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Cahiers d’études africaines

245-246 | 2022
Salariats d'en bas

Le salariat, un objet devenu (trop) discret en études


africaines
Wage Labour, a Research Topic that Has Become (Too) Discreet in African
Studies

Étienne Bourel et Guillaume Vadot

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/etudesafricaines/36030
DOI : 10.4000/etudesafricaines.36030
ISSN : 1777-5353

Éditeur
Éditions de l’EHESS

Édition imprimée
Date de publication : 1 juin 2022
Pagination : 9-39
ISBN : 978-2-7132-2926-8
ISSN : 0008-0055

Référence électronique
Étienne Bourel et Guillaume Vadot, « Le salariat, un objet devenu (trop) discret en études africaines »,
Cahiers d’études africaines [En ligne], 245-246 | 2022, mis en ligne le 01 juin 2022, consulté le 10 juin
2022. URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/36030 ; DOI : https://doi.org/10.4000/
etudesafricaines.36030

© Cahiers d’Études africaines


Étienne Bourel & Guillaume Vadot

Le salariat, un objet devenu


(trop) discret en études africaines

Les historiens qui voudront comprendre l’Afrique de ce début de siècle seront perplexes.
Les statistiques qu’ils consulteront leur indiqueront un continent pauvre,
tandis que de nombreux articles de presse leur apprendront que le continent
était peuplé de « jeunes entrepreneurs innovants ». […] Une véritable industrie de la
récompense a vu le jour. Ses acteurs, média, multinationales, organismes en tout genre,
se livrent une concurrence acharnée pour décerner des prix à nos jeunes « innovateurs »,
se réjouissant ainsi de la bulle qu’ils ont créée1.

Intentions et contenu du numéro

Dépasser le glacis qui pèse sur l’étude du salariat en Afrique

Engager aujourd’hui une recherche ou un projet éditorial sur les salarié.e.s


en Afrique subsaharienne n’est pas chose facile sur le plan scientifique. On a
vite fait de passer pour ringard.e, voire rétrograde. Des voix et des partis
pris extrêmement divers ont souligné la focalisation excessive des études
concernant le travail en Afrique, tout au long du xxe siècle, sur les configura-
tions associées au salariat (notamment urbain et industriel). Or, les catégories
professionnelles correspondantes, notamment les ouvrier.ère.s, sont toujours
restées minoritaires dans ces sociétés.
On peut aussi avoir l’air, inversement, de partir à l’assaut d’un legs
intellectuel déjà malmené et de s’associer à des critiques englobantes et
finalement aveuglantes, alors que « travail et travailleurs africains » ne sont
depuis plusieurs années déjà plus « à la mode dans les sciences sociales »
(Copans 2014).
En réunissant des articles qui témoignent, de différentes manières,
du redéploiement et de la vitalité du rapport salarial en Afrique centrale,

1. Yann Gwet, « L’Afrique rêve sa jeunesse en start-up innovante… sans la construire »,


Le Monde Afrique, 9 mai 2016.

Cahiers d’Études africaines, LXII (1-2), 245-246, pp. 9-39.


10 ÉTIENNE BOUREL & GUILLAUME VADOT

de l’Ouest et de l’Est, le présent numéro thématique souhaite d’abord attirer


le regard vers des configurations empiriques encore peu mises en lumière.
Il entend aussi contribuer à promouvoir une historiographie moins clivée
par le basculement qu’ont provoqué les plans d’ajustement structurel. Il veut
proposer enfin des outils d’analyse qui permettent de (re)faire place aux
« salarié.e.s d’en bas », subalternes, majoritairement manuel.le.s et souvent
sans contrat de travail formel, parmi la diversité des formes et des situations
de travail, mais aussi des normes d’emplois que l’on rencontre actuellement
sur le continent.
Le problème n’est pas, en effet, que le travail aurait disparu des radars
de la recherche en études africaines : au contraire, on assiste depuis plusieurs
années à un renouveau des démarches empiriques et des discussions théo-
riques, en socioanthropologie (Comaroff & Comarroff 2010 ; Diedhiou 2021 ;
Kasmir & Carbonella 2014 ; Mususa 2021 ; Smith 2021 ; Tchicaya-Oboa,
Kouvouama & Missié 2014) et surtout en histoire (Bellucci & Eckert 2019 ;
Cooper 2019 ; Labor History 2017 ; Messi Me Nang 2014 ; Tiquet 2019)2.
Les salarié.e.s, en revanche, n’ont presque plus jamais été constitués comme
objet de recherche, du fait du changement de focale évoqué plus haut mais
aussi de l’imposition progressive de nouveaux imaginaires de l’économie qui
les invisibilisent — des imaginaires dont Achille Mbembe a récemment fait
la critique3. Tout se passe comme si ils et elles constituaient un objet miné,
considéré comme indissociable de conceptions normatives de l’histoire et
des sociétés qui imprégnaient des recherches menées il y a maintenant près
d’un demi-siècle, dans un contexte académique moins professionnalisé et
plus politisé qu’aujourd’hui. Notre diagnostic est ici largement similaire à
celui établi par la revue African Economic History en 2016, dans le cadre
de la publication d’un dossier sur les migrations de travail (Guthrie 2016).

2. Les pages du présent numéro consacrées aux comptes rendus de lectures ont été pensées
pour témoigner de cette actualité, à travers la recension de plusieurs ouvrages récents.
3. Il fait ainsi du « nouveau catéchisme » de l’entrepreneuriat le dernier né des grands
empêchements politico-idéologiques à la démocratie en Afrique : « En d’autres termes,
améliorer le fonctionnement de l’État, c’était limiter drastiquement son rôle économique.
Davantage de marché était, prétendait-on, la solution. […] C’est ainsi que la question de
la démocratie fut dépolitisée. […] Elle a été réduite aux deux produits standardisés du
marché du développement que sont la “bonne gouvernance” et “le renforcement de la
société civile”. D’ailleurs aujourd’hui, ces deux produits sont eux-mêmes en passe d’être
supplantés par un nouveau catéchisme : celui de l’entrepreneuriat avec ses incubateurs, ses
start-ups et ses “young leaders”. Il est vrai, mieux que celui de la gouvernance, l’évangile
de l’entreprenariat correspond mieux à la phase actuelle de l’accumulation globalisée.
Celle-ci n’est-elle pas caractérisée par la dérégulation systémique de la finance, l’un
des éléments moteurs de l’économie politique de l’inégalité à l’échelle planétaire ? »
(Mbembe 2022).
LE SALARIAT, UN OBJET DEVENU (TROP) DISCRET 11

La volonté de dépasser ce glacis est largement à l’origine de ce projet


de numéro, qui fait suite à une école thématique du cnrs sur les « Afriques
ouvrières » organisée en mai 2019. La réalisation du présent numéro a mobilisé
vingt-et-un collègues, dont la quasi-totalité sont en début de carrière et la
moitié sont issus de pays africains. S’y adjoint l’entretien rétrospectif qu’a
bien voulu nous accorder Frederick Cooper, historien du travail et l’un des
principaux animateurs de la recherche historienne sur l’Afrique contempo-
raine. Cet échange est l’occasion de revenir sur son parcours depuis ses études
à l’Université de Stanford dans les années 1960, mais aussi sur l’évolution
des études sur le travail en Afrique depuis un demi-siècle et les changements
de perspectives épistémiques qui l’ont marquée.

Des articles qui illustrent la labilité grandissante du rapport salarial

La plupart des articles illustrent et analysent les résurgences ou les transfor-


mations contemporaines du travail salarié en Afrique subsaharienne. Ils docu-
mentent combien la diversité des configurations est allée grandissante depuis
vingt ans, le rapport salarial étant en fait une modalité souvent usitée dans le
cadre de la pluralisation des situations de travail qui, elle, est mieux connue.
Cette diversification du salariat s’observe dans le cadre du développement
rapide du gardiennage, étudié ici pour la ville de Douala par Yves Dieudonné
Bapes Ba Bapes, qui s’attache à décrire l’élaboration par les gardien.ne.s
de compléments du salaire qui rendent leur condition plus acceptable et la
pérennisent. On peut penser également au boom de la construction, des petits
aux grands chantiers, ici analysés par Gérard Amougou, Antoine Kernen et
Fabien Nkot, des relations entre travailleurs locaux et chinois sur les sites de
construction de grandes infrastructures au Cameroun. Il y a lieu aussi de porter
attention aux changements qui surviennent dans la petite et grande agricul-
ture. Pierre Girard, Esther Laske, El Hadji Malick Sylla, Jérémy Bourgoin et
Moussa Sall d’une part, Joel Jiometio Tchinda, Hervé Tchekote et Thérèse
Moulende d’autre part, se penchent ainsi sur la diffusion, grandissante et
pourtant peu visibilisée du salariat agricole, respectivement dans deux régions
du Sénégal et une du Cameroun. Chloé Josse-Durand et Éric Ndayisaba, quant
à eux, abordent les conditions de travail et de rémunération des ouvrières et
ouvriers des plantations et usines de thé, dans le cadre d’un effort comparatif
entre terrains kenyans et burundais.
La labilité du rapport salarial et sa cohabitation avec d’autres formes de
mobilisation du travail, y compris dans une branche qui fait l’objet de politiques
de régulation comme l’extraction minière, est plusieurs fois rappelée. Héritier
12 ÉTIENNE BOUREL & GUILLAUME VADOT

Mesa Nteke les donne à voir en ce qui concerne les couches populaires de
Kinshasa, en soulignant que la débrouillardise y prend souvent la forme de
petits emplois salariés, combinés avec d’autres activités. L’humanitaire même
n’est pas oublié, à travers l’article que consacre Zoé Tinturier aux trajectoires de
femmes malgaches employées dans un programme de commercialisation d’un
produit alimentaire bon marché. De même que le vigilantisme, ce secteur ne fait
pas partie des terrains privilégiés de la socioanthropologie du travail. Pourtant,
les deux articles du numéro qui s’intéressent à ces situations permettent de
souligner le potentiel heuristique d’une étude, dans ces contextes, des rapports
de travail et des négociations quotidiennes auxquelles ils donnent lieu.
D’autres articles, regroupés dans la première partie du numéro, traitent
des questions de catégorisation et de labellisation, à partir de l’observation des
velléités normalisatrices de l’administration, des employeurs et des salarié.e.s
mais aussi de l’exercice concret du droit du travail. Ce dernier est au cœur
de l’article de Sidy Cissokho, qui situe son observation notamment dans les
salles d’audience où se jugent les conflits du travail. Il montre à quel point la
qualification d’une relation de travail comme relevant du salariat est le produit
de conjonctions complexes, au croisement de la mobilisation des travailleuses
et travailleurs et des logiques professionnelles qui s’imposent aux carrières
des mandataires syndicaux. Au contraire, Matthieu Bolay et Filipe Calvão
analysent la manière dont le recours à des sous-traitants en main-d’œuvre et
le jeu sur les régimes juridiques (notamment celui réservé à l’exploitation
minière dite artisanale) permettent de plus en plus aux compagnies minières de
mobiliser une force de travail sans avoir à s’engager dans l’officialisation de
relations salariales. En suivant les trajectoires de vigilantes de deux quartiers
de Lagos, Lucie Revilla souligne quant à elle que l’instauration d’un rapport
salarial constitue pour eux un horizon d’attente et un enjeu de négociation avec
les employeurs, associé à une recherche de stabilité et à un certain nombre
de transactions symboliques qui concernent notamment la performance de
leur masculinité. Enfin, l’article de Ferruccio Ricciardi offre une perspec-
tive historique sur ces enjeux de labellisation, qui se situent à la croisée de
l’économique, du politique et du droit. Il éclaire les multiples contradictions
de la définition, par les autorités coloniales et les maisons de commerce
du Congo français dans les années 1920 et 1930, du statut des travailleurs
africains, entre promotion de la liberté du travail, d’une part, et répression
de la mobilité, d’autre part.
LE SALARIAT, UN OBJET DEVENU (TROP) DISCRET 13

Contribuer à l’histoire des salariats

En tant que coordinateurs, il nous revient aussi de dire ce que ce numéro n’est
pas, afin de souligner de quelle(s) construction(s) il pourrait constituer une pre-
mière pierre. Les pages qui suivent ne sont ainsi pas en mesure de proposer une
histoire du salariat en Afrique, sur le modèle de ce qui a pu être tenté pour la
France des xixe et xxe siècles (Didry 2016 ; Menjoulet 2020) ou pour un objet
voisin comme le travail contraint (Stanziani 2020). Pourtant, des connaissances
nouvelles ont été accumulées depuis quelques années qui permettent d’alimen-
ter une histoire sociale du travail salarié en Afrique subsaharienne (notamment
sur une région spécifique, la ceinture de cuivre congolaise et zambienne
(Ferguson 1999 ; Larmer 2021 ; Larmer et al. 2021) mais aussi une histoire de
l’institution juridique du salariat (Le Crom & Boninchi 2021 ; Maul, Puddu &
Tijani 2019). Elles s’ajoutent à la fresque produite par Frederick Cooper
(2004) sur la période des décolonisations dont la méthode d’investigation
kaléidoscopique peut constituer une source d’inspiration (voir l’entretien avec
l’historien dans ce numéro). Elles s’additionnent également à des historio-
graphies nationales ou régionales parfois riches, au-delà même du cas sud-
africain et de l’Afrique australe, comme au Sénégal (Fall 2011 ; Guèye 2011),
au Burkina Faso (Ouédraogo 1985 ; Ouédraogo & Fofana 2009), en Ouganda
(Mamdani 1996), au Maghreb (Benarrosh 2019), au Nigéria (Lindsay 2003),
au Kenya (Bellucci 2017) ou encore au Soudan (Sikainga 1996, 2010). Si elle
reste à mener, l’entreprise scientifique qui consisterait à faire une histoire
comparée de l’institution salariale et de l’univers de pratiques qui lui est asso-
cié en Afrique subsaharienne pourrait d’ores et déjà s’appuyer sur une vaste
somme de travaux de recherche, y compris des recherches menées localement,
sous la forme de mémoires et de thèses, et qui n’ont pas passé les obstacles
de la publication et de l’internationalisation. Tout au plus s’agit-il ici pour
nous de souligner à quel point cette entreprise serait heuristique, y compris
pour « provincialiser l’Europe » — selon l’expression de Dipesh Chakrabarty
(2009) qui est d’ailleurs au départ un historien du travail — en proposant au
sujet du salariat un ou d’autres récits historiques.
L’autre approfondissement possible concerne la dimension comparatiste
de ce qui est présenté ici, autrement dit notre capacité collective à en inscrire
les résultats, y compris dans ce qu’ils ont de spécifique, au sein d’un champ de
recherche plus vaste et déployé sur les autres continents. Au regard de l’histoire
des études sur le travail dans les pays du Sud, l’existence d’une telle difficulté
est paradoxale. Depuis le début des années 1980 en effet, plusieurs tentatives
se sont succédé pour surmonter la division des travaux menés en autant de
courant autonomes qu’il existe de spécialisations aréales et pour proposer un
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rapport plus réflexif au grand partage Nords-Suds avec ce qu’il implique en


termes de tropismes disciplinaires et méthodologiques. L’équipe de l’orstom4
qui a coordonné la publication en 1987 de Classes ouvrières d’Afrique noire
(Agier, Copans & Morice 1987) était elle-même porteuse d’un tel objectif.
Elle avait choisi de s’intituler « Travail et travailleurs du Tiers-Monde » et de
déployer ses recherches aussi bien en Amérique du Sud qu’en Afrique et en
Asie. Si cette ambition comparatiste à l’échelle des « pays périphériques »,
comme on disait à l’époque, avait alors déjà eu plusieurs expressions dans le
monde académique anglo-saxon (Cohen et al. 1979 ; Development and Change
1979), les années 1980 y ont été marquées par une tentative plus englobante
encore autour de la promotion des « New International Labor Studies » (nils)
(sur la constitution de ce champ et la boîte à outil théorique qu’il avançait,
voir Cohen [1980] et Gutkind [1988]). Ces nils se proposaient aussi bien de
dépasser les segmentations nationales, aréales et disciplinaires des études
sur le travail que la focalisation antérieure sur les luttes et les mouvements
ouvriers organisés, pour étudier désormais les mondes du travail par le bas.
En pratique, celles-ci ont cependant constitué avant tout un espace de dialogue
entre des recherches menées sur les Suds, tout en y important une sensibi-
lité empruntée à l’histoire sociale thompsonnienne et à l’histoire culturelle
(Munck 2009). Le courant scientifique hébergé, en France, par l’orstom-ird,
leur a un temps servi de correspondant. Il a conservé ultérieurement ce geste
comparatiste en le déplaçant d’abord vers les entreprises (Cabanes, Copans &
Selim 1995) puis vers « les expériences singulières du travail mondialisé »,
autour d’une nouvelle unité de recherche intitulée « Travail et mondialisation »
(Didry et al. 2004 ; Selim 2003).
Plus récemment, les nouvelles orientations proposées par l’histoire glo-
bale5 ont ouvert, on y reviendra, une perspective unifiée sur l’histoire mondiale
du travail, en soulignant les connexions (ou déconnexions) entre mondes
et expériences du travail depuis le début de l’époque moderne, par-delà les
frontières nationales mais aussi celles qui ont pu être postulées entre travail
libre et non libre, formel et informel, productif et reproductif (Eckert 2016 ;
Hofmeester & Van der Linden 2017 ; Van der Linden 2008).
Confronté à une telle tradition scientifique, le présent numéro pose de
prime abord des questions plus circonstanciées, propres aux pays africains et
aux regards qui sont posés sur eux. Tout au long du processus éditorial, nous
avons néanmoins, avec les autrices et auteurs, cherché à faire vivre un dialogue

4. Office de la recherche scientifique et technique Outre-mer, désormais Institut de recherche


pour le développement (IRD).
5. Pour une discussion sur les tendances et modalités d’appréciation de l’idée de mondiali-
sation en histoire, voir Inglebert (2020).
LE SALARIAT, UN OBJET DEVENU (TROP) DISCRET 15

comparatiste, entre terrains africains et au-delà. La trentaine d’évaluatrices


et évaluateurs qui ont contribué à la socialisation scientifique des textes ici
rassemblés y sont pour une large part, à travers notamment leur inscription,
au-delà des études africaines, dans la sociologie du travail, des classes popu-
laires (notamment urbaines), des mondes agricoles ou industriels. Tout en
adoptant une focalisation aréale, nous avions donc à cœur de nous inspirer de
démarches récentes qui, en sociologie et en anthropologie, ont remis au goût
du jour le projet d’une étude croisée des contraintes et des univers tactiques
habités par les classes populaires, sur les lieux de travail et en dehors, comme
c’est le cas en France des travaux du collectif Rosa Bonheur (Collectif Rosa
Bonheur et al. 2014 ; Collectif Rosa Bonheur 2019) ou la remise au goût
du jour à des fins comparatistes de la notion de « citoyenneté industrielle »
(Allal & Yon 2020).

Un phénomène à mettre en lumière et à interroger :


l’augmentation de la fraction salariée des classes populaires dans
l’Afrique contemporaine

Une croissance du salariat, en termes absolus comme relatifs

Occuper un emploi salarié est sans conteste une position minoritaire dans
l’Afrique subsaharienne contemporaine, puisqu’elle concerne souvent moins
de 15 % de la population active totale selon les compilations de l’Organisation
internationale du travail (oit). Pour autant, il nous semble crucial de souligner
que les bouleversements qui se sont opérés dans les normes d’emploi promues
par les bailleurs internationaux, les États africains et les acteurs du dévelop-
pement, ont pu en retour favoriser la diffusion de diagnostics incomplets
ou caricaturaux, laissant entendre que la condition salariée était en recul
constant sur le continent. Les recompositions et les dynamiques qui marquent
cette dernière apparaissent en effet comme autant de dissonances vis-à-vis
de l’« héroïsation des entrepreneurs » qui imprègne désormais les politiques
de l’emploi portées par l’industrie du développement, selon l’expression de
Thomas Bierschenk et José Maria Muñoz (2021). La proposition formulée par
ces deux auteurs de décortiquer cette nouvelle catégorie de l’action publique,
catégorie qui recouvre des situations extrêmement diverses, des initiatives les
plus précaires des petits « débrouillards » aux business rentiers des « big men »,
et de recourir à l’ethnographie pour observer les pratiques de travail, les socia-
bilités et les tactiques mises en œuvre par ces « entrepreneurs » est d’ailleurs
très proche de ce que nous voulons suggérer ici concernant l’emploi salarié.
16 ÉTIENNE BOUREL & GUILLAUME VADOT

Mais pour cela, il est au préalable nécessaire de se faire une idée de la place
que celui-ci occupe dans les sociétés africaines contemporaines, nonobstant
le miroir déformant qui leur est souvent présenté. Ce point est d’autant plus
important que l’image d’une Afrique où le salariat ne serait plus que résiduel
circule au sein même de la littérature en sciences sociales. Aussi inspirants
soient-ils au plan conceptuel, les essais de James Ferguson sur le gouver-
nement de l’extraction (Ferguson 2006) et, plus directement encore, sur la
possibilité d’une protection sociale découplée de l’emploi (Ferguson 2015),
ont largement nourri cette représentation d’un avenir sans salariat. La récente
General Labour History of Africa elle-même s’ouvre sur un avant-propos qui
insiste sur le caractère essentiellement « jobless » de la croissance économique
de ces dernières années sur le continent, une idée au centre de la communi-
cation de l’oit6 et reprise incidemment par l’historien du travail spécialiste
de l’Afrique Andreas Eckert dans le chapitre qu’il consacre aux salarié.e.s
(Bellucci & Eckert 2019 : xv, 41).
À contrario, lors d’un récent colloque historique et économique tenu
à l’Université d’Artois en avril 2021 (crehs 2021), Michel-Pierre Chelini
proposait de retenir, une fois admise la variété tant des situations salariales
que de la part des salaires et des revenus dans les pib des différents pays, un
taux d’emploi d’environ 20 % à l’heure actuelle en Afrique subsaharienne.
Il notait également une institutionnalisation progressive du marché du travail
en Afrique subsaharienne (nombre d’employés en hausse), le salaire jouant
comme élément du choix d’un travail. Les principales contraintes pesant sur
les marchés du travail sont relatives à la hausse rapide de la population, à un
taux d’urbanisation d’environ 50 %, à l’ampleur des mouvements migratoires.
Toutefois, il existe des différences notables entre régions du continent africain.
Enfin, la compréhension du phénomène salarial en Afrique subsaharienne
suppose de tenir compte d’une pluralité de situations, qui débordent les rela-
tions industrielles et concernent aussi l’artisanat, l’agriculture ou d’autres
secteurs, puisque la monétisation des relations de travail constitue un processus
dynamique. Il faut aussi avoir en tête l’importance de différents types de
dispersion statistique (selon le niveau de formation, le genre, les secteurs).
Sur le plan méthodologique, des différences sont sensibles dans l’accès aux
données (selon les pays ou les régions). D’un point de vue quantitatif, il
n’est en tous cas pas inutile d’aborder cette complexité en s’intéressant aux
chiffres disponibles sur la base de données ilostat, qui collecte et agrège

6. Voir par exemple l’interview du directeur régional de l’OIT pour l’Afrique dans le journal
des Nations Unies dédié au continent : Franck Kuwonu & Aneas Chuma, « Afrique :
une croissance sans emplois », Afrique Renouveau, avril 2015, <https://www.un.org/
africarenewal/fr/magazine/ao%C3%BBt-2015/afrique-une-croissance-sans-emplois>.
LE SALARIAT, UN OBJET DEVENU (TROP) DISCRET 17

les enquêtes emplois (« Labour force surveys ») réalisées par les États. Bien
sûr, ces statistiques doivent être plus envisagées comme objet que comme
matériau d’enquête, et il ne s’agit pas de valider la représentation des sociétés
qu’elles proposent. Elles reposent le plus souvent sur des enquêtes déclaratives
et fréquemment sur des extrapolations à partir de résultats datant des années
précédentes, et elles instituent des catégories et distinctions conceptuelles
(chômage et emploi, salariat et auto-emploi) qui sont en fait très peu à même
de rendre compte de la complexité et de l’hybridité des situations concrètes
(Phélinas 2014 ; Sylla 2013). Pour autant, les consulter permet d’identifier
de grandes tendances et, en l’occurrence, de contredire l’hypothèse d’une
disparition progressive des salarié.e.s, du public comme du privé.
Pour cerner le phénomène, il faut commencer par surmonter l’associa-
tion trop fréquente et trop étroite entre salariat et formalité, association dont
l’histoire est liée à un ensemble de postulats idéologiques concernant le travail
sur le continent (De Luna 2016 ; Etoughé-Efé 2000). Dans l’Afrique sub-
saharienne d’aujourd’hui, le rapport salarial s’expérimente en effet massive-
ment en dehors du seul cadre contractuel établi par le droit. En définissant
de manière souple les salarié.e.s comme les « travailleurs occupant le type
de travail défini comme “travail salarié”, dont les titulaires bénéficient d’un
contrat de travail formel (écrit ou oral) ou tacite leur offrant une rémunération
de base non directement soumise au chiffre d’affaires de l’unité pour laquelle
ils travaillent »7, ilostat documente ainsi une augmentation continue de ce
groupe depuis le début des années 2000 pour l’Afrique subsaharienne. Après
avoir stagné autour de 18 % de la population active en emploi en moyenne
tout au long des années 1990, cette proportion a connu une croissance quasi
linéaire pour atteindre 25 % en 2019. Cet agrégat recouvre des situations
certes diverses, mais témoigne bel et bien d’une tendance générale puisque
seuls douze pays, représentant 20 % de la population des quarante-sept qui
composent l’échantillon, échappent à cette hausse.

Des statistiques aux subjectivités

Un tel constat, d’ordre macroéconomique, ne peut et ne doit constituer qu’une


prémisse. Il ouvre en effet d’importantes questions concernant le profil de ces
nouveaux et nouvelles salarié.e.s, les mobilités géographiques dans lesquelles
ils et elles s’engagent, la manière dont les chantiers, les mines, les plantations

7. Pour consulter ces chiffres et cette définition, voir <https://donnees.banquemondiale.


org/indicateur/SL.EMP.WORK.ZS?end=2018&locations=ZF&start=1991&view=chart>
(consulté le 17 décembre 2021).
18 ÉTIENNE BOUREL & GUILLAUME VADOT

ou toutes sortes de petites et grandes entreprises marquent le paysage. Parce


que les positions professionnelles qu’occupent ces salarié.e.s subalternes
sont largement précaires, exigeantes physiquement ou ne tiennent pas leurs
promesses, le turn-over y est souvent très important. Il faut alors avoir en tête
que pour quelques dizaines ou centaines de milliers de postes, bien plus de
personnes y passent au total au moins une fois dans leur vie, et des millions
sont en fait confrontés à une rumeur ou la possibilité d’un recrutement.
Au Cameroun par exemple, la statistique nationale relève une augmentation
de 54 % du nombre total d’emplois formels salariés entre 2008 et 20158, et de
65 % pour le secteur privé (environ 640 000 emplois sur les 900 000 recensés
dans le pays) (Institut national de la statistique 2010, 2018). L’augmentation
de la demande de bras dans l’agriculture industrielle, la construction ou encore
le gardiennage a renouvelé les mondes du travail associés à ces secteurs éco-
nomiques, favorisant les mobilités, parfois la féminisation des effectifs (pour
les grandes plantations, voir Vadot [2019 : 170 sq.]) et plusieurs mobilisations
contestataires d’ampleur, qui tiraient parti de la mise en concurrence des
employeurs. Concernant le Gabon, la Direction générale de l’Économie (2010,
2020) fait état d’un passage de 116 608 emplois formels salariés (dont 58,8 %
dans le secteur public) en 2008 à 191 362 (dont 55,7 % dans le secteur public)
en 2019, soit une augmentation de 24,3 %. Selon l’économiste Emmanuel
Moussone (2021), dans ce petit pays pétrolier, l’enjeu actuel est le passage
d’une économie de rente à une économie de production. Après avoir connu le
« plein emploi » entre 1970 et 1985 et avoir dû importer de la main-d’œuvre
dans les années 1970 (période de grands travaux), le niveau d’emploi s’est
dégradé à partir de la seconde moitié des années 1980. La dépendance au
pétrole maintient, pour le moment, ce statu quo. Depuis 2015, le secteur privé
produit peu d’emplois et, sur instruction du fmi, l’État ne recrute plus officiel-
lement. Au-delà de ces deux exemples, les articles de ce numéro témoignent
de dynamiques variées selon les contextes nationaux, dont beaucoup sont
encore restées largement sous les radars des tentatives de synthèse concernant
les évolutions des marchés du travail africains.
Ainsi, en écho à la nécessité d’aborder les chiffres avec recul, certains
économistes invitent explicitement à ne pas en rester aux données statistiques
pour comprendre les marchés du travail. En analysant des récits de vie, John
Sender et Christopher Cramer (2021) donnent d’autant mieux à comprendre
la réalité des inégalités et remettent en cause certains partis pris majoritaires
de leur discipline, tels que l’individualisme méthodologique et le postulat du
choix rationnel. De fait, les recherches présentées dans ce numéro relèvent
davantage d’approches « qualitatives », qu’il s’agisse de l’ethnographie ou du
8. À titre de repère, la hausse de la population active s’établit à 13,5 % sur la même période.
LE SALARIAT, UN OBJET DEVENU (TROP) DISCRET 19

travail historique sur archives. Mais en contrepoint, et du point de vue de la


sociologie politique et de l’anthropologie qui est le nôtre, il nous semble impor-
tant d’indiquer qu’en matière de travail et de salariat, les recherches de terrain
en sciences sociales semblent présenter une propension particulière à com-
pléter leurs argumentations par des informations statistiques, administratives
ou juridiques. Cela aussi bien par des procédés de recension menés au cours
des enquêtes que par la collecte de sources écrites (Olivier de Sardan 2008 :
66-69). Les démarches empiriques rassemblées par ce numéro ne font pas
exception et, en cela, font écho à une pluralité méthodologique qui avait déjà
été mise en avant dans les années 1950, quand des anthropologues se sont
intéressés aux travailleurs africains urbains ou migrants. La vaste compilation
de textes publiée en 1956 sous les auspices de l’Unesco, qui réunit plusieurs
grands noms de l’anthropologie dynamique, insiste sur l’utilité de ces emprunts
critiques à la démographie notamment (Forde 1956 : 18 sq.). Le même esprit
amène Georges Balandier à intituler Sociologie son étude des habitant.e.s
des « Brazzavilles noires », dans un moment d’ouverture disciplinaire et de
rapprochement entre recherche et administration (de L’Estoile 2017).

Un renouveau des recherches

Un retour de l’économie politique ?

Les publications récentes dans les sciences économiques et sociales font res-
sortir un ensemble de thématiques qui reflètent les préoccupations portées par
ce numéro et permettent de renouveler les termes de différentes interrogations
déjà bien documentées. Aussi, les problématiques contemporaines relatives
aux politiques économiques et à l’économie politique en Afrique ont été abor-
dées dans deux dossiers récents. La revue Afrique contemporaine (2018) s’est
penchée sur « les trajectoires incertaines de l’industrialisation en Afrique »,
autrement dit sur les possibilités différenciées d’une reprise de l’activité indus-
trielle après la phase de désindustrialisation commencée dans les années 1980.
La revue Mondes en développement (2020) s’est quant à elle intéressée aux
politiques de l’emploi dans les pays en développement. Ces deux volumes ont
pour point commun de discuter des modalités d’insertion du continent africain
dans la globalisation, que ce soit en termes de dynamiques économiques ou
d’agendas internationaux, tout en montrant l’importance du rôle des États,
des trajectoires nationales et des logiques régionales. S’en tenant souvent à
des échelles larges et prises dans des enjeux normatifs structurants, les ana-
lyses économiques et les institutions qui les portent ou les relaient tendent à
20 ÉTIENNE BOUREL & GUILLAUME VADOT

niveler très largement des relations de production et d’emploi particulièrement


différenciées dans leurs compositions et leurs caractéristiques dans les pays
du « Sud global » (Hammer & Ness 2021). Pour ce qui concerne l’oit, par
exemple, la question n’est donc pas tant de savoir s’il y a lieu de remettre en
cause la promotion du « travail décent », concept qu’elle défend en lieu et
place de celui d’emploi formel depuis le tournant des années 2000. Il s’agit
cependant d’apprécier le vocabulaire de l’« informalité » et de la « précarité »
au prisme d’une normativité qui a toujours marqué l’institution et qui s’aligne
tendanciellement sur les standards industriels européens (Benanav 2019 ;
Maul, Puddu & Tijani 2019 : 224). Pour le Sénégal, Eveline Baumann (2016)
a mené un travail minutieux qui éclaire, sous les catégorisations promues
par les politiques publiques nationales et internationales et dans un rapport
critique aux statistiques disponibles, la densité des aspirations associées aux
statuts d’emploi et la diversité des situations concrètes de travail9.
Comme Anita Hammer et Immanuel Ness (2021), Joshua Lew McDermott
(2021) considère ainsi, suite à sa recherche ethnographique avec des tra-
vailleurs sierra-léonais exerçant dans l’« informalité » (salarié.e.s ou non),
qu’ils contribuent pleinement à la production globale de valeur et qu’il y a
donc lieu, à leur endroit, de renouveler l’appréhension des rapports de classe.
La compréhension de ceux-ci est également mise à jour à propos de la tra-
jectoire historique (sur un demi-siècle) de la classe ouvrière zimbabwéenne :
alors que Giovanni Arrighi (1970) avait postulé une prolétarisation stable des
paysans en Rhodésie du Sud, Ian Phimister et Rory Pilossof (2017) discutent
les modalités de leur « dé-prolétarisation » depuis la fin des années 1990 et
le début des récessions économiques. Leur étude se rapproche de celle de
Siphelo Ngcwangu (2020) sur les tentatives de reconversion des ex-mineurs
sud-africains, ainsi que des préoccupations de Patience Mususa (2021) 10
à propos des façons contemporaines de vivre dans la ceinture de cuivre
zambienne.
Se rapprocher de cette région minière donne l’occasion de s’intéresser au
rôle des syndicats. Thomas McNamara (2021) montre ainsi la place ambiguë
qu’ils ont tenue dans les négociations salariales avec les entreprises minières au
cours de la seconde moitié des années 2010, délaissant l’engagement militant
pour une posture plus conciliante, soutenue par des perspectives éthiques et
politiques qui n’ont pas empêché la dégradation des conditions de travail.
Le travail comparatif, entre l’Afrique du Sud et le Nigéria, de l’histoire des

9. Voir la recension de cet ouvrage réalisée par Jean Copans dans la rubrique « Analyses et
comptes rendus » de ce numéro.
10. Voir la recension de cet ouvrage par Étienne Bourel dans la rubrique « Analyses et comptes
rendus » de ce numéro.
LE SALARIAT, UN OBJET DEVENU (TROP) DISCRET 21

syndicats et de leur situation actuelle, effectué par Infeanyi P. Onyeonoru et


Mondli Hlatshwayo (2020), ou à une échelle plus continentale par Benjamin
Rubbers et Alexis Roy (2015), met également en lumière l’affaiblissement
de leurs positions face aux attaques que subissent les travailleuses et travail-
leurs, ainsi que nombre de divisions et de fragmentations qui compliquent
l’organisation des rapports de force.

Pluriactivité et précarisation des conditions d’emploi

La saisie de ce nouveau contexte suppose de comprendre les transformations


des lieux de travail, ce à quoi s’est attelée Debby Bonnin (2021), à propos
de l’Afrique du Sud toujours. Retraçant certaines étapes de l’histoire de la
sociologie industrielle dans le pays, elle montre les changements radicaux
des mondes du travail depuis la fin de l’Apartheid : les logiques managériales
d’externalisation, de réduction des effectifs, de précarisation, de sous-traitance
ont produit un marché du travail marqué par l’insécurité, une marginali-
sation de la classe ouvrière et une confusion dans les postures syndicales.
L’inscription des chaînes d’approvisionnement sud-africaines dans la globa-
lisation s’est donc bien traduite par des changements sur le marché du travail.
En revanche, elle n’a pas permis de le transformer d’un point de vue racial.
Une fragmentation de la classe laborieuse agricole a aussi été constatée suite
aux réformes foncières d’ampleur qu’a connues le Zimbabwe au début des
années 2000 (Shonhe, Scoones & Murimbarimba 2021). Alors que la main-
d’œuvre était souvent employée sur le long terme dans de grandes exploita-
tions, les modalités de subsistance sont désormais bien plus diversifiées, d’une
grande précarité mais relevant aussi de plus d’autonomie. Le travail salarié
dans de grandes exploitations est ainsi souvent combiné, selon les opportunités,
à des travaux agricoles personnels ou familiaux et à des activités diverses
(dans des mines artisanales ou le commerce). Analysant les changements dans
le secteur rwandais de la caféiculture (région de Nyamasheke), Patrick Illien,
Helena Pérez Niño et Sabin Bieri (2021) mettent également l’accent sur les
stratégies de subsistance variées des ménages pauvres et disposant d’un accès
limité au foncier, selon leur composition genrée.
Dans la ceinture de cuivre congolaise et zambienne, cette pluralisation
des activités et des statuts n’a cessé également de gagner en complexité, sans
défaire cependant les hiérarchies qui organisent les relations entre entre-
prises formalisées et petits creuseurs, ni les rentes saisies par l’élite politique
22 ÉTIENNE BOUREL & GUILLAUME VADOT

(Rubbers 2021)11. Au sud-est du Niger et dans les régions septentrionales


du Cameroun, le secteur de l’élevage connaît des changements importants,
avec un basculement des pratiques pastorales vers des implantations sous
forme de « ranchs » permettant des formes de production de valeur capita-
listes (Schareika, Brown & Moritz 2021) et invitant le rapport salarial en leur
sein. Pour peu que ces deux formes d’élevage partagent des points communs
(à propos de l’optimisation des « stocks » notamment), le pastoralisme accorde
de l’importance au troupeau alors que le « ranching » considère surtout le
capital qu’il représente. Des logiques sociales concurrentes sont donc à l’œuvre
et le basculement de l’une à l’autre entraîne des répercussions majeures pour
les acteurs concernés.
Un autre aspect des changements récents dans les relations de travail
est lié à l’importance des travailleurs asiatiques dans de nombreux secteurs
et régions du continent. Par-delà les considérations les plus communes à ce
sujet, Di Wu (2021) a porté attention à la dimension émotionnelle des inter-
actions entre migrants chinois et ouvriers zambiens dans le secteur agricole.
Heureuses ou non, elles n’en sont pas moins cruciales pour saisir la teneur
quotidienne des relations de travail ainsi que les logiques différenciées des
groupes sociaux. De même, ces sites d’enquêtes permettent de retracer les
confrontations entre expatriés chinois et salarié.e.s africain.e.s sur le terrain
des imaginaires du travail et des normes qui devraient le réguler. Des confron-
tations qui, comme le montre Miriam Driessen (2019) en se penchant sur le
chantier de construction d’une autoroute en Éthiopie12, mettent en contact
des histoires collectives différenciées mais aussi des trajectoires singulières,
avec leurs contraintes propres et les aspirations qui les portent. Leur étude
contribue alors à décentrer les recherches sur le travail, à faire place à une
plus grande diversité de perspectives.

Expatrié.e.s, femmes, jeunes et enfants : des minorités au travail

La situation en Ouganda a donné lieu à deux publications récentes se focali-


sant prioritairement sur la question du travail féminin et des discriminations
de genre. Gaston Brice Nkoumou Ngoa et Ebenezer Lemven Wirba (2021)
ont analysé la persistance des inégalités et des rémunérations différenciées
selon le genre dans le cadre du marché du travail urbain. Ils montrent que

11. Voir la recension de cet ouvrage par Hélène Blaszkiewicz dans la rubrique « Analyses et
comptes rendus » de ce numéro.
12. Voir la recension du livre proposée par Cheryl Mei-ting Schmitz dans la rubrique « Analyses
et comptes rendus » de ce numéro.
LE SALARIAT, UN OBJET DEVENU (TROP) DISCRET 23

ces écarts sont plus accentués pour les couches sociales les moins élevées de
la population, ce malgré des politiques publiques visant à réduire les diffé-
rences de formation et de compétences. Les inégalités n’en sont pas moins
importantes dans les mondes ruraux, comme le montrent John Sender et
Christopher Cramer (2021), à travers la comparaison de deux récits de vie de
femmes ougandaise et éthiopienne, récoltés dans le but de comprendre leurs
rapports au marché du travail et au salariat. Il en ressort des parcours marqués
régulièrement par la violence, les aléas, les tentatives de survie, où pèsent
particulièrement le rôle de l’État, l’organisation des ménages et la structuration
des relations de pouvoir. Si elles doivent subvenir à des besoins fondamentaux,
elles ne parviennent que difficilement à améliorer leurs rémunérations ou à
avoir des marges de négociation.
Dans des pays où les gouvernements répriment les initiatives d’actions
collectives, la tendance ne semble pas à l’amélioration des conditions concrètes
de travail et de rémunération, ni à la réduction du travail des enfants. Les
programmes pour lutter contre celui-ci sont pourtant nombreux, portés par
des acteurs étatiques, des ongs ou les populations elles-mêmes. C’est ce que
montrent Kouassi Kouman Vincent Mouroufie, Oleh Kam et Moussa Sangare
(2020) en étudiant ces enjeux dans les coopératives de commercialisation
cacaoyères en Côte d’Ivoire. Leur propos diagnostique la marginalisation des
femmes dans la gestion de ces organisations et leur faible proportion dans les
programmes de lutte contre le travail des enfants, y compris dans des situations
où des certifications de développement durable sont délivrées. Cette question
du travail des enfants est aussi documentée par Peter Olayiwola (2021) dans
une étude ethnographique menée dans le sud-ouest du Nigéria, dont il fait
ressortir la possibilité, souvent compliquée à entendre, que de telles formes
d’emploi puissent, dans certains cas, constituer des options cohérentes pour
des familles ou des enfants particulièrement marginalisés. En outre, si ces
derniers sont alors tendanciellement exploités, il arrive aussi que cela leur
permette d’échapper à d’autres formes de violence.
Notons enfin qu’une série de travaux a interrogé récemment l’univers
tactique complexe, inventif et exigeant dans lequel se meuvent les jeunes
travailleurs et travailleuses urbain.e.s, souvent migrant.e.s. Entre débrouil-
lardise et bribes de formalité, celles et ceux-ci conduisent un apprentissage et
développent même une forme de « sagesse » située, selon les coordinateurs
et la coordinatrice d’un numéro spécial des Cadernos de estudios africanos
(2019)13. Ilona Steiler (2021) développe une orientation complémentaire à
travers son analyse intersectionnelle de l’emploi informel chez les vendeurs
13. Comme le montre Alizèta Ouédraogo dans la recension de ce dossier dans la rubrique
« Analyses et comptes rendus » de ce numéro.
24 ÉTIENNE BOUREL & GUILLAUME VADOT

de rue et les travailleurs domestiques en Tanzanie. Marie Lesclingand et


Véronique Hertrich (2017) notent, elles, pour le Mali, une participation de
plus en plus forte des adolescentes à ces migrations de travail historiquement
plutôt masculines. Les inégalités d’accès à l’emploi des jeunes ont en outre
été placées au centre de l’étude comparative (et quantitative) entre six pays
(rdc, Libéria, Madagascar, Malawi, Ouganda et Zambie) menée par Atif Awad
et M. Azhar Hussain (2021). Cette approche plus statistique a été complétée,
très récemment également, par une résurgence des recherches sur les domes-
tiques et sur la portée politique et symbolique de leur travail (Jacquemin &
Tisseau 2019 ; Montgomery 2019).

Comment reprendre l’étude des petit.e.s salarié.e.s en Afrique ?

Ces différents éléments concernant la diffusion contemporaine du rapport


salarial en Afrique, associés à ces recherches sur le travail plus largement
menées tant « en Afrique » que « depuis l’Afrique »14, permettent de mieux
justifier le projet porté par le présent numéro. En effet, l’insistance diffuse
sur une prétendue marginalisation du travail salarié dans l’Afrique sub-
saharienne d’aujourd’hui ou de demain, et l’association de ce dernier à une
période révolue allant des années 1940 aux ajustements structurels, nuisent
à la compréhension sociohistorique des rapports au travail au sud du Sahara.
Ces postulats tronquent également la représentation d’ensemble des sociétés
africaines contemporaines que les sciences sociales ont la responsabilité de
bâtir. Au travail salarié sont en effet associées des mobilités — saisonnières,
pour une période de la vie, définitives — dont les formes évoluent sans cesse et
qui marquent l’urbanité, les rapports familiaux ou encore des imaginaires allant
du personnel au collectif (Bourel & Hayem 2019) ; des formes d’autorité et de
conflictualité qui contribuent à façonner le politique ; des modes populaires
d’appropriation des contraintes économiques qui participent de la construction
des frontières sociales ; des pratiques concrètes qui dessinent des mondes
matériels et des techniques de soi ; enfin, des organisations bureaucratiques
(les entreprises mais également toute une série de « bureaux » au sens wébé-
rien, qui gravitent autour de ces bureaucraties principales) qu’il n’est pas
14. L’année 2022 marque les soixante-dix ans de la publication du treizième numéro de la revue
Présence africaine (1952) intitulé « Le travail en Afrique noire ». Sans rentrer ici dans une
discussion sur son contenu, nous pouvons noter qu’il abordait le travail industriel et qu’il
mettait déjà en dialogue une variété de points de vue situés. On y trouve aussi bien des
contributions de Pierre Naville, l’un des fondateurs de la sociologie du travail en France,
dans une tonalité positiviste en écho inversé à l’avant-propos, écrit par Alioune Diop, ancré
dans les thèmes de la négritude que de Georges Balandier, sous la forme de notes de terrain.
LE SALARIAT, UN OBJET DEVENU (TROP) DISCRET 25

possible de tenir à l’écart de l’analyse des formes de gouvernementalité et


de territorialité contemporaines (Grajales & Vadot 2020). Il y a lieu alors de
s’interroger sur les outils que l’on peut mobiliser pour reprendre l’étude des
« salarié.e.s d’en bas » en Afrique, en l’inscrivant dans un champ de recherche
plus large sur le travail et les mondes du travail.

« Travailleurs modernes » et « classes ouvrières » en formation :


les salariés africains abordés au prisme de la séparation

Pour réussir cette refondation, il faut à notre avis parvenir à dépasser un


prisme avant-gardiste qui a marqué les études antérieures. Désignés comme
« travailleurs modernes » en devenir par les administrations du colonialisme
tardif ou « classes ouvrières » en formation par une série de travaux universi-
taires des années 1970 et 1980, les salariés africains ont longtemps été pensés
dans leur séparation d’avec le reste de la société et en rapport avec des visions
de l’avenir. Les hommes et le salariat formalisé par le droit concentraient
l’attention. On dispose désormais de travaux qui permettent de saisir l’imagi-
naire politique, scientifique et bureaucratique qui régnait dans les années 1940
et 1950, quand de nouvelles politiques publiques, inspirées par la crainte
des conséquences de la « détribalisation », ont commencé à promouvoir la
stabilisation d’un groupe social circonscrit d’Africains urbanisés et en emploi
(Cooper 2015 ; Mercier & Copans 2021 ; Rubbers & Poncelet 2015). Qu’il
s’agisse du Congo belge, de l’Afrique australe britannique, de l’aef et de l’aof,
des ethnologues ont alors porté leur attention vers les situations nouvelles
créées par les migrations de travail et l’urbanisation, en cherchant souvent à
influencer l’administration (Freund 1984 : 5-6). Frederick Cooper a étudié cette
période en profondeur, en s’intéressant aussi aux aspirations des travailleurs
africains. Il montre que, tout en prenant au mot les pouvoirs coloniaux dans leur
promesses assimilationnistes au plan du droit du travail et de la citoyenneté,
ces petits fonctionnaires, ces employés et ouvriers qualifiés n’ont en fait jamais
pu être coupés du reste de la société (Cooper 2004 : 269 sq.).
Après les Indépendances, l’unité qui avait semblé évidente, dans de
nombreux pays, entre syndicats et partis nationalistes s’est progressivement
effritée, donnant lieu à des frictions. Richard Jeffries (1978 : 92) le docu-
mente par son enquête sur les cheminots de Sekondi au Ghana, initialement
de fervents supporters de l’action politique de Kwame Nkrumah mais qui
animent des grèves oppositionnelles dès 1961. Le climat intellectuel évolue
progressivement en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord à la même
période, avec la montée des oppositions de gauche aux compromis politiques
26 ÉTIENNE BOUREL & GUILLAUME VADOT

nés juste après la Seconde Guerre mondiale mais aussi les bouleversements
que connaissent les universités, qui se professionnalisent et se massifient
rapidement. C’est dans ce contexte que les travailleurs salariés, notamment
industriels, des pays africains anciennement colonisés font l’objet d’un nou-
veau courant de recherches, qui s’émancipe de l’orientation très théoricienne
de l’école marxiste des années précédentes. Les résistances, les solidarités,
les idées des ouvriers africains (beaucoup moins des ouvrières) sont alors
placées au centre de l’attention, avec l’objectif d’éclairer l’expérience et
les conceptions propres à leurs collectifs en les détachant d’une histoire
politique englobante. Les articles et monographies produites, souvent très
riches, portent sur les dockers (Cooper 1987 ; Iliffe 1970 ; Waterman 1979),
les ouvriers d’usine (Lubeck 1986 ; Peace 1979), les cheminots (Grillo 1973 ;
Jeffries 1978), les mineurs (Crisp 1984 ; Perrings 1979 ; Van Onselen 1976,
1982). En voulant documenter, sous l’influence de l’historien britannique
E. P. Thompson (2012 [1963]), « la formation de classes ouvrières africaines »
(Sandbrook & Cohen 1975), ces travaux se sont attachés à rendre compte de
l’empreinte des sociabilités et des revendications des ouvriers sur la ville,
le quartier, la religion, le militantisme politique — et réciproquement. S’ils
entretenaient un raisonnement déductif qui tend à donner une valeur abstraite
propre et universelle à la condition de travailleur salarié industriel, ces travaux
cherchaient néanmoins à mesurer l’acclimatation de cette dernière, la façon
dont les travailleurs se l’appropriaient, dans le but d’interpeller des mouve-
ments ouvriers et des partis politiques de gauche occidentaux profondément
ethnocentrés. Comme les recherches des années 1950, ces études reposaient
en outre sur des observations systématiques, la conduite d’entretiens et la
consultation d’archives, bref sur des enquêtes approfondies. C’est la raison
pour laquelle il paraît intéressant de les reconsidérer à nouveaux frais dans
des démarches relevant de l’histoire des sciences sociales15 voire de procéder
à des revisites (Burawoy 2003 ; Laferté, Pasquali & Renahy 2018) sur certains
sites (mines, gares, usines) encore en opération.
Pas plus que les « travailleurs modernes » avant elles, ces « classes
ouvrières » ne se sont cependant jamais autonomisées pour devenir un
ensemble social vraiment identifiable. On ne peut pas imputer cette réalité
aux seuls ajustements structurels, qui ont effectivement réduit les effectifs
et dissout de nombreux collectifs. Nombre d’auteurs des années 1970 et
1980 témoignent en effet de la difficulté à identifier des pratiques ou des

15. Concernant ce volet en particulier, une recherche est menée actuellement par
Guillaume Vadot, Alexis Roy et Sidy Cissokho sur l’histoire des études sur le travail en
Afrique depuis le début du XXe siècle. Ses premiers résultats donnent lieu à un cours à
l’EHESS au deuxième semestre 2021-2022.
LE SALARIAT, UN OBJET DEVENU (TROP) DISCRET 27

représentations vraiment propres à leurs enquêtés, qui témoigneraient d’une


« conscience » spécifique. Leurs travaux font souvent état des mêmes constats
selon lesquels les prolétaires africains seraient avant tout « populistes » et
les sociabilités prédominantes seraient celles de la famille et du quartier
(Gutkind 1975 : 10 ; Jeffries 1975 ; Sandbrook & Arn 1977).

Un numéro spécial et trois pistes de recherches transversales

Quarante ans plus tard, alors que la proportion d’emplois formels dans
l’économie de chaque pays n’a jamais retrouvé son niveau des années 1970-
1980 et que le rapport salarial est devenu nettement plus labile et pluriel,
l’étude des salariés subalternes a tout à gagner à ne pas postuler par avance
l’unité de son objet. Elle ne manque pour autant pas de matière, comme on
l’a souligné plus haut et comme le démontrent les contributions rassemblées
ici, pour chercher à reconstruire une ou des boîtes à outils. Mieux encore,
elle peut s’appuyer sur un certain nombre de renouvellements épistémo-
logiques survenus depuis le début des années 1990. Ceux-ci se sont inventés
à travers un positionnement critique vis-à-vis des études antérieures sur le
travail et leur focalisation sur une (certaine) histoire du salariat. Pour autant,
rien n’indique qu’ils ne puissent permettre aussi d’éclairer l’expérience des
petit.e.s salarié.e.s. On peut l’illustrer en retenant trois de ces renouvellements
et en les mettant en écho avec ce qui constitue les apports transversaux des
articles de ce numéro.

Considérer les temporalités plurielles de l’expérience salariée

Le premier tient à la mise au jour de la pluralité des temporalités historiques


dans lesquelles s’inscrivent les expériences du travail, des « durées » (au sens
de Bayart [2021]) à travers lesquelles les changements dans les formes de
travail ont été et sont perçus. Dans son étude des travailleurs des moulins
à jute de Calcutta, Dipesh Chakrabarty (1989) insiste sur la distance entre
les conceptions et les aspirations de ces ouvriers et l’idéal d’égalité dont
Thompson fait un marqueur clé de l’émergence de la classe ouvrière comme
sujet social imaginé et représenté en Angleterre. Il reproche à l’histoire du
travail d’être prisonnière d’une narration trop unifiée, qui ne rend pas assez
compte de la diversité des vécus et des points de vue, ainsi que de la fragmen-
tation de l’histoire mondiale — ce que Sandro Mezzadra (2011) a synthétisé
en proposant que l’on considère la multiplicité des histoires du travail. Ce type
28 ÉTIENNE BOUREL & GUILLAUME VADOT

de critique nous semble désormais incontournable pour aborder les salarié.e.s


subalternes en Afrique et pour rendre compte de « l’espace d’intellectualité
propre » des travailleurs et travailleuses (Hayem 2008 : 13) ainsi que du type
de narration dans lequel s’inscrit, localement et à un moment donné, telle
condition salariée. La variété des expériences historiques nationales, régio-
nales et même locales vis-à-vis de l’emploi salarié en Afrique y incite tout
particulièrement.
À cet égard, plusieurs auteurs et autrices de ce numéro mettent en exergue
la vitalité de la condition salariée en tant que représentation et objet de reven-
dication, vitalité surprenante au regard du schéma narratif qui s’est imposé
pour décrire l’évolution des mondes du travail sur le continent. Pour des
raisons et dans des situations différentes, les mandataires syndicaux sénégalais
(Sidy Cissokho), les creuseurs congolais (Matthieu Bolay & Filipe Calvão),
les vigilantes de Lagos (Lucie Revilla) ou encore les ouvriers des grands
chantiers de « l’émergence » au Cameroun (Gérard Amougou, Antoine
Kernen & Fabien Nkot) sont amenés à revendiquer le statut de salarié.e et
à faire vivre, par leur mobilisation, un horizon d’attente qui lui associe des
droits et, souvent, une perspective modernisatrice. Ces imaginaires associés au
salariat ne sauraient être regardés comme des traces du passé, faute d’échouer
à les saisir en leur imposant une interprétation anachronique. Si l’on veut éviter
de remplacer un récit ethnocentrique et englobant par un autre, il est nécessaire
de les étudier au présent, comme parties prenantes des moralisations actuelles
des relations de travail sur le continent, ce que les articles susmentionnés
réussissent chacun à leur manière.

Réintégrer les salarié.e.s dans les continuums de statuts d’emplois et


de pratiques dans lesquels ils et elles évoluent

Un second point d’appui peut être trouvé dans les propositions de l’histoire
globale du travail, et cela pas seulement parce qu’il s’agit d’un champ de
recherche particulièrement prolixe ces dernières années16. Workers of the
World, de Marcel Van der Linden (2008), est ainsi structuré autour d’une
idée fondatrice : celle de la connexion entre les différentes formes et les
différents statuts de travail, par-delà les oppositions juridiques ou idéologiques
entre travail libre et non libre, salarié et domestique, formel et informel.
De longue date, il existe des implications réciproques entre le travail des

16. Coordonnée par S. Bellucci et A. Eckert, la somme intitulée General Labour History of
Africa (2019), recensée dans la rubrique « Analyses et comptes rendus » de ce numéro,
témoigne de cet apport.
LE SALARIAT, UN OBJET DEVENU (TROP) DISCRET 29

ouvriers britanniques ou allemands et celui des paysans de leur pays, d’Inde


ou du Mozambique, ainsi que celui des marins ou encore des nourrices ou
des blanchisseuses, des armateurs et des industriels. Pour ce qui nous inté-
resse immédiatement dans le cadre de ce numéro, cette tentative de porter
un regard global sur l’histoire (ou les histoires) contemporaine(s) du travail
a deux implications essentielles. D’une part, au lieu de les envisager en tant
que groupe social ou catégorie d’identification autonome, elle permet de
réinscrire les petit.e.s salarié.e.s dans un continuum et de les associer à une
série d’occupations proches et qui participent souvent d’espaces sociaux
partagés. Quand on sait l’importance de la polyactivité et des mobilités qui
existent aujourd’hui entre salariat subalterne et petites activités de service,
de commerce ou artisanales, on mesure l’intérêt d’une telle proposition qui
permet de saisir l’univers tactique et la socialisation pratique dans lesquels
évoluent les individus. D’autre part, l’histoire globale a permis de souligner les
limites des histoires du travail enfermées dans une grille de lecture nationale.
Ici encore, il y a un point d’appui essentiel pour réussir à tenir compte des
circulations souvent transnationales dans lesquelles s’engagent les individus
mais aussi les employeurs et les agences de normalisation, en s’interrogeant
sur les espaces sociaux dessinés par ces mobilités.
Là aussi, plusieurs articles du numéro mettent en lumière l’intégration
du salariat subalterne à un espace commun de conditions et de pratiques.
Ils permettent alors d’interroger ce que produit l’entrée, précaire et souvent
temporaire, dans un rapport salarial qui est souvent invisibilisé. C’est le cas
des saisonniers de l’agriculture sénégalaise étudiés par Pierre Girard, Esther
Laske, El Hadji Malick Sylla, Jérémy Bourgoin et Moussa Sall, de plus en
plus nombreux mais restés sous les radars des politiques publiques. Comme
les journalières et journaliers du maraîchage à l’Ouest Cameroun sur lesquels
se penchent Joel Jiometio Tchinda, Hervé Tchekote et Thérèse Moulende, ces
salarié.e.s agricoles circulent au sein d’un ensemble d’occupations qui inclut
l’agriculture de subsistance, le commerce rural et les petits métiers urbains,
positions qu’ils comparent entre elles et qui dessinent un univers de « chances
de vie » (Weber 2003 [1922]). Ce type d’horizon de comparaison est également
central dans ce que décrivent Chloé Josse-Durand et Éric Ndayisaba pour
la production théicole au Kenya et au Burundi, où se dessine un continuum
structuré de petites différences entre ouvrières et ouvriers des usines, des
plantations, et journaliers et journalières employé.e.s par les exploitations
paysannes. Héritier Mesa, quant à lui, contribue à la même démonstration en
insistant sur l’imbrication intime entre positions salariées et indépendantes
au sein du vaste ensemble des occupations « informelles » à Kinshasa, dont il
est souvent présupposé qu’il ne comprend pas d’emplois salariés. Se dessine
30 ÉTIENNE BOUREL & GUILLAUME VADOT

ainsi une démarche de recherche qui, tout en portant son intérêt sur le salariat
et en se proposant de rendre visibles des situations qui le sont peu, les éclaire
en soulignant leurs multiples imbrications avec d’autres formes, voisines, de
mobilisation du travail.

Salarié.e.s subalternes et classes populaires :


subjectivités, classements, pratiques

Enfin, il nous semble que les recherches sur les salarié.e.s subalternes en Afrique
peuvent se nourrir du travail conceptuel mené depuis une vingtaine d’années
dans le champ de la sociologie des classes populaires. Peu d’occasions de dia-
logue existent entre celui-ci et les études africaines. Pourtant, un objet comme
le nôtre rend sensible aux démarches scientifiques qui ont tenté de continuer
à produire des outils d’analyse à même de rendre compte des inégalités, des
classements, des structurations de l’espace social. En adoptant la notion de
« classes populaires » (au pluriel), une série d’auteurs ont attiré l’attention
sur la combinaison entre « position sociale » et des formes de « séparation
culturelle » et donc d’autonomie (Schwartz 2011 ; Siblot et al. 2015). Ils et
elles aboutissent ainsi à une définition de la subalternité qui, d’une part, repose
sur une investigation empirique et non sur une simple déduction à partir du
statut d’emploi et, d’autre part, échappe au registre de l’enchantement ou de la
commisération qui marque souvent les recherches sur le populaire (Grignon &
Passeron 1989 ; Olivier de Sardan 2008 : 209-257). Emprunter à cette boîte
à outils demande bien sûr d’être à même de situer notre pratique de l’inter-
sectionnalité, en s’interrogeant sur les ressources et les stigmates associés au
genre, à l’âge, au niveau de formation, à la richesse ou encore à l’hérédité
dans chaque contexte. Ainsi appréhendée, celle-ci peut à notre avis permettre
de souligner des rapports populaires au salariat en Afrique et d’interroger la
participation des expériences du travail et de l’emploi à la structuration de
l’espace social. Cela nous semble pertinent y compris à l’échelle des « petites
différences » entre proches, dont témoignent plusieurs articles du numéro en
insistant sur des occurrences de dépendance personnalisée entre travailleuses
et travailleurs de différents statuts. Un autre apport transversal des textes de ce
numéro est alors de souligner, de plusieurs façons, comment l’entrée en salariat
est considérée par celles et ceux qui la vivent. Bien souvent, il s’agit d’accéder
à une certaine sécurité, dans le cadre de trajectoires fragiles. Yves Dieudonné
Bapes Ba Bapes souligne ainsi la complémentarité entre ce pôle de la stabilité
représenté par l’emploi fixe de gardien, et celui de la prise de risque pour se
construire des « compléments du salaire » sur le lieu de travail. Cette polarité
LE SALARIAT, UN OBJET DEVENU (TROP) DISCRET 31

marque aussi l’expérience des vendeuses de l’ong humanitaire suivies par


Zoé Tinturier qui, en fonction des conditions d’emploi proposées par cette
structure et de leurs trajectoires individuelles, peuvent décider de prendre
plus d’autonomie ou, au contraire, de parier sur la loyauté.
Conjointement, ces différentes pistes ouvertes par ce numéro doivent à nos
yeux contribuer à favoriser la discussion scientifique. Cette discussion nous
semble devoir se poursuivre afin d’encourager la reconstitution d’un champ
de recherches anthropologiques et sociologiques sur le travail en Afrique.

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