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Analyse dispositif "À la folie" réalisé par

Wang BING
Comme un ombre :
Ce documentaire super réel de Wang Bing se déroule dans un hôpital psychiatrique
d'une province en Chine. Pourquoi qualifier ce film de "super réel" ? Parce que le
réalisateur reste invisible et que les personnes filmées sont si proches et si naturelles
qu'on en vient à douter de la présence même d'une caméra.

Mais comment cela fonctionne-t-il ? Avant de découvrir l'œuvre de Wang Bing, j'avais
appris que Kiarostami avait d'abord envisagé de réaliser une maquette pour "ABC
Africa", mais il a finalement opté pour une petite caméra numérique lorsqu'il a compris
que les gens se montraient plus authentiques devant cet appareil. Pour Wang Bing, ce
choix de dispositif s'explique aussi par d'autres raisons, semblables à une approche
amateur. Lors d'une rencontre à Rennes 2, il a expliqué avoir fait ce choix en raison de
pressions financières constantes pour ses projets, soulignant l'avantage des caméras
numériques pour les réalisateurs indépendants.

Il est vrai que grâce à des réalisateurs émérites comme Wang Bing et Kiarostami,
tourner avec une caméra numérique n'est plus considéré comme une démarche amateur.
Ainsi, grâce à ces petites caméras numériques, il devient possible de capturer des
interactions d'une authenticité saisissante avec son sujet. Mais il y a un autre élément clé
qui caractérise son approche, celui d'être comme une ombre dans ce film et ses autres
réalisations : la patience. Dans plusieurs témoignages, Wang Bing explique qu'il passe
beaucoup de temps avec ses personnages et dans leurs environnements. Le temps
devient la clé principale, comme en témoigne le fait qu'il a accumulé plus de 300 heures
de prises pour "À la folie". Wang Bing souligne qu'il serait impossible d'obtenir un tel
volume de rushes avec des pellicules classiques, soulignant ainsi l'importance capitale
de la combinaison d'une caméra numérique et d'une patience quasi surhumaine.
"Less is more" : le minimalisme et la douleur
Une méthode très captivante utilisée par Wang Bing pour introduire un personnage dans
ses films, notamment dans "À la folie", est de nous dévoiler les espoirs, les inquiétudes,
les actions et réactions de ce personnage. En tant qu'êtres humains, nous commençons
à émettre des jugements et à spéculer sur l'histoire de ce personnage. Cependant,
lorsque nous sommes convaincus de nos hypothèses, apparaît un court texte à l'écran
dévoilant simplement un nom et une date (Ma YUNDE), hospitalisé depuis 12 ans. Cette
révélation soudaine provoque une explosion de compassion et transforme l'histoire en un
véritable drame. Dans ce film, chaque personnage se révèle être un long métrage à lui
seul.
Un monde non linéaire tel que la réalité : écriture, montage :
Dans ce film, nous pénétrons dans le monde de la folie avec une ouverture saisissante.
Il s'ouvre sur une scène brute, une perspective subjective qui donne l'impression de
s'endormir la nuit pour se réveiller le matin dans un hôpital psychiatrique du Yunnan.
Aucune empreinte de mise en scène ou d'histoire ne s'y trouve. Tout est d'une réalité
implacable. Dès les premières secondes, nous nous retrouvons immergés, presque
fous, là-bas. Ce choix judicieux plonge le public dans cet univers inconnu de l'hôpital
psychiatrique. Wang Bing maîtrise parfaitement l'art de guider le public à travers ce
monde à explorer. Il est à la fois explorateur, spectateur et partage avec nous
l'expérience de l'inconnu.

Wang Bing fait preuve d'une perspicacité remarquable et d'une grande patience en
naviguant à travers les 300 heures de matériel brut, qu'il présente avec une élégance
remarquable dans la salle de montage. Ces individus, étiquetés comme "malades" par
rapport à la société dite "normale", possèdent chacun leurs particularités captivantes
sur le plan cinématographique. Par exemple, le personnage de Tian, marquant sa peau,
ou les détails poignants de la vie de Ma Yundu que l'on découvre à travers ses
échanges avec sa femme. La séquence entre Ma Yundu et son épouse dépeint un
drame social, évoquant la pauvreté et la pression psychologique, presque comme une
scène d'un film néoréaliste italien condensée dans un court laps de temps.

Lorsque Ma Yundu évoque la possibilité de rentrer chez lui pendant les vacances,
laissant entrevoir une issue à son séjour à l'asile, Wang Bing souligne avec simplicité
que cette situation constitue un drame étalé sur douze ans. Cette tragédie, mêlant
pauvreté, maladie et un quotidien difficile, perdure depuis une douzaine d'années, et les
dialogues entendus ne révèlent rien de nouveau. Malgré les fréquentes discussions sur
les médicaments et les traitements, aucune amélioration n'est constatée dans ce
système défaillant qu'est l'asile. Au contraire, le statu quo persiste, plongeant les
individus dans le silence, la solitude et la dépression. Entre les médecins et les patients,
aucune différence n'est perceptible.

À un moment du film, l'un des patients se tourne vers la caméra pour exprimer que le
séjour prolongé dans cet endroit altère la santé mentale, allant jusqu'à dire "je veux
dire, vraiment fou !" Par la suite, il évoque le climat autoritaire et dictatorial qui règne
dans l'asile, soulignant qu'ils peuvent vous enfermer vingt-quatre heures sans motif, il
suffit simplement de consulter les dossiers. C'est illégal, irresponsable.

À une heure de la fin du film, pour la première fois, ils amènent un nouveau patient à
l'asile, rappelant le jour où nous sommes tous arrivés ici, dans ce grand asile, c'est-à-dire
le monde, et avons pleuré. Cet homme pleure également. Cette métaphore grandiose de
Wang Bing se déploie davantage. L'asile représente une métaphore du monde extérieur,
une réalité identique. Zhang Juanjuan, un nouvel arrivant dans le film, affirme qu'il n'est
pas fou. Ses cellules, qui lui apportent du réconfort, lui disent que le premier jour est
toujours ainsi et que l'on s'y habitue. C'est une vérité, il s'habituera. En tant que
spectateurs, nous en sommes conscients, ayant déjà observé (Ji Liyan, Tian, Ma Yundu,
Zhang, et d'autres), et sachant pertinemment que, cinq mois, cinq ans, voire vingt ans
plus tard, Zhang deviendra plus malade, jamais mieux, prisonnier de cet endroit pour
toujours.

Amirhossein BEIK
Novembre 2023

Ressources :
- L’entretien réalisé par Nicolas Thévenin et Tifenn Jamin, publié dans la revue
REPLIQUES n.4
- RENCONTRE AVEC WANG BING – CINÉASTE CHINOIS DANS LE CADRE DU
SÉMINAIRE "HISTOIRE ET/OU POLITIQUE" Université Rennes 2
- https://docuseek2.com/df-tilm
- https://china-underground.com/wp/movies/til-madness-do-us-part/
- https://en.unifrance.org/movie/39665/til-madness-do-us-part

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