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Le Canada, champion des bas prix d’électricité

en Occident
Publié le vendredi 31 août 2018 à 15 h 59 Mis à jour le 1 septembre 2018 à 10 h 59

Des pylônes électriques en Montérégie Photo : Radio-Canada/Martin Thibault


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Par rapport au Canada, l'électricité coûte deux ou trois fois plus cher en Europe de l'Ouest, en Australie et au
Japon. Par conséquent, ces pays ont une longueur d'avance en matière d'efficacité énergétique. Explications,
carte et graphiques.

Un texte de Danielle Beaudoin

Les Canadiens paient l’électricité en moyenne 13 cents (CA) le kilowattheure (kWh), selon les données de
GlobalEnergyPrices. En Allemagne, c’est trois fois plus élevé, à 44 cents le kWh. Les Espagnols déboursent
34 cents le kWh, et les Portugais, 38 cents. En Australie et au Japon, l’électricité revient à 34 cents le kWh.

Source : Données en cents canadiens de GlobalEnergyPrices (juin 2018)

Pourquoi une si grande disparité entre ces pays industrialisés? Ce sont pourtant des pays dits matures, qui
ont réalisé l’électrification depuis plus de 50 ans.

Les prix résidentiels sont extrêmement variables d’un pays à l’autre, d’abord à cause de la taxation, explique
Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie.
« Il y a des pays qui taxent énormément l'électricité, et donc qui font payer les consommateurs. »

Prix élevés et équité sociale


En Europe de l’Ouest, les niveaux de taxation sont très élevés. Par exemple, en Allemagne et au Danemark,
les deux tiers du tarif sont des taxes, qui visent notamment à financer les programmes d’énergies
renouvelables (solaire et éolien). Ces deux pays ont amorcé une transition énergétique en électricité pour se
débarrasser des combustibles fossiles. L’Allemagne veut fermer ses centrales nucléaires, et le Danemark, ses
centrales au charbon, explique Pierre-Olivier Pineau.
Une machine creuse pour trouver du charbon à côté de la forêt de Hambach, près de Dueren, en Allemagne,
le 27 août 2018. Des écologistes protestent contre le projet de l'entreprise allemande RWE de raser la forêt
pour extraire le charbon. Photo : The Associated Press/Martin Meissner

Dans ces deux pays, les taxes servent aussi à décourager la consommation excessive d’énergie, sans renier
l’équité sociale, précise l’expert.

Ils n'hésitent pas du tout à mettre des prix élevés. Et évidemment, ils ont aussi des programmes parallèles
pour s'assurer qu'en matière d'équité sociale, les moins bien nantis ne sont pas pénalisés.

Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal

Les coûts de production


L’autre facteur qui explique la disparité tarifaire, ce sont les coûts de production et d'acheminement de
l'électricité, qui varient énormément d’un endroit à l’autre, poursuit le professeur Pineau. L’expert donne
l’exemple du Québec, où la production d’hydroélectricité est très peu coûteuse, puisqu’elle revient en
moyenne à 2 cents le kWh. « Ces 2 sous par kWh, on peut les comparer aux 10 sous le kWh que ça coûte
pour produire de l'électricité si on la produit avec du gaz naturel ou d'autres énergies renouvelables comme
l'éolien. »

Viennent ensuite les coûts de livraison pour acheminer l’électricité aux consommateurs, qui peuvent aussi
varier beaucoup d’un pays à l’autre.

Dépendre des autres pays


L’électricité est plus coûteuse dans les pays qui ne produisent aucune énergie et qui doivent l’importer,
comme l’Espagne et le Portugal, note pour sa part Gaëtan Lafrance, professeur émérite au Centre Énergie
Matériaux Télécommunications de l’INRS. Ces deux pays dépendent des autres, explique-t-il.

Historiquement, l’Espagne et le Portugal n’ont pas pu développer, comme nous il y a 50 ans, des barrages
hydroélectriques. Ils ont acheté de l’énergie de l’étranger, de l’Afrique du Nord par exemple, pour construire
des centrales thermiques. Ou bien ils se sont rabattus sur les énergies renouvelables.

Gaëtan Lafrance, professeur à l’INRS

L’Espagne est d’ailleurs un chef de file dans le développement éolien et solaire, souligne le professeur
Lafrance. Mais lorsqu’ils se sont lancés dans ces productions, il y a 15 ou 20 ans, cela leur a coûté cher, et
c’est pour ça que les tarifs sont élevés aujourd’hui, précise l’expert.

L’efficacité énergétique du Japon


Le Japon dépend aussi des autres pays. « Dans le cas du Japon, la production de l'électricité coûte cher,
parce qu'ils n'ont aucune ressource indigène », note Pierre-Olivier Pineau. Ce pays a fermé une bonne partie
de ses centrales nucléaires après l’accident de Fukushima. Ces dernières étaient coûteuses, mais ça revenait
moins cher qu’aujourd’hui.

Le Japon doit maintenant importer le pétrole, le charbon et le gaz naturel dont il a besoin, explique l’expert.
« Ils ont un système électrique qui leur coûte extrêmement cher. Ce qui a permis au Japon de développer une
efficacité énergétique absolument hors du commun. »
Un bateau-citerne transportant du gaz naturel liquéfié est remorqué jusqu'à la centrale thermique de Futtsu, à
l'est de Tokyo, au Japon, le 13 novembre 2017. Photo : Reuters/Issei Kato

Les Japonais ont un niveau de consommation d'énergie par habitant qui est très, très faible, parce que la
nécessité les a fait développer d'excellentes habitudes en efficacité énergétique.

Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal

Le cas australien
Les Australiens sont parmi ceux qui paient leur électricité le plus cher, à 34 cents le kWh. Pourquoi? C’est
un vaste pays, et on y trouve des îlots de population répartis surtout le long des côtes, explique Gaëtan
Lafrance. Il n’y a pas de lignes de transport pour relier les villes ou traverser l’immense désert au centre du
pays.

« Ce sont des mini-réseaux qui correspondent aux grandes villes. Et puis, c’est du charbon essentiellement
qu’on utilise. Et les centrales au charbon, ce n’est pas très efficace », précise l'expert.

En Afrique, de petits réseaux « broche à foin »


Le taux d’électrification est faible dans bon nombre de pays africains. « Dans les pays du Sahel, quand je
suis allé me promener là, ce sont souvent des taux de desserte de 20 %. Ça veut dire que 80 % de la
population n’a pas accès à l’électricité. Ce sont des réseaux qui ressemblent à l’Ungava ou aux réseaux
éloignés du Canada », observe le professeur Lafrance.
L'intérieur d'une maison sans électricité au Rwanda Photo : Radio-Canada/Janic Tremblay

C’est broche à foin, ce sont de tout petits réseaux. C’est vraiment difficile. Comme les populations sont très
pauvres, les coûts d’exploitation sont très peu chers.

Gaëtan Lafrance, professeur à l’INRS

Les pays en voie de développement, dont l’Inde, n’ont pas mis en place des réseaux selon les normes
standards qu’on connaît en Occident, souligne Gaëtan Lafrance. « On ne peut pas comparer ces prix. » Les
pays pauvres, par exemple en Afrique de l’Ouest, n’ont pas encore les moyens de se défaire des petites
centrales au diesel, ajoute l’expert. « Au final, la production est très inefficace. »

Là où ça coûte le moins cher


On trouve les tarifs les plus bas du monde dans les pays d’Asie riches en pétrole, qui subventionnent
l’électricité, dont l’Arabie saoudite, l’Iraq, l’Iran, le Qatar et l’Ouzbékistan.

D’autres pays ont d’abondantes ressources qui leur permettent de produire de l’électricité bon marché. Le
professeur Pineau cite l’Algérie, qui produit énormément de gaz naturel.

Au Canada, des coûts variables


Les consommateurs canadiens profitent des tarifs d’électricité parmi les plus bas en Occident. Il faut dire
que les sources d’énergie sont abondantes au pays. Le Canada est le deuxième producteur d’hydroélectricité
du monde, le cinquième pour les autres ressources renouvelables (éolien, biomasse et solaire) et pour le gaz
naturel, et le sixième pour le pétrole brut, selon l’Office national de l’énergie.
Plus de la moitié de l’électricité produite au Canada (59 %) provient de l’hydroélectricité, la source la moins
coûteuse d’énergie. On trouve d’ailleurs les meilleurs tarifs au Manitoba et au Québec, des provinces où la
plus grande partie de l’électricité vient des grands barrages hydroélectriques construits il y a plusieurs
décennies à faible coût.

L’électricité est aussi à bon prix en Alberta, car cette province produit du charbon et du gaz naturel.

En Ontario, l’électricité coûte plus cher, au grand dam des consommateurs. En fait, les Torontois ont une
facture deux fois plus élevée que celle des Montréalais. La réduction des tarifs a d’ailleurs été une des
promesses phares du chef conservateur Doug Ford, élu premier ministre de cette province en juin 2018.

Plus de la moitié de la production d’électricité de l’Ontario (58 %) vient de l’uranium, une énergie coûteuse.
Et selon Gaëtan Lafrance, cette province a toujours pris des « décisions douteuses » : privatisation d’Hydro
One, « soutien exagéré » du solaire et de l’éolien, division des responsabilités pour la production et la
distribution.

C'est vraiment une série de mauvaises décisions extrêmement politiques qui ont été prises au fil des ans, de
réformes du secteur de l'électricité, d'aller dans le nucléaire.

Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal

La centrale nucléaire de Darlington, à Courtice, en Ontario, le 30 octobre 2014 Photo : La Presse


canadienne/Frank Gunn

Dans les Maritimes aussi, c'est coûteux. Ce sont de petits systèmes surtout basés sur le charbon, avec des
coûts de production élevés. D’ailleurs, le chef libéral Brian Gallant, en campagne électorale en ce
moment, promet de geler les tarifs d’électricité s’il est réélu le 24 septembre.
Les variations de tarifs d’une province à l’autre s’expliquent aussi par la structure du marché. Dans la
plupart des provinces, le marché de détail de l’électricité est réglementé. Seulement l’Ontario et l’Alberta
ont déréglementé dans une certaine mesure leur marché au cours de la dernière décennie.

Les bas prix, une arme à double tranchant


Les faibles coûts de l’énergie peuvent stimuler l’économie. On l’a vu au Québec avec le développement de
certaines industries, dont l’aluminium. Cela dit, les bas prix nous amènent aussi à nous reposer sur nos
lauriers et à moins innover, fait valoir Pierre-Olivier Pineau.

Il rappelle que le Japon, l’Allemagne et le Danemark ont des tarifs autrement plus élevés que chez nous.
Cela les a incités « à développer une ingéniosité, une capacité à trouver des solutions plus efficaces d'un
point de vue énergétique, qui leur permettait en fait de créer plus de richesse ».

L’expert souligne que c’est souvent la contrainte qui nous amène à développer des solutions de productivité
énergétique. Alors, les bas tarifs, c’est une arme à double tranchant, lance-t-il.

En raison des faibles coûts de son énergie, le Canada a une consommation par habitant qui figure parmi les
plus élevées du monde, rappelle Pierre-Olivier Pineau. On consomme beaucoup d’énergie, puisqu’elle ne
coûte pas cher, et ainsi, on ne fait pas d’efforts pour, par exemple, mieux isoler les bâtiments.

Le siècle du solaire et de l’éolien


Au cours des 20 prochaines années, les énergies solaire et éolienne continueront de se développer, que ce
soit en Chine, aux États-Unis ou en Europe, estime Gaëtan Lafrance.

Des panneaux solaires à perte de vue, au Texas, aux États-Unis. Ils servent à alimenter la petite ville de
Georgetown. Photo : Ercot
L’expert prédit que le solaire va dépasser l’éolien et l’hydroélectricité aux États-Unis. « Il va y avoir toutes
sortes de politiques; mais aussi, le coût de production du solaire baisse de façon très rapide. Si on examine
les choses dans 20 ans, les amortissements vont avoir été faits pour ces énergies renouvelables. Les coûts
continuent de baisser. »

C’est un peu comme l’hydroélectricité dans le siècle dernier. Le 21e siècle, c’est le siècle du solaire et de
l’éolien.

Gaëtan Lafrance, professeur à l’INRS

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