Vous êtes sur la page 1sur 5

불어 숙달 II

Semaine 1 : Portrait

Le portrait
Bong Joon-ho, monstre de bonne
compagnie
Rencontre avec le réalisateur coréen,
palme d’or à Cannes pour «Parasite»,
qui aime la pluie et son chien et oscille
entre timidité et curiosité, désir
5 d’effacement et capacité à changer de
registre.

Si jamais vous vous retrouvez à déambuler


le long du fleuve Han, à Séoul, en dégustant
10 un calamar grillé à dix tentacules, méfiez-
vous de l’eau qui dort. Sous le pylône d’un
pont ou serpentant avec grâce entre les
courants pourrait surgir un poisson mutant
géant à quatre pattes… Agile comme un
15 singe ! À la queue de serpent ! À la gueule immonde inspirée de celle de
Steve Buscemi (véridique) ! On le croyait disparu ou, au moins, endormi
comme le monstre du Loch Ness. Le revoilà… au cinéma. Dix-sept ans après,
une version restaurée de The Host sort en France, ce qui n’est pas pour
déplaire à son réalisateur et scénariste Bong Joon-ho. «C’est un sentiment
20 curieux, dit-il, dans la petite salle de déjeuner de son hôtel parisien. C’est
une sorte de renaissance d’un objet que j’avais oublié.»

Après trois ans de pandémie, le film de monstres résonne par sa modernité,


entre manipulation illégale dans un laboratoire, recherche d’un virus
introuvable, incompétence des autorités et abandon des plus faibles livrés à
25 eux-mêmes. Devin Bong Joon-ho, star absolue du cinéma coréen, aussi à
l’aise à Hollywood qu’à Séoul, capable de passer de la science-fiction au
thriller sans oublier le drame intime et le fantastique ? «Je dirais plutôt que
c’est le cycle de l’histoire, s’en excuse-t-il presque. A l’époque, il n’y avait
pas le Covid, mais le Sras. Ça m’a beaucoup influencé.»

30 Le multirécompensé de 53 ans est de passage en coup de vent en France. Le


dimanche, il s’est fait acclamer au Grand Rex, à Paris. Le lundi, à l’Institut
Lumière, à Lyon, pour une rétrospective. Il a la mine rieuse et répond
longuement à chaque question, vous regardant dans les yeux. On finit
불어 숙달 II
Semaine 1 : Portrait
presque par croire que l’on comprend ce qu’il dit en coréen, et qu’en retour,
35 à sa manière de hocher la tête, il saisit nos questions en français, sans passer
par le filtre de la traductrice. Par ses réponses et ses petits gestes, l’artiste
semble plutôt vouloir disparaître qu’imposer son savoir ou sa célébrité.
Peut-être est-ce sa manière de s’habiller, tout en noir avec un manteau en
tweed boutonné jusqu’en haut et qu’il n’enlève jamais. Peut-être est-ce aussi
40 sa façon de regretter la fin des masques, «comme ça, je pouvais cacher mon
visage qui est très moche». Ou encore son amour de la nuit et de la pluie et
son rejet du soleil : «Je ne comprends pas comment les gens peuvent être
heureux en Californie.»

Interrogé lors de sa master class au Rex par Thierry Frémaux, le délégué


45 général du Festival de Cannes, ou lors de notre interview, il aime s’excuser,
minimiser l’ampleur sociétale de ses films, jurer qu’il «n’a pas étudié la
politique, l’économie». C’est «cette angoisse, cette
incompréhension» devant le monde qui va (mal) qu’il essaye
d’exprimer. «Je suis de nature anxieuse et nerveuse, explique le control
50 freak Bong Joon-ho. Mon psy me dit que je suis un inquiet qui a toujours
peur de ce que les autres pensent de lui. Mais ce n’est pas forcément négatif.
Au contraire, c’est un moteur. Pendant l’écriture du scénario, le story-
board, le tournage, c’est mon anxiété qui me pousse à ce que cela soit le
mieux possible.»

55 Pour relâcher la pression, distribuer les mérites aux autres le rassure. Après
tout, si The Host, est un grand film, c’est grâce «aux formidables
acteurs», Song Kang-ho en tête. Le comédien coréen est «un mélange d’Al
Pacino, de Joaquin Phoenix et de Michael Shannon» selon Bong Joon-ho.
Ils se sont rencontrés pour Memories of Murder (2003), ne se sont plus
60 lâchés. «La mise en scène était déjà pleine de surprises et d’inspiration, de
subtilité et de nuances. Je me souviens avoir été vraiment impressionné en
lisant le scénario», dit le héros de Parasite. «Quand je travaille avec lui, je
me sens plus à l’aise, plus sûr de moi, répond le réal. Je sais que son jeu,
son énergie, persuadera le spectateur.» Outre le mutin calme, d’autres
65 acteurs et actrices sont devenus des habitués. Volonté de se créer une famille
professionnelle pour celui qui a un père professeur d’art et un grand-père
écrivain célèbre passé en Corée du Nord ? Bong Joon-ho n’aime pas le terme.
Oui à la famille dans ses films, «centre de tout», loufoque et
dysfonctionnelle, objet parfait pour cultiver son humour noir et pointer les
70 disparités sociales et économiques, mais pas pour lui, qui a eu un fils avec
une scénariste.

Inscrit à l’université en sociologie, puis en cinéma, il a hanté les manifs


étudiantes mais a évité les collectifs artistiques. Il cultive toujours sa
solitude. «Je n’aime pas les regroupements, dit-il. Je préfère que chacun
75 reste dans son coin et réfléchisse.» De ce point de vue, la pandémie a été
불어 숙달 II
Semaine 1 : Portrait
propice. En pleine folie de ce petit bijou qu’est Parasite, palme d’or en mai
2019 et quadruplement oscarisé, tout s’est arrêté, en février 2020. Il en a
profité pour réfléchir à ses futurs projets, dont un long métrage avec Robert
Pattison, et promener son chien, un Norwich terrier baptisé «Zzuni». Il
80 s’empresse de nous montrer la photo de l’adorable bestiole. «Je l’aime, c’est
mon partenaire spirituel», dit-il en souriant. Leur relation est semblable
s’amuse-t-il à celle de l’enfant avec la truie génétiquement modifiée, qui
apparaît dans Okja, son film sorti uniquement sur Netflix en 2017, ce qui
avait entraîné moults débats sur la place de la salle de cinéma. «Quand on
85 s’intéresse aux animaux, on arrive à parler de l’essence de l’être humain,
juge-t-il. Okja est l’âme sœur de la petite fille, mais, pour tous les autres, ce
n’est que de la nourriture. C’est ce fossé entre les perceptions qui
m’intéressait.»

Récemment, on lui a offert Abysses de la militante écologiste Claire


90 Nouvian. Ces clichés des créatures sous-marines l’ont fasciné et déclenché
le projet d’un film d’animation. La curiosité de Bong Joon-ho est insatiable.
Il n’aime rien tant que de découvrir de nouvelles histoires, de s’inspirer
d’autres cultures remixées à sa sauce. Il s’imprègne de tout, comme un
poisson lanterne capable de refléter la lumière. Côté français, il évoque
95 Truffaut, Chabrol, Clouzot. Adolescent, il a découvert leurs films mal
doublés, ce qui rajoutait au charme. Il cite le dessinateur Jean-Marc
Rochette, auteur de la BD Transperceneige, qui donna le film Snowpiercer,
mais aussi Goscinny, avec Astérix et le Petit Nicolas, bédés feuilletonnées
dans des magazines de son pays. Désormais, le rapport de force culturel s’est
100 inversé. C’est Bong Joon-ho qui influence au-delà de ses frontières tout
comme en général la culture coréenne dont le soft power est au firmament.
Il n’a pas l’explication imparable de ce succès, se contente d’hypothèses. Il
liste ses souvenirs de la dictature militaire jusqu’en 1987, de la violence
connue pendant sa jeunesse. Il souligne les paradoxes actuels d’une
105 société «avec Internet le plus rapide au monde mais des familles coupées
en deux», entre le Nord et le Sud. Comme la sienne, dont certains membres
ne se sont plus parlé depuis des décennies. «Notre passé est si tumultueux,
les sources d’histoires sont inépuisables. Chaque Coréen a énormément de
choses à raconter…» Bong Joon-ho aussi.
14 septembre 1969 Naissance.
2000 Barking Dogs Never Bite.
2019 Parasite.
8 mars 2023 Sortie de la version restaurée de The Host.

Source : https://www.liberation.fr/portraits/bong-joon-ho-monstre-de-bonne-
compagnie-20230306_2WNQDMICTBFCNDUEU64WXZN4II/
par Quentin Girard
publié le 6 mars 2023 à 17h52
불어 숙달 II
Semaine 1 : Portrait
Compréhension écrite

1. Comment comprenez-vous la phrase « méfiez-vous de l’eau qui


dort » (l.10) ?

2. En quoi le film « The Host » paraît-il autant d’actualité 17 ans


après sa sortie ? Citez des exemples du texte.

3. Pourquoi le réalisateur est nostalgique du port du masque


obligatoire ?

4. Quel est le caractère de Bong Joon Ho ? Qu’est-ce qui le définit ?

5. Quelles sont les influences majeures de Bong Joon Ho ?


불어 숙달 II
Semaine 1 : Portrait

Production orale

Quels films de Bong Joon Ho avez-vous vu ? Pourquoi ?

Quelles œuvres ou quels auteurs ou quelles autrices vous ont


marqué ? Racontez.

Production écrite

Choisissez une personnalité et faites-en un portrait en réutilisant


les expressions et la forme de récit de l’article lu en classe. (250
mots minimum)

Vous aimerez peut-être aussi