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MALIK BADRI.
Parmi d’autres fonctions, il sera nommé comme Expert par l’UNESCO dans le cadre
d’un programme en Ethiopie, et a été choisi par l’Organisation Mondiale de la Santé
comme membre d’un comité sur la médecine traditionnelle au début des années
1980.
C’est d’ailleurs par l’intermédiaire du Prof. Eysenck que Malik Badri sera formé par le
Dr. Victor Meyer à Londres, ce dernier étant réputé à l’époque comme le meilleur en
matière de thérapie comportementale. La rapide assimilation théorique et pratique
par le Dr. Badri de la thérapie « behaviouriste » amena le Dr. Meyer a lui envoyer
certains de ses patients et il était heureux de voir qu’un bon nombre d’entre eux en
sortaient totalement guéris ou partiellement.
Sans parler de ses travaux et réflexions sur le sida, sur l’alcoolisme, sur l’éthique
médicale, sur sa critique de l’enseignement des sciences humaines dans le monde
musulman, sur la mort, sur des thérapies novatrices contre les phobies, l’anxiété, et
plein d’autres sujets, toujours à la lumière d’une approche « psycho-spirituelle
musulmane ».
Il passera un certain temps aux États-Unis dans les années 1970, notamment à
Chicago, où il contribuera modestement à accompagner la transition d’anciens
membres de la Nation of Islam vers l’islam sunnite. Il rencontra notamment l’Imam
Warith Deen Muhammad et Louis Farrakhan. Il regrettait d’ailleurs à propos de ce
dernier qu’il n’ait pas utilisé son charisme et son influence pour promouvoir l’islam
authentique aux États-Unis.
Malik Badri a personnellement connu des leaders et penseurs musulmans qui ont
marqué le XXe siècle. Il a ainsi connu le pakistanais Abul Ala Maududi, dont il
admirait la rigueur morale, le mode de vie modeste, la profondeur intellectuelle et la
méthode éducative. Mawdudi était en « conflit » avec Abu Hasan Nadwi, mais Badri
considérait cette mésentente comme illégitime, car selon lui l’approche exotérique et
plus militante du premier était complémentaire avec l’approche plus spirituelle et
traditionnelle du deuxième. Il a aussi connu des personnalités comme le Dr. Ishaq
Farhan de Jordanie ou le Dr. Said Ramadan d’Egypte, dont il admirait le charisme en
langue arabe, mais la personnalité la plus importante avec qui il a noué une relation
d’amitié est certainement Malcolm X.
Alors que Malik Badri avait perdu toutes les lettres que Malcolm lui avait envoyé,
c’est avec beaucoup d’émotion et de reconnaissance qu’il me remercia de lui avoir
transmis des lettres que Malcolm X lui avait écrite, des notes de voyage le
mentionnant, ainsi qu’une photos des deux hommes. Je suis de mon côté très
heureux d’avoir pu, quelques années avant sa mort, procurer cette joie à Malik Badri
de voir ces documents.
Dans sa jeunesse, notamment lorsqu’il était au Liban, Malik Badri était en quête de
religiosité et voyait l’islam comme un rempart face à l’impérialisme culturel
occidental qui touchait le monde musulman. Dans ce contexte, il se rapprochera des
Frères musulmans qu’il fréquentera un certain nombre d’années avant de prendre
ensuite ses distances avec le mouvement, trouvant qu’il y avait chez eux un manque
de spiritualité et un excès de politisation, même s’il gardait du respect pour les
contributions positives de l’organisation et certains de ses membres. Ses critiques
visaient principalement la branche soudanaise du mouvement, notamment son
leader Hassan Tourabi, ainsi que les politiques menées au Soudan par l’alliance entre
les Frères musulmans et l’armée qui ont, selon lui, fini par devenir, pour beaucoup
d’entre eux, corrompus, en tentant d’utiliser l’islam pour couvrir leurs méfaits. Ces
critiques étaient d’ailleurs partagées par des Soudanais de cette tendance, comme son
ami Mahmoud Burrat. Malgré son regard très critique sur le régime d’Omar El
Béchir, il était contre toutes les manipulations extérieures, notamment de puissances
occidentales, qui ont tenté pendant des années de déstabiliser le Soudan et d’en
prendre le contrôle.
Très épris de spiritualité, Malik Badri se rapprochera du soufisme et était lié à une
confrérie au Soudan. Les gens qui le connaissaient peuvent d’ailleurs témoigner de la
profonde spiritualité de cet homme, de sa sagesse et de sa sérénité. Pour le penseur
soudanais le salut des musulmans de l’époque moderne passait par un retour et un
enracinement dans la tradition spirituelle de l’islam. Il a d’ailleurs souvent évoqué les
liens entre psychologie et soufisme.
Malik Badri vivait depuis 2017 à Istanbul en Turquie, avec son épouse, d’origine
malaisienne, et une de ses filles. Il enseignait à l’Université Sabahattin Zaim. Il
m’avait d’ailleurs dit à quel point il appréciait l’hospitalité des Turcs et la qualité des
institutions académiques du pays. Le seul point négatif était le froid en hiver auquel
cet enfant du Soudan n’était pas habitué. Il considérait aussi la Malaisie, pays de son
épouse dans lequel il a vécu plus de 20 ans, comme son second pays. Malgré son âge
avancé, il continuait a aller régulièrement au Soudan et en Malaisie, et donnait
toujours des cours et des conférences. Par exemple, en février 2020, il était encore au
Soudan pour recevoir une récompense et il avait en 2017 fondé l’Association
Internationale de la Psychologie Islamique (IAIP). Sa dernière conférence semble être
celle qu’il a donné en ligne pour le Khalil Center en juin 2020 sur l’histoire du
développement de la psychologie islamique. Ses livres ont été traduits dans de très
nombreuses langues et diffusés dans de nombreux pays. Son travail a notamment été
promu par l’Institut International de la Pensée Islamique (IIIT).
Je suis très reconnaissant envers le Très-Haut d’avoir pu connaitre cet homme,
bénéficier de son savoir, de sa sagesse et avoir pu être témoin de sa grande modestie
et de sa profondeur spirituelle. Je n’oublierai jamais mes rencontres avec lui à
Istanbul ainsi que nos nombreux échanges téléphoniques.
Yannis Mahil