédicat verbal. Je montrerai que l’interprétation strictement qualifiante du morphème
est en fait beaucoup plus répandue que ne le laissent supposer les quelques exemples
régulièrement cités dans la littérature. En effet, s’il a été bien noté qu’un degré
particulièrement (i. e. anormalement) élevé est susceptible de provoquer une
exclamation, le fait qu’une « manière remarquable » (Fuchs & Le Goffic 2005, p. 285)
parce qu’inhabituelle et/ ou inattendue permet tout aussi bien de s’exclamer est
généralement passé inaperçu. Je montrerai également en quoi les propriétés syntaxico-
sémantiques du prédicat verbal auquel comme est incident contraignent les
interprétations possibles du morphème. La majorité des exemples utilisés dans cet
article relève de l’exclamation directe, ce qui résulte du fait qu’en construction
indirecte, les interprétations exclamative, interrogative, voire simplement indéfinie, ne
sont pas toujours aisément dissociables1.

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I. Spécificité de comme exclamatif


2 Je proposerai dans cette section un aperçu des points communs et des différences de
comme en regard des autres marqueurs exclamatifs situés en tête de phrase, à savoir
que, combien, ce que, qu’est-ce que, auxquels il faut ajouter comment, dont l’emploi
exclamatif, qui n’est signalé ni dans les grammaires, ni dans les travaux récents sur
l’exclamation, est en pleine expansion en français contemporain 2. Il n’y a pas à
proprement parler consensus parmi les auteurs sur les spécificités de chacun de ces
morphèmes, ce qui provient en grande partie de l’espace qui leur est consacré, qui ne
saurait être identique dans une grammaire ou dans un ouvrage consacré à la question.
Je me contenterai donc d’un panorama assez général et consensuel, sachant que seule
l’étude précise de chacun de ces termes et des contextes dans lesquels ils apparaissent
permettrait une réelle comparaison.
3 Selon Grevisse (1986, p. 661), ces marqueurs sont des « adverbes de degré » et
correspondent à des registres de langage différents : combien est qualifié de « plus
recherché », ce que de « familier » et qu’est-ce que de « très familier ». Aucun qualificatif
n’est attribué à comme ou à que, ce qui tend à indiquer que ces deux termes constituent,
selon l’auteur, l’usage non marqué.
4 Comme les autres marqueurs exclamatifs, comme peut apparaître dans le contexte
d’adjectifs (cf. (1)) et d’adverbes (cf . (2)) qui admettent le degré (compatibles avec très) :
[1] a. Comme vous êtes dure, de lui causer tant de peine ! (Zola, Au bonheur des
dames)
b. Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !/ Que l’espace est profond !
Que le cœur est puissant ! (Baudelaire, cit. Riegel et al. 1994, p. 404)
c. Ce que c’est gentil !
d. Qu’est-ce que c’est beau !
e. Combien il se sentait petit, débile, écrasé ! (Barrès, cit. Grevisse 1986, p. 661)
f. Comment c’est bon, ce truc !3
[2] a. Ah ! brave cœur ! comme tu luttes énergiquement ! (Zola, Le docteur Pascal)
b. Qu’il parle rapidement !
c. Ce que tu parles sérieusement !
d. Qu’est-ce qu’il parle rapidement !
e. Combien il écrit élégamment !
f. Comment ça m’a fait mal !
ainsi que de verbes qui admettent le degré (compatibles avec beaucoup), qu’il s’agisse
d’un degré de quantité (cf. (3)) ou d’un degré d’intensité (cf. (4)) :
[3] a. Comme je vous ai attendue, depuis hier ! (Zola, Au Bonheur des dames)
b. Que j’ai attendu cet instant !
c. Ce que cela tombe ! (Proust, cit. Grevisse 1986, p. 661)
d. Qu’est-ce qu’elle a dû pleurer quand elle a appris la mort de son garçon ! (Proust,
cit. Grevisse 1986, p. 661)
e. Mais combien la linguistique française s’était-elle enrichie depuis l’apparition de
ce volume en 1887 ! (Dauzat, cit. Grevisse 1986, p. 666)
f. Comment j’ai dormi, ce week end !
[4] a. Comme il regrettait aujourd’hui son désintéressement ! (Zola, Le docteur Pascal)
b. Que l’attente me fatigue ! (Gide, cit. Riegel et al. 1994, p. 404)
c. Ce que je regrette cette époque !
d. Qu’est-ce qu’il regrette son attitude passée !
e. […] ils ne se doutaient pas eux-mêmes combien leur inaction effrayait l'armée
punique. (Flaubert, Salammbô)
f. Comment ça brûle !

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5 A la différence des autres marqueurs exclamatifs, comme et comment sont susceptibles


d’apparaître en emploi attributif :
[5] a. Comme il est ! (cit. Bacha 2000, p. 200)
b. * (Que + Ce que + Qu’est ce que + Combien) tu es !
c. Comment t’es, toi !
ainsi qu’avec des prédicats verbaux qui n’admettent aucune forme de quantification, et
qui se construisent nécessairement avec un complément de manière :
[6] a. Comme tu me traites ! (cit. Milner 1978, p. 266)
b. * (Combien + Qu’ + Ce que + Qu’est-ce que) tu me traites !
c. Comment il s’est comporté, celui-là !4
6 Cette caractéristique a été diversement interprétée : Rys 2006 considère qu’il s’agit d’un
emploi résiduel5 ; Milner 1978 distingue deux marqueurs homophones, caractérisés par
la présence ou l’absence d’un trait /±Quantité/ ; Bacha 2000 analyse comme exclamatif
comme étant fondamentalement un adverbe de manière.
7 La plupart des auteurs signalent que comme, à la différence de que et de combien n’est
pas susceptible de quantifier un nom :
[7] a. Combien n’ai-je pas écrit de récits à cette époque ! (Green, cit. Grevisse 1986,
p. 662)
b. Que j’ai perdu de forces !
c. Ce que j’ai dépensé ainsi de forces, d’éloquence inutile ! (Daudet, cit. Grevisse
1986, p. 666)
8 Bien que « rarissime » (Grevisse 1986, p. 662), cette construction existe :
[8] Comme on perd de trésors dans sa jeunesse ! (Flaubert, cit. Grevisse 1986, p. 662)
9 La présence de comme dans ce contexte est facilitée par la quantification à distance 6 :
[9] a. Combien de misérables ont recouru à celui-là ! (Flaubert, Bouvard et Pécuchet).
b. Que de souvenirs tout à coup surgissent !… (Chaleil, Le sang des justes)
c. * Comme de trésors on perd dans sa jeunesse !
10 Enfin, les noms massifs apparaissent bien plus facilement que les noms comptables
dans les exclamatives en comme :
[10] a. Comme il a (de la chance + du courage) !
b. Comme vous me donnez du bonheur ! (Bedel, cit. Gérard 1980, p 36)
[11] a. Comment il a de la chance !7
b. Comment il a du fric !
11 Comme ne connaît pas d’emploi « pronominal » (Combien voudraient être à votre place !,
cit. Grevisse 1986, p. 662 vs * Comme voudraient être à votre place !), ni d’emplois non
propositionnels (Ensuite, ils glorifièrent les avantages des sciences : que de choses à connaître !
que de recherches _ si on avait le temps !, Flaubert, Bouvard et Pécuchet vs * Comme de choses
à connaître ! ; * Comme de recherches _ si on avait le temps !), ce qui n’est guère surprenant
puisque ceux-ci sont fortement corrélés à la quantification nominale (Combien de N
voudraient être à votre place, Que de N !).
12 A la différence de combien, comme ne peut être immédiatement suivi par le terme
graduable ou quantifiable support de l’exclamation8 :
[12] a. Combien facilement la vie se reforme, se referme ! (Gide, cit. Grevisse 1986, p.
661)
b. ?* Comme facilement la vie se reforme, se referme !
[13] a. Combien naïves et paysannes en comparaison semblaient les églantines […]
(Proust, cit. Grevisse 1986, p. 661)
c. ?* Comme naïves et paysannes en comparaison semblaient les églantines !

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13 De plus, Gérard (1980, p. 37), Bacha (2000, p. 69) et Rys (2006, p. 218) indiquent que les
exclamatives en comme ne permettent pas l’inversion du sujet.
14 Enfin, comme étant essentiellement un adverbe, il n’est pas susceptible d’entrer en
relation paradigmatique avec quel (Quel remord vous vous prépareriez !, Montherlant, cit.
Grevisse (1986, p. 661) ; De quelles vertus elles ont enrichi le capital moral des hommes, De
Gaule, (Ibid., p. 661) ; Quel idiot !).
15 Comme exclamatif partage donc avec comment certaines caractéristiques qui distinguent
ces deux morphèmes des autres marqueurs exclamatifs situés en tête de phrase. A la
suite de Bacha 2000, comme exclamatif sera analysé ici comme étant un adverbe de
manière. Bacha 2000 utilise deux arguments pour étayer cette hypothèse : d’une part,
les emplois spécifiques de comme dans les constructions attributives (cf. (5)) et avec des
verbes qui sous-catégorisent un complément de manière (cf. (6)), d’autre part, la quasi-
impossibilité de quantifier un N comptable (cf. (8) et (9)). A ces arguments, on peut
ajouter que l’interprétation strictement qualifiante de comme exclamatif est
relativement fréquente (cf. infra 4.), et que le comportement du morphème est très
proche de celui de l’adverbe bien, qui outre ses emplois d’adverbial de manière stricto
sensu (Il travaille bien) est tout à fait susceptible, en fonction des propriétés syntaxico-
sémantiques du terme auquel il est incident, de recevoir une interprétation intensive (Il
est bien gentil), voire quantifiante (Je vous souhaite bien du courage) 9.

II. Comme et comment, proformes qu- de manière


16 Les proformes qu- ont fait l’objet de très nombreuses travaux ces dernières années,
qu’il s’agisse d’études globales (cf. notamment Milner 1974 ; 1977 ; 1978, Le Goffic 1994 ;
2002 ; 2007 ; 2008, , Pierrard 1998 ; 2005 ; 2006), ou centrées autour d’un morphème (cf.
Hadermann 1993, Benzitoun 2006, Lefeuvre 2006). Elles constituent une classe de mots,
caractérisés par une parenté morphologique, des propriétés sémantiques, des
spécificités fonctionnelles et des particularités distributionnelles.
17 La parenté morphologique des proformes qu- provient de leur étymon commun, le
radical indo-européen * kWu- (cf . Meillet & Vendryès 1960 ; Meillet 1964). Sur le plan
sémantique, elles se caractérisent par une indéfinition fondamentale (cf. Meillet &
Vendryès 1960, § 888 ; Le Goffic 1994, p. 32), et correspondent à des variables dans des
domaines ontologiques spécifiques (cf. Jakendoff 1983 ; Haspelmath 1997), l’animé pour
qui, l’inanimé pour quoi, le lieu pour où, le temps pour quand. La manière fait partie de
ces catégories ontologiques (cf. Haspelmath 1997, p. 21). Sur le plan fonctionnel, elles
obéissent à un même principe : elles remplissent dans l’objet P en tête duquel elles se
situent un rôle fonctionnel, bien que la position occupée ne corresponde pas à celle
habituellement dévolue à la fonction en question (cf. Milner 1974, pp. 79-80). Enfin, les
proformes qu- connaissent différents types d’emplois, en particulier des emplois
relatifs10, interrogatifs, exclamatifs et concessifs. Ces emplois sont régis par des
principes communs et des spécificités propres (cf. par exemple Milner 1974 pour les
différences entre que interrogatif et que exclamatif).
18 Du point de vue morphologique, comme et comment ressortissent à la catégorie des
proformes qu-, comme en atteste leur étymon commun quomodo, adverbe interrogatif,
relatif (Gaffiot 1934, p. 1307) et exclamatif (DHLI11 1995, p. 453 ; Aslanov, à par.), lui-
même issu de quo modo12. Conformément aux descriptions de la genèse des mots en qu-

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21

proposées par Le Goffic (1994 ; 2002 ; 2007 ; 2008), l’emploi intégratif est issu de l’emploi
percontatif. Cette évolution n’est guère perceptible en synchronie, dans la mesure où
elle concerne l’étymon latin quomodo, qui, après des emplois interrogatifs puis
exclamatifs en latin classique a connu des emplois intégratifs en latin très tardif 13.
19 A la différence de Fuchs & Le Goffic 2005, je défendrai l’hypothèse d’une conception
homophonique de comme et, dans une moindre mesure, de comment : ces deux
morphèmes correspondent à la proforme qu- de manière dans une partie seulement de
leurs emplois14. A l’heure actuelle, les deux proformes connaissent des emplois
spécifiques – seul comment est susceptible d’apparaître en tête d’une interrogative
directe (cf. (14)), tandis que seul comme est utilisé en construction intégrative (cf. (15))
–, et apparaissent toutes les deux dans les autres cas de figure, i. e. dans les
exclamatives directes (cf. les exemples donnés supra), les concessives (cf. (16)) et en
position argumentale, ces dernières constructions étant susceptibles de donner lieu à
différentes interprétations, (cf. (17) et (18)) :
[14] Comment vas-tu ?
* Comme vas-tu ?
[15] Il chante comme un canard.
* Il chante comment un canard.
[16] a. Comment qu’on joue, quoi qu’on joue, c’est toujours le salut qui perd. (Péguy,
Myst. de la charité de J. d’Arc, Grevisse 1986, p. 1676)
b. Comme qu’on retourne le problème, seul le oui permet de sauvegarder l’unité.(Le
Jura Libre, 12 Juin 1974, Ibid., p. 1676)
[17] a. il eut une curiosité passionnée de savoir comme serait son visage si elle
cédait (Montherlant, Le songe)
b. Se sachant de connivence, elle aurait affiché une froide indifférence tandis qu’il
n’aurait pas ignoré, lui, et lui seul, comme cette attitude glacée et feinte cachait une
sensualité propre à s’embraser. (Fajardie, Quadrige)
c. Elle remarqua comme ce sergent, qu’elle voyait de dos, rattrapait une situation
délicate, et le trouva intelligent (Fajardie, Un pont sur la Loire)
d. Voilà comme on succombe lorsque le cœur n’est pas armé pour se défendre des
passions abruptes ! (Fajardie, Confidence pour confidence)
[18] a. J’ignore comment je suis arrivé ici […] (Fajardie, Adieu Alice, Sweatheart)
b. Tu as vu comment ils sont tous sapés ? ricana Arkady. On pourrait les envoyer
dès maintenant creuser des tranchées, si les Allemands revenaient, ou droit dans les
camps, ils n’auraient même pas besoin de se changer. (Makine, La femme qui
attendait)
c. Caro, tu ne sauras jamais comment ça m’a fait mal de te voir partir. (Oppel,
Réveillez le président)
d. Voilà comment il avait été élu. (Fajardie, Square des 13-Mais)
20 Les emplois des deux termes fluctuent au cours du temps. Ainsi, comme a-t-il été utilisé
dans les interrogatives directes jusqu’à la fin du XVIIe siècle15 :
[19] Las ! comme me doy je conduire ? (Viel Testament, cit. Martin & Wilmet 1980, p.
40)
21 De même, comment a connu des emplois intégratifs :
[20] Et, à la porte du moustier, l’evesque du Don les print par les mains et les
espousa comment il les avoit fiancez. (Jouvencel, cit. Martin & Wilmet 1980, p.
240-241)
22 Les emplois exclamatifs de comment, attestés en Moyen-Français :
[21] a. Comment nous serons festoyez de noz femmes, quand nous retournerons a
l’ostel ! … (Les cent nouvelles nouvelles, cit Martin & Wilmet 1980, p. 39)

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b. Comment vous criez ! (La farce de Maistre Pathelin, Ibid., p. 39)


c. Comment il a esté mouché ! (La farce de Maistre Pathelin, Ibid., p. 39)
et sortis de l’usage pendant quelques siècles, reviennent en force en français
contemporain. De nos jours, se développe également un emploi indéfini de comment,
préféré semble-t-il à une structure perçue comme plus complexe, glosable par « la
(manière + façon) dont » :
[22] a. La notion de référentiel permet entre autres de montrer comment certains
événements situés dans un référentiel autre que le REN sont aspectualisés par le
présent comme processus au moment de la synchronisation entre les deux
référentiels, et comment l’énonciateur présente ainsi, en employant le présent de
l’indicatif, les procès énoncés comme “actuels” et encore en cours de réalisation
dans son discours. (Provôt, Desclés & Vinzerich, « Invariant sémantique du présent
de l’indicatif en français », Cahiers Chronos, 21)
b. Les questions qui suivent portent sur comment vous vous êtes senti au cours de
ces quatre dernières semaines (Questionnaire INSERM, Janvier 2008)
23 Enfin, les constructions relatives à antécédent nominal, qui ont existé dans des stades
antérieurs de la langue, ont aujourd’hui disparu :
[23] a. Aies memoire que, che ne fust par eulx, tu ne fusses pas, et leur rend en la
maniere comme ilz ont fait a toi. (J. Daudin, De la érudition, 1360, cit. Kuyumcuyan
2006, p. 117)
b. Mais de trouver la manière comment ilz se pourroient conjoindre bien
amoureusement ensemble fut difficile, … (Les cent nouvelles nouvelles, cit. Martin &
Wilmet 1980, p. 37)
24 Comme et comment assument donc bien l’ensemble des fonctions habituellement
attribuées aux proformes qu-. A la différence d’autres langues romanes qui ne
possèdent qu’un seul terme (cf. come en italien, cómo en espagnol, ou encore como en
portugais), le français présente la particularité de connaître deux proformes de
manière, comme et comment16. La répartition des emplois spécifiques de chaque
proforme (comme dans les constructions intégratives et comment en interrogative
directe) n’est pas sans évoquer l’opposition soulignée par Le Goffic 1994 entre
l’utilisation de la forme faible et celle de la forme forte des pronoms indéfinis/
interrogatifs dans les langues anciennes17. Dès lors, il est tentant de considérer que la
proforme qu- de manière se réalise en français sous une forme forte (comment) et sous
une forme faible (comme). Plusieurs arguments permettent d’étayer cette hypothèse. En
effet, comment possède certaines propriétés caractéristiques non pas des interrogatifs,
mais des formes fortes de l’interrogatif, par exemple la possibilité d’occuper une
position in situ ( Tu as fait comment ?)18, d’être employé isolément (Comment ?)19, de
permettre la nominalisation (Je songe à quitter cette Sibérie mais je ne suis pas encore décidé
sur le quand et le comment, Mérimée, Lettres à la famille Delessert, cit. TLFI) ou encore le
renforcement par que dans des constructions interrogatives ( Alors, demande Moûlu,
comment que ça va à Nancy ? C’est pas trop détruit ?,Sartre, La Mort dans l'âme, cit. TLFI), ou
exclamatives (Comment qu’ils nous ont eu !, Sartre, cit. Grevisse 1986, p. 661). Dans le
même ordre d’idée, n’importe se construit exclusivement avec la forme forte d’une
proforme qu-. Ces contraintes sont identiques à celles qui régissent l’utilisation de
l’indéfini/ interrogatif que/ quoi.
25 Conformément à l’étymon quomodo, comme et comment sont d’abord et avant tout des
adverbiaux de manière, c’est-à-dire des adverbes intraprédicatifs, des « épithètes du
verbe », selon l’analyse proposée par Golay 1959, ce qui est particulièrement clair
lorsqu’ils sont incidents à un prédicat verbal :

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23

[24] a. Denise, qui écoutait comme on écoute un conte de fées, eut un léger frisson.
(Zola, Au bonheur des dames)
b. Comme elle écouta, les premières fois, la lamentation sonore des mélancolies
romantiques se répétant à tous les échos de la terre et de l'éternité ! (Flaubert,
Madame Bovary)
c. Comment il a henni, mon cheval !
d. Comment as-tu fait ?
26 Geuder (2000 ; 2006) a montré la corrélation entre la structure conceptuelle du prédicat
verbal et les adverbiaux de manière susceptibles de modifier ce prédicat. Selon cet
auteur en effet, un adverbial de manière active un argument (sémantique) de la
structure sémantique du prédicat verbal. Les adverbiaux de manière qu-, en raison de
leur indéfinition fondamentale, ont semble-t-il, moins de latitudes que les adverbes en
–ment, et ne peuvent activer que les types de manière les plus saillants associés au
prédicat en question. Les possibilités combinatoires des prédicats verbaux
interviennent donc de manière cruciale dans l’interprétation de comme et de comment.
Par exemple, mourir est une situation télique non reproductible, d’où l’interprétation
nécessairement qualifiante de Il est mort comme on ne meurt plus, tandis que chanter un
refrain est une situation télique reproductible, d’où la possibilité d’une interprétation
itérative de Comme il a chanté ce refrain l’été dernier !. Dans le même ordre d’idées, les
interprétations « manière » (Comment s’est passé ton séjour ?) ou « moyen » (Comment as-
tu fixé l’étagère ?) de comment interrogatif sont étroitement corrélées aux propriétés
sémantiques du prédicat verbal20. De même, l’interprétation nécessairement
quantifiante de Comment ça coûte ?, formule tout à fait habituelle en français
québécois21, est fortement contrainte par la sémantique du prédicat. L’interprétation
sémantique de comme et comment relèvent de mécanismes communs aux constructions
intégratives, exclamatives, interrogatives, et aussi de contraintes spécifiques à chacune
de ces constructions. Par exemple, si les verbes de sentiment à degré d’intensité sont
compatibles avec l’exclamation, laquelle peut porter aussi bien sur le degré d’intensité
que sur le ressenti de l’experiencer (Comme il regrettait aujourd’hui son désintéressement !,
Zola, Le docteur Pascal, Comme il souffre !), ces mêmes verbes ne sont pas compatibles avec
l’interrogation, ni sur le degré d’intensité, ni sur le ressenti de l’experiencer (* Comment
le regrette-t-il ? ; * Comment souffre-t-il ?)22.
27 En sus de ces emplois d’adverbiaux de manière stricto sensu, comme et comment
connaissent des emplois attributifs :
[25] a. Je suis comme je suis
b. Tu es comme ton père.
c. Comment tu es, toi !
d. Il est comment, le nouveau ?
28 Les adverbes de manière en –ment ne connaissent pas de tels emplois, à la différence
d’adverbes de manière comme bien ou ainsi. Dans ces constructions, comme et comment
reçoivent nécessairement une interprétation qualifiante.
29 Comme bien et comme certains adverbes en – ment, comme et comment peuvent
également être incident à un adjectif :
[26] a. Les pupilles de ses yeux gris étaient minces comme celle d'une chatte
arrivant du plein jour. (Zola, Au bonheur des dames)
b. Elle est belle comme sont tentantes les illusions. (Khahra, Les agneaux du Seigneur)
c. Comme je vais être belle ! Comme je vais être belle ! (Zola, Le docteur Pascal)
d. Comment c’est lourd !
e. – Est-ce que tu me trouves beau ?

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24

– Oui.
– Mais beau comment ?
– Ecoute, Boris, je ne sais pas, moi ! Très très beau.
(Schreiber, Un silence d’environ une demi-heure)
f. – Maman, la croissance dure jusqu’à quel âge ?
– Elle peut durer jusqu'à vingt-huit ans.
– Tu crois que j’atteindrai la taille de Tchérépennikoff ?
– Il est grand comment ?
(Schreiber, Un silence d’environ une demi-heure)
30 Dans ce cas, même si comme l’a montré Fohlin (2006 ; 2008) un adverbe de manière
peut modifier un adjectif en conservant son sens intrinsèque (cf. Il avait l’air si
sincèrement triste que j’aurais presque pu jurer qu’il l’était, cit. Fohlin 2006, p. 2), comme et
comment sont plutôt interprétés comme portant sur le degré de l’adjectif. Malgré tout,
certaines nuances sémantiques demeurent entre Comme c’est gentil ! et Qu’est-ce que c’est
gentil !23
31 En construction exclamative, et plus rarement en construction interrogative, comme et
comment peuvent être incidents à un adverbe :
[27] a. Ce pauvre Raymond, comme il l’aurait embrassé volontiers ! (Zola, Le docteur
Pascal)
b. La consigne devrait être : faire différemment ; différemment de la version longue
(et de la version brève aussi, cela va sans dire). Différemment comment ? (Roubaud,
La Bibliothèque de Warburg : version mixte)
32 Comme précédemment, comme et comment seront plutôt interprétés comme portant sur
le degré de l’adverbe, même si, comme l’a également montré Fohlin (2006, 2007), un
adverbe de manière en –ment peut modifier un autre adverbe de manière sans
nécessairement perdre sa valeur intrinsèque (cf. Ils entrèrent volontairement lentement,
cit. Fohlin 2006, p 4).
33 Enfin, dans les constructions dites comparatives et dans une moindre mesure en
construction exclamative ou interrogative, comme et comment peuvent être incidents à
un syntagme nominal :
[28] a. Les hommes portaient des redingotes dont la couleur était devenue
problématique, des chaussures comme il s’en jette au coin des bornes dans les
quartiers élégants, du linge élimé, des vêtements qui n’avaient plus que l’âme
(Balzac, Le père Goriot)
b. Comme tu as de la chance !
c. Comment il a du fric !
d. – Qu’est-ce qu’il a volé ?
– Sans doute pas grand-chose : il avait juste un petit paquet dans les mains.
– Un paquet comment ?
– Un sac en plastique jaune à rayures noires.
(Dorin, Les vendanges tardives)
34 Comme et comment ont une valeur qualifiante dans les constructions comparatives et
interrogatives, quantifiante dans les constructions exclamatives.
35 A eux deux, les morphèmes comme et comment remplissent donc l’ensemble des
fonctions caractéristiques des proformes qu-, et sont analysables comme deux
réalisations de la proforme qu- de manière. Leur interprétation relève à la fois de
mécanismes généraux, corrélés notamment aux propriétés syntaxico-sémantiques du
terme auquel le morphème est incident, et spécifiques à chaque type de constructions.

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25

III. Interprétation sémantique de comme exclamatif


36 Je m’intéresserai ici exclusivement à l’interprétation de comme incident à un prédicat
verbal. Le morphème est susceptible de construire des effets de sens variés, et les
propriétés syntaxico-sémantiques du prédicat verbal interviennent de façon cruciale
pour lever au moins partiellement l’indéfinition de la proforme qu- de manière.
37 L’insuffisance de la notion de quantification pour décrire ce cas de figure a été montré
par Bacha (2000, p 191-234). Ayant constaté que « la corrélation établie entre degré et
exclamation ne permet pas de prévoir les possibilités et impossibilités » (Ibid., p. 191),
l’auteur soutient l’hypothèse selon laquelle que « le marqueur [exclamatif] active un
sème du verbe » (Ibid., p. 209), ce qui rejoint les hypothèses formulées par Geuder 2000
à propos des adverbes de manière. Différents paramètres interviennent dans la
possibilité de construire une exclamative en comme, parmi lesquels la présence ou
l’absence d’un argument interne (Comme il gagne ! vs * Comme il (gagne + a gagné) ce
concours !)24, le type d’argument(Comme il gagne son cœur !), le degré d’agentivité du sujet
syntaxique (Comme il écoute ! vs ?* Comme il entend !), et la catégorie à laquelle ressortit le
prédicat verbal. Comme exclamatif réfère fondamentalement à une manière
remarquable (cf. Fuchs & Le Goffic 2005, p. 285) parce qu’inhabituelle ou inattendue. Le
type de manière en jeu, bien que contraint par la sémantique du prédicat verbal, reste
largement sous-déterminé, et le rôle du contexte (situationnel ou linguistique) est
restreint : il permet le cas échéant d’éliminer certaines interprétations en l’occurrence
non pertinentes, mais qui auraient pu l’être dans d’autres circonstances. Dans les pages
qui suivent, je traiterai rapidement des verbes qui se construisent nécessairement avec
un complément de manière, puis je montrerai en quoi les catégories de procès établies
par Vendler 1967 constituent un paramètre pertinent pour l’interprétation de comme
exclamatif.

1. Les verbes qui sous-catégorisent un complément de manière

38 Ces verbes étant incompatibles avec un quantifieur adverbial (cf. Nojgaard 1995,
p. 12-13), comme exclamatif reçoit alors une interprétation nécessairement qualifiante :
[29] Comme tu me traites ! (repris de Milner 1978, p. 266)
39 En raison de la neutralité de comme du point de vue axiologique, seul le contexte
situationnel permet de déterminer l’orientation de l’échelle axiologique (Tu me traites
remarquablement bien ou Tu me traites remarquablement mal).
40 Mélis 1983 a noté que certains emplois non spatiaux du verbe aller imposent la présence
d’un complément de manière. Tel est le cas en (30) :
[30] Voyons… Ne t’emporte pas ainsi… Eh bien, oui... j’ai eu tort… J’aurais dû le voir
tout de suite, ce corset… Ce très joli corset… Comment ne l’ai-je pas vu, tout de
suite ?… Je n’y comprends rien !… Regarde-moi… Souris-moi… Dieu, qu’il est joli !…
Et comme il te va !… (Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre)
dans lequel le co-texte permet d’inférer ce corset te va remarquablement bien. L’exemple
(31) est légèrement différent :
[31] Comme vous y allez, cher Monsieur ! se contenta de répondre le baron
Hartmann. Quelle imagination ! (Zola, Au Bonheur des dames)

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41 Il existe en effet peu d’adverbiaux de manière compatibles avec y aller : y aller fort, y aller
doucement, voire les plus récents y aller mollo et y aller mou. Le co-texte permet de choisir
parmi ces différentes valeurs : Vous y allez remarquablement fort.
42 Enfin, certains verbes essentiellement attributifs (être et devenir) sont compatibles avec
une exclamative en comme :
[32] a. Comme tu es !
b. Comme tu deviens !
tandis que d’autres (rester, demeurer, avoir l’air, sembler, paraître) ne le sont pas 25 :
[33] a. * Comme tu (restes + demeures) !
b. * Comme tu (sembles + parais + a l’air) !
43 En position attributive, comme exclamatif réfère également à la manière, et le contexte
permet l’interprétation de l’orientation axiologique.

2. Les activités

44 Les activités constituent le type de prédicats le plus aisément compatible avec un


adverbial de manière, ce qui résulte de différents paramètres, parmi lesquels la
fréquente agentivité du sujet syntaxique26, ou encore les traits « dynamique » et « non
ponctuel »27 qui rendent possible la qualification du déroulement du procès. De plus,
ces prédicats peuvent sans difficulté être quantifiés. Par conséquent, dans ce contexte,
comme peut recevoir une interprétation qualifiante ou quantifiante. Le champ des
manières possibles, quoique contraint par le sémantisme du verbe, reste largement
ouvert, et hors contexte, l’interprétation précise du type de manière en question
s’avère à peu près impossible. De plus, associé à une situation atélique, un quantifieur
reçoit une interprétation massive (cf. Borillo 1989). Par conséquent, les interprétations
qualifiante et quantifiante de comme exclamatif ne sont pas clairement dissociables
(Comme il dort ! ; Comme il mange ! ; Comme il travaille !). Certains contextes permettent
d’exclure l’interprétation quantifiante. En (34) et en (35) par exemple :
[34] Escartefigue ([…] allume un ninas, puis il regarde dormir César. César ronfle.
Escartefigue siffle. Le dormeur cesse de ronfler) : Comme il dort, ton père ! (Pagnol,
Marius)
[35] Fernand : Oh ! mais dites, qu’est-ce que je vous ai fait ? Pourquoi me parlez-
vous sur ce ton ?
Césariot : C’est le ton qui convient pour parler à une crapule de votre espèce […]
Escartefigue, scandalisé : Oh ! mais dîtes ! Comme il vous parle !
(Pagnol, César)
bien que les verbes dormir et parler se construisent sans difficulté avec un quantifieur
(dormir beaucoup, parler beaucoup), une interprétation quantifiante de comme semble
inappropriée. Dans les deux cas, le morphème exclamatif reçoit une interprétation
qualifiante, correspondant vraisemblablement (mais pas nécessairement) à la qualité
de réalisation du procès. Le contexte permet d’inférer quelque chose comme « il dort
remarquablement bien (i. e. profondément) » en (34), « il vous parle remarquablement
mal » en (35).
45 Le contexte permet donc de lever partiellement l’indéfinition, en éliminant certaines
interprétations. Autre exemple : un verbe comme marcher est compatible avec un
quantifieur (marcher peu + beaucoup), avec un adverbe référent à la vitesse (marcher
(rapidement + lentement)) et avec toutes sortes d’adverbiaux de manière qualifiant

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27

différents aspects du procès (marcher avec difficulté + en zigzaguant + silencieusement +


tristement + etc.). En (36) :
[36] – Tiens ! dit-elle, la tête toujours à la portière, M. Lhomme, là-bas… comme il
marche !
– Il a son cor, ajouta Pauline qui s’était penchée. (Zola, Au Bonheur des dames)
46 le contexte permet d’écarter certaines interprétations non pertinentes, en l’occurrence
une interprétation quantifiante (glosable par « il marche beaucoup ») ou une des
valeurs ayant trait à la vitesse (en l’occurrence, « il marche rapidement »), lesquelles
seraient possibles dans d’autres circonstances. Comme peut correspondre à un degré de
vitesse remarquablement faible (« il marche très lentement »), mais cette
interprétation n’est pas la seule possible : il peut s’agir tout aussi bien d’une autre
« manière de marcher » (par exemple « en boitillant »), présentée comme remarquable
parce qu’inhabituelle et donc inattendue.
47 Il est souvent difficile de choisir entre plusieurs interprétations possibles. En (37) :
[37] – Vous voilà donc !… comme je vous ai attendue, depuis hier ! (Zola, Au Bonheur
des dames)
48 le prédicat ayant trait au domaine temporel, une interprétation quantifiante (glosable
par « longtemps ») semble pertinente. Cependant, d’autres interprétations sont
également possibles (glosables par « impatiemment », « fébrilement »,
« désespérément », « avec inquiétude », « avec ferveur », etc.), et rien ne permet
d’établir avec certitude quelle pourrait être LA bonne interprétation. L’aspect lié au
temps grammatical peut infléchir l’interprétation : avec un aspect imperfectif (Comme je
t’attends !), le procès est présenté comme étant en cours de déroulement, et donc
l’interprétation quantifiante semble peu probable, tandis qu’avec un aspect perfectif
(Comme je t’ai attendu !), le procès est présenté comme ayant eu lieu, et il s’agit d’une des
interprétations possibles.
49 Enfin, des facteurs pragmatiques extralinguistiques peuvent intervenir. Si un verbe
comme pleuvoir admet aussi bien un quantifieur (pleuvoir beaucoup) qu’un adverbial de
manière (pleuvoir (tristement + silencieusement)), la quantification est pragmatiquement
plus pertinente, et donc plus saillante, ce qui explique l’interprétation quantifiante de
comme en (38) :
[38] Comme il pleut !
50 Comme il est attendu dans le cas de l’exclamation, l’interprétation quantifiante réfère à
une quantité importante.

3. Les accomplissements

51 Les accomplissements partagent avec les activités les traits « dynamique » et « non
ponctuel »28 ainsi qu’un sujet fréquemment agentif : ils admettent donc sans difficulté
d’être qualifié par un adverbial de manière. De plus, dans certaines conditions
rappelées ci-dessous, ils sont compatibles avec un quantifieur. Or, associé à une
situation télique, un quantifieur reçoit nécessairement une interprétation comptable,
i. e. itérative (cf. Borillo 1989). Par conséquent, les interprétations quantifiante (cf. (39))
et qualifiante (cf. (40)) seront clairement dissociées :
[39] a. Comme il a écouté ce disque !
b. Comme il a chanté ce refrain !

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[40] a. Comme elle écouta, les premières fois, la lamentation sonore des mélancolies
romantiques se répétant à tous les échos de la terre et de l'éternité ! (Flaubert,
Madame Bovary)
b. Comme elle chassait les chèvres qui venaient marcher sur son linge étendu sur le
sol ! (Musset, cit. Riegel et al. 1994, p. 404)
52 Dans ce dernier cas, la valeur exacte de comme reste largement indéterminée, et
correspond à une manière remarquable parce qu’inattendue
53 Borillo 1989 a décrit les conditions dans lesquelles la quantification d’un
accomplissement est possible : « une situation peut être soumise à la répétition si elle
manifeste le trait de reproductibilité » (Il a beaucoup joué cette pièce ; Il a beaucoup écouté
ce disque ; Il a beaucoup chanté ce refrain, Ibid , p. 228). En revanche, « si l’objet disparaît
ou s’il est substantiellement modifié au cours de l’action, il est pratiquement impossible
de répéter la situation avec le même objet » (Ibid., p. 228), ce qui se produit lorsque
« l’argument représente un objet dont l’existence même est liée à l’action exprimée par
le verbe » (Ibid., p. 226), ce qui est le cas de « verbes comme fabriquer, produire, créer,
construire… […] consommer, détruire, anéantir… » (Ibid., p. 226), ou encore « manger un N,
écrire un N, supprimer un N […] fumer une cigarette, éteindre un incendie, peindre un portrait
» (Ibid., p. 226). Ces prédicats ne donc pas compatibles avec un quantifieur (*Il a
beaucoup produit ce film, * Il a beaucoup supprimé toute concurrence, * Il a beaucoup éteint
l’incendie), et les énoncés du type Il a beaucoup mangé cette pomme, Il a beaucoup tricoté ce
pull, Il a beaucoup fumé cette cigarette ne sont acceptables que si l’argument interne
désigne non pas un objet, mais un type d’objet (Ibid., p. 226), en l’occurrence une
variété de pommes, un modèle de pull ou une marque de cigarette.
54 Comme exclamatif à valeur quantifiante est compatible avec les accomplissements dans
les mêmes conditions (cf. Comme il a joué cette pièce ! ; Comme il a écouté ce disque !; Comme
il a chanté ce refrain ! vs * Comme il a produit ce film ! * Comme il a éteint l’incendie ; ? Comme il
a mangé cette pomme ! ; ? Comme il a tricoté ce pull ! ; ? Comme il a fumé cette cigarette !). Une
interprétation qualifiante est également tout à fait possible ((Tu as vu) comme il a éteint
l’incendie ; (Tu as vu) comme il a fumé cette cigarette ; (Tu as entendu) comme il a chanté cet air
29).

55 Enfin, les accomplissements qui décrivent un processus (vieillir, grossir, maigrir, grandir,
changer, pousser, fondre, etc.)se construisent sans difficulté avec comme exclamatif :
[41] a. Comme il grandit !
b. Comme il a grandi !
56 L’aspect lié au temps grammatical a alors une incidence sur l’interprétation : du fait de
l’aspect accompli qui lui est associé, le passé composé met davantage l’accent sur le
résultat, tend à induire une lecture quantifiante (Il a beaucoup grandi), tandis qu’en
raison de son aspect inaccompli, le présent souligne davantage le processus et comme
est plutôt interprété comme référant à la vitesse (Il grandit rapidement). Ces deux
notions sont d’ailleurs très proches, la vitesse pouvant être interprétée comme un
forme de quantification dans le temps (vite = beaucoup en peu de temps).

4. Les états

57 Les états étant des procès « non dynamiques » et « non bornés » 30, ils décrivent une
situation qui se maintient dans le temps, mais qui, à proprement parler, ne se déroule
pas dans le temps. De plus, le sujet syntaxique peut difficilement être qualifié d’agentif.

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29

Par conséquent, il n’est guère surprenant que les états soient peu compatibles avec un
adverbial de manière. En fait, les états ne se comportent pas de façon homogène quant
à la compatibilité tant avec un adverbial de manière qu’avec un adverbe quantifieur.
Certains états, notamment les habituels31, sont incompatibles avec ces deux types de
modification adverbiale. D’autres états sont incompatibles avec un quantifieur (cf. La
fenêtre donne sur la cour, * La fenêtre donne beaucoup sur la cour ; Le repas consiste en un seul
plat, * Le repas consiste beaucoup en un seul plat, la maison domine la plaine, * ? La maison
domine beaucoup la plaine) et compatibles avec des adverbes en –ment dont le statut
d’adverbe de manière ne va pas de soi (La fenêtre donne (royalement + partiellement) sur la
cour, Le repas consiste généreusement en un seul plat, La maison domine (magistralement +
largement) la plaine)32. Ces prédicats semblent peu compatibles avec comme exclamatif
(cf. * Comme la fenêtre donne sur la cour ! ; * Comme le repas consiste en un seul plat !) 33.
D’autres états qui ne sont compatibles ni avec un adverbial de manière ni avec un
quantifieur, se construisent néanmoins avec comme exclamatif. Tel est le cas
notamment d’avoir raison (cf. * avoir sincèrement raison et * avoir (beaucoup + très) raison)
dans l’exemple (42) :
[42] Et comme tu as raison de dire que l’unique bonheur est l’effort continu ! car,
désormais, le repos dans l’ignorance est impossible. (Zola, Le docteur Pascal)
58 Dans ce cas, comme peut être interprété comme un « adverbe de complétude » (Moliner
& Lévrier 2000, p. 209-214), proche de entièrement (avoir entièrement raison), lesquels
« accompagnent des verbes et des adjectifs non gradables » (Ibid., p. 189).
59 D’autres encore, comme connaître, sont compatibles avec un adverbe de manière (bien
connaître) mais pas avec un quantifieur (* connaître beaucoup). Comme exclamatif ne peut
alors recevoir qu’une interprétation qualifiante :
[43] Comme ce gaillard-là connaît les filles de Paris !, dit Arnoux. (Flaubert,
L’éducation sentimentale)
60 Enfin, les verbes de sentiment à degré d’intensité (aimer, plaindre, regretter, souffrir, etc.)
admettent aussi bien un adverbial de manière qui qualifie le ressenti de l’experiencer
(aimer passionnément, regretter sincèrement) qu’un quantifieur portant sur le degré
d’intensité (souffrir beaucoup). Ces prédicats sont pleinement compatibles avec comme
exclamatif :
[44] A. Mais comme il était lâche et comme elle le méprisait maintenant ! (Zola, Au
bonheur des dames)
b. Hein, ce pauvre Maurice, comme je le plains, dans ce Paris sans gaz, sans bois,
sans pain peut-être !… (Zola, La débâcle)
c. Comme il regrettait aujourd’hui son désintéressement ! (Zola, Le docteur Pascal)
d. Mais ce besoin du bonheur, ce besoin d’être heureuse, tout de suite, d’avoir une
certitude, comme j’en ai souffert ! (Zola, Le docteur Pascal)
61 L’interprétation de comme reste alors largement indéterminée, ce qui provient de
l’interprétation nécessairement massive d’un quantifieur associé à un prédicat atélique,
et par conséquent de la difficulté à distinguer clairement les interprétations
qualifiantes et quantifiante de comme exclamatif.

5. Les achèvements

62 Les achèvements sont réputés peu compatibles avec les adverbes de manière en –ment
qualifiant le déroulement du procès34, ce qui résulte de leur trait « ponctuel »35. Ils se
construisent néanmoins régulièrement avec de tels adverbes (Il a rapidement trouvé la

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30

solution) ainsi qu’avec divers adverbiaux de manière (Il a atteint le sommet (en boitillant +
sans hâte)). Dans ce cas, d’aucuns considèrent que ce n’est pas le procès lui-même qui
est qualifié, mais les événements qui ont conduit à sa réalisation. Associé à un
achèvement, comme exclamatif peut recevoir une interprétation qualifiante ((Regarde)
comme il tombe ; (Tu as vu) comme il a (atteint le sommet + trouvé la solution)), laquelle reste
largement indéterminée, quoique contrainte par le sémantisme du prédicat verbal (les
différentes « manières d’atteindre un sommet » ne sont pas identiques aux différentes
« manières de trouver une solution »). Comme exclamatif peut également recevoir une
interprétation quantifiante (Comme il est tombé pendant cette période !), laquelle, en raison
du caractère télique des achèvements, est nécessairement itérative (cf. Borillo 1989).
Comme dans le cas des accomplissements, la possibilité de quantifier un achèvement
est corrélée au caractère reproductible de la situation décrite (cf. Il est beaucoup tombé
vs * Il est beaucoup mort ; * Il a beaucoup atteint un sommet). Du fait de l’interprétation
nécessairement comptable du quantifieur, les deux interprétations possibles de comme
exclamatif sont clairement distinctes.

Conclusion
63 L’analyse de comme exclamatif comme étant fondamentalement un adverbe de manière
permet de rendre compte des spécificités du morphème en regard des autres
marqueurs exclamatifs qu- (combien, que, ce que, qu’est-ce que, quel), ainsi que de l’emploi
de plus en plus répandu en français contemporain de comment exclamatif. Loin d’être
résiduelle, l’interprétation « manière » de comme exclamatif est en fait largement
répandue. Quoique contrainte par les propriétés sémantiques du prédicat verbal auquel
le morphème est incident, elle reste largement sous-déterminée, et le contexte permet
non pas d’identifier LA bonne interprétation, mais seulement d’éliminer certaines
interprétations, non pertinentes en l’occurrence, mais qui auraient pu l’être dans
d’autres circonstances. Cette valeur fondamentale de comme, conforme à l’étymologie
du morphème, est analogue dans tous les emplois de la proforme qu- de manière, à
savoir dans les emplois dits « comparatifs » de comme, les emplois exclamatifs et
concessifs de comme et de comment, ainsi que les emplois interrogatifs de comment.

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NOTES
1. Cf. par exemple (a) :
(a) Si on m’y avait autorisé, j’aurais pris plaisir à lui démontrer comme sa guerre mécanisée lui
préparait une paix qui ne l’était pas moins. (Fajardie, Frivolités d’un siècle d’or).
2. Sur ce point, cf. Moline 2009.
3. Sauf indication contraire, les exclamatives en comment ont été relevées lors de conversations
informelles.
4. Exemple construit. Cf. cependant, en construction indirecte :
(b) Tu as vu comment il se comporte, tu as vu comment il en veut. (France Info)
5. Cf. Rys 2006, p. 233 : « comme a maintenu quelques emplois propres, qui révèlent ses origines
d’adverbe de manière » […] « le plus souvent, cependant, comme a perdu cette nuance de manière
pour ne plus indiquer que l’intensité ».
6. Sur ce point, cf. Obenauer 1983.
7. Exemple construit.
8. « Avec comme, ce que, qu’est-ce que, l’adjectif ou l’adverbe auxquels ils se rapportent occupent
toujours la place qu’ils auraient eue dans une phrase énonciative et sont donc séparés de
l’adverbe exclamatif » (Grevisse 1986, p. 661).

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9. Sur l’interprétation qualifiante ou quantifiante de well incident à un prédicat verbal, cf. Mc


Nally & Kennedy 2001.
10. « intégratif » dans la terminologie utilisée par Le Goffic, en intersection dans celle choise par
Pierrard.
11. Dictionnaire Historique de la Langue française.
12. Pour le détail de la genèse de quomodo, comme et comment, cf. Aslanov (2009).
13. Mes remerciements à C. Aslanov pour ces précisions relatives à l’évolution des emplois de
quomodo.
14. Sur ce point, cf. Moline 2008 et Moline (à par. a).
15. Cf. Haase (1975, p. 90) : « Comme dans le sens de comment, amène les interrogations directes
et indirectes au début du XVIIe siècle comme dans l’ancienne langue, tandis qu’à la fin du XVII e
siècle, il ne se construit plus guère qu’avec des interrogations indirectes ».
16. Sur ce point, cf. Aslanov 2009.
17. « Cette primauté logique de l’indéfini sur l’interrogatif n’empêche pourtant pas, de fait, que
les emplois interrogatifs soient (dans tous les cas, sauf erreur de notre part) les plus vigoureux,
c’est-à-dire à la fois manifestés par des formes toniques (par opposition aux formes d’indéfinis
atones) et mieux attestés et mieux conservés. Le cas typique est celui du grec ancien qui oppose
tis accentué, interrogatif (« qui ? ») à tis inaccentué et enclitique indéfini (« quelqu’un »). Le latin
oppose de même quis interrogatif (« qui ? ») à quis indéfini enclitique (« quelqu’un »), qui ne se
trouve que dans quelques contextes limités comme si quis… (« si quelqu’un… »). » (Le Goffic 1994,
p. 34).
18. Cf. Le Goffic (1993, p. 110) : « On ne rencontre jamais derrière le verbe un terme en qu- sujet
ni une forme atone : que pronom, quel attribut (seul), comme, que adverbe ».
19. Cf. Léard (1992, p. 220) : « Les mots interrogatifs sont souvent utilisés seuls et la syntaxe exige
alors une forme autonome ».
20. Sur ce point, cf. Van de Velde 2009.
21. Mes remerciements à P. Larrivée pour cette information.
22. Quelques aspects de l’influence des propriétés syntaxico-sémantiques du prédicat verbal sur
l’interprétation de comme exclamatif seront présentés dans la section suivante. Sur le
parallélisme des facteurs en jeu dans les constructions exclamatives et intégratives, cf. Moline (à
par. b).
23. De même qu’entre Tu es bien gentille et Tu es très gentille.
24. Ce qui en l’occurrence a une incidence sur la catégorie syntaxico-sémantique à laquelle
ressortit le prédicat.
25. Bacha (2000, p. 201) rend compte de ces différences d’acceptabilité de la manière suivante :
« l’exclamation supposant un fait inattendu relativement à une attente (R. Martin), je peux
découvrir que Paul « est » ou « devient » d’une manière qui contredit mes attentes ; mais cela ne
peut se produire pour un état constaté permanent, ce qui explique l’agrammaticalité de * Comme
il reste !/ demeure !. De même, l’apparence ne peut pas vraiment contredire une attente puisqu’elle
n’indique pas un fait dûment constaté : elle inclut un doute, une éventualité, donc ne peut faire
l’objet d’un constat de fait qui contredirait ce que je sais ou ce que je pense ».
26. La relation entre manière et agentivité est régulièrement évoquée (cf. entre autres Van
Voorst 1995 ou Mc Nally & Kennedy 2001).
27. Auxquels il faut associer le trait « non borné », cf. Fuchs (1991, p. 12).
28. Auxquels il faut associer le trait « borné », cf. Fuchs (1991, p. 12).
29. L’acceptabilité de l’énoncé est corrélée au type de déterminant qui accompagne le SN objet
(cf. Comme il (fume + a fumé) cette cigarette ! et Comme il (fume + a fumé) la cigarette ! vs * Comme il
(fume +a fumé) une cigarette !). De façon générale, le déterminant indéfini singulier paraît
incompatible avec une exclamative en comme. Sur ce point cf. Bacha 2000, p. 55-57.
30. Et « non ponctuel » (Fuchs 1991, p. 12).

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31. i. e. Il fume au sens de il est fumeur ou Il chasse au sens de il est chasseur. La présence d’un
adverbial qualifiant ou quantifiant provoque un changement de catégorie : dans il fume (beaucoup
+ élégamment), fumer ne correspond pas à un état, mais à une activité. Il en est de même, dans
Comme il a fumé dans sa jeunesse !
32. Les adverbes en –ment utilisés dans ces exemples ne répondent pas de façon homogène aux
tests habituellement utilisés pour définir les adverbiaux de manière (question en comment, foyer
de la négation et de l’interrogation, etc.).
33. Dans Comme la maison domine la plaine !, l’exclamation porte sur le degré d’assertabilité de la
proposition, ce qui est glosable par « A quel point il est vrai que P », plutôt que sur le procès lui-
même.
34. Cf. entre autres Van Voorst 1995.
35. Auquel il faut ajouter les traits « dynamique » et « borné » (cf. Fuchs 1991, p. 12).

RÉSUMÉS
Cette étude est consacrée à comme exclamatif, en regard des autres morphèmes qu- exclamatifs
(section 1) d’une part, des autres proformes qu- d’autre part (section 2). L’exclamation peut être
provoquée par un degré anormalement élevé, ou par une « manière de faire » inhabituelle et/ ou
inattendue. Dans ce dernier cas, les propriétés syntaxico-sémantiques du prédicat verbal auquel
comme est incident contraignent les interprétations possibles du morphème (section 3).

This paper aims at describing the exclamative uses of comme (« how »). The first part compares
them to the exclamative uses of other wh- words. The second part establishes the wh- status of
comme and comment. Exclamation can be brought about by an unusual high degree or by an
unexpected manner. In this case, the predicates’ semantic properties restrict the interpretation
of comme, as shown in the third part.

AUTEUR
ESTELLE MOLINE
Université du Littoral – Côte d’Opale
Grammatica, JE 2489

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Ellipses dans les constructions


comparatives en comme
Marianne Desmets

1. Des séquences fragmentaires dans les


comparatives en comme1
1 Que les constructions comparatives soient sujettes aux ellipses, au même titre que les
constructions coordonnées, est un fait bien admis. On pourrait s’attendre à ce que les
formes et les propriétés des ellipses soient identiques quel que soit le contexte dans
lequel elles apparaissent. Or, tel n’est pas le cas. Nous montrons dans cet article que les
ellipses des comparatives en comme satisfont, comme attendu, les contraintes
syntaxiques et sémantiques générales du phénomène, mais qu’elles présentent, en
revanche, des propriétés particulières qui les distinguent, entre autres, des ellipses des
constructions coordonnées.
2 La comparative en comme a une distribution similaire à celle d’un adverbe de manière
en –ment (Moline 2001, Desmets 2001). Elle connaît deux grands emplois : soit elle porte
sur un constituant d’une phrase matrice (qu’elle modifie ou dont elle est complément),
soit elle porte sur l’ensemble de cette phrase (à la manière d’un adverbe de phrase).
Dans ses emplois comparatifs2, comme introduit une séquence de forme phrastique ou
une séquence de (un ou plusieurs) constituants ne formant pas syntaxiquement une
phrase complète ; ce que l’on nommera une séquence fragmentaire. Dans ce dernier cas,
cependant, il n’y a pas lieu de postuler l’existence d’un autre type de construction
comparative en comme puisque distributions et interprétations sont identiques quelle
que soit la forme des séquences réalisées.

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1.1. Distribution
3 Les séquences fragmentaires ou phrastiques en comme connaissent la même
distribution. Elles se rencontrent en fonction d’ajout modifieur de Adj/SA (1), de V/SV
(2), ou de complément de manière d’un V (3) :
(1) a. il était donc convenable qu’il y eût des canaux et des ruisseaux visibles pour
apporter ces grâces à chacun en particulier, visibles comme avait été visible la
personne de l’homme-dieu. DICT. DE THEOLOGIE CATH. T.14 / 1938 : 537
b. tu seras laide comme les quatorze péchés capitaux ! COLETTE.G / CLAUDINE A
L’ECOLE / 1900
(2) a. Mais Ladourd retombe sur sa chaise, secoue la tête comme le taureau qui
compte ses banderilles, mugit son indignation. BAZIN.H / LA MORT DU PETIT CHEVAL / 1950 :
105 / XIII
b. ... brave homme, très serviable... C’est drôle, mais quand j’entends ce mot dans
la bouche de l’un des nôtres, il sonne exactementcomme le mot serviette et donne
l’impression d’être aussi facile à jeter dans le sac à linge sale. BAZIN.H / LA MORT DU
PETIT CHEVAL / 1950 : 69 / VII
(3) a. Il le traita comme il aurait fait de ses propres enfants.
b. 25 avril—J’apprends que les danois, dans les rues de leurs villes, se
comportent exactement comme les voitures dans les rues de Paris. BLOY.L / JOURNAL T.
1 / 1900 : 320 / MON JOURNAL

4 Elles peuvent également être ajout modifieurs (i.e., épithète) de N/SN (4), ou attribut
(5) :
(4) a. ... dans ce trou de province, avec une pimbêche comme est ma nouvelle
maîtresse, je n’ai pas à rêver de pareilles aubaines, ni espérer de semblables
distractions... je ferai du ménage embêtant... de la couture qui m’ assomme... rien
d’autre... ah ! MIRBEAU.O / JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE / 1900 : 54 /
b. Je regrette la bague comme avait mon amie Maud. HAMP.P / MAREE FRAICHE VIN DE
CHAMPAGNE / 1909 : 231 / VIN DE CHAMPAGNE 1909
c. Avec des yeux comme les tiens, on ne prend pas de rubans bleus, ça fait
grincer des dents. (exemple modifié, d’après COLETTE.G / CLAUDINE A L’ECOLE / 1900 : 255)
(5) a. Paul est bien comme était ton père au même âge : toujours à lambiner.
b. vous êtes comme Achille, qui s’emporte contre la gloire, et comme le père
Malebranche, dont l’imagination brillante écrivait contre l’imagination. GUEHENNO.J /
JEAN-JACQUES T.2 /

5 Les comparatives ont toujours la possibilité d’être modifiées par un adverbe de manière
(6a), ou d’être coordonnées à un autre ajout de manière (6b), et ce, quelle que soit leur
forme :
(6) a. Il m’aime, celui-là, précisément comme le chacal aime la panthère : pour les
charognes qu’elle lui abandonne. BAZIN.H / LA MORT DU PETIT CHEVAL / 1950 : 257 / XXXI
b. … un petit bonnet de linge fin... par exemple, des dessous riches : ça oui... mais
écoutez bien... signez-moi un engagement de trois mois... et je vous donne un
trousseau d’ amour, tout ce qu’ il y a de mieux, et comme les soubrettes du théâtre-
français n’ en ont jamais eu... ça, je vous en réponds... MIRBEAU.O / JOURNAL D’UNE FEMME
DE CHAMBRE / 1900 : 293 /

6 En fonction adverbe de phrase, on observe les deux types de séquence. Le cas d’un ajout
à la phrase, sémantiquement parenthétique et prosodiquement incident (au sens de
Bonami et al. 2004), est illustré en (7) par une comparative dite « d’analogie » (qui met
en relation deux propositions) ; on note la mobilité dans la phrase caractéristique des
adverbes de phrase :

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38

d. La répartition des importations par origine révèle en 1937, comme pour les
années précédentes, la part prépondérante des pays étrangers INDUSTRIE CONSERVES EN
FRANCE /

1.2. Interprétation

7 L’interprétation de la séquence introduite par comme comparatif est toujours


propositionnelle, qu’il s’agisse syntaxiquement d’une phrase ou d’une séquence
fragmentaire3. Au niveau de la construction comparative, la sémantique de comme est
constante. Il s’agit d’un opérateur qui prend deux arguments : (1) la sémantique de
l’item auquel le syntagme en comme se combine (en (8), l’adjectif souligné) et (2) une
proposition, interprétée à partir de la séquence introduite par comme (entre crochets
dans les exemples (8)). La relation sémantique dénotée par comme, c’est-à-dire la
relation de comparaison, établit un rapport d’identité ou de similitude entre deux
propriétés ou deux ensembles de propriétés : propriété(s) de l’argument (1) et
propriété(s) de l’argument (2).
(8) a. Marie est belle comme [sa sœur au même âge].
b. Marie est belle comme [sa sœur était (x)belle au même âge].
Dans cette relation, la proposition interprétée à partir de la séquence introduite par
comme fournit la propriété ou l’ensemble de propriétés à comparer ; on abstrait la
propriété en question4. Dans les formes pleines, cette propriété correspond à un
constituant extrait (un adverbe, représenté par x en (8)). Son interprétation n’est pas
explicite, elle est construite à partir du type sémantique de son argument (propriété ou
événement) et de la sémantique lexicale de cet argument. Ce qui explique que l’on
obtienne de la manière (parler comme un poète), de l’intensité (bleu comme l’azur) ou bien
du degré (grand comme Marie). Dans le cas de la comparative d’analogie, ajout à une
phrase, on peut penser que la comparaison examine une propriété commune aux deux
propositions (tout comme Paul va au foot le mercredi soir, Marie va au tennis tous les
samedis) qui correspond à la valeur de vérité, ou à la « satisfiabilité » (cf. Mouret &
Desmets, ce numéro).

2. Propriétés des phrases elliptiques en comme


8 Les phrases elliptiques sont des phrases dont le verbe tête est absent, qui réalisent un
certain nombre d’éléments, appelés éléments résiduels, et dont l’interprétation et la
forme dépendent d’une phrase complète présente dans le contexte immédiat. L’ellipse
est un phénomène d’interface qui met en jeu des contraintes de parallélisme
syntaxiques, sémantiques et pragmatiques.
9 Ce phénomène apparaît dans plusieurs contextes syntaxiques, mais nous portons ici
notre attention sur les phrases elliptiques des constructions comparatives et des
constructions coordonnées.

2.1. Propriétés générales des phrases elliptiques5

10 L’apparition de l’ellipse est conditionnée par un environnement sémantique et


pragmatique particulier. Minimalement, deux propositions, P et Q, sont associées par
une certaine relation sémantique (coordination, comparaison), voire par une certaine
relation discursive (en particulier pour la coordination ou la juxtaposition : cause-effet,

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39

aboutissement narratif, etc., cf. Kehler 2002). P et Q présentent un certain nombre


d’éléments similaires, en particulier, le prédicat tête (i.e., la relation sémantique
principale) de Q est le même qu’un des prédicats de P. L’ellipse intervient dans la
séquence dénotant Q et permet de ne pas réaliser les éléments déjà présents dans P.
Aussi, peut-on dire que la phrase contenant P fournit le contexte linguistique
permettant l’interprétation des éléments non réalisés dans la séquence elliptique (Q).
On appelle la phrase qui contient P, phrase antécédent ou phrase source, et phrase
cible, la séquence elliptique (Q)6 :
(9) a. P [Jean est brun] et Q [Marie est blonde].
b. P [Jean aime autant le bricolage] que Q [Marie aime la décoration].
c. P [Jean aime le bricolage], comme Q [Marie aime la décoration].
Du fait que sémantiquement le prédicat reconstruit de la phrase cible est identique à
celui de la phrase source, les éléments de la valence syntaxique du verbe absent ne
peuvent être que catégoriellement identiques ou très similaires ; ce qui contribue à
l’effet de parallélisme. On verra plus bas que d’autres contraintes de bonne formation
syntaxiques sont à respecter.
11 Le phénomène de l’ellipse est tenu pour être syntaxiquement optionnel (cf. Chomsky,
1977). Dans cette perspective, seules les conditions pragmatiques et les stratégies
discursives liées à la répétition détermineraient la possibilité de son effectuation, et, le
cas échéant, le locuteur aurait la possibilité de réaliser des éléments d’information
similaires.
(10) a. P[Jean est brun] , Q[Marie est blonde].
b. P[Jean est plus brun] que Q[Marie n’est blonde].
c. P[Marie est belle] comme Q[était belle sa sœur au même âge].
12 Dans le cas général, il est vrai, le locuteur ne réalise en Q que l’information minimale et
différente de P – information pertinente au sens où elle fournit des arguments
distingués dans le calcul sémantique de la coordination ou de la comparaison (Amsili &
Desmets, 2008a). Ceci ne va pas sans entraîner de possibles ambiguïtés sémantiques 7, en
général levées par le contexte pragmatique. Toutefois, la répétition à l’identique peut
être syntaxiquement impossible, lorsqu’elle bloquée, par exemple, par la forme du
pronom personnel sujet :
(11) Paul fera la vaisselle lundi, comme moi *ferai la lessive mardi.
De la même façon, la reconstruction syntaxique du verbe peut être interdite pour des
raisons lexicales. Par exemple, la conjonction de coordination ainsi que n’admet pas de
verbe fini :
(12) Paul viendra, ainsi que Marie *viendra.
Ces deux arguments montrent que l’ellipse n’est pas un phénomène syntaxiquement
optionnel.
13 Inversement, ainsi que l’a repéré Zribi-Hertz (1986), il ne suffit pas que deux
propositions soit associées pour permettre une ellipse. Le phénomène est exclu dans
d’autres subordonnées ajouts et n’est pas possible dans toutes les coordinations :
(13) Jean boit du thé *quand / *si/*parce que/*car Marie du café.
Par conséquent, la phrase elliptique n’est pas seulement subordonnée à des conditions
sémantiques et pragmatiques, elle connaît également des contraintes syntaxiques.

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40

2.1.1. Absence du verbe tête

14 Dans les cas que nous étudions, l’ellipse intervient minimalement mais obligatoirement
sur le verbe tête de la séquence fragmentaire (Q)8:
(14) *Jean mange des pommes et Marie mange (des pommes).
Ce n’est pas la catégorie verbale en soi qui est sensible au phénomène, mais la fonction
tête. Ainsi, dans le cas d’un verbe à un temps composé, l’auxiliaire peut seul être omis :
(15) a. P [Jean a bu un fond de champagne] et Q [mangé le gâteau qui restait].
b. P [Jean a plus aimé la pièce] que Q [détesté].
c. P [Jean a grimpé], comme Q [descendu les pentes à vive allure].
De même, lorsque le verbe tête de Q sous-catégorise un complément verbal à l’infinitif,
ce dernier peut être réalisé si la tête verbale, elle, ne l’est pas (16a,c,e) ; en revanche, si
la tête verbale est réalisée, son verbe infinitif complément, lui, ne peut pas être
ellipsé (16b,d,f) :
(16) a. Marie se débrouille pour aller au marché le mercredi et Pierre pour y aller le
samedi.
b. *Marie se débrouille pour aller au marché le mercredi et Pierre se débrouille
le samedi.
c. Marie aime plus aller au marché le mercredi que Pierre y aller le samedi.
d. *Marie aime plus aller au marché le mercredi que Pierre aime le samedi.
e. Marie aime aller au marché le mercredi, tout comme Pierre y aller le samedi.
f. *Marie aime aller au marché le mercredi, tout comme Pierre aime le samedi.
Une conséquence de l’absence obligatoire du verbe tête de Q est que l’ellipse ne peut
apparaître dans une phrase enchâssée à l’intérieur de Q9 :
(17) a. *Marie va au marché le mercredi et Q[ je crois que [ Pierre le samedi ]].
b. *Marie va plus souvent au marché le mercredi que Q[ je crois que [ Pierre le
samedi ]].
c. *Marie va souvent au marché le mercredi, tout comme Q[ je crois que [ Pierre
le samedi ]].

2.1.2. Propriétés des constituants résiduels

15 Il peut y avoir plus d’un constituant résiduel dans les phrases elliptiques, et les
catégories réalisées sont diverses : syntagmes nominaux, prépositionnels 10, adjectivaux,
adverbiaux, et verbes non tensés. Les pronoms personnels faibles sont évidemment
exclus11. Il s’agit d’éléments clitiques nécessitant la présence contiguë d’un verbe ; à la
place figurent des pronoms forts.
(17) a. Nous sommes allés au cinéma, Paul et *je/moi.
b. J’aime plus repasser que *tu/toi.
c. J’adore aller au cinéma, comme *il/lui.
Des liens syntaxiques sont actifs dans la séquence elliptique : la fonction des éléments
résiduels s’interprète comme s’il s’agissait d’une séquence verbale finie : en (18a), sujet
et complément direct ; en (18b), sujet et complément oblique ; en (18c), complément
direct et SP oblique et SP ajout ; en (18d), sujet et SN ajout ; en (18e), sujet et N’
quantifié complément direct ; en (18f,g), sujet et attribut ; circonstancielles ajouts en
(19)12.
(18) a. et je l’ai obtenue contre une boule de pain, une bougie, et une pièce de vingt
sous neuve dont la clarté a dissipé, comme le soleil un brouillard, les hésitations
dernières de la vieille. GENEVOIX.M
b.Cette année, Jean a plus souvent rendu visite à Marie à Paris que Pierre à
Bologne.
c. Cette année, les gens pourront voir l’exposition à Rome en juillet comme à

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Paris en septembre.
d. Celle qui court le long de votre vie comme le feu le long d’un cordon Bickford,
qui ne sait allumer que des coups de tête, de pauvres et bruyants pétards? BAZIN.H /
LA MORT DU PETIT CHEVAL / 1950 : 24 / II
e. Jean gagne plus de coupes que Pierre de médailles.
f. Jean est plus agréable que Marie serviable.
g. Jean est agréable comme intelligent, et serviable par dessus tout.
(19) a. Il m’a parlé comme si c’était la première fois.
b. Ferme la porte comme quand tu pars en vacances.
c. Pierre était autant embarrassé que si on lui avait découvert une maîtresse.
d. Pierre était autant gêné que quand on l’a rencontré chez Claire l’autre jour.
L’ordre linéaire (20a,b), la catégorie (20c,d), le nombre exact des constituants (20e,f) ne
sont pas obligatoirement identiques à ceux des constituants de la phrase antécédent.
Abeillé & Godard (1996), puis Mouret (2006) l’ont montré pour la coordination ; il en est
de même pour les constructions comparatives :
f. Paul a écrit des petits mots doux à sa mère, comme des poèmes de grande
valeur.
En revanche, les constituants réalisés doivent correspondre à une valence possible du
verbe antécédent.
(21) a. *Paul pratique autant le golf que Marie faire les magasins. (Mouret)
b. *Paul pratique le golf comme Marie faire les magasins.
Ainsi, les séquences elliptiques de (21) sont rejetées parce que le V antécédent pratiquer
ne sous-catégorise pas de SV infinitif complément ; les phrases obtenues en réalisant le
matériel manquant seraient agrammaticales.

2.2. Construction comparative vs construction coordonnée

16 Il existe un certain nombre de points communs entre les constructions comparatives et


les constructions coordonnées. Les contraintes de parallélisme sémantique et
syntaxique sont les plus notables, elles expliquent que l’ellipse soit présente dans les
deux cas. Toutefois, il s’agit de deux constructions syntaxiquement bien distinctes,
comme le montre l’examen des propriétés des phrases elliptiques.

2.2.1. Parallélisme syntaxique et sémantique

17 Dans le cas de la coordination de propositions, le parallélisme constructionnel provient


d’une part de la sororité syntagmatique des constituants (i. e., ils sont structurellement
au même niveau), d’autre part de la sémantique : lorsque des propositions sont
coordonnées on obtient l’abstraction d’une archi-propriété à partir d’un ensemble
d’alternatives ne se distinguant potentiellement que par une différence minimale.
18 Dans le cas de la comparaison, la réitération d’éléments de la phrase source, laquelle
contribue à l’effet de parallélisme, est liée à la sémantique de la construction (cf. Amsili
et al., à paraître). La comparaison discrimine deux éléments, qu’elle examine sous
l’angle d’une de leurs qualités ou propriétés respectives. Ce qui donne lieu à une
relation d’ordre (inférieur/supérieur/égalité pour la comparaison scalaire) ou à une
relation d’égalité ou de similarité (pour la comparaison de qualité en comme). Pour que
l’opération soit menée à bien, il faut satisfaire certaines conditions, entre autres,
s’assurer que les deux éléments sont propres à la comparaison : ils doivent présenter un
minimum de traits communs (mais peuvent en présenter un maximum ; logiquement,
une différence suffit), en particulier, ils doivent avoir le même type sémantique (deux

Linx, 58 | 2008
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propriétés, deux événements, deux états, deux entités, etc.). Excepté si la comparaison
porte sur le procès lui-même (ce qui n’engendre pas d’ellipse), la relation prédicative
principale de la comparative est identique à celle de la phrase source (qui construit la
description de l’élément comparé).
19 Les comparatives en comme possèdent en propre des contraintes de parallélisme qui
proviennent directement de leur structure syntaxique13. Ces dernières s’analysent, en
effet, comme des relatives sans antécédent (Desmets 2001, ou « intégratives » pour Le
Goffic 1991). Il s’agit d’une structure à dépendance non bornée qui enregistre
l’extraction d’un adverbe (de type manière), arrêtée par comme, adverbe qu-. Comme
assume deux rôles, celui de borne pour la dépendance et celui de tête d’un syntagme
adverbial. Le parallélisme provient d’une tendance bien connue des relatives sans
antécédent, qu’on nomme « coïncidence fonctionnelle » (Bresnan & Grimshaw 1978), et
qui s’exprime ici par le fait que l’adverbe manquant (extrait) a en général une fonction
similaire à (ou en correspondance avec) la fonction de la relative dans son ensemble. La
répétition du même lexème assure cette similarité fonctionnelle.
5B comme un éléphant (se comporterait_) dans
(22) a. Chez Marie, Paul se comporte F0
une boutique de porcelaine F0
5D .

b. ?Chez Marie, Paul se comporte F05B comme un éléphant marcherait_ dans une

5D .
boutique de porcelaine F0
c. Dans cette situation, Jean est gêné F0 5B comme parfois les gens sont ?
5D .
embarrassés/gênés_ devant trop de générosité F0
d. */??Dans cette situation, Jean est gêné F0 5B comme parfois les gens se

comportent_ devant trop de générosité F05D .

En (22), les phrases dans lesquelles la coïncidence fonctionnelle n’est pas respectée
(22b,d) ont une acceptabilité dégradée par rapport à celles où la coïncidence est là :
comparative complément de V avec extraction d’un adverbe complément de V en
(22a) et comparative ajout modifieur d’A avec extraction d’un adverbe modifieur d’A en
(22c).

2.2.2. Les comparatives ne sont pas des coordinations

20 Bien qu’elles offrent toutes deux la possibilité d’une séquence elliptique, les
constructions comparatives ne sont pas des constructions coordonnées, contrairement
à ce qui est parfois admis14. Elles montrent des différences syntaxiques importantes,
concernant l’ordre des mots et les conditions sur l’extraction, qui modifie la
distribution de leurs phrases elliptiques.

Place de la séquence elliptique

21 En coordination, la séquence fragmentaire ne peut précéder la phrase source ; cette


contrainte ne s’applique pas dans le cas d’une construction comparative 15 :
(23) a. *Jean une pomme et Marie mange une poire
b. Comme Paul les jours de pluie, Marie se décide à mettre des bottes
aujourd’hui.
c. Le monde social est parsemé de rappels à l’ordre qui ne fonctionnent comme
tels que pour les individus prédisposés à les apercevoir, et qui, comme le feu rouge
le freinage, déclenchent des dispositions corporelles. Bourdieu (Méditations
pascaliennes : 210)
22 La place de la séquence elliptique dépend du type de construction dans lequel elle
apparaît. Dans une coordination, la phrase source est obligatoirement dans le premier

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conjoint. En revanche, la relation syntaxique entre l’ajout comparatif adverbe de


phrase et la phrase hôte autorise une interprétation ‘à rebours’. Selon Marandin (1999),
les ajouts sont, en effet, mobiles dans le domaine syntagmatique auquel ils s’adjoignent,
ce qu’on vérifie dans le cas des comparatives, mais ils ne peuvent être réalisés en
dehors. Les comparatives en comme adverbes de phrase peuvent être antéposées à la
phrase hôte (comme en 23b, ou en 24a), un ajout modifieur de SV peut être mobile à
l’intérieur du SV (24b), mais un ajout modifieur d’A ne peut être réalisé en dehors du
SA, comme en (24c) :
(24) a. Comme son frère, Paul est grand.
b. et je l’ai obtenue contre une boule de pain, une bougie, et une pièce de vingt
sous neuve dont la clarté a dissipé, comme le soleil un brouillard, les hésitations
dernières de la vieille. GENEVOIX.M / CEUX DE 14 / 1950 : 211 / LIVRE II NUITS DE GUERRE 1917, II
NOTRE PATELIN : MONT-SOUS-LES-CôTES
c. (Paul est grand comme son frère.) *Comme son frère Paul est grand.

Contraintes sur l’extraction

23 Parmi les contraintes de parallélisme syntaxique repérées en structures coordonnées


figure la généralisation de Wasow (Ross 1967, Pullum et Zwicky 1986) qui impose, en
particulier, à chaque conjoint de respecter des contraintes d’extraction (i.e., s’il y a
extraction dans l’un des conjoints, il y a obligatoirement extraction dans l’autre ; la
contrainte est dite across the board) :
(25) a. En ce moment, la Bible et le roman de cet auteur se vendent bien.
b. *Voilà un auteur dont la Bible et le roman_ se vendent bien.
c. Voilà un auteur dont l’essai_ et le roman_ se vendent bien.
Les comparatives n’observent pas la même contrainte. Il est possible d’extraire un
constituant de la phrase matrice sans extraire obligatoirement un constituant
correspondant de la phrase comparative16 :
(26) a. Voilà un auteur dont les romans_ se vendent mieux que la Bible.
b. Voilà un auteur dont les romans_ se vendent comme la Bible.
c. Voilà un auteur dont les romans_ se vendent bien, mieux que la Bible.
d. Voilà un auteur dont les romans_ se vendent bien, comme la Bible.
Les comparatives montrent une dissymétrie que n’autorisent pas les coordinations.
24 On observe, en revanche, un autre phénomène. On ne peut extraire de constituant de la
séquence introduite par que comparatif ou par comme sans qu’un constituant
correspondant dans la phrase matrice ne soit lui-même extrait. Les syntagmes
comparatifs ajouts à V/SV en (27-28) et ajouts à P (parenthétiques) en (29-30) que nous
testons ici présentent le même comportement :
(27) a. Voilà un auteur dont le dernier roman_ s’est vendu comme les nouvelles_
qu’il a publiées l’année passée.
b. *Voilà un auteur dont la Bible se vend comme les romans_.
(28) a. Voilà un auteur dont le dernier roman_ s’est mieux vendu que les nouvelles_
qu’il a publiées l’année passée.
b. *Voilà un auteur dont la Bible se vend mieux que les romans_.
(29) a. Voilà un auteur dont le dernier roman_ s’est bien vendu, comme les
nouvelles_ qu’il a publiées l’année passée.
d. *Voilà un auteur dont la Bible se vend bien, comme les romans_.
(30) a. Voilà un auteur dont le dernier roman_ s’est bien vendu, mieux que les
nouvelles_ qu’il a publiées l’année passée.
b. *Voilà un auteur dont la Bible se vend bien, mieux que les romans_.

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25 En français, les comparatives (en que ou en comme) sont des îlots pour l’extraction (i.e.,
a priori, on ne peut pas extraire de constituant en dehors de ces constructions,
cf. Desmets, à paraître). Mais, cette contrainte est levée dans les cas limités où un
constituant extrait est en relation avec un constituant manquant de la phrase matrice,
c’est-à-dire, dans les cas d’une extraction parasite (parasitic gap). Contrairement à
l’anglais, l’extraction parasite est assez restreinte en français. Elle donne lieu à des
jugements variables selon les locuteurs avec des infinitives (cf. 31a,b) ; mais elle est
habituellement interdite (pour tous les locuteurs) lorsque l’ajout contient une phrase
finie (cf. 31c,d) :
(31) a. %C’est un livre qu’il a soigneusement rangé_ après avoir lu_ .
b. %Voici un homme dont la femme_ est partie sans prévenir_.
c. *C’est un livre qu’il a soigneusement rangé_ après qu’il a lu -.
d. *Voici un homme dont la femme_ est partie sans qu’elle prévienne_.
L’extraction parasite dans les comparatives fragmentaires est un argument en faveur
de l’hypothèse qu’une phrase elliptique ne contient pas de verbe (vide) dans sa
structure syntaxique, et qu’il ne s’agit donc pas d’une phrase finie – ce que nous
soutenons. Elle donne de mauvais résultats lorsque la comparative ajout présente une
phrase finie17 :
(32) a. ??Voilà un auteur dont le dernier roman_ s’est vendu comme les nouvelles_
qu’il a publiées l’année passée s’étaient vendu, c’est-à-dire absolument pas.
b. Voici un vieillard dont le teint_ est blanc comme (*sont) les cheveux_.
c. Un couteau dont la lame_ est coupante comme (*est) la pointe_.

2.3. Les types de phrases elliptiques

26 On a distingué traditionnellement, à l’origine dans le cadre des structures coordonnées,


plusieurs formes de phrases elliptiques18, selon le nombre et le type d’éléments
résiduels réalisés. Généralement, on retrouve les même formes dans plusieurs
contextes syntaxiques (coordinations, comparaisons, fragments dialogiques – par
exemple, les réponses courtes). On distingue, en particulier, les constructions
« trouées » (gapping) qui présentent au moins deux constituants dont l’un est interprété
comme sujet (Paul est allé au marché, Marie au cinéma) ; et les fragments unaires
(stripping) qui réalisent un constituant, interprété comme un valent (sujet ou
complément) ou comme un ajout du verbe, parfois accompagné d’un adverbe (Paul est
venu hier, mais pas Marie).
27 L’examen détaillé montre que ces deux types de phrases elliptiques n’ont pas tout à fait
les mêmes propriétés en constructions comparatives et en coordonnées, ce qui
confirme à nouveau la différence entre les deux types de constructions. Nous
commençons par montrer que les séquences fragmentaires dont les constituants
résiduels s’interprètent comme des dépendants du verbe (compléments ou ajouts) ne
peuvent être ramenées à une réduction de structures conjointes, que l’on trouve en
coordonnées. Puis nous abordons le cas des phrases trouées, et celui des fragments
unaires.

2.3.1. Réduction de structures conjointes (ACC)

28 La réduction de structures conjointes, encore appelée coordination de séquences (ou


Argument Cluster Coordination, dorénavant ACC), est une séquence dans laquelle le
verbe est absent et où les constituants résiduels s’interprètent comme des dépendants,

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le plus souvent compléments ou ajouts (ou un mélange des deux), du V/SV du premier
conjoint. Pour Mouret (2006), à la suite de Zribi-Hertz (1986) et de Gardent (1991), il
s’agit d’une coordination de constituants sœurs partageant le même verbe. L’analyse
conclut donc qu’il n’y a pas d’ellipse phrastique dans cette séquence de constituants.
29 Les constituants résiduels d’une ACC correspondent obligatoirement à des constituants
sœurs du verbe antécédent (i.e., de même niveau syntagmatique), mais ne sont pas
obligatoirement des constituants dits « majeurs » de la phrase source, c’est-à-dire
immédiatement dominés par le nœud phrase, par le SV racine ou par un SV lui-même
immédiatement dominé par le SV racine (contrainte de constituance repérée par
Hankhamer 1971). En (33a) les constituants résiduels sont majeurs, non en (33b) :
(33) a. Jean dit de rester chez elle à Marie et ??(de rester) ici à Paul. (Abeillé &
Godard 2002)
b. Paul a donné les jouets de sa fille à Marie et *(les jouets) de son fils à Jean.
(Mouret 2006)
Dans les constructions comparatives fragmentaires qui présentent des constituants
résiduels s’interprétant comme des dépendants du verbe absent, la sororité des
syntagmes n’est pas contrainte19 :
(34) a. J’ai plus souvent essayé de réviser l’Histoire avec Paul que la Géo avec sa
sœur.
b. J’ai souvent essayé de réviser l’Histoire avec Paul, comme la Géo avec sa sœur.
En interprétant la séquence elliptique en (34) avec le prédicat révisé (que je n’ai révisé la
Géo avec sa sœur), les constituants la Géo et avec sa sœur sont moins enchâssés que ne le
sont leurs correspondants dans la phrase matrice avec le prédicat essayé de réviser ; les
constituants parallèles ne sont donc pas sœurs, ils ne ‘partagent’ pas le même prédicat.
Les exemples (34) montrent qu’il n’y a pas de structure réduite en comparatives.

2.3.2. Phrases trouées (gapping)

30 Les phrases trouées sont une forme de phrase elliptique, que l’on nomme
traditionnellement gapping, qui réalise au moins deux éléments résiduels, dont l’un
s’interprète comme le sujet du verbe syntaxiquement absent.

Contrainte sur les constituants résiduels majeurs

31 Hankhamer (1971), puis Gardent (1991), montrent que les éléments résiduels d’une
phrase trouée en structure coordonnée doivent correspondre à des constituants
majeurs de la phrase source, comme en (cf. 35a). En (35b), en revanche, le constituant
de Pierre n’est pas un constituant majeur au sens défini plus haut.
(35) a. Paul a promis d’essayer d’apprendre le latin et Marie le grec.
b. Paul admire le courage de Marie, et Jean *(le courage) de Pierre. (Mouret
2006)
Les constituants résiduels de la phrase trouée, s’ils doivent être majeurs, ne sont en
revanche pas obligatoirement sœurs, ainsi en (35a), on peut interpréter l’ellipse verbale
comme étant a promis d’apprendre, les constituants le latin et le grec ne sont alors pas
sœurs puisqu’ils sont régis par des prédicats distincts (Marie est moins enchâssé que le
grec).
32 En comparatives, l’ellipse des phrases trouées présente la même contrainte que celle
repérée en coordinations : lorsqu’un sujet est réalisé, les éléments résiduels sont
obligatoirement majeurs, comme l’illustrent les mauvais résultats de (36) :

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(36) a. *Paul a plus souvent donné les jouets de sa fille à Marie que Pierre de son fils
à Jean.
b. *Le président a rejeté des propositions du ministre de la justice, comme le
vice-président du ministre de l’économie.
De façon intéressante, cette contrainte est également active lorsque seuls des
dépendants de V (compléments ou ajouts) sont réalisés (cf. 37) 20 :
(37) a. *Paul a plus souvent donné les jouets de sa fille à Marie que de son fils à Jean.
b. ??Il y a eu plus de propositions du ministre de la justice que de l’économie qui
ont été rejetées.
c. *Paul a souvent donné les jouets de sa fille à Marie, comme de son fils à Jean.
b. ??Il y a eu des propositions du ministre de la justice, comme de l’économie
qui ont été rejetées.
Là aussi, les constituants résiduels ne correspondent pas obligatoirement aux
constituants sœurs d’un V de la phrase source ; ce qui est attendu dans le cas où un
sujet est réalisé, comme en (38)21,
(38) a. Jean dit qu’il voit plus souvent sa mère que Paul la sienne.
b. Jean dit qu’il voit souvent sa mère, comme Paul la sienne.

Forme des constituants antécédents

33 Ainsi qu’il a été signalé par Tassin (1998), le gapping en construction coordonnée
n’autorise pas l’antécédent d’un constituant résiduel à être un pronom clitique (39a).
Une telle contrainte ne s’observe pas en constructions comparatives (39c-e) :
(39) a. Il y a des pommes sur la table. *Paul les mange et Marie les poires.
b. Le paysage le pénétrait comme le soleil cette eau. (Grevisse 12 ème éd. : 170)
c. Gaston, je lui ai parlé aussi souvent que Marie à Paul.
d. Je lui ai plus souvent parlé que Marie à Paul.
e. Paul a acheté des grany, il les aime plus que Marie les golden.

Portée de la négation

34 Une différence supplémentaire entre comparatives et coordonnées concerne la reprise


ou non de la négation. Alors que la négation n’est pas interprétée dans la phrase trouée
des comparatives (40a), elle demande à être reprise dans le second conjoint de la
coordination, ce qui, par ailleurs, demande la réalisation de la conjonction ni :
(40) a. Marie ne va pas à la piscine comme Paul à la pêche. (tous les jours,
facilement, etc.)
b. ?Marie ne va pas à la piscine et Paul à la pêche.

2.3.3. Fragments unaires (stripping)

35 Les fragments unaires forment un type d’ellipse, appelé stripping ou constructions


différées, ne réalisant qu’un constituant résiduel correspondant à un constituant de la
phrase source. Il peut être interprété comme un valent du verbe (sujet ou complément)
ou bien comme un ajout. En structure coordonnée, le résiduel a la particularité d’être
accompagné le plus souvent d’un adverbe (par exemple, pas, même, ou bien, aussi). Le
conjoint fragmentaire est mobile dans la phrase source, c’est pourquoi il est analysé
comme un ajout incident, plutôt que comme une coordination (Abeillé 2005).
(41) a. Paul viendra, ou (bien) Marie.
b. Paul aime beaucoup, mais pas Marie, ce genre de roman à l’eau de rose.
Dans le cas des constructions comparatives, il n’y a pas de réalisation nécessaire d’un
adverbe en plus du constituant résiduel. Le fragment unaire n’est pas limité aux

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47

comparatives ajouts, il peut apparaître avec des comparatives compléments ou


attributs :
(42) a. Paul ne se comporte plus comme un enfant de trois ans.
b. Marie est comme toi.
36 En conclusion, nous avons observé que les comparatives en comme présentent des
phrases elliptiques à trouées ou bien unaires. Bien qu’elles reposent sur des conditions
de parallélisme relativement similaires, la distribution des ellipses comparatives leur
est propre et ne peut être assimilée à celle des constructions coordonnées. Les
propriétés structurelles (ordre des phrases, conditions sur l’extraction) des deux types
de constructions en témoignent.

3. Analyse et traitements de l’ellipse


37 Dans cette section, nous considérons les enjeux théoriques et les difficultés empiriques
à rendre compte de l’ellipse. Nous abordons les difficultés de l’appariement entre
phrase source et phrase cible (§3.1), puis nous évoquons les problèmes qu’une approche
par reconstruction syntaxique rencontre à traiter les disparités entre source et cible
(§3.2.). Enfin (§3.3), nous exposons les avantages d’un modèle non dérivationnel et
l’intérêt d’une approche par fragments.

3.1. Un problème empirique complexe

38 L’ellipse est un phénomène complexe qui crucialement met en jeu plusieurs niveaux de
représentation linguistiques. Pour les besoins de l’exposé, nous rappelons les formes les
plus fréquentes : omission du verbe (43a), du V et de ses dépendants (43b), du sujet et
du verbe (43c).
(43) a. La clarté dissipe les hésitations dernières de la vieille, comme le soleil dissipe un
brouillard.
b. Marie se décide à mettre des bottes aujourd’hui, comme Paul se décide à mettre des
bottes aujourd’hui
.
c. Paul aime les longues soirées entre amis, comme Paul aime les heures à méditer
en pleine nature, d’ailleurs.
39 Une grande part des difficultés de traitement de l’ellipse est constituée par
l’identification puis l’appariement entre le matériel linguistique de la phrase source
utilisé pour interpréter la phrase cible et le matériel fourni par la séquence elliptique
(i.e., les constituants résiduels). Syntaxiquement, il faut pouvoir rendre compte de la
combinatoire des éléments résiduels (leur linéarisation), leur attribuer une identité
fonctionnelle, vérifier qu’ils correspondent (catégoriellement) à une réalisation
possible de la valence du verbe omis et s’assurer que les constituants omis et les
résiduels sont compatibles. Sémantiquement, il faut construire une proposition en
utilisant une relation sémantique verbale associée à un des lexèmes V fournis par la
phrase matrice qui soit compatible avec la sémantique des constituants résiduels. Il
faut également avoir accès aux arguments du verbe antécédent qui seront utilisés dans
les cas où (cf. b,c) sujet ou dépendants sont absents. Pragmatiquement, pour respecter
le sens global associé à la construction elle-même (coordination, comparaison, etc.), il
faut identifier les informations pertinentes données par la phrase antécédent (i.e., les

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48

informations anciennes) et les associer aux informations nouvelles données par les
résiduels.
40 Une autre source de difficultés pour modéliser le phénomène provient de l’absence du
verbe tête. Les langues dans lesquelles l’ellipse a été le plus étudiée sont largement
configurationnelles (au sens de Bresnan 2000) et endocentriques. Or, le phénomène
viole les règles d’organisation canoniques, puisque certaines informations liées à la
constituance sont conservées (par exemple, la fonction des résiduels, ou le fait que
seuls des constituants majeurs sont résiduels) alors que le recteur principal (la tête
verbale) est obligatoirement absent.
41 Enfin, l’appariement est rendu plus délicat encore lorsque le parallélisme structurel (ou
linéaire), catégoriel et/ou morphosyntaxique entre les termes des phrases source et
cible n’est pas strictement observé.

3.2. Dissymétries entre phrase source et séquence cible


3.2.1. Problèmes de l’approche par reconstruction

42 Face aux ellipses de type gapping l’approche de la Grammaire Générative et


transformationnelle depuis (Hudson 1976, Ross 1967) jusqu’à Kennedy & Merchant
(2000) et Merchant (2004) est de postuler l’existence en structure profonde d’une
structure phrastique dont certains constituants n’ont pas de réalisation en surface ; la
structure de la phrase elliptique est obtenue par dérivations successives à partir d’une
copie de la structure de la phrase source et effacement des constituants non
phonétiquement réalisés dans la phrase cible.
43 Bien que l’idée qu’elle met en œuvre soit assez conforme à l’intuition, ce type
d’approche pose des problèmes théoriques et empiriques. Tout d’abord, il est gênant
de postuler une structure syntagmatique verbale vide. D’une part, la phrase elliptique
se comporte comme une catégorie non finie (cf. l’omission obligatoire du verbe tête, et
le résultat de l’extraction parasite). D’autre part, du point de vue théorique, on justifie
mal que deux types de phénomènes bien distincts que sont les ellipses (qui ne
correspondent pas à un vide sous-catégorisé) et les vides syntaxiquement obligatoires
(l’extraction d’un constituant, par exemple) reçoivent la même représentation.
44 En outre, la copie de la phrase source est problématique. Historiquement, les études
portant sur l’ellipse ont majoritairement concerné les structures coordonnées, et,
étant donné les contraintes de parallélisme de ces constructions, plus fortes qu’en
comparatives, on comprend le recours à la copie. Cependant, l’opération suppose
l’intégrité formelle des constituants et de la structure (i.e., de la configuration
syntagmatique) à recopier, alors que les données que nous observons ne montrent pas
forcément d’identité formelle avec le matériel de la phrase source. Le seul recours dans
ce type de cadre théorique pour traiter la disparité des réalisations de surface est une
multiplication des cycles de dérivations sémantiques, morphologiques et syntaxiques,
ce qui, en plus d’être coûteux, entraîne potentiellement des incohérences théoriques.

3.2.2. Difficultés empiriques

45 La gestion de l’appariement entre phrase source et phrase cible est un enjeu pour tous
les modèles. Dans cette section nous rassemblons les aspects empiriques les plus
problématiques. Les données qui suivent montrent en particulier qu’on ne peut inscrire

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49

structurellement cette répétition, ni envisager une duplication des formes instanciées


dans la phrase antécédent car les propriétés morphosyntaxiques ne sont pas toujours
conservées.

Propriétés structurelles

46 Ainsi que nous avons pu l’observer, il arrive que les constituants résiduels et leurs
correspondants dans la phrase source n’aient pas de propriétés syntaxiques identiques.
Par conséquent, on ne peut pas s’appuyer sur la structure syntaxique de la première
phrase pour générer celle de la séquence elliptique (cf. Culicover & Jackendoff 2005,
pour l’anglais). Ci-après, nous rappelons les faits.
47 Tout d’abord, la catégorie des constituants mis en parallèle peut ne pas être la même ;
comme ici un SN et un SV compléments (44).
(44) Paul aime les longues soirées entre amis comme passer des heures à méditer en
pleine nature.
Les propriétés structurelles des constituants peuvent être distinctes, comme ici,
lorsque le verbe antécédent enregistre l’extraction d’un complément du N du SN objet
sans qu’il y ait d’extraction correspondante dans la phrase cible (si l’on devait la
reconstruire syntaxiquement) :
(45) a. Un auteur dont on vend mieux les romans __que la Bible. ( F0
23 qu’on ne vend la

Bible de cet auteur)


b. Un auteur dont les romans_ se vendent comme la Bible. ( F0 23 de cet auteur se

vend)
L’ordre des constituants résiduels peut être différent de celui des constituants
correspondants de la phrase source ; SN objet – SP locatif /SP locatif – SN objet en
(46a) ; SN sujet – SP locatif / SP locatif – SN sujet (46b) :
(46) a. On a plus promu la voiture à Paris qu’à Londres les transports en commun
b. Le dynamisme des entreprises attire les investissements à Londres, comme à
Paris l’industrie du luxe.
Le nombre des constituants peut être différent, les valences peuvent ne pas
être identiques ; SN objet – SP à complément/ SN objet (47) :
(47) a. Paul a écrit des petits mots doux à sa mère, comme des poèmes de grande
valeur.
b. Paul a plus souvent écrit des petits mots doux à sa mère que des poèmes de
grande valeur.
Les constituants mis en correspondance peuvent être sous-catégorisés par des
prédicats structurellement différents : en (48), le prédicat antécédent est a promis
d’essayer d’apprendre le latin alors qu’on pourrait reconstruire la phrase comparative
avec le prédicat a promis d’apprendre le grec.
(48) a. Paul a plus souvent promis d’essayer d’apprendre le latin que Marie le grec.
b. Paul a souvent promis d’essayer d’apprendre le latin, comme Marie le grec.
Enfin, la mobilité de la comparative d’analogie dans la matrice pose une difficulté
supplémentaire aux modèles qui ne dissocient pas constituance et linéarisation des
constituants. Non seulement il faut pouvoir traiter les cas d’antéposition, comme en
(49a), mais encore, il faut autoriser les cas de ‘scramble’, c’est-à-dire d’insertion
incidente, comme en (49b) :
(49) a. Tout comme son frère, Paul est grand.
b. Paul, comme son frère, va être très grand.

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50

Propriétés morphosyntaxiques

48 Il n’y a pas toujours identité de forme entre le verbe antécédent et celui qui serait
réalisé, dans l’hypothèse d’un effacement ultérieur, dans la séquence elliptique. Un
modèle dérivationnel se trouve face à un problème d’indécision, qui ne peut être résolu
pour chaque cas de figure que nous citons, que par une multiplication de règles
particulières pour obtenir la forme verbale cible attendue.
49 Ainsi, dans les constructions comparatives suivantes, le mode des verbes peut être
différent. En (50a,b) la présence de l’ajout hypothétique impose un verbe tête au
conditionnel. En (50c,d), la séquence manquante est soit au présent générique soit au
conditionnel22, et peut même présenter une modalité (pouvoir, avoir l’habitude, etc.) qui
n’était pas présente en phrase source :
d. Manger comme un cochon, ça ne lui ressemble vraiment pas. comme un cochon
mange / mangerait / pourrait manger, etc.
D’une part, il n’y a pas duplication du verbe tel qu’il est instancié dans la phrase pleine,
d’autre part, l’idée même d’une reconstruction syntaxique se heurte à l’aléatoire de la
forme que peut prendre le verbe ; il n’est pas possible de prédire quelles/toutes les
modalités réalisables dans cet environnement.
50 Le temps grammatical du verbe, également, peut varier23, modulo certaines contraintes
pragmatiques qui doivent être satisfaites pour motiver l’association entre les situations
décrites dans la phrase source et la phrase cible. En (51a-c), le temps grammatical est
imposé par la présence d’un adverbe temporel ; en (51d,e), il est pragmatiquement
justifié parce que le comparant véhicule une vérité établie ou une connaissance
générale24:
(51) a. (Amy n’a pas assez répété son examen) – Rassure-toi, Amy travaillera plus
longtemps chez elle demain que chez toi hier.
b. Paul va de mieux en mieux, demain, il mangera comme avant.
c. L’aptitude de l’ancêtre à grimper dans les arbres devait le mettre à l’abri,
comme aujourd’hui les singes, des grands prédateurs. LE MONDE : 08/02/01 : 25
d. La salle entière chavira sous ses yeux, glissant avec lenteur de droite à gauche
comme le pont d’un navire sur une mer démontée. GREEN.J / MOIRA / 1950 : 42 / PREMIÈRE
PARTIE
e. Tu seras laide comme les quatorze péchés capitaux !
51 En structures coordonnées, comme en comparatives, on assiste à une neutralisation des
phénomènes d’accord ; le verbe de la séquence source et celui que l’on restituerait dans
la séquence elliptique ne portent pas obligatoirement le même nombre :
(52) a. Demain au restaurant, Paul mangera des lasagnes et les enfants des panini.
b. Demain au restaurant, Paul mangera autant de lasagnes que les enfants de
panini.
c. Demain au restaurant, Paul mangera des lasagnes, comme les enfants des
panini.
52 Quel que soit le modèle, il faut pouvoir associer (ou générer) des verbes dont la
réalisation morphosyntaxique en termes de valence présente des différences. En
imaginant que l’on reconstruise le verbe manquant, on observe en (53) une forme
verbale ‘prodrop’ (impératif) ou une forme non finie (infinitif) dans la phrase matrice et
une forme avec un pronom personnel sujet (clitique) dans la comparative :
(53) a. Ferme la porte comme *(tu) fermes la porte quand tu pars en vacances.
b. J’ai essayé de danser comme toi tu danses, ça ne marche pas.

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51

En (53b) la forme du constituant résiduel, un pronom personnel fort, empêche tout


simplement la reconstruction littérale d’une phrase finie. La seule façon d’en
reconstruire une syntaxiquement est de postuler une dislocation du pronom fort et une
forme verbale avec clitique correspondant. Le cas est identique en (54) :
(54) a. Paul aime faire la vaisselle comme *moi aime faire la lessive
b. Paul aime faire la vaisselle comme moi j’aime faire la lessive
A l’inverse, ainsi que signalé plus haut, une forme verbale cliticisée (55a), ou bien
encore, une forme verbale ne réalisant pas un constituant (i.e., une forme ‘gapée’) (55b)
dans la phrase matrice peut être mise en parallèle avec une forme verbale réalisant
syntagmatiquement le constituant correspondant :
(55) Le paysage le pénétrait comme le soleil cette eau.
A leurs yeux, l’absolue domination sur le golf mondial de celui qui multiplie les
victoires comme d’autres les pains, parfois miraculeusement il faut le reconnaître,
est une preuve irréfutable de sa nature divine. (Le Monde portail web du
11/04/2008)
53 En guise de conclusion, on ajoutera les deux exemples suivants plusieurs fois
problématiques. En (56), il faut résoudre le problème posé par l’insertion incidente (les
informations à utiliser se trouvant de part et d’autre), et, sachant qu’on peut avoir des
inversions de sujet SN, s’assurer de la bonne analyse fonctionnelle des éléments
résiduels SN-SN.
(56) Le monde social est parsemé de rappels à l’ordre qui ne fonctionnent comme
tels que pour les individus prédisposés à les apercevoir, et qui, comme le feu rouge
le freinage, déclenchent des dispositions corporelles. Bourdieu (Méditations
pascaliennes : 210)
(57) L’aptitude de l’ancêtre à grimper dans les arbres devait le mettre à l’abri,
comme aujourd’hui les singes, des grands prédateurs. LE MONDE : 08/02/01 : 25
En (57), en restituant l’ordre des phrases, en procédant à la copie et au remplacement
par les éléments résiduels on obtient (58). Signalons que la simple copie ne suffit pas
puisqu’il faut aussi substituer l’ancêtre par des(de-les) singes dans le complément du N
aptitude.
(58) L’aptitude de l’ancêtre à grimper dans les arbres devait le mettre à l’abri des
grands prédateurs, comme aujourd’hui l’aptitude des singes à grimper dans les
arbres les mettent à l’abri des grands prédateurs.
54 Les données exposées montrent des disparités telles qu’on ne peut envisager de
procédures simples de type copie+effacement. Il faut disposer d’un modèle qui, au
minimum, organise sur des plans distincts les informations liées à la constituance et
celles relatives à la linéarisation.

3.3. Avantages d’une approche non dérivationnelle

55 Des travaux plus récents ont été menés dans un cadre non dérivationnel, en HPSG en
particulier. Ce type de cadre est a priori plus adapté pour rendre compte du phénomène
de l’ellipse dans sa globalité. Il permet d’articuler des niveaux de représentations
respectivement associés à un type d’information linguistique (linéarité, fonction,
sémantique, pragmatique) au moyen de traits. On peut ainsi sélectionner et associer
certaines informations, et pas d’autres. Les opérations se font simultanément en
prenant la forme de contraintes de bonne formation sur des types d’objets
linguistiques. Les représentations ne rendent compte que des réalisations de surface, il
est impossible de construire des syntagmes vides.

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52

56 Dans le champ des travaux sur l’ellipse, nous choisissons de retenir la proposition de
Ginzburg & Sag (2001) qui autorise, sous certaines conditions, l’existence de catégories
syntagmatiques fragmentaires. Ceci ouvre la possibilité, contre l’idée même d’une
reconstruction syntaxique, qu’une séquence elliptique puisse être intégrée comme une
catégorie syntaxique à part entière, bien que très contrainte et présentant une
constituance non canonique. La mise en œuvre de fragments est rendue possible grâce
à l’approche constructionnelle que le modèle intègre qui brise l’univocité stricte entre
les niveaux d’analyse linguistique. On peut dès lors envisager qu’une séquence non
phrastique possède une sémantique propositionnelle.

3.3.1. L’ellipse, une catégorie fragmentaire

57 Un certain nombre d’arguments montrent la nécessité de postuler l’existence de


fragments dans la grammaire des langues comme le français. Tout d’abord, considérant
le statut du vide que représente l’ellipse, on constate que la séquence manquante n’est
pas un vide « sous-catégorisé », puisqu’elle touche la tête même de la phrase,
contrairement aux constituants syntaxiquement contraints à une non-réalisation,
comme le constituant manquant d’une dépendance non bornée ou bien le sujet non
réalisé des SV infinitifs. En d’autres termes, il s’agit d’un autre type de vide : une
absence de structure.
58 D’autre part, les séquences fragmentaires ne sont pas syntaxiquement autonomes, elles
ne peuvent figurer seules (en dehors des réponses, cf. ex. 59b), elles n’apparaissent que
dans des constructions particulières et sont soumises aux contraintes propres de ces
constructions. En outre, elles ne peuvent être interprétées que dans l’environnement
d’une phrase antécédent qui fournit le contexte source.
59 Enfin, il existe plusieurs environnements syntaxiques où l’on observe l’apparition de
fragments ; en plus des comparatives et des constructions coordonnées (ou
juxtaposées), ils sont aussi possibles dans une phrase enchâssée avec un adverbe polaire
(59), et dans les réponses25.
(59) a. Paul viendra mais je pense/crois que Marie pas/non.
b. A-Qu’est-ce que tu écoutes ? B- la radio
Par conséquent, la notion de fragment comme catégorie syntagmatique est justifiée.
60 Nous avançons, à la suite de Ginzburg & Sag (2001) et Culicover & Jackendoff (2005), que
les séquences elliptiques ne comportent pas de verbe, elles ne résultent pas d’un
effacement de matériel. Suivant plus précisément Mouret (2006), on a affaire à une
forme syntaxique particulière constituée de fragments, avec une catégorie qui domine
exhaustivement le syntagme. Il n’y a pas de tête vide, ce qui se traduit par le fait que les
séquences fragmentaires sont des syntagmes sans tête qui donnent lieu à des séquences
(ou listes) de n fragments. Abeillé et al. (2008) développent une analyse de ce type pour
le gapping en structures coordonnées en français et en roumain. Les fragments ne sont
pas considérés comme des constituants de la séquence (ce qui est indépendant du fait
qu’ils soient eux mêmes structurés), mais comme une réalisation linéaire (via un trait
‘Domaine d’ordre’ dédié à l’ordre des mots). Les informations concernant
l’interprétation sémantique ne proviennent pas des mécanismes habituels utilisés pour
les syntagmes comportant une tête. Ils reposent sur des règles propres au caractère
elliptique de la sous-construction qu’ils forment.

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53

61 A titre d’illustration, nous reproduisons (figure 1) la représentation (simplifiée) de la


séquence fragmentaire Marie des pommes dans le contexte de la phrase Jean mange des
bananes et Marie des pommes. Le point crucial du traitement réside dans les contraintes
d’appariement entre les constituants résiduels - les fragments -, et des constituants de
la phrase source. Ces contraintes garantissent la bonne formation du calcul sémantique
du syntagme fragmentaire. Un trait gérant les informations contextuelles ( SALIENT-
UTTERANCE) permet d’accéder aux constituants de la phrase source (précédente) et une
règle de substitution26 associée au domaine d’ordre du syntagme ( DOMAIN ORDER) permet
d’apparier la structure sémantique du verbe capté avec la sémantique des constituants
résiduels. Dans un trait dédié à la structure informationnelle les fragments sont repérés
comme étant contrastifs, ce qui permet de mettre en parallèle les éléments de la phrase
antécédent qui peuvent faire l’objet d’une substitution.

Figure 1 : Structure de traits pour (Jean mange des bananes et) Marie des pommes (in Abeillé et al.
2008).

62 A priori le traitement proposé par Abeillé et al. (2008) utilise principalement les
informations sémantiques pour identifier et vérifier la compatibilité des résiduels avec
une relation verbale de la phrase antécédent, ce qui présente l’avantage de ne pas avoir
à gérer les disparités formelles (catégorielles). On regrette toutefois que le détail de la
règle d’appariement ne soit pas donné. En particulier, que se passe-t-il lorsque le
nombre des arguments dans la phrase cible est différent de celui de la phrase source ?
63 Pour l’essentiel, un traitement du même ordre peut être développé pour les séquences
fragmentaires des comparatives en comme, modulo certains aménagements pour
intégrer les contraintes propres à la construction.

3.3.2. Remarques sur le traitement de l’ellipse des comparatives en comme

64 Le traitement de l’ellipse par fragment peut être intégré de façon cohérente à l’analyse
HPSG des comparatives en comme et à celle des relatives sans antécédent. Ceci étant, les
comparatives présentent des particularités et des variétés qui rendent le traitement

Linx, 58 | 2008
54

sémantique des fragments plus complexe que ne l’est celui des coordinations de
propositions. Plusieurs remarques peuvent être faites à ce sujet.
65 Une première observation est que les éléments de la phrase source qui permettent
l’interprétation de la proposition cible varient selon le type de comparative, ou plus
précisément, selon l’élément avec lequel la comparative en comme se combine. On
distingue ainsi les comparatives qui se combinent avec un constituant à tête verbale,
autrement dit une phrase, dans le cas d’un ajout d’analogie, ou un V/SV dans le cas
d’un modifieur ou d’un complément de V, des comparatives prédicatives, qui se
combinent avec un adjectif (A/SA) ou avec un nom (N/SN).
66 Dans le premier cas, à l’instar de ce qui se passe avec les ellipses en coordonnées, la
proposition de la séquence fragmentaire se construit en utilisant une relation verbale
(assortie de ses arguments si nécessaire) fournie par la phrase source. En ce qui
concerne l’ajout d’analogie (60), il n’y a pas d’indication syntaxique du verbe qui doit
être utilisé. En revanche, les comparatives modifieurs ou compléments de V (61)
utilisent la relation sémantique du V avec lequel elles se combinent. Afin de rendre
compte de l’interprétation, nous transcrivons en petits caractères le verbe et les
arguments manquants –dont l’adverbe de manière extrait– ; mais, il ne s’agit en aucun
cas de reconstruction syntaxique.
(60) a. Paul adore la peinture, tout comme sa femme adore la peinture d’ailleurs.
b. Paul adore la peinture, tout comme Paul adore les arts en général.
c. Paul adore la peinture, tout comme sa femme adore les arts en général.
d. Paul a souvent promis d’essayer d’apprendre le latin, comme Marie a promis
d’apprendre
le grec.
(61) a. Il sonne exactementcomme le mot serviette sonne d’une x manière.
b. Celle qui court le long de votre vie comme le feu court d’une x manière le long d’un
cordon Bickford.
c. Ma voisine parle aux gens comme ma voisine parle d’une x manière à son chien.
67 Le cas des comparatives prédicatives, modifieurs de A/SA ou de N/SN, est remarquable
en ce que l’interprétation de la séquence fragmentaire est toujours une structure
d’attribution, et qu’aucune relation sémantique verbale propre n’est fournie par la
phrase source.
68 Les comparatives modifieur d’adjectif (ou de SA) présentent deux types de séquences
fragmentaires : ou bien, la séquence ne contient qu’un fragment qui correspond
(toujours) au sujet (cf. 62a,b,c), ou bien, moins fréquemment, elle contient un fragment
sujet et un fragment qui correspond à un attribut (cf. 62d,e). Dans tous les cas, la
relation sémantique à reconstituer est une prédication simple ; intuitivement, on utilise
le verbe copule pour l’interprétation de la séquence fragmentaire, et ce,
indépendamment du verbe utilisé dans la phrase matrice. Lorsque seul un fragment
sujet est réalisé, l’attribut manquant correspond à celui utilisé dans la phrase source, le
constituant même qui se combine avec l’ajout comparatif. L’adverbe de manière extrait
est un modifieur de l’attribut.
(62) a. Tu sera laide comme les quatorze pêchers capitaux sont x laids .
b. Je l’ai trouvé intelligent comme son frère est x intelligent .
c. Un homme honnête comme toi tu es x honnête ne peut pas mentir.
d. Jean est intelligent comme Paul est x adroit.
e. J’ai trouvé Jean intelligent comme Paul est x adroit.
Les séquences qui sont constituées d’un unique fragment s’interprétant comme un
attribut ne relèvent pas de la même analyse. Ou bien, on a affaire à une coordination

Linx, 58 | 2008
55

d’attributs (cf. Mouret & Desmets, ce numéro), comme en (63a), dans laquelle il n’y a
pas de restitution possible de la phrase pleine. Ou bien, on est face à une comparative
d’analogie qui utilise l’ensemble de la relation sémantique du verbe de la phrase source
(cf.63b)
(63) a. J’ai toujours aimé cet homme intelligent comme bien élevé
b. Je l’ai trouvé intelligent, comme je l’ai trouvé maladroit
69 L’interprétation des comparatives fragmentaires modifieurs de N/SN ne s’appuie pas
non plus sur un verbe réalisé dans la phrase source. Dans tous les cas, il s’agit d’une
attribution de propriété simple (avec une copule, s’il fallait reconstruire un verbe) et le
N modifié est utilisé comme un des éléments de la relation prédicative. Soit il fournit
l’attribut, et l’adverbe extrait s’interprète alors comme un spécifieur du N attribut,
comme en (64a,b) ; soit le N modifié fournit le sujet de l’attribution et l’adverbe extrait
s’interprète comme l’attribut (64c,d).
(64) a. Paul adorerait avoir une voiture comme la tienne est une x voiture.
b. Marion a de la chance d’avoir une amie comme Agnès est une x amie.
c. J’ai trouvé des pâtisseries comme les pâtisseries sont xchez Mazet.
d. J’ai mangé un ragoût comme les ragoûts sont x chez la cousine Aline.
70 Une autre particularité des comparatives en comme, et qui peut être problématique
pour le traitement tel qu’il est proposé par Abeillé et al. (2008), concerne une possibilité
liée à leur fonction : la mobilité.
(65) a. Le monde social est parsemé de rappels à l’ordre qui ne fonctionnent comme
tels que pour les individus prédisposés à les apercevoir, et qui, comme le feu rouge
le freinage, déclenchent des dispositions corporelles. Bourdieu (Méditations
pascaliennes : 210)
b. L’aptitude de l’ancêtre à grimper dans les arbres devait le mettre à l’abri,
comme aujourd’hui les singes, des grands prédateurs. LE MONDE : 08/02/01 : 25
c. Dans la nôtre F0
5B la société 5D , et même si ces dessins danois sont d’une navrante
F0

platitude, la caricature est un art ancestral, issu des grotesques, des gargouilles et
des masques médiévaux, et un art du peuple, conquis, comme le journal, de haute
lutte. (LM - portail web du 11/04/2008)
d. Comme Paul les jours de pluie, Marie se décide à mettre des bottes
aujourd’hui.
71 Les cas d’insertion et d’antéposition illustrés en (65) montrent que le calcul sémantique
de la séquence fragmentaire est résolu une fois que l’ensemble de l’énoncé est effectué.
Autrement dit, la liste des éléments du domaine de la phrase matrice (du trait SALIENT-
UTTERANCE) qui est utilisée pour opérer la substitution ne doit pas être limitée aux
éléments précédemment énoncés. L’appariement doit être réalisé au niveau du nœud
mère du syntagme tête-ajout(parenthétique) pour avoir accès à l’ensemble des
éléments à substituer.
72 Enfin, la dernière remarque porte sur la catégorie avec laquelle comme comparatif se
combine. Les exemples (70) montrent que la comparative n’accepte pas l’ellipse du
sujet27 .
(66) a. *Jean écoute la radio, comme lit le journal d’ailleurs.
b. *Ces dessins déstabilisent, tout comme désavouent la suprématie du pouvoir
religieux d’ailleurs.
73 On peut en déduire deux choses. D’une part, lorsque la comparative est finie, elle l’est
au sens stricte, c’est-à-dire qu’elle comporte un verbe tête conjugué qui réalise
obligatoirement un sujet syntaxique28 ou clitique (pronom personnel). D’autre part, on
confirme le fait que si la phrase est elliptique, elle omet obligatoirement le verbe tête,

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56

c’est-à-dire qu’elle doit être strictement sans tête, soit non finie. On pourrait faire
l’hypothèse que lexicalement comme comparatif se combine toujours avec un
constituant de catégorie Phrase, même lorsque la réalisation de cette dernière est
fragmentaire. Le problème est qu’une catégorie phrase possède obligatoirement une
tête. Pour Abeillé et al (2008), fragment est une valeur catégorielle (une valeur pour le
trait HEAD). Il faut donc spécifier au niveau de la construction comparative que la
catégorie avec laquelle comme se combine est soit une phrase (finie) – ce que propose
Desmets (2002) –, soit un fragment. Par ailleurs on peut ajouter, suivant une des
dimensions d’organisation des syntagmes en HPSG, que les fragments de type gapping
sont des clauses, en ce qu’ils possèdent le même type de sémantique que les phrases
finies.

Conclusion
74 En étudiant les séquences fragmentaires des comparatives en comme, nous avons pu
confirmer que l’ellipse est un phénomène trans-constructionnel, qui n’altère pas (ou
peu) les propriétés externes des constructions dans lesquelles elle apparaît. Sa présence
est un corollaire à la redondance informationnelle, laquelle résulte de parallélismes
sémantiques et syntaxiques ; cependant le phénomène n’est pas toujours optionnel.
L’ellipse est sensible à l’environnement syntaxique dans lequel elle apparaît (ce qui
peut expliquer la proximité de l’ellipse des constructions comparatives en comme et
celle des comparatives scalaires), ce dont témoigne la comparaison avec l’ellipse en
structures coordonnées. Enfin, le phénomène est difficile à modéliser, pour des raisons
tant empiriques que théoriques et la réponse théorique la plus adaptée à ce jour semble
être une approche par fragment. La phrase elliptique est vue comme une phrase
fragmentaire, syntaxiquement non finie, dont la sémantique propositionnelle est
reconstruite à partir de la phrase source. Cette approche répond favorablement aux
propriétés de l’ellipse des comparatives en comme que nous avons étudiées. La
formalisation d’une telle analyse, intégrant les observations du présent article,
constituera l’objet d’un travail ultérieur.

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NOTES
1. Je tiens à remercier A. Abeillé, P. Amsili, K. Baschung, L. Roussaire et F. Mouret pour leurs
précieuses remarques. Toute erreur restant mienne.
2. Toutes les comparatives en comme ne permettent pas l’ellipse du verbe tête. Ainsi, l’ajout
reportif, ajout incident à la phrase matrice qui permet la mention d’un discours (cf. Desmets &
Roussarie 2001) requiert obligatoirement la présence du verbe de discours ou de « pensée » :
(i) En reconnaissant Koupriane, les deux nihilistes pouvaient, comme l’avait dit le reporter, se
croire découverts, et précipiter la catastrophe. LEROUX.G

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(ii) Il n’était surtout pas question de porter le voile, ce « symbole de la répression patriarcale »,
comme elle le qualifie. LE MONDE DIPL.
Nous signalons également que les comparatives ajouts, quand elles sont antéposées à la phrase,
reçoivent de meilleurs jugements d’acceptabilité lorsqu’elles sont fragmentaires. C’est le cas des
comparatives d’analogie en comme, dont l’interprétation peut parfois entrer en collision avec
celle d’un ajout causal, qui lui ne connaît pas de forme elliptique (phénomène également signalé
dans Moline 2007) : Comme Paul va au foot le mercredi soir, Marie va au tennis tous les samedis.
Le même phénomène s’observe avec les comparatives scalaires incidentes, qui présentent des
difficultés à être antéposées lorsqu’elles ne sont pas fragmentaires (cf. Amsili & Desmets, 2008b) :
Plus que des subventions aux cités, il faut donner du travail aux jeunes vs *Plus qu’il faut donner des
subventions aux cités, il faut donner du travail aux jeunes.
3. On distinguera de ce fait les coordinations en comme, dont le conjoint ne s’interprète pas
toujours de façon propositionnelle (cf. Mouret & Desmets, ce numéro) : La France comme
l’Angleterre ont accepté de signer le traité.
4. On peut expliciter la relation sémantique associée à comme dans la phrase il est grand comme son
frère est petit par le schéma suivant (d’après Desmets 2001) : il existe deux états, s1 et s2, ayant
chacun une propriété, appelons-là « Qualité », respectivement Φ et Ψ, et Φ et Ψ sont identiques,
ou encore s1 et s2 sont Φ -comparables. On pourra formaliser l’interprétation de la relation de
comparaison (de Qualité d’états) de la manière suivante : grand (s1, x) & petit (s2, y) & Φ(s1) &
Ψ(s2) & λs Φ(s) = λsΨ(s) ; l’abstracteur rend compte du fait que Φ et Ψ sont des prédicats
appropriés au type de variable s (« s » étant une variable associée au type « état »).
5. Pour une présentation générale des phrases elliptiques et fragmentaires, se reporter à Abeillé
(à paraître).
6. A titre indicatif, le prédicat que l’on peut interpréter à partir de la phrase antécédent est écrit
en italique indicé. Il ne s’agit pas d’une reconstruction syntaxique.
7. Les ambigüités en comparatives sont celles repérées depuis longtemps pour les coordinations
(Hankhamer 1971) : (a) identité souple vs stricte : ou bien Pierre donne des roses à sa femme
(identité souple) ou bien Pierre donne des roses à la femme de Jean (identité stricte).
(i) Jean donne plus de roses à sa femme que Pierre.
(ii) Jean donne des roses à sa femme, comme Pierre.
(b) ambiguïté de fonction du constituant résiduel : En (iii), ou bien Marie connaît mieux Sarah ou
bien Jean connaît mieux Marie ; en (iv) avec une prosodie continue sur l’ajout comparatif, on
obtient une lecture de type coordination (cf. Mouret & Desmets, ce numéro) : Jean connaît Sarah
et Marie, en (v) avec une prosodie détachée on rétablit l’ambigüité sur la fonction du constituant
Marie qui peut être sujet ou objet.
(iii) Jean connaît Sarah mieux que Marie.
(iv) Jean connaît Sarah comme Marie.
(v) Jean connaît Sarah, comme Marie.
(c) ambiguïté sur l’antécédent : ou bien l’ellipse correspond à la phrase « Paul dit qu’il va à la
montagne » ou bien à la phrase « Paul va à la montagne ».
(vi) Jean dit qu’il va à la montagne plus souvent que Paul.
(vii) Jean dit qu’il va à la montagne comme Paul.
8. Les dépendants de V ont fréquemment une réalisation non canonique, une omission : (i) Jean
mange plus de pommes que Marie ne mange. ; (ii) il est arrivé comme c’était prévu. Ou bien une
forme de résomption : (i) Idiot comme il l’est.
9. Il est en revanche possible de trouver une ellipse dans une enchâssée si le SN résiduel apparaît
avec un adverbe additif (je crois que Paul aussi), ou polaire (Paul viendra mais je pense que Marie pas/
non), qui semblent fonctionner comme une anaphore prédicative semblable aux formes so ou do
so de l’anglais (voir Miller 1992 et plus largement l’ensemble de la littérature sur l’ellipse du SV
en anglais).

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60

10. Il est à noter que le constituant résiduel peut également être une préposition forte seule : Plus
de personnes ont voté pour la proposition que contre ; Difficile de tenir cette boîte fermée, qu’on la prenne
par dessus comme par dessous.
11. En anglais, les pronoms personnels sujets, qui ne sont pas faibles, ne sont pas exclus. Dans :
Who wants to answer ? – Not I/me.
12. En outre, la forme de l’ellipse est insensible au type de fonction qu’occupe l’ajout comparatif
en comme ou en que.
13. Il existe également un effet de parallélisme syntaxique dans les comparatives scalaires, dans
la mesure où l’adverbe de degré extrait de la phrase en que a une fonction similaire à celle de
l’adverbe de degré réalisé dans la phrase matrice (cf. Amsili & Desmets, 2008a) : Pierre a plus
aimé les acteurs que Sarah n’a (x)aimé la mise en scène.
14. On n’inclura donc pas ici la coordination en comme présentée dans Mouret & Desmets (ce
numéro).
15. On signale que les comparatives scalaires modifieurs présentent leurs propres contraintes de
placement (cf. Amsili & Desmets, 2008b). En revanche, les scalaires parenthétiques ajouts à la
phrase matrice peuvent être antéposées :
(i)a. Plus que Betty, Anne a eu peur de l’accident
b. ?Plus que Betty la vitesse, c’est le choc qui a bouleversé/surpris Amy.
c. Plus que des subventions aux cités, il faut donner du travail aux jeunes.
d. Il faut, plus que des subventions aux cités, donner du travail aux jeunes.
e. Certains invités ont, moins que d’autres, apprécié le repas de ce soir.
16. Ainsi que l’a noté Williams (1977) pour l’anglais, les comparatives ne seraient pas un contexte
de type across the board pour l’extraction.
17. Par ailleurs, les comparatives en comme compléments de V ne présentent pas de contrainte
sur la double extraction (cf.i,ii), ce qui confirme bien que le phénomène observé est une
contrainte sur l’extraction parasite réservée aux ajouts : (i) Un immeuble dont la voisine de Paul
se comporte comme la gardienne_ lorsqu’un livreur se présente.
(ii) Un secret dont la cousine de Paul se comporte comme une dépositaire illégitime_ sur le point
d’être dénoncée.
18. Nous laissons pour une étude ultérieure l’analyse des mises en facteur (Righ node raising
(RNR), cf. Hudson 1976), présentes dans les constructions coordonnées et les comparatives, qui
réalisent un verbe fini mais ellipsent un dépendant (complément ou ajout) du verbe de la
première phrase. Il n’est pas sûr qu’elles soient disponibles pour la comparaison (de manière) en
comme, et elles ne semblent possibles qu’avec les comparatives scalaires parenthétiques.
(i) a. Jean apprécie plus qu’il n’aime le théâtre.
b. Jean aime, autant que Marie déteste, les haricots.
c. Jean aime, comme Marie déteste, ces magazines. (coordination en comme vs *manière)
d. Certains souhaitent, comme d’autres redoutent, la mise en place de ces réformes.
19. Les mêmes exemples en coordination (i,ii) ne semblent pas franchement exclus, alors qu’ils
devraient l’être selon une analyse ACC. On peut penser que les séquences réalisées ici ne
répondent pas à une analyse ACC mais à un cas de gapping, ce qui doit de toutes façons être
envisagé pour les cas où l’analyse ACC est exclue parce que les constituants ne peuvent être
analysés comme étant sœurs, par ex. en (iii) où le SP extrait du V du premier conjoint rend
caduque l’analyse ACC :
(i) ??J’ai proposé à Marie de lui apprendre le grec et à son frère le latin.
(ii) ??Jean dit de réviser son Histoire à Marie et sa Géo à son frère.
(iii) A Marie, Paul donnera un livre demain et un disque à Paul aujourd’hui.
20. On ne peut tester de séquences de constituants sœurs compléments ou ajouts de V qui ne
soient pas majeurs selon la définition énoncée plus haut : ils sont obligatoirement directement
dominés par le SV racine ou un V enchâssé sous le SV racine.

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21. En (38) si l’ellipse du V s’interprète comme voit, alors les constituants sa mère et la sienne ne
sont pas sœurs.
22. Ce sont des modes caractéristiques de la construction à parangon (Milner 1973). En outre, si
un opérateur de négation est présent sur le verbe de la principale, il peut ne pas être repris ou
interprété dans la subordonnée ajout.
23. La coordination montre des contraintes d’identité plus stricte en ce domaine (cf. Mouret
2007).
24. Sur la valeur générique des ajouts d’analogie, voir Moline (à paraître).
25. Les réponses fragmentaires constituent le problème linguistique à l’origine duquel Ginzburg
& Sag (2000) ont proposé l’existence de fragments.
26. La résolution sémantique de l’ellipse proposée dans Abeillé et al. (2008) s’inspire largement
des travaux de Sag (1976), puis Gardent (1991), qui, alternativement aux travaux en grammaire
générative et transformationnelle, ont proposé un traitement centré sur la résolution
sémantique de l’ellipse, par l’intermédiaire d’une duplication de la structure sémantique de la
phrase source, puis une règle de substitution permettant d’instancier les arguments résiduels de
la phrase cible. De là est dérivée la structure syntaxique. Cette approche a l’avantage d’être
moins soumise aux contraintes dues à la copie structurale de la phrase source mais conserve les
problèmes liés à un traitement par dérivation (i.e., la nécessité d’ordonner les opérations).
27. Une contrainte identique pèse sur les comparatives scalaires : *Jean écoute plus la radio que ne
lit le journal ; *Ces dessins déstabilisent plus que (ne) désavouent la suprématie du pouvoir religieux.
28. En outre, le sujet de la phrase se combinant avec comme ne peut être extrait.

RÉSUMÉS
La construction comparative en comme présente tantôt une phrase pleine, tantôt une phrase
elliptique, mais cette variation interne ne change ni sa distribution (fonctions et placements dans
la phrase matrice) ni sa sémantique. Bien qu’elles connaissent des contraintes de parallélisme
syntaxiques et sémantiques similaires, les phrases elliptiques des constructions comparatives,
montrent des propriétés distinctes de celles des constructions coordonnées. Enfin, contre une
approche par copie et effacement, qui se révèle inadéquate, nous montrons que les contraintes
liées à la résolution de l’ellipse nécessitent un traitement qui dissocie les informations
fonctionnelles, catégorielles et sémantiques, et qui autorise des syntagmes phrastiques constitués
de syntagmes fragmentaires, aboutissant ainsi à la linéarisation requise.

Comparative constructions introduced by comme present either a full clause, or an elliptic clause,
but these internal variations do not change their possible functions, places, or their semantics.
Although both comparative constructions and coordinations show similar syntactic and semantic
parallelism constraints, their ellipsis have different properties. And, contrary to a copy-deletion
approach, which turns to be inadequate, we show that a proper treatment for ellipsis phenomena
must dissociate functional, categorial and semantic information, and must allow clausal phrases
formed with fragments, which gives rise to the required linearizations.

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Analogie et coordination en comme


François Mouret et Marianne Desmets

Introduction
1 C’est un fait bien repéré dans les grammaires que le mot comme peut, lorsqu’il relie
deux SN sujets, donner lieu à deux types d’accord (voir par exemple Grévisse & Goosse
2008, §454). Le verbe s’accorde avec le premier sujet réalisé lorsque la séquence
introduite par comme est prosodiquement « incidente » au sens de Bonami et al. (2004),
c’est-à-dire non intégrée à la mélodie de la phrase (1a), tandis qu’il s’accorde, semble-t-
il, avec la construction SN comme SN dans son ensemble lorsque la séquence est au
contraire prosodiquement intégrée (1b), à l’image d’une coordination additive (1c) 1.
(1) a. La France, comme l’Angleterre, est favorable à ce projet.
b. La France comme l’Angleterre sont favorables à ce projet.
c. La France et l’Angleterre sont favorables à ce projet.
2 Les tours incidents du type (1a) ont été bien étudiés : il s’agit de constructions
comparatives elliptiques ajouts à la phrase (sans conséquence de fait sur l’accord du
verbe avec le sujet) appelées « comparatives d’analogie », parce qu’elles établissent une
relation d’analogie, ou encore de similarité, entre deux propositions (cf. Le Goffic 1991,
Desmets 2001, Moline 2008). Les tours intégrés du type (1b), en revanche, soulèvent
plus de questions : l’accord au pluriel, qui est bien attesté (cf. (2)), constitue-t-il un
simple effet d’intégration sémantique dû au parallélisme des sujets des deux
propositions de la comparaison ou bien faut-il admettre l’existence d’une structure
coordonnée et réanalyser, dans ce cas, le mot comme, le tour dans lequel il entre et la
contribution sémantico-pragmatique de l’un et de l’autre ?2
(2) a. Chez Renault, la direction comme les syndicalistes reconnaissent que,
l’automne dernier, le conflit de Cléon et du Mans avait révélé l’urgente nécessité de
donner « de la chair » à un « accord à vivre », certes novateur, mais ressenti comme
trop abstrait. (LM)
b. Un professionnel « incontestable » serait nommé à la tête de la Cinq et la
société des journalistes comme l’association des téléspectateurs y seraient
associées. (LM)
c. Le Maroc comme la Tunisie entrent en effet dans la phase finale de leurs plans

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d’ajustement qui doit conduire à une libéralisation plus complète de leurs échanges
et à la convertibilité de leurs monnaies. (LM)
d. Il reste un bon moyen de s’attacher de la main-d’oeuvre quand la pénurie
sévit, et le bâtiment comme les travaux publics ont pour cette raison renoncé à
leurs projets de réforme. (LM)
3 Nous voudrions argumenter dans cet article en faveur d’une analyse intermédiaire. Sur
le plan syntaxique, les tours intégrés doivent bel et bien être considérés comme des
structures coordonnées avec une recatégorisation de l’adverbe comme en conjonction
(§1-2). Sur le plan interprétatif, en revanche, la construction coordonnée conserve
certains traits sémantiques de l’ajout comparatif. La différence se situe au niveau
pragmatique : alors que la contribution comparative relève du commentaire en arrière
plan, la contribution de la coordination appartient au contenu principal asserté (§3). De
façon intéressante, ce double fonctionnement ne s’étend pas tel quel aux autres formes
similatives (ainsi que, de même que). Nous en faisons brièvement la démonstration (§4)
avant de conclure.

1. Propriétés lexicales
4 Considérons d’abord la catégorie du mot comme. Nous admettons sans discuter ici qu’il
s’agit d’un adverbe qu- dans les constructions comparatives, dont relèvent les tours
incidents du type (1a) (voir Desmets 2001). Outre le contraste d’accord, plusieurs
propriétés confirment bien qu’il s’agit en revanche d’une conjonction de coordination
dans les tours intégrés du type (1b). Nous en retiendrons trois ici, qui concernent la
combinabilité des conjonctions entre elles, la position de certains adverbes et l’ordre
des mots.

1.1. Combinabilité avec les conjonctions

5 Il est bien connu que les conjonctions telles que et, ou, ni ne sont pas combinables entre
elles, sauf cas de lexicalisation (et/ou) (cf. Bègue 1977). C’est ce qui explique par
exemple qu’à côté de (3a), qui met en jeu une coordination disjonctive enchâssée dans
une coordination conjonctive, on n’a pas (3b). On vérifie en (4) que le mot comme se
comporte de façon analogue dans les tours intégrés : il ne se combine pas avec une
autre conjonction.
(3) a. Nul doute que la France d’une part et l’Angleterre ou l’Espagne d’autre part
sont favorables à ce projet.
b. *Nul doute que la France d’une part et l’Angleterre ou et l’Espagne d’autre part
sont favorables à ce projet.
(4) a. Nul doute que la France comme l’Angleterre et l’Espagne sont favorables à ce
projet.
b. *Nul doute que la France comme l’Angleterre et comme l’Espagne sont
favorables à ce projet.
6 La situation est différente dans les tours incidents, où comme se comporte exactement
comme les autres adverbes que l’on rencontre à l’initiale de la phrase : il peut être
précédé d’une conjonction (5b-6b) et ne peut (à la différence des complémenteurs, voir
Desmets, 2001 : 54) être remplacé par que (5c-6c)3:
(5) a. Nul doute que la France, comme l’Angleterre et l’Espagne, est favorable à ce
projet.
b. Nul doute que la France, comme l’Angleterre et comme l’Espagne, est

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favorable à ce projet.
c. *Nul doute que la France, comme l’Angleterre et que l’Espagne, est favorable à
ce projet.
(6) a. Il ne peut plus bouger, tellement / tant il a peur et il est fatigué.
b. Il ne peut plus bouger, tellement / tant il a peur et tellement / tant il est
fatigué.
c. *Il ne peut plus bouger, tellement / tant il a peur et qu’il est fatigué.

1.2. Position de certains adverbes

7 Une autre propriété typique des conjonctions, notée notamment par Piot (1993), est
qu’elles peuvent être suivies mais jamais précédées par certains adverbes focalisants
(aussi, seulement, ...), mais aussi énonciatifs (en effet, d’ailleurs, ...) ou encore connecteurs
(ensuite, alors, ...) :
(7) a. La France et en effet l’Angleterre sont favorables à ce projet.
b. *La France en effet et l’Angleterre sont favorables à ce projet.
8 Aucune restriction de ce type ne pèse en revanche sur les adverbes, comme l’illustrent
les exemples suivants :
(8) a. Il ne peut plus bouger, tellement / tant en effet il a peur.
b. Il ne peut plus bouger, en effet tellement / tant il a peur.
9 À nouveau, on observe un fonctionnement différentiel du mot comme suivant que le
syntagme qu’il introduit est prosodiquement intégré ou non. Il se comporte comme les
conjonctions dans le premier cas (9) tandis qu’il se comporte comme un les adverbes
dans le second cas (10)4.
(9) a. La France comme en effet l’Angleterre sont favorables à ce projet.
b. *La France en effet comme l’Angleterre sont favorables à ce projet.
(10) a. La France, comme en effet l’Angleterre, est favorable à ce projet.
b. La France, en effet comme l’Angleterre, est favorable à ce projet.

1.3. Contraintes d’ordre

10 Considérons enfin certaines contraintes d’ordre. On sait que les syntagmes introduits
par une conjonction ne peuvent jamais être antéposés à l’initiale de la phrase (cf. (11)) 5,
à la différence des syntagmes introduits par un adverbe qui le peuvent parfois. Par
exemple, les formes introduites par tant ou tellement considérées supra sont assez
mauvaises dans cette position (12a,b), mais non les comparatives scalaires incidentes
étudiées par Amsili et al. (à paraître) (cf. (12c,d)).
(11) a. La France et l’Angleterre sont favorables à ce projet.
b. *Et l’Angleterre, la France sont favorables à ce projet.
(12) a. Il ne peut plus bouger, tellement / tant en effet il a peur.
b. ? ?Tellement / tant il a peur, il ne peut plus bouger.
c. Il faut donner du travail aux jeunes, plus que des subventions aux cités.
d. Plus que des subventions aux cités, il faut donner du travail aux jeunes.
11 À nouveau, le mot comme se comporte comme une conjonction dans les tours intégrés,
mais non dans les tours incidents6 :
(13) a. La France comme l’Angleterre sont favorables à ce projet.
b. *Comme l’Angleterre, la France sont favorables à ce projet.
(14) a. La France, comme l’Angleterre, est favorable à ce projet.
b. Comme l’Angleterre, la France est favorable à ce projet.

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12 Nous concluons qu’il faut effectivement distinguer deux entrées lexicales suivant que la
prosodie est intégrée ou incidente : un comme conjonctif et un comme adverbe
introducteur de comparative.

2. Propriétés de structure
13 Nous avons établi la nécessité de recatégoriser l’adverbe comme en conjonction additive
dans les tours intégrés. Partant, il est naturel de penser qu’on a affaire dans ce cas à
une construction coordonnée distincte des tours incidents qui fonctionnent comme des
ajouts à la phrase. Nous présentons deux arguments syntaxiques confirmant cette
analyse avant d’examiner plus en détail les structures internes en jeu.

2.1. Distribution des SN sans déterminant

14 Considérons d’abord la distribution des SN sans déterminant. On sait que ces derniers
sont exclus de manière générale en fonction sujet ou objet à moins d’être coordonnés
(cf. Blanche-Benveniste & Chervel 1966, Curat 1999, Roodenburg 2005) 7 :
(15) a. [Médecins et infirmiers] sont prêts à venir travailler le dimanche.
b. Il faut disposer d’un compte bancaire pour toucher [salaire ou retraite].
c. *[Médecins] sont prêts à venir travailler le dimanche.
d. *Il faut disposer d’un compte bancaire pour toucher [salaire].
15 Il s’agit là d’une propriété attachée à la construction coordonnée. La présence d’une
conjonction ne constitue en effet ni une condition nécessaire pour légitimer cet emploi
particulier du SN, puisqu’il est autorisé dans les juxtapositions (cf. (16a) ni une
condition suffisante, puisqu’il est exclu lorsque le syntagme introduit par la
conjonction fonctionne comme un ajout incident au sens d’Abeillé (2005) (cf. (16b,c)).
(16) a. Médecins, infirmiers, aide-soignants sont prêts à venir travailler le
dimanche.
b. Les médecins sont prêts, et les infirmiers aussi, à venir travailler le dimanche.
c. *Médecins sont prêts, et infirmiers aussi, à venir travailler le dimanche.
16 Or, les SN sans déterminant sont autorisés dans nos tours intégrés en comme, tandis
qu’ils sont exclus dans les tours incidents correspondants :
(17) a. Médecins comme infirmiers sont prêts à venir travailler le dimanche.
b. *Médecins, comme d’ailleurs infirmiers, sont prêts à venir travailler le
dimanche.
17 Ce contraste s’explique naturellement si la structure s’analyse comme une construction
coordonnée dans le premier cas mais non dans le second.

2.2. Phénomènes d’extraction

18 Considérons à présent les phénomènes d’extraction. Il existe une contrainte


caractéristique des constructions coordonnées (cf. Ross 1967) selon laquelle on ne peut
extraire hors d’un conjoint sans extraire simultanément un constituant parallèle hors
des autres, ainsi qu’on peut l’observer en (18) où le symbole – note le complément du
nom manquant8.
(18) a. Reste donc une entreprise dont [le président – et [le vice-président -] se
plaisent à vanter le chiffre d’affaire.

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b. *Reste donc une entreprise dont [le président –] et [son vice-président] se


plaisent à vanter le chiffre d’affaire.
c. *Reste donc une entreprise dont [son président] et [le vice-président –] se
plaisent à vanter le chiffre d’affaire.
19 Crucialement, cette contrainte n’est pas observée par les constructions qui combinent
une tête et un ajout, et en particulier dans les comparatives (voir Desmets, ce
numéro), puisqu’il est possible d’extraire dans ce cas un constituant de la phrase
matrice sans extraire corrélativement un constituant correspondant dans l’ajout (19a).
L’extraction hors de l’ajout, par contraste, est exclue (19b), à moins qu’elle n’opère
également hors de la principale (19c)9.
(19) a. Reste donc une entreprise dont tous les dirigeants –, [excepté son président],
se plaisent à vanter le chiffre d’affaire.
b. *Reste donc une entreprise dont tous ses dirigeants, [excepté le président –],
se plaisent à vanter le chiffre d’affaire.
c. Reste donc une entreprise dont tous les dirigeants –, [excepté le président –],
se plaisent à vanter le chiffre d’affaire.
20 On vérifie que nos tours se comportent comme des coordinations lorsque la séquence
introduite par comme est prosodiquement intégrée tandis qu’ils se comportent comme
des structures tête-ajout lorsque cette même séquence est prosodiquement incidente.
Seule l’extraction parallèle est autorisée dans le premier cas (20), contrairement au
second cas où l’on peut extraire un constituant hors (du sujet) de la principale et de
l’ajout (21a), ou bien uniquement hors (du sujet) de la principale (21b), mais non
uniquement hors de l’ajout (21c).
(20) a. Reste donc une entreprise dont [le président –] comme [le vice-président –]
se plaisent à vanter le chiffre d’affaire.
b. *Reste donc une entreprise dont [le président –] comme [son vice-président]
se plaisent se à vanter le chiffre d’affaire.
c. *Reste donc une entreprise dont [son président] comme [le vice-président -]
se plaisent à vanter le chiffre d’affaire.
(21) a. Reste donc une entreprise dont le président –, [comme d’ailleurs le vice-
président –], se plaît à vanter le chiffre d’affaire.
b. Reste donc une entreprise dont le président –, [comme d’ailleurs son vice-
président], se plaît se à vanter le chiffre d’affaire.
c. *Reste donc une entreprise dont son président, [comme d’ailleurs le vice-
président -], se plaît à vanter le chiffre d’affaire.
21 Nous concluons qu’il faut bel et bien distinguer deux constructions syntaxiques : l’une
est analysable comme une coordination, l’autre comme une structure tête-ajout.

2.3. Structures internes

22 Ayant montré que nous avons affaire à deux constructions distinctes, le détail de leur
structure interne constitue un problème relativement orthogonal, dans la mesure où
l’analyse des structures coordonnées comme celles des constructions comparatives ont
déjà fait l’objet d’études indépendantes. Nous nous limiterons donc à en signaler les
points les plus essentiels. Nous suivons Abeillé (2005) en ce qui concerne les
coordinations, que nous analysons comme des constructions sans tête avec un sous-
constituant [conj + X] de type tête-complément (cf. figure 1). Nous suivons par ailleurs
Desmets (2001) en ce qui concerne la structure interne des ajouts comparatifs non
elliptiques, que nous analysons comme des relatives sans antécédent de catégorie SAdv
dont la tête, l’adverbe qu- comme, borne la dépendance déclenchée par l’extraction d’un

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adverbe de manière à l’intérieur de la phrase subséquente, et Desmets (ce numéro)


pour ce qui concerne la structure des comparatives elliptiques qui présentent une
phrase dont la constituance est fragmentaire, mais dont la sémantique est
propositionnelle (cf. figure 2).

Figure 1

Figure 2

23 Il existe une ressemblance de famille générale entre les coordinations de constituants


et les structures à ellipse (cf. Mouret 2007), auxquelles appartiennent les comparatives ;
ce qui explique en partie que les contraintes distributionnelles soient les mêmes dans
les deux constructions. D’abord, dans les deux cas, les catégories reliées sont parallèles,
et chacune doit respecter les contraintes de sous-catégorisation de l’environnement (cf.
22d), qu’il s’agisse des catégories réalisées de part et d’autre de la conjonction, ou des
éléments résiduels de l’ajout comparatif parallèles à des éléments de la phrase matrice :
(22) a. Paul aime [les week-end paisibles à la campagne] / [se balader en ville].
b. Paul aime [les week-end paisibles à la campagne] (,) comme [se balader en
ville].
c. Paul apprécie [les week-end paisibles à la campagne] / *[se balader en ville].
d. *Paul apprécie [les week-end paisibles à la campagne] (,) comme [se balader en
ville].

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24 Par ailleurs, on observe les mêmes contraintes distributionnelles. Ainsi sont autorisés
les phrases, les SN, les SA, les SP, les SAdv et les catégories verbales non conjuguées (cf.
23), mais non les catégories verbales conjuguées (cf. (24) :
(23) a. [Paul dit ce qu’il fait] (,) comme [il fait ce qu’il dit]. (Ph)
b. La mesure concerne [les professions salariées] (,) comme [les professions
libérales]. (SN)
c. Il était [fort en français] (,) comme [fort en physique]. (SA)
d. L’hôpital a besoin [de moyens] (,) comme [de personnel]. (SP) e. Il se croit
[légalement] (,) comme [moralement] (,) responsable. (Sadv)
f. Elle adore [recevoir] (,) comme [être invité]. (SV infinitif)
(24) h. *Paul [dit ce qu’il fait] (,) comme [fait ce qu’il dit]. (SV conjugué)
i. *Paul [lit] (,) comme [parle] l’anglais couramment. (V conjugué).
25 On sait que le matériel manquant doit obligatoirement inclure le verbe fini dans une
structures à ellipse, ce qui explique immédiatement la restriction observée lorsque la
séquence introduite par comme s’analyse comme une comparative. On ne voit pas en
revanche ce qui interdit cette combinatoire lorsque la séquence s’analyse comme un
conjoint sans ellipse. Nous admettrons ici qu’il s’agit d’une restriction lexicale propre à
la conjonction comme, à l’image de ce que l’on observe avec la forme car, (cf. (25a), qui
présente bien par ailleurs les propriétés caractéristiques des conjonctions (cf. 25b,c,d) :
(25) a. Paul pleure car *(il) est triste.
b. Paul pleure car il est triste et il est fatigué / *car il est triste et car il est
fatigué.
c. Paul pleure car précisément il est triste / *précisément car il est triste.
d. *Car il est triste, Paul pleure.

3. Propriétés sémantiques et pragmatiques


26 Nous envisageons à présent le fonctionnement interprétatif des deux constructions.
Nous rappelons brièvement en §3.1 les propriétés sémantiques des comparatives en
général, puis nous abordons successivement la question de la contribution des
comparatives d’analogie en §3.2 et des tours intégrés en §3.3.

3.1. Rappels sur l’interprétation des comparatives10

27 Commune aux divers types de comparatives en comme, on trouve une relation


d’identité ou de similarité entre deux propriétés ou ‘qualités’, respectivement associées
à un élément comparé et à un élément comparant qui doivent être de même type
sémantique. L’élément comparé est donné par le constituant auquel la construction en
comme est adjointe (ou, dans certains cas, auquel elle se combine en tant que
complément, cf. Paul s’est comporté comme on peut l’imaginer) et le comparant par la
phrase introduite par comme (donné par l’ensemble de la phrase comparative ou par le
constituant dont dépend un adverbe de manière extrait).
28 Amsili et al. (2008), formalisant la sémantique de comme comparatif, en font un
opérateur à deux arguments. Comme attendu, le premier argument correspond à la
relation sémantique de l’élément avec lequel la comparative se combine. Le second
argument est toujours une proposition, de laquelle (ou d’un argument de laquelle) est
abstraite une propriété (ce que nous avons appelé ici ‘qualité’). L’opération sémantique
qu’effectue comme est d’attribuer cette propriété au premier argument11.

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29 Selon le type sémantique du constituant auquel la construction en comme est associée,


les ‘sujets de la comparaison’ s’inscrivent dans des dimensions différentes, et
l’interprétation de la qualité comparée connaît elle aussi des ‘facettes’ interprétatives
distinctes. On repère ainsi des variations selon qu’une comparative porte sur un verbe,
un adjectif, un nom, ou sur une phrase, comme l’illustre le tableau 1. Les comparatives
d’analogie que nous avons contrastées jusqu’à présent avec nos tours intégrés relèvent
du dernier type.

Tableau 1 – Dimensions et facettes de la comparaison en comme

Constituant Type sémantique des facette de la qualité Exemples


objets comparés

Verbe Événement « manière » Il ment comme il respire.

Adjectif Propriété Degré, qualité de Paul est grand comme son frère est
réalisation, intensité laid.
Paul est intelligent comme quelqu’un
qui a fait de longues études, mais
c’est tout.

Nom Individu Propriété des bonbons comme en achetait ma


grand-mère
un anniversaire comme les organisait
mon voisin

Phrase Proposition Valeur modale Pierre fait son marché tous les jeudis,
(degré de certitude) comme Paul tous les lundis.

3.2. Contribution de la comparative d’analogie

30 La particularité des comparatives d’analogie est d’associer deux propositions, d’où un


effet de parallélisme et de similitude entre les deux événements ou les deux états
décrits12. La propriété support de la comparaison est modale, plus précisément, elle met
en jeu le degré de certitude du locuteur quant à la « satisfiabilité » des propositions ; on
peut gloser la relation par « P est vraie de même que/ de la même façon que Q est
vraie » ou bien « il est aussi approprié de dire P est vraie que de dire Q est vraie » ;
autrement dit, leurs probabilités d’être chacune satisfaite sont jugées égales ou très
voisines (où « satisfait » signifie être vérifié dans le monde réel).
31 Ceci explique que la comparaison d’analogie n’admette pas que les propositions aient
deux opérateurs de modalité différents, chaque opérateur imposant des conditions de
satisfaction différentes :
(26) a. Personne n’est à la maison. ? ?Paul est peut-être parti au travail, comme Jean
est à l’école.
b. ? ?Paul est nécessairement parti au travail, comme Jean est probablement
parti à l’école.
c. ? ?Paul est probablement au travail, comme Jean est assurément/
nécessairement à l’école.

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32 Les comparatives d’analogie en comme sont des ajouts parenthétiques 13 (au sens de
Jayez & Rossari 2004, Bonami & Godard 2004, Potts 2005) 14, c’est-à-dire qu’ils n’entrent
pas dans les conditions de vérité de la proposition dénotée par la phrase matrice, et
inversement, la contribution de la proposition principale est indépendante de celle
véhiculée par l’ajout. Typiquement, la construction échappe à la portée des opérateurs
sémantiques. Dans les exemples suivants, la phrase matrice est vraie dans les mêmes
conditions en (a) et en (b) :
(27) a. Comme sa sœur, Gaston n’est pas silencieux.
b. Gaston n’est pas silencieux.
En (27), l’interprétation de (a) peut être glosée par : il n’est pas vrai que l’individu
‘Gaston’ a la propriété ‘d’être silencieux’, de même qu’il n’est pas vrai que l’individu ‘sa
sœur’ a la propriété ‘d’être silencieux’. Bien que l’ajout contienne également une
négation, il n’a aucune contribution au fait que l’individu ‘Gaston’ n’a pas la propriété
‘d’être silencieux’. De la même façon, en (28a), la proposition d’analogie n’appartient
pas au contenu questionné ; seule, la proposition principale est sous l’opérateur. Pour
que la comparative soit également questionnée, il faudrait utiliser un opérateur qui
porte sur l’énoncé lui-même, soit : est-il vrai que (de même que/comme) son oncle est
déprimant, Jean est déprimant ?
(28) a. Comme son oncle, Jean est-il un garçon déprimant ?
b. Jean est-il un garçon déprimant ?
33 Le contenu de l’ajout d’analogie appartient à l’arrière plan, il n’est pas intégré au
niveau de l’assertion principale, c’est-à-dire au niveau de ce qui est en discussion (ce
que Potts 2005 appelle le contenu « at-issue »). Sa contribution, a lieu au niveau des
relations de discours, autrement dit, au niveau de l’énoncé même. Plusieurs propriétés
empiriques, typiques des éléments assertés en arrière plan, témoignent du fait que son
contenu n’est pas directement accessible15. On signale ici l’impossibilité de remettre en
cause le contenu de l’ajout incident dans le dialogue :
(29) A : la France, comme d’ailleurs l’Angleterre, a voté ce projet.
B : # Non, l’Angleterre n’a pas voté ce projet.
C : Parce que l’Angleterre était impliquée dans le projet ? Je ne le savais pas.
Pour accéder au contenu de la proposition véhiculée par la comparative, il est
nécessaire de procéder à une rupture discursive (Jayez 2004), ce que réalise (29c).
34 De même, il est assez difficile d’inclure l’ajout incident dans l’interprétation d’une
reprise anaphorique de la phrase matrice. En (30), l’interprétation la plus saillante est
que le pronom anaphorique le n’inclut pas l’ajout en comme.
(30) Comme son oncle, Paul est un garçon déprimant ; il l’est depuis l’enfance.

3.2. Contribution des tours intégrés

35 La différence entre la sémantique du tour intégré en comme et celle de l’ajout incident


est liée à leur mode de contribution. Alors que le contenu de l’incident est en arrière
plan, qu’il n’entre pas dans les conditions de vérité de la proposition véhiculée par la
phrase matrice, et que sa contribution sémantique se réalise au niveau de l’énoncé, le
tour intégré, lui, est une des conditions à vérifier pour que la proposition dans son
ensemble soit vraie. Autrement dit, sa contribution est incluse dans l’assertion
principale.

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3.2.1. De l’analogie dans la coordination ?

36 Nous faisons l’hypothèse que comme-coordonnant conserve certains traits sémantiques


de comme-adverbe comparatif : il discrimine deux éléments (ses arguments
sémantiques) qu’il met sur un plan d’égalité, d’où l’effet d’analogie que l’on perçoit
aussi avec comme-coordonnant. En plus d’être conforme à l’intuition, ceci permet
d’expliquer quelques particularités combinatoires du tour intégré.
37 Premièrement, à l’image de comme-comparatif, comme-coordonnant est un opérateur
strictement binaire. Contrairement aux coordinations additives ordinaires qui ne
limitent pas le nombre de conjoints qu’elles associent, comme ne coordonne que deux
éléments.
(31) a. *La France, l’Espagne comme l’Angleterre sont dans la ligne de mire.
b. La France, l’Espagne et l’Angleterre sont dans la ligne de mire.
Deuxièmement, les arguments de comme-coordonnant sont obligatoirement
discriminés16, de sorte qu’aucune interprétation de groupe n’est autorisée, à la
différence de ce que l’on observe dans divers contextes avec la conjonction et (cf. Link
1983, Landman 1989).
38 En (32a), Paul et Marie désignent deux individus ou alternativement une entité couple,
ce qui autorise l’ambiguité sur le nombre de voitures achetée(s). Or, une telle ambiguité
n’est pas possible dans la coordination en comme (32b).
(32) a. Paul et Marie ont acheté une voiture. (une voiture ou deux voitures achetées)
b. ?Paul comme Marie ont acheté une voiture. (deux voitures achetées)
En (33a), seule la lecture de groupe est autorisée, laquelle n’est pas possible en (33b)
avec comme coordonnant :
(33) a. Paul et Marie forment un beau couple.
b. *Paul comme Marie forment un beau couple
De même, en (34), où deux N/N’ coordonnées partagent un seul déterminant, seule
l’interprétation de groupe est possible (on désigne là l’ensemble des individus qui
possèdent la propriété d’être N1 et la propriété d’être N2) et à nouveau, comme
coordonnant est exclu.
(34) a. En cas de guerre, les médecins et réservistes seront réquisitionnés en
priorité.
b. *En cas de guerre, les médecins comme réservistes seront réquisitionnés en
priorité.
On observe enfin le même genre d’impossibilité lorsqu’un SN complément de Prép est
formé de deux pronoms forts ou de deux noms propres coordonnés :
(35) a. La honte tombera sur vous et moi / sur Paul et Marie.
b. *La honte tombera sur vous comme moi / sur Paul comme Marie.
39 Troisièmement, contrairement à d’autres coordinations additives, les éléments de part
et d’autre de comme ne peuvent pas entretenir de relation de discours asymétriques de
type succession narrative (cf. 36), cause-conséquence, etc. (cf. Kehler 2002, Mouret
2007). Lexicalement, comme-coordonnant est doté d’une relation qui met sur un plan
d’égalité les éléments distingués : il y a parallélisme et non succession, équivalence des
événements décrits et non interdépendance (de type cause-conséquence).
(36) a. Il recevra les étudiants de première année comme (*ensuite) les étudiants de
deuxième année
b. Il recevra les étudiants de première année et (ensuite) les étudiants de
deuxième année

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40 Au vu de ces propriétés combinatoires, on peut être tenté d’élargir l’hypothèse en


disant que comme-coordonnant et comme-comparatif sont en réalité porteurs de la
même relation sémantique. La seule différence concernant la sémantique des tours
intégrés proviendrait du fait que la coordination en comme manipule deux fonctions
propositionnelles (permettant de construire une proposition à partir du contenu de
chaque conjoint)17 comme arguments, plutôt que deux propositions. Une fois les
propositions reconstruites, la relation de similarité propre à comme, qui passe par
l’abstraction d’une propriété (du second argument) attribuée au premier argument
s’applique naturellement. De fait, si l’on peut gloser rapidement la sémantique d’une
coordination de propositions par « P est vraie et Q est vraie aussi », on voit aisément
que les conditions de statisfiabilité identiques/semblables de P et Q, qui déterminent
l’interprétation d’analogie, sont réunies.

3.2.2. Une contribution intégrée

41 Alors que le contenu de l’ajout incident appartient à l’arrière plan, le contenu du


conjoint introduit par comme se trouve asserté au même niveau que les autres éléments
de la proposition. Il entre dans les conditions de vérité de la proposition et est
accessible à diverses opérations. Par exemple, il est possible de remettre en cause le
contenu du conjoint en comme dans le dialogue :
(37) A : la France comme l’Angleterre ont voté ce projet.
B : C’est faux ! L’Angleterre a refusé au dernier moment.
42 De plus, la construction est dans la portée des opérateurs de négation ou
d’interrogation18 :
(38) a. Vous comme moi ne valons pas les grands seigneurs.
b. Paul comme Marie auront-ils rattrapé leur retard à la fin de l’année ?
L’interprétation de (38a) peut être glosée par : il n’est pas vrai que les individus ‘vous’
et ‘moi’ aient la propriété ‘de valoir les grands seigneurs’ ; la proposition ne tient que si
ni ‘vous’ ni ‘moi’ n’ont la propriété en question. En (38b), l’opérateur d’interrogation
porte sur deux propositions parallèles, la question peut se gloser par chacun aura-t-il
rattrapé son retard à la fin de l’année ? .
43 Enfin, il n’y a pas de difficulté à inclure le contenu du conjoint en comme dans
l’interprétation d’une reprise anaphorique de la phrase matrice :
(39) La France comme l’Angleterre sont dans la ligne de mire des Etats-Unis ; ils l’
ont été depuis le début des négociations en n’acceptant pas de ratifier le traité.
44 Ainsi, la différence entre comme-coordonnant et comme-comparatif ne semble pas se
situer au niveau sémantique : le calcul des arguments change légèrement, mais on peut
faire l’hypothèse que la relation sémantique de comme comparatif demeure la même.
Au niveau pragmatique, en revanche, les tours se distinguent puisque le contenu du
conjoint en comme est asserté au même niveau que les autres constituants de la phrase
matrice, alors que l’ajout comparatif est présenté comme un commentaire d’arrière-
plan.

4. Comparaison avec les autres formes similatives


45 A première vue, le double fonctionnement syntaxique que nous avons mis en évidence
est également observé par les formes similatives ainsi que, et plus marginalement de

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même que (cf. 40). L’accord au pluriel est certes plus naturel avec la première forme (et
du reste bien attesté, cf. (41)), mais il ne semble pas cependant exclu avec la seconde
(avec des variations dans les acceptabilités). Nous montrons brièvement que les tours
intégrés en ainsi que / de même que se comportent comme ceux en comme. Les tours
incidents doivent, en revanche, recevoir une autre analyse.
(40) a. La France, ainsi que l’Angleterre est favorable à ce projet.
b. La France ainsi que l’Angleterre sont favorables à ce projet.
c. La France, de même que l’Angleterre, est favorable à ce projet.
d. La France de même que l’Angleterre sont favorables à ce projet.
(41) a. Cette annonce ainsi que la promesse d’organiser un référendum le 28 janvier
prochain sur le rétablissement éventuel de la peine de mort sont intervenues à la
suite d’une journée de folie qui aurait dû en principe être consacrée à rendre
hommage à la mémoire des victimes de la révolution roumaine. (LM)
b. Pour mettre en relief le caractère communautaire de l’entreprise, la
Commission européenne ainsi que la Banque européenne d’investissement LRB
BEIRB ont été invitées en tant que telles à la réunion de Paris. (LM)
c. Le premier producteur mondial, Inco, ainsi que Falconbridge ont d’ores et déjà
procédé à des réductions de production pour s’adapter à la nouvelle physionomie
du marché. (LM)
d. « La pérennité de chacun des sites industriels ainsi que leur vocation
respective sont confirmées » conclut le texte du gouvernement. (LM)

4.1. Propriétés des tours intégrés

46 On vérifie aisément que les tours intégrés en ainsi que / de même que fonctionnent
comme ceux en comme. D’abord, la forme similative se comporte comme une
conjonction de coordination : elle ne peut pas être combinée à un autre coordonnant
(42a), peut être suivie mais non précédée d’un adverbe connecteur tel que en effet (42b)
et ne peut être antéposée à l’initiale de la phrase avec le syntagme qu’elle introduit
(42c).
(42) a. La France ainsi que / de même que l’Angleterre et (*ainsi que / *de même
que) l’Espagne sont favorables à ce projet.
b. La France (*en effet) ainsi que / de même que (en effet) l’Angleterre sont
favorables à ce projet.
c. *Ainsi que / de même que l’Angleterre, la France sont favorables à ce projet.
47 Par ailleurs, la construction présente les mêmes propriétés syntaxiques que nos tours
intégrés en comme. Sur le plan combinatoire d’abord, les possibilités et les restrictions
sont les mêmes, comme l’illustrent les exemples suivants qui reprennent en tous points
ceux examinés supra :
(43) a. Paul aime [les week-end à la campagne] / [se balader en ville].
b. Paul aime [les week-end à la campagne] ainsi que / de même que [se balader en
ville].
c. Paul aime [les week-end à la campagne] / [se balader en ville].
d. *Paul apprécie [les week-end à la campagne] ainsi que / de même que [se balader
en ville].
(44) a. [Paul dit ce qu’il fait] ainsi qu’ / de même qu’ [il fait ce qu’il dit]. (Ph)
b. La mesure concerne [les professions salariées] ainsi que / de même que [les
professions libérales]. (SN)
c. Il est [fort en français] ainsi que / de même que [fort en physique]. (SA)
e. L’hôpital manque [de moyens] ainsi que / de même que [de personnel]. (SP)
d. Elle adore [recevoir] ainsi qu’ / de même qu’ [être invitée]. (SV infinitif)

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f. Il se croit [légalement] ainsi que / de même que [moralement] responsable.


(Sadv)
(45) a. *Paul [dit ce qu’il fait] ainsi que [fait ce qu’il dit]. (SV fini)
b. ? ?Paul [lit] ainsi que [parle] l’anglais couramment. (V fini).
(46) “Grève nationale : professeurs ainsi qu’élèves sont invités à se joindre à la
manifestation générale à Paris réunissant fonctionnaires de l’éducation nationale et
syndicats.” (Web)
48 Les contraintes concernant l’extraction sont par ailleurs bien observées : seule
l’extraction parallèle hors de chaque terme est possible, comme l’illustrent les
contrastes suivants :
(47) a. Reste donc une entreprise dont [le président –] ainsi que / de même que [le
vice-président –] se plaisent à vanter le chiffre d’affaire.
b. *Reste donc une entreprise dont [le président –] ainsi que / de même que [son
vice-président] se plaisent se à vanter le chiffre d’affaire.
c. *Reste donc une entreprise dont [son président] ainsi que / de même que [le
vice-président -] se plaisent à vanter le chiffre d’affaire.
49 Enfin, on observe les mêmes contraintes sur le plan sémantico-pragmatique : la
construction est nécessairement binaire (48a), ne peut donner lieu à une interprétation
de groupe (48b) ni mettre en jeu une relation de discours telle que la succession (48c) ;
elle appartient bien par ailleurs au contenu asserté, comme l’illustre (49) :
(48) a. *La France, l’Espagne ainsi que / de même que l’Angleterre sont favorables à
ce projet.
b. *La France ainsi que / de même que l’Angleterre forment une équipe.
c. *La France ainsi que / de même qu’ensuite l’Angleterre se sont associées à ce
projet.
(49) A : La France ainsi que / de même que l’Angleterre sont favorables à ce projet.
B : C’est faux ! Seule l’Angleterre y est favorable.
50 Nous en concluons que les tours intégrés en ainsi que / de même que ne se distinguent pas
fondamentalement de ceux étudiés dans cet article. Syntaxiquement, la structure
s’analyse comme une coordination et la forme similative comme un coordonnant.
Sémantiquement, on peut penser que la même relation d’analogie est mise en jeu. Il est
possible cependant que les deux tours se distinguent sur le plan informationnel (cf.
Huddleton & Pullum 2002 : 1317 pour une analyse en ce sens de la forme as well as).
Nous laisserons ici la question ouverte.

4.2. Propriétés des tours incidents

51 L’analyse des tours incidents en ainsi que / de même que est plus délicate. D’un côté, les
contraintes lexicales sont les mêmes que dans les tours intégrés (50), ce qui apparente à
nouveau la forme similative à une conjonction. En particulier, l’antéposition du
syntagme introduit par ainsi que / de même que à l’initiale de la phrase reste exclue pour
la plupart des locuteurs lorsque la séquence est incidente et que le verbe est au
singulier (voir cependant Piot 1993, 1995 pour un jugement différent), ce qui constitue
un trait typique des coordonnants.
(50) a. La France, ainsi que / de même que l’Angleterre et (*ainsi que / *de même
que) l’Espagne, est favorable à ce projet.
b. La France, (*précisément) ainsi que / de même que (précisément) l’Angleterre,
est favorable à ce projet.
c. *Ainsi que / de même que l’Angleterre, la France est favorable à ce projet.

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52 D’un autre côté, la construction dans son ensemble ne se comporte pas comme une
coordination : les données de l’extraction sont les mêmes que dans les structures tête-
ajout (51), de même que les données combinatoires (52-54), les SN sans déterminant
étant exclus (55).
(51) a. Reste donc une entreprise dont [le président –], ainsi que / de même que [le
vice-président –], se plaît à vanter le chiffre d’affaire.
b. Reste donc une entreprise dont [le président –], ainsi que / de même que [son
vice-président], se plaît se à vanter le chiffre d’affaire.
c. *Reste donc une entreprise dont [son président], ainsi que / de même que [le
vice-président -], se plaît à vanter le chiffre d’affaire.
(52) a. [Paul dit ce qu’il fait], ainsi que / de même que d’ailleurs [il fait ce qu’il dit].
(Ph)
b. La mesure concerne [les professions salariées], ainsi que / de même que
d’ailleurs [les professions libérales]. (SN)
c. Il est [fort en français], ainsi que / de même que d’ailleurs [fort en physique].
(SA)
e. L’hôpital a besoin [de moyens], ainsi que / de même que d’ailleurs [de
personnel]. (SP)
d. Elle adore [recevoir], ainsi qu’ / de même que d’ailleurs [être invité e]. (SV
infinitif)
f. Il se croit [légalement], ainsi que / de même que d’ailleurs [moralement],
responsable. (Sadv)
(53) a. *Paul [dit ce qu’il fait], ainsi que d’ailleurs [fait ce qu’il dit]. (SV fini)
b. ? ?Paul [lit], ainsi que d’ailleurs [parle] l’anglais couramment. (V fini).
(54) a. Paul aime [les week-end à la campagne] / [se balader en ville].
b. Paul aime [les week-end à la campagne], ainsi que / de même que d’ailleurs [se
balader].
c. Paul apprécie [les week-end à la campagne] / *[se balader en ville].
d. *Paul apprécie [les week-end à la campagne], ainsi que / de même que d’ailleurs
[se balader en ville].
(55) *Grève nationale : professeurs, ainsi qu’élèves d’ailleurs, sont invités à se
joindre à la manifestation générale à Paris réunissant fonctionnaires de l’éducation
nationale et syndicats.
53 Une solution a été proposée pour rendre compte de ce paradoxe apparent (cf. Abeillé
2005) : elle consiste à admettre qu’un syntagme introduit par une conjonction n’est pas
nécessairement coordonné (56a) ; il peut alternativement être ajout incident à la
phrase (56b-f).
(56) a. La France et l’Angleterre sont favorables à ce projet.
b. La France est favorable à ce projet, et l’Angleterre aussi.
c. La France est favorable, et l’Angleterre aussi, à ce projet.
d. La France est, et l’Angleterre aussi, favorable à ce projet.
e. La France, et l’Angleterre aussi, est favorable à ce projet.
f. *Et l’Angleterre aussi, la France est favorable à ce projet.
54 C’est l’analyse que nous admettrons ici : ainsi que et de même que sont ainsi recatégorisés
comme des conjonctions dans tous leurs emplois non phrastiques, mais ils peuvent, à la
différence de comme, fonctionner aussi bien comme membre coordonné que comme
ajout incident.

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Conclusion
55 Nous avons montré que les cas d’accord sujet-verbe de certaines suites en SN comme SN
ne sont pas un simple effet du parallélisme sémantique entre deux propositions mais
correspondent à l’existence d’une construction coordonnée en comme, où l’adverbe
connaît une recatégorisation en conjonction. Si la sémantique de cette coordination et
celle la comparative d’analogie présentent des similarités, en revanche, il existe un
contraste pragmatique et prosodique net entre les deux constructions. Ce double
fonctionnement est propre à comme et ne se retrouve pas tel quel avec les locutions
similatives ainsi que / de même que qui fonctionnent comme des coordonnants dans tous
leurs emplois non phrastiques.

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NOTES
1. Nous ne chercherons pas à préciser davantage ici les propriétés phonético-phonologiques de
l’incidence. Voir notamment Delais-Roussarie (2005, 2008). Nous régularisons dans cet article
l’usage écrit en encadrant systématiquement par des virgules le constituant incident.
2. Les exemples suivis de la mention LM proviennent du journal Le Monde. Ils ont été extraits du
Corpus Arboré de Paris 7 (Abeillé et al. 2003). Nous remercions à cet effet Clément Plancq pour
son assistance technique.
3. On utilise ici une forme syntaxiquement proche des ajouts comparatifs en comme : il s’agit
d’une subordonnée causale ajout à la phrase matrice ; c’est aussi une phrase à extraction qui
comporte un adverbe de degré extrait (cf. Desmets, à paraître).
4. Concernant les adverbes, on ajoutera un contraste supplémentaire qui distingue nettement les
deux tours. La comparative incidente, qui s’analyse comme un syntagme adverbial (Desmets
2001), peut être modifiée par l’adverbe tout, ce qui n’est pas de cas du conjoint en comme (cf. ia vs
ib) :
(i) a. La France, tout comme l’Angleterre, est favorable à ce projet.
b. *La France tout comme l’Angleterre sont favorables à ce projet.
5. Nous considérons qu’il s’agit là d’une propriété attachée aux conjonctions et non à la structure
coordonnée dans son ensemble. En effet, on observe le même blocage lorsque le syntagme
introduit par la conjonction fonctionne comme un ajout incident à la phrase (cf. Abeillé 2005 et
ici même, section §4) :
(i) Paul a, et tout le monde le sait, échoué à l’examen.
(ii) *Et tout le monde le sait, Paul a échoué à l’examen.
6. La mobilité de la comparative d’analogie dans la phrase matrice (cf. 14) est typique de sa
fonction d’ajout à la phrase.
7. Nous simplifions ici quelque peu la distribution. Outre leur emploi dans les coordinations, les
SN sans déterminant sont possibles en fonction argumentale dans les citations (i), les
constructions à verbe support (ii), les contructions N prep N (iii), ainsi qu’avec un mot comparatif
dans les contextes à polarité négative (iv).
(i) « Soleil » est un mot masculin en français.
(i) Décision a été prise d’abandonner ce projet.
(iiii) Il a bu bière sur bière.
(iv) Vous ne trouverez pas hôtel plus chic dans la région.
8. On sait que cette contrainte peut être violée en anglais lorsque la coordination met en jeu une
relation de discours causale avec un effet contraire aux attentes (i), une relation de conséquence
(ii) ou une relation de succession (iii) (cf. Ross 1967, Goldsmith 1986, Lakoff 1986 et plus
récemment Kehler 2002).
(i) How much can you [drink _ ] and [not end up with a hangover the next morning] ? (Goldsmith
1986 : 135)
(ii) That's the stuff that the guys in the Caucasus [drink _] and [live to be a hundred]. (Lakoff
1986 : 156)
(iii) Here's the whiskey I [went to the store] and [bought _ ]. (Ross 1967 : 94)

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La situation est différente en français, comme l’illustre l’acceptabilité dégradée des exemples
suivants (cf. Mouret 2007) :
(iv) ??Je me demande combien de bières on peut boire et quand même rester sobre.
(v) *C'est le genre de régime que Marie aimerait bien [faire _ ] et [enfin rentrer dans sa robe].
(vi) *Voici le whisky que Paul [est allé au supermarché] et [a acheté _ ].
9. Cette dernière possibilité, connue sous le nom d’extraction parasite, est contrainte en français.
Elle est soumise à variation dans les infinitives (i) et interdite (pour tous les locuteurs) lorsque
l’ajout est non fini (ii).
(i) %C’est un livre qu’il a soigneusement rangé - après avoir lu -.
(ii) *C’est un livre qu’il a soignement rangé - après qu’il a lu -.
10. Nous reprenons brièvement dans cette sous-section les généralisations de Desmets (2001,
chp. 4). Pour une approche différente, voir Moline (2001, 2008b).
11. Ce calcul diffère légèrement de l’analyse de Desmets (2001) qui propose que comme mette en
relation deux propriétés respectives des éléments comparé et comparant. On maintient ainsi
l’idée d’une relation de similarité entre les deux propriétés ; alors que pour Amsili et al. (2008) il y
a identité. Nous ne tranchons pas ici cette question qui n’a pas d’incidence majeure sur les
analyses présentées.
12. Au delà de la sémantique propre à comme, qui associe deux arguments de même type
sémantique, ajoutons que le parallélisme est une caractéristique constructionnelle générale, à
l’œuvre tant dans les comparatives (scalaires et non scalaires) que dans les coordinations de
propositions (cf. Amsili et al. 2008). Il impose une structure de dépendance du verbe similaire,
voire identique, dans chacune des propositions. Cette contrainte explique en particulier la
possibilité d’avoir des réalisations fragmentaires dans la seconde phrase, elle en est la condition
nécessaire. Elle expliquerait peut-être également le fait que les cas d’analogie comme en (i), où
un événement est comparé à un état, soient sémantiquement mal formés :
(i) #Dans cette famille, le père est français, comme la mère a éternué bruyamment.
13. Il existe une autre forme parenthétique de comparative en comme, appelée ajout reportif,
utilisée pour mettre en mention ou rapporter un énoncé (La bourse s’est effondrée, comme l’avait
prédit Le Monde ; des discours « politiquement corrects », comme disesnt les Américains).
Sémantiquement, la relation permet de mettre en conformité deux actes de langages (celui de
l’énoncé rapporté et celui qui le rapporte) Les propriétés de l’ajout reportif sont semblables à
celles de l’ajout d’analogie : il n’y pas de contribution au niveau de la proposition dénotée par la
phrase matrice (le contenu de l’ajout n’entre pas dans ses conditions de vérité), mais la
contribution se fait au niveau de l’énoncé et des relations de discours. Pour plus de détails voir
Roussarie & Desmets, 2003.
14. Si la comparative d’analogie est parenthétique, toutefois, elle n’est pas « speaker oriented », à
la différence des adverbes d’énoncés (cf. Bonami & Godard 2006, Potts 2005).
15. Nous citons ci-après la remarque qu’un relecteur nous a faite (qu’il en soit ici remercié) à
propos des effets d’ironie découlant de l’utilisation d’une proposition comparante fausse, et qui
confirme notre analyse sémantique de la comparative d’analogie :
(i) Tu parles, ce type est mexicain, comme moi je suis russe !
En (i), il y a un décalage entre le contenu de la comparative, qui n’est pas asserté, et le contenu de
la principale, qui lui l’est. En « disant « p, comme q » le locuteur affirme que p est vrai et suggère
que p et q ont les mêmes conditions de satisfiabilité—ce faisant il suggère donc que q est vrai. Et
c’est précisément cela qui provoque l’effet d’ironie en (i). Si (i) était un acte illocutoire sincère F0
5B

i.e. sans ironie F0


5D , il serait problématique que le locuteur affirme d’une part que la proposition

« ce type est mexicain » est vraie, et suggère d’autre part que cette proposition a le même degré
de satisfiabilité que « je suis russe ». Or, dans le contexte, il est clair que le locuteur n’est pas
russe, il ne peut donc pas être sincère quand il affirme « ce type est mexicain ». »

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16. On fait l’hypothèse que cette propriété provient de la sémantique du comme comparatif,
puisque discriminer deux éléments est une condition inhérente à la sémantique de la
comparaison.
17. Ce type de résolution est l’analyse « standard » proposée pour la sémantique des
coordinations (cf. Gazdar 1980, Partee & Rooth 1983).
18. On notera toutefois que la négation et l’interrogation sont parfois délicates à obtenir dans ces
phrases.

RÉSUMÉS
Le mot comme peut, lorsqu’il relie deux SN sujets, donner lieu à deux types d’accord : dans le cas
d’une comparative elliptique dite « comparative d’analogie » ajout à la phrase, le verbe s’accorde
avec le premier sujet réalisé et la séquence introduite par comme est prosodiquement
« incidente ». Dans le cas d’un accord avec la construction SN comme SN dans son ensemble, la
séquence est au contraire prosodiquement intégrée ; nous montrons qu’il s’agit là d’une structure
coordonnée, avec une recatégorisation de l’adverbe comme en conjonction. Sur le plan
interprétatif, en revanche, la construction coordonnée conserve certains traits de l’ajout
comparatif. La différence se situe au niveau pragmatique : la contribution de la comparative
d’analogie relève du commentaire en arrière plan alors que la contribution de la coordination
appartient au contenu principal asserté. Ce double fonctionnement ne s’étend pas tel quel aux
autres formes similatives du français (ainsi que, de même que).

When it links two NP subjects, the French word comme may trigger two kinds of agreement: in
the case of an elliptic comparative clause, called « comparative of analogy », which is an adjunct
to the main clause, the verb agrees with the first subject, and the comme-phrase is prosodically
incidental. In the case of an agreement with the whole NP comme NP construction, the comme-
phrase is prosodically integrated; we show that it must be analyzed as a coordinate construction,
with the adverb comme recategorized as a conjunction. At the semantic level, however, the
coordinate construction still displays some comparative features. The difference takes place in
pragmatics: the semantic contribution of the comparative of analogy construction is understood
as a background comment (i.e., it is a parenthetical phrase), whereas the contribution of the
coordination construction belongs to the content of the main assertion. This double behavior
does not extend straightforwardly to the other similative forms available in French (ainsi que, de
même que).

AUTEURS
FRANÇOIS MOURET
Université Rennes 2— UMR 7110- LLF

MARIANNE DESMETS
Université Paris Ouest-Nanterre—
UMR 7110- LLF & UMR 7114-Modyco

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« Comme » devant l’attribut de


l’objet : une approche
constructionnelle
Els Tobback et Bart Defrancq

I. Introduction
1 L’intervention de comme devant l’attribut de l’objet (AO) a bénéficié d’assez peu
d’attention dans la littérature sur la prédication seconde. Cela ne manque d’ailleurs pas
d’étonner, dans la mesure où le français a souvent recours à cet élément, plus souvent
que d’autres langues en tout cas (cf. Defrancq 1995). Son fonctionnement est par
conséquent assez mal connu. Jusqu’il y a peu, la communis opinio – exprimée entre
autres dans Guimier (1999) – le classait parmi les éléments à valeur sémantique nulle.
2 Or, cela est peu probable pour plusieurs raisons : premièrement, il y a de nombreux cas
où comme n’est pas admis dans une structure à attribut de l’objet. Des verbes comme
croire et rendre ne l’admettent pas :
(1) Pratiquement tout le monde la croyait morte. (LM 30/03/1994, p.12)
# Pratiquement tout le monde la croyait comme morte.
(2) La perspective de telles pertes le rend ombrageux et batailleur. (LM 12/01/1994,
p. 2)
# La perspective de telles pertes le rend comme ombrageux et batailleur.
3 Si comme ne fait aucune contribution sémantique à la phrase, cette résistance est
inexplicable.
4 D’autre part, il ressort très clairement des données que nous avons analysées dans le
cadre d’autres publications (Defrancq, 1996 ; Willems & Defrancq, 2000 ; Tobback, 2005 ;
Tobback & Defrancq, 2008) que comme n’intervient pas arbitrairement. Son
intervention est au contraire déterminée par la présence de certains traits au niveau de
la structure à attribut de l’objet. Ces traits, dont la corrélation avec la présence de
comme a été démontrée, sont assez divers : il peut s’agir d’un type spécifique d’attribut
(Willems & Defrancq 2000 ; Tobback 2005), d’un sens verbal particulier (Willems &

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82

Defrancq 2000), d’une configuration spéciale du topique et du focus à l’intérieur de la


structure (Tobback 2005 ; Tobback & Defrancq, 2008). Ces traits distinguent la structure
en comme de la structure sans comme.
5 La terminologie que nous avons utilisée dans les publications précédentes, suggérait
déjà que nous considérions la structure sans comme comme prototypique pour
l’expression d’une relation prédicative entre l’objet d’un verbe et l’attribut de cet objet.
Nous avons en effet parlé systématiquement de « marque » et de « marquage » pour
référer à la nature et à la fonction de comme. Cette terminologie se fondait
essentiellement sur une comparaison entre les structures à attribut de l’objet et les
structures à attribut du sujet et sur une analyse quelque peu intuitive de la sémantique
des verbes impliqués.
6 Dans cette étude, nous essaierons de fonder l’analyse de comme en termes de marquage
sur des bases plus théoriques en nous tournant vers la grammaire constructionnelle.
L’intérêt de cette approche réside essentiellement dans le fait que les structures à AO y
ont été explorées de manière assez systématique, et qu’une typologie crédible a été
développée pour les décrire. La théorie offre l’avantage supplémentaire de fournir un
cadre d’analyse qui permet d’envisager la description des structures avec et sans comme
de deux façons différentes et d’évaluer ces deux approches. Dans ce qui suit, nous
commencerons par exposer ces approches (section 2) avant de passer aux analyses
constructionnelles proposées pour l’AO et leur application au français (section 3). La
section 4 de cet article proposera alors une évaluation des deux approches possibles des
structures en comme à la lumière des faits décrits dans des publications antérieures.

II. Le problème des structures alternatives en


grammaire constructionnelle
7 L’intervention de comme peut être envisagée dans le chef du locuteur comme un choix
entre deux structures alternatives pour un même verbe : une structure sans comme et
une structure avec comme. Dans les exemples suivants, ce choix apparaît libre, puisqu’il
n’y a pas de différences apparentes entre les alternatives1, mais nous verrons plus loin
qu’il n’en est pas toujours ainsi :
(3) Le président de l’Union européenne, Lamberto Dini, a jugé les arrestations de
Radovan Karadzic et du général Mladic comme “hautement désirables” [...]. (Le
Monde, 15.06.1996, p. 3)
(4) Pierre Guillen (qui dirigeait la délégation du CNPF), a jugé ce compromis
“coûteux pour les entreprises” [...]. (LM 11.02.1994, p. 15)
8 Théoriquement, deux solutions sont envisageables en grammaire constructionnelle
pour le problème des structures alternatives. Le principe qui a longtemps prévalu
consiste à enregistrer chacune des structures dans le répertoire des constructions
d’une langue. En effet, comme une construction, aux dires de Goldberg (1995), Kay &
Fillmore (1999) et d’autres, est un assemblage conventionnel entre forme et sens, ce
dernier englobant des propriétés pragmatiques, il s’ensuit que toute modification
intervenant sur l’un ou l’autre des deux plans donne lieu automatiquement à la
constitution d’une nouvelle construction. Malgré les rapports évidents qui existent
parfois entre deux structures minimalement différentes, la plupart des chercheurs
respectent ce principe. L’on peut ainsi voir S. Gries (2003) distinguer deux

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constructions à particule en anglais, l’une présentant la particule en continu avec le


verbe (5a) et l’autre présentant la particule en aval de l’objet (5b) :
(5) a. The police brought in the criminal.
b. The police brought him in.
9 Ces deux constructions “do not form a single category” (Gries 2003 :140), la distinction
se fondant sur une différence formelle évidente, mais aussi sur des différences
sémantiques et pragmatiques formulées en termes de tendances.
10 Appliquée aux structures à AO, l’approche constructionnelle traditionnelle
distinguerait deux constructions à part entière : une sans comme et une autre avec
comme :

(6) SN V SN AO

(7) SN V SN comme AO

11 Nous verrons que la situation est en fait plus compliquée, mais la simplification est
destinée à faciliter l’exposé théorique.
12 Cette position, qui est pour la grammaire constructionnelle ce qu’était la position
lexicaliste pour les générativistes, est contestée par certains. S’agissant des
constructions à particule, Cappelle (2006) propose un modèle constructionnel dans
lequel des structures alternatives seraient à ramener à une seule construction dont
certaines propriétés seraient sous-spécifiées. Cette construction se manifeste alors sous
différentes instanciations. Dans le cas des structures à particule, la construction
proposée par Cappelle intègre l’objet et la particule sans préciser l’ordre interne des
deux. Cet ordre est précisé au niveau des deux instanciations (« allostructions ») de la
construction2. Allostructions et constructions sont liées par des liens d’héritage, comme
ceux qui, dans la version standard de la théorie, lient des constructions à leurs
instanciations incorporées dans d’autres constructions.
13 Outre la simplification descriptive et l’avantage manifeste que présente une approche
qui lie des structures qui partagent un grand nombre de propriétés, Cappelle invoque
un argument acquisitionnel important pour défendre son orientation : la notion de
negative evidence, proposée par Goldberg (1995). La negative evidence réfère à l’absence de
données linguistiques d’un type particulier dans un contexte où l’enfant pourrait les
attendre lors de son apprentissage. Ce concept est introduit pour expliquer que les
enfants, quand ils apprennent leur langue, évitent d’étendre l’usage d’une construction
à des cas où celle-ci n’est pas présente dans le stimulus linguistique, quand bien même
les conditions sont appropriées pour son apparition. Plus concrètement, l’on constate,
dans le cas de la construction à particule, que l’ordre objet-particule est fixé pour
certains verbes et que l’on ne trouve donc qu’une des deux variantes. Pour expliquer
que le processus d’apprentissage ne donne pas lieu à une généralisation des deux
ordres pour tous les verbes concernés, il ne suffit pas d’admettre que ce processus est
conditionné par l’exposition de l’enfant à la construction admise. Il faut en même
temps admettre qu’intervient aussi la non-exposition de l’enfant à la construction non
admise (negative evidence) dans des circonstances pourtant appropriées pour l’usage
de celle-ci. Cette absence de données d’un type spécifique permet à l’enfant de faire des
inférences sur l’impossible linguistique. Or, pour que les données négatives relatives à

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l’une des constructions puissent avoir un impact sur l’autre construction, il faut que
l’enfant ait établi un lien entre la construction admise et la construction non admise. Si
ces deux constructions sont des entités entièrement différentes, il est difficile de
rendre compte de ce lien établi.
14 Même si des différences existent entre la structure à particule et la structure à AO au
niveau du rapport entre les deux structures en jeu, l’approche de Cappelle semble
pouvoir être appliquée aux cas qui nous concernent. Concrètement, une telle
application consisterait à préconiser l’existence d’une construction à AO sous-specifiée
pour la forme qu’adoptera l’AO (avec ou sans comme, indiquée ici par le truchement
d’un X puissance AO) et d’analyser la version sans comme et la version avec comme
comme deux allostructions de la construction sous-spécifiée :

(8) N V SN XAO

> SN V SN AO

> SN V SN comme AO

15 Un obstacle éventuel à une telle description réside dans le statut de comme. L’approche
de Cappelle s’applique en effet à des structures dont seul l’ordre interne de deux
constituants est différent. Dans le cas qui nous concerne, la différence formelle entre
les deux structures est moins anodine, puisqu’une des structures fait intervenir un
élément dont l’autre ne se sert pas. Il suffit toutefois de pousser la réflexion de Cappelle
un peu plus loin pour rendre compte de cette intervention. Cappelle assimile le rapport
entre allostructions à celui qui existe entre des allomorphes (d’où le nom
« allostructions » d’ailleurs). Or, comme Cappelle le suggère lui-même, dans des paires
d’allomorphes, il y a souvent un membre marqué et un membre non marqué, la
différence entre ces deux se reconnaissant à des restrictions d’usage (et une moindre
fréquence) ou à la complexité du morphème. Si tel est le cas dans les structures
examinées ici, la structure avec comme constituerait sûrement l’allostruction marquée,
parce qu’elle est plus complexe et parce qu’elle est moins fréquente (Willems &
Defrancq 2000 ; Tobback 2005 ; Tobback & Defrancq 2008). Comme ne fait plus alors
obstacle à une description en termes d’allostruction. Il renforce au contraire une telle
analyse, dans la mesure où c’est lui qui sert de marque au membre marqué de la paire
d’allostructions.
16 Dans ce qui suit, nous allons examiner laquelle des deux analyses est la plus plausible
dans le cas des structures à attribut françaises : l’analyse en constructions différentes
ou celle en allostructions. Pour ce faire, nous allons d’abord examiner les propositions
qui ont été faites en grammaire constructionnelle en rapport avec la description des
structures à AO. Celles-ci portent exclusivement sur la structure sans comme.

III. Grammaire constructionnelle et attribut de l’objet


17 La littérature constructionnelle contient des propositions d’analyse en termes de
constructions pour les deux types de structures traditionnellement distinguées : la

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structure à attribut résultatif et la structure à attribut descriptif (“depictive” en


anglais, cf. Aarts 1995).
18 Pour la structure résultative, nous nous reportons à Goldberg (1991, 1995) et à
Goldberbg & Jackendoff (2004) ; pour la structure descriptive, à Gonzálvez-García (2003,
2006 & à par.). Dans les deux cas, nous examinerons l’applicabilité des descriptions pour
les structures à AO françaises.

1. La construction résultative3
Présentation

19 La construction résultative qui nous intéresse est celle qui est appelée “causative
property resultative” (CPR). Elle fait l’objet de recherches intensives dans le cadre de la
grammaire constructionnelle (cf. Goldberg 1991, 1995 ; Goldberg & Jackendoff 2004 et
les références citées dans ces travaux). La CPR est extrêmement productive en anglais
et dans d’autres langues germaniques. En anglais du moins elle fait partie de ce que
Goldberg & Jackendoff (2004) proposent d’appeler une “famille de constructions
résultatives”, c’est-à-dire un ensemble de “sous-constructions” relevant d’un sens
résultatif commun. Le sens de la CPR peut être glosé de manière rudimentaire comme
suit :
(9) ‘subject makes object become AP by V-ing it’ (Goldberg & Jackendoff 2004 : 533)
Son intérêt réside avant tout dans sa capacité à rendre compte de structures
résultatives qui ne sont pas encodées telles quelles dans le lexique verbal. Il s’agit,
notamment, pour l’anglais, de structures transitives, complétées d’un syntagme
résultatif (10) ou de structures transitives dotées d’un “fake object” et d’un syntagme
résultatif (11) :
(10) The gardener watered the flowers flat. (=(7a) in Goldberg & Jackendoff, 2004 :
536)
The gardener makes the flowers become flat by watering them
(11) They drank the pub dry (= (8a) id.)
They make the pub become dry by drinking
Le sens de la construction peut être vu comme le résultat de l’union de deux sous-
événements : le sous-événement verbal (“verbal subevent”), déterminé par le verbe de
la phrase, et le sous-événement constructionnel (“constructional subevent”), qui est
déterminé par la construction elle-même. Dans la plupart des cas, le sous-événement
verbal dénote le moyen (“the means”) par lequel l’événement constructionnel se
réalise. L’exemple (10) se laisse paraphraser comme suit : ’The gardener made the
plants flat BY watering them’. De manière plus schématique, cette construction peut
être représentée de la manière suivante :
(12) Causative property resultative (CPR)
Syntax : NP1 V NP2 AP3
Semantics : X1 CAUSE [Y2 BECOME Z3]
MEANS : [VERBAL SUBEVENT]
20 Dans cette description, le sujet (NP1) occupe le rôle d’agent qui est de préférence un
être animé, instigateur de l’action dénotée par le verbe. L’objet (NP2) détient le rôle de
patient. Ce qui importe le plus pour le terme NP2, c’est qu’il fonctionne comme un
argument de la construction elle-même (et pas nécessairement du verbe) et qu’il
correspond à un argument susceptible de subir un changement d’état. L’attribut (AP3),
quant à lui, est décrit comme un syntagme adjectival (AP) non introduit, les études ne

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faisant pas état de la possibilité pour le syntagme résultatif d’être introduit par un
élément tel que as (’comme’). Les adjectifs admis dans la construction ont pour
propriété essentielle qu’ils impliquent la présence d’une borne initiale clairement
délimitée et ils ne peuvent de ce fait en principe pas être gradables. Des adjectifs tels
que asleep/awake (’endormi/ réveillé’), open/shut (’ouvert/fermé’), full/empty (’plein/
vide’) sont par exemple tolérés, contrairement à des adjectifs du type funny/happy
(’drôle/heureux’) :
(13) * He drank himself funny/happy. (Goldberg 1995 : 195)
De plus, les adjectifs ne peuvent pas être dérivés de participes présents ou passés :
(14) She painted the house red.
* She painted the house reddened.
* She painted the house reddening.
21 La construction résultative est, enfin, soumise à une restriction aspectuelle : l’action
dénotée par le verbe doit causer immédiatement le changement d’état exprimé par le
syntagme résultatif : le changement d’état doit intervenir simultanément avec la borne
finale de l’action dénotée par le verbe (Goldberg 1995 : 193-194).

Application au français

22 Goldberg & Jackendoff affirment que beaucoup de langues, telles que le français et le
japonais n’ont pas la construction résultative proprement dite. Dans ces langues,
l’usage de la structure à AO ne s’étendrait pas au-delà du cercle restreint de verbes dont
le sens est résultatif, tels que make ou render. Il est vrai que les équivalents français des
verbes anglais dont la compatibilité avec la CPR est notoire, refusent tous l’AO :
(15) He rubbed the plate dry (Aarts 1995 : 77)
Il a frotté l’assiette sèche
(16) Harry shot Sam dead. (Golberg 1995 : 194)
* Harry a tiré sur Sam mort.
(17) This nice man probably just wanted Mother to ... kiss him unconscious.
(Shields, in Goldberg 1995 : 181)
* Ce gentil monsieur voulait probablement que maman l’embrasse inconscient.
Plusieurs auteurs (Nilsson-Ehle 1953 ; Olsson 1976 ; Riegel 1996 ; Muller 2001)
mentionnent cependant la possibilité pour des verbes non résultatifs d’entrer dans une
structure résultative. Au vu des exemples suivants, ces structures semblent
généralement bien correspondre au sens constructionnel proposé pour la CRP :
(18) Viens que je te coiffe belle (Nilsson-Ehle 1953, Olsson 1976)
je te rends (fais devenir) belle en te coiffant
(19) Ton costume, il te l’a taillé trop large (Riegel 1996)
il a rendu (fait devenir) ton costume trop large en le taillant
Ceci dit, nous ne disposons pas de données nous permettant de vérifier si ce type de
structures est fréquent en français. Les exemples cités sont des exemples forgés par les
auteurs et certains paraissent plutôt recherchés. De plus, il s’agit de verbes à
signification spécifique dont la compatibilité avec des syntagmes résultatifs semble
plutôt restreinte. Il serait donc nécessaire d’effectuer des recherches plus approfondies
sur ce type de structures, mais il n’est pas improbable qu’elles s’avèrent, en fin de
compte, nettement moins productives que dans les langues germaniques.

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2. La construction subjective-transitive4
Présentation

23 Gonzálvez-García (2003, 2006 & à par.) traite les structures espagnoles et anglaises avec
AO descriptif (“depictive predicate”) du type suivant :
(20) Encontré la silla bastante incómoda
’I found the chair quite uncomfortable’ (Gonzálvez-García, 2006 : 10)
(21) The audience considered the proposal (to be) interesting (Gonzálvez-García à
par. : 6)
L’auteur les analyse comme des exemples d’une construction appelée “subjective-
transitive construction” (CST). Le sens constructionnel décrit par Gonzálvez-García est
comme suit :
(22) “X (NP1) expresses a direct personal and categorical involvement over Y (NP2
XPCOMP” (Gonzálvez-García, 2006 : 10)
24 Par “categorical”, Gonzálvez-García (2006) réfère à “a forceful rather than a tentative
or conjectural stance on the part of the subject/speaker towards the content of the NP
XCOMP” (note 12, p. 39). Les termes “direct” et “personal” ont trait, d’après Gonzálvez-
García (à par.), au fait que l’état de choses exprimé par le prédicat second (XPCOMP) est
le résultat d’une expérience directe éprouvée par le sujet en rapport avec l’entité
encodée par le terme NP2 (i.e. l’objet de la proposition) et que le sujet exprime un haut
degré de prise en charge (“commitment”) par rapport à l’état de choses exprimé par
XPCOMP. Comme il ressort des inférences sous (23), il est en effet impossible pour le
sujet de dire qu’il ne s’agit pas d’une opinion personnelle forte (23a) ou que le contenu
de la prédication [NP XCOMP] ne repose pas sur une expérience directe qu’il a éprouvée
(23b). Le haut degré de prise en charge se déduit de (23c) : l’opinion du sujet n’est pas
influencée par l’opinion d’autres personnes.
(23) I find her so sweet (BNC HGK 2426)
a. # but in fact I do not personally think that she is sweet at all
b. # although I haven’t actually had any direct experience with her, nor have I
met her in person – this is just an inference that I have drawn on the basis of what
people say about her.
c. although some of her colleagues think that she is a bit of an old dragon
(= (16) in Gonzálvez-García à par. : 10)
25 Gonzálvez-García soutient que la CST est sujette au phénomène de la “polysémie
constructionnelle” (cf. Goldberg, 1995) : le sens constructionnel général subit certaines
modifications sous l’influence de la sémantique verbale. Gonzálvez-García (2006 & à
par.) distingue quatre classes sémantiques différentes donnant lieu à quatre variantes
de la CST :
• les verbes de perception sensorielle ou cognitive (ex. consider, think, believe, find, see pour
l’anglais ; considerar, pensar, creer, encontrar, ver, pour l’espagnol) donnent lieu à la
construction subjective-transitive évaluative. L’exemple (23) précité est un exemple de
cette construction.
• les verbes d’appellation, de (dé-)nomination et de communication officielle (ex. call,
name, label, declare, pronounce pour l’anglais ; llamar, denominar, decir, pour l’espagnol)
apparaissent dans la construction subjective-transitive déclarative.
• les verbes causatifs ou de volonté (ex. want, order, need, pour l’anglais ; querer, ordenar,
necesitar, pour l’espagnol) figurent dans la construction subjective-transitive manipulative.

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• les verbes exprimant une appréciation ou une préférence (ex. like, wish, prefer pour l’anglais
; gustar, desear, preferir pour l’espagnol) donnent lieu à la construction subjective-transitive
générique.
26 Les différents composants de la construction subjective-transitive sont dotés des
propriétés sémantiques et pragmatiques suivantes, toujours d’après Gonzálvez-García
(2006) et à par. :

27 La description focalise essentiellement les constructions évaluatives tout en proposant


certains amendements pour les autres variantes de la CST. Sur le plan syntaxique, il y a
peu de différences d’avec la description de la CPR. La construction est composée d’un
verbe et de trois arguments. Le dernier de ces arguments, c’est-à-dire l’attribut, admet
cependant une plus grande variété de syntagmes : outre le syntagme adjectival,
Gonzálvez-García y réserve de la place pour des syntagmes nominaux, prépositionnels
et participiaux.
28 Sur le plan sémantique, il est intéressant de noter que, contrairement à sa description
syntaxique, la CST n’implique au fond que deux arguments : X, l’expérienceur et Y, qui
regroupe l’objet et l’AO à l’intérieur de ce qui est vraisemblablement une sorte de
“small clause”, fournissant le contenu propositionnel dont X fait l’expérience. Le sous-
événement verbal apparaît ainsi comme un ancrage épistémique de ce contenu
propositionnel et non pas comme un “moyen” de faire naître un état.
29 Le fait d’appartenir à une “small clause” n’empêche ni l’objet ni l’AO d’être soumis à des
restrictions lexicales : pour l’objet, Gonzálvez-García note que celui-ci doit être topical
et spécifique : “the more specific the postverbal NP, the more felicitous it wil be in this
frame in Spanish” (Gonzálvez-García à par. : 11). L’AO, à son tour, doit être focal et
dénoter, de préférence, des propriétés subjectives (évaluatives) : “only those
characterizing XPCOMPS which can be felicitously construed in subjective, evaluative
terms by the subject/speaker are acceptable in this construction” (Gonzálvez-García à

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par. : 12). De manière plus concrète, la CST (évaluative) n’admettrait pas en fonction
d’AO les SPrép. ayant une lecture locative littérale, les participes présents à caractère
verbal clair ou à caractère dynamique, les SAdv. et les SN identificationnels.
30 L’analyse de Gonzálvez-García a certainement l’avantage de réunir un grand nombre de
cas dans un cadre descriptif unique et de rendre compte des parallélismes et des
différences entre les types. Il reste bien sûr des zones d’ombre qu’il serait peu utile
d’explorer toutes ici. L’une d’entre elles a, toutefois, retenu notre attention, parce
qu’elle est importante pour la suite : dans la classe des verbes d’appellation, de
(dé)nomination ou de communication figurent des éléments tels que denominar, titular
et label, name, nickname, pronounce tag, title. Certains de ces éléments régissent toutefois
une structure au sens nettement résultatif, ce qui les rangerait plutôt du côté des CPR.
Dans l’exemple suivant, il est indéniable que le procès dénoté par pronounce mène à un
état résultant dénoté par l’AO. :
(24) The reverend pronounced them husband and wife.
31 Dans ce qui suit, nous limiterons dès lors la catégorie des verbes “d’appellation, de
(dé)nomination et de communication officielle” aux seuls éléments qui soient
susceptibles de dénoter une communication (officielle ou non) sans donner lieu à un
sens résultatif. Les verbes de nomination et d’appellation entraînant un sens résultatif
seront regroupés dans la catégorie des constructions résultatives.

Applicabilité au français

32 Globalement parlant, la construction subjective-transitive (CST) proposée pour


l’espagnol et l’anglais trouve un équivalent en français : les verbes français admettant
la structure à AO entrent pour la plupart dans les classes sémantiques retenues par
Gonzálvez-García (amendées pour les verbes de communication) :
• les verbes de perception sensorielle ou cognitive : considérer, croire, découvrir, écouter,
entendre, estimer, imaginer, juger, penser, supposer, trouver, voir, regarder, savoir…
• les verbes de communication (officielle) : affirmer, déclarer, dire…
• les verbes causatifs ou de volonté : commander, demander, exiger, ordonner, vouloir…
• les verbes exprimant une appréciation ou une préférence : aimer, préférer, souhaiter…
33 De plus, certaines propriétés décrites comme prototypiques de la CST caractérisent
également la structure à AO accompagnant les verbes en question : d’après Tobback
(2005), l’objet de l’énoncé se réalise également dans la plupart des cas comme un
élément spécifique à fonction de topique. L’AO, quant à lui, dénote dans bon nombre de
cas une propriété subjective :
(25) Mais je le crois trop intelligent pour plonger dans cette manœuvre. (LM
24/01/1994, p. 7)
(26) Pour beaucoup, la comparaison sera une raison supplémentaire de la juger très
séduisante. (LM 20/01/1994, p. 18)
34 Il serait toutefois nécessaire d’adapter la description proposée par Gonzálvez-García
pour qu’elle soit réellement applicable aux données françaises :
35 1. Le sens constructionnel décrit est problématique pour certains des verbes de
perception sensorielle ou cognitive. Il est, par exemple difficile de voir comment les
verbes de perception (voir, regarder, entendre ou écouter) pourraient impliquer une prise
en charge (“catégorielle” et “personnelle”) de la part du sujet :

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(27) Heureusement, les militaires sont bruyants, ils les entendent arriver. (LM
31/01/1994, p. S25)
(28) Avant un discours, elle l’a vu “ silencieux… terriblement pâle, tout le sang
affluait au coeur”. (LM 24/01/1994, p. 2)
36 Ce problème se pose d’ailleurs aussi pour l’espagnol et l’anglais. Dans des énoncés
comme les suivants, la signification subjective-évaluative ne semble en effet pas
présente :
(29) Pues he pasado bastantes veces por delante y no lo he visto muy lleno
(www.halaunion.com, ’je suis passé plusieurs fois (devant ce restaurant), et je ne l’ai
pas vu très plein’)
(30) “I didn’t even know he was drunk until I saw him sober,” said Edna, Finley’s
wife of 46 years. (http://sobersources.blogspot.com, ’je ne savais même pas qu’il
était ivre, jusqu’au moment où je l’ai vu sobre’)
37 Pour d’autres types de verbes, tels que savoir ou découvrir, l’idée de la prise en charge
catégorielle et personnelle de la part du sujet paraît difficilement compatible avec la
présupposition qui est attachée à la prédication seconde :
(31) On les savait talentueux, mais trop esseulés. (LM 23/02/1994, p. 12)
(32) Souvent, cette matière mal dégrossie suggère une idée brillante, qu’on prend
plaisir à découvrir aussi vivante et indomptée. (LM 08/02/1997, p. 29)
38 De manière plus générale, Tobback (2005) a relevé la présence de plusieurs éléments
liés à la structure elle-même ou à son contexte d’énonciation qui tendent à contredire
l’idée d’une prise en charge personnelle forte de la part du sujet. Les éléments invoqués
ont trait, entre autres, à la présence importante des sujets on et à l’absence d’éléments
contextuels référant à des divergences de vue entre les différents participants au
contexte d’énonciation (le sujet, le locuteur et d’autres participants éventuels). Il
semblerait donc qu’une formulation plus neutre du sens soit nécessaire pour le
français. Cette formulation aurait intérêt à s’inspirer de la description qu’Achard (1998)
propose pour ce qu’il appelle “conceptualizing subject constructions” (CSC), dans la
mesure où les verbes qu’il étudie correspondent plus ou moins à ceux qui sont cités par
Gonzalves-García. Selon Achard, la CSC a pour fonction de décrire la
“conceptualisation” par le sujet de la “scène” dénotée par le complément : “the main
clause subject conceives that event for the specific purpose of reporting it, expressing
her perception, belief, desire of it, or voice her feelings about it. This purpose can be
viewed as the expression of the specific way in which [the subject] conceptually relates
to the event profiled in the complement […]” (Achard 1998 : 177).
39 Cette description globale convient parfaitement pour les structures à AO qui nous
concernent ici. Dans tous les cas, il est possible de dire, en effet, que le sujet principal
[SN1] “conceptualise” le contenu de la relation prédicative seconde d’une certaine
manière, tandis que le verbe dénote la nature précise du rapport existant entre le sujet
et le contenu de la prédication seconde. Dans la suite de l’exposé, nous remplacerons
dès lors le sens constructionnel proposé par Gonzálvez-García 2006 (cf. 22) par le sens
neutre suivant :
(33) “X (NP1) conceptualise Y (NP2 XPCOMP)”
40 2. Certaines des propriétés décrites comme prototypiques de la structure subjective-
transitive sont trop restreintes pour les structures à AO françaises. Nos données de
corpus contiennent, en effet :
41 – des AO adverbiaux dont certains renvoient d’ailleurs à un lieu au sens littéral :
(34) On la croit ici, elle est ailleurs. (LM 10/02/1994, p.R05)

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42 – des AO prépositionnels qui réfèrent à un lieu au sens littéral :


(35) La rumeur court qu’elle chante à Barbès ; et elle a déjà traversé la
Méditerranée... On la croit à Marseille, dans la famille, mais elle surgit dans un café
lyonnais. (LM 10/02/1994, p.R05)
43 – des AO participiaux à caractère verbal clair, c’est-à-dire des participes qui présentent
le procès dans son déroulement :
(36) Le tout est filmé par Gentile Bellini, que l’on nous décrit circulant avec sa
caméra sur l’épaule dans les rues de Venise. (LM 08/12/1995, p.3)
44 Le corpus (essentiellement des verbes de perception) contient en outre un grand
nombre de prédicats seconds infinitivaux, une catégorie à caractère verbal évident qui
n’est pas prise en considération dans Gonzálvez-García :
(37) Un couple de voisins ne l’a pas vu entrer dans l’immeuble, mais l’homme est
plus circonspect que son épouse en précisant, quand on veut lui faire dire qu’Omar
n’est pas rentré chez lui : “ On ne l’a pas vu, ça, d’accord...” (LM94 29/01/1994, p. 12)
45 D’un point de vue sémantique, il faut faire observer, contra Gonzálvez-García, que la
part des AO sans comme qui dénotent des propriétés objectives est plutôt élevée : c’est
le cas des infinitifs, des participes présents, de bon nombre des participes passés et des
syntagmes prépositionnels, de certains AO adjectivaux et de quelques AO
substantivaux :
(38) On retrouve le style, que l’on croyait révolu, de Déroulède. C’est Verdun. C’est
le Chemin des Dames. (LM 23/04/1994, p. 2)
(39) De retour chez lui, tandis que tous le croient à Jaffna, le journaliste s’enferme
et décide de fabriquer son reportage à partir de rushes non utilisés d’un précédent
tournage [...]. (LM 14/03/1994, p. R38)
(40) On ne pouvait l’imaginer seul dans un jardin, tellement les fleurs ressemblaient
à sa femme, écrivait Georges Schehadé [...]. (LM 26/02/1994, p. 17)
(41) Policiers et carabiniers italiens ont procédé, mardi 28 juin, à l’arrestation de 32
personnes présumées membres de la Mafia, dans la région d’Agrigente en Sicile, a-
t-on appris auprès de la direction antimafia de Palerme. (LM 30/06/1994, p. 5)

3. Bilan

46 Au terme de cette analyse, il y a lieu de synthétiser les données essentielles à retenir


pour les structures à AO sans comme françaises.
47 1. Il importe d’opérer une distinction entre deux constructions à AO fondamentales :
une construction résultative (CPR), qui englobe les structures résultatives régies par les
verbes de nomination, et une construction subjective-transitive (CST). Le sens
constructionnel des deux constructions peut être présenté comme suit :
(42) Sens constructionnel de la CPR :
’NP1 fait devenir NP2 AP ou NP en le V-ant’
(43) Sens constructionnel de la CST :
’NP1 conceptualise le contenu propositionnel Y [NP2 – XCOMP]’
48 2. Si les deux types de constructions ont un sens constructionnel différent, les
propriétés formelles et sémantico-pragmatiques des différents composants sont pour
une bonne partie identiques :
• l’objet (le terme NP2) est de préférence un élément topical (Tobback, 2005), le prédicat
second fournissant le focus de l’énoncé (cf. aussi Olsson, 1981). La prédication seconde dans
son ensemble se conforme ainsi très souvent aux caractéristiques des structures à focus
prédicatif distinguées par Lambrecht (1994).

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• l’AO (l’élément XCOMP) appartient à des catégories grammaticales “prédicatives”, c’est-à-


dire des catégories dont les caractéristiques sémantico-cognitivese se rapprochent des
propriétés du prédicat prototypique, à savoir le verbe (cf. Croft, 1991) : il appartient soit
directement à la catégorie du verbe (infinitif, participe passé, participe présent ; cf. Willems
& Defrancq, 2000), soit à des catégories qui sont proches des propriétés du verbe : l’adjectif
ou le SN sans déterminant (cf. Tobback, 2005).

IV. Comment rendre compte de comme ?


49 Il y a peu d’informations dans la littérature constructionnelle sur des structures en
comme ou un de ses équivalents dans d’autres langues. Lambrecht (2004) traite un cas
particulier de détachement à droite marqué au moyen de comme, mais les cas envisagés
ne relèvent pas de la prédication seconde. Il conviendra par conséquent de bâtir notre
argumentaire sur ce qu’il est ressorti des diverses approches non constructionnelles de
la prédication seconde en comme.

1. Le lexique verbal

50 La distribution sur le lexique verbal des attributs avec comme et celle des attributs sans
comme est différente. Projetée sur les différents types présentés sous 3, la situation est
la suivante :

CPR CST CST CST


CPR CST appréciation
nomination perception commun. volonté

SN V SN AO + + + + + +

SN V SN comme AO - + + + + +

51 Pour la CPR, l’AO en comme est seulement attesté pour le type ’nomination’, les verbes
causatifs tels que rendre n’admettant pas la présence de comme :
(44) Par appel nominal des 163 conseillers, et à bulletin secret, l’assemblée
municipale devait élire Jean Tiberi comme maire de Paris. (LM 23/05/1995, p. 7)
(45) Interpréter Beethoven sur des cordes en boyau et sur des instruments à vent
d’époque, forcément plus périlleux, revient à le rendre (*comme) le plus vivant
possible. (LM 13/01/1994, p. R01)
52 Pour la CST, l’AO en comme se retrouve dans toutes les classes sémantiques distinguées
pour les structures sans comme :
– verbes de perception sensorielle ou cognitive :
(46) Il suffit d’oser les approcher, de ne plus les considérer comme lointains,
inaccessibles, forcément réservés à ceux qui savent. (LM 28/01/1994, p. R09)
(47) D’un côté, les Grecs ne peuvent s’empêcher de mettre le conflit aux origines, et
de penser le politique comme conflictuel. (LM 13/09/1994, p. 2)
– verbes de communication (officielle) :
(48) Mais si la santé des femmes a été affirmée comme une préoccupation centrale
des politiques de population, le plaidoyer en faveur de leur émancipation s’est
heurté à de fortes résistances [...]. (LM15/09/1994, p. 1)
– verbes causatifs ou de volonté :

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(49) Voulu à l’origine comme une expérience de débouché sur un “compagnonnage


européen”, le dispositif est entré dans sa phase opérationnelle en 1991 [...]. (LM
30/11/1994, p. R02)
- verbes exprimant une appréciation ou une préférence :
(50) Lorsque, au printemps de 1993 [...], quelques minoritaires réclament la réunion
d’un congrès extraordinaire, M. Lalonde et son vice-président, M. Mamère, les
dénoncent comme de “vulgaires comploteurs” [...]. (LM 12/12/1994, p. 10)
53 Il convient toutefois de noter que ces correspondances globales cachent bien des
divergences. Bon nombre des verbes énumérés sous 3. sont en effet très réfractaires à
l’intervention de comme. Aucun exemple n’a été relevé de ‘croire SN comme AO’, par
exemple.
54 La distribution inégale de l’AO en comme et de l’AO sans comme semble à première vue
plaider en faveur d’une description en termes de deux constructions différentes. Or, le
modèle allostructionnel de Cappelle (2006) prévoit des cas où les allostructions d’une
construction ne peuvent pas être toutes réalisées. Il semble donc que l’absence de
structures en comme pour certains verbes ne soit pas nécessairement un argument
décisif en faveur d’une solution à deux constructions. Ceci vaut tout aussi bien dans
l’autre sens : le fait que certains verbes admettent uniquement la structure en comme
ne constitue pas une objection fondamentale à une description en termes
d’allostructions :
(51) En Iran, d’autres raisons ont amené des responsables à analyser l’arrêt de la
cour comme une reconnaissance du gouvernement de Téhéran. (LM 09/12/1994,
p. 11) (*... analyser l’arrêt de la cour une reconnaissance ...)
(52) André Rousselet, président et fondateur de cette chaîne, interprète, à juste
titre, ce pacte comme la mise à mort de son indépendance. (LM 19/07/1994, p. 9)
(*... interprète, à juste titre, ce pacte la mise à mort...)
(53) La CGT a salué ce redémarrage comme “un succès d’extrême importance”. (LM
06/08/1994, p. 10) (*... a salué ce redémarrage un “succès d’extrême importance”.)

2. La sémantique verbale

55 Lorsque les deux structures co-existent pour un même verbe, elles sont en général
difficiles à distinguer sur le plan sémantique. Les deux exemples suivants décrivent en
effet rigoureusement la même réalité :
(54) Le président de l’Union européenne, Lamberto Dini, a jugé les arrestations de
Radovan Karadzic et du général Mladic comme “hautement désirables” [...]. (LM
15/06/1996, p. 3)
(55) Pierre Guillen (qui dirigeait la délégation du CNPF), a jugé ce compromis
“coûteux pour les entreprises” [...]. (LM 11/02/1994, p. 15)
56 Willems & Defrancq (2000) signalent cependant un certain nombre de cas parmi les
verbes de perception où la structure en comme ne s’interprète jamais comme une
instance de perception. Le contraste entre les deux phrases de l’exemple suivant est
éloquent :
(56) Il faut voir les poches de pauvreté de nos banlieues. Il ne faut pas voir nos
banlieues comme des poches de pauvreté (Le Monde, 08.03.1994 = (32b) dans Willems
& Defrancq, 2000)
57 Dans la première phrase, voir est utilisé comme verbe de perception, alors que, dans la
deuxième, le procès qui est décrit s’oriente plutôt vers l’opinion. Obtenir un sens
perceptif en présence de comme semble impossible. Ceci serait un argument en faveur
d’une description de la structure en comme en termes d’une construction à part

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entière : un sens particulier associé à une propriété formelle distincte doit en principe
donner lieu à une construction distincte. Seulement, d’après Willems & Defrancq, le
même glissement sémantique peut être observé dans une structure à AO sans comme :
(57) Dans la vie comme dans les albums de bandes dessinées, les hommes, ils les voit
plutôt amers, dupés, comme les personnages de Céline [...]. (Le Monde, 08.01.1994, =
(21) dans Willems & Defrancq, 2000)
58 Autrement dit, les propriétés sémantiques particulières des structures en comme font
partie de la gamme qu’offrent aussi les structures sans comme. Plutôt que d’être un
argument en faveur de la constitution d’une nouvelle construction, elles plaident donc
en faveur d’un rapport étroit entre les deux structures. Que la structure en comme soit
parfois soumise à des restrictions sémantiques est tout à fait attendu, si l’on admet
qu’elle est la variante marquée.

3. Les propriétés catégorielles de l’AO

59 Plusieurs études ont relevé des différences catégorielles au niveau de l’AO selon que
celui-ci est accompagné ou non de comme (cf. Defrancq, 1996 ; Guimier, 1999 ; Willems &
Defrancq, 2000 ; Tobback 2005 ; Tobback & Defrancq, 2008). La tendance globale qui se
dégage est que l’AO en comme est un syntagme nominal, alors que l’AO sans comme est
un adjectif, un syntagme prépositionnel ou une forme verbale (infinitif, participe
passé). Ceci vaut avant tout pour les structures du type CST, les CPR n’offrant
généralement pas le choix entre deux catégories.
60 Comme indiqué, il s’agit de tendances, la seule combinaison réellement exclue étant
celle où comme accompagnerait un infinitif :
(58) Comme on fait un vœu en regardant passer une étoile filante, il a dit qu’il était
“convaincu qu’en France, on peut changer la vie”. (LM 01/03/1994, p. 8)
* Comme on fait un vœu en regardant comme passer une étoile filante...
61 Ces tendances dépendent vraisemblablement de la mesure dans laquelle il y a
compatibilité entre la fonction de l’AO, qui est une fonction prédicative, et les
catégories grammaticales impliquées. Les catégories Verbe et Adjectif sont plus
compatibles avec la fonction de prédicat que la catégorie Nom (cf. Croft, 1991). Les
premières auront donc moins de chances de recevoir une marque spéciale en tant
qu’AO (Tobback, 2005).
62 Ce point de vue est conforté par des micro-variations au niveau de la catégorie
nominale : si l’AO est un nom, il sera plus souvent marqué par comme quand il est
accompagné d’un déterminant que quand il est seul (Tobback, 2005 et Tobback &
Defrancq, 2008):
(59) Des militaires syndiqués, il est permis de l’être ici, ont, peu charitablement,
accueilli son départ comme “un cadeau de Saint-Nicolas”. (LM 10/12/1994, p. 4) 5
63 Or, plusieurs auteurs ont souligné la proximité sémantique entre les noms non
déterminés et les adjectifs (Van Peteghem, 1993 ; Goes, 1999).
64 Vu leur nature, les différences catégorielles au niveau de l’AO ne semblent pas justifier
un traitement qui consisterait à distinguer deux constructions à part entière. Reposant
essentiellement sur des tendances, les différences ne permettent pas de dresser des
profils définitoires distincts pour les deux structures. D’autre part, si l’intervention de
comme peut être liée localement aux propriétés catégorielles inadaptées de l’AO,
l’hypothèse de la variante marquée gagne du terrain.

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4. Les propriétés informationnelles de la structure

65 Tobback (2005) a relevé des différences entre la structure en comme et la structure sans
comme au niveau de la structure informationnelle des énoncés concernés. L’objet direct
d’une structure sans comme est plus souvent topical, alors que l’AO est focal. Dans les
structures en comme, l’objet direct est plus souvent focal et l’AO présupposé.
Concrètement, cela se traduit entre autres par une proportion plus importante d’objets
pronominaux en l’absence de comme et par une proportion plus importante d’AO
antéposés à l’objet en présence de comme (voir aussi Tobback & Defrancq, 2008) :
(60) On les connaissait studieuses ou musicales, théâtrales ou chorégraphiques,
bibliques ou archéologiques. (LM 09/07/1994, p. R02)
(61) La NRA milite pour l’annulation des restrictions imposées à l’achat et au port
d’armes, et elle identifie comme “ennemies” les agences fédérales dont la
mission est de faire respecter la législation dans ce domaine. (LM 27/07/1995,
p. 3)
66 Les différences sont observables aussi bien dans le cas des CPR ‘nomination’ que dans le
cas des CST.
67 Ces configurations s’expliquent une fois de plus si l’on admet que la structure en comme
est la variante marquée de la structure sans comme. La configuration ‘sujet topical –
prédicat focal’ est la structure informationnelle par défaut dans beaucoup pour ne pas
dire toutes les langues (Lambrecht, 1994). Transposée au domaine de la prédication
seconde, la configuration ‘objet topical – AO focal’ est donc la structure par défaut. C’est
celle précisément qui est normalement dépourvue de comme. La configuration ‘objet
focal – AO présupposé’ est marquée, ce qui peut se traduire sur le plan formel par
l’intervention de comme.
68 Quant à savoir quelle est la meilleure façon de formaliser ces données, l’approche
semble devoir être la même que dans le cas précédent : il est peu adéquat de formaliser
par des constructions différentes des configurations qui ne reposent que sur des
tendances et, l’intervention de comme étant clairement liée à une configuration
marquée, il semble plus approprié d’envisager la description en termes de membres
marqué et non marqué d’un couple de structures.

V. Conclusion
69 Tout porte à croire qu’une description en termes d’allostructions serait plus productive
dans le cas qui nous concerne qu’une description en termes de constructions
différentes : les arguments invoqués pour défendre la thèse des deux constructions se
sont avérés caducs et les données observées privilégient une description en termes de
variantes marquée et non marquée d’une construction de base.
70 Concrètement, comme il y a deux cas différents, ce qu’il convient de proposer est
l’existence en français de deux constructions de base. Ces constructions sont sous-
spécifiées quant à la forme que prend l’AO et quant aux propriétés sémantiques et
pragmatiques de l’objet et de l’AO :

CPR : SN1 V SN2 XAO

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CST : SN1 V SN2 XAO

71 Les deux constructions se déclinent alors chacune en deux allostructions dont la


première, sans comme, est la variante non marquée et la seconde, avec comme, la
variante marquée, les deux variantes n’étant ni des variantes libres ni des variantes en
distribution complémentaire, puisque leur emploi respectif est favorisé par des facteurs
catégoriels et informationnels :

La CPR

CPR : non marquée : SN1 V SN2 AO

CPR : marquée : SN1 V SN2 comme AO

72 Pour le français, la CPR est essentiellement valable pour les verbes de nomination. Le
sens constructionnel des deux allostructions de la CPR est identique :
(62) ‘SN1 fait devenir SN2 AO en le V-ant’
73 Les propriétés formelles et pragmatiques diffèrent selon que l’AO comporte comme ou
non. La différence essentielle concerne le statut informationnel des termes de la
construction : sans comme, SN2 est de préférence topical tandis que l’AO est focal ; en
présence de comme, l’AO tend plus souvent à faire partie du domaine de la
présupposition tandis que SN2 fournit le focus argumental de l’énoncé. Une autre
différence a trait à la catégorie grammaticale de l’AO, celui-ci étant dans la quasi-
totalité un SN non introduit par un déterminant en l’absence de comme, alors qu’il se
voit plus souvent accompagné d’un déterminant en présence de comme.

La CST

CST : non marquée : SN1 V SN2 AO

CST : marquée : SN1 V SN2 comme AO

Tout comme pour la CPR, le sens constructionnel général est identique pour les deux
variantes de la CST :
(63) ’SN1 “conceptualise” le contenu propositionnel Y [SN2 – AO]’
74 La différence la plus importante entre les deux allostructions a trait ici à la catégorie
grammaticale de l’AO : en l’absence de comme, l’AO appartient dans la majorité des cas
aux catégories prédicatives du verbe (infinitif, participe passé, participe présent) et de
l’adjectif ; accompagné de comme, en revanche, l’AO privilégie de manière très nette la
catégorie du nom, celui-ci étant dans l’immense majorité des cas introduit par un
déterminant indéfini. Les différences informationnelles observées pour la CPR sont ici
moins prononcées, même si l’on observe une part plus importante de topiques continus
(i.e. SN2 pronominaux) au sein de la CST non marquée.

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NOTES
1. Dans les deux cas, l’objet est un SN défini et l’attribut un SAdj. ; le sujet et le verbe prennent
également des formes très comparables. La seule chose qu’il faudrait regarder de plus près (ainsi
que nous l’a suggéré le comité de lecture de la version précédente de l’article), c’est l’impact que
pourrait avoir l’éloignement de l’attribut par rapport à la tête du SN objet sur l’emploi de comme.
2. Tout en n’étant pas en distribution complémentaire, les deux allostructions ne peuvent pas
être décrites comme des variantes libres de la construction : le choix d’une des deux
allostructions est déterminé, en partie, par des facteurs liés à l’organisation informationnelle des
énoncés (cf. Capelle 2006).
3. Goldberg (1991, 1995), Goldberg & Jackendoff (2004).
4. Gonzálvez-García 2003, 2006 & à par.
5. La présence de comme est obligatoire : * Des militaires syndiqués ... ont peu charitablement accueilli
son départ un cadeau de Saint-Nicolas.

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RÉSUMÉS
Cet article examine les structures à attribut de l’objet en comme et sans comme dans le cadre
théorique de la grammaire constructionnelle. Il évalue, plus précisément, deux solutions qui ont
été envisagées dans ce cadre pour rendre compte du problème de l’existence de structures
minimalement différentes : la première analyse chacune des structures comme des constructions
différentes ; la deuxième consiste à les considérer comme des instanciations (ou “allostructions”)
d’une seule construction. Au terme d’une étude lexicale, sémantique, catégorielle et
informationnelle des structures attributives concernées, c’est l’analyse en termes d’allostructions
qui l’emporte, la structure sans comme étant la variante non marquée et celle avec comme la
variante marquée.

This paper examines resultative and depictive object complement structures with and without
comme (’as’) within the framework of construction grammar. It compares and evaluates, more
specifically, two solutions which have been proposed to tackle the existence of slightly different
structures : the first analyzes each structure as a distinct construction, whereas the second
solution consists in analyzing them as instantiations (“allostructions”) of one single construction.
Our lexical, semantic, syntactic and informational account of the object complement structures is
supportive of the second solution, the structure without comme (’as’) being the unmarked and the
comme structure the marked form.

AUTEURS
ELS TOBBACK
Université de Gand

BART DEFRANCQ
Haute École de Gand

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L’interprétation des segments


comme N : invariants sémantiques et
facteurs contextuels
Antoine Gautier et Mélanie Morinière

Introduction
1 Ainsi que l’ont montré un certain nombre d’études récentes (parmi lesquelles Fuchs,
1999 ; Léard & Pierrard, 2003 ; Fuchs & Le Goffic, 2005), le mot comme soulève des
questions à la fois distributionnelles et sémantiques : la grande diversité de ses
contextes d’emploi, alliée à un sens des plus ténus, en font une unité difficile à analyser.
Dans cette étude, nous nous concentrons sur une des constructions faisant intervenir
ce morphème, comme suivi d’un nom sans déterminant, afin d’analyser en détail les
interactions dans la construction du sens entre les propriétés du seul segment comme N
et celles qui relèvent de facteurs contextuels, en particulier de propriétés non
compositionnelles liées à la position du segment dans la phrase ; cette question est
d’autant plus intéressante qu’elle étend les données du problème aux dimensions du
texte et à sa structuration informationnelle.
2 Sauf mention contraire, les faits observés sont tirés d’un corpus écrit, ce qui confère
une importance particulière aux notions de périphérie et de détachement. On sait que la
première est à manier avec prudence dans la mesure où elle inscrit les faits dans un
repère spatial : ici, il s’agit de la phrase, délimitée par des frontières graphiques. Quant
au détachement, on s’accordera à dire avec Neveu (2003) qu’il ne peut « marquer une
identité fonctionnelle », pas plus qu’un trait sémantique régulier 1. Dans le cas des
segments en comme N, il est notable que l’absence de marque graphique de
détachement n’entraîne pas nécessairement une interprétation « intégrée »
(comparer (1) vs. (2)). Tout se passe comme si la virgule n’était nécessaire que dans le
contexte où constructions liée et détachée sont en réelle concurrence. Il faut noter
enfin que la virgule apparaît très peu dans les contextes de production où la norme
pèse faiblement, comme les forums et discussions en ligne.

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(1) C’était plutôt sympa, comme milieu. (Guérin, L’Apprenti)


(2) Avoue que c’est chic comme trouvaille. (Fallet, Banlieue sud-est)
3 Son nom étant dépourvu de déterminant, le segment comme N constitue une unité non
référentielle2 ; il fonctionne comme un prédicat, qui, associé à un argument X d’un
autre noyau prédicatif, réalise une prédication seconde de type « X est (Dét) N » (Léard
& Pierrard, 2003 : 227, Lambrecht, 2004 : 178, Moline, 2005). Nous appellerons cette
prédication seconde PRED(comme N), par opposition à la prédication principale ; le
support du prédicat comme N sera désigné conventionnellement comme l’élément X :
ElleX est gentille (Prédication principale) comme fille (PRED(comme N))
4 Nous allons dans une première partie mettre en évidence deux premiers facteurs
contextuels qui interfèrent avec le sémantisme de comme N et les variations
interprétatives qui s’y attachent : l’orientation (ou la structure informationnelle) de la
prédication PRED(comme N) et la place du segment dans le cadre phrastique. Dans la
deuxième partie, nous proposons, à partir du croisement de ces deux facteurs, un
classement et une analyse plus détaillés des différents types de comme N en contexte,
classement dans lequel nous dégageons d’autres facteurs secondaires déclenchant des
effets de sens variés.

Principaux facteurs contextuels


1. Orientation de la prédication seconde

5 Le sémantisme du segment comme N n’est pas toujours facile à gloser. Cependant, une
première distinction se laisse observer à partir des exemples suivants :
(3) Et Charlotte Gainsbourg, vous aimez ? - Comme actrice elle se défend bien.
Comme fille à voir comme ça et à entendre elle est nulle. (Seguin, L’arme à gauche)
(4) Le patron d’l’auto-tampon Qui était très gentil, Comme musique de fond Y nous
a mis Johnny (Renaud, Mistral gagnant)
6 La commutation entre comme et en tant que est possible en (3) mais pas en (4) :
(3’) En tant qu’actrice elle se défend bien.
(4’) *En tant que musique de fond Y nous a mis Johnny.
7 Elle trahit une différence d’orientation de la prédication seconde PRED(comme N) :
en (3), celle-ci peut être glosée par « X est N » (« elle est actrice ») alors qu’en (4) la
glose sera « le N, c’est X » (« la musique de fond, c’était Johnny »). En (3), le locuteur
caractérise le référent de X en disant qu’il appartient à la catégorie désignée par N ; il
s’agit d’une opération de catégorisation de l’entité X. En (4), il indique quel référent
vérifie la propriété être N, il effectue l’extraction d’un élément X dans la catégorie {N}.
8 On peut décrire plus précisément cette différence comme une différence de structure
informationnelle3 de PRED(comme N) :
En (3) la structure est : [elle]TOPIQUE [ est actrice]FOCUS (autrement dit : X TOPIQUE [est
N]FOCUS) ; PRED(comme N) est donc une prédication à focus prédicatif (c’est le
prédicat qui est le focus).
En (4), le prédicat comme N/être N appartient à la présupposition, et c’est l’argument
X qui est le focus, l’information nouvelle ; PRED(comme N) est alors une prédication
à focus argumental4.
9 En résumé, on peut établir les structures informationnelles suivantes :
Catégorisation de X dans {N} :

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Présupposition : X est une entité à laquelle est associée une propriété p


Assertion : à X est associée la propriété être N.
Extraction de X depuis {N} :
Présupposition : il existe une entité e qui vérifie la propriété être N
Assertion : l’entité qui vérifie la propriété être N, c’est X.
10 Dans une approche cognitiviste, l’interprétation du référent de X comme un élément
topique ou focus de PRED(comme N) est liée à son degré d’activation dans l’esprit du
locuteur au moment de l’énonciation de la prédication principale (ou, plus justement,
des potentialités d’activation supposées par le locuteur). K. Lambrecht (1994) a en effet
montré qu’il y a une corrélation entre le statut informationnel d’un référent (son degré
d’activation) et ses propriétés pragmatiques dans la prédication (topique/focus) : de
préférence, le topique est un référent actif.
11 Ainsi, en (3), le référent du support elle, Charlotte Gainsbourg, étant le topique de la
question précédente, est très actif, et il est donc interprété comme le topique de
PRED(comme N). En (4), le référent Johnny n’est ni actif, ni accessible puisqu’il n’en a pas
été question auparavant, en revanche la catégorie {musique de fond} est accessible à
partir du cadre (ou plutôt du script) des autos tamponneuses5. Johnny est donc
interprété comme le focus de PRED(comme N), et la catégorie {N} comme appartenant au
présupposé.

2. Position de comme N

12 Un même segment est susceptible d’occuper au moins trois positions canoniques :


(5) Il travaille comme maçon dans l’entreprise de son père. (Intégré au noyau)
(6) Comme maçon, il n’est pas mal, mais comme électricien, il est nul. (Périphérie
gauche)
(7) A : Tu cherches un maçon ? Mon voisin est maçon.
B : Je sais, mais il est nul, comme maçon. (Périphérie droite)
13 La position de comme N dans la phrase peut être envisagée et décrite selon différentes
perspectives : au niveau simplement graphique (détaché ou non), syntaxique (intégré
ou non) ou informationnel (focal ou non). Ces critères ne sont pas nécessairement
covariants. Dans la phrase [5], dans laquelle comme N appartient au noyau, le focus peut
être :
• travaille comme maçon dans l’entreprise de son père (réponse à la question « Que fait-il ? »)
• comme maçon dans l’entreprise de son père (« Que fait-il, comme travail ? »)
• comme maçon (« Que fait-il, comme travail, dans l’entreprise de son père ? »)
• dans l’entreprise de son père (« Où travaille-t-il comme maçon ? »).
A l’oral, l’étendue du domaine focal est marquée par l’intonation ; à l’écrit, en revanche,
elle n’est pas visible. En position intégrée, comme N peut donc appartenir au focus, ou
être à lui seul le focus de la prédication principale. PRED(comme N) est alors présentée
comme de l’information nouvelle, assertée. Il en résulte que le segment comme N peut
être intégré au foyer d’une négation et que PRED(comme N) est niable par
l’interlocuteur (5’).
(5’) Non, il n’est pas maçon chez son père, il est électricien.
En position périphérique gauche (6) ou droite (7), en revanche, comme N appartient
toujours à la présupposition ; PRED(comme N) est présentée comme de l’information
déjà connue de l’interlocuteur. Elle ne peut être niée sans recourir au mais

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argumentatif, qui « concerne toujours le dire sous-jacent au dit » (Ducrot, 1980 : 126),
en l’occurrence le présupposé véhiculé par la phrase :
(6’/7’) a. #Non, il n’est pas maçon.
b. Mais il n’est pas maçon !
En (7), l’appartenance de mon voisin à la catégorie {maçon} est connue grâce au cotexte
explicite. En (8), l’appartenance de Salif à la catégorie {artiste} est inférée à partir du
cadre (album > son > artiste)
(8) Je pose en exclu un extrait de ce futur album C’est un son de Salif (que je kiffe
trop comme artiste) (Google – Comlive.net)
En (3), enfin, le locuteur suppose connue l’information [Charlotte Gainsbourg est une
actrice] en jugeant qu’elle fait partie des connaissances encyclopédiques partagées.
14 Cependant, si le respect de la maxime de qualité est la norme, l’exploitation des
infractions qui y sont faites est fréquente, et constitue même une source d’effets variés.
En premier lieu, la catégorie définie par N peut convenir plus ou moins bien à l’entité
dénotée par X (ou inversement, selon l’orientation de PRED(comme N)). Pour
appréhender ces faits, il faut adopter une approche prototypique (Rosch, 1973) qui
envisage l’appartenance à une catégorie de manière scalaire. Dans une telle
perspective, la catégorie la plus pertinente est celle qui est la plus fréquemment admise
pour une même entité X6. Ce serait par exemple le cas de {femme} pour Charlotte
Gainsbourg, pertinent par nature – mais on admettra qu’{actrice} est une catégorie
essentielle au même degré sans être une catégorie naturelle 7. Au fur et à mesure que
l’on s’éloigne de cette universalité du jugement d’appartenance, les catégories
deviennent de plus en plus contingentes, jusqu’au seuil de la non-pertinence, qui
relève généralement d’une infraction aux catégories naturelles (Joseph Staline et
{demoiselle} p.ex.). En figure :
Catégorie(s) essentielle(s) |—catégories contingentes—| Catégories non pertinentes
15 Le statut informationnel de N, qui est une propriété de structure du discours, peut
prévaloir sur sa pertinence. Ainsi, une catégorie fortement contingente qui a été
évoquée auparavant est active lorsqu’elle apparaît dans le segment comme N
(9) Tu savais que Chateaubriand nageait ? – Oui, et il était excellent, comme nageur.
16 Moins la catégorie sera effectivement accessible (catégorie contingente non
récupérable à partir du contexte), moins la présupposition semblera pragmatiquement
anodine. Si, visitant le nouvel appartement d’une connaissance (masculine), on affirme
par exemple :
(10) C’est charmant, comme garçonnière/taudis/cagibi.
17 on fait jouer à plein la discordance entre un jugement subjectif et son inscription forcée
dans les connaissances partagées. À cet égard, en faisant usage d’une catégorie peu
accessible, on augmente la quantité d’information nouvelle véhiculée par la prédication
seconde, jusqu’à en faire paradoxalement le véritable objet de la communication. C’est
ce procédé qui est mis en œuvre en [11], où le locuteur ne suppose pas connue la
prédication évaluative [les paroles de l’ancien ministre Jobert sont un aveu] mais la
présente pourtant comme telle grâce à la position périphérique de comme N.
[11] Le journaliste lui lance : « Mais enfin, à cette époque-là, vous étiez ministre des
Affaires étrangères ! » Et Jobert répond : « Pardon, j’étais l’illusionniste qui était
ministre des Affaires étrangères ! » C’est joli, comme aveu, non ? (Gary, Au-delà de
cette limite votre ticket n’est plus valable)

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II. Classement des effets de sens en contexte


1. Catégorisation
Catégorie et fonction du support X du prédicat comme N

18 Dans les occurrences de ce type, comme N se rapporte très souvent au sujet de la


prédication principale, qui est un SN ou, très souvent, un pronom clitique. On sait qu’il
y a une corrélation entre la fonction de topique et la fonction sujet : le sujet est souvent
topique. Or quand le support est topique de la prédication principale, il est topique de
la prédication PRED(comme N) (le contraire n’est pas toujours vrai), il n’est donc pas
étonnant que les phrases avec un support comme N sujet s’interprètent presque
toujours comme des « catégorisations ». Les pronoms clitiques, quant à eux, codent
toujours un référent supposé connu (excepté il impersonnel). Le topique d’une
prédication étant de préférence un référent actif, le support X, topique de la
prédication PRED(comme N), est souvent un clitique, mais rarement un SN indéfini :
[12] a. J’ai beaucoup d’a priori, comme mec. (Google – DVDRama)
b. *Un homme a beaucoup d’a priori, comme mec.

Positions de comme N

Intégré au noyau

[13] Elle lui disait qu’elle travaillait comme repasseuse. (Blier, Les valseuses)
[14] Avec un front inaltérable, je prétendis que les légionnaires utilisaient ces
initiales comme abréviations. (Tournier, Le roi des aulnes)
N désigne le rôle, la fonction ou le statut avec lequel l’argument X participe au procès.
Ce support X est le plus souvent humain (13), mais peut être inanimé (14) ; le prédicat
est souvent un prédicat d’activité.
19 La prédication principale et la prédication PRED(comme N) sont interdépendantes d’un
point de vue vériconditionnel. D’une part, comme N contribue à la construction
sémantique de la prédication principale : si l’on supprime comme repasseuse ou que l’on
le remplace par un autre comme N, ses conditions de vérité sont modifiées. D’autre part,
la PRED (comme N) « elle est repasseuse » ou « ces initiales sont des abréviations » est
présentée comme étant vraie seulement dans le cadre du procès elle travaillait/les
légionnaires utilisaient ces initiales : le référent de elle en (13) peut très bien ne pas être
repasseuse de métier, et les abréviations de (14) peuvent faire l’objet d’une autre
utilisation.
20 Le segment comme N est présenté comme un choix dans un paradigme [fonctions] ;
comme N est un foyer au sens de H. Nølke (1994 : 129). Les autres éléments du paradigme
sont la plupart du temps sous-entendus, le paradigme étant à rétablir par le récepteur
[13’], mais ils peuvent aussi être donnés (15).
(13’) Elle lui disait qu’elle travaillait comme repasseuse. (s-e et non comme cuisinière)
(15) Elle travaillait comme repasseuse chez les Dupont le matin, et comme
cuisinière chez les Durand l’après-midi.
Nous utiliserons le terme paradigmatique plutôt que foyer pour éviter la confusion avec
la notion de focus de K. Lambrecht. En effet, un élément focus est toujours un foyer/
paradigmatique, mais l’inverse n’est pas vrai : en (16), Pierre et Paul sont deux éléments
topiques d’un même paradigme mis en contraste.
(16) [Pierre]TOP, il est gentil, mais [Paul]TOP, je ne l’aime pas.

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Périphérie Droite

21 Comme nous l’avons signalé, la localisation d’un segment comme N dans la périphérie
droite de la phrase ne s’appuie pas sur le seul marquage graphique du détachement, qui
n’est pas toujours discriminant8.
(17) Nous fîmes l’énuméré de tous les gens possibles parmi nos connaissances
communes. On ne trouvait pas. D’ailleurs ça ne tenait pas debout comme
accusation. (Céline, Voyage au bout de la nuit)
(18) il est vraiment génial comme acteur ! (Google –forum Allocine.fr)
22 Les segments comme N de la périphérie droite se caractérisent par un certain nombre de
propriétés communes, qui les opposent aux segments comme N intégrés au noyau :
23 (i) la prédication PRED(comme N) appartient toujours à la présupposition ;
24 (ii) elle est hermétiquement séparée de la prédication principale et ne joue aucun rôle
dans son interprétation, ce qui se vérifie par la possibilité d’une paraphrase avec
relative du type (19)a ou au moyen d’un SN muni d’un démonstratif (19)b 9 ;
(19) a. C’est bon, comme dessert. = C’est un dessert qui est bon
b. C’est bon, ce dessert.
25 (iii) comme N n’est pas paradigmatique, il n’apparaît pas comme un rôle, une facette du
support opposé à un(e) autre, ce que montre l’impossibilité de le mettre en contraste
explicite avec un autre comme N (20).
(20) Tenez, c’est bien curieux comme rencontre. (*mais comme N2…) (Goncourt,
Journal)
En outre, on remarque que comme N ne commute pas avec en tant que N lorsqu’il est en
périphérie droite, contrairement à comme N intégré :
(13’’) Elle disait qu’elle travaillait en tant que repasseuse.
(20’) *Tenez, c’est bien curieux en tant que rencontre.
Il s’avère donc que en tant que N ne peut être que paradigmatique 10.
26 Dans son étude consacrée aux segments comme N détachés à droite (2004), K. Lambrecht
relève ces propriétés comme étant caractéristiques d’une construction, appelée Right-
Detached Comme N (RDCN), à laquelle il prête les traits suivants :
• (i) Présence d’un verbe copule (ou assimilé11) dans la prédication principale
• (ii) Support Sujet clitique (démonstratif ou autre pronom)
• (iii) Nom nu détaché à droite du noyau verbal et précédé de comme ; l’ensemble est
inaccentué et extra-prédicatif
• (iv) Comme instaure une relation prédicative ayant le sujet du noyau verbal pour support et
la catégorie dénotée par le nom pour apport.
27 Un bon exemple de ces constructions serait (21) :
(21) C’est pas marrant, comme histoire. (Lambrecht, 2004)
28 Selon nous, cette définition mérite une discussion, car elle fait du RDCN une
construction trop spécifique. En premier lieu, on rencontre dans le noyau d’autres
types de verbes que les verbes copules et assimilés, même si ceux-ci sont plus
fréquents :
(22) C’était poisseux, ça collait comme atmosphère, ça dansait autour des becs...
c’était hagard comme sensation. (Céline, Mort à crédit)

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La prédication principale portée par le noyau consiste le plus souvent en une


évaluation ou une caractérisation, au moyen de propriétés indifféremment
classifiantes (23) ou non-classifiantes (24)12.
(23) C’est carnivore, comme animal, le chat.
(24) C’était fumier comme supposition. (Céline, Voyage au bout de la nuit)
Comme le note K. Lambrecht (2004 : 189), le recours à un syntagme adjectival n’est pas
nécessaire pour qu’émerge une interprétation évaluative :
(25) Ça m’a pas emballé comme film. (Lambrecht 2004)
(26) ça craint comme situation. (Google – forum Auféminin.com)
Cette restriction pourrait expliquer le caractère suspect de [27], où l’évaluation est
difficile à percevoir. Mais comment expliquer, dès lors, que l’on rencontre des
occurrences comme [28] ?
(27) ?Elle vend des fruits au marché, comme fille.
(28) Elle m’a déçue (,) comme fille. (Oral, Foresti, T.V. – On n’est pas couchés)
Manifestement, la contrainte est moins d’ordre syntaxique que sémantique : bien que
les deux prédications soient autonomes, il semble nécessaire que la prédication
principale soit à même de constituer une propriété définitoire d’un sous-ensemble
acceptable de la catégorie {N}13. Ainsi, en [27], vendre des fruits au marché peut
difficilement désigner un sous-ensemble reconnu de la catégorie {fille} : il réfère ici à
une action en accomplissement. En [28] au contraire, décevoir isole sous-catégorie des
filles ayant déçu. Cet effet de sens, ténu, semble absent des tours (27’) et (28’) 14.
(27’) Elle vend des fruits au marché, cette fille.
(28’) Elle m’a déçue, cette fille.
29 S’il est fréquent que le support de PRED(comme N) dans le noyau soit le sujet du verbe,
ce n’est pas toujours le cas. En [29], également cité par Lambrecht lui-même, il s’agit
ainsi d’un pronom régime, mais il est aussi fréquent qu’il ne soit récupérable qu’à partir
du co(n)texte [30]. Le support X ne doit pas être caractérisé en termes syntaxiques mais
informationnels : il a un référent actif ou accessible, donc souvent codé par un pronom,
comme nous l’avons déjà signalé.
(29) Je LE trouve bien, comme film (Lambrecht 2004 : 189)
(30) Et plutôt pute, comme berline. (Blier, Les Valseuses)

Périphérie gauche

30 Lorsqu’il est situé dans la périphérie gauche15, le segment comme N présente des effets
de sens plus variés qu’en périphérie droite. La présupposition de la PRED(comme N)
demeure cependant une constante sémantique :
(31) Et Charlotte Gainsbourg, vous aimez ? - Comme actrice elle se défend bien.
Comme fille à voir comme ça et à entendre elle est nulle. (Seguin, L’arme à gauche)
Alors que comme N en périphérie droite n’intervient pas dans la construction du sens de
la prédication principale, en (31) comme actrice limite la validité de la prédication elle
se défend bien. Comme N est de plus paradigmatique. Il est le plus souvent mis
explicitement en contraste avec un autre élément (comme actrice et comme fille à voir
comme ça et à entendre, mais on peut trouver un seul comme N, le paradigme devant alors
être rétabli par le récepteur. On pourrait ainsi avoir :
(32) Et Charlotte Gainsbourg, vous aimez ? - Comme actrice elle se défend bien. (s-e
mais sous d’autres aspects, je ne la trouve pas terrible)

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31 Comme N peut être opposé à un autre comme N2, mais aussi à un circonstant d’une autre
forme exprimant un point de vue (biologiquement, dans cette dimension en (33),) ou un
domaine notionnel (au ski en (34), rayon ampleur, noblesse, etc. en (35)) 16.
(33) Des « grandes années » pour moi, j’en compte... Voyons... à partir de l’âge de
vingt ans ?... Sept. Dans cette dimension, j’ai sept ans. - L’âge de raison. -
Biologiquement, c’est autre chose. Comme écrivain, j’ai vingt-cinq ans. (Gracq,
Lettrines)
(34) Et lui, il m’épatait au ski, mais seulement au ski, comme homme je le trouvais
plutôt vieux et moche au fond. (Anouilh, Chers Zoizeaux)
(35) Comme clown, il se défendait bien, mais rayon ampleur, noblesse, élans,
machins grandioses et inoubliables, il ne valait pas un pet. (Vergne, L’innocence du
boucher)
32 La facette N2 opposée à N peut apparaître dans une autre construction que comme N,
dans un SN attribut par exemple (36). Elle peut aussi ne pas apparaître explicitement,
mais être déductible du contexte : en (37), la danse espagnole en tant que spectacle est
mise en contraste avec la danse espagnole en tant qu’activité non professionnelle de
divertissement dansée dans les villages et les bals. En (38), Lyon comme port fluvial est
mis en contraste avec Lyon comme centre régional.
(36) Berthold était un chirurgien prodigieux. Mais comme professeur, il vidait les
amphithéâtres aussi sûrement qu’un bon typhus. (Pennac, La petite marchande de
prose)
(37) On danse encore la sevillana dans des villages très isolés, comme la bourrée en
Auvergne, mais à Séville on danse le fox-trot dans des bals électriques. Comme
spectacle, la danse espagnole a évolué du côté du music-hall. (T’Serstevens,
L’itinéraire espagnol)
(38) Comme port fluvial, son rôle a été dépassé, il l’est aujourd’hui de beaucoup par
Paris, Berlin, Mannheim. Mais l’originalité de Lyon est dans les multiples attaches
qui lient son développement à celui des contrées voisines. (Vidal de la Blache,
Tableau géographie France 2)
33 Mais comme N en périphérie gauche ne limite pas toujours la validité de la prédication
principale. En (36), par exemple, comme professeur ne restreint pas la validité de la
prédication il vidait les amphithéâtres aussi sûrement qu’un bon typhus, puisque celle-ci ne
peut être vraie que pour Berthold professeur (ce n’est que comme professeur qu’il peut
se trouver dans un amphithéâtre, non comme chirurgien). PRED(comme N) et la
prédication principale ne sont pas interdépendantes d’un point de vue
vériconditionnel ; les deux prédications sont liées par un simple rapport de pertinence,
comme N a une simple fonction de repérage de la prédication principale (à propos de
Berthold comme prof…).
34 Le test du déplacement de comme N en position intégrée met en évidence la différence
entre (31) et (36) : (31’) est possible mais (36’) est inacceptable, parce qu’un élément en
position intégrée, position des éléments focus, limite toujours la validité de la
prédication dans laquelle il apparaît.
(31’) Elle se défend bien comme actrice. (mais) elle est nulle comme fille à voir
comme ça et à entendre.
(36’) *Berthold était un chirurgien prodigieux. Mais il vidait les amphithéâtres aussi
sûrement qu’un bon typhus comme professeur.
35 Notons que les occurrences avec comme N restrictif sont souvent des prédications
d’évaluation ou de caractérisation, comme les occurrences avec comme N à droite. Dans
celles avec comme N non restrictif, les prédications sont beaucoup plus variées.

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36 Enfin, dans certaines occurrences, comme en (39], comme N en périphérie gauche, non
restrictif, n’est pas interprété comme paradigmatique, comme comme N en périphérie
droite. (39) semble équivalent de (39’) :
(39) Pendant que vous dormez, je lis vos livres, grand paresseux. Comme monument
c’est assez moche, n’est-ce pas ? (Proust, La Prisonnière) (*mais comme document, c’est
intéressant)
(39’) C’est assez moche comme monument.
37 Cependant, les deux sites ne sont pas totalement équivalents : il s’avère en effet que les
catégories les plus essentielles sont peu recevables en comme N détaché à gauche, d’où
le très discutable [40a] :
(40) a. ?Comme fille, elle est magnifique.
b. Elle est magnifique, comme fille.

Effets de sens temporel et causal

38 Comme N paradigmatique (en périphérie gauche ou intégré) reçoit dans certaines


occurrences, comme (41) à (43), une interprétation temporelle : la prédication
principale apparaît comme limitée à une période, la période où X exerçait l’activité N.
Comme N peut commuter avec quand X était N.
(41) […] Mr. Gladstone, soit comme Premier ministre, soit comme leader de
l’opposition, qu’il prêche, qu’il prie, qu’il discoure ou qu’il gribouille, a toujours eu
un trait constant, c’est qu’il n’est jamais un gentleman. (Maurois, La vie de Disraeli)
(soit quand il était premier ministre, soit quand il était leader de l’opposition)
(42) Stéphane a grandi ici, puisque Malika fut sa nourrice au cours de ses trois
premières années. Elle le demeure, car Josette commence en usine le matin très tôt.
C’est Malika qui conduit Stéphane à l’école et qui le ramène le soir. Comme
nounou, elle se faisait payer un peu. Maintenant c’est gratuit. (Charef, Le thé au
harem) (Quand elle était nounou…)
(43) Pourtant, mes meilleurs voyages, on s’en doute, ce n’est pas à l’histoire de
France que je les dois, c’est avant tout au sport, qui est ma grande passion. Comme
chroniqueur du journal l’Équipe, j’ai enjambé maintes frontières, j’ai assisté aux
Jeux Olympiques et aux jeux d’hiver, j’ai suivi six fois le Tour de France […].
(Blondin, Ma vie entre les lignes) (Quand j’étais chroniqueur…)
39 La propriété N est interprétée comme temporaire, et ce en raison d’un ou plusieurs des
facteurs suivants : N est en général une activité ou une fonction (propriété temporaire),
elle est opposée à une autre fonction N2 dont on sait qu’elle ne peut être occupée en
même temps que l’activité N1 (Premier Ministre et leader de l’opposition), comme N est
opposé à une indication temporelle (maintenant), le verbe est au passé (se faisait payer, ai
enjambé) ou au futur.
40 Contrairement à l’anglais as a child (et à l’allemand als Kind, etc.), comme enfant ne peut
avoir une valeur temporelle en français :
(44) As a child, did you have a favorite book ? (Google – wis.dm)
*Comme enfant, aviez-vous un livre préféré ?
41 Il semble que le N doive désigner une activité et non un état. On a cependant trouvé un
contre-exemple (jeune fille est un état), de style assez littéraire :
(45) Parce qu’elle a reçu, dès le berceau, et puis de nouveau ensuite, comme jeune
fille, une « initiation » toute spéciale, transmise de mère en mère et de grand-mère
en grand-mère. (Sollers, Le Coeur absolu) (étant jeune fille / jeune fille)
42 D’autre part, la relation entre les deux prédications est rarement uniquement
temporelle, comme le montre le caractère bizarre de [46]. La prédication principale

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porte toujours sur l’activité N de l’individu et non pas seulement sur la période au cours
de laquelle il effectuait cette activité. Ainsi en [41], il est question du comportement de
M. Gladstone dans ses activités politiques.
(46) J’ai été chroniqueur à L’Équipe, puis journaliste au magazine Elle. Quand j’étais
chroniqueur à L’Équipe, j’habitais à Paris./ #Comme chroniqueur à L’Équipe,
j’habitais à Paris.
43 Certains segments comme N peuvent recevoir une interprétation causale. Comme
tendent à le montrer les exemples (42) et (43), il ne semble pas y avoir de solution de
continuité entre cette dernière et l’interprétation temporelle. En [42], la relation
existant entre la perception d’un salaire et le statut de nounou n’est pas une pure
concomitance, de même qu’en (43) le voyage est en partie motivé par la qualité de
chroniqueur du journal L’Équipe ; dans l’un et l’autre cas, toutefois, cet effet de sens
n’est pas prioritaire.
44 Par ailleurs, on peut légitimement supposer que la nuance causale émerge à partir de
l’effet de sens temporel – elle en serait en quelque sorte un après de la chronologie
notionnelle (voir Joly & Boone, 2004). Mais il faut pour cela que le contexte permette
d’établir une relation de motivation entre l’appartenance à la catégorie {N}, c’est-à-
dire PRED(comme N), et la prédication principale. Ainsi, en (47), c’est bien
l’appartenance à la catégorie {maire de la commune} qui induit la possibilité de
verbaliser, mais, à cela, la concomitance des deux prédications demeure encore une
condition nécessaire.
(47) Il l’arrêta avant que le dommage fût considérable […] et ne put lui arracher des
mains le fer et le feu qu’en lui remontrant que cette bibliothèque était une
propriété confiée à sa garde, qu’il en était le responsable, et que, comme maire de la
commune, il était d’ailleurs autorisé à verbaliser même contre un archevêque
dilapidateur. (Sand, Histoire de ma vie)
45 D’un point de vue topologique, les segments comme N à sens causal se rencontrent
insérés en trois sites de la phrase : en position initiale (47), où ils activent également
une interprétation temporelle ; entre le sujet non-clitique et le verbe (48) ; et enfin dans
l’amas verbal (49).
(48) Napoléon III, comme empereur, avait droit au tonnerre, mais pour lui le
tonnerre a été infamant […]. (Hugo, Histoire d’un crime)
(49) Il défendait, comme avocat, un de ces pauvres niais qui se mêlent de conspirer
[…]. (Stendhal, Souvenirs d’égotisme)
La position périphérique droite semble en revanche proscrite si l’on souhaite conserver
le sens causal17 :
(48’) ?Napoléon III avait droit au tonnerre, comme empereur.
46 Peut-on rencontrer ces occurrences en position intégrée et dotées du même sens
causal ? Lorsqu’elle n’est pas impossible, leur réintégration au sein du noyau entraîne la
disparition du sens causal :
(50) a. Yves souffrait. Il s’évanouit et nous dûmes nous retirer. Comme infirmière,
j’obtins de rester. (Drieu la Rochelle, Rêveuse bourgeoisie)
b. ? J’obtins comme infirmière de rester.
c.≠ J’obtins de rester comme infirmière.
47 En outre, certains emplois isomorphes, dotés d’un sens causal, sont trompeurs :
(51) Tu vas voir qu’un beau jour on te brûlera comme sorcier, et t’auras ce que tu
mérites ! (Vincenot, Le pape des escargots)

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48 Ces derniers, que l’on pourrait étiqueter régulièrement comme des attributs de l’objet,
ne sont pas déplaçables en périphérie, ils tolèrent l’ajout du participe étant, et leur N
peut alterner avec une autre catégorie : Syntagme Adjectival, Participe ou SN
déterminé.
49 Les syntagmes comme N détachés en périphérie gauche, eux, ne commutent pas avec
étant N ni puisque P car ils introduisent une causalité posée et non présupposée.
(51’) On te brûlera comme étant (un) sorcier/ coupable de haute trahison (SA).
(48’’) *Napoléon III, comme étant empereur, avait droit au tonnerre

2. Extraction
(52) Le patron d’l’auto-tampon Qui était très gentil, Comme musique de fond Y nous
a mis Johnny. (Renaud, Mistral gagnant)
(53) L’écriture était limpide ; comme signature, une sorte d’étoile. (Bianciotti, Le pas
si lent de l’amour)
[54) Comme chaussures, j’hésitais entre des mocassins en lambeaux, des espadrilles
ou des « Weston » presque neuves mais à épaisses semelles de crêpe. (Modiano, Villa
triste)
Dans les occurrences (52) à (54), PRED(comme N) est interprété comme « le N, c’est X »
(extraction d’un élément X à partir d’une catégorie N) : « la signature, c’était une sorte
d’étoile » ; « les chaussures, ce seront des mocassins, des espadrilles ou des Weston ».
L’élément X apparaît comme le focus de PRED(comme N).
50 Le prédicat est souvent un prédicat d’existence (il y a) ou de sélection. On trouve aussi
des phrases averbales (53), comme N précédant un SN1 support seul, à valeur de
prédication existentielle.

Catégorie et fonction du support X

51 Le support X est interprété comme le focus de PRED(comme N) quand le référent de X


est inactif. X est donc la plupart du temps objet direct (52) ou complément de
préposition (54), mais rarement sujet, le sujet désignant souvent, on l’a dit, un référent
très actif, donc topique de PRED(comme N). En ce qui concerne la catégorie
grammaticale, X est une forme linguistique dénotant un référent spécifié (SN, pronom,
etc.) ou non spécifié (proforme indéfinie).

Le référent de X est spécifié

52 Le support peut être un SN, un pronom non clitique (un clitique ne peut être à lui seul
le focus (55]), mais aussi des équivalents de SN (Ginf (56], etc.), ou même la prédication
principale dans sa totalité (57] (une phrase pouvant être entièrement focale, toute
l’information est nouvelle). Le support peut aussi être sous-entendu (58].
(55) *Comme secrétaire, je l’ai engagée. *la secrétaire, c’est l’/la.
(56) Comme pénitence, François Besson décida de mendier. (Le Clezio, Le déluge)
« La pénitence, c’est de mendier. »
(57) Je vous dis que je ferais n’importe quoi pour vous et comme remerciement vous
me foutez en caisse. (Hanska, Les amants foudroyés) « Le remerciement, c’est que
vous me foutez en caisse. »
(58) Comme panorama, on peut trouver mieux [s-e que ça]. (Beauvoir, Les
mandarins)

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Le référent de X est non spécifié (X est une proforme indéfinie)

53 Les occurrences dans lesquelles le support X est une proforme indéfinie, en emploi
interrogatif, exclamatif ou relatif sans antécédent, relèvent aussi du type « extraction »
car une proforme indéfinie ne peut être topique d’une prédication ; elle est donc
toujours focus de la PRED(comme N).
(59) Ça doit aller chercher quoi, comme prix, d’après toi ? (Lambrecht, 2004 :177)
(60) Ce qui lui traverse la tronche, au Norbert, comme comparaison ... des revenez-y
de films populistes... de romans d’Auguste le Breton. (Boudard, Les enfants de chœur)
(61) Fais ce que tu veux comme métier.
En [59], le locuteur interroge sur la valeur de X (« le prix, c’est quoi ? ») ; dans le cas
d’une exclamative (directe (60) ou indirecte), la valeur de X n’est pas non plus spécifiée,
mais elle est présentée comme une valeur remarquable (« la comparaison qui lui
traverse la tronche, c’est Y » (Y étant une valeur remarquable de la catégorie
{comparaison})) ; dans le cas d’une relative sans antécédent (61), le locuteur indique
que la valeur de X qui satisfait la prédication exprimée par la subordonnée satisfait la
prédication exprimée par la principale (« le métier que tu dois faire, c’est Y » (Y étant le
métier que tu veux faire)).
54 Il faut selon nous distinguer les occurrences (59) et (62) que K. Lambrecht cite côte à
côte (2004 : 177) :
(62) C’est quoi, comme film, ça ? (Lambrecht 2004)
En (62], le support de comme film n’est pas le pronom quoi (focus), mais c’ (topique). La
prédication seconde est « c’est un film » (où c’est l’entité à propos de laquelle je pose
une question). Cet exemple relève donc du type « catégorisation » avec comme N non
paradigmatique (RDCN de K. Lambrecht).
55 L’indéfinition impliquée par la proforme peut toucher à l’extension ou à l’extensité du
N (Wilmet, 1986 : 41 sq.) : dans le premier cas, elle concerne l’identité du sous-ensemble
ou de l’entité à prélever dans {N}, sans égard à la quotité [63) ; dans le second cas, elle
concerne le nombre effectif d’éléments de {N}, sans égard à leur espèce (64).
(63) A : Qu’est-ce que vous avez vu comme exposition ?
B : Une exposition de peinture. (sous-catégorie)
B : L’exposition Matisse qui est au Grand Palais. (élément)
(64) Qu’est-ce que t’as comme fric ?
56 Cette interprétation en extension ou extensité dépend avant tout du type de N :
l’interprétation quantitative n’est possible qu’avec un N dense, comme fric en (64), ou
discret au pluriel, elle est impossible avec un N compact ou discret mais au singulier,
comme exposition en (63). Quand N est un substantif dense ou discret pluriel, il semble
que la perspective de la prédication, interrogative ou exclamative, intervienne : dans le
cas d’une interrogative, l’interprétation est plutôt par défaut qualitative (65), alors que
l’interprétation quantitative semble privilégiée dans l’exclamation (66).
(65) Alors, qu’est-ce que vous avez vu comme expositions ?
( = Quelles expositions… ? / ?Combien d’expositions… ?)
(66) Eh bien ! qu’est-ce que vous avez vu comme expositions !
( = le nombre d’expositions… !/ ?Quelles expositions… !)

Position de comme N

57 On retrouve les mêmes propriétés de position que pour le type « catégorisation ».


Intégré, comme N est paradigmatique et restrictif, il appartient à la présupposition ou à

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l’assertion (67). En périphérie, il appartient à la présupposition ; à gauche, il est en


général paradigmatique, restrictif ou non (52) ; à droite il est non paradigmatique et
non restrictif (68)18.
(67) On a aussi comme ressemblance cet amour immodéré pour tout ce qui est
« trop ». (Hanska, Les amants foudroyés)
(68) …cette poudre entrait dans la bouche et dans les narines. « Nous allons être
empoisonnés. » […] Il faut boire du lait, beaucoup de lait, comme contrepoison, dit
Hullain. (Sabatier, Les fillettes chantantes)
(69) Comme musique de fond Y nous a mis Johnny.
Comme N est moins fréquent comme second complément intégré après X que dans les
autres positions : étant moins informatif que le support X, focus, il le précède souvent
(en position intégrée (67) ou périphérique gauche) conformément aux règles du
dynamisme informationnel de la phrase, ou bien il est en position thématique
périphérique droite. Le choix entre la position intégrée (avec l’ordre V comme N X) et la
périphérie gauche est aussi soumis à des contraintes de poids formel des éléments :
(52’) *Y nous a mis comme musique de fond Johnny.
(52’’) Y nous a mis comme musique de fond un bon vieux disque de Johnny.
58 Il se pourrait d’autre part que la position de comme N intervienne d’une façon
particulière dans les énoncés avec une proforme comme support. C. Fuchs (1999)
remarque en effet que dans les énoncés exclamatifs, comme N périphérique entraîne en
général une interprétation qualitative (extension) de la proforme (69), et comme N
intégré une interprétation quantitative (extensité) (70) :
(69) Comme cigarettes, tu ne peux pas imaginer ce qu’il peut fumer ! (les horreurs…/
*le nombre…) (Fuchs 1999)
(70) Tu ne peux pas imaginer ce qu’il peut fumer comme cigarettes ! (le nombre qu’il
peut fumer/*les horreurs qu’il peut fumer) (Fuchs 1999)
59 Nous n’avons trouvé, quant à nous, aucun énoncé exclamatif dans notre corpus, ni
qualitatif ni quantitatif, avec comme N en périphérie gauche. Le type (69) semble donc,
quoi qu’il en soit, rare. D’autre part, l’exemple construit (71), avec comme N à gauche
interprété quantitativement, ne nous semble pas agrammatical, contrairement à ce
qu’écrit C. Fuchs.
(71) A : Il consomme encore beaucoup d’alcool et de cigarettes ?
B: Il a réduit sa consommation d’alcool, mais comme cigarettes, tu ne peux pas
imaginer ce qu’il peut fumer!
Ces occurrences avec une proforme comme support mériteraient un examen plus
approfondi, qui prenne davantage en compte les propriétés des différentes proformes
qui interfèrent avec la structure comme N.

3. Conclusion

60 Dans cette étude, nous avons tenté de réintégrer dans l’économie générale de la phrase
et du texte les types et les effets de sens de comme N déjà isolés par d’autres travaux
(Right-Detached Comme N, Role-specifying comme N et interrogative type de K.
Lambrecht (2004), interprétation temporelle-causale, etc.).
61 Nous suivons K. Lambrecht dans son approche constructionnelle du morphème comme :
l’interprétation du segment comme N résulte de l’interaction de ses propriétés micro-
sémantiques avec différents facteurs contextuels au premier rang desquels on trouve la
structuration informationnelle et la position du segment dans la phrase.

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62 La première nous a permis de distinguer des comme N de catégorisation et d’


extraction. L’étude de la position a mis en évidence les interactions avec comme N qui
sont résumées dans le tableau ci-dessous et semblent montrer que les zones
périphériques droite et gauche ne sont pas strictement opposables dans la mesure où
elles partagent une même construction, comme N non paradigmatique, qui englobe le
RDCN de K. Lambrecht :

Paradigmatique
Paradigmatique Non paradigmatique
Comme N (contrastif) non
(contrastif) restrictif non restrictif
restrictif

Intégré (appartient à la
présupposition ou à x
l’assertion)

Périphérie droite
(appartient à la x
présupposition)

Périphérie gauche
(appartient à la x x x
présupposition)

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NOTES
1. Ainsi, pour K. Lambrecht (2004 : 157), la virgule précédant un comme N détaché à droite n’est
pas même le marqueur prosodique d’une pause, mais la limite droite de la clause, autrement dit
une démarcation topologique, à la fois syntaxique et informationnelle.
2. On peut également faire état d’un article zéro traduisant le « non-engagement du mécanisme de
régulation d’extensité » (Soutet, 1989 : 24). Il en résulte que le nom « renvoie à un ensemble en
passant par le palier de son extension » (Kupferman, 1991 : 61).

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3. Nous utilisons les concepts de K. Lambrecht (1994, 2004), désormais partagés par de nombreux
linguistes.
4. Les différences de structure informationnelle des relations prédicatives secondes ont été mises
en évidence par E. Tobback (2005), dont nous nous inspirons largement : elle s’en sert pour
expliquer l’opposition entre l’attribut direct de l’objet, qui coïncide avec une lecture de la
prédication seconde comme une prédication à focus prédicatif, et l’attribut de l’objet comme N,
qui correspond presque toujours, selon elle, à une prédication seconde à focus argumental. Nous
montrons que la construction avec comme N s’interprète aussi souvent comme une prédication
seconde à focus prédicatif (X est (det) N).
5. B. Combettes (1998) a montré qu’on peut classer les éléments non référentiels d’un énoncé
(comme une catégorie N) sur une échelle de degrés d’activation, ou degrés de connaissance
partagée, aussi bien que les éléments référentiels.
6. Si l’on retient ce seul critère quantitatif, c’est qu’une catégorie peut être fréquemment
mentionnée pour des raisons diverses : notamment la représentativité de l’entité X (typicalité) ou
l’association de celle-ci à un stéréotype culturel (Lakoff, 1987).
7. À cet égard, nous ne suivons pas K. Lambrecht lorsqu’il affirme que le type est activé en même
temps que l’occurrence (« [E]very time a token is activated, its type becomes active too. »
(Lambrecht 2004 : 182). En effet, l’activité de catégorisation est en partie assujettie au contexte, et
par conséquent potentiellement variable pour une même entité. Autrement dit, des contextes
différents peuvent favoriser l’activation de facettes différentes d’une même entité.
8. En (13), le détachement de comme repasseuse aurait un effet incongru (sauf tour exclamatif : elle
travaillait, comme repasseuse !). Il n’y a pas davantage de virgule en (17) ou (18), mais celle-ci peut
être aisément rétablie sans changement interprétatif notable. Pour ces deux exemples, on a
même du mal à proposer une interprétation intégrée. Tout se passe comme si l’interprétation
périphérique du segment comme N était suffisamment pertinente pour être dispensée de
marquage.
9. Cette transformation n’est possible qu’avec un support à la P3 (sauf effet plaisant) : *t’es fou, ce
type !
10. L’anglais as a/the N fonctionne comme le français en tant que N et non comme comme N : il ne
peut s’employer pour l’extraction de X d’une catégorie (*As the music, he put Johnny Halliday) et est
toujours paradigmatique (*He is talented (,) as a guy).
11. « [C]omme-N can only follow a limited number of verbs, i.e. those that may be followed by a
predicate nominal. For example, comme-N could not cooccur with a verb like venir ».
(Lambrecht, 2004 : 170). Il considère que, dans Il faisait pas joli comme temps, faire est assimilé par
son fonctionnement à une copule (2004 : note 29).
12. La possibilité d’une transformation exclamative ou d’une transformation en complétive régie
par trouver que seraient des indices de la non-classifiance de la propriété (Milner 1978), d’où
l’impossibilité de *Qu’est-ce qu’il est carnivore ! ou *Je trouve que ce chat est carnivore.
13. En revanche, ce sous-ensemble, représenté par un SN, ne peut pas être l’objet de la
prédication elle-même. Ainsi nous ne suivons pas K. Lambrecht lorsqu’il accepte l’exemple C’est
un polar comme film (2004 : note 22). La paraphrase la plus juste serait donc du type X est un élément
de la catégorie {N} qui a la propriété p.
14. D’une manière générale, un prédicat exprimant une action dont le support X est agent peut
difficilement caractériser ce dernier, sauf lorsque le verbe est au présent atemporel de
caractérisation ou au présent accompli, qui occupe un stade intermédiaire entre procès et
propriété (Moignet, 1981).
15. C’est-à-dire à gauche du noyau fortement cohésif que constituent le verbe et les clitiques.
16. Sur les circonstants de domaine/point de vue, voir notamment Mélis (1979), Molinier
&Levrier (2000).

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17. En (48’), en effet, pour peu que l’on écarte la possibilité de l’épexégèse (« rajout »), on
comprend – à grand peine – « Napoléon, dans la catégorie {empereur} était de ceux qui avaient
droit au tonnerre ».
18. Cet exemple montre une fois de plus l’ambiguïté de la marque graphique de détachement, la
virgule : comme contrepoison pourrait être interprété comme un constituant intégré focus
« rajout/ réparation », qui serait accentué à l’oral. Étant donné qu’il est question de poison dans
le contexte précédent, on interprète plutôt comme contrepoison comme un élément thématique,
non focal, inaccentué à l’oral.

RÉSUMÉS
La présente contribution a pour objet les syntagmes périphériques en COMME N où N est un nom
nu, éventuellement accompagné d’une expansion. A la suite de Lambrecht (2004), nous avançons
que le calcul interprétatif de ces structures s’appuie tant sur la prise en compte de leurs
propriétés intrinsèques que sur celle des caractéristiques syntaxiques et informationnelles du
contexte. Aussi analysons-nous ces segments comme faisant partie de constructions. Nous
proposons sur cette base un classement des constructions en comme N périphérique, qui
distingue deux types fondamentaux de fonctionnement sémantique, et nous expliquons la
diversité des effets de sens observés par le jeu combiné de ces propriétés et de facteurs
contextuels tels que la place du segment dans la structure d’accueil ou le degré d’activation des
référents en jeu dans l’énoncé.

This paper deals with ’comme N’ detached phrases, where N is a bare noun with an optional
complement. These structures may be studied as constructions (Fillmore), for both internal and
contextual properties seem to influence global interpretation. At first, we sketch a typology
based on the informational and cognitive features of these constructions, and then we analyze
several contextual meanings by taking into account, notably, the position of the Comme-N
phrase and the cognitive degree of activation of the referents.

AUTEURS
ANTOINE GAUTIER
Paris IV – Sens, Texte, Histoire & ENS-LSH (Lyon) – ICAR

MÉLANIE MORINIÈRE
Paris IV – Sens, Texte, Histoire & ENS-LSH (Lyon) – ICAR

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II. Diachronie

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Comme en diachronie : bilan


Mélanie Morinière et Thomas Verjans

Introduction
1 Les études synchroniques portant sur le morphème comme se sont récemment
multipliées, notamment sous l’influence du développement des études liées aux
proformes indéfinies. En revanche, la dimension diachronique est demeurée quelque
peu négligée, malgré l’engouement suscité par les interrogations touchant au problème
du changement linguistique. Pour autant, la question de l’évolution et de la filiation des
diverses valeurs de comme a toujours fait l’objet d’une attention particulière et de
nombreuses études l’évoquent de façon plus ou moins explicite. Les travaux menés sur
comme peuvent se répartir en quatre ensembles, lesquels organiseront les subdivisions
de cette présentation : d’abord les travaux qui concernent l’époque romane, c’est-à-dire
le passage du quomodo latin au comme1 de l’ancien français ; puis ceux, assurément plus
nombreux, qui portent sur la valeur subordonnante (ou conjonctive) assumée par ce
morphème ; ceux qui concernent ses autres valeurs, c’est-à-dire non subordonnantes 2 ;
et enfin, les travaux à visée plus synthétique, qui s’attachent à ordonner l’ensemble des
valeurs dans le cadre d’une perspective évolutive plus générale. Nous comprenons donc
ici le terme « diachronie » au sens large, puisque nous intégrons aussi dans cette
présentation les études portant sur le morphème dans tel ou tel état ancien de langue,
c’est-à-dire, à strictement parler, des études synchroniques. Toutefois, lorsque cela sera
possible, nous essaierons de conserver la perspective diachronique, c’est-à-dire
évolutive, en rendant compte de la filiation des valeurs postulée par les auteurs
évoqués. Une limite doit néanmoins être posée : dans cette synthèse ne seront
considérés que les ouvrages ou articles spécifiquement consacrés à comme ou, à tout le
moins, comportant une analyse exclusive et détaillée. Sont donc écartés les ouvrages de
référence, tels les grammaires usuelles et les dictionnaires, dont les analyses sont en
outre le plus souvent reprises par les travaux dont nous rendons compte.

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I. Du latin aux langues romanes


2 Deux études complémentaires concernent comme en roman : celle de J. Herman (1963)
et celle de R. de Dardel (1983).
3 Dans son ouvrage sur La Formation du système roman des conjonctions de subordination
(1963), J. Herman répartit l’étude de quomodo / com(e) d’une part dans l’évolution du
système latin, d’autre part dans le système des premiers textes romans. En
conséquence, cette étude, sans envisager la situation strictement romane, n’en offre
pas moins des informations extrêmement précieuses sur l’avant et l’après. Il souligne
ainsi, comme le rappelait aussi P. Imbs avant lui (1956 : 118-119), que le comme français,
et plus généralement la forme romane apparentée, trouve son origine dans le composé
latin quomodo, et non pas dans la particule cum comme cela a pu être parfois soutenu 3.
Et si l’on peut admettre, comme le fait J. Herman,
que la fausse identification des particules romanes dont nous nous occupons, avec
la conjonction latine cum n’est pas restée sans influence sur l’évolution des
particules romanes dans la langue écrite [HERMAN 1963 : 173-174]4,
il n’en reste pas moins qu’
il est certain cependant que cette influence n’a fait que hâter la réalisation de
possibilités qui étaient incluses d’emblée dans les fonctions de quomodo et de ses
continuateurs. [HERMAN 1963 : 173-174]
Le terme quomodo, véritable étymon de comme, est un adverbe de manière, formé de
deux ablatifs, quo (< qui) et modo (< modus). Aussi bien contient-il dès l’origine le
« sème », au sens propre, de manière, que renforcerait encore, s’il en était besoin, le fait
qu’il s’agisse de deux formes à l’ablatif5. C’est donc comme adverbe de manière que le
terme quomodo s’inscrit dans le latin classique où il connaît à l’origine deux grandes
séries d’emplois. Il intervient d’abord – et avant tout – dans le domaine interrogatif,
qu’il s’agisse d’interrogation directe ou d’interrogation indirecte 6. Il intervient
également comme relatif, au sens de « de la manière dont, ainsi que ». Dans les deux
cas, il apparaît bien que le terme s’unifie autour de ce sème de /manière/.
4 Sans davantage entrer dans les détails d’un sujet qui excèderait par trop les limites de
notre propos, on gagnera néanmoins à rappeler que, dès la période latine, quomodo
connaît une évolution qui lui confèrera la plupart des valeurs que com(e) retrouvera par
la suite. Un certain nombre d’entre elles sont liées à l’instauration progressive d’une
substitution à ut : « quomodo remplaçait de plus en plus souvent ut dans plusieurs de ses
fonctions » (1963 : 45)7. C’est notamment la valeur comparative qu’intègre quomodo,
laquelle sera, pour certains auteurs, à l’origine de toutes les valeurs d’emploi suivantes.
Ainsi, toujours selon J. Herman,
Meyer-Lubke (…) a sans doute raison en supposant que l’emploi temporel de notre
conjonction s’explique à partir de son emploi comparatif : le parallélisme, la
ressemblance de deux actions ou de deux états implique souvent leur
rapprochement dans le temps, ce qui, dans la psychologie des sujets parlants,
facilite des glissements de la fonction comparative vers la fonction temporelle et
cela d’autant plus que l’identité partielle déjà existant entre les valeurs de quomodo
et celles de ut donnait à des glissements de cet ordre une « justification »
analogique. [HERMAN 1963 : 58]
À cette valeur temporelle, très largement attestée, J. Herman ajoute également une
valeur causale, possiblement dérivée de la valeur temporelle8, et, beaucoup plus rare,
une valeur finale (ibid. : 59). Enfin, la dernière valeur d’emploi évoquée par J. Herman,
est la valeur conjonctive complétive après les « verba sentiendi et dicendi » (ibid. : 44),

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c’est-à-dire les verbes de perception et de propos. Cette valeur serait plus tardive (à
partir du IVe s.) et résulterait d’une grammaticalisation de l’emploi interrogatif indirect,
grammaticalisation par ailleurs favorisée par le fait que
la langue vulgaire n’a jamais été conséquente dans l’emploi du subjonctif en
interrogation indirecte (…), ce qui contribuait à rendre la limite incertaine entre
interrogation indirecte et complétive simple, d’autant plus que, dans ces dernières,
le subjonctif et l’indicatif alternaient également sans régularité rigoureuse (…).
[HERMAN 1963 : 45]9
Quoi qu’il en soit de l’acquisition de ces dernières valeurs, comme connaît donc déjà, à
cette époque, l’ensemble de ses valeurs de base.
5 Étudiant ensuite « les descendants romans de quomodo » (1963 : 166-174), J. Herman
montre que « dans le cas de cette conjonction, le problème de la transition entre la
structure latine et les structures romanes se pose donc presque uniquement sur le plan
des fonctions » (1963 : 166), c’est-à-dire de ses valeurs d’emplois. Or, le point qu’il nous
semble intéressant d’évoquer ici tient aux premières attestations de valeurs dans
certaines langues romanes. Si elles connaissent toutes une valeur comparative
généralement présente dès les premiers textes, l’on peut remarquer, en revanche, que
les valeurs ‘secondaires’ se génèrent différemment. Ainsi, à l’inverse de l’ancien
français, qui voit la valeur temporelle attestée dès les premiers textes et la valeur
causale plus tardivement10, le vieil espagnol et le vieux portugais connaissent un
cheminement inverse : la valeur causale y est en quelque sorte première, et la valeur
temporelle n’y apparaît que plus tard (1963 : 167-168). Cela introduit un certain
flottement dans la filiation des valeurs, du moins telle que l’expose J. Herman. Selon lui,
en effet, la valeur temporelle aussi bien que la valeur causale peuvent désormais être
toutes deux issues de la valeur comparative, ce qui s’accorderait mal avec l’hypothèse
avancée précédemment, originant la valeur causale de quomodo dans sa valeur
temporelle.
6 À cela s’ajoutent les emplois en corrélation, brièvement évoqués pour le latin (1963 :
98), mais un peu plus détaillés pour les langues romanes (ibid. 248-253). Pour ces
dernières, J. Herman distingue trois types en fonction des catégories grammaticales des
termes mis en jeu :
1. Type « adverbe ou pronom + quomodo », la plus fréquente étant formée à partir « d’un
continuateur roman de l’adverbe sic et de come, com etc. comparatif ; plus rarement, on
rencontre aussi comme corrélatif de come etc. comparatif un des pronoms tantum ou
talem » (1963 : 248) ;
2. Type « préposition + quomodo », « locutions [qui] se rencontrent dans les langues romanes
de la Péninsule ibérique et dans le Sarde » (1963 : 251) ;
3. Type « préposition + pronom + quomodo », limité au catalan (1963 : 253).
Le terme quomodo se répand ainsi dans l’ensemble des langues romanes, où il est
largement attesté, et participe le plus souvent au système primaire des conjonctions de
subordination. Le roman connaît donc en quomodo un terme potentiellement pourvu de
l’ensemble de ces valeurs, même si celles-ci n’apparaissent pas toutes également dans
chacune des langues qui lui succèderont. Or, c’est à étudier précisément cette période
transitoire que s’attache R. de Dardel dans son Esquisse structurale des subordonnants
conjonctionnels en roman commun (1983), en rappelant tout d’abord que
le roman commun est une abstraction. Nous voulons dire par là que le roman
commun est une langue qui n’existe qu’en vertu de postulats fondés sur une série
d’extrapolations à partir des parlers romans. [DARDEL 1983 : 38]

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121

Mais il n’en propose pas moins une étude fondée sur une stratification de cette période
en une succession de cinq synchronies, principalement distinguées à partir d’un critère
géographique. Dès lors, les recherches et les reconstructions postulées lui ont permis
d’établir la répartition suivante de l’évolution des emplois de quomodo :
QUOMODO a pour fonctions primaires l’introduction des comparatives d’égalité
(3.1./4) et des complétives modales ‘comment’ (12.2./1) ; de ces fonctions paraissent
issues, dans des aires assez étendues mais contenues dans celles des fonctions
primaires, l’emploi de QUOMODO comme subordonnant de temporelles de
simultanéité (9.1.2./2), de complétives subjectives et objectives (12.3/2), de
comparatives hypothétiques d’égalité (3.3.1./1), de causales (1./4), de finales (2./2)
et de comparatives proportionnelles (3.4./3). [DARDEL 1983 : 65]
Le détail de ces évolutions retrouve globalement les hypothèses traditionnelles à ceci
près, d’une part, qu’il résout en quelque sorte par l’alternative le dilemme manifesté
dans l’analyse de J. Herman, en posant que
en français comme causal peut être théoriquement issu soit de QUOMODO
comparatif soit de QUOMODO temporel. [DARDEL 1983 : 28] ;
et, d’autre part, que les différentes synchronies postulées offrent une hypothèse
explicative aux divergences d’attestations entre les différentes langues romanes. Ainsi
l’hypothèse de la séparation précoce du sarde se justifie-t-elle négativement par la
présence, partout ailleurs,
de fonctions que (…) QUOMODO (…) n’avai(…)t pas encore en roman commun
moyen, à savoir (…) les fonctions causale (1./4), finale (2./2), comparative
hypothétique d’égalité (3.3.1./1) et superlative (4./2) (…). [D ARDEL 1983 : 52]
De la même façon, concernant l’emploi des tours corrélatifs :
Un peu plus récents (roman commun tardif B), parce qu’absents à la fois du sarde et
du roumain, (est) l’emploi (…) de SI1-QUOMODO dans les identifiantes (8./3) et les
temporelles (9.1.2./7) (…). Dans cette synchronie apparaissent aussi (…) quelques
locutions subordonnantes (…) à radical QUOMODO (3.1./9). Plus récent encore
(roman commun tardif C), selon le critère spatial (est) l’emploi de QUOMODO dans
les proportionnelles (3.4./3). [DARDEL 1983 : 53]
Enfin, la diversité d’emplois manifestée par les différentes synchronies du roman
s’explique également par la notion de syncrétisme. Ainsi dans le cas de quomodo :
Les syncrétismes ont dû affecter en roman commun des particules originairement
différenciées, mais, dans la plupart des cas, proches par la forme phonique et
susceptibles de se joindre par évolution phonétique ou morphologique, comme
dans (…) QUO / QUOD / QUOMODO (…). [DARDEL 1983 : 57]
Par ailleurs, R. de Dardel postule une coexistence, au moins à la fin de la période
classique, des futures formes romanes et des anciennes formes latines, ce qui peut
expliquer le chevauchement des différentes valeurs au cours du latin vulgaire (1983 :
54-55) et, par conséquent, certains des glissements sémantiques à l’origine de ces
valeurs.
7 Dès le latin et les premières strates romanes, quomodo est donc pourvu d’un sémantisme
comparatif qui évolue vers d’autres valeurs circonstancielles : temps, cause et finalité.
L’ensemble de ces valeurs sera attesté, à un moment ou à un autre dans l’histoire du
français, ensemble auquel il faudra cependant ajouter les valeurs non subordonnantes,
notamment adverbiales et, parfois même prépositionnelles, le cas de l’emploi relatif, au
sens où l’entend Pierrard (1998), étant le plus généralement inclus sous la notion plus
large de subordonnants. Les deux sections suivantes sont consacrées aux travaux
amorçant plus spécifiquement les différentes étapes de l’évolution de comme en
français, la section II. étant centrée sur les emplois subordonnants, et la section III. sur
les emplois non subordonnants.

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II. Emplois subordonnants : Prédication 1 (adv.)


comme Prédication 2
8 Les emplois subordonnants de comme sont ceux qui, par des biais divers, ont le plus
largement retenu l’attention des linguistes. La question majeure ne concerne
cependant pas tant l’étude de chacun des emplois pour lui-même, mais la filiation des
valeurs propres à chacun d’eux. C’est en ce sens également, et pas seulement de façon
chronologique, qu’ils prolongent les travaux recensés sous le point précédent.

II. 1. P. Imbs (1956) : la valeur temporelle de la structure Prédication


1 (adv.) comme Prédication 2

9 DansLes propositions subordonnées temporelles en ancien français (1956), au chapitre


consacré à comme, intitulé Temps et manière : « com(e) » et ses composés, P. Imbs s’intéresse
aux valeurs circonstancielles de la proposition introduite par comme ou un composé de
comme, essentiellement à sa valeur temporelle. L’ouvrage présente une étude
principalement synchronique de l’ancien français (IXe-XIIIe s.), mais elle conduit
l’auteur à des remarques diachroniques sur l’origine du système de l’ancien français et
certaines évolutions après cette période.
10 Le fonctionnement et la valeur de comme « temporel » sont comparés à ceux de l’autre
principal morphème de coïncidence temporelle (simultanéité), quant, qui a fait l’objet
du chapitre précédent. Il en ressort d’abord que de même que quant, comme fonctionne
seul ou, plus souvent, dans des structures analytiques (les structures « corrélatives » de
J. Herman). P. Imbs note que les formations analytiques étaient très fréquentes en
ancien français pour réaliser la jonction, complexe, entre deux propositions, et il
détaille, comme J. Herman, le fonctionnement des structures avec comme, les différents
adverbes que l’on rencontre, etc. Cette comparaison entre comme et quant lui permet en
outre d’affiner la question des liens entre les valeurs circonstancielles de comme. Il
montre d’abord que les différences entre comme et quant, par exemple l’affinité de
comme avec l’adverbe si, mettent en évidence le fait que la valeur temporelle de comme
n’est qu’une interprétation en contexte de sa valeur première de « manière d’être/
circonstance générale », si étant lui aussi un adverbe de manière devenu adverbe de
« circonstance générale ». D’autre part, si la locution « temporelle » si (…) comme a la
même forme que la locution exprimant une comparaison d’égalité, cependant la rareté
de la locution aussi comme à valeur temporelle, locution exclusivement comparative,
montre, selon P. Imbs, que la valeur temporelle n’est pas dérivée de la valeur de
comparaison d’égalité, comme l’a écrit W. Meyer-Lübke, repris par J. Herman et de R.
de Dardel (voir section I.), mais que toutes deux proviennent de la valeur de manière.
11 Si dans la plupart des cas comme n’est pas synonyme de quant, dans certaines phrases
cependantil semble avoir une valeur strictement temporelle. Pour P. Imbs, cela n’est
pas étonnant puisque
le Moyen Age proprement dit a moins connu le travail de différenciation
sémantique des synonymes, auquel procéderont le XIIIe, XIVe, puis le XVIIe et le
XVIIIe siècles ; il ne professe pas encore cette conception principalement logique,
suivant laquelle, dans la langue idéale, chaque idée s’exprimerait par un seul mot et
chaque mot traduirait une seule idée. [IMBS 1956 : 154]

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123

D’autre part, cet emploi fréquent d’un comme temporel proche de quant (l’adverbe de
reprise y est souvent un adverbe strictement temporel comme lors ou dunc) dans
certains textes très anciens ou textes de traducteurs et auteurs savants, semble être
influencé par l’analogie avec la conjonction latine temporelle cum. L’auteur note aussi
que jusqu’en français classique, comme et ses composés, tout comme quant, peuvent être
suivis de tous les temps narratifs (passé simple, présent historique, futur, etc.). Mais on
peut remarquer dès l’ancien français le début de la différenciation entre comme
temporel et quand par la spécialisation de comme dans l’introduction d’une action
passée (exprimée par un verbe à l’imparfait) au cours de laquelle surgit un événement
nouveau (rendu par un verbe à un temps narratif), valeur que ne peut exprimer quant/
quand :
Si com dedens leur nef entroient
Un biau jovencial venir voient. (Image du Monde, cité par P. Imbs, p 137)
« Comme ils entraient dans leur navire, ils voient venir un beau jeune homme »
12 P. Imbs consacre quelques pages à la fin du chapitre aux autres emplois des
subordonnées en comme. Il propose une triple origine au comme causal du français
moderne, très rare en ancien français : le latinisme comme suivi du subjonctif, calqué
sur le latin cum + subjonctif ; un comme qui n’est qu’une interprétation en contexte
d’une circonstance temporelle concomitante ; une variante du comme de comparaison,
comme…aussi. Comme complétif, lui, serait dérivé de l’interrogatif de manière. Quant à
comme final, il souligne que les grammaires n’en citent qu’un exemple, extrait de la
Cantilène de Sainte Eulalie, dans lequel il propose de voir un calque du latin quomodo +
subjonctif « pour que de cette manière… », où quomodo a une valeur de manière, le sens
final venant du mode subjonctif de la relative.

II. 2. P. Jonas (1971) : le fonctionnement des structures


comparatives en ancien français.

13 L’ouvrage de P. Jonas (1971), Les systèmes comparatifs à deux termes en ancien français est
également une étude essentiellement synchronique de l’ancien français (IX e – XIII es.),
basée sur un large corpus d’exemples. Consacré aux structures comparatives, il est
complémentaire de l’ouvrage de P. Imbs pour l’étude du fonctionnement de comme
puisqu’il approfondit la question des emplois comparatifs du morphème 11. L’auteur met
en évidence cinq structures formelles distinctes exprimant un rapport comparatif entre
deux termes. Dans quatre de ces structures (A1-A4), les deux termes sont liés par un
morphème « articulant », dans la cinquième (B) ils sont articulés seulement par la
mélodie :
14 (A1) 1er terme – articulant – 2 e terme (avec un articulant simple com(e) ou que, ou
composé si com(e), si que, ensi com(e), etc.)
15 (A2) 1er terme + marque – articulant – 2 e terme : plus / tans / moins / autre / autresi / si /
etc. (marque) riche que /de/com(e) (articulant))
16 (A3) 1er terme + marque – articulant -2 e terme + marque (plus…com(e)/ que / quant plus…
etc.)
(Le diable à propos des hommes)
Plus les fait de mal faire con plus ont d’abundance. (Poème moral, cité par Jonas, p
320)
« Il leur fait faire d’autant plus de mal qu’ils ont de richesses. »

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17 (A4) Articulant – 1er terme + marque – 2 e terme + marque (com(e)/que/quant plus….plus…


etc.)
Con plus esmuet (on) la merde, e ele plus put (Proverbes, cité par Buridant, 2000, p
651)
« Plus on remue la merde, plus elle pue. »
18 (B) 1er terme + marque, sans mélodie conclusive – 2e terme + marque (Plus…, plus… etc.)
Son corpus d’exemples permet à P. Jonas d’associer ces cinq structures formelles à trois
types sémantiques de comparaison ou opérations cognitives :
• (A1) exprime une « conformité de nature » (entre deux entités) ou « une conformité (d’un
fait) à une circonstance » (1971 : 80)
• (A2) exprime une confrontation associée la « commensuration » (comparaison de deux
mesures : supériorité, infériorité ou égalité) ou aux caractéristiques (différence ou identité).
• (A3), (A4) et (B) expriment une variation proportionnelle.
19 Comme est utilisé dans les quatre premières structures (A1-A4). Il présente donc
différents fonctionnements syntaxiques en ancien français : on le trouve seul,
« articulant synthétique », ou comme second élément d’un « articulant analytique »
(locution) (1971 : 83) dans la structure A1, ou alors associé à un ou plusieurs adverbes
(« marques ») dans un système corrélatif (A2, A3, A4). Mais certains des morphèmes qui
constituent le premier élément de la locution (si, autresi, aussi) ayant la même forme
que les marques d’égalité du système corrélatif, et la locution n’étant pas toujours
soudée, P. Jonas admet qu’il est parfois difficile de décider si l’on a affaire à la locution
(exprimant une conformité/analogie) ou au système corrélatif (exprimant une égalité
de degrés) (1971 : 45).
(à propos d’une pierre) si est dure come aïmant. (Guillaume de Lorris, cité par Jonas,
p 45)
« elle est dure comme un aimant » (A1, conformité) ou « aussi dure qu’un aimant »
(A2, égalité)
20 P. Jonas s’intéresse aussi à la distribution entre com(e) et que dans les systèmes
comparatifs (1971 : 197 sq). En ancien français, com(e) apparaît dans les contextes
exprimant une « concordance » : seul ou en locution, il exprime une conformité, dans
les structures corrélatives, il est appelé par les adverbes d’égalité si/aussi/autant/etc.
(identité de degrés) et d’identité tel/autretel/etc. ; que, lui, apparaît en général avec des
marques exprimant une disparité (plus, moins, autre, etc.). Sur la question du
remplacement de com(e) par le morphème que, vide de matière notionnelle, dans les
locutions composées (fr. mod. ainsi que) et les systèmes corrélatifs (fr. mod. aussi/
autant/tel que), l’auteur montre que celui-ci a commencé dès l’ancien français, d’abord
dans les contextes où il n’y a pas confrontation entre deux substances différentes, mais
conformité à une circonstance, ou bien quand cette confrontation de deux substances
est niée ou altérée (contextes non thétiques, etc.) (1971 : 324 sq).
21 P. Jonas met en outre au jour les tendances de distribution en synchronie entre
l’articulant simple comme et les locutions composées du type si com(e) (1971 : 81 sq),
d’une part, et entre les différents adverbes (formes en autre-/au- vs si/tant/ensi/tel, si vs
ensi, etc.), d’autre part, ainsi que l’évolution de ces morphèmes en diachronie 12. Dans la
seconde partie de l’ouvrage, il étudie les facteurs contextuels qui permettent à ces
structures comparatives de créer des « effets de sens », comme le haut degré, ou des
« faits d’expressivité ».

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II. 3. Autres valeurs circonstancielles de Prédication 1 comme


Prédication 2

22 L’étude des valeurs circonstancielles de la structure Prédication 1 comme Prédication 2


et la question de leur filiation, question soulevée à maintes reprises dans les ouvrages
présentés dans les sections précédentes, a été poursuivie par plusieurs travaux plus
récents, sous deux angles distincts mais complémentaires. H. Bat-Zeev Shyldkrot (1989,
1995) d’abord, a entrepris, par le biais de plusieurs articles, d’étudier l’évolution de
comme au travers du prisme de la grammaticalisation ; O. Soutet (1992) et A. Bertin
(1997) ont, quant à eux, envisagé comme par le biais de certaines des valeurs
sémantiques attachées à son emploi subordonnant, respectivement la concession et la
cause ; enfin, A. Kuyumcuyan (2006 et 2007) a poursuivi cette entreprise dans une
perspective plus pragmatique.
23 Prenant acte de la difficulté de distinguer les différentes valeurs sémantiques des
propositions subordonnées adverbiales, notamment en raison de la polysémie de leurs
marqueurs, H. Bat-Zeev Shyldkrot envisage dans chacun des deux articles les
phénomènes généraux à l’œuvre dans l’évolution des conjonctions de subordination, et
plus spécifiquement la question de la grammaticalisation.
24 Dans le premier cas (1989), elle étudie les conjonctions pourvues d’une valeur
temporelle-causale, parmi lesquelles figure comme. À l’instar de bien d’autres, comme
permet d’illustrer certaines régularités dans l’évolution sémantique des marqueurs de
subordination, notamment la prédominance de l’expression d’un rapport de cause non
explicite (ou présupposée) et le fait que les conjonctions possédant cette double valeur
sémantique « ne traduisent jamais un rapport temporel d’antériorité » (1989 : 276). Ce
dernier aspect s’explique par le fait que « la fonction prédominante des conjonctions
dans l’acte de discours est surtout de nature pragmatique » (ibid.). Elle note en outre,
dans le point plus spécifiquement consacré à comme, que si « tout comme pour quand,
les différents sens de comme se sont presque tous accumulés en français moderne »,
celui-ci « ne s’utilise jamais plus aux sens de ‘combien’ et de ‘quel’, qui lui étaient
propres dans l’ancienne langue, dans les interrogations » (1989 : 271).
25 Poursuivant l’étude de l’évolution sémantique des connecteurs au moyen du modèle de
la grammaticalisation, H. Bat-Zeev Shyldkrot s’intéresse dans un second article (1995)
aux marqueurs de comparaison, de concession et de condition. Elle « se propose de
tracer le parcours d’évolution que ces termes sont susceptibles de suivre et de montrer
le lien qui existe entre leur évolution diachronique et leur interprétation
synchronique » (1995 : 145). Toutefois, si comme est évoqué pour illustrer les brouillages
interprétatifs dus à la polysémie des marqueurs, la suite de l’étude concerne davantage
les marqueurs à base quantitative (plus que, moins que) et n’expose pas directement la
relation entre le sens comparatif de comme et son sens concessif.
26 Quoique comme soit d’un usage concessif bien moindre que comment et combien, il n’en
ignore pas pour autant cette valeur, à tout le moins dans certaines configurations
syntaxiques particulières. Celles-ci ont été détaillées par O. Soutet dans son ouvrage,
inspiré par la psychomécanique du langage, sur la concession en français. La première
d’entre elles relève des « systèmes asymétriques à base adverbo-conjonctive »,
systèmes qui se mettent en place « à partir du dernier quart du XIVe siècle » et se
manifestent sous la forme d’« une syntaxe distributive qui s’articule autour de
l’adverbe tant et des conjonctions que ou comme » (1992 : 66). Se retrouve ici le problème

Linx, 58 | 2008
126

déjà évoqué par P. Imbs et P. Jonas de la substitution de que à comme, laquelle, dans ce
cas et par rapport au corpus utilisé par O. Soutet, semble intervenir au « milieu du XV e
siècle avec, comme texte charnière dans notre corpus, Artois » (ibid. : 67).
27 Par la suite est explicitement posée la question d’un comme à valeur concessive à partir
d’occurrences dans lesquelles celui-ci est suivi d’un verbe au subjonctif (ibid. : 145).
Pour rare qu’il soit, cet usage n’en apparaît pas moins comme un usage savant qui se
rencontre notamment dans les traductions de textes de latin. Il n’est pas inintéressant,
à cet égard, comme le note O. Soutet (ibid. : 145, n. 1), de remarquer, outre la graphie
cum du texte français, le fait que ce soit également un cum latin qui soit traduit de la
sorte. Enfin, cet emploi serait « à rapprocher de l’emploi, sans doute plus fréquent, d’un
comme + subjonctif, tout autant démarqué du latin mais de sens causal » (ibid. : 145).
28 Le dernier emploi à être mentionné par O. Soutet est celui de la locution comme que,
« de sens équivalent » aux suites comment que et combien que, « mais d’emploi
rarissime » (ibid. : 194). Les occurrences recensées se répartissent cependant de façon
tout à fait sporadique entre le XIIIe et le XVIe siècles, pour finalement céder le pas devant
l’usage de comment que, mais, surtout, devant celui de combien que.
29 Quoique très limité dans le temps aussi bien qu’en nombre d’occurrences, comme
connaît donc un usage concessif rare et tardif. De la même façon, l’emploi causal de
comme, étudié par A. Bertin (1997 : 121-124), est un emploi relativement tardif, très
ponctuellement attesté au cours de l’ancien français (essentiellement « dans des textes
didactiques d’origine savante » ou dans « des traductions » (1997 : 121)). Cette valeur
causale proviendrait, comme le proposait déjà P. Imbs, aussi bien de sa valeur
comparative que de sa valeur temporelle :
Malgré sa double filiation temporelle et comparative, come n’affirme sa valeur
pleinement causale qu’à partir du XIIIe siècle, dans des textes particuliers et selon
des contraintes syntaxiques rigides. D’après P. Imbs cet essor correspond, à
l’inverse, à la disparition du quant causal. [BERTIN 1997 : 124]
Les configurations syntaxiques dans lesquelles comme manifeste cette valeur se
distinguent d’autant plus nettement de son usage en français contemporain que, si la
proposition y est généralement antéposée, elle est également le plus souvent au mode
subjonctif. L’expression causale apparaît « très nettement liée à un discours
argumentatif, l’enchaînement étant parfois souligné par » doncques, en tête de l’autre
membre propositionnel (ibid. : 122), ou encore par le sémantisme des verbes recteurs.
Ce n’est cependant qu’à partir du moyen français que se développera de façon plus
massive l’usage de cette valeur, aboutissant par la suite à l’emploi que l’on connaît
aujourd’hui.
30 L’article d’A. Kuyumcuyan (2006) « Comme et ses valeurs : le point de vue historique
(XIVe-XVIe siècles) » met en avant l’importance de la dimension pragmatique, évoquée
dans les remarques d’A. Bertin (1997), pour l’étude de l’évolution des valeurs
circonstancielles de comme. Après une section assez générale sur la filiation des valeurs
à partir du sens de manière, section reprenant dans une perspective diachronique large
les idées de C. Fuchs et P. Le Goffic (1993, 200513), A. Kuyumcuyan s’intéresse plus
particulièrement à l’interprétation causale de la proposition comme P antéposée, à
partir d’un corpus d’occurrences de moyen français. Elle reprend en la développant
l’idée de P. Imbs d’un faisceau de facteurs concordants aboutissant à l’attribution d’une
valeur causale à comme. Cette valeur pourrait venir d’une part d’une interprétation
argumentative de certaines propositions comparatives. L’opération de comparaison est

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127

en effet orientée : pour faire saisir au destinataire le contenu propositionnel A de la


principale, le comparé, le locuteur le met en rapport avec le contenu B de la
subordonnée, le comparant, supposé connu (par le contexte antérieur, des
connaissances encyclopédiques ou la doxa) ou plus facilement accessible ; le contenu B
prépare donc, argumente par anticipation, le contenu A. L’auteure montre par ailleurs
comment, dans d’autres occurrences, comme P exprime une circonstance générale
concomitante, valeur dérivée de la valeur de manière, qui est interprétée selon le
contexte avec une nuance temporelle (circonstance antérieure) et/ou causale, voire
concessive quand les deux événements ne sont pas co-orientés. Enfin, l’interprétation
causale de comme P a dû être confortée par l’influence du cum causal + subjonctif du
latin classique, notamment dans la littérature didactique d’inspiration antique très
développée à cette époque.
31 L’originalité de cet article est d’insister sur le fonctionnement textuel de comme P, ce
qui permet de mettre en évidence une propriété commune à tous les emplois intégratifs
de comme (ou des locutions composées) : sa fonction discursive. Comparatif, temporel/
causal ou métadiscursif (si comme est contenu en la Bible), comme « hiérarchise
l’information du plus connu au moins connu, du constituant secondaire sur lequel il
porte à l’élément principal qu’il amorce et auquel il facilite l’accès » (2006 : 125).
32 S’intéressant toujours au fonctionnement textuel de comme, dans un autre article
(2007), A. Kuyumcuyan étudie les tours en comme et dire, comme on dit, comme qui dirait
et comme dit/dirait l’autre, marqueurs de modalisation autonymique en français
contemporain déjà étudiés par J. Authier-Revuz (1995), grâce auxquels le locuteur
commente la forme de son discours, mettant à distance l’expression qu’il utilise en
l’attribuant à un autre énonciateur, indéfini. A. Kuyumcuyan retrace grâce à la base
Frantext l’histoire de ces tours depuis le XVI e siècle, en proposant une explication au
changement de modalité énonciative de ces marqueurs métadiscursifs (comme
exprimant la conformité de deux énonciations, de deux dire), qui, marqueurs de
discours représenté, signalant l’attribution à un autre locuteur du contenu d’un
fragment du discours, sont devenus marqueurs de modalisation autonymique,
permettant d’attribuer à un autre énonciateur la forme signifiante du fragment.
33 L’ensemble des travaux recensés sous ce point permet donc d’aboutir à une
connaissance approfondie des différentes valeurs sémantiques assumées par comme en
tant qu’élément subordonnant, et de la filiation en diachronie de ces différentes
valeurs.

III. Emplois non subordonnants


34 Nombreux sont les emplois dans lesquels comme ne fonctionne pas comme un marqueur
de subordination. Ainsi en va-t-il de ses emplois en quelque sorte originaires, dans
lesquels il exprime l’interrogation et l’exclamation. Ceux-ci, hors les travaux
synthétiques que nous évoquerons plus bas, n’ont cependant jamais véritablement fait
l’objet d’études diachroniques, sinon, en quelque sorte, de façon biaisée. Il en va ainsi
de l’article de F. Lefeuvre (2003), qui étudie l’histoire du marqueur composé comme quoi.
Celui-ci apparaît au XVIIe siècle en tant qu’adverbe interrogatif de manière, en
interrogation directe et indirecte (Mais comme quoy (« comment ») dompter ce Prothé
variable ? (Scudéry, cité par F. Lefeuvre 2003 : 456)), peut-être comme une solution à la
controverse entre comme et comment qui se disputent l’emploi interrogatif. Comme quoi

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128

devient progressivement un introducteur de discours indirect (Ce que je peux faire, c’est
mettre comme quoi (*comment) elle a eu la mention TB (énoncé entendu cité par F.
Lefeuvre 2003 : 456)). Cette évolution présente selon F. Lefeuvre les caractéristiques
d’une grammaticalisation : d’une part, le morphème perd son sens de manière pour
acquérir une valeur sémantique plus ténue de marqueur énonciatif ; d’autre part, d’un
point de vue morpho-syntaxique, il subit une recatégorisation, son fonctionnement
interrogatif/ percontatif se modifiant pour se rapprocher de celui d’un complétif, avec
toutefois des caractéristiques distributionnelles et une valeur énonciative particulières.
Pour F. Lefeuvre, dans la locution comme quoi, comme est un adverbe intégratif.
35 Un autre emploi non subordonnant de comme a attiré l’attention de plusieurs
linguistes : comme dit parfois « prépositionnel », suivi d’un SN, d’un SAdj., ou d’un
équivalent. Ces auteurs se sont intéressés en particulier au rapport en synchronie et en
diachronie entre le syntagme comme SN comparatif (« échantillant », dans la
terminologie de Damourette & Pichon14) et le syntagme comme SN/SAdj./ etc
« attributif » ou « qualifiant ». On présentera ici les travaux de V. Väänänen (1951) 15, de
Ph. Ménard (1994), d’E. Tobback (2003) et de M. Morinière (2008a et 2008b).
36 Un des premiers à étudier spécifiquement le syntagme qualifiant/attributif introduit
par comme, et ses liens avec la valeur comparative de comme, est V. Väänänen (1951),
dans une monographie diachronique sur les tours du type Il est venu comme ambassadeur
ou Il agit en soldat en français, en italien et en espagnol, depuis leurs origines en latin. Il
y distingue, parmi les éléments qui « indiqu[ent] l’état, la situation ou la qualité qui
revient au sujet ou à l’objet », le « prédicatif » (Il fut nommé ambassadeur), complément
indispensable au verbe, de « l’apposition circonstancielle » (Il est venu comme
ambassadeur), « sorte de prédicat secondaire et tenant du circonstanciel ». Dans cette
opposition on reconnaît la distinction entre attribut accessoire et attribut essentiel des
linguistes français actuels. L’un et l’autre peuvent être réalisés en latin et dans les
langues romanes par un SN ou un SAdj. (« apposition ou prédicatif pur(e) et simple »),
un syntagme introduit par le morphème employé pour la comparaison (lat. ut/sicut/
quasi/tamquam16, fr. comme, it. come, esp. como) ou un syntagme introduit par une
préposition (fr. en, pour, etc.). L’auteur étudie l’origine de cet emploi de ut/comme/etc. et
des prépositions par rapport à leurs valeurs premières, morphème de manière/
comparaison ou préposition spatiale, puis la concurrence, en diachronie, entre les
différents procédés (pour le français, attributs directs et attributs introduits par comme,
pour, de, à, en tant que, à titre de, etc.).
37 Sur la question des liens entre comme « qualifiant » et comme comparatif, l’intérêt de
cette étude est de montrer que parmi les occurrences dans lesquelles le SN/SAdj./etc.
qui suit comme est interprété comme un prédicat second appliqué au sujet ou à l’objet, il
y en a où comme SN/SAdj. désigne aussi une manière ou une conformité (« comparaison
qui implique l’identité » p. 26) comme dans Cunseilez mei cume mi savie hume
(« Conseillez moi, vous, (comme) mes hommes sages ») (Chanson de Roland, cité p. 26). Il
nous semble même que comme a sa valeur première de conformité dans beaucoup des
exemples pourtant cités par l’auteur comme désignant « l’identité sans plus ».
38 V. Väänänen est par ailleurs l’un des premiers à signaler le développement en français
moderne d’un emploi nouveau de comme N paraphrasable par en fait de N, comme dans
Comme ( = en fait de) chasseur de casquettes, Tartarin n’avait pas son pareil (Daudet, cité
p. 29), emploi qu’il distingue à juste titre de comme N équivalent de en tant que N (*En
tant que chasseur de casquettes, Tartarin n’avait pas son pareil.) 17.

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39 Ph. Ménard (1994) s’intéresse également à cet emploi de comme introduisant un


syntagme proche d’un attribut dans un article consacré à trois emplois particuliers de
comme en ancien français où le morphème, qui n’exprime pas une comparaison
prototypique, comparaison entre deux entités distinctes, présente quand même, selon
lui, un noyau de sens commun avec comme comparatif : la valeur de conformité. Il
montre ainsi, lui aussi, que dans les syntagmes qualifiants de l’ancien français («
com(me) faisant référence à une qualité » 18) du type Comme droit hoir de France font Pepin
coronner (« Ils font couronner Pépin comme héritier légitime du royaume de France »)
(Berte aux grans piés, cité par Ménard 1994 : 258) comme exprime une conformité entre le
procès auquel participe un individu et une qualité, un statut social ou une fonction
possédé par l’individu. Dans la deuxième section, il met l’accent sur un emploi
particulier de la proposition introduite par comme, « com(me) dans les formules
d’adjuration », qu’il analyse comme une identité de valeur de vérité de deux
propositions (‘aussi vrai que P1, aussi vrai P2’).
Dites lui, si conme il a chier / M’amor, qu’il ne voist en avant. (Lai de l’Ombre, cité
par Ménard 1994 : 260)
« Dites-lui, au nom de l’amour qu’il me porte, qu’il ne poursuive pas sa route »
Dans la troisième section il essaie de distinguer divers emplois souvent confondus de
comme + SN/SPrep. non comparatifs (mais dérivés, selon lui, de la valeur comparative) :
40 – un tour explicatif (à savoir, c’est-à-dire, par exemple) ou justificatif (comme il convient)
dans lequel les deux entités ou procès ont un rapport d’identité ou d’inclusion :
Et sans faille la barate estoit ja conmencie si com des nouviaux cevaliers. (Tristan en
Prose, cité par Ménard, 1994 : 266)
« Et assurément le combat était déjà commencé, à savoir celui des nouveaux
chevaliers »
41 – et le tour approximatif ou atténuatif (environ, presque) :
Tot droit un dyemenche, si com aprés diesner, / Ez vous venu Morant, qui , revient
d’Outremer. (Berte aus grans piés, cité par Ménard, 1994 : 265)
« Tout droit un dimanche, peu après dîner, voici Morant qui arrive, de retour
d’Outremer »
Ph. Ménard admet toutefois que ces tours sont souvent difficiles à distinguer.
42 E. Tobback (2003) se pose aussi la même question : le syntagme attribut introduit par
comme (elle se limite à la construction à attribut de l’objet (CAO), par exemple
considérer, élire SN comme SN/SAdj./ etc.) est-il dérivé du complément de manière/
comparaison (CdM) introduit par comme ? Choisissant le cadre des théories de la
grammaticalisation, elle utilise les paramètres proposés par C. Lehmann (1995) 19 pour
situer les principales constructions du français moderne faisant intervenir comme sur
un continuum de grammaticalité. Ses conclusions vont dans le même sens que les
analyses de M. Pierrard (1998, 1999, 2001).

43 La construction à attribut de l’objet (CAO) étant la plus grammaticalisée juste après le


complément de manière (CdM) averbal, la question est : peut-elle être le résultat d’une
grammaticalisation du CdM par réanalyse, comme le suggère, par exemple, M. Grevisse
dans Le Bon Usage, qui fait dériver Je considère cet homme comme un héros de Je considère cet

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homme comme je considère un héros (CdM verbal). E. Tobback montre qu’en français
moderne en tous cas, la CAO en comme n’est plus analysable comme un CdM, puisque
dans de nombreux exemples attestés de CAO on ne peut reconstituer une proposition à
partir du segment introduit par comme comme on peut le faire avec un CdM averbal.
44 Prolongeant les réflexions d’E. Tobback (2003), dans un article sur « l’ellipse dans les
constructions en comme en diachronie du français », M. Morinière (2008a) interroge
aussi le rapport entre le syntagme comme X adverbial de manière averbal et le
syntagme comme X attributif, mais dans une perspective évolutive, depuis l’ancien
français jusqu’au français moderne. Si le recours à l’ellipse a fréquemment cours dans
les interprétations de comparatives, tant à des fins interprétatives qu’à des fins
métalinguistiques, sa systématisation masque parfois des réalités empiriques distinctes,
qu’un retour à la diachronie peut contribuer à mettre en lumière. Dans une première
partie, M. Morinière propose une étude des segments comparatifs verbaux et averbaux
comme X en ancien français qui conforte l’analyse des segments comparatifs par le
recours à la notion d’ellipse pragmatico-sémantique proposée par M. Desmets (2001) 20
pour le français moderne :
l’interprétation propositionnelle de la séquence non phrastique de droite X se fait
par récupération dans la séquence de gauche non de formes, mais de notions
sémantiques, entités et prédicats. [MORINIÈRE 2008a]
M. Morinière remarque cependant quelques différences dans le fonctionnement de
l’ellipse entre l’ancien français et le français moderne, notamment l’apparition en
français moderne de l’obligation pour comme d’être suivi d’un constituant dit
« majeur ».
45 Dans une seconde partie, elle s’intéresse aux syntagmes dits « attributifs » introduits
par comme, et à leur évolution en diachronie large. En français moderne, les syntagmes
attributifs de forme comme + SN sans déterminant, avec N désignant une fonction ou un
statut, comme dans Jean travaille comme maçon, ne peuvent être analysés comme des
syntagmes elliptiques avec la même définition de l’ellipse que dans les syntagmes
comparatifs : ils ont les propriétés d’un syntagme prépositionnel. En revanche,
prolongeant les remarques de Väänänen (1951) sur la « comparaison impliquant
l’identité » et de Ménard (1994) sur « com(me) faisant référence à une qualité », M.
Morinière montre qu’en ancien français, tous les syntagmes comme SN/SAdj./SPrep de
sens attributif (c’est-à-dire dans lesquels le SN ou le SAdj. désigne une propriété
attribuée à un objet) peuvent être analysés comme des adverbiaux de manière
propositionnels elliptiques. Ayant recours aux concepts des théories de la
grammaticalisation, elle propose une hypothèse selon laquelle la construction comme +
N (rôle/fonction) du français moderne serait le résultat de la réinterprétation
sémantique et de la réanalyse en diachronie de l’adverbial de manière/comparaison
elliptique comme + N dans certains contextes.
46 Un autre article de M. Morinière (2008b), toujours en diachronie large, replace
l’apparition des syntagmes attributifs introduits par comme dans l’histoire des
constructions à attribut de l’objet en général. L’auteure y montre en effet que, alors que
l’attribut était toujours construit directement en latin classique, apparaît entre le latin
et l’ancien français une nouvelle catégorie grammaticale, les « indices de l’attribut » a,
por, puis en, issus de la grammaticalisation des prépositions latines ad, pro et in dans
certains contextes. Parallèlement, les syntagmes comme SN/SAdj. adverbiaux de
manière à sens attributif (manière ou procès conforme à une qualité d’un objet) sont

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beaucoup plus fréquents que l’équivalent latin ut SN/SAdj. Au XIVe siècle, comme
apparaît même en concurrence avec les « indices » a et por avec certains verbes comme
réputer, tenir (au sens de « considérer ») : comme SN/SA s’éloigne du circonstant de
manière, il assume un rôle véritablement attributif, notamment marqué par
l’impossibilité de le supprimer. Ce type de constructions va alors gagner d’autres verbes
au cours des siècles suivants, éventuellement en fonction de leurs propres
modifications sémantiques (passage de la perception à l’opinion pour un verbe comme
regarder, par exemple). Dès lors, parallèlement à la généralisation de la construction
attributive directe, comme devient l’indice privilégié des constructions indirectes
persistantes ou nouvellement créées, l’emploi de à en tant qu’indice d’attribut ayant
presque disparu et pour n’étant plus productif dans cet emploi.

IV. Travaux à perspective synthétique


47 Cette dernière section est consacrée aux travaux qui abordent comme dans une
perspective synthétique, ceux de T. Ponchon (1998), V. Wielemans (2005) ainsi qu’un
ensemble d’articles, dus à M. Pierrard (1998, 1999, 2001), dont la somme offre
également une vision d’ensemble des emplois de comme et de leur évolution.
48 Dans son étude sur « les emplois de com(e) en français médiéval », T. Ponchon entend
dégager, dans le cadre du français médiéval, à la lumière de la psychomécanique du
langage et de la théorie de la subduction, le signifié de puissance de comme, à partir
de la polyfonctionnalité qui émerge de ses signifiés d’effets. [ PONCHON 1998 : 319]
Il s’agit donc, dans un cadre théorique postulant une unité fondamentale en langue de
ce type d’élément linguistique, de mettre au jour le signifié de puissance de comme,
susceptible de donner lieu à l’ensemble des valeurs que manifeste sa polysémie
discursive. Celles-ci sont ramenées au nombre de six, présentées suivant un
mouvement constructeur allant, en termes guillaumiens, d’une « saisie pleinière » à des
saisies de plus en plus « subduites » (ibid. : 343) :
• C 1 : Comme adverbe nominalisateur non comparatif
• C 2 : Comme adverbe comparatif
• C 3 : Comme adverbe en locution comparative
• C 4 : Comme « préposition »
• C 5 : Comme conjonction temporelle / causale
• C 6 : Comme conjonction en locution conjonctive temporelle / causale / concessive
La visée de ce travail est d’autant plus globale qu’il faut entendre ici par « français
médiéval » une périodisation incluant l’ancien et le moyen français. En outre,
T. Ponchon propose une perspective plus systématique en situant l’ensemble des
emplois de comme par rapport à ceux de comment et de combien. Cependant, comme l’on
pouvait s’y attendre et comme il est tout à fait légitime pour une étude de ce type, cette
visée globale constitue également sa limite, dans la mesure où elle ne permet pas de
détailler l’évolution et les éventuelles filiations des différentes valeurs, et en ce sens
relève davantage d’une synchronie large que d’une diachronie véritable. Il n’en
demeure pas moins qu’elle offre les fondements d’une appréhension systématique, apte
à révéler aussi bien le fonctionnement interne de ce terme que les relations qu’il
entretient avec les microsystèmes dans lesquels il s’intègre.
49 La seconde étude à visée synthétique, due à V. Wielemans (2005) et intitulée
« L’évolution de comme et comment : le témoignage des grammairiens et des

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dictionnaires de l’époque », s’inscrit dans une perspective plus résolument


diachronique. Y sont en effet envisagés les différents emplois assumés par comme et
comment tels qu’ils étaient appréhendés par les contemporains : grammairiens,
remarqueurs et auteurs de dictionnaire, mais aussi tels qu’ils sont présentés dans les
grammaires modernes. D’autre part, la période couverte par cette étude s’étend de
l’ancien français jusqu’à l’aube du français contemporain ( XVIIIe siècle).
50 Cette étude se fonde d’abord sur une distinction des diverses valeurs d’emploi de
chacun des deux termes (2005 : § 1.1), regroupées en six catégories pour comme :
• Comme 1 : interrogation et exclamation directe et indirecte ;
• Comme 2 : Introducteur de subordonnées à valeur circonstancielle ;
• Comme 3 : emploi comparatif et valeur « exemplative » ;
• Comme 4 : comparatif d’égalité, notamment en « locutions conjonctives, telles que aussi
comme, tant comme » ;
• Comme 5 : emplois « plus pragmatiques (…) tels : la valeur qualifiante, méta-énonciative et
adverbiale » ;
• Comme 6 : comme dans la locution conjonctive à valeur concessive comme que ;
et en quatre catégories pour comment :
• Comment 1 : interrogation et exclamation directe et indirecte ;
• Comment 2 : valeur analogique, qualifiante et adverbiale ;
• Comment 3 : expression de la conséquence, de la finalité, du temps et de la cause ;
• Comment 4 : locution conjonctive concessive comment que.
L’évolution de chacune de ces valeurs est ensuite analysée en détail, par période et en
confrontant les analyses modernes aux conceptions contemporaines. Elle prend ensuite
en compte les phénomènes de concurrence qui se manifestent entre les deux termes,
lesquels permettent également d’éclairer leurs évolutions respectives.
51 Retrouvant alors la question de la grammaticalisation, V. Wielemans s’appuie sur les
analyses de M. Pierrard pour montrer la façon dont se réorganise le « système de com(e)
», autrement dit les relations entre ses différentes valeurs d’emploi. À l’origine, comme
exprimait ainsi « la coïncidence modale entre propositions », permettant l’expression
de divers degrés d’identité autant que d’une valeur temporelle. Par la suite, en raison
de phénomènes de concurrence dans l’expression de l’identité, comme en vient à
n’exprimer plus qu’une « conformité « indéfinie » entre comparandes » (2005 : § 3.5),
d’où peuvent être dérivées les valeurs contemporaines.
52 Enfin, la dernière recherche à s’inscrire dans une visée synthétique est celle menée par
M. Pierrard au travers de différents articles (1998, 1999 & 2001). Si le premier et le
dernier s’attachent à des sous-ensembles de valeurs plus qu’ils ne se consacrent à
l’entier des emplois, mis en parallèle avec le second, ils en proposent une analyse
globale principalement axée sur l’évolution de comme.
53 Le premier de ces trois articles (1998) est ainsi consacré au comme « relatif à
antécédent » en ancien français et se concentre sur « les tours (…) où comme semble
fonctionner comme forme de reprise d’une source adverbiale » (1998 : 127) et sur la
grammaticalisation de la proforme indéfinie qui en est à l’origine. M. Pierrard distingue
ainsi « trois types de constructions » dans lesquels comme est, au sein de la construction
analytique, « relatif de manière et d’analogie », « relatif anaphorique » et « relatif de
temps » (1998 : 129-130). La spécificité est, dans tous les cas, la « formalisation de la
hiérarchisation par coïncidence au moyen du marquage des deux places saturées dans
la principale et la subordonnée » (1998 : 131). Il marque ainsi « la coïncidence modale

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entre propositions » (1998 : 131-132), laquelle inclut leur identité faible (analogie) ou
forte (égalité). Ce recours aux « articulants analytiques »21 avec comme en second
élément témoignerait ainsi d’une avancée relative dans la grammaticalisation du
morphème indéfini, et, par conséquent, les changements affectant l’élément source
auront également « une influence déterminante sur la réorganisation des emplois de
comme » (1998 : 136). Le passage du fonctionnel au pragmatique dans le cas des
éléments sources entraînant le recours à des formes plus marquées et l’élimination de
la valeur de conformité autant que le caractère progressivement redondant de comme
dans l’expression de l’égalité contribueront à l’usage de formes concurrentes à second
élément que. En revanche, une tendance aux formes synthétiques favorisera l’usage de
comme pour l’expression de la comparaison analogique et, plus généralement, d’une
conformité indéfinie. C’est l’ensemble du système des proformes indéfinies qui s’en
trouvera ainsi réorganisé.
54 Dans le second article (1999), M. Pierrard s’interroge plus spécifiquement sur les
facteurs contextuels [qui] modulent les propriétés de base du morphème et
l’amènent à remplir des fonctions grammaticales fort éloignées de ses attributions
initiales. [PIERRARD 1999 : 133]
Il montre ainsi que
l’extension des fonctions spécifiques de comme par sa grammaticalisation en tant
que connecteurs de prédicats tirera pleinement parti des propriétés de base de la
P[roforme] I[ndéfinie] : un sémantisme de modalité non spécifié (…) et une mise en
rapport de deux prédicats au moyen du marquage d’une coïncidence de modalité.
[PIERRARD 1999 : 133]
Aussi bien comme étend-il d’abord ses emplois en tant que connecteur indiquant un
niveau indéfini de conformité, notamment sous l’influence des relations entre les
éléments comparés et de la nature propre de ceux-ci. L’examen cumulé de ces éléments
permet alors de faire apparaître la cohérence du fonctionnement de comme au travers
de la diversité de ses emplois.
55 Enfin, plus résolument diachronique que le précédent, le dernier article de M. Pierrard
(2001) entend répondre au double objectif
d’examiner les caractéristiques des glissements fonctionnels et sémantiques du
marqueur afin de déterminer de quoi son agencement actuel est le produit
et d’illustrer
la complexité du processus de grammaticalisation en soulignant l’interaction
constante entre l’évolution diachronique et l’organisation synchronique, entre les
propriétés du morphème et son fonctionnement dans divers contextes. [ PIERRARD
2001 : 294]
Se fondant sur certains acquis de la typologie, et notamment les trois paramètres que
sont la hiérarchisation, l’autonomie des prédications en jeu ainsi que la formalisation
du marqueur assurant cette relation, il montre le cheminement suivi par comme,
conduisant celui-ci d’un fonctionnement en tant que « forme de reprise d’un adverbe »
au « repositionnement de ses emplois en fonctionnement absolu » (ibid.). Celui-ci s’est
trouvé favorisé par la grammaticalisation parallèle du marqueur analytique, corollaire
de la substitution d’un marquage fonctionnel par un marquage grammatical qui
conduira à la généralisation de que et à l’abandon de comme en tant que second membre
de ces marqueurs. Cela va entraîner la restructuration des emplois de comme,
notamment en raison du déploiement des constructions en Préd1 comme Préd2, et
produire finalement l’ensemble complexe que forment ses emplois actuels.

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Ouvertures
56 Du parcours de l’ensemble de ces études, il est possible de tirer plusieurs
enseignements, aussi bien sur l’évolution globale des emplois de comme au cours de
l’histoire du français que sur les phénomènes ayant suscité un plus grand intérêt chez
les linguistes. Ainsi l’intérêt porté à la filiation et à l’organisation conceptuelle des
différentes valeurs sémantiques de comme se manifeste-t-il dans la plupart des travaux
évoqués et assure-t-il, en quelque sorte en filigrane, un dénominateur commun qu’ont
renforcé l’émergence du paradigme de la grammaticalisation et les recherches sur les
proformes indéfinies
57 On notera cependant qu’aussi bien certaines périodes (les périodes préclassique et
classique, notamment) que certains emplois (paradoxalement, les emplois les plus
traditionnels de marqueur interrogatif et exclamatif) demeurent quelque peu laissés
dans l’ombre. De la même façon, les relations de comme avec ses divers composés
morphologiques (comment, combien), souffrent encore d’un nombre trop restreint
d’études, tout particulièrement dans une perspective diachronique.

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NOTES
1. Pour simplifier, on désignera le morphème par la forme comme quel que soit l’état de langue
étudié, mais cette forme n’apparaît que tardivement : en français médiéval, on trouve de très
nombreuses orthographes, les plus fréquentes étant com et come (c’est pourquoi les linguistes
traitant de l’ancien français utilisent souvent la forme com(e))

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2. Nous avons conscience des limites d’une terminologie aussi traditionnelle que celle qui oppose
emplois subordonnants et emplois non subordonnants. Elle nous semble cependant légitime en
ce sens que, n’appartenant pour ainsi dire à personne, cette terminologie ne risque pas de
véritablement trahir les choix des auteurs concernés par chacune de ces manchettes non plus
que d’orienter par trop un compte-rendu qui, sans être neutre, se veut tout de même aussi
objectif que possible.
3. On pourra consulter, au sujet de cette confusion, les travaux suivants : Imbs (1956 : 118-119) ;
Herman (1963 : 173-174) et Pierrard (2001 : 294-295).
4. Herman ajoute : « Il est évident que les gens qui savaient du latin identifiaient cum, com
français avec cum latin ; on en a une preuve formelle dans le passage suivant de l’Orthographia
Gallica (éd. J. Stürzinger : XI-XII, H 26-27 Et altrefoithe escriveretz c vel q indifferenter come cuer
ou qoer. Et altrefoithe solonc le Latyn ut qi, cum, qe. » [1963 : 170, note 3]
5. Rappelons, en effet, que la manière est, en latin classique, l’un des sens dérivés de l’ablatif
proprement dit (cf. Ernout & Thomas 1953 : § 108). L’on peut dès à présent remarquer que parmi
ces valeurs figurait également la « conformité » (Ibidem).
6. À ce propos, Ernout & Thomas (1953 : § 181c et § 318) observent que, dans cet emploi, quomodo
est « usuel » au sens de « comment ».
7. En quoi J. Herman retrouve l’idée couramment évoquée selon laquelle se manifestait, dans les
emplois de quomodo, une « tendance à éliminer les constructions indicatives de ut » [Ernout &
Thomas 1953 : § 352] ainsi que l’installation d’une concurrence entre les deux formes,
notamment dans l’expression de la comparaison où quomodo est alors présenté comme un
« supplétif fréquent de ut de comparaison » [Imbs : 1956 : 119].
8. Ce que tendrait à confirmer aujourd’hui les études les plus récentes sur les « chaînes »
conceptuelles en jeu au cours de processus de grammaticalisation : voir, par exemple, H. Bat-Zeev
Shyldkrot (1995 : 149).
9. Notons que, sur ce point, une opposition quelque peu implicite oppose J. Herman à Ernout &
Thomas, pour lesquels l’ensemble des valeurs d’emploi acquises par quomodo s’explique
essentiellement par le principe d’une substitution à ut (1953 : § 352).
10. Voir notamment Bertin (1997 : 121-124).
11. Le chapitre « La Comparaison » de la Grammaire nouvelle de l’ancien français de Cl. Buridant
(2000) reprend quasiment telles quelles les analyses de cet ouvrage.
12. Le travail sur la distribution des différents adverbes s’inspire de H. Kjellman (1924) « Autresi –
aussi – ainsi. Étude de syntaxe historique », Studier i modern språvetenskap, IX : 147 sqq.
13. Le Goffic, P. Grammaire de la phrase française, Paris, Hachette (1993) ; Fuchs, C. et P. Le Goffic,
« La polysémie de comme » in Soutet, O. (ed.) La Polysémie, Paris, PUPS, 2005.
14. J. Damourette et E. Pichon (1911-1940) Essai de grammaire de la phrase française, Paris, D’Artrey.
15. V. Väänänen propose une version réduite de cette monographie de 1951 dans le chapitre « Il
agit en soldat et tours concurrents » de son ouvrage Recherches et récréations latino-romanes, Napoli :
Bibliopolis, pp. 189-216. Il y reprend presque tels quels les chapitres II, III, et IV de la
monographie, ceux sur le latin et le français, mais il n’y explique pas sa terminologie, notamment
la différence entre « apposition » et « prédicatif ».
16. Selon V. Väänänen, l’apposition introduite par les continuateurs de quomodo existant dans
toutes les langues romanes, « ce n’est sans doute qu’un accident que quomodo, assez fréquent en
bas latin comme conjonction, soit pour ainsi dire inconnu dans la fonction appositionnelle »
(1951 : 22).
17. Voir Gautier & Morinière (ce volume).
18. Dans sa Syntaxe de l’ancien français (1980/94), il nomme cet emploi « fausse comparaison ».
19. Lehmann, C. (1995), Thoughts on grammaticalization, München/Newcastle, Lincom Europa.
20. Desmets, M. (2001) Les typages de phrase en HPSG : le cas des phrases en « comme ». Thèse de
doctorat. Université Paris X-Nanterre (np).

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21. Le terme est repris de Jonas (1971) dont M. Pierrard s’inspire, en inscrivant ses analyses dans
le cadre des théories de la grammaticalisation.

RÉSUMÉS
Cet article propose une synthèse des différentes études attachées à l’évolution de comme, aussi
bien du point de vue de certains de ses emplois que dans une perspective globalisante. Après
avoir présenté ses origines latines et romanes, nous présentons les études de ses emplois
subordonnants puis de ses emplois non subordonnants. Enfin, une dernière section est consacrée
aux recherches portant sur l’ensemble des valeurs d’emploi de comme.

This paper summarizes all the diachronical studies on comme, wich are concerned by one specific
use as well as by its general evolution. After an overview of its Latin and Romanian origins, we
present works on the subordinating uses, and, in a third section, works on non-subordinating
uses. Finally, we take into account global studies of the evolution of this word.

AUTEURS
MÉLANIE MORINIÈRE
ENS-LSH (Lyon) – ICAR & Paris Sorbonne - STIH (EA 4089)

THOMAS VERJANS
ENS-LSH (Lyon) – ICAR & Paris Sorbonne - STIH (EA 4089)

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Évolution des emplois du segment


comme N en diachronie
Mélanie Morinière

1 Cet article constitue en quelque sorte une annexe à l’article « L’interprétation des
segments comme N : invariants sémantiques et facteurs contextuels » (Gautier &
Morinière, ce volume, pp. 119-138). Nous essayons, à partir de différentes études de
corpus, de dessiner la filiation historique entre les différents types emplois de comme N
dégagés dans l’article précédent. Nous présentons un travail en cours, de nombreuses
remarques doivent donc être prises comme des hypothèses qui demandent à être
vérifiées, ou modifiées, par de plus amples recherches sur corpus.

I. Ancien français : comme N, complément de manière/


conformité et marqueur de rôle
2 L’étude de l’ensemble des occurrences des segments com(e) + Nom sans déterminant des
textes d’ancien français (9e-13e s.) de la Base de Français Médiéval (BFM) montre que dans
la plupart des énoncés, com(e) N fonctionne comme un complément de manière/
comparaison : (comme com€ suivi d’un SN avec déterminant ou d’une proprosition) :
com(e) cheville deux prédications autour d’une identité de manières (1) (2), ou bien,
quand le segment introduit par com(e) porte sur la phrase en entier et non le prédicat,
autour de l’identité de caractéristiques plus vagues, de circonstances (3), comme nous
l’avons exposé dans un article précédent (Morinière, 2008a).
(1) Tient Durendal, cume vassal i fiert. (Chanson de Roland)
« Il tient Durendal, il frappe en brave/comme un brave/*comme brave. »
(2) […] ne se contint pas come sires (G. de Dole, Le roman de la Rose)
« Il ne se comporta pas en seigneur/comme un seigneur/*comme seigneur »
(3) […] recevoir les biens du mort comme executeurs ou comme oirs (Ph. de
Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis)
« […] recevoir les biens du mort comme exécuteur ou comme héritier. »
3 On peut gloser (1) par « Il frappe comme on s’attend à ce que lui qui est brave frappe »,
c’est-à-dire « la manière de frapper est conforme à ce qui est attendu de lui étant donné

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sa qualité de brave » ; et (3) par « recevoir les biens du mort comme moi qui suis
exécuteur doit les recevoir » (l’événement est conforme à l’événement qui doit être
selon une loi naturelle ou sociale).
4 A la place de N, on peut d’ailleurs avoir un autre syntagme dénotant une qualité, un SN
défini (4) (5), un SAdj. (6), ou un SN avec relative (7).
(4) […] l’héritage que je doi avoir par droit et par reson comme le plus prochiens
(Ph. de Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis)
« […] l’héritage que je dois avoir par droit et par raison comme le parent le plus
proche »
(5) Cunseilez mei cume mi saive hume. (Chanson de Roland)
« Conseillez-moi comme mes sages hommes doivent le faire. »
(6) - Par la char Dieu, tu diz que sages, con preuz et con bien apansez (J. de Meun, Le
roman de la Rose)
« Par la chair de Dieu, tu parles comme un homme sage, comme un homme de bien/
*comme sage »
(7) Ele respont comme cele qui estoit liee de ceste aventure que Dex li avoit
envoiee : « … » (La mort le roi Artu)
« Elle répond comme celle qui était heureuse de cette aventure que Dieu lui avait
envoyée »
5 Mais dans quelques occurrences, com(e) N intra-prédicatif n’indique pas une manière de
prédicat, comme le montre l’impossibilité de la glose (8’).
(8) Entent a moi de par Ethïoclés le roi qui m’a tramis ci conme espie (Roman de
Thèbes)
« Ecoute moi de la part d’Ethéocle le roi qui m’a envoyé ici comme espion. »
(8’) #de la part d’Ethéocle qui m’a envoyé ici comme on s’attend à ce qu’on envoie
un espion/conformément à ma qualité d’espion
6 Il indique une propriété, la plupart du temps précisément le rôle/la fonction 1, d’un
argument (le référent de m’) au cours du procès. Il fonctionne comme un attribut, il
ressemble à por N, expression la plus courante de l’attribut en ancien français (9) (voir
Morinière, 2008b).
(9) Gui d’Alemaigne m’enveie por message (Couronnement de Louis)
« Gui d’Allemagne m’envoie comme messager. »
7 Dans un article de typologie des langues, M. Haspelmath et K. Buchholz (1998 : 321)
notent que dans beaucoup de langues du monde, le marqueur de rôle (« role-phrase »),
morphème qui « exprime le rôle ou la fonction avec lequel un participant apparaît
[dans le procès] »2est un morphème qui exprime (ou a exprimé) la comparaison
similative (angl. as, all. als, etc.). Mais ils ne développent pas d’explication précise sur la
filiation entre ces deux emplois. Il nous semble qu’on peut faire l’hypothèse d’un
changement sémantique par inférence contextuelle, selon le modèle exposé
notamment dans Heine et al. (1991) et Traugott (2003).
8 Dans certaines occurrences de comme X complément de manière/analogie, X est
interprété comme une propriété d’un argument Y de la prédication en raison du
contexte ou de connaissances encyclopédiques. En (2), par exemple, le lecteur sait par
le contexte que le référent de il est un seigneur. « Y est X » est donc une inférence
conversationnelle associée à certaines occurrences de comme X. Dans une occurrence
comme (7), l’inférence est conventionalisée. En effet si dans les énoncés (1) à (5) le
segment com(e) SN/SAdj pourrait aussi bien être interprété comme un syntagme
comparatif générique (« comme le ferait un seigneur, ce qu’il n’est pas ») que comme
une comparaison impliquant l’identité (« comme le seigneur qu’il est »), en (7) en

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revanche, la concordance des temps entre la proposition principale et proposition


relative implique « elle est (celle qui est) heureuse de cette aventure… ».
9 L’occurrence (8) illustre la troisième étape du changement par inférence contextuelle :
com(e) N apparaît dans un contexte incompatible avec son sens premier de manière de
prédicat/analogie ; « N désigne une propriété d’un argument du procès », qui n’était
auparavant qu’une inférence ajoutée au sens premier, est désormais le sens principal
de l’expression. Précisons qu’il ne faut pas entendre le terme « étapes » au sens d’une
chronologie : les trois types d’occurrences existent de façon concomitante en ancien
français.
10 Remarquons également une spécialisation de comme N en diachronie, qui s’écarte
progressivement du complément de manière/conformité : en français moderne, comme
N et comme SAdj ne peuvent exprimer une manière de prédicat, comme le montrent
l’astérisque dans les traductions modernes des exemples (1), (2) et (6) ; l’expression de
la manière est réservée à en N et comme un N (qu’il est).

II. Extension des emplois de comme N en périphérie


gauche à partir du 18e siècle
11 Nous avons mené une autre étude sur des occurrences de comme N en périphérie
gauche sur la période 13e – 19 e siècles, à partir de la Base Textuelle du Moyen Français et
de Frantext. Ces bases n’étant pas catégorisées avant le 19 e siècle, nous ne pouvions pas
lancer de recherche directement sur le segment comme N. Nous avons donc relevé les
occurrences de comme (avec ses diverses orthographes possibles) précédé d’une
ponctuation « assez forte » (autre qu’une virgule) et suivi d’un mot puis d’une virgule,
ce qui donne un formule de recherche du type [(.| ?| !| ;| :) (com|come|cum|cume|conme|
comme) X,], puis nous avons trié les segments comme N non comparatifs. Il ne s’agit
donc pas d’un relevé exhaustif des occurrences de comme N en périphérie gauche de la
période, puisque nous n’avons que les segments détachés en position initiale (mais pas
ceux où comme N est précédé d’un mot coordonnant par exemple), que nous n’avons pas
les segments en périphérie gauche après virgule, ni les segments comme Adj. N. Mais
notre relevé permet déjà de faire des constatations intéressantes et de formuler des
hypothèses.
12 Le petit nombre d’occurrences de comme N initial relevé avant le 18 e siècle reçoit
toujours une interprétation causale. Comme N peut être traduit par étant N.
(10) puis que tu li es mére, tu li peuz conmander, car il, conme filz, ne te osera riens
refuser. (Miracle de l’empereris de Romme, 1369)
13 Plusieurs comme N peuvent être mis en contraste comme autant de « facettes » de
l’individu.
(11) Voir est, Diex est et homme ensemble;
Et si est espoux, filz et pére.
A qui? a sa fille et sa mére:
C’est a la vierge dont nasqui.
Conme filz, tant conme il vesqui
Cy aval, li obeissoit;
Conme pére, la norrissoit;
Conme espoux, de foy la vesti,
Quant elle a croire s’ assenti
Ce qui ne pouoit par nature

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Avenir: c’est que creature


Se daigna le createur faire; (Miracle de saint valentin, 1357)
(12) […] et des liaisons intimes, que nous devons avoir à Iesvs-Christ nostre
seigneur, homme et Dieu tout ensemble, et qui est souverain, et tellement
souverain qu’il est redempteur et chef de la nature humaine. Comme souverain,
nous devons vivre sous ses loix : comme redempteur, nous devons vivre sous ses
volontez : comme chef, nous devons vivre par son esprit, par son mouvement et
par son influence. (P. Bérulle. Discours de l’estat et des grandeurs de Jésus par l’union
ineffable de la divinité avec l’humanité, 1623)
14 Mais nous avons trouvé à partir du 18e siècle des énoncés dans lesquels deux ou
plusieurs comme N en périphérie gauche permettent de distinguer plusieurs facettes de
l’individu sans qu’il y ait de relation causale d’implication entre PRED (comme N) et la
prédication principale, comme le montre l’impossibilité de la paraphrase étant N.
(13) César conquérant et César politique sont deux hommes : la fortune le mena
plus loin qu’il ne pensoit aller ; comme conquérant (*étant conquérant), le fer et
l’activité furent ses seules armes ; comme politique, il semble avoir trouvé les
sources de l’ or. (Mirabeau, 1755)
(14) [à propos de Louis XIV] Si on l’examine du côté des talens, il avoit un coup-
d’œil sûr. […] Il eut des connoissances sur le gouvernement : mais […] son
administration fut toujours entraînée par le cours violent des affaires. Comme
guerrier, il fut éclipsé par ses sujets. (A.L. Thomas, 1773)
15 La relation entre les deux prédications est une relation de pertinence, comme N sert de
cadre, de repérage, à la prédication qui suit : « à propos de César conquérant, on peut
dire P ; à propos de César politique, P’ ». Comme N limite la validité de la prédication qui
suit ou non (voir Gautier & Morinière, ce volume). Il peut être mis en parallèle avec un
circonstant de domaine, comme du côté des talens en (14).

III. Développement de comme N de type « extraction »


(19e siècle)
16 Dans ce même corpus, jusqu’au 19e siècle, toutes les occurrences de comme N relèvent
du type que nous avons appelé « catégorisation » dans Gautier & Morinière (ce volume)
: comme N se rapporte à un support topique, la prédication seconde PRED(comme N) est
de type « X est N » (dans l’exemple (14), (« Louis XIV est un guerrier »). Nous n’avons
trouvé des occurrences du type « extraction » qu’à partir de la toute fin du 18 e siècle :
en (15) et (16), le support X de comme N (cent louis par mois, des curieux…) est focus,
PRED(comme N) est de type « Le N, c’est X » (« l’argent, ce sera cent louis par mois » ;
« l’auditoire, c’étaient des curieux… »)
(15) Comme argent, j’aurai cent louis par mois pour nos quatre mois de cette
année. (G. de Staël, Correspondance)
(16) L’ un des plus puissants consistait en des conférences qui se tenaient le soir, à
la lueur de cent bougies, dans une salle située rue Taitbout. Comme auditoire, on y
voyait des curieux venus de tous les coins de Paris, des ouvriers, des grisettes, des
artistes, des gens du monde, une société un peu mêlée, mais fort originale.
(Reybaud)
17 On ne peut conclure à partir de ce seul corpus que le type « extraction » n’existe pas
avant le 19e siècle. Il faudrait examiner un corpus d’occurrences de comme N dans
d’autres positions. Mais deux indices concordants semblent indiquer cependant que ce
type apparaît après le type « catégorisation » : 1) Dans notre corpus d’ancien français

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(9e-12e s.), pour lequel nous avons relevé tous les segments introduits par comme,
quelles que soient leurs positions, nous n’avons trouvé aucune occurrence de type
« extraction ». 2) Une rapide étude de corpus nous a montré que le prédicat complexe
avoir comme NX, dans lequel comme N est toujours de type « extraction » (17) ne s’est
développé aux dépends de avoir pour NX qu’aux 19e et 20 e siècles (voir Morinière,
2008b).
(17) J’ai comme (pour) seul compagnon (N) un vieux chat (X) → Mon seul
compagnon (N), c’est un vieux chat (X)
18 D’autre part, dans d’autres langues, le morphème employé comme marqueur de rôle/
fonction (« catégorisation »), issu du morphème de comparaison similative, ne peut
être employé pour exprimer une extraction, comme le montre (18) pour l’anglais as 3, ce
qui nous amène à penser que le type « extraction » est en français une extension
d’emploi de comme N assez récente à partir de comme N marqueur de rôle, par
modification de la structure informative de la relation prédicative.
(18) I was looking for a driver and a cook. *As a cook, I took a guy my mother knew,
but I haven’t found a driver.
« Je cherchais un chauffeur et un cuisinier. Comme cuisinier j’ai embauché un type
que ma mère connaissait, mais je n’ai pas trouvé de chauffeur. »

IV. Comme N circonstant de domaine et marqueur de


topicalisation (19e-20e siècles)
1. Description

19 Dans sa correspondance, à la toute fin du 18e siècle, G. de Staël fait un emploi de comme
N nouveau, d’après nos recherches, qui se développe ensuite au 19 e siècle, mais qui
disparaît quasiment au cours du 20e siècle :
(19) Il ne faut pas vis-à-vis d’eux faire aucun arrangement pour elle. Cela vous
compromettrait comme argent. (G. de Staël, Correspondance)
(20) Charlotte ne veut entrer pour rien dans celles de mes dépenses qui ne sont pas
le strict nécessaire, et veut me faire payer ses fantaisies, ce qui aboutirait à me
mettre dans sa dépendance comme argent. (Benjamin Constant, Journaux intimes)
(21) Je vous envoie Jocelyn, le dernier poème de La Martine. Comme art, ce n’est pas
un chef-d’oeuvre, mais comme sentiment, c’est adorable. (G. Sand, Journal)
(22) Comme homme, je ne vous trouve pas mal. Reste à savoir ce que vous êtes
comme cœur, comme caractère et comme habitudes. (Maupassant, Contes et
Nouvelles)
20 Dans ces exemples N n’est pas lié à un argument X de la phrase dans un rapport
d’inclusion « entité/catégorie », autrement dit la prédication sous-jacente n’est pas « X
est N » ou « Le N c’est X » : en (15), cent louis par mois relève de la catégorie {argent}, mais
en (19), ni le référent de cela (qui reprend faire un arrangement) ni celui de vous ne
peuvent être compris comme des membres de la catégorie {argent}. De même en (21), le
dernier poème de Lamartine n’est pas du sentiment, et si en (22), le référent de vous est
un homme, il n’est pas un cœur, un caractère, des habitudes. Le dernier poème de
Lamartine a du sentiment, le référent de vous a un cœur, un caractère et des habitudes
particulières.
21 Le rapport entre N et l’argument X qui apparaît comme le support est souvent un
rapport de type méronymique : N désigne un objet (arbres, montées et descentes en (23))

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ou plus souvent une qualité que possède (ou non) X ; plus précisément, N désigne un
ensemble d’objets ou un domaine de qualité (en intension) dont X est dit posséder un
élément : en (21) le poème de Lamartine possède une certaine qualité relevant de la
catégorie {sentiment}.
(23) La route de Concarneau à Fouesnant doit être ravissante, comme arbres,
comme montées et descentes. (Flaubert, Par champs et par grèves)
→ la route de Concarneau à Fouesnant possède des arbres, des montées, des
descentes.
22 Le rapport entre N et X peut aussi être plus libre et plus difficile à qualifier :
(24) Mais comme tableaux, comme statues, comme seizième siècle, Rome est le plus
splendide musée qu’il y ait au monde. (Flaubert, Correspondance)
23 Tableaux et statues sont liées à Rome par méronymie (« Rome a des tableaux et des
statues »), mais pas seizième siècle (« # Rome a un seizième siècle »).
24 Dans certaines occurrences, le référent de N n’est lié sémantiquement à aucun
argument du procès :
(25) Il est donc dans mes intérêts comme bienséance, et comme argent que tu [son
frère] comparaisses. Comme bienséance, si mon frère me refusait sa présence dans
un tel moment, on se demanderait si je le renie, ou si je suis reniée par lui. Comme
argent, les lenteurs, le grand nombre des témoins, et au pis aller, l’affaire portée à
Bourges me causeraient double dépense, au lieu qu’avec de l’accord, de la
promptitude et point de bruit, le jugement sera prononcé dans peu de temps et je
n’aurai pas 2000 f de frais. (G. Sand, Correspondance)
25 Dans la première phrase les référents des noms bienséance et argent peuvent être
rapportés au référent de mes intérêts (ou simplement au référent impliqué par mes,
c’est-à-dire l’auteure), mais dans le reste de l’énoncé, bienséance et argent des syntagmes
en comme périphériques ne sont liés à aucun argument. Il y a seulement un rapport de
pertinence entre le référent de N et l’énoncé qui suit : « En ce qui concerne la
bienséance, je dis P. En ce qui concerne l’argent, je dis P’ ». Comme N fonctionne comme
une sorte de titre détaché syntaxiquement de la prédication qui suit. De même, en
utilisant comme fortune et comme affaire de ménage en (26) et (27), G. de Staël organise par
domaines de la vie quotidienne ce qu’elle a à dire à son mari.
(26) Et comme fortune, la loi sur les émigrés n’étant point exécutée à Saint-
Domingue et concernant d’ ailleurs beaucoup plus la comtesse Louise que vous, il
est trop heureux que vous soyez débarrassé de vos dettes. (G. de Staël,
Correspondance)
(27) Comme affaire de ménage, il me faut votre linge ici pour monter ma maison.
(G. de Staël, Correspondance)
(28) Ses affaires privées n’avaient pas fait grand chemin comme amour et comme
fortune. Comme amour, la seule femme qu’il eût aimée était Mme Bonacieux, et
Mme Bonacieux avait disparu sans qu’il pût découvrir encore ce qu’elle était
devenue. Comme fortune, il s’était fait, lui chétif, ennemi du cardinal, c’est-à-dire
d’un homme devant lequel tremblaient les plus grands du royaume, à commencer
par le roi. (Dumas père, Les trois mousquetaires, 1844)
26 Cet emploi de comme N sans relation « X être N » (« X est un N » ou « Le N, c’est X »), assez
courant au 19e siècle, surtout, selon nos relevés, dans les correspondances, journaux
intimes et récits de voyage, écrits de registre courant, a quasiment disparu au cours du
20e siècle. Il est encore fréquent chez Proust ou Céline, mais dans les textes du 20 e siècle
les occurrences relèvent presque toutes d’un même schéma relativement figé
[appréciation de X du point de vue de sa qualité N] :

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(29) C’est vivace [caractérisation/appréciation] un régiment, comme couleur et


comme cadence, ça se détache bien sur le climat... (Céline)
27 Dans la base Frantext, après 1970, on en a trouvé seulement quatre occurrences, dont
trois chez le même auteur, P. Cauvin. Elles apparaissent dans des énoncés de registre
plutôt familier et présentent toutes un prédicat de caractérisation/appréciation,
comme est plus sexuelle en (30).
(30) Jeanine est mieux que maman, comme femme, elle est plus sexuelle comme
allure, et elle monte à cheval (P. Cauvin, Monsieur Papa)

2. Analyse

28 Cet emploi de comme N a en commun avec le type « extraction » de pouvoir commuter


avec en fait de N ou question N, côté N :
(15’) En fait d’argent/Question argent, j’aurai cent louis par mois. (« extraction »)
(19’) Cela vous mettrait dans sa dépendance en fait d’argent/question argent.
(30’) Elle est plus sexuelle question allure.
29 En fait de N, question N et côté N sont des circonstants de domaine : ils délimitent un
domaine de l’expérience dans lequel se vérifie la prédication 4. Ils peuvent être
thématisés (15’) ou non (19’). Ils ont en commun avec comme N d’être non référentiels :
ils sont suivis d’un substantif non déterminé, contrairement à un circonstant de
domaine comme en ce qui concerne (l’argent).
30 V. Lagae, dans son étude sur en fait de N (2007), remarque que ce circonstant de
domaine et comme N commutent en français contemporain dans le cas où N est lié à un
terme de la phrase avec lequel il entre dans une relation d’hyperonyme à hyponyme ou
d’analogie, comme en (31) c’est-à-dire quand N et un terme X entrent dans une relation
« X être un N ».
(31) En fait de nouveauté, ils auraient été à Nice (Céline, cité par V. Lagae) (comme
nouveauté, …)
31 Ajoutons que cette commutation ne fonctionne que dans le cas où la relation est
d’orientation « Le N, c’est X » (ici PRED(comme N) est bien « la nouveauté N, ça aurait été
[d’aller à Nice]X »), autrement dit pour le type « extraction » et non pour le type
« catégorisation » (« X est N »)5 :
(32) Berthold était un chirurgien prodigieux. Mais comme professeur, il vidait les
amphithéâtres aussi sûrement qu’un bon typhus. (Pennac) (*en fait de professeur,
…)
→ [Il]X est [professeur]N
32 Mais dans la plupart des occurrences relevées par V. Lagae, en fait de N est employé sans
terme sémantiquement apparenté à N, et dans ce cas, note-t-elle, comme N est
impossible :
(33) Personne ne rivalise avec les Suisses en fait de précision (Libération, cité par V.
Lagae) (*comme précision)
33 Nous avons vu cependant qu’au 19e siècle comme N s’emploie aussi sans qu’il y ait de
terme X lié à N par une relation « Le N, c’est X », (exemples (25) à (28)), donc avec le
même éventail de contextes qu’un circonstant de domaine non référentiel de type en
fait de N ou question N/côté N6. On peut faire l’hypothèse d’une extension par analogie :
ce serait en raison de sa ressemblance, dans son emploi « extraction », avec des
circonstants comme en fait de N que comme N aurait étendu ses possibilités d’emploi à
celles d’un circonstant de domaine. Cette hypothèse demande à être confrontée à des

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études sur les emplois des circonstants de domaine en diachronie : d’après V. Lagae
(2007), en fait de N ne s’emploie avec un terme anaphorique ou sémantiquement
apparenté (31), concurrençant ainsi comme N, qu’à partir du milieu du 19 e siècle.
34 Nous terminerons avec un paragraphe de Chateaubriand qui nous permet d’aller plus
loin dans l’analyse de l’évolution des emplois de comme N :
(34) Quelle route historique, non encore parcourue, restoit-il donc à prendre aux
modernes ? Ils ne pouvoient qu’imiter, et dans ces imitations, plusieurs causes les
empêchoient d’atteindre à la hauteur de leurs modèles. Comme poésie, l’origine
des cattes, des tenctères, des mattiaques, sortis de la forêt Hercinienne, n’ offroit
rien de ce brillant Olympe, de ces villes bâties au son de la lyre, et de toute l’enfance
enchantée des hellènes et des pelasges, répandus aux bords de l’Achéloüs et de
l’Eurotas; comme politique, le régime féodal interdisoit les grandes leçons; comme
éloquence, il n’ y avoit que celle de la chaire ; comme philosophie, les peuples
n’étoient pas encore assez malheureux, ni assez corrompus, pour qu’elle eût
commencé de paroître. (Chateaubriand, Le génie du christianisme)
35 Dans les deux premières occurrences de comme N, N (poésie et politique) n’est lié à aucun
terme X, comme en (25). Dans la troisième, N est lié au pronom anaphorique celle,
réalisant ce que Corblin (1990) appelle une anaphore nominale : celle (de la chaire) ne
reprend pas un élément référentiel mais le concept désigné par N. La reprise du dénoté
de N par un pronom ou déterminant anaphorique est possible avec un circonstant de
domaine non référentiel (35)7. Notons toutefois que nous n’avons rencontré ce schéma
que très rarement avec comme N (36).
(35) En fait de spectacle, rien en cette saison ne vaut celui des moissons
(F. Chandernagor, cité par V. Lagae)
(36) Comme remèdes, Julia m’en a donné un d’agréable pour compenser les affreux
sinapismes. (Gide, Correspondance)
36 Mais c’est la dernière occurrence de comme N du texte de Chateaubriand qui est la plus
remarquable : N y est lié au pronom anaphorique elle, pronom qui ne peut reprendre
qu’un élément référentiel (37).
(37) A propos de ta sœur, elle va bien ?
*A propos de sœur, elle va bien ?
37 Nous n’avons trouvé un tel schéma avec un N lié à un pronom d’anaphore
« référentielle » que dans cet énoncé de Chateaubriand, mais il est intéressant car il
confirme une tendance évolutive repérée pour d’autres circonstants de domaine.
Combettes & Prévost (2001) et Combettes (2003) ont montré en effet la différence entre
la thématisation d’un complément circonstanciel de domaine (38) et la topicalisation
(39) :
(38) En ce qui concerne la peinture, Paul a de bonnes idées.
(39) (En ce qui concerne) Paul, il est venu hier.
(38’) Paul a de bonnes idées en ce qui concerne la peinture.
(39’) *Il est venu hier en ce qui concerne Paul.
38 Le circonstant de domaine a une relation sémantique avec le prédicat principal de la
phrase (il peut être en position intégrée (38’)), – c’est un constituant de niveau
« propositionnel », alors que le topique « fonctionne comme un élément indépendant
du système de rection et de hiérarchisation de la proposition » (d’où l’impossibilité
(39’)), – c’est un constituant de niveau « textuel » ou « énonciatif ». (Combettes &
Prévost, 2001 : 109sq).

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39 Ces auteurs ont mis au jour que les expressions introductrices de topique, ou
« marqueurs de topicalisation », sont en général à l’origine des introducteurs de
circonstants de domaine, autrement dit qu’il existe une tendance des introducteurs de
domaine (en ce qui concerne X, pour ce qui regarde X, à propos de X, quant à X, etc.) à élargir
leurs possibilités d’emploi en diachronie pour fonctionner comme des marqueurs de
topicalisation. Ils expliquent qu’
« on comprend qu’un « glissement » puisse se produire assez facilement de la
notion de « domaine » à celle qui, finalement, sous-tend la fonction de topique :
cette dernière consiste en effet à délimiter un référent dans l’ensemble des unités
possibles et à le présenter comme support pertinent d’une énonciation » (2001 :
109)
et proposent une explication en termes de grammaticalisation de ce changement de
« portée » du constituant concerné du niveau propositionnel au niveau textuel ou
énonciatif.
40 Mais B. Combettes (2003 : 155) remarque que les introducteurs de circonstants de
domaine suivis d’un nom sans déterminant (en fait de N, côté N, niveau N) peuvent
difficilement être employés comme marqueurs de topicalisation avec coréférence entre
N et un pronom ( ?En fait de N, il…) en raison du caractère non référentiel de N, alors
que c’est courant avec les marqueurs est suivi d’un SN défini, comme en ce qui concerne
(39). Le Querler (2001 : 163) en relève pourtant deux occurrences pour côté N (et semble
sous-entendre qu’elle a en trouvé d’autres) :
(40) Côté Pasqua, c’est vraiment un type que je déteste. (France Inter, cité par N. Le
Querler)
(41) Côté carte, nous l’avons voulue différente du Carlotta avec des spécialités de
brasserie. (Ouest-France, cité par N. Le Querler)
41 Ces énoncés montrent que les circonstants de domaine non référentiels sont
susceptibles de suivre la même tendance évolutive que les autres, même si, il est vrai, le
schéma avec coréférence reste très rare. Dans un texte comme celui de Chateaubriand
où comme N fonctionne comme un véritable circonstant de domaine (sans nécessité de
lien sémantique entre N et un argument de la phrase), il n’est pas surprenant de le
trouver topicalisé avec coréférence (comme philosophie, […] elle […]).
42 Il nous semble d’ailleurs que l’on peut déjà parler de topicalisation dans le cas
d’occurrences telles que (25) à (28), si la caractéristique d’un segment topicalisé est
l’absence de lien sémantique et syntaxique avec le reste de la prédication : si dans les
exemples (19) à (24), comme N est bien un circonstant de domaine sémantiquement lié
au prédicat, en (26) par exemple, N apparaît seulement comme « le support pertinent
d’une énonciation » (Combettes & Prévost 2001) : « En ce qui concerne la fortune, je dis
que P ».

V. Développement de comme N non paradigmatique


(20e siècle ?)
43 Il reste à essayer de dater un dernier emploi de comme N apparu récemment que nous
avons appelé comme N « non paradigmatique » (Gautier & Morinière, ce volume) :
(42) Elle est pas mal (,) comme fille.
44 Dans tous les exemples cités dans les sections précédentes, en effet, comme N est
« paradigmatique », c’est-à-dire que N est présenté comme un choix dans un

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paradigme, et peut être mis en contraste avec un autre élément de ce paradigme. Dans
le cas du type « catégorisation » N est mis ou peut être mis en contraste avec un autre
aspect ou une autre qualité du référent du support X (8) et (13), dans le cas du type
« extraction » ou circonstant de domaine, N est présenté comme un domaine parmi
d’autres (15).
(8) […] le roi qui m’a tramis ci conme espie (Roman de Thèbes) « […] le roi qui m’a
envoyé ici comme espion » (et non comme messager)
(13) comme conquérant, le fer et l’activité furent ses seules armes ; comme
politique, il semble avoir trouvé les sources de l’or. (Mirabeau)
(15) Comme argent, j’aurai cent louis par mois pour nos quatre mois de cette
année. (G. de Staël) (et comme voiture…)
45 En (42), en revanche, N (fille) est présenté comme la catégorie définitoire du support X
(elle), et ne peut être mis en contraste avec une autre catégorie ou une autre qualité de
X (#Elle est pas mal comme fille, mais comme …). Cet emploi « non paradigmatique » est
l’emploi le plus fréquent de comme N dans la partie récente (après 1970) de la base
Frantext, la plupart des exemples se trouvant dans des énoncés de registre courant,
voire imitant l’oral. Nous n’avons pas pu, pour l’instant, dater précisément son
apparition, mais on peut déjà noter qu’on en a trouvé des exemples dès le tout début du
20e siècle dans la correspondance d’Alain-Fournier ou chez Proust :
(43) Un disait l’autre jour de son pays (Bagnères-de-Bigorre) : « j’avoue que ce n’est
pas joli comme pays. (# mais comme…)
- comment!
- oui, il n’ y a que des montées et des descentes. (Alain-Fournier, Correspondance,
1914)
(44) Comment vous a semblé le Trocadéro, petite folle ? (…) Comme monument c’est
assez moche, n’est-ce pas ? (M. Proust, La Prisonnière) (#mais comme …)

Conclusion
46 Comme, morphème de manière/conformité, peut dès l’ancien français, suivi d’un nom,
exprimer une indication de rôle/fonction, extension d’emploi que l’on retrouve dans de
nombreuses autres langues pour les morphèmes équivalents de comme. Nous avons
proposé de voir dans cette extension la conventionalisation de l’inférence « X est N ».
Beaucoup plus récemment, vraisemblablement autour de la fin du 18 e siècle, comme N a
commencé à être employé dans des contextes qui présentent un renversement de
l’orientation informationnelle de la relation « X être N » de « X TOP [ est N] FOC »
(catégorisation) à « Le N TOP, c’est XFOC » (extraction).
47 Dans ce nouvel emploi comme N est proche d’un circonstant de domaine, mais avec la
contrainte [N est lié à un argument X dans une relation entité/catégorie « X être (dét)
N »]. Nous avons vu que cette contrainte du français moderne n’était pas aussi stricte
au 19e siècle où comme N pouvait fonctionner comme un circonstant de domaine
équivalent à en fait de N. Nous avons analysé l’apparition de cet emploi comme
circonstant de domaine comme le résultat d’une grammaticalisation. Mais un retour en
arrière dans un changement par grammaticalisation est rare. On pourrait donc se
demander pourquoi comme N a vu son emploi comme circonstant de domaine se
restreindre au 20e siècle.

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48 Nous avons vu par ailleurs qu’à partir de l’emploi comme indication de rôle/fonction
s’est développé dans le courant du 20e siècle un emploi de comme N dans lequel il a
perdu son caractère paradigmatique.
49 Il serait très intéressant de confronter ces observations sur l’évolution de comme N aux
emplois en synchronie et en diachronie des morphèmes équivalents à comme
(morphèmes de comparaison similative) dans d’autres langues, afin de voir si l’on
retrouve ces mêmes tendances d’évolution.

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NOTES
1. Nous avons trouvé un exemple dans lequel comme SN n’est pas un complément de manière/
conformité (impossibilité de la glose) mais a une valeur attributive à interprétation temporelle et
SN désigne une propriété autre qu’un rôle. Un tel emploi de comme est impossible en français :
Tu me traisis de son ventre conme petit enfant et tendre, puis me norris (Roman de Thèbes)
« Tu me sortis de son ventre à l’état d’embryon, puis me nourris. »
(glose) # Tu me sortis comme tu devais sortir l’embryon que j’étais.
2. La traduction est la nôtre.
3. Il serait très intéressant de vérifier cette remarque en étudiant les emplois des morphèmes de
comparaison similative / marqueurs de rôle équivalents de comme dans de nombreuses langues,
ce que nous n’avons pu faire faute de temps.
4. « circonstant de domaine » est un terme désormais partagé par de nombreux linguistes, voir
par exemple Levrier & Molinier (2000), Combettes & Prévost (2001).
5. Dans les deux types d’emploi de comme N, le concept désigné par N est pris en intension, mais
dans le type « catégorisation » N est en plus en position prédicative, il caractérise un support X
(comme le montre la paraphrase « X est N », dans laquelle N est en position prédicative, derrière
la copule), tandis que dans le type « extraction », il ne l’est pas, comme le montre la paraphrase «
Le N, c’est X ». Dans le premier cas, comme fonctionne comme une sorte de copule, dans le second,
son fonctionnement se rapproche d’un introducteur de domaine (« à propos de la catégorie
{N} »).
6. N. Le Querler (2003) décrit les mêmes contextes d’emploi (avec N lié à un terme X ou non) pour
les circonstants non référentiels question N et côté N.
7. Ce type d’exemple est également étudié par N. Furukawa (2003) qui l’appelle « thématisation
métalinguistique ou intensionnelle ».

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RÉSUMÉS
En partant du classement de Gautier & Morinière (ce numéro) et en nous appuyant sur plusieurs
corpus, nous dessinons dans cet article la filiation historique entre les différentes constructions
de la forme comme + nom sans déterminant sur toute la période du français (du 9 e au 20 e
siècle). Nous proposons des analyses des changements d’emplois observés, qui s’appuient sur les
théories récentes du changement sémantique et de la grammaticalisation développées
notamment par Heine et al. (1991) et Traugott (2003).

Following the typology proposed by Gautier & Morinière (this volume) and relying on several
corpora, we sketch in this paper the evolution of the different constructions combining French
comme to a bare noun through the whole period of French (from the 9 th to the 20 th century). We
present analysis of the changes observed that relie on recent theories of semantic change and
grammaticalization, as developped among others by Heine et al.(1991) and Traugott (2003).

AUTEUR
MÉLANIE MORINIÈRE
ENS-LSH (Lyon) – ICAR

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Incidences et valeur
prépositionnelle de com(e) suivi d’un
adjectif qualificatif en français
médiéval
Thierry Ponchon

I. Introduction
1 L’aptitude de com(e) à se dématérialiser et à se désémantiser, lui permettant d’être
adjoint à un élément caractérisant (X) a suscité quelque attention, mais n’a pas fait
l’objet d’une étude précise pour le français médiéval. Le présent article vise à
s’intéresser à cet emploi particulier de com(e), celui de marqueur introduisant un
caractérisant adjectival (AQ) dans des structures du type [N 0 com(e) AQ 0 V 0 Ω] et [N 0 V 0
com(e) AQ0 Ω].
2 Un précédent article sur les valeurs de com(e) en français médiéval s’était attaché à
dégager le signifié de puissance de ce morphème polysémique à partir de la
polyfonctionnalité qui émerge de ses signifiés d’effets, dans le cadre de la
psychomécanique du langage et la théorie de la subduction (Th. Ponchon, 1998 :
319-350). Cette étude étant globale, elle avait simplement souligné que dans une
structure com(e) + AQ, le morphème introducteur véhiculait une valeur à la charnière
entre une valeur comparative et une valeur conjonctive circonstancielle ; valeur qui
avait été nommée alors prépositionnelle, mais sur laquelle il convenait de revenir.
3 Il s’agira ici de reprendre cette représentation, en déterminant et analysant les
rapports que com(e) entretient avec le N et le V notamment, afin de voir dans quelle
mesure il mérite pleinement d’être considéré comme une préposition. Ainsi, après
avoir évoqué les caractéristiques du syntagme [com(e) X], la réflexion se centrera sur les
incidences de com(e) et de [ com(e) AQ] et leurs enjeux en syntaxe résultative ;
permettant alors d’inscrire cette valeur au sein d’un schéma constructeur général.

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II. Catégories de l’élément introduit par com(e)


4 L’élément caractérisant X présente plusieurs aspects en français médiéval. Il
correspond soit à un SN, dans lequel N est en emploi générique :
Chanson d’Aspremont, 6110
Qant il nos ot ensi aparellié,
Il n’aloit mie come hon esmaié.
Se vos a moi vos fusciés consellié,
Ne l’eüsciés sïu ne encalcié.
soit à une relative indéfinie ou indéterminée (QReli) introduite par un démonstratif
pronominal :
Christine de Pizan, Livre des Trois Vertus, I : 6.
[…] Nostre Seigneur Jhesu Crist donna la sentence lors que Marie Magdaleine, en
qui est figuree la vie contemplative, estoit seant aux piéz de Nostre Seigneur, comme
celle qui n’avoit le cuer a aultre chose et qui toute ardoit de sa saincte amour, […]
ou un substantif générique :
Première Continuation de Perceval, ms T, 3210
Devant les autres sanz targier
Chevalchoit mesire Gavains
come hom qui ert de joie plains.
soit, enfin (et notre étude ne s’arrêtera que sur cela), un AQ ou un participe adjectivé.
5 Parmi l’ensemble des caractérisants introduits par com(e), le corpus 1 a permis de relever
que plus de 60 % étaient des AQ et un peu moins de 30 % des participes adjectivés ; le
restant étant catégoriquement a priori ambigu ; dans la mesure où les dictionnaires de
français médiéval présentent les éléments introduits sous une entrée nominale ou
nominale et adjectivale. En effet, alors que la présence en français médiéval d’un
prédéterminant atteste à l’évidence de celle d’un substantif déterminé, en tant que
complément comparatif introduit par un conjonctif :
Froissart, Joli buisson de Jonece, 3921
Tout premierement Pitié voi
Qui parolle comme une sage, […]
L’inverse n’est pas vrai. Ainsi, dans l’exemple qui suit, sage est bien un substantif en
emploi générique (donc à détermination Ø), sujet de le faire vicaire au sein d’une
subordonnée comparative :
Mystère de la Résurrection, I-1, 3932
Je vois faire mon messaige
Comme saige
Le doit faire saigement,
Et serviray de langaige,
Je me gaige,
Bien et retoriquement,
Sans faire long parlement,
Briefvement.
En revanche, du fait que les caractérisants qualificatifs (ou participes adjectivés) se
reconnaissent à leur contenu sémantique autonome et irréductible, l’emploi d’une
modulation d’intensité (incidente à son incidence externe) en garantit la présence :
Roman de Tristan en prose, VI : 108
Il n’oï onques mais en nul lieu u il fust si grant doeil demener com il demainnent, et
ce est une cose dont il devient ausi com tous esbahis, et nonpourquant il n’en
demande riens devant ce k’il ont mengié.

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Adenet le Roi, Berte aus grans piés, IV : 59, 1453


L’orent si enamee en cele manandie
Et Symons et Constance et toute leur maisnie,
Et leur enfant trestout l’orent si enchierie
Qu’il l’amoient de cuer conme bien ensaignie […]
De même, dans :
Gautier d’Arras, Ille et Galeron, 352
Uns pautoniers les a vendus,
qui ne fu pas mesentendus,
qu’il .c. se corent adouber.
Hoiaus s’escrie come ber :
« Signor, ne soiés esclenquier !
Pensés del gloton detrenchier ! »
Bien que ber soit considéré lexicalement comme un nom (CS de baron, au sens de
‘guerrier, noble, homme de grande valeur, voire homme vénéré ou mari’), il est
employé ici avec l’acception de « guerrier », dans une structure avec com(e) qui en fait
un qualifiant (au sens de ‘en homme qui aime se battre à la guerre’). Effectivement,
Hoël ne peut être ni comparé à un homme de grande valeur, puisqu’il est ennemi du
héros, ni à un noble, puisqu’en tant qu’oncle d’Ille, il en est un (cf. v. 576).De plus, il
n’existe pas de lien sémantico-logique apparent entre « s’escrier » et « ber ».
6 Par ailleurs, le fait que dans nombre d’occurrences l’élément nominal se trouve conjoint
à un caractérisant adjectival plaide pour une réduction idéogénétique (c.-à-d. une
réduction de sa substance notionnelle) ; versant ainsi le substantif dans la partie de
discours prédicative adjectivale (R. Lowe, 2007 : 188-192). C’est ainsi le cas dans
l’exemple suivant où serf est assurément un AQ (au sens de ‘asservi’) et non un
substantif ; dans la mesure notamment où il est associé aux AQ chaitif et nice :
Guillaume de Lorris & Jean de Meun, Roman de la Rose, 4397
[…] car cil qui va delit querant,
sez tu qu’i se fet ? Il se rant
conme sers et chetis et nices
au prince de trestouz les vices, […]
7 Dès lors, le comportement avec com(e) des cas jugés ambigus au départ apparente en
fait ceux-ci à des qualifiants.

III. Incidences2 et caractérisations de [←com(e)→ AQ]


1. Ambiguïté catégorielle

8 Alors que l’Académie fait de comme un adverbe de comparaison – et ce, quelle que soit
l’édition de son Dictionnaire, J. Damourette & Ed. Pichon montrent, à partir d’un
exemple comme Louis agit comme un/le/Ø roi., qu’en français moderne, chaque fois que
l’alternative existe, la différenciation « donne une valeur dichodestique au tour avec
article, et une valeur syndestique [c.-à-d. un rapport d’identité] à celui sans article […] »
(1971 : VII, 384-386). Bien qu’ils admettent la difficulté de différencier sémantiquement
les tours « qualifiant » (avec déterminant) et « échantillant » (sans déterminant), au
point de conclure que la nature grammaticale de comme est plus ou moins analogue, ils
précisent néanmoins que dans les tours qualifiants, le syntagme exprime la
qualification (1971 : VII, 384) et comme y est conjonctif (1968 : II, 146), alors que dans le
cas des tours échantillants, comme exprime une similitude et joue, dans la phrase, le

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rôle d’une préposition (1971 : VII, 381) (v. aussi H. Portine, 1996 : 89). Toutefois, par
souci d’unification explicative, ils considèrent que les tours doivent être interprétés
comme des zeugmes ; l’échantillant (à détermination zéro) par conversion
zeugmatique. Kr. Mantchev (1976 : 335-8) précise, quant à lui, qu’en plus des fonctions
conjonctives et adverbiales, comme se trouve en position prépositive dans des tours tels
que comme étourdi ; considérant ainsi que le morphème appartient à deux classes, celle
des conjonctions et celle des prépositions. Dans un article faisant un tour d’horizon du
traitement de ce morphème, P. Heistov & Y. Kroumova (1982 : 27-1) considèrent que
comme est une préposition, lorsqu’en position détachée est soulignée la qualité d’un
sujet (ex. : « Comme avocat, il… »), de même que dans certains syntagmes verbaux, où
la structure [comme X] est complément d’un adjectif qualificatif attribut (ex. : « … hardi
comme un lion. »). La commutation avec en est une preuve indirecte, selon eux, du
fonctionnement prépositionnel de comme. Cependant, d’une part, leur analyse ne
concerne évidemment que le français contemporain, d’autre part, apparaît comme
contestable le fait de mettre sur le même plan analytique des structures très différentes
(hardi comme un lion, je sens comme un bourdonnement, un homme comme lui, je le considère
comme mon fils, comme avocat…). Une ambiguïté est maintenue aussi dans la Grammaire
méthodique, puisque ses auteurs considèrent que comme fonctionne comme une
préposition lorsqu’il précède un syntagme nominal (ex. : « jolie comme une déesse »),
mais comme un adverbe incident effaçable lorsqu’il précède un adjectif attribut ou
apposé (ex. : « J’en suis resté comme abasourdi. » (M. Riegel & coll., 1994 : 515). Dans une
étude sur la catégorisation de comme, M. Pierrard (2002 : 69-78) définit les propriétés
syntaxiques et pragmatiques permettant de caractériser son accession au statut de
préposition (v. aussi J-M. Léard & M. Pierrard, 2003 : 221-222, 227-228). Au moyen des
tests de clivage, de commutation syntagmatique, de cohésion contexte-droit, de
délimitation, de non-prédétermination ou complémentation, il définit certaines
propriétés et détermine que [comme X] – syntagme dans lequel comme, tout en étant un
relateur symétrique liant deux arguments, en forme la tête – est un constituant
fonctionnel à forte cohésion ayant une unité syntaxique. Toutefois, il ajoute des traits
spécifiques, lorsqu’il évoque la structure [comme X] avec X comme SA ou AQ (2002 : 72) ;
notamment l’aptitude à la combinaison prépositionnelle et l’emploi facultatif ou
l’élision de comme (avec des SA attribut du COD). Comme est alors un marqueur de
prédication seconde assurée par le SA, tout en étant constituant dans une prédication
supérieure ; de sorte qu’il est à la fois un « ligateur » sur le plan sémantique et un
marqueur de hiérarchie sur le plan syntaxique. Enfin, selon l’accentuation de certains
traits au détriment des autres, le « fonctionnement catégoriel » de comme apparaît,
pour M. Pierrard, tantôt prépositionnel, tantôt adverbial.
9 Comme il est donné de le voir, il apparaît qu’il n’existe pas de réel consensus, pour le
français contemporain, quant au statut grammatical de comme. C’est d’ailleurs ce que
met clairement en lumière la « petite enquête » de O. Halmøy (1998 : 221-228).
10 Mutatis mutandis, il en est de même pour le français médiéval ; à cette différence près
que les travaux portant sur [com(e) AQ] n’ont pas suscité le même engouement.
11 Ph. Ménard (1976 : 223-224) établit une affinité entre les structures [com(e) AQ] et
[com(e) + (li) hom/cil qui QRel]. Ce rapprochement – absent chez L. Foulet ([1919] 1977 :
171) – est corroboré par une occurrence comme :
Roman de Tristan en prose, VII-I : 32
« Amours, je ai parlé conme faus et conme hom qui n’a en soi bien ne houneur ne
courtoisie. »

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Il montre précisément que, n’ayant aucune valeur comparative en soi, ces structures ne
sauraient être considérées comme des comparaisons. L’emploi du cas sujet, quand il
peut être décelé incontestablement, confirme d’ailleurs cette appréhension :
Guillaume de Lorris & Jean de Meun, Roman de la Rose, 2909
Atant saut Dangiers li vilains
De la ou il s’estoit muciez.
Granz fu et noirs et hericiez, […]
et s’escrie com forcenez :
« Bel Acueil, por quoi amenez
entor ces rosiers ce vassaut ? […] »
Gerbert de Montreuil, Continuation de Perceval, 15441
« […] on m’apele Brandin Dur Cuer.
Liez sui quant estes Perchevax.
Affiné avez vos travax,
que ja mais jor ne menjerai
devant che que mort vous arai. »
Perchevax dist conme hardis :
« Par foi, dont junerez toz dis. »
Ce lien étroit – véritable mise en parallèle – entre le sujet et le caractérisant est
confirmé notamment lorsque l’AQ introduit par com(e) est au cas sujet alors qu’il y a
omission de N0, comme dans l’exemple suivant :
Chrétien de Troyes, Conte du Graal (Perceval), 2443
[…] et quant cil del chastel les virent,
les portes a bandon ovrirent,
que li vaslez le volt ensi,
qui devant aus toz s’an issi
por asanbler as chevaliers.
Come hardiz et forz et fiers
les a entaschiez toz ansanble.
Il considère dès lors que com(e) dans [com(e) AQ] introduit un attribut du sujet ou du
complément, au sens d’« en, en qualité de ». Cependant, l’exemple qu’il donne à l’appui
de son analyse ne présente qu’un verbe en emploi intransitif. Aussi, s’il peut être
acceptable que l’AQ dans ce type de structure revête une fonction d’attribut du sujet, il
paraît difficile d’en faire autant lorsque la phrase comporte un COD ou un COI.
Reprenant son étude quelques années plus tard, la conclusion qu’il donne assoit la
nature adverbiale de com(e), en tant que marqueur d’un statut social, d’un titre, d’une
fonction ou d’une « qualité morale exemplaire dans le monde du bien ou du mal », mais
est moins tranchée quant à la fonction, puisqu’elle fait de com(e) un adverbe servant à
mettre en relief de manière prédicative un état ou un comportement « comme si l’on
avait affaire à un attribut » (1997 : 258). Cette analyse diffère de celle de E. Gamillscheg,
qui considère qu’en pareille situation com(e) introduit soit une apposition, soit un objet
prédicativé (1957 : 788). Toutefois, les analyses de Ph. Ménard concernent les structures
non adjectivales : [com(e) + N/D + N/PDém + QRel/Dø + N + QRel/AQ + N)]. Par ailleurs, à
partir d’un exemple mentionné par E. Lerch (1925 : 229) : Ami et Amile, 1583, présentant
la structure [(N0) V0 [← com(e)→ (AQ + N) 1]], il montre que l’adverbe com(e) est un
marqueur de conformité entre N0 et un prototype (AQ + N) 1. L’importance et la
primauté de la valeur référentielle du syntagme en com(e) ne font aucun doute, au point
que Ph. Ménard généralise cette valeur aux tournures en adjectif (1997 : 260, n 13),
après avoir précisé, par opposition à l’analyse de F. Jensen (1990 : 402-3), que la valeur
causale était secondaire. En somme, toutes les valeurs sémantiques de com(e) sont
issues selon lui du même sens fondamental – la valeur comparative – et sont les

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conséquences du contexte (1997 : 267) ; de sorte que son usage est sans aucun doute
dérivé de l’emploi comparatif, tout en étant nettement distinct. Pour G. Moignet,
lorsqu’il est suivi d’un AQ, l’emploi de com(e) traduit une aptitude de ce morphème
nominalisateur à se subduire. Dans la mesure où la remontée morphogénétique
estompe les valeurs adverbiales de manière (exotérique) et d’analogie (ésotérique), ce
serait une subduction plus avancée qui le réduirait à l’état de conjonction. Cette
accession, dans laquelle transparaît une sémantèse d’identité en coïncidence
temporelle, est une manifestation plus abstraite de la sémantèse en emploi adverbial ;
au point qu’il peut même fonctionner comme une quasi-préposition avec ellipse du verbe
(1981 : 198). Ainsi, d’après G. Moignet (1974 : 258 ; 1981 : 26, 197-198, 293), le processus
de subduction situerait com(e), lorsqu’il précède un caractérisant en français médiéval,
à la « conjointure » de l’adverbe et de la conjonction.
12 Comme pour le français contemporain, les approches analytiques de com(e) suivi d’un
caractérisant laissent transparaître pour le français médiéval une fluctuation autant du
point de vue de sa « nature » : adverbe, conjonction, préposition, introducteur, marqueur,
relatif… (v. aussi L. Foulet, [1919] 1977 : 324, V. Wielemans, 2005 : 2, 3, 24, 31), que de la
fonction du SA dans lequel il est antéposé : apposition, attribut du sujet/de l’objet,
complément d’objet…3 C’est donc l’alternative entre un statut adverbial et un statut
prépositionnel de com(e) qui est en jeu et sur laquelle il convient de s’apesantir.

2. De la double incidence de com(e)

13 H. Frei (1929) faisait déjà de l’adverbe une préposition « intransitive » et P. Cadiot


(1997 : 20) n’a pas manqué de noter la proximité de la classe morphologique des
prépositions avec celle des adverbes. De plus, il est indéniable qu’il existe des
« translations occasionnelles »4 dans les parties du discours transprédicatives, au point
même que K. Ilinski (2003 : 408) considère que la préposition doit être reconnue comme
une partie du discours prédicative. Ces passerelles s’expliquent, selon L. Melis (2003 :
42-43), par l’existence d’une double caractéristique combinatoire : l’assujettissement du
comportement syntaxique aux informations lexicales véhiculées par la particule et sa
valence spécifique. Cette analyse, amorcée par P. Le Goffic (1993) à propos de comme (v.
occ. 140-142), permet de rendre compte du cas spécifique que constitue com(e) adjoint à
un AQ en français médiéval.
14 Il est certain que la valeur pleine « analogique circonstancielle » de com(e) est exclue
dans les structures [N0 com(e) AQ 0 V 0 Ω] ou [N 0 V 0 com(e) AQ 0 Ω]. En effet, dans la
structure dont il est question et les occurrences retenues, il n’existe aucun rapport
comparatif réel, et l’expression de la conformité que com(e) pourrait véhiculer est si
résiduelle que sa sémantèse d’analogie est particulièrement affaiblie 5. En fait, préposé à
un AQ, com(e) n’est pas l’expression d’une conformité, mais la marque d’une translation
entre un caractérisant adjectival et N et V, comme le donne à entendre l’exemple
suivant :
[Chrétien de Troyes], Guillaume d’Angleterre, 2203
Mais or dites, qui estes rois
Vous meïsmes, come cortois,
S’il revenoit, qu’an feroiez ?
– Certes, mont an seroie liez […]
De même dans :
Eneas, 1796

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El lo regarde an travers,
de mautalant ot lo vis pers, […]
amors l’avoit tote anflanbee,
ele parla comedesvee :
« Onc n’apartenistes as deus,
car molt estes fels et crueus, […] »
Didon n’est pas comparée à une femme folle ou à une furie, mais qualifiée de femme
éperdue et désespérée dans l’instantanéité du discours et de la situation conflictuelle,
jusqu’à faire d’Énée un traître cruel à son égard ; lui qui vient d’arguer que les dieux le
contraignaient à partir pour fonder la nouvelle Troie en Lombardie et donc à la quitter
(vv. 1759-1776). Ainsi, si cette translation véhicule une congruence, elle appartient bien
davantage à une assimilation ponctuelle, parcellaire et inscrite exclusivement dans le
temps de l’énonciation.
15 Suivi d’un AQ, com(e) n’exprime pas davantage une valeur causale ou un indice fort de
causalité, comme le laissent entendre F. Brunot (1936 : 819) et F. Jensen (v. supra). Sans
en nier l’existence, elle ne peut être admise, au mieux, que comme secondaire ou
adventice (v. aussi G. Moignet, 1979 : 341, Cl. Buridant, 2000 : 614 et A. Kuyumcuyan,
2006 : 117-118). Dans l’exemple précédent, la reine n’est ni folle ni furieuse parce
qu’elle parle ; de même dans :
Adenet le Roi, Enfances Ogier, 192
Moult fu preudom Charlemaines li rois ;
Par devant lui fu amenez Gaufrois ;
Namles, qui ert sages en tous endrois,
Dist la parole com sages et courtois.
Au roi loerent Alemant et François […]
Un indice de causalité existe certes en sous-jacence dans com sages et courtois, mais la
présence au vers 191 de la relative appositive qui ert sages en tous endrois (qui, elle,
véhicule le trait causatif), montre que [←com(e)→ (AQ + AQ’) 0] ne fait que relayer un
caractère déjà déterminé de Namles et n’apporte pas une information causale
supplétive, mais assoit une qualité préexistante et prédéterminée (v. infra).
16 Ainsi, dans les exemples précédents, com(e) a un fonctionnement similaire à la
préposition en, et dans la structure [N0 V0 [←com(e)→ AQ 0]], il sert de « pont » entre un
caractérisant apposé ou attribut, un verbe ou un substantif. Plus précisément, il a deux
supports : son incidence porte non pas sur l’AQ, mais sur l’intervalle entre N 0 et AQ0 et
sur l’intervalle entre N0 et V0. Dans l’exemple suivant :
Chrétien de Troyes, Chevalier au lion (Le) (Yvain), 1799
[La dame du château] si s’umelie come sage,
et dit [à sa suivante] : « Merci crïer vos vuel
del grant oltrage et de l’orguel
que je vos ai dit come fole,
si remanrai a vostre escole. […] »
Que je vos ai dit come fole correspond à la structure [N0 V0 [←com(e)→ AQ 0] + (N1)Q + (N2)r],
dans laquelle les incidences de com(e), par déplétion extrême, portent à la fois sur la
relation sémantico-syntaxique [N0 → AQ 0] (je → folle ) et sur la relation syntactico-
sémantique [[N0 + AQ0] → V0] (je + folle → dire) ; soit :

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17 On reconnaît là le caractère diastématique de la préposition, laquelle a son incidence,


non pas à un mot de discours, mais à l’intervalle psychique inscrit entre deux mots de
discours (v. G. Guillaume, [1948] 1982 : 159). C’est en syntaxe résultative que les termes
entre lesquels s’établit une relation apparaissent comme des supports et qu’il est
possible de parler « d’incidence bilatérale » de com(e), lorsqu’il est suivi d’un AQ (v. J.
Cervoni, 1991 : 125-126). En tant que préposition, com(e) a donc deux supports, l’un
d’avant, l’autre d’après et se trouve en rapport avec les deux éléments de l’énoncé. Pour
autant, il reste plus soudé à son contexte-droit qu’à son contexte-gauche (v. J. Cervoni,
1991 : 108-110) ; en sorte que l’ensemble n’est pas l’expression d’un simple rapport 6,
mais d’une « subordination » (au sens de P. Cadiot, 1997 : 19). Appelant un complément,
com(e) prépositionnel n’est pas une forme vide, car toute préposition est porteuse d’une
sémantèse propre (v. G. Moignet 1981 : 217-218). Cette sémantèse est de nature
relationnelle, puisqu’elle consiste à établir un lien entre le support d’avant et le
support d’après (son régime). Et c’est dans la nature relationnelle entretenue entre N et
V et AQ que transparaît la trace résiduelle du caractère analogique de com(e).
18 Postposé à un verbe attributif, l’emploi de com(e) suivi d’un caractérisant adjectival a
retenu plus particulièrement l’attention des grammairiens et des linguistes. Cependant,
comme supra, les analyses sont variées ; marquant la difficulté à saisir la
nature catégorielle de comme dans la structure [N 0 Vatt [←com(e)→ AQ 0]]. Ainsi, pour W.
von Wartburg & P. Zumthor, comme permet d’exprimer une comparaison très affaiblie
et sert à atténuer le sens de l’adjectif (1958 : 250). Si G. & R. Le Bidois estiment que l’on a
affaire à une simple analogie avec ellipse (1971 : II-1155), R. Sayce refuse, quant à lui, de
considérer l’existence d’une comparaison. Il fait de [←com(e)→ AQ] une métaphore et
lui attribue une simple valeur de parenthèse (1970 : 61). Il en est de même pour G.O.
Rees qui attribue à ce comme une valeur « modifiante ». Il considère dès lors que, dans
cet emploi, il s’agit d’un comme d’atténuation ou d’un comme « métaphorique » (1971 :
22-26), sans néanmoins expliciter sa nature. En revanche, F. Brunot (1936 : 223, 671) et
M. Grevisse (1975 : 879) estiment que comme employé avec un verbe attributif est un
adverbe marquant l’approximation. Pour J. Damourette et Ed. Pichon, il s’agit d’un
affonctif conditif – qui peut jouer tous les rôles phrastiques, notamment « adjectiveux »
–, c’est-à-dire un adverbe se conditionnant par l’architecture de la construction,
comme quasiment, approximativement… Ils confèrent à [comme X] postposé à un verbe
attributif le nom de « tour quasiceptif », en précisant que « le chaînon exprime
seulement une chose qui n’est pas tout à fait la même que son noyau ; [que la] matière
sémantique du noyau n’est pas mise en relations avec les autres termes de la phrase
d’une façon entière ; [qu’]elle n’est engagée que comme une sorte de fantôme, sous une
sorte de déguisement […] » (1971 : 388-390)7.
19 Quoi qu’il en soit, contrairement à ses autres emplois comme introducteurs d’AQ, dans
lesquels il possédait une valeur sémantique s’approchant de ‘en qualité de…’, ‘en
homme/femme/personne (qui est)…’, com(e), dans la structure [V att ← com(e)→ AQ], en
arrive à signifier ‘presque’ :
Christine de Pizan, Debat de deux amans, 296

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[…] et je qui l’aperçoy


Le regarday, mais, s’oncques nul bien soy,
Me fu avis
A son regart et au semblant du vis
Qu’il aperceut que tout son maintien vis,
Et come la estoit si com ravis8,
Si lui greva
Que veü l’os.
Tout en conservant une part minime de sa valeur analogique, com(e) a pour fonction de
contraindre et bloquer le rapport d’équivalence qu’instaure la qualité « attributive » du
verbe et, sans négativer l’AQ, d’en désaturer les indices lexicaux, d’en désactiver parfois
certains traits sémiques :

Com(e) est ici l’indice permettant de mettre en lumière que le dire est en décalage par
rapport au dit. Ainsi, dans l’exemple suivant :
Alain Chartier, Livre de l’Espérance, [43]
Et je qui estoye aprés tant d’enhan demouré comme esperdu et esvanouy ne povoye ses
parolles imprimer en ma pensee, ne les recueillir par bon semblant. 9
L’incidence bilatérale de com(e) de demorer à qui et d’ esperdu et esvanoui à demorer
permet au locuteur de relativiser son dire tout en le disant. L’intervalle psychique est
comblé par com(e) qui traduit l’intentionnalité du locuteur. En effet, bien qu’il affirme
avoir présenté tous les symptômes permettant à autrui de conclure effectivement à son
désespoir et sa défaillance, il en amoindrit la véracité en usant de com(e) ; de sorte qu’a
posteriori la détresse devient une tristesse (plus ou moins marquée) et le mal-être une
incommodité (plus ou moins forte). Com(e) ne sert pas à contester la sincérité du je,
mais à mettre en avant l’objectivité du point de vue de l’énonciateur. Dans la mesure où
com(e) joue ici le rôle d’un modulateur de véracité, il apparaît soudé autant à son
contexte-droit qu’à son contexte-gauche. Dans ses emplois avec un verbe attributif
suivi d’un AQ, com(e) est bien un opérateur de polysémie reliant non des mots, mais des
représentations
(P. Cadiot, 1997 : 25). Il médiatise tout en déterminant l’inférence interprétative. Et en
ce sens, il revêt bien certaines caractéristiques d’une préposition.
20 Mais il est ici, plus qu’ailleurs, un indice de pesée critique. C’est ce trait de subjectivité
(v. Chr. Marchello-Nizia, 2006 : 73-74) – présent dans toutes les relations Verbe-AQ et
accentué avec les verbes attributifs –, qui va faire s’incliner la valeur de come vers une
valeur particulièrement subduite et abstraite. Le degré de subduction est si ésotérique
d’ailleurs que com(e) en arrive à pouvoir alterner avec Ø. Il n’y a pas équivalence
énonciative bien sûr, mais ceci confirme néanmoins sa remontée morphogénétique
tardive sur l’axe de l’idéogénèse10.
21 Le trait caractéristique d’une plus grande soudure de com(e) à son contexte-droit amène
à s’interroger sur le statut même de la structure [←com(e)→ AQ]. Par sa nature

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caractérisante, l’AQ a pour fonction de restreindre l’extension, c’est-à-dire d’accroître


la compréhension. Cette restriction peut se faire par extraction d’un indice
(prototypique), dans le cas d’une valeur autarcique (caractérisation par essence) ou par
sélection d’un champ spécifique, dans le cas d’une valeur accidentelle (caractérisation
par nécessité).

3. Incidence interne et caractérisation autarcique

22 Le syntagme [←com(e)→ AQ] porte le plus souvent sur le N 0 animé humain11, c’est-à-dire
sur l’incidence interne du substantif (présent ou sous-entendu) ou du pronom (N 0)r. En
somme, [←com(e)→ AQ] caractérise N 0 et s’insère ainsi dans une structure du genre
20 Ω]. Dans cette hypothèse, lorsque N ou (N ) est présent, [←
[[[N0 [←com(e)→ AQ 0]] V0 F0 r
0 0
com(e)→ AQ] apparaît juste à proximité du sujet 12 et est le plus souvent placé entre
virgules dans les éditions :
Adenet le Roi, Berte aus grans piés, 2659
Ou qu’il voit la pucele, vers li vint belement,
Et quant Berte le voit, molt grant paour l’en prent ;
Et li rois la salue molt tres courtoisement,
Et Berteconme sage au roi son salu rent.
« Bele, » ce dist Pepins, « n’aiez esfreement !
Je sui des gens le roy ou douce France apent,
J’ai ma route perdue, […] »
Guillaume de Machaut, Livre du Voir-dit, 620
Et quant elle vit mon message,
Elle, com bonne, aperte, et sage,
Moult longuement ne musa mie,
Ainsois fist comme bonne amie ; […]
Le corpus a permis de relever que [←com(e)→ AQ], incident à l’incidence interne de N 0,
pouvait s’inscrire aussi bien dans une structure avec un verbe transitif ([N 0 [←com(e)→
AQ0] Vtr0 N1]) :
Christine de Pizan, Livre des Trois Vertus, I : 106
Adonc, quoy que son cuer en soit doulent merveilleusement, elle comme sage avisera
le meilleur parti […]
que dans une structure avec un verbe intransitif ([N0 [←com(e)→ AQ0] (Vaux + Vn)in0]) :
Adenet le Roi, Enfances Ogier, 2342
Lors prent congié Carahués com senés.
23 Marque d’une pesée critique du locuteur, le syntagme a pour fonction de détacher
discursivement un trait inhérent par essence au sujet caractérisé ; apparentant dès lors
l’AQ à un caractérisant « autarcique » ou « tautologique » :
Gerbert de Montreuil, Continuation de Perceval, 2490
Aprés mengier Perchevaus s’arme,
Puis monte, si a congié pris.
Li prestrescome bien apris
Le comande a Dieu, si le saigne, […]
Dans cet exemple, come bien apris (‘en homme bien instruit’) traduit une qualité
intrinsèque à un homme d’église, puisque celui-ci recommande le chevalier à la
protection divine (comander a Dieu) et le bénit (seignier) ; actions qui sont constitutives
de son état social et de sa fonction. La présence de ce syntagme ne fait rien d’autre que
de souligner incidemment un trait qui appartient – ou est censé appartenir – de fait à
tout prêtre. Si (bien) apris caractérise effectivement prestre(s), il n’en restreint pas pour

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autant son extension ni n’en accroît sa compréhension : en cela, on peut dire que le
syntagme [←com(e)→ AQ0] véhicule ici une caractérisation « autarcique ».
L’occurrence suivante présente une caractéristique similaire. Dans le Saintré, Jehan
revêt au moins sept traits qualitatifs le caractérisant à plusieurs reprises : courtois, doux,
gracieux, humble, jeune, sage et volontaire. En fonction de l’intention critique, le locuteur
opère un choix au sein de l’ensemble de ces « invariants » définissant le héros :
Antoine de La Sale, Jehan de Saintré, I : 21
« [Je] vous donrroye a compaignon mon propre nepveu, qui est de vostre aaige et
chevalier comme je suis ; et je de ce vous en voulroye bien prier. » Saintré, comme
tres saiges et courtoiz, de soy meismes fist sa responce et dist : « Mon seigneur
messire
Enguerran, il a pleu a Dieu et a ma bonne fortune que mon emprinse […] »
Ici, ce sont les qualités d’extrême perspicacité et de courtoisie qui, incidentes à
l’incidence interne de Saintré, sont sélectionnées pour être mises en saillance. Mais
pour autant, comme tres saiges et courtoiz n’apporte pas de variable nouvelle, inattendue
ou imprévisible, pour qualifier le personnage.
24 Enfin, certains indices textuels permettent de valider l’analyse tautologique. Dans
l’exemple suivant, l’emploi répétitif antéposé de vaillant est un marqueur de la valeur
autarcique de comme preux et sage. En effet, vaillant peut être considéré, dans cette
situation, comme revêtant une valeur hyponymique de [←com(e)→ AQ] :
Christine de Pizan, Livre de la mutacion de Fortune,
III, 7 : 5440
Que doit on dire du vaillant
Seigneur Du Chastel, qui vaillant,
Et corps, et pouoir, et lignage
N’espargne, comme preux et sage,
A dalmagier noz ennemis ?
25 Dans tous ces cas, [←com(e)→ AQ] est toujours en coalescence avec le N0 qu’il
caractérise ; de sorte qu’il doit être considéré comme une « sous-structure » de celui-ci ;
soit : [[N0/(N0)r [←com(e)→ AQ 0]SN] [V0 (N 1)]]. À partir de là, on peut en conclure qu’il
revêt une fonction d’apposition dans la structure prototypique : [[N 0 [←com(e)→ AQ 0]]
V0 Ω].

4. Incidence externe et caractérisation accidentelle

26 Le syntagme [←com(e)→ AQ] peut aussi porter sur l’incidence externe du verbe au
substantif sujet. Discursivement, il apparaît plus généralement après le verbe ; que ce
verbe soit intransitif ([N0 Vin0 [←com(e)→ AQ0]]) :
Chanson d’Antioche, 9399
Et li rois cevalça com coureços et fier,
Toute nuit va pensant sor le col del destrier.
ou transitif ([N0 Vtr0 N1 [←com(e)→ AQ0]]) :
Roman de Renart, Br. III, 4949
Tibert ne fu pas petit liez.
L’endoille prent com afaistiez,
l’un des chiés en met en sa bouche,
puis la balence, si l’atoiche
desor son dous conme senez ;
puis s’en est vers Renart tornez ; […]

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Par ailleurs, le syntagme [←com(e)→ AQ] peut être incident à l’incidence externe du
syntagme verbal au substantif sujet. Discursivement, il apparaît très souvent alors à la
suite du verbe transitif (direct ou indirect) et de son ou ses compléments ; soit : [N 0 [[V0
N1]sv [←com(e)→ AQ sv]]]. Ainsi dans l’exemple suivant, comme bonne et vaillant et sage (‘en
femme de bien, valeureuse et avisée’), porte sur l’incidence de voloir garder son pucellage
(‘vouloir garder sa virginité’) au sujet sous-entendu el du vers précédent :
Guillaume de Machaut, Livre du Voir-dit, 321
[…] Ama Pallas si ardamment
Qu’il la requist de puterie ;
Mais el ne s’i accorda mie.
Ains volt garder son pucellage
Comme bonne et vaillant et sage.
Vulcans long temps la poursui,
Et elle tousjours le fui […]
27 En situation d’incidence externe à une incidence externe, le syntagme a pour fonction
de mettre en avant discursivement un trait exceptionnel, propre à la situation et à elle
seule. Il apporte une variable nouvelle et contextuellement impondérable ; apparentant
dès lors l’AQ à un caractérisant « accidentel »13 :
Antoine de La Sale, Jehan de Saintré, 72 : 127, 29
Et quant messire Enguerrant se vist sans hache, comme desesperé tout a cop s’avança
et vient Saintré par le corps lyer, et Saintré lui, d’un bras, car de l’autre sa haiche
tenoit.
Ainsi, dans cet exemple, comme desesperé traduit certes une conséquence logique liée au
coup porté par Saintré, ayant endolori sa main avec le tranchant de sa hache, mais ce
syntagme a surtout pour objet de souligner un trait qui est propre à la situation dans
laquelle se trouve l’adversaire de Saintré, et non sa qualité, car Messire Enguerrant […]
tres vaillant chevalier estoit, fort et puissant, et plus grant de personne que Saintré n’estoit.
(126 : 31) C’est bien la situation présente du combat entre les deux champions et la
vaillance du héros qui fait qu’Enguerrant se trouve agir en homme désespéré. Comme
desesperé caractérise le rapport existant et momentané entre Enguerrant et s’avancer. Il
en accroît donc la compréhension. (Par ailleurs, la conséquence directe sera
l’attribution par le roi du prix de la victoire à Saintré.) En cela, on peut dire que ce
syntagme [←com(e)→ AQ0] véhicule bien ici une caractérisation « accidentelle ».
28 Il reste que [←com(e)→ AQ] est toujours, dans ces emplois, en dialescence avec le N0, ou
plus exceptionnellement le N1, qu’il caractérise ; de sorte qu’il doit être considéré
comme une « sous-structure » du verbe ; soit : [N0/(N0)r [V0 (N1) [←com(e)→ AQ 0]]SV] ou,
plus rarement, [N0/(N0)r [V0 [N1 [←com(e)→ AQ 1]]]SV]. À partir de là, on peut en conclure
qu’il revêt une fonction d’attribution dans les structures prototypiques : [[N 0 V 0 [←
com(e)→ AQ0]] Ω] ou [N0 V0 [N1 [←com(e)→ AQ1]] F0
20 Ω].

5. Désambiguïsation

29 Dans la mesure où des contraintes de rythmes et de rimes peuvent entraîner


l’antéposition de [←com(e)→ AQ], la nécessité d’inscrire l’analyse dans le contexte est
primordiale. Ainsi, une occurrence comme la suivante permet de mesurer la différence
qui caractérise la valeur autarcique ou accidentelle de [←com(e)→ AQ] :
Chrétien de Troyes, Chevalier de la charrete, 2368
Quant il vindrent a val les prez,
come sages et atremprez

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li filz au vavasor parla :


« Sire, […] »
Dans cette structure [[QTps] [←com(e)→ AQ] [N 0 → N 1 V 0]], la différence dépend de
l’incidence de [←com(e)→ AQ]. Si l’incidence de [←com(e)→ AQ] porte sur l’incidence
interne de N0, sa valeur est autarcique, et cela correspond alors à une qualité appliquée
intrinsèquement. La structure est syntaxiquement analysable en [[N 0 [←com(e)→ AQ]]
V0 → N 1]. L’ensemble pourrait se traduire ainsi : le fils, en homme sage et maître de lui,
parla au vavasseur : « Seigneur, … » et est glosable par « puisque c’est sa nature d’être sage et
maître de lui », « puisque la sagesse et le contrôle de soi sont des qualités inhérentes,
constitutives, caractéristiques et définitoires du personnage (pour le locuteur, le narrateur, les
autres personnages…) » Enfin, l’antéposition – en français contemporain – est un trait
confirmant la fonction d’épithète détachée de [←com(e)→ AQ]. Mais si l’incidence de [←
com(e)→ AQ] porte sur l’incidence de V 0 à N 0, sa valeur est accidentelle, et cela
correspond alors à une qualité attribuée extrinsèquement, discursivement ou
temporairement. La structure est alors syntaxiquement analysable en [N 0 [V 0 [←com(e)
→ AQ]] → N 1]. L’ensemble pourrait se traduire ainsi : le fils parla en homme sage et maître
de soi au vavasseur : « Seigneur, … » et est glosable par : « le contenu de la prise de parole
témoigne de la sagesse et de la maîtrise de soi du personnage », « les paroles que le personnage
énonce sont empreintes de sagesse et de maîtrise de soi (pour le locuteur, le narrateur, les autres
personnages…) » Enfin, l’antéposition – si elle tout à fait possible en AF – ne l’est plus en
français contemporain. Or, étant donné que le fils du vavasseur dont il est question
dans le texte est un chevalier (vv. 2245, 2259), c’est l’incidence de [←com(e)→ AQ] à
l’incidence interne de N0 et la valeur autarcique qui doivent être privilégiées.

6. Verbes « attributifs » et tour quasiceptif

30 La structure avec com(e) suivi d’un caractérisant postposée à un verbe attributif


constitue un cas particulier.
31 Le corpus a permis de relever 31 occurrences de verbes « attributifs » associés à [←
com(e)→ AQ] : estre (19 occ.), demorer (7 occ.), devenir (4 occ.) et tenir (1 occ.). Si la
répartition diachronique de ces verbes est relativement homogène, une très grande
majorité d’entre eux (20 occ.) revêt le trait négatif :
Passion d’Autun : Passion de Biard, [182] 302
Or parle JUDAS es Juifz.
Seigneurs, entendés ma paroles
Et ne la tenés pas comme foules :
Quar nostre loy moult fort s’en va en abaissant,
De jour en jour enn ampirant.
C’est surtout l’expression dépréciative du jugement et du sentiment qui transparaît
avec des caractérisants comme esperdu (Mistére du Vieil Testament, V-XXXIX : 37022),
desconforté (‘désolé’), forsené (Guillaume de Digulleville, Pélerinage Jhesucrist, 4085 et
7824) ou enchanté (‘ensorcelé’) :
Douin de Lavesne, Trubert, 2916
Quant trestout li a raconté
de chief en chief la verité,
la pucele mout se merveille :
« Deus, fet elle, car me conseille !
Ausi sui com toute enchantee. »
Et Trubert l’a reconfortee :
« Damoisele, n’aiez esmai.

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164

Faites ce que je vos dirai


si seroiz mout bien conseillie. […] »
Dans cet exemple, la présence du syntagme com toute enchantee souligne explicitement
un trait qui appartient de fait, selon l’énonciateur, au locuteur. La jeune fille ne dit rien
d’autre que ce qu’elle ressent dans l’instant de l’énonciation : désorientée par la
connaissance de la vérité, au point de risquer d’en perdre la tête, elle vit et éprouve
tous les symptômes de l’affolement, tout en affirmant à Trubert, vu la dangerosité
d’une telle assertion, qu’il n’en est rien à l’accoutumée. Dès lors, (toute) enchantee, à la
valeur sémantique amoindrie, caractérise le je (sous-entendu), mais intrinsèquement
l’extension de celui-ci n’en est pas restreinte ni sa compréhension accrue.
32 En cela, la structure [←com(e)→ AQ 0], quand elle est conjointe à un verbe attributif,
véhicule une caractérisation « autarcique » et il est possible de la considérer comme
quasiceptive (v. J. Damourette & Ed. Pichon, 1971 : 388-390). Le rapport d’équivalence
(la similitude) entre N0 et AQ0, établi par la copule dans le seul instant de l’énonciation,
est destiné à être simulé, dénoncé, voire renié, et à être reçu comme tel par
l’allocutaire. C’est pour cette raison que [←com(e)→ AQ 0] est susceptible d’équivaloir à
« N0 être, mais pas tout à fait/mais presque, AQ0 ».
33 Dans les cas où [←com(e)→ AQ] est associé à un verbe attributif, il est toujours en
coalescence avec celui-ci ; soit : [N 0/(N0)r [Vatt [←com(e)→ AQ 0]]SV] ou, plus rarement, [N0/
(N0)r [Vatt [N1 [←com(e)→ AQ 1]]]SV]. À partir de là, on peut en conclure que ce syntagme
revêt une fonction d’attribut dans les structures prototypiques : [[N 0 V att [←com(e)→
AQ0]] Ω] ou [N0 V att [N 1 [← com(e)→ AQ 1]] F0 20 Ω]. Cependant, l’usure de l’implicite,

l’alternance potentielle avec Ø et le principe d’endosmose diachronique (v. Th.


Ponchon, 1998) vont entraîner le figement et la disparition de la création par
adjonction adjectivale de [Vatt ←com(e)→ AQ] à l’extrême fin du MF.

IV. Conclusion : com(e) « prépositionnel »


34 Cette étude confirme le fait que la structure [←com(e)→ AQ] parcourt tout le français
médiéval, même si elle tend progressivement à disparaître dès le second tiers du XV e
siècle. Elle a permis de révéler la complexité de l’analyse de ce syntagme et de sa portée
caractérisante, ainsi que l’importance du rôle de l’incidence, jusqu’à délimiter des liens
entre incidence interne et caractérisation autarcique, incidence externe et
caractérisation accidentelle et incidence externe et caractérisation autarcique avec les
verbes attributifs.
35 Les emplois de com(e) préposé à un AQ situent ainsi sa saisie morphogénétique entre
celle d’adverbe en locution comparative et celle de conjonction temporelle/ causale. Sa
valeur est si abstraite qu’il en vient à atteindre le statut de préposition et à se présenter
comme venant combler un diastème. Toutefois, au sein de cette saisie
« prépositionnelle », l’étude a tenté de mettre en lumière l’existence distincte de deux
sous-saisies ; celle pour laquelle com(e), suivi d’un verbe attributif, acquiert un sens
approchant de presque et celle pour laquelle, suivi d’un verbe non attributif, il possède
le sens d’en qualité de. La tendance diachronique montre qu’il y a progressivement
disparition de la seconde sous-valeur (C4b) et maintien résiduel et figé de la première
(C4a) ; ce qui conforterait le fait qu’historiquement, pour le micro-système de comme,

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165

s’est bien opéré, dès le début du MF, un mouvement en endosmose (Th. Ponchon, 1994 :
360-361 ; 1998 : 343-346).
36 Suivi d’un AQ, le morphème polysémique com(e) semble s’inscrire ainsi dans le schéma
constructeur général :

37 Pour poursuivre et affiner encore, il conviendra d’aborder précisément les champs


lexicaux privilégiés des caractérisants introduits par com(e), ainsi que les catégories de
tous les verbes introducteurs, et d’analyser d’autres cas pour lesquels la saisie semble
approchante : ceux de com(e) introduisant un antécédent générique d’une relative
déterminative (Ph. Ménard, 1976 : 224), de com(e) « énumératif » (au sens de ‘c’est-à-
dire’) ou de com(e) associé à ne… rien… (R. Martin & M. Wilmet, 1980 : 29).
38 Cette étude d’une structure très particulière et propre au français médiéval dans bien
des aspects met en lumière la difficulté à saisir l’intégralité de com(e), à travers la
richesse foisonnante de ses emplois et de ses valeurs, et montre combien son évolution
historique est complexe, mais passionnante.

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NOTES
1. La présente analyse s’appuie sur la base de données électronique Honoré Champion (BÉHC).
Nous y renvoyons donc pour les références bibliographiques des œuvres médiévales servant de
support. Néanmoins, n’ont été retenues que l’édition la plus récente et la variante éventuelle du
manuscrit considérée comme la plus stable et la plus sûre. De plus, l’étude se limite aux œuvres
allant du début de l’ancien français jusqu’au début du XVI e siècle ; dans la mesure où cette
période marque (même fictivement) la limite généralement admise de l’époque littéraire
médiévale. Le corpus ainsi délimité a permis de retenir 19 582 occurrences de com(e), parmi
lesquelles 607 présentent un emploi avec caractérisant adjectival. Même s’il convient de
relativiser les conclusions, notamment parce que le corpus BÉHC est composé de textes relevant
quasi exclusivement des domaines romanesque, poétique et théâtral ; on peut néanmoins

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considérer que l’ensemble présente une image relativement certaine : l’intérêt dans l’analyse
lexicale n’étant pas tant dans les pourcentages que dans les écarts réduits. Pour les principes de
l’analyse statistique lexicale, voir Ch. Muller (1977) et Th. Ponchon (1994 : 9-10) : tout écart réduit
(éc.r.) en deçà de -2 et au-delà de +2 est considéré comme significatif.
2. Sur la notion d’incidence et son statut, v. notamment G. Guillaume ([1944] 1991 : 82 ; [1956]
1982 : 141), R. Valin (1987), H. Constantin de Chanay (2001 : 277-294) et K. Ilinski (2003 : 34-90).
3. Cf. Cl. Buridant (2000), où [←com(e)→ AQ] ne semble pas avoir donné lieu à commentaire.
4. Cette conception est reprise et analysée par T. Verjans (2009) sous le terme d’espaces catégoriels.
5. Ce qui n’est à l’évidence pas le cas, lorsque se présente un substantif à détermination Ø
précédé de com(e), alors conjonction comparative.
6. Cf. V. Brøndal (1950 : 13), pour qui la préposition est « le moyen le plus simple dont la langue
dispose pour exprimer la relation » ; définition qui n’est pas sans rappeler celle de Dumarsais,
reprise par Girault-Duvivier et Ch. Laroche (1882 : 5).
7. Par ailleurs, ils mettent en avant la parenté entre [←com(e)→ AQ] et la négation rectrictive ne…
que… (qu’ils nomment « tour uniceptif »).
8. Ravi := ‘émerveillé, charmé, sous le charme’.
9. ‘Et moi qui, après tant de souffrances, étais resté (comme/presque) désespéré et pris de
défaillance, je ne pouvais pas graver ses paroles dans mon esprit, ni les recevoir de bonne
manière.’
10. Cette remontée est même confirmée par la présence fréquente dans le corpus (35 % des occ.)
de tout – incident à l’incidence externe de l’AQ (cf. Guillaume de Machaut, Livre du Voir-dit, 160 et
Guillaume de Machaut, Dit dou Lyon, 776).
11. Hormis certaines occurrences dans le Roman de Renart, où logiquement le N 0 est un animé
animal, rares sont les cas où le sujet n’est pas un animé humain (cf. Mistére du Vieil Testament,
690).
12. Généralement placé après, il existe antéposé au sujet (v. Mystère de la Résurrection, I-1 : 4020).
13. Il existe toutefois de rares cas où il est possible de considérer que l’incidence accidentelle
porte exclusivement sur le substantif. C’est le cas dans les didascalies :
Première Continuation de Perceval, ms. T, [6220]
L'ENCHANTERES come dolans
De tost fuïr n'est mie lans,
Mais ainc puis ne cesse ne fine
Des qu'il pot veoir la roïne […]

RÉSUMÉS
Dans la perspective d’appréhender l’entier du microsystème comme, le présent article s’efforce
d’étudier les emplois spécifiques de com(e) suivi d’un adjectif qualificatif en français médiéval.
L’analyse proposée des caractéristiques de ce syntagme complexe s’appuie sur l’idée de
l’existence d’une double incidence de com(e) et sur le lien étroit qui existe entre l’incidence
interne et externe et le concept de caractérisation autarcique et accidentelle. Elle aboutit ainsi à
mieux définir une des valeurs subduites de ce morphème.

This paper attempts to explore the specific uses of com(e) followed by an adjective in medieval
French with the aim of understanding the entire microsystem of “comme”. The proposed

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analysis of the com(e) ADJ complex syntagm relies on the hypothesis of a dual incidence of
com(e). We assume these internal and external incidences are tightly related and we put forward
the concept of autarkical and accidental characterization in order to explain the dematerialized
values of this morpheme.

AUTEUR
THIERRY PONCHON
Université de Reims & EA 4089 CNRS

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Un adverbe disparu : cumfaitement*


Thomas Verjans

On doit (…) étudier les erreurs et les échecs avec


autant de soin que les réussites. (A. Koyré [1966]
1973 : 14)

Introduction
1 Alors que se multiplient les études consacrées au mot comme et à quelques-uns des
microsystèmes dans lesquels il apparaît, il faut bien admettre qu’au sein de ces
derniers, cumfaitement (généralement traduit par « comment, de quelle manière ») fait
figure de parent pauvre1. Les études les plus récentes, portant sur tout ou partie de ces
microsystèmes dans une optique diachronique (Ponchon 1998, Wielemans 2005) n’en
font aucune mention, et les grammaires usuelles de l’ancien français ne sont guère plus
prolixes2. Seuls quelques dictionnaires en font écho, notamment le Godefroy, qui
propose, en outre, plusieurs exemples.
2 Pourtant, l’étude de ce terme relève d’un triple intérêt. Elle permettra d’abord de le
caractériser aussi précisément que possible, tant sur un plan morpho-syntaxique que
sémantique. Nous verrons cependant qu’une caractérisation précise entraîne
nécessairement une mise en relation avec l’adverbe comment, ainsi que, dans une
moindre mesure, avec comme. Dès l’origine, en effet, un phénomène de concurrence
très net s’observe entre ces termes qui partagent nombre de leurs emplois, donnant
ainsi prise à l’étude d’une véritable évolution (micro)systématique. Or, celle-ci s’est
soldée par la disparition, au cours du moyen français, de cumfaitement. C’est donc à ce
dernier phénomène que nous nous intéresserons finalement, espérant contribuer par
ce biais à éclairer quelque peu la nature des phénomènes de disparition.

I. Cumfaitement ou deux siècles d’histoire


3 Dans ce premier point, il ne s’agira que d’appréhender de façon relativement
descriptive l’histoire de ce terme. Aussi en décrirons-nous très brièvement les grandes

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étapes avant d’en préciser la composition morphologique et les diverses valeurs


syntaxiques qu’il a pu assumer.

1. Corpus et bornage de l’emploi

4 Le corpus d’occurrences à partir duquel nous proposons l’étude de ce terme puise à de


multiples sources : d’une part, les bases de données informatisées (BFM ; BHC ; DMF),
d’autre part, les dictionnaires d’ancien français (Godefroy, Tobler-Lommatzsch) et enfin
les dépouillements complémentaires issus de nos propres lectures 3. Nous aboutissons
alors, tout type d’emplois confondus, à 113 occurrences que synthétise la répartition
suivante4 :
XIIe s. : 74 occurrences / 24 textes
XIIIe s. : 34 occurrences / 18 textes
XIVe – XVe s. : 5 occurrences / 5 textes
Ces chiffres, pour succincts qu’ils puissent être, donnent déjà un aperçu de l’évolution
générale de l’emploi de cet adverbe ainsi que de son obsolescence progressive au cours
du XIVe siècle. Cela transparaît notamment dans le rapport du nombre d’occurrences au
nombre de textes, quasiment réduit de moitié dans la mesure où il passe d’une
moyenne de 3 occurrences par texte à une moyenne de 1,8 puis de 1.
5 On peut affiner encore un peu l’interprétation de ces résultats en prenant en compte
non seulement la dimension dialectale, mais également la dimension générique des
textes présentant ces occurrences. Néanmoins, dans la mesure où les attestations vont
demeurer relativement sporadiques tout au long de cette période, il ne peut s’agir que
de tendances générales et non de faits véritablement spécifiques. Ainsi, on peut noter
que l’adverbe cumfaitement apparaît, au XIIe siècle, de façon plus privilégiée d’abord
dans la zone anglo-normande, puis s’étend, et, finalement, se limite, à la zone picarde
au cours du siècle suivant. De même, on remarquera, à titre tendanciel, une certaine
prédilection pour la chanson de geste et le roman, mais sans pour autant exclure les
diverses formes de la poésie non plus que les chroniques.
6 Il reste que le terme cumfaitement a connu une existence relativement brève dans
l’histoire de la langue française, apparaissant dans la Chanson de Roland, et ne dépassant
pas le moyen français, où les attestations de ce terme ne sont plus que tout à fait
sporadiques et limitées à une occurrence par œuvre.

2. Composition morphologique

7 Sur un plan strictement morphologique, quelques remarques nous semblent appelées


par ce terme. Tout d’abord, et cela n’a rien de surprenant, diverses variantes
graphiques peuvent se rencontrer, lesquelles tiennent en fait essentiellement aux
variantes connues de com (cum, con, etc.). De même apparaît aussi la forme fetement 5.
Plus intéressante est la question de sa composition, non pas tant envisagée pour elle-
même, mais dans la mesure où avec elle est déjà introduite la concurrence entre
cumfaitement et com(m)ent. Il est en effet significatif que deux adverbes soient créés,
sans doute à la même époque, en illustrant chacun deux processus de formation visant
à
un même résultat : remotiver le sens /manière/ initialement attaché à com(e), et, en

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toute vraisemblance, ressenti comme déjà atténué. Nous rejoignons donc Cl. Olivier,
selon qui
le morphème quomodo, à l’origine spécialisé dans l’interrogation sur la manière, en
est venu progressivement à assurer, seul ou en composition, de nombreux emplois
(…) de que, comme et comment du français moderne. Cette polyvalence est sans doute
à mettre en relation avec le sémantisme de base QU- qui tend à neutraliser les
spécifications apportées par les compositions et les figements. En ancien et moyen
français com/cum et come (< quomodo et) recouvrent de façon assez indistincte tous
les emplois (entre autres) des anciennes formes quomodo/quomodo et. Cette situation
a provoqué l’apparition de formations telles que : comment, comfaitement,
comfaitierement, combien, pour éviter les confusions. [Olivier 1985 : 73]
8 Mais si le processus de formation de comment ne fait pas problème, deux hypothèses
sont en revanche possibles pour celui de cumfaitement, toutes deux partiellement
justifiables par le paradigme morphologique plus large auquel il appartient : soit il
s’agit d’une suffixation adverbiale en -ment (cumfaite + ment), soit d’une forme relevant
de la réanalyse (cum + faitement).
9 Dans le premier cas, l’existence de confait(e) – généralement tenu pour un déterminant
interrogatif, traduit par « quel(le) » – peut laisser penser qu’il s’agit d’une
adverbialisation classique réalisée au moyen du suffixe –ment. En outre, l’existence,
quoique très rare, d’occurrences dans lesquelles la forme confait(e) apparaît non soudée
aurait tendance à offrir un argument supplémentaire en faveur de cette interprétation.
Ainsi, à titre d’exemple :
(1) Orson, v. 924 : Qui estez, de quel tere, et de con fait païs ? (lit. : Qui êtes-vous, de
quelle terre, de quel pays venez-vous ?)
Peut-être plus intéressante encore, l’occurrence (2) dans laquelle le déterminant, non
soudé (con fate), détermine le substantif manière :
(2) Orson, v. 49 : Or escoutés d’Ugon … Par con fate meniere a vers Orson erré. (lit. :
Écoutez maintenant, au sujet de Hugon,… de quelle manière il est allé vers Orson.)
Enfin, un dernier argument peut être avancé pour cette hypothèse. Dans la plupart des
variantes, l’adverbe cumfaitement laisse place au groupe de quel(l)e maniere 6, ce qui
pourrait laisser penser que la base (con fate) était sentie comme davantage liée au
déterminant. Ainsi, ce serait par l’adjonction du suffixe -ment au déterminant féminin
confaite qu’aurait été créé, selon cette première hypothèse, l’adverbe cumfaitement 7.
10 Au demeurant, tant en raison du processus de dérivation adverbiale, qui concerne
essentiellement les formes adjectivales, qu’au regard de l’empirie médiévale, ce n’est
pas là l’unique hypothèse qui puisse être soutenue. En effet, l’autre procédé de
formation consiste à poser une soudure entre cum d’une part, et faitement d’autre part.
Cette hypothèse est rendue plausible par un faisceau de facteurs contrastant par la
fréquence de leurs attestations avec l’extrême rareté des cas précédents. En premier
lieu, l’existence d’une forme adverbiale autonome faitement, apte à l’expression d’une
identité de manière et le plus souvent, d’après nos relevés, précédée de si, ensi, ou issi,
l’ensemble fonctionnant éventuellement comme terme initial d’une corrélation avec
com ou que, conforte cette éventualité. En outre, l’existence de nombreuses attestations
– notamment dans les premiers textes – dans lesquelles la soudure graphique n’est pas
réalisée, entraînant une alternance graphique entre des formes liées (cumfaitement) et
des formes non liées (cum faitement), y compris au sein d’un même texte, renforce
encore l’idée d’une composition fondée sur la coalescence des deux adverbes. Enfin,
l’existence de formes susceptibles de relever d’un modèle de composition similaire, et
notamment sifaitement8, achève de donner corps à cette hypothèse. On peut donc

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penser que le processus compositionnel à l’origine de ce terme est de l’ordre d’une


réanalyse, au sens le plus traditionnel que reçoit ce terme, c’est-à-dire
a mechanism which changes the underlying structure of a syntactic pattern and
which does not involve any immediate or intrinsic modification of its surface
manifestation. [Harris & Campbell 1995 : 61]
Selon ce principe, l’adverbe faitement aurait été d’abord incident 9 à cum, placé là dans le
but d’expliciter la valeur de manière possiblement sentie comme atténuée (atténuation
justifiant par ailleurs de la création contemporaine de comment) 10. S’ensuit alors une
réanalyse associant les deux termes en un seul groupe locutionnel, association
progressivement manifestée par les cas de soudure graphique.
11 Quoi qu’il en soit, l’état de la documentation nous interdit de trancher de façon
définitive entre ces deux hypothèses et il importe à présent d’examiner plus en détail
les différentes valeurs d’emplois assumées par ce terme.

3. Valeurs d’emplois

12 Au cours de cette brève période d’existence, les valeurs syntaxiques assumées par
cumfaitement se sont inscrites au sein d’un faisceau d’emplois relativement étroit, ces
emplois étant intrinsèquement liés à la valeur d’adverbe interrogatif de manière. Plus
généralement, on peut distinguer trois rubriques selon que cumfaitement se situe dans
une interrogation directe, selon qu’il introduit une proposition percontative 11 ou qu’il
se présente dans des occurrences pour lesquelles on pourra parler d’emplois
« étendus ».
13 Comme en attestent les deux premières occurrences, empruntées à la Chanson de Roland,
cet adverbe apparaît tout d’abord en emploi d’adverbe interrogatif introduisant une
interrogation directe partielle et interrogeant sur la manière de faire. Toutes
proportions gardées, il semble donc que l’on puisse tenir cet emploi pour premier. La
dizaine d’occurrences que comporte notre corpus permet de penser à une relative
continuité de cet emploi, à tout le moins au long du XIIe siècle, ainsi qu’en témoignent,
de façon quelque peu sporadique, les exemples suivants, respectivement de la fin du XIe
siècle (1080), du milieu du XIIe siècle (1140) et du début du XIIIe siècle (1205-1210) :
(3) Roland, v. 581 : Cumfaitement purrai Rolant ocire ? (lit. : Comment pourrai-je
tuer Roland ? ; voir également v. 1699)
(4) Guill1 , v. 2507 : Quant ad mangé, sil prist a raisuner : « Sire Willame, cum
faitement errez ? (…) » (lit. : Quand il a mangé, il se prend à exprimer sa pensée :
Seigneur William, comment allez-vous ? ; voir également v. 3505)
(5) 1 ereContPercL, vol. III, p. 158 : Et li rois dist tot sospirant : « Biaus ciers amis,
conselliés moi, Si con tu dois en loial foi, De la roïne qu’en ferai ? Confaitement
m’en vengerai ? » (lit. : Et le roi dit en soupirant : Très cher ami, donne-moi conseil
ainsi que tu dois le faire par loyauté. Que dois-je faire au sujet de la Reine ? De
quelle façon m’en vengerai-je ?)
On remarquera également que dans cet emploi, cumfaitement ne connaît pas de
restrictions quant à l’orientation temporelle, au sens où il s’emploie aussi bien avec des
verbes au futur qu’avec des verbes au passé. En outre, il se construit avec des verbes qui
portent le trait sémantique /action/ et qui sont non gradués (à l’instar de ce que l’on
trouve pour com(m)ent (cf. infra)), ce qui oriente précisément le sens vers « manière de
faire, d’agir » (le modus faciendi). Enfin, cumfaitement peut assumer à lui seul
l’interrogation :

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(6)Ben., D. de Norm. I, 2, v. 7512 : Li dux respont : « Cum faitement ? » (lit. : Et le Duc


répond : « Comment ? »)
Si cet emploi semble donc premier et perdure tout au long du XIIe siècle, ce ne sera
cependant pas là la valeur principale de l’adverbe cumfaitement. Très rapidement, en
effet, et sans doute par un processus de grammaticalisation autant que par analogie
avec com(m)ent, sont attestés des emplois subordonnants.
14 En effet, l’emploi le plus fréquent que connaît, toutes périodes confondues, l’adverbe
cumfaitement est celui d’un connecteur introduisant une proposition subordonnée
percontative en position d’objet. La diversité des verbes recteurs présents dans le
corpus nous invite en effet à recourir plutôt à cette dénomination qu’à celle, plus
traditionnelle, d’interrogative indirecte. D’une manière plus générale, il est possible de
dégager deux grands ensembles de verbes recteurs, selon qu’ils relèvent du domaine de
la perception (apercevoir, entendre, esmereveiller, (re)garder, mostrer, oïr, voir) ou du
domaine du propos au sens large (celer, chanter, (ra)conter, conjurer, comprendre,
(de)mander, deviser, dire, enterver, penser, savoir). On ajoutera également les verbes
commencer, comprendre et purchacer. Dans tous les cas, cumfaitement conserve son sens de
manière de faire, équivalent à « comment, de quelle manière ».
15 Les emplois comme introducteur de subordonnées percontatives sont attestés dès la
première moitié du XIIe siècle, aussi bien en Ile de France (7) que dans le domaine anglo-
normand (8), et, à la fin du siècle, dans le domaine picard (9) :
(7) Charroi, v. 989 : Huimés devons de dan Bertran chanter Com fetement il se fu
atorné. (lit. : Nous devons désormais chanter, au sujet de Dan Bertrand, de quelle
manière il s’était apprêté.)
(8) Eneas1, v.5828 : Ge voil an ceste mer saillir ou de m’espee el cors ferir ; l’un de ces
dous m’estuet il faire, car noianz est mes del repaire ; quant ne vanrai ja mes a rive,
ne sai comfaitement ge vive. (lit. : Je veux me jeter dans cette mer ou me traverser
le corps de mon épée ; il me faut faire l’un des deux, car il me serait vain de revenir ;
comme je n’atteindrai jamais la rive, je ne sais de quelle manière je pourrai vivre.)
(9) MarieT, v. 962 : Et li commence a demander Et molt sovent a enterver Des rois,
des contes de le tere Si il ont pais ou il ont guerre, Et des pastors qui le Loi tienent
Confaitement il se contienent. (lit. : Et il commence à lui demander et à l’interroger
de plus en plus souvent au sujet des rois, des contes de la terre, s’ils ont un pays ou
des guerres, et au sujet des pasteurs qui représentent la loi, de quelle façon ils se
comportent.)
On ajoutera enfin à cette série d’emplois le cas suivant, où cumfaitement, comme la
plupart des adverbes interrogatifs et comme cela était déjà le cas dans l’interrogation
directe, est susceptible de se trouver en emploi absolu (cf. Martin & Wilmet 1980 : § 36).
C’est ce qu’attestent les occurrences suivantes :
(10) Saint Gilles, v. 1304 : Tut le païs d’els dous resplent, E vus dirrai cum faitement.
(lit. : Tout le pays resplendit de leur présence et je vais vous dire comment.)
(11) Perceval , (ms Montpellier, H 249, f°89d (apud T&L)) : Mes moult en avra
hautement, Si vos dirai confaitement. (lit. : Mais il en aura beaucoup en haut lieu et
je vous dirai de quelle manière.)
Dans ce cas, en effet, la proposition que devrait introduire l’adverbe est en quelque
sorte antéposée, donnant ainsi lieu à une ellipse de l’ensemble de celle-ci, dès lors
limitée au seul terme introducteur. Il n’en conserve pas moins son sens de connecteur
percontatif portant sur la manière. Cet emploi révèle d’abord le caractère figé du
morphème, conforté dans le second exemple, un peu plus tardif, par la soudure
graphique. Mais il manifeste également un certain entérinement de l’usage de

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l’adverbe, susceptible à ce titre d’apparaître dans des emplois que l’on pourrait
qualifier d’étendus, c’est-à-dire relevant d’une extension des valeurs précédentes.
16 Tout en demeurant dans le cadre des précédents emplois, l’exemple suivant peut
cependant traduire les prémisses de cette extension. Il s’agit du titre de l’une « des
pièces en langue française » contenues dans un volume du Fonds Egerton (ms. du XIIIe
siècle) et mentionné dans la revue Le Cabinet historique :
(12) Cabinet, p. 202 : Icy finist la veniance de la mort de Notre-Seigneur. Ici comence
cum faitement la saincte croiz fut trouvée. (lit. : Ici finit la vengeance de la mort de
NS. Ici commence la façon dont la sainte croix fut trouvée.)
C’est ici le sémantisme même du verbe recteur qui induit une nuance en regard des
emplois précédents et invite à gloser l’adverbe par « la façon dont ».
17 Le premier emploi véritablement étendu que l’on peut alors mentionner constitue bien
une extension de la gamme précédente, à savoir l’emploi de connecteur percontatif.
L’occurrence suivante, en effet, selon le sens que l’on attribue au substantif conseil,
pourrait d’abord être interprétée comme une juxtaposition, d’un type fréquent à cette
époque, d’un objet nominal et d’un objet propositionnel :
(13) MarieT, v. 551 : Conseil quiert de se penitance, Confaitement ele fera Et en quel
tere s’en ira. (lit. : Elle demande conseil pour sa pénitence, comment elle la fera et
en quelle terre elle s’en ira.)12
Selon cette première analyse, l’emploi serait donc à lier aux précédents. Mais il n’est
pas non plus impossible de l’inscrire dans un type d’emplois un peu différent,
également assumé par com(m)ent, même si dans ce cas aussi il demeure relativement
rare. Il s’agit là d’un emploi relevé par R. Martin et M. Wilmet, emploi présent dès
l’ancien français et pour lequel ils parlent d’un introducteur de « complément d’un
substantif verbal » (1980 : § 36). Dans ce cas, la proposition se rapporte à un substantif
dont elle développe le contenu sémantique, le substantif étant lui-même en position
d’objet d’un verbe introducteur de subordonnée percontative. La plausibilité de cette
seconde analyse est renforcée par les attestations suivantes, à peu près contemporaines
et ressortissant aussi bien au domaine picard (14) qu’au domaine anglo-normand (15) :
(14) Clari, p. 109 : Ore avés oï le verité, confaitement Coustantinoble fu conquise, et
confaitement li cuens de Flandres Bauduins en fu empereres, et mesires Henris ses
freres après (…). (lit. : Vous avez maintenant entendu la vérité, comment
Constantinople fut conquise et comment le conte de Flandres Baudouin en a été
empereur, et messire Henri son frère ensuite.)
(15) Amadas, v. 2810 : Et d’autre part conseil demant, Con faitement d’ore en avant
Le porons faire. (lit. : Et d’autre part, je vous demande conseil, comment dorénavant
nous pourrons le faire.)
De nouveau, la subordonnée intervient dans chacun des cas pour développer le contenu
sémantique des substantifs « vérité » et « conseil », saturant déjà la position objet des
verbes oir et demander. C’est sans doute à cette valeur d’emploi qu’il convient de
rattacher l’occurrence suivante, unique dans notre corpus.
(16) Saint Gilles, v. 159 : Mult lui pesa e dolens fud Ke tant de gent l’orent veüt, Cum
feitement cil en ert sané. (lit. : Il lui pesait fort et le rendait triste que tant de gens
l’aient vu, comment celui-ci avait été guéri.)
Dans cet emploi, en effet, le contenu sémantique développé par la proposition n’est
plus celui d’un substantif verbal, mais celui d’un pronom personnel en emploi
cataphorique le, objet de veoir. Il s’agit d’un cas limite en ce sens que cumfaitement
atteint presque la catégorie de pur connecteur explicatif (sur le modèle des corrélations
en : cela… à savoir que…), et que l’on peut alors penser, en regard des emplois
précédents, à un stade supérieur de grammaticalisation.

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18 Mais l’extension des emplois de cumfaitement ne se limite pas à la grammaticalisation de


son rôle de connecteur. Ainsi les deux occurrences suivantes, relativement précoces
dans l’histoire de cet adverbe, le présentent dans le cadre d’une structure proprement
comparative :
(17) Libri Psalmorum, XXXV, 7 (p. 46) : Les humes e les jumenz tu salveras, Sire, cum
faitement tu multiplias la tue misericorde, Deus. (lit. : Les hommes et les juments tu
sauveras, Seigneur, comme tu as multiplié ta miséricorde.)
(18) Libri Psalmorum, CII, 13 (p. 149) : Cum faitement at merci li pere des filz, merci
ad li Sire des cremanz sei ; kar il conut la nostre faiture. (lit. : Comme le père a de la
miséricorde pour ses enfants, le Seigneur a de la miséricorde pour ceux qui le
craignent ; car il sait comment nous sommes faits.)
Dans ces deux cas, l’adverbe permet de poser une relation d’équivalence, d’identité de
manière de faire, entre deux prédications, relation que l’on peut gloser de la façon
suivante : « X est Y de la même façon que A est B ». Si nous n’avons pu trouver, ailleurs
que dans cet ouvrage, d’autres occurrences de cette valeur proprement comparative,
qui empiète donc plus strictement sur le domaine de cum 13, en revanche la Continuation
de Perceval, dans l’une de ses versions manuscrites (ms. L), présente un emploi en
relation étroite avec celle-ci dans la mesure où l’adverbe se trouve inscrit au sein d’une
corrélation avec tel :
(19) 1 ereContPercL, vol. III, p. 472 : Molt en ot grant doleur li rois, Puis la recoce
demanois Deseur le cors en tel endroit Confaitement estre i soloit. (lit. : Le roi en
éprouve une grande douleur, puis il la recouche aussitôt sur le corps à l’endroit où
il était de coutume qu’elle soit.)
Dans les termes de P. Jonas (1971 : 107-144), tel est une marque de caractérisation
portant sur la substance unique prise en considération par la corrélation, en
l’occurrence « endroit », par rapport à laquelle est établie une conformité, ici avec une
habitude. L’ensemble des emplois assumés par cumfaitement peut être représenté de
façon chronologique dans le tableau suivant14 :

Emplois

Évolution

Périodes Nb de textes Interrogation directe Connecteur percontatif Autres Total

Avant 1100 1 2 0 0 2

1100-1150 4 3 6 2 11

1150-1200 19 4 54 3 61

1200-1250 15 2 23 6 31

1250-1300 3 0 3 0 3

> 1300 4 0 3 1 4

TOTAL 46 11 89 12 112

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Plus encore que les deux grandes séries d’emplois initiales, ces derniers emplois, que
l’on a donc qualifiés d’emplois « étendus », appartiennent principalement à la période
XIIe2 – XIIIe1 siècles, période au terme de laquelle on constate une régression de
l’ensemble des emplois, limités alors à la valeur percontative. C’est à partir de ce
moment que s’entamera véritablement le déclin de cette forme. Mais en attestant de
l’extension maximale de son usage, les emplois étendus révèlent aussi un empiétement
d’un côté sur le domaine de com(m)ent, de l’autre, sur le domaine de cum. En somme, au
même titre que l’appréhension morphologique, les valeurs syntactico-sémantiques
assumées par cumfaitement introduisent à une concurrence avec cum et com(m)ent et
autorisent à parler d’un véritable microsystème.

II. Cumfaitement et son microsystème15


19 À plusieurs reprises les liens unissant cumfaitement, non seulement à com(m)ent, mais,
également, à com(e) sont apparus. La proximité des deux premiers s’est d’abord
manifestée à l’occasion de l’évocation de leur composition, mais aussi dans les
attestations de valeurs d’emploi dont on sait qu’elles sont également partagées par ces
deux termes. D’autre part, les relations complexes régissant de façon plus ou moins
souple la distribution des emplois de com(e) et de com(m)ent laisse supposer l’existence
de relations similaires entre com(e) et cumfaitement. Il convient donc d’interroger ces
relations de concurrence et de complémentarité de façon à situer plus précisément les
emplois de cumfaitement au sein même du microsystème auquel il appartient.
20 Les relations de concurrence et de complémentarité les plus évidentes sont celles qui se
manifestent entre les emplois de cumfaitement et de com(m)ent. Nous avons évoqué plus
haut (supra, I, 2) la question de la création contemporaine de ces deux termes dans un
but qui semble similaire, chacun des deux illustrant un processus de création destiné à
renforcer le sème /manière/ contenu dans com(e) et vraisemblablement ressenti
comme déjà atténué. Comme le dit encore Cl. Olivier,
dans l’énonciation de Quomodo ?, Comment ?, Comfaitement ?, en opposition à celle de
Com(e) ?, le locuteur pose clairement la nature du contrat conversationnel,
éliminant les ambiguïtés possibles dans l’interprétation de la question. [Olivier
1985 : 74]
Les conséquences de cette double création se retrouvent naturellement au niveau de
leurs valeurs d’emploi respectives. Et si le sémantisme de cumfaitement est plus
précisément orienté vers l’expression d’un « faire » d’aspect accompli 16, les emplois de
ces deux adverbes se recouvrent au moins partiellement dans un certain nombre de
cas. Dès lors, les deux adverbes se présentent fréquemment dans des constructions
parallèles et peuvent être, comme dans l’exemple suivant, coordonnés en tant que
connecteurs percontatifs dans la dépendance d’un même verbe recteur :
(20) Gcoin4 , v.62 : Or entendez comfaitement La grace dou Saint Esperite A son
service noz escite Et comment Diex noz amoneste Que de sa mere façons feste. (lit. :
Entendez à présent la façon dont la grâce du SE nous porte à son service et
comment Dieu nous encourage à fêter sa mère.)
En outre, dans les deux cas, le noyau verbal de la proposition percontative est non
gradable, ce qui tend à renforcer encore davantage l’impression de concurrence.
21 Tous deux possèdent enfin la capacité d’introduire une proposition incidente à un
substantif, en l’occurrence le substantif serviche :

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(21) Dit du prunier, p. 60 : Et conment qu’a lui moult pensast Et dessous main la
regardast, N’avoit il pas le cœur sy niche Qu’il ne regardast le serviche
Confaitement on le faisoit Et par quel guisse on desmenbroit Chisne, faisant, avve
ou oyson, Grue, butor, pertris, pigon ; Conment ly escuier courtois D’un coutel, de
deux ou de trois, Trenchoient gracieusement. (lit. : Et bien qu’il pensa fort à elle et
la regarda en douce, il n’avait pas le cœur si faible qu’il ne regarda le service la
façon dont on le faisait… comment les écuyers… tranchaient…)
Il apparaît donc bien que les deux adverbes manifestent dans chacun de ces trois
emplois une distribution de type concurrentiel.
22 Il est par ailleurs naturel que, comment connaissant également de nombreux lieux de
concurrence avec com, certaines occurrences présentent un phénomène similaire entre
com et cumfaitement. Ainsi en va-t-il de l’exemple suivant, dans lequel les trois termes se
trouvent juxtaposés de nouveau en tant que connecteurs percontatifs dans la
dépendance d’un même verbe recteur :
(22) Floire, vv. 3097-3001 : … et dist comment il a erré des icels jor que il fu né, Com il
l’aima en sa contrée, Confaitement li fu emblée. (lit. : Il dit comment il a erré depuis
le jour où il est né, comment, dans sa contrée, il aima (Blanchefleur), de quelle
manière on la lui avait ravie.
À regarder de près cet exemple, le seul motif de discrimination qui apparaît pour
justifier sur un plan systématique l’emploi d’adverbes différents dans chacune des trois
propositions tient à leur noyau verbal17. À tout le moins cela permet-il de distinguer
l’emploi de com(e) de celui de com(m)ent et de cumfaitement. À cette époque, en effet,
com(e) est généralement requis lorsqu’il s’agit d’un verbe gradable et s’ajoute par
conséquent une nuance intensive à la manière de faire18. Nous ne voyons pas, en
revanche, de propriétés similaires pour justifier de la distinction entre com(m)ent et
cumfaitement.
23 D’autres valeurs d’emploi laissent cependant penser à une distribution de type plus
complémentaire et, partant, plus proprement systématique, en ce qui concerne
cumfaiement et com(m)ent19. À ce titre, la question de l’interrogation directe peut se
prêter à un tel constat. En effet, et quoique cela soit à relativiser en regard de la nature
de la documentation dont nous disposons, l’adverbe com(m)ent n’est pas d’abord apparu
en tant qu’adverbe introducteur d’une interrogation directe, du moins pas avant les
débuts du XIIe siècle, c’est-à-dire précisément à l’époque où cumfaitement développe ses
emplois en tant que connecteur percontatif. De fait, l’exemple suivant, emprunté à la
Chanson de Roland, semble bien illustrer une répartition des emplois dans laquelle
l’introduction d’une interrogation directe serait dévolue à cumfaitement – alors en
concurrence avec com(e), comme l’indique ici le parallélisme de construction des deux
adverbes – et l’introduction d’une proposition percontative à com(m)ent :
(23) Roland, vv. 1698-1701 : Oliver, frere, cum le purrum nus faire ? Cum faitement li
manderum nuveles ? Dist Oliver : « Jo nel sai cument quere. (…). » (lit. : Olivier, mon
frère, comment le pourrons-nous faire ? De quelle manière lui enverrons-nous des
nouvelles ? Olivier répond : « Je ne sais comment le faire ».)
Outre qu’il peut attester d’une telle répartition entre les emplois directs et indirects
dans l’expression de l’interrogation, cet exemple associe également l’usage de ces deux
termes à une configuration du type question-réponse. Bien qu’il soit plus tardif (c.a.
1174), l’exemple suivant semble confirmer la possibilité d’une telle analyse :
(24) Ben., D. de Norm. I, 2, v. 10563 : Desus tun peis ! com faitement ? Jeo vos dirrai,
fait-il, coment. (lit. : Sur ton pied ! De quelle manière ? Je vous dirai, répond-il,
comment.)

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Dans tous les cas, ces occurrences évoquent bien la possibilité d’une complémentarité
systématique initiale dans l’usage de ces deux adverbes. Nous avons évoqué plus haut la
question des motivations de la création de deux termes de sens similaires. On constate
donc qu’à leur début ces deux termes semblent se partager les emplois directs et
indirects, ce qui peut apporter une justification supplémentaire à cette double création.
Il est vrai qu’une telle hypothèse doit nécessairement être atténuée par le caractère
parcellaire et relativement peu représentatif de la documentation concernant les états
très anciens de la langue, mais elle n’en demeure pas moins tout à fait plausible. On
peut dès lors supposer que cumfaitement, plus iconique par rapport à la remotivation du
sème /manière/, a un temps été, sinon véritablement plus large au niveau de ses
emplois, du moins plus apte à une certaine expressivité. Si tel a été le cas, il s’est
cependant agi, au mieux, d’un état très provisoire, puisque très tôt com(m)ent va aussi
développer des emplois en interrogation directe. À partir de là, il est également
possible, pour ne pas dire probable, que la motivation du choix de l’une ou l’autre de
ces deux formes puisse être aussi liée, au moins de façon ponctuelle, à des contraintes
simplement métriques ou, au contraire, expressives.
24 À admettre l’hypothèse de cette complémentarité initiale, l’opposition fonctionnelle
des premiers temps entre les emplois interrogatifs directs de cumfaitement (emplois
pour lesquels il est cependant en concurrence avec com(e)) et les emplois en tant que
connecteur percontatif de com(m)ent s’est donc rapidement réduite à une opposition
non fonctionnelle due, d’une part, aux restrictions des valeurs d’emplois assumées par
cumfaitement au cours du XIIIe siècles, et, d’autre part, à l’extension contemporaine des
valeurs d’emploi assumées par com(m)ent. Dès cette période, les deux adverbes ne
s’opposaient plus qu’en raison d’une contrainte de type métrique et, éventuellement,
expressive. C’est à partir de cette évolution du microsystème au sein duquel était
intégré cumfaitement qu’il convient d’appréhender les motifs qui ont pu conduire à sa
disparition.

III. Cumfaitement : chronique d’une disparition


annoncée
25 La relative brièveté de l’existence de cet adverbe, autant que les phénomènes de
concurrence systématique qu’il a été possible d’illustrer, nous invitent à présent à nous
interroger sur les motifs de sa disparition. Mais avant même de pouvoir proposer
quelques hypothèses, il convient d’examiner le processus même de disparition, encore
peu étudié en tant que tel dans la littérature portant sur le changement linguistique 20.
Il ne s’agira cependant pas d’en proposer ici une théorisation complète, mais seulement
d’évoquer certains des éléments qui pourraient contribuer à rendre plus précisément
compte du cas qui nous occupe.

1. La disparition : aperçu théorique

26 Ambiguë au sein même des typologies des changements linguistiques, puisqu’elle fait à
la fois figure de processus et de résultat, la disparition est le plus souvent perçue
comme un simple abandon au terme d’une période de concurrence, éventuellement
systématique, entre formes équivalentes. Dans cette perspective, toute introduction
d’une nouveauté visant à remplacer un moyen linguistique existant dans la langue

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aurait pour corollaire un temps de concurrence aboutissant soit à une nouvelle


répartition systématique des deux formes, soit à l’évincement, et donc à la disparition
de la forme substituée.
La disparition des unités ou de règles linguistiques n’apparaît le plus souvent que
comme un épiphénomène, conséquence d’un autre fait de changement. [Marchello-
Nizia 2006 : 103]
Tout à fait exemplaire est à cet égard la formulation proposée par P. J. Hopper et E. C.
Traugott dans la brève partie qu’ils consacrent à ce phénomène :
Examples of the loss of a form alone occur whenever two or more competing forms
exist for the same function, and one is eventually selected at the expense of the
others. [Hopper & Traugott 2003 : 172]
Dès lors, « c’est en général l’apparition de nouvelles formes qui suscite des études, pas
leur disparition » (Marchello-Nizia 2006 : 156)21, et les caractéristiques de celle-ci ne
sont le plus souvent appréciées que de façon négative. Plus généralement, la disparition
est alors :
1) soit le simple pendant de la création de nouvelles unités (…) ; 2) soit la
conséquence de l’existence dans les langues de variantes, ou « formes en
compétition », ne subsistant pas toutes toujours (…) ; 3) soit le corollaire d’une
perte d’iconicité des dites unités (…) ; 4) soit encore l’aboutissement d’un processus
de grammaticalisation. [Badiou-Monferran 2008 : 147]
Dans tous les cas, le motif de la disparition demeure la conséquence du choix de l’une
des variantes en présence. De fait, une théorie de la disparition, si elle doit assurément
inscrire celle-ci dans le cadre d’une théorie générale du changement linguistique, n’en
doit pas moins non seulement faire exister le processus en tant que tel mais en outre
s’inscrire dans le cadre d’une théorie du langage. Expliquer le triomphe d’une variante
– et même si l’ensemble des critères précédemment évoqués doit être conservé – ne
suffit pas à véritablement expliquer la disparition d’une autre, cette disparition devant
être envisagée en elle-même, à sa source.
27 Cependant, une telle conception, moyennant quelques aménagements, peut s’accorder
avec la modélisation du changement linguistique telle que l’a théorisée E. Coseriu
([1973] 2007, 2001 : 420). Selon ce linguiste, en effet, plusieurs phases du changement
linguistique doivent être distinguées : l’innovation, l’adoption, la diffusion, la sélection et la
mutation, le changement proprement dit étant réalisé avec la phase d’adoption, au sens
où elle marque le passage de l’innovation du discours à la langue. Dans le cadre de
notre propos, les phases les plus précisément concernées sont celles de la sélection,
c’est-à-dire « l’usage alterné de la tradition ancienne et de la nouvelle », et de la
mutation, « l’abandon d’une des deux traditions et le maintien de l’autre, ou
l’établissement d’une certaine distribution des deux traditions dans le même “dialecte”
ou bien des “dialectes” différents » (1992 (2001) : 420).
28 Surtout, et même si nous ne le développerons pas ici22, cette partition des phases du
changement linguistique possède le mérite de corréler la réalisation de celui-ci à la
liberté linguistique de l’individu parlant. Enfin, cette appréhension du changement
linguistique repose également sur une conception de la langue que l’on peut qualifier,
avec G. Guillaume, de prévisionnelle. Cela revient à considérer que,
dans la langue, rien ne se « détériore » qui ne soit, de quelque manière, réparé par
avance ou pour quoi il n’existe pas déjà la possibilité d’une solution. [Coseriu 2007
[1973] : IV, § 4.2.3]23
Suivant une telle conception, la disparition peut être expliquée en elle-même en ce sens
qu’elle n’est plus seulement provoquée par le triomphe d’une variante au sein d’un

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schéma concurrentiel, mais en raison de motivations internes, autrement dit des


propriétés mêmes du terme disparu et de leurs limites face aux redéterminations plus
générales dont la langue fait constamment l’objet 24. C’est à partir de cet aperçu
théorique qu’il est maintenant possible de proposer quelques éléments d’explication à
la disparition de cumfaitement.

2. La disparition de cumfaitement

29 Comme en témoignait le tableau synthétisant les différents emplois, la disparition de


l’adverbe cumfaitement s’est produite au cours du moyen français. D’autre part, nous
avons vu que la disparition d’une forme doit ainsi demeurer soumise au maintien de
l’efficience de la langue. Or, dans le cas qui nous occupe, l’efficience n’est précisément
pas affectée puisque tous les emplois assumés par cumfaitement l’ont progressivement
été, à partir du XIIe siècle, par com(m)ent, dès l’origine plus large au niveau de son
spectre d’emplois, et, dans une moindre mesure, par com(e). Aussi bien l’opposition
fonctionnelle qui régissait la distribution de ces termes s’est-elle progressivement
muée en une opposition de nature expressive. Il est en ce sens possible de se référer à
certaines variations ou à certaines variantes portées par les différents manuscrits d’un
même texte, lesquelles, outre de permettre parfois une datation, sinon absolue, du
moins affinée, de la disparition de l’adverbe, confortent le principe d’une telle
mutation.
30 Le premier exemple de variation que l’on peut relever appartient à la tradition
manuscrite de la première version (la version T) de La Vie de sainte Marie l’Égyptienne.
Appartenant au manuscrit A, « exécuté en une langue fortement picardisée »
(Dembowski 1977 : 25), l’occurrence (25), déjà citée, se retrouve dans le manuscrit E,
« achevé en Artois en 1265 » (Dembowski 1977 : 26), sous la forme (26) :
(25) MarieT, v. 551 : Conseil quiert de se penitance, Confaitement ele fera Et en quel
tere s’en ira.
(26) MarieT, v. 551 : Conseil quiert de se penitance, En quel maniere le fera Et en
quel tere s’en ira.
S’il n’est pas possible d’établir avec certitude une quelconque filiation de l’un à l’autre
des deux manuscrits, lesquels seraient en outre à peu près contemporains 25, la variation
ne nous en semble pas moins significative. En effet, outre la dimension dialectale
qu’elle révèle, le choix de « en quel maniere » plutôt que de com(m)ent nous paraît
indiquer qu’il pouvait s’agir de contraintes métriques ou bien qu’il pouvait même
exister entre les deux une nuance de nature expressive, cumfaitement conservant de
façon plus marquée le sème /manière/26.
31 Plus probant à cet égard est le second exemple qui concerne non plus un emploi
étendu, mais un emploi de connecteur percontatif de cumfaitement. En effet, dans le
Charroi de Nimes, l’occurrence (27), donnée par le ms. A 1 ( XIIIe s.), se voit-elle modifiée
dans la famille des ms. B (XIVe s.), en (28) :
(27) Charroi, v. 1035 : Des or devons de Guillelme chanter, Com fetement il se fu
atornez.
(28) Charroi, v. 1035 : Des or devons de Guillelme chanter, en quel maniere il se fist
atorner.
De la même façon que dans le cas précédent, la substitution est effectuée au moyen de
« en quel maniere », mais il s’agit ici de véritables variantes dans la mesure où « les
deux manuscrits du groupe B (…) donnent une forme du poème visiblement rajeunie »

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(Perrier 1968 : VIII). Une fois encore, ce phénomène nous paraît justifier à rebours le
maintien d’une nuance de nature expressive autant que la possibilité d’une contrainte
métrique présidant au choix de l’un ou l’autre des deux adverbes. Par ailleurs, cela
confirmerait aussi le ‘rajeunissement’ auquel ont procédé les « deux manuscrits du
groupe B », autrement dit le fait que, dès la seconde moitié du XIIIe siècle, l’adverbe
cumfaitement devait être ressenti comme une forme archaïque.
32 On pourrait ajouter à cela l’existence d’une forme de tension entre les différents
niveaux systématiques de la langue, tension tenant au fait que, bien qu’il soit plus
iconique que com(m)ent par rapport au sème de /manière de faire/, l’adverbe
cumfaitement l’était nettement moins par rapport au processus même de création
générale des adverbes de manière. On se trouverait là relativement proche des
phénomènes de macro-grammaticalisation, non pas qu’une distinction nouvelle ait été
introduite, mais parce qu’un mécanisme systématique de création adverbiale se serait
plus largement imposé dans le domaine sémantique de la manière. À ce titre, donc, un
adverbe tel que cumfaitement pouvait n’être plus senti comme véritablement adéquat.
Dès lors, et en vertu de l’hypothèse du mécanisme de la disparition posée sous le point
précédent, on peut penser que, promptement senti comme inadéquat, tant en raison de
sa forme même qu’en raison de son manque de plasticité sémantique par rapport à son
concurrent direct, cumfaitement a, de façon plus ou moins indirecte, contribué à
l’extension des emplois de com(m)ent, extension au cours de laquelle lui-même devait
finalement disparaître.

Conclusion
33 Tout en s’efforçant de caractériser un terme peu étudié, cet article aura, du moins était-
ce son enjeu, permis d’appréhender un phénomène d’évolution systématique dont
témoignait notamment la concurrence entre cumfaitement et com(m)ent, et, dans une
moindre mesure, com(e). Du même fait, il aura été possible de dire quelque chose des
phénomènes de disparition, lesquels, répétons-le, ne peuvent être totalement
appréhendés que dans le cadre d’une perspective systématique. Ce sont en effet les
régulations à l’œuvre au sein des (micro)systèmes, liées aux (re-)déterminations
mutuelles des « permissions de variation », qui permettent, par les glissements opérés,
d’apporter une hypothèse explicative à la disparition relativement rapide de
cumfaitement. Il resterait cependant, tant la difficulté à constituer ce corpus et le faible
nombre d’occurrences rendent hasardeuse toute généralisation excessive, à mettre ces
faits en relation avec la disparition de faitement, et, de façon plus générale, à étudier de
manière plus systématique les disparitions de termes grammaticaux survenues au
cours de l’histoire du français.

BIBLIOGRAPHIE

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Corpus
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NOTES
*. Il nous est agréable de remercier ici les membres du groupe Gram-m, ainsi que M. Desmets, Th.
Ponchon, A. Rochebouet et le relecteur anonyme pour leurs conseils et pour leur aide dans la
constitution de notre corpus.
1. Cela s’explique sans aucun doute par le nombre somme toute relativement restreint d’études
appréhendant com(e) en diachronie. Voir ici même, « Com(e) en diachronie : synthèse ».
2. Font exception les remarques proposées par Cl. Olivier (1985).
3. La très faible fréquence de ce terme, peu attesté dans les bases médiévales courantes, a rendu
particulièrement délicate la constitution de notre corpus, pour lequel nous avons aussi eu
recours, moyennant les précautions d'usage, à des moteurs de recherche comme Google Books.
4. Nous incluons dans le XIIe siècle les deux occurrences de la Chanson de Roland dont le manuscrit
d’Oxford est généralement daté de 1080. Précisons d’autre part, sans qu’il nous soit possible
d’entrer dans les détails, que les occurrences des XIVe et XVe siècles sont, pour le XVe, une
traduction (de quomodo) du Dictionnaire latin-français de F. Le Ver (1420-1440) et, pour le XIVe, des
occurrences assimilables à des archaïsmes dans la mesure où la plupart apparaissent dans des
réécritures de textes plus anciens. On ajoutera enfin l’occurrence présente dans le Dit du Prunier,
dont la datation pose problème. En effet, si les éditeurs du corpus Champion le date de 1400-1450,
P.-Y. Badel, dans son édition, le date d’un siècle plus tôt : « La langue du Dit se distingue par son
respect de la déclinaison. Le purisme des ateliers picards de la première moitié du XIV e s. est bien
connu (…). Nous tenons là un mince élément de datation à rapprocher de celui que fournit la
parenté du dit avec des œuvres de Jean de Condé. On ne saurait préciser davantage » (Badel 1985 :
40). La présence de la forme cumfaitement nous semble constituer un argument supplémentaire
en faveur de cette seconde datation.
5. « De telle manière » (Greimas 1979 (1997) : 258). On peut évoquer l’existence d’une forme
apparentée, com faitierement, laquelle est mentionnée par Greimas, mais sans qu’il n’en fournisse
d’exemples. Seul le Tobler-Lommatzsch donne deux attestations, empruntées aux Psaumes

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d’Oxford
(Ps. 72, 11 & 19). On ajoutera l’occurrence du verset 44 du Canticum Moysis ad filios Israel, reproduit
dans le même ouvrage (p. 246). Enfin, on remarquera que le texte latin porte dans les deux
premier cas quomodo, induisant déjà un phénomène de concurrence avec com(e) et com(m)ent.
6. Voir, par exemple, les variantes présentées pour les vers 1034-35 du Charroi de Nimes, ou encore
pour les vers 550-2 de la version T de La Vie de sainte Marie l’Égyptienne.
7. Cette hypothèse est notamment suivie par Cl. Olivier (1985 : 73).
8. On pourrait certes objecter l’existence d’une forme sifait(e), relativement bien attestée sur la
BHC (16 occurrences, dont une dans laquelle sifaite détermine manière). Mais on notera par
ailleurs l’existence d’une variante intéressante dans le manuscrit B de la version T de La Vie de
sainte Marie l’Égyptienne, laquelle présente une forme kefaitement. Or, sauf erreur, il n’est pas
d’attestation de la forme kefait(e), ce qui semble bien aller dans le sens de cette seconde
hypothèse.
9. Au sens guillaumien du terme.
10. On notera en passant que, sans être particulièrement fréquente, l’incidence d’un adverbe en –
ment à cum n’est pas exceptionnelle. Ainsi trouve-t-on, dans notre corpus, l’occurrence suivante :
Saint Gilles, v. 2720 : Sire, feit il, cum lungement avez vos esté sermoner ?, dans laquelle l’adverbe
lungement se présente bien dans une telle configuration syntaxique.
11. Nous suivons donc ici la proposition de P. Le Goffic (1993 : § 22).
12. On pourrait ajouter que la grammaticalisation est rendue manifeste par la possibilité pour
cumfaitement d’introduire une proposition dont le noyau verbal est faire, ce qui pourrait peut-être
constituer l’ébauche d’une « proof by anachrony » (Hagège 1993 : 200-202).
13. On remarquera en outre qu’il s’agit ici de traductions de la Vulgate, le texte portant
respectivement quomodo et quemadmodum.
14. Étant entendu que l’occurrence du Dictionnaire de F. Le Ver n’y est pas reportée.
15. Pour certaines des considérations concernant com(m)ent mais aussi com(e), nous nous
appuyons ici sur les travaux de Th. Ponchon (1998) et de V. Wielemans (2005), ainsi que sur deux
communications proposées dans le cadre des réunions de travail du groupe Gram-m, la première
prononcée par nos soins et intitulée « Comment, cumfaitement et combien : les oubliés du
microsystème de comme » (28/4/2006), et la seconde prononcée par M. Morinière et intitulée «
Comme, comment, combien en diachronie : emplois interrogatifs et exclamatifs » (8/3/2007).
16. Voir sur ce point Cl. Olivier (1985 : 74).
17. En témoignerait encore, si besoin en était, le choix du traducteur qui a pris le parti d’user
dans chacun des cas de l’adverbe « comment ».
18. « Comment (…) ne porte que sur un V en ancien français, et au moins jusqu’à la fin du 12 e
siècle, on ne le trouve pas avec un verbe gradué. » (Morinière, séance Gram-m du 8 mars 2007,
np.).
19. Il va sans dire que nous n’abordons pas ici la question des relations de concurrence et de
complémentarité régissant la distribution des emplois de com(e) et de com(m)ent. En outre, la
complémentarité de cumfaitement et de com()ment se manifeste bien entendu dans tous les
emplois non assumés par le premier.
20. Comme le rappelle en effet C. Marchello-Nizia, « nombreux sont les ouvrages consacrés à
l’histoire linguistique de telle ou telle langue qui signale que telle ou telle forme, phonème,
construction, lexème, a disparu. […] Mais rares sont encore les ouvrages de linguistique
historique à visée théorique qui accordent de l’importance à ce phénomène » (2006 : 102-103)Voir
également Badiou-Monferran (2007, 2008) et Verjans (2009).
21. En introduisant la notion de « macro-grammaticalisation », Chr. Marchello-Nizia tente
précisément de remédier à ce caractère parcellaire des conceptions traditionnelles de la
disparition. L’appliquant à la disparition de moult (2006 : 137-179), elle a ainsi pu montrer que
celle-ci ne s’explique véritablement que dans le cadre d’une « reconfiguration du système

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grammatical » impliquant les évolutions de beaucoup et de très, et induisant une « distinction


nouvelle » au plan sémantico-syntaxique pour l’expression de laquelle moult était inapte (ibid. :
178-179). Cl. Badiou-Monferran (2007, 2008) s’est également attachée au problème des
disparitions, les présentant comme l’indexation de « nouveaux "paramètres" venus régir et
réorganiser la structure même du système grammatical » (2008 : 147).
22. Voir, sur ce point, Verjans(2009, chap.. 1 ; à paraître). Ajoutons qu’à rebours, cette même
liberté peut assurer le maintien de variantes non fonctionnelles : « Ce qui a été dit à propos des
différences de rendement fonctionnel ne signifie cependant pas qu’une opposition « inutile » ou
peu fonctionnelle doive nécessairement disparaître. Elle peut être indéfiniment maintenue par la
norme culturelle et peut aller jusqu’à trouver sa justification dans le système, par exemple, dans
le haut degré de fonctionnalité des traits impliqués » (Coseriu 1973 (2007) : § 4.2.4).
23. Ce faisant, un tel principe s’accorde avec l’un des postulats fondamentaux de la
psychomécanique du langage, selon lequel « le psychisme n’a pas, en même temps qu’il se crée, la
puissance de créer les signes destinés à en assurer la saisie, le port et le transport, et doit, privé
de cette puissance, se procurer les signes requis à cet effet parmi les signes déjà existants (…) »
(Guillaume 2004 : § 188). Cela revient à postuler, toujours en termes guillaumiens, une précession
du psychique (i.e. de la matière notionnelle devant faire l’objet du dire) sur le sémiologique (i.e. le
matériau destiné porter cette matière notionnelle).
24. Sur ces redéterminations et le concept de « permission de variation » qui leur est corollaire,
voir Verjans (2008).
25. Sur ces questions, voir l’introduction de P. Dembowski (1977 : 25-30).
26. Cela nous apparaît d’autant significatif que la structure « Verbe – conseil - Percontative en
cumfaitement/com(m)ent » n’était pas inconnu en picard, comme en atteste l’exemple suivant, à
peu près contemporain : Villehardouin, p.34 : Lors parlerent cil de l' ost ensemble et pristrent
conseil coment il se contendroient.

RÉSUMÉS
Il s’agit, dans un premier temps, d’étudier un terme dont l’existence s’est limitée à l’ancien
français. Formé à partir de comme, il apparaît en français à la même époque que comment, mais ne
connaît qu’un nombre bien plus restreint d’emplois. De fait, cette contemporanéité avec cet
adverbe, ajoutée à une certaine redondance de l’expression de la manière ainsi qu’à une
existence limitée dans le temps, en font un terme intéressant à plus d’un titre. Dès lors, resitué
dans le cadre de l’évolution du microsystème qu’il forme avec comment, des éléments
apparaissent qui semblent susceptibles d’informer à la fois le point de vue guillaumien de la
« diachronie des synchronies » et le problème théorique de la disparition des formes
linguistiques.

In this paper, we first study the french word ’cumfaitement’, which does not last past the Old
French period. Derived from comme, it is contemporaneous of comment (though with restricted
use), and is a concurrent to the latter in the expression of manner. This study of the evolution of
its microsystem could illustrate to the psychomecanicial point of view of the diachrony of
synchronies as well as the theoretical problem of obsolescence.

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AUTEUR
THOMAS VERJANS
Paris Sorbonne - STIH (EA 4089)

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Compte rendu

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n° 6 de la revue Corpus de l’UMR


6039, 2007, Interprétation, contextes,
codage, sous la direction de B.
Pincemin
Denise Malrieu

RÉFÉRENCE
n° 6 de la revue Corpus de l’UMR 6039, 2007, Interprétation, contextes, codage, sous la
direction de B. Pincemin.

1 Ce numéro de la revue Corpus, très inspiré par la démarche herméneutique en


linguistique de corpus, vise à préciser les modalités de l’activité interprétative lors de la
constitution et l’exploitation de corpus annotés.
2 Dans son intéressante introduction, B. Pincemin situe l’activité interprétative tout
d’abord dans la constitution du corpus (quels sont les textes à réunir et à contraster,
toujours fonction d’un point de vue et d’hypothèses), ensuite dans la théorie du texte
(quelle définition de la structure et des unités textuelles), enfin dans la sémantique du
codage et les choix techniques de format et de représentation du texte :
« L’interprétation est présente dans toutes les étapes du travail sur corpus ».
B. Pincemin pose la question : quels sont les paliers de contexte pertinents : le texte ?
Le genre ? Les contextes infra-textuels (partie, passage, paragraphe, période, syntagme,
etc.), les contextes supra-textuels (regroupement de textes par périodes, par auteur
etc.) ? Certains contextes peuvent n’avoir aucune marque formelle de frontières comme
celui de passage, discuté par Rastier dans ce numéro.
3 Passons donc maintenant à l’analyse des différentes contributions.

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F. Rastier : Passages, p. 25-54


4 Affirmant bien fort dès le départ que le texte n’est pas composé de mots et de règles,
l’auteur introduit la notion de passage, qui remonte à Hillel l’Ancien quand il formula
les règles des passages parallèles : sélectionner des passages comparables pour lever
une difficulté d’interprétation. Le concept de passage pose trois problèmes :
• la contextualité et textualité : les passages sont-ils discrets et contigus ? comment
s’articulent valeurs et passage ?
• La sémiosis : appariement expression/contenu
• Comment sont discernées les inégalités qualitatives au sein d’un passage et entre passages ?
5 Rastier définit la sémiosis comme un processus de codétermination multiple des plans
des signifiés et des signifiants à l’intérieur d’un passage où jouent les oppositions
forme/fonds, le passage étant caractérisé par un fond d’isotopies thématiques, où l’on
observe une forte densité de co-occurrents d’un extrait (expression) et de corrélats
d’un fragment (contenu). Les formes de codétermination sont elles-mêmes fonction du
genre textuel.
6 La définition technique du passage est liée à la notion de thème : on recrute un
ensemble de co-occurrents (signifiants : lexèmes, grammèmes, ponctèmes) qui, dans un
contexte défini, par ex. une fenêtre de 20 « mots » (i.e. chaînes de caractères) dépassent
un écart réduit seuillé à 3 (en corpus multigenre) voire à 2 (en corpus unigenre). On
qualifie ensuite certains co-occurrents comme des corrélats sémantiques, dès lors que
leur contenu partage au moins un sème en commun avec celui du mot qui supporte
l’interrogation initiale. La structure constituée par ces sèmes constitue la molécule
sémique du thème.
7 La composition des passages est variable et peut aller du mot à des unités plus longues
que la phrase. Les passages varient selon les normes des discours et des genres. Le
passage « idéal » est caractérisé par une sémiosis dense avec une isotopie
mésogénérique propre qui commence et finit avec le passage. Il peut y avoir icônisation
et autonomisation de passages comme dans le cas du dicton ou proverbe.
8 Il existe divers régimes de passages. Un texte n’est pas plus une suite de phrases qu’une
suite de passages : en effet ces derniers sont délimités, qualifiés et hiérarchisés par la
pratique interprétative. L’auteur distingue deux régimes de pertinence. La pertinence
objective s’appuie sur le fait que tous les passages n’ont pas le même régime de
connectivité interne et externe. Ceux qui ont les deux à la fois forment des nœuds
herméneutiques, centraux pour l’interprétation. La pertinence « subjective » dépend de
la tâche.
9 Par rapport aux propositions de F. Rastier, mes remarques seront les suivantes :
• Le passage n’est défini que par la composante thématique alors que d’autres critères
pourraient entrer en ligne de compte. On peut se demander s’il ne serait pas utile d’élargir
cette démarche, par exemple à la composante dialogique : ainsi, selon les genres et les
passages, l’interprétation des guillemets incluera ou excluera certaines valeurs.
• dans la perspective d’une linguistique de la parole, qui seule peut être compatible avec une
herméneutique matérielle, l’approche méthodologique du global (textuel et intertextuel)
n’est pas discutée : à la fois, au niveau du texte, en quoi le genre contraint-il la nature des
passages et peut-on faire confiance à la machine pour repérer les passages si l’on ne

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distingue pas leur statut dialogique dans le texte ? A quelles conditions des passages de
genres différents peuvent-ils être comparés et contrastés ?

M. Lecolle : Polysignifiance du toponyme, historicité du


sens et interprétation en corpus. Le cas de Outreau,
p. 101-126.
10 L’auteure propose ici une analyse sur corpus de l’évolution du sens du toponyme
Outreau et discute les méthodes de repérage des différents sens.
11 Après avoir précisé que le Npr de lieu peut normalement prendre différentes valeurs
sémantico-référentielles (lieu, habitants, institution qui gouverne le lieu), elle indique
qu’il peut aussi désigner des évènements liés au lieu (Tchernobyl).
12 Pour étudier l’évolution du sens de Outreau, l’auteure a partitionné le corpus en cinq
périodes, en fonction de connaissances externes (procès), auxquelles correspondent
majoritairement les sens suivants : ville et habitants, affaire de réseau pédophile,
procès de ce réseau et enfin, fiasco judiciaire. Le contexte pris en compte va du
contexte étroit du syntagme à la phrase, au texte (article de presse daté) et à
l’intertexte (les cinq sous-corpus).
13 L’analyse consiste à étudier les critères de catégorisation des valeurs des occurrences
sur un corpus interprété et vérifié par le linguiste, en partant d’une analyse des
contextes des occurrences obtenues avec le concordancier AntConc : l’analyse
syntaxique et distributionnelle, repérage des actants du scénario attaché à Outreau
évènementiel, dialogisme.
14 L’auteure discute ensuite l’insuffisance du concordancier pour délimiter les sens du Npr
et la variabilité de l’empan du contexte nécessaire à l’interprétation du syntagme ; la
sous-détermination des valeurs des prépositions comme à et de dont la valeur ne peut
être souvent définie qu’au palier du texte daté dans le sous-corpus. Il en va de même
des expressions comparatives.
15 Quantifier, oui, mais quoi ? L’auteure souligne que tous les critères d’analyse ne
peuvent être quantifiés. Elle montre toutefois que les acceptions /lieu/ vs /fiasco
judiciaire/ définis par analyse distributionnelle ont des répartitions très contrastées
dans les périodes 1 et 5, mais qu’il reste une proportion importante (53 %) dans le sous-
corpus 5 de cas non décidables par l’analyse distributionnelle ; en fait les résultats du
concordancier demandent un travail interprétatif de catégorisation sémantique des
contextes, ce que Rastier désigne comme le passage du statut de co-occurrent à celui de
corrélat. De plus les rangs de fréquence des mots du contexte proche sont aussi
significatifs de l’évolution du sens, ce qui correspond à la stabilisation des isotopies
contrastées dans les sous-corpus.
16 Cet article confirme bien la nécessité de l’activité interprétative du linguiste dans le
travail sur corpus, prenant en compte des paliers interprétatifs variables et suggère la
possibilité de développer des outils articulant mieux analyse distributionnelle,
syntaxique et molécules sémiques liées à une analyse actantielle, à la dimension
dialogique du texte et au genre (interaction titre/texte par exemple).

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F. Rink & A. Tutin : Annoter la polyphonie dans les


textes : le cas des passages entre guillemets. p. 79-100.
17 Ces auteurs se proposent comme objectif de définir des critères formels de définition
des valeurs des passages entre guillemets (PEG) en vue d’une annotation automatique
de ces derniers, ceci dans le cadre d’un projet sur les marqueurs linguistiques de la
subjectivité et de la polyphonie. La démarche suivie consiste à définir les différentes
valeurs, à tester le degré d’accord de 3 linguistes sur l’attribution de ces valeurs en
corpus, de discuter les facteurs de désaccord et de proposer un codage et une DTD pour
le balisage de corpus.
18 Les auteurs distinguent quatre emplois principaux :
• l’autonymie pure : Ainsi pour un sourd « papa » et « maman » sont pratiquement identiques
au niveau de la perception.
• la polyphonie, qui peut être citation autonome au plan syntaxique ou intégrée au discours
citant ;
• le commentaire modalisant (la langue des signes, langue « parlée » par les communautés
sourdes).
• la dénomination.
19 Les indices formels des différentes catégories sont ensuite ébauchés :
• la citation syntaxiquement autonome est le plus souvent accompagnée de marques typo-
dispositionnelles : alinéa, tiret, guillemets, paragraphe. L’inclusion des incises pose toutefois
problème.
• La citation non autonome ne jouit pas de ces marques typo-dispositionnelles : cf le DI, les SN
désignant la source (selon N, d’après N).
• L’autonymie s’accompagne souvent d’introducteurs métalinguistiques (le mot, l’expression,
le terme, signifie X,…)
• Les emplois dénominatifs s’accompagnent de termes classifieurs (le terme, le nom de X, on
appelle, nomme X)
• Les emplois modalisants sont plus difficiles à repérer (ADJ, noms, SN, souvent courts).
20 Les emplois modalisants expriment une distance du locuteur par rapport à l’énoncé.
Cette distance peut soit exprimer l’insatisfaction du locuteur par rapport à son dire : tel
signifiant est utilisé à défaut de plus satisfaisant. (ex 9 : On peut imaginer la réflexion d’un
adolescent confronté à l’incompréhension d’un message émanent de ses idoles, censées avoir
partagé les mêmes expériences, les mêmes « galères »). La valeur ici attribuée se discute.
21 Soit exprimer la non adhésion, voire le rejet d’un énoncé prêté à d’autres. Les auteurs
ont renoncé à distinguer ces deux valeurs. De plus, ils décident de n’attribuer un double
codage de modalisation que lorsque celle-ci s’accompagne de commentaires méta-
énonciatifs (en quelque sorte, pour ainsi dire) ou lorsqu’on a un terme marqué
axiologiquement (cet adolescent en « intégration sauvage »). Le cas des proverbes doit
être traité à part mais ne fait pas partie de la modalisation. Enfin, la double valeur
dénomination + citation est attribuable et assez fréquente dans les écrits scientifiques.
22 Les auteurs soulignent enfin que la pratique des guillemets est variable selon les
disciplines et les genres de textes (écrits de sciences humaines vs journalistiques) et
qu’une analyse des genres reste à approfondir. Ce domaine de recherche a de plus des
retombées pédagogiques concernant l’écriture chez les étudiants.

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23 L’annexe comporte un exemple de texte annoté selon la DTD choisie.


24 Je ferai deux remarques à propos de ce travail : si l’objectif est de repérer la polyphonie
dans les textes, n’est-il pas aussi intéressant de prévoir le codage des sources autres que
le locuteur principal, puisque l’objectif est bien de repérer les positions respectives des
locuteurs ? Ce qui impliquerait de distinguer le métalinguistique propre au locuteur
(effort sur les signifiants) de la non prise en charge du discours d’autrui.
25 On a pu voir que les problèmes les plus épineux sont soulevés par ce qui a trait à la
modalisation. Il faut distinguer le processus de désignation de la source (selon X, P ; X dit
que P, comme on dit dans ces cas-là) et le processus évaluatif (distance épistémique (par
exemple le conditionnel de doute), attitude adversative ou affiliative). C’est sur ces
deux dimensions que le codage pourrait être enrichi de façon bénéfique.

A. Morgenstern & C. Parisse : Codage et interprétation


du langage spontané d’enfants de 1 à 3 ans, p. 55-78
26 L’article, après un bref historique des études du langage enfantin, analyse les
problèmes soulevés par la transcription des activités langagières du très jeune enfant,
lors de la constitution de corpus longitudinaux. La transcription implique
obligatoirement un part importante d’interprétation, celle-ci n’étant pas forcément
décidable. Les auteurs décrivent les choix effectués dans leur système de codage
conforme aux conventions CHAT de CHILDES. Ce format permet la transcription
phonétique, l’explicitation du non-verbal, l’analyse morpho-syntaxique, et l’alignement
avec la vidéo est possible. Un premier constat est que l’accord interjuges est plus fort
pour la transcription orthographique que pour la transcription phonétique, ce qui
montre l’importance de l’activité interprétative dans le codage. La démarche adoptée
est de multiplier les codages (phonologique, pragmatique, sémantique, syntaxique), et
les éléments fournis par l’audio et la vidéo (gestes, mimiques, prosodie).
27 Les auteurs soulignent abondamment les problèmes lors du codage du découpage en
mots et en particulier de l’interprétation en /ə/ ou /a/ dans /aty/ (voiture ou la
voiture ?) ; cela a amené à coder de façon différente les « fillers » selon les trois étapes
distinguées dans l’acquisition des articles et prépositions ; le principe étant de caler le
codage sur ce que le codeur sait du niveau d’acquisition de l’enfant.
28 La documentation du contexte de l’interaction est essentielle pour la discussion de
l’interprétation et elle est fournie à la fois par un codage de la situation et de
l’interaction et par la fourniture des données sonores et vidéo. L’enrichissement des
catégories descriptives est laissé au libre choix du codeur, qui peut introduire en lignes
supplémentaires des catégories telles que action des interlocuteurs, actes de langage,
commentaire du transcripteur, imitation, mimiques, qui est l’adressé, rôle sémantique,
gestes etc. Les transcripteurs différents peuvent identifier leur interprétation et leur
niveau de certitude.
29 Enfin les auteurs discutent la question de l’utilisation des corpus ainsi constitués, par
des usagers externes et la nécessité de développer des logiciels d’interrogation plus
puissants que ceux qui existent, et remettent en question la notion de ligne principale
du codage, tous les éléments pouvant être considérés comme principaux selon le point
de vue adopté pour la recherche.

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30 Dans ce recueil d’articles, celui-ci souligne avec force l’importance des processus
interprétatifs impliqués par la constitution des corpus d’étude.

N. Desquinabo : Intertexte générique et interprétation


des actes de parole dans un corpus d’émissions de
plateaux télévisées, p. 127-152.
31 L’objectif ici poursuivi est l’attribution des valeurs des actes de paroles en fonction du
type d’émission sur un plateau télévisé. Comment définir les propriétés du contexte
d’interaction qui vont contraindre l’interprétation de la valeur illocutoire d’un acte
local.
32 Les activités discursives étant normées à l’intérieur des domaines d’activité, des
champs génériques et des genres, l’interprétation des actes de parole se fait à
l’intérieur du genre à travers la mise en œuvre de schémas d’actes de parole (à la fois
distribution des tours de parole, textures énonciatives, vocabulaires plus ou moins
stabilisés et scriptés). L’indexation de l’interaction à un intertexte générique permet
d’articuler les indications linguistiques aux instructions globales et d’expliquer
l’interprétation des actes de parole mieux que ne le permet l’interprétation
séquentielle (Schegloff & Sacks, 1973). Les actes de parole sont catégorisés avec la grille
de Chabrol et Bromberg, 1999.
33 L’analyse pragmadiscursive, lexicale et morphosyntaxique de 24 interactions de 3 mn, 6
par genre a amené à distinguer 4 schémas génériques d’actes et de tours de parole des
animateurs et des invités : controverse, portrait, jugement, polémique, caractérisés par
des poids différents des actes de parole. Afin de mettre à jour les indices
morphosyntaxiques de ces genres, une analyse multidimensionnelle a été menée sur le
péritexte des émissions, le péritexte des interactions et le texte des interactions. On
peut cependant se demander si l’analyse morpho-syntaxique est la dimension
pertinente de description et si l’analyse n’aurait pas gagné à donner une définition plus
linguistique des actes de parole.

S. Loiseau : CorpusReader : un dispositif de codage pour


articuler une pluralité d’interprétations, p. 153-186.
34 S. Loiseau décrit ici un outil qu’il a lui-même développé de multi-annotation de corpus
de textes écrits – l’idée étant que des corrélations entre niveaux de description peuvent
permettre de caractériser des normes linguistiques des discours ou des genres. Le
dispositif de codages multiples qui travaillent sur des unités de tailles différentes doit
permettre d’analyser des interactions entre traits de niveaux hétérogènes. Il doit
permettre aussi de cumuler des informations partielles liées par exemple à des
analyseurs concurrents.
35 Concernant le choix du format de représentation, l’auteur argumente les avantages du
format XML comme format d’accumulation ainsi que la standardisation liée à la TEI et
ses avantages pour documenter l’annotation ; cependant à la différence de la TEI,
CorpusReader ne fait pas découler du format arborescent d’XML que les données sont
hiérarchiquement ordonnées. Les difficultés rencontrées par l’enchevêtrement des

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hiérarchies sont discutées et l’auteur prône non l’annotation débarquée (stand-off)


mais l’annotation en nœuds-bornes (balises milestones) qui privilégie l’axe de la
précédence sur celui de la dominance, ce qui transforme l’arbre en graphe.
36 Contextualiser revient à fusionner les annotations liées au corpus et celles produites
par l’analyseur syntaxique.
37 L’auteur discute le choix d’une API entre DOM (relation de dominance privilégiée) et
SAX (relation de précédence) et se prononce pour les avantages de la seconde (taille de
corpus non limitée grâce au traitement en flux, possibilité d’user des nœuds-bornes)
38 Je ferai quelques remarques et questions à propos de cet article. La démarche prônée,
qui vise à caractériser de façon statistique et inductive les normes des discours et des
genres, repère les corrélations entre propriétés annotées a priori des textes ou parties
de textes et fréquences de traits morpho-syntaxiques. Outre qu’aucune discussion des
unités textuelles liée à une théorie des genres n’est proposée, on ne peut que se poser la
question de savoir à quelles conditions l’ACP (qui est le traitement visé et privilégié par
CR) qui travaille toujours sur des formes (lexèmes ou grammèmes catégorisés en
parties du discours), et non sur la valeur ou le sens, peut par l’annotation contextuelle
favoriser l’émergence du sens : il est clair que l’interprétation de l’analyse factorielle
doit massivement réinjecter du sens par une lecture sémantique très intuitive des
oppositions sur les axes, car le sens local n’est pas déductible statistiquement de la
cooccurrence de traits morpho-syntaxiques et de genres. Autrement dit, il existe un
gouffre herméneutique entre les méthodes inductives quantitatives et une linguistique
de la parole qui vise à élaborer une théorie des corrélations entre valeur locale et traits
globaux relevant de la linguistique des genres. Une linguistique de la parole ne travaille
pas sur des indices morphosyntaxiques (fréquence de tel lexème, de tel pronom
personnel ou de tel morphème du temps verbal), mais sur la valeur locale en contexte
de ces derniers. Autrement dit, le parcours interprétatif travaille toujours au niveau de
l’énoncé dans son contexte, comme le montre l’analyse de Missire & Rastier sur le passage
de Madame Bovary. C’est peut-être le mot de « corrélat » qui prête à confusion : en
linguistique de la parole, il s’agit de corrélation entre valeur locale d’un morphème et
traits de genre plus ou moins globaux (tant il est vrai que dans la chaîne de la parole et
dans un genre textuel donné, le trait global peut être restreint à l’énoncé : cf. les
modalités d’énonciation), alors qu’en linguistique quantitative, il s’agit de corrélation
de formes locales et globales. Les analyses quantitatives des « indices
morphosyntaxiques » peuvent confirmer des différences massives de catégories
morpho-syntaxiques entre textes ou sous-corpus mais sont de peu d’utilité pour
l’analyse des contraintes globales sur l’interprétation du local. Le travail de définition
précise de l’empan des contraintes selon les paliers de globalité sur le local s’avère
nécessaire à l’intérieur de chaque genre et de façon distincte mais coordonnée selon les
composantes textuelles.
39 Pour conclure je dirai que ce numéro de la revue Corpus, très riche d’expériences
diverses de travail sur corpus est à mettre entre toutes les mains et soulève de
multiples questions sur la définition des contextes et sur le statut des variables dans
l’approche quantitative des contextes. Ayant moi-même largement pratiqué les
approches quantitatives et contrastives de corpus multigenres, il m’apparaît de plus en
plus nettement que l’on ne peut plus se contenter de cette approche quantitative des
sorties d’analyseurs et qu’un travail de définition plus précise de la variation de la
textualité selon les genres s’avère nécessaire pour développer une linguistique de la

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parole qui rende compte des multiples formes de contraintes du global sur le local, si
toutefois l’objectif est d’intégrer le syntaxique et le textuel dans ses contraintes de
genre.

AUTEURS
DENISE MALRIEU
MODYCO, Université Paris X

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