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ECONOMIE-POLITIQUE-VIE SOCIALE-CULTURE

ECONOMIE-POLITIQUE-VIE SOCIALE-CULTURE

Comment rendre les démocraties africaines


fonctionnelles et utiles ?
La coopération pour le développement
au sein de l’ONU de 1960 à 2020
Évolution des politiques et dynamique des acteurs
La balkanisation de la RD Congo ou
l’intégration régionale ?
L’aliénation de facto de la partie orientale
de la RD Congo
Dualité fonctionnelle des gouverneurs des provinces
en RD Congo dans le contexte de régionalisme
constitutionnel
Atout ou goulot d’étranglement ?
Démocratie représentative
La souveraineté du peuple à l’épreuve de la transcendance
des députés nationaux en RD Congo
La démocratie comme mode de vie
Une question de pluralisme
Autorité morale ou holocauste de l’État-nation
Essai d’une herméneutique de la praxis politique
dans l’espace afrocongolais
Réforme judiciaire controversée de 2020
au Congo démocratique
Basic Needs Basket (BNB)
Mars 2021
Afrique-Actualités
Mars 2021

NUMÉRO 554Congo-Afrique
AVRIL 2021
n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 303
304 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année
Économie –­ Politique – Droit – Vie Sociale – Culture
Revue mensuelle du Centre d’Études pour l’Action Sociale (CEPAS)
fondée en 1961 par les Pères Jésuites sous le nom de « Documents pour l’Action »

R ÉD ACTIO N, A DMINIST R ATIO N ET S EC R ÉTAR I AT


Rédacteur en Chef Alain NZADI-A-NZADI, S.J.
Rédacteur en Chef adjoint Germain KAMBALE MAKWERA, S.J.
Assistant à la Rédaction Venant TEKILA KAPAMBA-ZAY
Secrétaire et Infographe Gina INDIANG BILONGO
Marketing et Diffusion Tricianna TSHISHIMBI NGALULA

CONSEIL DE RÉDACTION
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André YOKA LYE MUDABA Ghislain TSHIKENDWA, S.J.
Augustin MBANGALA MAPAPA Jean-Claude MASHINI D.M.
Bernard LUTUTALA MUMPASI Luka LUSALA LU NE NKUKA, S.J.
Bertin MAKOLO MUSWASWA Marie-Madeleine KALALA
Crispin MPULULU, S.J. Noël OBOTELA RASHIDI
Daniel MUKOKO SAMBA Paulin MANWELO, S.J.
Elie P. NGOMA-BINDA Rigobert MINANI BIHUZO, S.J.
Emmanuel BUEYA BU MAKAYA, S.J. Rufin MFITZSCHE MIKA
François KABUYA KALALA Yves ALONI MUKOKO

BUREAUX
Adresses :
9, Avenue Père Boka, Kinshasa/ Gombe, en face du Ministère des Affaires Étrangères
Boîte postale : B.P. 5717 Kinshasa/ Gombe (République démocratique du Congo)
Site Internet : www.cepas.online
E-mail : congoafrique2@gmail.com
Facebook : Congo-Afrique Caf
Téléphones : +243 (0) 82.28.93.992 (Secrétariat) | +243 (0) 82.29.15.688 (Marketing)
Dépôt Légal n° UJ 3.02101-57514 | ISSN 1819-1010
Imprimerie Médiaspaul/ Kinshasa
SOMMAIRE

Alain NZADI-A-NZADI, S.J.


Comment rendre les démocraties africaines
310
fonctionnelles et utiles ?
How to make African democracies functional
and useful ?
TSHIMPANGA MATALA KABANGU 314
La coopération pour le développement
au sein de l’ONU de 1960 à 2020 :
Évolution des politiques et dynamique des acteurs
Les frustrations dues à la misère et aux injustices sont parfois source
de rebellions armées et d’autres violences. La coopération pour le
développement reste l’une des stratégies pour asseoir durablement
la paix et la sécurité internationales, et garantir ainsi la marche
vers le bien-être de tous. De 1960 jusqu’à ces jours, l’ONU a mis en
marche une coopération pour le développement dont les politiques ont
beaucoup évolué ainsi que les acteurs impliqués.

Development Cooperation within the United Nations from


1960 to 2020 : Evolution of Policies and Dynamics of Actors
Frustrations of poverty and injustice are sometimes the source of
armed rebellions and other violence. Development cooperation
remains one of the strategies for establishing lasting international
peace and security, and thus guaranteeing progress towards the
well-being of all. From 1960 until these days, the UN has set in
motion a cooperation for development whose policies have evolved a
lot as well as the actors involved.

José MINAKU, S.J.


La balkanisation de la RD Congo ou l’intégration 332
régionale ? L’aliénation de facto de la partie orientale
de la RD Congo
La balkanisation de la RD Congo (dans sa dimension politique) a parfois
été considérée comme l’une des plus grandes menaces aux efforts de ce pays
de se constituer en nation viable. Cet article démontre, à partir d’un point
de vue socio-économique, que nous assistons déjà à une balkanisation de
facto de la RD Congo ; elle a pris le visage d’une intégration régionale.

The Balkanization of the DR Congo or Regional Integration ?


The de facto Alienation of the Eastern Part of the DR Congo
The balkanization of the DR Congo (in its political dimension) has
sometimes been seen as one of the greatest threats to the country’s
efforts to establish itself as a viable nation. This article demonstrates,
from a socio-economic point of view, that we are already witnessing
a de facto balkanization of the DR Congo ; it has taken on the face of
regional integration.

306 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Moise BOMANA MAVUNGU
Dualité fonctionnelle des gouverneurs des provinces en
RD Congo dans le contexte de régionalisme constitutionnel : 348
Atout ou goulot d’étranglement ?
La Constitution congolaise du 18 février 2006 institue deux échelons
d’exercice du pouvoir de l’État, à savoir : l’État central et les provinces.
Les provinces sont gérées par des gouverneurs investis d’une double
responsabilité. D’une part, ils sont les chefs des exécutifs provinciaux
et, d’autre part, ils jouent le rôle de représentants du gouvernement
central dans leurs provinces respectives. La présente réflexion entend
décortiquer l’incidence de cette dualité fonctionnelle des gouverneurs sur
le régionalisme constitutionnel.

Functional Duality of Provincial Governors in DR Congo in the


Context of Constitutional Regionalism : Asset or Bottleneck ?
The Congolese Constitution of February 18, 2006 establishes two levels
of exercise of state power, namely : the central state and the provinces.
The provinces are managed by governors with dual responsibilities.
On the one hand, they are the heads of the provincial executives and,
on the other hand, they play the role of representatives of the central
government in their respective provinces. This reflection intends to
dissect the impact of this functional duality of governors on constitutional
regionalism.

Dominique KIWELE KATATO


Démocratie représentative : La souveraineté du peuple à
l’épreuve de la transcendance des députés nationaux en 360
RD Congo
Cette réflexion s’intéresse à la Représentation nationale en RD Congo
durant les deux premières législatures de la troisième République.
L’hypothèse qui sous-tend cette analyse est que la démocratie
représentative, plutôt que d’être une aubaine pour le peuple congolais,
serait, par contre, la perpétuation de la paupérisation et de la
déresponsabilisation du peuple.

Representative Democracy : the Sovereignty of the


People put to a Test by the Transcendence of Members of
Parliament in the DR Congo
This reflection is concerned with the National Representation in the
DR Congo during the first two legislatures of the Third Republic.
The hypothesis underlying this analysis is that representative
democracy, rather than being a boon for the Congolese people, would,
on the other hand, be the perpetuation of the impoverishment and
disempowerment of the people.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 307


Willy MOKA-MUBELO, S.J.
La démocratie comme mode de vie : 373
Une question de pluralisme
La démocratie, comme régime politique idéal pour le progrès des
peuples, ne peut conduire à une véritable stabilité politique et à un vrai
développement humain et social que lorsqu’elle est comprise comme un
mode de vie et une vertu éthique, car la vertu est ce qui rend l’homme plus
humain et l’ouvre à la moralité.

Democracy as a Way of Life : A Question of Pluralism


Democracy, as an ideal political regime for the progress of peoples,
can only lead to real political stability and real human and social
development when it is understood as a way of life and an ethical
virtue, for virtue is what makes a person more human and opens him
to morality.

Christian MUKADI ILUNGA, S.J.


Autorité morale ou holocauste de l’État-nation : 382
Essai d’une herméneutique de la praxis politique
dans l’espace afrocongolais
« Autorité morale » est une notion usitée avec banalité, mais dont la charge
sémantique cristallise la manière dont se conçoit, se construit et s’articule
l’organisation sociopolitique dans l’espace afrocongolais. « Autorité
morale » est un processus d’incarnation incestueuse de la trilogie pouvoir
– autorité – légitimité dans un individu ou un groupe d’individus. Cette
réflexion invite à désincarner l’Autorité (morale) pour la replacer dans un
cadre formel contraignant pour tous : « autorité institutionnelle ».

Moral Authority or Holocaust of the Nation-State :


Essay on a Hermeneutics of Political Praxis in the Afro-
Congolese Space
"Moral authority" is a notion commonly used, but its semantic load
crystallizes the way in which the socio-political organization is
conceived, constructed and articulated in the Afro-Congolese space.
"Moral authority" is a process of incestuous embodiment of the power
– authority – legitimacy trilogy in an individual or a group of individuals.
This reflection invites us to disembody (moral) Authority in order to
place it in a formal framework binding for all : "institutional authority".

308 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Jean-Claude PANDATIMU BIG WA GANGA
Réforme judiciaire controversée de 2020 400
au Congo démocratique
La réforme judiciaire de 2020 au Congo démocratique énerve l’ordre
politique approuvé par le peuple congolais lors du référendum de 2005
en ce qu’elle empiète les prérogatives constitutionnelles du Président de la
République et du Conseil Supérieur de la Magistrature. Cet article tente
de le démontrer.

Controversial 2020 Judicial Reform in the Democratic


Republic of the Congo
The 2020 judicial reform in the DR Congo in that it encroaches on the
constitutional prerogatives of the President of the Republic and the
Superior Council of the Magistracy. This paper tries to demonstrate it.

Note de lecture
Hippolyte MIMBU KILOL
GODDEERIS Idesbald, LAURO Amandine & VAN- 414
THEMSCHE Guy (dir.), Le Congo colonial. Une histoire en ques-
tions, Waterloo, Renaissance du Livre, 2020, 15x 2,5 x 23 cm,
464 p. Prix : 30 €. ISBN : 978-2-507-05689-6.

Secteur Appuis au développement du CEPAS


CEPAS - Basic Needs Basket (Kinshasa) : Mars 2021 421

Noël OBOTELA RASHIDI


Afrique-Actualités : Mars 2021 425

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 309


Éditorial

COMMENT RENDRE LES DÉMOCRATIES AFRICAINES


FONCTIONNELLES ET UTILES ?
Un avenir plus positif pour les pays africains dépend de leur
capacité à faire fonctionner la démocratie. Le renforcement
des démocraties africaines améliorera les perspectives de
développement du continent. L’alternative d’un régime autoritaire

G
n’aboutira pas à un développement à long terme.1

Alain NZADI- reg Mills, Olusegun Obasanjo, Jeffrey


A-NZADI, S.J., Herbst et Tendai Biti ont publié, en
Chercheur en
2019, une étude intéressante sur l’état
littératures
francophones. de la démocratie en Afrique. Son titre
Directeur du CEPAS est évocateur et provocateur à la fois : « Democracy
et Rédacteur en Chef Works ». Ils y montrent comment la démocratie
de Congo-Afrique. – à leurs yeux la meilleure forme de gouvernance
nzadialain@ adaptée au contexte africain pour une stabilité
gmail.com
durable –, lorsqu’elle est pilotée par des acteurs
politiques et civils animés d’une volonté manifeste
de changement, fonctionne. S’appuyant sur des
études de cas de transition démocratique en Afrique
et au-delà, ils proposent un « manuel de démocratie »
capable de faire face aux menaces qui pèsent sur la
tenue d’élections libres et régulières. La démocratie
dépend du bon fonctionnement des institutions, de
l’état de droit et du respect des droits consacrés,
notamment la liberté de la presse et le contrôle de
l’exécutif. Ainsi, « Democracy Works » s’adresse aux
dirigeants et aux citoyens qui souhaitent préserver,
renforcer et approfondir leurs structures et pratiques
démocratiques.
Les intuitions de ces auteurs soulèvent une
question fondamentale que l’on doit se poser au sujet
de nos (jeunes) démocraties africaines en général,
et de celle de la RD Congo en particulier : comment
rendre notre démocratie fonctionnelle ? Mieux,
1 Greg MILLS, Olusegun Obasanjo, Jeffrey Herbst, Tendai Biti, Democra-
cy Works. Rewiring Politics to Africa’s Advantage, Johannesburg, Picador
Africa, 2019, p. 3. Traduction libre de : « A more positive future for
African countries depends on their ability to make democracy work.
Strengthening Africa’s democracies will improve the continent’s
development prospects. The alternative of authoritarian rule will not
achieve long-term development.”

310 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Comment rendre les démocraties africaines fonctionnelles et utiles ?

comment débarrasser notre pratique de la démocratie de ses apparats


purement cosmétiques (organisation régulière des scrutins, dont les acteurs
au pouvoir manipulent à volonté les règles du jeu en leur faveur) pour la
faire fonctionner et la rendre utile dans le sens de la transformation des
conditions de vie des citoyens ?
En effet, concevoir la démocratie comme une simple succession de
scrutins « démocratiques » est réducteur, surtout dans un contexte africain
où la régularité des scrutins ne rime pas toujours avec la transparence des
opérations électorales. Il est donc impérieux que les Africains inventent le
moyen de rendre la démocratie utile à la vie sociale des citoyens. Il s’agit
de réfléchir sur la manière dont la démocratie peut aider à transformer nos
infrastructures, améliorer notre système de santé, humaniser les conditions
de travail des employés, faire taire les crépitements des balles, résorber la
faim et la malnutrition… ; bref, comment elle peut contribuer à transformer
le quotidien des citoyens. Fabien Eboussi Boulaga a des mots justes à ce
propos : « Beaucoup de gens n’aspirent qu’à l’amélioration de leur quotidien.
À nous de creuser ce que cela veut dire. […] Nous ne sortirons jamais de
manger, boire… de nos petites choses, disait Marx. […] Tant qu’il n’y a pas
de quotidien humanisé, nous n’avons rien fait. »2
Mais, à quelles conditions peut-on rendre la démocratie fonctionnelle
et utile en RD Congo et en Afrique ? C’est à cette question que tentent
de répondre la plupart des contributions de cette livraison de Congo-
Afrique. Quatre pistes de solutions peuvent être dégagées des réflexions
ici proposées :

(1) Se départir de l’emprise des « autorités morales » omniscientes et


omnipotentes au profit des institutions fortes et stables
Observateur attentif de la scène sociopolitique de la RD Congo et de
certaines autres « démocraties africaines », Christian Mukadi propose
une réflexion révélatrice du malaise qu’offre la praxis politique dans ce
qu’il appelle « l’espace afrocongolais » : « autorité morale ou holocauste de
l’État-nation ». Il invite, en quelque sorte, à descendre « l’autorité morale »
de son piédestal pour donner la chance à l’émergence d’un cadre formel et
contraignant pour tous : l’autorité institutionnelle. Celle-ci a plus de chance
de survivre à ses animateurs pour pérenniser les actions transformatrices
qui pourraient résulter des politiques publiques mises en place. Peut-être
faudrait-il que les acteurs politiques et civils adoptent la « démocratie
comme un mode de vie et une vertu éthique », comme le souligne Willy
Moka. En effet, pour que la démocratie recouvre son rôle originel et réponde
aux attentes de ceux qui voient en elle le régime politique idéal pour le
développement et le bien-être des peuples, il faut solidifier les institutions
2 Fabien EBOUSSI BOULAGA, « La quotidienneté, étalon de nos luttes », in Congo-Afrique (avril
2016), n° 504, p. 261.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 311


Alain NZADI-A-NZADI, S.J.

de l’État et sortir de la personnification du pouvoir politique. Avoir des


institutions opposables à tous sans exception et de manière quasi pérenne
est certainement un gage de stabilité durable et de culture de redevabilité
mature. N’est-ce pas là une manière de s’affranchir de la dictature des
« hommes forts » et des « autorités morales » dont la succession est souvent
source de conflits sanglants et interminables en Afrique ?

(2) Briser la « malédiction » des ressources naturelles


Rendre la démocratie africaine fonctionnelle et utile, c’est aussi savoir
tirer profit des potentialités dont la nature a doté le pays. C’est ainsi que José
Minaku tire la sonnette d’alarme sur une question qui fait généralement
couler beaucoup d’encre en RD Congo : la balkanisation (politique) du pays.
Il souligne que l’Est de la RD Congo subit une « balkanisation économique
de fait » qui a pris le visage d’une intégration régionale avec les pays de la
communauté d’Afrique de l’Est. Si le pouvoir de Kinshasa veut inverser la
tendance, il lui faut se saisir de l’opportunité des ressources naturelles du
pays pour développer des projets intégrateurs à l’intérieur du pays. Une
meilleure gestion de l’énorme potentiel minier et agro-forestier permettrait
au pays d’établir une coopération régionale digne de son rang, sans se livrer
en pâture aux appétits voraces des voisins. Plutôt que de constituer une
« malédiction » en raison des conflits qu’elles engendrent, les ressources
naturelles devraient représenter une opportunité de développement. Encore
faut-il que les autorités politiques décident de prendre le taureau par les
cornes pour inverser la tendance !

(3) Fluidifier les relations entre les entités territoriales décentralisées


(ETD) et le pouvoir central
La Constitution de la RD Congo3 a instauré un mode de gouvernance qui
accorde un rôle non négligeable aux provinces dont l’action doit concourir au
développement du pays. Dans ce sens, si le pays veut accéder plus rapidement
au développent, il est important que les relations entre les gouvernements
provinciaux et le gouvernement central soient fluides. À cet égard, Moïse
Bomana analyse la dualité fonctionnelle des gouverneurs des provinces
en RD Congo dans le contexte de régionalisme constitutionnel. Il épingle
les écueils qui gangrènent parfois la relation gouvernement provincial-
gouvernement central et propose des voies de sortie. De son côté, Dominique
Kiwele s’interroge sur la démocratie représentative et montre comment la
souveraineté du peuple est soumise à l’épreuve de la « transcendance » des
députés nationaux. Fluidifier les relations entre les ETD et le gouvernement
central, à travers une volonté politique claire de changement, nous paraît
une condition sine qua non pour que les ETD et le gouvernement central
soient animés d’une volonté commune de développer le pays.
3 Articles 202-204.

312 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Comment rendre les démocraties africaines fonctionnelles et utiles ?

(4) Subordonner les ambitions politiciennes et partisanes au souci du


développement du pays.
Jean-Claude Pandatimu revient sur une proposition de réforme judiciaire
controversée soumise au parlement en 20204. Beaucoup d’observateurs de la
scène politique congolaise y ont vu des manœuvres politiciennes au service
d’un groupe restreint à protéger. Au-delà des débats que cette proposition
de loi a suscités, une question fondamentale mérite d’être posée : quelle
devrait être l’intention qui anime toute proposition de loi ? N’est-ce pas la
poursuite du bien-être du peuple ? C’est à cette condition seulement qu’il
sera possible de voter des lois qui peuvent survivre à leurs initiateurs et
qui seront capables d’humaniser le quotidien des citoyens.
Toutes ces réflexions interrogent la pratique de la démocratie en
RD Congo et les conséquences logiques qui en découlent, en rapport avec
l’amélioration du vécu quotidien des citoyens et avec le développement du
pays.
Ailleurs, la démocratie fonctionne, malgré quelques écueils inévitables.
Il est tout aussi possible de la voir fonctionner utilement au service des
peuples africains, à la seule condition que les personnes investies d’un
mandat public, à quelque échelon de la société que ce soit, s’investissent
pour l’intérêt commun.

4 Il s’agit de trois propositions des lois organiques touchant le pouvoir judiciaire. L’article de
Pandatimu publié dans cette livraison en analyse les contours.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 313


Économie et Développement

LA COOPÉRATION POUR LE DÉVELOPPEMENT


AU SEIN DE L’ONU DE 1960 À 2020
ÉVOLUTION DES POLITIQUES ET DYNAMIQUE DES ACTEURS

I. Les fondements de la coopération pour


le développement

À
TSHIMPANGA MATALA la lecture de l’article 1, paragraphe 1
KABANGU, de sa Charte, l’ONU s’assigne comme
Professeur
des Relations
mission, celle de « maintenir la paix
Internationales, et la sécurité internationales » 1 .
Université de Le désastre provoqué par la deuxième Guerre
Lubumbashi mondiale avait conduit à cette prise de conscience.
(UNILU). Pour mieux accomplir cette mission, plusieurs
matalakabangu@
stratégies furent mises à contribution, notamment le
yahoo.es
développement des relations amicales entre les nations
et la promotion de « la coopération internationale
pour résoudre les problèmes internationaux d’ordre
économique, social, intellectuel ou humanitaire… »2.
Il résulte de ce constat que l’une des voies pour asseoir
la paix dans le monde repose dans la solution de ces
problèmes à travers la coopération entre les nations.
Et une fois ces problèmes résolus, l’embellie ainsi
créée peut contribuer à la croissance de l’économie
mondiale, à l’amélioration des conditions de vie et
au développement des peuples. Un tel climat est une
garantie de paix et de sécurité. C’est dans ce sens que
dans sa lettre encyclique sur le développement des
peuples « Populorun Progressio », le Pape Paul VI disait
que « le développement est le nouveau nom de la paix »3.
Face à cette évidence, des efforts furent
déployés pour promouvoir la coopération pour le
développement, non seulement comme un instrument
de redistribution et de partage des richesses entre les
différentes nations, mais aussi comme un catalyseur
qui conduit à la paix et la sécurité entre les nations.
1 J-P. COT et A. PELLET, La Charte des Nations Unies, Economica, Paris,
1991, p. 23.
2 Idem.
3 D. COLARD, Les relations internationales de 1945 à nos jours, Masson,
Paris, 1991, p. 243.

314 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


La coopération pour le développement au sein de l’ONU de 1960 à 2020

Ainsi, la coopération pour le développement s’entend comme un ensemble


d’actions que réalisent des acteurs publics ou privés, qui s’engagent à lutter
ensemble contre les déséquilibres socioéconomiques et les carences d’ordre
infrastructurel dont souffrent certains États avec l’objectif de pallier à ces
déficits et de promouvoir leur développement, garantissant, par ce fait, la
paix et la stabilité mondiale.
Toutefois, au-delà de ces arguments liés au développement des nations
et à la paix pour justifier la coopération, il existerait d’autres motivations
sous-jacentes. En effet, certains pays développés coopèrent avec des pays
en voie de développement et leur fournissent de l’aide financière en vue
de les garder sous leur influence pour des motifs commerciaux, culturels
ou stratégiques. Cette considération vient justifier l’argument selon lequel
l’aide au développement est parfois un instrument de politique extérieure.
Par ailleurs, toute coopération entre États n’a pas toujours comme
finalité « le développement » dans le sens strict de ce concept. La coopération
entre les États-Unis et la Grande Bretagne dans le cadre de recherche sur
la pandémie de Covid-19 s’inscrirait dans un but d’échange d’expériences
ou de renforcement des capacités. Il s’agit simplement d’une coopération
internationale sans la finalité de développement. Ainsi, un distinguo doit
être fait entre la coopération internationale et la coopération internationale
pour le développement.

II. Les décennies de développement de l’ONU


Il convient de souligner qu’à sa création le 26 juin 1945, lors de la
signature de sa Charte à la Conférence de San Francisco, l’ONU ne comptait
que 50 États membres. D’autres États devenus membres après des années,
n’étaient encore que des colonies en 1945, allusion faite à la plupart des
États africains qui ont accédé à leur souveraineté internationale dans la
décennie des années 60. En adhérant à cette organisation mondiale, ces
États y faisaient constater leur situation de sous-développement. Plaidant
dans sa Charte pour un nouveau monde bâti sur des bases de justice,
d’égalité et de prospérité, l’ONU ne pouvait œuvrer qu’en promouvant
la coopération en vue d’enrayer cette situation de sous-développement à
travers le monde. Sont légion des résolutions adoptées au sein de l’Assemblée
Générale de cette organisation depuis la décennie 60, lesquelles ont orienté
ses différentes actions et ses stratégies en matière de coopération pour le
développement jusqu’à ces jours4.
De 1960 à 2020, six décennies se sont écoulées et ont changé
progressivement le visage de cette coopération. À côté des acteurs publics,
se sont greffés, au fil du temps, des acteurs privés créant un cadre où
4 M. LELOUPE et A. FAUVE, « Les temps du développement à l’Assemblée », in G. DEVIN,
F. PETITEVILLE et S. TORDJMAN, L’Assemblée Générale des Nations Unies. Là où le monde se
parle depuis 75 ans, Presses des Sciences Po, Paris, 2020, pp. 161-180.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 315


TSHIMPANGA MATALA

tous tendent à tisser des relations de collaboration et à s’accorder sur les


politiques qui ont considérablement évolué en rapport avec de nouveaux
enjeux. Cette collaboration entre acteurs publics et privés marque l’une
des tendances actuelles de cette coopération qui a évolué confirmant de
plus en plus l’idée de gouvernance globale à cette ère de la mondialisation5.
Les instruments classiques de la coopération pour le développement
ont toujours été l’aide financière, le commerce international, avec la mise
en œuvre de certaines facilités telles que les préférences commerciales,
les contingentements. S’ajoutent aussi le transfert de technologie et l’aide
humanitaire.
Cependant, le millénaire 2000 amenait la communauté internationale
à une revisitation des politiques dans ce secteur de la coopération pour le
développement. L’ampleur de nouveaux défis et la complexité des actions
à mener exigeaient cette revisitation. L’implication de nouveaux acteurs,
essentiellement du secteur privé, ainsi que le renforcement de leurs rôles
devenaient nécessaires.

1. 1960-1970 : L’ONU et la première décennie de développement :


La promotion du commerce international
La Résolution 1707 (XVI) du 19 décembre 1961 de l’Assemblée Générale
de l’ONU portait un titre révélateur : « Le commerce international, principal
instrument de développement économique ». Cette Résolution qui mettait
en exergue la relation entre le commerce et le développement servit de
fondement à l’action de l’ONU durant la décennie. L’ONU s’inspirait de la
théorie des avantages comparatifs de David Ricardo, ce grand économiste
britannique du 19e siècle qui, déjà à cette période, invitait les États à se
spécialiser et à concentrer leurs efforts dans la production des biens où les
coûts sont les plus bas par rapport à d’autres biens6.
Disposant des matières premières en abondance, dont les pays développés
sont, au contraire, déficitaires, les pays en voie de développement ont tout
intérêt à exploiter cet avantage, à travers le commerce international,
pour encaisser des devises nécessaires au financement de leurs projets de
développement.
De ce fait, par sa Résolution 1710 (XVI) adoptée par l’Assemblée
Générale en 1961, l’ONU proclamait la décennie 1960-1970, première
décennie des Nations Unies pour le développement. La stratégie de
l’organisation mondiale durant cette période consistait à promouvoir les
échanges commerciaux entre les nations. Le commerce international devait
5 J. A. ALONSO et J. A OCAMPO, (eds), Global Governance and Rules in the Post 2015 Era, New
York, Bloomsbury Academy, 2015. Aussi J. ROSENAU, “Change, Complexity and Governance in a
Globalizing Space”, in J. PIERRE (ed.), Debating Governance : Authority, Steering and Democracy,
Oxford University Press, Oxford, 2000, p. 175.
6 D. RICARDO, The principles of Political Economy and Taxation, Dover Publications, United Kingdom,
2004. (Publié pour la 1ère fois en 1817).

316 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


La coopération pour le développement au sein de l’ONU de 1960 à 2020

être considéré comme le moteur de développement surtout pour les pays


en voie de développement. Soucieux de relancer leurs économies en vue
de réduire leur retard et de promouvoir le bien-être de leurs populations
respectives, ces pays devaient exploiter l’avantage comparatif qu’ils ont
quant aux matières premières, et insérer celles-ci dans le commerce
international en vue de se procurer les devises nécessaires pour financer
leur développement.
Mais, cette décennie 1960 qui avait suscité beaucoup d’espoir et
d’enthousiasme dans nombre de pays en voie de développement, se terminait
sur une note d’échec. Si durant les cinq premières années de la décennie,
les échanges commerciaux avaient favorisé la croissance économique dans
beaucoup de pays ; au cours de la seconde moitié, ces échanges perdaient
l’élan à cause de la détérioration des termes de l’échange de la plupart
des matières premières. Deux causes étaient signalées : d’une part, la
dépréciation de la monnaie américaine, – le dollar –, principale monnaie
des transactions internationales ; et d’autre part, la chute des prix de la
plupart de ces matières premières sur les marchés internationaux.
La dépréciation du dollar faisait suite au financement massif de la guerre
du Vietnam décidé par le gouvernement américain. En 1967, les États-Unis
avaient imprimé beaucoup de dollars pour supporter les charges de cette
guerre. La valeur mise en circulation ne représentait pas la contrepartie des
dépôts en or du Trésor américain, suivant les principes sur base desquels
fonctionnait le système monétaire international de l’époque, – le Gold
Exchange Standard –, lequel veillait aux parités stables et ajustables7.
La perte de confiance dans la monnaie américaine avait entamé sa
solidité jusqu’à déclencher la dépréciation progressive de sa valeur face
aux autres grandes devises internationales de l’époque, notamment la
livre sterling, le mark allemand, le franc français, le yen japonais, etc.
La décennie se terminait ainsi sur cette note de crise.

2. 1970-1980 : L’ONU et la deuxième décennie de développement :


La promotion de l’aide financière
La deuxième décennie de développement des Nations Unies (1970-
1980) marquait un changement de stratégie. Les objectifs assignés à la
décennie et les actions à mener étaient bien définis dans la Résolution
2626 (XXV) adoptée le 24 octobre 1970 par l’Assemblée Générale8. Si le
commerce international était dans la première décennie l’activité motrice
devant soutenir la plupart des actions en faveur du développement ; la
deuxième décennie s’engageait à promouvoir l’aide financière, entendue
7 J. MARCHAL et J. LECAILLON, Le système monétaire international, Cujas, Paris, 1984 (8ème éd),
pp. 59-86. M. LELART, Le système monétaire international, La Découverte, Paris, 1993, pp. 46-66.
8 S. EL-NAGGAR, “The International Strategy for the Second United Nations Development Decade”,
in Annales d’Études Internationales, Genève, 1971, pp. 125-146.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 317


TSHIMPANGA MATALA

comme tout apport financier d’origine publique transféré sous des conditions
concessionnelles ou avantageuses avec comme finalité l’appui aux projets
de développement9. Cette aide financière devenait un ingrédient nécessaire
de la coopération. Pour garantir sa continuité et la rendre régulière, la
Résolution 2626 (XXV) fixait à 0,7% de leurs PNB respectifs le niveau de
contribution des pays développés à l’aide publique au développement.
Cependant, les deux crises internationales qui ont marqué cette
deuxième décennie, – d’une part, la crise monétaire avec la dévaluation de
la monnaie américaine et la suspension en août 1971 de sa convertibilité
en or ; et d’autre part, la crise du pétrole en 1973 avec une augmentation
vertigineuse des prix du pétrole, décidée unilatéralement par les pays
producteurs et exportateurs de ce produit, concrètement les pays membres
de l’OPEP, – changeaient la donne affectant sensiblement la stratégie de
la coopération pour le développement, concertée au sein de l’ONU pour la
décennie.
Face à cette situation, les pays en voie de développement revendiquaient
en 1974 l’instauration d’un nouvel ordre économique international (NOEI).
Ils exigeaient la reforme du cadre juridique et institutionnel qui régissait
les relations internationales, et qu’ils considéraient comme injuste et
fonctionnant en leur défaveur. Il fallait promouvoir une autre politique
tendant à favoriser la participation effective de ces pays dans les processus
de prise de décisions au sein des institutions financières internationales,
l’adoption d’un nouveau mécanisme qui puisse garantir des prix justes,
stables et rémunérateurs de leurs matières premières, une autonomie
de gestion et de contrôle sur leurs matières premières, le transfert de
technologie ainsi que l’adoption d’un code de bonne conduite pour les
entreprises multinationales.
Il convient de souligner que les deux crises monétaire et énergétique
rendaient encore plus complexe le problème de la dette extérieure des
pays en voie de développement. L’inflation conséquente à ces deux crises
conduisit au déséquilibre des balances de paiement de la plupart de ces
pays qui se virent obligés de recourir aux prêts extérieurs pour rééquilibrer
ces balances. Ce paysage ne permit pas de considérer positif le bilan de la
décennie. Tous les efforts déployés durant cette période ont été anéantis
par ces deux crises.

9 J. A. ALONSO, P. AGUIRRE et G. SANTANDER, El nuevo rostro de la cooperación internacional para


el desarrollo. Actores y modalidades emergentes, Instituto Universitario de Desarrollo y Cooperación,
Catarata, Madrid, 2019, p. 37.

318 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


La coopération pour le développement au sein de l’ONU de 1960 à 2020

3. 1980-1990 : L’ONU et la troisième décennie de développement :


Les politiques d’ajustement structurel et les questions environnementales
La stratégie de l’ONU pour la troisième décennie de développement
fut adoptée à travers la Résolution 35/56 de l’Assemblée Générale. L’ONU
mettait en œuvre différentes initiatives qui prétendaient promouvoir
une coopération pour le développement basée sur la justice et l’égalité.
Il s’agissait de construire in fine un partenariat aux bénéfices mutuels
partagés par toutes les nations y participant.
Malgré d’intenses efforts déployés durant la décennie pour réaliser cet
objectif, il n’y a pas eu d’embellie. Au contraire, la situation s’était encore
aggravée de telle manière que la catégorie des pays les moins avancés était
passée de 24 à 49 pays. Les pays en voie de développement avaient continué
à cumuler d’importants arriérés non payés de leurs dettes respectives. Face
à ces déséquilibres, le FMI décidait en 1986 la mise sur pied des politiques
d’ajustement structurel et une aide concessionnelle avec un type d’intérêt
bas fixé à 0,5% pour un remboursement dans 10 ans. Le FMI lançait aussi
le mécanisme de financement compensatoire ayant comme objectif de lutter
contre la chute des prix des matières premières exportées.
Toutefois, les pays candidats à ces facilités devaient s’engager à
appliquer les politiques d’ajustement structurel du FMI. En outre, certains
plans furent conçus en vue de résoudre toujours ce problème de la dette
extérieure : Le Plan Baker en 1986 et le Plan Brady en 198910.
Cependant, ces deux Plans ne menèrent pas à des résultats escomptés.
Si le Plan Baker, face à la méfiance de plus en plus croissante qu’affichaient
les bailleurs des fonds, plaidait pour l’augmentation des crédits bancaires
supplémentaires en faveur des pays en voie de développement nécessiteux
de ces fonds pour alléger le poids de leur dette extérieure et rééquilibrer
leurs balances de paiement ; le Plan Brady, par contre, proposait que la
dette extérieure de ces pays soit convertie en actifs financiers au profit des
créanciers qui devenaient ainsi actionnaires dans les entreprises publiques
de ces pays. Malgré toutes ces propositions pour une sortie de crise, les
allègements voulus ne furent pas atteints, et le poids de la dette continuait
à asphyxier les économies des pays en voie de développement.
D’autre part, les questions liées à l’environnement resurgissaient durant
cette décennie. Toutefois, déjà en 1972, l’ONU convoquait la première
Conférence des Nations Unies sur l’Environnement qui avait abouti à la
création du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE)
chargé du traitement de toutes les questions liées à l’environnement
(Pollution des mers, chasse interdite aux baleines, etc.).

10 Du nom du Secrétaire au Trésor américain de l’époque, James Baker et de son successeur Nicholas
Brady.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 319


TSHIMPANGA MATALA

Dans la décennie 80, précisément en 1987, l’organisation mettait en


place la Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement
(Commission Brundtland), laquelle, à travers son rapport « Notre Avenir
Commun », fit ressortir mieux la notion de « développement durable »
mettant en relief cet important critère en rapport avec l’équité et la solidarité
intergénérationnelle. Le développement durable est donc celui qu’une
génération arrive à atteindre en réalisant son bien-être sans hypothéquer
les capacités et les possibilités de développement des générations futures.

4. 1990-2000 : L’ONU et la quatrième décennie de développement :


Les questions environnementales et l’initiative PPTE
La quatrième décennie de développement de l’ONU fut décidée le 21
décembre 1990 à travers la Résolution 45/199 de l’Assemblée Générale.
L’ONU mit cette fois-ci l’accent sur des questions relatives aux besoins de
base des peuples ainsi que sur celles liées à l’environnement. Ainsi, elle
convoquait en 1992 à Rio de Janeiro la Conférence sur l’Environnement
et le Développement appelée aussi « Sommet de la Terre ». Durant cette
rencontre, le développement durable devenait l’unité de mesure à laquelle
toutes les stratégies pour la croissance, le développement économique et
social devaient se référer. Ceci explique la signature en 1997 du Protocole
de Kyoto qui exigeait la réduction des émissions des gaz à effet de serre à
au moins 5% de 2008 à 2012 par rapport aux émissions de 1990 et la tenue
en décembre 2015 du Sommet mondial sur le climat à Paris (COP21), où
184 pays signaient l’Accord sur le changement climatique (Accord de Paris),
avec l’objectif de stabiliser la température moyenne mondiale à un niveau
qui ne doit pas dépasser de 2 degrés la température qui existait avant la
révolution industrielle.
Entretemps, la charge de la dette extérieure était devenue insupportable
et s’était érigée en obstacle de taille face aux planifications des politiques
de développement des pays créditeurs. Ainsi, fut conçue « l’Initiative en
faveur des Pays Pauvres Très Endettés » (PPTE), lancée en 1996 par le
Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale.
L’initiative s’applique aux pays pauvres qui ont atteint un niveau
d’endettement devenu “insoutenable”, c’est-à-dire, affectant une proportion
très élevée de leur PNB et de leurs exportations respectifs. Le cas échéant,
ces pays s’engageraient à appliquer durant 6 ans consécutifs les conditions
imposées par le FMI et la Banque Mondiale, notamment, le contrôle de
l’inflation et le maintien de la stabilité macroéconomique dans le pays ;
le bon usage des ressources provenant des allègements antérieurs de la
dette ; l’amélioration dans la gestion des finances publiques et de la dette ;
l’amélioration dans le fonctionnement des services sociaux prestés à la
population (Accès aux soins de santé, fourniture de l’eau potable et de
l’énergie), etc.

320 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


La coopération pour le développement au sein de l’ONU de 1960 à 2020

L’initiative PPTE prétend réduire la dette extérieure des Pays Pauvres


Très Endettés à un “niveau soutenable” qui n’empêche, ni bloque la
croissance économique, ni le progrès social de ces pays. Ceci suppose
l’annulation de la dette jusqu’à 80% de sa valeur nominale.
Si les initiatives prises antérieurement dans le traitement de la dette
consistaient dans des opérations de rééchelonnement et de reprogrammation
qui, malgré tout, ne résolvaient pas le problème, mais ne faisaient que
retarder sa solution ; l’initiative PPTE, au contraire, est un « mécanisme
de sortie » de cette spirale d’endettement, une stratégie globale, intégrée et
concertée, associant et mettant ensemble tant les créanciers multilatéraux
que les créanciers bilatéraux officiels et privés.

5. 2000-2010 : La Déclaration du millénaire et l’éradication


de la pauvreté
Dans un contexte international marqué par la mondialisation de
l’économie, la conception d’une stratégie nouvelle de coopération pour le
développement au sein de l’ONU s’imposait. La “Déclaration du Millénaire”
adoptée par l’Assemblée Générale à travers la Résolution 55/2 du 08
septembre 2000 marquait le pas.
Dans sa Section III intitulé « Développement et éradication de
la pauvreté », la Déclaration fixait 8 objectifs du Millénaire pour le
Développement (OMD) et des délais pour leur réalisation. La finalité était
que les bénéfices du processus de mondialisation soient à la portée de tous
les pays du monde sans discrimination, principalement les pays en voie de
développement, et qu’ils contribuent à l’éradication de la pauvreté dans le
monde dans quinze ans, c’est-à-dire, au plus tard en 2015.
Ces 8 objectifs du Millénaire pour le Développement qui furent adoptés
à New York par 193 États membres de l’ONU, consistaient donc à :
1) Éradiquer la pauvreté et la faim dans le monde entier ; 2) Garantir à tous
l’éducation primaire ; 3) Promouvoir l’égalité du genre et l’autonomisation
de la femme ; 4) Réduire la mortalité infantile ; 5) Améliorer la santé
maternelle ; 6) Lutter contre le VIH/Sida, le paludisme et autres maladies ;
7) Garantir un environnement durable ; et 8) Construire un partenariat
mondial pour le développement.
Au terme de la décennie 2000-2010, cinq ans avant l’échéance prévue
pour l’accomplissement de ces objectifs du Millénaire et l’éradication de
la pauvreté, la décennie 2010-2020 a revisité ces objectifs pour mettre
finalement l’accent sur les questions environnementales.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 321


TSHIMPANGA MATALA

6. La décennie 2010-2020 : Des objectifs du Millénaire pour le


Développement (OMD) aux Objectifs de Développement Durable (ODD)
Au-delà des objectifs du Millénaire pour le développement adoptés en
2000, et dont l’une des missions était d’éradiquer au plus tard en 2015
la pauvreté dans le monde ; en 2010 furent adoptés d’autres objectifs en
étroite relation avec l’environnement. En effet, la 65e session de l’Assemblée
Générale votait la Résolution 65/161 déclarant la décennie 2010-2020
« Décennie de l’ONU pour la biodiversité ».
La finalité de cette initiative était de mettre à contribution la décennie
2010-2020 dans la réalisation des objectifs du « Plan Stratégique pour
la Biodiversité », appelés également « Objectifs de biodiversité d’Aichi »,
décidés en 2010 au Japon. Ces objectifs recommandent la préservation des
équilibres entre les écosystèmes, ces unités écologiques de base formées
par le milieu et les organismes qui y vivent.
Les objectifs d’Aichi constituent un cadre d’actions échelonnées en dix
ans (2010-2020) pour tous les États et d’autres acteurs qui s’engagent à
mener des actions en faveur de la préservation de la biodiversité et du
maintien des équilibres des écosystèmes. Garantir la survie de la nature
et de toute l’humanité redonne au concept de « développement durable »
tout son sens. En effet, pour une espèce qui disparaît et un écosystème qui
se déséquilibre, sont nombreuses les interactions qui peuvent conduire à la
disparition d’autres écosystèmes menaçant, par ce fait, le caractère durable
du développement11.
Cette prise de conscience marquait le début d’une nouvelle politique pour
le développement. À côté des anciens paramètres basés sur la croissance
économique, l’intensification des échanges commerciaux, l’aide financière,
le transfert de technologie pour réaliser le développement, émergeaient de
nouvelles préoccupations relatives à la préservation de l’environnement en
vue d’un développement durable.
Les politiques de coopération reprenaient ainsi conscience du fait que
la préservation de l’environnement est une composante essentielle du
développement. Bien que cette composante ait toujours été dans l’agenda
de l’ONU, elle n’avait pas attiré tant l’attention qu’elle a actuellement dans
les actions de coopération pour le développement.
La décennie 2010-2020 exigeait que les questions liées à l’environnement
soient intégrées dans les politiques des États ainsi que dans les actions
qu’entreprennent les différents acteurs impliqués dans la coopération pour
le développement.

11 E. O. WILSON, La diversité de la vie, Paris, Odile Jacob, 1993, pp. 12-36. Lire aussi M. CHAUVET et
L. OLIVIER, La biodiversité, enjeu planétaire : Préserver notre patrimoine génétique, Éditions Sang de la
Terre, Paris, 1993.

322 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


La coopération pour le développement au sein de l’ONU de 1960 à 2020

Toutefois, l’environnement ne devait pas éclipser la lutte contre la


pauvreté telle que déclarée depuis le millénaire 2000. C’est dans ce sens que
les nouvelles politiques de coopération pour le développement sont axées
aujourd’hui sur ces deux champs de combat. Ainsi, prenait forme l’Agenda
2030 dont les objectifs reposent sur ces deux préoccupations : d’une part,
lutter pour l’éradication de la pauvreté ; et d’autre part, promouvoir un
développement durable.

III. L’agenda 2030 et la réorientation des politiques


de coopération pour le développement
Le 06 juillet 2015, fut déposé le Rapport final établissant le bilan
des actions entreprises durant les 15 années programmées pour
l’accomplissement de 8 objectifs du millénaire, entre autres, l’éradication
de la pauvreté. Le bilan établi par ce Rapport n’était pas encourageant.
Toutefois, il reconnaissait quelques avancées dans certains secteurs,
notamment, l’éducation primaire, l’égalité du genre, la lutte contre le VIH/
Sida et le paludisme. Mais, en général, le niveau de pauvreté n’avait pas
beaucoup changé.
Au regard de ce pauvre bilan, l’ONU changeait ses stratégies et publiait
en 2015 les “Objectifs de Développement Durable” (ODD) pour 2030.
C’était au total 17 nouveaux Objectifs qui intégraient et continuaient ceux
du Millénaire pour le Développement (OMD). C’était l’Agenda 2030, un
ambitieux programme à accomplir durant les 15 années à venir, c’est-à-
dire, au plus tard en 2030.
En d’autres termes, les Objectifs du Millénaire pour le Développement
(OMD) adoptés en 2000 ainsi que ceux d’Aichi centrés sur la biodiversité
adoptés en 2010 amenaient l’ONU à adopter, en septembre 2015, les 17
Objectifs de Développement Durable (ODD) sur lesquels se concentre
l’action de l’Agenda 2030.
Par conséquent, l’envergure de cet Agenda exige de nouvelles politiques
et requiert l’implication de tous les acteurs étatiques et non étatiques en
vue de garantir sa réussite. À partir de ce moment, la coopération n’est plus
une action à faire endosser seulement à l’ONU avec ses agences spécialisées,
aux États avec ses gouvernements centraux, régionaux et municipaux, aux
organisations non gouvernementales et aux fondations ; elle l’est aussi pour
les institutions financières de développement et entreprises de caractère
privé, etc. : un des reflets de la gouvernance globale.
Ces 17 Objectifs sont : 1) Éradiquer la pauvreté sous toutes ses formes
à travers le monde ; 2) Éliminer la faim en promouvant l’agriculture ;
3) Garantir une vie saine et promouvoir le bien-être pour tous et pour
tous les âges ; 4) Garantir une éducation inclusive et de qualité dans un
environnement qui offre un large éventail des possibilités d’apprentissage ;

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 323


TSHIMPANGA MATALA

5) Promouvoir l’égalité entre les sexes et autonomiser toutes les femmes


et les filles ; 6) Garantir à tous l’accès à l’eau propre et à l’assainissement
et en assurer sa gestion durable ; 7) Promouvoir l’énergie propre à un coût
abordable pour garantir à tous l’accès à des sources d’énergie fiables et
modernes ; 8) Promouvoir une croissance économique pour soutenir des
politiques soucieuses de réaliser le plein emploi ; 9) Promouvoir l’industrie,
l’innovation et développer les infrastructures résilientes ; 10) Réduire
les inégalités dans les pays et entre les pays ; 11) Faire en sorte que les
villes et les établissements humains soient ouverts à tous et offrent des
garanties de sécurité, de résilience et durabilité ; 12) Promouvoir des
modes de production et de consommation responsables ; 13) Adopter des
mesures urgentes pour lutter contre le changement climatique et ses
effets pervers ; 14) Conserver et utiliser de forme rationnelle les océans,
les mers et les ressources marines pour un développement durable ;
15) Restaurer et préserver les écosystèmes en vue de détenir la perte de la
biodiversité ; lutter contre la désertification et la dégradation des terres ;
16) Promouvoir des sociétés justes, pacifiques et inclusives en garantissant
à tous l’accès à la justice et le renforcement des institutions responsables
et efficaces à tous les niveaux ; 17) Revitaliser l’Alliance Mondiale pour le
Développement Durable.
Avec ces objectifs, un nouveau cadre de coopération pour le
développement émergeait, mettant en exergue une nouvelle dynamique
quant au protagonisme et au rôle des acteurs.

1. Le rôle des banques multilatérales de développement


Si, d’une part, la coopération financière internationale s’est appuyée
depuis longtemps sur des dons ou des crédits hautement concessionnels
octroyés par les États, d’autre part, elle s’est aussi basée sur ce même
système des crédits concessionnels ou non, octroyés par des banques
multilatérales de développement avec des garanties souveraines. Au-delà
des banques classiques de développement, internationale et régionales,
bien identifiées à ces jours, notamment la Banque Mondiale, la Banque
Africaine de Développement, la Banque Européenne des Investissements,
la Banque Asiatique de Développement, la Banque Interaméricaine de
Développement, la Banque de Développement des Caraïbes, etc., il y a
lieu de mentionner la création de nouvelles banques multilatérales de
développement à l’instar de la Nouvelle Banque de Développement (NBD)
ou la Banque de Développement des BRICS intégrant le Brésil, la Russie,
l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Créée en 2014 avec un capital de
100 milliards de dollars, la NBD est appelée à financer de grands projets
de développement. Il en est de même avec la Banque Asiatique pour les
Investissements en Infrastructures.

324 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


La coopération pour le développement au sein de l’ONU de 1960 à 2020

Dans ce même registre, s’inscrit l’activité de financement menée par la


Banque Arabe pour le Développement Économique de l’Afrique (BADEA).
Cette banque opère depuis 1983 sur base des Plans quinquennaux, et affecte
des ressources disponibles aux besoins exprimés par les États bénéficiaires
de ses appuis financiers.
À côté des banques multilatérales de développement qui prétendent
amortir la charge financière de certains projets de grande envergure et
apporter aux communautés locales une partie de solution à leurs besoins de
base, ont aussi amplifié leur rôle les acteurs du secteur privé, entre autres,
des institutions financières de développement et des fondations privées.

2. La rôle des acteurs du secteur privé


La présence de plus en plus active de nouveaux acteurs du secteur privé
qui, il y a quelques années, n’avaient qu’une incidence marginale dans la
coopération pour le développement, prouve à suffisance le changement de
paramètres dans la pratique de cette activité.
De toute évidence, il ne serait pas fondé de croire que le développement
des pays pourrait se réaliser sans l’implication et le dynamisme du
secteur privé appelé à créer de la richesse et de l’emploi dans ces espaces.
L’accompagnement de ce secteur dans les projets de développement à travers
des politiques consenties et harmonisées est une garantie de réussite.
Ces arguments ont fini par faire comprendre que la coopération pour le
développement ne doit pas être une activité exclusive réservée à un groupe
de pays, principalement ceux de l’OCDE. Au contraire, elle doit être un cadre
élargi dans lequel opèrent les acteurs étatiques et non étatiques, publics
et privés, disposés à offrir, chacun en ce qui le concerne, ses ressources et
ses capacités, contribuant ainsi à corriger les déséquilibres structurels et
à promouvoir la paix et le développement.
Il est vrai que le secteur privé a été, depuis longtemps, présent
dans certaines actions de coopération menées dans les pays en voie de
développement. Mais, cette action qui a été marginale, prend de l’ampleur
aujourd’hui, et gagne dans l’intensité.
Cette implication des acteurs privés dans le financement des projets
de développement a contribué à diversifier les sources de financement du
développement face aux limites affichées par le financement public quant
au volume et à sa lourde bureaucratie.
Certes, parmi les sources de financement de la coopération, l’Aide
Officielle au Développement (AOD) a toujours été la source sur laquelle
la communauté internationale s’est appuyée davantage pour financer les
projets de développement des pays pauvres. En effet, les bailleurs des fonds
privés n’osaient pas s’engager à financer les projets de développement dans
ces pays considérés fragiles et inspirant moins de confiance et de crédibilité.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 325


TSHIMPANGA MATALA

Cependant, durant ces dernières années, il s’observe la croissance


de l’aide financière provenant du secteur privé. En 1970, plus de ¾ du
financement international du développement (77%) provenait des sources
officielles, alors que le financement privé n’était que de 23%. Mais, en 2017,
seulement 14% du financement international du développement provenait
des sources officielles alors que le financement privé atteignait presque 8012.
Toutefois, une nuance est nécessaire. Si, en général, l’aide officielle au
développement a baissé, elle reste élevée et constitue la principale source
du financement de développement dans les pays les moins avancés. En effet,
l’aide officielle au développement suppose, en moyenne, 41% du financement
international reçu par les pays de revenus bas. Elle atteint 70% dans les
pays catégorisés moins avancés (PMA)13.
Certaines études estiment que la mobilisation des ressources
additionnelles pour promouvoir l’industrie, l’innovation et développer les
infrastructures résilientes dans le cadre de l’Agenda 2030 se chiffrerait
entre 200 et 300 milliards annuels14.
De ce fait, cet Agenda 2030 exige un grand effort financier au regard
des défis à relever. Pour réussir cette vaste entreprise, il est impératif de
mobiliser des ressources à partir de nouvelles sources de financement non
seulement publiques, mais aussi privées, tant au niveau national qu’à
l’échelle internationale.
Dans ce sens, se justifiait la tenue de l’Agenda pour l’Action d’Addis-
Abeba convenu lors de la 3e Conférence Internationale de Financement
pour le Développement organisée en 2015 et approuvée par l’Assemblée
Générale des Nations Unies le 27 juillet 201515.
Ayant pour finalité la mobilisation des ressources pour faciliter le
financement des objectifs de développement durable, l’Agenda pour l’Action
d’Addis-Abeba s’appuie sur cinq piliers :
– Le premier pilier est constitué des ressources nationales de chaque
pays. Pour augmenter ces ressources et faire en sorte qu’elles
deviennent une partie importante dans les contributions au
financement du développement, l’amélioration des systèmes fiscaux
des pays en développement s’impose. La lutte contre la corruption,
l’évasion fiscale et le non-paiement des impôts doit être menée pour
la réussite de ce premier pilier.
– Le deuxième pilier est constitué des contributions nationales
et internationales de nature à financer le développement, mais
situées en dehors du secteur de la coopération, notamment les

12 J. A. ALONSO, P. AGUIRRE et G. SANTANDER, Op. cit., pp. 46-47.


13 Idem. p. 56.
14 A. BHATTACHARYA, M. ROMANI et N. STERN, Infrastructure for Development : Meeting the Challenge,
Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment and G24, Londres, 2012.
15 Ibidem, pp. 26-30.

326 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


La coopération pour le développement au sein de l’ONU de 1960 à 2020

investissements publics et privés, les transferts des fonds des


immigrants vers les pays d’origine ou les dons des fondations.
C’est dans ce même deuxième pilier qu’il faut inscrire les apports
procédant du secteur privé, de telle manière qu’il est même
recommandé d’établir une alliance des acteurs publics et privés
pour donner un ton plus décisif à la mobilisation et augmentation
des fonds pour le financement du développement.
– Le troisième pilier est constitué des apports obtenus dans le cadre de
la coopération internationale proprement dite. Dans ce cas, les efforts
doivent être déployés en matière d’aide officielle au développement
qui doit atteindre l’objectif du 0’7% fixé au début de la décennie 1970.
– Le quatrième pilier est la mise à contribution des échanges
commerciaux pour l’augmentation des revenus du commerce en vue
de réduire la pauvreté et les inégalités.
– Le cinquième pilier est la mise sur pied d’un système de suivi pour
que les piliers mentionnés fonctionnent de manière adéquate.

2.1. L’émergence des institutions financières de développement


Les institutions financières de développement promeuvent le
développement en canalisant des ressources financières nécessaires qu’elles
mettent à la disposition des entreprises qui ont des projets capables de
générer des emplois et accroître les revenus des pays en développement.
Elles octroient des crédits, offrent des garanties, parfois des dons et de
l’assistance technique.
Ce sont des structures créées avec des capitaux publics ou mixtes
(publics et privés) et qui essaient d’apporter, comptant sur leur technicité et
expertise, leur grain dans l’accomplissement des objectifs de développement.
Nombre de pays développés et de bailleurs des fonds disposent chacun
d’une institution de ce type. En Europe, 15 de ces institutions se trouvent
regroupées au sein de « European Development Finance Institutions »
(EDFI), créée en 1992 avec la mission de procéder à l’échange d’expériences,
d’articuler et harmoniser les initiatives dans les différents secteurs de
coopération où les intérêts sont communs : financement des infrastructures,
énergie renouvelable, financement des industries et appui aux industries
agricoles, etc16.
Sur ce registre, figurent, entre autres, PROPARCO du Groupe Agence
Française de Développement, appelé à financer les micro-entreprises
dans les pays en voie de développement, COFIDES : compagnie espagnole
publique-privée fondée en 1988 avec comme mission de financer à moyen
et long termes des projets d’investissement dans les pays récepteurs où
l’Espagne a des intérêts importants à préserver.
16 J. A. ALONSO, P. AGUIRRE et G. SANTANDER, Op. cit., pp. 111-113.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 327


TSHIMPANGA MATALA

Si certaines de ces institutions sont récentes et ont été créées durant la


décennie 2000 (Cas de Belgique (BIO 2000), Autriche (OeEB 2008), Suisse
(SIFEM 2005), Portugal (SOFID 2007), les autres sont anciennes et ont
connu une forte expansion et une évolution des politiques du fait de ce
nouveau protagonisme acquis par le secteur privé dans la coopération au
développement. En effet, durant la période de 2005 à 2015, les engagements
financiers des institutions financières de développement appartenant à
EDFI avaient triplé, passant de 10,9 milliards d’euros à 36,3 milliards17.
Il est vrai que, par sa nature, le secteur privé opère souvent pour générer
un profit à son avantage. Ce statut l’éloigne des objectifs du développement.
Toutefois, les tendances actuelles exigent que ce secteur se penche aussi
sur les objectifs de développement des pays récepteurs en cherchant à
améliorer le bien-être des populations de ces pays. L’importance des
investissements faits par ce secteur privé doit se mesurer par rapport à la
création de l’emploi, l’amélioration de la productivité et la croissance de
l’économie des pays récepteurs.
Ce nouveau type de financement du développement, qui combine le
financement public et le financement privé, a amené à ce qui est appelé
aujourd’hui « financement blended », lequel s’appuie sur des apports publics
concessionnels accompagnés des apports privés non concessionnels, ainsi
que des capacités techniques provenant de deux secteurs : public et privé.

2.2. La part des fondations privées


Quant aux fondations, il serait indiqué de mentionner la Fondation
Bill and Melinda Gates (BMGF) qui, créée en janvier 2000, opère dans
les secteurs de la santé, de l’éducation et du développement agricole
avec un budget évalué à plus de 50 milliards de dollars. Il y a aussi la
Children’s Investment Fund Foundation, la Ford Foundation, la Mastercard
Foundation ainsi que les nouvelles Fondations créées dans les pays
émergents, à l’instar de la Fondation Slim de Mexico, la Fondation Tata
de l’Inde, la Fondation Koç en Turquie, etc.

2.3. Les Fonds pour la protection de l’environnement


Il conviendrait de souligner que le secteur environnemental a fait
foisonner dans la pratique actuelle de la coopération pour le développement
des mécanismes de financement aux modalités complexes. Aujourd’hui,
il existe dans ce secteur une diversité des fonds, notamment, le Fonds
International pour le Climat (ICF) créé par le Royaume-Uni ; le Fonds
NAMA sous l’initiative de l’Allemagne, Danemark, Royaume Uni et la
Commission Européenne ; le Fonds pour l’Environnement Mondial créé
en 1991 et dépendant de la Convention Cadre des Nations Unies pour le
Changement Climatique ; le Fonds Vert pour le Climat (FVC) créé en 2015
17 Idem.
328 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année
La coopération pour le développement au sein de l’ONU de 1960 à 2020

et associé également à la même Convention Cadre et sous contrôle de la


Conférence des Parties (COP) ; le Fonds pour le Changement Climatique
en Afrique (ACCF) administré par la Banque Africaine de Développement
(BAD).
Il se dégage de ce paysage une réelle complexité quant au financement
des initiatives inscrites dans ce secteur de l’environnement donnant l’image
d’une véritable toile d’araignée18.

3. La montée en puissance de la coopération sud-sud


La coopération Sud-Sud n’est pas un phénomène nouveau. Cependant,
elle a pris une autre ampleur durant ces dernières années. Cette réalité se
perçoit à travers le nombre de plus en plus croissant des pays impliqués
dans cette pratique. Face au processus de mondialisation et à la perte
d’influence des idéologies qui ont marqué la guerre froide et divisé le monde
en deux blocs, le choix des espaces où mener des actions de coopération
pour le développement ne se fait plus en rapport avec des critères liés
à ces idéologies d’autrefois. La coopération pour le développement se
fait aujourd’hui entre acteurs agissant dans un monde globalisé, ayant
surmonté et laissé derrière eux ces barrières.
Aujourd’hui, il y a plus de points de convergence que de divergence.
Les possibles écueils dans la mise en œuvre de cette nouvelle forme de
coopération ouverte à tous les acteurs, sont surmontés à travers le dialogue
politique : une des innovations introduite au début du millénaire 2000,
surtout dans les relations de coopération entre l’Union Européenne et les
pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique, consistant à aborder des points de
divergence, souvent liés au respect des droits de l’homme, au renforcement
des institutions politiques, à la pratique de la démocratie et de la bonne
gouvernance, l’égalité de tous devant la loi en vue de construire des sociétés
justes.
D’autres facteurs ont également contribué à cette nouvelle dynamique de
la coopération sud-sud. L’émergence de nouvelles puissances régionales, de
nouveaux bailleurs des fonds qui, il y a quelques années étaient catégorisées
comme pays en voie de développement et récepteurs de l’aide publique au
développement, a favorisé la montée en puissance de cette coopération sud-
sud19. La transformation en 2012 du Groupe de Travail sur la Coopération
Technique entre Pays en voie de Développement (CTPD) qui opérait au
sein du PNUD en Office des Nations Unies pour la Coopération Sud-Sud
(UNOSSC), a contribué à amplifier cette coopération ces dernières années.

18 Ch. WATSON et L. SCHALATEK, The Global Climate Finance Architecture, ODI, Climate Funds
Update, Londres, 2019.
19 M. Lire SPENCE, The Next Convergence. The future of Economic Growth in a Multispeed World, Farrar,
Strauss & Giroux, Canada, 2012.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 329


TSHIMPANGA MATALA

Ainsi, s’est allongée la liste de nouveaux bailleurs des fonds ou


prestataires de service publics et privés dans cette coopération sud-sud.
La Chine, la Corée du Sud, l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis,
le Koweït, le Qatar, le Brésil, le Mexique, l’Argentine, le Cuba, l’Inde,
l’Indonésie, la Malaisie, l’Afrique du Sud, etc. gagnent du protagonisme et
impulsent aujourd’hui cette coopération sud-sud.
Cette nouvelle réalité rompt avec la traditionnelle dualité entre
bailleur-récepteur des fonds ou prestataire-bénéficiaire des actions de
développement pour faire émerger des pays qui jouent en même temps ce
double rôle. Ils reçoivent des uns en même temps qu’ils donnent aux autres.
En résumé, dans le cadre de la coopération sud-sud, les pays en voie de
développement partagent ensemble leurs expériences et mettent à l’épreuve
leurs capacités dans différents domaines, qu’ils soient technique, (dans les
secteurs de la santé, agriculture et élevage, éducation, environnement,
énergie), économique, (échanges commerciaux), politique (dialogue et
harmonisation des points de vue pour une politique commune dans le
domaine de diplomatie), financier, etc. Dans ce dernier domaine, il y a
lieu d’évoquer le cas de la Banque de Développement Chinoise (CDB) et
la Banque de Développement du Brésil (BNDES), lesquelles financent
des infrastructures dans des pays en voie de développement, ou encore la
Nouvelle Banque de Développement (NBD) des BRICS20.
La coopération Sud-Sud est en train de développer des caractéristiques
qui lui sont propres et différentes de la coopération classique Nord-Sud. La
communauté des vues sur certains problèmes communs avec des expériences
communes, l’horizontalité des relations entre ces pays impliqués dans cette
coopération, la promotion des actions de développement pour un bénéfice
mutuel, la moindre charge quant à la bureaucratie dans les processus de
décision, etc. sont quelques traits identitaires de cette coopération21.
De ce fait, la coopération sud-sud a fait dilater le système classique de
coopération pour le développement pour le démocratiser et rendre inclusif
le cadre dans lequel se sentent utiles tous les acteurs étatiques et non
étatiques, assumant chacun les tâches qui lui reviennent et faisant de cette
coopération une responsabilité partagée.

Conclusion

Si la doctrine classique en matière de coopération a fait prévaloir l’idée


selon laquelle le commerce entre les nations contribue à la croissance
de leurs économies et à l’accumulation de leur richesse, il faut encore
20 La NBD est entrée en fonction en février 2016. Elle est appelée à mobiliser les ressources pour
financer les infrastructures et les projets de développement dans les BRICS, dans d’autres pays
émergents ou dans les pays en voie de développement qui en font la demande.
21 E. MAWDSLEY, From Recipients to Donors. Emerging Powers and the Changing Development Landscape,
ZED Books, Londres, 2012.

330 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


La coopération pour le développement au sein de l’ONU de 1960 à 2020

que cette richesse soit orientée vers la satisfaction des besoins de base
des populations de ces nations. Nombreux sont les pays en voie de
développement qui ont connu une croissance économique sans satisfaire
les besoins de base et réaliser le bien-être de leurs populations. Dans ce
sens, la croissance économique n’amène pas toujours au développement.
Ainsi, la réorientation des politiques qui canalise les dividendes de cette
croissance vers la satisfaction des besoins de base et l’éradication de la
pauvreté est nécessaire.
Le développement, c’est avant tout l’homme et son environnement ;
satisfaire ses besoins primaires et améliorer le milieu où il vit sont les
nouveaux paramètres sous-jacents dans les nouvelles politiques de
coopération. Sont mis en relief l’éradication de la pauvreté, l’élimination de
la faim, l’éducation de tous, l’égalité des sexes, l’accès à l’eau et à l’énergie,
la préservation de l’environnement et la promotion des sociétés pacifiques
et résilientes, etc.
Il est évident que l’atteinte de tous ces objectifs nécessite l’implication de
tous les acteurs, sans laisser le protagonisme aux seuls États. De ce fait, la
coopération pour le développement exige, ces dernières années, l’implication
de tous les acteurs publics et privés avec une meilleure coordination des
politiques en vue de faciliter la réalisation de ses objectifs.
Si la coopération classique a longtemps inspiré l’idée d’un donneur et
d’un récepteur, la coopération à l’ère de la mondialisation prétend créer
un cadre basé sur un partenariat partagé. De l’assistanat d’autrefois, les
tendances actuelles sont davantage tournées vers le partenariat. Certes, les
pays développés et ceux en voie de développement partagent aujourd’hui
des espaces de convergence sur certains problèmes auxquels ils sont
confrontés : l’insécurité urbaine, le chômage juvénile, les flux migratoires,
la contamination des villes et les problèmes liés à l’environnement, les
nouvelles pandémies comme celle de COVID-19, sont des défis communs
auxquels ces États s’affrontent et lesquels exigent une action commune
dans le sens d’un partenariat responsable en vue des résultats durables
qui consolident le développement des pays déjà développés et promeuvent
celui de ceux en voie de développement22.
En effet, dans un monde devenu de plus en plus interdépendant, les
problèmes de la paix, la sécurité, la pauvreté, le sous-développement
ainsi que le changement climatique requièrent une réponse collective et
coopérative pour laquelle tous les acteurs sont appelés à s’impliquer. Dans
ce sens, depuis la décennie 2000, la coopération pour le développement a
redéfini ses politiques et a assis un partenariat où tous les acteurs doivent
jouer un rôle pour la réussite de cette activité.

22 U. BECK, La sociedad del riesgo global, Siglo XXI, Madrid, 2002.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 331


Nations et Institutions

LA BALKANISATION DE LA RD CONGO OU
L’ INTÉGRATION RÉGIONALE ?
L’ALIÉNATION DE FACTO DE LA PARTIE ORIENTALE
DE LA RD CONGO

I
Introduction
José MINAKU, S.J., l est 8 heures du matin, aux postes-frontières
Directeur du Centre
de la Ruzizi 1 et 2, entre la RD Congo et le
spirituel Amani/
Bukavu. Rwanda ; c’est la cohue habituelle. Dans un sens,
joeminakusj@ de la RD Congo vers le Rwanda, des milliers de
gmail.com femmes commerçantes traversent pour aller acheter
des vivres frais qu’elles revendront à Bukavu. Des
voyageurs font les formalités d’usage pour se rendre au
Sud, à Bujumbura, en passant par les belles routes du
Rwanda ; d’autres vont au Nord, à Goma, en passant
par la nouvelle route qui longe la côte. D’autres
voyageurs vont à l’aéroport de Kamembe, à 5 km de
la frontière, qui les connecte au monde entier. Dans
l’autre sens, c’est-à-dire du Rwanda vers le Congo,
une marée humaine, hommes et femmes de toutes
catégories, déferle également en quête d’éducation dans
les écoles et universités de Bukavu, pour œuvrer comme
ménagères ou pour travailler dans les chantiers. Ils ont
la réputation d’être méticuleux et honnêtes. Des deux
côtés, des véhicules de transport des biens attendent
de passer les douanes. Le même scénario est perceptible
aux postes-frontières de Goma, entre la RD Congo et le
Rwanda, d’Uvira, entre la RD Congo et le Burundi ou
de Bunagana et Goli, entre la RD Congo et l’Ouganda.
Pour ces populations congolaises, Kinshasa est un
« pays » lointain, le royaume des politiciens dont on
entend parler à la radio et que l’on voit apparaître lors
des campagnes électorales. Depuis des décennies, ces
citoyens ordinaires de l’Est de la RD Congo n’attendent
pas grand-chose de Kinshasa.
L’extraversion économique et sociale des provinces
de l’Ituri, Nord et Sud Kivu vers les pays voisins, est
un fait indéniable. Même dans le domaine musical où
la RD Congo a toujours affirmé sa suprématie africaine,
les jeunes de l’Est fredonnent volontiers des chansons
tanzaniennes, ougandaises ou kényanes. La persistance
de cette situation d’extraversion ne concoure-t-elle pas
à l’aliénation de cette partie de la RD Congo ?
332 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année
La balkanisation de la RD Congo ou l’intégration régionale ?

Cet article voudrait montrer que ce que l’on appelle « intégration


régionale » assujettit économiquement la partie orientale de la RD Congo
aux pays voisins, notamment le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi. C’est un
autre nom de la Balkanisation. Mon hypothèse est simple : la balkanisation
de la RD Congo est en train d’avoir lieu, sous l’étiquette « d’intégration
régionale ». Le processus de Balkanisation se renforce à un moment où
le pouvoir de Kinshasa est obsédé par sa faible légitimité, pris dans la
gadoue d’une politique partisane, et animé par un gouvernement myope
et somnambule. En même temps, certains pays frontaliers et certaines
multinationales sont en train de mettre les bouchées doubles pour consolider
leur agenda politique, et asseoir leurs stratégies économiques au détriment
de la RD Congo.
Dans cet article, je prends le point de vue d’un observateur attentif des
questions géostratégiques de la région des Grands lacs. En tant qu’acteur
de la société civile dans la partie orientale de la RD Congo et lanceur
d’alerte, je puis affirmer, haut et fort, que la « balkanisation politique » est
superfétatoire du fait que la balkanisation de la RD Congo est en cours de
réalisation sur le plan social et économique. Elle est plutôt insidieuse et
subtile, pernicieuse et silencieuse. Comme un coup fourré aux jeux d’échecs,
elle se déploie à l’aide des noms d’emprunt : l’intégration régionale, la
solidarité internationale, la décentralisation ou le fédéralisme « fort », etc.
Partant du litige des mots, entre la Balkanisation et l’intégration
régionale, je montrerai que la communauté internationale, avec une
complicité locale et une instrumentalisation de certains pays voisins, a
surfé sur la notion de « l’intégration régionale » pour orienter l’Est de
la RD Congo vers les pays voisins. Et l’État Congolais, par sa passivité
apparemment volontaire, contribue à sa balkanisation de facto. En sonnant
l’alerte, loin de moi le désir de m’engager dans une critique partisane, je
voudrais simplement éveiller les esprits patriotiques pour qu’advienne
un Congo unifié et fort, capable de protéger ses enfants et de soutenir
substantiellement les efforts de développement de l’Afrique.

1. La Balkanisation, une diversion


L’imaginaire collectif et une certaine intelligentsia de la RD Congo
ont parfois décrié, à qui mieux mieux, le risque de la « balkanisation
de la RD Congo ». Cette dernière est souvent présentée comme un fait
éminemment politique ; c’est-à-dire, un démembrement du pays, par suite
d’une série de déclarations d’autodétermination de certaines provinces.
L’on s’attendrait alors que la balkanisation advienne, tambour battant, et
corrobore les velléités sécessionnistes et unilatérales de certains. Chose
étrange, mais pas surprenante, ces refrains de la balkanisation ne se font
entendre que dans les parties de la RD Congo dotées de grandes richesses

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 333


José MINAKU, S.J.

minières. Aussi les chantres de la balkanisation de la RD Congo se recrutent-


ils parmi les acteurs économiques et politiques, suppôts des puissances
étrangères et des firmes multinationales. Une RD Congo balkanisée ou
déstabilisée ferait les affaires de certains. Le morcellement du Congo ne
consisterait-elle qu’à « isoler » la partie riche du Congo, dite aussi le « Congo
utile », aux fins inavouées de bien en exploiter les richesses ? D’ailleurs,
l’expression « Congo utile », dans les moteurs de recherche de Google, renvoie,
entre autres, aux potentialités minières énormes de la RD Congo. En guise
d’exemple, l’expression « Congo utile » réfère à un texte du ministère français
de l’Économie, des Finances et de la Relance économique. Ce texte donne
des informations au sujet du secteur minier de la RD Congo. La question
économique et financière pourrait être abordée, à juste titre, comme l’épine
dorsale de la problématique de la Balkanisation de la RD Congo.
Il convient de noter aussi que les discours sur la Balkanisation de la
RD Congo sont généralement vilipendés et relégués au rang « des théories
du complot » par ceux qui contrôlent les médias. Des preuves sont alors
exigées et l’amalgame est vite fait entre des discours rationnels des
observateurs avisés et les revendications farfelues de certains acteurs
instrumentalisés aux fins de discréditer les authentiques lanceurs d’alerte1.
Voyons maintenant comment la promotion du multilatéralisme dont le
fleuron est la MONUSCO2 est en fait une diversion pour aliéner de facto
l’Est de la RD Congo.

2. « L’intégration régionale » des Pays des grands lacs, le cheval


de bataille de la Communauté internationale

2.1. De la CEPGL à la CIRGL


La paix en RD Congo passe par la stabilisation de la région des
Grands Lacs. Tel semble être le postulat qui gouverne les initiatives de la
communauté internationale3. Il est un fait que par une décision unilatérale
de la Communauté internationale, la résolution des problèmes spécifiques
de la RD Congo est abordée sous le prisme des structures régionales
mises en place par la communauté internationale. Certes, la création
de la CEPGL, en 1976, était une initiative louable, du fait qu’elle était
créée pour favoriser l’intégration du Zaïre, du Rwanda et du Burundi,
par la création d’une zone devant favoriser les échanges commerciaux et
promouvoir la libre circulation des personnes et des biens. Cette initiative
visait la stabilité de la région par le truchement du développement.
1 Il y a une année, les médias ont montré un groupe d’aventuriers qui ont planté un drapeau et
déclaré la sécession de la « République des volcans ». Ces genres d’aventures ont pour objectifs de
discréditer tout discours relatif à la balkanisation de la RD Congo.
2 La Mission des Nations unies pour la stabilisation du Congo (Monusco) est installée depuis plus
de deux décennies, avec un budget équivalent au tiers du budget total de la RD Congo.
3 J’appelle « Communauté internationale » les Nations Unies et certains pays qui influencent la
situation interne et les relations multilatérales de la RD Congo.

334 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


La balkanisation de la RD Congo ou l’intégration régionale ?

La locomotive de cette initiative était un Zaïre fort, qui imposait une sorte
de « pax romana » que le Président Mobutu appelait machiavéliquement
« relations de bon voisinage ». Cependant, en 1994, un génocide est survenu
au Rwanda et il a eu des conséquences dévastatrices dans les pays voisins,
principalement au Congo où des massacres, tueries aux premier et second
degrés, ont fauché la vie de plus de 6 millions de Congolais. La CEPGL a
été littéralement emportée.
Quand la communauté internationale a voulu reprendre en main une
situation chaotique dans la région, elle a embrayé naturellement sur la
moribonde CEPGL qu’elle a transformée en un outil capable de résoudre
la crise régionale qui s’est cristallisée en RD Congo. Une des productions
récentes sur la dynamique socio-économique dans la région des Grands
lacs a été faite par Docteur Blaise Muhire, au sujet d’une réflexion sur le
commerce transfrontalier4. Le rapport de Blaise Muhire affirme à ce sujet :
Grâce à l’appui financier de l’Union européenne, la CEPGL a multiplié
des initiatives pour la réalisation des projets communs depuis 2007,
notamment la modernisation des infrastructures douanières pour
faciliter les mouvements des biens et des services et la tentative de la
construction du barrage hydro-électrique « Ruzizi III »5.
Paradoxalement, ces efforts d’intégration n’ont pas empêché les
pays voisins, principalement le Rwanda, de soutenir une rébellion qui a
littéralement paralysé les efforts de la RD Congo qui venait de connaître
ses premières élections démocratiques. En effet,
Au cours de la même année, une rébellion naquit dans le Nord-Kivu,
à l’Est de la RD Congo, le Congrès national pour la Défense du Peuple
(CNDP), qui s’est ajouté à une dizaine d’autres groupes armés actifs dans
la partie orientale du pays. Cette rébellion a non seulement lancé un
défi au gouvernement fraîchement issu des premières élections démo-
cratiques (2006), mais elle a aussi sapé les efforts de la stabilité dans la
région des Grands Lacs. Les implications régionales dans cette nouvelle
crise à l’Est de la RD Congo n’ont pas manqué de mobiliser les acteurs
internationaux, notamment les Nations Unies et l’Union européenne6.
Les groupes armés des pays voisins ont élu domicile en RD Congo, souvent
avec l’appui logistique et politique de ces pays voisins, principalement le
Rwanda et l’Uganda. La communauté internationale n’a jamais condamné
formellement ces deux pays agresseurs du Congo. Au contraire, à chaque
crise, le gouvernement congolais a été contraint à négocier « à l’interne » avec
les agresseurs qui ont emprunté des visages congolais. Ces pays s’érigent
ainsi en parrains des négociations « intercongolaises ». C’est cette dynamique
qui a conduit à la création de la Conférence internationale sur la Région des
Grands lacs (CIRGL) qui a, d’une certaine façon, escamoté la CEPGL. Cette
4 Dr. Blaise MUHIRE, Étude sur le Commerce et les Opportunités pour un Dialogue transfrontalier
dans la Région des Grands Lacs (RD Congo, Rwanda, Burundi, Ouganda, Tanzanie et Zambie),
Publication de la Fondation Konrad Adenauer Kinshasa, Février 2020.
5 Dr. Blaise MUHIRE, Op. cit., p. 18.
6 Blaise MUHIRE, Op. cit., p. 19.
Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 335
José MINAKU, S.J.

mégastructure comprend 12 membres qui sont étonnamment les 10 voisins


de la RD Congo, en ajoutant le Kenya. Cette structure a le mérite de noyer
le poisson dans l’eau. En effet, elle empêche que l’on puisse nommer la cause
principale de l’instabilité dans cette région : l’agression de la RD Congo par
le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi. Ce camouflage des agresseurs de la
RD Congo est bien intentionnel. Il ne sert certainement pas à résoudre le
problème de la RD Congo. Son but inavoué est la conservation d’une influence
effective sur la RD Congo, spécialement dans sa partie orientale, en utilisant
des pays voisins sous l’étiquette du multilatéralisme nommé : Intégration
régionale. Le Congo est sommé de partager ses richesses avec les voisins, a
affirmé sans rire l’ancien président français, Nicolas Sarkozy. L’illustration
de cette mascarade est offerte par la Banque mondiale.

2.2. Financement de la Banque Mondiale au bénéfice de la région


des Grands Lacs en Afrique
En mai 2013, lors de la visite historique en RD Congo, au Rwanda et
en Ouganda du Secrétaire général des Nations-Unies, Ban Ki-Moon, et du
Président du Groupe de la Banque mondiale Jim Yong Kim, le bulletin
de presse suivant a été produit
Au premier jour d’une mission conjointe historique des Nations Unies
et du Groupe de la Banque mondiale dans la région des Grands Lacs, le
Groupe de la Banque mondiale annonce un projet de financement d’un
montant d’un milliard de dollars destiné à aider les pays de la région à
fournir de meilleurs services de santé et éducation, accroître les échanges
transfrontaliers et financer des projets hydroélectriques, le tout afin
d’appuyer l’accord de paix de la région des Grands Lacs signé par 11
pays en février dernier7.
Interrogés sur ces fonds, les responsables ont répondu avec optimisme :
Ce financement aidera à relancer le développement économique, créer des
emplois et améliorer les conditions de vie des populations qui souffrent
depuis bien trop longtemps. Les dirigeants de la région des Grands Lacs
peuvent désormais, en vertu de la relance de l’activité économique et
l’amélioration des conditions de vie dans les zones frontalières, rétablir
la confiance, renforcer les économies et ouvrir de nouvelles perspectives
à des millions de personnes8.
Pour plusieurs observateurs, ce projet était apparemment une
opportunité remarquable pour appuyer les efforts de pacification dans
la région par la promotion des projets communs, spécialement en termes
d’infrastructures et de commerce frontalier. Mais une lecture plus tenue
soulève quand même des questions sur le caractère insolite de ce projet
confié à l’IDA (l’Association internationale de développement) 9 et qui
7 Cf. Bulletin de presse de la Banque Mondiale publié le 22 mai 2013.
8 Cf. Bulletin de presse de la Banque Mondiale publié le 22 mai 2013.
9 L’Association internationale de développement (IDA), une institution membre de la Banque
mondiale créée en 1960, aide les pays les plus pauvres de la planète en accordant des prêts
sans intérêts destinés à financer des projets et programmes de nature à stimuler la croissance
336 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année
La balkanisation de la RD Congo ou l’intégration régionale ?

semble se faire sans l’implication des États bénéficiaires. Du point de vue


géographique, l’intégration de la région en termes d’infrastructure devrait
isoler davantage la partie Est de la RD Congo qui semble tourner le dos à
Kinshasa. Une grande forêt les sépare. Sur le plan de l’interconnectivité
en énergie électrique, un commentaire du bulletin de presse de la Banque
mondiale surprend : « Exploiter le potentiel hydroélectrique de la RD Congo,
en particulier, permettra au Burundi et au Rwanda d’avoir accès à une
énergie à faible coût et de jouer le rôle qui leur revient sur le plan de la
stabilité régionale. Il n’existe actuellement aucun réseau régional, et
l’interconnectivité entre les pays de la région reste très limitée. »
Selon toute vraisemblance, le pouvoir de Kigali, de Kampala et de
Bujumbura, allaient tirer le meilleur de ce projet, au détriment d’un
Kinshasa lointain. Juste pour prendre un exemple, concernant l’octroi
des marchés pour les infrastructures, quelle entreprise congolaise peut
entrer en compétition avec les entreprises rwandaises ou ougandaises ?
Ces deux pays ont mené des réformes qui les rendent crédibles dans le
« Doing business » au niveau international. Ces pays sont « en paix » ;
ils ont une stabilité fiscale ; ils ont la fibre optique. En matière de
sous-traitance, quelles sont les PME congolaises qui peuvent entrer en
compétition avec les PME rwandaises ou ougandaises ? L’Est de la RD
Congo dans ce processus d’intégration n’a pas droit au chapitre, alors que
presque toute la totalité des conflits se déroule en son sein.
Un des points d’orgue de la Banque mondiale est la promotion du
commerce transfrontalier pour permettre la rencontre des populations
et consolider ainsi la paix. Une fois encore, une pseudo-solution est
apportée à un faux problème. Les conflits sont dus, en grande partie,
aux ambitions politiques des gouvernements et non à l’animosité des
populations frontalières. Je vais me pencher en profondeur sur l’article
de Blaise Muhire que j’ai déjà mentionné pour démontrer que même
le commerce frontalier concourt subtilement à l’aliénation de la partie
orientale de la RD Congo.

3. Le commerce transfrontalier : heurs ou malheurs


pour l’Est de la RD Congo ?
Miser sur l’intégration régionale était de bonne guerre. Pour les
responsables onusiens, le choix d’œuvrer pour l’économique et le
développement offrait une nouvelle opportunité de réaliser la paix. Pour
Mary Robinson, l’envoyée spéciale des Nations Unies dans la région
des Grands Lacs, l’implication de la Banque Mondiale en matière de
développement était une opportunité de mettre fin aux causes de la guerre :
« Il faut que le cynisme fasse place à l’optimisme et au courage pour que
cette nouvelle tentative soit couronnée de succès là où d’autres ont échoué.
Le gouvernement, les populations de cette région et la communauté
économique, réduire la pauvreté…

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 337


José MINAKU, S.J.

internationale doivent, une fois de plus, croire en la possibilité de


réaliser la paix et être déterminés à prendre les mesures nécessaires
pour l’obtenir »10.
Notons qu’à ce point du débat, l’on n’a jamais osé mentionner la cause
principale de l’instabilité de la RD Congo qui est son agression par le
Rwanda et l’Ouganda. Mais explorons quand même la nouvelle piste
ouverte : la consolidation de la paix par le commerce transfrontalier.

3.1. L’étude de Dr Blaise Muhire sur le commerce transfrontalier


et les opportunités pour un dialogue entre les peuples
« Cette étude a pour objectif général d’analyser les dynamiques
du commerce dans la région des Grands Lacs tout en identifiant les
opportunités au sein des organisations de la société civile susceptibles
d’impulser le rapprochement à travers le dialogue transfrontalier »11.
Selon certaines estimations, le commerce transfrontalier contribuerait aux
revenus de plus de 40 % des populations d’Afrique. Ce commerce a l’ambition
d’améliorer les conditions de vie, de créer des emplois et de construire la
paix. L’auteur travaille avec la présupposition que l’impératif de survie
engendre un commerce informel transfrontalier qui favoriserait la rencontre
des populations et promouvrait la paix. D’emblée, je me suis interrogé sur
l’aboutissement de cette réflexion, car la cause principale du conflit a été,
une fois de plus éludée et les différents contextes sont si asymétriques
que toute comparaison devient fragile. Par exemple, l’économie informelle
transfrontalière est tout à fait déséquilibrée du fait qu’en RD Congo,
l’informel s’inscrit dans une libéralité qui frise le chaos, alors qu’au Rwanda,
l’État semble réguler, voire protéger les commerçants transfrontaliers.
Cependant, cette étude a le mérite de fournir des données sur ce commerce
qui montrent, une fois de plus, combien l’Est de la RD Congo est livré, sans
défense, à un loup aux grands et insatiables appétits.
Le Rwanda a l’ambition légitime de devenir le dragon rouge d’Afrique,
à l’instar de Singapour et d’autres puissances asiatiques. Voici comment ce
pays affiche ses ambitions dans son plan stratégique intitulé Vision 2050 :
By 2050, “Made in Rwanda” will be a recognized brand locally and inter-
nationally. Kigali will have solidified its position as the regional trading
hub (logistic services, aviation hub, and innovation hub, etc.) and the
gateway to East and Central Africa. A Kigali-based logistics platform
will monitor and optimize logistic systems across Rwanda with real-time
online technology massively reducing the cost of transport12.
10 Cf. Bulletin de la Banque Mondiale, Op. cit.
11 Blaise MUHIRE, Op. cit., p. 21.
12 D’ici 2050, « Made in Rwanda » sera une marque reconnue localement et internationalement. Kigali
aura consolidé sa position de pôle commercial régional (services logistiques, pôle aéronautique,
pôle d’innovation, etc.) et de porte d’entrée vers l’Afrique orientale et centrale. Une plate-forme
logistique basée à Kigali surveillera et optimisera les systèmes logistiques à travers le Rwanda avec

338 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


La balkanisation de la RD Congo ou l’intégration régionale ?

Cette planification stratégique considère l’Est de la RD Congo comme


un marché à conquérir. En effet, sous le titre « Deepening regional
integration », le même plan stratégique affirme :
The East African Community (EAC), for example, has a combined GDP
that is 20 times that of Rwanda. There is also significant untapped
market potential to the west in the DRC. The combined EAC population
in 2016 was estimated at 150 million and is projected to be 278 million
by 2050. These markets provide sufficient volumes for Rwanda’s
industrialization, if they are easily accessible13.
Comme on peut le réaliser, le Rwanda a mis en place une politique
opportuniste et agressive pour contrôler ce commerce transfrontalier.
En 2012, le ministère du Commerce et de l’industrie a mis en place une
stratégie d’ensemble pour soutenir les exportations du Rwanda vers les
pays voisins. Cette stratégie a connu le soutien massif de la communauté
économique d’Afrique de l’Est et de l’ONU-femme. Les résultats ne se sont
pas fait attendre : la RD Congo est le plus grand marché d’exportation
régionale du Rwanda avec 70% des exportations formelles. Quand je dis RD
Congo, il faut comprendre sa partie orientale comme l’indique le rapport de
Blaise Muhire : « En termes de priorité des marchés, les régions du Nord
et du Sud-Kivu de la RD Congo avaient été ciblées comme les marchés
potentiels d’exportations les plus élevées. » En 2018, le Rwanda a exporté
vers le Congo plus de 115.527.551 US Dollars, soit une augmentation de
106%, par rapport à l’année précédente alors qu’il n’a importé du Congo
que 8.286.905 dollars US, soit une augmentation de 18,8%. Ces chiffres ne
tiennent pas compte de la contrebande du minerai communément appelé
« coltan » dont je parlerai plus tard. Ce déséquilibre commercial en faveur
du Rwanda est le signe même que la RD Congo n’est pas compétitive et
sa partie orientale est sacrifiée. Ce commerce concerne essentiellement
les produits agricoles alors que l’Est de la RD Congo et le Rwanda ont les
mêmes terres arables, avec un avantage net pour la RD Congo qui profite
de fertiles terres volcaniques.
Concernant le commerce avec l’Ouganda, il se focalise essentiellement
sur les produits en provenance de la province d’Ituri : bois et or. Certes,
depuis 2002, la RD Congo est dotée d’un code forestier dans le respect des
conventions internationales et du développement durable. Mais, sa mise
en application est problématique. Les pays voisins, dont l’Ouganda, en
profitent, bien entendu. Des sociétés européennes seraient très impliquées.
À ce sujet, un rapport des Nations Unies affirme :
une technologie en ligne en temps réel réduisant massivement le coût du transport.
13 La Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), par exemple, a un PIB combiné 20 fois supérieur à celui
du Rwanda. Il existe également un important potentiel de marché inexploité à l’ouest (Est de la RD
Congo) NDLR. La population totale de la CAE en 2016 était estimée à 150 millions et devrait être
de 278 millions d’ici 2050. Ces marchés fournissent des volumes suffisants pour l’industrialisation
du Rwanda, s’ils sont facilement accessibles.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 339


José MINAKU, S.J.

Outre ces réseaux de contrebande, un rapport d’experts des GE-NU


a conclu que l’or, le bois et l’ivoire étaient toujours introduits clan-
destinement de l’autre côté de la frontière congolaise, en Ouganda,
avant d’être exportés sur les marchés internationaux. Selon ce rap-
port, le commerce de bois illégal se poursuit avec des réseaux dans
les provinces du Kivu, de l’Ituri (en RD Congo) et en Ouganda. Une
zone de déforestation majeure est la forêt de l’Ituri, à l’ouest de Beni
et Butembo, et au nord le long de la route reliant Beni à Mambasa.
Le bois en provenance de cette région est principalement exporté en
Ouganda à travers le poste-frontière de Mpondwe, tandis que d’autres
centres d’exploitation forestière importants sont situés le long de la
route reliant Beni à Komanda, à Eringeti, Luna et Idohu. Ce même
rapport des Nations Unies précise que, dans cette zone, à part le bois,
l’or représente entre 40 et 120 millions USD sur l’ensemble des profits
annuels générés sur l’exploitation illégale des ressources naturelles
par les contrebandes.
Ce qui est symptomatique, c’est l’absence criante du pouvoir de Kinshasa
qui semble n’avoir aucune prise sur ce commerce informel. Les produits en
provenance du Congo sont considérés comme des marchandises en transit
et comptabilisés comme exportation légale de l’Ouganda. Techniquement,
l’Ituri serait considérée comme une nième province de l’Ouganda.
Pour rester dans le domaine aurifère, le Burundi n’est pas en reste. Ce
pays non producteur d’or aurait exporté officiellement vers Dubaï, en 2018,
602 kg d’or, alors que les statistiques fiables de Dubaï indiquent avoir reçu
du Burundi 2130 kg d’or. Soit dit en passant, selon Blaise Muhire, toujours
en 2018, le Rwanda aurait déclaré 2 163 kg d’or alors que Dubaï a reçu du
Rwanda 12.539 kg. Le pays producteur d’or, la RD Congo, toujours dans
la même année, a déclaré 56 kg d’or et Dubaï a enregistré 207.
Le troisième pays frontalier à l’Est de la RD Congo est le Burundi. Ce
pays a monté également, depuis 2011, un document stratégique qui fait de
l’agriculture une priorité. Selon un rapport de 2018, la RD Congo constitue,
une fois de plus, le plus grand marché d’écoulement des produits agricoles
burundais, raflant plus de 56 % des exportations burundaises, alors que
la part d’importations burundaises à partir du Congo est inférieure à 10%.
L’article de Blaise Muhire montre clairement que le commerce
transfrontalier est soutenu par la communauté internationale pour
promouvoir la paix dans la région ; il indique aussi une perpétuation de
l’exploitation de la RD Congo par les pays voisins. L’on assiste littéralement
à une annexion de l’Ituri par l’Ouganda, du Nord et Sud Kivu par le Rwanda
et le Burundi. Ces pays sont à leur tour instrumentalisés par des puissances
internationales que nous ne pouvons pas nommer par manque de preuve,
mais que nous devinons à coup sûr.

340 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


La balkanisation de la RD Congo ou l’intégration régionale ?

3.2. Les sous-entendus de l’article de Blaise Muhire


Par ailleurs, l’article de Muhire passe sous silence l’un des plus grands
commerces transfrontaliers entre la RD Congo et le Rwanda : le commerce
du minerai stratégique communément appelé « coltan ». Ce commerce
mettrait au pilori, sans équivoque aucune, le rôle du Rwanda qui s’est érigé
en exportateur du coltan en provenance des mines ensanglantées du Congo.
De la même façon que l’Ouganda « légalise » les « minerais de sang » qui
proviennent de l’Ituri, ainsi le Rwanda « nettoie » le coltan en provenance
de la RD Congo. Un Congo déstabilisé est à l’avantage de l’Ouganda et du
Rwanda.
Ces faits mettent à mal l’hypothèse de l’article selon laquelle la facilitation
du commerce transfrontalier profiterait dans une large mesure « aux
économies des États en question et pourrait constituer un levier important
pour le dialogue et le rapprochement entre les peuples touchés par les
conséquences de différentes guerres et conflits politiques »14. Et il formule
quelques recommandations : mener des études supplémentaires sur les
acteurs du dialogue pour la paix, assouplir les mécanismes de gouvernance
aux frontières, surtout en RD Congo, encourager les mouvements des jeunes
en vue de promouvoir un cadre régional de concertation.
À mon avis, ces recommandations demeurent timides et déphasées
par rapport au cœur du problème : deux pays voisins à la RD Congo ont
déstabilisé cette dernière pour tirer des dividendes. La balkanisation de
la RD Congo entendue comme l’aliénation des 3 provinces de l’Est de la
RD Congo soutient et stabilise les économies de ces deux pays. L’article de
Blaise Muhire en dédouanant subtilement le Rwanda dévoile une RD Congo
victime de sa propre turpitude.

4. La Balkanisation par le Congo lui-même. Mode d’emploi


S’il est vrai que des puissances extérieures œuvrent pour l’instabilité
de la RD Congo aux fins de tirer les marrons du feu, il est d’autant plus
vrai que ce sabotage est permis par la faiblesse de l’État congolais.
Géographiquement, l’État a isolé l’Est de la RD Congo. Politiquement,
l’État a abandonné cette partie du pays, depuis longtemps, pour des raisons
non encore avouées. Sur le plan diplomatique, l’État se prélasse dans la
léthargie et semble éviter à tout prix d’énerver son voisin, le Rwanda. Je n’ai
pas la prétention de me lancer dans un réquisitoire contre l’État congolais.
Je me limite, comme lanceur d’alerte, à soulever quelques interrogations
pertinentes.

14 Blaise MUHIRE, Op. cit. p. 86.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 341


José MINAKU, S.J.

4.1. Des questions qui étonnent le Congolais ordinaire


habitant l’Est de la RD Congo
Quand j’interpelle la communauté internationale au sujet de la
RD Congo, je me demande pourquoi les mouvements armés, principalement
ADF, LRA, FDLR, etc. initialement opposés aux régimes de Kampala
et de Kigali se détournent de leurs objectifs et se comportent comme
s’ils s’acharnaient plutôt sur la RD Congo. Pourquoi la communauté
internationale n’a-t-elle jamais exigé un dialogue entre ces groupes armés
et le Rwanda ou l’Ouganda, comme ce fut le cas avec la RD Congo qui a
été contrainte chaque fois à négocier avec ses agresseurs ? Pourquoi la
communauté internationale s’est-elle installée dans un silence méprisant
sur les millions des victimes congolaises suite aux diverses agressions ?
Il y a une série de questions adressées à la RD Congo, elle-même.
Pourquoi l’exploitation du pétrole du lac Albert a-t-elle commencé du côté
ougandais et que rien ne se profile du côté de la RD Congo alors que c’est
une même couche pétrolifère ? L’on observe une situation similaire dans le
lac Kivu où le Rwanda exploite déjà le gaz méthane et réussit à améliorer
sa desserte en électricité, alors que la RD Congo croupit encore sous un
déficit énorme d’énergie ?
Pourquoi est-il plus commode de voyager de Bukavu à Kinshasa via
Kigali que de prendre un vol national d’une compagnie nationale ? Pourquoi
les véhicules de la Monusco sont-ils assurés au Rwanda ou en Ouganda ?
Pourquoi la RD Congo tolère-t-elle que les touristes qui viennent en visite
au Volcan de Goma ou au parc de Kahuzi Biega logent plutôt au Rwanda
qui engrange les frais d’hôtel ? Pourquoi le régulier Rwandair de Kamembe
à Bukavu est-il en grande partie rempli de voyageurs Congolais ? Comment
expliquer que les Congolais empruntent la route de la côte qui va de
Gisenyi vers Cyangugu, pour aller de Goma à Bukavu, alors qu’une route
similaire est possible entre Bukavu et Goma, du côté congolais ? Pourquoi
certains produits fabriqués au Congo font-ils un détour au Rwanda avant
d’être revendus plus cher au Congo avec une valeur ajoutée ? Pourquoi les
produits agricoles bio de Goma sont-ils parfois acheminés au Rwanda qui
inonde les marchés de la RD Congo avec des produits OGM ? Pourquoi les
containers importés d’Asie sont-ils déballés dans les villes frontalières du
Rwanda où ils sont mis en petits paquets comme s’il s’agissait des produits
provenant du Rwanda ? Ce subterfuge contourne les services douaniers de
la RD Congo. Autant de questions qui dénoncent une maffia internationale
et locale qui saigne à blanc la RD Congo.

4.2. Qui blâmer si l’Est de la RD Congo a regardé plus à l’Est ?


Pourquoi aucun effort n’a été fourni pour relier par route l’Est de la
RD Congo au reste du Congo ? La route nationale n°2 était supposée relier
Bukavu au Kasaï central, via Kasongo. Plus au Nord-Est, la Nationale n° 4
342 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année
La balkanisation de la RD Congo ou l’intégration régionale ?

pourrait relier Bunia à Kisangani. Quant à la route nationale n°5, elle relie
l’Ituri à la province du Tanganika. La valeur stratégique de ces routes est
indéniable. L’ambitieux projet des « 5 chantiers » en 2006 avait ces routes
en ligne de mire. Mais le projet a foiré. Pour n’avoir pas réussi à construire
les routes nationales 2 et 4, l’Est de la RD Congo, c’est-à-dire l’axe allant de
Uvira à Aru, soit plus de 900 km, s’est tourné vers l’Ouganda, le Rwanda
et le Burundi. C’est aussi l’une des zones les plus denses de la RD Congo,
du point de vue de la population. La frontière avec les pays voisins étant
constituée de lacs, rivières, montagnes et terre ferme, il est impossible de
la contrôler. D’où l’importance de la contrebande qui fait que la RD Congo,
en 2018, n’aurait exporté qu’une centaine de Kilos d’or, par cette longue
frontière, alors qu’en réalité, des dizaines de tonnes sont arrivées à Dubaï.
Toutes ces observations mettent le doigt sur une seule réalité : l’absence
de l’État congolais qui a failli dans sa mission de créer des voies de
communication ad intra. La conséquence logique est sans appel : cette partie
du pays donne parfois l’impression de tourner le dos, de bouder le reste du
pays. On aurait pu au moins s’assurer de connecter les trois provinces en
question, par la route nationale n°5. Mais les coupeurs de route infestent
des tronçons de cette route et s’assurent que le projet échoue. À qui profite
le crime ? La liaison avec l’Ouest se fait par voie aérienne, et donc demeure
très coûteuse. Le petit fermier du Masisi n’a donc aucune chance d’aller
vendre ses produits à Kananga.

4.3. De la légèreté et de la distraction du législateur congolais


En parlant du commerce transfrontalier, j’avais signalé comment
le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda disposent d’un cadre juridique qui
accompagne le petit commerçant transfrontalier. À ma connaissance, la
RD Congo ne dispose pas d’un cadre juridique. Au contraire, les petits
commerçants de la RD Congo sont victimes d’une tracasserie tenace de
multiples services de la douane. La corruption bat donc son plein. Le prix
élevé de certaines denrées alimentaires proviendrait justement de cette
faillite douanière. Comme je le disais, c’est cette insécurité fiscale qui fait
que les commerçants de Bukavu préfèrent payer la douane rwandaise et
déballer leur produit sur place, afin de les faire passer à la douane congolaise
par petits paquets. Un manque à gagner énorme pour la république.
Un autre exemple de la légèreté du législateur congolais est la ratification
de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF)15. En effet, le
15 « La Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAF) ambitionne de réinventer les fon-
dements de la croissance économique sur le continent par sa transformation en plus grand centre
mondial de commerce. À long terme, le projet intégrera tous les 55 pays de l’Union africaine (UA)
au sein d’une même zone économique de 1,2 milliard d’habitants et 2500 milliards de dollars
américains. La mise en place pour les pays ayant déjà ratifié cet instrument ; initialement prévue
en 2017 ; sera projetée pour juillet 2020 puis, ce 1er janvier 2021; pour raison de covid-19. La RD
Congo, quant à elle ; devenait signataire de l’Acte en mars 2018 sous le président honoraire Joseph
Kabila ; mais traînait encore sur sa ratification. » (cf. Revue en ligne L’entrepreneur.cd https://
entrepreneur.cd/zlecaf-tout-savoir-sur-ladhesion-de-la-RD Congo-a-la-zone-de-libre-echange/)

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 343


José MINAKU, S.J.

22 janvier 2021, l’Assemblée nationale de la RD Congo a adopté le projet


de loi autorisant la ratification de l’accord sur la zone de libre-échange
continentale africaine. N’ayant pas suivi les débats qui ont précédé ce vote,
je ne puis donc rien dire sur le sérieux des analyses. Je note cependant que
ce vote a eu lieu in tempore suspecto, l’attention de tous étant orientée vers
l’acte politique du basculement de la majorité parlementaire. Cependant,
l’on n’a pas besoin d’être un économiste chevronné pour réaliser que le vote
de l’Assemblée nationale a livré en pâture plus de 80 millions de Congolais
aux entreprises sud-africaines, nigérianes, kenyanes, voire rwandaises. La
RD Congo, étant un pays très peu industrialisé, n’aura rien à offrir dans
ce marché hautement concurrentiel. Nous nous sommes volontairement
transformés en un point de vente gigantesque pour d’autres pays.
Sous d’autres cieux, l’on a vu ces genres de débats menés avec beaucoup
de sérieux et s’arrêter parfois sur des détails. Aussi la France, dans les
discussions commerciales des années 90’s, avait-elle parlé de « l’exception
culturelle » pour protéger son industrie cinématographique face à
l’hégémonie culturelle américaine. Plus récemment, une bataille robuste a
opposé Donald Trump et l’Union européenne sur l’acier. De même, d’âpres
discussions ont eu lieu entre les USA et le Canada au sujet des produits
laitiers. Si les champions du libre marché peuvent se battre avec un tel
acharnement, pourquoi la RD Congo ne se protègerait-elle pas dans une
certaine mesure ? Voyons quelle réception le patronat congolais a faite de
cette ratification.
Patrick Ndungidi, dans un article en ligne sur ce traité, affirme :
La RD Congo risque de trébucher dans ce piège ; surtout que les grands
gagnants dans les accords commerciaux multilatéraux sont généralement
les pays déjà industrialisés dont les firmes sont adaptées aux conditions
de concurrence internationale16.

D’après certains observateurs, la ratification de ce traité est prématurée.


La réaction du Président du Conseil d’administration de la Gecamines,
dans le même article, est sans équivoque : « Je n’ai jamais fait partie des
béats du libre-échange mondial … du renard libre dans le poulailler libre ».
Selon lui, cet accord « mettrait à mal l’émergence de l’industrie locale, sans
protectionnisme initial. La RD Congo doit sortir de ce carcan qui la réduit à
un simple importateur de biens venus de l’étranger ; et en un exportateur
des matières premières devant être manufacturées ailleurs, sans valeur
ajoutée ». Une autre sonnette d’alarme est venue du responsable de la DGDA
(Direction Générale des Assises et Douanes). Il a rappelé que l’entrée en
vigueur de la ZLECAF conduira à la suppression des taxes douanières ; cela
constituera un manque à gagner colossal pour le budget déjà maigre de la
RD Congo. Si la ratification a eu comme effet d’embellir dans l’immédiat
16 Revue en ligne L’entrepreneur.cd https://entrepreneur.cd/zlecaf-tout-savoir-sur-ladhesion-de-
la-RD Congo-a-la-zone-de-libre-echange/. Page consultée le 10 avril 2021.

344 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


La balkanisation de la RD Congo ou l’intégration régionale ?

la présidence du Président Tshisekedi à la tête de l’Union africaine, elle


concourt, à court et moyen terme, au désenchantement de la RD Congo.

4.4. Une diplomatie « fantomas », c’est-à-dire, quasi inexistante


L’une des causes de la balkanisation de facto de la RD Congo est sa
diplomatie quasi inexistante. La RD Congo n’a jamais réussi, malgré
les régimes et gouvernements successifs, à faire avaliser la thèse de son
agression par des pays voisins. De la même façon, elle n’a jamais réussi
à attirer l’attention de la communauté internationale sur les millions des
morts dus à l’agression extérieure. Un des gouvernements qui s’est montré
réellement agressif, pour la bonne cause, c’est le gouvernement de Laurent
Désiré Kabila. Aux prises avec une guerre d’agression qui a toujours réussi
à prendre des visages d’emprunt congolais, le gouvernement de Laurent
Désiré Kabila a dû se battre bec et ongle pour asseoir la légitimité de la RD
Congo dans les assises internationales. C’est à cette période, le 17 décembre
1998, que le Livre blanc a été publié pour dénoncer les massacres et pillages
perpétrés en RD Congo par le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi17. En pages
annexes, ce Livre blanc donne, avec force détails, un tableau synoptique
sur les violations massives des droits de l’homme à l’Est de la RD Congo,
couvrant la période du 2 août au 5 novembre 1998.
On s’attendrait à ce que les gouvernements successifs embraient sur cet
acquis pour faire entendre la voix de la RD Congo et pour protéger cette
partie de la République meurtrie. Cependant, depuis lors, la politique
du ministère des Affaires étrangères de la RD Congo s’est contentée de
« regarder ailleurs », brillant parfois par son absentéisme. Récemment
encore, le Docteur Mukwege, Prix Nobel, a exhumé le « rapport mapping » de
la commission des Droits de l’homme de l’ONU, produit en septembre 2010.
Ce rapport recense plus de 600 exactions commises au Zaïre/RD Congo entre
1993 et 2003 et désigne les différents groupes d’auteurs présumés de ces
exactions et massacres. Le gouvernement actuel ne semble pas du tout
intéressé par ce dossier qui est une opportunité de faire entendre sa voix.
Le mutisme et l’inefficacité des gouvernements congolais successifs ont
été renforcés par le harcèlement d’une opposition congolaise qui a souvent
fait l’amalgame entre les faits de politiques intérieures et des questions
de souveraineté nationale. Le parti au pouvoir en RD Congo aujourd’hui
avait brillé par sa virulence, alors qu’il était dans l’opposition, pour mettre
à genou le pouvoir en place, plaidant même pour les sanctions contre le
pouvoir en place en ce temps-là. On a beau faire l’opposition, mais lorsque
les matières touchent les questions de souveraineté, l’on est appelé au
17 République Démocratique du Congo, Ministère des droits humains, Livre Blanc sur les violations
massives des droits de l’homme et des règles de base du droit international humanitaire par les
pays agresseurs (Ouganda, Rwanda, Burundi) à l’Est de la République démocratique du Congo,
couvrant la période du 02 août 1998 au 05 Novembre 1998 Kinshasa, Décembre 1998.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 345


José MINAKU, S.J.

patriotisme et à la réserve. Aujourd’hui, espérons que ceux qui étaient au


pouvoir hier ne vont pas tomber dans le piège de chercher à noircir à tout
prix le pouvoir en place, sur des questions de souveraineté nationale.
La diplomatie congolaise a aussi failli par son incapacité à prendre en
compte les questions économiques. En effet, en ce qui concerne le pillage et
l’aliénation de l’Est de la RD Congo, le gouvernement congolais aurait dû
se pencher plus sérieusement sur les modalités d’application du processus
de Kimberley18 et de la loi Dodd-Frank19.
Il est évident que les politiques internationales de contrôle des trafics
des matières précieuses ont eu des résultats mitigés. L’observatoire des
Grands Lacs en Afrique signale dans sa note n°1-2012 :
Plus généralement, l’inclusion de la section 1502 dans la loi Dodd-Frank
a été génératrice d’inquiétude à travers toutes les filières concernées.
Certaines fonderies ont ainsi déclaré qu’elles n’accepteraient tout
simplement plus de minerais provenant de RD Congo. De même, plusieurs
fabricants de composants ont déclaré qu’ils ne s’approvisionneraient pas
en minerais provenant de la région. Ce boycott de fait a été accentué par
la décision du gouvernement congolais d’interdire toute exportation de
minerais provenant des provinces de l’est, de septembre 2010 à mars 2011.

La conséquence de cette panoplie de mesures est la recrudescence de la


contrebande vers les pays voisins. En effet, de même que le Liberia avait
vendu des milliards des dollars du diamant sierra-léonais, en pleine guerre
civile, ainsi le Rwanda et l’Ouganda ont vendu, à leurs comptes, les minerais
précieux d’une RD Congo voulue instable. Ces comptoirs de la RD Congo
ont donc vu leur marché diminuer alors que les exportations officielles de
ces minerais, depuis le Burundi et le Rwanda, ont fortement augmenté.
Certes, la RD Congo, en 2010, a fait la moue diplomatique en boycottant
la présidence tournante du processus de Kimberley, mais ses actions
diplomatiques demeurent peu résilientes. La RD Congo a même mis en
place sa propre certification des produits suivant les exigences de la Loi
Dodd-Frank dont nous avons déjà parlé. J.R. Bongengwa du journal Horizon
Mines Magazine affirme à ce sujet :

18 « Le processus de Kimberley consiste en un forum de négociation tripartite réunissant États, re-


présentants de la société civile et industriels afin de développer un cadre de régulation souple du
commerce mondial du diamant brut. Il constitue la réponse politique apportée au problème des
« diamants de sang » ou « diamants de conflit », c’est-à-dire des diamants bruts dont le commerce
contribue au financement de conflits, (principalement en Angola, en Sierra Leone et en République
démocratique du Congo - RD Congo). Ce processus réunit à ce jour 54 participants » (Elise Rousseau,
Le Processus de Kimberley et la lutte contre le commerce des « diamants de sang » dans Courrier
hebdomadaire du CRISP 2017/28-29 (n° 2353-2354), pages 5 à 62.
19 La loi Dodd-Frank promulguée en 2010 vise à réformer les marchés financiers américains suite à la
crise de 2008. Elle comprend des exigences relatives aux “minerais de conflits”. Elle est une sorte
d’extension du processus de Kimberley, mais appliqué à d’autres minerais. C’est une loi fédérale
américaine qui a eu des implications dans le commerce international.

346 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


La balkanisation de la RD Congo ou l’intégration régionale ?

La République Démocratique du Congo par son gouvernement continue à


assainir son secteur minier. Après le lancement du certificat de Kimberley
dans la filière aurifère, notre pays vient de se doter d’un Certificat CIRGL,
relatif aux minerais désignés sous le vocable 3T (Tin : Étain ; Tantale :
Coltan et Tungstène : Wolframite) ainsi que l’or. Sous l’impulsion du
Chef de l’État, S.E. Joseph Kabila Kabange, la mise en circulation de ce
Certificat résulte d’une des recommandations formulées lors du sommet
spécial des Chefs d’État et des Gouvernements de la Sous-région tenu à
Lusaka, le 15 décembre20.
Chose étonnante et qui prouve une fois de plus les ambitions régionales
du Rwanda, ce pays lance aussi un mécanisme de certification des minerais
que l’on ne retrouve cependant pas dans son sous-sol. Vraisemblablement,
ce pays voudrait continuer la mission de « blanchir » ou « légaliser » des
minerais provenant d’une RD Congo déstabilisée. La diplomatie congolaise
se tait et regarde ailleurs.

Conclusion

Je suis un citoyen ordinaire habitant Bukavu. Je vis du petit commerce


entre la RD Congo et le Rwanda. Quand je tourne mon regard vers l’Ouest,
je vois une grande forêt verte et à l’horizon, je devine Kinshasa avec ses
lueurs fades et sa cacophonie habituelle. Mais quand je tourne mon regard
vers l’Est, je vois des opportunités d’affaires. Je vois un pays prometteur.
Bien que la fibre patriotique m’empêche de l’affirmer, je réalise combien
Kinshasa est tout à fait inutile pour moi. L’ironie du sort enseigne que je
semble embrasser la cause principale de la déstabilisation de la RD Congo.
Serait-ce le syndrome de Stockholm ?
D’autres citoyens ordinaires du Sud Kivu, du nord Kivu et de l’Ituri
peuvent en dire autant quand ils contemplent le Burundi, le Rwanda et
l’Ouganda. Ce ne serait pas péremptoire d’affirmer que les trois provinces
à l’Est de la RD Congo sont économiquement annexées à l’Ouganda, au
Rwanda et dans une très faible mesure au Burundi.
Si le pouvoir de Kinshasa veut faire œuvre utile, il devrait commencer
par élaborer une stratégie protectionniste qui consiste à développer les
voies de communication et la circulation ad intra, à encadrer les petits
commerçants par une législation intelligente, à promouvoir une sous-
traitance locale qui ouvre la voie aux petites et moyennes entreprises
locales. Une politique volontariste et résiliente peut renverser la vapeur.

20 J.R. BONGENGWA, « L’exploitation des minerais dans l’espace CIGRL. La RD Congo lance son
certificat régional », in Horizon Mines Magazine, Mensuel n°003, août 2013.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 347


Nations et Institutions

DUALITÉ FONCTIONNELLE DES GOUVERNEURS


DES PROVINCES DANS LE CONTEXTE DE RÉGIONALISME
CONSTITUTIONNEL

ATOUT OU GOULOT D’ÉTRANGLEMENT ?

T
Introduction

Moise BOMANA oujours à l’ordre du jour dans les débats


MAVUNGU, tant politiques que scientifiques, la
Chef de travaux
problématique de la décentralisation
à l’Université de
Lubumbashi / constitue une véritable hantise dans
Département des l’évolution politique et constitutionnelle de la
Sciences Politiques et République démocratique du Congo.
Administratives.
Après avoir longtemps effleuré l’idée de
assbomanamoise@
gmail.com décentralisation, la République démocratique du
Congo a finalement franchi le Rubicon : la constitution
du 18 février 2006 qui a créé la IIIe République
instaure un système institutionnel où les provinces
se voient attribuer un rôle pivot dans l’administration
territoriale. Cette Constitution institue deux échelons
distincts d’exercice du pouvoir d’État, à savoir : le
gouvernement central et les provinces à l’intérieur
desquelles se meuvent des entités territoriales
décentralisées que sont : la ville, la commune, le
secteur et la chefferie. La Constitution met ainsi en
place une dualité de centres de décisions autonomes
mais complémentaires.
Signe de leur importance, les provinces sont
les seules entités territoriales à faire l’objet d’un
chapitre dans la constitution (chapitre 2, articles
195 à 206). Elles constituent quasiment des « mini-
États » dotés d’organes exécutif et législatif propres :
un gouvernement provincial et une assemblée
provinciale procédant de la volonté des populations
provinciales.
Leur nombre est passé1 de 10 à 25, en plus de la
ville de Kinshasa. Les provinces sont dotées de la
personnalité juridique et elles jouissent de la libre
1 Constitution de la République démocratique du Congo, Journal Officiel de
la République démocratique du Congo, n° spécial, 5 février 2011, p. 6.

348 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Dualité fonctionnelle des gouverneurs des provinces ...

administration, ainsi que de l’autonomie de gestion de leurs ressources


financières, matérielles et humaines. La constitution a déterminé, avec
précision, les matières de compétence exclusive du pouvoir central (art.
202), celles de compétence exclusive des provinces (art. 204) et celles, enfin,
de compétence concurrente entre le pouvoir central et le pouvoir provincial
(art. 203).
La constitution instaure la possibilité d’une coopération interprovinciale
contractuelle et elle crée une instance de dialogue entre les gouverneurs et
l’exécutif national. L’article 199 stipule, en effet, que « deux ou plusieurs
provinces peuvent, d’un commun accord, créer un cadre d’harmonisation et
de coordination de leurs politiques respectives et gérer en commun certains
services dont les attributions portent sur les matières relevant de leurs
compétences ». À cette coopération horizontale s’ajoute une coopération
verticale entre l’exécutif national et les exécutifs provinciaux : une
« conférence des gouverneurs » présidée par le Président de la République
est créée avec le mandat de « formuler des suggestions sur la politique à
mener et sur la législation à édicter »2.
La décentralisation ou mieux le régionalisme constitutionnel ou politique
est ainsi considéré comme un des éléments essentiels de la refondation de
l’État congolais avec comme objectifs de :
– Permettre aux populations de participer à la vie publique locale et
à l’élaboration des politiques de développement dans les domaines
qui les concernent ;
– Décharger le gouvernement central des tâches d’exécution pour se
concentrer sur des grandes orientations ;
– Rapprocher l’administration des administrés et simplifier les
procédures administratives ;
– Rendre les provinces et les entités territoriales décentralisées
responsables de leur développement en harmonie avec le
développement national durable ;
– Contribuer à l’accélération de l’atteinte du développement humain
local et national à travers la réalisation des Objectifs du Millénaire
pour le Développement (OMD).
– Consolider l’unité nationale mise à mal par des guerres successives.3
En outre, les gouverneurs des provinces sont investis d’une double
responsabilité. D’une part, ils sont les chefs des exécutifs provinciaux et
ont, à leur charge, la gestion quotidienne de leurs entités ; d’autre part, ils
jouent le rôle de la représentation du gouvernement central en province.
Il ressort de cette situation un dédoublement fonctionnel ou une dualité
fonctionnelle des gouverneurs de province.
2 Art. 200 de la constitution congolaise de 2006
3 Moise BOMANA, Institutions politiques provinciales et gouvernance dans la province de l’Équateur,
DEA en SPA, UNILU, juillet 2018, inédit, p. 28.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 349


Moise BOMANA

À propos de cette double casquette des gouverneurs, on peut, en effet,


noter qu’en marge du premier séminaire pédagogique organisé en mai 2019
sur l’initiative du nouveau Président de la République, Félix Tshisekedi, à
l’attention des gouverneurs, celui-ci a déclaré ce qui suit : « Là où vous êtes
dans vos différentes provinces, ayez toujours présent à l’esprit que vous
êtes d’abord mes représentants ». Dans la foulée, le chef de l’État Félix a
recommandé aux gouverneurs un contrat-programme à conclure entre ces
derniers et l’exécutif national, ce qui lui permettrait au pouvoir central
d’évaluer les performances des différents gouverneurs et éventuellement,
de les sanctionner après chaque trimestre.
Ces propos du Président de la République ont suscité quelques
interrogations : le gouverneur de province est-il d’abord le représentant
du Président de la République en province ou le chef de l’exécutif
provincial ? Comme on peut le voir, cette double casquette des gouverneurs
des provinces alimente le débat tant dans le monde politique que dans le
domaine scientifique.
Dans le cadre précis de cette réflexion, nous nous proposons d’analyser
l’incidence de la dualité fonctionnelle des gouverneurs des provinces sur
le régionalisme constitutionnel congolais. Autrement dit, cette dualité
fonctionnelle constitue-t-elle un atout ou un goulot d’étranglement pour
le régionalisme constitutionnel congolais ?
Nous nous proposons, dans un premier temps, de cerner le statut ou
la nature juridico-politique de la province comme entité composante de
l’État du Congo et, ensuite, nous apprécierons l’incidence de la dualité
fonctionnelle des gouverneurs sur le régionalisme constitutionnel congolais.
Nous chuterons avec une petite conclusion dans laquelle nous ferons
quelques propositions susceptibles de rendre le régionalisme constitutionnel
congolais plus efficace et plus efficient.

De la nature politico-juridique de la province


L’article 2 de la loi n°08/012 du 31 juillet 2008 portant principes
fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces, reprenant en
cela l’article 2 de la Constitution, dispose que la province est une composante
politique et administrative du territoire de la République Démocratique du
Congo. Pour mieux comprendre le statut de la province, il est nécessaire
d’examiner la forme de l’État instituée par le constituant de 2006.

Controverse doctrinale sur la forme de l’État et le statut de la province


Lorsqu’on examine l’intégralité du texte constitutionnel en vigueur en
République démocratique du Congo, l’on s’aperçoit que le constituant a
institué une forme de l’État innommée. Il ne l’a qualifiée ni d’État unitaire,
ni d’État régional, encore moins d’État fédéral.
350 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année
Dualité fonctionnelle des gouverneurs des provinces ...

Ce silence du constituant congolais de 2006 a introduit une ambivalence.


Alors qu’il a réussi, politiquement, à dissiper les divergences entre les
deux courants de pensée antagonistes (unitaristes et fédéralistes), il a,
scientifiquement, provoqué une controverse doctrinale sur la qualification
et la catégorisation de la forme de l’État congolais.
En effet, même si la doctrine majoritaire convient à qualifier la forme
actuelle de l’État congolais de « régionalisme politique », il se révèle
cependant des graves divergences sur sa classification. Au regard de la
théorie politique de l’État, certains politologues et juristes confinent l’État
régional dans la forme unitaire de l’État ; quelques-uns le classent dans la
forme fédérale tandis que d’autres le considèrent comme une forme nouvelle
intermédiaire entre l’unitarisme et le fédéralisme.
Ainsi, F. Vunduawe te Pemako4 considère le régionalisme comme
« la nouvelle décentralisation territoriale » ou encore comme « la
constitutionnalisation de la décentralisation politique ». D’après lui : « La
province est une entité territoriale politique régionalisée, bien que relevant
toujours de l’État unitaire ». L’affirmation de l’État unitaire est justifiée par
les principes traditionnels d’unité et d’indivisibilité qui se dégagent de la
lecture de l’article 1, al.1. de la Constitution. De son côté, Kazadi Mpiana5
fait remarquer, contrairement à la thèse de Vunduawe tendant à confiner
le régionalisme politique dans l’unitarisme, que dans l’Exposé des motifs
de la Constitution du 18 février 2006, la philosophie qui en régit la forme
de l’État et explicitée dans le corps de la Constitution ne se limite pas
seulement à l’unité et à l’indivisibilité de la République. Ces deux critères
(unité et indivisibilité) sont souvent utilisés comme des caractéristiques
essentielles de l’État unitaire. Il n’en est pourtant pas toujours ainsi,
renchérit Kazadi Mpiana6, dans la mesure où même les États fédéraux
sont aussi unis dans la diversité des rapports qu’ils entretiennent avec les
entités fédérées. Cette unité s’observe, en effet, dans l’identification d’un
sujet unique représentant la Fédération à l’Extérieur. À titre illustratif,
l’Allemagne fédérale n’est pas moins unie que le Mali, État unitaire.
La position de Vunduawe est notamment partagée par J. Djoli
Es’Engekeli7 qui soutient que « l’État régionalisé n’est pas formellement
différent de l’État unitaire décentralisé ». Il considère l’État régional comme
une variante de l’État unitaire.
Pour leur part, Ambroise Kamukuny Mukinay et Joseph Cihunda
Hengelela8, conviennent à qualifier la forme de l’État instaurée par le
4 Félix VUNDWAWE TE PEMAKO, Traité de droit administratif, Larcier, Éditions Afrique, Bruxelles,
2007, pp.124-125.
5 Joseph KAZADI MPIANA, « La révision constitutionnelle congolaise du 20 janvier 2011 : considé-
rations critiques d’un citoyen (juriste) », http://www. Laconstitution-en-afrique.org/, consulté le
16/08/2017.
6 Idem, p. 21.
7 Jacques DJOLI, Droit constitutionnel congolais. L’expérience congolaise, Paris, L’Harmattan, 2013., p. 192.
8 Ambroise KAMUKUNY et Joseph CIHUNDA, « Régionalisation, décentralisation et naissance

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 351


Moise BOMANA

constituant du 18 février 2006 de l’État unitaire régionalisé, car, estiment-


ils, les rapports qu’il convient de prendre en considération pour déterminer
la forme de l’État sont bien ceux entre l’État central et ses entités
composantes que sont les provinces et non ceux des entités territoriales
décentralisées qui composent les provinces.
De leur côté, Évariste Boshab et Matadi Nenga Gamanda9 abondent à
peu près dans le même sens, mais en apportant une nuance dans le choix
des termes. Pour eux, la République Démocratique du Congo est un État
non pas unitaire mais uni et régionalisé10.
Cependant, Jean Fougerouse11 attire l’attention sur la confusion qu’il
faudrait éviter d’entretenir entre l’État unitaire et l’unité de l’État et fait
remarquer que « c’est essentiellement en raison de l’existence d’un pouvoir
normatif primaire, le pouvoir législatif régional, que l’État régional ne peut
pas être considéré comme un État unitaire ».
Nageant à contre-courant du postulat tendant à encadrer la forme
actuelle de l’État congolais dans l’unitarisme, Toengaho Lokundo 12
distingue clairement l’État unitaire, l’État régional et l’État fédéral. Le
régionalisme constitutionnel qui traduit ce que d’aucuns qualifient d’État
unitaire fortement décentralisé est, selon l’auteur, une formule de gestion
intermédiaire entre un État unitaire décentralisé et un État fédéral.
Dans la même perspective, Pierre Bon13 considère l’État régional comme
étant « une forme intermédiaire entre l’État unitaire classique et l’État
fédéral, qui conjugue unicité de l’État et autonomie politique de ses éléments
composants ». L’auteur est rejoint par Franck Moderne14qui affirme que
l’État régional est « une forme d’État composé qui admet la combinaison de
deux niveaux du pouvoir politique sans être pour autant un État fédéral ».

effective des Vingt-cinq nouvelles provinces : Défis et perspectives de prévention des conflits » in
Congo-Afrique, n° 433, (mars 2009), p. 300.
9 Évariste BOSHAB et MATADI NENGA, Le statut de représentants du peuple dans les assemblées politiques
délibérantes, Academia-Bruylant, Coll. Bibliothèque de droit africain, Louvain-la-Neuve, 2010, p. 20.
10 Idem. Souligné dans le texte, p. 20.
11 Jean FOUGEROUSE, (dir), L’État régional, une nouvelle forme d’État ? Un exemple de recomposition
territoriale en Europe et en France, Bruylant, Bruxelles, 2008, note à ce propos : « La notion d’État
unitaire renvoie à une forme de répartition du pouvoir de décision, et en particulier à l’unicité du
détenteur du pouvoir législatif. Le caractère unitaire de l’État est une question d’organisation des
pouvoirs, tandis que l’unité de l’État concerne le contenu des règles juridiques et l’existence ou
non des normes qui définissent l’État et y sont rattachées intrinsèquement ».
12 TOENGAHO LOKUNDO, « La réforme sur la décentralisation et le découpage territorial : portée,
forces et faiblesses » in Actes des Journées sociales du CEPAS (du 03 au 5/11/2008) : enjeux et défis
de la décentralisation in Congo-Afrique, n°433, (Mars 2009), Kinshasa, pp. 213-231, spécialement
aux pages 216-220.
13 Pierre BON, « l’État autonomique : forme nouvelle ou transitoire en Europe », in Economica, 1994,
p. 60.
14 Franck MODERNE, « l’État des autonomies dans l’État des autonomies », in Revue française de Droit
constitutionnel, n° 2, (1990) p. 205.

352 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Dualité fonctionnelle des gouverneurs des provinces ...

C’est dans l’optique de la décentralisation politique qu’il faudrait situer


les propos d’El Hadj Mbodj15 qui souligne l’originalité de la décentralisation
politique au Congo, opérant une répartition des compétences entre le pouvoir
central et les provinces sans précédent dans l’histoire des pays africains
francophones. En effet, sous l’égide de la communauté internationale, et
spécialement des bailleurs de fonds, beaucoup d’États africains ont amorcé
des réformes promouvant la décentralisation politique en vue de décharger
l’État central d’un poids pesant des services qu’il gère et le transfert d’une
partie importante de ses prérogatives aux entités de proximité. Dans
cette perspective, il fait pertinemment remarquer que la décentralisation
politique congolaise se rapproche davantage du régionalisme espagnol
ou italien que de la décentralisation française. La « provincialisation »
apparait comme l’antichambre du fédéralisme dans la mesure où les
provinces sont pratiquement des quasis États dotés d’institutions politiques
– un gouvernement provincial et une Assemblée provinciale – procédant
directement de la volonté des populations provinciales. Les relations entre
le pouvoir central et les provinces présentent une dimension horizontale
en ce sens que chaque entité dispose de compétences propres jouxtant
avec des compétences qui leur sont communes ; les conflits de compétences
étant tranchés par la Cour constitutionnelle. Pour El Hadj Mbodj, donc,
le régionalisme congolais, qu’il qualifie de « provincialisation », serait une
étape transitoire pour le passage vers le fédéralisme. Il est tellement proche
du fédéralisme qu’il ne peut pas être considéré comme un mécanisme de
l’État unitaire.
Par ailleurs, développant des considérations sur la forme de l’État en
rapport avec le statut de la province, Mbata Mangu16 note à ce propos qu’« …
au regard de ce qui précède, même si le mot fédéral n’est pas utilisé, l’État
de la République Démocratique du Congo apparait comme un État quasi-
fédéral ». Dans la même optique, Jean-Louis Esambo Kangashe17 affirme
sans trop d’explications que le constituant du 18 février 2006 a instauré
un fédéralisme atypique.
Du même avis, Grégoire Bakandeja Wa Mpungu18, après avoir analysé
les dispositions de la constitution en faveur des thèses fédéralistes et
unitaristes, nuance son opinion mais laisse transparaitre un penchant vers
le fédéralisme en ces termes : « Le Constituant de 2006 a pris le soin de
ne pas nommer comme tous ses devanciers la forme de l’État. Cependant,
malgré cette précaution, il semble que la forme fédérale ait pris le pas sur
la forme unitaire, le fédéralisme étant en fait l’objectif à long terme ».
15 EL HADJ MBODJ cité par KAZADI MPIANA, Art. cit., p. 22.
16 André MBATA, « Perspectives du constitutionnalisme et de la démocratie en République Démo-
cratique du Congo sous l’empire de la Constitution du 18 février 2006 » in BULA BULA Sayeman
(dir), Pour l’épanouissement de la pensée juridique congolaise. Liber Amicorum Antoine Marcel Lihau,
PUK, Kinshasa, Bruxelles, Bruylant, pp.185-224, spécialement à la page 212.
17 Jean Louis ESAMBO, La Constitution congolaise du 18 février 2006 à l’épreuve du constitutionnalisme.
Academia-Bruylant, Coll. Bibliothèque de droit africain, Louvain-la-Neuve, 2010, p. 107.
18 Grégoire BAKANDEJA, cité par KAZADI MPIANA, Art. cit., p. 23.
Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 353
Moise BOMANA

Clément Kabange Ntabala19, quant à lui, tranche que la nouvelle


configuration étatique consacrée par la Constitution laisse penser que
la République Démocratique du Congo a institué une forme atypique et
absurde du fédéralisme que l’on cache sous le néologisme d’un État unitaire
fortement décentralisé, d’un régionalisme constitutionnel ou politique ou
d’un fédéralisme prudent.
Comme on peut l’observer, la discussion sur la forme de l’État congolais
est davantage dominée par les juristes. Cependant, les politologues,
quoique peu bavards en la matière, ne sont pas absents. Ils préfèrent plutôt
observer la mise en scène réelle de la structure constitutionnelle du pays,
son fonctionnement au quotidien, bref la gestion politico-administrative
de l’État.
En effet, sur le plan légal et formel, nous opinons en faveur du
régionalisme politique du fait, notamment, de la répartition constitutionnelle
des compétences entre l’État central et les provinces, de la détention des
pouvoirs législatif et réglementaire par les provinces et de l’arbitrage par
la Cour constitutionnelle des conflits de compétence entre l’État central
et les provinces.
Dans la pratique, cependant, les faits montrent bien à quel point le
pouvoir d’État semble être centralisé. Les provinces sont traitées, par le
Gouvernement central, comme des entités déconcentrées et les gouverneurs
comme des simples agents d’exécution et ce, en violation flagrante de
l’esprit et la lettre de la Constitution qui, au regard de l’immensité du
territoire national, a jugé bon d’instituer deux échelons du pouvoir étatique
correspondant à deux centres d’impulsion du développement national
intégral et harmonieux. Les gouverneurs eux-mêmes se sont rendus
complices des violations récurrentes du statut constitutionnel de leurs
entités en cherchant, à tout prix et souvent par des basses flagorneries,
à plaire aux autorités nationales. Dans ce contexte, les gouverneurs se
complaisaient à attribuer au Président de la République toutes les actions
qu’ils posent dans leurs entités respectives. Ce qui pousse l’opinion à
conclure de l’inutilité des institutions provinciales. Car, du sommet à la
base, c’est l’unique volonté du Président de la République qui se matérialise.
De la littérature sus-évoquée, on peut conclure que la province est
revêtue d’un double statut : elle est régionalisée lorsqu’elle est considérée
comme entité composante du territoire de la République Démocratique du
Congo et elle est déconcentrée lorsqu’elle joue le rôle de la représentation
du gouvernement central.

19 KABANGE NTABALA, « Le réaménagement de l’État, la décentralisation et l’émergence


démocratique en République Démocratique du Congo » in BAKANDEJA, A. MBATA MANGU,
R. KIENGE-KIENGE (dir), Participation et responsabilité des acteurs dans un contexte d’émergence
démocratique en République Démocratique du Congo, PUK, (2007), p. 57.

354 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Dualité fonctionnelle des gouverneurs des provinces ...

Le statut de la province ayant été globalement saisi, venons-en à présent


à l’incidence de la dualité fonctionnelle des gouverneurs des provinces sur
le régionalisme constitutionnel congolais.

Incidence de la dualité fonctionnelle des gouverneurs des


provinces sur le régionalisme constitutionnel en RD Congo
Par dualité fonctionnelle, nous entendons la coexistence de deux fonctions
dans le chef d’un même sujet de droit, en l’occurrence les gouverneurs des
provinces. En effet, de l’analyse des relations qui lient la province à l’État
central, il se dégage que deux régimes juridiques s’enchevêtrent ; la province
est à la fois, une entité composante du territoire de la RD Congo, partant,
une entité régionalisée et une entité de représentation du pouvoir central
et, par conséquent, déconcentrée.
Cette dualité alimente la confusion sur le statut du Gouverneur de
province et ne permet pas la lisibilité du contrôle que le pouvoir central
peut exercer sur ce dernier. Ce contrôle ne peut juridiquement se justifier
qu’au regard de son rôle de représentant du pouvoir central, et à ce titre,
ses actes sont susceptibles d’annulation. En outre, le pouvoir central peut
exercer un contrôle hiérarchique sur le Gouverneur de province pouvant
aboutir à une éventuelle suspension en sa qualité d’agent déconcentré
représentant le pouvoir central en province.
En effet, Loin d’être un facteur de consolidation du régionalisme
constitutionnel institué par le constituant du 18 février 2006, lequel reflète
le compromis qui s’était dégagé au sein de l’Assemblée nationale durant les
discussions sur l’adoption de la forme de l’État, cette dualité est apparue
comme un véritable goulot d’étranglement. Elle a servi de justification
aux immixtions et interférences récurrentes et sans fondement légal
du gouvernement central dans l’organisation et le fonctionnement des
provinces. Ce dédoublement contraste avec la philosophie du régionalisme
politique et consacre un retour vers un néo-centralisme. Il s’ensuit l’atrophie
de l’autonomie et de la libre administration des provinces.
À titre illustratif, la loi du 31 juillet 2008 relative aux Principes
fondamentaux de la libre administration des provinces, telle que modifiée
en janvier 2013, détermine le nombre de sessions ordinaires des assemblées
provinciales (2), fixe les dates de leur tenue (la 1ère s’ouvre le 30 mars et se
clôture le 29 juin ; la seconde le 30 septembre et se termine le 29 décembre) ;
précise l’objet de la seconde session (principalement budgétaire). L’art. 9
ajoute : « (…). Lorsqu’une Assemblée provinciale ne se réunit pas dans le
délai repris au premier alinéa ci-dessus sans motif valable, le Ministre ayant
l’intérieur dans ses attributions la convoque en session extraordinaire. Dans
ce cas, la séance d’ouverture est présidée par un délégué du Ministre de
l’Intérieur ». Le ministre de l’intérieur se voit ainsi reconnaitre le pouvoir

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 355


Moise BOMANA

de s’ingérer dans le fonctionnement des Assemblées provinciales, ce qui


s’écarte de la philosophie de libre administration et de l’autonomie que
suggère le régionalisme constitutionnel. Aussi, à travers le télégramme
003 /2018 datant du 3 janvier 2018 et adressé au Président du Bureau
de l’Assemblée provinciale de Lomami, Emmanuel Ramazani Shadary,
Vice-premier ministre et ministre ayant dans ses attributions les affaires
intérieures, avait-il souligné que la décision des élus provinciaux de la
Province de Lomami de déchoir le Gouverneur Patrice Kamanda était
nulle et de nul effet. Il transmit, par conséquent, au Président du Bureau
de l’Assemblée provinciale l’instruction du Chef de l’État lui demandant
de revenir sur la décision de déposer le Gouverneur et son équipe20.
Pourtant, la constitution congolaise et la loi portant principes relatifs
à la libre administration des provinces reconnaissent à l’Assemblée
provinciale le plein pouvoir d’élire et, le cas échéant, de déchoir le
Gouverneur de province. Aussi était-il curieux de constater que le même
Vice premier ministre avait communiqué à la Commission Électorale
Nationale Indépendante la vacance à la tête de certaines provinces où des
Gouverneurs étaient destitués par l’Assemblée provinciale et réhabilités
par la suite par la Cour constitutionnelle, annulant les résolutions adoptant
des motions de censure à l’égard des Gouverneurs Jean-Claude Kazembe
Musonda du Haut-Katanga et Cyprien Lomboto de la Tshuapa. Nonobstant
la notification des arrêts y relatifs de la Cour constitutionnelle, des élections
ont été organisées dans lesdites provinces par la Commission électorale
avec la bienveillance et la complicité du gouvernement central.
La nomination des commissaires spéciaux et de leurs adjoints par
l’ordonnance présidentielle en 2015 pour gérer les nouvelles provinces a
constitué un autre cas flagrant de violation du régionalisme constitutionnel
et a rappelé les pratiques en vigueur sous la Deuxième République et
pendant la Transition politique où les Gouverneurs de province étaient
nommés par le pouvoir central, lequel pouvait mettre fin de manière
discrétionnaire à leurs fonctions. Ces commissaires agissaient en qualité
de représentants du gouvernement central dans les provinces démembrées
comme agents déconcentrés et n’étaient responsables que devant celui-ci.
Même si la mesure a été motivée, selon le Gouvernement, par des
circonstances exceptionnelles transitoires, celles-ci ne trouvent aucun
fondement ni constitutionnel ni légal et encore moins politique, quand on
sait surtout que tous ces Commissaires spéciaux étaient issus de la famille
politique du Chef de l’État en fonction.
Pour notre part, quoique le gouvernement ait invoqué l’arrêt de la Cour
constitutionnelle, la nomination des Commissaires spéciaux et de leurs
adjoints pour administrer les nouvelles provinces s’écartait clairement du

20 https://www.radiookapi.net/2018/01/06/actualite/politique/lomami-la-decheance-du-gouver-
neur-kamanda-suspendue consulté le 6 janvier 2018.

356 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Dualité fonctionnelle des gouverneurs des provinces ...

schéma constitutionnel et nous parait inconstitutionnelle, 21 L’article 66, al.


2 de la loi portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration
des provinces expressément visé par l’ordonnance de nomination des
commissaires, ne s’avère pas pertinent dans la mesure où il ne couvre
qu’une dimension de la qualité du Gouverneur de province, celle de l’agent
déconcentré représentant le pouvoir central en province. Ce n’est qu’à
ce titre que le pouvoir central, en cas de nécessité, peut réformer ou se
substituer au pouvoir du Gouverneur de province. Et non en sa qualité de
chef de l’exécutif provincial.
L’arrêt de la Cour constitutionnelle du 8 septembre 2015, reconnaissant
au gouvernement le pouvoir de recourir aux mesures exceptionnelles
transitoires, ne le dispensait pas de l’obligation de se conformer à la
Constitution et aux lois en la matière. Ces mesures pouvaient bien être
recherchées dans le cadre qui obéit aux prescrits légaux. Ce qui n’a
malheureusement pas été le cas.
En plus, le maintien en fonction des gouverneurs des provinces de
l’Ituri, Jean Bamanisa, et de Haut-Lomami, Marcel Lenge, par le vice
premier ministre de l’intérieur, après leurs destitutions par les Assemblées
provinciales de l’Ituri et de Haut-Lomami, montre à quel point le
régionalisme est soumis à rude épreuve malgré le changement intervenu
au sommet de l’État en 2019.
En effet, en marge de la septième réunion de conférence des gouverneurs
convoquée en décembre 2020 par le Président de la République, celui-ci, tout
en évoquant les articles 202, 203 et 204 de la Constitution qui définissent les
sphères des compétences exclusives et concurrentes des échelons national
et provincial, a néanmoins affirmé que quelles que soient les circonstances,
la position du pouvoir central doit toujours primer. Autrement dit, pour
le Président de la République, quel que soit le domaine de compétence
(exclusif ou concurrent), le pouvoir central n’a pas de limites. Sa volonté
doit ipso facto s’appliquer même lorsqu’il s’agit des matières relevant de
la compétence exclusive des provinces. Ce qui signifie que les compétences
des provinces sont plus théoriques que pratiques. Aux yeux des autorités
centrales, la province est une simple entité déconcentrée sans pouvoirs ni
autonomie réels.
Cette tendance s’était déjà affirmée avec la révision constitutionnelle
de 2011 qui, de l’avis de plusieurs observateurs, avait violé l’article 220
de la constitution du 18 février à cause justement du droit de dissolution/
révocation des institutions provinciales attribué au chef de l’État, lequel
droit réduit considérablement les pouvoirs des provinces.
Réagissant à cette révision, Bob Kabamba, l’un des corédacteurs de la
Constitution du 18 février 2006, avait écrit ce qui suit :
21 Ordonnance n°15/081 du 29 octobre 2015 portant nomination des commissaires spéciaux et des
Commissaires spéciaux adjoints du gouvernement chargés d’administrer les nouvelles provinces.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 357


Moise BOMANA

Nous avons doté la RDC d’une bonne constitution qui permet d’avoir des
institutions où aucune institution n’est supérieure par rapport à l’autre.
Cette constitution a été faite pour qu’il y ait une gestion pacifique de
l’après-conflit, avec équilibre entre le Président de la République, et le
premier ministre, entre le sénat et l’Assemblée nationale, entre l’État
central et les provinces…, donc une série des mécanismes qui permet
d’avoir une gestion équilibrée sans que celui qui prend le pouvoir puisse
se permettre d’écraser d’autres institutions. C’est la philosophie de la
constitution de 2006 (…) en faisant la modification de 2011, on a modifié
l’équilibre des institutions. C’est-à-dire que l’on a renforcé le pouvoir du
président de la République par rapport à ce qui a été décidé par référen-
dum en 2006 (…) on n’est plus dans un mécanisme équilibré entre les
institutions, mais vers le présidentialisme22.
Dans la même perspective, nous pouvons affirmer, en accord avec
Jean-Michel Kumbu Ki Ngimbi, « qu’en plaçant les services nationaux en
province (services déconcentrés) sous l’autorité du Gouverneur de province,
celui-ci se rend redevable (accountable) devant le pouvoir central qui peut
le sanctionner. Or, telle n’est ni la lettre ni l’esprit de la Constitution dans
un système de régionalisme constitutionnel »23.

Conclusion

Le régionalisme constitutionnel est présenté comme la solution


institutionnelle au problème de développement local et celui de l’unité ou
de l’intégration nationale.
Comparé aux tentatives antérieures de décentralisation, le régionalisme
constitutionnel actuel rompt, sur le plan des textes, avec la tradition
congolaise qui avait vu l’essentiel des pouvoirs concentrés entre les
mains des instances nationales lors des première et seconde Républiques.
Le nouveau texte constitutionnel prend le contre-pied de cette histoire
politico-institutionnelle en privilégiant clairement l’autonomie politico-
constitutionnelle des provinces. Dans la pratique, cependant, force est de
constater l’absence d’une réelle volonté politique pour la matérialisation de
cette réforme sur laquelle le peuple congolais fonde pourtant ses espoirs.
Nous sommes d’avis que le régionalisme ne pourrait atteindre les
objectifs constitutionnels lui assignés que si les acteurs en présence (la
classe dirigeante et la population) se convainquent de la nécessité de
l’adopter comme moyen capable de relever les défis qu’impose l’immensité
22 B. KABAMBA, « La révision de l’article 220 : Bob Kabamba fixe l’opinion », in Le Potentiel, Kinshasa,
n°5869, du 6 juillet 2013, p. 3.
23 KUMBU Ki NGIMBI, « Le statut juridique des provinces dans la Constitution congolaise du 18
février 2006 : des entités « régionalisées » dans un Etat uni(taire) ? », O. NDESHYO RURIHOSE
(dir.), Mélanges en l’ honneur de Célestin NGUYA-NDILA. La République démocratique du Congo :
les défis récurrents de décolonisation, de l’État de droit et du développement économique et social,
Kinshasa, Cedesurk, (2012), pp. 943-965, spéc. à la p. 951.

358 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Dualité fonctionnelle des gouverneurs des provinces ...

du territoire de la République démocratique du Congo. Ainsi, l’adhésion et


le respect par tous des textes qui régissent le régionalisme constitutionnel
demeure le véritable gage de sa réussite. À ce sujet, J-P Lotoy Ilango24 relève
que « le fondement de la différence entre les sociétés épanouies et celles
arriérées se situe, sans conteste, dans le comportement des acteurs sociaux.
Les uns ont des principes et la majorité d’entre eux les respecte, tandis
que les autres tournent le dos à ces mêmes principes qui sont respectés
uniquement par une infime minorité ».
Au regard de la confusion que provoque le dédoublement fonctionnel
des gouverneurs et des immixtions et interférences subséquentes, il est
nécessaire de séparer clairement les attributions de l’État de celles des
provinces. Que les gouverneurs restent cantonnés dans leur rôle des chefs
des exécutifs provinciaux et que le gouvernement central nomme les
responsables dans chaque province pour gérer et coordonner les affaires
relevant de ses compétences.
En même temps, les gouverneurs qui président aux destinées de
nos provinces doivent apprendre à s’extraire courageusement, lorsque
les circonstances l’exigent, de la cage partisane pour voir l’intérêt de la
province. Autrement dit, ils doivent arrêter de subir comme des victimes
expiatoires les immixtions du pouvoir central. La constitution leur reconnait
le pouvoir de saisir la Cour constitutionnelle pour dénoncer ces genres
d’actes, ils doivent l’utiliser.
Aussi le succès attendu du processus de régionalisation politique
est-il tributaire de la qualité de l’élite politique locale produite par des
élections provinciales. Il est donc nécessaire que cette élite soit désignée
par le souverain primaire sur base des critères objectifs de compétence
intellectuelle et surtout de haute probité morale.
Enfin, étant donné que c’est le niveau national qui a choisi le régionalisme
constitutionnel qui implique l’autonomie et la responsabilisation de la
base (provinces), il doit, par conséquent, s’abstenir de violer ses propres
choix. En violant lui-même la Constitution et les lois sur les provinces,
le gouvernement central compromet le succès de la décentralisation et la
rend inefficace.

24 Jean Pierre LOTOY ILANGO, « La décentralisation en RDC : enjeux, défis et rôle du pouvoir tra-
ditionnel», in Congo-Afrique (février 2018), n°522, pp. 133-143.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 359


Nations et Institutions

DÉMOCRATIE REPRÉSENTATIVE :
LA SOUVERAINETÉ DU PEUPLE À L’ÉPREUVE DE LA TRANSCENDANCE
DES DÉPUTÉS NATIONAUX EN RD CONGO

D
Dominique KIWELE e nos jours les « représentants du peuple »
KATATO, ont une place et un rôle très importants
Criminologue
dans l’organisation et le fonctionnement
et Assistant à
l’Université de d’un système politique qui se déclare
Lubumbashi/ démocratique. Ils sont parmi les acteurs politiques
Département des privilégiés.
Sciences Politiques et
À la suite des réflexions de Montesquieu, figure de
Administratives.
kiweledomy@ proue de la doctrine de « séparation des pouvoirs »,
gmail.com qui atteste que le pouvoir législatif (allusion faite ici
aux représentants directs du peuple, les députés)
représente le pouvoir le plus important mais, en
même temps, le plus dangereux dans l’exercice du
pouvoir politique1, nous nous proposons ici d’analyser
leur situation vis-à-vis du rôle qui est le leur dans un
système dit de démocratie représentative.
Le pouvoir législatif, disait Montesquieu, est le
plus important parce qu’il est celui grâce auquel le
peuple s’exprime à travers ses représentants. Il va de
soi que tout le monde ne peut pas exercer le pouvoir
de manière directe. Tout le peuple ne peut siéger au
parlement. Cependant, fait remarquer Montesquieu,
le pouvoir législatif est également le pouvoir le plus
dangereux car, s’il est vrai que le peuple se fait
représenter par ses élus, force est de reconnaitre qu’il
n’est pas dans l’hémicycle au moment de l’élaboration
et des votes des lois. Ici, il y a toujours la possibilité
de trahison de la part des députés ; ils peuvent voter
des lois qui vont à l’encontre des intérêts du peuple
pour des raisons sournoises et égoïstes.
Nous partons de l’hypothèse selon laquelle la
démocratie représentative plutôt que d’être une
aubaine pour le peuple congolais ayant, dans les
temps anciens, évolué sous un régime de confiscation
de pouvoir, serait par contre une perpétuation de la
1 MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, Genève, Barillot, 1748 (édition
électronique réalisée par Jean-Marie Tremblay), livre onzième,
chapitre 6.

360 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Démocratie représentative

paupérisation et de la déresponsabilisation du peuple, en favorisant une


forte transcendance de ceux qui sont censés le représenter et, donc, agir
pour son bien.

1. De la démocratie
La littérature sur la démocratie est tellement abondante que nous
n’avons pas la prétention de dire ce qui n’a jamais été dit à ce sujet. Le terme
démocratie a eu des significations différentes pour les peuples différents
et en des lieux différents. À ce propos, Robert Dahl note : « Les États-Unis
n’ont-ils pas constitué une démocratie dès la Révolution américaine, une
démocratie républicaine pour prendre les termes de Lincoln ? Alexis de
Tocqueville, après son séjour aux États-Unis dans les années 1830, n’a-
t-il pas intitulé son célèbre ouvrage De la démocratie en Amérique ? Et
les Athéniens, au Ve siècle avant l’ère chrétienne, n’ont-ils pas qualifié
de démocratie leur système de gouvernement ? »2 Ceci démontre que la
démocratie n’a pas été inventée une fois pour toutes comme l’a été, par
exemple, la machine à vapeur. Mais tout comme le feu, ou la peinture,
ou l’écriture, la démocratie a été inventée plus d’une fois, et en plus d’un
endroit. Elle a donc, au cours de ces vingt-cinq derniers siècles, été soutenue,
défendue, attaquée, ignorée, établie, pratiquée, détruite et parfois rétablie.3
Néanmoins, pour les sociétés qui ont su conserver les traces de leur
histoire, « c’est dans la Grèce et la Rome4 antiques, vers 500 av. J.-C., qu’ont
été, pour la première fois, instaurés des systèmes de gouvernement offrant
à un nombre relativement important de citoyens la possibilité de participer
aux décisions, systèmes fondés sur des bases si solides qu’ils ont perduré
pendant plusieurs siècles, moyennant quelques modifications épisodiques.
Si la démocratie a désigné des choses différentes selon les époques, quel
sens pouvons-nous lui donner aujourd’hui ? Car, le fait qu’elle soit riche
d’une si longue histoire a contribué à entretenir la confusion et le désaccord.

1.1. La démocratie antique : démocratie directe


Il peut paraître absurde de donner la définition étymologique de la
démocratie tant, elle est notoire. Au fait, demokratia (mot grec forgé
probablement à Athènes, le plus célèbre des États -cités antiques) dérive de
deux racines « demos » et « kratos » qui signifient respectivement « peuple »
et « pouvoir ». D’où, le gouvernement du peuple.

2 Robert DAHL, De la démocratie (traduit de l’américain par Monique Berry), Paris, Nouveaux
Horizons, 2001, p. 3.
3 Robert DAHL, Op. Cit., p. 10
4 À peu près à l’époque où il était institué en Grèce, le gouvernement populaire faisait son apparition
sur la péninsule italienne, à Rome. Mais les Romains, eux, donnèrent à leur système le nom de
République (Chose publique)

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 361


Dominique KIWELE

Une autre définition, très répandue même de nos jours, est celle donnée
par Abraham Lincoln qui l’emprunta d’ailleurs à Périclès : « le gouvernement
du peuple, par le peuple et pour le peuple. » Une telle définition est trop
belle pour être vraie quant aux modalités pratiques. Faudra-t-il se leurrer
en la prenant stricto sensu ? La sortir de son contexte risquerait, cependant,
de vendre l’illusion à la conscience collective.
En effet, dans la Grèce antique, cette définition trouvait son sens,
moyennant certaines restrictions. Athènes du temps de Périclès (5e siècle
avant Jésus-Christ) compte, selon certaines estimations, environ 35.000
citoyens (libres, adultes et de sexe masculin) capables de se réunir sur la
place publique (agora) et de décider de la gestion de la Chose publique.
Le gouvernement d’Athènes était complexe, trop complexe pour être
décrit ici de façon correcte. Il avait pour noyau une assemblée à laquelle tous
les citoyens avaient le droit de prendre part. Selon certaines estimations,
tout citoyen ordinaire avait une chance raisonnable d’être désigné une
fois dans sa vie pour occuper la fonction la plus importante au sein du
gouvernement de la cité. Cette situation se justifie par le fait que le principal
moyen de sélection utilisé afin de pourvoir aux charges était le tirage au
sort dans lequel tous les citoyens éligibles avaient la même chance d’être
désignés. C’est ainsi qu’on pouvait alors, dans ces conditions, parler de
démocratie directe et de gouvernement du peuple par le peuple, ou plus
exactement de gouvernement des citoyens, puisque les esclaves et les
femmes étaient exclus.
Bernard Manin fait tout de même remarquer à ce propos que
dans la démocratie athénienne, l’Assemblée du peuple ne détenait pas
tous les pouvoirs. Certaines fonctions importantes étaient remplies par
des magistrats élus. Mais, surtout, la plupart des tâches que n’exerçait
pas l’Assemblée étaient confiées à des citoyens sélectionnés par tirage
au sort. Jamais, en revanche, aucun des régimes représentatifs établis
depuis deux siècles n’a attribué par le sort la moindre parcelle du pouvoir
politique, ni souverain, ni d’exécution, ni central ni local.5
C’est ainsi que les démocrates orthodoxes comme Rousseau et
Montesquieu ne considèrent la démocratie que dans le cadre de petits États.
Ça suppose le rassemblement du peuple comme à l’époque athénienne.
De ce qui précède, retenons que le passage de la démocratie antique à
celle moderne se caractérise par l’apparition du système représentatif qui
doit conduire à imaginer des définitions de démocratie qui ne soient pas
anachroniques.

5 Bernard MANIN, Principes de gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, 1996, p.19

362 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Démocratie représentative

1.2. La démocratie moderne : démocratie représentative ou indirecte


Commençons par faire remarquer que « les démocraties contemporaines
sont issues d’une forme de gouvernement que ses fondateurs opposaient à
la démocratie. L’usage nomme ’’démocraties représentatives’’ les régimes
démocratiques actuels. Cette expression, qui distingue la démocratie
représentative de la démocratie directe, fait apparaître l’une et l’autre
comme des formes de la démocratie. Toutefois, ce que l’on désigne
aujourd’hui sous le nom de démocratie représentative trouve ses origines
dans les institutions qui se sont progressivement établies et imposées en
Occident à la suite des trois révolutions modernes, les révolutions anglaise,
américaine et française. Or ces institutions n’ont nullement été perçues,
à leurs débuts, comme une variété de la démocratie ou une forme du
gouvernement par le peuple. »6
La démocratie moderne est principalement une démocratie indirecte. De
cette façon, et concrètement, il n’y a qu’une portion de gens qui gouvernent.
Il n’existe qu’un simulacre de souveraineté détenu par le peuple.
Au fond, le gouvernement représentatif n’accorde aucun rôle
institutionnel au peuple assemblé. C’est par là qu’il se distingue le plus
visiblement de la démocratie des cités antiques. Il a toujours, et partout,
été lié à la procédure élective, parfois combinée avec l’hérédité comme dans
les monarchies constitutionnelles, mais jamais avec le tirage au sort. Aussi
la notion de représentation mérite-t-elle également un éclaircissement.

La représentation politique7
Généralement, cette expression désigne « le processus par lequel des
gouvernants se considèrent comme légitimés à parler au nom d’un ensemble
plus large et autorisés à décider en son nom. » Cette légitimité résulte le
plus souvent de l’élection ; le peuple « souverain » étant une sorte d’être
originel dont la vocation est de désigner ceux qu’il habilite à le représenter.
Ceci dit, la représentation est le concept fondateur des régimes
démocratiques modernes. Rompant d’avec la théorie classique de la
démocratie, ceux-ci ne supposent pas le gouvernement du peuple par le
peuple, ou mieux, par les citoyens, mais le gouvernement du peuple par
les représentants du peuple.

Comment se fait-il que le Député puisse alors avoir du pouvoir


sur le peuple qui le lui donne ?
Lorsque l’acte de délégation est accompli par une seule personne en faveur
d’une autre personne, les choses sont relativement claires. Mais lorsqu’une
seule personne est dépositaire des pouvoirs d’une foule de personnes, elle
6 Bernard MANIN, Op. cit., p. 9.
7 Guy HERMET et alii, Dictionnaire des sciences politiques et institutions politiques, Paris, Armand Colin
(7e édition revue et augmentée), 2013, pp. 270-271.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 363


Dominique KIWELE

peut être investie d’un pouvoir transcendant chacun de ses mandants. Et du


même coup, elle peut être en quelque sorte une incarnation de cette sorte de
transcendance du social que les durkheimiens ont souvent nommée.
Pour finir cette partie, observons avec Alain Touraine que c’est parce
qu’au 18e siècle le plus grand malheur, sur le continent européen où était
née la démocratie moderne, n’a pas été la misère mais le totalitarisme, que
nous sommes repliés sur une conception modeste de la démocratie, définie
comme un ensemble de garanties contre l’arrivée ou le maintien du pouvoir
des dirigeants contre la volonté de la majorité. »8 Vu ainsi, et en se plaçant
dans le contexte d’une Afrique affamée, dans laquelle on ne crée pas assez
de richesses à distribuer de manière plus ou moins équilibrée entre les
habitants des villes et villages, on ne peut concevoir la démocratie sans
mettre l’accent sur le bien-être tout d’abord socioéconomique du peuple.
Ce ne sont donc pas les articles d’une Constitution qui font la démocratie.
Il faut aller bien au-delà, dans la pratique de ses principes et de ses vertus.

1.3. La souveraineté du peuple


Plusieurs considérations existent pour cerner la notion de souveraineté.
Nous retenons ici que « c’est à la fois un mythe politique et une construction
juridique »9. C’est une sorte de compétence en dernière instance qui ne
souffre d’aucune sorte de limite s’imposant au-dessus d’elle. Elle a ainsi
pour fonction de justifier des représentations politiques. Elle est affirmée
avec vigueur dans deux catégories de contexte.
Dans l’ordre démocratique interne (sens dans lequel elle est évoquée
ici), la souveraineté est un attribut conféré au peuple, source d’où procède
directement toute légitimité institutionnelle. Elle s’exprime selon la
Constitution congolaise soit par référendum, soit par les élections, ou encore,
de façon indirecte, à travers les représentants que le peuple se donne par
le suffrage universel. (Cf. art 5 de la Constitution du 18 février 2006).
Sur la scène internationale, la souveraineté fonde le principe de l’égalité
juridique entre les États et constitue, pour les plus faibles, un moyen de
légitimer leur résistance aux interventions des plus forts dans leurs affaires.
Ce mythe juridique et cette construction politique sont manifestes dans
l’ordre interne des États, à partir du moment où le peuple « souverain »
n’a plus, de nos jours et surtout dans le contexte africain, qu’à compter
sur ses représentants à qui il abandonne tout le pouvoir de décision et qui
sombrent souvent dans une espèce de trahison.
Ainsi, la notion de souveraineté du peuple ne peut être évoquée que
pour miroiter une réalité quasiment inexistante et, pis, quand ce peuple
concerné est encore au stade de prendre ses droits pour des faveurs. Ainsi,
8 Alain TOURAINE, Critique de la modernité, Paris, Fayard, 1992, pp. 278-282, cité par Tonny Joseph,
Art. cit., 90.
9 Guy HERMET et alii, Op. cit., p. 287.
364 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année
Démocratie représentative

ce pouvoir du peuple est-t-il abandonné à la merci des politiques (législatif


et exécutif). Dans ces conditions, le peuple est réduit au rôle de « souverain
primitif »10 et, non primaire.
Il découle de ce qui précède que, de nos jours, il n’y a de souveraineté du
peuple que devant les urnes. Encore faut-il que le choix librement exprimé
par le peuple soit réellement respecté !

2. Manifestation de transcendance des Députés


nationaux congolais
Analysons cette question sous deux aspects : socioéconomique et
politique. De façon pratique, ce débat antinomique entre le peuple, qui
doit être le plus grand bénéficiaire de la gestion de la chose publique, et
les députés nationaux, se présente comme suit :

2.1. Les Députés nationaux de la RD Congo : des hommes et des femmes


comparables aux syndicalistes en plein confort au sein d’une entre-
prise presque en faillite
Pour bien analyser ce point, nous ferons recours à la notion de capacités
d’un État.

Des capacités du système politique congolais


En principe, chaque système politique doit se doter de différentes
capacités importantes, notamment les capacités réceptive, régulatrice,
symbolique, extractive et distributive 11, afin de s’offrir les moyens
nécessaires de son organisation et de son fonctionnement.
2.1.1. Capacité extractive du système politique congolais
La capacité extractive, c’est la capacité qu’a le système politique de tirer
de l’environnement national et international des ressources nécessaires
pour réaliser des objectifs qu’il s’est fixés dans les différents secteurs de
la vie nationale et pour satisfaire les différentes demandes politiques
qui lui sont adressées par l’environnement national et international.
Concrètement, il s’agit des ressources humaines, c’est-à-dire des hommes
et des femmes pour concevoir et préparer les décisions, pour les exécuter
et pour les contrôler. Il s’agit ensuite des ressources financières, c’est-à-
dire de l’argent pour rétribuer des agents et financer des investissements
intérieurs ou extérieurs.
10 Sinon, que doit-on comprendre de l’intérêt particulier qu’affichent généralement les différents
protagonistes aux élections (surtout) présidentielles quand ils arpentent les salles d’attente des
maîtres occidentaux en vue d’un éventuel soutien ? La légitimité proviendrait alors du peuple
autochtone ou de l’allochtone ?
11 Adrien MULUMBATI NGASHA, Introduction à la science politique, Lubumbashi, Ed. Africa, 2010,
pp. 453-458.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 365


Dominique KIWELE

Eu égard à ce qui précède, il est à noter que les ressources financières


d’un État doivent être pensées et obtenues par les gouvernants. Et
principalement, c’est la tâche de l’Exécutif. Il s’observe, par ailleurs, durant
la période de la Troisième République (première et deuxième législatures),
en tenant compte des indicateurs tels que les budgets de l’État12, le Produit
Intérieur Brut (PIB) … la capacité extractive des richesses en RD Congo
s’est avérée très faible quand on connait les potentialités de ce pays.
L’Assemblée Nationale a tout de même un rôle important à jouer. En
RD Congo, parmi les fonctions classiques des représentants du peuple,
il y a celle de contrôler le Gouvernement, les entreprises publiques, les
services ainsi que les établissements publics censés procurer des revenus
nécessaires à l’État.
En vertu de son rôle d’autorité budgétaire, l’Assemblée Nationale
est habilitée à voter la loi des finances et à créer l’impôt13. Dans ce sens,
depuis des décennies, cette loi a toujours été votée. Cependant, force
est de reconnaître que la loi votée a un contenu qui contraste avec les
potentialités du pays. L’article 127 de la Constitution est pourtant clair :
« Les amendements au projet de loi de finances ne sont pas recevables
lorsque leur adoption a pour conséquence, soit une diminution des recettes,
soit un accroissement des dépenses, à moins qu’ils ne soient assortis de
propositions compensatoires. »
Au vu de la réalité, ici analysée, l’on peut dire que l’effort des députés
nationaux n’a pas été digne d’éloges à cause de la complaisance dans le
contrôle parlementaire. Ceci nous amène à nous tourner vers la capacité
distributive de ces revenus jugés insignifiants.

2.1.2. Capacité distributive du système politique congolais


La capacité distributive, c’est la capacité qu’a le système politique de
répartir équitablement des biens, des services, des honneurs, des faveurs
de diverses sortes entre les individus, les catégories et les groupes sociaux
qui composent la société politique nationale. Dans la répartition des biens,
des services, des honneurs et des faveurs, le système doit tenir compte non
seulement des besoins individuels et collectifs, mais aussi de la qualité et
de l’importance des objets distribués.
La distribution équitable de différents biens tirés de l’environnement
national et international implique que le système politique s’occupe des
moins favorisés, qu’il s’agisse des individus, des catégories sociales, des
groupes sociaux ou des secteurs de la vie sociale, et cela, sans négliger les
plus favorisés.
Ces notions très importantes, pour tous ceux qui sont en politique,
mettent au centre la notion de l’équité. Elles sont corroborées, pour ce
12 Ceux-ci ne représentent annuellement de 2006 à 2020 qu’une moyenne de 5 milliards USD.
13 Constitution de la RDC du 18 février 2006, articles 126 et 127.

366 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Démocratie représentative

qui est de la RD Congo, par la Constitution en vigueur qui stipule que :


« Tous les Congolais ont le droit de jouir des richesses nationales. L’État
a le devoir de les redistribuer équitablement et de garantir le droit au
développement14 ». Que peut-il alors être retenu, en ne prenant que le cas
des députés nationaux qui sont censés parler et agir pour le peuple dans
la haute sphère de gestion du pays ?
La Constitution et le Règlement Intérieur de l’Assemblée nationale nous
renseignent : « Les Parlementaires ont droit à une indemnité équitable
qui assure leur indépendance et leur dignité. Cette indemnité est prévue
dans la loi de finances15. » « Les indemnités Parlementaires sont fixées par
une commission paritaire réunissant les Parlementaires et les membres
du Gouvernement. Elles sont calculées eu égard à la recommandation de
l’Union interparlementaire et à la hauteur des émoluments alloués aux
membres des autres institutions politiques nationales de même rang. »16
À ce propos, notons qu’au début de la première législature de la troisième
République, la rémunération mensuelle des Parlementaires était fixée à
l’équivalent en franc congolais de 4.500 $17. Elle a ensuite été revue à la
hausse à hauteur, en franc congolais, de 6.000 $, quelques mois plus tard,
suite aux innombrables revendications des Parlementaires qui s’estimaient
« sous-payés » par rapport à l’ampleur de leur tâche. Au 30 novembre 2009,
le franc congolais avait dévalué à 910 pour 1 $ contre 500 CDF pour 1 $ au
début de la législature et le salaire des Parlementaires ne correspondait plus
qu’à environ à 3.300 $. Cet écart n’avait enchanté guère les Parlementaires
qui avaient exigé d’être payés en dollars américains pour pouvoir être à
l’abri de toute dévaluation monétaire. En début de la deuxième législature
de la troisième République, les Députés nationaux réclament un doublement
de leurs émoluments en octobre 2012. En effet, payés déjà plus ou moins
7.000 $, ils réclament d’être rehaussés à 13 000$, à l’instar de leurs collègues
du Sénat. Cependant, le Gouvernement de cette époque leur avait réservé
une fin de non-recevoir.
Lors de la première législature, un député de l’opposition déclarait :
« Nous ne roulons pas sur l’or. Si l’on regarde bien les choses, les deux tiers
des ministres devraient être en prison. Il n’y a qu’à voir les maisons qu’ils ont
construites. Rien à voir avec leurs salaires. Un membre du gouvernement
rétorque sur un ton ironique : Nos députés sont des enfants gâtés18 ». Ces
différents propos cachent une vérité on ne peut plus blessante : où est la
part du peuple dans tout ça ? Faisant une petite comparaison durant la
14 Idem, article 58.
15 Assemblée Nationale, Règlement Intérieur, article 92 ; Constitution de la RDC du 18 février 2006,
article 109
16 Sénat, Règlement Intérieur, Avril 2007, Article 213, al. 4.
17 P. NGOMA BINDA et alii, République Démocratique du Congo. Démocratie et participation à la vie
politique : une évaluation des premiers pas dans la IIIe République, Johannesburg, OSISA, 2010, p. 151.
18 www.jeuneafrique.com/198408/politique/les-d-put-s-ces-enfants-g-t-s-de-la-r-publique consulté
le 12 juin 2020 à 14h.
Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 367
Dominique KIWELE

même période19, on peut retenir qu’un membre du Congrès américain était


payé 14.500 $, un député du Congo-Brazzaville touchait 3.950$, contre
2.000$ pour son confrère du Burundi …
Lors des travaux en Commission, les Députés ont droit à un « jeton
de présence » dont le montant est fixé par le Bureau, conformément aux
prévisions budgétaires. Les membres du Bureau de l’Assemblée Nationale
ont droit à une indemnité de fonction. À l’Assemblée Nationale, les membres
des Bureaux des commissions permanentes, du comité des Sages et des
Groupes Parlementaires ont droit à des frais de fonctionnement. Le montant
des indemnités de fonctions est fixé par une décision du président de la
Chambre délibérée au sein du Bureau. Il n’est pas rendu public. Certains
Députés se plaignent de ce que ces indemnités ne figurent même pas
dans les rapports financiers qui leur sont présentés. Une ONG, la Ligue
congolaise de lutte contre la corruption (LICOCO), avait mené une enquête
à ce sujet et publié un document reprenant la hauteur de ces émoluments
qu’elle avait qualifiés de « faramineux ». D’après le document, « les membres
des bureaux des Commissions permanentes touchaient chaque mois une
prime d´environ 300-500 dollars américains mensuellement, même s’ils ne
se réunissent pas. Après avoir énuméré une panoplie d’avantages financiers
accordés aux membres du bureau de l’Assemblée nationale, ils affirment
que même les membres des cabinets du Bureau de l’Assemblée nationale
vivent aussi dans une richesse qui ne se trouve pas ailleurs. Ils vont jusqu’à
bénéficier de l’assurance vie qu’on ne donne nulle part ailleurs dans les
institutions publiques de la RD Congo20 ».
Hier comme aujourd’hui, la situation n’a pas vraiment changé. On
retrouve, d’une part, la catégorie des « privilégiés » de la République, dont
les députés nationaux et les membres du gouvernement, et, d’autre part,
« les oubliés » constitués d’enseignants, d’agents de l’ordre et de la défense
nationale, de fonctionnaires, etc. En effet, l’Assemblée Nationale jouit de
l’autonomie financière et dispose d’une dotation propre. Cette dotation est
apprêtée par l’Assemblée elle-même dès la session de mars et envoyée au
gouvernement afin qu’elle soit intégrée au « projet de loi de finances de
l’année, qui comprend notamment le budget, et qui doit être déposé par le
Gouvernement au Bureau de l’Assemblée Nationale au plus tard le quinze
septembre de chaque année21 ».
Il se dégage, de ce fait, une sorte de privilège exagéré accordé aux députés
nationaux en particulier, par-delà les avantages accordés aux ministres,
aux mandataires publics ... Par ailleurs, la rémunération de plusieurs
19 https://www.jeuneafrique.com/139553/politique/rdc-pauvres-deputes/ consulté le 26 juillet 2020
à 20h.
20 www.congoforum.be/fr/2008/08/08-les-emoluments-et-avantages-faramineux-des-membres-du-
bureau-de-l’assemblee-nationale-face-a-la-pauvrete-totale-de-la-population-congolaise-licoco-2088
consulté le 16 juillet 2020 à 9heure.
21 Constitution de la RDC du 18 février 2006, article 126, alinéa 3.

368 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Démocratie représentative

dirigeants demeure un sujet tabou. Une loi a même été votée en accordant
des juteux avantages aux anciens Présidents de la République et à certains
membres du Gouvernement. Là-dessus, regardons un peu ailleurs : avec un
Budget annuel de 250,7 milliards d’Euros, le salaire du Président français
est de 15.203 Euros. Avec un Budget annuel de 498 milliards d’Euros, le
salaire de la Chancelière allemande est de 29.167 Euros. Avec un Budget
annuel de 740 milliards de dollars, le salaire du président américain est de
33.330 $. Combien gagne le Président congolais, ainsi que son prédécesseur
encore en vie, alors que le Budget voté en 2021 n’est que de 6.8 milliards
dollars ? Qu’adviendrait-il si le Budget est multiplié par dix en restant
dans les mêmes pratiques que celles d’aujourd’hui ?
Ces catégories de personnes sont ainsi mises dans des conditions
financières très favorables alors que l’État ne dispose pas d’assez de
ressources financières. Cette situation cautionne, pour les députés
nationaux, le moindre effort ou la résignation surtout dans le contrôle
parlementaire en vue de la recherche des moyens suffisants pouvant
permettre au pays de répondre de façon honorable aux nombreuses
sollicitations financières provenant, notamment, du peuple qu’ils sont
censés représenter. Le comble est que l’écart injustifié avec les autres
catégories de la population est tellement criant que la politique devient très
attractive : un eldorado pour la majeure partie de la population qui veut
s’y plonger afin de s’enrichir elle aussi « par rattrapage ». Et cela est loin
d’être une situation convenable pour sortir le pays du gouffre dans lequel
il se trouve. Là-dessus, Jean Pierre Mbelu déclare :
Le système qui est en place n’est pas un système politique. C’est un
système affairiste dans lequel tout le monde se bat pour manger. Vous
imaginez un enseignant de l’école primaire qui n’avait jamais touché
mille dollars américains quand d’un coup il se voit capable d’accéder à des
milliers de dollars, vous n’allez pas convaincre facilement ce monsieur-là
que lécher les bottes est une mauvaise chose22.

2.2. Les députés nationaux, ces affranchis du peuple


L’affranchissement des Députés nationaux vis-à-vis du peuple qu’ils
doivent représenter trouve son origine dans la nature du « mandat » du
Député national.
Avant d’aller dans le vif du sujet, soulevons cette objection selon laquelle
un député national n’est pas tout à fait un mandataire. Cependant, il a
une sorte de mandat qui est de toute autre nature qu’il peut convenir de
qualifier de « représentation ». À propos, R. Carré de Malberg23, donne cette
22 J.C. MANZUETO, L’âme perdue d’une nation. Devant le désarroi d’un peuple, Johannesburg, Ed.
JCM, 2015, p. 81.
23 R. CARRE DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État (tome 2), Paris, Recueil Sirey,
1922, p. 217.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 369


Dominique KIWELE

alerte : « Le terme usuel de mandat législatif est, à tous égards, incorrect


et inexact : c’est un mot malheureux, dont il faut s’abstenir ».
L’auteur établit une différence entre un « mandat » et une
« représentation ». En ce sens : « D’après les principes qui régissent le
mandat ordinaire, il est de l’essence de celui-ci d’être toujours révocable
au gré du mandant. Même lorsque le mandat a été donné pour un temps
limité, le mandant garde le droit de le révoquer avant l’arrivée du terme
convenu. Dans le régime représentatif, au contraire et à la différence de ce
qui se passe dans des pays de démocratie comme certains Cantons suisses
où le peuple a le pouvoir de dissoudre l’Assemblée législative, les électeurs
ne peuvent, en aucun cas, révoquer leur député avant l’expiration normale
de la législature : ils ne pourraient pas même le révoquer à raison de ses
propres fautes24 ».
Ceci dit, en RD Congo, il s’avère que le député n’est point responsable
vis-à-vis de ses électeurs, de sa conduite politique, de ses discours, de ses
votes. « C’est un principe absolu que le mandant est maître de son mandat,
en ce sens qu’il a le droit de dicter au mandataire ses instructions sur la
manière dont il entend que celui-ci est tenu de suivre les ordres du mandant.
Et par suite, tout ce qu’il viendrait à faire au-delà de ses pouvoirs ou à
l’encontre de ses instructions, serait nul au regard du mandant, qui ne
peut être engagé par des actes qu’il n’a pas autorisés. On le voit par ces
divers traits quels sont les caractères de la fonction de député. Le député
ne remplit pas un mandat qui l’enchaîne, mais il exerce une fonction libre.
Il n’exprime pas la volonté de ses électeurs, mais il se décide par lui-même
et sous sa propre appréciation. Il ne parle, ni ne vote, au nom et de la part
de ses électeurs, mais il forme son opinion et il est indépendant vis-à-vis
de ses électeurs25 ».
Il se remarque donc qu’on ne se retrouve pas dans le cas d’un « mandat
impératif » où le député est une sorte de mandataire soumis aux électeurs
qui lui dictent des ordres précis et obligatoires, où il se borne dès lors,
à apporter à l’Assemblée les votes qui lui sont dictés d’avance par ses
électeurs-mandants.
En considérant la situation de la RD Congo, il se constate sans appel
que les députés nationaux ne se sentent pas liés par un engagement qui
peut les voir partir avant la fin d’une législature. Favorisés aussi par ce
fait là, ils exercent leur activité en privilégiant davantage la volonté dictée
par leurs partis politiques respectifs que celle qui émanerait du peuple. En
effet, déjà au départ, en ce qui concerne la candidature, la loi électorale26
24 Idem, p. 212.
25 R. CARRE De MALBERG, Op. cit., pp. 215-217.
26 Loi n° 06/006 du 11 juillet 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales,
urbaines, municipales et locales, in Journal officiel de la RDC, Cabinet du Président de la République, nu-
méro spécial Kinshasa, 10 mars 2006, articles 12-14. On peut lire aussi Loi électorale de 2011, article 73
qui accorde au parti politique le droit de contester le résultat.

370 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Démocratie représentative

dispose que : « le candidat député se présente soit individuellement pour


le candidat indépendant, soit sur la liste d’un parti politique … »
C’est ainsi que pour la perte de la qualité de député national on
mentionne les causes, notamment, le fait pour « le député national ou le
suppléant de quitter délibérément son parti politique durant la législature
et d’avoir renoncé à son mandat parlementaire ou à la suppléance obtenus
dans le cadre dudit parti politique27. »
Ces différentes dispositions légales démontrent que le député est plus
responsable vis-à-vis de son parti politique que de son électorat. Dans ce
sens, il peut trahir les aspirations de ses électeurs, ceci n’aura aucun impact
sur sa qualité de député au cours d’une législature, mais le seul fait, pour
lui, de quitter délibérément son parti politique lui fera perdre sa qualité
de député national ou de suppléant. Dans ces conditions, son agissement
vis-à-vis du parti politique devient de plus en plus allégeant.
Notons que tout cela empêche les députés en fonction d’exercer leurs
activités en toute indépendance d’esprit surtout en matière de contrôle
parlementaire au profit de la nation.

Conclusion

Patrick Mulumba s’interrogeait en ces termes : « Le peuple, souverain


primaire ou primitif ? »28 Il se fait qu’en RD Congo, au stade actuel, le peuple
ne peut remettre en cause une loi votée par le parlement. Il revient à la
Cour constitutionnelle d’arrêter une loi jugée inconstitutionnelle. Peut-on
dire que toutes les lois votées depuis 2006 puis promulguées ont respecté
la Constitution ? Si non, il faut bien être capable d’expliquer, par exemple,
l’article 58 de la Constitution qui voudrait bien que les richesses du pays
soient partagées de façon équitable.
La RD Congo connait en ce moment une certaine mutation avec une
Assemblée nationale qui, pour une toute première fois, a voté pour le départ
de son bureau, suivi de la déchéance du Gouvernement. Quelles qu’en soient
les raisons et la manière, ce qui se passe ne saura être apprécié positivement
que si c’est fait dans le but de garantir au peuple la dignité qu’il mérite.
Faute de quoi, il reviendra au peuple abandonné par ses représentants
d’exiger des réformes sérieuses. Et cela passe par l’exigence de réduire le
train de vie des institutions du pays de manière à s’adapter aux moyens
financiers du pays encore piètres. Les Députés ont ainsi le devoir d’aider
le pays à accroître sa capacité extractive des richesses et de consentir des
27 Constitution du 18 février 2006, article 110 modifié par l’article 1er de la Loi n° 11/002 du 20 janvier
2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du
Congo).
28 Patrick MULUMBA, « Le peuple, souverain primaire ou primitif ? », in Zaïre-Afrique (Octobre 1995),
n° 298, p. 475.
Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 371
Dominique KIWELE

efforts afin d’aider à ce que les sous-payés ou les non payés reçoivent un
traitement plus digne et que les surpayés soient rabattus à un niveau qui
ne soit pas scandaleux. Une loi générale qui détermine la tension salariale
de façon plus ou moins équitable entre le plus gradé et le moins gradé
s’avère être une nécessité.
Aussi, aidé par la société civile et l’élite intellectuelle, le peuple devra
être de plus en plus capable d’exiger que la politique soit suffisamment
rigoureuse de manière à servir finalement les intérêts du pays, de la
nation tout entière et non pas seulement ceux des dirigeants étatiques
et des étrangers. Car, comme l’avait si bien dit Montesquieu : « C’est une
expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en
abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites (…). Pour qu’on ne puisse
abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir
arrête le pouvoir ». Il revient de ce fait à la population de cesser d’être
un souverain « primitif » et de revêtir le statut de souverain primaire.
C’est autant dire que le peuple souverain « primaire » est celui à même de
suivre, de contrôler, d’analyser et d’évaluer les actes de gestion, les lois et
les projets de société élaborés par ses représentants avec une possibilité
de les corriger, les amender et éventuellement les dédire, faute de quoi, les
députés nationaux continueront à être soumis au dictat de leurs partis ou
regroupements politiques ou mieux à l’autorité morale plutôt qu’à servir
tout d’abord les intérêts du pays par un contrôle parlementaire responsable
et par le vote des lois de plus en plus justes pour l’intérêt du pays.

372 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Nations et Institutions

LA DÉMOCRATIE COMME MODE DE VIE :


UNE QUESTION DE PLURALISME

L
Willy MOKA-MUBELO, a démocratie est souvent perçue
S.J., PhD., comme le régime politique idéal pour le
Professeur à la
développement économique et le progrès
Faculté de Philosophie
S.P. Canisius/ des peuples en vue de la stabilité politique.
Université Loyola Une telle conviction semble aujourd’hui se heurter à
du Congo. certains comportements qui remettent en question
maestro.mocus@ le caractère « sacré » de la démocratie. En effet, la
gmail.com démocratie semble être aujourd’hui assiégée dans
de nombreux pays. Nous assistons à une attaque
contre les institutions et les pratiques démocratiques
dans le monde. La plupart des pays occidentaux
qui ont bénéficié des avantages de la démocratie
connaissent la montée implicite ou explicite des
régimes autoritaires. Le triomphe des valeurs
démocratiques, telles que le respect de la dignité
humaine, la primauté du droit, les droits de l’homme,
la tolérance et la décence publique, semble être remis
en question aujourd’hui. À titre d’exemple, depuis
l’élection de Donald Trump en novembre 2016 jusqu’à
son refus de se soumettre au verdict des urnes en
novembre 2020, au profit de Joe Biden, les États-
Unis d’Amérique, considérés comme le paradigme
des régimes démocratiques, ont vécu la remise en
question des valeurs démocratiques sur lesquelles
se fonde leur système politique.
Les valeurs morales de la société américaine ont
été également contestées. La détérioration du discours
public dépeint les États-Unis aujourd’hui comme un
pays fondé sur les « insultes » et les « mensonges ».
L’ancien Secrétaire d’État, Colin Powell, a exprimé
cette détérioration en ces termes : « Nous sommes
arrivés à vivre dans une société fondée sur des
insultes, des mensonges et des choses qui ne sont tout
simplement pas vraies. Cela crée un environnement
dans lequel les personnes mentalement instables se
sentent autonomes. »1 En Afrique, le non-respect des
1 Brett SAMUELS, “Colin Powell : We’ve come to live in a society
based on insults, on lies,” in The Hill, https://thehill.com/blogs/

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 373


Willy MOKA-MUBELO, S.J.

textes juridiques devient la marque distinctive de la pratique politique,


et les révisions constitutionnelles intempestives en vue de prolonger
illégalement le mandat des dirigeants s’érigent en impératif moral et en
justification du maintien d’une certaine paix.
Cette remise en question des valeurs morales nous pousse à nous
interroger sur la pertinence de la compréhension classique de la démocratie.
Au lieu de la comprendre simplement comme un mode de gouvernementalité
ou un système politique qui conduit à la mise en place des institutions
gouvernementales, peu importe leur légitimité, ne conviendrait-il pas,
aujourd’hui, de concevoir la démocratie comme un mode de vie, une vertu ?
Cette réflexion soutient la thèse selon laquelle la démocratie ne peut
conduire à une véritable stabilité politique et à un vrai développement
humain et social que lorsqu’elle est comprise comme un mode de vie et une
vertu éthique, car la vertu est ce qui rend l’homme plus humain et l’ouvre
à la moralité. Ceci implique une défense et une prise de position publique
par rapport aux valeurs qui constituent le penser-ensemble, le bien-vivre
ensemble et le bien-être individuel et collectif.
Le premier point de cette réflexion mettra l’accent sur la nécessité
de repenser la démocratie comme un mode de vie et une vertu éthique.
Le deuxième point se focalisera sur l’obligation d’une défense publique des
valeurs sur lesquelles doit s’appuyer toute société qui vise la promotion
d’un vivre-ensemble paisible et respectueux des droits de ses membres.

1. La démocratie comme mode de vie et une vertu morale


La définition classique de la démocratie comme « pouvoir du peuple,
par le peuple et pour le peuple »2 semble ne plus résister à la tempête
de la réalité politique dans un bon nombre de pays qui ont adopté la
démocratie comme leur mode de gouvernementalité. Le monde assiste de
plus en plus à une perte de vitesse de l’idéal démocratique qui s’imposait
en maître pour éradiquer le fléau du non-respect de la dignité humaine,
des libertés fondamentales et des droits des citoyens en vue de mettre en
place des structures qui garantissent le développement intégral des peuples.
Autrement dit, nous assistons à une panne de prise d’air de la démocratie
aujourd’hui dans plusieurs parties du monde. Cet essoufflement est
provoqué par l’écart grandissant entre l’idéal démocratique et la pratique
démocratique qui s’est rapidement transformée en rituel démocratique,
écartant ainsi de son champ toute préoccupation éthique. Que nous faut-il
alors pour que la démocratie recouvre son rôle et réponde aux attentes de
ceux qui voyaient en elle le régime politique idéal ?

blog-briefing-room/414124-colin-powell-weve-come-to-live-in-a-society-based-on-insults-on-lies
(Consulted on August 17, 2020). La traduction française est mienne.
2 Une définition attribuée au Président Américain Abraham Lincholn.

374 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


La démocratie comme mode de vie : Une question de pluralisme

Il n’y a pas d’unanimité dans les réponses face au statut de la démocratie


dans le contexte actuel des relations entre les États et leurs peuples.
D’aucuns suggèrent, surtout pour le cas de l’Afrique, l’abandon total de
toute référence à la démocratie comme régime politique susceptible de
conduire au changement politique et au bien-être tant souhaités par
la population. Tel n’est pas mon avis. Comme souligné dans un article
intitulé « les élections : une réponse aux problèmes de transition et de
consolidation démocratiques ? »3, il faut établir une distinction claire entre
l’idéal démocratique, la pratique démocratique et le rituel démocratique.
L’idéal démocratique présente la théorie normative des valeurs qui
peuvent contribuer à promouvoir l’humanité aussi bien dans notre propre
personne que dans celle des autres. Il préserve et promeut la dignité et
les droits fondamentaux de l’individu. La pratique démocratique est la
concrétisation de l’idéal démocratique dans un contexte particulier. Elle
est donc socialement et culturellement orientée. Le rituel démocratique,
quant à lui, applique de façon sélective les valeurs de l’idéal démocratique
afin de satisfaire la démesure d’une classe politique irresponsable et
insensible à la misère du peuple4. En d’autres termes, le rituel démocratique
tend à légitimer l’illégalité de la procédure de mise en place des institutions
démocratiques. Ainsi donc, intenter un procès contre la théorie normative
de la démocratie équivaudrait à ignorer l’ontologie même de l’idéal
démocratique.
Il est important de noter ici que lorsque le passage de l’idéal démocratique
à la pratique démocratique n’est pas bien négocié, le glissement vers le rituel
démocratique devient imminent et presqu’une « certitude mathématique ».
C’est à ce niveau que réside la difficulté de réaliser le bien commun. Dès lors,
tout effort visant à réduire le risque de basculer vers le rituel démocratique
doit nécessairement avoir pour fondement la conception de la démocratie
comme une vertu. Il devient donc crucial d’examiner la nature de la vertu.
Une telle considération permettra de mieux saisir la pertinence de concevoir
la démocratie comme une vertu morale.
Dans l’Éthique à Nicomaque, Aristote parle de la vertu comme une
habitude. Il distingue deux types de vertus : les vertus intellectuelles (la
sagesse, l’intelligence et la prudence) et les vertus du caractère ou les vertus
morales (la libéralité et la tempérance ou la modération). Les premières
sont les fruits du temps et de l’expérience et les deuxièmes sont les fruits
de l’habitude. Il (Aristote) distincte ensuite trois sortes de phénomènes de
l’âme à partir desquels il définira la vertu : les états affectifs (les inclinations
accompagnées de plaisir ou de peine), les facultés (les aptitudes qui font
dire de nous que nous sommes capables d’affections) et les dispositions
3 Willy MOKA-MUBELO, « Les élections : une réponse aux problèmes de transition et consolidation
démocratique », in Congo-Afrique (juin-juillet-août 2019), n°536, pp. 624-632.
4 Cf. Willy MOKA-MUBELO, « Les élections : une réponse aux problèmes de transition et consoli-
dation démocratique », in Congo-Afrique (juin-juillet-août 2019), n°536, pp. 629-630.
Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 375
Willy MOKA-MUBELO, S.J.

(notre comportement bon ou mauvais relativement aux affections). De


cette distinction, il décrit les vertus comme des dispositions5. Ainsi donc,
la vertu est une disposition à agir d’une façon délibérée, consistant en une
médiété relative à nous, laquelle est rationnellement déterminée6. De ce
qui précède on peut alors affirmer que la vertu est une activité de l’âme en
conformité avec la raison.
Pour Aristote, le véritable politique est « celui qui s’est adonné
spécialement à l’étude de la vertu, puisqu’il veut faire de ses concitoyens
des gens honnêtes et soumis aux lois »7. C’est ainsi qu’il entend par vertu
humaine, non pas l’excellence du corps, mais bien celle de l’âme (EN, no.
1102a-1103a). Excellence de l’âme à cause du rôle prédominent de la raison.
En effet, dans la conception aristotélicienne, l’âme humaine est composée de
trois parties : la partie nutritive, la partie sensitive et la partie rationnelle.
Il y a harmonie dans l’âme ou excellence de l’âme lorsque la partie rationnelle
(la raison) contrôle les autres parties. Ainsi, en tant qu’excellence de l’âme,
la vertu est à la fois la source du bonheur et de la justice. Elle permet la
prise en considération du bonheur d’autrui dans la poursuite de celui de
soi. Comme on peut le constater, l’harmonie de l’âme garantit la stabilité
de la société humaine, en général et de la société politique, en particulier,
parce que la condescendance de la raison sur les autres aspects de la vie
conduit à la recherche de la forme et du style de vie qui sont nécessaires
au bonheur individuel et collectif.
Dès lors, la primauté de la raison sur les inclinations et les désirs
désordonnés fait émerger l’importance de la disposition morale qui nous
permet de concevoir la démocratie à la fois comme un principe rationnel
et comme une pratique raisonnable qui intègre des éléments qui facilitent
l’unité et la cohérence de l’agir de ceux qui ont reçu mandat de gérer la
chose publique et dont ils doivent rendre compte. Cette redevabilité n’est
pas une exigence extérieure à laquelle on obéit malgré soi, mais un élan
intérieur grâce auquel l’homme se révèle par la concrétude de son action.
S’inscrivant donc dans la tradition socratique, reprise par Platon plus tard,
on peut décrire la vertu comme la capacité de conformer sa vie quotidienne
au vécu d’un certain nombre de principes et de valeurs. Il est logique de
conclure ici que les mœurs d’un État sont modelées par celles des individus
qui le forment.
Il appert donc que les vertus morales deviennent indispensables à
l’expérience démocratique dans une société donnée. Et pour réduire les
risques de tomber dans l’imposture du rituel démocratique, les citoyens
du régime démocratique doivent avoir des qualités supérieures à celles des
citoyens d’autres types de régimes politiques. Michael Novak nous éclaire à
ce sujet lorsqu’il parle de la personne libre dans les sociétés démocratiques.
5 Aristote, Éthique à Nicomque, 1105b-1106a.
6 Aristote, Éthique à Nicomaque, 1106b-1107a.
7 Aristote, Éthique à Nicomaque, 1102a-1103a.

376 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


La démocratie comme mode de vie : Une question de pluralisme

Il écrit :
La personne libre dans les sociétés démocratiques a besoin de qualités
morales supérieures à celles des citoyens de l’ancien régime : d’esprit
d’entreprise plus que de résignation ; de vertu civique plus que de piété
familiale ; de respect de la loi et de sa promulgation plutôt que de simple
soumission aux ordres ; de recherche de progrès personnel plutôt que de
stagnation dans une situation donnée ; de savoir-faire dans le compromis
pratique et l’opposition loyale plutôt que d’absolutisme moral intrai-
table ; et de bien d’autres qualités souvent ignorées. Notre conscience
des dispositions intérieures nécessaires à une vie démocratique est très
sous-développée8.
Le « sous-développement », pour ainsi dire, des dispositions intérieures
nécessaires à une vie démocratique est dû à une certaine perception et
conception de la démocratie qui mettent plus l’accent sur la dimension
procédurale conduisant à la mise en place des institutions politiques plutôt
que sur la qualité morale des animateurs de ces institutions. Mettre l’accent
sur la qualité morale n’est rien d’autre que promouvoir une société où la
vertu devient non seulement le fondement de toute action humaine et le
rempart contre les déviations, la faiblesse et l’infidélité humaines, mais
aussi le cœur de l’éducation morale.
Comme mentionné plus haut, la tempérance et la libéralité font parties
des vertus morales. De son origine latine (temperare, garder la mesure,
l’équilibre), la tempérance, observe Robert C. Solomon à la suite de Thomas
d’Aquin, est la vertu de ceux qui modèrent leurs désirs et leurs passions.
C’est onéreux pour nous en raison des renonciations qu’elle nous impose.
Elle répond à une attitude générale de retenue dont nous avons besoin
à chaque occasion. En vertu de sa capacité à modérer les appétits et les
pouvoirs qui pourraient nuire aux autres, la tempérance établit l’harmonie
dans les relations qui doivent exister entre les membres de la société. En
bref, la tempérance sert à restreindre notre appétit d’acquérir plus que
ce dont nous avons besoin au détriment des autres. Elle subordonne nos
désirs à la raison. Ainsi, la tempérance dans les affaires revient à « avoir un
ensemble raisonnable d’attentes et de désirs ». Le manque de tempérance
conduit à la cupidité, à cause de laquelle les gens trichent, mentent et
agissent injustement9.
Il ressort de ce qui précède que si la démocratie repose sur la tempérance,
elle cesse d’être simplement une forme de gouvernement pour devenir une
forme de vie sociale caractérisée par la réciprocité dans la protection et la
promotion des intérêts individuels et collectifs. La priorité de l’expérience
sur la théorie devient dès lors l’élément déterminant dans la compréhension

8 Michael NOVAK, Démocratie et Bien Commun, Paris, Les Éditions du Cerf, 1991, p.122.
9 Cf. Robert C. SOLOMON, “Business ethics and virtue,” in Robert E. Frederick (ed.), A Companion
to Business Ethics (Malden: Blackwell Publishers, 1999), 34.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 377


Willy MOKA-MUBELO, S.J.

de la démocratie comme une partie importante de la vie quotidienne.


Ainsi, on peut affirmer que la démocratie n’est pas simplement une forme
de gouvernement, mais une notion sociale et éthique. Comme notion
sociale, elle crée une communauté démocratique qui n’est pas une simple
composition harmonieuse des intérêts individuels, mais plutôt un équilibre
dynamique entre les intérêts individuels et les intérêts partagés. Et comme
notion éthique, elle facilite la participation au bien-être de tous les membres
de la communauté. Une telle participation devient la condition nécessaire
qui permet la libre circulation des connaissances grâce auxquelles tous
les membres participent de façon active à la bonne marche des affaires
publiques.
Parvenu à ce point de notre réflexion, il convient de faire remarquer que
des objections ont été soulevées, dans le passé, contre la conception de la
démocratie comme mode de vie. Robert B. Talisse, par exemple, est parmi
les critiques de cette conception. Il remet en question l’approche de John
Dewey qui, lui aussi, concevait la démocratie comme mode de vie. Selon
Talisse, les démocrates à la Dewey rejettent strictement les conceptions
procédurales de la démocratie. Les points de vue procéduraux, note-t-
il, tendent à associer premièrement la démocratie avec les procédures
formellement équitables par lesquelles une volonté de la majorité est formée
à partir de l’agrégation des préférences individuelles comme exprimées
dans les urnes ; et deuxièmement, avec le cadre institutionnel qui permet
un bon fonctionnement de telles procédures10.
Contrairement à l’approche procédurale, la démocratie telle que conçue
par Dewey, estime Talisse, est essentiellement un mode d’organisation
sociale dans lequel les citoyens enquêtent collectivement sur des problèmes
communs. Les adeptes de Dewey, poursuit Talisse, soutiennent ainsi que
la démocratie ne se résume pas au vote ; c’est plutôt un idéal moral qui
s’étend aux quartiers, aux lieux de travail et aux maisons. Ainsi, selon leur
point de vue, la démocratie est, pour employer un slogan familier, un mode
de vie.11 Pour Talisse, les adeptes de l’approche de Dewey considèrent le
mode de vie démocratique comme une valeur de premier ordre. C’est en
ce sens que la démocratie Deweyenne est une théorie substantielle. Pour
eux, la supériorité normative du mode de vie démocratique ne découle pas
simplement de la capacité de la démocratie à satisfaire d’autres exigences
normatives ; au contraire, la démocratie est elle-même normative. C’est
un idéal moral à part entière.12
Comme on peut le constater, Talisse soulève une objection contre les
vues substantives de la démocratie et remet en question la conception de la

10 Robert B. TALISSE, “Can Democracy be a Way of Life ? Deweyan Democracy and the Problem of
Pluralism,” in Winter, vol. XXXIX, no.1 (2003) : 1.
11 B. TALISSE, Op. cit., p. 1.
12 B. TALISSE, Op. cit., p. 1.

378 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


La démocratie comme mode de vie : Une question de pluralisme

démocratie comme un mode de vie. Il fonde son argument sur l’affirmation


selon laquelle si nous acceptons le pluralisme qui caractérise notre société
moderne, nous devons rejeter les conceptions substantive de la démocratie.
En d’autres termes, la démocratie comme mode de vie est incompatible
avec le concept contemporain de pluralisme. Cet argument est, à son tour,
confronté à une contre-objection que j’endosse.
Dans un article intitulé, « in Defense of Democracy as a Way of Life :
A Reply to Talisse’s Pluralist Objection »13, Shane J. Ralston soutient que
En décrivant la distinction entre la théorie démocratique substantielle et
procéduraliste comme une dichotomie stricte et exclusive, Talisse prend
la démocratie Deweyenne pour une théorie purement substantielle ou
épaisse. Au lieu de cela, la théorie de la démocratie de Dewey se révèle
être hautement procéduraliste et parfaitement compatible avec une
pluralité de vues politiques raisonnables.14
Contrairement à l’objection de Talisse, la dimension substantielle de
la démocratie n’exclut nullement son aspect procédural. Vouloir remettre
en question la conception de la démocratie comme mode de vie, sous-
prétexte qu’elle est incompatible avec le pluralisme contemporain, n’est
rien d’autre que réduire une telle conception à un système unique de
valeurs qui exclurait d’autres formes de vie. La démocratie est un mode
de vie parmi tant d’autres. Comme l’exprime d’ailleurs si bien Ralston, « la
démocratie deweyenne n’offre pas une « vision globale du monde » ou un
système unitaire de valeurs, mais plutôt un moyen, parmi tant d’autres, de
réconcilier des orientations de valeurs différentes et souvent contradictoires
en un « mode de vie associé ».15 C’est en ce sens que la démocratie comme
mode de vie diffère des autres parce qu’elle se fonde sur les vertus morales.
La vie démocratique renvoie à un ensemble de croyances, de normes
et de valeurs qui servent de référence aux membres d’une société donnée.
Ainsi donc, la démocratie conçue comme mode de vie est d’une importance
capitale dans la stabilité d’un système politique, en tant qu’elle donne
sens aux comportements des individus dans leurs rapports les uns avec
les autres et avec l’État. Certaines valeurs, de la part des citoyens, sont
dès lors indispensables : la modération, la tolérance, la solidarité, le devoir
de civilité (au sens Rawlsien), la participation, etc. Et ces valeurs doivent
être publiquement défendues.

2. Défense des Valeurs Démocratiques


La démocratie comme mode de vie n’est pas conçue pour être vécue
de façon individualiste et cachée. Elle implique une exigence d’ouverture
à l’autre ; l’autre en tant qu’il est différent de moi, mais avec qui je suis
13 Shane J. RALSTON, “In Defense of Democracy as a Way of Life: A Reply to Talisse’s Pluralist
Objection,” in Transactions of the Charles S. Pierce Society, vol.44, no.4 (2008).
14 Shane J. RALSTON, Op. cit., p. 631.
15 Shane J. RALSTON, Op. cit., p. 636.
Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 379
Willy MOKA-MUBELO, S.J.

appelé à faire communauté. Ici apparaît la pertinence de la critique des


communautariens contre le libéralisme politique contemporain et le
libertarisme. Les communautariens estiment qu’en insistant sur la liberté
individuelle, le libéralisme et le libertarisme sous-estiment le sens partagé
de l’identité dont les gens ont besoin pour fonctionner comme une société
humaine. Ce sens d’une identité partagée s’est plus exprimé ces derniers
temps par les revendications des mouvements de protestation contre les
tendances autoritaires et dictatoriales de certains dirigeants politiques.
Les participants à ces mouvements ne visent pas la conquête du pouvoir.
Ils expriment plutôt, de manière publique, leur désir le plus profond de
préserver l’égalité pour tous et le respect des libertés et droits fondamentaux
de tous. Ils sont, pour ainsi dire, la parfaite expression de l’exigence
d’ouverture à l’autre dans le respect de son altérité. Un tel respect favorise
l’unanisme et l’unité dans la revendication des valeurs démocratiques.
Ceci apparaît clairement dans ce que Albert Ogin qualifie de cinq faits qui
caractérisent les mouvements de protestation. Il écrit :
Ces mouvements ont dessiné les contours d’une nouvelle forme d’action
politique : le rassemblement. Cinq faits, partout observés, caractérisent
cette forme d’action : elle ne vise pas la conquête du pouvoir ; elle est
unanimiste (au sens où la revendication portée par le rassemblement
est présentée au nom du « peuple » ou des « 99% » de la population, en
gommant toutes les différenciations sociales que ces entités abritent) ;
s’organise sans chef, sans programme et sans stratégies ; affiche la
non-violence comme tactique ; veille à préserver l’égalité entre les per-
sonnes réunies en rejetant toute hiérarchie entre eux16.
De ce qui précède, il y a lieu d’affirmer que la défense publique des valeurs
démocratiques, telles que le dialogue, l’inclusion de l’autre, etc., requiert,
de la part des citoyens, le respect et l’intériorisation de certaines vertus
morales, intellectuelles et politiques, telles que la modération, la tolérance,
la civilité, le savoir, la sagesse, la prudence, l’efficacité et la participation.
Une telle intériorisation conduira à produire un régime politique stable
où les citoyens non seulement défendent les valeurs politiques partagées,
mais aussi conforment leur comportement à un ensemble de normes qui
régissent leur interaction comme communauté humaine et politique. Ainsi,
ils seront en mesure d’accepter le pluralisme raisonnable qui caractérise, ou
qui est supposé caractériser, les sociétés démocratiques afin de préserver
l’unité et la stabilité pour la bonne raison.
Parvenu à ce point de cette réflexion, il devient de plus en plus clair que
la connotation politique de la démocratie, qui parfois conduit à sa remise
en question dans certains contextes, n’épuise pas toute sa substance ou
signification profonde. D’où, la conception de la démocratie comme mode
16 Albert OGIEN, « La démocratie comme revendication et comme forme de vie », in Raisons Politiques,
no.57 (2015), p. 31.

380 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


La démocratie comme mode de vie : Une question de pluralisme

de vie impose l’obligation de repenser les innovations sociales. Elle doit


remettre en question certains aspects de la démocratie institutionnalisée
afin de bien gérer les ambitions démesurées de certains carriéristes
politiques qui ne cherchent que la satisfaction des intérêts personnels.
Ceci permettra de passer de la performance politique de la démocratie au
vécu de la démocratie comme vertu morale qui insiste davantage sur les
dispositions intérieures de l’acteur politique.

Conclusion

Concevoir la démocratie comme mode de vie ne constitue nullement une


solution définitive au danger des dérives autoritaires, à l’arbitraire d’une
administration répressive et oppressive, à l’absence d’un système juridique
impartial, etc. Toutefois, l’avantage d’une telle conception réside dans
sa capacité de mettre l’accent sur les dispositions intérieures de l’acteur
politique qui influencent la gestion de la chose publique. Une démocratie à
visage humain n’est possible que lorsque les vertus de caractère ou vertus
morales (modération ou tempérance et générosité) et les vertus de pensée
ou vertus intellectuelles (sagesse, compréhension et prudence) deviennent
le socle sur lequel repose toute vision et toute organisation de l’activité
politique et la boussole du mode de gouvernementalité.
La démocratie comme mode de vie exige, pour utiliser les mots
d’Albert Ogien, « un ensemble de demandes qui incluent la dignité des
personnes, la probité des gouvernants, la transparence de l’action publique,
la fin de l’impunité des dirigeants corrompus, la suppression des privilèges
exorbitants d’une poignée de possédants […] l’assurance d’un niveau de vie
décent pour chacun […] l’accès à l’enseignement, voire l’épanouissement
individuel ».17

17 Ibid., p. 32.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 381


Nations et Institutions

AUTORITÉ MORALE OU HOLOCAUSTE DE L’ÉTAT-NATION :


ESSAI D’UNE HERMÉNEUTIQUE DE LA PRAXIS POLITIQUE
DANS L’ESPACE AFROCONGOLAIS

La profondeur de la banalité des mots…


Christian MUKADI 1. Autorité morale – expression aux apparences
ILUNGA, S.J., Sophia banales – est un terme usité dans les sillages socio-
University/ politiques de l’espace afrocongolais, souvent avec
Tokyo-Japan.
mukadichristian04@
légèreté et banalité, aussi bien par le « politicien »,
gmail.com l’« intellectuel » que le citoyen lambda. Sans une
observation raffinée de la banalité de notre quotidien –
lieu où se phénoménalisent les dynamiques sociales
– et les expressions qui s’y déploient, il est difficile de
soupçonner la teneur des expressions, des langages et
des pratiques qui nous disent et expriment quelque
chose de ce que nous sommes. Chaque expression
que nous utilisons pour exprimer quelque chose,
révèle quelque chose de nous. C’est le cas du concept
autorité morale. Lorsqu’un « politicien » congolais
affirme qu’il agit « d’après le mot d’ordre de l’autorité
morale », il transmet quelque chose de ce qu’il entend
par autorité, pouvoir et légitimité : les éléments
fondamentaux du pouvoir politique. En ce sens,
le concept autorité morale dit quelque chose non
seulement de la manière dont se conçoit, se construit
et s’articule l’organisation ou (la désorganisation ?)
politique dans l’espace afrocongolais, mais aussi
de la pesanteur que cette dernière exerce dans la
capacité de construire (ou de déconstruire ?) un vivre
ensemble harmonieux marqué par le désir de bâtir
et de partager un idéal de bonheur pour tous. D’où,
il est opportun de questionner cette notion d’autorité
morale qui semble être le mode opératoire du politique
et de la politique dans l’espace afrocongolais. C’est à
cet exercice de recherche du sens et de la signification
dans un dialogue avec la banalité du concept autorité
morale ainsi que son rôle dans l’échec de l’organisation
de l’État-nation dans l’espace afrocongolais que cette
réflexion s’inscrit.

382 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Autorité morale ou holocauste de l’État-nation

2. Au-delà de l’ambiguïté significationelle que recouvre l’expression


autorité morale, nous soupçonnons qu’elle désigne plus qu’un individu ou
un chef charismatique. C’est dire qu’il ne s’agit pas d’un terme aussi creux
ou innocent qu’on peut le croire. Il désigne un paradigme sociopolitique.
Il porte non seulement une charge sémantique dont la détermination de la
teneur est un défi pour les théoriciens de la question politique et sociale,
mais aussi, il détermine la manière dont la gestion de la chose publique
est partitionnée dans notre espace de vie. Le concept autorité morale fait
référence à des épistèmes qui sortent des canaux classiques de signification
tels que les théories compréhensives dominantes en philosophie et en
sciences sociales et politiques les comprennent.
3. Cette réflexion tâche de faire une archéologie de la notion de l’autorité
morale dans l’espace afrocongolais en le conceptualisant et le théorisant
à partir de ses langages, ses modes opératoires ainsi que ses lieux de
phénoménalisation. Il s’agira de partir des questions fondamentales :
qu’est-ce que l’autorité morale dans le contexte afrocongolais ? En quoi
ce concept constitue-t-il le lieu où se cristallise la crise de l’État-Nation
depuis l’avènement de la colonisation et du Mouvement Populaire de la
Révolution (MPR) ? Est-il possible de construire un État-Nation à partir
d’un régime « autorité morale » ? Dans une approche à la fois herméneutique,
historique et critique, notre démarche tâche de donner quelques perspectives
de réponse aux questions susmentionnées.

Autorité morale ou synthèse du pouvoir, de l’autorité


et de la légitimité
4. La notion de l’autorité morale est à prendre en relation avec celle de
l’autorité telle que comprise dans les théories sociopolitiques classiques.
En effet, la notion de l’autorité ne peut être appréhendée sans ses
corolaires que sont le pouvoir et la légitimité. Les investigations dans les
archives africaines, orientales et occidentales conduisent à la conclusion
selon laquelle l’autorité ne fait pas référence à une personne, mais à la
Tradition, à la Transcendance ou encore à la Vertu1 – disposition de l’âme
qui favorise le bon agir (Cf. Saint Thomas d’Aquin) – ; ou à un idéal moral
à recouvrer dans une forme de quête inachevée (Cf. Popper). Cependant,
dans un effort d’élaborer une théorie compréhensive de la notion de l’État,
les littératures sociopolitiques postmodernes ont opté pour une approche
positive de la notion de l’autorité2. À l’époque contemporaine, Marx Weber
est peut-être l’un de ceux qui ont réussi à saisir la question du politique
1 Cf. C. MUKADI ILUNGA, « La notion de l’autorité dans les traditions Africaine, Orientale et
Occidendantale : Une investigation anthologique et philosophique » (Inédit).
2 La notion d’approche positive est à comprendre au sens du positivisme sociologique d’Auguste Comte :
c’est-à-dire une approche qui exclut toute spéculation métaphysique ou tout a priori dans l’analyse
de la réalité sociale. Une approche qui influence la sociologie de Marx Weber dans la mesure où ce
dernier comprend la sociologie comme la science de la compréhension des faits sociaux.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 383


Christian MUKADI, S.J.

avec une approche socio-positive entendue comme analyse compréhensive


des interactions sociales dénudée de toute spéculation métaphysique et de
tout jugement moral. C’est en ce sens que les théories politiques dominantes
contemporaines sont parsemées de la conception wébérienne du triptyque
autorité-pouvoir-légitimité.
5. Pour saisir le triptyque wébérien autorité-pouvoir-légitimité, il
faudrait sortir de la conception étymologique de la politique (πολιτικοσ) :
gestion de la cité ou des affaires publiques ; et se situer dans une approche
sociopolitique où le concept politique est compris comme « l’ensemble
des efforts que l’on fait en vue de participer au pouvoir ou d’influencer la
répartition du pouvoir, soit entre les États, soit entre les divers groupes
à l’intérieur d’un même État »3. Il faudrait ainsi noter que l’interaction
(humaine) – qui est la donnée sociopolitique par excellence – est au cœur
de toute définition sérieuse de la politique. Par ailleurs, toute théorie
compréhensive de la notion de l’État – corps fondé sur la force (Trotski) –
est donc à comprendre à partir de cette lutte pour le monopole d’influence.
Une lutte qui peut s’avérer farouchement violente. Dans cette perspective,
l’État peut se définir comme le détenteur du monopole de la violence. C’est
ainsi que Weber comprend l’État comme « un groupement de domination
à caractère institutionnel qui cherche avec succès à monopoliser, dans
les limites d’un territoire, la violence physique légitime comme moyen de
domination et qui, dans ce but, a réuni dans les mains des dirigeants les
moyens matériels de gestion. »4
6. La conception de l’État comme monopole de la violence jette une
lumière dans la compréhension du triptyque autorité-pouvoir-légitimité.
Si l’autorité et le pouvoir peuvent être saisis comme des probabilités de
commandement et d’obéissance, la légitimité est comprise comme une
conviction dans l’obéissance. C’est dire que (1) l’autorité (αοτοριτασ) est la
probabilité qu’un commandement soit obéi par une personne ou un groupe
de personnes bien définis en dépit de la résidence et du fondement sur lequel
ce commandement repose. S’il en est ainsi (2) le pouvoir (ποτεστα) est la
probabilité qu’a une personne – dans une interaction sociale – de réaliser
sa volonté en dépit de la résistance, et en dépit de ce sur quoi repose cette
probabilité. Et (3) la légitimité (legitimus) devient ainsi la conviction qu’a
une personne ou un groupe de personnes à se soumettre à l’autorité ; parce
que convaincus qu’ils ont une certaine obligation d’obéir ; quelle que soit
la base sur laquelle repose cette conviction5. C’est dire que la légitimité est
ce qui autorise un homme à contraindre un autre homme sous un prétexte
réel ou imaginaire.
3 M. WEBER, Le savant et le politique, Ed. Union Générale d’Éditions, Paris, 1963, p. 87.
4 M. WEBER, Le savant et le politique, Ed. Union Générale d’Éditions, Paris, 1963. p. 93.
5 N. UPHOFF, “Distinguishing Power, Authority & Legitimacy : Taking Max Weber at His Word
by Using Resources-Exchange Analysis”, in Polity, Vol. 22, No. 2. (Winter, 1989), pp. 295-322.
(La traduction est nôtre).

384 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Autorité morale ou holocauste de l’État-nation

7. Si le pouvoir est saisi comme un commandement doublé d’une


légitimité d’où il puise l’autorité nécessaire pour réduire toute possibilité de
désobéissance, il en ressort que le pouvoir qui présuppose l’obéissance par
la force ou la contrainte est supposé être investi par une autorité ; au cas
contraire, il se réduirait à un commandement qui repose sur la contrainte
et l’arbitraire. Autrement dit, « le pouvoir est un commandement doublé
d’une légitimité d’où il puise l’autorité nécessaire pour réduire toute velléité
de désobéissance. »6 Par ailleurs, contrairement au pouvoir, l’autorité a
ses racines dans le passé, dans la Tradition ou dans la Transcendance.
Il s’agit d’un passé qui n’est pas moins présent dans la vie réelle, ou une
Transcendance qui n’est pas moins immanente dans la mesure où elle est
un repère dans la construction du présent ; elle lui donne épaisseur et sens.
Il sied de souligner que le lien intrinsèque entre l’autorité et la Tradition,
la Transcendance ou la Vertu, est fondamental.
8. De ce qui précède, il ressort que dans la rationalité moderne l’autorité
peut être comprise comme le moyen d’atteindre un deal que se fixe un
groupe qui décide de vivre ensemble. C’est ainsi que L. Addi affirme que
la notion d’autorité apparait dans toute société dès lors qu’elle s’organise
autour d’objectifs ou d’intérêts communs saisis comme direction qui prend
en charge la finalité ou l’idéal du groupe. Les membres du groupe qui
subissent l’influence de cet idéal ou de cette finalité sans contrainte ne sont
pas passifs mais actifs, dans la mesure où, en reconnaissant la direction,
la capacité d’exprimer et de défendre la finalité du groupe, ils fondent
ainsi l’autorité. Il s’agit d’un modèle d’autorité qui met en relations trois
structures : les gouvernants, les gouvernés et une finalité se résumant
dans les valeurs que partagent les gouvernés en tant que membres d’un
groupe social donné. Le contenu de l’idéal du groupe donne à la relation
d’autorité ses formes institutionnelles et le cadre formel de légitimation.
Toute l’histoire politique de l’humanité est marquée par une recherche des
principes de légitimité qui fondent ce cadre formel.7
9. Par ailleurs, s’il est juste de dire que le cadre formel de légitimation
sur lequel repose l’idéal d’un groupe d’individus qui décident de vivre
ensemble constitue l’autorité de ce groupe, il en ressort que chaque fois que
ce cadre formel est personnifié – en une personne (l’autorité morale dans
le cas de l’espace afrocongolais) – l’autorité tombe en crise. La question de
l’autorité morale est donc à prendre comme une crise du cadre formel sur
lequel se conduit le vivre ensemble dans l’espace afrocongolais. Il s’agit
d’une crise qui a des implications à la fois idéologiques et opérationnelles
dans la manière aussi bien de concevoir que de construire l’État-Nation.
Autrement dit, la question de l’autorité morale peut être comprise comme

6 L. ADDI, « La notion d’autorité politique et l’idéologie étatique », in Cahiers Internationaux de


Sociologie, Presses Universitaires de France, 1993, vol. XCIV, p. 12.
7 L. ADDI, Op. cit.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 385


Christian MUKADI, S.J.

l’« incarnation » en une personne ou en un groupe de personnes du cadre


formel de légitimation sur lequel se conçoit et se construit le vivre ensemble.
Il s’agit d’une incarnation qui constitue l’autel sur lequel s’actualise
l’holocauste de l’État-Nation dans l’espace afrocongolais. Comment s’opère
cette incarnation de l’autorité et en quoi est-elle l’holocauste de l’État-
Notion ? Le point qui suit tâche de répondre à ces deux questions.

L’incarnation de l’autorité morale et l’holocauste


de l’État-Nation
10. Pour saisir comment s’effectue l’incarnation de l’autorité morale,
il faudrait peut-être partir de la distinction wébérienne de trois types
d’autorités. (1) L’autorité traditionnelle qui dérive des coutumes et de la
tradition, et qui se transmet d’une génération à une autre ; (2) l’autorité
charismatique qui est celle fondée sur le charisme ou les dons particuliers
d’une personne : sa vertu, son héroïsme, sa bravoure et son courage, etc. ; et,
enfin, (3) l’autorité légale-rationnelle : celle fondée sur des règles établies
de manière formelle par une loi positive qui détermine sa nature et ses
limites acceptée par tous. Ces trois notions d’autorité révèlent en filigrane
une vérité intrinsèque : l’autorité repose non sur la personne mais dans
un Ailleurs – Tradition-Transcendance, Vertu, Loi – qui attire et presse à
sa quête tout être doué de raison. Parce que cet Ailleurs représente l’idéal
de l’humanité accomplie.
11. L’incarnation de l’autorité morale s’opère ainsi par un double
mouvement. D’une part, la suppression de l’Ailleurs qui constitue le
réceptacle de l’autorité ; d’autre part, la synthèse des autorités traditionnelle,
charismatique et légale-rationnelle en une personne. L’épiphanie de cette
incarnation se fait par la cristallisation de l’autorité, du pouvoir et de la
légitimité en la personne de l’Autorité morale. Dans l’espace afrocongolais,
ll s’agit d’un syncrétisme teinté du religieux, du magique, de l’esthétique,
de la technique et du culturel qui a inauguré une époque des personnages
baroques tel que Mobutu : à la fois Président-fondateur, Guide Suprême,
Chef coutumier, Roi, Maréchal, Guide.8 Ce dernier devient ainsi l’instance
légitimatrice de la politique d’un État. D’où les préludes « dans la vision du
chef de l’État ; d’après le mot d’ordre de l’autorité morale, etc. » dans chaque
prise de parole par les politiques afrocongolais. Cette phrase révèle que dans
un régime autorité morale tout l’appareil étatique est organisé en fonction
du maintien de l’incarnation de l’autorité morale dont la pérennité se fait
par la prostitution des appareils parlementaire, judiciaire et militaire.
Ainsi, l’État est réglé à l’aune des appétits de l’autorité morale. Alors
que son image doit être soignée de manière sacrosainte, ses effigies font

8 Serge MBOUKOU, « Mobutu, roi du Zaïre : essai de sociologie anthropologie politique à partir d’une
figure dictatoriale. » In Le Portique (en ligne), 5-2007, mis en ligne le 06 décembre 2007, consulté le
14 Novembre 2019. URL: //journals.openedition.org/leportique/1379, p. 17.

386 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Autorité morale ou holocauste de l’État-nation

concurrence avec les emblèmes de l’État dans une confusion de discours et


une imbrication de signification symbolique sans précédent.
12. Si un État moderne se fonde sur un contrat social – compris comme
volonté de vivre ensemble et désir de réaliser un rêve social de mieux être
– et que de ce contrat social découle la nécessité d’instaurer une autorité
légale-rationnelle, dans un régime autorité morale, par contre, la logique
n’est pas la même. Le contrat social n’est pas nécessairement l’émanation
d’un vouloir vivre ensemble, mais du désir d’un individu (l’autorité morale
et ses ouailles) de régner sur base des textes prétendument justes, taillés
sur mesure, malléables, manipulables et changeables d’après ses désirs et
ses besoins. Il suffit de voir comment les constitutions sont tripatouillées
dans l’espace afrocongolais dans le but de maintenir au pouvoir un ordre
politique bien souvent inopérant et dans lequel le peuple ne se reconnaît
pas. Un phénomène qui pousse certains à s’interroger sur l’importance
des constitutions en Afrique9. En outre, le contrat social dans un régime
autorité morale institue non pas une autorité légale-rationnelle, mais une
autorité morale. Et la rhétorique classique dans un régime autorité morale
consiste à faire croire à l’autorité morale qu’elle est irremplaçable. Il faut
donc tripatouiller le contrat social autant que l’on peut afin que l’autorité
morale demeure au pouvoir ; parce que personne ne peut faire comme elle ;
ou encore sous le prétexte qu’il est impossible de trouver un successeur
qui comprend sa vision (l’on peut se demander même s’il y a une vision) et
qui pourrait la poursuivre. Cette rhétorique a été quasi présente dans les
discours politiques du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR) de
J-D Mobutu ; discours qui ont transformé son parti politique en structure
de propagande ou de visibilité du président fondateur.
13. Cette manière de procéder est une des caractéristiques majeures des
structures politiques au Congo-Zaïre encore aujourd’hui10. Toutefois, elle
peut s’appliquer dans la quasi-totalité de l’espace afrocongolais. Il suffit
de voir comment s’organisent le Parti du Peuple Pour la Reconstruction et
9 Cf. P, -F. GONIDEC, “A quoi servent les constitutions africaines ? réflexion sur le constitutionalisme
africain », in RJPCI, Octobre-Décembre 1988, no4, p. 849 ; K. Dosso. « Les pratiques constitutionnelles
dans les pays d’Afrique noir Francophone : cohérences et incohérences » in Revue française de droit
constitutionnel 2012/2 no 90, pp. 57-85.
10 L’on peut aussi voir comment s’organisent les partis tels que l’Union pour la Démocratie et le Progrès
sociale (UDPS) de E. Tshisekedi (avec quelques exceptions) ; l’Union Nationale des Fédéralistes
du Congo (UNAFEC) de G. Kyungu wa Kumwanza ; Parti du Peuple Pour la Reconstruction et la
Démocratie (PPRD) / Front Commun pour le Congo (FCC) de J Kabila ; Mouvement de Libération
du Congo (MLC) de J-P Bemba ; Union pour la Nation Congolaise (UNC) de Vital Kamerhe, etc.
Ces partis n’échappent pas à cette recette inaugurée par le MPR. C’est dire que lorsque l’on parle
d’un parti ou d’une organisation sociopolitique, l’imaginaire collectif ne voit pas d’abord une idéo-
logie ou un projet de société, un idéal qui mobilise et meut ; mais d’abord une figure, un président
fondateur ou elombe sese (J. D. Mobutu), un sphinx de limete (E. Tshisekedi), un baba wa Katanga (G.
Kyngu), un shinarambo (J. Kabila), un béton (F. Tshisekedi), un pacificateur (V. Kamerhe), un igwe
(J-P. Bemba), un soldat du peuple (M. Fayulu), pour qui l’on est prêt même à donner sa vie. Ces
qualificatifs au champ sémantique dense et alambiqué que l’on attribue aux acteurs politiques
dans l’espace afrocongolais sont tous médiatisés par l’expression autorité morale ; une expression
qu’il faut prendre au sérieux parce qu’elle est une clé de lecture de la Realpolitik afrocongolaise.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 387


Christian MUKADI, S.J.

la Démocratie (PPRD) / Front Commun pour le Congo (FCC) de J Kabila,


le Front Patriotique Rwandais (FPR) de Paul Kagame, le Parti Congolais
du Travail (PCT) de Denis Sassou Nguesso, le Mouvement Patriotique
du Salut (MPS) de Idriss Déby repris par son fils Mahamat Déby il y a
peu, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix
(RHDP), de Alassane Ouattara, le Rassemblement Démocratique du Peuple
Camerounais (RDPC) de Paul Biya, etc. Ces partis politiques mettent en
lumière le devenir mobutiste de l’espace afrocongolais. Tous ces partis,
dont certains sont encore au pouvoir, fonctionnent sous la modalité du
mot d’ordre de l’autorité morale ; sous la bannière d’une figure dont le
statut juridique reste ambigu : elle n’est ni une personne physique, ni
une personne morale. Du point de vue politique, l’autorité morale est
l’incarnation de l’idéologie du parti, mieux, elle est l’idéologie même du parti
ou du regroupement sociopolitique. Ainsi, toute l’organisation du parti est
articulée en fonction de l’autorité morale. D’un bras de fer, elle définit la
ligne de conduite et la manière de procéder du parti soit directement, soit
à travers ses caciques.

Régime « autorité morale » et holocauste de l’État-Nation


14. L’on peut se demander en quoi la praxis qu’impliquent le concept et
la praxis de l’autorité morale est l’holocauste de l’État-nation. L’impératif
pour construire un État-nation passe par la capacité à réhabiliter l’autorité.
C’est-à-dire détacher l’autorité de toute forme de relations sociales et
l’objectiver dans un cadre formel de légitimation contraignant pour tous.
Il s’agit d’une démarche qui conduit à la construction d’un espace politique
autonomisé et balisé par des notions dont les contenus s’articulent les
uns les autres autour d’une idéologie étatique11. L’idéologie étatique peut
être comprise comme un ensemble de notions aux contenus sémantiques
chargés, renvoyant à une histoire, à une conception du politique et à des
représentations culturelles se cristallisant dans des valeurs idéologiques
données : la liberté, la justice, la démocratie, la citoyenneté, le travail,
etc. Ce sont ces valeurs constitutives de l’idéologie étatique qui sont le
fondement sur lequel s’élève l’État entendu comme modalité d’organisation
de la société12. La praxis de l’autorité morale sacrifie l’État-nation dans la
mesure où elle supprime l’idéologie étatique telle qu’exprimée dans la devise
ou les armoiries nationales, en instituant une personne (ou un groupe de
personnes) comme cadre formel de l’arsenal bureaucratique, politique et
militaire.
15. L’espace afrocongolais vit dans un dysfonctionnement structurel :
d’une part, nous avons un cadre formel et théorique de l’État, et d’autre
11 L. ADDI, « La notion d’autorité politique et l’idéologie étatique », in Cahiers Internationaux de
Sociologie, Presses Universitaires de France, 1993, vol. XCIV, p. 12.
12 Ibid.

388 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Autorité morale ou holocauste de l’État-nation

part, une praxis où les appareils étatique, administratif et militaire


sont mobilisés pour assurer l’intérêt des individualités que l’on nomme
autorité morale. L. Addi exprime cette crise de manière abrupte. D’après
lui, confrontés à des crises structurelles, dont le sous-développement
économique n’est qu’un aspect, les « pays du tiers monde » font face à
une contradiction fondamentale : ils sont dotés d’un État sans que leurs
sociétés soient imprégnées de l’idéologie étatique. En outre, le fondement
idéologique sur lequel s’élève l’État à partir du bas, c’est-à-dire les valeurs
idéologiques et culturelles fondatrices de la modernité politique, n’est pas
partagé par le grand nombre13. Autrement dit, il y a un cadre formel de
l’État dont le contenu est coulé dans les textes, dont la loi fondamentale, et
des pratiques sociales qui – bien souvent de manière ostentatoire – vont à
l’encontre de ce cadre formel qui est l’expression des valeurs idéologiques
acquises au prix de la violence, du consensus ou de la discussion rationnelle
sur l’espace publique (Cf. Habermas). L’État ne se construit pas par la
volonté d’une personne ou d’un groupe de personnes motivées pour le bien
de tous – « Nul n’a le monopole de l’amour du Congo ! » (Koffi Olomide) – ;
mais sur une idéologie étatique intériorisée et partagée par tous. Bref, les
luttes politico-sociales dans l’espace afrocongolais sont donc à comprendre
comme des luttes pour désincarner l’autorité morale, ou enlever le masque
que l’autorité morale fait porter à l’arsenal étatique et militaire.

Les composantes de l’holocauste de l’État-Nation


16. La première des caractéristiques d’un régime autorité morale est,
d’une part, sa face cohérente avec les notions classiques de l’État moderne
et, d’autre part, la personnalisation des toutes les institutions de l’État ;
c’est-à-dire que l’arsenal gouvernemental et administratif sont organisés
en vue d’entrer dans « la vision de l’autorité morale ». Cette bicéphalie
incestueuse n’a rien à voir ni avec la dictature, dans la mesure où le
contrat social se réclame démocratique, ni avec la démocratie ; parce que
c’est la volonté de l’autorité morale qui prime sur celle du peuple. Une
autre caractéristique de l’État Autorité morale est qu’il est une fabrique
des « Pères » : père de la nation, de l’alternance, de la démocratie, de la
reconstruction, etc. Ces expressions ne sont pas si innocentes que l’on peut
le penser. Elles illustrent comment le concept autorité morale – personne
par laquelle s’unifie l’autorité traditionnelle, charismatique et légale et
rationnelle –, n’est pas un épiphénomène, mais une manière de faire, un
système de gestion encré dans les pratiques sociopolitiques. En outre, ce
modèle puéril du désir du Père quasi permanent qui caractérise l’ordre
politique dans l’espace afrocongolais est à prendre au sérieux si l’on veut
débusquer, jusqu’à leur dernier retranchement, les séquelles des traumas
(néo)coloniaux qui trouvent leur expression dans le régime autorité morale.
13 Ibid.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 389


Christian MUKADI, S.J.

Pour une telle démarche, V.Y. Mudimbe14 peut nous servir de miroir. Sa
pensée mous aide à nous rendre compte jusqu’à quel point notre odorat s’est
accoutumé à l’haleine d’un père abusif. Par ailleurs, si ces caractéristiques
sont les deux pieds de l’autel sur lequel l’État-nation est sacrifié, la victime
portée sur cet autel est constituée de la trilogie politique-économie-société.
17. Dans un régime autorité morale, la politique – entendue comme
capacité et droit d’infléchir de manière directe ou indirecte un ordre
sociopolitique dans un espace organisationnel bien défini – est sacrifiée
sur l’autel des mots d’ordre de l’autorité morale. Le droit d’infléchir l’ordre
sociopolitique est à la fois nié et confisqué aux populations, les mettant
ainsi dans une situation d’impouvoir. La négation des droits civiques et
politiques se laisse transparaitre par les répressions et musèlements de
toute voix qui s’élève pour exiger plus de justice, plus de transparence
dans la gestion des affaires publiques ou plus de redevabilité. Ceci veut
dire que les libertés démocratiques sont bafouées et le droit à la différence
nié quelquefois avec brutalité et répression éhontée. Plusieurs rapports et
monitorings des systèmes des Notions Unies et d’autres Organisations Non
Gouvernementales illustrent cette situation.15 Le droit d’infléchir l’ordre
sociopolitique n’est pas seulement nié aux populations à travers les diverses
formes de violences, il leur est aussi confisqué par un jonglage politicien
qui consiste, d’une part, à réduire le jeu démocratique à une mascarade
d’élections dans lesquelles le vainqueur est connu d’avance, (l’autorité
morale ou son dauphin) parce que de toute les façons les élections sont
organisées pour entrer « dans la vision de l’autorité morale »16 ; et, d’autre
part, par une crise de la représentation. Il se fait que dans l’État autorité
morale, les élus du peuple ne sont pas redevables vis-à-vis de leurs bases
électorales de qui ils détiennent (théoriquement) leur mandat. Ils sont
redevables vis-à-vis de leur autorité morale de qui ils attendent un « mot
d’ordre » à chaque fois qu’il y a des décisions importantes à prendre à
l’hémicycle. C’est ainsi que la troisième caractéristique de l’État autorité
morale est l’anaxocratie : entendu comme pouvoir du chef, par le chef et pour
le chef. Nous avions fait allusion à cette notion dans une étude antérieure.17
18. La question économico-sociale, entendue comme l’ensemble des
conditions matérielles et immatérielles qui contribuent au bien-être de
tous, dépend du modèle politique en place. En effet, dans un système
14 Cf. V.Y. MUDIMBE, L’Autre Face du Royaume, Ed, l’Age d’Homme, Lausanne, 1973 ; L’Odeur du
père, essai sur les limites de la science et de la vie en Afrique, Ed. Présence Africaine, Paris, 1982.
15 The Economist, Democracy index 2020, https://www.eiu.com/n/campaigns/democracy-in-
dex-2020/ ; International IDEA, Global State of Democracy indices; https://www.idea.int/gsod-
indices//#/indices/countries-regions-profile?rsc=[490]&covid19=1.
16 Cf. MUKADI ILUNGA, « Les populations de Beni et de Butembo (RD Congo) ou le courage de la
lutte pour la démocratie », in Congo-Afrique, No 532 (Février 2019), pp. 537-544.
17 Cf. MUKADI ILUNGA, « Au sujet de la souveraineté populaire dans l’espace afrocongolais :
Participation politique et contrôle par le peuple », in Chiedza Arupe Jesuit Univerity, Vol. 22. No1.
2020 ; « Participation politique et contrôle par le peuple » in Congo-Afrique No 544, Avril 2020.

390 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Autorité morale ou holocauste de l’État-nation

anaxocratique caractérisé par le verrouillage institutionnel, le trucage


électoral, l’embastillement des opposants et une classe politique parasitaire
qui vit essentiellement de la corruption18, c’est le pouvoir et ce qu’il procure
qui compte. C’est ainsi que nous avons une administration publique
corrompue, inerte et inefficace ; une justice sociale déplorable ; une
production nationale insuffisante pour couvrir les besoins alimentaires
de la population ; une aide extérieure qui maintient le pays en position
de mendiant ; un budget de l’État déséquilibré et déficient ; une inflation
galopante qui entraine une dégradation constante du niveau de vie de la
population et la monnaie nationale ; une instabilité sécuritaire chronique.19
Le problème vient du fait que le mode opératoire est le mot d’ordre de
l’autorité morale ; il n’y a pas de place pour la méritocratie ni la concurrence
loyale. L’autorité morale place ses caciques à des postes du portefeuille de
l’État. Du coup, dans la pratique, ces derniers n’ont de compte à rendre
à personne d’autre qu’à l’autorité morale. C’est ainsi que la performance
et la qualité de gestion sont sacrifiées sur l’autel des luttes politiciennes.
L’on peut voir comment moisissent les entreprises publiques dans l’espace
afrocongolais suite à une sélection politicienne de leurs gestionnaires.
Cette manière de procéder est mortifère pour l’économie nationale,
impactant ainsi négativement les conditions sociales des populations. Or, la
compétitivité et l’efficacité sont des mots clés dans une gestion de qualité ;
c’est-à-dire une gestion basée sur les résultats.
19. Par ailleurs, comme l’arsenal étatique est mobilisé pour sauvegarder
les intérêts de l’autorité morale, cette dernière a besoin de se rassurer
de deux choses : la disponibilité des moyens financiers et la fidélité des
officiers de l’armée. Ces deux composantes sont importantes dans la
caporalisation de l’appareil étatique. Les moyens financiers permettent à
l’autorité morale de garder la mainmise sur les caciques civils et militaires
en leur fournissant des avantages matériels qui assurent leur prestige
social. C’est ce qui fait que dans un régime autorité morale, ce sont les
« politiciens » qui constituent la majorité de la « classe des riches » ou de
ceux qui ont « réussi ». Ces derniers sont en réalité des ventriloques dont la
majeure partie est constituée d’« intellectuels organiques » ; d’idolâtres des
régimes en place qui ont perdu la liberté de penser et le sens d’objectivité
au point d’affirmer que la guerre s’appelle paix, les morts sont vivants,
le mensonge est vrai.20 Quant à la fidélité de l’armée, elle écarte – de
18 A. MBEMBE, « Pourquoi j’ai accepté de travailler avec Emmanuel Macron », https://www.jeuneafrique.
com/1140087/politique/achille-mbembe-entre-lafrique-et-la-france-le-moment-est-propice-pour-provoquer-
lhistoire/ consulté le 23 Mai 2021 a 07h.
19 Déjà en 1980, dans une lettre adressée au président Mobutu, un groupe de 13 parlementaires avait
déploré la dégradation de la situation socioéconomique du pays, qui était en majeure partie due
à la politique dictatoriale de l’époque. Cf. Lettre ouverte au Président-Fondateur du Mouvement
Populaire de la Révolution, Président de la République par un Groupe de Parlementaires.
20 Cf. P. MANWELO, « La question de la légitimité du pouvoir politique », in Congo-Afrique, N 51
(Octobre 2017), pp. 790-802.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 391


Christian MUKADI, S.J.

manière volatile – toute velléité de révolte ou de mutinerie. L’objectif


ultime de l’autorité morale est d’amener ses caciques à se sentir redevables
envers lui : « Si je suis là, c’est grâce à lui » ; « je lui dois tout », etc. ; ces
expressions démontrent que dans l’espace afrocongolais, le politicien vit
de la politique, alors que l’on s’attendrait à ce qu’il vive pour la politique21.
C’est ainsi que la plupart des régimes autorités morales ne digèrent pas
le pluralisme, et donc ont tendance à rassembler les forces politiques dans
des suprastructures (Mouvement…, Front…, Union…) plus contrôlables et
manipulables. Ainsi, l’appareil étatique devient un véritable instrument
de brutalisation : intensification de la répression, instauration de l’état
d’exception en norme et de l’état d’urgence en état permanent. Le droit
est utilisé à fond dans le but de multiplier les états de non-droit et de
démanteler toute forme de résistance22. Cette réalité conduit à ce que
A. Mbembe nomme le « gouvernement privé indirect ». Par ce terme,
A. Mbembe désigne un État-fantôme en compétition pour l’accaparement
et la concentration des pouvoirs et des avoirs. Il est fondé sur une logique
de l’extorsion des biens privés, des taxes, des personnes, etc.23
20. Dans son discours du 12 mai 1965, Mobutu décrivait déjà ce fléau (qui
deviendra, par ironie du sort, ce qu’on lui reprochera deux décennies plus
tard) : « À tous les échelons, nombre de ceux qui, dans notre pays, avaient
une parcelle du pouvoir public se laissaient corrompre, avantageaient les
personnes ou les Sociétés qui leur payaient des pots-de-vin et négligeaient
les autres. Leur activité professionnelle n’était plus inspirée par l’intérêt
national ou provincial, mais uniquement pour leur intérêt propre. Nous
étions menacés de l’intérieur comme de l’extérieur. Certains politiciens,
pour se maintenir, ou pour prendre le pouvoir n’ont pas hésité de faire
appel à des puissances étrangères. Ils se sont déclarés prêts à vendre le
pays et le peuple Zaïrois à la condition expresse qu’ils soient aidés à se
maintenir ou à reprendre le pouvoir. Pour satisfaire leurs ambitions, ils
étaient sur le point de sacrifier notre indépendance, notre souveraineté
et notre bonheur du peuple libre. »24 Certes, ce discours est à placer dans
son contexte. Toutefois, à la lumière de l’histoire récente de la Région des
Grands Lacs, et celle du Congo-Zaïre en particulier, il reste d’actualité.
Il montre comment les luttes politiciennes mettent la société en déconfiture
et hypothèquent le progrès économique et social au profit d’une classe
politique affairiste. Aussi longtemps que la quête du bonheur pour tous
n’est pas le mobile de l’engagement politique, la construction du bien-être
pour tous ne saurait être atteinte.

21 L’on peut lire avec intérêt la distinction entre vivre de la politique et vivre pour la politique chez Weber,
Le savant et le politique, Ed. Union Générale d’Éditions, Paris, 1963, pp. 95-96.
22 A. MBEMBE, Brutalisme, Ed. La Découverte, Paris 2020, p. 10.
23 D. ABADIE, « De la postcolonie d’Achille Mbembe, recension d’une hypothèse cardinale sur le
devenir de l’Afrique », in Thanking Africa, NRD n0 8 – Mars 2014, pp. 1-10.
24 MOBUTU, Discours-programme du 12 Mai 1965.

392 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Autorité morale ou holocauste de l’État-nation

21. De ce qui précède, il ressort que soixante ans après les indépendances,
notre manière d’organiser le vivre ensemble reste problématique. Les
régimes des autorités morales – avec toutes les formes de métamorphoses
qu’ils ont subies au cours de l’histoire – n’ont pu être des manières
d’organiser la société qui promeuvent la vie ; c’est-à-dire des systèmes qui
donnent des raisons d’espérer. Ils ont été des systèmes mortifères aussi bien
pour l’afrocongolais que pour l’État tel que la rationalité moderne l’entend.
Dès lors, l’on peut se demander, comment nous en sommes arrivés là.

Une archéologie du régime autorité morale


22. Comment l’Afrique en est-elle arrivée là ? C’est-à-dire à des crises
structurelles et cycliques ? Plusieurs penseurs qui analysent l’Afrique
postcoloniale ont abordé cette question avec des perspectives perspicaces
et variées. C’est le cas d’Amadou Kurouma. Il est l’un des ceux qui ont fait
une sorte de synthèse alarmante de la situation des pays africains sortis
de l’expérience coloniale : népotisme, dérive dictatoriale avec la culture
des partis uniques, chômage, paupérisation, verbalisme, etc.25. Sous un ton
ferme et percutant, Eboussi Boulaga, attribue le mal africain à l’absence
de penser ; c’est-à-dire réfléchir de manière objective sur les questions qui
concernent le vivre ensemble harmonieux et paisible en Afrique.26 Quant
à Jean-François Bayart, il soutient que le mal africain est en partie dû à
« la politique du ventre » qui caractérise les régimes autorités morales où
les intellectuels sont des ventriloques. Ils prostituent leur intelligence de
peur de ne pas manger ou de manger très peu27. De son côté, Kä Mana
pense que la crise dans l’espace afrocongolais est tributaire d’une carence de
l’imaginaire. Il invite ainsi à booster l’imaginaire de l’homme africain afin
qu’il arrive à transformer les mythes qui le font rêver en problèmes qui le
font réfléchir ; convertir les problèmes qui le font réfléchir en énergies qui
le font agir, changer les énergies qui le font agir en nouvelles raisons de
vivre et de mourir, en nouveaux motifs d’espérer et de croire28. Par ailleurs,
A. Mbembe pense que l’on ne peut pas comprendre la rationalité de l’espace
afrocongolais sans prendre en considération l’expérience de l’esclavage, de
la traite négrière ainsi que celle de la colonisation. Parce que la postcolonie
est une résultante de toutes ces expériences antérieures. Des expériences de
violence homicide dont les implications sur la psyché du sujet postcolonial
sont structurantes pour son identité collective : la mort violente comme
état normal des choses en postcolonie.29

25 Cf. Amadou KOUROUMA, Le Soleil des indépendances.


26 Cf. Eboussi BOULAGA, La crise du Muntu ; L’honneur de penser et Les Conférences Nationales Souve-
raines en Afrique noire, une affaire à suivre.
27 Cf. Jean-François BAYART, L’État en Afrique ; la politique du ventre.
28 Cf. KÄ MANA, L’Afrique va-t-elle mourir ? ; L’Afrique notre projet.
29 Cf. A. MBEMBE, De la postcolonie : Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine ;
L’Afrique indocile, et Sortir de la grande nuit.
Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 393
Christian MUKADI, S.J.

23. Dans l’histoire récente du Congo-Zaïre, deux pistes peuvent nous


aider à comprendre la dynamique qui a conduit à l’instauration du
système des autorités morales : (1) l’avènement de la colonisation et (2)
du Mobutisme, ainsi que les rationalités politiques qu’ils ont déployées.
D’une part, l’on peut affirmer que l’embryon du régime autorité morale
trouve sa trompe dans les deux variantes du système colonial belge : État
Indépendant du Congo (1884-1908) et Congo-Belge (1908-1960). En effet,
durant ces deux périodes, l’administration, l’armée, et – dans une certaine
mesure l’Église – ont été organisés en vue de sauvegarder les intérêts de
Léopold II (1884-1908) et ceux de la Belgique (1908-1960) ; et non pas
ceux des Congo-Zaïrois. La Belgique a exploité, pillé, et chamboulé aussi
bien les ressources spirituelles, naturelles, culturelles que l’humanité du
Congo-Zaïrois. D’ailleurs, tout ce que contenait et recouvrait le sol et le
sous-sol Congo-Zaïrois était une propriété privée du roi des Belges, puis
de la Belgique. C’est dans cette même optique que des Congo-Zaïrois ont
été mobilisés de force pour se battre pour la Belgique durant les deux
guerres mondiales alors que celle-ci ne les concernait pas directement.
Cette manière de procéder était animée par une rationalité insoupçonnée :
la caporalisation de la bureaucratie et de l’armée du Congo Belge d’abord
par Léopold II, puis par la Belgique. C’est dire que tout était organisé en
vue de garantir les intérêts de la métropole.
24. Après l’indépendance, la dynamique n’a pas été la même.
La métropole en fonction de laquelle tout était ordonné et configuré ne
représente plus un espace géographique ; mais une personne (ou un groupe
d’individus) qui caporalise l’ensemble du service pour leurs intérêts mais
aussi ceux de leurs mentors. Si, jadis, l’arsenal bureaucratique et militaire
était organisé en fonction de la métropole, après l’indépendance, c’est en
fonction du président fondateur et père de la nation qu’il est organisé. J.D
Mobutu incarne cette mutation qui définit le paradigme politique et le mode
de gestion en postcolonie. Mobutu, président fondateur, était au-dessus de
la constitution du Congo-Zaïre. Il suffit de lire la constitution du 14 juin
196730 pour réaliser comment que tout le système politique était caporalisé
par le « Guide Suprême »31. C’est dire qu’il était la mesure et la norme de
tout. Tout, au Congo-Zaïre, était organisé en fonction de lui : président
fondateur du Mouvement Populaire de la Révolution, président de la
République, chef du gouvernement, commandant suprême des armées, etc.
Comme chef du gouvernement, il est tenu d’informer l’assemblée nationale
dont le rôle est tout sauf celui de contrôler les actions de l’exécutif qui est
chapoté par le président lui-même. Proclamé au-dessus des limitations
constitutionnelles du pouvoir, Mobutu était donc au-dessus de la loi, au-
dessus de la moralité publique, au-dessus de l’éthique sociale, au-dessus

30 Disponible online : https://mjp.univ-perp.fr/constit/cd1967.htm .


31 Un des surnoms de Mobutu.

394 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Autorité morale ou holocauste de l’État-nation

des valeurs ordinaires, au-dessus du respect de la dignité humaine et de


la propriété privée, au-dessus de la mesure, au-dessus des exigences de la
vérité, bref, un philosophème du désastre de la pensée32.
25. Le réalisateur Belge, Thiery Michel, dans Mobutu roi du Zaïre,
est peut-être l’un de ceux qui ont réussi à mettre en scène, avec tact et
professionnalisme, une sorte de synthèse de Mobutu. Un personnage à la
fois complexe, aussi pathétique qu’ambigu. Ce tableau cinématographique
de Thiery Michel est un document intéressant dans la mesure où il nous
fournit du matériau pour l’histoire, pour une socio-anthropologie politique
et pour une sociologie des représentations.33 Ce documentaire présente
Mobutu comme une récapitulation de la colonisation dans la mesure où
ce dernier a mimé les symboliques du colon, coopté l’épistémè coloniale,
et répété la manière de faire la politique du Blanc. Au sujet de Mobutu
comme récapitulation de la rationalité coloniale, Serge Mboukou argue
en ce sens : « Mobutu est une pure élaboration de la colonisation. Son
parcours en récapitule les étapes et ne cesse d’en redire, d’en traduire et
donc d’en trahir les signes et les symptômes. D’un certain point de vue, on
peut dire que son parcours est emblématique et exemplaire du rêve colonial
de "civilisation" des "Petits noirs d’Afrique" ».34 En somme, si le système
colonial a élaboré le paradigme du régime autorité morale, le mobutisme
l’a opérationnalisé.
26. La chute de Mobutu en 1997 n’a pas conduit à la disparation du
mobutisme ; mais à l’inauguration de l’ère du néo-mobutisme avec l’Alliance
des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL). E. Wamba
dia Wamba pense que l’AFDL, qui avait pour objectif d’en finir avec Mobutu,
n’était pas à l’abri des tendances du mobutisme pour trois raisons : (1) la
direction de l’AFDL était déterminée dans sa composition et ses rôles plus
par des forces extérieures que par les forces internes enracinées dans les
masses congolaises ; (2) le titre de Mzee qui s’affirmait de plus en plus,
s’enracinait sur cette volonté politique de restreindre, voire d’empêcher le
débat dans les structures de l’AFDL ; (3) le manque d’un véritable dialogue
au sein des organes de l’AFDL35. L’on peut dire que l’ombre du mobutisme
s’attaché aux différents régimes qui se sont succédé dans l’espace
afrocongolais comme l’ombre s’est attaché au corps sous le soleil. C’est
dire que depuis l’ADFL, nous assistons au néo-mobutisme entendu, d’une
part, comme la domestication forcée du peuple ; et, d’autre part, comme la
prise en otage du pays par un groupe d’amis jouisseurs sans scrupule ni
soucis du bonheur pour tous. Toutefois, la marque distinctive des régimes
32 E. WAMBA DIA WAMBA, « Mobutisme après Mobutu : réflexions sur la situation actuelle en
République Démocratique du Congo », disponible Online : http://www.politique-africaine.com/
numeros/pdf/072145.pdf. Consulte le 19 Avril 2021 a 2 :21’.
33 Serge MBOUKOU, « Mobutu, roi du Zaïre : essaie de sociologie anthropologie politique a partir
d’une figure dictatoriale. » In Le Portiqueonline.com, 5-2007, mis en ligne le 06 décembre 2007, consulté
le 14 Novembre 2019. URL: //journals.openedition.org/leportique/1379, p. 2.
34 Ibid.
35 E. WAMBA DIA WAMBA, Op. Cit.
Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 395
Christian MUKADI, S.J.

qui se sont succédé depuis la chute de Mobutu c’est l’hypothèque du Congo-


Zaïre aux multinationales et aux « puissances régionales » éhontées. Une
situation qui s’est garnie de deux faits : (1) la tyrannie juridiste marquée
par une herméneutique autoréférentielle du droit et de la bureaucratie,
mettant ainsi le peuple dans l’impouvoir ; et (2) l’impunité ulcérique qui a
foncièrement contribué à l’enlisement des cycles des violences infernales
depuis plus de deux décennies.
27. Depuis l’avènement du mobutisme, lorsque l’on parle d’un parti ou
d’un regroupement politique au Congo-Zaïre, l’on ne voit pas d’abord une
idéologie ou une vision politique donnée ; l’on voit d’abord un visage autour
duquel s’agrègent des ouailles : une autorité morale, une personnalité
de référence, un sphinx, chairman, béton, etc. C’est dire que les partis
politiques ne sont que des agrégats ou des tanières putréfiées par des
ventriloques impénitents qui se tassent sur base d’affinités (bien souvent
aux timbres tribaux) et dont l’opportunisme est la règle du jeu. Leur
mission primordiale est de travailler à la visibilité de l’autorité morale ;
d’un « Guide Suprême », d’un « Mzee » ; d’un « Sisa Bidimbu » ou encore
d’un « Béton ». Il sied de souligner que ces métaphores mettent en lumière
une forme de flétrissure et la complexité qui caractérisent l’imaginaire et la
représentation du pouvoir politique dans l’espace afrocongolais. Autrement
dit, ce que l’on nomme partis politiques dans l’espace afrocongolais ne sont
en réalité que des espaces de mobilisation ou de rassemblement autour
des personnalités (autorité morale) et non pas des structures politiques
porteuses des projets de société auxquels les membres sont acquis ;
c’est-à-dire capables de sacrifier leur vie pour un idéal politique donné.
La transhumance des politiciens afrocongolais illustre cette réalité. Même
si ces structures prétendent avoir un projet de société, c’est en réalité la
volonté de l’autorité morale qui guide leur marche. Cette réalité se manifeste
par des expressions telles que « mot d’ordre du parti », « vision de l’autorité
morale », etc. La question qui reste pendante est celle de savoir s’il est
possible de construire un État-Nation à partir d’un régime autorité morale.
Ce dernier point se penche sur cette interrogation.

Pour une utopie afrocongolaise


28. Lorsque l’on veut aborder la question du régime autorité morale,
entendue d’une part comme synthèse du pouvoir, de l’autorité et de la
légitimité en la personne du chef ; et d’autre part, comme caporalisation
de la bureaucratie et de l’arsenal militaire par un individu (ou un groupe
d’individus), deux tendances hantent. La première approche – qui est
négative – consiste à analyser le régime autorité morale à l’aune de « ce qui
devrait être » ; c’est-à-dire à la lumière des théories politiques et sociales
modernes. La deuxième approche – qui est positive – consiste à voir dans le

396 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Autorité morale ou holocauste de l’État-nation

régime autorité morale un modèle politique en plein processus de formation


qui nous invite à une analyse sérieuse et sans jugement de valeur en vue de
séparer l’ivraie du bon grain. Deux auteurs peuvent nous aider à illustrer
ces deux tendances : J. Onaotsho Kawende et Achille Mbembe.
29. Dans un ouvrage remarquable – Démocratie, Technoscience et Écologie
–, J. Onaotsho Kawende semble adopter la première perspective. En effet, il
apprécie la rationalité politique afrocongolaise à la lumière de la rationalité
démocratique telle qu’elle s’est déployée dans le paradigme gréco-latin.
Le philosophe congolais argue en faveur d’une socialisation de la démocratie
entendue comme façonnement de la personnalité citoyenne conformément
aux exigences démocratiques ; c’est-à-dire une dynamique qui lui inculque
des valeurs démocratiques conformes à la rationalité pluraliste. Pour
J. Onaocho Kawende, il s’agit de relayer les processus de démocratisation
qui semblent culminer dans l’organisation des élections en une socialisation
démocratique – processus psychologique qui tâche d’inculquer les valeurs
démocratiques – chargée de créer des valeurs démocratiques chez les citoyens
afin que toutes les interactions sociopolitiques soient culturellement régies
par des règles démocratiques. »36 Autrement dit, il s’agit de la centralité
de l’éducation aux valeurs démocratiques dont le nexus est l’égalité et
la liberté qui aboutissent en une coexistence pacifique et harmonieuse.
Toutefois, il faudrait souligner que la démarche de J. Onaotsho Kawende
repose sur une affirmation tacite : la manière dont se partitionne la question
du vivre ensemble -sous la modalité du régime d’« autorité morale », de
« libérateurs » et d’« hommes forts »- ne peut pas contribuer à la vision de
la politique comme un « artifice social ordonné à la quête du bien commun,
de la coexistence pacifique et a l’idéal du vivre ensemble harmonieux. »37
30. Dans une œuvre devenue un des classiques dans les études
postcoloniales – De la postcolonie – A. Mbembe consacre une bonne
partie de sa réflexion à la question de la domination et de la violence qui
caractérisent l’État postcolonial38 : « État autorité morale ». Il sied de
le souligner, la violence et la domination par un individu (ou un groupe
d’individus) font partie de la nature même du régime autorité morale. Chez
A. Mbembe, la violence et la domination viscérale en postcolonie sont les
caractéristiques de ce qu’il nomme le gouvernement privé indirect. Par ce
terme, le penseur camerounais désigne une pratique de domination qui met
en lumière la transformation structurale, de la même profondeur que la
transition entre l’esclavage à l’économie monétisée. En effet, si sur le plan
économique le continent a quitté les sentiers de l’économie formelle pour

36 J. ONAOTSHO KAWENDE, Démocratie, Technoscience et Écologie, champs paradigmatiques de la ratio-


nalité pluraliste ; Ed. Academia/L’Harmattan, Louvain-la-Neuve, pp. 98-99.
37 Ibid., p. 76.
38 Cf. A. MBEMBE, De la postcolonie : Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Paris :
Karthala, 2005.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 397


Christian MUKADI, S.J.

entrer dans l’ombre, dans la démonétisation, le troc, les filières souterraines,


l’État, s’étant vu de facto dépecé de la plupart de ses prérogatives, il agit
par procuration. Le pouvoir central résiste, de même que l’imaginaire
administratif, mais leur consistance s’est à ce point dégradée que les
responsabilités associées au pouvoir se sont vidées de leur contenu : les
ordres sont notoirement ignorés ; les hiérarchies contestées ; les fonctions
troquées, louées, vendues… Sur les cendres d’un État-fantôme émerge un
nouveau type de régime de pouvoir déchargé à l’avantage d’individus forts,
en compétition pour l’accaparement et la concentration des pouvoirs et des
avoirs. À l’économie politique de la libéralité qui garantissait la pérennité
du pouvoir se substitue aujourd’hui une logique de l’extorsion des biens
privés, des taxes, des personnes, etc.
31. Toutefois, d’après A. Mbembe, ce gouvernement privé indirect est
une originalité historique telle qu’elle remplacerait progressivement les
formes connues de Souveraineté. Il s’agit d’un fait sociologique sur lequel
l’on doit fonder une analyse et non pas un jugement de valeur.39 En outre,
en postcolonie, la domination se situe au point de rencontre entre l’autorité
et celui qui se laisse séduire, capter, miner par elle en se laissant ainsi
figer comme sujet du commandement dans l’éternel impouvoir. Avec
pour conséquence la suppression des oppositions sociologiques binaires
assujettissement-émancipation, résistance-passivité, dominant-dominé,
se montrent désormais inopérantes40.
32. Au-delà de la tension entre les perspectives des auteurs
susmentionnés, il se trame un désir et l’urgence de construire un vivre
ensemble harmonieux dont l’élan semble être hypothéqué par le régime
autorité morale. D’une part, avec J. Onaotsho Kwende, l’on peut dire que
cette construction d’un espace afrocongolais qui donne des raisons d’espérer
passe par une socialisation de la démocratie. D’autre part, en s’inspirant
de A. Mbembe, il est juste de dire qu’il est opportun de prendre ce régime
autorité morale comme point de départ d’une réflexion qui enchante l’espace
afrocongolais.

« Prendre le large … »

33. En somme, il nous faut prendre le large ! Notons avec Felwin Sarr
que la plupart des pays dans l’espace afrocongolais semblent être dans une
forme de course, sans succès, de rattrapage des modèles économiques et
politiques, de l’État-nation et des figures institutionnelles de la démocratie
représentative ; oubliant que ces formes d’organisation sociale, de régulation
du politique et de l’économique sont des résultantes de la sélection opérée

39 D. ABADIE, « De la postcolonie d’Achille Mbembe, recension d’une hypothèse cardinale sur le


devenir de l’Afrique », in Thanking Africa, NRD n0 8 – Mars 2014, pp. 1-10.
40 D. ABADIE, Op. cit.

398 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Autorité morale ou holocauste de l’État-nation

par des sociétés au cours de leur histoire, après de longs processus d’essai
et erreur. En ce sens, aussi longtemps que les institutions politiques,
sociales et culturelles ne seront pas le résultat de productions internes,
arrivées à maturité, des sociétés ayant opéré les synthèses nécessaires par
leur métabolisme propre, on observera longtemps encore une vie réelle
s’auto-organisant en dehors des espaces officiels, et obéissant à ses logiques
propres. L’imitation servile des modèles politiques et économiques élaborés
selon des impératifs qui ne tiennent nullement compte de la réalité des
cultures locales ne peut que produire de l’aliénation.41
34. L’utopie afrocongolaise – qui n’est pas moins qu’un défi – serait cet
impératif de « prendre le large » ; refuser un avenir tracé à l’avance, refuser
de « faire du passé des autres notre avenir ». Il nous faut donc bousculer
nos imaginaires (Kä Mana) pour façonner nos propres modèles politiques
et économiques à partir de nos dynamiques androgènes qui s’accordent
avec les exigences universelles de liberté et de dignité humaine42. Prendre
le large dans le contexte de l’espace afrocongolais consiste à désincarner
l’autorité (morale) et le replacer dans un cadre formel contraignant pour
tous.

41 Cf. F. SARR, Afrotopia, Ed. Philippe Rey, 2016, pp. 111-133.


42 Ibid.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 399


Nations et Institutions

RÉFORME JUDICIAIRE CONTROVERSÉE DE 2020


AU CONGO DÉMOCRATIQUE

C
Introduction

Jean-Claude ette introduction évoque les péripéties de


PANDATIMU BIG
la réforme judiciaire controversée de 2020
WA GANGA,
Professeur Associé en RD Congo et dégage le fil d’Ariane de la
(en Droit)/ réflexion. Une brève conclusion s’en suivra.
Université de
Kisangani. – Péripéties de la réforme judiciaire de 2020.
Magistrat du siège et
Juge d’instance. En pleine période d’état d’urgence sanitaire, deux
jeanclaude. députés1 nationaux membres de la plateforme FCC2
pandatimu@ ont déposé au bureau de l’Assemblée Nationale trois
unikis.ac.cd propositions des lois organiques touchant le pouvoir
judiciaire. La première a visé la loi organique sur
les juridictions de l’ordre judiciaire, dans laquelle
ses auteurs ont préconisé l’extension de l’autorité du
Ministre de la justice sur les Officiers du Ministère
Public et l’institution des conférences des procureurs
avec ce dernier. La deuxième, intéressée à la loi
organique portant statut des magistrats, veut
modifier les conditions de recrutement du magistrat
par recopiage de certaines dispositions du statut
régissant les magistrats sous l’époque du Zaïre
avec l’ancien Président Mobutu. Ces dispositions
prévoyaient la possibilité, pour le Ministre de la
justice, de nommer le magistrat à titre provisoire et
aussi, pour le Président de la République, de nommer
un magistrat à tout grade parmi les personnes qui
satisferont aux conditions légales. La dernière a
visé la loi organique sur le Conseil Supérieur de
la Magistrature où ses initiateurs voudraient que
les questions liées à l’élaboration du budget du
pouvoir judiciaire, à la nomination, à la promotion,
à la retraite, à la révocation, à la démission, à la
réhabilitation des magistrats du parquet fassent ainsi
société avec le Ministre de la justice. Cette dernière

1 Aubin MINAKU NDJALANDJOKO et Garry SAKATA MOKE


TAWAB.
2 Front Commun pour le Congo.

400 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Réforme judiciaire controversée de 2020 au Congo démocratique

proposition de loi organique a envisagé même que le Ministre soit investi


du pouvoir d’ordonner une enquête contre un magistrat incriminé.
Le dépôt de ces trois propositions des lois organiques a suscité des
remous au sein de toutes les classes sociales. En effet, par une pétition
du 25 juin 2020, les syndicats des magistrats de la RD Congo ont exigé le
retrait de ces trois propositions des lois de la Commission PAJ ou leur rejet
par l’Assemblée plénière aux motifs qu’elles veulent museler l’exercice de
l’action répressive et favoriser l’impunité de certains criminels en paralysant
l’instauration de l’État de droit, préoccupation actuelle du Chef de l’État.
À la même date que sus indiquée, le Canada, le Royaume-Uni et les États-
Unis ont fait une déclaration en appui à la démocratie en RD Congo par
laquelle ils ont manifesté leurs soucis devant les récentes propositions des
lois qui pourraient être utilisées pour amoindrir l’indépendance de l’appareil
judiciaire qu’ils reconnaissent ainsi comme un élément fondamental
d’une démocratie accomplie et de la bonne gouvernance. Réduire cette
indépendance viendrait miner la protection des droits civils et politiques
en RD Congo, ont-ils martelé.
Bien avant la date sus indiquée, le Conseil de l’ordre du barreau du
Kasaï Central avait tenu une déclaration le 24 juin 2020 à la suite de
sa session extraordinaire exprimant sa solidarité aux magistrats et aux
organisations de la société civile qui jugent la réforme inopportune. Les
leaders de la plateforme LAMUKA ont, par un communiqué, manifesté leur
mécontentement aux trois propositions des lois organiques qui présentent,
selon eux, un risque certain, non seulement d’intrusion du Gouvernement
dans l’activité quotidienne du magistrat et celle du Conseil Supérieur de la
Magistrature, mais aussi portent en elles un risque certain d’inanition de
l’action du Ministère public. Exprimant son regret contre ces propositions,
le Comité Permanent de la CENCO3 avait, dans sa déclaration du 27 juin
2020, soutenu qu’il est inadmissible que les lois soient taillées sur mesure
selon les ambitions des leaders politiques, partis ou plateformes politiques,
ou que certains de nos compatriotes montent des stratégies pour vider les
institutions d’appui à la démocratie de leur indépendance fondée sur la
Constitution afin de les inféoder à leur diktat. Et, à ce Comité de conclure
que, si l’on n’y prenait pas garde, ces propositions des lois vont porter
atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Soutenant ces trois propositions des lois, le PPRD4, parti jouant un
rôle prépondérant dans la plateforme FCC, a, par un communiqué de
presse, riposté contre toutes les prétentions de ses adversaires arguant
que le Constituant congolais, conscient du fait que le parquet est le bras
séculier de l’État, n’a pas étendu l’indépendance du pouvoir judiciaire aux
Officiers du Ministère Public en ce que leur lien avec l’État demeure le
3 Conférence Épiscopale Nationale du Congo.
4 Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 401


Jean-Claude PANDATIMU

Ministre de la justice. À ce titre, conclut-il, le Ministre de la justice peut


donner injonction positive aux parquets parce que le pardon de la nation
et la cohésion nationale relèvent de l’appréciation du Gouvernement, et
le Ministre de la justice est responsable justement de la politique pénale
définie par le Gouvernement et c’est lui qui l’applique.
Relevons par ailleurs que bien avant le dépôt de ces trois propositions des
lois désirant réformer le pouvoir judiciaire, le Ministre de la justice5 avait
adressé une correspondance6 au Président de la Cour Constitutionnelle
et Président du Conseil Supérieur de la Magistrature7 l’informant de
sa visite dans les offices et services judiciaires de la Ville/ Province de
Kinshasa. Faisant suite à cette correspondance, le destinataire avait
relevé l’inopportunité de la visite, arguant que l’organisation des échanges
relatifs aux dossiers judiciaires en cours et l’examen des diverses autres
questions concernant la bonne administration de la justice, objet de la
visite du Ministre de la Justice, débordent le cadre normatif de la politique
judiciaire nationale et que le contrôle envisagé n’est prévu par aucune
disposition légale. Il a été rappelé au Ministre de la justice par la même
occasion l’indépendance du pouvoir judiciaire dont les membres sont gérés
par le Conseil Supérieur de la Magistrature, désormais composé des seuls
magistrats.
Mécontent de la réponse fournie par le Président de la Cour
Constitutionnelle et Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, le
Ministre de la justice réagira ainsi par un accusé de réception et par une
requête déposée au greffe du Conseil d’État sollicitant l’interprétation des
dispositions des articles 70 et 72 de la loi organique n°13/011-B du 11 avril
2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions
de l’ordre judiciaire et de l’article 15 de la loi organique n°06/020 du 10
octobre 2006 portant statut des magistrats telle que modifiée en 2015, où il
soutient qu’aux termes de l’article 149 de la Constitution du 18 février 2006
telle que modifiée en 2011, l’indépendance consacrée au pouvoir judiciaire ne
concerne que les cours et tribunaux et que cette indépendance ne concerne
pas les Officiers du Ministère Public en ce que ceux-ci sont placés dans
l’exercice de leurs fonctions sous l’autorité du Ministre de la justice.
Dans son accusé de réception, le Ministre de la justice avait relevé
que l’indépendance de la magistrature est connue et comprise comme une
garantie donnée aux justiciables en vue de leur assurer une justice saine et
équitable, et qu’il ne s’agit pas des murs bâtis pour créer en la faveur des
magistrats un cercle cloisonné qui n’aurait de compte à rendre à personne.
Aucune institution de la République ne peut donc fonctionner dans une
tour d’ivoire, sans rapport avec les autres institutions, va-t-il, conclure.
5 Célestin TUNDA YA KASENDE.
6 En date du 15 Avril 2020.
7 Benoît LWAMBA BINDU.

402 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Réforme judiciaire controversée de 2020 au Congo démocratique

Consécutivement à la requête du Ministre, le Conseil d’État8 en sa section


consultative avait estimé que le Ministre de la justice ne peut se substituer
aux Officiers du Ministère Public et les sanctionner de peine disciplinaire
même à titre conservatoire parce que régis par le statut des magistrats. Et
qu’en cas de faute disciplinaire des magistrats du parquet constatée par
le Ministre de la justice, ce dernier est tenu de saisir le Conseil Supérieur
de la Magistrature.
Bouclons les différentes péripéties de cette réforme judiciaire
controversée en relevant que c’est par son initiative personnelle que le
Ministre de la justice avait déposé à l’Assemblée Nationale les observations
du Gouvernement de la République sur les dites propositions des lois sans
qu’un débat préalable n’en soit fait.

– Fil d’Ariane de la réflexion

Étant donné que l’injustice9 était à l’origine de l’inversion générale des


valeurs et de la ruine du pays, le peuple congolais avait procédé à la mise
en place d’un ordre politique10 en 2005 en approuvant la Constitution
du 18 février 2006 lors du référendum organisé du 18 au 19 décembre
et avait, par la même occasion, fixé les institutions de la République. En
effet, cette constitution de 2006 telle qu’approuvée par le peuple souverain
primaire, sépare les pouvoirs de l’État entre l’exécutif, le législatif et le
judiciaire, et veut voir chacun d’eux indépendant l’un vis-à-vis de l’autre.
À la base de l’organisation des institutions de la République, se situe le
souci du peuple congolais d’ « assurer le fonctionnement harmonieux des
institutions de l’État, éviter les conflits, instaurer un Etat de droit, contrer
toute tentative de dérive dictatoriale, garantir la bonne gouvernance, lutter
contre l’impunité, assurer l’alternance démocratique11 ».
Conscients de l’intangibilité de l’indépendance du pouvoir judiciaire
qui est reprise dans les dispositions verrouillées de la Constitution et donc
ne pouvant faire objet d’aucune révision, les initiateurs des propositions
des lois controversées tentent de créer au pays une incohérence dans les
normes au moyen des lois organiques (III) en amenuisant l’indépendance de
ce pouvoir (I) par une extension malencontreuse de l’autorité du Ministre
de la Justice (II) qui peut générer des frustrations dans la magistrature
dues au clientélisme (IV) ; car, une loi organique ne vise qu’à préciser ou
compléter les dispositions de la Constitution12. Ainsi structurée en ces 4
points, l’objectif de cette réflexion est d’établir que ces propositions des
8 Avis du Conseil d’État de de la RD Congo n° R.I.T.E 015.
9 Avec ses corollaires l’impunité, le népotisme, le régionalisme, le tribalisme, le clanisme et le clientélisme.
10 L’ordre politique représente la manière dont est structurée la représentation des pouvoirs entre les
différentes institutions de l’État.
11 Exposé des motifs de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006, in J.O
de la RD Congo, Kinshasa, 47e année, numéro spécial
12 Serge GUINCHARD et Thierry DEBARD, Lexique des termes juridiques, Paris, Éditions Dalloz, 2018-
2019, p. 656.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 403


Jean-Claude PANDATIMU

lois organiques controversées en 2020 sont l’expression du reniement de


l’ordre politique mise en place par le peuple congolais. En effet, n’étant pas
parvenu à faire élire son candidat aux présidentielles de 2018, la famille
politique gestionnaire majoritaire des institutions régaliennes de l’État
voulait remettre en cause l’ordre politique prévalu quand elle assumait la
Présidence du pays13 car, ces propositions des lois ne précisent pas ou ne
complètent pas la Constitution. La teneur de ces dernières atteste que la
pétition apparaît dans le cas d’espèce comme un mécanisme efficace pour
déboucher à la réalisation des ambitions figurant dans la prétendue réforme.

I. Amenuisement de l’indépendance du Pouvoir Judiciaire


En affirmant dans leurs propositions des lois organiques controversées
que la Constitution révisée en 2011 « met en exergue en son article 151 le
principe de l’indépendance du juge, c’est-à-dire du seul magistrat du siège
puisque les parquets près les juridictions civiles et militaires ne sont plus
cités au 2e alinéa de l’article 149) », les initiateurs veulent tout simplement
désavouer l’ordre politique actuel par une ignorance consciente du 1er alinéa
de ce même article 149 qui dit que « le pouvoir judiciaire est indépendant
du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif » en vue de construire une
supériorité de l’autorité du Ministre de la Justice sur le Pouvoir Judiciaire.
Il faut faire observer de manière préliminaire que le souci majeur de
mettre en harmonie le défi d’une justice véritablement indépendante
vis-à-vis du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif avait, contrairement
aux prétentions des initiateurs de ces propositions des lois, poussé le
pouvoir constituant originaire à instituer dans la constitution congolaise
un emploi bipolaire de la notion de séparation des pouvoirs : selon le
droit constitutionnel (1er alinéa de l’article 149 indépendance de tous les
magistrats) et selon le droit procédural (article 151, indépendance du seul
juge).
En effet, en droit constitutionnel, la séparation des pouvoirs est un
principe essentiel du libéralisme politique (avec le régime représentatif),
qui tend à prévenir les abus du pouvoir en confiant l’exercice de celui-ci
non à un organe unique, mais à plusieurs organes, chargés chacun d’une
fonction différente et en mesure de se faire mutuellement contrepoids14.
Principe formulé par Locke et surtout par Montesquieu (Esprit des lois,
Livre XI, Chap.6), à qui l’on fait remonter la distinction classique des
pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire que le pouvoir constituant en
proclame l’indépendance au niveau du premier alinéa de l’article 149 de
la Constitution telle que susmentionnée.

13 Et ce, juste après la passation pacifique du pouvoir couplée d’une coalition avec le parti présidentiel.
14 Serge GUINCHARD et Thierry DEBARD, Op. cit, p. 990.

404 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Réforme judiciaire controversée de 2020 au Congo démocratique

Faisant une liaison herméneutique entre les prescrits de ce 1er alinéa de


l’article 149 à ceux de l’article 15215 de la Constitution, force est de soutenir
que les magistrats du parquet sont ainsi indépendants du point de vue
du droit constitutionnel car faisant parti du pouvoir judiciaire géré par le
Conseil Supérieur de la Magistrature. Méconnaître cette indépendance des
magistrats du parquet, du point de vue du droit constitutionnel, constitue
carrément un reniement de l’ordre politique existant car les propositions
des lois organiques controversées ne précisent pas ou ne complètent pas
les prescrits du 1er alinéa de l’article 149 par cette méconnaissance.
En droit procédural, la séparation des pouvoirs est un principe affirmé
au moment de la Révolution et interdisant à l’autorité judiciaire de s’ingérer
dans les domaines du législatif et de l’administratif, et lui reconnaissant
au même moment une indépendance à l’égard des pouvoirs politiques16. En
RD Congo, c’est l’article 151 de la Constitution qui formalise le principe
de la séparation des pouvoirs selon le droit procédural par la distinction
faite entre l’indépendance du juge vis-à-vis du pouvoir exécutif prévue
en son 1er alinéa « le pouvoir exécutif ne peut donner d’injonction au juge
dans l’exercice de sa juridiction, ni statuer sur les différends ni entraver le
cours de la justice, ni s’opposer à l’exécution d’une décision de justice », de
l’indépendance du juge vis-à-vis du pouvoir législatif prévue en son 2e alinéa
« le pouvoir législatif ne peut ni statuer sur des différents juridictionnels,
ni modifier une décision de justice, ni s’opposer à son exécution ».
L’indépendance du juge telle que consacrée à l’article 151, couplée de
la suppression du Parquet au 2e alinéa de l’article 149 de la Constitution
pousse à penser que le pouvoir constituant dérivé, à la suite des législations
des pays dont la RD Congo s’inspire des lois, voudrait instituer seulement
une autorité judiciaire17, donc l’indépendance du seul juge, et soumettre les
magistrats du parquet sous l’autorité du Ministre de la Justice en les ôtant
de leur indépendance. Cette thèse est la preuve du reniement de l’ordre
politique approuvé par le peuple lors du référendum et doit être rejetée du
fait que c’est la séparation des pouvoirs qui présidait le souci du pouvoir
constituant originaire en organisant les institutions de la République.
La Constitution congolaise, en excluant l’expression « autorité
judiciaire » au bénéfice de l’expression « pouvoir judiciaire », renforce
ainsi l’indépendance des magistrats en général (1er alinéa de l’article 149
et l’article 152) et celle du juge en particulier (article 151) pour répondre
à certaines valeurs constitutionnelles, comme contrer toute tentative de
dérive dictatoriale et lutter contre l’impunité18. Les manifestations et les
15 L’article 152 reprend les magistrats du parquet dans la composition du Conseil Supérieur de la
Magistrature, l’organe de gestion du pouvoir judiciaire.
16 Serge GUINCHARD et Thierry DEBARD, Op. cit, p. 990.
17 L’autorité judiciaire désigne, dans la traduction républicaine des pays comme la France, l’ensemble
des institutions dont la fonction est de faire appliquer la loi en tranchant les litiges, manière de ne
pas reconnaître l’existence d’un véritable pouvoir judiciaire.
18 Exposé des motifs de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006,
déjà citée.
Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 405
Jean-Claude PANDATIMU

querelles observées contre ces propositions des lois organiques attestent


que ces dernières sont de nature à bouleverser l’ordre politique actuel sur la
question de l’indépendance du pouvoir judiciaire du fait qu’elles ne précisent
pas ou ne complètent pas la constitution. C’est à ce titre que le point 12 de
la déclaration du Comité Permanent de la CENCO sur la situation tendue,
relative aux propositions des lois sur la réforme judiciaire (……) dit que « les
voix qui s’élèvent pour protester contre les manipulations politiciennes dans
le processus des réformes judiciaires indiquent que le Peuple Congolais
a faim de la justice et de la paix19 ». Une pétition renfermant la teneur
de la réforme préconisée par ces trois propositions des lois constitue une
technique adéquate à même d’établir un ordre politique autre que celui
approuvé par le peuple lors du référendum de 2005, car ces propositions ne
précisent pas ou ne complètent pas la Constitution dans son esprit.
Ainsi, si les systèmes juridiques Français et Belge ont largement
influencé le système juridique du Congo démocratique, il faut reconnaître
que la Constitution congolaise marque son originalité lorsqu’elle parle
du « pouvoir judiciaire », expression plutôt rarement utilisée ailleurs. On est
en réalité ici en face d’une acception congolisée d’une justice indépendante
impliquant l’indépendance constitutionnelle des magistrats en général
et l’indépendance procédurale du juge en particulier ; les magistrats
du parquet n’étant pas indépendants sur le plan procédural puisque
susceptibles de recevoir injonction du Ministre ayant la justice dans ses
attributions. Telle est la volonté du peuple congolais selon l’ordre politique
par lui approuvé en 2005 pour qu’ainsi soit assuré le fonctionnement
harmonieux des institutions de l’État congolais et que la République ne
retombe plus, comme par le passé, dans des crises politiques récurrentes
d’avant l’entrée en vigueur de la Constitution du 18 février 200620.

II. Extension malencontreuse de l’autorité


du Ministre de la Justice

La séparation des pouvoirs telle qu’actuellement prévue dans l’ordre


politique approuvé en 2005 est compatible dans son principe avec certaines
exceptions aux règles d’indépendance21. Ainsi, c’est à tort que les initiateurs
de ces trois propositions des lois organiques veulent étendre l’autorité
du Ministre de la Justice. Ces exceptions figurent déjà dans le droit
positif congolais ; elles sont ainsi interprétées comme un assouplissement
au principe de séparation des pouvoirs et non comme une négation de
l’indépendance du judiciaire. Elles sont prévues au niveau de trois articles
19 CENCO, Qui sème le vent récolte la tempête (cf. Osée 8,7), Déclaration faite à Kinshasa, le 27 juin 2020.
20 Exposé des motifs de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006,
déjà citée.
21 Denis ALLAND et Stéphane RIALS, Dictionnaire de la culture juridique, Paris, LAMY-PUF, 2003,
p. 1407.

406 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Réforme judiciaire controversée de 2020 au Congo démocratique

des textes de la réforme judiciaire controversée de 2020 : il s’agit de l’article


7022 d’une part et des articles 2 et 2823 de l’autre.
S’agissant de l’article 70, il prévoit que « les officiers du Ministère
public sont placés sous l’autorité du Ministre ayant la justice dans ses
attributions. Celui-ci dispose d’un pouvoir d’injonction sur le Parquet.
Il l’exerce en saisissant le Procureur Général près la Cour de cassation
ou le Procureur Général près la Cour d’appel selon le cas, sans avoir à
interférer dans la conduite de l’action publique »24. En effet, selon l’ordre
politique actuel25, c’est le Conseil Supérieur de la Magistrature qui est
l’organe attributaire exclusif de l’intégralité de la fonction judiciaire et que
le pouvoir d’injonction sur le Parquet reconnu au Ministre de la Justice
membre du Gouvernement par cet article 70 constitue une dérogation visant
à compléter la Constitution sur la question de l’indépendance du pouvoir
judiciaire. Ainsi, puisque c’est le Gouvernement qui a la charge de conduire
la politique de la nation selon l’ordre politique actuel26, la loi organique sur
les juridictions de l’ordre judiciaire précise et complète ici la Constitution
en investissant le Ministre de la justice, membre du Gouvernement, du
pouvoir d’impulsion en matière de la politique criminelle de la nation, dans
la mesure où l’exercice de l’action répressive est l’apanage du Ministère
public27.
C’est évidemment en tant que monopoleurs de l’action publique que ces
officiers28 se représentent en bras séculier du Gouvernement. La séparation
des pouvoirs n’étant pas absolue, la collaboration entre pouvoirs voudrait
qu’il n’existe pas au Gouvernement un Ministère ayant la recherche des
infractions dans ses attributions. En voulant altérer les dispositions de
l’article 70 susvisé par suppression de l’interdiction faite « au Ministre de
la justice d’interférer dans la conduite de l’action publique »29, la réforme
judiciaire de 2020 voudrait agacer l’ordre politique actuel qui consacre
l’indépendance des magistrats en général prévue au 1er alinéa de l’article
149 de la Constitution car, par cette interdiction, la loi organique précise
bien celle-ci. Seul un ordre politique autre que celui approuvé en 2005 peut
modifier les dispositions du 1er alinéa de l’article 149 de la Constitution

22 De la loi organique portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre


judiciaire.
23 De la loi organique portant organisation et fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature
24 Loi organique n°13/011-B du 11 Avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences
des juridictions de l’ordre judiciaire, in J.O de la RD Congo, Kinshasa, 54e année, numéro spécial, 4
mai 2013.
25 Loi n°11/002 du 20 Janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la Ré-
publique Démocratique du Congo du 18 février 2006, in J.O de la RD Congo, Kinshasa, 52e année,
numéro spécial, 5 février 2011, article 152.
26 Idem, article 91.
27 Chargé de la recherche des infractions aux actes législatifs et réglementaires.
28 Jean LARGUIER et Philippe CONTE, Procédure pénale, Paris, Éditions Dalloz, 2016, p. 128.
29 Lire l’alinéa 1e de l’article 70 de la proposition de loi organique modifiant et complétant la loi
organique n° 13/011 du 13 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des
juridictions de l’ordre judiciaire.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 407


Jean-Claude PANDATIMU

en vue d’étendre de façon aisée et sécurisée l’autorité du Ministre de


la Justice, comme préconisent les initiateurs des propositions des lois
controversées. Notons par ailleurs que la RD Congo, sur cette question,30
s’écarte de sa devancière, la France, car Larguier et Conte notent à cet effet
que le Ministre de la Justice « ne peut adresser aux membres du ministère
public aucune injonction dans les affaires individuelles, ni tendant au
déclenchement des poursuites, ni tendant à une décision contraire »31.
L’article 2, quant à lui, dans son alinéa 7e, énonce que « le Conseil
Supérieur de la Magistrature assure la gestion technique du personnel
judiciaire non magistrat mis à sa disposition. Il procède à son évaluation et
fait rapport au Gouvernement32 ». Conscient de l’indépendance du pouvoir
judiciaire, le législateur, par la loi organique, précise ici l’exception à cette
indépendance telle que prévue dans la Constitution pour que le judiciaire
ne fonctionne pas dans une tour d’ivoire sans rapport avec les autres
institutions. De ce fait, le rapport du Conseil Supérieur de la Magistrature
sur sa gestion technique du personnel judiciaire non magistrat envoyé au
Gouvernement, selon l’ordre politique actuel, est un bon complément de la
Constitution révisée qui veut ainsi assurer le fonctionnement harmonieux
des institutions de l’État33. Le rapport dressé en conformité avec ce 7e alinéa
constitue un canal de conjugaison de vues entre le pouvoir judiciaire et le
pouvoir exécutif permettant à celui-ci d’obtenir des informations à même de
lui permettre de définir la politique de la nation dont il en est attributaire.
Il ressort de ces argumentaires que c’est à tort que ces propositions
des lois veulent désavouer l’ordre politique actuel par la suppression des
dispositions du 7e alinéa de l’article 2 de la loi organique dans son état
actuel qui complète bien la Constitution, espérant, par cette suppression,
garantir la suprématie du Ministre de la Justice sur le Conseil Supérieur
de la Magistrature. Cette suppression n’élargit pas non plus l’autorité de
ce dernier puisque le pouvoir judiciaire, dont le Conseil Supérieur de la
Magistrature assure la gestion, continuera à conserver son indépendance
selon l’ordre politique approuvé en 2005 par le peuple congolais.
L’article 28 en ses deux derniers alinéas prévoit que « sans préjudice
des dispositions pertinentes de la susdite loi, la chambre de discipline peut
être saisie par le Ministre de la Justice ou sur plainte de toute personne
intéressée. Il est fait ampliation, pour information, de la plainte au Ministre
de la Justice34 ». De prime abord, il y a lieu de faire remarquer que selon
30 Pouvoir d’injonction du Ministre de la justice.
31 Jean LARGUIER et Philippe CONTE, Op. cit. p. 130.
32 Loi organique n°08/013 du 05 Août 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil
Supérieur de la Magistrature, in J.O de la RD Congo, Kinshasa, 49e année, 11/Août/2008, numéro
spécial.
33 Exposé des motifs de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006,
déjà cité.
34 Loi organique n°08/013 du 05 Août 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil Supé-
rieur de la Magistrature, in J.O de la RD Congo, Kinshasa, 49e année, 11/Août/2008, numéro spécial.

408 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Réforme judiciaire controversée de 2020 au Congo démocratique

l’ordre politique actuel, la Constitution révisée en 2011 ne fait nullement


allusion au Ministre de la Justice dans toutes ses dispositions. En effet,
c’est en vertu du principe selon lequel ce qui n’est pas interdit est permis
et tenant compte du fait que la conduite de la politique de la nation relève
de la compétence du pouvoir exécutif que la loi organique apporte alors ici
un assouplissement à l’indépendance du pouvoir judiciaire en complétant la
Constitution, moyen de fournir au Gouvernement les nouvelles judiciaires
pour que ce dernier ne fonctionne pas dans une tour d’ivoire sans rapport
avec les autres institutions.
Recherchant sans relâche à instituer la suprématie du Ministre de la
Justice, les initiateurs de ces propositions des lois organiques ont altéré les
dispositions de cet article 28 en supprimant le mot « pour information »,
voulant l’investir d’un pouvoir unilatéral de diligenter l’enquête à l’égard
d’un magistrat incriminé, manière de renier l’ordre politique actuel
et de saper ainsi les prérogatives dévolues à la chambre de discipline.
La possibilité offerte au Ministre de la Justice selon l’ordre politique
existant de saisir la chambre de discipline ou d’être informé de la plainte
y introduite est une dérogation à l’indépendance du pouvoir judiciaire et la
loi organique complète ici la Constitution en vue de permettre au pouvoir
exécutif de recevoir les informations sur la gestion technique du personnel
judiciaire magistrat.
Il ressort de l’étude faite sur les prescrits de cet article 28 que les
initiateurs de la réforme judiciaire visent plutôt un autre ordre politique
capable de garantir l’autorité du Ministre de la Justice car les lois
organiques actuelles complètent correctement la Constitution. Aussi, au
nom de l’indépendance de chaque pouvoir de l’État, les pouvoirs collaborent
directement entre eux : l’alinéa 7 de l’article 2 supra prescrit que « le
Conseil Supérieur de la Magistrature fait rapport au Gouvernement »,
donc au Premier ministre qui en est le chef35. L’ordre politique approuvé
par le peuple congolais lors du référendum de 2005 ne veut pas jusqu’ici
que le Conseil Supérieur de la Magistrature fasse son rapport au Ministre
de la Justice.

III. Incohérence dans la hiérarchie des normes


Les initiateurs de ces trois propositions des lois controversées désignent
chacune d’elles comme proposition de loi organique. Or, une loi organique
est celle qui vient préciser ou compléter les dispositions de la Constitution36
et ne peut pas, par conséquent, contenir des empiétements sur les
prérogatives constitutionnelles de certaines institutions par violation

35 Loi n°11/002 du 20 Janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la


République Démocratique du Congo du 18 février 2006, déjà citée, article 90 alinéa 2.
36 Serge GUINCHARD et Thierry DEBARD, Op. cit, p. 656.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 409


Jean-Claude PANDATIMU

de la hiérarchisation des normes37 qui exige que les règles de valeur


inférieure se conforment à celles qui ont une valeur supérieure. Dans l’ordre
juridique congolais, c’est la Constitution qui prime et que l’usurpation du
pouvoir attribué au Président de la République et au Conseil Supérieur
de la Magistrature, dont ces propositions des lois organiques font montre,
constitue une expression déguisée de la réclamation d’un ordre politique
autre que celui approuvé lors du référendum de 2005 par le peuple congolais.
En effet, la Constitution révisée en 2011 prévoit en son article 82 que « le
Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas
échéant, révoque, par ordonnance, les magistrats du siège et du parquet
sur proposition du Conseil Supérieur de la Magistrature. Les ordonnances
dont il est question à l’alinéa précédent sont contresignées par le Premier
ministre ». Ainsi, lorsque la proposition de loi organique sur le statut
des magistrats prévoit en son article 4 « la nomination à titre provisoire
du Magistrat par Arrêté du Ministre de la Justice » et en son article
12 « la désignation provisoire d’un magistrat à un grade immédiatement
supérieur en cas d’urgence », il est clairement établi que ces articles créent
un traumatisme légal par le fait que mot pour mot, ils ne précisent pas
et ne complètent pas non plus l’article 82 de la Constitution supra, mais,
ils ajoutent plutôt ce que l’ordre politique actuel ne prévoit pas, à savoir
la nomination à titre provisoire et la désignation provisoire au grade
immédiatement supérieur d’un magistrat par le Ministre de la Justice. De
cette analyse, il va sans dire que c’est un autre ordre politique que celui de
2005 qui est réclamé car, en tant qu’une règle de valeur inférieure, cette
proposition de loi organique ne se conforme pas à la Constitution qui est la
règle de valeur supérieure, créant ainsi une incohérence dans la hiérarchie
des normes.
Par cette réforme judiciaire controversée de 2020, le Conseil Supérieur
de la Magistrature aussi voit le pouvoir lui attribué par deux articles
de la Constitution révisée en 2011 être empiété. En effet, l’intrusion
malencontreuse du Ministre de la Justice qu’elle veut instaurer en matière
des questions touchant à la nomination, la promotion, la mise à la retraite, la
révocation, la démission, la réhabilitation des magistrats et même le pouvoir
de prendre des mesures conservatoires contre le magistrat du parquet38,
tout comme le rapport ad hoc39 obligatoire que devra dresser le Procureur
de la République ou l’Auditeur militaire de Garnison à l’attention de ce
Ministre, en rapport avec le stage de douze mois des magistrats nommés

37 Idem, p. 546.
38 Lire les alinéas 2 et 3 de l’article 2 de la proposition de loi organique modifiant et complétant la loi
organique n° 08/013 du 05 Août 2008 portant Organisation et fonctionnement du Conseil Supérieur
de la Magistrature.
39 Lire l’alinéa 2 de l’article 4 de la proposition de loi organique modifiant et complétant la loi orga-
nique n° 06/20 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats telle que modifiée et complétée
par la loi organique n° 15/014 du 1er Aout 2015.

410 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Réforme judiciaire controversée de 2020 au Congo démocratique

à titre provisoire et la conférence des Procureurs près les juridictions de


l’ordre judiciaire à instituer40, sont irréfutablement une négation de l’ordre
politique existant. En effet, cette réforme ne précise pas et ne complète pas
les prescrits de l’article 152 de la Constitution qui prévoit sur ces mêmes
questions que « le Conseil Supérieur de la Magistrature est l’organe de
gestion du pouvoir judiciaire. Il élabore les propositions de nomination, de
promotion et de révocation des magistrats. Il exerce le pouvoir disciplinaire
sur les magistrats ». En réalité, cette réforme s’écarte littéralement de
l’ordre politique actuel et que la meilleure façon de la faire réussir est
d’initier une pétition tendant à établir un autre ordre.
Lorsque l’alinéa 6 de l’article 2 de la proposition de loi organique41
voudrait instaurer un cadre de concertation entre le Ministre de la Justice et
le Conseil Supérieur de la Magistrature au sujet de l’élaboration du budget
du pouvoir judiciaire, une telle proposition de loi organique ne précise pas
ou ne complète pas le dernier alinéa de l’article 149 de la Constitution
révisée qui prévoit que « le pouvoir judiciaire dispose d’un budget élaboré
par le Conseil Supérieur de la Magistrature et transmis au Gouvernement
pour être inscrit dans le budget général de l’État. Le Premier Président de
la Cour de cassation en est l’ordonnateur. Il est assisté par le Secrétaire
permanent du Conseil supérieur de la magistrature ». Par cette analyse,
il est établi clairement qu’on est en présence d’un reniement de l’ordre
politique existant parce que cette réforme controversée transgresse la
volonté du peuple congolais exprimée lors du référendum de 2005.

IV. Frustration au sein de la magistrature


En désirant relégaliser certaines dispositions de l’ancien statut des
magistrats de 1988 que le nouveau n’a pas voulu reconduire en 2006, la
réforme judiciaire controversée de 2020 atteste sans ambages que ses
initiateurs sont plutôt favorables à l’ordre politique ayant prévalu en 1988,
lequel ordre est frustrant en rapport avec le recrutement des magistrats.
En effet, en prévoyant au 5e alinéa de son article 4 qu’« exceptionnellement
le Président de la République peut nommer les magistrats à tout grade sur
proposition du Conseil Supérieur de la Magistrature ou de son bureau42…. »,
la proposition de loi organique portant statut des magistrats imite les
dispositions de l’article 4 de l’ancien statut et, à la différence de ce dernier,
voudrait, donner la possibilité pour les personnes, ayant pendant 15 ans au
40 Lire le 1er alinéa de l’article 70 bis de la proposition de loi organique modifiant et complétant la loi
organique n° 13/011 du 13 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des
juridictions de l’ordre judiciaire.
41 Lire la proposition de loi organique modifiant et complétant la loi organique n° 08/013 du 05 Août
2008 portant Organisation et fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature.
42 Lire l’alinéa 5 de l’article 4 de la proposition de loi organique modifiant et complétant la loi orga-
nique n° 06/20 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats telle que modifiée et complétée
par la loi organique n° 15/014 du 1e Aout 2015.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 411


Jean-Claude PANDATIMU

moins exercé en République Démocratique Congo les fonctions à caractère


juridique dans l’administration publique et ayant dépassé l’âge de 40 ans,
d’être nommées magistrat à tout grade, par exemple au grade du Premier
Président de la Cour de Cassation ou du Procureur Général près cette cour.
Ce 5e alinéa de l’article 4 qui est une parodie de l’ancien statut atteste
non seulement que les initiateurs de cette réforme désapprouvent l’ordre
politique existant, mais aussi ils approuvent par-là retourner dans l’ordre
politique de 1988 avec le défunt Président Mobutu sous le Zaïre. En effet,
la magistrature est une carrière43 des services publics de l’État et ce mode
de recrutement ôte sa noblesse du fait qu’il fait entrevoir que tout juriste,
ayant exercé dans l’administration publique pendant 15 ans les fonctions
à caractère juridique, est ainsi qualifié pour être nommé magistrat même
à la catégorie 1. La magistrature est une profession où le respect de la
hiérarchie est draconien ; pareil mode de recrutement serait de nature à
créer des tensions sociales dans le corps, voire des frustrations vis-à-vis de
ceux qui doivent patienter inlassablement pour leur progression en grade
supérieur comme magistrat.
Par ailleurs, relevons que le repêchage de l’article 4 de l’ancien statut
de 1988, comme préconise cette réforme de 2020, ne correspond pas avec
l’ordre politique approuvé par le peuple congolais en 2005. En effet, sous
l’ancien statut en 1988, le magistrat dans son serment « jurait fidélité au
Président-Fondateur du Mouvement Populaire de la Révolution, Président
de la République, obéissance à la Constitution et aux lois de la République
du Zaïre ». Les termes de ce serment de 1988 dénotent la politisation dans
le recrutement, laquelle politisation est source de frustration dans le
corps. Par contre, le magistrat dans son serment actuel « jure de respecter
la Constitution et les lois de la République Démocratique du Congo et de
remplir loyalement et fidèlement, avec honneur et dignité, les fonctions
qui lui sont confiées ». Avec les termes de ce nouveau serment, donner au
Président de la République la possibilité de nommer comme magistrats à
tout grade les personnes qui satisferont aux conditions légales, va favoriser
le clientélisme dans le processus du recrutement en créant des frustrations
dans le corps.
Dans un pays comme la République Démocratique du Congo où occuper
une parcelle de fonction dans le pouvoir exécutif est fortement lié à
l’appartenance dans une famille politique, pareil mode de recrutement du
magistrat est de nature à le politiser indirectement comme jadis où l’une
des conditions pour être nommé magistrat était de faire preuve d’un bon
militantisme du Mouvement Populaire de la Révolution44. Ainsi, seules
les personnes répondant à la philosophie du Président de la République
43 Profession qui présente des étapes, une progression.
44 Ordonnance-Loi n°88-056 du 29/09/1988 portant statut des magistrats, in J.O de la République du
Zaïre, 29e année, numéro spécial, septembre 1988, article 1.

412 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Réforme judiciaire controversée de 2020 au Congo démocratique

pourront de ce fait être nommées magistrat et même être placées à la


catégorie 1 de l’ordre hiérarchique, frustrant ceux qui ne sauront pas vivre
dans l’obédience de celui-ci. En recopiant les dispositions qui régissaient
les magistrats sous l’ordre politique ancien du Président Mobutu, reconnu
pour son régime dictatorial, il s’en dégage clairement que les propositions
des lois organiques controversées renient l’ordre politique approuvé en
2005 par le peuple congolais lors du référendum.

Conclusion

En décryptant les trois propositions des lois organiques controversées


de 2020, on voit clairement qu’elles ne constituent pas en réalité une
réforme. Car, en considération de l’ordre politique approuvé en 2005, elles
n’améliorent pas l’indépendance du pouvoir judiciaire. Par ces propositions,
ses initiateurs, avec les lois organiques, tentent ainsi de contourner
l’interdiction constitutionnelle de réviser l’indépendance de ce pouvoir en
prétextant réforme. En effet, ces initiatives parlementaires apparaissent
comme des plaisanteries de mauvais goût car, par respect à l’ordre politique
approuvé en 2005 par le peuple, une loi organique n’est pas la technique
idoine destinée à le modifier.
Eu égard à ce qui précède, force est de soutenir, à l’opposé de la réflexion
faite par Grâces Muwawa45, que les auteurs des propositions des lois
controversées n’ont pas correctement rempli leur mission républicaine et
qu’ils veulent plutôt créer une incohérence dans la hiérarchie des normes
par une extension injustifiée46 de l’autorité du Ministre ayant la Justice
dans ses attributions en vue de saper l’indépendance du pouvoir judiciaire.
La question du « pardon de la nation47 » n’étant pas reprise parmi les
préoccupations du pouvoir constituant originaire, il apparaît dès lors que
les débats nés de ces propositions des lois ne relèvent pas du juridique et
qu’ils ne peuvent être résolus que par les voies politiques. Les initiateurs
peuvent ainsi obtenir gain de cause en empruntant la voie de la pétition
pour escompter établir un ordre politique autre que celui approuvé en 2005
par le peuple congolais.

45 Grâces MUWAWA, « Propositions de loi sur les reformes judiciaires en RDC : analyse de réforme
sur les rôles et missions d’un député national ». Disponible sur https://actualite.cd/2020/06/24/
propositions-de-loi-sur-les-reformes-judiciaires-en-rdc-analyse-de-forme-sur-les-roles, consulté le
30 juin 2020 à 22 h 08.
46 N’ayant fourni aucune preuve attestant l’inefficacité du Conseil Supérieur de la Magistrature à
sanctionner les magistrats incriminés, l’exposé des motifs de la proposition de loi organique sur les
juridictions de l’ordre judiciaire dit confusément que « la magistrature ne renvoie pas elle-même
une image positive ».
47 Communiqué de presse du PPRD non daté et lu en 2020 consécutivement aux manifestations contre
l’examen par le Parlement de trois propositions de loi portant la réforme judiciaire.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 413


Note de lecture

GODDEERIS Idesbald, LAURO Amandine & VANTHEMSCHE Guy (dir.),


Le Congo colonial. Une histoire en questions, Waterloo, Renaissance du Livre,
2020, 15x 2,5 x 23 cm, 464 p. Prix : 30 €. ISBN : 978-2-507-05689-6.

Face au débat actuel entre la mouvance procoloniale et la mouvance


décoloniale, dont les assertions opposées sont rarement vérifiées, l’objectif
majeur de ce livre est de diffuser les acquis de la recherche historique
récente sur le passé colonial belgo-congolais. L’approche thématique adoptée
par les éditeurs rend la lecture aisée et agréable. En effet, consacré à un
thème précis, chaque chapitre de cet ouvrage volumineux de près de cinq
cents pages peut se lire et être compris d’une manière isolée.
Destiné au grand public, ce livre novateur et exceptionnel dans
l’historiographie coloniale belge rassemble trente contributions
(introduction et épilogue compris) de trente et un chercheurs reconnus
à l’échelle internationale, dont huit d’origine congolaise, la majorité sont
des historiens professionnels belges. Mais des chercheurs américains et
allemands figurent aussi parmi les contributeurs de ce volume. Ses trois
éditeurs scientifiques sont issus de trois grandes universités belges :
La Katholieke Universiteit de Louvain (KUL), La Vrije Universiteit (VUB)
et l’Université Libre de Bruxelles (ULB).
Son contenu est ventilé en quatre grandes parties précédées chacune
d’une introduction lumineuse signée par les trois directeurs : 1. Moments
charnières (6 chapitres), 2. Économie et société (8 chapitres), 3. Gouvernance
et pouvoir (6 chapitres), 4. « Mission civilisatrice » (7 chapitres) et enfin
l’épilogue (3 chapitres).
Il serait fastidieux d’offrir ici un résumé de trente contributions qui
ont en outre l’avantage de signaler des références bibliographiques
indispensables. Je me limiterai à quelques idées saillantes en accordant
plus d’attention à certains chapitres.
L’introduction générale met en évidence quatre traits caractéristiques
qui ont traversé toute la période de l’État Indépendant et du Congo belge :
la violence, le profit, le racisme et la volonté d’occidentaliser la société
congolaise. La première partie examine des épisodes clés du temps
colonial(1885-1960) considérés comme des moments charnières en s’efforçant
de les replacer dans un contexte plus large : L’État indépendant du Congo,
la période de deux guerres, la fin de la colonisation (1960) et la crise de la
décolonisation (1961-1963). Si les atrocités de l’État indépendant du Congo
ne peuvent être qualifiées de génocide, concept impliquant des conséquences
morales, politiques et judiciaires notamment des réparations, « Le règne de
Léopold II au Congo constitue une page noire de l’histoire de la Belgique et
un consensus s’est progressivement formé autour de cette idée » (p. 51). Les

414 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Note de lecture

deux guerres mondiales ont contribué à renforcer l’exploitation économique


et l’intensification du système colonial accompagnée d’une certaine politique
sociale et modernisatrice après 1945, notamment avec le lancement en
1949 du Plan décennal pour le développement économique et social du
Congo belge. À la Table ronde de 1960, à Bruxelles, après avoir essayé de
proposer de conserver les ministères de souveraineté (Défense, finances,
affaires étrangères), proposition rejetée par la partie congolaise, autant
que celle de faire du roi Baudouin le Chef d’État du Congo indépendant
à partir du 1er juillet 1960, les autorités belges ont pris, en mars 1960,
d’autres mesures pour continuer à contrôler le Congo indépendant. Parmi
celles-ci l’élimination de Lumumba (p. 89), la reconnaissance de chefs
coutumiers, le soutien apporté à certains partis politiques tel le Parti
national du Progrès (PNP) d’inspiration belge. Les discussions belgo-
congolaises en vue de l’indépendance ont laissé des problèmes non réglés
parmi lesquels l’enseignement, l’armée, la dette publique réservée à la
Table ronde économique (avril-mai 1960), les sociétés comme l’Union
Minière, le manque d’institutions et de cadres dirigeants préparés, une
constitution « conflictogène » élaborée par des Belges et approuvée par
leur parlement. Depuis lors certains politiques et économiques belges n’ont
jamais renoncé à « leur intention de (télé)guider les pas du nouveau pays,
entre autres en sélectionnant ses futurs dirigeants. » (p.93)
La deuxième partie du livre traite quelques thèmes sociaux et
économiques du Congo sous la domination coloniale. S’agissant de l’impact
du régime léopoldien sur la démographie congolaise, Jean-Paul Sanderson,
démographe de l’UCL, ramène le chiffre de 10 millions de morts imputées
à l’État indépendant du Congo entre 1885 et 1905 par l’écrivain américain
Mark Twain (1905) et Adam Hochschild, Les fantômes du roi Léopold II,
un holocauste oublié (1998) à 1 ou 5 millions, après avoir reconnu la
difficulté de proposer un chiffre définitif. Le chapitre 8 aborde la question de
l’implantation du capitalisme industriel au Congo belge, le développement
des infrastructures, le capitalisme des holdings, l’exploitation minière,
les cultures d’exportation : le coton, le café, l’huile de palme. Un rapport
au Sénat belge en 1920 révèle : « Le principe est d’outiller la Colonie de
manière à ce qu’elle puisse donner à la Belgique le rendement dont elle
est susceptible, comme une usine, qu’on désire faire produire, qui doit
d’abord être montée. » (p. 136). S’agissant des profits métropolitains, le
Congo belge devint une des colonies les plus rentables au monde mais au
prix des conséquences désastreuses pour les autochtones à bien des égards,
notamment, du travail forcé pour 20% de la population de 1885 à1960.
À l’exception des infrastructures routières, portuaires, scolaires
et sanitaires et de certains aspects immatériels, la politique coloniale
belge a accordé peu d’attention au développement socioéconomique des
populations : la dette publique de la colonie, l’insuffisance de la production

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 415


Hippolyte MIMBU

autochtone pour nourrir les villes et même les campagnes, le déséquilibre


de l’économie marquée par son extraversion, les tensions sociales et les
inégalités prouvent que la veille de l’indépendance, contrairement à la
propagande, loin d’avoir atteint les objectifs affichés – « civilisation »
ou développement –, le Congo belge n’était pas préparé à devenir un
pays développé. Ces caractéristiques négatives vont se renforcer après
l’indépendance comme le souligne objectivement Guy Vanthemsche,
contrairement au mythe des historiens qui ont vu dans l’entreprise coloniale
un projet gagnant-gagnant.
La troisième partie du livre examine le pouvoir et la gouvernance
de la colonie chapeautée par le ministère des Colonies basé à Bruxelles
et relayée au Congo par le Gouvernement général, les provinces, les
districts, les territoires, les secteurs et la chefferie indigène au dernier
échelon. Les relations entre colonisateurs et colonisés ont été basées sur
la couleur de la peau, la « race », à laquelle étaient attachés des droits
politiques et légaux différents et inégaux. C’est par la violence raciale que
la domination coloniale s’est imposée au Congo à travers des répressions
impitoyables qui ont suscité des résistances quotidiennes et protéiformes
des colonisés tout au long de la période coloniale. Résister est inscrit
dans le patrimoine génétique des Congolais, comme le note justement
l’historien Didier Gondola, Professeur ordinaire de l’Indiana University
(USA). Face aux diverses stratégies de résistance, le pouvoir colonial n’a
pu survivre qu’en recourant aux intermédiaires et auxiliaires congolais.
Après avoir servi le régime colonial, les évolués devenus élite politique ont
été aussi les premiers à exiger la décolonisation. Le racisme blanc-noir
aurait un lien avec le renforcement des identités et des tensions ethniques
au Congo postcolonial. Dans le chapitre « femmes, sexualité, métissage :
les questions taboues ou cachées de la colonisation », Amandine Lauro
examine l’impact de « la mission civilisatrice » sur les mœurs, le genre
et les expériences féminines de la colonisation. Celle-ci, qui a brandi la
promotion de la femme comme une de ses priorités civilisatrices, n’a pas
tenu ses promesses : les ambiguïtés et les contradictions ont plutôt dominé.
Une de ces contradictions de la Colonie est d’avoir laissé, en dépit des
barrières raciales érigées, un nombre impressionnant des milliers de métis
abandonnés par leurs géniteurs masculins blancs. Autre contradiction de
la mission civilisatrice : « L’objectif déclaré des politiques de l’État colonial
était en effet d’exclure le plus longtemps possible la population africaine
de la participation politique, de l’enseignement supérieur et des postes de
responsabilité. », relève Daniel Todt (p. 276).
La quatrième partie du livre intitulée « la mission civilisatrice »
aborde les actions culturelles et sociales des acteurs belges au Congo
parmi lesquels les missionnaires. L’étude des faits met à jour un écart
considérable entre les pratiques sur terrain et les discours de légitimation

416 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Note de lecture

de l’entreprise coloniale : les actions sociales, éducatives ou sanitaires, et


culturelles des Belges étaient au service du projet d’exploitation économique
des populations. Bien que maillon du système colonial, les missionnaires
appellent des appréciations variant d’un individu à un autre selon
Idesbald Goddeeris. Aux yeux des universitaires congolais, l’estime et la
reconnaissance académiques et populaires méritées à juste titre par le Père
jésuite Léon de Saint Moulin s’expliquent entre autres par son objectivité
exemplaire en tant qu’historien et son engagement personnel dans la vie
quotidienne de l’Église locale. Arrivé au Congo en 1959, il a eu un parcours
exceptionnel et un regard très critique sur la colonisation. Il a notamment
écrit et même souligné la veille de sa mort en 2020 que « les trois quarts
de ce qui existe au Congo a été réalisé après 1960 » (Atlas de l’organisation
administrative de la République Démocratique du Congo, 2e édition revue
et amplifiée, Kinshasa, CEPAS, 2011, p. 20-21 ; R. YAKEMTCHOUK,
L’Université Lovanium (1954-1971). L’action éducative de l’Université
Catholique de Louvain en Afrique centrale, texte établi et annoté par Léon
de Saint MOULIN (S.J.), préface de Mgr Tharcisse Tshibangu, Kinshasa,
Éditions universitaires Africaines, 2020, p.7.)
Outre les rapports, en général ambigus, de la colonie aux soins de
santé, à l’enseignement, à la science, à l’art congolais, aux animaux et
à l’environnement, cette quatrième partie examine aussi le changement
rhétorique qui remplace la volonté affichée de « la mise en valeur » (qualifiée
plus tard d’aberration par V.Y Mudimbe) par la prétention d’assurer le
bien-être et le développement des Africains.
L’épilogue, chapitres 28 à 30 (p. 399-451) présente successivement
un historique de la recherche et du regard de la Belgique sur son passé
colonial mal digéré, les réflexions de l’historien congolais Ndaywel sur les
perceptions populaires congolaises de leur domination coloniale par les Noko
et un essai photographique propre à embellir l’histoire sombre documentée
dans les 29 chapitres précédents.
Très positif sur sa présence coloniale au Congo jusqu’à la publication
des livres d’Hochschild sur Léopold II et de De Witte sur l’assassinat de
Lumumba, le regard belge oscille entre la nostalgie (2010) et les débats
décoloniaux actuels après l’invitation des Nations Unies à la Belgique de
présenter des excuses au Congo pour les atrocités et la violence commises
dans ce dernier pays. On peut ici questionner la volonté de vérité de la
science belge du passé belgo-congolais qui a dû attendre le séisme provoqué
par Hochschild pour sortir de son silence sur les atrocités de la colonisation
« savamment  » occultées par les discours politiques depuis le 30 juin 1960,
les manuels et l’enseignement scolaires, les films, la propagande , l’espace
public congolais, etc. Daniel Vangroenwenghe, l’auteur Du Sang sur les
lianes (1986) n’était pas un historien mais un anthropologue enseignant

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 417


Hippolyte MIMBU

à l’école secondaire. Pouvoir et savoir, l’un dans l’autre. C’est précisément


le mérite de ce livre international écrit majoritairement par une nouvelle
génération d’historiens professionnels belges – même si des professeurs
émérites partagent leur vision – qui y ont associé leurs collègues congolais
de montrer, preuves à l’appui, que la présence belge au Congo, de 185 à
1960, a été tout sauf une entreprise philanthropique. Ce livre honore donc
l’historiographie belge actuelle de la colonisation et ouvre effectivement
les perspectives d’un nouveau dialogue franchement constructif entre les
deux pays.
Les réflexions de l’historien Ndaywel – dont l’œuvre écrite a contribué
dans une large mesure à faire connaitre au public congolais plusieurs acquis
de la recherche que ce livre vient confirmer, vingt cinq ans après, font
notamment état de « quelques gros litiges non encore résolus ». (Allusion
faite sans doute à son Histoire du Zaïre. De l’héritage ancien à l’âge
contemporain, Louvain-La-Neuve, Duculot, 1997, p. 749 : le contentieux
belgo-congolais, qui est à régler selon le modèle des revendications alliées
après l’occupation allemande de 1914-1918 et de 1940-45). De ce point
de vue, il est vain de vouloir démontrer que les atrocités et la violence
du régime léopoldien que la période coloniale a prolongées, en dépit des
avertissements des instances internationales à la fin du XVIIIe siècle,
n’ont pas été un génocide comme s’il n’y avait que des comportements ainsi
qualifiés qui ont valu réparation dans l’histoire de l’humanité.
Le lecteur africain regrette néanmoins l’omission de cette thématique
de contentieux dans ce livre qui fait pourtant la différence. Il s’étonne
aussi d’apprendre les difficultés éprouvées par le chapitre 14, axé sur la
migration, pour découvrir le nombre même approximatif de Congolaises en
Belgique en 2020 alors qu’en 2017, celui de personnes d’origine congolaise
présentes en Belgique était estimé à 80.000, tous statuts confondus.
(FONDATION ROI BAUDOUIN, Des citoyens aux racines africaines. Un
portrait des Belgo-Congolais, Belgo-Rwandais et Belgo-Burundais, 2017,
p. 41). D’autre part, le rapport de l’Office des étrangers donne toutes les
statistiques des étrangers nationalité par nationalité. Il vient de là que
soixante ans après l’indépendance, la Belgique héberge beaucoup moins
de personnes d’ascendance congolaise que les 100.000 colons belges du
Congo jusqu’en 1960 !
L’écart est trop grand entre les chiffres de 27 à 25 millions de morts
victimes de la violence de l’État indépendant du Congo avancés par les
experts de l’ONU à 5 ou 1 millions de morts du chapitre 7 du livre sous
examen (Le Congo colonial, p. 123-124) en passant par les 10 millions de
morts retenus par Mark Twain (1905), Hochschild (1998), De Saint Moulin
(1987) et 13 par Isidore Ndaywel (1997). Il ne s’agit là que de la courte
période de l’État Indépendant du Congo. Le livre sous examen montre que
la période de 1908 à 1960 a fauché aussi de nombreuses vies humaines

418 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Note de lecture

(chapitres 9, 10,15, sur le travail forcé, la répression et les conditions de


travail à l’Union Minière du Haut-Katanga).
Ces menues critiques ne diminuent en rien les mérites de ce livre
courageux qui sort des sentiers battus depuis des décennies et ouverts
par ce savoir problématique que le philosophe congolais V.Y. Mudimbe
appelle la « librairie coloniale ». Le Congo colonial. Une histoire en questions
mérite une place de choix dans les bibliothèques publiques, scolaires et
universitaires de la RD Congo .Il contribuera à l’éducation des regards en
vue de la construction d’un nouvel avenir des relations justes fraternelles
et durables, car fondées sur la vérité.
La majorité des chapitres de ce livre invalident les arguments de
la mouvance procoloniale et démontent les mythologies savamment
accumulées depuis plus d’un siècle pour légitimer un système d’exploitation
économique, de répression politique, d’oppression culturelle et psychique.
La science, les soins de santé, l’agriculture, l’enseignement et la promotion
de la femme congolaise longtemps mis en avant comme les fleurons de la
colonisation se révèlent ici comme des instruments au service d’un projet
résumé par ces mots « nous devons coloniser scientifiquement ». Dans
l’état des connaissances scientifiques actuelles réunies dans cet excellent
volume, l’image du colonisateur est très peu flatteuse. Il faut en tirer toutes
les conséquences.
Valait-il la peine de maintenir l’expression « Mission civilisatrice »
comme titre d’une des parties de ce livre ? Oui, dans la mesure où les
anciens coloniaux et leurs sympathisants s’y accrochent. Le livre a le
mérite de déconstruire en partie cette fiction mensongère du seul point
de vue historique. L’archéologie la pulvérise davantage et définitivement.
À ce sujet, The Oxford Handbook of African Archaelogy (2013) est formel :
« African archeology today has clearly etablished a safe distance from
the problematic arguments of the colonial era. Whereas African states
were once universally described in terms of exotic influences, we now
recognize the clear indigenous origins of social complexity and the
state. A generation of archaeological research across the continent has
identified the autochtonous development of classic indices of civilization
(urbanism, farming, metallurgy, etc.), requiring archaelogist to rethink
the relationship between local and distance factors in the emergence of
states. » (MITCHELL Peter and LANE Paul, The Oxford Handbook of
African Archaeology, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 716 et
p. 704-705 : Colonial myths of African state »
Dans l’introduction (p. 3), Peter Mitchel et Paul Lane notent : « At
general level such inbalances ignore, or at least downplay, the incredible
diversity and richness of Africa’s experiments in food production, social
complexity, urbanism, art, state formation, and international trade over
the past10.000 years. »
Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 419
Hippolyte MIMBU

Le Congo manque jusqu’à présent de défenseurs naturels. L’éducation


postcoloniale continue de former des intelligences dociles et indifférentes
au triste sort de la multitude. L’école pérennise la conquête, comme l’a bien
noté le célèbre écrivain sénégalais Cheikh Hamidou Kane dans son Aventure
ambiguë (1961, p. 60). La décolonisation des savoirs et des esprits s’impose.
Peu avant la publication du Congo Colonial, les représentants des
partis politiques belges toutes tendances confondues ont condamné
unanimement la colonisation et beaucoup jugent nécessaires les excuses
et les réparations des dommages causés aux populations burundaises,
congolaises et rwandaises (RTBF, 12/06/2020).
Remarquable par la volonté de vérité de ses trois éditeurs scientifiques,
Le Congo colonial. Une histoire en questions se lit aisément du début à
la fin. Alliant subtilement clarté, précision et concision dans la façon de
raconter les événements, il apporte une contribution majeure au présent
et à l’avenir des relations entre la Belgique et le Congo-Kinshasa. Je le
recommande vivement aux lecteurs.

Professeur Hippolyte MIMBU KILOL


Université Catholique du Congo, Kinshasa

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CEPAS - BASIC NEEDS BASKET : MARS 2021
A. Coûts des articles alimentaires de base pour une famille de 5 personnes
Désignation PU en FC Quantité Total
Farine de maïs 1 517,43 4,00 Kg 6 070
Riz 3 552,04 4,10 Kg 14 563
Pain 3 278,06 4,10 Kg 13 440
Chikwangue 1 361,29 4,30 Kg 5 854
Farine de manioc 1 905,47 4,20 Kg 8 003
Patates douces 1 579,80 4,30 Kg 6 793
Bananes plantains 2 032,36 4,30 Kg 8 739
Sucre cristallisé (Kwilu-Ngongo) 2 264,94 4,40 Kg 9 966
Arachides décortiquées 2 367,22 1,20 Kg 2 841
Haricots 5 296,25 4,30 Kg 22 774
Graines de courges décortiquées 4 990,59 3,20 Kg 15 970
Noix de palme 534,28 3,20 Kg 1 710
Oignon 3 380,46 0,20 Kg 676
Feuilles de manioc 1 136,21 0,40 Kg 454
Laitue / Bilolo 3 067,26 0,40 Kg 1 227
Épinard 2 187,93 0,40 Kg 875
Amarantes (bitekuteku) 2 396,18 0,40 Kg 958
Mfumbwa 5 987,20 0,30 Kg 1 796
Oseille (Ngai-ngai) 1 078,45 0,30 Kg 324
Tomate fraîche 4 782,21 0,20 Kg 956
Tomate en boîte 5 226,79 0,20 Kg 1 045
Aubergine 2 173,19 0,20 Kg 435
Feuilles de patates (matembele) 840,72 0,40 Kg 336
Orange / Banane 1 984,51 2,70 Kg 5 358
Avocat / Papaye 3 065,90 4,70 Kg 14 410
Viande de porc 15 259,38 0,50 Kg 7 630
Viande de bœuf 16 479,69 0,60 Kg 9 888
Abats de bœuf 4 414,06 0,70 Kg 3 090
Poulets 5 262,41 0,70 Kg 3 684
Œufs 6 669,31 0,20 Kg 1 334
Chenilles séchées 19 665,95 0,20 Kg 3 933

Poisson de mer 5 388,94 0,60 Kg 3 233


Poisson d’eau douce 3 889,06 0,80 Kg 3 111
Poisson salé 12 373,44 0,90 Kg 11 136
Poisson fumé 17 633,43 0,90 Kg 15 870

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 421


BNB Février 2021

Bière (Bouteille de Primus de 72 cl) 2 742,19 30,00 Pièce 82 266


Lait en poudre (Milgros 400 mg) 17 399,02 0,20 Kg 3 480
Huile de palme (Simba 5 l) 8 358,15 3,20 Kg 26 746
Margarine (Blue-band 250 g) 7 443,75 0,80 Kg 5 955
Café (Carioca 250g) 2 672,06 1,00 Kg 2 672
Thé (Le Best 50g) 1 406,84 0,30 Kg 422
Coca-Cola (Bouteille de 33 cl) 1 253,13 24,00 Pièce 30 075
Sel de cuisine 1 159,13 1,00 Kg 1 159
Piment (Pili-pili) 6 684,58 0,10 Kg 668

Sous-Total – Articles alimentaires 361 925


Équivalent journalier pour un mois de 26 jours 13 920

B. Coûts des articles essentiels non alimentaires


Désignation PU en FC Quantité Total
Eau 18,00 m 3
7 796
Électricité 720,00 Kwh 78 004
Charbon 425,86 2 x 100 kgs 85 172
Pétrole 1 346,25 6,00 Litre 8 078
Allumettes (paquet de 10 boîtes) 556,75 1,00 Pièce 557
Savon de ménage (Le Coq) 455,41 15,00 Pièce(s) 6 831
Savon de toilette (Monganga) 415,35 10,00 Pièce(s) 4 154
Papier hygiénique (Econom) 762,43 10,00 Pièce(s) 7 624
Fil de cheveux (bobine) 177,97 4,00 Pièce(s) 712
Rasoir (BIC - Paquet de 5 lames) 543,75 15,00 Pièce(s) 8 156
Cirage 726,47 2,00 Pièce(s) 1 453
Dentifrice (Colgate 140g) 1 932,06 3,00 Pièce(s) 5 796
Spectacles (cinéma, théâtre) 15 500,00 2,00 Séances 31 000
Sport 4 000,00 4,00 Séances 16 000
Transport du conjoint 500,00 8,00 Courses 4 000
Transports des enfants 500,00 156,00 Courses 78 000

Sous-Total – Articles non alimentaires mensuellement récurrents 343 333


Équivalent journalier pour un mois de 26 jours 13 205

BASIC NEEDS BASKET (A)+(B) 705 258

422 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


CEPAS

C. Quotes-parts mensuelles des articles non alimentaires non récurrents


(Dernière mise à jour des valeurs : septembre 2020)
Désignation PU en FC Quantité Total
Literie 108 125
Mobilier et accessoires de rangement 137 883
Ustensiles de ménage 18 750
Couverts et diverses vaisselles 48 075
Petits appareils et accessoires ménagers 6 778
Accessoires logements 48 208
Vêtements pour homme et femme 92 500
Vêtements pour enfants 48 750
Chaussures 38 333
Accessoires vestimentaires 21 333
Éducation 0
Tenues scolaires 17 667
Objets scolaires 4 304
Manuels scolaires 20 000

Sous-Total – Articles non alimentaires non récurrents 610 706

Total général mensuel pour une rémunération décente : (A)+(B)+(C) 1 315 964
Équivalent en USD 664
Enveloppe journalière pour une rémunération décente (mois de 26 jours) 50 614
Équivalent en USD 26

D. Évolution du BNB sur une période d’une année


BNB en FC 1US$ = FC BNB en US$
Moyenne 697 327 1 988,20 365

Mars 2020 675 990 1707,00 396


Avril 2020 684 284 1732,28 395
Mai 2020 695 670 1818,01 383
Juin 2020 700 305 1904,35 368
Juillet 2020 688 056 1971,26 349
Août 2020 687 475 1962,22 350
Septembre 2020 695 503 1960,32 355
Octobre 2020 709 875 1964,80 361
Novembre 2020 702 084 1965,63 357

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 423


Décembre 2020 707 892 1971,80 359
Janvier 2021 704 113 1978,99 356
Février 2021 708 743 1981,00 358
Mars 2021 705 258 1988,20 355

Hormis pour les quotes-parts mensuelles des articles non alimentaires non récurrents
mensuellement (cf. point C) dont les valeurs ont été mises à jour pour la dernière fois
au mois de septembre 2020, la collecte des données pour l’enquête du mois de mars
2021 a été conduite par le secteur des Appuis au développement du CEPAS du 13 au
14 avril 2021.
Les prix moyens ont été calculés sur base des prix au détail récoltés dans les marchés
(Grand-marché, marché de la liberté, marché Pumbu de Mont-Ngafula, marché
Delvaux), les supermarchés (Shoprite et Kin-marché) et 8 alimentations réparties sur
8 sites géographiques différents.
Le taux moyen de la Banque Centrale du Congo, le plus proche de la fin de la période de
collecte des données, était de 1 986,9067 Francs congolais pour 1 dollar (20 avril 2021).
Contact BNB : Tél. +243 898923309 ** E-mail – patmavinga@gmail.com

424 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


Afrique-Actualités

MARS 2021
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
Élections 2023 : La CENCO, provocatrice
ou conseillère avisée ?

Noël OBOTELA
RASHIDI, Historien.
Professeur ordinaire/
L e microcosme sociopolitique congolais a été agité en
ce mois de mars par la question électorale de 2023.
Tout est parti de la déclaration faite, le 1er mars 2021,
Université de
par la CENCO (Conférence Épiscopale Nationale du
Kinshasa, Faculté
des Lettres et Congo) au cours de laquelle les évêques catholiques
Sciences Humaines. avaient appelé à tout faire pour organiser les élections
Membre du Conseil « en 2023 pas plus tard ». Ce qui aurait provoqué un
de Rédaction de tollé au sein de l’UDPS. De son côté, et par la bouche de
Congo-Afrique. son Secrétaire général, le parti Nouvel Élan a proposé
nobotela2005@
d’amorcer les réformes institutionnelles pour éviter « le
yahoo.fr
glissement » en 2023. Cette déclaration a été faite, le
6 mars 2021, au cours d’une matinée politique
organisée à Kinshasa.
Rappelons que les évêques avaient adressé, le 1er
mars 2021, un mémo au Président de la République.
Il contenait plusieurs points dont notamment le respect
du délai constitutionnel relatif aux élections devant se
tenir en 2023. La Présidence de la République aurait
répliqué, le 2 mars 2023, d’un ton ferme en rappelant
aux hommes de Dieu que leur travail est de s’occuper
de l’Église, et non des élections qui sont l’apanage
de la CENI. Le même jour, l’Abbé Donatien Nshole
avait déclaré que « la CENCO n’a fait que prévenir
(…). Les évêques ne vont pas changer de point de
vue. La CENCO a fait la même chose en disant NON
au troisième mandat de (Kabila). La CENCO reste
constante ».
Il s’en est suivi un démenti par le canal du porte-
parole du chef de l’État, qui dans une interview, le
3 mars 2021, avait précisé que la présidence de la
République n’a jamais donné son avis sur la déclaration
des évêques catholiques réclamant des élections dans
le délai constitutionnel. Le Chef de l’État n’a jamais
nié la nécessité d’organiser les élections en 2023. Il a
invité les uns et les autres à ne pas prêter au président
Tshisekedi « des intentions farfelues » sur ce sujet.
Cependant il reconnaît la sortie d’un article signé par la

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 425


Noël OBOTELA

direction des services de communication présidentielle qui a semé le doute.


D’après lui, il faut considérer cela comme une précipitation qui n’aurait
pas suivi la procédure en la matière !
Une réaction étonnante est venue, le 2 mars 2021, d’Alain Daniel
Shekomba, candidat à la présidentielle du 30 décembre 2018. Il a réagi à
la déclaration des évêques en considérant la CENCO comme faisant des
« revendications hypocrites ». Pour lui, la démarche des évêques relève du
« populisme démagogique » ! Par sa réaction, le gouvernement avait, le 2
mars 2021, rappelé que la CENI est le seul organe habilité à organiser les
élections en RD Congo.
Le Secrétaire général de l’UDPS, Augustin Kabuya, a donné le point de
vue du parti présidentiel, lors de la matinée politique organisée le 4 mars
2021. Il a confirmé que les évêques catholiques ont fait leur travail, et qu’il
ne servait à rien de les attaquer. L’UDPS n’a jamais eu peur des élections.
La CENCO a encore surpris, le 18 mars 2021, en publiant son « Agenda
2023 » qui n’est pas à confondre avec une feuille de route. Loin de combattre
les acteurs politiques, ce document constitue un programme planifié en
vue de mobiliser la population autour de la question électorale favorisant
ainsi l’arrivée au pouvoir des personnes et programme répondant aux
aspirations de la population. Cette feuille de route contient une série
d’activités à mener jusqu’en février 2024. Cet agenda comprend notamment
la campagne d’éducation civique et électorale, l’élaboration du calendrier
électoral citoyen voire l’observation du jour des scrutins.
Formation du Gouvernement : l’attente dure et on s’impatiente
Nommé en février 2021, le Premier Ministre tarde à sortir son équipe
gouvernementale. Ce retard donne lieu à de multiples spéculations dans les
réseaux sociaux, la presse et la rue. Le Premier Ministre se veut rassurant
et a appelé tout le monde au calme. À la sortie de l’audience que le Chef
de l’État lui a accordée le 18 mars 2021, il a déclaré : « C’est vrai que nous
comprenons l’urgence de la sortie du Gouvernement mais il ne faut pas
confondre urgence et précipitation » ! L’impatience a fini par gagner tous les
milieux au point que l’Église du Christ au Congo s’est inquiétée de ce retard.
Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer ce retard. L’une d’elles
serait peut-être due à la taille de l’équipe gouvernementale (40 à 45
membres). Cela ne conviendrait nullement aux « 80 millions de Congolais
ministrables » (l’expression vient de la Chronique littéraire, du 20 mars
2021, du Professeur André Yoka lye Mudaba).
Dans un échange avec la presse, le 30 mars 2021, Alain-André Atundu,
communicant du FCC, a relevé que pour le FCC, la proposition de participer
au Gouvernement Sama Lukonde est une « humiliation qui ne vaut pas la
peine ». La proposition est « moralement inacceptable pour le FCC parce
que c’est comme un conjoint répudié qui va assister aux noces de celui qui
l’a répudié » !
426 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année
Mars 2021

Pour Augustin Kabuya, Secrétaire Général de l’UDPS, le retard


de la sortie du Gouvernement s’explique par le fait que les chefs des
regroupements politiques n’ont pas proposé des femmes pour faire partie
de la prochaine équipe gouvernementale !
Assemblée Nationale : la CENI visée

Dans son discours d’ouverture de la session ordinaire de mars à


l’Assemblée Nationale, le 15 mars 2021, le Président Christophe Mboso
N’kodia avait explicitement dit que les lois ayant trait à l’organisation
des élections (loi électorale et la loi organique portant organisation et
fonctionnement de la CENI) bénéficieront de la priorité dans leur examen.
Il a, en outre, rappelé à la société civile d’envoyer rapidement leurs
représentants à la CENI. Au cours de la session, l’accent sera mis sur la
réforme au niveau de la gouvernance électorale.
Responsabilité ou transhumance ?

L’ancien Premier Ministre Matata Ponyo Mapon a annoncé, le 12 mars


2021, son départ du PPRD pour « des raisons de convenance personnelle » !
Sénat : Samy Badibanga enfin parti
Les sénateurs respectueux de la procédure ont pris acte de la démission
du premier vice-président du précédent Bureau, le 29 mars 2021, au Palais
du Peuple. Le pourvoi à la vacance créé à ce poste figurera à l’ordre du jour
des prochaines séances et conformément aux textes.
Ouverture de la session d’avril au Conseil Économique et Social

À l’ouverture de sa session d’avril, le 1er avril 2021, les Conseillers


de la République ont suivi avec une attention soutenue le discours de
leur Président l’honorable Jean-Pierre Kiwakana. Passant en revue les
défis découlant de la mauvaise gouvernance sur les plans sécuritaire,
sanitaire, économique, judiciaire, écologique, forestier, fiscal, éthique, etc.,
le Président Kiwakana a mis en lumière les vraies pistes de solutions aux
obstacles qui empêchent le décollage de la RD Congo. Bref il a peint un
tableau qui concerne toutes les provinces. Ce discours a tiré la sonnette
d’alarme pour réveiller les décideurs.
Les Assemblées provinciales visent leurs Présidents et
les Gouverneurs de Province

L’Assemblée provinciale du Kasaï Oriental a ouvert sa session de mars


2021 avec une motion de défiance contre le Gouverneur Jean Maweja
Muteba. Les députés provinciaux lui reprochent un leadership douteux et
une incompétence dans sa gestion.

Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 427


Noël OBOTELA

Le Président de l’Assemblée provinciale de Kinshasa est également


visé par une pétition de déchéance. Les griefs retenus contre lui portent
sur la léthargie car en période de sessions, les plénières sont rarement
convoquées ; sur la faible production législative alors que les propositions et
les projets d’édits ne manquent pas ; l’inefficacité de l’assemblée provinciale
vis-à-vis de l’Exécutif provincial par le blocage de certaines questions
adressées aux membres du gouvernement.
Au Maniema, 16 députés provinciaux sur 22 ont déposé, le 30 mars
2021, une motion de défiance contre le vice-gouverneur Jean-Pierre Amadi
Lubenga. Il lui est reproché l’incompétence notoire de pouvoir bien assurer
ses attributions, le refus de répondre aux invitations du vice- premier
ministre et ministre de l’intérieur à Kinshasa ; le détournement de l’argent
de la Province ; etc. Les députés s’attaquent au vice-gouverneur alors que
l’examen d’une autre motion de défiance visant le Gouverneur Auguy
Musafiri est prévu, le 8 avril prochain. Notons que ce dernier avait déjà
été destitué, en novembre 2020, mais rétabli par la Cour constitutionnelle,
en février 2021.

La RD Congo a reçu son lot de vaccins

La RDC a réceptionné, le 2 mars 2021, le lot de 1,7 millions de doses


de vaccins AstraZeneca contre la Covid-19. Pour le ministre de la Santé, il
faut d’abord commencer par la sensibilisation de la population. La première
phase va concerner les professionnels de la santé représentant 1%, les
personnes âgées de plus de 55 ans (6%) et les personnes hypertendues et
les diabétiques (13%). La RD Congo compte vacciner 20% de sa population
d’ici fin 2021. Alors que ladite campagne avait débuté le 12 mars 2021,
elle a été brusquement suspendue quelques jours plus tard.
Après Zerrougui, la MONUSCO a sa nouvelle cheffe

La MONUSCO a sa nouvelle cheffe en la personne de la guinéenne


Bintou Keita arrivée à Kinshasa, le 2 mars 2021. Depuis janvier 2019,
elle assumait les fonctions de Sous-secrétaire générale pour l’Afrique dans
les Départements des Affaires politiques, de consolidation de la paix et
des opérations de paix. Elle avait aussi été Sous-secrétaire générale aux
opérations de maintien de la paix, de novembre 2017 à décembre 2018.
Devant le Conseil de Sécurité, elle a plaidé, le 30 mars 2021, pour la
réussite des élections en RDC. Elle a encore ajouté que la MONUSCO
appuiera les efforts des autorités nationales pour que l’Est de la RDC soit
en paix.
Le Président de la République a nommé…

Par une ordonnance lue, le 2 mars 2021, le Chef de l’État a nommé René
Likulya Bakumi, premier avocat général des Forces Armées de la RD Congo
428 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année
Mars 2021

en qualité d’Auditeur Général des FARDC. Par la même occasion, il l’a élevé
au grade de Lieutenant-Général des FARDC. Comme Auditeur Général, il
a remplacé le Lieutenant-Général Timothée Mukunto décédé, le 15 janvier
2021, en Afrique du Sud où il était évacué pour des soins.
Une autre ordonnance, du 5 mars 2021, a nommé Erik Nyindu comme
Directeur de la cellule de communication de la Présidence. Il est journaliste
ayant œuvré à TV5 et à la Voix de l’Amérique (VOA) et basé à Bruxelles.
Par la même occasion, le Chef de l’État a pris une ordonnance portant
organisation et fonctionnement du Cabinet du Président de la République
en réaménageant les différents services de la Présidence dont la fusion des
services de la presse présidentielle et de la communication.

La RD Congo pleure ses morts

Les FARDC ont encore perdu l’auditeur militaire de garnison près le


Parquet militaire de Rutshuru (Nord-Kivu), le Major Assani William. Ce
dernier a été tué par balle, le 2 mars 2021, dans une embuscade tendue
par des hommes armés à Katale (à 50 km de Goma).
Le musicien Josky Kiambukuta est décédé, le 7 mars 2021, à Kinshasa,
à l’âge de 72 ans. Il avait évolué dans l’orchestre Tout Puissant OK Jazz
de Franco depuis 1973.
Député national, depuis 2011 jusqu’à sa disparition, Henri Thomas
Lokondo est décédé en Afrique du Sud, le 10 mars 2021, à l’âge de 66 ans.
Durant sa carrière politique, il a occupé plusieurs postes ministériels.
Kinshasa a connu, le 16 mars 2021, une grosse pluie ayant occasionné
plusieurs dégâts humains et matériels. Quatre enfants d’une même famille
ont péri et plusieurs maisons ont été emportées par les eaux. Le Pont
N’djili, sur la route menant vers l’Aéroport International, a enregistré
d’importants dégâts.
Détournement des fonds à l’EPST

Suite au rapport de l’Inspection Générale des Finances (IGF) du


18 novembre 2020, visant quelques 17 personnes impliquées dans le
détournement des fonds alloués à l’Enseignement Primaire, Secondaire
et Technique (EPST), plusieurs hauts responsables de ce secteur sont à la
Prison de Makala, depuis le 29 janvier 2021, et le procès débute, le 5 mars
2021. En cause, Marcel Djamba, Inspecteur Général de l’EPST, et Dhelon
Kampayi, Directeur Général du Service de contrôle et paie des enseignants.
L’IGF a découvert aussi l’existence de faux arrêtés antidatés de
recrutement des agents et création des écoles. Il y a, en outre, l’explosion
du personnel non enseignant au détriment des enseignants réguliers à
qui devraient revenir les fonds destinés à la gratuité de l’enseignement.
Quelques 1.179 écoles fonctionnant avec des faux arrêtés ont été désactivées
de la liste de paie.
Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année 429
La CPI a confirmé la condamnation de Bosco Ntaganda

La chambre d’appel de la Cour Pénale Internationale (CPI) a confirmé,


le 30 mars 2021, la culpabilité de l’ancien chef de guerre Bosco Ntaganda.
Il avait été condamné à 30 ans de prison, en novembre 2019, pour les crimes
commis en Ituri.
Bestine Kazadi pense aux victimes des violences armées

Dans un tweet publié, le 3 mars 2021, Bestine Kazadi, conseillère


spéciale du Chef de l’État en matière de coopération et d’intégration
régionale, avait suggéré l’instauration d’une « Journée nationale dédiée
aux victimes des violences armées ». Elle soutient que cela peut servir à la
conscience collective et la mobilisation contre le système d’insécurité pour
une paix durable par le peuple et pour le peuple.

AFRIQUE

Au Congo-Brazzaville, l’opposant Guy-Brice Parfait Kolélas est


décédé. Âgé de 60 ans, il avait été diagnostiqué positif au covid-19.
En Côte-d’Ivoire, dans le but de rassurer les plus réticents, les
ministres ont voulu donner le bon exemple aux populations en se faisant
vacciner contre le covid-19.
Au Niger, la Cour constitutionnelle déclare Mohamed Bazoum
vainqueur du second tour de la présidentielle, le 21 février 2021, avec
55,66% des suffrages. L’opposant Mahamane Ousmane de ADR-Tchanji
recueille 44,34% des voix. Le taux de participation était de 62,81% selon
les résultats définitifs du scrutin.
En République Centrafricaine, la coalition de groupes armés
centrafricains a annoncé, le 21 mars 2021, qu’elle cherche à renverser le
gouvernement. L’ex-Président François Bozize prend officiellement la tête
de la rébellion !
Au Tchad, le candidat à la présidentielle Saleh Kebzabo a déclaré, le
1 mars 2021, avoir retiré sa candidature.
er

La Tanzanie a une femme comme Présidente de la République. Il s’agit


de Samia Suluhu Hassan qui a succédé à John Magufuli, 61 ans, décédé
d’une crise cardiaque selon l’annonce faite, le 17 mars 2021.
Au Zimbabwe, le vice-président Kembo Mohadi accusé de harcèlement
sexuel a annoncé, le 1er mars 2021, sa démission tout en réaffirmant son
innocence.

430 Congo-Afrique n° 554 � AVRIL 2021 � 61e Année


1. S.E. Monsieur Félix-Antoine TSHISEKEDI TSHILOMBO, Président de la République
démocratique du Congo.
2. M. Giscard KUSEMA, Directeur Adjoint de la presse présidentielle.
3. Honorable Alexis THAMBWE MWAMBA, Président honoraire du Sénat.
4. Honorable Jeannine MABUNDA LIOKO, Présidente honoraire de l’Assemblée
nationale.
5. S.E. Mme Elysée MUNEMBWE, Vice-Premier Ministre et Ministre du Plan.
6. Honorable Léon KENGO wa DONDO, Président honoraire du Sénat.
7. Honorable Me Aubin MINAKU, Professeur d’Université / Président honoraire du
Parlement/Député national.
8. M. DASYO MOKFE, Député national honoraire / Sénateur.
9. Honorable MABAYA GIZI AMINE.
10. Honorable Jacques DJOLI ESENG’EKELI, Professeur d’Université /
Député national.
11. Honorable Dominique MUNONGO INAMIZI, Princesse des Bayeke.
12. Ingénieur BALIKWISHA NYONYO, Sénateur honoraire.
13. S.E.M. TUNDA YA KASENDE, Vice-Premier ministre et ministre de la justice honoraire.
14. S.E.M. Augustin MATATA PONYO MAPON, Premier ministre honoraire,
Professeur d’université.
15. S.E.M. Julien PALUKU-KAHONGYA, Ministre de l’industrie.
16. S.E.M. Modeste BAHATI LUKWEBO, Ministre honoraire/ Sénateur /
Professeur d’université.
17. S.E.M. Emmanuel RAMAZANI SHADARY, Secrétaire Permanent du PPRD.
18. M. Jean-Louis ESAMBO KANGASHE, Professeur d’Université.
19. M. Félix VUNDUAWE TE PEMAKO, Premier Président du Conseil d’État.
20. M. Jérôme KITOKO KIMPELE, Président de la Cour de Cassation honoraire.
21. M. Flory KABANGE NUMBI, Procureur Général honoraire près la Cour de Cassation.
22. M. Anselme MADUDA MUANDA MADIELA, Premier Avocat Général
près la Cour de Cassation.
23. Bâtonnier Richard KAZADI KABIMBA, Avocat aux Barreaux de la Gombe
et de Matete, Kinshasa.
24. Bâtonnier Joseph DUNIA RUYENZI, Ordre des Avocats Barreau de Goma, Nord-Kivu
et Membre de l’ONGDH PDH Congo.
25. Me Benoît MUTAMBAYI KANYUKA KABALO, Avocat, Membre du Conseil
de l’Ordre et Trésorier de l’Ordre du Barreau de Kinshasa / Gombe et Chef des Travaux
à l’Université de Kinshasa.
26. Me Camille KOS’ISAKA NKOMBE, Avocat.
27. S.E.M. Richard MUYEJ MANGEZE MANS, Gouverneur de la ville de Lualaba.
28. Professeur Mutoy MUBIALA, Faculté de droit, UNIKIN.
29. Professeur Benjamin MUKULUNGU IGOBO.
30. Professeur Jean Claude KAMB TSHIJIK.
31. Professeur KALONJI NTALAJA, Fac. des Sc. Économiques, UNIKIN, Kinshasa.
32. Professeur Adnan HADDAD, Université de Lubumbashi.
33. Professeur Isidore NDAYWEL È NZIEM, Université de Kinshasa.
34. Professeur KANKU MUKENGESHAYI, Institut Supérieur des Statistiques,
Lubumbashi.
35. Professeur Alexis MBIKAYI MUNDEKE, Professeur émérite.
36. Professeur Onésime KUKATULA FALASH, Kinshasa.
37. Professeur Albert MULUMA-MUNANGA, G.T., Doyen de la faculté des Sciences
Sociales Administratives et Politiques à l’UNIKIN.
38. Professeur Jean-Pierre LOTOY ILANGO-BANGA, Université de Kinshasa /
Directeur du laboratoire d’Écologie politique à l’UNIKIN.
39. Professeur TSHIUNZA-MBIYE, Université de Kinshasa.
40. Professeur Augustin MBANGALA MAPAPA, Directeur Général de l’Institut Supérieur
de Commerce (ISC) / Kinshasa.
41. Professeur Gilbert KISHIBA FITULA, Recteur de l’Université de Lubumbashi
(UNILU).
42. Professeur Ferdinand MUHIGIRWA RUSEMBUKA, S.J., Recteur de l’Université
Loyola du Congo, Kinshasa.
43. Professeur Jean-Paul SEGIHOBE BIGIRA, Université de Kinshasa / Faculté de Droit,
Recteur de l’Université de Goma ; Avocat aux Barreaux de Kinshasa et de Goma.
44. Professeur KIZOBO OBWENG O’KWESS, Université de Lubumbashi.
45. Professeur Jean Marie LUNDA ILUNGA.
46. Professeur Faustin KHANG’ MATE AKIR’NI BITIANG, Directeur Général
de l’Institut Supérieur des Statistiques de Lubumbashi.
47. Professeur UPIO KAKURA WAPOL, Université de Kinshasa / Faculté de Droit.
48. Professeur Naupess K. KIBISWA, PhD, Université Catholique du Congo (UCC).
49. Professeur Dieudonné KALUBA DIBWA, président de la Cours constitutionnelle
de la RD Congo.
50. Professeur NDOLAMB NGOKWEY.
51. Professeur Bob David NZOIMBENGENE, Expert Comptable – Commissaire aux
comptes agréé BCC et Associé Deloitte Afrique.
52. Général Médard UNYON-PEWU, Retraité (Fermier).
53. M. Dieudonné FIKIRI ALIMASI WA ASANI, Vice-Gouverneur de la Banque
centrale du Congo.
54. M. Alphonse MUNONGA-MULUNDA MWAMBA, Ministre honoraire, Kinshasa.
55. M. Eugène KASILEMBO KYAKENGE, PDG de COMPODOR, Kinshasa.
56. M. Xavier NDUSHA, Directeur-Gérant de Quitus Consult Sarl (fiduciaire).
57. M. Joseph MUSHAGALUSA NTAYONDEZA’NDI, Procureur Général
honoraire près le Conseil d’État, Kinshasa.
58. M. Jean-Pierre AMURI TOBAKOMBEE DAITO, Expert-Évaluateur en Chef
en Diamant, Dignitaire d’État, Kinshasa.
59. M. Georges TSHIONZA MATA, Coordinateur Rég. du PREGESCO, Kinshasa.
60. Dr. David-Patience MASUKIDI LUKEBA-LUKAU, I.M.E. – Kimpese,
Kongo Central.
61. M. KAT KAMBOL, Chef de Travaux, Université de Lubumbashi.
62. M. Denis KALONDJI NGOY, Maire honoraire de la ville de Likasi.
63. M. Charles MUSIYIRO, Entreprise de Construction CASE sprl, Matadi.
64. M. Valentin-Claude RAMAZANI, Directeur à la Banque Centrale du Congo,
Direction juridique.
65. M. Blaise KAMBETSHI MASHINY-A-NZADI, Architecte et Environnementaliste.
66. Centre ARRUPE pour la Recherche et la Formation, Lubumbashi.
67. M. Paul MABOLIA.
68. M. Alain KAYEMBE WA KAYEMBE, Chef de l’Agence TMB / Kananga.
69. M. Paul TSHIBANDA, Administrateur, Directeur général des Grands Hôtels
du Congo/Pullman.
70. M. Bruno MITEYO NYENGE.
71. École Supérieure de la Gouvernance économique et politique, Lubumbashi/
RD Congo.
72. M. Armand KABANGE KITENGE, Directeur de l'ISC/Lubumbashi.
73. Mgr Adolphe NSOLOTSHY SANGWA, Lubumbashi.
74. M. Baudouin LUFWABANTU.
75. Mr. Mayoyo BITUMBA TIPO-TIPO, MINUSCA Civil Affairs Coordinator,
Sector Center HQ, Kaga Bandoro.
76. M. Jean Sylvestre KABOLA, Fonctionnaire.
77. M. Jean Marc BANZA wa BANZA, Assistant à la Faculté de Droit/UNIKIS.
78. M. KITABA GHOANYS, Professeur de Sociologie à l’Université de Lubumbashi.
79. GÉCAMINES (20 abonnements d’honneur).
80. M. Jacques KAMENGA TSHIMUANGA, Directeur Général adjoint de la SNCC.
81. M. Blaise BWELE MIKASI ANKHO, Chef de division à la DGRAD.
82. M. Gilbert KIAKWAMA kia KIZIKI.
Un grand merci aux abonnés d’honneur, car ils contribuent de manière spéciale
à la promotion de Congo-Afrique et donc de la culture.
Cette liste continuera d’enregistrer les nouveaux abonnés d’honneur.
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