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ECONOMIE-POLITIQUE-VIE SOCIALE-CULTURE

ECONOMIE-POLITIQUE-VIE SOCIALE-CULTURE

Transhumance politique sans idéal :


Un fléau à exorciser en RD Congo
Quelles perspectives économiques pour le
développement durable de la RD Congo ?
La RD Congo à la recherche d’un contrat
social juste et stable
Un éclairage de la théorie des jeux
Quoi changer ? Comment changer ?
Esquisse de vertus et d’actions pour démarrer un changement
adéquat en RD Congo
Création et production d’une école de pensée sociale
pour le développement en RD Congo
Quid des universités et centres de recherche congolais ?
L’utopie de la dignité humaine face au réalisme
de la politique de zombification
Droit d’entrée et champ universitaire
Pour une cohérence du système universitaire congolais
In memoriam
Léon de Saint Moulin, S.J.
Basic Needs Basket (BNB)
Septembre 2019
Afrique-Actualités
Septembre 2019

NUMÉRO 538 OCTOBRE 2019


Économie –­ Politique – Droit – Vie Sociale – Culture
Revue mensuelle du Centre d’Études pour l’Action Sociale (CEPAS)
fondée en 1961 par les Pères Jésuites sous le nom de « Documents pour l’Action »

R ÉD ACTIO N, A DMINIST R ATIO N ET S EC R ÉTAR I AT


Rédacteur en Chef Alain NZADI-a-NZADI, S.J.
Rédacteur en Chef adjoint Germain KAMBALE Makwera, S.J.
Assistant à la Rédaction Venant TEKILA Kapamba-Zay
Secrétaire et Infographe Gina INDIANG Bilongo
Marketing et Diffusion Tricianna TSHISHIMBI Ngalula

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André YOKA Lye Mudaba Jean-Claude MASHINI D.M.
Augustin MBANGALA Mapapa Léon de SAINT MOULIN, S.J.
Bernard LUTUTALA Mumpasi Luka LUSALA lu ne Nkuka, S.J.
Bertin MAKOLO Muswaswa Marie-Madeleine KALALA
Daniel MUKOKO Samba Noël OBOTELA Rashidi
Dieudonné MAMPASI Kapita, S.J. Paulin MANWELO, S.J.
Elie P. NGOMA-BINDA Rigobert MINANI Bihuzo, S.J.
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Imprimerie Médiaspaul/ Kinshasa
SOMMAIRE

Alain NZADI-a-NZADI, S.J.


Transhumance politique sans idéal : un fléau 774
à exorciser en RD Congo
Political Transhumance without Ideal : a Plague to be
exorcised in DR Congo

Évariste MABI MULUMBA


Quelles perspectives économiques pour le développement 776
durable de la RD Congo ?
Malgré une stabilité macroéconomique retrouvée suite à l’exécution
d’un programme signé avec le FMI, l’économie congolaise reste fragile,
car elle ne repose que sur quatre produits de base (Cuivre, Cobalt,
Pétrole et Or) dont les cours sont volatiles. Pour rendre l’économie
congolaise résiliente, une diversification intégrée dans une politique
d’industrialisation et de développement agricole est nécessaire, sans
oublier le respect du principe de redevabilité pour permettre de mener
une lutte réussie contre l’impunité et la corruption.

What Economic Prospects for the Sustainable


Development of DR Congo ?
Despite the macroeconomic stability achieved following the execution
of a program signed with the IMF, the Congolese economy remains
fragile because it relies only on four commodities (Copper, Cobalt, Oil
and Gold) whose prices are volatile. To make the Congolese economy
resilient, an integrated diversification in a policy of industrialization
and agricultural development is necessary, without forgetting the
respect of the principle of accountability in order to lead a successful
fight against impunity and corruption.

Adélard-Diens KASESHI Mulenge


La RD Congo à la recherche d’un contrat social juste 785
et stable. Un éclairage de la théorie des jeux
Cette réflexion s’intéresse à la question de la fragilité du contrat social
dont l’instabilité politique structurelle est, dans le cas de la RD Congo,
sa manifestation avérée. Pour comprendre et expliquer ce problème,
l’auteur mobilise les outils d’analyse de la théorie des jeux, à travers
particulièrement, le dilemme du prisonnier et la métaphore keynésienne
de deux chauffeurs. De cette analyse, il ressort que l’existence d’un
contrat social juste et stable ainsi que la stabilité politique sont loin
d’être incompatibles. Elles jouent ensemble un rôle déterminant dans
la stabilité macroéconomique, la croissance et le développement.

770 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


DR Congo in Search of a Fair and Stable Social Contract.
A Light from the Game Theory
This reflection tackles the question of the fragility of the social contract
whose structural political instability is, in the case of DR Congo, its
proven manifestation. To understand and explain this problem, the
author mobilizes the tools of analysis of the Game Theory, particularly
through the prisoner's dilemma and the Keynesian metaphor of two
drivers. From this analysis, it appears that the existence of a fair and
stable social contract and political stability are far from incompatible.
They play together a decisive role in macroeconomic stability, growth
and development.

Naupess K. KIBISWA
Quoi changer ? Comment changer ? 804
Esquisse de vertus et d’actions pour démarrer
un changement adéquat en RD Congo
Cet article soutient que, si le Chef de l’État et son gouvernement veulent
démarrer avec succès les transformations attendues par les Congolais,
ils doivent commencer par une double cure : l’extirpation des vices dans
le cœur aussi bien des leaders politiques que des cadres congolais et
l’implantation, en eux, des vertus du changement. En même temps, ils
doivent entreprendre des actions minimales qui initient, implantent et
enracinent le changement dans la société congolaise.

What to Change ? How to Change ?


Sketch of Virtues and Actions to Start an Appropriate
Change in DR Congo
This article argues that, if the Head of State and his government want
to start successfully the transformations expected by the Congolese,
they must begin with a double cure : the extirpation of vices in
the hearts of both political leaders and executives Congolese and
implanting in them the virtues of change. At the same time, they must
undertake minimal actions that initiate, implant and root change in
Congolese society.

Alexis MBIKAYI Mundeke


Création et production d’une école de pensée sociale pour
le développement en RD Congo : Quid des universités et
centres de recherche congolais ?
Cette étude contribue au débat de la génération d’un discours théorique 819
qui soit producteur d’une pratique politique et fédérateur d’un
développement profitable à la majorité des Africains. Pour cela, l’auteur
octroie au pouvoir politique un statut organisateur de la société et aux
élites un rôle de production des paradigmes qui prennent appui sur les
préoccupations réelles des populations.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 771


Creation and Production of a School of Social Thought
for Development in DR Congo : What About Congolese
Universities and Research Centers ?
This paper contributes to the debate of the generation of a theoretical
discourse that is a producer of a political practice and federator of
development profitable to the majority of Africans. For this, the
author grants political power an organizing status of society and the
elites a production role of paradigms that build on the real concerns
of the people.

Willy MOKA-MUBELO, S.J.


L’utopie de la dignité humaine face au réalisme
de la politique de zombification 828
Cet article adresse la question de types de régimes politiques qui
caractérisent le système de gouvernementalité de nombreux pays
africains. Des pays fondés sur la politique de zombification qui résulte
d’un mélange d’une mise en œuvre sélective de certains aspects de
différents régimes politiques. L’auteur propose le passage de la politique
de zombification à une politique d’humanisation en recommandant la
mise en place des structures qui permettent à chaque membre de la société
d’exiger aux autres le respect de ses libertés et droits fondamentaux.

The Utopia of Human Dignity versus the Realism of the


Politics of Zombification
This article addresses the question of political regimes that
characterize many African countries’ system of governmentality.
It contends that most of those countries’ mode of governing is based
on the politics of zombification, which results from a selective
implementation of some aspects of different political regimes. The
article advocates a transition from the politics of zombification to the
politics of humanization through the establishment of structures that
allow each member of society to claim from others the respect of his/
her fundamental rights and liberties.

Justin BISANSWA
Droit d’entrée et champ universitaire. Pour une cohérence
du système universitaire congolais 838
Cette réflexion sur la cohérence du cheminement dans le système
universitaire congolais prend pour prétexte le droit d’entrée dans la
carrière universitaire. Elle en examine son « ordre », c’est-à-dire son
rituel accompagné de ses rites d’initiation et de passage. Elle se demande
si on commence la carrière en tant qu’assistant de premier mandat ou
en tant que professeur associé même si on n’avait jamais acquis des
performances et incorporé un habitus et sans connaître le code ni la
nécessité du champ, ses contraintes et ses libertés, ses règles du jeu et
ses enjeux.

772 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Right of Entry and University Field. For a Coherence of
Congolese University System
This reflection on the coherence of the path in the Congolese university
system is based on the right of entry into the university career. It
examines its "order", that is to say its ritual accompanied by its rites
of initiation and passage. Does the university career start as a first-
time assistant or as an associate professor ? Isn’t it important to
acquire performance, incorporate a habitus and know the code or the
necessity of the field, its constraints and its freedoms, its rules of the
game and its stakes ?

Recension
Léon de SAINT MOULIN, S.J. 845
Alain Flavien N’KISI, Le basculement géopolitique de l’Afrique
des Grands Lacs, Décennie 1990, Paris, L’Harmattan, 2018,
158 pages.

In memoriam Léon de SAINT MOULIN,S.J.


Anicet N’TEBA, S.J. 846
Notice biographique et bibliographique
YOKA LYE M.
Léon de Saint Moulin, La place de la religion dans la société
à Kinshasa et en RD Congo, Collection "Cahiers africains", 849
n°94, Tervuren, Musée Royal de l’Afrique centrale, Paris,
L’Harmattan, 2019, 240 pages.

Secteur Appuis au développement du CEPAS


CEPAS - Basic Needs Basket (Kinshasa) : Septembre 2019 853

Noël OBOTELA Rashidi


Afrique-Actualités : Septembre 2019 857

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 773


Éditorial

TRANSHUMANCE POLITIQUE SANS IDÉAL : UN FLÉAU


À EXORCISER EN RD CONGO

« La classe politique appelée à conduire le pays dans la construction


de son devenir rêvé, doit être faite d’hommes et de femmes
porteurs de ‘l’âme de cette nation-état’. Cela va à l’encontre de
la ‘troubardisation’ de l’arène politique que l’on vit aujourd’hui.
Il faut crier fort et le répéter bruyamment au pouvoir ou dans
l’opposition, pour s’afficher comme homme ou femme politique.
Et il faut aussi savoir facilement tourner casaque et changer de
discours en jouant à l’opportunisme politique. C’est devenu la
manière de faire la politique au Congo »1.

P
Alain NZADI- our qui s’intéresse à l’actualité politique de
a-NZADI, S.J. la RD Congo, il y a une expression écœurante
Chercheur en
qui est à la mode, répétée à volonté par les ir-
littératures
francophones. réductibles fanatiques de certains acteurs politiques,
Directeur du CEPAS lorsqu’on déplore la désinvolture avec laquelle ceux-ci
et Rédacteur en Chef transhument politiquement : la politique est dyna-
de Congo-Afrique. mique. Comme si dynamisme et manque de racines
nzadialain@ et d’idéal devraient à tout prix rimer en politique et
gmail.com que la constance d’option ou d’opinion politique et la
défense des valeurs n’y auraient plus droit de cité !
Ainsi, l’on peut changer d’avis ou d’alliances à la
vitesse de l’éclair, aussi longtemps que sa place à la
mangeoire est assurée, en attendant d’opérer une
autre transhumance dès que les intérêts poursuivis
au départ sont menacés ou n’existent plus. Et tant pis
si, dans cette course au bonheur nombriliste, il y a, au
passage, des « effets collatéraux » qui transforment
des milliers de sympathisants en simple chair à canon
électorale.
Au moment où la RD Congo débat des questions
liées à son développement, et pour prévenir les
citoyens contre les promesses du vent de certains
opportunistes politiques, il me paraît capital de
remettre sur la table des questions essentielles sur
le devenir du pays et le sérieux des animateurs des
institutions publiques. Aussi faudrait-il, dans ce
sens, stigmatiser cette tendance pathologique à la
1 J. KANKWENDA Mbaya, (dir.), Le Degré zéro de la dynamique poli-
tique en République démocratique du Congo 1960-2018, Kinshasa-Mon-
tréal-Washington, ICREDES, 2018, p. 51.

774 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Transhumance politique sans idéal ...

transhumance politique où certains acteurs politiques troquent, avec une


aisance déconcertante, leurs idéaux et leur vision de société contre l’idéologie
du plus offrant, peu importe son poids moral et sa force transformatrice
inexistants, dans le simple but de « survivre » politiquement ou d’améliorer
leur train de vie matériel. Où serait alors la place du peuple dans ce qu’il
convient de qualifier de vagabondage politique ? Cros et Misser n’ont
peut-être pas tort de caricaturer : « La versatilité des acteurs politiques
est telle que nombre d’entre eux semblent avoir le caméléon pour totem.
Les politiciens congolais ont d’ailleurs inventé l’expression ‘vagabondage
politique’ pour décrire leurs mœurs »2. Ngeleka ironise même en qualifiant
cette inconstance de position de « sport le plus pratiqué par la classe
politique congolaise »3.
Si la RD Congo doit inverser le phénomène de sous-développement et
s’attaquer aux défis du chômage ou du sous-emploi, il est urgent que surgisse
une nouvelle classe politique qui croit aux valeurs et qui a des idéaux à
défendre, sans vaciller à la moindre brise qui titille leur porte-monnaie.
Le pays mérite certainement mieux qu’une cohorte de politiciens atteints de
transhumance intempestive, frappant d’ostracisme la majorité des citoyens
condamnés à vivre des miettes qui tombent de la table richement garnie
de ceux qui sont supposés être leurs porte-parole.
Qu’il s’agisse de la recherche d’un contrat social juste et stable (Adelard
Kaseshi), des perspectives économiques pour le développement durable
de la RD Congo (Mabi Mulumba), de ce qu’il convient de changer pour
démarrer le développement du pays (Naupless Kibwisa), d’une école de
pensée sociale à ériger pour le développement du pays (Alexis Mbikayi)
ou d’épingler la politique de zombification (Willy Moka), les réflexions
contenues dans la livraison de ce mois d’octobre peuvent être situées
dans cette logique de construction d’une nation stable et prospère, où les
acteurs politiques et les citoyens croient aux valeurs partagées. Dans un
tel contexte, la transhumance politique, si elle a lieu, obéirait non pas aux
ambitions nombrilistes des acteurs politiques concernés mais au meilleur
projet de société à promouvoir pour extirper la RD Congo de l’ornière où
elle sombre depuis des lustres.
Les réflexions de ce mois sont aussi une manière pour Congo-Afrique de dire
adieu au plus méritant de ses collaborateurs scientifiques, le Professeur Léon
de Saint Moulin, décédé ce jeudi 24 octobre, dont la centaine des contributions
publiées dans la revue resteront à jamais gravées dans la mémoire de
nombreux lecteurs. Repose en paix, cher défenseur des valeurs sociales, grand
amoureux de la RD Congo et de son peuple. Sit tibi terra levis !
2 M.-F CROS & F. MISSER, Géopolitique du Congo (RDC), Bruxelles, Éditions Complexe, 2006. Cité par
J.-M MUTAMBA Makombo, « La segmentation des partis et le vagabondage des acteurs politiques au
Congo-Kinshasa (1959-2017) », in J. KANKWENDA Mbaya, (dir.), Le Degré zéro de la dynamique politique
en République démocratique du Congo 1960-2018, Kinshasa-Montréal-Washington, ICREDES, 2018, p. 282.
3 E. NGELEKA Ilunga, « La crise en RD Congo est morale », Tribune Libre, 22 mars 2010. Repris in
www.congoone.net, consulté le 29 octobre 2019.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 775


Économie et Développement

QUELLES PERSPECTIVES ÉCONOMIQUES POUR


LE DÉVELOPPEMENT DURABLE DE LA RD CONGO ?*

I
Introduction

Évariste MABI l faut avant tout relever que depuis le démar-


MULUMBA,
rage du processus démocratique, la RD Congo
Professeur Émérite,
Université de manifeste une ferme volonté d’accéder à un
Kinshasa (RD Congo). développement intégré dans un processus
evamabi1@yahoo.com auto-entretenu, notamment la volonté d’accéder au
Club des économies émergentes d’ici 2030. Malgré
l’abondance de ses richesses potentielles, la RD Congo
vit le paradoxe d’un pays extrêmement riche en res-
sources naturelles dont les populations vivent dans
l’extrême pauvreté :
–– Un revenu par habitant de 500 dollars
américains en 2018 ;
–– Un taux de pauvreté de 71%.
La richesse potentielle a été ainsi évaluée dans
le livre de Léonide Mupepele1. En ce qui concerne
les ressources minérales, ce livre renseigne que la
RD Congo détient le premier rang mondial pour le
Cobalt avec les ¾ des réserves mondiales, le premier
rang mondial pour le diamant industriel (80%), la 3e
réserve mondiale de Fer, le 3e rang mondial pour le
Pyrochlore, le 4e rang mondial pour le Cuivre, le 5e
rang pour le Coltan et le 8e rang pour la Cassitérite.
Cette situation relève d’un paradoxe quand on
rapproche ce scandale géologique à l’extrême pauvreté
*
Conférence de la population congolaise. La persistance de ce
inaugurale à
l’Université contraste est d’autant plus inexplicable quand il est
Catholique du établi que les nombreux gisements de minerais à
Congo, le 15 haute teneur et leur faible coût d’exploitation attirent
octobre 2019. les entreprises minières du monde entier vers la
RD Congo. En outre, le coût d’exploitation du secteur
minier en RD Congo a l’avantage d’être plus faible
que dans les autres pays, comme l’Afrique du Sud,
1 Léonide MUPEPELE, L’industrie minérale congolaise : Chiffres et
défis, Paris, L’Harmattan, 2012.

776 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Quelles perspectives économiques pour le développement durable de la RD Congo ?

riches en minerais. En prenant en compte l’écologie planétaire, grâce


à l’importance de sa forêt, la deuxième du monde tropical, la RD Congo
représente un enjeu mondial majeur dans la lutte contre les émissions de
gaz à effets de serre. La déforestation évitée, les Paiements pour Services
Environnementaux (PSE) et les mécanismes de Réduction des Émissions
dues à la Déforestation et à la Dégradation (REDD) érigent la forêt en bien
mondial, en puits de carbone, et plus prosaïquement, en nouvelle rente en
faveur de la RD Congo.

1. État des lieux sur la politique économique du Gouvernement


Depuis 2002, la RD Congo a mis en œuvre un programme économique
comportant deux volets : des mesures d’assainissement budgétaire et
monétaire devant stabiliser le cadre macroéconomique d’une part, et d’autre
part, des réformes structurelles devant relancer les investissements et la
production.

a) Les résultats des programmes de stabilisation


Le premier résultat a été la stabilisation remarquable des prix et du
change accompagnée d’une succession de taux de croissance positifs sur une
période de plus de dix ans. D’où un grand contraste avec la décennie allant
de 1990 à 2001 où l’on a connu des taux d’inflation avoisinant 10.000% en
1994 et une succession de taux de croissance négatifs.
Le second résultat a été l’achèvement satisfaisant de la première revue
du programme économique du gouvernement signé le 11 décembre 2009,
appuyé par la Facilité Élargie de Crédit (FEC) du FMI. Ce qui a permis à la
RD Congo d’atteindre le point d’achèvement de l’initiative PPTE renforcée
le 30 juin (pour le FMI) et le 1er juillet 2010 (pour la Banque Mondiale)
et de bénéficier de l’initiative d’Allègement de la Dette Multilatérale
(IADM), avec un important effacement de la dette de 12,5 milliards de
dollars américains. Ainsi, un des goulots d’étranglement majeur dans le
financement du développement du pays a pu être aplani.
Il nous faut à ce niveau dissiper un malentendu concernant les économies
réalisées au point d’achèvement, une part importante de la dette ayant été
effacée, il est recommandé que les économies réalisées soient déployées en
faveur des dépenses pro-pauvres (éducation, santé, infrastructures). Ces
économies n’existent pas, la RD Congo, avec l’accord des créanciers, ne
remboursait pas sa dette envers le Club de Paris (dont la dette s’élevait à
6,7 milliards de dollars).

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 777


Évariste MABI MULUMBA

b) Les réformes structurelles pour favoriser les investissements


C’est dans ce cadre qu’il a fallu clarifier les législations susceptibles
d’assurer la sécurité juridique et judiciaire. Il a été notamment promulgué
un nouveau code d’investissement, un code minier, un code forestier, un
nouveau code du travail. Le résultat spectaculaire des retombées de la
promulgation du code minier a été la relance du secteur minier perceptible,
notamment dans la province du Katanga et l’affluence des investisseurs
internationaux. La production minière a connu une augmentation notable
surtout pour ce qui est du Cuivre et du Cobalt, à la lecture des statistiques
ci-après :

Évolution de la production du Cuivre et du Cobalt en tonnes

2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008


Cuivre 37.845 26.311 16.359 18.995 26.389 99.121 235.742 335.066
Cobalt 11.637 11.865 7.341 8.851 8.234 15.384 41.464 42.461

2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017


309.181 497.537 499.198 619.942 922.016 1.030.129 1.039.007 1.023.687 1.094.638
56.258 97.693 99.475 86.433 76.517 74.912 83.529 68.822 82.461
Source : BCC, Rapport Annuel 2017.

Cependant, selon les experts de la Banque Mondiale, la contribution


du secteur au PIB, aux recettes de l’État et à l’emploi formel reste limitée.
Les mêmes experts affirment que la fiscalité du secteur minier correspond
aux normes internationales, mais le taux de recouvrement fiscal reste à
améliorer. Si les bénéfices générés par les groupes industriels présents dans
le pays sont difficiles à estimer, l’écart entre la valeur ajoutée domestique
et la valeur ajoutée internationale dans ce secteur, reste significatif.
Le décalage entre les revenus générés par l’exploitation des ressources
naturelles, les recettes de l’État, le développement de liens économiques
domestiques et la redistribution vers les programmes sociaux et contribuant
à une réduction de la pauvreté risque de s’accroître si une meilleure
gouvernance du secteur n’est pas assurée.
Ce seul constat explique pourquoi des taux de croissance économique
élevés enregistrés par la RD Congo ne se ressentent pas sur le plan social.
Les performances de l’économie congolaise suite aux investissements dans
le secteur minier se manifestent dans les recettes d’exportation du pays qui
sont passées de 1,368 en 2005 à 9,471 milliards en 2011 et 11,468 en 2017.

778 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Quelles perspectives économiques pour le développement durable de la RD Congo ?

Évolution des recettes d’exportations de la RD Congo


de 2005 à 2017 en millions de USD
2005 2006 2007 2008 2009 2010
Exportations 1.368,5 1.586,7 2.600,0 6.869,8 4.371,0 8.477,9

2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017


9.471,9 8.871,5 11201,4 11706,4 10.083,8 8736,2 11.468,4

Toutefois, quand on analyse la balance commerciale du pays, on se rend


compte que l’économie du pays reste fragile, car reposant sur les matières
de base dont les prix sont volatiles. En 2009, 2010, 2011, 2012 et 2017,
98% des recettes d’exportations proviennent de quatre produits (le cuivre,
le cobalt, le pétrole et l’Or), alors que les produits agricoles et industriels
ne représentent respectivement que 1,3 et 0,4% en 2011, et 0,6 en 2017.
Cette situation contraste avec celle connue en 1959, où les produits
miniers rapportaient 57,2% des recettes en devises du pays et les produits
agricoles 42,8%. La croissance du secteur extractif n’a cependant pas généré
des recettes importantes pour le développement, ni une forte augmentation
des réserves étrangères :
Il est anormal qu’un pays dont les exportations de pétrole et de minerais
se sont élevées à 48,5 milliards de dollars pendant le super-cycle de la
production minière industrielle (2010-2014) paye 9,9 milliards pour
rémunérer les investisseurs, reçoivent 6,9 milliards de recettes et se
retrouve dans une situation de quasi crise avec une baisse des réserves
et des recettes insuffisantes. Cela démontre que le choix de recourir à
des industries multinationales exerçant dans le secteur formel n’a pas
produit les retombées escomptées pour l’État. Cela tient aux limites
du Code Minier, l’incapacité de l’Administration de faire appliquer les
dispositions du Code et à recouvrer des recettes auprès des différents
producteurs et aux faiblesses institutionnelles qui laissent le secteur et
sa rente être captés par des intérêts privés. Il faut remédier à tous ces
aspects pour accroître la résilience de l’économie de la RDC2.

Nous avons ici l’explication d’une croissance qui ne profite pas à la


population et au pays : une croissance non inclusive. C’est un constat fait
de l’application de ce Code Minier qui a été révisé depuis mars 2018.

Banque Mondiale, Révision du Code Minier - Examen, Observations et Analyse Comparative,


2
avril 2016, p. 13. Il s’agit du Code Minier de juillet 2002.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 779


Évariste MABI MULUMBA

2. Les défis que la RD Congo devrait relever


Pour s’engager sur la voie d’un développement auto-entretenu,
la RD Congo devrait relever les défis ci-après :

2.1. La gouvernance et l’intériorisation du principe de redevabilité


et une lutte effective contre la corruption
La RD Congo est affaiblie par l’institutionnalisation d’une gestion
prédatrice de l’économie nationale, notamment dans la gestion des
ressources naturelles, spécialement le bradage du patrimoine minier,
forestier et pétrolier par les gestionnaires publics. Des sommes importantes
provenant de la vente des actifs des entreprises publiques ne sont pas
retracées dans les comptes de l’État. Cette situation a été portée à la
connaissance de l’opinion nationale, suite à la médiatisation du différend
opposant le FMI au gouvernement, au sujet des sommes perçues sur les
ventes des actifs de la GÉCAMINES dans une opacité totale.
La crédibilité de la RD Congo a été entamée avec l’arrêt du Programme
avec les institutions de Bretton Woods (PEG II). C’est l’occasion de rappeler
un bradage ayant fait perdre à la RD Congo 1,36 milliards de dollars, à
l’occasion de cinq transactions sur les gisements miniers de la GÉCAMINES
réalisées en moyenne au sixième de leur véritable valeur entre 2010 et 20123.

2.2. La diversification économique par l’industrialisation


et le développement de l’agriculture

2.2.1. L’industrialisation
Le fonctionnement du secteur industriel, en général, et minier en
particulier, qui est le moteur de la croissance économique en RD Congo, est
tributaire de l’existence d’une fourniture fiable de l’électricité. La RD Congo
est loin de répondre à cette exigence. Les deux centrales hydroélectriques
d’Inga 1 et Inga 2 ont une capacité disponible représentant 50% de leur
capacité installée de 1773 MW, suite à une maintenance insuffisante depuis
leur construction. Le faible niveau d’accès à l’électricité est un important
goulot d’étranglement au développement social et économique. La fiabilité
de l’alimentation en énergie, pour ceux qui y ont accès, est notoirement
faible et sujette à des fréquentes interruptions, avec une moyenne de 10
jours de panne d’électricité par mois.
Ces interruptions pénalisent gravement les entreprises privées qui
assument, dans bien des cas, les coûts additionnels de génératrices de secours
et également des coûts relatifs à la réparation des équipements endommagés
par les surcharges. La mauvaise qualité de l’électricité attribuable à la piètre
Africa Progress Report 2013.
3

780 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Quelles perspectives économiques pour le développement durable de la RD Congo ?

performance technique de la SNEL, affecte la compétitivité des entreprises


locales et a un impact négatif notamment sur l’emploi.
À ce jour, la SNEL n’est pas considérée comme un partenaire solvable
pour les investisseurs privés. Elle ne couvre pas ses frais d’exploitation par
ses revenus et ses difficultés de recouvrement entraînent des problèmes
de paiement considérables, des arriérés de paiement de ses fournisseurs
et des taxes. L’amélioration de ces éléments est une étape pour attirer les
investisseurs privés.
La situation de la fourniture de l’énergie électrique pourrait s’améliorer,
s’il n’y avait pas une piètre gouvernance au niveau de la SNEL et bien
entendu, au niveau de son ministère de tutelle, en ce qui concerne
l’absorption des financements mis à la disposition de l’entreprise. Ce cas
peut être illustré par deux exemples :
–– Un projet relatif au Marché d’Électricité en Afrique Australe
(SAPMP) dont un financement de 359,08 millions de dollars, mis
en vigueur par la Banque Mondiale en 2004 dont la date de clôture
était prévue en décembre 2012, n’a été décaissé 8 ans après qu’au
niveau de 36%.
–– Un autre financement de 579,7 millions de dollars pour le Marché
d’Électricité à la Consommation Domestique et à l’Export (PMEDE)
mis en vigueur en 2008 avec une date de clôture en juin 2016 n’a
connu, 4 ans après, qu’un décaissement de 11%.
L’industrialisation par la transformation, entre autres, en produits
manufacturés de nos minerais qui sont jusqu’ici exportés sous forme brute
avec comme gain l’accroissement de la valeur ajoutée au profit du pays est
un objectif fixé au secteur minier dont l’article 105 du Code Minier révisé
fait obligation au titulaire d’un permis minier d’exploitation d’effectuer le
traitement des substances minérales sur le territoire national. La contrainte
majeure relevée pour atteindre cet objectif, c’est notamment le déficit
énergétique. Celui-ci s’élève à près de 1000 mégawatts au Katanga ; déficit
qu’il faut préalablement évacuer, spécialement dans le secteur minier.
La diversification économique exige dans tous les secteurs de
production une suffisante disponibilité de l’énergie électrique qui permet
l’industrialisation. C’est en exportant des produits manufacturés que
l’économie congolaise pourra connaître une résilience.

2.2.2. Les ressources naturelles


En ce qui concerne les ressources naturelles, l’enjeu premier pour
maximiser leur potentiel est de connaître avec plus de précision les
ressources que contiennent le sol et le sous-sol de la RD Congo. Selon
une étude de la Banque Mondiale, les ressources minières « connues »
demeurent des hypothèses et la RD Congo doit acquérir une plus grande

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 781


Évariste MABI MULUMBA

maîtrise de son potentiel. C’est ainsi que les contrats miniers conclus ont
résulté des accords signés aux conditions qui ne reflètent pas nécessairement
la valeur marchande réelle du patrimoine minier. La minorisation de la
valeur marchande des gisements s’explique également par le fait qu’en
RD Congo, peu d’activités de recherche ont été menées à l’échelle nationale
depuis l’indépendance. Le résultat en est que 90% du pays est inexploré
et les 10% restants ont été explorés à l’aide de techniques et méthodes
scientifiques rudimentaires, vieilles de 50 ans.
Invité à la Commission Économique du Sénat, lors du vote du Budget
2010, le Ministre des Hydrocarbures avait confirmé une certaine opacité en
ce qui concerne les recettes pétrolières revenant à l’État. Chose étonnante,
le même Ministre avait relevé que la production pétrolière congolaise était
restée constante au niveau de 25.000 barils par jour, pendant quarante ans,
malgré l’augmentation du nombre de puits, passé de 100 à 300.
Pour ce qui est des réserves pétrolières, le Ministre avait affirmé
qu’elles ne sont pas connues avec certitude et qu’il y avait lieu d’engager
au minimum près de 50 millions de dollars pour déterminer le niveau
de réserves pétrolières du pays et espérer ainsi tirer les ressources
conséquentes dans ce secteur.

2.2.3. L’agriculture
Le pays doit intégrer à court terme dans ses stratégies de la relance de
l’agriculture, la valorisation des spéculations agricoles où il a connu des
performances dans le passé (production d’hévéa, d’arachide, de robusta,
de thé, de palmier à huile). C’est pour éliminer la sous-utilisation des
ressources naturelles et corollairement les ressources humaines en chômage
déguisé et pour répondre aux besoins du marché en actionnant ce potentiel
de production et de création d’emplois et d’amélioration des revenus pour
un grand nombre (situé dans le monde agricole), afin que les retombées de
la croissance soient inclusives.

3. La promotion d’une classe moyenne congolaise


La Banque Mondiale révèle que le secret de la réussite des pays du
Sud-Est asiatique connu sous le nom de miracle asiatique est dû à, entre
autres facteurs :
–– Un haut taux d’épargne et d’investissement ;
–– Un taux de scolarité élevé et un niveau d’éducation de la force de
travail en amélioration constante ;
–– Un environnement macroéconomique relativement stable et une
part importante du commerce international ;
–– Une classe moyenne dynamique.

782 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Quelles perspectives économiques pour le développement durable de la RD Congo ?

Si la RD Congo a connu un grand succès dans la stabilisation du cadre


macroéconomique et que des efforts sont enregistrés dans le processus
d’accroissement de l’épargne avec des taux de croissance économique
positifs, une politique volontariste de promotion d’une classe moyenne ne
s’est pas encore manifestée. Pour preuves :
–– Il n’y a aucune présence d’un capital national dans le secteur
bancaire et financier. Toutes les banques installées dans notre
pays sont à capital étranger.
–– Il n’y a aucune grande entreprise minière, industrielle ou
agroindustrielle aux mains des Congolais.
Cette lacune peut être comblée, avec l’aide du gouvernement. Il peut
être envisagé :
–– La création de deux ou trois banques par les hommes d’affaires
congolais avec une majorité au capital ;
–– L’insertion des Congolais au capital des entreprises de droit
commercial issues de la transformation des entreprises publiques ;
–– La mise sur pied d’un Fonds de Garantie au profit des PME
congolaises ;
–– Le renforcement de la SOFIDE, pour en faire une banque de
financement de l’agriculture ;
–– La création d’une banque de financement de l’habitat ;
–– La restructuration réussie des entreprises du portefeuille de l’État ;
–– L’exploitation d’autres formes alternatives de financement et
gestion des infrastructures avec le partenariat public-privé ;
–– La création de façon permanente d’un environnement propice à la
conduite des affaires reposant sur la sécurité juridique et judiciaire.

4. Sur le Plan institutionnel


Sur le plan institutionnel, depuis le démarrage du processus
démocratique, la RD Congo a mis en place toutes les institutions à même
d’assurer la bonne gouvernance du pays. À côté de l’institution Président de
la République, il y a le Parlement, le Pouvoir exécutif ainsi que le Pouvoir
judiciaire.
La problématique à laquelle il faut trouver solution est celle de
l’efficience de ces institutions. Le constat fait en pratique se situe au niveau
du non-respect du principe de redevabilité. La reddition des comptes est
bâclée ; les rapports des organes de contrôle sont souvent non exploités ;
les sanctions ne sont pas souvent prises : d’où une situation récurrente
d’impunité et de corruption devenue systémique.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 783


Évariste MABI MULUMBA

En conclusion

La réussite d’un développement durable devra reposer sur une stabilité


politique et une paix sociale. C’est ce qui doit constituer le socle de toute
croissance économique durable. L’accent devra être mis sur l’amélioration de
la gouvernance ainsi que sur le renforcement de la capacité de négociation
des contrats de partenariat et de la lutte contre la corruption et l’impunité.
Par ailleurs, il est nécessaire de diversifier l’économie basée sur
l’industrialisation et le développement du secteur agricole renforcée par la
priorité portée sur les infrastructures de transport et énergétiques, sans
oublier l’amélioration de l’éducation nationale. La résilience de l’économie
nationale ne pourra provenir que de la diversification économique.
Le tableau ci-après donnant la structure des exportations de la RD Congo
conforte notre quête de la diversification économique.

Structure des exportations en % du total des exportations

2013 2014 2015 2016 2017

Produits Miniers et Hydrocarbures 97,0 95,5 98,0 73,5 99,3

Produits Agricoles 2,0 4,4 1,9 4,1 0,6

Produits Industriels et Energétiques 1,0 0,1 0,0 0,1 0,0

Ajustement (I) - - - 22,2 0,0


100 100 100 100 100
Source : Banque Centrale du Congo, Rapport Annuel 2017.
Complément des données d’enquête et les exportations frauduleuses.

Cette structure repose donc sur quatre matières de base : le Cuivre, le


Cobalt, l’Or et le Pétrole (ces quatre produits de base représentent à eux
seuls 93,59% des exportations totales de la RD Congo en 2017) dont les
cours sont volatiles et menacent en permanence non seulement la stabilité
de la monnaie de la RD Congo, mais aussi la relance de l’économie dans
son ensemble. Pour conclure cet exposé, Georges Wolf et Fabrice Lusinde4
interpellent notre pays en ces termes :
La RD Congo s’est reposée, (dans la détermination de ses priorités) sur
les analyses et les études réalisées par les bailleurs de fonds mais n’a pas
forcément fait valoir son propre point de vue. La RD Congo doit avoir une
vision de son propre développement qu’elle doit exprimer à travers un
plan stratégique et un processus de définition de ses priorités en fonctions
des besoins identifiés par les différents acteurs de la société congolaise.

4 Georges WOLF et Fabrice LUSINDE, « Les Questions Géospatiales et Infrastructures », in Résilience


d’un Géant Africain - Accélérer la Croissance et Promouvoir l’emploi en République Démocratique du Congo,
Banque Mondiale, 2012, p. 4.

784 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Vie et Sciences Sociales

LA RD CONGO À LA RECHERCHE D’UN CONTRAT SOCIAL JUSTE


ET STABLE. UN ÉCLAIRAGE DE LA THÉORIE DES JEUX

D
Introduction

Adélard-Diens KASESHI epuis son indépendance en 1960, la


Mulenge, Professeur RD Congo s’est rendue célèbre par son
à l’Université
instabilité politique chronique. Cela
Catholique du
Congo (Kinshasa), peut se justifier par les diverses crises
à l’Université qui jalonnent son histoire, en l’occurrence : le chaos
Pédagogique de la première république (1960-1965), la première
Nationale (Kinshasa) guerre du Shaba, dite « la guerre de quatre-vingts
et à l’Institut jours » (1977) ; la deuxième guerre du Shaba, dite « la
supérieur de
guerre de six jours » (1978) ; les pillages et émeutes
commerce
(Bandundu-Ville). de la faim (1991 et 1993) ; l’épuration des Kasaïens
ade.kas@hotmail.fr du Shaba (1992) ; la marche de l’espoir des chrétiens
(le 16 février 1992) ; la rébellion de l’AFDL (1996-
1997) ; la balkanisation du Congo (1998-2002) ; les
violences postélectorales (2006-2007) ; les frustrations
laissées par les élections aussi bien de 2011 que de
2018 ; l’explosion de la violence dans le Kasaï depuis
2016 ; les marches du 31 décembre 2017, du 21 jan-
vier et du 25 février 2018, organisées par le Comité
laïc de coordination (CLC) ; et enfin la violence quasi
quotidienne dans la partie orientale du pays, orches-
trée par des groupes armés ou des groupes ethniques.
La persistance de ces crises indique que le problème
fondamental de la RD Congo n’a pas encore trouvé
une solution en dépit de la pléiade de négociations,
conférences, rencontres, dialogues, concertations,
conclaves, sommets, consultations,accords, et
autres,organisés pour le résoudre. En effet, de la
conférence de la Table Ronde de 1960 à l’Accord de la
Saint-Sylvestre du 31 décembre 2016, en passant par
la Conférence Nationale Souveraine (1991-1992), les
Accords de Lusaka (1999), les Négociations politiques
de Sun City (2002) et de Pretoria (2002), le Dialogue
Politique National Inclusif à la cité de l’Union
Africaine (2016), les Congolais empilent les rendez-
vous sans qu’ils débouchent sur un tournant décisif de
leur histoire. Celui-ci correspondrait à la destruction

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 785


Adélard-Diens KASESHI

du vieux monde politique, avec ses vieilles méthodes, vieilles recettes et


vieilles pratiques pour se transformer en quelque chose de nouveau.
Et si ces marchandages politiques témoignent du désir légitime des
acteurs nationaux et/ou internationaux de chercher des solutions à nos
problèmes par la médiation politique, force est de constater qu’ils n’ont
jamais, malheureusement, permis à la société congolaise de se mettre en
mouvement pour se changer elle-même de l’intérieur et pour retrouver le
goût de l’avenir. Au contraire, les négociations et les élections se suivent et
se ressemblent pendant que le pays, lui, poursuit sa descente aux enfers.
L’incapacité des Congolais à trouver des solutions efficaces et durables
donne du pays l’image d’une société anarchique, déchirée par l’affrontement
entre les égoïsmes tant nationaux qu’internationaux, bloquée par les
démons de la division, et vouée à l’instabilité perpétuelle, à l’échec du vivre
ensemble et au sous-développement.
L’échec du vivre ensemble traduit la crise de l’État. Le projet étatique,
initié pendant la colonisation, est en faillite totale. En effet, le Congo, comme
d’ailleurs la plupart des pays africains, est un État failli. Selon Pascal
Boniface, les États faillis se distinguent par : la pression démographique,
les violences communautaires, l’émigration chronique et soutenue, les
inégalités de développement, le déclin économique, la criminalisation, la
détérioration des services publics, le non-respect des droits de l’homme
ou l’intervention d’autres puissances1. Dans ces conditions, l’État failli
est incapable de construire une vision commune de l’intérêt général et
d’organiser le vivre ensemble. D’où ces questions qui taraudent notre esprit :
pourquoi les Congolais ne parviennent-ils pas à résoudre leurs problèmes
communs par la médiation politique ? Comment faire émerger un contrat
social juste et stable ? Sur quels principes peut-il être fondé ?
Pour répondre à ces questions, j’avance l’hypothèse suivante : l’instabilité
politique structurelle, dont souffre la RD Congo, s’explique principalement
par l’égoïsme de quelques castes éhontés qui, chevillés à leurs privilèges
acquis, faussent les règles du jeu dans toutes les interactions stratégiques
afin que les résultats de la coopération soient toujours programmés en
leur faveur. Ainsi, la petite élite au pouvoir, profitant de l’existence d’une
culture politique et d’un cadre institutionnel fondés sur le « chacun pour
soi », milite pour le statu quo ou le chaos afin qu’elle continue à profiter de la
rente minière, de la rente politique, de la rente de l’aide au développement
ou de la rente des investissements privés.
Le règlement de ce problème passe par la construction d’un nouveau
compromis démocratique. Celui-ci doit être fondé sur l’esprit de coopération,
symbolisé par les valeurs sociales telles que l’altruisme, l’empathie,la
justice-équité, le désir de servir le bien commun, la confiance, le souci

1 Pascal BONIFACE, La Géopolitique. 48 Fiches pour comprendre l’actualité, Paris, Eyrolles, 2018, p. 60.

786 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


La RD Congo à la recherche d’un contrat social juste et stable

de l’autre, le respect des règles communes, la loyauté. Ainsi, autant la


prospérité est propice dans une société où les agents sont enclins à coopérer,
autant la pauvreté hante une société caractérisée par l’égoïsme et le
désordre. En effet, dans une société où les membres coopèrent beaucoup,
l’instinct de coopération exerce un impact positif sur le vivre ensemble et
sur l’économie dans la mesure où il tempère l’égoïsme des individus pour
favoriser le développement de l’esprit de coopération. Celui-ci renforce
le contrat social (cohésion sociale), parce qu’il permet aux individus de
s’entendre et de s’associer pour organiser laco-dépendance en vue de la
réussite de l’ensemble de la société.
En revanche, une société dominée par le calcul de la maximisation des
intérêts particuliers a l’inconvénient d’être une société fortement inégalitaire
et désordonnée, caractérisée par le contraste fort entre l’accumulation des
richesses par une petite élite au pouvoir et l’accroissement de la misère de
la majorité des citoyens. Dans ce cas de figure, la logique de chacun pour soi
alimente les crises et conflits susceptibles de provoquer l’instabilité politique
en créant un climat de suspicion, de méfiance, de désordre, de chaos et
d’incertitude qui empêche l’émergence de la coopération, censée cimenter
le vivre ensemble et préparer l’environnement pour un fonctionnement
optimal des marchés.
Dès lors, ma démarche consiste à comprendre et à formaliser l’apport
de l’esprit de coopération sur la stabilité du contrat social et sur l’efficacité
économique. Autrement dit, je voudrais dépasser l’horizon borné de
l’économie classique et néoclassique qui a longtemps placé l’égoïsme sur
un piédestal pour montrer que la recherche de l’altruisme peut faciliter
l’enrichissement d’une société au fil du temps. Pour analyser plus
finement cette hypothèse centrale, je me propose de recourir aux outils
méthodologiques de la théorie des jeux. Celle-ci est une branche complexe
des mathématiques2 qui permet d’étudier la manière dont les individus se
comportent dans des situations d’interdépendance.
L’objectif de cette réflexion est de permettre aux citoyens congolais de
mieux s’approprier, en cette période difficile de notre histoire, les éléments
du débat démocratique. Il s’agit davantage d’aiguiser la conscience
collective sur la persistance de nos difficultés plutôt que de se focaliser
sur l’alchimie des promesses électorales, la recherche de l’homme ou de la
femme providentielle et les subtilités des regroupements politiques. Ces
phénomènes, loin d’être négligeables, sont l’arbre qui cache la forêt, car
le Congolais moyen sait que, quelles que soient les alliances politiques,
les négociations, les accords, les élections, nos problèmes de fond restent
entiers. Entière aussi est notre incapacité à les résoudre dans un cadre
de médiation politique, à moins que l’intelligence collective se hisse au-

2 Dans cet article, je laisse de côté tout langage mathématique avancé afin de rendre la théorie des
jeux accessible à un large public. Quant au public spécialisé, je le renvoie aux ouvrages cités ici.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 787


Adélard-Diens KASESHI

dessus de l’esprit de compétition, de rivalité qui privilégie la logique néo-


darwinienne pour refonder le contrat social sur l’esprit de coopération.
Pour ce faire, je voudrais d’abord présenter succinctement la théorie
des jeux en m’attelant particulièrement sur le dilemme du prisonnier et
l’équilibre de Nash qui sont ses concepts les plus familiers. Ensuite, je
formaliserai la métaphore keynésienne des deux chauffeurs pour mettre en
évidence le lien entre l’esprit de coopération (altruisme) et les opportunités
de gain mutuel des joueurs. Autrement dit, je démontrerai que lorsque les
joueurs choisissent de jouer collectif (coopération), ils sont tous gagnants
car leurs gains sont supérieurs par rapport à la situation où chacun
jouerait individuel en se focalisant uniquement sur son intérêt personnel.
Enfin, j’esquisserai, en m’appuyant sur la « Théorie de la justice » de John
Rawls, quelques principes censés constituer les fondements d’un nouveau
compromis démocratique ou d’un contrat social juste et stable.

1. La théorie des jeux : une vue d’ensemble3


La vie en société met en scène des acteurs (individus, familles,
associations, équipes, entreprises, partis politiques, pays, régions) qui
interagissent de telle sorte que les résultats qui les affectent dépendent des
actions des uns et des autres. C’est dans cette optique que les économistes ont
mis en place la théorie des jeux pour analyser les interactions stratégiques
des individus supposés rationnels. La théorie des jeux entend donc dépasser
la microéconomie traditionnelle qui défend l’hypothèse d’atomicité des
agents économiques selon laquelle les décisions d’un agent n’affectent pas
les autres. Pour ce faire, elle étudie le lien entre comportements individuels
et conséquences collectives. Mais la difficulté de ce type d’approche tient au
partage des fruits de la coopération, surtout lorsqu’il y a un conflit d’intérêt
entre acteurs : comment allouer les richesses, imputer les coûts, répartir
le pouvoir, les honneurs entre signataires d’un accord ? Ces questions
préoccupent la théorie des jeux depuis le calcul des probabilités au 17e
siècle jusqu’à nos jours.

1.1. Origine et développement


Habituellement, on situe le point de départ de la théorie des jeux à
l’ouvrage d’Augustin Cournot, paru en 1838 et intitulé : Recherche sur
les principes mathématiques de la théorie des richesses. En analysant le
comportement de deux entreprises en concurrence sur un même marché,
3 Il ne s’agit pas pour nous ici de rendre compte de développements récents de la théorie
des jeux. Nous nous en tenons uniquement à une brève présentation de la théorie des
jeux. Le lecteur désireux d’en savoir plus, lira avec intérêt : Pierre DEHEZ, Théorie des
jeux. Conflit, négociation, coopération et pouvoir, Paris, Economica, 2017 ; Sylvain BÉAL et
Yannick GABUTHY, Théorie des jeux coopératifs et non coopératifs. Application aux sciences
sociales, Bruxelles, De Bœck, 2018.
788 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année
La RD Congo à la recherche d’un contrat social juste et stable

Cournot a anticipé le concept d’équilibre d’un jeu non coopératif que


John Nash a défini en 1950, c’est-à-dire plus d’un siècle après. Dans le
même ordre d’idées, Francis Ysidro Edgeworth publia en 1881 son livre,
intitulé Mathematical psychics, dans lequel il analysa des transactions
stables dans une économie d’échange. Il a démontré que l’échange entre
deux personnes est indéterminé à l’intérieur de la courbe des contrats. Or,
cette dernière recense l’ensemble des issues coopératives pareto-optimales.
Les individus ont donc véritablement un intérêt commun à s’entendre sur
l’une de ces issues, mais leurs intérêts sont rigoureusement contradictoires
« tout au long de la courbe des contrats », dans la mesure où l’acheteur
préfère toujours payer le moins cher possible, tandis que le vendeur préfère
vendre le plus cher possible. Dès lors, la question de la détermination du
prix revêt un enjeu conflictuel entre les échangistes, à moins que l’échange
se déroule dans le contexte idéal de la concurrence parfaite. Or, tout le
monde sait ou aurait dû savoir que, dans l’économie réelle, la concurrence
n’est jamais parfaite ! Dans ces travaux, Edgeworth a anticipé le concept
de noyau d’un jeu coopératif introduit par Gillies et Shapley en 19534.
Mais il fallait attendre le début du XXe siècle pour que se développe
la théorie mathématique des jeux, avec les travaux de Zermelo (1912) et
Emile Borel (1921) sur les jeux de société. Ce dernier, par exemple, avait
fait, en 1921, une communication à l’Académie des Sciences sur le thème :
« La théorie du jeu et les équations intégrales à noyau symétrique gauche ».
En 1928, poursuivant les intuitions d’Émile Borel, le mathématicien John
Von Neumann va proposer une théorie des jeux à somme nulle et à deux
joueurs en développant le « théorème du minimax » comme résultat de ce
type de jeux. Ce théorème postule, commente Bernard Guerrien, que tout
jeu à somme nulle à deux joueurs comporte une solution formée par leurs
stratégies minimax, solution pour laquelle leurs gains sont égaux à leur
niveau de sécurité5. En effet, dans les jeux à somme nulle, par exemple, la
rationalité de chaque joueur consiste à déterminer, soit son gain minimum
en optant pour des stratégies qui maximisent ce gain minimum (stratégie
maximin), soit sa perte maximum en optant pour des stratégies qui
minimisent cette perte (stratégie minimax). Selon le théorème du minimax
de von Neumann, la valeur du jeu correspond au gain (maximin ou minimax)
qu’elle génère pour chaque joueur. Ainsi, le minimax de l’un est égal au
maximin de l’autre : maximum minimorum = minimum maximorum.
Au-delà de tous ces travaux précurseurs, les économistes attribuent
généralement la naissance de la théorie des jeux à John Von Neumann
et Oskar Morgenstern qui ont publié, en 1944, un ouvrage collectif
intitulé : Theory of Games and Economic Behavior (Théorie des jeux
4 Pour en savoir plus, lire : Pierre DEHEZ, Théorie des jeux. Conflit, négociation, coopération et pouvoir,
Paris, Economica, 2017.
5 Bernard GUERRIEN, Dictionnaire d’analyse économique. Microéconomie, macroéconomie, théorie des
jeux, Paris, La Découverte, 2002, p. 287.
Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 789
Adélard-Diens KASESHI

et comportements économiques). Dans ce « traité » fondateur, les deux


mathématiciens appliquent la théorie des jeux à l’économie en considérant
que tous les problèmes économiques peuvent se ramener à un jeu de
stratégie entre des acteurs rationnels qui poursuivent des objectifs exogènes
et indépendants en raisonnant de manière stratégique. Autrement dit,
ils tiennent compte de la connaissance qu’ils ont ou des anticipations
rationnelles qu’ils font du comportement des autres joueurs. Ces deux
mathématiciens démontrent, à la suite d’Edgeworth, que la solution d’une
négociation non contraignante entre deux joueurs demeure indéterminée.
Dans les années 1950, la théorie des jeux a été enrichie par les apports de
Tucker et Nash qui ont proposé, tour à tour, le dilemme du prisonnier et
le concept d’équilibre – dit équilibre de Nash – comme solution des jeux
non coopératifs. Ce sont ces jeux non coopératifs qui intéressent plus les
économistes.
Comme on peut le constater, la théorie des jeux est, au départ, une
branche des mathématiques qui a été élaborée et mise au point par des
mathématiciens. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale qu’elle s’est
progressivement ouverte aux sciences sociales telles que l’économie, la
science politique, la sociologie, le droit, etc. Elle est appliquée maintenant
dans plusieurs domaines, notamment : l’économie industrielle, la gestion,
le marketing, les jeux de société (poker, échecs, etc.), les politiques
économiques nationales, la détermination des stratégies militaires, la
détermination des cartes électorales, le marché politique, les relations
internationales.
C’est le concept de rationalité qui permet d’établir un lien entre
l’économie et la théorie des jeux. En effet, la rationalité est assimilée à
la recherche d’un maximum d’une fonction-objectif de telle sorte que le
consommateur cherchera à maximiser son utilité tandis que le producteur
cherchera à maximiser son profit. Cette recherche est posée sous la forme
d’un problème mathématique. Toutefois, l’application « jusqu’au bout »
du principe de rationalité, dans toutes les situations de coopération, peut
conduire à des issues (solutions) inefficientes ou sous optimales. C’est ce
qui justifie d’ailleurs que la théorie des jeux soit envahie par l’apparition
des concepts, des résultats et des débats épistémologiques nouveaux.
L’article de Robert Aumann, paru en 1985, s’inscrit dans cette optique
d’une épistémologie renouvelée de la théorie des jeux et d’une critique de
ses concepts fondamentaux. Écoutons ce qu’il dit : « Ma thèse principale
est qu’un concept de solution doit être jugé plus par ce qu’il permet de faire
que ce qu’il est, plus par sa capacité à établir des relations et à pénétrer
le fonctionnement des processus sociaux auxquels il est appliqué que
par des considérations de plausibilité a priori, basées uniquement sur
sa définition »6. C’est dans ce sens qu’on peut comprendre son concept
6 Robert AUMANN, cité par Pierre DEHEZ, Op. cit., p. 10.

790 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


La RD Congo à la recherche d’un contrat social juste et stable

d’« équilibre corrélé » qui fait intervenir une tierce personne, la plus neutre
possible, la Nature, pour résoudre le problème de coordination entre
équilibres multiples. Le concept de « point focal » ou « convention », proposé
par Schelling, a la même valeur heuristique.
Plus récemment encore, l’approche expérimentale a permis de réévaluer
les différents concepts et hypothèses de la théorie des jeux en mettant en
évidence leurs limites, et en ouvrant de nouvelles pistes de recherche. C’est
dans ce contexte qu’est née une nouvelle discipline, la neuro-économie,
qui combine, dans une démarche interdisciplinaire, la psychologie et
l’économie7. Il s’agit surtout de montrer que les contextes, croyances,
normes, valeurs, conventions, règles, jouent un rôle déterminant dans la
solution d’un jeu.
Malgré ces récents développements, il faut bien reconnaître que la
théorie des jeux existe depuis longtemps, aussi longtemps au moins que
le calcul des probabilités comme le révèle le « jeu contre la nature » à
un ou plusieurs joueurs. Dans ce type de jeu, seul compte, pour chaque
joueur, la réalisation éventuelle d’un événement aléatoire qui ne dépend
ni de son propre choix, ni de celui des autres. Cette réalisation peut être
considérée comme le résultat d’un choix « au hasard » qui fait intervenir
un joueur passif appelé « Nature ». Ainsi par exemple, lors du jet d’une
pièce de monnaie, on peut dire que la nature a choisi pile ou face selon le
cas. Ce type de jeux a intéressé d’abord des philosophes et mathématiciens,
à commencer par Blaise Pascal et son fameux « paris ». D’autre part, les
réflexions autour des problèmes posés par ces jeux ‒ dits « de hasard »
sont, en bonne partie, à l’origine du calcul des probabilités et du concept
d’espérance d’utilité qui fut proposé pour résoudre le problème posé par le
Chevalier de Méré8. Cette approche de la théorie des jeux est aussi appelée
théorie de la décision en incertain. Laissons de côté ce type de jeu pour nous
focaliser sur la solution des jeux non coopératifs engageant deux joueurs
actifs qui sont en interaction directe.

1.2. Le cœur des jeux non coopératifs : l’équilibre de Nash


Les jeux non coopératifs décrivent les interactions entre individus
qui sont libres dans leurs choix et poursuivent des objectifs propres et
indépendants. Ces individus, appelés joueurs, sont privés de communication
avant le jeu et n’ont pas nécessairement le moyen de s’engager fermement à
poursuivre un plan d’action donné. La difficulté de ces jeux tient justement
7 Pour approfondir, voir : Christian SCHIMDT, Neuroéconomie. Comment les neurosciences transforment
l’analyse économique, Paris, Odile Jacob, 2010 ; et Eyal WINTER, Feeling smart. Whyouremotions are
more rational thanwethink, New York,Public Affairs, 2014, traduit en 2017 sous le titre, Libérez vos
émotions. Sont-elles plus rationnelles que nous le pensons ?, Louvain-La-Neuve, De Boeck.
8 Pour en savoir plus, lire : S. JALLAIS, « Le paradoxe de Saint-Pétersbourg », in Cahiers français,
n° 254, Janvier-Février, 1992, p. 56. Ce paradoxe, raconté par Daniel Bernoulli (1700-1782) met en
évidence le fait que les individus préfèrent, face au risque, un gain plus petit mais certain plutôt
qu’un gain supérieur mais incertain.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 791


Adélard-Diens KASESHI

au fait que les situations d’interaction stratégique conduisent souvent à des


échecs de la coopération à cause de « la présence d’intérêts contradictoires
au sein d’une plage d’intérêts communs plus vaste »9. Dans ce contexte,
l’équilibre de Nash se présente comme le concept-solution des jeux non
coopératifs. Il a l’avantage de conduire des raisonnements en boucle jusqu’à
l’apparition des profils de stratégies justifiant les comportements mutuels
des joueurs qui sont en relation de co-dépendance. Autrement dit, les
profils de stratégies doivent présenter une stabilité minimale par rapport
aux déviations unilatérales.

1.2.1. Définition de l’équilibre de Nash


Dans le langage courant, comme d’ailleurs en économie, le mot
« équilibre » est utilisé pour désigner une situation où « rien ne bouge », ce
qui suppose qu’il y a possibilité de mouvement même si cela ne se réalise
pas. Or, tel n’est pas le cas avec l’équilibre de Nash, puisqu’il résulte d’un
choix unique et simultané de stratégies par les joueurs. Ces derniers
n’ont plus la possibilité de « bouger », de changer d’avis une fois leur
décision prise. L’équilibre de Nash correspond donc à une combinaison de
stratégies (une par joueur) de telle sorte que chaque joueur maximise son
gain qui dépend du choix des autres. Il s’agit d’une fonction des meilleures
réponses dans la mesure où lorsque tout le monde a annoncé son choix,
personne ne regrette le sien au regard de ceux des autres. C’est pour cette
raison qu’on parle de situation de non regret (Fonction de non regret). Si
l’équilibre de Nash est strict, l’éviter doit avoir un coût pour les joueurs
parce qu’il constitue l’ensemble des stratégies tel qu’aucun joueur ne
peut obtenir un gain supplémentaire en changeant unilatéralement de
stratégie. Dans ce contexte, l’équilibre de Nash cherche les résultats qui
sont stables par rapport aux déviations individuelles, donc unilatérales.
Toutefois, l’équilibre de Nash ne correspond pas toujours à un mécanisme
de coordination efficace au sens de Pareto, tel que cela apparaît dans le
dilemme du prisonnier.

1.2.2. Le dilemme du prisonnier


Le dilemme du prisonnier a été formalisé par le mathématicien Tucker
même si la problématique qu’il aborde remonte à David Hume et son
traité de la nature humaine de 1739. Tucker raconte l’histoire de deux
suspects qui sont arrêtés et remis au juge d’instruction pour une affaire
grave, par exemple, un crime avec préméditation. Le juge, ne disposant
d’aucune preuve matérielle contre eux, décide d’utiliser un stratagème qui
donne à chacun la possibilité d’avouer (A) ou de nier (N), sachant que si
les deux nient, ils seront condamnés à une faible peine de prison (1 an).
En revanche, si l’un nie et l’autre avoue, celui qui a avoué sera libéré (0 an
9 Laurent CORDONNIER, Coopération et réciprocité, Paris, PUF, 1997, p. 49.

792 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


La RD Congo à la recherche d’un contrat social juste et stable

de prison), tandis que celui qui a nié subira la peine la plus lourde (10 ans
de prison). Au cas où les deux avoueraient le crime, ils écoperaient d’une
peine intermédiaire (5 ans de prison). Si les deux prisonniers se taisent, ils
sont libérés, et le gain de chacun est de 0. Ce problème peut être visualisé
dans la matrice des gains suivante :

Figure 1 : Le jeu du dilemme du prisonnier

A avoue A nie
B avoue (5, 5) (0, 10)
B nie (10, 0) (1, 1)

Une des caractéristiques essentielles de ce modèle est que la stratégie


consistant à avouer est une stratégie dominante car, quel que soit le choix
de l’autre, mieux vaut avouer que nier. Il n’y a donc qu’un seul équilibre
qui correspond à la situation où chacun choisit d’avouer le crime. Cet
équilibre est « robuste » parce que chaque joueur anticipe logiquement
le raisonnement de l’autre : le choix de sa stratégie dominante. Mais cet
équilibre de Nash (A, A) n’est pas optimal car si A et B nient le crime, ils
obtiennent un gain supérieur : 1 an de prison au lieu de 5 ; d’où le « dilemme » :
(N, N) > (A, A). Donc ni le joueur A, ni le joueur B n’ont intérêt à dévier de
la stratégie dominante (A, A).
La leçon principale du dilemme du prisonnier est la suivante : le résultat
(A, A) est un équilibre de Nash mais le résultat (N, N) Pareto-domine cet
équilibre. Par conséquent, un équilibre de Nash n’est pas nécessairement
un optimum de Pareto. Pour l’être, il ne faut pas qu’il existe un autre
résultat qui le Pareto-domine. Cette situation prend à défaut la rationalité
économique : la rationalité économique, mise en œuvre par des individus
égoïstes, mus uniquement par leurs intérêts personnels, ne conduit pas
nécessairement au bien commun. Pour que tout le monde gagne, chaque
joueur doit obtempérer son égoïsme. C’est ce que met en évidence la
métaphore keynésienne des deux chauffeurs.

2. La métaphore keynésienne de deux chauffeurs


2.1. Formalisation
Écoutons l’histoire que raconte John Maynard Keynes :

Tout se passe comme si deux chauffeurs se rencontrant au beau milieu


d’une nationale étaient incapables de se croiser par méconnaissance
du code de la route. Leurs muscles ne leur seraient d’aucun secours, ni
même un mécanicien ; et leur embarras serait le même si la route était
meilleure. Rien ne les aiderait à en sortir, sinon un peu de réflexion […].

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 793


Adélard-Diens KASESHI

Je crains que leurs camions ne se croisent jamais. Ils pourront veiller


toute la nuit, engager des chauffeurs plus sobres, changer de moteurs
et élargir la route ; jamais ils ne s’en sortiront, s’ils ne s’arrêtent pas
un moment pour réfléchir et trouver avec le chauffeur d’en face le petit
truc consistant, pour chacun, à se déplacer un petit peu sur la droite10.
Commençons par une description abstraite de cette métaphore
keynésienne11 que nous allons désormais appeler le « jeu du croisement de
deux chauffeurs ». Ce jeu se déroule entre deux joueurs (chauffeurs), A et
B, qui se disputent la route qui est trop étroite. Le bien qu’ils se disputent,
c’est la priorité de passer en premier. La structure de ce jeu indique que
chaque joueur dispose de deux stratégies dans ce conflit d’appropriation :
être conciliant (C) ou agressif (A). La première stratégie, « conciliant »,
correspond à l’option « coopération » tandis que la seconde stratégie,
« agressif », correspond à l’option « individualisme ou égoïsme ». Une
fois qu’ils ont fait le choix de jouer, ils sont récompensés. Pour faciliter
la démonstration, je suppose que chaque chiffre de la matrice des gains
représente un indice du bien-être général de chaque joueur, mesuré en
unités de satisfaction. Chaque unité correspond à un dollar. Par conséquent,
si l’un joue « agressif » pendant que l’autre joue « conciliant », alors le
premier gagne 2 U$ et l’autre obtient 0. Si A et B sont conciliants, ils sont
tous deux gagnants : (1$, 1$). S’ils font le choix d’être agressifs (violence,
désordre, chaos), ils sont perdants : (-2$, -2$). Ce jeu du croisement de deux
chauffeurs peut être résumé dans la matrice des gains suivante :
Figure 2 : Le jeu du croisement de deux chauffeurs

A
Conciliant Agressif
B
Conciliant 1, 1 0, 2
Agressif 2, 0 -2, -2

L’analyse de ce jeu indique que pour jouer, chaque joueur doit se mettre
à la place de l’autre. Si le joueur A choisit la stratégie C, alors le joueur
B a intérêt de jouer A parce qu’il gagne 2 contre 0. Et si A opte pour la
stratégie A, alors l’intérêt de B est de jouer C parce qu’il gagne le minimum
0 au lieu de perdre (-2$). Le jeu étant symétrique pour les deux joueurs,
le raisonnement de chaque joueur va procéder de la même manière.
La stratégie individualiste ou égoïste (A, A) se traduit par une lourde perte
pour les deux acteurs (-2, -2), alors qu’ils gagneraient tous les deux s’ils
choisissaient la stratégie fondée sur l’esprit de coopération (1, 1). Ainsi,
10 John MAYNARD KEYNES, La pauvreté dans l’abondance, Paris, Gallimard, 2002, pp. 164-165.
11 La métaphore keynésienne des deux chauffeurs s’apparente bien au « jeu du croisement », très
connu en théorie des jeux. Pour en savoir plus, voir Laurent CORDONNIER, Coopération et réciprocité,
Paris, PUF, 1997, p. 50.

794 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


La RD Congo à la recherche d’un contrat social juste et stable

chaque joueur est appelé à jouer « conciliant » quelle que soit l’attitude de
l’autre, car la seule issue coopérative ici est la conciliation mutuelle (C, C).
Cette stratégie rapporte 0 contre – 2, lorsqu’on joue agressif. Toutefois,
cet état n’est pas stable parce que la rationalité individuelle peut inciter
chacun à jouer la stratégie contraire de l’autre : (C, A) ou (A, C). Ces points
représentent l’équilibre de Nash où l’un des joueurs profite de la situation
en raflant tout.
Ce type de jeu, appelé aussi « chickengame » ou « le jeu de la poule
mouillée », fonctionne selon le principe suivant : si un joueur montre de
la détermination dans sa stratégie, l’autre a tout intérêt à « s’écraser » ou
à perdre la face pour éviter le déchaînement de la violence. L’instabilité
de l’issue coopérative s’explique par le comportement opportuniste d’un
des deux joueurs ou de tous les deux à la fois. Comme dans le dilemme du
prisonnier, à force de tourner en rond, l’incertitude radicale rend impossible
la prévision du comportement du partenaire même lorsqu’on essaie de se
mettre à sa place. Pour finir, cette situation débouche sur un conflit de
rationalité qui oppose : le théorème du minimax (C, C) et la fonction de
meilleure réponse (C, A) ou (A, C). Pour que la solution (C, C) soit stable,
il faut que chaque joueur obtempère son égoïsme, ce qui correspond chez
Keynes à trouver le petit truc qui consiste pour chaque chauffeur à se
déplacer un peu à sa droite. Ce jeu nous aide à comprendre et à expliquer
pourquoi certains pays sont stables et d’autres instables ; pourquoi certaines
nations réussissent ou progressent pendant que d’autres échouent, stagnent
voire régressent.

2.2. Cadre d’analyse


2.2.1. Savoir distinguer la nature des problèmes
En appliquant le jeu du croisement de deux chauffeurs à la situation du
Congo, on comprend que pour résoudre un problème, quel qu’il soit, il faut
savoir en distinguer d’abord la nature, car de la nature du problème dépend
la nature des solutions. Dans le jeu du croisement des deux chauffeurs,
Keynes fait la différence entre la nature technique et la nature politique.
La première correspond à la mobilisation ou à l’intensification des moyens
techniques : biens matériels, ressources physiques et humaines. La seconde
engage l’intelligence collective et la coopération.
Si l’on analyse la situation du Congo à l’aune de ce jeu, on dira que le
problème du Congo est aussi d’une double nature, technique et politique.
Le problème technique se manifeste à travers le manque des biens de
consommation (santé, logement, habillement, nourriture, éducation,
transport) ou des biens d’équipement (machines, industries, technologies de
pointe, etc.). Bref, il s’agit des biens nécessaires à la survie. Pour résoudre
ce problème technique, il suffit qu’on se procure de l’argent – par emprunt,

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 795


Adélard-Diens KASESHI

aide publique au développement ou par vente des matières premières afin


de les acheter ou les financer. D’ailleurs le Congo, jusqu’ici, s’est toujours
débrouillé ainsi sans pour autant parvenir à construire une vision commune
de l’intérêt général et organiser le vivre ensemble.
En effet, le problème politique se manifeste à travers la faillite du
projet étatique et l’échec du vivre ensemble. La solution à ce problème
fondamental et prioritaire dépend de la capacité des acteurs à coopérer.
Dès lors, chez Keynes, les deux chauffeurs ne s’en sortiront « s’ils ne
s’arrêtent pas un moment pour réfléchir et trouver avec le chauffeur d’en
face le petit truc consistant, pour chacun, à se déplacer un petit peu sur
la droite ». Cela suppose l’esprit de coopération, car il est le seul équilibre
qui permet aux joueurs de gagner ensemble. S’écarter un peu à sa droite
suppose l’abandon de l’intérêt personnel pour le service du bien commun.
Autrement dit, l’instinct coopératif incite les hommes à développer
l’altruisme, la confiance, l’empathie, et le sens de la justice-équité. Ces
valeurs tempèrent l’égoïsme individuel pour que les individus jouent le jeu
du collectif (C, C) afin d’évoluer ensemble et de réussir ensemble. C’est cette
capacité à coopérer qui cimente la société, rend les marchés performants,
et augmente l’efficacité économique des agents en termes de création des
biens publics, des richesses.
Par conséquent, si le Congo démocratique ne fonde pas le vivre ensemble
sur l’esprit de coopération, alors il ne sortira pas de l’instabilité politique
pour retrouver le chemin de la prospérité. Il a beau recourir à la violence
comme mode de régulation des interactions, il ne s’en sortira jamais.
Le recours aux bonnes leçons économiques des experts du FMI ainsi que
de la Banque mondiale, considérés comme mécaniciens de l’économie
nationale, ne l’aidera jamais à stabiliser durablement la société et
l’économie nationale. L’embarras des Congolais restera le même malgré la
diversité et l’abondance des ressources naturelles que possède le pays. On
ne stoppera pas l’instabilité politique et on ne sortira pas de la caverne du
sous-développement même si l’on dotait le pays d’infrastructures de qualité
(autoroutes, ponts, écoles, hôpitaux, logement, industries). Enfin, même si
l’on changeait le gouvernement ou le président (changer le moteur chez les
chauffeurs keynésiens), la nomenclature du pays, la monnaie nationale, ou
encore la territorialité en multipliant par « n » le nombre des provinces (le
Congo est passé de 11 à 26 provinces depuis la décentralisation) ; même si
l’on adoptait le fédéralisme, ou l’on divisait carrément le pays, le problème
de fond restera le même tant que l’ordre social sera toujours fondé sur la
logique de chacun pour soi ou l’individualisme outrancier. Pour que les
Congolais s’en sortent, ils doivent s’arrêter un peu pour réfléchir ensemble
afin de refonder leur contrat social sur l’esprit de coopération.

796 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


La RD Congo à la recherche d’un contrat social juste et stable

2.2.2. Deux leçons pour le Congo


a) Le chacun pour soi détruit le contrat social
Toute société dominée par l’égoïsme ou l’individualisme outrancier est
une société condamnée à l’instabilité perpétuelle et à la régression. Elle est
victime des divisions, tensions, conflits qui débouchent souvent sur la violence,
la guerre. La guerre et l’instabilité continuelles favorisent le développement
des comportements opportunistes qui empêchent l’émergence de l’esprit
de coopération, car les individus cherchent à tirer un profit personnel
dans toutes les situations stratégiques. La généralisation de la logique du
« chacun pour soi » génère des dérèglements dans le fonctionnement de la
société et de l’économie aussi bien au niveau microéconomique (individu,
entreprise), méso-économique (institutions, organisations, associations) que
macroéconomique (national ou international). Au final, l’égoïsme détruit
tous les ressorts du vivre ensemble.
Ainsi sur le plan économique, par exemple, la logique des intérêts
particuliers provoque une désorganisation dans les mécanismes de
production, d’échange et de distribution des richesses. Celles-ci ne sont plus
produites par la combinaison du capital, du travail et du progrès technique.
Elles ont plutôt pour cause la rente politique et/ou minière, la spéculation
et la corruption. La logique de « chacun pour soi » génère des effets négatifs
sur les investissements qui sont détournés de besoins fondamentaux pour
être réorientés vers les rentes les plus juteuses. Elle rend, par conséquent,
opaque et arbitraire le processus de définition des besoins économiques et
de l’allocation des ressources dans la mesure où le choix des priorités ne
fait pas l’objet du débat public ou du dialogue social. L’absence de critères
démocratiques entraîne un manque de transparence et de fiabilité qui finira
par décourager les gens de développer l’esprit de coopération.
Sur le plan social, la logique de « chacun pour soi » engendre des inégalités
dans le partage et/ou l’accès au pouvoir et aux ressources. Dès lors, la classe
des privilégiés s’accapare du pouvoir et des richesses qu’elle distribue,
non pas en fonction des critères de compétence, de mérite ou de solidarité
nationale, mais plutôt selon les critères très rétrécis d’appartenance
politique, régionale, tribale, ethnique ou clanique. Ces inégalités alimentent
les tensions et conflits dont l’accumulation finit par provoquer la guerre et
la violence qui menacent la société de désordre ou de chaos. Et finalement,
la logique de « chacun pour soi » fragilise le contrat social en laissant le
marché seul construire un ordre social fondé sur la rationalité-calcul qui
consiste à calculer ce que rapporte ou coûte toute action.
Dans le domaine institutionnel, cette logique favorise la généralisation
de la corruption, la spéculation et la rente qui paralysent les services publics
et le secteur privé jusqu’à l’affaiblissement des institutions. La corruption
alimente les comportements opportunistes ou rentiers dans la mesure où

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 797


Adélard-Diens KASESHI

chaque agent économique recherche des moyens artificiels d’enrichissement


ou d’accès au revenu et au pouvoir. Elle empêche, de ce fait, l’émergence
d’un État de droit, d’une solidarité nationale et d’une justice distributive.
Il en résulte des distorsions sur le marché qui s’expriment à travers une
information asymétrique et imparfaite et une concurrence déloyale. Cette
situation engendre l’incertitude qui favorise, à son tour, l’émergence des
marchés noirs ou parallèles, évoluant en toute impunité. Dans ce contexte,
l’émergence d’une classe moyenne devient difficile, car la corruption
alimente les mécanismes de l’enrichissement facile, illicite et sans cause
qui, au final, décourage le capital, entrepreneuriat (travail) et l’innovation
(progrès).
Au niveau politique, la logique des intérêts particuliers entretient la
confusion entre la sphère publique et la sphère privée au point qu’il devient
difficile de distinguer les ressources publiques des ressources personnelles
des dirigeants ou fonctionnaires de l’État. L’État-nation se transforme
alors en État-famille, géré selon la logique de la solidarité familiale,
clanique, ethnique, tribale ou régionale. On se prend pour l’État et on prend
sa famille pour l’État : l’État, c’est Moi, dira-t-on ! Pour pérenniser leurs
acquis, les dirigeants recourent aux méthodes de conquête et de maintien
au pouvoir telles que la corruption, la fraude électorale, la manipulation
de la loi fondamentale, le népotisme, le clientélisme, la kleptomanie, le
totalitarisme, la violence, la guerre, etc.
Enfin, au niveau juridique, la logique de « chacun pour soi » entraîne un
affaiblissement de la loi qui se traduit par une absence de contrôle et de
sanction. Les gens cherchent à profiter du système en contournant la loi qui
devient incapable de punir les délinquants. Dans une société où personne
ne respecte la loi, les notions de justice, de droit et d’égalité des chances
deviennent aléatoires. L’absence de justice compromet l’existence même
de la société, car la justice est l’une des institutions fondatrices du vivre
ensemble. Or, sans institutions, c’est le retour à l’état de nature hobbesien,
caractérisé par le règne de l’arbitraire, de la loi du plus fort, de la guerre
de chacun contre chacun, du désordre, de l’anarchie, du chaos.

b) L’esprit de coopération est source d’équilibre et de progrès


La vie en société, comme d’ailleurs la circulation sur une route, obéit
à des règles communes qui doivent être respectées par tous et ce, pour le
bien de tous. C’est d’ailleurs dans ce sens que John Rawls se propose de
définir la société :

Une société est une association, plus ou moins autonome, de personnes


qui, dans leurs relations réciproques, reconnaissent certaines règles de
conduite comme obligatoires, et qui, pour la plupart, agissent en confor-
mité avec elles […]. Bien qu’une société soit une tentative de coopération

798 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


La RD Congo à la recherche d’un contrat social juste et stable

en vue de l’avantage mutuel, elle se caractérise donc à la fois par un


conflit d’intérêts et par une identité d’intérêts. Il y a identité d’intérêts
puisque la coopération sociale procure à tous une vie meilleure que
celle que chacun aurait eue en cherchant à vivre seulement grâce à ses
propres efforts. Il y a conflit d’intérêts puisque les hommes ne sont pas
indifférents à la façon dont sont répartis les fruits de leur collaboration,
car dans la poursuite de leurs objectifs, ils préfèrent tous une part plus
grande de ces avantages à une petite. On a donc besoin d’un ensemble de
principes pour choisir entre les organisations sociales qui déterminent
cette répartition des avantages et pour conclure un accord sur une dis-
tribution correcte des parts12.

Comme on peut le remarquer, toute société est censée assurer des


avantages mutuels à chacun de ses membres. Par ailleurs, pour qu’une
société soit dite « ordonnée », il faut qu’il y ait un consensus sur les règles ou
le contrat social. Autrement dit, il faut qu’il y ait un système de coopération
sociale à même de favoriser la confiance généralisée, le souci de l’autre,
le sens de l’équité, le sens éthique, l’envie de servir le bien commun, etc.
C’est sur ces types de valeurs ou de règles que reposent la stabilité et la
prospérité d’une société. Mais pour construire une « société ordonnée »,
un contrat social juste et stable, on a besoin des principes pour guider
le choix collectif, car l’ordre social n’est pas spontané. Pour l’auteur de
la Théorie de la justice, ces principes sont ceux de la justice sociale. Celle-ci
traite de la manière dont les institutions déterminent les droits et devoirs
fondamentaux des citoyens dans tous les domaines de la vie. Pour construire
le contrat social, Rawls place les individus dans la « position originelle »
où, dans leur autonomie,ils consentent librement à adopter les principes
qui doivent réguler la société.

→ Premier principe : La justice-équité


La construction d’un contrat social doit reposer principalement sur la
justice que John Rawls considère comme « la première vertu des institutions
sociales ». Pour lui, « des institutions sont justes quand on ne fait aucune
distinction arbitraire entre les personnes dans la fixation des droits et des
devoirs de base, et quand les règles déterminent un équilibre adéquat entre
des revendications concurrentes à l’égard des avantages de la vie sociale »13.
Il s’agit ici de la justice distributive qui soulève le problème du partage
du pouvoir et des richesses générées dans une société. Autrement dit, les
interactions politiques, économiques et sociales doivent être régulées grâce
à une conception publique de la justice car, pense John Rawls,
[…] Nous dirions qu’une société est bien ordonnée lorsqu’elle n’est pas
seulement conçue pour favoriser le bien de ses membres, mais lorsqu’elle
est aussi déterminée par une conception publique de la justice. En ce

12 John RALWS, Théorie de la justice, Paris, Éditions Points, 2009, p. 30.


13 Ibid., p. 31.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 799


Adélard-Diens KASESHI

sens, il s’agit d’une société où, premièrement, chacun accepte et sait que
les autres acceptent les mêmes principes de la justice et où, deuxième-
ment, les institutions de base de la société satisfont, en général, et sont
reconnues comme satisfaisant ces principes, etc. Il existe un point de
vue commun à partir duquel les revendications peuvent être arbitrées14.
La justice est pensée ici comme équité dans la mesure où elle doit,
d’une part, lutter contre les inégalités injustes et, d’autre part, accepter
certaines inégalités nécessaires pour améliorer le sort de tous et des plus
défavorisés en particulier. En d’autres termes, tous les biens sociaux (la
liberté, les facilités, les revenus, la richesse et les bases sociales du respect
envers soi-même) doivent être distribués par parts égales à moins qu’une
répartition inégale de ces valeurs ou de l’une d’entre elles soit dans l’intérêt
de tous. De ce point de vue, on distingue plusieurs sortes de justice : la
justice distributive, objet des analyses de Rawls, qui consiste à distribuer
des biens peu abondants entre individus en situation similaire ; la justice
commutative règle les aspects particuliers des relations entre individus ;
la justice rétributive condamne à une peine ou une punition celui qui a
enfreint une norme ; et enfin, la justice réparatrice ou transitionnelle juge
ceux qui sont impliqués dans un changement de régime politique.
Une fois qu’une conception publique de la justice est adoptée, les
individus peuvent alors choisir des institutions équitables dont l’objectif
est d’atténuer les effets du hasard sur les distributions initiales dans la
structure de la société. La détermination de ces institutions exige que
les individus soient dans une situation de « position originelle » et de
« voile d’ignorance ». En effet, dans la position originelle, les individus
se comportent comme s’ils choisissaient les règles d’un jeu de hasard qui
les placeraient dans une situation d’ignorance de leurs positions futures.
Ainsi, la position originelle est censée leur permettre de faire le choix des
principes et des institutions sans être égoïstes, car personne ne se trouve
avantagée par rapport aux autres. De ce fait, cette impartialité, relative à
la procédure de la décision collective, fait intervenir la justice-équité dans
la construction du contrat social. Pour garantir l’impartialité, les individus
doivent être placés « derrière un voile d’ignorance » qui implique l’ignorance
de leurs positions sociales actuelles et futures, de leurs intérêts, de leurs
capacités, de leurs talents, de leurs catégories morales ; bref, de ce qu’ils sont
vraiment. La position originelle et le voile d’ignorance débouchent sur deux
autres principes que Rawls considère comme les piliers du contrat social
juste, notamment : le principe d’égale liberté et le principe de différence.

→ Deuxième principe d’égale liberté


Le principe d’égale liberté est stipulé en ces termes : « En premier lieu :
chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés
14 John RAWLS, cité par Catherine AUDARD, Qu’est-ce que le libéralisme ? Éthique, politique, société,
Paris, Gallimard, 2009, p. 401.

800 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


La RD Congo à la recherche d’un contrat social juste et stable

de base égales pour tous qui soit compatible avec le même système pour les
autres. En second lieu : les inégalités sociales et économiques doivent être
organisées de façon que, à la fois, (a) l’on puisse raisonnablement s’attendre
à ce qu’elles soient à l’avantage de chacun et (b) qu’elles soient attachées
à des positions et à des fonctions ouvertes à tous »15. Les libertés de base,
dont il est question, renvoient aux libertés politiques, d’expression, de
réunion, de pensée et de conscience. Ces libertés de base sont des droits,
par exemple, le droit au vote ou à l’éligibilité, le droit à la propriété privée.
Elles sont nécessaires au fonctionnement d’une société démocratique. Celle-
ci doit organiser les inégalités de façon à ce qu’« elles apportent aux plus
désavantagés les meilleures perspectives ». D’autre part, ces inégalités
doivent être attachées à des fonctions et des positions ouvertes à tous afin
de respecter le principe de la justice égalités des chances.
L’égalité est fondée sur la ressemblance entre des êtres humains en
tant que personnes morales, capables du bien et capables d’un sens de la
justice. Dès lors, ce principe est lié à la règle du maximin, c’est-à-dire du
« maximum minimorum » qui sert de critère de délibération. Étayons cette
règle en nous appuyant sur un exemple que donne Rawls lui-même :
Soit g (g) une fonction de gain à maximiser, et qui dépend de la décision
individuelle (d) et du contexte (c). Ainsi g = f(d, c). Si on suppose qu’il y
a trois décisions possibles et trois contextes possibles, alors on obtient le
tableau ci-après :
Contextes
Décisions C1 C2 C3
D1 -7 +8 +12
D2 -8 +7 +14
D3 +5 +6 +8

Ce tableau représente, selon Rawls, des gains et des pertes dans une
situation qui n’est pas un jeu de stratégie. Personne ne joue contre la
personne qui prend la décision et qui se trouve face à plusieurs contextes
possibles. La réalisation effective de certains de ces contextes plutôt que
d’autres ne dépend ni de la décision de la personne qui choisit, ni de
l’annonce de ses choix. Les nombres sur le tableau représentent des valeurs
monétaires (en centaines de dollars) par rapport à une certaine situation
initiale donnée. Si on applique la règle du « maximin », on choisit alors,
eu égard au contexte (c), la D3 qui correspond à une situation où on gagne
plus et on perd moins. Dans ce cas, le pire est de gagner 500 dollars ; mais
cette situation est mieux que le pire des autres décisions où on perd soit
800 dollars (D2), soit 700 dollars (D1). « Ainsi, conclut Rawls, le choix
D3 maximise la fonction f (d,c) pour la valeur de c qui, pour un d donné,
15 John RAWLS, Op. cit., p. 91.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 801


Adélard-Diens KASESHI

minimise f. Le terme « maximin » signifie le « maximum minimorum » et


la règle attire notre attention sur le pire qui puisse arriver chaque fois
que nous prenons l’une des décisions possibles, et nous conduit à décider
sur cette seule base »16. Autrement dit, cela exige que le sort de l’individu
le plus mal loti dans la société doit être maximisé avant celui de tous les
autres. Elle suit, pour ainsi dire, un ordre lexical des niveaux de bien-être
des individus qui part du plus bas au plus élevé. Le bien-être dépend de la
distribution des biens premiers que sont « les droits et libertés, les pouvoirs
et les possibilités ouvertes, le revenu et la richesse ».
Cet exemple nous apprend que dans une société de type démocratique,
les interactions sociales peuvent conduire à un équilibre entre le minimax
et le maximin. Cet équilibre est le résultat du jeu entre ceux qui minimisent
le maximum et ceux qui maximisent le minimum. En d’autres termes,
une politique économique redistributive peut apporter une solution au
problème de la pauvreté dans la mesure où le plus petit sacrifice consenti
par les plus favorisés de la société peut constituer le plus grand avantage
des plus défavorisés de ladite société. C’est pour cette raison que la liberté
et la justice doivent être prioritaires dans le jeu social. En effet, la règle
de la priorité de la liberté stipule que la liberté ne peut être limitée qu’au
nom de la liberté. Cela revient aussi à dire qu’une limitation des libertés
de base n’est possible que si elle permet de renforcer le système de libertés,
partagé par tous. Ensuite, la règle déclare que la justice est prioritaire par
rapport à la recherche de l’efficacité et du bien-être. Cette justice est fondée
sur le principe d’égalité des chances et sur le principe de différence sociale.
Le premier correspond à une égalité réelle et non formelle des chances.
Rawls lui-même l’appelle « le principe de la juste égalité des chances »
pour montrer que chaque membre d’une société donnée devrait avoir une
chance équitable d’accéder à des positions sociales, car à capacités égales,
chances égales dans la vie. L’objectif de ce principe consiste à égaliser les
conditions de départ dans la vie de tous les individus en fonction de leurs
désirs légitimes à satisfaire leurs propres aspirations. Cela veut dire aussi
que les conditions de départ d’origine naturelle, géographique, économique,
culturelle, ethnique et tribal ne peuvent pas constituer des facteurs absolus
qui déterminent la situation future d’un individu. Pour être plus précis,
disons qu’un individu né, par exemple, dans une famille pauvre ou riche
ne doit pas connaître un destin conditionné par cette dotation initiale.
Le second principe – principe de différence – indique qu’un degré
d’inégalité est admissible s’il améliore les chances des plus défavorisés et
s’il renforce la solidarité entre les plus défavorisés et les plus favorisés.
Cette coopération est fondée sur la rationalité individuelle qui montre que
le destin des uns et des autres est lié parce que nous vivons en société.
16 John RAWLS, Op. cit., p. 225, note 19.

802 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


La RD Congo à la recherche d’un contrat social juste et stable

Dans ce sens, la justice est conçue comme réciprocité puisque chacun peut
se trouver dans une pire situation. C’est donc sur une conception partagée
de la justice qu’est fondée la coopération qui garantit la stabilité, la cohésion
sociale et politique.

Conclusion

Si la RD Congo, comme d’ailleurs les autres pays africains, veut


prendre inexorablement le chemin de la prospérité, il lui faudra créer du
consentement collectif autour d’un nouveau contrat social démocratique et
encourager son appropriation collective. En d’autres termes, il faut résoudre
l’équation complexe du vivre ensemble qui est une véritable quadrature
du cercle. Les leçons que nous administre notre jeune démocratie, du
moins depuis 2006 doivent nous encourager pour atteindre cet objectif. Les
élections de 2006, de 2011 et de 2018 ont mis en évidence les fragilités du
contrat social et de la démocratie à la congolaise. Le fonctionnement de cette
dernière ne peut pas se réduire à ses formes procédurales en limitant, par
exemple, la délibération publique aux duels électoraux et la légitimité aux
onctions du suffrage. La société congolaise, encore moins l’intérêt général,
n’est pas seulement l’addition de ses composantes politiques, régionales,
ethniques ou tribales, car le Tout est supérieur à la somme des parties. Les
élections doivent s’inscrire dans une culture politique caractérisée par la
confiance généralisée, le souci de l’autre, le respect des règles communes, le
sens de la justice-équité, l’envie de servir le bien commun, le désir de vivre
ensemble. Ces valeurs sociales sont l’élément manquant à notre contrat
politique. Il faut donc refonder les institutions sur ces principes de base,
car le facteur institutionnel est essentiel à l’émergence d’un contrat social
juste et stable parce qu’il est censé protéger les acteurs contre la loi du plus
fort, la tricherie ou tout autre comportement opportuniste.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 803


Vie et Sciences Sociales

QUOI CHANGER ? COMMENT CHANGER ?


ESQUISSE DE VERTUS ET D’ACTIONS POUR DÉMARRER
UN CHANGEMENT ADÉQUAT EN RD CONGO

D
Introduction

Naupess K. KIBISWA, ans cet article, je soutiens qu’il y a un


PHD,Universités paquet minimum de vertus et d’actions
Catholiques du volontaristes que le porteur du change-
Congo (UCC) et
de Bukavu (UCB).
ment (PC)1 en RD Congo, en l’occurrence
Institut Supérieur des le Chef de l’État, doit posséder, entreprendre et faire
Techniques Médicales entreprendre pour démarrer les transformations at-
(ISTM-KIN), tendues par et pour les congolais/es. Sinon, le pays
École de Formation connaîtra un autre changement inutile de régime,
Électorale de l’Afrique
un autre nième partage de pouvoir entre politiciens
Centrale (EFEAC).
naupesskib@yahoo.fr sans intérêt pour la population. Autant il y a un
minimum d’actions fondatrices de ce changement,
autant il y a un/des moment/s propice/s pour les en-
treprendre. Ainsi, après le raté du meilleur moment
de la révolution armée de 1997 qui aurait dû mener
à l’amélioration des conditions de vie des congolais/
es, l’espoir a refait surface depuis le 24 janvier 2019.
À cette date, Joseph Kabila (JKK) qui s’est limité à la
stabilisation du cadre macroéconomique, notamment,
pour avoir manqué, selon lui, quinze personnes adé-
quates2, a passé la main à Félix Tshisekedi (FATSHI).
Les deux descendent des pères qui ont représenté,
pendant plusieurs années auparavant, l’espoir du
changement en RD Congo. Mais un espoir frustré.
Toutefois, certains congolais pensent que FATSHI
fera mieux que JKK comme il a été élu sur un ticket
qui prônait le changement. Pourtant, ce ticket n’a été
que co-vainqueur des élections de 2018 avec celui de
JKK. Cet article est une contribution à la réussite de
cette coalition des héritiers des espoirs frustrés. J’y
propose en termes simples et peu académiques, un
paquet minimum de vertus et d’actions susceptibles
1 La qualité de PC s’applique à tout congolais qui reçoit une charge pu-
blique à quelque niveau que ce soit, par exemple le Premier Ministre,
les ministres, les gouverneurs, (etc.), même si le Chef de l’État reste
le moteur n° 1 du changement attendu par la population.
2 Interviews au New York Times, du 3 avril 2009 et au Soir, du 10 mai 2009.

804 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Quoi changer ? Comment changer ?

de jeter les bases d’un changement adéquat en RD Congo. D’abord, j’indique


ce qu’il faut changer et pourquoi. Ensuite, je propose quand et comment
s’y prendre pour que les actions produisent les effets escomptés. Enfin,
j’indique ce qui pourrait meubler davantage le plan proposé et je conclus.

1. Quoi changer et pourquoi ?


En réalité, « …tout doit changer… » comme avait une fois lancé Mobutu
sans jamais changer en bien. Mais, je pense qu’il faut commencer quelque
part, au bon endroit et au meilleur moment. Et, à mon sens, de l’Humain
Congolais3 dans ses dispositions intérieures ainsi que son cadre de vie/de
travail et les dispositions de soutènement de cet humain.

1.1. L’Humain congolais dans ses soubassements psycho-moraux


L’Humain congolais, et, plus précisément, dans cet article, le/la leader
et/ou cadre congolais/e est le premier élément dont IL FAUT changer le
fond de l’esprit et du cœur en commençant par le PC lui-même4. Car ceux-ci
sont le siège des croyances, convictions, inclinations et tendances ainsi que
des déficits qui produisent et commandent les attitudes, actes, habitudes,
propos et actes vicieux qui détruisent la RD Congo. C’est en faisant d’abord
revêtir cet Humain congolais d’un Nouvel Homme dans son moi intérieur
que l’on changera positivement la RD Congo. Ci-dessous, quelques vices,
déficits, comportements et attitudes du/de la leader/e congolais/e sur
lesquels il faut agir pour le/la changer5.

1.1.1. Sa foi, sa loyauté et sa rédevabilité dans/envers


le poste politique et l’argent
C’est à celui qui lui procure le poste politique que la/le leader congolais/e
est attaché/e ou est redevable au premier chef, à qui il/elle va rendre
compte par-dessus tout et celui/celle dont il/elle redoute le plus le rejet
de sa personne. Le poste politique est celui qui, en RD Congo, procure le
plus des moyens et d’opportunités. Dieu, la crainte de Dieu et l’idéal ne
commandent pas vraiment la/le leader congolais/e.

1.1.2. Sa vision imprécise de l’avenir suite à son


impréparation systémique
Généralement, le/la leader/e congolais/e navigue à vue. Il/elle ambitionne
un poste, pas pour ce qu’il/elle va apporter au pays lorsqu’il/elle y accède,
3 Entendez ici, femme/fille et homme/garçon congolais, c’est-à-dire la congolaise et le congolais en
même temps.
4 Le premier pas de celui/celle-ci c’est d’effacer de son moi le dicton « C’est mon tour de jouir ».
5 Certains les qualifieraient de « stéréotypes attribués aux leaders congolais », car ils ne sont ni
totalement vrais ni totalement faux mais ils font partie des perceptions non négligeables sur les
leaders congolais.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 805


Naupess K. KIBISWA

mais plutôt pour ce qu’il/elle entend en tirer. C’est mon tour de jouir, c’est
notre tour, lui dit son clan, sa tribu dès sa nomination. La notion même de
« vision » chez lui/elle, peut d’ailleurs être inexistante parce que son parti
ou organisation d’origine ne lui en a jamais parlé. C’est généralement un/e
amateur/trice dans les affaires publiques malgré ses diplômes. Car, depuis
la descente aux enfers de la 2e République, les diplômes en RD Congo,
préparent moins à l’exercice des charges publiques. La parenthèse ENDA6
avait été vite ouverte mais vite fermée quelques années après pour laisser
la place aux facultés universitaires formant des personnes orientées plutôt
vers la recherche que la pratique. Des perroquets qui débobinent mal des
théories qu’ils/elles ont mal apprises.

1.1.4. Son déficit dans la définition de/d’ lui/elle-même


et dans sa conscience nationale
Le/la congolais/e n’a pas été initié/entraîné/e pendant son enfance et son
jeune âge7, à la définition et à l’exaltation de son identité nationale. Le/la
leader/e congolais/e manque ainsi de fil conducteur identitaire congolais ou
souffre de l’insuffisance de celui-ci. La fibre ethnique ou tribale comble ce
vide chez la plupart, surtout après la mort du parti-État en 1990. En effet,
l’identité zaïroise et la fierté nationale étaient en voie de construction par
le MPR et son chef qui les imprimait chez l’enfant depuis la maternelle,
notamment, par des chansons, discours, slogans, l’administration par les
non-originaires. Mais le processus s’arrêta en 1990. Aussi, le/la congolais/e
est-il/elle récessif/ve, mieux, complexé/e face à l’étranger/ère, en particulier,
toute personne à peau claire, surtout l’occidental/e. Il/elle se définit par
rapport et conformément à celui-ci qu’il/elle copie, souvent, assez mal.

1.1.5. Son déficit en modèles nationaux, son mimétisme,


psittacisme et superficialité
L’enfant et le/la jeune leader/e congolais/e, et plus tard, le/la dirigeant/e
congolais/e, est bourré/e de théories et modèles tirés des cultures lointaines,
essentiellement occidentales, sans éléments concrets de son milieu naturel.
Il/elle ne peut qu’en ingurgiter et mémoriser les caractéristiques et/ou
valeurs qu’il/elle débobinera ensuite, soit pour réussir à l’examen, soit pour
se faire valoir dans des débats politiques stériles. En effet, il/elle manque des
références et repères d’inspiration congolaise dans la conduite des affaires
publiques, comme les programmes d’études n’ont pas assez de manuels ni
d’enseignements consacrés (au primaire comme au secondaire) aux rares

6 L’École Nationale de Droit et d’Administration (ENDA) créée en 1963 pour former des cadres
bien informés sur l’État et préparés pour prendre celui-ci en charge dans tous ses rouages avait
vite été remplacée par les facultés de sciences politiques qui produisent en réalité des amateurs
superficiellement informés sur l’État.
7 Certains ont par contre gardé et développé leurs identités tribales, d’où le tribalisme ancré dans la
plupart des congolais.

806 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Quoi changer ? Comment changer ?

noms cités tels que Lumumba, Kasa-Vubu, (etc.), lesquels ne sont que
très vaguement connus. Ceci renforce le psittacisme mentionné ci-avant
et la superficialité des congolais qui ne peuvent se référer qu’aux modèles
théoriques de leadership qu’ils essaient de mimer tant soit peu. En plus, le
pays n’a pas développé une tradition d’immortalisation des faits historiques
et/ou figures politico-intellectuelles congolaises par des mémorielles, musées
ou monuments et la tradition orale prime sur celle du livre. Ainsi, la nation
congolaise, est amnésique et déficitaire dans son histoire avec tout ce que
cela comporte comme conséquences pour son avenir8.

1.1.6. Son inclination aux débats, querelles, shows politiques, théories


et verbes plutôt qu’aux propositions constructives et actions
La plupart des leaders congolais investissent leur temps dans les
débats et shows politiques, les querelles byzantines et quolibets inutiles,
la rhétorique abondante et interminable. Ils laissent souvent de côté
l’essentiel pour se consacrer à l’accessoire. Ils dépensent souvent plus pour
paraître plutôt que pour être ou pour un effet d’annonce plutôt que pour
une action productive. Chez eux, le politique éclipse le socioéconomique,
le sensationnel supplante l’utile et le théorique le concret. Ils se perdent
dans de longues analyses critiques, voire dénigrantes, au point d’oublier
les propositions d’actions et de solutions. D’où de multiples conférences et
dialogues politiques, séminaires et ateliers sans améliorer la qualité de
vie des citoyens. Les germes de cette idiosyncrasie des leaders congolais
existent depuis 19609.

1.1.7. Son indiscipline dans le travail et le respect des textes mais


sa revendication acharnée pour le respect des textes
Il fait partie des exceptions, la/le leader congolais/e qui se soumet
volontiers à la rigueur de son travail sans surveillance accrue et des textes
légaux, règlementaires ou conventionnels sans rechigner. Il/elle cherche
souvent des voies détournées et des subterfuges pour contourner cette
rigueur ou s’en soustraire subrepticement. Et lorsqu’il/elle est en position
d’autorité, il/elle viole sans gêne, en sa faveur ou en défaveur des autres
(subalternes surtout), les textes qui président aux destinées de l’État,
l’institution, l’organisation ou le service dont il/elle a la charge. Et il/elle
n’hésitera pas à réprimer les contestataires. Mais il/elle est très vocal/e et
8 Un cas patent, la RD Congo ne commémore pas et n’a érigé aucun monument ni musée pour les
millions de victimes du génocide rwandais en RD Congo (y compris les femmes et hommes enterrés
vivants à Mwenga au Sud-Kivu et à Butembo au Nord-Kivu). Pourtant le Rwanda commémore
chaque année, a érigé un musée des cranes humains et bénéficie de la sympathie internationale
pour les milliers de victimes de son génocide.
9 Déjà en 1960, les leaders congolais avaient négligé la Table Ronde Economique de Bruxelles mais
s’étaient fort bousculés pour celle politique. Résultat : le portefeuille du Congo indépendant était
resté à Bruxelles alors que l’essor de la jeune nation dépendait des conclusions de la Table ronde
économique.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 807


Naupess K. KIBISWA

actif/ve lorsqu’il/elle pense que celui/celle qui a autorité sur lui/elle a violé
d’un seul iota ses droits selon les mêmes textes. C’est contradictoire, mais
il/elle va remuer ciel et terre, galvaniser les masses, parfois jusqu’à la
violence et au sacrifice suprême de certains dans les rues pour revendiquer
la « légalité » et obtenir gain de cause. Mais aussitôt au pouvoir, la/le leader
congolais/e agit souvent selon ses intérêts personnels ou familiaux au
mépris des textes dont il revendiquait pourtant le respect en sa faveur. Et
ceci devient alors une nouvelle source des conflits et violences politiques.
Lorsqu’il/sera encore sans position d’autorité, il revendiquera encore la
légalité. La supercherie se poursuivra.

1.1.8. Sa culture de la défensive, de la justification et


d’attribution du tort à l’autre
Après qu’il/elle ait commis une gaffe, la/leader congolais/e cherche
toujours un bouc-émissaire à accuser pour se justifier. En effet, ne pas
reconnaitre ses fautes est un schème comportemental ordinaire du/de la
congolais/e qui se lance souvent dans les dénégations pour tenter de se tirer
d’affaire. La/le leader congolais/e reproduit dans l’arène public un schème
comportemental cultivé depuis son enfance, en famille. C’est naturel : c’est
le réflexe accusateur de Yahvé et d’Ève par Adam après que celui-ci ait
mangé de l’arbre interdit10. Le problème : quiconque ne reconnait pas sa
faute ou sa faiblesse ne peut s’en débarrasser.

1.1.9. Sa corruption proverbiale


La corruption est une peste en RD Congo. Comme la peste d’Albert
Camus, cette maladie, tout/e congolais/e en souffre mais personne n’en
meurt. Le/la congolais/e, en particulier, la/leader politique est soit
corrupteur/trice, soit corrompu/e, sans peut-être en avoir conscience.

1.2. Le cadre et les mécanismes de soutènement


du changement souhaité
Il s’agit ici de tout ce qui entoure l’humain congolais, agent et bénéficiaire
du changement : cadre, conditions et outils de travail ainsi que tous les
moyens et textes juridiques et organisationnels à sa disposition : ils sont
en général indicibles.

1.2.1. Le faible niveau de son revenu et ses mauvaises


conditions de travail
Le revenu mensuel brut par habitant en RD Congo était de 36$
américains en 2016 selon la Banque Mondiale, trop bas pour couvrir les
besoins élémentaires et les droits fondamentaux du/de la congolais/e alors
que les conditions et outils de travail de la majorité sont misérables.
10 Cf. Genèse 3 : 12-24, La Bible de Jérusalem 4è éd. Rome, Cerf/Verbum Bible, 2001.

808 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Quoi changer ? Comment changer ?

1.2.2. Les infrastructures et autres équipements


de développement du pays obsolètes
Malgré ses richesses naturelles, la RD Congo se trouve à la queue de
l’indice de développement des pays du monde (176e sur 189 en 2018) et
le pays n’est pas encore réellement engagé dans un programme connu
d’acquisition d’équipements pour ses secteurs moteurs du développement.

1.2.4. Les contenus des programmes et méthodes de son éducation/


sa formation inadéquats
Les contenus des programmes officiels d’enseignement et de formation
des congolais dans les écoles publiques restent essentiellement calqués sur
ceux de l’époque coloniale. Et les méthodes d’enseignement et d’évaluation
utilisées dans les écoles s’adressent plus à la mémoire qu’à l’imagination
créatrice. Les enfants/jeunes apprennent donc généralement des matières
non adaptées à leurs réalités locales, provinciales et nationales, et ce, avec
des méthodes inadéquates. Ils/elles sortent ainsi des écoles et universités
sans aptitudes répondant aux besoins du marché d’emploi. Ils sont
admirateurs/trices de l’occident dont ils apprennent des modèles à l’école
comme à travers la plupart des médias auxquels ils sont le plus exposés.
Ils/elles sont donc incapables de changer radicalement leurs situations.

1.2.5. L’esprit et la conduite inappropriés des forces/services


de défense et de sécurité
Les FARDC, la PNC, l’ANR et la DGM ne rassurent pas les populations
et ne vivent pas en complicité avec elles. Elles sécurisent davantage
l’autorité politique, souvent contre les populations qu’elles tracassent,
extorquent et malmènent, rappelant l’esprit de la Force Publique, avec
des expressions comme « civil mutu pamba », « civil munguna » ; « civil
bilanga », expressions rationalisant le complexe de supériorité envers tout
civil, y compris toute autorité civile, en ce compris le chef de l’État ; l’inimitié
envers le civil ; l’extorsion qui est le lot quotidien de celui-ci. La défense
du territoire parait aussi inadéquate et le mode opératoire privilégie la
réaction vis-à-vis des groupes armés au lieu de l’anticipation.

1.2.6. L’absence ou la faiblesse du système de sanctions et


répression des infractions
L’impunité est l’une des caractéristiques dominantes de nos régimes et
administrations publiques, surtout à la suite de la corruption généralisée
des autorités administratives et judiciaires ainsi qu’à la dépendance de
l’appareil judiciaire.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 809


Naupess K. KIBISWA

1.2.7. L’insécurité humaine et physique généralisée ou localisée


L’insécurité humaine est une menace à la sécurité humaine. Celle-ci
est un ensemble de mécanismes politiques, sociaux, environnementaux,
économiques, militaires et culturels déployés par l’État pour protéger le
noyau vital de toutes les vies humaines d’une façon qui améliore l’exercice
des libertés et assure aux individus les éléments indispensables à leur
survie, leurs moyens d’existence et leur dignité en les protégeant ainsi
contre des menaces graves ou généralisées. Or, l’État congolais se focalise
seulement sur la sécurité nationale dont la faiblesse de ses services et
prestations en faveur de ses populations n’est plus à démontrer. C’est
ce qui explique la généralisation des diverses insécurités, notamment,
économique, alimentaire, sanitaire, environnementale, personnelle,
communautaire, politique.

2. Comment changer et quand ?


Comme le changement social est plutôt un processus qu’un évènement, je
propose ci-après une démarche et des actions à entreprendre dans la période
allant de 0 à 12 mois (ou de 0 à 18 mois maximum en cas de perturbations)
à compter de la prise de fonction du porteur du changement (PC) pour
amorcer un changement satisfaisant. Au de-là de cette période et sans
des actions fondatrices, le PC sera submergé par les pesanteurs rétives
et statu-quo-istes typiques à la RD Congo. La démarche est inspirée du
modèle intégré du changement social, càd celui se trouvant à mi-parcours
entre le modèle de changement descendant du type E et celui ascendant
du type O11 suggéré par Schermerhorn et Bachrach12. Elle combine les
éléments de ce modèle avec les phases du changement planifié de Lewin13
améliorées par Wanda et Hofman14 avec ceux de l’organisation apprenante
de Senge15. Mais, j’épargne le lecteur des détails théoriques de ces modèles
et n’en donne que l’essentiel.

11 Le modèle de changement social descendant du type E s’oppose à celui ascendant du type O en ce


que, dans le premier, le PC donne des directives et tout le monde suit alors que dans le second les
employés et autres personnes concernés par le changement initient aussi les actions et participent
à la définition du processus.
12 John SCHERMERHORN & Daniel G. BACHRACH, Introduction to Management 13th edition, New
Delhi, John Wiley & Sons, 2015, 506p. ; John SCHERMERHORN, Management 7thed., New York,
John Wiley & Sons, 2002, 501p.
13 Kurt LEWIN, “Group Decision and Social Change”, in G. E. Swanson, T.M. Newcomb & E. L.
Hartley (Eds.), Readings in Social Psychology, New York, Holt Rinehart, 1952, pp. 459-473.
14 Wanda J. ORLIKOWSKI & Debra J. HOFMAN, “An Improvisational Model for Change Manage-
ment : The Case of Groupware Technologies”, in Sloan Management Review (January 1997), Vol. 38/
no2, pp. 11-21.
15 Une organisation apprenante, selon Peter SENGE dans The Fifth Discipline 2nd edition, London,
Random House, 2006, 450p. est celle qui mobilise personnes, valeurs et systèmes en son sein pour
produire des changements à répétition et améliorer sans cesse ses résultats en se servant des ex-
périences/leçons du passé.

810 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Quoi changer ? Comment changer ?

La démarche préconise de commencer par une cure d’extirpation des vices


qui ont avarié l’esprit et le cœur de l’humain congolais (au minimum, leaders
et cadres) et d’implantation en lui/elle des vertus et nouveaux modes de
penser et d’agir qui sous-tendront le changement à implanter. Cette cure doit
être administrée concurremment avec l’amélioration substantielle du niveau
de revenu de cet humain congolais (leader et cadre masculin et féminin) et de
ses conditions de travail ainsi qu’avec la mise en place et/ou le réajustement
de l’état et du contenu des structures et mesures de soutènement de l’état-
nation RD Congo. Et ce processus de démarrage doit se dérouler au cours
des douze premiers mois de la prise de fonction du PC, ou tout au plus, au
cours des dix-huit premiers mois du mandat du PC, si l’on prend en compte
les ajustements dus aux aléas de la dynamique du changement qui est loin
d’être un processus linéaire. Le/la PC devra veiller à ce que la RD Congo se
transforme en une organisation apprenante, c-est-à-dire celle dans laquelle
le changement devient une culture et un processus perpétuel et que le/la
congolais/e, y compris lui/elle, revête un Nouvel Homme en abandonnant
son premier genre de vie et en se dépouillant de son vieil homme16. Et
il/elle le ferait selon les séquences urgente, immédiate et à court terme
décrites ci-après, tout en restant flexible aux ajustements impromptus
qu’imposeraient les dynamiques non linéaires du changement.

2.1. En urgence : Susciter la confiance et penser


le changement désiré, 3 mois
Dans les 3 à 6 mois d’entrée en fonction, c’est-à-dire, sans délai, sans
attendre quoi que ce soit ni qui que ce soit et sans préalable aucun pour agir,
le PC entreprend des actions-appels de pieds, celles créatrices des conditions
et de la dynamique du changement. Ce sont des mesures unilatérales à
effets positifs immédiats sur la vie des congolais/es, visibles sur le terrain.
C’est pour créer la confiance auprès des sceptiques, l’accroître chez les
militants, briser les résistances, rompre avec les mauvaises habitudes déjà
installées et obtenir l’adhésion du grand nombre. Puis, il « réinvente » un
Congo nouveau. À cette étape, il doit au minimum,

2.1.1. Relever sensiblement le niveau des salaires


des employés de l’État
Il s’agit d’augmenter unilatéralement un montant significatif sur le
salaire de base17 de chaque agent public, y compris ceux des services de
collecte des impôts et autres recettes, hormis ceux des services politiques,
et le leur payer effectivement. Certes, la mesure n’est pas isolée.
16 Cf. Éph. 4 : 22-29 (La Bible de Jérusalem 4e éd. Rome, Cerf/Verbum Bible, 2001).
17 Augmenter le salaire de base plutôt que donner ou augmenter des primes ou autres indemnités
qui créent des frustrations au sein de l’Administration publique et susciter ainsi un espoir chez
tout agent public.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 811


Naupess K. KIBISWA

2.1.2. Convenir d’un plan volontariste mais conditionnel


de mise à jour des salaires
S’engager à poursuivre l’amélioration progressive à des intervalles
réguliers des revenus des employés de l’État mais contre leur engagement
réciproque ferme à travailler dur selon les directives du porteur du
changement, à produire les résultats attendus d’eux.

2.1.3. Appuyer/créer les opportunités génératrices de revenus


pour non employés
Soit directement, soit à travers les institutions financières de prêts sans
intérêts, soit à travers des organisations ou structures crédibles aux yeux
des populations concernées (p. ex. églises, ONGs, FPI, etc.), en évaluer
régulièrement les résultats et prendre des mesures correctives.

2.1.4. Créer la Taskforce, former ses membres et définir


le plan initial du processus
Le PC identifie et désigne une équipe de personnes compétentes à qui il
fait connaitre ses attentes, obtient d’eux des enrichissements nécessaires,
organise leur mise à niveau et investit les moyens pour leur travail. C’est
cette équipe qui pilote l’immédiat et le court terme.

2.2. Dans l’immédiat : Jeter les bases du changement


désiré, dans les 8 mois
Dans la période allant de 4è au 8è mois (ou 6è au 9è mois) de sa prise de
fonction, le PC entreprend, par son équipe de pilotage, des actions-semences
en plus de la poursuite des actions-appels commencées auparavant. Il initie
des consultations sommaires avec des protagonistes et autres groupes
d’intérêts nationaux pour recueillir leurs avis. Les actions ayant vocation de
jeter les bases des structures et capacités de transformation socio-économico-
politiques et de reproduction ou pérennisation de ces transformations dans
le mental et la vie réelle des congolais/es sont prioritaires.

2.2.1. Mener des enquêtes abrégées de moralité publique


des dirigeants et prétendants
Comme signal d’un changement sérieux dans la conduite des affaires
publiques, le PC s’assure, par des enquêtes sommaires mais rigoureux
sur le niveau de corruption morale, matérielle et financière des personnes
susceptibles d’œuvrer avec lui dans le processus de changement qu’il
conduit.

812 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Quoi changer ? Comment changer ?

2.2.2. Remplacer les personnes notoirement corrompues


par celles qui le sont moins
Sans que cela ne tourne à une chasse aux sorciers, le PC organise la
mise à l’écart des personnes connues pour leurs méconduites notoires sans
aucune allure ni forme de sanctions, ni de triomphalisme ni de règlement
de comptes18.

2.2.3. Sanctionner tout détournement et acte de corruption


survenus pendant le mandat
Il faut frapper très sévèrement tout acte de détournement et/ou de
corruption qui survient et rétroagir si le détourneur ou corrupteur a une
histoire connue de détourneur ou corrupteur. Sinon, ne s’occuper que des
actes survenant pendant le mandat, tout en prévenant la récidive. Pas
d’actions dictées par un esprit de vengeance, mais pas de complaisance
non plus.

2.2.4. Fixer/appliquer sur les agents publics un barème


spécial et strict des sanctions
Il s’agit des sanctions positives et négatives que le PC fixe spécialement
pour une période de 12 à 18 mois reconductibles et qu’il applique
et fait appliquer sans complaisance, sans état d’âme : révocations,
emprisonnements (voire à vie), sans les longues procédures juridiques
habituelles, en particulier sur les détourneurs et autres maffieux tout en
décorant et/ou en primant les agents publics exemplaires

2.2.5. Recueillir les propositions des couches sociales diverses


et actualiser le plan
Associer au processus les sceptiques ou indécis en plus des groupes
d’intérêts qui sont ouverts au changement. Les résistances rétives des
insoumis ne doivent pas décourager le PC. Bien au contraire, il remodèlera
son action en tenant compte de leurs critiques.

2.2.6. Éduquer, former, entraîner et recycler des équipes


pour le changement désiré
Au minimum, des équipes de deux natures : d’une part, celles des
personnes en charge de la conduite des processus national et provinciaux et,
d’autre part, celles des personnes expressément préparées comme réserve
d’employés à embaucher dans chaque secteur de la vie nationale lorsque
les nominations ou élections doivent se faire. Ceci pour arrêter la culture
de l’impréparation et à l’administration des amateurs devenue la règle en
18 Les sanctions physiques et publiques à la Kadogo ne sont pas à exclure a priori à cause de leur effet
dissuasif sur des personnes aux comportements inciviques dans les milieux publics.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 813


Naupess K. KIBISWA

RD Congo. Le tout doit s’inscrire dans des plans opérationnels élaborés


par les comités de pilotage. Car, dans ce processus, il y a des personnes à
dégraisser de leurs vices et il y a celles qu’il faut entraîner aux meilleures
pratiques avant de prendre les charges publiques.

2.2.7. Planifier le court et moyen terme, spécialement la modernisation


des outils de travail et des infrastructures des domaines moteurs
du développement du pays
Lorsque le PC repense la RD Congo, il doit absolument planifier la
réhabilitation, l’acquisition et le renouvèlement des infrastructures,
machines et outils de travail dans les domaines producteurs des richesses
tels que l’agriculture, le transport (routier, aérien ferroviaire, fluvial, etc.),
les exploitations minières, la technologie de l’information, le tourisme.
L’électrification, l’industrialisation, l’urbanisation des milieux ruraux,
l’approvisionnement en eau potable et la couverture sanitaire nationale
sont prioritaires outre la scolarisation primaire et secondaire.

2.3. À court terme : Enraciner le changement dans la société,


dès le 9e mois
À compter du 9e mois de sa prise de fonction et au terme d’une période
de 18 mois au maximum, le PC doit ancrer dans les esprits et les structures
d’encadrement des congolais, les habitudes et modes opératoires d’une
organisation apprenante19. Au minimum, les structures et personnes sous
son autorité directe doivent fonctionner comme celle-ci. Il faut entre autres :

2.3.1. Poursuivre/renforcer et achever la mise en œuvre


des actions-semences
Les actions qui ont commencé et qui ont donné les résultats escomptés
doivent être poursuivies et/ou intensifiées jusqu’à leur bonne fin. Il doit
constater les ratés des actions initiales et savoir les reconnaître, pas les
rationaliser ; comptabiliser les premiers résultats positifs et tangibles de
l’action menée et entreprendre les actions-reproductrices ou capitalisantes
de celles aux résultats satisfaisants. Il entreprend aussi des actions-
correctrices de celles aux résultats non satisfaisants.

2.3.2. Repenser l’esprit et la conduite des forces et


services de défense et sécurité
Les FARDC, la PNC, l’ANR et la DGM doivent vite revêtir le nouvel
homme pour défendre, protéger et sécuriser réellement et activement le
19 Faire de la RD Congo une telle organisation, c’est amener chaque personne, au minimum, celles
impliquées dans le pilotage du processus 1) de savoir remettre en question ses manières de penser,
2) d’étudier la RD Congo et son fonctionnement, 3) de savoir s’ouvrir aux autres et tenir compte de
leurs idées, 4) de se donner toujours un plan d’action ou s’intégrer dans celui qui existe, 5) d’œuvrer
pour l’accomplissement dudit plan (Schermerhorn, op. cit. p. 83).

814 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Quoi changer ? Comment changer ?

territoire national, ses frontières et sa population, pas seulement l’autorité


publique. Parmi les priorités : extirper chez les militaires et policiers
l’esprit de la Force Publique pour éradiquer leurs pratiques vicieuses sur
les populations et améliorer leurs rapports quotidiens ; militariser chaque
kilomètre le long des frontières avec les voisins belliqueux ; organiser
davantage d’attaques préemptives sur les groupes armés plutôt que les
repousser régulièrement ; investir dans l’amélioration des relations civilo-
militaires, etc.

2.3.3. Réhabiliter et moderniser les infrastructures de travail


des secteurs stratégiques
Appliquer le plan de réhabilitation et de construction des infrastructures
des secteurs producteurs et d’acquisition des machines-outils tel que planifié
à l’étape de l’immédiat

2.3.4. Investir dans la recherche scientifique et technologique,


la recherche et la construction/consolidation de la paix
Considérer désormais la recherche scientifique et technologique comme
secteur stratégique et prioritaire et y affecter autant des moyens qu’il y en
a pour les secteurs producteurs ; déployer tous les efforts et mettre tous
les moyens nécessaires pour rétablir et consolider la paix dans les parties
du pays insécurisées. Sinon, l’essor du pays est compromis.

2.3.5. Repenser les contenus de programmes et méthodes


d’enseignement/de formation
C’est ici qu’il faut agir pour poser dans le/la congolais/e, dès la
maternelle, des fondations d’édifices durables dans son cœur et son esprit,
notamment lui inculquer la crainte de Dieu et l’attachement à sa nation
comme valeurs cardinales ; imprimer en lui/elle des figures et modèles
des vertus mentionnées ci-dessus qui lui manquent et lui présenter aussi
les figures portant les vices ci-haut qu’il/elle doit combattre. Aussi, avant
de le/la gaver des réalités étrangères, enseigner au/à la congolais(e) des
matières bien contextualisées : exclusivement tirées de son milieu ambiant
au niveau maternelle ; essentiellement tirées de son milieu ambiant et de sa
province de résidence jusqu’au degré moyen du primaire ; essentiellement
tirées de son milieu ambiant, de sa province de résidence et de son état-
nation, du 3e degré du primaire au secondaire. Et il convient d’aérer
davantage les enseignements au primaire en y réduisant les nombres des
cours tout en utilisant davantage des méthodes pratiques faisant plus
appel à l’imagination créative de l’enfant congolais que celles ex-cathedra,
faisant plus appel à sa mémoire et à la récitation. Il/elle doit être davantage
occupé par des programmes télévisés locaux et nationaux éducatifs que

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 815


Naupess K. KIBISWA

ceux étrangers divertissants. Trop de connaissances étrangères données


aux enfants congolais et des divertissements télévisés étrangers qui les
occupent à longueur des journées font d’eux/elles des admirateurs/trices
des nations ou civilisations d’origine de ces programmes. D’où la tendance
à l’émigration massive alors qu’ils/elles deviennent inadéquats au marché
d’emploi national et local.

2.3.6. Systématiser l’esprit et le processus de changement en province


et dans les Entités Administratives Décentralisées (EAD)
C’est l’une des actions qui contribueront à transformer la RD Congo en
une organisation apprenante. Il s’agit d’implanter et de faire fonctionner
dans chaque province, chaque Entité Administrative Décentralisée (EAD)
et Déconcentrée, une structure de veille du changement. En même temps,
réinstaurer, dans le meilleur délai, l’administration par les non-originaires.

2.3.7. Toujours éduquer, former, recycler et entrainer davantage


des équipes ad hoc
Avec des programmes aux contenus bien calibrés aux besoins et
contextes présents et à venir, ces activités instructives produiront sans
cesse de nouveaux/elles congolais/es qui changeront la RD Congo sans
cesse. Mais il faut en créer des bases de données pour leurs placements
professionnels systématiques

2.3.8. Créer, préparer et faire fonctionner une structure


de veille sur le processus
De préférence, constituer cette équipe de surveillance et d’évaluations
régulières et périodiques du changement à partir des personnes qui se
sont montrées performantes dans la taskforce constituée auparavant pour
le changement. Elle servira de poumon des impulsions des normes et du
contrôle du processus ainsi que de la structure d’indication des points
faibles à corriger et forts à renforcer au cours de la période considérée et
en fin de celle-ci.

2.3.9. Évaluer le parcours et planifier le suivi en l’organisant


en boucles annuels
Ici, pour rendre naturel ou normal le processus de changement dans
la société congolaise, les évaluateurs dégagent les faiblesses du processus
finissant et les planificateurs prescrivent les correctifs à apporter au nouveau
processus. En même temps, ils imaginent et prévoient des mécanismes
d’auto-génération et d’autoperpétuation des actions commencées et jugées
satisfaisantes, de sorte que d’éventuelles nouvelles personnes qui intègrent
le management public soient obligées d’intégrer l’esprit et le cours du

816 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Quoi changer ? Comment changer ?

changement implanté. Un bémol : c’est seulement si les idées que ces


personnes défendent devant la structure de veille du changement sont
jugées assez novatrices pour perpétuer le changement amorcé avant leur
avènement, que telles initiatives sont intégrées. Ainsi, toute année/période
qui commence sera une année/période de changement et toute autorité
publique sera motrice/actrice d’un nouveau changement qui se construit
petit-à-petit sur les progrès réalisés l’année/la période précédente. Pas de
perpétuels recommencements émotionnellement ou politiquement motivés,
mais plutôt des changements perpétuels adroitement pensés. C’est le
changement en boucles qu’il convient d’implanter en RD Congo.

3. Qu’ajouterait-on au paquet minimum ?


Le/la PC pourrait compléter les vices et actions repris ci-avant notamment
par :

3.1. Autres vices intégrables dans le processus de curage des vices


La/Le PC, examinera à quel moment et à quelle étape il peut intégrer
parmi les vices à extirper l’extraversion à outrance et le caractère indiscret
de la/du leader congolais/e qui publie tout sur le net ; sa démesure dans
l’ambition politique (chacun veut être ministre malgré ses incompétences) ;
son népotisme ancré ; sa duplicité, probablement suite aux affres de la
colonisation et la dictature ; son culte de la loi du moindre effort.

3.2. Autres actions intégrables dans les plans


Comme pour les vices, le/la PC peut intégrer des actions complémentaires
telles que prohiber l’interpellation/arrestation/détention des personnes par
l’ANR mais apparier plutôt systématiquement celle-ci avec la PNC dans
leurs actions ; former davantage des techniciens que des généralistes
dans tous les domaines ; instituer une année de professionnalisation des
étudiants et élèves sortant des universités et écoles comme voie pour
leurs placements professionnels ; imposer un stage d’un mois au moins
de connaissance de l’État, ses rouages et son éthique pour tout novice
nommé aux charges publiques ; obliger chaque ministre et autre haut
placé de construire chacun/e une maison en dur dans son village ; corriger
l’approche actuelle de promotion-protection-défense des droits humains,
trop focalisée sur les droits civils et politiques et celle de lutte contre
la pauvreté, trop basée sur le saupoudrage des moyens ; conduire des
campagnes publiques d’assainissements des mœurs et nuisances urbaines ;
imaginer des mécanismes de réduction des effets du népotisme dans les
cabinets politiques ; évaluer, toujours évaluer et sanctionner en fin d’une
période/année de travail ; réinstaurer l’administration des provinces par
les non-originaires avec dispositions de garantie pour les originaires ;

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 817


Naupess K. KIBISWA

travailler pour amener l’opposition politique à changer aussi : passer de sa


tradition destructive et d’injures vers celle constructive et de propositions.

Conclusion

Quoi changer ? Pour démarrer un changement satisfaisant en RD Congo,


c’est-à-dire, améliorer la qualité de vie des congolais/es, il y a un point de
départ et un minimum d’actions que le porteur du changement (PC) doit
entreprendre. Sinon, la RD Congo connaîtra un autre changement inutile de
régime. Il faut en priorité changer deux éléments de manière concomitante :
les dispositions intérieures (esprit et cœur) de la/du leader congolais/e
ainsi que le cadre (de vie-travail) et les dispositions de soutènement du/
de la congolais/e. C’est donc l’humain congolais (l’homme et la femme) et
les dispositions d’encadrement de cet humain qui constituent le minimum
de départ. Et le/la porteur/euse du changement (PC) lui/elle-même est la
première cible. L’humain congolais doit subir une double cure : l’extirpation
des vices qui ont gâté son esprit et son cœur et l’implantation dans ceux-ci
des vertus soucieuses, au minimum, des besoins des populations congolaises.
Cette opération et les actions sur les dispositions d’encadrement constituent
en soi un investissement destiné à produire des résultats multiplicateurs
d’une transformation qui se reproduit.
Et comment et quand opérer cette transformation ? Il faut entreprendre
des actions appropriées en urgence, dans l’immédiat et à court terme dès la
prise de fonction du/de la PC avant que celui/celle-ci ne devienne rétive au
changement suite à sa corruption par le pouvoir. En urgence (dans les trois
premiers mois), le PC donne le ton en démarrant avec des actions-appels,
unilatérales mais mobilisatrices de la confiance et de l’appui des populations
en même temps qu’il/elle planifie, par une équipe ad hoc de pilotage, la
suite des actions à mener. Dans l’immédiat (jusqu’au huitième mois), le PC
mène des actions-semences, qui jettent les bases du changement désiré, au
minimum dans le mental des congolais/e. Pendant ce temps, il/elle consulte
les couches sociales dont les avis lui permettent de planifier le court terme
du processus. Et pendant celui-ci, à partir du neuvième mois jusqu’au 18e
mois au plus tard, il/elle mène des actions qui enracinent le changement
dans la société congolaise, notamment en transformant la RD Congo en
une organisation apprenante, le point de départ étant les structures et
personnes sous son autorité directe. Il/elle systématise le processus à travers
tout le pays et institue une équipe de veille sur le processus qui perpétue
celui-ci en boucles annuelles tout en réajustant le cours des actions par la
prise en compte des temps perdus suite aux perturbations, sans toutefois
dépasser les dix-mois de durée maximale pour l’implanter.

818 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Vie et Sciences Sociales

CRÉATION ET PRODUCTION D’UNE ÉCOLE DE PENSÉE


SOCIALE POUR LE DÉVELOPPEMENT EN RD CONGO

QUID DES UNIVERSITÉS ET CENTRES


DE RECHERCHE CONGOLAIS ?

« La pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme,


ni à un parti, ni à une passion, ni à un intérêt, ni à une idée
préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n’est aux faits eux-mêmes,
parce que, pour elle, se soumettre, ce serait cesser d’être. »
Henri POINCARÉ, 1909.

C
Introduction

Alexis MBIKAYI ette étude est une version révisée et


Mundeke,
complétée de ma communication au
Doyen de la Faculté
des Sciences de la Forum scientifique restreint « Mercredi de
Communication à l’ICREDES » du 17 avril 2019, au siège de
l’Institut Facultaire l’Institut Congolais de Recherche en Développement
des Sciences de et Études Stratégiques à Kinshasa-Righini. L’analyse
l’Information et de de la problématique soulevée se résume en trois
la Communication
(IFASIC). Professeur
points essentiels. Le premier fixe le cadre général
à l’Université du problème posé ; le second examine les conditions
Catholique du Congo. d’une science et d’une technologie de la libération en
mbikayialexis60@ Afrique ; tandis que le troisième esquisse le processus
gmail.com de mise en œuvre d’une École de pensée sociale en
RD Congo.
J’aborde cette problématique en disciple d’Ilunga
Kabongo dont toute la démarche épistémologique,
théorique, méthodologique et pratique peut être
résumée en ces termes : « Comment à partir de notre
condition de sous-développement, on peut bâtir
une science à nous qui nous permette de générer le
développement ? »1.

1 Pour plus de détails, lire avec profit Alexis MBIKAYI Mundeke,


« La démarche intellectuelle de ILUNGA KABONGO : Contestataire,
Formateur et Rénovateur », in J. KANKWENDA MBAYA (Dir.),
Les intellectuels congolais face à leurs responsabilités devant la Nation.
Mélanges en mémoire du Professeur André-Rudolph ILUNGA KABONGO,
ICREDES, Kinshasa-Montréal-Washington, 2007, pp. 59-75.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 819


Alexis MBIKAYI

I. Cadre théorique général du problème posé


Ce cadre est celui du rapport historique entre la science et la société qui
la produit et au service de laquelle elle fonctionne. C’est donc un rapport
de production et de reproduction dans des conditions historiques données.
Ceci nous conduit à examiner d’abord la question des origines et du statut
des sciences sociales ou humaines dans le monde occidental où elles sont
nées. Ce qui nous permettra de comprendre la façon dont les réalités
africaines ont été traitées et continuent d’être traitées dans les différents
champs du savoir humain2.
La science moderne est une entreprise dynamique et à ambition
totalitaire consistant, par l’utilisation de la pensée rationnelle et
systématique, à découvrir, dans un cadre de débat public organisé, les lois
cachées qui gouvernent les phénomènes naturels et sociaux aux fins de
parvenir à une forme de vérité que l’on croit libératrice, notamment dans
ses applications ou sa praxis3.
La raison scientifique, dans sa formulation actuelle, nous vient de
l’Occident. Tant dans son cheminement théorique que dans ses applications,
elle obéit à une rationalité dont le point culminant semble aujourd’hui se
focaliser sur l’essor de la circulation de l’information à partir des supports
technologiques.
Patrimoine de l’humanité et outil désormais incontournable pour le
développement, la science se présente comme l’enjeu majeur du XXIe siècle.
Les observateurs avertis estiment que sa maîtrise est non seulement une
nécessité vitale mais un impératif politique, économique et culturel, au-
delà même de son propre discours ; un moyen de participer par un langage
universel, au progrès de l’humanité. Encore faudrait-il en saisir la logique
et l’intérioriser culturellement4.
En effet, la science est fondée sur des paradigmes, c’est-à-dire un
ensemble des questions et des réponses fondamentales à une série de
problèmes considérés comme capitaux par une communauté d’hommes
de science. La science issue de l’hémisphère Nord est non seulement le
résultat d’une réponse spécifique aux « besoins » humains tels que définis
par l’idéologie et les valeurs des peuples concernés, mais elle est également
porteuse et reflète les rapports sociaux, économiques et politiques d’un
mode de production déterminée qui n’est ni conforme aux nôtres ni l’idéal
du genre de société que nous voulons ériger5.
2 Voir, « Quel type de connaissance en sciences sociales pour l’Afrique ? », in Bulletin du CODESRIA,
1998, n°2, pp. 1-6.
3 Cf. ILUNGA KABONGO « La problématique de la recherche scientifique en société bloquée :
Le fond du problème », in Zaïre-Afrique (mai 1980), n°145, pp. 275-288.
4 Lire MWABILA MALELA, De la déraison à la raison. Appel aux intellectuels zaïrois pour un nouveau
débat sur la société, Kinshasa, Nouvelles Éditions Soit Prêt, 1995, p. 12.
5 Cf. ILUNGA KABONGO, « Réflexions critiques sur le problème de l’avancement de la science et
de la technologie en Afrique », in Zaïre-Afrique (décembre 1978), n°130, pp. 601-609.

820 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Création et production d’une École de pensée sociale...

L’histoire occidentale des sciences et des technologies se révèle comme


imbriquée dans l’histoire même de la société, étroitement liée à ses
angoisses et à ses tâtonnements, à la recherche des solutions propres à
rendre possible la vie en société. De la révolution industrielle à la révolution
technologique actuelle, les résultats des sciences et des techniques restent
redevables des doctrines, des dogmes et des idéologies dont le propre est
de figer le temps et la vie.
Le projet initial des sciences sociales, par exemple, est d’expliquer ce
qu’on a appelé « modernité » et ses significations. En effet, par-delà la
pluralité des disciplines, leurs orientations particulières et leur constitution
en spécialisations universitaires, un même projet les unit : comprendre
les crises qui résultèrent du passage de la « communauté » (époque
pré-bourgeoise) à « la société ». Nées en tant que théorie de la « société
bourgeoise », leur finalité première est d’expliquer le cours que prenait
« la modernisation » des communautés « pré-bourgeoises » en analysant les
formes anomiques dans lesquelles cette « modernisation » se manifestait.
L’analyse du procès de modernisation capitaliste et de ses conséquences
sur la société alla de pair avec une interrogation plus vaste sur le statut de
la rationalité. Dans le contexte de la Philosophie des Lumières, le concept de
rationalité était étroitement lié à celui d’autonomie. L’autonomie signifiait
que la société était capable d’agir sur elle-même, de se transformer elle-
même selon son propre projet, de construire son histoire de façon calculée,
volontaire et consciente. Dans l’histoire des sciences sociales en Occident,
la prise en charge du problème de la calculabilité du monde social s’était,
pour l’essentiel, effectué à trois niveaux : théorique, méthodologique et
empirique. C’est à ces trois niveaux que les disciplines en vinrent à se
distinguer les unes des autres.
Quelles que furent les différenciations, une chose, cependant, les unifiait.
Qu’il s’agisse de l’économie, de l’histoire, de la géographie humaine, de
l’anthropologie ou de la démographie, il s’agissait chaque fois de mettre en
perspective les divers aspects sous lesquels l’agir humain était susceptible
de rationalité, de signification et de validité. Cependant, il faut noter les
profondes transformations dans le champ de la connaissance au cours
des dernières années. Dans des cas extrêmes, tous ces développements
ont entraîné une remise en cause du statut de la vérité scientifique elle-
même. En bref, l’on a reconnu la pluralité des savoirs distincts du savoir
dit scientifique.
L’héritage du rationalisme occidental ne vaut plus de façon incontestée.
Sa validité universelle est contestée. L’idée de rompre avec les Lumières
et ce qu’elles ont promis a favorisé le développement d’une compréhension
décentrée du monde. D’autres formations de la conscience universelle
émergent hors du cadre exclusif de la modernité occidentale, même si ce

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 821


Alexis MBIKAYI

procès reste profondément lié aux conditions de l’impérialisme colonial et


du capitalisme contemporain.
De ce qui précède, l’on peut noter que l’adoption de la science et de la
technologie en Afrique ne peut donc se faire en supprimant ou en opprimant
d’autres formes de connaissances et d’appréciation du Vrai et du Beau. En
termes clairs, la science bourgeoise et la science exclusivement rationaliste
ne seront jamais qu’un prolongement de la domination capitaliste et
impérialiste en Afrique et une réponse tronquée aux besoins de l’homme
africain. C’est sur cette note que nous allons examiner brièvement l’origine
coloniale et libérale des sciences sociales et des techniciens du savoir qui
en sont porteurs en RD Congo6.
En effet, l’examen des diverses disciplines des sciences sociales
indique le rôle historiquement joué par celles-ci dans le fonctionnement
de la « prédatocratie »(système de pillage) et du sous-développement en
RD Congo. C’est dans cette perspective qu’il faut questionner la science
(recherche et enseignement) congolaise depuis ses débuts coloniaux jusqu’à
ces jours : elle a servi le système dominant. À aucun moment, elle ne s’est
retrouvée en porte-à-faux avec ce système. À aucun moment elle n’a eu, en
tant que courant scientifique, à poser le problème de développement dans
une perspective différente.
Car, la production scientifique coloniale (enseignement et recherche)
cherchait à résoudre les problèmes de la colonisation. Les problèmes
postcoloniaux ou encore mieux ceux de la construction d’une société libérée
et indépendante n’avaient pas encore leur science à travers l’enseignement
ou la recherche. Et il revenait aux scientifiques congolais d’inventer cette
nouvelle science par des méthodes d’analyse critique, systématique de
l’héritage scientifique colonial. Ce qui était le sens même des recherches
non seulement de Ilunga Kabongo, mais aussi de Valentin-Yves Mudimbe
qui, la considérant comme enjeu radical de notre être et de notre devenir,
avait posé la question suivante : « Comment les Africains pourraient-ils
entreprendre chez eux un discours théorique qui soit producteur d’une
pratique politique ? »7.
Mudimbe, par exemple, montre comment produire des sciences sociales
africaines qui apportent des réponses aux problèmes des populations.
Il indique les instruments linguistiques à mettre en œuvre, le travail de
rupture ou de recréation épistémologique à opérer, afin que ces ordres
6 Voir KANKWENDA MBAYA, « Place de la science dans l’équation du développement au Congo »,
in J. KANKWENDA MBAYA (Dir.), op. cit., pp. 135-167.
7 Sur V-Y. MUDIMBE lire utilement KÄ MANA, « V-Y. MUDIMBE et l’Afrique. La question de
la libération Africaine de la science, de la culture, de l’économie et de la pratique politique »,
in Congo-Afrique (janvier 2018), n°521, pp. 60-77 et KÄ MANA, « Face à la crise du pouvoir politique
en Afrique. L’énergie de la renaissance africaine » in Congo-Afrique (octobre 2018), n°528, pp. 711-724.
Signalons à ce sujet que l’Université de Lubumbashi (Unilu) a organisé un colloque international
portant sur « La production des connaissances en Afrique à l’ère de la mondialisation en hommage
à V-Y. Mudimbe », du 23 au 25 mai 2019, Lubumbashi, RD Congo.

822 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Création et production d’une École de pensée sociale...

du savoir ou du discours justifient nos existences singulières. Il y a


énormément de ressources à exploiter et à articuler à une réflexion liée
aux défis actuels de l’éducation, de l’économie, de la pensée universitaire.
La science congolaise est appelée ainsi, à aider à résoudre les problèmes
de développement du Congo ; problèmes que naturellement la colonisation
ne pouvait se poser. Elle doit construire un nouveau cadre, celui que
José Do-Nascimento, relayé par Kä Mana, dénomme le paradigme de la
renaissance africaine, devant déterminer la manière dont nous devrions
penser la politique et la gouvernance africaines.
Des chercheurs avisés ont déjà montré que pendant longtemps et même
jusqu’à ces jours, les cours magistraux dans nombre de disciplines ne sont rien
d’autres que la reproduction des schémas théoriques bien loin des réalités
congolaises, préparant mal les techniciens du savoir à la connaissance de
leur société, et encore moins à en être agents de transformation. De ce point
de vue, certains ont même écrit que l’enseignement et l’Université étaient
contre le développement8.
Le développement du Congo ou mieux sa libération des systèmes
politiques et économiques de prédation nécessite donc une théorie des
conditions de cette libération, une théorie qui est à même de dévoiler et
de dénoncer les formes diverses et subtiles de domination, d’exploitation,
de prédation et d’aliénation du pays. Une théorie qui soit ensuite, et
par conséquent, capable de donner le nouveau modèle, ou du moins les
éléments du nouveau modèle de société à construire. Et cette théorie n’est
possible qu’en prenant comme point de départ, l’idéologie des populations
congolaises.
Et de ce point de vue, les sciences sociales au Congo n’ont pas pris en
mains cette responsabilité, d’être l’arme de la théorie qui lutte contre le
système de prédation, et éclaire les efforts nationaux et de masse surtout,
dans la construction d’une voie démocratique de développement. Au niveau
de l’ensemble des institutions de recherche au Congo, tout ceci conduit
entre autres :
–– à la prolifération bureaucratique au détriment du fonctionnement
scientifique ;
–– au départ ou à la démoralisation du personnel scientifique ;
–– à transformer les chercheurs, à défaut de direction scientifique et
de moyens de recherche, en fonctionnaires qui pratiquent comme
ailleurs l’absentéisme et le cumul des fonctions. Les meilleurs
quittent la recherche qui ne peut plus nourrir son homme, et il
8 Voir B. VERHAEGEN, L’enseignement universitaire au Zaïre, L’Harmattan, Paris, 1978 ; BONGELI, Y.
A. E., Université et sous-développement au Zaïre, Thèse de doctorat, Université de Lubumbashi, 1983
et récemment du même auteur sa communication au Forum restreint « Mercredi de l’ICREDES »,
du Jeudi 02 Mai 2019, intitulée : « Questionner l’enseignement des sciences sociales : contenu,
démarche épistémologique et qualité du produit ».

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 823


Alexis MBIKAYI

se forme, à leur place, un groupe de chercheurs incompétents


et parasitaires qui achèvent de compromettre le prestige de la
recherche et de l’enseignement supérieur et universitaire aux yeux
de l’opinion. Ceux qui restent finissent par ne plus avoir confiance
en eux-mêmes ; et tout cela au détriment de la science, et de la
science pour le développement. On comprend ainsi aisément le degré
zéro de la dynamique politique en RD Congo en termes de progrès
politique, économique et social du pays9. Les choses étant ce qu’elles
sont, à quelles conditions la science et la technologie peuvent-elles
contribuer à libérer l’Afrique ?

II. Les conditions d’une science et d’une technologie


de la libération de l’Afrique
Pour que la science ait une place porteuse dans l’équation de
développement du Congo en particulier ou de l’Afrique en général, il faut
qu’elle devienne le chien de chasse des populations, leur arme théorique
et idéologique pour la libération du pays du joug des systèmes politiques
et économiques de prédation. Elle doit dénoncer ces systèmes et élaborer
une théorie de construction d’un système alternatif dans l’intérêt de ces
populations. Il faut alors qu’elle soit portée par des chercheurs et des élites
partageant les aspirations profondes du peuple congolais.
De ce fait, la science doit continuellement questionner les bases
épistémologiques des savoirs dominants. Et sur cette base, elle doit élaborer
une autre science du développement pour orienter et éclairer les efforts des
populations et des autres forces politiques et sociales pour la socialisation du
développement. La socialisation est ici entendue comme la démocratisation
du processus du développement du pays au niveau des instances politique,
économique et sociale, assurant ainsi un vrai développement participatif
sur tous ces plans.
Dans les domaines de la recherche scientifique, il y a deux séries de
conditions énoncées par Ilunga Kabongo que l’on peut utilement mettre en
exergue : des conditions d’ordre technique, et des conditions fondamentales
d’ordre général.
Sur le plan purement technique, il faut que l’Université africaine prépare
suffisamment les étudiants à une recherche scientifique sérieuse, en leur
permettant de maîtriser les problèmes méthodologiques. Le choix du sujet
à étudier ne doit pas s’opérer au hasard, mais à partir d’une angoisse
existentielle, c’est-à-dire d’une sensibilité propre au chercheur par rapport
au vaste champ des recherches possibles. Il faut, en outre, trouver une
solution adéquate au problème de la publication des travaux scientifiques.
9 Cf. J. KANKWENDA MBAYA (Dir.), Le degré zéro de la dynamique politique en République Démocratique
du Congo 1960-2018, ICREDES, Kinshasa-Montréal-Washington, 1ère Édition 2018.

824 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Création et production d’une École de pensée sociale...

Les conditions plus fondamentales d’une science et d’une technologie de


la libération portent notamment sur la liberté de pensée et de recherche ; la
connaissance et la prise en charge par l’individu de son propre psychisme
et par la société de son psychisme collectif que représente sa culture.
Il faut promouvoir les sciences humaines et sociales, en particulier, tout
en remettant en question les « paradigmes perdus » que leur a légués le
développement de ces disciplines en Occident. Ces sciences serviront de
garde-fou et de phare dans le processus d’un développement réellement
autocentré, en remettant systématiquement en cause, sur la base
notamment de la science politique, de la philosophie, de la sociologie et
de l’histoire, les postulats et les rapports de production véhiculés par la
science et la technologie occidentales.
La libération de l’Afrique à travers la science et la technologie implique
nécessairement la mise sur pied effective sur notre continent des structures
politiques, sociales et économiques propres. Des structures dont la
dynamique et la finalité reposent sur la loi du plus grand nombre. Dans
cette perspective, Anta Diop a pensé le continent dans une forme fédérale
avec des espaces d’unité culturelle et historique, différents pôles de langues
porteuses d’une écriture et d’une anthropologie, des espaces économiques
en fonction des ressources, et l’industrialisation.
C’est à travers la démocratie que se trouve le mieux remplies les
conditions de la créativité que seules peuvent permettre l’égalité de
chances et la liberté pour tous. La science et la technologie constituent une
arme de combat dans une lutte révolutionnaire visant à briser le cercle
vicieux de la dépendance et du sous-développement. Ce qui implique une
alliance de classe entre l’intelligentsia et les classes révolutionnaires. D’où,
l’importance d’une pensée ou idéologie de la libération en rapport avec la
problématique de la science et de la technologie en Afrique sous la conduite
d’un leadership de développement.
La vision d’un tel leadership est de continuellement générer une vie
humaine décente pour la population congolaise, d’ouvrir et d’élargir les
opportunités pour ces populations dans un processus participatif sur les
plans politique, économique et social. C’est un leadership qui renforce les
pouvoirs des populations à la base, mobilise ces dernières et en fait des
sujets, acteurs et bénéficiaires du développement du pays. Il est inclusif et
démocratise le processus de développement, canalise et appuie les efforts
populaires dans cette direction et est respectueux des droits humains parmi
lesquels le droit au développement. Et pour cela, il assure la promotion de
la science et de la technologie au service du développement.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 825


Alexis MBIKAYI

III. Processus de création et de production


d’une pensée sociale en RD Congo
Pour concrétiser cette vision, il est nécessaire de créer une École de
pensée sociale10 pour le développement de la RD Congo. Elle peut être
réalisée dans une démarche transdisciplinaire d’élaboration d’un processus
de démystification du discours du bloc dominant, à partir duquel le
chercheur doit questionner le vécu quotidien africain non sur base d’un
monisme causal, mais plutôt sur base d’une diversité des champs qui
interagissent.
À ce sujet, il faut noter que les prémisses d’une pensée sociale
peuvent être dégagées des travaux déjà réalisés au sein de certains
centres de recherche tels que le Centre Interdisciplinaire d’Études et
de Documentation Politiques (CIEDOP) de l’Université de Kinshasa, le
Laboratoire d’Analyses Sociales de Kinshasa (LASK), le Centre d’Études
Pour l’Action Sociale (CEPAS) de Kinshasa, la Chaire de Dynamique
Sociale ( CDS) de l’Université de Kinshasa, le Centre d’ Études Politiques
pour l’Afrique Centrale (CEPAC) de l’Université de Lubumbashi, le Centre
d’Études en Communication de Masse (CECOM) de l’Institut Facultaire des
Sciences de l’Information et de la Communication, pour ne citer que ceux-ci.
Sans oublier le courant théologique africain qui a pu voir les jours chez les
théologiens au sein de l’Université Catholique du Congo. La production de
ces centres de recherche congolais s’est focalisée sur les sciences sociales
et humaines dans leur appréhension des réalités du Congo et de l’Afrique.
Dans cette optique, la transdisciplinarité devient le lieu configuratif
et expressif autour de la Science Politique11, devant s’atteler à mettre en
lumière une série de mécanismes et de processus, et notamment :
–– le cadre institutionnel où se conçoivent et s’élaborent les discours,
mais en allant au-delà d’une simple description des institutions
politiques, pour retrouver les intérêts fondamentaux et l’idéologie
de base que ce cadre recouvre ;
–– les forces sociopolitiques qui se meuvent derrière la dialectique de
la puissance et du pouvoir, ainsi que leurs assiettes économiques
respectives dans le surplus disponible ;
10 L’histoire des sciences se structure sur des écoles. À titre d’exemple, en sciences de l’Information et
de la Communication : l’école de Palo Alto, procédant de la systémique envisagée dans la perspective
antithétique au modèle canonique donna lieu au modèle théorique dit « modèle orchestral » et à
la « pragmatique » (la nouvelle communication) et l’école de Francfort questionnant les liens entre
la vie économique d’une société, le développement psychique de l’individu et les transformations
dans le domaine de la culture. Voir A-M. GINGRAS, La communication politique. État des savoirs,
enjeux et perspectives, Presses de l’Université de Québec, 2010.
11 J’estime que le Pouvoir est au-dessus de tout, qu’il commande tout : le Droit, l’Économie et il modifie
le comportement de l’Être humain. Le Pouvoir permet à une Nation de s’enrichir ou de s’appauvrir.
Entre le Pouvoir et le Droit, le Pouvoir est premier car c’est le Pouvoir qui donne naissance au Droit.
Lire utilement FWELEY DIANGITUKWA, Qu’est-ce que le Pouvoir ?, Saint-Légier (Suisse), Afrique
Nouvelle, 2003.

826 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Création et production d’une École de pensée sociale...

–– les contradictions principales et secondaires autour desquelles


s’articule la dynamique politique, qu’il s’agisse de l’acquisition
du pouvoir, de sa conservation, de son réaménagement, de sa
déstabilisation ou de sa transformation ;
–– les choix effectifs ou potentiels (ainsi que leurs coûts respectifs)
ouverts à l’action publique des gouvernants, autant que des masses
populaires ;
–– les alternatives possibles, l’idéal réalisable et les mythes catalyseurs
dont la société peut valablement rêver, et qu’elle peut traduire en
actes concrets 12 ;
–– l’horizon idéologique et la hiérarchie des valeurs de l’ensemble du
système, ainsi que celui des principales forces sociales, qu’elles soient
organisées ou non.

En guise de conclusion

Réfléchissant sur la source de la pensée politique congolaise


contemporaine, Elie P. Ngoma-Binda souhaite « que les intellectuels,
politologues et philosophes en particulier accordent une attention sérieuse
à cet objet de pensée et d’étude. Toute vraie philosophie se nourrit et se
construit depuis son milieu spécifique. La focalisation des intelligences
sur les penseurs politiques d’ailleurs, occidentaux en l’occurrence, n’aide
guère à se sevrer de la mamelle colonisatrice, et à se créer une tradition de
pensée capable d’indiquer aux politiques les voies adéquates d’une action
efficace pour le salut de la patrie »13.
Et l’on peut bien conclure cette réflexion avec Eddie Tambwe Kitenge
pour qui « l’existence d’une école ne dépend pas uniquement de la présence
des chercheurs dans un contexte historique donné (même pays, ou même
génération), mais elle est plutôt subordonnée à la production et partage d’un
même paradigme, d’un même cadre épistémique de référence »14. C’est ce
cadre qui détermine ensuite les principes et les concepts fondamentaux du
courant, ou de l’école à constituer. Ce qui nécessite la mise en œuvre d’une
réflexion collective devant déboucher non seulement sur un programme
de recherche mais aussi sur un système général d’organisation de la
recherche, préalables à la « création » d’une école de pensée sociale pour le
développement de la RD Congo.

12 KÄ MANA « Face à la crise du pouvoir politique en Afrique. L’énergie de la renaissance africaine »,


in Congo-Afrique (novembre 2018), n°529, pp. 857-868.
13 Elie P. NGOMA-BINDA, « À la source de la pensée politique congolaise : Des mouvements asso-
ciatifs culturels », in Congo-Afrique (janvier 2018), n°521, pp. 45-59.
14 Eddie TAMBWE Kitenge, « Une École bibliologique en RD Congo ? Interrogations critiques et mé-
thodologiques sur une (possible) existence d’une ‘École’ congolaise », in Jean-Pierre MANUANA
Nseka (Dir.), La bibliologie à l’ère d’internet. De l’écrit imprimé à l’écrit électronique. Actes du premier
colloque national de bibliologie (Kinshasa, du 25 au 26 février 2015), Presses de l’Université Catholique
du Congo, Kinshasa, 2017, pp. 17-29.
Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 827
Vie et Sciences Sociales

L’UTOPIE DE LA DIGNITÉ HUMAINE FACE AU RÉALISME


DE LA POLITIQUE DE ZOMBIFICATION

P
Willy MOKA-MUBELO, ourquoi l’Afrique semble-t-elle avoir déli-
S.J., PhD. bérément choisi la voie de la politique de
Professeur à la
zombification ? Pourrait-on s’interroger face
Faculté de Philosophie
SP. Canisius/ au naufrage de la raison causé par l’incom-
Université Loyola du préhensibilité de l’agir du politique Africain ? Un tel
Congo (RD Congo). questionnement, loin d’être une provocation contre
momuwi71@gmail.com les africanistes fanatiques qui rêvent de reconstruire
une Afrique prospère, est à comprendre comme une
incitation de notre imagination à envisager des stra-
tégies capables de permettre de passer de la politique
de zombification à la politique d’humanisation.
En effet, beaucoup d’analystes politiques sont
déconcertés lorsqu’ils s’engagent non seulement
dans le processus d’opérer ce passage, mais aussi
sur la voie de la description des régimes politiques
d’un bon nombre de pays africains. Toute tentative
de définition a été, à maintes reprises, contredite par
la réalité sur le terrain. Le cas de la RD Congo est
un exemple patent du paradoxe politique en Afrique.
Comme le notent de nombreux observateurs, ce qui
se passe en RD Congo est exceptionnel et unique
dans l’histoire de la politique moderne. Face à cette
situation, d’aucuns suggèrent la révision des théories
politiques classiques.
La considération du paysage politique de l’Afrique,
en général, et de la RD Congo, en particulier, avec un
système de gouvernementalité qui défie toute théorie
politique, suscite un certain nombre de questions : les
régimes politiques en Afrique sont-ils des dictatures ?
Des monarchies ? Des démocraties ?
Une analyse rigoureuse du mode de fonctionnement
de la majorité des gouvernements africains révèle
que les régimes politiques de la plupart des pays
Africains ne reflètent aucun des régimes précités.
C’est plutôt un mélange d’une mise en œuvre sélective
de certains aspects de différents régimes politiques.
Une telle pratique a donné naissance à un monstre

828 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


L’utopie de la dignité humaine face au réalisme de la politique de zombification

dangereux nommé la politique de zombification1 et dont le but principal est


de transformer les citoyens en zombies politiques. Quel est alors le contenu
d’une politique dite de zombification, pourrait-on s’interroger ? Telle est la
question centrale à laquelle cette réflexion veut répondre.
Le premier point de ma présentation sera une clarification conceptuelle
et une description de la politique de zombification en mettant en lumière
les deux grandes manifestations de cette politique. Le deuxième point
adressera la question de la relation entre la dignité humaine et la politique.
Et le troisième point suggérera quelques pistes de solution pour permettre
le passage de la politique de zombification à la politique d’humanisation.

1. La politique de zombification : Une clarification conceptuelle


Une meilleure compréhension de la charge sémantique de l’expression
zombie politique nécessite une clarification. L’emploi informel du terme
« zombie » décrit celui-ci comme une personne qui est ou qui semble être
sans vie, apathique, ou complètement insensible à son environnement. D’un
point de vue philosophique, un zombie est un être hypothétique qui répond
au stimulus comme le ferait une personne, mais ne fait pas l’expérience de
la conscience. Par le fait même, il ne peut pas être donateur de sens étant
donné qu’il est dépossédé de l’expérience de l’intuition éidétique qui nous
permet de saisir l’essence qui se dissimule au cœur de l’objet que nous
apercevons grâce à l’intuition sensible2.
Un examen attentif de ces différentes descriptions du zombie nous
permet de mettre en évidence certains concepts, tels que « cadavre »,
« sans vie », « insensible » et « inconscient », qui nécessitent quelques
commentaires. « Cadavre » et « sans vie » sont dans une certaine mesure
liés. Un corps sans vie est un cadavre. Il est privé de vitalité, d’énergie et de
mouvement. Il ne peut ni innover ni initier quoi que ce soit, car il est devenu
insensible et inconscient. Le seul mouvement imaginable d’un corps sans
vie est garanti par une force externe qui détermine la position du cadavre.
Ainsi donc, un corps qui ne répond pas est insensible à toute souffrance.
Partant de cette brève clarification conceptuelle, j’argumente que la
politique de zombification consiste à créer des structures qui appauvrissent
l’esprit dans ses possibilités d’imaginer, de concevoir et de conduire un
raisonnement cohérent ; des structures qui oppriment l’usage public
de la raison, empêchant ainsi toute innovation, tout exercice de l’esprit
critique et toute capacité de penser par soi-même, afin de maintenir
1 Voir KÄ MANA, « Face à la crise du pouvoir politique en Afrique. L’énergie de la renaissance
africaine », in Congo-Afrique, Octobre 2018, n°528, p. 713. Beaucoup d’autres auteurs ont utilisé
le terme zombification (Lucien Cerise, J. Comaroff, Peter Geschiere, Kasereka Kavwahirehi, etc.).
Mais la combinaison Politique de Zombification n’a pas été beaucoup utilisée. Je la conçois comme
un régime politique au même titre que la démocratie, la monarchie, etc.
2 Voir Edmund HUSSERL, Les Idées directrices pour une Phénoménologie, Paris, Gallimard, 1950.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 829


Willy MOKA-MUBELO, S.J.

l’ignorance publique, d’encourager le raisonnement de l’irresponsabilité et


de promouvoir l’imbécilisation collective, pour utiliser une expression chère
au professeur Kä Mana, en vue de permettre aux mêmes personnes de se
maintenir au pouvoir. Simplement dit, l’objectif majeur de la politique de
zombification est de créer ce qu’Emmanuel Kant appelle l’état de minorité
ou l’état de tutelle, c’est-à-dire, « l’incapacité de se servir de son entendement
sans être dirigé par un autre »3. Cette incapacité, note Kant, « est due à
notre propre faute lorsqu’elle résulte non pas d’un manque d’entendement,
mais d’un manque de résolution et de courage pour s’en servir sans être
dirigé par un autre »4.
Ainsi donc, dans le contexte de la politique de zombification, il n’y a ni
initiative individuelle ni créativité. Le gouvernement prend la décision
quant à ce qui devrait être fait, comment et quand. Il détermine la vérité
et définit le juste et l’injuste, indépendamment des normes éthiques. Toute
créativité individuelle doit être en phase avec la vision du gouvernement.
Et toute vision qui ne correspond pas au point de vue du gouvernement
est considérée non seulement comme subversive, mais aussi comme une
atteinte à la sécurité nationale.
L’une des conséquences néfastes de la politique de zombification est son
énergie négative dans la vie de la population. Pour que le parti dirigeant
conserve le pouvoir, la population doit être zombifiée : elle doit être obligée
de devenir insensible à sa propre souffrance et privée de toute alternative.
Pour atteindre son objectif d’orienter les initiatives et la créativité vers sa
vision idéologique, le parti au pouvoir élève la paresse et la lâcheté au rang
des vertus et encourage des activités susceptibles de détourner l’attention de
la population et de l’empêcher de se livrer à une réflexion critique. Comme
le note si bien Étienne de la Boétie,
Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes
curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce
étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, la compen-
sation de leur liberté ravie, les instruments de la tyrannie. Ce système,
cette pratique, ces allèchements étaient les moyens qu’employaient les
anciens tyrans pour endormir leurs sujets dans la servitude. Ainsi, les
peuples abrutis, trouvant beau tous ces passe-temps, amusés d’un vain
plaisir qui les éblouissait, s’habituaient à servir aussi niaisement mais
plus mal encore que les petits enfants n’apprennent à lire avec des
images enluminées5.
La politique de zombification utilise les mêmes méthodes. En plus
de ces divertissements, la religion devient le seul refuge sûr pour un
peuple zombifié. Cette sécurité apparente conduit à l’abandon de toute
3 Emmanuel KANT, « Réponse à la question : qu’est-ce que les lumières ? », in Œuvres Philosophiques,
Tome II, Paris, Gallimard, Coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1985, p. 209.
4 Idem.
5 Étienne DE LA BOETIE, Discours de la servitude volontaire, Paris, Éditions Payot, 1993, p. 203.

830 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


L’utopie de la dignité humaine face au réalisme de la politique de zombification

responsabilité individuelle et collective. Dieu devient ainsi le responsable


aussi bien de tout malheur de l’homme que de son bonheur. On attend
de lui toute sorte de miracles. Cette démission de l’homme devant ses
responsabilités est souvent soutenue par la généralisation de la corruption,
la destruction du système éducatif, le clientélisme, le fanatisme, le
favoritisme et l’exploitation du peuple. Les gens doivent être amenés à
croire que rien ne peut être fait pour améliorer leurs conditions de vie,
sans l’intervention de Dieu.
Ceci conduit à la violation du droit de participer à la vie politique, et
en particulier du droit de vote, qui est un exemple patent des effets de la
politique de zombification. Dans ce contexte, le peuple zombifié est amené
à croire que voter n’a pas d’importance parce qu’il ne change pas les
résultats des élections qui sont prédéterminés par le pouvoir en place. Cette
résignation du peuple donne libre accès aux deux grandes manifestations
de la politique de zombification, à savoir : la politique du ventre et la perte
du sens du bien commun.

1.1. La politique du ventre


La « politique du ventre » est une expression que j’emprunte du livre
de Jean-François Bayart, L’État en Afrique : La politique du ventre6, pour
présenter une des manifestations éclatantes de la politique de zombification.
La politique du ventre est décrite comme le schème de gouvernementalité
de la politique dans beaucoup de pays africains et constitue leur identité
spécifique. Cette expression d’origine camerounaise, « renvoie à une
conception de l’appareil d’État perçu comme lieu d’accès aux richesses, aux
privilèges, au pouvoir et au prestige pour soi et pour les membres de son
clan »7. Pour Bayart, la « politique du ventre » renvoie aussi aux nécessités de
la survie et de l’accumulation, à des représentations culturelles complexes,
notamment celles du monde de l’« invisible », de la sorcellerie. En d’autres
termes, la « politique du ventre » témoigne d’une trajectoire africaine du
pouvoir qu’il faut comprendre à la lumière de la longue durée8.
M’inspirant donc de cette expression, je décris différemment la même
pathologie dans le contexte de la politique de zombification à travers les cinq
éléments fondamentaux qui constituent l’ossature de la politique du ventre.
Dans sa forme déguisée et subtile, la politique du vendre s’appuie sur cinq
piliers essentiels et elle est plus utilisée par les opposants politiques : (i)
se faire passer pour un opposant politique afin de s’attirer la sympathie
de la population ; (ii) viser le pouvoir à tout prix sous le déguisement de
la détermination à mener le combat pour le changement ; (iii) s’opposer
6 Jean-François BAYART, L’État en Afrique : La politique du ventre, Paris, Fayard, Coll. Espace du
Politique, 1989.
7 Bastien François, récession de J.F BAYART, « L’État en Afrique : La Politique du ventre », in Revue
Politix, vol.3, no 9, 1990.
8 Jean-François BAYART, L’État en Afrique : La politique du ventre, page de couverture.
Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 831
Willy MOKA-MUBELO, S.J.

sans raison valable au pouvoir en place ; (iv) critiquer le mode de gestion


de la chose publique par le régime dirigeant sans pour autant suggérer
une alternative viable et durable, dans le seul but de se faire remarquer
et d’être bercé par un populisme trompeur ; et (v) accepter un poste de
responsabilité au sein du système vilipendé en se réfugiant derrière le
prétexte de privilégier l’intérêt supérieur de l’État.
Ces cinq piliers de la politique du ventre sont des stratégies efficaces
mises en place pour servir de tremplin d’accès au pouvoir et des outils de
consolidation de l’influence sur un peuple zombifié. Une fois le pouvoir
acquis, il est utilisé pour promouvoir le fanatisme, le favoritisme, le
tribalisme et l’ethnicité. On devient incapable de penser au-delà des
considérations tribales. Ainsi donc, le pays cesse d’être un Etat pour devenir
un système d’enrichissement personnel. La conséquence la plus nuisible
de ces stratégies est la perte du sens du bien commun.

1.2. La perte du sens du bien commun


Lorsqu’on lit, entre les lignes, le Discours de la servitude volontaire
d’Étienne de La Boétie, on peut affirmer qu’il s’insurge contre la lâcheté du
peuple qui a perdu le sens de sa dignité en acceptant les humiliations qui lui
sont imposées par une classe dirigeante qui a perdu le sens du bien commun
et la compréhension de la fin ultime de l’activité politique. La Boétie écrit :
Comment appellerons-nous ce vice, cet horrible vice ? N’est-ce pas
honteux, de voir un nombre infini d’hommes, non seulement obéir, mais
ramper, non pas être gouvernés, mais tyrannisés, n’ayant ni biens, ni
parents, ni enfants, ni leur vie même qui soient à eux ? Souffrir les
rapines, les brigandages, les cruautés9.
Et plus loin, il ajoute :
Pauvres gens et misérables, peuples insensés, nations opiniâtres en
votre mal et aveugles en votre bien, vous vous laissez enlever, sous vos
propres yeux, le plus beau et le plus clair de votre revenu, piller vos
champs, dévaster vos maisons et les dépouilles des vieux meubles de vos
ancêtres ! Vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous. Il semble
que vous regardez désormais comme un grand bonheur qu’on vous laissât
seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies10.
Il ressort de ces deux passages que la perte de la dignité et du droit à la
propriété constitue un obstacle majeur à l’appréhension de l’importance d’un
vivre ensemble fondé sur le sens du bien commun. Comme nous le savons,
la réalisation du bien commun n’est pas possible sans la reconnaissance,
le respect, la sauvegarde et la promotion des droits de chaque membre de
la communauté humaine.
9 Étienne DE LA BOÉTIE, Discours de la servitude volontaire, Paris, Éditions Payot, 1993, p. 176.
10 Ibid., 181.

832 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


L’utopie de la dignité humaine face au réalisme de la politique de zombification

La perte du sens du bien commun est, en partie, due à une conception


erronée qui établit une relation d’antagonisme entre le bien privé et le bien
commun. En réalité, il n’y a aucune exclusion mutuelle entre ces deux types
de biens. Comme l’observe si bien Jean Porter, « le bien naturel le plus élevé
de l’individu consiste à participer à une communauté juste. Le bien commun
auquel on s’oriente a, dans sa nature intrinsèque, la promotion du bien-être
des membres individuels de la communauté ; ainsi, le bien commun n’est
pas en conflit avec le bien privé »11. Ceci me permet d’affirmer que le bien
de tous ne peut être réalisé que lorsque les individus sont déterminés à
travailler ensemble afin d’améliorer leurs conditions de vie. En ce sens, la
dignité humaine ne peut être protégée et respectée que dans un contexte
des relations avec une société plus large.
Dans le même sens, Gaston Fessard entend par bien commun « la
somme des biens privés et publics, matériels et moraux, qu’intègre une
société donnée ; bref sa propriété. La communauté y est envisagée comme
une totalité concrète et objective où l’ensemble des biens et des désirs de
ses membres trouve sa satisfaction »12. Insistant sur l’universalité qui
est essentielle au bien commun, Fessard note que « pour que puisse être
comblé ce désir vivant au plus intime de chaque individu et le constituant
personne, il faut que la communauté dont il est membre ne soit pas close
sur elle-même et que le bien commun qu’elle vise assure son ouverture sur
l’infini vers lequel se tend la personne »13.
De ce qui précède, on peut affirmer que la zombification de la population
et la perte du sens du bien commun, aussi bien de la part des gouvernants
que de celle des gouvernés, conduisent à l’incompréhensible indolence du
peuple face à des hommes sans mérite exceptionnel qui, non seulement
foulent aux pieds sa dignité, mais aussi s’évertuent à instaurer une politique
de zombification qui ne laisse aucune chance à la liberté sous toutes ses
formes et crée un peuple sans capacité mentale de gouverner une société,
un peuple qui s’auto-détruit en bâtissant son standard de vie uniquement
sur l’argent, renvoyant au placard les valeurs nobles. Bref, un peuple
entraîné vers une vie d’insouciance notoire à cause du sceau malfaisant
de la dissonance cognitive dont il est frappé.
Ici, apparaît alors l’exigence fondamentale de ce que le professeur
Kä Mana appelle la désimbécilisation d’une nation. Pour lui, « il faut
entendre par imbécilité d’une nation, un état d’être et une dynamique
sociale caractérisés par le déficit d’usage de la raison, l’indifférence aux
exigences des valeurs et l’absence des préoccupations portant sur le sens
de l’être, du vivre, de l’agir et du rêver ensemble en vue d’une société du

11 Jean PORTER, The Recovery of Aquinas for Christian Ethics, Louisville, Westminster/John Knox Press,
1990, pp. 49-51. (La traduction française est mienne)
12 Gaston FESSARD, Autorité et bien commun, 2e éd., Paris, Aubier-Montaigne, 1969, p. 54.
13 Ibid., p. 55.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 833


Willy MOKA-MUBELO, S.J.

bonheur communautaire »14. Pour savoir si une société souffre du déficit


d’usage de la raison, précise Kä Mana, il faut analyser son système
éducatif. L’attention que l’on y accorde, les moyens que l’on y investit, les
institutions de réflexion et de recherche qui s’y déploient et les productions
scientifiques que l’on y promeut sont des signes forts. Quant à savoir si
une société accorde de l’importance aux valeurs, poursuit-il, il faut étudier
le fonctionnement de la justice en son sein et la sensibilité du système
politique aux droits humains. L’impunité, la violence, l’insécurité et le refus
des règles démocratiques montreront ce que valent les personnes et leurs
institutions du point de vue de leur imbécilité15. C’est un peuple qui nie sa
propre dignité à cause des effets néfastes de la zombification.

2. La dignité humaine face à la politique de zombification


L’importance de la notion de dignité humaine n’est plus à démontrer.
L’exigence de respecter les droits de chaque personne est fondée sur la
notion de dignité humaine qui apparaît dans chaque discours et documents
importants sur les droits de l’homme. Il faudrait noter ici que la littérature
abondante sur les droits de l’homme et la dignité humaine met en lumière
le fait que la réflexion sur les droits de l’homme résulte de la révolte contre
l’insensé de la violence et le refus de la négation de la dignité humaine. Les
atrocités de la deuxième guerre mondiale, par exemple, ont conduit à la
prise de conscience de la valeur intrinsèque de l’homme et à la rédaction
de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) comme
une opposition d’une fin de non-recevoir à tout ce qui nie la dignité de la
personne humaine.
L’exigence d’une telle réaction se fait sentir davantage aujourd’hui.
Le dénigrement de la personne humaine, né de l’arrogance d’un système
économique qui n’a pour objectif que la maximisation du profit de quelques
individus, la réduction de l’homme en homo pambaus16 par la politique de
zombification qui bafoue les libertés fondamentales des citoyens doivent
pousser à une réflexion susceptible de permettre le passage de la politique
de zombification à la politique d’humanisation respectueuse de la dignité
humaine. Un tel passage est la réponse adéquate à une culture politique qui
refuse de se soumettre à l’impératif moral qui exige que l’on « traite l’humanité
aussi bien dans [notre] personne que dans la personne de tout autre toujours
en même temps comme une fin, et jamais seulement comme un moyen »17.
14 KÄ MANA, L’homme Congolais et la culture de l’intelligence : Réflexions pour une société du savoir, de la
recherche et du savoir-faire, Goma, Pole Institute, 2016, p. 13.
15 Idem.
16 Homo pambaus est une expression qui vient du Lingala, une des langues nationales parlées en RD
Congo. Elle signifie Moto pamba, c’est-à-dire « une personne sans valeur » ou encore, « une personne
qui ne vaut rien ». Je l’ai forgée pour décrire une personne dont la dignité est foulée aux pieds par
les structures injustes de la société et qui n’est plus considérée comme une fin en soi, mais plutôt
comme un moyen pour satisfaire les intérêts démesurés d’une classe politique irresponsable.
17 Emmanuel KANT, Fondements de la Métaphysique des Mœurs, IV: 429, in Œuvres Philosophiques,
Tome II, Paris, Gallimard, Coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1985, p. 295.
834 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année
L’utopie de la dignité humaine face au réalisme de la politique de zombification

S’il est vrai qu’aujourd’hui la dignité humaine est devenue un des


exemples du consensus éthique et apparaît dans presque tous les documents
légaux, il est également vrai que sa matérialisation en actes concrets reste
encore problématique. Autrement dit, la dignité humaine est en théorie
une idée incontournable qui a le consentement de tout le monde. Mais en
pratique, elle sert tout simplement de miroir sur lequel chacun projette ses
propres valeurs et qui reflète les aspirations des individus qui cherchent
éperdument les conditions d’une vie descente et respectable.
Ici apparaît une question fondamentale : comment se fait-il que dans le
commerce entre les hommes, la dignité des uns est prise en compte et celle
des autres ne l’est pas ? Plusieurs réponses sont possibles. Quant à moi,
je voudrais répondre à la question en la situant dans le domaine politique
et non pas métaphysique. Ce qui m’intéresse, c’est de considérer comment
l’organisation politique d’un pays détermine la façon dont ses citoyens sont
traités par les autres.
Le réalisme politique nous apprend que la reconnaissance et le respect de
la dignité d’un peuple sont souvent conditionnés par l’organisation politique
de son pays. Si le système politique d’un pays est fondé sur la politique de
zombification, la dignité de son peuple a peu de chance d’être respectée par
d’autres peuples. Lorsque, par exemple, un pays n’offre pas à ses citoyens la
possibilité de mener une vie de dignité, c’est-à-dire ne respecte pas leurs droits
fondamentaux, ceux-ci s’ouvriront à toute opportunité visant à s’engager
dans une aventure à la recherche d’un avenir meilleur. Mais, ils sont souvent
exposés à toute sorte de traitements inhumains, allant de la privation du
minimum nécessaire à la négation de leur appartenance à la race humaine.
Ainsi donc, il devient évident que l’organisation politique d’un pays
est un élément déterminant dans la reconnaissance de la dignité d’un
peuple. Cette association de la reconnaissance de la dignité humaine avec
l’organisation politique relève de la considération expérientielle de la
notion de dignité. Cette approche va au-delà des approches religieuse et
philosophique. La première affirme que la dignité humaine se fonde sur
l’idée de l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. La seconde,
associée à Emmanuel Kant, soutient que notre dignité d’être humain ne
dépend pas de notre utilité ou de notre appréciation par les autres. Elle
dépend de notre capacité d’auto-détermination morale ou notre capacité
d’être sous la loi morale en vertu de laquelle nous sommes élevés au-dessus
d’être simplement une partie du monde naturel. L’approche expérientielle,
quant à elle, nous aide à comprendre que la dignité humaine n’est pas
« quelque chose déduit d’une théorie ou d’une prémisse intellectuelle ou
ontologique. C’est quelque chose de concrètement rencontré dans un Autre
et reconnu en soi. Elle émerge en particulier dans les relations de solidarité,
de compassion, et de gratuité »18.
18 Paolo G. CAROZZA, “Human Rights, Human Dignity, and Human Experience”, in Christopher
McCrudden (ed.), Understanding Human Dignity, Oxford, Oxford University Press, 2014, pp. 627-628.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 835


Willy MOKA-MUBELO, S.J.

En ce sens, comme le souligne si bien Paolo G. Carozza, avant d’être


un problème juridique, la dignité humaine est un problème qui exige une
sympathie profonde, non pas dans un sens sentimental banal, mais dans
le sens de reconnaître dans la souffrance des autres l’authenticité de leurs
désirs et de voir en elle la preuve d’un besoin universel dans lequel on
prend conscience des facteurs constitutifs de soi-même et de l’humanité
de l’autre19. Cette prise de conscience nous renvoie aux exigences de notre
responsabilité vis-à-vis de l’autre.
Emmanuel Levinas nous aide à mieux saisir le contenu d’une telle
responsabilité en nous signifiant que la responsabilité pour autrui est
toujours une dette impayable. La présence de l’autre fait toujours vibrer la
fibre de ma responsabilité pour lui. Cette responsabilité, convient-il de le
préciser, est antérieure à la prise de conscience de cette présence qui vient
me faire sortir de ma distraction et de mon oubli pour me faire entrer en
contact avec cet autre qui reste toujours le premier venu, quelles que soient
les relations sociales préexistantes. Ainsi, tout engagement consenti ou
refusé ne peut qu’être postérieur à ma responsabilité à son égard. Levinas
écrit à ce sujet : « le prochain me concerne avant toute assomption, avant
tout engagement consenti ou refusé. Je suis lié à lui – qui cependant est
premier venu, sans signalement, dépareillé, avant toute liaison contractée.
Il m’ordonne avant d’être reconnu »20.
Cette responsabilité, comme le fait remarquer Levinas, s’exprime dans
la proximité du moi à l’autre. La proximité dont il est question ici, précise-
t-il, n’est pas une configuration se produisant dans l’âme ni l’immédiateté
plus ancienne que l’abstraction de la nature ; moins encore une fusion
avec l’autre. Elle est, par contre, contact d’autrui ; mais un contact qui
exclut toute tentative d’investir autrui pour annuler ainsi son altérité. Ce
contact exclut également toute peur qui consisterait à se sentir supprimé
dans l’autre, à perdre son identité21. C’est cette responsabilité qui nous
permet d’effectuer le passage de la politique de zombification à la politique
d’humanisation. Comment y parvenir ?

3. Quelques pistes de solution


Effectuer le passage de la politique de zombification à la politique
d’humanisation est une exigence morale. De fait, qu’est-ce qui est attendu
de moi comme être moral ouvert à la lumière de la raison ? Une réponse
adéquate à cette question impose l’obligation de mettre en place des
structures qui permettent à chaque membre de la société d’exiger aux
autres le respect de ses libertés et droits fondamentaux. Pour cela, il
faut : Premièrement, lutter contre la corruption institutionnalisée. Cette
19 Ibid., p. 627.
20 E. LEVINAS, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, La Haye, Martinus Nijhoff, 1974, p. 109.
21 Ibid., pp. 108-109.

836 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


L’utopie de la dignité humaine face au réalisme de la politique de zombification

lutte ne pourra porter des fruits escomptés que lorsqu’on s’attaque aux
comportements qui tendent à légitimer les pratiques corruptrices tout en
banalisant tout effort d’éradication de ce fléau. Deuxièmement, instituer un
Etat de droit où chacun répond de ses actes afin d’ébranler les structures
nuisibles de la politique du ventre. Troisièmement, s’assurer que la justice et
le travail sont orientés vers le bien commun dans le but de garantir à tous,
et surtout aux plus démunis et aux plus vulnérables, l’accès aux ressources
nécessaires permettant de participer à la vie économique, sociale et politique
de la société. Quatrièmement, promouvoir une éthique de responsabilité et
une culture d’excellence capables non seulement de combler l’érosion morale
et l’amnésie collective qui provoquent l’effondrement d’un vivre ensemble
harmonieux, mais aussi de contribuer à l’édification d’une société juste et
prospère. Une société juste est à comprendre ici dans son sens Rawlsien.
Ce dernier décrit une société juste comme celle dans laquelle « l’égalité des
droits civiques et des libertés pour tous est considérée comme définitive ;
les droits garantis par la justice ne sont pas sujets à un marchandage
politique »22.
Ces pistes pourront constituer le fondement à partir duquel nous
pouvons amorcer le passage de la politique de zombification à la politique
d’humanisation.

22 John RAWLS, Théorie de la justice, Paris, Éditions du Seuil, 1999, p. 30.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 837


Vie et Sciences Sociales

DROIT D’ENTRÉE ET CHAMP UNIVERSITAIRE*


POUR UNE COHÉRENCE
DU SYSTÈME UNIVERSITAIRE CONGOLAIS

Justin BISANSWA, 8. Les « Congolais de la diaspora » ou la fissure


Professeur. de la société congolaise en catégories de
Université de dedans et de dehors
Lubumbashi
(RD Congo). Lors de sa fulgurante et romanesque ascension
Université Laval
jusqu’à la magistrature suprême, Laurent-Désiré
(Canada).
jbisanswa@outlook.com
Kabila estima dans un premier temps que tous les
Congolais restés au pays étaient des « mobutistes »
et préféra travailler avec les « Congolais de la dias-
pora » dont un grand nombre étaient logés à l’Hôtel
Intercontinental. L’expression « Congolais de la dias-
pora » accuse ces derniers et les disqualifie par le seul
fait d’être (et de vivre) à l’extérieur du pays, et donc
d’être hors du réel (social ? Politique ? Universitaire ?)
congolais. Comme si on opposait aux universitaires
« réalistes » qui vivent au Congo les universitaires
« rêveurs » et idéalistes (et donc restés « intellec-
tuels ») vivant à l’extérieur et devenus autres, spé-
cifiquement en Europe et en Amérique, et qui, par
ce fait même, ont perdu, dit-on, tout contact avec le
monde réel, planant en l’air. Aristophane prenait les
intellectuels pour la nuée. Comme si les universitaires
congolais « réalistes » et « authentiques » renonçaient
à transcender les apparences chez leurs compatriotes
« rêveurs » et qu’ils confondaient le réel avec ce qu’ils
perçoivent ou qu’ils comptent, et non avec ce qui est
* Ndlr : Nous
publions ici la
et ce qu’on voit, considérant que toute tentative d’ex-
seconde partie plication se veut une riposte à laquelle il faut réagir
de la réflexion de avant qu’elle ne vienne. Guerre du bon sens contre
Bisanswa. l’intelligence (ou l’intellectualisme) ? L’opposition
La première semble trop forte pour y souscrire.
l'a été dans le
numéro 537, On notera, toutefois, qu’à la volonté tenace
septembre 2019, du désir d’envol d’une part répond la conscience
pp. 686-710 dans la certitude de l’impossible envol d’autre
part. L’expression « Congolais de la diaspora » est
une situation de langage qui appelle à conjurer
l’inhabituel, l’insolite, la tare (ou la pathologie) et à
prendre des distances vis-à-vis de ceux qui sont ainsi

838 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Droit d’entrée et champ universitaire ...

désignés et situés en deçà de la caricature et de la dérision. Ces « Congolais »


(le sont-ils encore réellement, parce que le déterminatif leur donne une autre
identité qui neutralise le fait d’être Congolais) sont la métaphore vive des
mirages (luxe insolent de la richesse, confort psychologique et matériel)
qu’on se représente des pays occidentaux où ils vivent, objet de fascination
de ceux qui vivent au pays (précarité, misère, dérèglement), écran séducteur
à travers lequel les uns perçoivent les autres, et qui entraîne la répulsion
(la haine, selon la rhétorique idéologique) envers ceux qui y sont.
L’archevêque de Kinshasa, le Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya,
a été, en toute innocence et bonne foi, explicite dans son message adressé
aux jeunes lors de la célébration de Pâques 2018 : « Qu’entendez-vous faire ?
Que de jeunes cadres universitaires brillants et capables préfèrent rester
en Europe ou en Amérique, pour y attendre que d’autres remettent le pays
sur les rails afin qu’ils viennent ensuite cueillir les fruits des peines et des
sacrifices, des risques et de la sueur des autres ? ».
Métaphore (in praesentia), le discours idéologique oppose les Congolais
vivant en Europe et en Amérique à « ceux du Congo » (?), alors qu’ils sont
« unis par le sort » (mots de l’hymne national). Il représente toutes les formes
de discriminations et de stigmatisations à l’intérieur de l’espace national (en
termes d’ethnie, de province, de capitale, de parti politique, de religion, de
sexe, de classe sociale, etc.). Ce discours du Cardinal Monsengwo reproduit
un mythe, et ce méta-langage construit une cosmogonie (« remettre le pays
sur les rails », « cueillir les fruits des peines et des sacrifices, des risques
et de la sueur des autres ») qui repose sur des ressemblances floues entre
le physique (« sueur », « peines »), le moral (« sueur », « sacrifices », « les
fruits »), le social (« remettre sur les rails », « cueillir les fruits ») et dans
laquelle les Congolais vivant à l’extérieur sont présentés comme des
archétypes de profiteurs.
On peut aussi y lire le dérèglement (« remettre le pays sur les rails »)
de la situation sociale, ainsi que l’aveuglement de ceux qui dénoncent
la paille qu’ils sont prompts à voir chez ceux qu’ils prennent pour des
adversaires alors qu’ils ne voient pas la poutre chez eux-mêmes. Cette
expression « Congolais de la diaspora » est une asyndète. Elle brise le lien
d’appartenance à un pays par l’espace géographique où vivent ses citoyens,
alors que tous les pays du monde veillent au bien être de leur population où
qu’elle se trouve. Elle fonde l’identité et la différence des Congolais entre
eux sur le lieu où ils vivent. Cette asyndète hachure l’espace national et
juxtapose les populations à partir des catégories sans les unir, et les stratifie
à travers des stigmates. Elle fissure la société congolaise en catégories de
dedans et de dehors, d’une part ceux qui souffrent, se sacrifient et suent,
d’autre part ceux qui jouissent des facilités et des plaisirs de la vie. Comme
si ceux qui sont en Europe et en Amérique et qui y travaillent étaient à l’abri
des peines, des sacrifices, et des risques. Si on pouvait savoir et connaître
la pression du travail, l’angoisse, le stress permanent liés aux exigences et
Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 839
Justin BISANSWA

aux contraintes qui les écrasent ! Si l’on pouvait s’imaginer que dans ces
pays d’Europe et d’Amérique on se préoccupe plus du rendement de l’outil
que des dimensions du chantier. Si on pouvait penser aux gros montants
d’argent en devises que des Congolais transfèrent aux membres de leurs
familles et qui entrent dans le circuit économique du pays. Voudrait-on dire
qu’en rentrant travailler au pays où ils investissent souvent l’argent gagné
en Europe ou en Amérique, ces « Congolais de la diaspora » sont dispensés
de l’effort pour gagner leur vie et que tout leur est acquis d’avance ?
Il se fait justement que cette opposition manichéenne enfer (Congolais
vivant au Congo et ailleurs en Afrique) vs paradis (Congolais vivant
en Europe et en Amérique) vitrifie les rapports humains par une sorte
de diffraction verbale. Cette réfraction verbale détruit la sociabilité.
L’expression « Congolais de la diaspora » est comme un chien de garde qui
enferme en eux-mêmes ceux qui l’utilisent, dans un monde à eux, homogène,
achevé (où chacun a sa place et s’en émerveille), gage d’assurance et de
tranquillité, et qui, de façon inférentielle, revendiquent le bon sens contre
les tempêtes de rêves insensés et des expériences autres qui viendraient
troubler leur quiétude.
De plus, cette expression est aussi une polysyndète. Elle lie tous les
Congolais vivant au Congo à travers la « sueur, les peines, les sacrifices, les
risques » comme s’il ne faisait pas bon vivre au Congo pour une catégorie de
Congolais. Elle établit une jonction entre les Congolais qui vivent en Europe
et en Amérique en ce qui concerne leur exclusion de l’espace national et elle
lie l’Europe à l’Amérique. Du coup, elle enferme ces Congolais dans une
certaine homogénéité qui supprime la particularité des pays où ils vivent
ainsi que la spécificité ou l’individualité des Congolais qui forment ici une
masse informe et compacte. Elle est enfin un symbole de l’arbitraire par
lequel on peut se plaire justement à stigmatiser des individus sans jamais
avoir des comptes à rendre ni avoir l’obligation de se justifier.
Le mot « diaspora » donne à lire, sur le plan historique, la violence de la
déportation des noirs dans les plantations de canne à sucre aux Antilles, en
Haïti et dans les Amériques. « Diaspora » est un cri de détresse physique,
morale, psychologique qui rappelle le bateau négrier et sa cale. Gorée (au
Sénégal) que le guide du lieu appelle lors des présentations « le voyage
sans retour » en dit long sur la souffrance et la douleur des déportés. Que
veut dire alors, vraiment, « Congolais de la diaspora » ? Ces « Congolais
de la diaspora » qui espéraient au retour trouver à l’intérieur de leur
pays d’origine des hommes pleins d’humanité (et qui allaient regarder à
l’intérieur d’eux-mêmes), croyant que leur propre humanité allait enfin être
reconnue (par leurs congénères) affrontent une réalité sociale dissimulée
à travers le déterminatif (« de la diaspora ») comme si leurs compatriotes
les condamnaient à demeurer dans l’espace diasporal même, c’est-à-dire
exilés de dedans. En Afrique de l’Ouest, surtout au Sahel, on appelle ceux

840 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Droit d’entrée et champ universitaire ...

qui vivent à l’extérieur de leur région (pas pays) d’origine les « migrants »,
et on s’enchante de la richesse de leurs expériences et de leur contribution
à l’économie du pays. Gestes et actes de solidarité les lient. Les agents
d’immigration les accueillent avec enthousiasme. Les mots, comme on
l’observe, sont des pièges ou des projectiles.
À cette réfraction verbale qu’est l’expression « Congolais de la diaspora »
s’ajoutent des tensions latentes mais vives tout en étant sourdes et vaines,
au sein des universités, entre ceux qui ont obtenu leur doctorat dans des
universités occidentales et ceux des universités congolaises. À se demander
si les compétences et l’engagement dans la recherche dépendent du lieu
où on a accompli sa formation doctorale et non de l’habitus du chercheur.
Nous devrions pourtant, aujourd’hui, avoir des raisons d’être fiers d’avoir
acquis des compétences suffisantes et nécessaires pour bien former les
chercheurs dans des universités congolaises. Roland Barthes notait avec
justesse que « toute la mythologie petite bourgeoise implique le refus de
l’altérité, la négation du différent, le bonheur de l’identité et l’exaltation
du semblable »1.

9. L’université et les « Congolais de la diaspora »


La question qui, en cas de retard dans le démarrage de certains
enseignements, intéresse le personnel et les responsables de l’université
et qui suscite souvent les passions est généralement celle des « Congolais
de la diaspora », étrangers et (expatriés) exilés même à l’intérieur de leur
propre pays d’origine2, qui ont des charges de travail dans les universités
congolaises et dont on dit qu’ils n’ont pas le temps d’y enseigner. Pourtant,
ceux, parmi eux, qui sont rompus à la discipline, aux règles du jeu et à la
valeur sacrée de l’enjeu du métier, quand ils arrivent au Congo, s’enferment
dans leur travail et terminent tous leurs enseignements dans les règles de
l’art bien souvent avant leurs collègues qui vivent et demeurent au pays.
À ce sujet, les conseils d’administration et le ministère devront préciser
le nombre d’heures de cours qu’un professeur, en dehors de son université
d’attache, doit enseigner dans d’autres universités, pour rester compétitif.
La santé physique même du chercheur exige des balises. Le nombre des
décès annuel de professeurs dans les institutions universitaires congolaises
et l’ampleur des problèmes de tension artérielle devraient susciter doutes
et interrogations. On rappellera que ce n’est pas l’ancienneté dans le grade
1 Mythologies, Paris, Seuil, 1957, p. 81).
2 On l’observe facilement quand on débarque, à l’aéroport de la Luano à Lubumbashi, d’un avion
d’Ethiopian airlines, plein de Chinois. En quelques secondes, ces derniers disparaissent, pendant
que des Congolais attendent dans des files. Vous ne saurez jamais par quelle immigration ni par
quelle douane sont passés ces Chinois pour sortir, et vous ne les verrez pas au carrousel attendre
leurs bagages. Des Congolais munis des coupons s’en occupent en les triant à partir de la descente
de l’avion, avant que des bagages n’arrivent dans la salle où les attendent les autres passagers.
Le supplice du Congolais est le supplice de tantale : il a faim, dans son propre pays, devant des
greniers pleins et d’immenses terres arables. Il est condamné à l’errance pour se nourrir, alors que
des étrangers viennent s’enivrer de lai et de miel au Congo.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 841


Justin BISANSWA

qui fait le prestige symbolique d’un chercheur, mais son engagement


constant dans la recherche et son leadership international. Des stratégies
s’imposent pour résoudre ce problème de manque d’enseignants. Dans
cette perspective, faut-il sacrifier la qualité des enseignants à former ou
à recruter ?
Le ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire a dit il y a
un an que le Congo a besoin de deux cents professeurs par an pour ses
universités. Certains collègues des universités ont des charges de travail qui
laissent rêveur et perplexe : 700 à 900 heures de cours par an ! Un recteur
d’une université catholique bat le record avec 1700 heures de cours ! Il est,
toutefois, étonnant que des « Congolais de la diaspora » qui enseignent
dans des universités occidentales éprouvent pourtant d’énormes difficultés
à se faire recruter dans des universités congolaises faute des charges de
travail vacantes. Il serait urgent que chaque université précise ses besoins
en la matière en dressant l’état des lieux des charges de travail vacantes,
département par département pour que l’on sache exactement le nombre
de professeurs ainsi que les disciplines à pourvoir. Les circonstances et
conditions de recrutement au sein des universités congolaises demeurent
opaques, et ne font pas l’objet d’annonces internationales pour des appels
à candidature.

Conclusion

Un assistant devrait être recruté, à l’issue d’un concours3 dirigé par un


comité de sélection qui soumet ses avis au conseil de département, comme
on le fait partout aujourd’hui, moyennant le respect strict des critères en
vigueur, sur base des besoins de développement des enseignements et de la
recherche au sein d’un département. Ce qui implique une charge de travail
disponible dès qu’il aura fini sa thèse de doctorat. À cet effet, il devra,
avant son recrutement, avoir un projet de recherche doctorale sur lequel
il aura discuté avec un chercheur du domaine qui a accepté de l’encadrer.
Il devrait bénéficier de la totalité de son salaire. Il semble cohérent et
logique que, dès son recrutement, l’assistant commence, dans les conditions
actuelles, son DEA et le termine avec succès (au moins avec la mention
distinction) à la fin de sa deuxième année. Il convient donc de rompre avec
la nomination mécanique au grade d’assistant de second mandat après
deux ans d’ancienneté. De même, le statut de chef de travaux devait être
repensé et reconsidérer pour en évaluer la pertinence, parce qu’il n’est pas
une finalité en soi dans le système.
3 L’administration publique organise déjà des concours de recrutement de jeunes diplômés en
recourant à des organismes internationaux. Comme si on reconnaissait que les Congolais sont
incapables d’impartialité, de rigueur et d’intégrité. Pour des raisons de justice et d’équité, il
conviendra d’étendre la pratique à tous les services de l’État, pour que les plus méritants soient
récompensés. Il en va de la qualité de la productivité.

842 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Droit d’entrée et champ universitaire ...

À la troisième année, l’assistant entreprendra sa formation doctorale,


pendant trois ou quatre ans au maximum. Après la soutenance de sa thèse
de doctorat, il sera nommé professeur associé et ainsi de suite. Mais tout
cela suppose que la charge de travail de l’assistant soit réduite à 100 h
tout au plus par an, exclusivement pour faire les travaux pratiques sous la
conduite d’un enseignant qualifié, de façon à lui permettre d’avoir le temps
et les moyens de mener ses recherches et de bénéficier d’un encadrement
adéquat. Il y a aussi des raisons de justice et d’équité. Quand, avec le
système « LMD », on supprimera le DEA, l’assistant commencera son
doctorat dès son recrutement. On comprend donc que les grades qu’on
aménage entre l’assistant de premier mandat et le professeur associé n’ont
pas de signification, sauf à distinguer le nombre d’années des intéressés.
Pourtant, il y aurait un autre moyen de les différencier, notamment par
des échelons (ancienneté) auxquels correspondrait une différenciation dans
l’échelle salariale. C’est donc toute la conception du statut d’assistant qu’il
faudra repenser, et avec elle, la philosophie et la cohérence du cheminement
dans la carrière universitaire au Congo.
Tout cela implique la nécessité d’une gestion académique et
administrative rigoureuse au niveau des départements et des facultés
qui doivent, en conseils, déterminer le portrait du département et le
plan stratégique de la faculté en vue du déploiement des effectifs. Le
département et la faculté sont les lieux, c’est-à-dire les instances, où,
forts de leur autonomie académique, administrative et financière, on peut
répondre aux questions suivantes : quelle est l’image de notre département
aujourd’hui ? Qu’est-ce qui fait la singularité de notre département dans
la configuration des départements similaires sur le plan provincial,
national, régional, africain, international, qui nous permet d’assurer
le rayonnement international et d’attirer les étudiants et les meilleurs
chercheurs ? Quel type de département voulons-nous (ou mieux devrions-
nous) être ou avoir dans cinq ou dix ans pour faire face à la concurrence
provinciale, nationale, régionale, africaine, internationale ? Ces questions
soulèvent la problématique de l’autonomie et de l’indépendance réelles du
département et de la faculté, qui leur garantissent la marge de manœuvre
dans la conception des programmes de cours et la possibilité d’introduire
de nouveaux cours en fonction de la demande des étudiants et des réalités
du marché de l’emploi et de l’évolution du monde.
Le « cadre normatif » du ministère de l’enseignement supérieur et
universitaire qui enjoint les établissements à s’arrimer au « LMD » dès la
rentrée d’octobre 2018 stipule que celui-ci reposera sur le Vade mecum (qui
est en réalité une sélection des instructions académiques) et les instructions
académiques notamment. Précisément, ces instructions académiques sont
à moderniser et à adapter au processus de démocratisation actuel sous
peine d’avoir une réforme bancale et cosmétique dont la tête se trouve
dans le moderne et le tronc dans un ancien devenu inadapté. Par exemple,

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 843


Justin BISANSWA

les pouvoirs immenses et tentaculaires4 que le législateur confère au chef


d’établissement sont ahurissants dans le contexte actuel et prédisposent
à des outrances et à des dérives de toutes sortes. Ils procèdent d’une
centralisation de pouvoirs et de prérogatives qui n’ont rien à voir avec une
gestion démocratique de la chose publique. Il faut oser haïr le navire de
la quiétude qui nous emporte dans cet univers de luxe et de raffinement
qui se meurt et avoir le courage de rêver des étoiles en dépit des feux des
diamants et de l’attrait du cuivre.
De même, laisser à l’enseignant le soin de prévoir dans les 3 crédits
accordés à un cours les crédits alloués à l’enseignement magistral, ceux
des travaux pratiques, ceux de la recherche de l’étudiant à la bibliothèque,
dans un contexte où l’enseignant considérait déjà qu’envoyer les étudiants
à la bibliothèque le dispensait de faire son propre travail, c’est s’exposer à
des risques prévisibles. Alors que les nouveaux programmes de cours qui
supposent des rencontres multiples des enseignants, des étudiants anciens
et nouveaux, des partenaires de la société civile ne peuvent pas être prêts
à la rentrée d’octobre, il conviendrait de souligner que la réforme devra
s’appuyer sur une administration performante, compétitive, au service des
professeurs, des étudiants et du développement des institutions. Ce qui
suppose de nouveaux textes régulateurs qui marqueront la fin d’une ère
et le seuil d’un nouveau monde.
Dans un contexte caractérisé par le doute, le « désenchantement
du monde » (Weber), le dé-raisonnement de l’entendement, et où les
catégories de sens et de non-sens, de normal et de pathologique sont
devenues indistinctes, c’est à une posture métacritique qui se fonde sur
l’auto-réflexion, l’auto-réflexivité et l’autocritique (ce que Adorno appelle
« la dialectique négative ») que je nous invite. Tout un impensé recouvre
aussi le langage et ses concepts, avec sa vision du monde, des implications
parfois idéologiques, qu’il faut cerner, discerner, critiquer, afin de remonter
à la source de nos jugements, de nos goûts, de nos fréquentations, de nos
ambitions, pour ne pas demeurer, selon le mot de Kant, des « indigènes
intellectuels de ce monde » « jouant le jeu du monde ». Il nous revient de
préserver l’esprit de ce langage et des instruments hérités de l’histoire.
Mais il nous revient aussi de les interroger, de les perfectionner, de les
innover, si nous avons la croyance vigoureuse que le progrès scientifique
dépend aussi de nous, que le discours livre à chaque analyse ses secrets de
la formation sociale enfouis dans les signes, et que « nous ne sommes pas
venus parasiter le monde ».

4 Taillés sur mesure et datant d’un autre contexte politique, social et universitaire selon lesquels le chef
d’établissement est à lui tout seul une institution (incréée) au-dessus du conseil universitaire ou de
l’Institut, et qui peut engager l’institution dans tous les secteurs de fonctionnement sans consulter
les mandataires (Secrétaire général académique, Secrétaire général administratif, Administrateur
du budget, etc.) et qu’il suffit d’en informer par la suite le comité de gestion, le conseil universitaire
ou de l’Institut.

844 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Recension : Le basculement géopolitique de l’Afrique des Grands Lacs

Alain Flavien N’KISI,


Le basculement géopolitique de l’Afrique des Grands Lacs,
Décennie 1990, Paris, L’Harmattan, 2018, 158 pages.

Un véritable basculement a été de 1996-1997 : l’opération turquoise,


déclenché dans la décennie 1990 dans l’arrivée des réfugiés rwandais au
les trois pays de la Communauté Congo ‒ qui suscite la création de
Economique des Pays des Grands l’AFDL ‒ et la guerre de 1998. Le texte
Lacs (CEPGL). Au Burundi, c’est est vigoureux et bien documenté.
l’assassinat en 1993 du Président élu, Le dernier chapitre est intitulé
Melchior Ndadaye ; au Rwanda, c’est « Le nouvel ordre en Afrique
le génocide de 1994 ; en RD Congo, Centrale ». La RD Congo y a perdu le
la situation du Président Mobutu rôle de barrage contre le communisme
était alors déjà ébranlée, mais ce qui avait porté les États-Unis à
sont le flux des réfugiés rwandais la soutenir de l’indépendance aux
et la guerre déclenchée en 1996 qui années 1980. La cause en est à la fois
l’ont renversé. La deuxième guerre la déliquescence du régime Mobutu,
déclenchée en 1998 avec des soutiens qui permet aux réfugiés et à des
extérieurs a amplifié les remises en groupes de guérillas d’y trouver un
question et l’instabilité. sanctuaire, et la richesse minérale
Le livre comprend trois chapitres. du Congo qui n’attire pas seulement
Le premier présente la situation la Chine, mais fait que la France
politique des trois pays durant et les États-Unis, l’Ouganda et le
les années 1990. Dans le contexte Rwanda s’emploient à en acquérir un
de la démocratisation déclenchée certain contrôle. Sous des pressions
par la chute du mur de Berlin en diverses, on aboutit ainsi aux
1989, il montre que la transition accords de Lusaka qui imposèrent la
démocratique y a été un échec, les formule d’un Président et de quatre
trois pays restant sous le contrôle Vice-présidents jusqu’à l’élection
de régimes totalitaires. L’Auteur les présidentielle de Joseph Kabila en
qualifie même de dictatures. 2006. La RD Congo est devenue
Le deuxième chapitre analyse l’objet de multiples convoitises qui
les causes de la déstabilisation de la contribuent à la déstabilisation de
région. La première est la question toute la région des Grands Lacs.
de la nationalité, les trois pays Le rétablissement de la paix suppose
hébergeant et ayant eux-mêmes à la fois la construction d’un nouvel
des réfugiés dans les pays qui les ordre intérieur à chaque pays et
entourent. Beaucoup n’ont pas le d’une nouvelle vision commune des
statut de réfugiés et ne sont pas relations internationales entre les
intégrés dans la nation qui les pays de la région.
héberge. Un développement plus
riche est consacré aux déstabilisations Léon de SAINT MOULIN, S.J.
engendrées par l’AFDL et la guerre

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 845


In Memoriam

NOTICE BIOGRAPHIQUE ET BIBLIOGRAPHIQUE

L
éon de SAINT MOULIN est né à Naast
(Soignies) en Belgique, le 17 décembre 1932. De
1944 à 1950, il entreprit des études d’humanités
gréco-latines à l’athénée royal de Thuin, puis aux
collèges jésuites St Stanislas à Mons et St Servais
à Liège. Entre au noviciat d’Arlon le 14 septembre
1950. Candidature en philologie classique à Namur
(1954), licence en philosophie à Eegenhoven (1957),
licence en histoire (1959) à l’Université Catholique
de Louvain (UCL). Deux ans de régence au Congo,
au collège Albert (Boboto) de Kinshasa (1959-1960)
et St François-Xavier (Sadisana) de Kikwit (1960-
1961). C’est à ce moment qu’est rédigée la première édition du Manuel d’histoire
contemporaine, qui a été reécrit en 1983. Après la théologie à Eegenhoven, il
est ordonné prêtre le 6 août 1964, par Mgr Musty, évêque auxiliaire de Namur.
Le 22 février 1967, il achève son doctorat en histoire à l’UCL et le troisième an
à St Asaph en Grande Bretagne (1966-1967) sous la direction du Père Kelly.
À son retour au Congo, il est attaché au Cepas et prononce ses derniers vœux
le 25 mars 1968.
Pendant trois ans, avec un mandat de recherches du Fonds National Belge de
la Recherche Scientifique, il participe à l’Étude socio-démographique de Kinshasa
1967 et à la mise à jour du Plan de la ville de Kinshasa, avec l’Institut National
de la Statistique et l’Institut Géographique du Congo. En 1970-1971, il est
professeur au Département d’histoire de la Faculté des Lettres de l’Université
Lovanium. De 1971 à 1979, Campus de Lubumbashi de l’Université Nationale
du Zaïre, Chef de Département d’histoire (1971-1974), Doyen de la Faculté
des Lettres (1975-1979). De 1979 à 1981, Vice-Recteur chargé du Campus de
Kinshasa : réouverture du restaurant et construction de l’amphithéâtre en
plein air (non terminé en 1981). Ensuite, année sabbatique et enseignements
à l’Institut St Pierre Canisius et au Grand Séminaire Jean XXIII de Kinshasa.
Première série d’émissions radios à la RTNC sur l’histoire et la géographie
du Zaïre. De février 1983 à août 1984, Recteur du collège Alfajiri à Bukavu et
enseignement à l’ISP/Bukavu. En 1984, retour à Kinshasa, début des émissions
Zaïre Oyé à la télévision nationale, à raison de quatre par province.
De 1985 à 1988, Secrétaire Académique de la Faculté de Théologie
Catholique, puis professeur à temps plein et directeur du Centre des Archives
Ecclésiastiques Abbé Stefano Kaoze jusqu’en 1997 et à mi-temps jusqu’en 2000.
Enseignement de l’Histoire des problèmes du développement du Zaïre et de
l’analyse sociale appliquée à la théologie pastorale, notamment dans un cours
de Lecture scientifique de la vie chrétienne en Afrique. Publication, avec une
large collaboration, des Œuvres complètes du Cardinal Malula en 7 volumes
1997 et, avec Roger Gaise OP, de Église et société. Le discours socio-politique
de l’Église catholique du Congo (1956-1998), ainsi que de la Carte des diocèses
et des implantations pastorales de l’Église catholique au Congo au 1:3.000.000.

846 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Léon de Saint Moulin, S.J.

Réalisation d’une quarantaine d’enquêtes, souvent clôturées par un article


de présentation des résultats. De 2005 à 2017, il collabore à la Commission
Électorale Nationale Indépendante (CENI).
Ce fut la grâce de sa vie d’avoir choisi comme mémoire de licence et de thèse
en histoire l’analyse de l’évolution des conditions de vie en milieu ouvrier belge.
C’est cette étude, prolongée par l’enquête socio-démographique de Kinshasa, qui
l’a sensibilisé aux phénomènes sociaux en tant que tels et qui lui a donné les
instruments d’analyse sociale, si appréciée aujourd’hui.
Autres publications non exhaustives
• La construction et la propriété des maisons, expressions des structures sociales. Seraing
depuis le début du XIXe siècle, Bruxelles, 1969 (thèse de doctorat).
• "La répartition de la population du Zaïre en 1970", dans Cultures et Développement
6 (1974), pp. 331-349.
• "Les résultats de l’évangélisation au Zaïre. Analyse de quelques enquêtes société-
religieuses en milieu urbain", dans L’Église catholique au Zaïre. Un siècle de croissance
(1880-1980), Kinshasa, 1981, pp. 343-381.
• "L’effort de guerre 1940-1945 au Zaïre", dans Zaïre-Afrique 25 (1985) n° 192, pp. 91-104.
• "Les essais de modernisation de l’agriculture du Zaïre à l’époque coloniale", dans
Zaïre-Afrique 26 (1986) n° 202, pp. 83-98.
• Archidiocèse de Kinshasa. Carte des paroisses, succursales et implantations pastorales,
au 1/50.000 en cinq couleurs, Kinshasa, 1986.
• "Essai d’histoire de la population du Zaïre", dans Zaïre-Afrique 27 (1987) n° 217, pp.
389-407.
• "La répartition par région du Produit Intérieur Brut du Zaïre de 1957 à 1984", dans
Zaïre-Afrique 27 (1987) n° 218, pp. 451-477.
• "Histoire de l’organisation administrative du Zaïre", dans Zaïre-Afrique 32 (1992) n°
261, pp. 29-54.
• "La perception du mal à Kinshasa et dans quelques localités du Zaïre", dans Revue
Africaine de Théologie 19 (1995) n° 37, pp. 53-92.
• "Église et société dans l’opinion publique à Kinshasa/Kalamu", dans Revue Africaine
de Théologie 24 (2000), n° 47-48, pp. 117-148.
• "La place de la religion dans la vie selon une enquête effectuée à Kinshasa/Lemba
Sud", dans Congo-Afrique (2002) n° 367, pp. 415-433.
• La perception de la démocratie et de l’État de droit en RDC, Kinshasa, Cepas, 2003
(en collaboration avec J.M. Kinkela, N. Paluku et E. Tshimanga).
• "Conscience nationale et identités ethniques. Contribution à une culture de la paix",
dans Congo-Afrique 43 (2003) n° 372, pp. 93-136.
• "Les leçons du premier tour de l’élection présidentielle en RDC", dans Congo-Afrique
46 (2006) n° 408, pp. 332-354.
• "Analyse des résultats du second tour de l’élection présidentielle en RDC", dans
Congo-Afrique (2007) n° 411, pp. 37-54.
• "Les enjeux et les défis du découpage administratif", dans Congo-Afrique (2009)
n° 432, pp. 89-104.
• Villes et organisation de l’espace en République démocratique du Congo, Cahiers
africains n° 77, Tervuren, Musée Royal de l’Afrique Centrale - Paris, L’Harmattan, 2010
• Atlas de l’organisation administrative de la République Démocratique du Congo, 2e

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 847


In Memoriam

édition revue et amplifiée, Kinshasa, Cepas, 2011, 256 p. (en collaboration avec Jean-
Luc KALOMBO Tshibanda).
• "Les cinquante ans de Congo-Afrique et l’objectif d’apostolat social du CEPAS", dans
Congo-Afrique (2011) n° 452, pp. 89-128.
• "Analyse des résultats officiels des élections du 28 novembre 2011", dans Congo-Afrique
(2012) n° 462, pp. 87-125.
• Kinshasa, Enracinements historiques et horizons culturels, Cahiers Africains n° 79,
Tervuren, Musée Royal de l’Afrique Centrale - Paris, L’Harmattan, 2012.
• "Enjeux et défis du découpage administratif", dans Le Journal du fonctionnaire,
avril-juin 2015, pp.34-38.
• Histoire des Jésuites en Afrique. Petite Bibliothèque Jésuite, Bruxelles, Editions
Lessius, 2016.
• Encadreur scientifique du volume de l'INSTITUT PANAFRICAIN CARDINAL
MARTINO, Pour l'enseignement social de l’Église en Afrique. Documents de référence
du Magistère de Léon XIII à François (1891-2015), Kinshasa, Éditions IPCM, 2016,
2.238 p.
• « Le deuxième centenaire de la restauration de la Compagnie en Afrique », dans Congo-
Afrique (2014), n° 486, pp. 385-422.
• « L’instabilité constitutionnelle, un voile trompeur pour les vrais problèmes de la RD
Congo », dans Congo-Afrique (2014) n° 488, pp. 700-708.
• « Le jubilé d'or du Cepas. Vers le 500e numéro de Congo-Afrique », dans Congo-
Afrique (2015) n° 491, pp. 7-22.
• « La perception et le rôle de l’Université de Kinshasa par la population des quartiers
périphériques Cogelos et Tchad », dans Congo-Afrique (2015) n° 499, pp. 756-772.
• « Les 500 numéros de Congo-Afrique : de janvier 1966 à décembre 2015 », dans Congo-
Afrique (2015) n° 500, pp. 808-821.
• « Les 26 nouvelles provinces de la RDC selon la constitution de 2006 », dans Congo-
Afrique (2016), n° 504, pp. 313-316.
• « L’évolution de la justification par l’Église de ses interventions en matière sociale »,
dans Congo-Afrique (2016) n° 506, pp. 476-494.
• « La perception de l’État par la population : résultats d’enquêtes à Kinshasa et en RD
Congo de 1992 à 2015 », dans Congo-Afrique (2017), n° 516, pp. 532-543.
• « Les élections locales sont-elles possibles en RD Congo ? », dans Congo-Afrique (2017),
n° 511, pp. 8-18.
• « Que penser des interventions de l’Église catholique en matière politique ? », dans
Congo-Afrique (2018), n° 523, pp. 201-212.
• « Les inégalités économiques sont-elles des injustices ? », dans Congo-Afrique (2018),
n° 526, pp. 521-538.
• « Les élections du 30 décembre 2018 en RD Congo », dans Congo-Afrique (2019),
n° 532, pp. 105-116.
• « La redevabilité des pouvoirs publics, cas des élections », dans Congo-Afrique (2019),
n° 536, pp. 573-583.
• À paraître bientôt (à titre posthume) : La place de la religion dans la société à Kinshasa
et en RD Congo, Collection « Cahiers africains », n° 94, Tervuren, Musée Royal de
l’Afrique Centrale-Paris, L’Harmattan, 2019, 240 p.
Anicet N’TEBA, S.J.
Pr. à l’Institut de Théologie de la Compagnie de Jésus
Abidjan/Côte d’Ivoire.
848 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année
Léon de Saint Moulin, S.J.

LÉON DE SAINT MOULIN,


La place de la religion dans la société à Kinshasa et en RD Congo1,
Collection "Cahiers africains", n°94, Tervuren, Musée Royal de
l’Afrique centrale, Paris, L’Harmattan, 2019, 240 pages.
Préface : Pr. YOKA LYE M.
« Extrait du livre à paraître »

S
i une préface c’est le témoignage d’un attachement à un auteur et à son
œuvre, au-delà de la simple expression protocolaire, alors je me sens
honoré de « présenter » Léon de Saint Moulin. Mais est-il vraiment à
présenter ?
Résident au Congo depuis près de 50 ans, religieux de la Compagnie de
Jésus (les Jésuites), Professeur des universités en charge des enseignements
de démographie, auteur d’une production scientifique riche et diversifiée,
recteur honoraire de l’Université de Kinshasa, Léon de Saint Moulin est une
figure emblématique dans le paysage académique et scientifique national et
international ; un modèle d’intellectuel et de chercheur chevronné et engagé.
Nous dirions, chez nous les Bantous, qu’il est « bokulaka », c’est-à-dire
« doyen », « notable » ; ou encore « nganga-mayele », c’est-à-dire « grand-
prêtre du Savoir », « homme aux quatre-z-yeux et aux quatre-z-oreilles ».
Sans compter par ailleurs que l’auteur est doté de ressources rhétoriques
et oratoires talentueuses et percutantes (« vir bonus, disaient les Latins,
peritus dicendi » : « homme de bien, homme de la Parole, homme de parole »).
C’est donc par devoir de reconnaissance, et par admiration pour l’homme
et son œuvre, que j’ai accepté la proposition d’être préfacier, tout en mesurant
combien redoutable était ma responsabilité !
Peut-être, Léon de Saint Moulin a-t-il préjugé que mes propres écrits
sur Kinshasa, « mon village natal », avec toute son énergie et tout son génie
de dynamique culturelle populaire, pouvaient, dans le meilleur des cas,
contribuer à une réflexion interdisciplinaire.
1 Livre sous presse.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 849


In Memoriam

C’est donc avec enthousiasme que j’ai lu le texte de Léon de Saint Moulin.
Il s’agit en réalité d’une miscellanée, compilation logique d’un certain nombre
d’enquêtes majeures depuis près de 30 ans sur les questions de la religion
à Kinshasa et en RD Congo.
Le titre de l’ouvrage est déjà en soi d’une actualité brûlante : La place de la
religion dans la société à Kinshasa et en RD Congo. Trois parties composent
l’ouvrage : 1°) L’évolution des appartenances religieuses en RD Congo ;
2°) Le rôle d’une Eglise dans la société ; 3°) La perception du mal et du salut.
Vaste programme, qui couvre la mégapole de Kinshasa (et en milieux
des étudiants), mais aussi le reste du pays, notamment Bukavu, Matadi,
Kisangani, Lubumbashi et Kananga ; mais qui également s’effectue sur
base d’enquêtes de proximité avec des focus groups ciblés avec soin :
La technique des enquêtes, écrit l’auteur, consiste à sélectionner dans
une population un échantillon tel que chaque personne ait les mêmes
chances de figurer parmi celles qui sont interrogées. Cette condition
est remplie si aucun biais ne s’introduit dans le choix des interviewés,
c’est-à-dire s’il n’y a aucun facteur qui amène dans l’échantillon plus
de catholiques, ou de salariés, ou de mères de famille, (etc.) qu’il y en
a dans la population totale. En milieu urbain du Congo, on a établi
que la liste exhaustive des parcelles habitées était facile à dresser
et qu’elle fournissait une base de sondage efficace.
Revenons aux trois parties du volume pour signaler combien elles
reflètent, d’une certaine manière, des angoisses, des interrogations, voire
des prises de position du Congolais du XXIe siècle : « Le XXIe siècle, a écrit
André Malraux, sera spirituel ou ne sera pas ».
La 1re partie : sur base d’une enquête de 1986 auprès des étudiants
de l’Université de Kinshasa, l’auteur indique la grille des appartenances
religieuses en RD Congo ainsi que les transformations conséquentes,
notamment avec l’irruption des Églises de réveil. Au demeurant, l’Église
catholique a été perçue comme celle qui, moyennant quelques réserves,
encadre ses fidèles mieux que les autres.
La 2e partie tente de répondre à la question centrale : quel est, pour la
population, le rôle de l’Église et de la religion dans la vie et dans la société ?
La 3e partie récapitule et rend compte de l’essence philosophique et
sociologique des enquêtes comme résultat à atteindre. Question : quelle est
« la perception du mal et celle du salut et de la libération par la population
de Kinshasa et de certaines localités de la RD Congo ? ».
Aborder la question des appartenances religieuses et de leur impact
social, c’est donc interroger l’histoire, la géographie, la sociologie, la
démographie, voire la philosophie : autant de lieux-oxymores comme l’est
en particulier la ville de Kinshasa.

850 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Léon de Saint Moulin, S.J.

Oui, Kinshasa n’est peut-être pas le Congo, comme on l’entend souvent,


mais avec sa dizaine de millions d’habitants, avec la cohabitation et la
diversité de différentes communautés linguistiques, ethniques, culturelles,
Kinshasa est quand même une vitrine de la vie et de la vitalité des
Congolais, ceux notamment des centres urbains.
C’est sans doute pourquoi Kinshasa est une ville-oxymore, une mégapole
faite et pleine de paradoxes : à la fois à la merci des pratiques rituelles et
religieuses hybrides (syncrétisme torride de l’animisme, de christianisme
traditionnel et de religiosité « charismatique » et frénétique), et des quêtes
éperdues de « paradis artificiels » sous le feu des « ambiances » épicuriennes
à la limite de la concupiscence2.
Comment finalement cohabitent ces deux « mondes » : celui du visible
et de l’invisible, celui périphérique de la misère matérielle ou spirituelle,
et celui des espaces de catharsis propitiatoire et explosive ? Comment les
Églises-mères, particulièrement l’Église catholique, à la croisée des chemins
et des crises, éclaire-t-elle les signes de la rédemption pour les croyants et
pour les citoyens, face aux enjeux démocratiques ? Quelles sont les « pierres
d’angle » pour un œcuménisme régénérateur des religions ?
Pour répondre à ces questions, Léon de saint Moulin laisse parler les
enquêtés, et les accule, pour ainsi dire, dans leurs derniers retranchements,
à travers des interviews libres. Et son approche, qui se veut la plus
objective possible, a procédé par induction : d’enquête à enquête, de
proximité à proximité, de Kinshasa en provinces, à travers des résultats
et des contre-vérifications croisées ; à travers des échantillonnages par
religions, par baptisés, par quartiers, par groupes ethniques, par degrés
d’activités, par catégories socioprofessionnelles, le propos culmine vers des
perceptions immanentes, à savoir celle de la rédemption, du salut et celle
de la libération.
Or, qui dit « salut » (enquête de 2002) présuppose l’emprise (l’empire !) du
mal (enquêtes de 1994). Ramon Martinez de Pison Liebanas (missionnaire
oblat de Marie Immaculée, professeur de Théologie à l’Université Saint Paul
d’Ottawa) qui a réfléchi sur la question, décrit le mal comme une réalité
aux multiples masques. Il y a d’abord le mal physique (ou « cosmique »),
c’est-à-dire « le mal causé par des catastrophes naturelles ou autres, et qui
est le fruit d’un univers en évolution ou des causes qui échappent à notre
contrôle » ; il y a ensuite le mal moral « qui est attaché (…) à la finitude
et à la liberté qui choisit d’agir contre son bien intime (…) » ; il y a enfin
le mal subi par les innocents, par les victimes, et « causé par le péché de
l’être humain et dont il est responsable ; ce mal siège dans le cœur humain
qui se ferme à soi-même, aux autres, à la nature de Dieu ». Et justement
le vrai mal, d’après le théologien, c’est de vivre avec l’obsession du péché
2 YOKA LYE M., Kinshasa, signes de vie, Tervuren-Paris, Institut Africain-L’Harmattan, 1999.
Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 851
In Memoriam

originel, alors que ce à quoi nous devons fonder notre foi, c’est l’amour
originel divin3.
Mais, à ce propos précis, que disent exactement les enquêtes sur de
terrain de Léon de Saint Moulin, notamment celles de 1994-95 ? À travers
les réponses reçues (18 sur 34 à Kinshasa, le reste étant réparti en provinces,
et même en Angola et au Congo-Brazzaville), il y a lieu de noter ce qui suit :
1°) est mal, ce qui détruit la vie ;
2°) est mal, ce qui détruit la société ; ce qui brise l’harmonie et la
stabilité ;
3) est mal, ce qui agresse volontairement la morale ; c’est le mal délibéré
et l’intention mauvaise, criminelle, et qui est tout à fait contraire à la
volonté de Dieu.
Bien entendu, plane dans toutes ces réponses l’ombre hideuse du
« kindoki » (sorcellerie). Mais la foi en la rédemption, en la victoire du
salut, reste la fibre résiliente. « Pour que la religion, écrit l’enquêteur,
qui relie l’homme à Dieu devienne en effet force de transformation de la
société, elle doit s’organiser en Église (…). Dieu à Kinshasa n’est pas un
inconnu, et la religion y est perçue comme une valeur ». Autre motif d’espoir
selon l’enquêteur : « On doit en conclure que l’Église catholique véhicule
aujourd’hui une position plus engagée que celle des autres Églises sur le
lien à établir entre la foi et la promotion humaine, ou même le combat pour
la justice et le respect des droits de l’homme ».
Que dire enfin de compte sinon que l’ouvrage de Léon de Saint Moulin
est en soi une pièce à conviction méthodologique, avec tout ce que cela
implique d’approche quantitative (et donc statistique) minutieuse,
et de valeur ajoutée de l’ordre qualitatif, « perlocutoire », comme
disent les sémiologues, c’est-à-dire avec la force des exhortations et
même des interpellations explicites. Par les temps qui courent, période
intense d’entropie, de telles approches ne sont-elles pas en même temps
des embrayeurs de mobilisation sociale et d’engagements alternatifs,
progressistes ?4

Pr. YOKA LYE M.


Président de l’Observatoire des Cultures Urbaines
en RD Congo (O.B.S.C.U.R),
Directeur Général de l’Institut national des Arts (INA).

3 Ramon MARTINEZ DE PISON LIEBANAS, Le péché et le mal, Kinshasa, MédiasPaul, 2000.


4 Harvey COX et Diasatu IKEDA, Persistance de la religion. Perspectives comparées sur la spiritualité
moderne, Paris, L’Harmattan, 2012.

852 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


CEPAS - BASIC NEEDS BASKET (KINSHASA) : SEPTEMBRE 2019
A Coûts des articles alimentaires de base pour une famille de 5 personnes
Désignation PU en FC Quantité Total
Farine de maïs 1 557,57 4,00 Kg 6 230,28
Riz 2 383,88 4,10 Kg 9 773,91
Pain 2 535,42 4,10 Kg 10 395,22
Chikwangue 1 420,87 4,30 Kg 6 109,74
Farine de manioc 1 554,22 4,20 Kg 6 527,72
Patates douces 1 032,28 4,30 Kg 4 438,80
Bananes plantains 1 771,96 4,30 Kg 7 619,43
Sucre cristallisé (Kwilu-Ngongo) 1 608,13 4,40 Kg 7 075,77
Arachides décortiquées 2 858,32 1,20 Kg 3 429,98
Haricots 3 479,49 4,30 Kg 14 961,81
Graines de courges décortiquées 4 609,00 3,20 Kg 14 748,80
Noix de palme 526,50 3,20 Kg 1 684,80
Oignon 3 291,63 0,20 Kg 658,33
Feuilles de manioc 1 094,39 0,40 Kg 437,76
Laitue / Bilolo 1 281,74 0,40 Kg 512,70
Epinard 1 633,02 0,40 Kg 653,21
Amarantes (bitekuteku) 1 210,74 0,40 Kg 484,30
Mfumbwa 4 680,07 0,30 Kg 1 404,02
Oseille (Ngai-ngai) 995,12 0,30 Kg 298,54
Tomate fraîche 1 654,08 0,20 Kg 330,82
Tomate en boîte 4 233,93 0,20 Kg 846,79
Aubergine 2 227,98 0,20 Kg 445,60
Feuilles de patates (matembele) 516,02 0,40 Kg 206,41
Orange / Banane 1 793,60 2,70 Kg 4 842,72
Avocat / Papaye 3 095,69 4,70 Kg 14 549,74
Viande de porc 12 181,25 0,50 Kg 6 090,63
Viande de bœuf 12 423,44 0,60 Kg 7 454,06
Abats de bœuf 4 215,63 0,70 Kg 2 950,94
Poulets 5 129,89 0,70 Kg 3 590,92
Œufs 4 526,29 0,20 Kg 905,26
Chenilles séchées 15 009,88 0,20 Kg 3 001,98

Désignation PU en FC Quantité Total


Poisson de mer 4 867,22 0,60 Kg 2 920,33
Poisson d’eau douce 3 526,56 0,80 Kg 2 821,25
Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59 Année
e
853
CEPAS

Poisson salé 11 567,81 0,90 Kg 10 411,03


Poisson fumé 17 428,52 0,90 Kg 15 685,67
Bière (Bouteille de Primus de 72 cl) 2 110,00 30,00 Pièce 63 300,00
Lait en poudre (Milgro 400 mg) 14 360,12 0,20 Kg 2 872,02
Huile de palme (Simba 5 l) 6 083,62 3,20 Kg 19 467,58
Margarine (Blue-band 250 g) 6 082,50 0,80 Kg 4 866,00
Café (Carioca 250g) 7 646,00 1,00 Kg 7 646,00
Thé (Le Best 50g) 26 781,25 0,30 Kg 8 034,38
Coca-Cola (Bouteille de 33 cl) 1 034,38 24,00 Pièce 24 825,12
Sel de cuisine 1 149,92 1,00 Kg 1 149,92
Piment (Pili-pili) 03:36 0,10 Kg 744,62

Sous-Total – Articles alimentaires 307 404,88


Équivalent journalier pour un mois de 26 jours 11 823,26

B Coûts des articles essentiels non alimentaires

Désignation PU en FC Quantité Total


Eau 18,00 m3 7 795,60
Électricité 720,00 KWh 78 003,60
Charbon 533,97 2 x 100 kgs 106 794,00
Pétrole 1 346,25 6,00 Litre 8 077,50
Allumettes (paquet de 10 boîtes) 571,88 1,00 Pièce 571,88
Savon de ménage (Le Coq) 361,50 15,00 Pièce(s) 5 422,50
Savon de toilette (Monganga) 403,00 10,00 Pièce(s) 4 030,00
Papier hygiénique (Econom) 694,42 10,00 Pièce(s) 6 944,20
Fil de cheveux (bobine) 75,00 4,00 Pièce(s) 300,00
Rasoir (BIC - Paquet de 5 lames) 543,75 15,00 Pièce(s) 8 156,25
Cirage 693,50 2,00 Pièce(s) 1 387,00
Dentifrice (Colgate 140g) 1 680,23 3,00 Pièce(s) 5 040,69
Spectacles (cinéma, théâtre) 15 500,00 2,00 Séances 31 000,00
Sport 4 000,00 4,00 Séances 16 000,00
Transport du conjoint 500,00 8,00 Courses 4 000,00
Transport des enfants 500,00 156,00 Courses 78 000,00

Sous-Total – Articles non alimentaires mensuellement récurrents 361 523,22


Équivalent journalier pour un mois de 26 jours 13 904,74

BASIC NEED BASKET (A)+(B) 668 928,10

854 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Juin-Juillet-Août 2019

C. Quotes-parts mensuelles des articles non alimentaires non récurrents


(Dernière mise à jour des valeurs : septembre 2018)

Désignation PU en FC Quantité Total


Literie 105 125,00
Mobilier et accessoires de rangement 113 376,67
Ustensiles de ménage 13 287,50
Couverts et diverses vaisselles 40 975,00
Petits appareils et accessoires ménagers 7 147,78
Accessoires logements 40 937,50
Vêtements pour homme et femme 86 500,00
Vêtements pour enfants 44 137,50
Chaussures 35 041,67
Accessoires vestimentaires 18 831,67
Éducation 0,00
Tenues scolaires 8 958,17
Objets scolaires 2 678,00
Manuels scolaires 15 000,00

Sous-Total – Articles non alimentaires non récurrents 531 996,44

Total général mensuel pour une rémunération décente 1 200 924,54


Équivalent en USD 726,13
Enveloppe journalière pour une rémunération décente (mois de 26 jours) 46 189,41
Équivalent en USD 27,93

D. Évolution du BNB sur une période d’une année

BNB en FC 1US$ = FC BNB en US$


Moyenne 654 274 1 653,8602 399

Septembre 2018 624 000 1630,8952 383


Octobre 2018 633 993 1632,7191 388
Novembre 2018 637 626 1632,3481 391
Décembre 2018 657 039 1635,6153 402
Janvier 2019 659 992 1637,919 402
Février 2019 675 035 1 637,8079 412
Mars 2019 660 076 1 638,8002 403
Avril 2019 655 622 1 638,5961 400
Mai 2019 659 437 1654,5107 399
Juin 2019 655 711 1 644,9465 399
Juillet 2019 660 766 1 645,8897 401
Août 2019 657 336 1653,3844 398
Septembre 2019 668 928 1653,8602 404

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 855


CEPAS

Une année après l’enquête pour les quotes-parts mensuelles des articles non alimentaires
non récurrents mensuellement (cf. point C) dont les valeurs ont été mises à jour pour la
dernière fois au mois de septembre 2018, le secteur Appuis au développement du CEPAS a
reconduit la collecte des données de l’intégralité des articles du 26 au 27 septembre 2019 et
propose ci-dessus la nouvelle mise à jour annuelle des prix de tous les articles.
Les prix moyens ont été calculés sur base des prix au détail récoltés dans les marchés
(Grand-marché, marché de la liberté, marché Pumbu de Mont-Ngafula, marché Delvaux),
les supermarchés (Shoprite et Kin-marché) et 8 alimentations réparties sur 8 sites
géographiques différents.
À la fin du mois de Septembre 2019, le taux moyen de la Banque Centrale du Congo était de
1 653,8602 Francs congolais pour 1 dollar.
Contact BNB : Tél. +243 898923309 ** E-mail – patmavinga@gmail.com

856 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Afrique-Actualités
SEPTEMBRE 2019
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Septembre, mois de l’offensive diplomatique


de Félix Tshisekedi
Noël OBOTELA
Rashidi, Historien.
Professeur ordinaire/
A près avoir effectué quelques incursions chez les
voisins (Rwanda, Angola, etc.) et devant ses pairs
de l’Union Africaine à Addis-Abeba, le Président Félix
Université de Tshisekedi a réalisé des « sauts » très attendus en Europe.
Kinshasa, Faculté
La question qui hante les esprits avisés concerne les
des Lettres et
Sciences Humaines. brèches laissées par le gouvernement passé : l’actuel Chef
Membre du Conseil de l’État saura-t-il les colmater ? Les commentaires tirés
de Rédaction de du Newsletter de septembre 2019 émis par le Représentant
Congo-Afrique Résident de la Fondation Konrad Adenauer en RD Congo,
nobotela2005@ Benno Müchler, écrit : « La Belgique devra respirer à pleins
yahoo.fr poumons, vu qu’elle était le premier pays que le Président
Tshisekedi a visité en Europe ». Il avait mentionné la
signature de plusieurs accords et le souhait de voir exister
une coopération « gagnant-gagnant ». Tshisekedi ne s’est
pas empêché d’annoncer la création d’une agence nationale
de lutte contre la corruption. Le président congolais
avait visité, le 17 septembre 2019, la Fédération des
Entreprises de Belgique en y présentant les opportunités
que la RD Congo pourra offrir aux entreprises belges et en
insistant sur l’amélioration du climat des affaires.
Une autre révélation faite durant ce voyage porte
sur la lutte contre la corruption. Il a déclaré qu’« il y a
aujourd’hui plus de 80% des recettes qui échappent au
trésor ». Déjà, en juin 2018, le Conseiller Spécial du Chef
de l’État, Luzolo Bambi, avait révélé que le pays perd
chaque année au moins 15 milliards de dollars suite à la
corruption et au détournement des fonds publics. Rap-
pelons en passant que la RD Congo est classée parmi les
vingt pays les plus corrompus du monde.
Par rapport à l’accord avec le Front Commun pour
le Congo (FCC), il a répondu aux journalistes belges qu’il
n’est pas une « marionnette », mais un allié : « Je vais
m’attaquer à tout ce qui a avili les citoyens congolais et qui
a contribué à affaiblir le développement de notre pays. Ces
antivaleurs, ces brimades, ces corruptions, ces habitudes de
traquer les opposants qui émettaient un avis contraire, si
nous allons dans une coalition avec le FCC, c’est autour de
ce principe que je viens de vous étayer, ce n’est pas autour
de ce qu’ils faisaient avant… ». Bref cette visite a été très
riche et pleine d’espoir.
Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 857
Noël OBOTELA

De Bruxelles, il est allé à New York où il a participé à la 74e Assemblée


Générale des Nations Unies. Il y avait plaidé pour la paix, la sécurité et la
stabilité de la RD Congo. Il n’avait pas manqué d’exprimer la gratitude du
peuple congolais pour les sacrifices financiers, matériels et humains dans la
lutte contre l’insécurité et les velléités de balkanisation du pays. Pour lui, la
RD Congo a encore besoin des casques bleus pour son processus de rétablisse-
ment de la paix. Il ne s’agira plus « d’une MONUSCO pléthorique, mais d’une
MONUSCO bien équipée, forte et dotée d’un mandat adapté… ».
La Province du Kongo Central secouée par un scandale
L’équipe à la tête de la Province du Kongo Central a plongé cette entité
dans un déshonneur, le 25 août 2019, pour une question de viol sur l’assistante
du Gouverneur de Province. Face au choc créé par ce scandale dans l’opinion,
le ministre sortant de l’Intérieur avait, le 4 septembre 2019, suspendu de
leurs fonctions le Gouverneur Atou Matubuana et son Vice-Gouverneur Justin
Luemba. Les deux accusés ont été mis à la disposition de la justice en vue de
faire la lumière sur cet incident ayant terni l’image du Kongo Central. L’intérim
avait été confié au Ministre provincial de l’Intérieur, installé le 7 septembre
2019, par l’Inspecteur Général de la Territoriale.
Le Procureur Général près la Cour de cassation avait demandé officielle-
ment, le 12 septembre 2019, l’autorisation de poursuites contre le Gouverneur
de Province considéré comme le commanditaire du scandale ayant entraîné
l’infraction d’outrage public aux bonnes mœurs. Et le bureau de l’Assemblée
provinciale a fini par convoquer la session extraordinaire, le 24 septembre
2019. Ainsi le vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur a autorisé les
deux autorités provinciales à regagner la Province.
Le vote intervenu à l’Assemblée Provinciale s’était prononcé contre les
poursuites à l’endroit du Gouverneur Atou Matubuana. Entretemps, le 22
septembre 2019, le FCC avait dépêché une délégation à Matadi en vue de
s’enquérir de la situation politique du Gouvernorat du Kongo Central. Pour
l’Avocat de Matubuana, « le dossier est clos ». En outre, les Jeunes leaders du
Kongo Central ont rejeté le vote « corrompu » des députés contre le réquisitoire
du Procureur. La délégation du FCC a invité le PPRD, l’ACO et l’AA/a à porter
plainte contre leurs députés soupçonnés de corruption. Ceci ressort du rapport
publié par cette délégation, le 26 septembre 2019. Il paraît que certains dé-
putés, impayés depuis trois mois, n’avaient pas résisté à l’argent proposé par
le Gouverneur Matubuana. Le même rapport du FCC a encore révélé qu’un
député invalidé par le Conseil d’État avait pris part au vote.
Le rapport du FCC note que le vice-gouverneur Justin Luemba, suspendu,
a accepté de démissionner de ses fonctions conformément à la décision du FCC,
à la seule condition que ses frais de campagne dépensés soient remboursés. Par
contre, Atou Matubuana avait refusé de recevoir la délégation du FCC qui avait
attendu plus de 2 heures devant son portail. Loin de se terminer, le calvaire
du Gouverneur Atou Matubuana se poursuit. En effet, lors de l’ouverture de
la session de septembre 2019, une motion de défiance contre le Gouverneur

858 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Septembre 2019

Atou Matubuana et son vice-gouverneur Luemba a été déposée par le député


André Masumbu Baya.
La RD Congo sous le poids des affaires
En septembre, la une de l’actualité a été dominée par le dossier concer-
nant « 15 millions de dollars ». Au cours d’une mission de contrôle de paiement
des pertes et manques à gagner des sociétés pétrolières, du 17 au 31 juillet
2019, l’Inspection Générale des Finances (IGF) avait fait état de « la dispari-
tion d’un montant de 15 millions de dollars de bonus de l’État prélevé sur les
revenus des produits pétroliers, des erreurs de calcul dans la répartition de la
créance de 100 millions USD à rembourser, par le Trésor public aux sociétés
pétrolières, pour compenser le manque à gagner réclamé résultant du gel des
prix des produits pétroliers par le Gouvernement ». Les mouvements citoyens
(LUCHA, ECCHA, VICI, Jeunesse Indignée, etc.) avaient organisé un sit-in,
le 5 septembre 2019, en vue d’exiger la vérité sur le dossier. L’IGF avait saisi
le procureur Général près la Cour de cassation pour des investigations appro-
fondies sur cette affaire.
Cette affaire a créé de l’émoi au sein de l’opinion. Tout le monde demande
que la justice se saisisse du dossier en vue d’éclairer l’opinion. Pendant que les
uns s’adonnent à la passion, aux invectives, aux dénigrements et aux insultes
envers le directeur de cabinet du Chef de l’État, les autres s’efforcent d’ap-
porter la lumière sur le dossier en mettant le présumé auteur hors de cause.
Pour George Kapiamba, président de l’Association Congolaise pour l’Accès à
la Justice (ACAJ), « les 15 millions de dollars ont été bel et bien détournés ;
ils n’existent plus ». Entretemps, l’inspecteur général des Finances se sentant
en insécurité avait rencontré le chef de l’État qui l’avait rassuré et encouragé
à poursuivre son travail. L’Église du christ au Congo (ECC) s’est également
intéressée, le 18 septembre 2019, à cette ténébreuse affaire en se réjouissant
que le dossier soit porté auprès des instances judiciaires.
En date du 17 septembre 2019, le procureur général de la République
près la Cour de cassation, a reconnu avoir été saisi par l’IGF à ce sujet et que
les enquêtes sont menées par les services ad hoc. En attendant, il demande
aux uns et aux autres de s’abstenir d’interférer par des actes, des propos et des
déclarations intempestifs et inopportuns susceptibles de porter préjudice aux
enquêtes en cours. Au cours d’un meeting organisé à Kinshasa, le 22 septembre
2019, Martin Fayulu a demandé au Procureur de la République de dire la vé-
rité sur cette affaire et a exigé une audience publique diffusée à la télévision.
Une autre affaire, c’est autour de l’ancien ministre de la santé, Oly Ilunga,
placé en garde à vue, le 14 septembre 2019, parce qu’il lui est reproché d’avoir
détourné 4,3 millions de dollars destinés à la lutte contre la maladie à virus
Ebola. Il est accusé d’avoir tenté de quitter la RD Congo. Le collectif de ses
avocats a dénié cette accusation. Il a été transféré, le 17 septembre 2019, au
Parquet après avoir passé trois nuits de détention à la Police Judiciaire. Il a
été finalement assigné à résidence surveillée et inculpé pour détournement.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 859


Noël OBOTELA

Dès son arrivée au perchoir de l’Assemblée provinciale de la Ville de


Kinshasa, le président de cette institution avait appelé à l’organisation d’une
enquête sur la gestion de la ville pendant ces trois dernières années. C’est
dans ce cadre que l’ancien ministre des finances de la ville de Kinshasa, Guy
Matondo Kingolo, est détenu depuis, le 23 août 2019, à la prison de Makala.
C’est, le 7 mai 2019, que l’Assemblée provinciale avait pris une résolution à la
majorité absolue de le mettre à la disposition de la justice et, le 8 mai 2019, il
était suspendu de ses fonctions. À la séance du 30 septembre 2019, ses avocats
ont sollicité auprès du juge, l’assignation de Guy Matondo à résidence surveil-
lée en lieu et place d’une incarcération à Makala. L’affaire se poursuit, et les
avocats semblent confiants quant à son issue.
RD Congo – Rwanda, toujours la méfiance !
Le voyage du Président Tshisekedi à Kigali avait-il gommé la méfiance
entre les deux populations ? Apparemment ce climat persiste. En effet, du 3 au
5 septembre 2019, lors d’un atelier organisé à Kinshasa sur le Plan National
du numérique de la RD Congo, un expert en data et numérique avait fait une
révélation qui a soulevé plus d’un citoyen congolais en déclarant que « le ser-
veur national des télécoms de la RD Congo était logé à Kigali, au Rwanda » !
Cela sous-entendait que notre pays était sous écoute ! Heureusement, cette
information avait été vite démentie.
Révision de la constitution ou l’ouverture de la boîte de Pandore ?
En 2016 déjà, la tentative de réviser la Constitution avait entraîné des
remous en RD Congo. Aujourd’hui encore le parti Envol, à l’issue de son congrès
du 11 au 13 juillet 2019, a proposé une révision notamment des articles en
rapport avec les élections, la fin du mandat du président de la République, la
nationalité, les dispositions de nomination du Premier ministre, des membres
du gouvernement ou leur révocation, les députés nationaux et les sénateurs.
Y parviendra-t-il ?
À quand la fin du « c’est notre tour » ?
Le 14 septembre 2019, le Secrétaire Général de l’UDPS, Augustin Kabuya,
a rappelé à tous les ministres nationaux mandatés par le parti, l’ « obligation
de céder 70% des membres de leurs cabinets désignés au sein du parti ». Il a
même menacé ceux qui n’obtempéreraient pas à cette disposition du retrait
de la confiance du parti.
Dans son Apostrophe du 2 octobre 2019, Ben-Clet (in Le Potentiel, N° 7712,
p. 16) rappelle que « la RD Congo (…) s’épargnerait la critique si, et seulement
si, le président et son premier ministre parvenaient, par exemple, à imprimer,
d’abord aux officiels et, ensuite aux militants et aux non-militants, le respect du
bien commun, l’esprit du service et du partage. C’est à cette condition que ‘C’est
notre tour’ sera étouffé dans la gorge des candidats jouisseurs ».

860 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Septembre 2019

Ne Muanda Nsemi fait reparler de lui


Après sa réapparition spectaculaire, le 6 mai 2019, le président et chef
du parti politico-religieux Bundu Dia Kongo, Zacharie Badiengila alias Ne
Muanda Nsemi a tenu une conférence de presse, le 14 septembre 2019. Au
cours de ladite conférence, il est revenu sur ses revendications, à savoir : la
réhabilitation de sa maison par l’État congolais et le paiement de sa pension
de 1000 USD en sa qualité d’ancien parlementaire ayant fait deux mandats. Il
en avait profité aussi pour inviter « le chef de l’État à s’ouvrir et à faire recours
à l’intelligence et à la sagesse des grands esprits comme lui afin de relever le
défi du développement de l’Afrique centrale de manière générale ».
Autour du Budget 2020, trop de supputations !
Le projet du budget 2020 a été adopté, le 27 septembre 2019, par le
gouvernement réuni en conseil des ministres. Le Gouvernement mise sur un
budget de 7 milliards, équilibrés en recettes et en dépenses. Nombreux sont
ceux qui l’estime insuffisant et sans ambition face aux défis à relever. Le dé-
puté Jacques N’Djoli Eseng’ekeli déclare qu’il s’agit d’un budget qui confirme
la continuité de non effort et de non rupture ! Le Professeur Jo Sekimonyo a
formulé des critiques au sujet de ce budget et reconnu que la hausse de 14,5%
sur le budget 2020 ne correspond pas aux attentes des Congolais. Les chefs des
confessions religieuses avaient plaidé, le 26 septembre 2019, pour un budget
de 10 milliards USD en 2020.
Entretemps, il y a des chiffres qui étonnent. Les dépenses de la Présidence
de la République accusent un dépassement de 255% au 31 août 2019.Pour la
même période, la Primature a également connu un dépassement budgétaire
de l’ordre de 78,81%, selon la Direction de la préparation et de suivi du Bud-
get. Par ailleurs, le Trésor public accuse un déficit de 237 millions USD au 6
septembre 2019.
Penser le futur, une opportunité à saisir
Durant le mois de septembre dernier et même auparavant, le projet Yan-
gambi Pôle Scientifique a organisé plusieurs ateliers à Kinshasa, à Kisangani et
à Yangambi, en vue de susciter des discussions sur les opportunités de recherche,
la capitalisation des données produites, et les possibilités de collaboration entre
diverses institutions scientifiques qui ont une présence à Yangambi. L’objectif
est que « la réserve de biosphère de Yangambi puisse réaliser son potentiel au
service de l’homme et des forêts ». Il s’agira de construire la première tour à flux
de carbone de la forêt qui servira à mesurer les tendances de capture et d’émission
de carbone de la forêt. Elle sera opérationnelle en 2020. L’initiative est financée
par l’Union Européenne ; elle a l’ambition de faire de la réserve de Biosphère de
Yangambi un pôle scientifique de haut niveau avec la coordination scientifique
institutionnelle belge, congolaise et internationale, la capitalisation et valorisa-
tion des connaissances et l’appui en formation des chercheurs congolais, inscrits
au sein d’un réseau international d’universités et d’institutions scientifiques.

Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 861


Noël OBOTELA

Kinshasa abritera très prochainement la quatrième édition de l’expo-bé-


ton dont le thème est : « 2050, Kinshasa mégalopole du Corridor-Ouest ». No-
tons qu’« aujourd’hui la ville de Kinshasa présente un déficit en logement de
plusieurs millions d’habitants ; cette situation sera pire en 2050 », selon Jean
Bamanisa Saidi, président de cette rencontre et président du comité d’organi-
sation. Plusieurs exposés seront présentés à cette occasion.

AFRIQUE
L’Afrique du Sud a défrayé la chronique, en ce mois de septembre 2019,
à la suite d’une vague d’actes xénophobes sur des sujets nigérians notamment.
Face à cette situation, le Consul du Nigéria à Johannesburg avait annoncé, le 9
septembre, que plus de 600 ressortissants nigérians avaient manifesté l’intérêt
de quitter l’Afrique du Sud. La RD Congo a condamné, le 8 septembre 2019,
les actes xénophobes contre les ressortissants congolais en Afrique du Sud.
Quelques réactions ont été enregistrées à Lubumbashi, le 5 septembre 2019,
où un magasin sud-africain, Mister Price, a été pillé. Les vitrines du Consulat
à Lubumbashi ont été attaquées à coup de pierres. À Kinshasa, les tentatives
des jeunes d’attaquer le supermarché sud-africain Shoprite ont été anéanties.
Par ailleurs, un tribunal sud-africain avait condamné, le 18 septembre
2019, un nigérian à 129 ans de prison pour traite d’êtres humains et pour viol !
Après deux semaines de violences, les Sud-africains ont organisé une
marche pacifique pour implorer le pardon des nigérians et des citoyens d’autres
pays africains.
Au Burkina Faso, l’accès à la Fonction Publique est sujet à un concours.
Pour 2019, on a dénombré 1.247.751 candidats pour 6.892 postes disponibles,
soit un poste pour 211 candidats. Ce concours avait débuté, le 19 septembre
2019, à Ouagadougou.
En Côte-d’Ivoire, l’ancien président Henri Konan Bédié a annoncé sa
candidature à la présidentielle de 2020.
Au Burundi, le pouvoir accuse les Évêques d’immixtion dans les affaires
de l’État. En effet, le 22 septembre 2019, le message de la Conférence des
évêques dénonçant les assassinats dans le pays a été lu.
Au Rwanda, le chef de la rébellion des FDLR a été tué dans la nuit, du
17 au 18 septembre 2019, par l’armée congolaise à l’Est de la RD Congo.
La Tunisie a perdu, le 19 septembre 2019, son ancien Président Ben Ali
en exil en Arabie Saoudite, à Djeddah. Il avait quitté le pays après les mani-
festations populaires qui avaient secoué le pays à la fin de 2010.
Le Zimbabwe a perdu, le 6 septembre 2019, son ancien Président
Mugabe (95 ans) à Singapour. Son successeur Emmerson Mnangagwa a révélé
qu’il souffrait d’un cancer à un stade avancé. Il a été enterré, le 8 septembre
2019, dans son village natal de Katuma.

862 Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année


Septembre 2019
1. S.E. Monsieur Joseph KABILA KABANGE, Président honoraire de la République
démocratique du Congo.
2. M. Néhémie MWILANYA WILONDJA, Professeur d’Université.
3. M. Jean-Pierre KAMBILA KANKWENDE.
4. M. Léonard KAMBERE MUHINDO.
5. M. Emmanuel ADRUPIAKO.
6. Honorable Léon KENGO wa DONDO, Président honoraire du Sénat.
7. Honorable Me Aubin MINAKU, Professeur d’Université / Président honoraire
du Parlement.
8. M. DASYO MOKFE, Député national honoraire / Sénateur.
9. Honorable MABAYA GIZI AMINE.
10. Honorable Jacques DJOLI ESENG’EKELI, Professeur d’Université / Député national.
11. Honorable BALIKWISHA NYONYO, Sénateur.
12. S.E.M. Emmanuel RAMAZANI SHADARY, Secrétaire Permanent du PPRD.
13. S.E.M. Augustin MATATA PONYO MAPON, Premier ministre honoraire.
14. S.E.M. Modeste BAHATI LUKWEBO, Ministre honoraire.
15. M. Jean-Louis ESAMBO KANGASHE, Professeur d’Université.
16. M. Félix VUNDUAWE TE PEMAKO, Président près le Conseil d’État.
17. M. Jérôme KITOKO KIMPELE, Président de la Cour de Cassation.
18. M. Flory KABANGE NUMBI, Procureur Général près la Cour de Cassation.
19. M. Anselme MADUDA MUANDA MADIELA, Premier Avocat Général
près la Cour de Cassation.
20. Bâtonnier Richard KAZADI KABIMBA, Avocat aux Barreaux de la Gombe
et de Matete, Kinshasa.
21. Bâtonnier Joseph DUNIA RUYENZI, Ordre des Avocats Barreau de Goma, Nord-Kivu
et Membre de l’ONGDH PDH Congo.
22. Me Benoît MUTAMBAYI KANYUKA KABALO, Avocat, Membre du Conseil
de l’Ordre et Trésorier de l’Ordre du Barreau de Kinshasa / Gombe et Chef des Travaux
à l’Université de Kinshasa.
23. Me Mutoy MUBIALA, Fonctionnaire à l’ONU, Genève, Suisse.
24. Me Camille KOS’ISAKA NKOMBE, Avocat.
25. M. Julien PALUKU-KAHONGYA, Député national.
26. S.E.M. Richard MUYEJ MANGEZE MANS.
27. Professeur Benjamin MUKULUNGU IGOBO.
28. Professeur Jean Claude KAMB TSHIJIK.
29. Professeur KALONJI NTALAJA, Fac. des Sc. Économiques, UNIKIN, Kinshasa.
30. Professeur Adnan HADDAD, Université de Lubumbashi.
31. Professeur Isidore NDAYWEL È NZIEM, Université de Kinshasa.
32. Professeur KANKU MUKENGESHAYI, Institut Supérieur des Statistiques,
Lubumbashi.
33. Professeur Alexis MBIKAYI MUNDEKE, Doyen de la Faculté des Sciences
de la communication à l’IFASIC, Kinshasa.
34. Professeur Onésime KUKATULA FALASH, Kinshasa.
35. Professeur Albert MULUMA-MUNANGA, G.T., Doyen de la faculté des Sciences
Sociales Administratives et Politiques à l’UNIKIN.
36. Professeur Jean-Pierre LOTOY ILANGO-BANGA, Université de Kinshasa / Directeur
du laboratoire d’Écologie politique à l’UNIKIN.
37. Professeur TSHIUNZA-MBIYE, Université de Kinshasa.
38. Professeur Augustin MBANGALA MAPAPA, Directeur Général de l’Institut Supérieur
de Commerce (ISC) / Kinshasa
39. Professeur Gilbert KISHIBA FITULA, Recteur de l’Université de Lubumbashi (UNILU).
40. Professeur Ferdinand MUHIGIRWA RUSEMBUKA, S.J., Recteur de l’Université
Loyola du Congo, Kinshasa.
Congo-Afrique n° 538 � OCTOBRE 2019 � 59e Année 863
41. Professeur Jean-Paul SEGIHOBE BIGIRA, Université de Kinshasa / Faculté de Droit,
Recteur de l’Université de Goma ; Avocat aux Barreaux de Kinshasa et de Goma.
42. Professeur KIZOBO OBWENG O’KWESS, Université de Lubumbashi.
43. Professeur Jean Marie LUNDA ILUNGA.
44. Professeur Faustin KHANG’ MATE AKIR’NI BITIANG, Directeur Général
de l’Institut Supérieur des Statistiques de Lubumbashi.
45. Professeur UPIO KAKURA WAPOL, Université de Kinshasa / Faculté de Droit.
46. Professeur Naupess K. KIBISWA, PhD, Université Catholique du Congo (UCC).
47. Professeur Dieudonné KALUBA.
48. Général Médard UNYON-PEWU, Retraité (Fermier).
49. M. Dieudonné FIKIRI ALIMASI WA ASANI, Sénateur.
50. M. Alphonse MUNONGA-MULUNDA MWAMBA, Ministre honoraire, Kinshasa.
51. Mgr Maurice PLEVOETS, Campus universitaire de Kinshasa.
52. M. Eugène KASILEMBO KYAKENGE, PDG de COMPODOR, Kinshasa.
53. M. Xavier NDUSHA, Directeur-Gérant de Quitus Consult Sarl (fiduciaire).
54. M. Joseph MUSHAGALUSA NTAYONDEZA’NDI, Procureur Général
près le Conseil d’État, Kinshasa.
55. M. Jean-Pierre AMURI TOBAKOMBEE DAITO, Expert-Évaluateur en Chef en
Diamant, Dignitaire d’État, Kinshasa.
56. M. Georges TSHIONZA MATA, Coordinateur Rég. du PREGESCO, Kinshasa.
57. Dr. David-Patience MASUKIDI LUKEBA-LUKAU, I.M.E. – Kimpese,
Kongo Central.
58. M. KAT KAMBOL, Chef de Travaux, Université de Lubumbashi.
59. M. Denis KALONDJI NGOY, Maire honoraire de la ville de Likasi.
60. M. Charles MUSIYIRO, Entreprise de Construction CASE sprl, Matadi.
61. M. Bob David NZOIMBENGENE, Expert Comptable – Commissaire aux comptes
agréé et Associé Deloitte Afrique.
62. M. Valentin-Claude RAMAZANI, Directeur à la Banque Centrale du Congo, Direc-
tion juridique.
63. M. Blaise KAMBETSHI MASHINY-A-NZADI, Architecte et Environnementaliste.
64. Centre ARRUPE pour la Recherche et la Formation, Lubumbashi.
65. M. Paul MABOLIA.
66. M. Alain KAYEMBE WA KAYEMBE, Chef de l’Agence TMB / Kananga.
67. Mme Princesse Dominique MUNONGO INAMIZI, Présidente du C.D.F., Katanga.
68. M. Paul TSHIBANDA, Administrateur, Directeur général des Grands Hôtels du
Congo/Pullman.
69. M. Bruno MITEYO NYENGE.
70. École Supérieure de la Gouvernance économique et politique, Lubumbashi/
RD Congo.
71. Institut Supérieur de Commerce, Lubumbashi.
72. Mgr Adolphe NSOLOTSHY SANGWA, Lubumbashi.
73. M. Baudouin LUFWABANTU.
74. Mr. Mayoyo BITUMBA TIPO-TIPO, MINUSCA Civil Affairs Coordinator,
Sector Center HQ, Kaga Bandoro.
75. M. Jean Sylvestre KABOLA, Fonctionnaire.
76. M. Jean Marc BANZA wa BANZA, Assistant à la Faculté de Droit/UNIKIS.
77. M. TUNDA YA KASENDE, Avocat et PCA chez S.E.P.-CONGO
78. M. KITABA GHOANYS, Professeur de Sociologie à l’Université de Lubumbashi.
79. GÉCAMINES (17 abonnements d’honneur).

Un grand merci aux abonnés d’honneur, car ils contribuent de manière spéciale
à la promotion de Congo-Afrique et donc de la culture.
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