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Le requérant se réclame de nationalité soudanaise, ce qui n’est pas explicitement contesté par

l’Office. En revanche, sa provenance du Darfour Nord l’est et l’incertitude autour de sa


provenance peut remettre en cause sa nationalité. En particulier, la décision souligne le
caractère peu spontané de ses propos lorsqu’il a cité les villages de sa région. Pourtant, il a
fourni des indications justes géographiquement, dans la limite de ce qui peut être attendu
d’une personne n’ayant pas pu recevoir d’instruction. Ainsi, il semble avoir correctement
situé le village de Hillat Bakhit (Hela Bakh ?) au sud d’El Fasher, ainsi que plusieurs localités
avoisinantes telles que Karwen ou encore la division administrative de Daresalam dans
laquelle son village se trouverait. Ses connaissances géographiques n’apparaissent donc pas
insuffisantes, bien que ses connaissances de la situation politique et conflictuelle de la région
soient effectivement éparses1. A ce titre, il convient de rappeler l’absence d’instruction du
requérant qui peut éventuellement contribuer à expliquer ses réponses incertaines.

Néanmoins, il pourrait être invité à exposer davantage les connaissances qu’il a de sa région.
En particulier, il pourrait décrire physiquement son village, et les villages avoisinants, ou
encore la route vers El Fasher, ou entre Hillat Bakhit et le camp de Zamzam et El Fasher.

Il pourrait également décrire la profession de ses parents et leur propre parcours.

L’appartenance à l’ethnie zaghawa du requérant pourrait également constituer un indice, non


de sa nationalité soudanaise, mais de sa provenance de la région géographique du Darfour ou
des zones tchadiennes limitrophes. Le requérant ne sait pas s’exprimer en zaghawa,
expliquant que ses parents ni lui ne fréquentaient la communauté zaghawa. Il pourrait
toutefois expliquer la raison pour laquelle il s’affilie à cette ethnie, s’il connaît le sous-clan
auquel il appartiendrait (Wagi, Kobe, Bideyat, Kobe et les Bideyat se trouvent des deux côtés
de la frontière avec le Tchad, les Wagi viennent seulement du Soudan)23 ou si sa famille a
conservé certaines pratiques culturelles propres aux Zaghawas.

Concernant le pays à l’égard duquel les craintes doivent être analysées et la nationalité du
requérant, la nationalité soudanaise s’acquiert de plein droit selon la loi de nationalité
soudanaise de 1994, amenée en 2011, pour les personnes nées sur le territoire soudanais, ou
d’un père soudanais, avant l’entrée en vigueur de la loi 45. Selon ces dispositions et ses
déclarations, le requérant est soudanais. Il n’a, en revanche, produit aucun document
susceptible de lui avoir été remis par les autorités soudanaises en vue de prouver son identité
et sa nationalité, tels que le numéro d’identification et le document d’identité, ou encore un
extrait d’acte de naissance. Ces documents font en effet partie des documents dont peut
disposer un citoyen soudanais, automatiquement dans le cas du numéro national
d’identification et le document d’identité, et sur demande pour l’extrait d’acte de naissance.

Cependant, il est constant que ces documents sont difficiles, voire impossibles à obtenir par
les populations rurales, en raison de la désorganisation et le défaut de procédure efficace
d’enregistrement des populations, en plus de pratiques discriminatoires à l’encontre des
populations d’ethnies considérées dissidentes originaires des zones de conflit. Leur obtention
est discrétionnaire et l’Etat soudanais n’a pas mis en place des procédures efficaces de
1
BBC News, « Who are Sudan’s Darfur rebels. », news.bbc.co.uk, 23 février 2010
2
HRW, Le Darfour en feu : atrocités dans l’ouest du Soudan, avril 2004
3
Austrian Centre for Country of Origin and Asylum Research and Documentation (ACCORD), Darfur:
COI Compilation, July 2014
4
Loi de nationalité soudanaise de 1994 : : cf. annexe géopolitique
5
Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), Soudan / Soudan du sud: La question
de la nationalité, 20 April 2017 : cf. annexe géopolitique
délivrance de ces documents, notamment depuis la réforme de 2011 instaurant le numéro
national joint au document d’identité6.

Le requérant pourrait donc être interrogé sur les documents qu’il aurait pu détenir ou s’il a pu
en acquérir un jour ou alors entreprendre des démarches pour en obtenir.

En effet, les Zaghawas font partie des trois ethnies majeures du Darfour, aux côtés des Fours
et des Massalits, qui sont fortement associées aux mouvements rebelles. Ainsi, le
gouvernement soudanais a entrepris de cibler spécifiquement les populations civiles
zaghawas, de 2003 à aujourd’hui, comme le relèvent de nombreux rapports issus de sources
publiques, et ce afin d’opérer une purification ethnique visant à détruire les mouvements
rebelles dans le cadre du conflit au Darfour789. Ainsi, la simple appartenance à l’ethnie
zaghawa génère un risque pour la personne concernée de subir des persécutions violentes de
la part des autorités soudanaises, sur tout le territoire soudanais et non seulement au Darfour,
comme l’a relevé la Cour dans une décision du 3 décembre 201810.

A ce titre, selon un rapport de juillet 2018 du Home office britannique au sujet du retour des
demandeurs d’asile infructueux, les demandeurs d’asile infructueux présentant un profil
politique, en particulier les demandeurs originaires du Darfour et appartenant à une ethnie
ciblée par le gouvernement, telle que l’ethnie zaghawa, sont susceptibles d’être détenus et
torturés sur la seule présomption de son appartenance ou proximité des mouvements rebelles
du Darfour11.

Sur les craintes :

En effet, si des pourparlers ont débuté le 14 octobre entre le gouvernement de transition et les
principaux mouvements armés visant à l’établissement d’une paix globale au Soudan 12, en
l’absence de visibilité quant à l’avenir du pays; le risque pour tout ressortissant soudanais
ayant quitté son pays d’être soumis à des mauvais traitements en cas de retour doit être
signalé. Les retours des migrants et demandeurs d’asile soudanais de toute destination sont
très susceptibles de provoquer des disparitions forcées et des mauvais traitements brutaux de
la part des autorités soudanaises selon le rapport susmentionné en raison de la particularité des
circonstances de leur arrivée à l’aéroport à Khartoum. Les services de renseignement
soudanais surveillent rigoureusement les entrées sur le territoire et sont en mesure d’isoler un
passager accompagné d’une escorte ou détenant un titre de transport d’urgence, qui peut trahir
le fait qu’une personne a été rejetée de sa demande d’asile 13. Le fait de présenter un profil
6
Ibidem
7
Conseil de sécurité des Nations unies, Rapport de la Commission internationale d’enquête sur le
Darfour au Secrétaire général, 1er février 2005 : cf. annexe géopolitique
8
Danish Immigration Service, Sudan: Situation of Persons from Darfur, Southern Kordofan and Blue
Nile in Khartoum , August 2016 : cf. annexe géopolitique
9
GRAMIZZI Claudio, TUBIANA Jérôme Forgotten Darfur:Old Tactics and New Players, publié par
Small arms Survey, Graduata Institute of International and Development Studies, Genève, 2012 :
cf. annexe géopolitique
10
CNDA 3 décembre 2018 DAWOOD KETER n° 17014903 : cf. annexe juridique
11
United Kingdom: Home Office, Country Policy and Information Note Sudan: Return of unsuccessful
asylum seekers, July 2018, Version 4.0
12
RFI Afrique, « Pourparlers de paix avec les mouvements armés du Soudan à Juba » rfi.fr,
13 octobre 2019
13
United Kingdom: Home Office, Country Policy and Information Note Sudan: Return of unsuccessful
asylum seekers, July 2018, Version 4.0 : cf. annexe géopolitique
singulier peut par la suite engendrer des persécutions allant de l’interrogatoire à la disparition
forcée et à la torture, voire à la mort.

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