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UNIVERSITÉ CATHOLIQUE D’AFRIQUE CENTRALE

INSTITUT CATHOLIQUE DE YAOUNDÉ


FACULTÉ DE PHILOSOPHIE
LICENCE I

EXPOSES DES TRAVAUX DIRIGES DE LA


PHILOSOPHIE MEDIEVALE

Présenté par : Sous la direction de :


Les étudiants de philo1 Dr Jean-Paul KAMAHEU

Année académique: 2019-2020


Groupe 1 :
Saint Anselme : le Proslogium

Exposé non réalisé

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Groupe 2 :
Le rapport entre philosophie et Islam dans le
Discours décisif
Averroès (1126-1198)

Présenté par :
BITOTE Pascale
GUERDJINE Marie-Noëlle
NGOMOYO-GOLI Doris Charlène

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SOMMAIRE

INTRODUCTION ...................................................................................................................... 5

I. BIOGRAPHIE ET THEMES MAJEURES D’AVERROES ................................................. 6

1. Panorama sur la vie d’Averroès ........................................................................................6

2. Contexte historique de rédaction et d’émergence du Discours décisif..............................8

3. Le Discours décisif et ses différentes thématiques ............................................................9

II. LA LOI REVELEE ET L’ACTE DE PHILOSOPHER ..................................................... 11

1. Les thèses d’Averroès concernant la Loi révélée et l’acte de philosopher......................11

2. Les trois niveaux d’adhésions à la foi musulmane selon Averroès .................................13

3. Le Coran au sujet de l’acte de philosopher : le statut de la philosophie dans l’Islam .....15

III. IMPLICATION DE LA PENSEE D’AVERROES ET TENTATIVE ............................ 18

D’ACTUALISATION .............................................................................................................. 18

1. Les mérites de la philosophie d’Averroès .......................................................................18

2. Dérives et critiques liées à la pratique de la philosophie et la réaction d’Averroès .........20

a) Les dérives liées à la pratique de la philosophie ..........................................................21

b) Les critiques adressées à Averroès ..............................................................................23

3. Analyse personnelle suivie d’une tentative d’actualisation..............................................26

a) Critique personnelle de la pensée d’Averroès ..............................................................26

b) Tentative d’actualisation : La philosophie, une nécessité vitale pour l’homme, la ...27

religion et la société ..........................................................................................................27

CONCLUSION ........................................................................................................................ 29

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................... 30

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INTRODUCTION
Apparu au XVe sous la plume de l’humaniste Giovanni Andrea, le terme moyen-âge désigne la
période la plus longue de l’histoire de la philosophie présentée, très souvent et de façon
tronquée comme étant une période de synthèse entre la philosophie antique et le christianisme.
Or, au cours de cette période, il s’est aussi développé une philosophie juive et musulmane,
aussi bien en Orient qu’en Occident. Ce rapport de confrontation entre la philosophie antique
et l’Islam s’est retrouvé sous son inspiration dans christianisme.

En continuité avec les interrogations des Anciens qui cherchaient l’archè, le principe premier
qui faisait l’unité cosmique dans la nature, les médiévaux, partant de cette nature, ont plutôt
orienté leur recherche vers un absolu, un être transcendant, de qui tout procède et vers qui tout
converge, un être qui serait responsable de tout ce qui est, existe et vit. Dès lors, les médiévaux
vont se heurter à la philosophie qui, dans la mouvance d’un monde en pleine effervescence
intellectuelle, était considérée comme une connaissance supérieure, un savoir encyclopédique
à qui rien n’échappe et qui s’intéresse à tout : Dieu, le cosmos, l’homme etc. D’où la naissance
du conflit entre foi et raison, entre philosophie et religion. Cette grande confrontation va
s’effectuer dans toutes les religions monothéistes de l’époque. Mais nous allons nous intéresser
à celle qui a eu lieu dans l’Islam avec l’un de ses précurseurs. Averroès philosophe musulman,
en est un. Il s’est penché sur la question, en essayant d’établir un rapport entre les deux. A la
lumière du Coran et à travers son ouvrage le Discours décisif, il a essayé de montrer une
certaine conciliation entre foi et raison, entre philosophie et Islam et « de fonder en droit
l’existence du philosophe dans la cité musulmane » 1 d’Andalousie qui est la sienne.

L’extrait dudit texte, en ses pages 79 à 92 qui fait l’objet de notre étude, pose le problème de la
Loi révélée face à l’acte de philosopher. Autrement dit, la loi révélée est-elle favorable à l’acte
de philosopher ? Quel statut lui octroie-t-elle ? Et quelle est la relation qui pourrait exister
entre les deux ? Pour Averroès, la Loi révélée est favorable à l’acte de philosopher et l’inscrit
comme une obligation pour le musulman qui en est apte. Pour répondre aux questions sus-
évoquées, notre argumentation s’organisera en trois mouvements. Partant d’un survol
biographique de la vie d’Averroès et des thèmes majeurs qu’il aborde, nous ferons une analyse
graduelle de sa pensée, puis, nous ressortirons les implications de sa philosophie, avant
d’entreprendre une tentative d’actualisation.

1
Averroès, Islam et la raison, Paris, Flammarion, 2000, p.79.
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I. BIOGRAPHIE ET THEMES MAJEURES D’AVERROES

Combien de fois n’avons-nous pas dit que la vie d’un individu et ses idées sont intimement
liées ? Celle d’un philosophe et sa pensée le sont encore plus. Alors, pour pénétrer la teneur
épistémique d’une philosophie afin d’en faire une herméneutique juste, il nous semble
nécessaire, à travers un envol heuristique, d’aller à la découverte de l’auteur de cette
philosophie, en l’occurrence Averroès, pour mieux connaitre sa vie. C’est pourquoi, dans cette
première partie de notre travail, nous allons successivement effectuer un panorama sur la vie
d’Averroès, donner le contexte de rédaction et d’émergence de son ouvrage le Discours décisif
avant de faire ressortir les différentes thématiques qu’il aborde dans son œuvre.

1. Panorama sur la vie d’Averroès

A la fois Juriste, médecin et théologien du XIIe siècle, Averroès, de son vrai nom AbuIWalid
Muhammad bin Amad bin Rushd, ou simplement Ibn Rushd, est aussi un philosophe
musulman de langue arabe né le 14 Avril 1126 à Cordoue en Espagne, dans une grande famille
très connue et respectée de Cadis (juges), de tradition Malékite en Andalousie. Il naît dans une
période trouble marquée par la prise du pouvoir des Almohades2, occasionnant ainsi le déclin
des Almoravides3 avec lesquels la famille d’Averroès avait une certaine proximité. De « son
enfance on ne sait absolument rien »3 comme le dit Dominique Urvoy, l’un de ses biographes.
Cependant, nous savons qu’une formation solide acquise auprès de différents maîtres a fait
d’Averroès un génie aux connaissances étendues. Il commence sa formation avec l'étude du
Coran. Ensuite il va suivre des cours de grammaire, de poésie, d'écriture et de mathématiques
pour avoir quelques rudiments en calcul. Il étudiera aussi la physique, l'astronomie et la
médecine avec Avenzoar, avant d’entreprendre des études de philosophie auprès d’Ibn Bajja
qui l’initia à l’aristotélisme et le droit sous la direction d’Abu J’afar Haroon. Après une bonne
formation religieuse, il est initié à la jurisprudence musulmane par son père qui était lui-même
juge à Cordoue afin que le religieux et le juridique ne soient pas dissociés.

Considéré comme l’un des plus grands philosophes de la civilisation islamique,

2
Dynastie berbère et musulmane qui règne sur le Maghreb et la péninsule Ibérique de 1147 à 1269 3
Dynastie berbère qui règne du XIe siècle au XIIe siècle, sur le Sahara, une partie du Maghreb et de la
péninsule Ibérique
3
Dominique Urvoy, Averroès : les ambitions d’un intellectuel, Paris, Flammarion, 1998, p.51.
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Averroès fut influencé par la philosophie d’Aristote, dont il en fut l’un des plus grands
commentateurs et celui qui chercha le plus, parmi les médiévaux, à retrouver ses écrits
originaux. Taxé d’hérétique par les tenants de l’orthodoxie religieuse de la religion musulmane
qui lui reprochaient de déformer les préceptes de la foi, ses livres seront brûlés, à l'exception
de ses ouvrages relatifs à la médecine et à l’astronomie. Bien qu’il n’ait pas eu de postérité
immédiate dans le monde musulman, il fut cependant très estimé des scholastiques qui
l’appelaient le « commentateur du philosophe » et pour lequel ils avaient une vénération
commune. Toutefois, il sera critiqué par Thomas d’Aquin et les néoplatoniciens de Florence,
qui lui reprocheront sa conception négative au sujet de l’immortalité de l’âme et de la pensée
de l’âme individuelle au profit d’un intellect unique qui active en tout homme des idées
intelligibles.

Il assura successivement les fonctions de gouverneur de l'Andalousie, de réformateur de


l'administration de la justice à Marrakech et celle de grand cadi à Séville en 1169. Malgré ses
multiples fonctions publiques, il se donnera du temps pour commenter l’ensemble des œuvres
d’Aristote. Après deux ans d’exercice, il retourne à Cordoue sa ville natale.

En tant que médecin influent et homme de principes, Averroès va échapper pour un temps aux
ennuis que lui valent ses prises de position philosophiques et son scepticisme religieux. Mais,
en raison de ses idées audacieuses auxquelles il est véritablement attaché, il va tomber en
disgrâce vers 1195 et devoir s’exiler pour vivre dans la clandestinité, écartée de son travail.
Plus tard, il sera rappelé à Marrakech au Maroc où il sera emprisonné, même si, peu de temps
avant sa mort, survenue le 12 décembre 1198, alors âgé de 72ans, il connaîtra un retour en
grâce. Ses cendres seront ramenées à Cordoue.

Nous pouvons constater que ce n'est ni comme juriste ni comme médecin qu'Averroès fut
connu du monde latin, mais comme "Commentateur" d'Aristote. Les sources de sa pensée sont
de deux ordres. D’une part, la philosophie d’Aristote par laquelle il voudrait éliminer les
interprétations passées faites par les musulmans ou les Grecs, et, d’autre part, l'Islam et son
livre saint le Coran.

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2. Contexte historique de rédaction et d’émergence du Discours décisif

Environ 557 ans après la naissance de l’Islam4, l’une des trois religions monothéistes à
l’époque médiévale, fondée par Mohamed-sur lui soit la paix-, lequel est considéré comme le
dernier prophète qui prône la soumission confiante et totale à Allah-exalté soit-il-. C’est une
religion simple, sans clergé qui enseigne que l’accession au paradis repose sur le respect de
cinq obligations, en référence aux cinq « piliers de l’Islam », contenu dans le Coran, le livre
sacré révélé directement au prophète Mohammed-sur lui soit la paix-, par l’ange Gabriel au
VIIe après Jésus-Christ. Ce dernier, en affirmant qu’il transmettait une parole révélée par Dieu
par l’entremise de son ange, affirmait ainsi détenir les paroles les plus sacrées, sur lesquelles il
valait mieux fonder son amour en Allah-exalté soit-il- et lui demeurer fidèle.

Pour cela, il ne fallait en aucun cas réfléchir sur cette loi révélée, mais plutôt l’accepter telle
quelle et y adhérer totalement. C’est face à ce dogmatisme qu’Averroès, alors grand cadi de
Séville, va écrire certains ouvrages. Nous avons le Discours décisif dans lequel « il s’agit de
fonder en droit, l’existence du philosophe dans la cité andalouse du XII e»5, et dont le rôle
serait de concilier philosophie et religion. Il y a également le Dévoilement des méthodes de
démonstration dogmatique ainsi que l’Incohérence de l’incohérence, dans lequel il adresse des
critiques à Al Ghazali.

Concernant son œuvre Le discours décisif qui constitue l’objet de notre étude et dans lequel il
met l’accent sur la nécessité pour les savants de pratiquer la philosophie et d’étudier la nature
créée par Dieu, Averroès y soulève aussi la problématique d’un possible dialogue qui soit
authentique entre philosophie et Islam, même si l’on suppose par définition que seule la Loi
venant de Dieu lui-même, contient la vérité intégrale. Interdisant à tout croyant musulman de
renoncer, voire nier la sacralité du Coran, considéré comme un texte sacré, il les encourage à y
trouver un sens spirituel au-delà des éventuelles erreurs ou contradictions qu’il pourrait avoir
dans le sens littéral de certains passages. Par exemple, on ne peut croire avec un esprit
scientifique au sens littéral de la création7 qui affirme que Dieu a fait le monde en six jours et
s’est arrêté le septième ; cela requière une interprétation en vue d’une bonne compréhension ;
d’où la nécessité de la philosophie.

4
Dont le début est marqué par l’Hégire en 622.
5
Averroès, op. cit., p.79.
7
Cf. Coran VII, 52
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Averroès pourra-t-il dans sa démarche apporter des solutions adéquates pour un croyant
musulman ? Pourra-t-il lui octroyer un espace pour accepter la science quelle que soit les
découvertes susceptible de le conduire à des hérésies ? Telles sont les questions auxquelles
Averroès s’est attelé à répondre dans Le discours décisif.

3. Le Discours décisif et ses différentes thématiques.

Le discours décisif, de son titre original fasl al maqal est l’œuvre soumise à notre étude. Pour
cela nous avons utilisé l’œuvre intitulé Averroès, L’Islam et la raison publiée en 2000 aux
éditions Flammarion, traduit par Marc Geoffroy et présentée par Alain de Libéra. Dans cette
œuvre, il s’agit d’une anthologie de textes juridiques, théologiques et polémiques et des
extraits de texte choisis dans Le discours décisif, Le Dévoilement des méthodes de
démonstration dogmatique et sur l’Incohérence de l’incohérence trois ouvrages écrits par
Averroès.

Dans Le discours décisif, Averroès voulait démontrer une certaine connexion entre la
philosophie et la révélation. En fait, il voulait donner une justification concernant la nécessité
d’une interprétation philosophique du coran, montrant ainsi le caractère obligatoire de l’acte de
philosopher qui n’est cependant pas l’apanage de tous, mais de ceux qui sont aptes à s’y
adonner, c’est-à-dire les savants comme il les appelle. Il profite pour réclamer un certain statut
social pour la pratique de la philosophie qui sera garanti par le pouvoir, entendu comme
gouvernement établi, tout en plaidant également pour qu’il ait une séparation radicale entre
philosophie et société.

Le droit musulman fixe les statuts d’un acte humain au nombre de cinq à savoir : « le permis,
l’obligatoire, le recommandé, le blâmable et l’interdit »6. Dans le Discours décisif Averroès
s’investit à rechercher lequel de ces statuts conviendrait à l’acte de philosopher dans son
rapport avec la religion musulmane. Il veut alors démontrer que, bien qu’étant de l’ordre du
recommandé, la philosophie est davantage une obligation, notamment pour le savant, le fidèle
capable de raisonner, à qui il est donné de comprendre et d’interpréter certaines sourates du
coran. On peut donc dire que le Discours décisif s’adresse à un public cultivé de son époque,
pour lui rappeler le devoir qui est le sien vis-à-vis de la philosophie. Il s’adresse
particulièrement aux juristes malikites, aux théologiens ash’arites et au dépositaire du pouvoir.
Notons qu’à ce moment, Averroès jouissait d’une certaine renommée lui attirant une certaine

6
Averroès, op. cit., p.80.
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considération de la part des autorités et du peuple. La valeur de la raison dans l’islam est la
thématique centrale autour de laquelle s’articule la fatwa d’Averroès. Il est question de «
rechercher dans la perspective de l’examen juridique, si l’étude de la philosophie et des
sciences de la logique est permise par la Loi révélée, ou bien condamnée par elle, ou bien
encore prescrite, soit en tant que recommandation, soit en tant qu’obligation »7. D’après Alain
de Libéra dans son introduction du Discours décisif, il présente les trois parties de
l’argumentation d’Averroès.

Dans la première partie il procède à un exposé de la thèse d’Averroès selon laquelle, l’acte de
raisonner est permis par l’islam parce qu’il permet de connaitre ; puisque, tout musulman a le
devoir de comprendre les fondements de sa foi. Cependant, seuls ceux qui ont la capacité de
raisonner par la démonstration sont invités, voire obliger par le coran à philosopher. Voilà
pourquoi dans le premier paragraphe, il présente d’un point de vue juridique la question de
l’activité philosophique vis-à-vis de la loi coranique qu’il va tenter de justifier de façon précise
dans les paragraphes 2-17.

Dans la seconde partie (des paragraphes 18 à 48), il propose une réponse concernant les
objections adressées à l’acte de philosopher qui, selon celles-ci serait en nette discordance
avec le Coran ou à cause de sa tendance à susciter des interprétations du Coran qui pourrait
s’avérer erronées, et pouvant entrainer certaines dérives.

C’est pourquoi, dans la troisième partie regroupant les paragraphes 49 à 72, bien que conscient
de ces dérives, Averroès examine les conséquences religieuses et sociales de sa fatwa sur tout
lecteur musulman du Coran, et même les répercutions politique que cela pourrait engendrer,
obligeant une certaine intervention du pouvoir pour ramener le calme.

A travers ce que dit la Loi sur le « statut de la philosophie », la « Loi révélée » considérée
comme une économie de la vérité et la gestion politique de cette Loi musulmane, Averroès
cherche à démontrer dans notre opuscule l’importance de la philosophie et son caractère
obligatoire pour les savants musulmans. Voilà les différents thèmes réunis sous les expressions
de Loi révélée et acte de philosopher que nous allons aborder dans la suite de notre travail.

7
Idem.
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II. LA LOI REVELEE ET L’ACTE DE PHILOSOPHER

Cet ouvrage, dont la présentation a été faite dans la première partie, repose sur le possible
rapport qui peut exister entre philosophie et l’Islam. En effet, Averroès l’un des philosophes
musulmans de son époque, s’intéressant à cette question, a essayé d’établir ce rapport qui
existe entre les deux. Ainsi, s’inspirant du Coran, il va à travers son ouvrage le Discours
décisif tenter une certaine conciliation entre foi et raison, entre philosophie et Islam et essayer
« de fonder en droit l’existence du philosophe dans la cité musulmane » 8 d’Andalousie. Alors
dans cette seconde partie nous verrons les différentes thématiques qu’il aborde pour soutenir
son argumentation.

1. Les thèses d’Averroès concernant la Loi révélée et l’acte de philosopher

D’entrée de jeu, Averroès, se référant constamment aux raisonnements des fuqaha dès les
lignes liminaires de son topo et tout au long de son argumentation, cherche à montrer «si
l’étude de la philosophie et des sciences de la logique est permise par la Loi révélée, ou bien
condamnée par elle, ou bien encore prescrite, soit en tant que recommandation, soit en tant
qu’obligation »9. En d’autres termes, il voudrait faire ressortir le statut que le coran devrait
octroyer à l’étude de la philosophie et des sciences de la logique. Cela pose la question d’un
possible rapport entre foi et raison, entre philosophie et religion islamique que certains
philosophes ou théologiens musulmans avaient déjà envisagé. S’inscrivant dans cette lignée,
Averroès avec une façon particulière va tenter de prouver qu’il est possible d’effectuer une
certaine conciliation entre Philosophie et Religion, et justifier la nécessité pour le musulman
de recourir à la réflexion et à la spéculation intellectuelle en vue de pénétrer le sens abstrait de
la Loi révélée. Aussi, il le fait en tant que bon musulman et au nom de sa formation de juriste.
Mais comment procède-t-il ?

C’est par une présentation très habile, lui donnant de prendre la mesure des résistances
auxquelles il devra faire face qu’il commence par se présenter comme juriste musulman et
comme juge très équitable avant d’exposer la raison qui l’a amené à produire son ouvrage.
Pour lui, « La philosophie ne contredit pas la loi divine qui appelle à étudier rationnellement

8
Averroès, op. cit., p.79.
9
Ibidem, p. 80
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les choses : on doit "unir le rationnel et le traditionnel»10. En bon aristotélicien, il estime que
rien dans la philosophie d'Aristote, si elle est bien comprise, ne saurait contredire le Coran. Il
s'explique en montrant que "le vrai ne peut contredire le vrai". Autrement dit, la philosophie
qui est recherche de la vérité par la raison, ne saurait aller à l’encontre du Coran qui est la
vérité même, révélée par Dieu. Or, si nous considérons la révélation comme vérité, elle ne
devrait cependant pas craindre la philosophie qui s’est engagée dans la recherche de cette
vérité bien qu’elle le fasse sur le plan rationnel. C’est ce que pense Averroès qui, se référant à
l’un des signes de vérité de la loi révélée, montre comment elle émet de constants appels à la
connaissance, lorsqu’il s’agit de l’interprétation du sens intérieur du Coran, qui relève de la
compétence des hommes capables de science. Le sens extérieur quant à lui est réservé à la «
foule », à ceux qui n’ont pas la capacité d’interprétation. Averroès a une vision favorable, en
tant que philosophe d’une part, sur l’usage de la raison qui, selon lui, permet d’accéder à la
vérité et, en tant que musulman d’autre part, sur la Loi révélée contenue dans le Coran qui
annonce cette vérité. De ce fait, dans la mesure où la vérité ne peut être contraire à la vérité, la
raison et le Coran ne sauraient se contredire mutuellement.

Dans un second moment, Averroès présente les outils indispensables à la pratique de la


philosophie et les niveaux d’assentiments à la Loi révélée. En effet, si « l’acte de philosopher
ne consiste en rien d’autre que dans l’examen rationnel des êtres […en tant] qu’il constitue
la preuve de l’existence de l’Artisan »11, et si, la connaissance de Dieu est tributaire de
l’exercice de la raison sur sa création, et donc de la philosophie, alors l’acte de philosopher a
besoin de certains outils pour atteindre ses objectifs. C’est dans ce sens qu’Averroès, dans le
déploiement de sa pensée, fait recours à des outils de raisonnement philosophique que sont
les syllogismes.

Il utilise deux types de syllogisme. Le syllogisme juridique qui est une : « analogie à deux
termes qui est utilisé [dans le] droit musulman ; lorsqu’on dit par exemple que toute boisson
alcoolisée est interdite parce que dans le coran le vin est interdit. En arabe, ce mode de
raisonnement porte le même nom que le syllogisme à trois termes d’Aristote »12 ; et le
syllogisme rationnel tel que présenté dans l’Organon d’Aristote, qui est un mode privilégié de
démonstration, un mode de raisonnement à trois termes. L’usage de ce syllogisme lui sera

10
Idem
11
Averroès, op. cit., p. 81
12
Ibidem, p. 82
P a g e 12 sur 186
plus tard reproché par certains, qui le considère comme un « outil païen » puisqu’étant
d’origine grecque.

Partant du fait que tout musulman est (supposé être) convaincu du caractère véridique de la
loi révélée, qui, grâce aux méthodes qu’elle utilise, arrive à faire l’unanimité au sein des
musulmans, comme le dit Averroès lui-même en ces termes « nous musulmans sommes
convaincus que cette divine Révélation (qui est nôtre) est la vérité, et que c’est elle qui éveille
et appelle à ce bonheur qu’est la connaissance de Dieu, c’est parce que cette conviction
s’établit pour chaque musulman par la méthode propre à produire son assentiment déterminé
par la nature de chacun »13. En cela Averroès distingue trois différents niveaux
d’assentiments ou d’adhésions à la Loi révélée, lesquels sont nécessaires pour que le Coran
soit communément admis par tous ses fidèles. C’est ce que nous verrons dans le sous point
qui suit.

2. Les trois niveaux d’adhésions à la foi musulmane selon Averroès

Ces trois niveaux d’assentiments renvoient aux trois types d’arguments hérités de la logique
aristotélicienne et correspondent également aux trois classes d’esprits dans la société
musulmane. Ce qui donne lieu à une sorte d’hiérarchisation ou d’« élitisme [qui] est motivé
par une réalité sociale de fait : tous les hommes ne sont pas capables, à cause de leur «
dispositions innées », ou par défaut d’éducation, d’appréhender la vérité démonstrative […]
il s’agit [aussi] de se conformer au dessein de la révélation, qui a instauré cette « économie
de la vérité » pour le bien général »14. Bref, cela permet à la Loi révélée de transmettre le
message du salut à toutes les couches sociales, prenant soin d’utiliser à chaque fois le langage
qui sied au public auquel elle fait face. Nous avons donc, les arguments démonstratifs,
dialectiques et rhétoriques.

L’assentiment ou l’argument démonstratif est propre aux philosophes (s’inspire du


syllogisme, principe de non contradiction, catégories, etc.) et inaccessibles aux autres classes
d’esprits qu’il assimile à la foule, car, c’est à eux qu’il revient de pénétrer les sens cachés du

13
Ibidem, p.88
14
Ibidem, p.89.
P a g e 13 sur 186
Coran et d’apporter une juste interprétation de certaines contradictions apparentes. Ceux-ci
sont capables de le faire à cause de leur capacité à pouvoir construire et comprendre les
syllogismes rationnels sans l’intermédiaire d’images ou d’opinions courantes.

L’assentiment rhétorique est celui de l’opinion qui séduit par ses atouts émotionnels qui, sont
l’effet de la poésie et des images utilisées dans le Coran, pour présenter les vérités de celui-ci
à la foule en vue de susciter son adhésion. Dans ce langage poétique et imagé, il y a selon
Averroès, plus de vérité accessible pour la foule que dans les discours dialectiques et même
les connaissances acquises par la démonstration. L’argument dialectique, quant à lui, est
l’apanage des théologiens, qui sont aussi aptes aux raisonnements démonstratifs et capable
d’aller au-delà du sens obvie du texte révélé. Il consiste comme le rappelle Ali Benmakhlouf
dans son ouvrage Le Vocabulaire d’Averroès à peser le pour et le contre.

Si les préceptes pratiques s'imposent à tous indistinctement, les comportements doivent


nécessairement différer en matière théorique. Cependant, la seule attitude injustifiée que
fustige le Cordouan est celle des mutakallimun (théologiens) qui, communiquant aux gens du
commun des interprétations mal fondées, sèment le trouble dans les esprits. Faute de
connaître les véritables méthodes rationnelles, ils s'en tiennent à des argumentations
simplement probables, sur quoi rien de certain ne peut se fonder. Cette attitude qui est la leur
est parfois source de troubles qui nuisent non seulement à la loi révélée, mais aussi à la
stabilité sociale. Sur ces bases, dans le but de repréciser la distinction corrélative des sens du
Coran, des capacités intellectuelles et des modes de démonstration, Averroès écrira en 1189,
le Dévoilement des méthodes démonstratives des dogmes de la religion musulmane.

Au demeurant, les affirmations coraniques, étant donné leur caractère véridique sont donc
démontrables, et l’acte de « philosopher est une obligation »15. Ainsi, c’est à l’homme de
science et plus particulièrement au philosophe qu’incombe la tâche de lire et de comprendre
le Coran par la méthode démonstrative, afin de proposer une interprétation adéquate et
accessible à toutes les couches sociales. Aussi, Averroès reconnait-il la spécificité de
l’inspiration du Coran et insiste d’ailleurs sur le fait que ce miracle échappe par définition à la
raison. Mais, pour lui, la loi révélée est parfaitement accessible à la raison et est une forme de
programme pour le développement de la connaissance rationnelle.

Il estime en outre que les errements de certains philosophes dans l’exercice de la


démonstration ne pourraient suffire pour justifier la condamnation de toute la philosophie. Il

15
Ibidem, p.79.
P a g e 14 sur 186
utilise l’image d’un médecin16. Pour lui ce n’est pas parce qu’un médecin a failli à son métier
qu’il faut incriminer la médecine. La pratique de la philosophie est d’une nécessité pour la
compréhension de la Loi révélée, alors interdire l’étude de la philosophie aux personnes
aptes, sous prétexte qu’elle aurait égaré certaines serait comme interdire à une personne
assoiffée de boire de l’eau fraiche et de profiter de son goût agréable au motif que d’autres en
buvant ont suffoqué et en sont morts. Les propriétés désaltérantes de l’eau sont essentielles,
tandis que ses propriétés de suffocation ne sont qu’accidentelles. Autrement dit, « la mort que
l’eau produit par suffocation est d’ordre accidentel tandis que celle [qui est] causée par la
soif est d’ordre essentiel et nécessaire [du fait qu’elle est inévitable] »17.

Nous nous sommes appesantis sur les trois niveaux d’adhésions à la foi musulmane qui
correspondent aux trois classes d’esprits, selon Averroès. Nous savons que ce dernier a émis
des arguments qui justifient son avis favorable quant à l’acte de philosopher et du statut que
lui accorde la Loi révélée. Ainsi, nous allons nous intéresser à ce que dit concrètement la Loi
révélée sur le statut qu’elle octroie à l’acte de philosopher.

3. Le Coran au sujet de l’acte de philosopher : le statut de la philosophie dans l’Islam.

Selon Averroès, nombreux sont les versets coraniques qui démontrent le caractère favorable
de l’islam à l’acte de philosopher. Il en cite quelques-uns pour illustrer son propos : «
"Réfléchissez donc, ô vous qui êtes doués de clairvoyance"18, […] « Que n’examinent-ils le
royaume des cieux et de la terre et toutes choses que Dieu a créées »19, […] "N’ont-ils point
examiné les chameaux, comment ils ont été créés ? Et le ciel, comment il a été élevé ?"»20.
Plus qu’une invitation, à l’exercice de la raison, il s’agit d’une obligation, au regard du temps
impératif auquel certains verbes sont conjugués. Ils laissent donc transparaitre explicitement
cette invitation et implicitement cette obligation à faire usage de la raison, de la réflexion sur
la création, le créateur, et donc sur la Loi révélée dans son ensemble, pour mieux la
comprendre. L’usage récurrent des verbes « réfléchir » et surtout « examiner » nous le montre
à suffisance. Elle reconnait aussi l’existence des hommes d’une certaine clairvoyance à qui
incombe cette tâche.

16
Cf. Ibidem, p.90.
17
Ibidem, p.84.
18
Coran, LIX, 2 (traduit par Averroès)
19
Coran, VII, 185 (traduction par Averroès)
20
Coran, LXXXVIII, 17-18 (traduit par Averroès)
P a g e 15 sur 186
D’après Averroès, ces versets coraniques, sans avoir besoin d’aller au-delà du sens obvie,
nous montre que le sens spirituel du Coran, loin de s’opposer à l’usage de la philosophie y
encourage plutôt. Ceci étant, de la même façon qu’en contemplant un objet fabriqué, on
apprend à connaitre l’art d’un artisan, la loi révélée invite les savants à faire usage de la
raison pour parvenir à une connaissance des choses du monde et par la même occasion à la
connaissance de Dieu, qui en est l’Artisan. Elle est par conséquent favorable à l’acte de
philosopher, puisqu’elle invite impérativement le fidèle à réfléchir, afin de donner une
réponse rationnelle à son adhésion. Ce qui précède, nous fait donc affirmer avec Averroès
que « la
Révélation déclare obligatoire l’examen des étants au moyen de la raison et la réflexion sur
ceux-ci »21.

Par ailleurs, réfléchir n’est rien d’autre qu’extraire l’inconnu du connu, au moyen du
syllogisme , ce qui oblige donc le musulman à recourir au syllogisme rationnel, comme il le
fait lui-même, lorsqu’il dit : « Si l’acte de philosopher ne consiste en rien d’autre que dans
l’examen rationnel des êtres et dans le fait de réfléchir sur eux en tant qu’ils constituent la
preuve de l’existence de l’Artisan, si la Révélation recommande bien aux hommes de
réfléchir sur les êtres, et les y encourage, alors, il est évident que l’activité désignée sous ce
nom [de philosophie] est, en vertu de la Loi révélée, soit obligatoire, soit recommandée » 22.
En d’autres termes, "si la philosophie est une façon logique de prouver que Dieu existe en
réfléchissant sur l’univers, et si le Coran encourage à réfléchir sur l’univers, alors, il est bon
de philosopher". Il est important de voir la forme logique du raisonnement d’Averroès qui
correspond à un syllogisme tel que l’a défini Aristote.

De surcroit, le verset coranique dans lequel Allah-exalté soit-il-, dit au prophète-paix soit sur
lui-: « appelle les hommes dans le chemin de ton Seigneur, par la sagesse et par la belle
exhortation ; et dispute avec eux de la meilleure manière » 23, confirme après l’interprétation
d’Averroès que, non seulement l’existence de ces classes d’hommes et des niveaux
d’adhésions est admise par le Coran, mais aussi, et par conséquent, que le philosopher est
inhérent à la loi révélée. En effet, c’est ainsi qu’Averroès l’interprète à partir de la
formulation arabe du mot « la sagesse » signifiant « la philosophie », qui renvoie à

21
Averroès, Op. cit., p. 82.
22
Ibidem, p. 81.
23
Coran, XVI, 125 (traduit par Averroès)
P a g e 16 sur 186
l’argument démonstratif, tandis que « la belle exhortation » correspond à la rhétorique et le
verbe « disputer » renvoie à « al-jadal » c’est-à-dire à la dialectique.

Par conséquent, d’après Averroès « le Coran déclare obligatoire l’exercice du


raisonnement, [notamment] pour produire des syllogismes juridiques qui permettront de
déterminer le statut légal de ce qui n’est pas [explicite dans la loi. Cependant,] cette
invitation est aussi valable pour le syllogisme rationnel qui permet de connaitre les êtres de
l’univers, et par-dessus tout Dieu lui-même»24.

Suite aux dispositions coraniques qui nous permettent d’affirmer avec Averroès le caractère
favorable du Coran vis à vis de l’acte de philosopher, nous nous demandons comment et dans
quelle mesure être à la fois « philosophe et croyant ». Autrement dit, quelle cohabitation
possible entre l’indéniable « cogito ergo sum » et l’invérifiable « credo ergo sum » ?

Le Discours décisif en tant qu’un traité philosophique et théologique laisse transparaitre la


dimension religieuse de son auteur. Si la Révélation exige l’avènement d’une cité musulmane
accueillante au philosophe, telle que le dit Averroès, cela sous-entend que raison et Loi
révélée ne sont ni concurrentes, ni contraires. Les résultats de la spéculation philosophique
fondée sur la démonstration rationnelle sont conformes à ce que prescrit la Loi divine telle
que nous l’avons souligné plus haut ; il ne peut donc y avoir de contradiction entre ce à quoi
nous arrivons par cette spéculation et les enseignements prodigués par la Loi divine, car, la
vérité ne saurait être contraire à la vérité. « Ces deux dimensions sont fondamentalement et
nécessairement complémentaires »25 de sorte que « dénier le droit d’exister à la philosophie,
c’est démentir le Coran et donc n’être pas musulman ; […] car être musulman, c’est croire
que le Coran dit la vérité, Or, le Coran est garant de la vérité de la méthode démonstrative,
[et donc de la philosophie] »26. S’il existe donc une harmonie corrélative entre les deux, une
complémentarité, il convient de savoir si cette conception fit l’unanimité. Autrement dit,
comment cette conception a-t-elle été reçue à son époque ?

24
Averroès, Op. cit., p.83.
25
Al Ajamî, « Que dit vraiment le Coran : Foi et raison », in https : //www.alajami.frindex.php/2018/04/20/
foiet-raison-2/, consulté le 14 Mars 2020, à 20h15 min
26
Averroès, Op. cit., p. 86
P a g e 17 sur 186
III. IMPLICATION DE LA PENSEE D’AVERROES ET TENTATIVE
D’ACTUALISATION

Apres avoir exposé, dans la deuxième partie de notre travail, un compte rendu de l’œuvre, du
moins des extraits du Discours décisif, objet de notre étude, nous allons faire ressortir les
différentes réactions qu’une telle pensée d’Averroès a pu susciter dès son contact avec le
public. Pour cela, nous allons relever quelques mérites que nous avons trouvé dans cette
pensée d’Averroès ; ensuite, exposer les dérives que cela pourrait susciter et les critiques qui
lui ont été adressées et dans une analyse personnelle, nous adresserons nos propres critiques
suivie d’une tentative d’actualisation.

1. Les mérites de la philosophie d’Averroès

Averroès a le mérite d’avoir ouvert une brèche dans l’Islam pour faire cohabiter foi et raison,
permettant ainsi à la philosophie d’éclairer la Loi révélée, afin de garantir une meilleure
adhésion. Cette pensée du Cordouan ô combien riche, n’a pas qu’été bénéfique pour la
religion musulmane, elle l’a plus été pour les fidèles chrétiens qui, à l’époque de la
Renaissance l’on conduit à ses lettres de noblesse, environ quarante ans après sa mort. En
effet, l’influence postérieure de la philosophie d’Averroès sur l’occident a été considérable
comme celle d’Aristote s’imposant à travers Thomas d’Aquin dans la pensée catholique.
Averroès éclipsait peu à peu tous ses prédécesseurs arabes et, tout en étant combattu pour ses
idées hétérodoxes, il était largement utilisé pour tout ce qu’il apportait dans ses commentaires
philosophiques à la compréhension d’Aristote, sans laquelle on ne peut accéder à la synthèse
philosophicothéologique de Thomas d’Aquin lui-même. Alain de Libera, spécialiste en
philosophie médiévale et traducteur des écrits d’Averroès le confirme, lorsqu’en réaction à
P a g e 18 sur 186
ceux qui pensent que l’Occident chrétien a l’apanage de la rationalité philosophique, il
affirme que « c’est en lisant Averroès que les Chrétiens ont appris à philosopher ». Comme
pour dire que de nombreux chrétiens en particulier les scholastiques se sont inspiré de sa
pensée, lui qui était très estimé d’eux, en raison de son lien avec Aristote pour lequel tous
vouaient une vénération commune. Alain de Libera met ainsi en exergue le rôle important et
décisif des penseurs arabomusulmans et celui d’Averroès en particulier qui a déployé de
nombreux efforts pour contribuer à concilier foi et raison, tout en montrant la nécessité
impérieuse de l’usage de la raison dans la religion. Aujourd’hui, les écrits de la loi révélée
peuvent être interpréter et éclairer par la lumière de la raison. D’où le caractère toujours
actuel de la pensée d’Averroès.

Notons également que la pensée d’Averroès a eu une influence purement philosophique qui a
donné naissance à un véritable averroïsme au XIVe siècle et dans les siècles suivants, non
seulement en France mais aussi en Italie et dans d’autres pays. Il a inspiré les courants
rationalistes, réformateurs et émancipateurs, et a fait émerger l’Averroïsme, duquel se
réclame un bon nombre de philosophes médiévaux latins et juifs comme Siger de Brabant,
Boèce de Dacie, Isaac Albalag et Moïse Narboni. Un indice de cette influence durable et
répandue en Europe nous est fourni par la très belle édition latine des œuvres d’Aristote qui
fut imprimée en 1483 à Venise accompagnée de celle des commentaires d’Averroès. On peut
voir par-là combien le maître et son commentateur étaient devenus inséparables pour les
penseurs du monde latin. Sa philosophie à la Renaissance a été très étudiée à Padoue. Il est
bien clair qu’Averroès a su unifier ses convictions religieuses et philosophiques tout en
exerçant une grande activité intellectuelle de juriste et pratique de qâdî. Son expérience
d’homme de foi et la quête du philosophe sont alors indissociables. Mais, la disparition
progressive de l’Islam dans al-Andalus et l’extinction concomitante des milieux intellectuels
philosophiques et juridiques ont fait oublier presque aussitôt dans l’Islam d’Occident cette
grande figure de la pensée musulmane au Moyen Âge, sans que l’Orient, soumise au même
moment à de grands bouleversements politiques, ait pu prendre le relais.

Toutefois comme le dit Averroès une mauvaise pratique de la philosophie, dans le sens de
l’interprétation qu’elle doit fournir, pourrait conduire à des dérives et engendrer une anarchie
dans la société. C’est pourquoi, nous allons maintenant nous pencher sur quelques dérives
exprimées par Averroès suivie des critiques qui lui sont adressées.

P a g e 19 sur 186
2. Dérives et critiques liées à la pratique de la philosophie et la réaction d’Averroès

Toute pensée philosophique élaborée sous forme de théorie et divulguée dans le champ de la
réflexion philosophique a toujours été l’objet d’appréciations diverses. Tantôt, elle est
appréciez et sert de point de départ pour l’élaboration d’une autre théorie ou pour la mise en
pratique comme cela l’a été très souvent. Tantôt, elle est critiqué soit dans son contenue soit
dans sa méthode. En tout cas, aucune pensée philosophique n’est passée inaperçu. Ainsi, celle
développée par Averroès a subit le même sort. Voilà pourquoi dans cette partie nous allons
restituer certaines critiques adressées à sa pensée. Mais avant nous allons voir les dérives
qu’elle a pu susciter.

P a g e 20 sur 186
1. a) Les dérives liées à la pratique de la philosophie
La pratique de la philosophie en milieu musulman, surtout en ce qui concerne l’interprétation
de la loi révélée qui « comporte des énoncés de sens obvie et d’autres de sens lointain »27, a
généré un certain nombre de dérives, dont la majeure fut une double infidélité, qui a mis en
mal la religion et la société toute entière. En effet, la préoccupation primordiale d’Averroès,
fut celle de concilier la loi révélée avec la raison, à la lumière de la philosophie d’Aristote et
des interprétations du coran. Pour lui, la charge qui incombe aux gens de la démonstration et
donc aux savants qu’il assimile aux philosophes, est celle de l’interprétation des textes sacrés
en vue de retrouver derrière les images, le sens caché des vérités, et de clarifier par la même
occasion, les versets plurivoques à partir d’une compétence démonstrative. Selon Averroès, le
sens du texte sacré dépend de la méthode de lecture qui lui ait appliquée, raison pour laquelle,
cette tâche est du ressort des « hommes d’une profonde science »28.

De plus, ces interprétations ne doivent être mises à la disposition de ceux qui ne sont pas à
même de les comprendre. C’est de là que s’origine le reproche qu’il adresse à ses
contemporains, les mutazilites et les ascharites qui ont exposé un certain nombre de ces
interprétations et traditions prophétiques à « la foule ». Or, « exposer certaines interprétations
du Coran à quelqu’un qui ne peut les appréhender, en particulier les interprétations
démonstratives, en raison de la distance qui sépare celles-ci des connaissances communes,
expose les uns et les autres à l’infidélité »29. D’où le reproche d’une double infidélité.
L’infidélité religieuse dont il s’agit ici est le résultat d’une inadéquation entre la méthode
exposée et le public concerné. Car, cette interprétation ne permet pas de donner accès à un
sens susceptible d’être partagé par tous. Les pourfendeurs d’Averroès se sont donc rendus
responsables d’une double infidélité : dans un premier sens, en exposant la loi révélée et ses
interprétations, ils sont allés à l’encontre des prescriptions du législateur qui a pris soin de
préciser les règles de « l’économie de la vérité » qui doivent être respectées : « les
prescriptions du Législateur, qui a mis en place les règles de l’économie de la vérité,
s’apparentent à une médecine des âmes. Ceux qui divulguent inconsidérément des
connaissances aux patients sapent le travail du médecin dont le but est la santé des âmes »32.
De ce point de vue, ils sont donc les premiers infidèles.

27
Averroès, Op. cit., p.88.
28
Idem
29
Averroès, Op. cit., p.90.
P a g e 21 sur 186
La seconde infidélité est celle de la foule, destinataires desdites interprétations, dont la
compréhension insuffisante ou erronée a conduit à la dénature de la loi, qui « [a] de ce fait,
précipité les gens dans la haine, l’exécration mutuelle et les guerres, [déchirant ainsi] la
Révélation en morceaux et [mettant en mal l’unité social en divisant] les hommes »30. Cela
aboutit à la naissance de différentes sectes islamiques et leurs différents adeptes qui, dans
leurs conflits permanents vont porter atteinte à la cohésion sociale, à l’intégrité de la religion
et remettre en cause la fiabilité de la Loi révélée. D’où l’impérieuse nécessité de
l’intervention du pouvoir, qui dans le but de rétablir l’ordre social, doit « combattre ce
pullulement sectaire qui au demeurant lui est aussi dommageable»31.

Il est donc question ici de protéger les classes dites inférieures du contact déstabilisant avec la
lecture du Coran de la classe supérieure qui serait à même, non seulement, de créer la
profanation de la loi révélée, mais plus encore, de rompre l’unité sociale que justement le
pouvoir a la mission d’assurer. Averroès, en expliquant l’attitude que doit adopter le pouvoir
face à de telles dérives, reprécise aussi, à la lumière de certains passages de la loi révélée,
qu’il faut faire preuve d’humilité face à ceux qui ont plus de connaissances, mais, qui ne les
vilipendent pas, dans le but de ne pas troubler ou choquer. La foule qui n’a pas accès à une
connaissance démonstrative suffisante, ne doit en aucun cas s’intéressée aux passages de la
loi révélée dont l’ambiguïté est parfois si évidente. C’est la reconnaissance de la possibilité
d’un savoir supérieur et le culte de son respect qui doit animer l’acte de foi de la foule face à
ce qu’elle ne comprend pas. Averroès réitère sa solution élitiste quant à la liberté de
raisonner, de philosopher. C’est-à-dire que tous ne sont pas appelés à faire de la philosophie.

Tout compte fait, l’interprétation qui par définition s’éloigne du sens obvie du texte c’est-à
dire de son sens le plus immédiat, s’avère bien souvent dangereuse pour quelqu’un qui
manque de capacité démonstrative et qui risque alors de se retrouver dans une confusion le
menant à l’infidélité. Le débat qui a eu lieu avec les interprétations des mutazilites et
as’harites l’illustre à suffisance. Il faut donc éviter de l’exposer au grand nombre et tenir
compte de l’économie de la vérité, des classes d’hommes en fonction de leur mode
d’assentiment, tel que distingué par Averroès.

30
Idem
31
Ibidem, p.92.
P a g e 22 sur 186
2. b) Les critiques adressées à Averroès

Nous l’avons vu, Averroès établi un lien de complémentarité et de compatibilité entre


philosophie et loi révélée. La philosophie est au service de la compréhension de la Loi ; elle
est le chemin qui mène à la vérité et qui éclaire la Loi révélée. Cette thèse d’Averroès, bien
que pertinente et eu égard le succès qu’elle a eu dans le monde chrétien, a révélé ses limites et
fait naître un certain nombre de critiques. Certains philosophes et théologiens y ont relevé un
certain nombre d’insuffisances qui vont à l’encontre de la foi en Dieu et même de la Loi
révélée dont il est pourtant le garant. Si philosopher est utile, important, voire obligatoire pour
pénétrer, comprendre et interpréter la Loi révélée, il faut beaucoup d’attention car, elle peut
éloigner de la foi.

Les premières critiques faites à Averroès lui viennent d’Al-Ghazali, théologien ascharites qui,
tout comme Averroès a marqué le paysage intellectuel de l’Islam médiéval ; ils peuvent tous
deux être considérés comme les théoriciens les plus influents des deux principaux courants de
pensée de cette époque, à savoir d’une part la tradition proprement « philosophique », la
falsafa, et de l’autre, la tradition du kalâm, la théologie rationnelle. En effet, Al-Ghazali
voulait limiter l’activité philosophique et combattre les thèses aristotéliciennes à travers son
interprétation du Coran.

Son premier grief contre Averroès est relatif à l’usage des outils et auteurs païens dans
l’interprétation de la Loi révélée. « Comment la révélation pourrait-elle obliger à l’usage
d’un outil d’origine païenne ?»32. Al Ghazali fait ici référence à l’usage des syllogismes
rationnels d’Aristote d’origine grecque, qu’utilise Averroès dans sa fatwa. Pour Averroès, et
conformément à la Loi révélée, « on ne demande pas à l’instrument avec lequel on exécute
l’immolation rituelle s’il a appartenu ou non à l’un de nos coreligionnaires pour juger de la
conformité de l’immolation. On lui demande seulement de répondre aux critères de
conformité »33. En cela, le droit musulman précise la forme ou la matière avec laquelle doit
être faite l’outil, mais ne stipule rien, quant au fait qu’il peut être emprunté à quiconque, fut-il
juif ou païen. « Or, le syllogisme est aussi outil du raisonnement, [dont la provenance importe
peu] et le raisonnement est une obligation comme l’égorgement rituel»37.

32
Averroès, op. cit., p.83.
33
Idem
P a g e 23 sur 186
Le second reproche d’Al Ghazali à Averroès « est celui d’un théologien qui veut défendre les
dogmes de l’Islam »34. Il vise la déstabilisation de la philosophie qui, pour lui, est inutile. Il
s’insurge contre les « philosophes » qu’il taxe de dépravés (c’est-à-dire sans moralité,
corrompu et pervers). Il prône une étude individuelle du Coran qui permettrait à chacun de
parvenir à la certitude de l’existence de Dieu et de comprendre les préceptes coraniques afin
de vivre en conformité avec la loi musulmane sans avoir besoin d’un intermédiaire. Signalons
que sa pensée trouve une résonance dans la pensée chrétienne avec celle de Tertullien, qui
estime qu’on n’a nul besoin de faire la philosophie pour croire en Dieu. Ce dernier la
condamne fermement, « car d’elle, ne peut sortir que des hérésies, les philosophes étant eux
même les patriarches des hérétiques »35.

En réponse à cette autre critique, Averroès asserte qu’il est indéniable que des gens qui
pratiquent la philosophie sombrent dans la dépravation. Cependant, il n’est pas établi que la
philosophie en soit la cause véritable. Pour le Cordouan, « de ce que quelqu’un faille ou
commette des écarts dans l’étude de ses écrits, cela peut être rangé dans l’ordre de
l’accidentel car en effet, les accidents qui ont pu advenir par ladite science, peuvent tout
aussi bien advenir par toutes les autres ».40 Autrement dit, un défaut ou une faiblesse dont les
causes peuvent être multiples et d’ordre occasionnel ou accidentel ne saurait faire en sorte
que toute la philosophie soit rejetée en bloc. Reprenons l’exemple de l’eau donné plus haut.
Nous disions que la mort que produit l’eau par suffocation est d’ordre accidentel, tandis que
celle causée par la soif est d’ordre essentiel et nécessaire. On ne pourra par conséquent tiré la
conclusion selon laquelle l’eau est inutile.

Si le soufi al-Ghazali a été parmi les premiers critiques d’Averroès, il n’en demeure pas le
seul. En effet, les scholastiques qui ont fait bonne réception de sa philosophie et de sa
doctrine y ont également relevé des insuffisances. L’une des critiques de ceux-ci porte sur
l’unité de l’intellect. En effet, l’intellect tel que décrit par Averroès confère une certaine
autonomie et responsabilité à l’homme. La pénétration et la compréhension de la loi divine se
fait à travers l’exercice de la raison, de l’intellect et non par illumination. Ainsi, « n’était-il
pas digne de Dieu d’avoir doté l’homme, image de Dieu, d’une faculté autonome de

34
Emile Bréhier, La Philosophie du Moyen-âge, Paris, Albin Michel, 1949, p.209.
35
Provenant du cours magistral de philosophie médiévale donné par le doyen, le docteur Ngono Richard.
40
Averroès, op. cit., p.85.
P a g e 24 sur 186
pénétration et de compréhension (intellect) plutôt que d’intervenir constamment par
illumination ? »36.

Ce problème apparemment simple amena Albert le Grand à remettre en cause les


considérations anthropologiques d’Averroès. Ne niant pas l’existence de l’intellect, Albert le
Grand puisqu’il s’agit de sa critique, distingue deux types d’intellect : « l’intellect agent »,
qui est une intelligence animant la dernière sphère, qui imprime sur la terre des formes
naturelles et qui illumine la pensée humaine ; et « l’intellect possible » qui représente selon
Albert le Grand « toute nature intellectuelle, considérée en elle-même, n’est jamais que
possible, de même que tout ce qui est causé, considéré en lui-même, n’existe que dans l’ordre
du possible.
Mais dans la mesure où ce qui ce qui est causé l’est par la cause première, il existe en acte et
acquiert la nécessité d’un pur être »42. Cette querelle entre Albert le Grand et Averroès
impulsa le débat dans l’Occident latin. Le souci majeur d’Albert le Grand serait de ramener
Averroès sur le chemin des vérités de la foi d’où il estime que la philosophie l’a écarté, pour
qu’il ne donne pas raison aux critiques que lui avait adressé Al-Ghazali à travers son ouvrage
l’incohérence des philosophes, et qu’Averroès en répliquant a écrit l’incohérence de
l’incohérence.

Après avoir vu les dérives que la philosophie d’Averroès a suscitées au niveau de sa mise
pratique, surtout avec les sectes islamiques qui semblaient avoir compris de travers ce que ce
dernier voulait en réalité dire, entrainant le peuple à suivre de mauvaises interprétations, nous
avons vu les critiques qui lui ont été adressées principalement celle d’Al Ghazali qui portait
sur l’outil et la philosophie dont il a fait usage pour exprimer la foi musulmane. Apres tout
cela, que pouvons-nous dire d’une telle philosophie qui prône un usage de la raison dans le
vécu de sa foi. La raison peut-elle comprendre la foi ? La foi peut-elle se démonter par la
raison ?

36
Kurt Flasch, Introduction à la philosophie médiévale, Paris, Flammarion, 1998, p.139
P a g e 25 sur 186
3. Analyse personnelle suivie d’une tentative d’actualisation

La philosophie d’Averroès que nous avons essayé de restituer la quintessence, du moins une
partie, celle qu’il a développé dans son ouvrage le Discours décisif nous a permis de
comprendre un certain nombre de chose. Sur un certains points nous sommes d’accord avec
lui, mais sur d’autres nous pensons qu’une critique venant de notre part pourrait mieux
l’exprimer. Ainsi dans cette partie qui suit nous allons adresser à Averroès nos points sur
lesquels nous sommes en désaccord avec lui. Apres quoi, nous tenterons une actualisation à
partir de ce que nous aurons tiré comme fruit de notre travail.

3. a) Critique personnelle de la pensée d’Averroès


A notre tour, nous fustigeons le caractère élitiste de la pratique de la philosophie dans la
religion musulmane, telle que nous le présente Averroès. Selon lui, le Coran est favorable à
l’acte de philosopher, lequel est même une obligation ; mais cela est réservé aux « hommes
d’une profonde science » ; d’où le caractère élitiste que nous déplorons. En effet, Averroès
explique que « cet élitisme est motivé [non seulement] par une réalité sociale de fait : tous les
hommes ne sont pas capables, à cause de leurs "dispositions innées" ou par défaut
d’éducation d’appréhender la vérité démonstrative, […] mais par-delà, il s’agit de tout autre
chose : se conformer au dessein de la Révélation qui a instauré "cette économie de la vérité"
[pour le bien général] »37.

Cependant, la philosophie, n’est-elle pas en elle-même éducation et le philosophe n’est-il


pas celui à qui incombe, au sens platonicien du terme, l’éducation des hommes en vue du
redressement de la cité ? Ou bien, n’est-il pas celui qui, comme ce prisonnier libéré qui
revient dans la caverne, doit leur faire connaitre la vérité des choses pour qu’ils soient
capables euxmêmes de les voir dans leur réalité ? Si la philosophie est devenue une affaire
d’élite, discriminatoire, quel qu’en soit la raison, comme l’avait soulignée le philosophe
africain Ebenezer Njoh Mouelle, n’est-ce pas que celle-ci s’est détournée de sa mission ?
Nous constatons qu’Averroès se montre opposé à ce qui pourtant a caractérisé la naissance de
notre modernité : la proposition d’un libre accès au savoir. Descartes n’a-t-il pas rédigé le
Discours

37
Averroès, op. cit., p.89.
P a g e 26 sur 186
de la méthode en français, pour qu’il soit lu par tous ceux qui pouvaient le lire afin de
propager la liberté de raisonner ?

On peut s’étonner qu’Averroès ne considère pas la question de l’éducation à la


démonstration car que vaut une élite toujours issue de l’élite déjà existante ? N’y a-t-il pas
dans la pensée d’Averroès une forme de conservatisme négatif dans l’optique d’une
spiritualisation authentique de la vie sociale ? La religion gagnerait donc à éduquer de façon
progressive ses fidèles à la philosophie en générale et à celle de la démonstration en
particulier ; cela les rendra capable d’oser penser par eux-mêmes comme le dit Emmanuel
Kant « sapere aude », les aidera à vivre les yeux ouverts, c’est-à-dire à sortir d’une
dépendance intellectuelle, attachés à la pensée d’autrui, et pour notre cas d’espèce attentiste
aux interprétations approximatives voire erronées des autres, comme celles des mutazilites et
des Ascharites qui à l’époque de notre auteur a donné lieu à des dérives de toutes sortes, allant
jusqu’à la déstabilisation sociale et à la profanation de la Loi révélée .

L’ouverture du savoir à tous, pour paraphraser le Pape Jean Paul II, dans son encyclique «
Fides et ratio », les libèrera du sociologisme, donnera des ailes à leur esprit pour s’élever dans
la contemplation de la vérité et les libèrera également du règne de l’inauthentique, du « on »
au sens heideggérien du terme. Nous pensons que la philosophie pratiquée de cette manière,
favorisera une meilleure adhésion de tous et de chacun à la foi ; car « la foi et la raison sont
comme les deux ailes [indispensables à tous], qui permettent à l’esprit humain de s’élever
dans la contemplation de la vérité »38.

Apres avoir exposé notre critique personnelle à l’endroit d’Averroès, voyons à présent, la
petite actualisation que nous comptons faire de sa pensée.

4. b) Tentative d’actualisation : La philosophie, une nécessité vitale pour l’homme, la


5. religion et la société
Malgré les limites et critiques adressées à Averroès, nous reconnaissons le caractère toujours
actuel de sa pensée. Philosopher s’avère être aujourd’hui, tout comme à l’époque de notre
auteur, une nécessité vitale pour l’homme, pour la religion et même pour la société. D’où le
caractère utile de la philosophie qui plus est dans le domaine de la religion.

38
Jean Paul II, Fides et Ratio, Rome, Libreria editrice Vaticana, 1998, p.1
P a g e 27 sur 186
Pour l’homme en général et pour l’homme de religion en particulier, la philosophie permet
d’exercer son esprit critique, de raisonner et de cheminer vers la vérité. Aujourd’hui encore, la
foi a besoin d’être éclairé par la raison pour une meilleure réceptivité et une meilleure
adhésion à elle. L’interprétation elle aussi demeure cruciale. Aujourd’hui encore dans notre
monde, on assiste à de nombreuses dérives dues à une mauvaise interprétation de la loi
révélée ; cette mauvaise interprétation qui à son tour est à l’origine de nombreuses sectes. De
ces multiples sectes islamiques qui prétendent tuer au nom de la foi, au nom d’Allah, nous
avons entre autre le djihadisme39, la guerre sainte et plus proche de nous, la terrible et
farouche secte islamique Boko Haram.

39
Idéologie politico-religieuse qui prône la violence afin d’instaurer un Etat islamique tel que voulu par Allah.
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CONCLUSION

Au demeurant, il était question pour nous de réfléchir sur la Loi révélée et l’acte de
philosopher, à la lumière du Discours décisif d’Averroès, pour clarifier à partir d’un certain
nombre de questions, le statut que la Loi révélée octroie à l’exercice de la raison. De notre
analyse, il en ressort que pour Averroès, la Loi révélée se montre favorable à l’acte de
philosopher et en fait une obligation pour le musulman capable de raisonner. Cependant, cet
exercice de la raison vis-à-vis de ladite Loi est régit par un certain nombre de règles, qui
doivent être scrupuleusement respectées. Mais cette assertion d’Averroès, ne fera pas
l’unanimité, puisqu’elle sera affublée de critiques diverses, de la part de certains de ses
contemporains et adversaires, pour qui seule la foi suffit, on n’a nullement besoin de raisonner
pour croire. Ils en arrivent à déclarer l’inutilité de la philosophie, sous prétexte qu’elle
déprave l’homme. Il lui sera également reproché d’avoir donné à la philosophie un caractère
élitiste, faisant d’elle l’apanage d’une certaine classe sociale, une affaire d’élite. Pourtant,
nonobstant ces critiques, la pensée d’Averroès demeure aujourd’hui encore d’actualité, en ce
sens que, l’homme de notre temps a besoin de laisser la lumière de la raison éclairé sa foi,
pour mieux comprendre ce en quoi il croit, et y adhérer pleinement. Celle-ci, lui évitera de
sombrer dans les dérives multiformes telles que les interprétations approximatives ou
erronées, qui aujourd’hui encore comme au temps d’Averroès sont à l’origine des sectes dites
islamiques, qui sèment la pagaille dans le monde entier. Eu égard à ce qui précède, l’islam ne
gagnerait-elle pas pour pallier à ces limites d’interprétations et de compréhensions de la Loi
révélée à considérer la question de l’éducation de ses adeptes à la philosophie, plutôt que la
limiter au service d’une catégorie élitiste dont on dit avoir des prédispositions innées ?

P a g e 29 sur 186
BIBLIOGRAPHIE

Averroès,

2000 Islam et la raison, Paris, Flammarion, 256p.

Al Ajamî,
« Que dit vraiment le Coran : Foi et raison », in https :
//www.alajami.frindex.php/2018/04/20/ foi-et-raison-2/, consulté le 14 Mars 2020, à 20h15
min
Bréhier Emile,

1949 La Philosophie du Moyen-âge, Paris, Albin Michel, 431p.

Urvoy Dominique,

1998 Averroès : les ambitions d’un intellectuel, Paris, Flammarion, 253p.

Jean Paul II,

1998 Fides et Ratio, Rome, libreria editrice Vaticana, 108§

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1998 Introduction à la philosophie médiévale, Paris, Flammarion, 314p.

Site internet

Muhammad Hamidullah, « le Coran en français » in www.coran-français.com version PDF,


300p.

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Groupe 3 :
Le dévoilement des méthodes de
démonstration des dogmes de la religion
musulman, Discours décisif, Averroès

Présenté par :
BAYIHA Sabine Audrey
NGANGUE Léa Ophélie

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SOMMAIRE

I. CONTEXTE HISTORIQUE D’UN AUTEUR ENGAGE............................................. 6

II. HERMENEUTIQUES DIVERSES DES DOGMES MUSULMANS........................... 8

III. QUELQUES THEMATIQUES ET ESSAI DE CONTEXTUALISATION................ 19

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INTRODUCTION

La philosophie médiévale a un peu été négligée en occident à cause de son cadre


chronologique qui n’était pas unanime à tous. Cette période est marquée par l’apogée de la
religion, elle est essentiellement une théologie rationnelle ; nous remarquons que plusieurs
auteurs cherchent à affirmer leurs dominations, liaison sur la pensée grecque et de montrer
que philosophie et religion peuvent être ensemble ou la philosophie est au service de la
religion ; les religions dominantes de cette époque sont l’Islam et le Christianisme. L’Islam
est marqué par plusieurs auteurs : Al-Sharî, Ghazalî, Ibn Sinâ et Ibn Rushd qui ont chacun une
conception différente des dogmes musulmans mais nous exposerons sur Ibn Rush qui est
d’origine arabe mais présenté comme une puissante personnalité, un philosophe authentique
dont tout l’occident a entendu parler sous le nom d’Averroès ; auteurs de plusieurs œuvres
dont l’islam et la raison est celle sur laquelle se basera notre réflexion ; cette œuvre est
divisée en trois parties : Le discours décisif, le dévoilement des méthodes de démonstrations
et l’incohérence de « l’incohérence » ; mais l’objet de notre travail est le dévoilement des
méthodes de démonstrations cette partie est un traité où Averroès s’attèle à l’examen des
doctrines en les réfutant point par point avant de proposer pour chacun des différents dogmes
fixés par la tradition théologique, contrairement aux solutions Al- sharî parfaitement
conforme à la lettre du coran. Ainsi se pose le problème de différentes interprétations
élaborées sur la base du coran. De ce fait quel est le contexte historique de notre auteur et de
l’œuvre ? Quelle est la perception de l’auteur par rapport aux autres multiples pensés sur le
Coran ? Et quelles sont les thématiques abordées dans notre texte ?

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I. CONTEXTE HISTORIQUE D’UN AUTEUR ENGAGE
Cette partie de notre travail montrera d’abord la biographie d’Averroès, à la suite le contexte
d’élaboration de son traite et la présentation du traité.

6. 1. Biographie d’Averroès
Pour mieux comprendre notre œuvre ou notre auteur il serait judicieux de nous attarder
un peu sur sa vie.

En effet, Abù l-Walid Muhammad ibn Ahmad Muhammad ibn Rusd est connu en occident
sous le nom d’Averroès, il est né le 14 avril 1126 à Cordoue dans la famille des juristes d’où
son grand père était très célèbre , il reçoit des maitres particuliers une formation classique
pour son époque et son milieu ainsi il étudie le coran par cœur à laquelle s’ajoute la
grammaire, la poésie, la musique, des rudiments de calcul et d’apprentissage de lecture il
étudie ensuite la physique, la médecine, l’astrologie, la philosophie et les mathématiques.
Initié très top par son père qui était juge de la ville, il fut un magistrat influent, il reforme
l’administration de la justice à Marrakech.

Concernant la médecine qu’il pratique en professionnel de 578 à 1182 , il remplace Ibn


Tufayl et devient le médecin de yùsuf40, nom qui dans la tradition musulmane correspond à

Joseph.. Averroès fut connu des latins parce qu’il était un commentateur d’Aristote on le
présentait la plus part du temps chez les philosophes et les savant comme « Averroès, qui fit
le grand commentaire » c’est de cette façon qu’il commença sa carrière de philosophe, il fut
sollicité par l’émir des croyants en Afrique du Nord, Ya’qub al-Mansur, pour commenter les
ouvrages d’Aristote puis qu’Averroès est un aristotélicien fidèle, sans doute le plus illustre de
tous les grands médiévaux41.

Ces doctrines philosophiques soulèveront des débats passionnés dans le « MONDE

CHRETIEN » et trouveront presque autant de disciples que d’opposant. La tendance à séparer


la raison et la foi comme relevant de deux ordres de vérité distincts risquait de ruiner les
efforts de ceux qui voulaient au contraire concilier, à travers Aristote le savoir profane et la
foi révélé ; par ces idées Averroès est considéré comme dangereux et il fut condamné par
l’église en 1240 ; sa pensée influence en occident notamment dans les écoles médiévales.

40
Yusuf (sourate)-Wikipédia
41
AVERROES-Page 14- Résultats Google Recherche de Livres
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Mais, attaqué par les tenants d’une orthodoxie religieuse étroite, il tombe en disgrâce vers
1195 ainsi il doit fuir et se cacher, vivre dans la clandestinité et la pauvreté jusqu’à ce qu’il
soit rappelé à Marrakech où il meurt en 1198.

7. 2. Contexte d’élaboration de ce traité


Ici apparait un problème : comment Averroès peut –il être à la fois musulmans et
aristotélicien, juriste traitant d’obligation fondées sur un texte révélé et philosophe pour qui le
monde est éternel ?

En effet, nous constatons que notre auteur est en train de se contre dire mais il se justifie
notamment dans le discours décisif : il n’y a pas de contradiction entre la philosophie et la loi
divine, elle apprend à étudier rationnellement les choses il déclare que : « le vrai ne peut
contredire le vrai »42 il situe la philosophie et la religion comme deux concepts ayant la même
finalité ; on peut se proposer d’unir le rationnel et le traditionnel. Pour lui le seul problème qui
se pose est celui des théologiens musulmans qui communique aux gens du communs des
interprétations mal fondées qui jette le trouble dans les esprits parce qu’ils ne connaissent
aucune véritable méthodes rationnelles et s’en tiennent à des argumentations peu probables
donc rien de certains ne peut être fondé sur des affirmations qui ne sont pas corrects.

8. 3. Présentation du traité
En 1179, Averroès est nommé cadi (juge) de Séville et il rédige le Discours Décisif qui
expose les méthodes de preuve relatives aux dogmes de la religion c’est à la suite de ce ci,
qu’en 1189 il a composé un ouvrage sur les distinctions entre le sens du coran, des capacités
intellectuelles et les modes de démonstration.

Par ailleurs, Averroès a composé un ouvrage intitulé Dévoilement des méthodes


démonstratives concernant les dogmes religieux il traite de plusieurs points fondamentaux de
la foi islamique (l’existence de Dieu, son unicité, ses attributs, ses actions) en substituant aux
formulations et aux arguments des écoles théologiques, qu’il critique en détail, un aperçu qui,
fondé sur le seul texte coranique, doit convenir à la fois aux simples et aux savants. Soi le
problème de la corporéité de Dieu : bien qu’il n’affirme rien de positif sur ce point, le coran
semble suggérer que le créateur a un corps. Certains des ash’arites ont prétendu prouver qu’il
n’en était rien ; mais leurs démonstrations n’etaient pas solides.

42
Le Discours Décisif
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Néanmoins, si l’on devait dire aux gens du communs que Dieu est sans corps, l’on risque
fortement de leur faire conclure qu’il n’existe pas : la meilleure attitude consiste à ne pas aller
plus loin que la loi c’est-à-dire à n’attribuer à Dieu ni la corporéité ni l’incorporéité. Ainsi on
ne s’écarte pas de la loi ; on signifie aux gens du commun une existence réelle et
particulièrement noble, on rappelle aux savants que leurs intelligences est aussi incapable de
saisir DIEU. Dans l’ensemble du traité Averroès apparait un point de convergence de trois
perspectives doctrinales : la théologie musulmane, qu’il refuse mais qu’il connait assez à fond
pour la critiquer de l’intérieur ; la révélation coranique et la philosophie d’Aristote, qu’il
accepte intégralement l’une et l’autre comme deux expressions différentes du vrai ; Averroès
cherche à démontrer que le coran n’interdit pas la pratique de la philosophie et des sciences
naturelles, mais au contraire permettre de remonter jusqu’à Dieu par l’étude des êtres crées
par lui-même.

II. HERMENEUTIQUES DIVERSES DES DOGMES MUSULMANS

Dans le Dévoilement, Ibn Rush parce que les différentes interprétations des Ash’arites sur
les dogmes musulmans n’ont remporté ni l’adhésion des croyants ordinaires ni pour lui, il va
s’atteler à examiner les doctrines elles-mêmes. Ainsi le Dévoilement, traité théologique
musulman tiré de Kalam, opposera l’école des Ash’arites avec les doctrines philosophiques
d’Ibn Rush, où le philosophe proposera pour chaque article du dogme, une éventuelle
présentation autres que celle des Ash’arites, conformément à la lettre du Coran.

B. A. Interprétations des Ash’arites


1. 1. Présentation de la doctrine d’Al Ash’ari
Il y aurait deux tendances dans ce système de pensée : l’école juridique et les différentes
écoles sunnites, c’est-à-dire les écoles qui enseignent la tradition de Mahomet et de la
majorité religieuse. Dans le domaine du dogme, il ne méprise pas la démonstration rationnelle
mais n’admet pas que les démonstrations rationnelles soient des idées admises. Il ne considère
pas la raison comme un critère absolue, d’une part parce que, donner une valeur absolue à la
raison aboutirait à soutenir la religion ; d’autre part, parce que le Coran considère la foi dans

le mystère comme principe essentiel de la vie religieuse sans lequel la foi est sans
fondement. Après ces deux thèses Al Ash’ari veut concilier ces deux thèses extrêmes devant
trois problèmes théologiques.

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Premièrement, le problème des attributs divins :

 Pour les Mo’tazilites : toute qualification divine doit être comprise comme étant
l’essence. Ainsi pour eux, parler de divinité serait parler de métamorphose.
 Pour les Littéralistes : la divinité se présente comme un complexe de noms et de
qualification à côté de l’essence divine. Donc, ils parleraient de anthropomorphique.
 Pour Al Ash Ari : l’être divin possède les attributs, ils sont distincts de l’essence.
Selon lui l’attribut ne serait pas distinct du concept, mais aussi la dualité entre
l’essence et l’attribut devrait être situé non sur le plan quantitatif mais sur le plan
qualitatif. Pour clore, il pense que le musulman doit croire que Dieu a réellement les
mains et le visage, il a laissé face à face sans méditation la foi et la raison.

Deuxièmement, le problème du dogme du Coran incréé :

 Pour les Mo’tazilites : le Coran est la parole divine créée sans distinction avec la
parole en tant qu’attribut divin éternel.
 Pour les Littéralistes : la parole divine est l’énonciation humaine manifestée dans l
temps ; pour certains le Coran est éternel dans son contenu, aux mots qui le
composent, aux pages, l’encre, la reliure.
 Pour Al Ash’ari : la parole est soit humaine soit divine. Elle ne se limite pas comme le
pensent les Mo’tazilites. C’est le discours de l’âme. Le Coran est composé de mots. Le
Coran est un fait temporel créé à l’encontre de ce que pensent les littéralistes. Il
conseille au croyant de pratiquer son fameux principe qui est celui d’avoir foi sans
questionner au préalable.

En fin, le problème de la liberté humaine :

 Pour les Mo’tazilites : l’homme n’est pas seulement libre et responsable, il possède
également la puissance créatrice, la faculté de créer ses propres œuvres.
 Pour Al Ash’ari : l’homme est l’acquisiteur de ses œuvres. Il partage la distinction des
Mo’tazilites sur l’action libre, en affirmant que l’homme est parfaitement conscient de
ses agir. Parce qu’en effet, toute liberté émanerait dans cette coexistence entre Dieu,
créateur et l’homme, acquéreur. En cela, il donne un sens à la foi en Dieu, parce que
Dieu devient à la fois « essence » et « attribut ». Par conséquent l’objet d’adoration et
d’amour des fidèles.

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2. 2. Méthodes de démonstration des Ash’arites
a) « Que Dieu existe »

Suivant l’ordre traditionnel des traités de théologie, nous aborderons d’emblée la première de
toutes les questions « La preuve que Dieu existe ». Pour leur part les Ash’arites pensent que la
croyance en l’existence de Dieu ne résulte que de la raison. Autrement dit la connaissance
rationnel de Dieu est au contraire une obligation pour tout croyant. Par ailleurs leur méthodes
de démonstrations ne s’appuient ni sur la rhétorique qui est la méthode appliquée par la foule,
ni sur la démonstration qu’appliquent les savants. Ce sont toutes les deux les méthodes que
Dieu a signalé aux hommes et qu’Il invite les hommes à croire dans la révélation.

Dans un premier temps, les Ash’arites fondent leur méthode de démonstration sur la preuve
que le monde est adventice. Autrement dit l’adventicité du monde résulterait du fait que les
corps soient composés de substances indivisibles qui elles-mêmes sont adventices ce qui fait
également que les corps sont adventices. En d’autres temps que tout ce qui est adventice
possède un adventeur. Ainsi l’existence du monde résulte d’un Dieu adventeur, créateur du
monde. Et cette idée de « monde créé » résulte du fait que le monde est créé de corps qui soit
composé d’atomes qui seraient eux-mêmes créé à chaque instant par Dieu. Donc si les atomes
des substances indivisibles sont créés par Dieu, les corps également le sont. C’est dans cette
optique que Al-Ghazali, déclare que « tout ce qui est adventice a une cause, or le monde est
adventice, donc le monde possède une cause. »43

Dans la suite de cette analyse, nous présenterons le second argument des Ash’arites, celui de
la contingence du monde. Cet argument fait valoir que l’univers est organisé selon un ordre
contingent que tout ce qui aurait pu aussi être autrement que ce n’est. Par exemple plus grand
ou pus petit, plus ou moins nombreux, etc. Ainsi il faut inférer l’existence d’un adventeur à
qui attribuer l’acte de faire prévaloir le possible qui est effectivement sur tous les autres qui ne
sont pas. Autrement dit pour certaines parties de l’univers la fausseté est facilement
perceptible d’autres parties comme le fait que l’homme puisse être constitué autrement qu’il
ne l’est. Tandis que pour d’autres parties, on doute de leur véritable nature soit parce que la
raison de telle existence n’est pas logique, soit ca n’existerait pas, sous l’explication ne
dispose pas du commun du mortel. Comme le fait que le mouvement d’Ouest en Est des
sphères, ou leur mouvement d’Est en Ouest puissent être inversé car il semblerait qu’il y aie

43 5
Traité de kalam al-Iqtisad fi l-i’tiqad
6
Profession de Foi de l’Islam Coran, Verset
XVII, 42
P a g e 38 sur 186
une cause dont l’existence ne serait pas perceptible totalement, qui serait donc resté scellé aux
hommes.

3. b) « Que Dieu est un »


Dans cette approche, nous aborderons la question : « Que Dieu est un ». L’affirmation de
l’unicité divine, est on le sait, au principe du dogme musulman, dont la profession de foi qui
s’impose à tout croyant, commence par : « Je témoigne qu’il n’est de divinité que Dieu. »5 Ici
encore les Ash’arites ont détourné de son esprit l’argument coranique « l’empêchement
réciproque » en pensant : « Si comme ils le prétendent, d’autres divinités existaient avec Lui,
celles-ci voudraient se frayer un chemin vers le Maître du Trône. »6

Dans le développement de leur pensée, ils penseraient que s’il y avait deux Dieux ou
davantage, il se pourrait qu’ils soient en désaccord alors soit s’accomplirait la volonté de l’un
et de l’autre ; soit la volonté d’aucun des deux ne s’accomplirait ; soit la volonté de l’un
s’accomplirait, mais non celle de l’autre. Or selon eux, il serait impossible qu’aucune des
deux Volontés Suprêmes ne s’accomplissent car dans ce cas le monde n’existerait pas et l’on
ne penserait même pas d’ailleurs à la créer ; comme il serait également impossible que
s’accomplisse la volonté de l’un et que la volonté de l’autre ne s’accomplit pas. Or un être
dont le vouloir ne s’accomplit pas est impuissant, et un être impuissant ne saurait être Dieu.

4. c) « Comment est Dieu »


En ce qui concerne la troisième question « Comment est Dieu », il s’agira de présenter les
sept-ou huit-attributs appartenant à Dieu de toute éternité.

L’ordre par lequel ces attributs étaient énumérés par les Ash’arites constituaient à lui seul tout
un problème, car leur existence en Dieu se démontre dans un ordre déterminé. Leur méthode
consistait à poser en premier lieu l’attribut de Puissance en premier parce que c’est lui qui a
le pouvoir de créer toute chose ou toute personne, c’est de Lui qui part la volonté et c’est
grâce à Lui que la chose s’accomplit. Ainsi c’est ce qui découle immédiatement de son
caractère d’agent du monde, puisque l’on ne peut imaginer d’agent que pouvant agir ; ensuite
son attribut de Savant qui lui était inféré à cause de la production d’actes bien faits et sans
hasard, témoignant de son savoir-faire ; puis en troisième lieu, l’attribut Voulant qui montrait
que Dieu désirait que l’acte voulu ait telle modalité et non telle autre. Et une fois ces qualités
établies, ils concluaient qu’elles ne pouvaient qu’appartenir qu’à son quatrième attribut, un
Vivant, un être qui saurait utiliser à bon escient ses œuvres ; laquelle qualité implique le
cinquième attribut Oyant, parce qu’Il participe à la vie des hommes ; le sixième attribut
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Voyant, parce que Dieu connait tous les déplacements et gestes de ses créatures ; et le
septième attribut Parlant, parce qu’Il parle à toutes ses créatures qu’Il utilise d’ailleurs
souvent comme biais pour transmettre des messages. A quoi certains ajoutent le huitième
attribut Durant, parce que c’est Lui qui décide du destin et des nombres de jours de toutes ses
créatures avant même qu’ils ne prennent vie.

De plus, nous notons un nouvel attribut divin fondamental qui conditionne la possibilité de la
Révélation, la Parole. Ce serait pour les Ash’arites, la parole de l’âme ou du for intérieur,
comme intention de signifier antérieure à l’énonciation linguistique, c’est-à-dire que c’est ce
dont on prend connaissance soi-même d’abord avant de le communiquer oralement. . Ils
soutiennent que cette parole est effectivement un attribut divin coéternel à l’essence au même
titre que la puissance, la science, etc.

Pour finir, les Ash’arites disent que les attributs divins sont des attributs entitatifs et qu’ils
sont surajoutés à Son essence. Autrement dit que Dieu serait savant par une science ajoutée à
son essence, vivant par une vie surajoutée à son essence. Comme cela est le cas dans le monde
visible.

C. B. Critique de la méthode Ash’arite par Averroès


a) a) « Que Dieu existe »
Pour critiquer le premier dogme « Que Dieu existe », les méthodes que les Ash’arites ont
employés pour établir la validité de leurs démonstrations fondées la preuve que le monde est
adventice, ne facilite pas la compréhension de la foule qui elles sont incompréhensibles.

Dans la mesure où la théorie de la « preuve par les accidents » des mu’tazilites pour
démontrer la création de la particule insécable des atomes, ils présentaient qu’il n’y a pas
d’atome qui soit absolument dépourvu d’accident car tout atome est forcément soit en
mouvement soit en repris, et le mouvement et le repos par exemple sont des accidents de la
substance. Donc comme les accidents mouvement et le repos sont adventices autrement dit
créés, l’atome qui les supporte est aussi créé. Le discours théologien serait donc, selon
Averroès un « tiers inutile » parce qu’il est non seulement plus complexe que les méthodes
communes à la foule mais aussi parce qu’il n’obéit pas à la structure d’argumentation de
déduction médiate acceptable par le savant dans laquelle d’un antécédent résulte
nécessairement un conséquent. Par conséquent, ce n’est pas une méthode démonstrative
capable d’accréditer avec certitude l’existence du Créateur.

P a g e 40 sur 186
Ibn Rush rejette l’argument de la contingence de l’Artisan des Ash’arites car elle ne fait
qu’invalider l’idée de sagesse divine. Dans le cas de figure échéant, il compare les Ash’arites
à un homme qui irait porter son regard sur les parties de quelques objets manufacturés sans
être du métier de l’artisan qui les a fabriqué : cet homme aura l’idée préalable que tout ou
presque tout de ce qui a été mis dans ces objets pourrait bien être disposé autrement que ce ne
l’est actuellement, et que l’objet pourrait très bien accomplir l’objectif pour lequel il a été
fabriqué Cet homme ne sera pas vis-à-vis du dit objet dans la position du sage. Mais l’artisan
et quiconque partage avec lui quelque peu de sa science, sait qu’il en va tout autrement, et que
rien n’a été mis dans cet objet qui ne soit nécessaire et indispensable de sorte que l’objet
atteigne son plus haut degré de perfection et d’accomplissement, car c’est là ce qui se nomme
l’art. C’est dans cette optique qu’il déclare que « Dieu ne bricole pas. C’est méconnaitre
l’infinie sagesse qui préside à l’agencement de l’univers que d’attribuer la forme de chacune
de ses parties à la possibilité : en réalité, chaque élément de l’univers s’insère dans une
architecture globale et pour cette raison, ne saurait être autrement qu’il n’est. Et l’argument
de la contingence est d’autant plus dangereux qu’il est efficace. »44

b) b) « Que Dieu est un »

Face à l’argument que soulevait les Ash’arites soit disant que les deux Dieux seraient en
accord ou en désaccord dans le second dogme « Que Dieu est un », Ibn Rush pense que de la
même manière qu’il se pourrait que deux individus désireux poser un acte sur la Terre soit en
désaccord, de la même manière il se pourrait qu’ils soient d’accord ; et c’est ce qui
conviendrait le mieux de dire pour des « Divinités » ; C’est dire ainsi que s’ils étaient
d’accord pour fabriquer le monde, ils seraient tels deux artisans qui se sont mis d’accord pour
fabriquer un objet ainsi donc leurs actes coopèreraient mutuellement .

D. C. Interprétation proposée par Averroès


1. 1. Présentation de l’Averroïsme d’Averroès
En évoquant Averroès, on évoque une puissance personnalité et un philosophe dont tout le
monde a entendu parler en occident. Il était le plus éminent représentant de ce que l’on
appelait « philosophie arabe » et avec lui cette philosophie a atteint son apogée et sa fin ;

44
L’ISLAM ET LA RAISON, DEVOILEMENT DES METHODES, p.104
P a g e 41 sur 186
Averroès s’est retiré des affaires publiques pour se vouer entièrement à ses travaux
considérables philosophiques.

Ensuite Il écrit des commentaires sur la plupart des ouvrages d’Aristote. Le but de sa vie de
philosophe était de restaurer la pensée d’Aristote dans ce qu’il estimait en être l’authenticité.
Pour certains traités , il y a eu trois types de commentaires : le grand commentaire, le
commentaire moyen et la paraphrase. Il écrit aussi d’autres œuvres d’importance majeure.
Averroès y suit pas à pas le texte de Ghazali et le réfute au fur et à mesure, prenant parfois un
malin plaisir en référant à ses autres livres, à le mettre en flagrante contradiction avec lui-
même. Dans les dissertations de Physique réunies( dans les éditions latines) sous le titre de
Sermo De Substantie Orbis, il présente deux traités sur le problème central pour nos
philosophes, de la conjonction de l’intelligence agente séparée, c’est-à-dire immatérielle, avec
l’intellect humain. De plus, le propos d’Averroès est déterminé par un rigoureux discernement
des esprits. Il n’est pas le premier à affirmer que le texte du livre divin comporte une lettre
exotérique et plusieurs sens ésotériques. Comme tous ésotériques Averroès a la ferme
certitude que l’on provoquait les pires catastrophes psychologiques et sociales en dévoilant
aux ignorants et aux faibles le sens ésotériques des prescriptions et des enseignements de la
religion. La vérité ésotériques et exotériques ne sont nullement deux vérités contradictoires,
mais aussi ils ont des différences en commun. La situation du philosophes Averroès et de
l’averroïsme en Occident n’est pas celle de l’ésotérisme en l’Islam Orienta à cause du Ta’wil.

En fin, la comparaison technique et détaillé reste à faire sur un point à faire sur un
point essentiel, les motifs. Mais les conséquences de la cosmologie d’Averroès en tant que
cette cosmologie aboutit à détruire la seconde hiérarchie avicencienne. Averroès s’interroge
sur le « rationalisme » en présupposant chez lui, les données qui furent propres aux conflits
internes de la pensée chrétienne. Il importe de rapporter la question au seul contexte qui lui
donne vrai sens. S’il existe une hiérarchie dans la cosmologie, c’est parce que le moteur de
chaque orbe désire non seulement l’intelligence particulière à son ciel mais désire également
l’Intelligence Suprême. Toute substance intelligente et intelligible peut en ce sens être cause
de plusieurs êtres, puisque chacun de ces êtres le comprends à sa manière propre. Ainsi donc
il n’y a ni création ni procession successive, mais il y a simultanéité dans le commencement
éternelle.

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2. 2. Méthodes de démonstration proposées par Averroès
a) a) « Que Dieu existe »
En déclarant que la méthode démonstrative des Ash’arites capable d’accréditer avec certitude
l’existence du Créateur, Ibn Rush tente par la méthode démonstrative de résorber le doute que
surgit leur thèse selon laquelle « le monde est adventice » : l’existence d’un adventeur
prééternel (un créateur qui aurait egalement été créé) ou d’un adventeur adventice ou encore
d’un adventeur éternel. Averroès nous partage donc que cet adventeur dont parle les
Ash’arites ne saurait être dit ni prééternel ni adventice. Ni adventice parce que le Créateur du
monde aurait besoin Lui-même d’un adventeur, et cet adventeur en aura également besoin et
ainsi de suite à l’infini, ce qui est impossible ; ni prééternel car ca voudrait dire que l’objet
créé est lui aussi prééternel et alors les produits de cet objet le seront aussi car ils l’ont dit,
l’être de ce qui est adventice doit être solidaire d’un acte adventice ; ni éternel parce que
comme ils le disent ce qui ne va pas sans quelque chose d’adventice est adventice. Donc un
acte adventice ne saurait provenir d’un agent éternel comme l’est le Sage Créateur Eternel ce
qui n’est pas possible parce que l’acte est soumis aux conditions de temps et d’espace ne peut
donc se répéter permanemment. En conclusion les Ash’arites se contredisent en soutenant à la
fois que l’acte éternel de Dieu pourrait produire un effet adventice et par ailleurs, car l’acte
opéré par l’agent est à celui-ci ce que l’accident est à la substance, quelque chose qui lui
arrive.

En effet, si la règle « ce qui ne va pas sans quelque chose, etc.» s’applique aux atomes
pourvus ‘accidents, elle doit donc en bonne logique, valoir de la même manière pour l’agent
produisant un acte. Et pour répondre à la nouvelle orientation des Ash’arites selon laquelle
l’acte adventice est le fait d’une volonté prééternelle donc que Dieu serait prééternellement
pourvu d’une volonté ayant pour objet la venue à l’être du monde à un moment du temps, il
affirme que la volonté est différente de l’acte et de son produit parce que le produit d’un acte
et l’acte provienne d’un agent, parce que tous les deux solidaires. Donc si l’acte est adventice,
l’agent l’est également ce qui nous ramène au problème précèdent selon lequel cet agent
aurait lui-même besoin d’un adventeur, etc. De plus cette volonté prééternelle stipulerait non
existante la chose adventice la durée qui remonte à la prééternité et existant qu’au moment de
sa venue à l’être puisque l’homme adventé n’existe pas pendant cette durée.

Ibn Rush tente d’expliquer sa prise de position selon laquelle l’argument rhétorique de la
contingence parce qu’il nie la sagesse de l’Artisan ne vaut rien ni aux Ash’arites ni à ses
autres adeptes. La sagesse selon Ibn Rush ne serait rien d’autre que la connaissance de la
P a g e 43 sur 186
cause d’une chose, et si les choses n’avaient point de causes nécessaires en vertu desquelles
elles existent, alors cette connaissance qui appartient en propre au Sage Créateur n’existerait
pas non plus de même que l’art n’existerait pas. Or dans ses actes et ses gestes, l’homme
dévoile assez cette sagesse justement par le fait que chacun de ses membres réalise une tache
précise. Nous observons bien qu’il voit par ses yeux et non par ses pieds ou encore qu’il
respire par son nez et non par ses oreille et plein d’autres témoignages encore. C’est dans cette
vision que Ibn Rush soutient que cet argument ne revient qu’à nier la Sagesse, et à nier une
qualité dont Dieu Lui-même s’est réclamé en Se nommant le Sage ; parce qu’en effet il est le
Dieu pensant tout l’ordre de l’univers sur le mode de l’unité absolue.

Il profite également pour répondre au philosophe de religion musulmane dont l’œuvre


philosophique se situe au carrefour de la pensée orientale et de la pensée occidentale, Ibn

Sina, qui considérait que tous les êtres hormis l’Artisan, pris en eux-mêmes sont possibles et
contingents. En effet celui-ci distinguaient deux sortes de contingents : ce qui est contingent
vis-à-vis à l’Agent et ce qui est nécessaire vis-à-vis à l’Agent. Quant au possible, Ibn Sina
n’entendait rien d’autre que ce qui est possible par rapport à sa propre essence. Ce serait pour

Ibn Rush le comble de l’inanité car ce qui est possible par soi-même et par sa substance ne
saurait devenir nécessaire par son agent.

Quant aux mususlmans qui recherchent l'intériorisation, l'amour de Dieu, la


contemplation, la sagesse dans le cadre d'une perspective initiatique et ésotérique, encore
appelés Soufis, ils relèvent premièrement qu’à la différence des autres, ils ont écarté la raison
au profit d’une connaissance expérientielle de Dieu après un processus de purification du soi,
pour une fin de perfection théorétique et non de perfection morale à laquelle ils aspireraient.
De plus parce que leurs méthodes de recherche ne seraient pas composée de prémisses et de
syllogismes, on ne pourrait donc admettre que la connaissance de Dieu et des autres êtres est
quelque chose qui se rencontre dans l’âme, lorsque celle-ci se libère de la course effrénée vers
les richesses matérielles, et qu’elle se porte mentalement vers l’objet de sa quête. Car si ca
avait été cette voie là que l’on entendait imposer aux gens, alors la voie de l’examen rationnel
ne vaudrait plus pour rien. Pourtant le coran tout entier n’est qu’un appel à l’examen et à la
réflexion, un éveil aux méthodes de l’examen qu’il faut mettre en œuvre et pas l’ignorer
comme le pensent les soufis. Ces méthodes que signale la révélation se ramènent à deux voies
: la première demande de reconnaitre la fin de l’homme, de toutes les êtres et de toutes les
choses. Ce qui revient à reconnaitre que tous les êtres existant qui sont là conviennent à

P a g e 44 sur 186
l’homme et cette convenance n’est nécessairement la volonté de l’Artisan suprême car on
observe bien à quel point lui conviennent le jour qui lui permet de faire des activités
productives afin de gagner de l’argent etc; et la nuit qui lui permet de se reposer, les animaux
et les végétaux qui lui servent à se nourrir, et les objets inanimés qui lui sont multifonctions ;
sans oublier les quatre saisons et j’en cite. La deuxième demande de considérer la création de
la substance des êtres, comme par exemple la création de la vie sans l’inanimé. En d’autres
termes c’est reconnaitre l’existence de tous les animaux et végétaux et celle des cieux. Ce qui
revient à reconnaitre d’une part la présence d’un existenciateur diffèrent radicalement de la
créature et ceci parce qu’on constate qu’il y a des corps inertes et ensuite s’y produit la vie.

On comprend donc que l’âme est la seule forme matérielle qui témoigne qu’il y a un
artisan surnaturel contrairement aux autres formes qui existent depuis l’éternité. D’autre part,
reconnaitre que tout ce qui est créé possède un créateur. A l’instar des cieux qui sont
gouvernés par la providence qui s’exerce sur ce qu’il y a ici-bas, qu’ils ont mis à notre
service, et ce qui est mis à notre service et gouverné est créé forcément comme nous le savons
par un autre. Donc, d’un commun accord, nous concluons que ce qui existe possède un agent
qui l’a créé. Il incombe donc à celui qui veut vraiment connaitre Dieu de connaitre les
substances des choses, afin d’appréhender la vraie création à travers l’ensemble des êtres car
celui qui ne connait pas la réalité de la chose ne connaitra pas la réalité de la création.

b) b) « Que Dieu est un »


Ibn Rush, vis-à-vis de l’argument de « l’empêchement réciproque » que revêtait le
second dogme « Que Dieu est un » se prononce en disant que s’il y avait deux Dieux, alors il
y aurait deux mondes. Mais puisque le monde est un, alors l’Agent est un, car un seul acte ne
procède jamais que d’un seul agent. Il s’agit alors de reconnaitre l’existence du Créateur mais
aussi de denier la divinité à tout ce qui n’est pas Lui. Ce sont là les deux idées contenues dans
la profession d’unité : « Il n’y a de divinité que Dieu. »

c) c) « Comment est Dieu »


Dans la présente, à savoir la troisième des difficiles questions qui nous impute d’éclaircir, Ibn
Rush présente le premier attribut de Dieu comme étant la science qui donne l’existence à
l’univers, le faisant ainsi un attribut prééternel. Et pour soutenir son argumentation qui suivra,
il s’appuie sur l’énonce divin: « Ne connait-Il pas ce qu’il a créé, Lui qui est le Subtil, et qui
est parfaitement informé ? »45 Selon lui, entre les parties d’un objet fabriqué, savoir le fait

45
Coran, LXVII, 14 (trad, Masson)
P a g e 45 sur 186
que chacune de ses parties ait été fabriquée en vue des autres, dans son ensemble, l’objet
fabriqué prouve qu’il n’est point le fait d’un artisan qui serait la nature mais qu’il, provient
d’un artisan qui y a mis chaque chose à sa juste place, et qui devait donc connaitre cet objet ;
comme c’est en cela le cas d’un rocher qui se différencie d’une table. C’est d’ailleurs
pareillement le cas lorsque l’on examine une maison et que l’on comprend que les fondations
ont été construites pour les murs, et les murs pour le plafond : on conclut alors que la maison
a été construite par quelqu’un qui connait l’art de la maçonnerie. Ainsi donc il s’insurge
catégoriquement contre le fait que les Ash’arites limite la science Dieu en affirmant qu’Il
connaitrait les choses uniquement au moment de leur réalisation, comme s’Il les découvrait
pourtant Il les connait avant qu’elles n’existent en tant que ces choses, comme le dit l’énoncé
divin : « Nulle feuille ne tombe sans qu’Il le sache. »46 C’est dans cet élan qu’il considère
Dieu comme la « pensée de pensée, qui ne se pense que soi-même. »

En ce qui concerne cet attribut divin fondamental que serait la parole, Ibn Rush pense que la
parole est un acte exercé par un agent, acte par lequel celui-ci se manifestera à un allocutoire
une science qui se trouve en lui. Et cela se prouverait d’après lui par le fait qu’existe en lui
l’attribut de la science et puissance à crée. Mais cet acte dont est nécessairement capable
l’Agent véritable se produit dans le monde visible par un intermédiaire qui est la formulation
verbale.

Pour répondre aux Ash’arites qui soutiennent que les attributs divins sont des attributs
entitatifs, Ibn Rush s’insurge contre ce postulat. Il pense que pour affirmer cela, il faudrait
alors admettre que le Créateur soit un corps parce qu’il y aurait alors l’attribut et ce à quoi
l’attribut est attribué, le support et ce qui est supporté, et que cela est le cas pour les corps. En
effet soit ils doivent soutenir que l’Essence est consistante par soi-même et que les attributs
résident dans ce qui est consistant par soi-même, ce qui reviendrait à dire qu’il s’agit d’une
substance qui sera la consistance par soi-même, et d’accidents qui seront ceux qui résident
dans autre chose ; soit ils doivent soutenir que la première et les seconds sont tous consistants
par soi-même, et alors il y a plusieurs divinités à savoir l’être, la vie être la science comme
l’affirment les Chrétiens. Mais Dieu a dit à ce propos: « Certes ils sont infidèles, ceux qui
disent que Dieu est le troisième de trois. »47

46
Coran, VI, 59 (trad. Masson)
47 11
Coran, V, 73
Coran
P a g e 46 sur 186
d) d) « Le Dieu de lumière »
Pour toucher a dernière difficulté qui se réfère au dogme du « Dieu de lumière », nous
discuterons de la parfaite métaphore qu’a convenablement énoncé le Coran à Dieu.

Comme le dit la Révélation, Dieu est la lumière car c’est la qualification que Dieu
Luimême c’est attribué dans son Livre précieux11. Nous l’observons bien dans l’énonce
divin: « Dieu est la lumière des cieux et de la terre. »48 Ibn Rush dit qu’en effet cet
exemple correspondrait extrêmement bien à représenter le Créateur parce qu’il est être
sensible, n’est point saisissable par la vue et n’est ni un corps. On peut également ajouter
la manière dont Il se présente à l’intellectuel des savants « à la science profonde » lorsque
ceux-ci Le contemple au moyen de leur intellect est semblable à ce qui survient à notre
vue lorsque nous contemplons le soleil. De plus Dieu béni et exalté, est la cause des êtres
et la cause que nous les percevons, et il en va semblablement de la lumière. Cette
métaphore de la lumière sert à In Rush d’illustrer le rôle de l’intellect agent dans la
pensée humaine.

II. III. QUELQUES THEMATIQUES ET ESSAI DE


CONTEXTUALISATION
1. 1. LA QUESTION DE LA CAUSALITE : entre liberté et prédestination
a) a) Les arguments d’autorité
D’une part, on trouve dans le Livre49, que tout ce qui arrive est prévu d’avance et que
l’homme n’a pas d’autre choix que de les effectuer. Comme énoncé : « Nulle calamité
n’atteint la terre ni vous-même, sans que cela soit écris. »50 D’autre part, des versets disent
que l’homme n’est pas forcé à quoi que ce soit. Le seul créateur des actes humains
volontaires, Dieu, crée les actes qu’il donne comme acquis à chaque homme afin qu’il fasse
selon sa volonté, volonté qu’Il a également créé pour que celui-ci fasse comme il le souhaite.
Autrement dit, qu’il dispose de ses actes et qu’il en soit responsable. C’est dans cette mesure
qu’il énonce ce verset du Livre qui énonce que « Et tout malheur qui vous atteint, eh bien,
c’est à cause de e que vos mains ont acquis. »51 En conséquence les différents points de vue
sur la question de la causalité entre la prédestination et la liberté humaine, ont divisé les
musulmans en deux camps : l’une constituant les mu’tazilites qui pensent qu’il est une

48
Coran, XXIV, 35 (trad. Masson)
49
Coran
50
Coran LVII, 22 (trad. Masson)
51
Coran XLII, 30
P a g e 47 sur 186
catégorie d’actes dont la création échappe véritablement à Dieu, qui sont les actes humains
volontaires ; et que ce seraient ces actes-là dont Dieu constate la création qui seraient la cause
de la désobéissance de l’homme et aussi de ses bonnes œuvres. Ce serait donc parce que la
création de ces actes échappe à Dieu qu’il peut soit appliquer le châtiment, soit attribuer les
récompenses de l’Au-delà. L’autre constituant les jabrites, qui croient qu’il n’y a absolument
aucune distinction à faire entre les actes humains volontaires, qui impliquent la puissance de
l’homme à les accomplir, et les actes involontaires. Autrement dit l’homme serait simplement
le réceptacle d’actes créés en lui par Dieu. Par conséquent l’homme est contraint à ses actes.
Nous notons également que les Ash’arites partagent leur thèse selon laquelle l’homme est
forcé à agir. A la différence toutefois que les jabrites nient catégoriquement une distinction
entre l’acte naturel qui provient de Dieu, et l’acte volontaire, qui est créé par la puissance à
agir ou l’homme lui-même, alors que sa thèse Ash’arite permet précisément de montrer la
place de l’acte volontaire au sein du conseil éternel de Dieu ( qui est la prédestination), donc
lui l’élabore une distinction des deux.

b) b) Les arguments rationnels


Premièrement la thèse des mu’tazilites selon laquelle l’humain créé lui-même ses acres
reviendrait à dire qu’il y aurait un créateur autre que Dieu, ainsi elle poserait l’homme au
même pied que Dieu. Pourtant tous les musulmans sont tous consentant à dire qu’il n’y a
qu’un seul créateur. D’un autre côté, si on suppose que l’homme est contraint à agir comme le
pensent les jabrites, alors cela reviendrait à dire que l’homme ne dispose plus de la liberté
dont il est sensé jouir pour appliquer les lois donc il ne peut plus assumer les conséquences
de ceux-ci. Or l’énoncé divin affirme que l’on n’est chargé que ce que l’on peut assumer52.
Autrement dit seuls les êtres inertes seraient dénués de puissance à agir, donc l’homme parce
que vivant, ne pourrait ne pas avoir la puissance à quelque chose qu’il ne pourrait assumer. Le
fait que l’homme réalise les actes montrent qu’il a la puissance d’agir qui lui permet
d’assumer ses responsabilités. L’homme n’aurait pas la volonté d’agir s’il était inerte. La
puissance constitue donc une partie des conditions de la réalisation de l’acte au même titre
que la santé d’esprit car un malade mental n’est pas responsable de ses actes pour la loi
musulmane.

C’est en s’appuyant sur cette thèse selon laquelle il est impossible que l’homme soit chargé de
ce qu’il ne peut assumer, que le grand vizir des sultans seljouqides, Abû l-ma’ali, va suivre le
raisonnement des mu’tazilites à la différence que ceux-ci affirmaient que les actes et la
52
Coran
P a g e 48 sur 186
puissance de l’homme avaient d’abord été créé par Dieu et que ce serait maintenant lui qui les
a donné à l’homme afin qu’il soit autonome. Tandis que lui, Abû l-ma’ ali, en déclarant que
l’homme lui-même réalise l’acquisition de ses actes et qu’il a la puissance de les accomplir,
supposerait qu’il y aurait un autre créateur autre que Dieu et égal à lui puisqu’effectuant les
mêmes actes que lui.

Pourtant les Ash’arites anciens estimaient possible que l’on fut chargé de ce qu’on ne peut
assumer parce que, pour eux, Dieu échappe Lui-même à la Loi qu’Il a édicté pour les
hommes. Contrairement aux Mu’tazilites pour qui la conduite de l’homme lui provient de
Dieu, avant qu’il la possède. Il y a donc des choses que Dieu ne pourrait pas faire parce que ce
serait indigne de Lui, qui ne eut être que juste et bon.

Néanmoins, le fait de rejeter la thèse de l’acquisition de l’homme renvoie à rejeter un ordre


donné à quelqu’un. Par exemple, pour se préparer à faire face à une catastrophe prévisible,
ainsi que tous les arts dont l’homme dispose. En effet, un art est un agir que Dieu a créé et a
attribué à l’homme pour qu’il en soit responsable. A l’instar de l’art de la guerre, nautique,
médecine, agriculture, etc. Or ce serait absolument dépourvu de sens. Donc, cela n’est guère
concevable.

En somme, il est clair que Dieu a créé des puissances pour nous, pour que nous soyons
capables de maitriser le monde et ses humains, afin de nous épanouir. Mais l’application de
ces arts n’est possible que si l’on respecte les conditions que Dieu met à notre disposition afin
de nous aider, mais aussi que l’on cesse de faire tout ce qui est en opposition avec
l’accomplissement e nos actes. Mais il est aussi important de soulever que l’accomplissement
de ces actes qui nous ont été attribués relèvent aussi de notre volonté parce que avant de
respecter ces conditions de Dieu et de rejeter ce qu’Il refuse, il faut d’abord que nous ayons
même la volonté. On appellera donc « décret divin » le lien entre notre volonté et les actes que
Dieu nous procure.

Toutefois ces causes que sont les conditions adjuvantes, constituent souvent la raison de nos
désirs. Puis la volonté qui n’est rien d’autre qu’un désir qui survient en nous à cause d’un acte
d’imagination ou de notre assentiment à quelque chose. Or ce ressenti provient de l’extérieur.
En effet lorsqu’on est en face d’une chose que l’on désire on est attiré par elle, elle éblouit ; et
lorsque nous somme devant une chose qui peut constituer un danger, on fuit. C’est dans ce

P a g e 49 sur 186
sens que l’enoncé divin dit que « des anges sont attachés aux pas de l’homme ; devant lui et
derrière lui, ils le tiennent sur l’ordre de Dieu. »53

En outre, la contradiction entre l’affirmation de la liberté humaine et de la prédestination qui


est supposé par la prescience absolue et la toute-puissance divine, se résorbe dans le
déterminisme universel des causes efficientes. Partant de la thèse « Il n’y a d’agent que Dieu
», In Rushd prend position en leur faveur en disant que toutes ces causes extrinsèques ne sont
appelées agentes qu’au sens figuré parce que c’est lui qui les a fait comme causes et qui veille
sur leurs retombées. Cela se comprend par les sens et la raison d’une part en constatant qu’il y
a des choses qui engendrent d’autres choses dans l’ordre, et ce premièrement par les natures et
les âmes, qui désignent ici la substance des morts et la substance des vivants, insérées dans la
substance des êtres ; deuxièmement, des autres êtres dont Il les a entouré extrinsèquement.
Les plus reconnaissables parmi ces choses extrinsèques ce sont les mouvements des corps
célestes. Car on observe bien que la nuit et le jour, le soleil et la lune, et tous les autres astres,
sont non seulement à notre disposition mais aussi maintiennent notre existence et de celle des
choses d’ici-bas. Il apparait également que les eaux, les vents les pluies, et les marrées sont
nécessaires pour les végétaux et les animaux. De même, on remarque également sans les
différentes facultés, que nous ne pouvons vivre excédent une heure de notre venue à
l’existence. Par conséquent, le seul agent au sens propre est en effet Dieu, un Dieu qui porte
un regard détaillé au déroulement de l’être de l’univers selon les lois d’une causalité fixe et
non selon le mouvement des atomes. D’où il soulève le problème de la création du vivant. A
laquelle il répond en distinguant des êtres adventices, les substances et des êtres individuels
qui ont été créé par Dieu et d’autres qui sont des mouvements de la chaleur, du froid, en
somme des accidents. Ceci peut s’illustrer par le cas d’un paysan qui ne fait que amender et
rendre fécond son sol, puis y enfouir une semence. Mais celui qui pourvoit à la constitution
de l’épis de blé, c’est Dieu. C’est à cette idée que fait allusion l’énoncé divin : « O vous les
hommes ! Une parabole vous est proposée, écoutez là. Ceux que vous invoquez en dehors de
Dieu jamais ne créeront une marche, même si tous s’unissaient. »54

2. 2. La question de la justice divine


3. a) Statut du mal et du bien
S’appuyant sur leur mot d’ordre par excellence, les mu’tazilites prétendent que dans le monde
visible quelqu’un n’est qualifié de juste ou d’injuste qu’à cause de la contrainte imposée sur

53
Coran, XIII, 11, p. 187-189 § 290-298
54
Coran XXII, 7 3 (trad. Masson)
P a g e 50 sur 186
ses actes par la Loi révélée. Ainsi un homme est juste si ses actes sont conformes à la Loi et si
il pose des actes contraires à la loi révélée, il est injuste. Ceci en effet parce que le bien et le
mal n’ont pas d’essence spécifique qui permettrait de se détacher de la Loi révélés. Par
conséquent ce qui est juste est bien et ce qui est injuste est un mal. Ainsi si la Révélation
déclare nécessairement de croire que Dieu a un associé, alors ce serait juste.

4. b) Thème coranique de l’engagement des serviteurs

On se pose la question de savoir en tenant compte du statut du bien et du mal, de savoir si ce


thème est injustice ou justice. Selon Averroès, il aurait répondu qu’Il égare et dirige qui Il
veut. A preuve, l’énoncé divin : « Si nous l’avions voulu, nous aurions donné à chaque
homme sa direction. »55 Cela voudrait dire que s’il avait voulu ne pas créer des êtres disposés
à être accidentellement égarés, soit à cause de leur nature, soit du fait de leurs causes
extrinsèques, Il l’aurait fait. A la question de savoir pour quelle besoin, y avait-il de crée des
êtres égarés alors que c’est le comble de l’injustice.

Averroès répondit que c’est la sagesse divine qui l’a voulu et que l’injustice provient du fait
qu’il l’ait eu avant et qu’il n’en est plus. De même les conditions extérieures créées pour
diriger l’homme est l’une des causes de l’égarement de certains hommes.

Dieu a rendu nécessaire l’interprétation de ses énoncés sur ce point parce que les hommes
avaient besoin qu’on leur fasse connaitre que Dieu est juste et qu’il est le créateur du bien
comme du mal parce qu’ils s’adonnaient déjà afflouement aux diverses croyances répandues
dans leurs Nations égarées, qui désignaient l’existence de deux divinités dont l’une serait
créature du mal et l’autre du bien. Mais on leur a fait connaitre le Dieu, Créateur de l’un et de
l’autre, ensemble. Parce que l’égarement des hommes étant un mal, il fallait que ce mal lui
soit attribué de même que le bien lui a été attribué. Ainsi il est le Créateur du bien pour le bien
lui-même et le Créateur du mal en vue du bien à savoir en vue de ce bien qui est apparié à
l’être du mal. C’est le cas du feu qui de base existe parce que constituant un composant des
êtres matériels malheureusement ; le feu occasionne la corruption de certains être. Cependant,
si l’on met ensemble la corruption, le mal et l’existence des êtres, le bien, on s’aperçoit que
l’existence du feu est préférable à sa non existence. Ainsi, le feu est un bien.

55
Coran, XXXII, 13 (trad.Masson)
P a g e 51 sur 186
CONCLUSION

Parvenus au terme de notre étude du texte « le dévoilement des méthodes de démonstration »


dans L’Islam et la Raison dont l’auteur est Averroès. Recherche durant laquelle nous nous
sommes attelés à analyser les interprétations établies des dogmes sur la base du coran. On
observe donc qu’Averroès est un auteur engagé qui présente les différentes conceptions
portant sur les dogmes de l’Islam avec plusieurs thématiques.

P a g e 52 sur 186
TABLE DE MATIERES

I. CONTEXTE HISTORIQUE D’UN AUTEUR ENGAGE .................................................. 34

1. Biographie d’Averroès ................................................................................................ 34


2. Contexte d’élaboration de ce traité.............................................................................. 35
3. Présentation du traité ................................................................................................... 35
II. HERMENEUTIQUES DIVERSES DES DOGMES MUSULMANS ............................... 36

A. Interprétations des Ash’arites ......................................................................................... 36


1. Présentation de la doctrine d’Al Ash’ari ..................................................................... 36
2. Méthodes de démonstration des Ash’arites .................................................................. 38
a) « Que Dieu existe » ................................................................................................................38
b) « Que Dieu est un » ..................................................................................................... 39
c) « Comment est Dieu » ................................................................................................. 39
B. Critique de la méthode Ash’arite par Averroès ............................................................... 40
a) « Que Dieu existe » ................................................................................................................40
b) « Que Dieu est un » ...............................................................................................................41
C. Interprétation proposée par Averroès ............................................................................. 41
1. Présentation de l’Averroïsme d’Averroès ................................................................... 41
2. Méthodes de démonstration proposées par Averroès ................................................... 43
a) « Que Dieu existe » ................................................................................................................43
b) « Que Dieu est un » ...............................................................................................................45
c) « Comment est Dieu » ...........................................................................................................45
d) « Le Dieu de lumière » ..........................................................................................................47
III. QUELQUES THEMATIQUES ET ESSAI DE CONTEXTUALISATION .................... 47

1. LA QUESTION DE LA CAUSALITE : entre liberté et prédestination ...................... 47


a) Les arguments d’autorité ........................................................................................................47
b) Les arguments rationnels .......................................................................................................48
2. La question de la justice divine .................................................................................... 50
a) Statut du mal et du bien ................................................................................................ 50
b) Thème coranique de l’engagement des serviteurs ...................................................... 51

P a g e 53 sur 186
Groupe 4 :
La déconstruction avant la lettre
d’Averroès dans L’incohérence de
l’incohérence

Présenté par :
KAINDA LAO Sylvie
NPUNGU YANGOY Myriam
OYE ABESSOLO Nicaise Gaëlle

P a g e 54 sur 186
SOMMAIRE

SOMMAIRE .............................................................................................................................. 1

INTRODUCTION .................................................................................................................... 56

I – LECTURE RETROACTIVE DE LA DECONSTRUCTION ........................................ 57


A- De Derrida ....................................................................................................................... 57
B- … à Averroès .................................................................................................................. 61
II – ILLUSTRATION DE LA DECONSTRUCTION DERRIDIENNE CHEZ AVERROES
63
A- Objet de la déconstruction : Le plaidoyer de al-Ghazali contre les philosophes ............ 64
B- La Méthode de déconstruction : le réquisitoire d’Averroès ............................................ 66
III – INTERET PHILOSOPHIQUE DE LA DEMARCHE D’AVERROES ...................... 70
A- Esquisse d’une nouvelle pratique .................................................................................... 70
B- Réception de la démarche d’Averroès ............................................................................ 71
CONCLUSION ........................................................................................................................ 72

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................... 73

TABLE DE MATIERES .......................................................................................................... 74

P a g e 55 sur 186
INTRODUCTION
Il suffit de jeter un regard furtif sur deux ouvrages : L’incohérence de l’incohérence du
philosophe musulman Averroès, et De la grammatologie de Jacques Derrida, pour se rendre
compte que, les deux ouvrages ont été rédiger en grande partie dans le même style. Et
pourtant rien ne semble à priori rapprocher les deux auteurs. En effet la première œuvre date
de la période médiévale ; il s’agit d’une réplique point par point au livre du persan al-Ghazali
intitulé

« Incohérence des philosophes », qui s’attaquait à la philosophie en générale et aux


philosophes en particulier. Un siècle plus tard Averroès répliqua en levant toutes les
équivoques soulevées par son adversaire, et en conciliant par la même occasion la philosophie
et la religion notamment la religion musulmane. Le second ouvrage quant à lui a été publié en
1967. L’étymologie de son titre : du grec « grammatiké » et « logos », nous renvois
inévitablement à une science des lettres.
C’est dire qu’ici, c’est le domaine de la linguistique qui semble être mis en avant. Dans De la
grammatologie, le philosophe français développe une véritable science de l’écriture, celle-ci a
eu pour finalité d’ériger une nouvelle pratique qui est la « déconstruction ». La déconstruction
peut être considérée comme un concept ambigu du fait de la difficulté à saisir et à définir ce
qu’elle est véritablement. Au sujet de la définition de la déconstruction Derrida déclare : «
Toute phrase du type « la déconstruction » est X ou « la déconstruction » n’est pas X manque
à priori de pertinence, disons qu’elle est au moins fausse »56 cette difficulté de
compréhension de la déconstruction ne saurai donc faciliter une analogie avec la critique faite
par Averroès.
Cependant, au-delà des divergences sus mentionnées entre les deux philosophes, l’impression
de départ suscite quand même l’étonnement. On se pose la question de savoir, si les
ressemblances apparentes qu’on observe de prime à bord, peuvent induire une filiation de
fond dans les deux ouvrages ? Autrement dit, peut-il y avoir une relation entre L’incohérence
de « l’incohérence » d’Averroès et De la grammatologie de Derrida ? L’intitulé de notre
thème : « La déconstruction avant la lettre d’Averroès dans L’incohérence de « l’incohérence
», laisse planer un certain assentiment avec la position selon laquelle, il existerait bel et bien
un lien entre les deux œuvres. Pour le démontrer, nous emploierons une démarche tripartite
qui va consister : dans un premier mouvement, à effectuer une lecture rétroactive de la
déconstruction, de Derrida à Averroès, afin d’établir de manière objective le lien qui existe
entre le philosophe musulman et Derrida ; par voie de conséquence nous illustrerons dans un

56
Jacques Derrida dans « Lettre à un ami japonais », publié dans la revue Le Promeneur, Octobre 1985.
P a g e 56 sur 186
second mouvement, la déconstruction derridienne dans L’incohérence de « l’incohérence » ;
et pour finir, il sera question de relever l’intérêt de la démarche d’Averroès.

B. I – LECTURE RETROACTIVE DE LA DECONSTRUCTION


L’histoire de la « déconstruction » est assez complexe. Si à l’origine ce terme soulève un
souci de traduction pour Jacques Derrida qui : « Souhaitais traduire et adapter […] les mots
heideggériens de Destruktion ou de Abbau. Tous les deux signifiaient dans ce contexte une
opération portant sur la structure ou l’architecture traditionnelle des concepts fondateurs de
l’ontologie ou de la métaphysique occidentale »57, il n’en demeure pas moins que cette
adaptation va jouer un rôle central dans le discours de Derrida. Ainsi au-delà d’un simple
problème de sémantique, Derrida va proposer une nouvelle manière d’aborder les textes
littéraires et philosophiques. Ses travaux s’inscrivent dans le courant poststructuraliste, et se
réfère à une perspective critique ayant émergé dans les années soixante-dix et qui détrône le
structuralisme comme figure dominante de pensée du langage et du texte. Cependant ses
travaux peuvent également dans une certaine mesure trouver des assises dans la période
médiévale ; ou la déconstruction tel que développée par Derrida, se confond avec une critique
faites par Averroès aux pourfendeurs de la philosophie. Comment donc comprendre ce
phénomène ? Avant tout débat sur le fond retraçons l’histoire, de Derrida à Averroès.

1. A- De Derrida…
Le point de départ de notre travail consiste à analyser la déconstruction. Plus précisément
il est question de savoir : qu’est-ce que la déconstruction ? En quoi consiste-t-elle ou du moins
quels sont les modalités qui la régissent ? Toute tentative de réponse à ces préoccupations
doivent être précédées par une présentation de son auteur.

a) 1- Qui est Derrida


Philosophe français, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Science Sociales,
professeur de l’université de Californie, Jacques Derrida est né le 15 Juillet 1903 à El Biar
(Algérie française) et mort le 9 Octobre 2004 à Paris. Issu d’une famille de juif séfarades, si
les

Derrida sont français, c’est grâce au décret Crémieux de 1870, qui octroie aux trente mille
juifs installés en Algérie la nationalité française. Or en 1940, le régime Vichy abroge le décret

57
Ibidem
P a g e 57 sur 186
Crémieux et les Derrida comme tous les juifs algériens, sont déchus de la nationalité
française.
Commence alors ce que l’historien Benjamin Stora appelle l’« exil intérieur » de Derrida. Il
est marqué par les discriminations subies par les juifs d’Algérie. En effet l’article 2 du statut
des juifs du 3 Octobre 1940 excluait les juifs de l’enseignement et de la justice. Derrida est
exclu de son lycée et est contraint de poursuivre ses études au lycée Emile-Maupas non loin
d’une rue dans laquelle, derrière la cathédrale d’Alger, les enseignant juifs expulsés de la
fonction publique avaient reconstitué un enseignement. En 1947 Derrida est à nouveau inscrit
au lycée Ben Aknoun ; désormais sportif, il participe à de nombreuses compétitions et rêve de
devenir footballeur professionnel. Mais c’est aussi à cette époque qu’il découvre le lit des
philosophes et écrivains comme Rousseau, Nietzche, Kierkegaard et Heidegger ; l’orientation
philosophique se précise. Envoyé en France pour poursuivre ses études, il arrive pour la
première fois dans l’hexagone qui le déçoit aussitôt « d’Alger, ville blanche, j’arrivais à Paris,
ville noire. » Après trois ans passé à Khâgne dans des circonstances difficiles, Jacques
Derrida intègre finalement l’Ecole Normale Supérieur de la rue Ulm en 1952 après plusieurs
tentatives. Les années que Derrida passa à L’Ecole Normale Supérieure comptent sans doute
parmi les plus grands moments de l’histoire intellectuelle de cette institution. Dans les
couloirs, circule en ce début des années 1950, la fine fleur de la génération intellectuelle à
venir : Michel Foucault, Pierre

Bourdieu, Emmanuel le Roy, Claude Passeron entre autres. Mais avant qu’ils ne forment la
génération structuraliste, ces jeunes esprits ont une passion intellectuelle : la phénoménologie
; Le philosophe allemand Husserl est incontournable, on lit également son disciple rebelle
Heidegger fondateur allemand de l’existentialisme, ainsi que Merleau-Ponty, l’importateur de
la phénoménologie en France que, les normaliens trouvent plus sérieux que Sartre.

Le parcours scolaire et Académique de Jacques Derrida montre que tout son projet
philosophique est intimement lié à son parcours. L’antisémitisme dont il a été victime le
prédispose à une rébellion contre les systèmes. Ses études scolaires bien que mouvementés
l’initient à la pensée philosophique, mais c’est à l’école Normale que son projet prend forme.
En effet, tout comme celui de Foucault ou Bourdieu, le murissement de la philosophie de
Derrida passera par une révolte œdipienne contre la phénoménologie. Dès ses premiers
travaux, Derrida s’en prend aux principales notions husserliennes : le sens, la présence,
l’essence etc. Mais surtout, il conteste que les phénomènes soient « donnés » à une conscience

P a g e 58 sur 186
et que leur sens soit transparent. La matrice philosophique de Derrida prend ainsi corps dans
ses premiers livres au rang desquels on peut citer De la grammatologie autour duquel
s’articule la déconstruction.

b) 2- Les modalités de la déconstruction


Paru en 1967, De la grammatologie demeure incontournable parmi les ouvrages derridiens
; non seulement parce qu’elle constitue le point de départ de sa pensée, mais aussi parce
qu’elle initie une nouvelle manière de penser les sciences humaines. Ainsi donc, pour
comprendre les modalités de la déconstruction, une lecture à la fois analytique et thématique
de cette œuvre s’impose.

Du point de vue analytique, De la grammatologie se subdivise en deux parties. La


première partie, celle qui nous intéresse s’intitule : « L’écriture avant la lettre ». Elle
développe les dispositions théoriques de la déconstruction et est constitué de trois chapitres.
Dans l’exergue de cette partie, Derrida présente l’antinomie entre l’oralité et l’écriture. Pour
lui, l’écriture ne rend plus compte de la voix mais est tributaire des conventions préalablement
établies. Dans ce contexte, la parution De la grammatologie se veut une réponse à la nécessité
grandissante d’une réaction à l’ethnocentrisme « Qui, partout et toujours, a dû commander le
concept de l’écriture »58. Le premier chapitre de la grammatologie se termine par une
interprétation de la philosophie Hégélienne dans son rapport à l’histoire du logocentrisme59.
Par le titre « La fin du livre et le commencement de l’écriture » Derrida veut signifier la
distance entre deux termes qui pourraient paraitre indissolublement unis : le livre et l’écriture.
L’écriture livresque telle qu’elle a été conçue par la tradition logocentrique, ne devrait qu’être
interprété qu’en un sens métaphorique, elle n’a rien à voir avec la grammatologie qui viendrait
ainsi annoncer la fin du logocentrisme. Hegel nous dit Derrida est le « Dernier philosophe de
livre et le premier penseur de l’écriture »60. Dans le deuxième chapitre intitulé : «
Linguistique et grammatologie », Derrida s’attaque à la conception saussurienne du langage.
En effet tout le cours de Saussure6 dont se réclame la linguistique comptemporaine est une
position nettement déclarée du logocentrisme.

58
Jacques Derrida, De la grammatologie, Paris, Les Editions de Minuit, 1967, p 13.
59
Tendance d’un discours à s’enfermer dans la propre logique de son langage et à le considérer comme un
modèle de référence.
60
Jacques Derrida. De la grammatologie, Paris, Les Editions de Minuit, 1967, p
41. 6 Ferdinand Saussure, Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1985
P a g e 59 sur 186
Ce dernier commence par « liquider » l’écriture et la mettre hors du champs d’étude du
langage, ce qui laisse à Derrida de penser que : si l’écriture apparait comme une menace pour
la parole, son rôle n’est peut-être pas extérieur au langage que Saussure semble admettre.
Cette extériorité de l’écriture n’est que factif, car l’extériorité pure selon Derrida n’existe pas,
elle n’a de sens que, le dehors n’est jamais que le dehors d’un dedans et qu’ainsi, en voulant «
bouter dehors » l’écriture, en réalité il la fait rentrer sournoisement au cœur même du langage.
On le voit bien l’écriture occupe une place de choix dans l’œuvre du philosophe français, c’est
la raison pour laquelle il décide de fonder une science de l’écriture, une discipline en tant que
science, tel est l’objectif du troisième chapitre. Le mot grec de grammatologie signifiant
science des lettres au sens d’éléments graphiques, Derrida annonce une approche scientifique
de l’écriture. Mais audelà des éléments graphiques envisagés il est d’avantage question de la
place de l’écriture dans l’activité intellectuelle.

La science de l’écriture avance, et c’est non seulement sa démarcation avec le


logocentrisme mais plus encore sa relation à la pratique de la déconstruction dont il est ici
question. Pour
Derrida on ne peut approcher l’essence des mots qu’au fur et à mesure des substitutions des
permutations auxquelles obligent l’exercice aveugle de la traduction. Le déplacement peut
également s’étendre au sens même des concepts et leur temporalité. C’est ainsi que la «
sic
différance » et la « dissémination » sont incontournables dans le processus de
déconstruction.

Au sujet de la différance, Charles Raymond61 la considère comme l’emblème de la


philosophie de Derrida, son coté séduisant et déstabilisateur, traduit les multiples directions de
la recherche derridienne : « C’est un foyer de croisement historique et métaphysique ; c’est
surtout l’impossibilité structurelle de clore un réseau, d’arrêter son tissage, d’en tracer une
marge qui ne soit une nouvelle marque »62. Lié à la différance, La dissémination est le
mouvement propre du texte qui se décontextualise et voyage sous forme de citations parmi les
textes qui le suivent. La dissémination du texte permet donc à Derrida de reformuler l’idée
même du contexte et ses implications philosophiques. Le philosophe de la déconstruction met
en évidence les apories sous-jacentes, au système totalisant de l’organisation contextuelle

61
Charles Raymond, Vocabulaire de Derrida, Paris ; Ellipses, 2001.
62
Jacques Derrida, Positions, Paris, les Editions de Minuit, 1972, P 54.
P a g e 60 sur 186
propre à la tradition philosophique, métaphysique, marquée par la peur de l’écriture et un
manque de contrôle dans son usage. Tel est donc là l’économie de la déconstruction.

En somme, la pensée, qu’on appelle désormais « Derridienne », de l’écriture, de la


différance, et de la dissémination, ne permet plus de penser le sens en deca ni au-delà du texte.
Pour le philosophe français la pensée ne désigne pas uniquement, ni toujours la chose écrite,
mais une structure différentielle ou le sens apparait dans la division. Il est donc question pour
le lecteur qui veut mesurer les enjeux véritables d’un texte ou d’une pensée d’être attentif à ce
qui se joue dans l’écriture où s’entremêlent les énoncés discursifs, les analyses conceptuelles
et les équivoques poétiques ou les dispositifs textuels les plus complexes. C’est l’exercice
auquel s’est attelé le philosophe Averroès contre les pourfendeurs de la philosophie.

2. B- … à Averroès.
La relation entre Averroès ne peut véritablement être établit qu’en retraçant dans un premier
temps le parcours de Averroès.
a) 1- Présentation de Averroès (1126-1198)
Juriste, philosophe, théologien, médecin musulman d’Espagne, Averroès (Ibn Rushd) naquit à
Cordoue en 1126, dans une famille de juristes malékites. Sa formation juridique fut donc très
soignée et il devait particulièrement se distinguer dans la science du Khilâf, c’est-à-dire des
divergences qui opposent les écoles juridiques. Il s’initia aussi à la science du hadîth
(traditions du prophète) sans s’y spécialiser. Il étudia la théologie (kalâm) ash’arite caractérisé
par la recherche d’un juste milieu entre un excès de rationalisme et un excès de littéralisme. Il
devait d’ailleurs la critiquer plus tard à travers l’œuvre de al-Ghazâli et rejeter toute théologie
en dénonçant la démarche purement dialectique de cette pensée. Averroès étudia aussi la
médecine.

C’est sans doute cette science qui lui donna accès aux « sciences des Anciens », c’est-à-dire à
la philosophie grec. En effet Galien, le maitre Arabe en ce domaine, leur livra en même temps
tout un ensemble de connaissance d’ordre philosophique. La carrière d’Averroès est en
relation étroite avec la politique religieuse et culturelle des Almohades. En 1153, il se trouve à
Marrakech où il aurait secondé le sultan ‘Abd al-Mu’min dans son projet de création de
collège. Mais c’est surtout en 1169 qu’il fut présenté par le médecin philosophe Ibn Tufayl au
successeur de ‘Abd al-Mu’min, Abû Ya’qûb Yûsuf, prince éclairé qui discuta avec lui sur la

P a g e 61 sur 186
question de l’éternité de la substance du ciel. Averroès put montrer l’étendue de ses
connaissances. Ce même prince souhaitait qu’on lui expliquât clairement les textes d’Aristote
qu’il jugeait obscurs. Ibn Tufayl, s’estima trop âgé pour exécuter ce travail, en aurait chargé
Averroès. Telle fut, selon les biographies Arabes, l’origine des différents commentaires. A
partir de 1169 il commença la rédaction des dits commentaires. Dans la mesure ou l’état des
traductions du grec en arabe le permettait, il a réussi à faire un travail objectif. Mais les textes
arabes sur lesquels il travaillait était souvent sibyllins et ajoutaient à la difficulté des textes
d’Aristote. Averroès réussit malgré cela à retrouver la pensée du Stagirite et corriger les
traductions, mais il lui arrive aussi de commenter un contresens. Néanmoins il ne se laisse pas
alors entrainer vers des conceptions qui altéraient profondément la pensée du Maitre : il avait
saisi l’esprit, ce qui l’empêchait de s’égarer. Quoi qu’il en soit, il prend position contre les
commentaires, tel celui d’Avicenne (Ibn Sina), influencé par le néoplatonisme.

Le parcours d’Averroès démontre comment ce dernier a été initié aux sciences :


juridique, théologique et philosophique. A travers ses commentaires il embrassera toute la
pensée d’Aristote mais c’est davantage à travers l’exercice de traduction du grec à l’arabe
auquel il se livre dans ses travaux, qu’on peut déduire les premiers rapprochements avec
Derrida. Car pour ce dernier on ne peut approcher l’essence des mots qu’au fur et à mesure
des substitutions des permutations auxquelles obligent l’exercice aveugle de la traduction
(confère modalités de la déconstruction).

b) 2- Corrélation Avec Derrida


La corrélation entre Derrida et Averroès semble être en réalité une opération difficile car il
n’existe à priori aucune filiation possible entre les deux philosophes. Cependant au-delà de
l’opposition de ces deux auteurs, on peut soulever une certaine équivocité dans leur
méthodologie. En effet, tout comme Derrida, la démarche usitée par Averroès contre les
pourfendeurs de la philosophie s’articule autour de trois points que sont : L’écriture, la
différance et la dissémination qui sont les axes majeurs de la déconstruction. Au sujet de
l’écriture, dès l’entame de sa critique contre les philosophes, Averroès s’attaque aux
arguments qui soustendent la thèse adverse : « Il s’agit de déterminer la nature des arguments
employés par alGhazali : le plus souvent ceux-ci restent en deca du degré de certitude »63.
Averroès va ainsi procéder à une analyse systématique des textes en causes afin de

63
Alain de Libera, L’islam et la raison Paris, Edition Flammarion, 2000, p.65.
P a g e 62 sur 186
déconstruire le sens communément admis. Pour ce qui est de la différance, Averroès va réunir
deux pôles jusqu’ici diamétralement opposé : la théologie et la philosophie. En effet si,
pendant longtemps, on opérait une séparation stricte entre la foi (religion musulmane) et la
philosophie, Averroès est le philosophe qui va interpréter les textes du Coran à la lumière de
la doctrine philosophique. On voit par cette démarche un dépassement de la conception
métaphysique hiérarchisant et les dichotomies qui avaient survécu jusqu’alors et sur lesquels
tout le raisonnement logique du monde était fondé. Désormais la foi et la raison ne sont
appréhender comme des réalités diamétralement opposées, elles sont toutes les deux une
démarche vers la Vérité : telle est le chemin emprunter par Averroès pour défendre sa Thèse.
In fini, pour parler de la dissémination qui est le troisième pôle de notre travail ; Averroès
décontextualise les textes de son principal pourfendeur ; textes qui datent d’un siècle avant lui
; pour les analyser et ressortir un sens qui dans la plupart des cas entre en contradiction avec le
sens initial. On voit ainsi réuni chez Averroès dans sa démarche tous les procès de
déconstruction développer par Derrida. Reste des lors de présenter d’une manière concrète
comment se matérialise la déconstruction chez Averroès.

C. II – ILLUSTRATION DE LA DECONSTRUCTION DERRIDIENNE CHEZ


AVERROES
Après avoir présenté les données purement théoriques de la déconstruction, il est
désormais question pour nous de l’illustrer dans l’incohérence de « l’incohérence » de
Averroès. Le point de départ de notre démarche est une querelle dans l’histoire de la
philosophie musulmane. Cette querelle a mis au prise deux protagonistes qui sont Al-Ghazali :
théologien musulman et penseur du XIe siècle, et Averroès philosophe, théologien, juriste et
médecin musulman. Le premier, publie un livre intitulé Tahafut al-Falasifa ou Incohérence
des philosophes, qui est un véritable traité contre la philosophie et les philosophes ; Le
second, Averroès, en réaction contre le rationalisme de Ghazali, répliqua un siècle plus tard
par son Tahafut al-Tahafut c’est-à-dire Incohérence de « l’incohérence ». Ainsi au-delà de la
polémique relative aux rapport entre foi et raison, on voit en germination les premières
esquisses de la déconstruction derridienne.

P a g e 63 sur 186
1. A- Objet de la déconstruction : Le plaidoyer de
Al-Ghazali contre les philosophes
Al-Ghazali peut être considéré comme l’un des théoriciens les plus influents de son époque.
Expert en théologie naturelle (kalâm) ce dernier s’érige contre la tradition proprement
philosophique (la falsafa). Avant de s’appesantir sur les arguments qui l’opposent aux
philosophes présentons d’abord le personnage.

a) 1- Panorama sur la vie de al-Ghazali


Abu Hamid Mohammad Ghazali naquit en 1059 à Ghazal eh, bourgade des environs de tus.
Avec son frère Ahmad, leur père les avait confiés à un ami soufi avant sa mort, dont ils
reçurent leur première éducation. Le jeune Abu Hamid se rendit à Nichapour qui était alors un
des centres intellectuels le plus importants du monde islamique. C’est là qu’il fait
connaissance avec le maitre de l’école des Ash’arite de son temps, Imam Al-Hramayn, dont il
devint disciple. A la mort de celui-ci, il entre en relation avec Vizir Nizâm Al-Molk, fondateur
de l’université de Baghdâd. Ghazali y sera nommé professeur en 1091, de là, sa vie prend un
tournant décisif, le milieu est favorable à l’épanouissement de sa personnalité ce qui lui
permet d’approfondir sa connaissance la philosophique. C’est à cette époque qu’il écrivit deux
livres importants : les intentions des philosophes « Maqasid Al-falasifa » ou il expose la
doctrine d’Avicenne, Cet ouvrage fit passe Ghazali pour collègue de Fârâbî et d’Avicenne et
l’entraine dans la polémique contre les philosophes arabes au vue des Scolastiques latins. Le
deuxième ouvrage L’incohérence des philosophes vient réhabiliter sa notoriété. C’est la
célèbre et violente attaque contre les philosophes ou al-Ghazali, s’attaque à toute les doctrines
qui sont en contradiction avec l’enseignement du Coran. Il argumente de manière dialectique
contre vingt questions qui à son avis résume toutes l’exégèse de la doctrine philosophique.

b) 2- Les questions philosophiques réfutées par al-Ghazali


Ayant pris part aux affrontements politiques et intellectuels majeurs qui secouaient le
monde islamique, et animé par une réelle soif de comprendre les autres, al Ghazali occupe ses
heures vacantes à étudier toutes les doctrines religieuses et philosophiques de son temps. Il
étudie longuement la philosophie celle des Grecs (d’Aristote, de Platon et de Plotin en
particulier) et la philosophie islamique, notamment Ibn Sina et al-Fârâbî afin de mieux les
réfuter. Les arguments déployés par al-Ghazali contre les philosophes s’articulent autour de
deux axes : les questions métaphysiques et les questions physiques.
P a g e 64 sur 186
Pour les questions métaphysiques, il estime que la plupart des doctrines philosophiques
sont contraires à la vérité. Ce sont entre autre les questions relatives à :
1. L’éternité du monde dans le passé,
2. Son éternité dans le futur ;
3. La fallacie de la doctrine philosophique du Dieu Artisan ;
4. Qu’ils ne peuvent prouver que Dieu est l’Artisan du monde ;
5. Qu’ils (les philosophes) ne peuvent prouver l’unicité de Dieu ;
6. Des attributs divins ;
7. Dieu est au-dessus de la diversification du genre en différences spécifiques ;
8. Que Dieu n’a pas de quiddité ;
9. Incapacité de prouver l’incorporéité de Dieu ;
10. Incapacité de prouver qu’il y’a un Artisan du monde ;
11. Incapacité de prouver que Dieu connait les autres choses ;
12. Incapacité de prouver qu’il se connait lui-même ;
13. Dieu ne connait pas les particuliers ;
14. Incapacité de prouver que le ciel est animé ;
15. La cause finale de mouvement terrestre ;
16. Les âmes célestes connaissent les particuliers.
Ghazali critique minutieusement chaque point susmentionné en utilisant des tournures très
complexes. Il remet en question l’incorruptibilité de l’univers et du mouvement dans les
questions 1 et 2 ; Il montre l’incapacité des philosophes à prouver l’existence du créateur et de
sa causalité dans la troisième et quatrième question. Leur incapacité de prouver l’unicité de
Dieu dans la cinquième question ; leur négation des attributs divins dans la sixième question,
sa transcendance dans la septième question, son essence dans la huitième question, son
incorporalité dans la neuvième question, leur athéisme dans la dixième question, la
connaissance divine ( omniscience) dans la onzième, douzième et treizième question, les
sphères célestes et leur animation dans la quatorzième question, la finalité de leur mouvement
dans la quinzième question et la connaissance que des âmes des sphères auraient conscience
du monde sublunaire dans la seizième question. De ce qui précède, al-Ghazali pensent que les
thèses philosophiques, ne sont nullement compatibles avec l’islam, c’est pourquoi il taxe les
Philosophes de menteurs ; ce qui doit conduire à leur excommunication.

P a g e 65 sur 186
Pour les questions physiques, il les résume en des questions qui traitent la science de
l’âme et ses implications eschatologiques, ou sont mêlées vérités et erreurs. Les quatre
questions réfutées renvoient à l’homme, l’âme et au monde. Il s’agit de :

1. La causalité ;
2. Incapacité de prouver que l’âme est une substance spirituelle
3. La rémanence de l’âme ; 4. La résurrection corporelle.
Les questions physiques, qui portent sur les ramifications religieuses, imposent de
considérer les Philosophes comme des innovateurs blâmables.
Al Ghazali, l’homme qui s’est consacré à l’étude à rechercher des méthodologies de la
pensée humaine et les règles normatives de la réflexion intellectuelle, à travers son étude de la
philosophie et ses compositions d’ouvrages philosophique, il n’a recherché que la vérité
théologique et eschatologique. Il réfute les opinions des philosophes sans toutefois appuyer
une doctrine au détriment d’une autre, ou en se reliant à un groupe en dépit de son adversaire.
Il reste fidèle à son dessein derrière l’écriture de son livre « tahafut » en montrant leur
incohérence. Les grandes lignes de ces quelques questions tournent autour de trois sujets :
l’univers, Dieu et l’esprit humain. Les questions réfutées par Ghazali constituent la raison de
la critique d’Averroès. Il écrit L’Incohérence de « L’Incohérence » pour donner des réponses
aux attaques de Ghazali. Dès lors qu’est ce qui fait l’objet de la critique contre al-Ghazali ?
Quelles méthodes

Averroès utilise-t-il pour montrer l’incohérence dans ce que dit Ghazali ? Ces interrogations
nous amènerons à découvrir les méthodes de la déconstruction que va adopter Averroès pour
démentir l’Incohérence des philosophes.

2. B- La Méthode de déconstruction : le réquisitoire d’Averroès


La thèse de al-Ghazali exposé, reste désormais à mettre en exergue les arguments de
réfutation de cette théorie. Comme nous l’avons démontré depuis le début de notre travail
Averroès pour se relever de ce qui a été considéré à l’époque comme « un coup fatal porté
contre la philosophie » a recours à la déconstruction. Et pour le faire, le philosophe de
Cordoue fait recours aux outils de logique formelle et utilise un niveau de langage vulgarisé
pour démontrer la véritable quiddité des théories philosophiques.

P a g e 66 sur 186
a) 1- Le recours aux outils de logique formelle
Pour répondre à la critique adressée aux philosophes, Averroès commence par souligner
une contradiction : « Tout l’effort de Ghazali est de démontrer aux philosophes que, la
démonstration philosophique ne démontre rien. Malheureusement, il est contraint de le
démontrer précisément par une démonstration philosophique »64. Or la démonstration dont il
est question ici renvoie à la logique formelle dont on attribue la paternité à Aristote65. Ainsi,

Averroès en tant que grand exégète d’Aristote va déceler un certain nombre de faille dans le
raisonnement de Ghazali. Celles-ci sont relatives tantôt au sophisme tantôt au syllogisme qui
sont deux outils de logique formelle.

 A propos du sophisme
C’est un raisonnement erroné en apparence vraie. En règle générale, si le sophisme est
commis de bonne foi, c’est-à-dire sans intention de tromper : c’est un paralogisme.
Cependant, qu’il soit commis de bonne ou de mauvaise foi, le sophisme souligne une erreur
qui, peut provenir soit du langage ou des idées dans le raisonnement. Si l’on se réfère aux lois
de l’argumentation, on en présence d’un schéma ou, l’antécédent est faux et le conséquent est
vrai.

Dans l’incohérence de l’incohérence, Averroès commence par souligner une certaine


cohérence dans le raisonnement de son adversaire, mais il décèle également une erreur
capitale. La thèse de ce dernier ne : « repose pas sur des prémices vraies »66, autrement dit ses
prémices ne sont pas universelles, et comme le souligne Averroès : « Al Ghazali n’a qu’un
tort : avoir pris pour argent comptant ce que lui apprenait Ibn Sina, en omettant de se
reporter à la source de toute philosophie, Aristote et ses bons commentateurs »13

De ce qui précède il ressort que, le raisonnement de Ghazali est bel et bien un sophisme et
pour être plus précis il s’agit d’un paralogisme. Et si l’on pousse l’analyse plus loin en tenant
compte de la typologie des sophismes, on peut même conclure sans risque de se tromper
qu’on a affaire à une pétition de principe.

 Au sujet du syllogisme

64
Henry Corbin cite Averroès dans, Histoire de la philosophie islamique, Editions Gallimard, 1964, p.
65
Aristote expose de manière systématique les formes de la pensée et de la démonstration dans son ouvrage
intitulé Organon.
66
Alain de Libera, L’islam et la raison Paris, Edition Flammarion, 2000,
p.165. 13 Ibidem
P a g e 67 sur 186
A la différence du sophisme évoqué plus haut qui, décèle les failles dans le raisonnement
de al-Ghazali, le syllogisme intervient pour lever les équivoques sur les thèses philosophiques
qui, pour la plupart du temps ont été mal comprise par les théologiens musulmans et certains
commentateurs d’Aristote (Ibn Sina et al-Fârâbî). En effet al-Ghazali ayant traité les
Conclusions des philosophes à propos de l’être divin d’élucubrations, le philosophe de
Cordoue va se défendre en proposant une leçon de syllogisme à ce dernier afin de monter la
quiddité des thèses philosophiques en cause.
A titre de rappel, le syllogisme est l’argumentation dans laquelle d’un antécédent qui
compare deux termes à un troisième, résulte nécessairement un conséquent qui unie ou sépare
les deux termes. Les syllogismes sont abondamment utilisés dans les démonstrations et
déterminent la cohérence dans le raisonnement. Ne pouvant pas, pour les nécessités de
méthodologie, épouser tous les contours des syllogismes, nous évoqueront uniquement les
règles pris en compte par Averroès. Celles si sont en grandes partie relative à la rhétorique, on
peut citer parmi elles :

 La loi relative aux prémices rhétoriques. Cette loi stipule que, dans la démonstration :
« Les prémices utilisées ici proviennent des choses, d’objet, d’opinions admises du
point de vue immédiat, non des choses dont on n’est pas convaincu, à moins que ces
prémices proviennent des choses qu’il est possible d’admettre et dont il est possible
d’être persuadé peu de temps après »67 Averroès illustre cette règle en montrant que la
proposition selon laquelle : « le soleil est cent soixante-dix fois plus grand que la terre
», ne saurait être admise du point de vue immédiat car le soleil est, à l’œil nu un petit
astre.
 La règle de l’ordre ordre d’apprentissage de la discipline : on ne peut aborder les
questions physiques et métaphysiques si l’on a pas étudié d’abord la logique.
 A propos des sciences théoriques notamment celles relatives aux sciences divines, il
n’existe pas des prémices généralement admise du point de vue immédiat. La raison
est que les réalités divines n’ont de correspondances dans le monde sensible.
En somme, il ressort de notre analyse que le sophisme et les syllogismes permettent de
mettre en évidences les incohérences. Qu’il s’agisse des erreurs dans le raisonnement ou
dans la compréhension, ces deux outils analysent la cohérence dans le langage. C’est dire

67
Alain Libera cite le, Commentaire moyen de la Rhétorique, en note de bas de page dans, L’islam et la raison,
Paris, Editions Flammarion, 2000, p 168.
P a g e 68 sur 186
que le langage occupe une place importante dans la démonstration. C’est la raison pour
laquelle Averroès va dès lors développer, contre ses adversaires un traité (thèse
philosophique) à l’intention du non-philosophe.
b) 2- Le recours à un langage philosophique vulgarisé
La démonstration n’est pas uniquement tributaire de la logique, elle tient également
compte du niveau de langage. A ce propos, le « Philosophe dans la cité est tenu de maitriser
les différents registres du langage »68. Averroès ne va pas déroger à cette règle ; ce dernier va

« Utiliser un langage philosophique vulgarisé, mis à la portée du non philosophe (…) pour
faire pièce aux retombées de l’offensive ghazalienne »16. Il va donc épurer les thèses
philosophiques en cause, de toutes leurs considérations historico-métaphysique, pour les
rendre accessible à l’opinion. Averroès, par cette initiative va déroger à une règle importante
de la démonstration, celle qui stipule qu’il n’existe pas des prémices généralement admise du
point de vue de l’immédiat lorsqu’il s’agit des sciences divines.

A propos de la preuve de l’existence de Dieu ; Averroès estime que les philosophes


« S’attachent à la connaissance des êtres en faisant usage de leur intellect, sans s’appuyer
sur les discours de ce qui les invitent à y adhérer sans démonstration »69. Ainsi donc à propos
de la preuve de l’existence de Dieu, la thèse des philosophes est la suivante :
 Les choses dans le monde se répartissent en deux : les choses animées :et les
choses inanimées. Parmi ces choses, certaines sont engendrées et d’autres ne le
sont pas. Celles qui sont engendrées, le sont par quelque chose (appelé bi ou
forme), et de quelque chose (la matière). Tout ce qui est généré l’est par l’action de
quelque chose (agent) en vue de quelque chose (fin).
 Ainsi, la matière, la forme, l’agent, et la fin représentent les quatre causes qui
permettent de connaitre et de comprendre la production de la réalité.
 Les causes ne pouvant régresser jusqu’à l’infini, les philosophes ont posé une
cause permanente de qui toute choses découlent. Cette cause connait différents
noms en fonction des auteurs et c’est elle qui peut être assimilé à Dieu.
C’est ce qui ressort de la théorie développée par Averroès qui, ne va pas se limiter à un simple
exposé de l’exégèse philosophique. Celui si va être accompagné par un exposé de la théorie
de ses pourfendeurs (dans le même registre de langue). Et de la confrontation des deux thèse
68
Alain de Libera, L’islam et la raison Paris, Edition Flammarion, 2000,
p.166. 16 Ibidem
69
Ibidem,
P a g e 69 sur 186
ce dernier va montrer les limites de la théorie des attributs divin (théorie adverse). Que dire
donc de la méthode d’Averroès ?

D. III – INTERET PHILOSOPHIQUE DE LA DEMARCHE D’AVERROES


L’un des reproches fait à la période médiévale, est qu’elle n’a pas permis le
développement de la science et de la technique. Et pourtant, la contribution de certains
philosophes de cette époque est indéniable. Les philosophes au rang desquels on peut citer
Averroès : grande figure de la philosophie orientale à largement contribuer à l’essor de la
philosophie musulmane et a beaucoup influencé dans une certaine mesure, les philosophes
modernes et contemporains.

1. A- Esquisse d’une nouvelle pratique


« On attend de tout philosophe qu’il apporte sa contribution à la recherche de la vérité
philosophique et de la sagesse pratique »7071. Cette contribution se matérialise chez Averroès
par l’inauguration d’une nouvelle méthodologie qui va consister à démontrer ou à démystifier
certaines représentations ou conviction établies par al Ghazali à l’encontre des philosophes. Il
va de se faire s’attaquer aux pièces essentielles qui constituent la charpente sur laquelle repose
la thèse de son adversaire. Pour se faire : « Il suit pas à pas le texte de Ghazali et le réfute au
fur et à mesure »72 , l’objectif de cette démarche étant non seulement de montrer les limites et
les incohérences dans la thèse de al Ghazali mais aussi de restaurer la quiddité de la
philosophie en orient. On peut donc dire sans risque de se tromper que L’Incohérence de «
l’incohérence » de

Averroès joue un rôle fondateur dans la déconstruction. Autrement dit, Averroès en


s’attaquant à la structure sur laquelle repose les arguments des pourfendeurs de la philosophie
; il pose dans une certaine mesure le socle sur lequel va reposer l’édifice de la déconstruction.
Les philosophes comme Karl Marx, Nietzche et Freud vont se livrer à ce genre d’exercice
mais c’est surtout le philosophe Derrida qui va systématiser cette démarche.

70
Michel Kouam et Ernest-marie Mbonda, Eléments de méthodologie philosophiques, PUCAC, Yaoundé, 2008,
p
71
.
72
Henry Corbin cite Averroès dans, Histoire de la philosophie islamique, Editions Gallimard, 1964, p 337.

P a g e 70 sur 186
2. B- Réception de la démarche d’Averroès
Il est certes difficile d’établir une ressemblance formelle entre la démarche entreprise par
Averroès et celle usité sa postérité. La raison à ce phénomène est que la démarche qu’il
inaugure s’apparente plus à une simple critique qu’à un véritable système de pensée dont il
serait plus facile d’établir la traçabilité. Or malgré ce constat, de nombreux philosophes ont
repris à leur compte cette démarche. Certains philosophes du soupçon notamment Nietzsche
Freud et Karl Marx remettent en cause les structures métaphysiques de la pensée : le sujet, la
conscience, la raison, le Bien et le Mal, le Vrai et le Faux, ils déconstruisent ainsi toutes ses
idoles pour en repréciser le sens. Si chez ces auteurs, la déconstruction n’est pas encore tout à
fait manifeste, Jacques Derrida va systématiser l’usage et qui va théoriser cette pratique.

Dès le début de notre exposé nous avons constaté que : L’incohérence de « l’incohérence
» de Averroès et De la grammatologie de Jacques Derrida présentaient des similitudes.
Cependant, après une lecture rétroactive de la déconstruction et de son l’illustration dans
l’œuvre du philosophe musulman, nous avons pu démontrer que ce qui semblait apparent du
point de vue de la forme, présentait également des similitudes dans le fond. C’est donc dire
qu’une filiation idéologique peut être aisément établi entre Averroès et Derrida, dans la
mesure où l’on, peut attribuer l’origine de la déconstruction à l’un et le commencement à
l’autre. La démarche d’Averroès a énormément influencé la postérité dans la mesure ou la
démarche qu’il a initié à conduit à mettre en place toute une pratique philosophique, qui
connaitra un succès immense aux
Etats-Unis. On comprend dès lors pourquoi Averroès est considéré comme l’un des plus
grands philosophes de son temps.

P a g e 71 sur 186
CONCLUSION
A la question de savoir : peut-il y avoir une relation entre l’incohérence de « l’incohérence
» d’Averroès et De la grammatologie de Jacques Derrida, l’intitulé de notre thème
présupposait une certaine filiation entre les deux œuvres. A travers une lecture rétroactive de
la déconstruction, nous avons présenté dans un premier temps les modalités de la
déconstruction.

Celle-ci s’articule autour de l’écriture, la différence et la dissémination. En focalisant sa


riposte sur les arguments de son adversaire et les structures qui sous-tendent leur
raisonnement, Averroès introduisait implicitement les fondements de la déconstruction
énumérés plus haut. Il va donc dans un premier temps s’attaquer à l’argumentaire des théories
adverses en démontrant, à travers des outils de logique formelle les incohérences dans le
raisonnement de al-Ghazali. Puis, à travers un traité rédigé dans un langage philosophique
vulgarisé, Averroès va rétablir la quiddité de la doctrine d’Aristote. On voit donc en dernier
recours que le langage joue un rôle primordial dans les deux œuvres, il est question de
chercher le sens, l’essence véritable des concepts. Averroès peut donc aisément être considéré
comme précurseur de la déconstruction.

Car sa démarche inaugure une nouvelle manière d’aborder les textes. Cette démarche a
d’abord été reprise par les philosophes du soupçon et été systématisé par Derrida qui va
théoriser cette pratique. D’Averroès à Derrida, on peut dès lors établir un continuum dans la
pensée. Or l’évolution dans la pensée est ce qui fait l’originalité de la philosophie.

P a g e 72 sur 186
BIBLIOGRAPHIE
1- Alain de Libera,
2000, Islam et la raison, Paris, Edition GF Flammarion.

2- Denis Huisman,
2009, Dictionnaire des philosophes, Paris, PUF.

3- Henry Corbin,
1994, Histoire de la philosophie Islamique, Paris, Editions Gallimard

4- Jacques Derrida,
1967, De la grammatologie, Paris, Edition de « Minuit ».

1972, Position, Paris, éditions Minuit.

1985, « Lettre à un ami japonais », Le promeneur, n° XLII, mi-octobre.

5- Michel KOUAM et Ernest Marie Mbonda,


2008, Eléments de méthodologie philosophique, Yaoundé, presse de
l’UCAC.
Yaoundé.

P a g e 73 sur 186
TABLE DE MATIERES
SOMMAIRE.............................................................................................................................. 1
INTRODUCTION...................................................................................................................... 2
I – LECTURE RETROACTIVE DE LA DECONSTRUCTION ............................................. 3
A- De Derrida… ............................................................................................................ 3
1- Qui est Derrida ........................................................................................................... 3
2- Les modalités de la déconstruction............................................................................. 5
B- … à Averroès.............................................................................................................7
1- Présentation d’Averroès ............................................................................................. 7
2- Corrélation Avec Derrida ........................................................................................... 8
II – ILLUSTRATION DE LA DECONSTRUCTION DERRIDIENNE CHEZ
AVERROES.......................................................................................................................... 9
A- Objet de la déconstruction : Le plaidoyer de Al-Ghazali contre les
philosophes………………………………………………………………….......... 9
1- Panorama sur la vie de Al-Ghazali............................................................................ 10
2- Les questions philosophiques réfutées par Al-Ghazali............................................. 10
B- La Méthode de déconstruction : le réquisitoire d’Averroès.................................. 12
1- Le recours aux outils de logique formelle................................................................. 12
2- Le recours à un langage philosophique vulgarisé..................................................... 14
III – INTERET PHILOSOPHIQUE DE LA DEMARCHE D’AVERROES ..................... 16
A- Esquisse d’une nouvelle pratique.......................................................................... 16
B- Réception de la démarche d’Averroès................................................................... 16
CONCLUSION........................................................................................................................ 18
BIBLIOGRAPHIE................................................................................................................... 19
TABLE DE MATIERES ......................................................................................................... 20

P a g e 74 sur 186
Groupe 5 :
Le véritable bonheur dans : Opinion des
habitants de la cité vertueuse d’Al-Fârâbî

Présenté par :
BOUDA Achille
KASSAÏ Verno Verlomme
NGOHIRI Martin

P a g e 75 sur 186
SOMMAIRE

INTRODUCTION .................................................................................................................... 77

I-PRESENTATION GENERALE SUR AL-FARABI


.................................................................................................................................................. 78

II-ANALYSE APPROFONDIE DU BONHEUR CHEZ AL-ALFARABI


.................................................................................................................................................. 87

III- UNE TENTATIVE D’ACTUALISATION DE LA PENSEE D’AL-FARABI .............. 96

CONCLUSION ........................................................................................................................ 23

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................... 24

TABLE DES MATIERES ....................................................................................................... 26

P a g e 76 sur 186
INTRODUCTION

Le Moyen âge est une période de l’histoire de l’Europe, qui s’est étendue de la fin du Vème
siècle à la fin du XIVème siècle73. Il a débuté avec le déclin de l’Empire romain d’Occident et
s’est terminé par la Renaissance et les Grandes découvertes. L’établissement des bornes de
cette période varie d’un historien à un autre. Malgré le fait que ces historiens aient situé cette
période différemment, il y’a un point sur lequel ils conviennent, l’origine de la culture du
moyen âge qui tient la fusion de trois facteurs : la culture classique, essentiellement gréco-
romaine, la culture germanique et le christianisme. Aussi, plusieurs reproches ont été faits à la
période médiévale entre autres, l’argument selon lequel la période médiévale s’est articulée
autour de la conviction de la non-existence d’une pensée proprement philosophique. Or la
période médiévale a été marquée par divers courants de pensées philosophiques, même si
pour certains auteurs, cette époque a une extrémité, qui est celle de l’obscurantisme 74. Mais
c’est dans ce tumulte que naîtront des pensées philosophiques des religions dites révélées
comme l’Islam. Al-Fârâbî, philosophe médiéval et « islamo-arabe » par exemple a développé
une philosophie de la religion dans son œuvre intitulée Opinions des habitants de la cité
vertueuse, une philosophie en quête du bonheur dans une cité dite vertueuse. Cependant, on
peut se demander qu’est-ce qu’il entend par « bonheur en vérité ? » Ainsi, si pour les
philosophes comme Al-Fârâbî, la philosophie est la condition sine qua non pour atteindre le
bonheur véritable, alors, nous nous posons la question de savoir qu’est-ce que le vrai
bonheur ? Comment parvient-on à ce bonheur en vérité ? Pourquoi un tel type de bonheur ?
Quelle est sa finalité ?

A ces questions, nous tenterons d’abord de faire une présentation générale de l’auteur et de
son œuvre, ensuite une analyse approfondie de la conception du bonheur chez al-Fârâbî et
enfin, faire une actualisation.

73
Christian Godin, La philosophie, Antiquité, Moyen Age et Renaissance pour les Nuls, paris, éditions First-
Grund, 2008, p.183.
74
Christian Godin, op. cit. p.187.
P a g e 77 sur 186
I- PRESENTATION GENERALE SUR AL-FARABI

Comme l’empire de Charlemagne en Occident, le kalifat d’Haroun-al-Raschid (785-809) en


Orient a été le point de départ d’un développement intellectuel intense, mais dans des
conditions fort différentes. La pensée arabe s’est développée, au IXème et au Xème siècle,
dans des pays de très antique civilisation, en Syrie ou en Perse, où, depuis longtemps, se
combinent et s’affrontent les tendances religieuses et intellectuelles les plus diverses et les
plus opposées75.A cette même époque dans les pays arabes, il y a eu un mouvement massif de
traductions scientifiques et philosophiques à partir du grec. Ils se sont sédentarisés. Ils ont
développé une civilisation brillante autour de la dynastie des Abbassides et sont avides des
doctrines scientifiques, philosophiques, magiques de toutes sortes, à commencer par les traités
de logique. La philosophie arabe dépend, avec le néoplatonisme lui-même, d’un plus large
courant d’idées, très répandu en Orient, que l’on a quelque fois appelé la « métaphysique de la
lumière ». Malgré ce courant d’idées, la foi islamique, au contraire met Dieu tout près du
croyant sans s’embrasser d’aucune considération cosmologique ; c’est la révélation opposée à
l’émanation, tandis que le néoplatonisme met Dieu dans le lointain, au-delà de tous les
intermédiaires qu’il faut parcourir pour l’atteindre76.Les Arabes tel qu’al-Fârâbî ne se sont pas
contentés seulement de lire Aristote et les commentaires grecs, mais ils ont décidé de produire
eux-mêmes des traités et des œuvres originales. La « Falsafa », qui est une philosophie pour
les arabes, s’est répandu dans tout le monde Arabe notamment en Espagne. Cependant, qui est
al-Fârâbî et quelles sont ses œuvres ?

1- BIOGRAPHIE ET BIBLIOGRAPHIE D’AL-FARABI

Abu Nasr Mohammed Ibn Tarkhân, dit Afarabi ou Al-Fârâbî est un philosophe arabe du
Xème siècle, né à Farab en 870 dans la ville de Transoxiane ( turkestan) ou Otrâr dans la
province de Mawaralnahar, d’un père Persan et d’une mère turque77, d’où il prit son nom. Il
est mort à Damas en décembre 950 de l’ère chrétienne après avoir accompagné le prince Séif-
Eddaula dont il a vécu dans sa cour à Alep. Il est issu d’une famille de notable, son père ayant
exercé un commandement militaire à la cour des Samanides, région dans laquelle il a grandi
et étudié avant de partir à Bagdad pour la suite de sa formation. Il s’est rendu de bonne heure

75
Emile BREHIER, La philosophie du Moyen Age, Paris, édition ALBIN MICHEL, 1949, p.95.
76
Emile BREHIER, op., cit., p.98-99.
77
AL-FARABI, Livre de concordance entre les opinions des deux sages : le divin Platon et Aristote, traduction
d’ELIE ABDEL-MASSIH, Beyrouth, édition Presse de l’Imprimerie Catholique, 1970, p.1.
P a g e 78 sur 186
à Bagdad, où, sous le sceptre des Abbassides, florissaient les sciences et les lettres ; et il y
suivit les leçons d’un chrétien, Jean fils de Gilân. Il avait approfondi toutes les sciences et
tous les arts de son temps, et fut appelé le Second instituteur de l’intelligence. Il va ensuite
compléter ses recherches dans l’une des institutions d’enseignement en arabe proche de
Byzance, et revient à Bagdad où il a enseigné jusqu’à ce que la situation sociale dans la
capitale le force à partir en Syrie, puis en Egypte. Parmi les maîtres qui l’ont enseigné en Asie
centrale et à Bagdad, il y avait des clercs chrétiens qui faisaient remonter l’origine de leur
enseignement philosophique à l’école d’Alexandrie, école platonicienne païenne, christianisée
à la fin de la période romaine, et dont les derniers membres s’étaient déplacés vers Antioche,
Haran, Bagdad et l’Asie centrale.

Philosophe platonicien qu’il soit, étant devenu suffisamment versé en théologie chrétienne
néoplatonicienne sous la direction des maîtres nestoriens. On avait pu s’attendre à ce qu’il
développe une théologie musulmane néoplatonicienne. Mais au contraire, al-Fârâbî soutient
que la philosophie d’Aristote et de Platon convient à l’étude des religions révélées, et que
c’est sous la philosophie politique que cette étude devrait être menée. Il développe donc une
philosophie de la religion basée sur la tradition philosophique platonico-aristotélicienne en
général et sur la politique en particulier. Il fut l’un des premiers à étudier, à commenter et à
répandre parmi les Arabes la connaissance d’Aristote. Il a laissé un très grand nombre
d’écrits, dont on trouve la nomenclature dans l’histoire des médecins d’Ibn-Ali et dans le
Dictionnaire des philosophes de Djemâl –Eddin. Il nous reste de lui que quelques traités, soit
en arabe soit dans des versions hébraïques car les originaux de plusieurs de ses ouvrages sont
perdus78. Ses ouvrages majeurs sont :

 Une encyclopédie, qui se trouve manuscrite à l’Escurial.


 Un Traité de musique
 Les Opuscula varia, dans lesquels on trouve un Traité sur les sciences et un Traité sur
L’entendement où il développe la doctrine d’Aristote.

 En latin : corpus platonicum mediaevi, Traité sur les lois de Platon.


 De l’obtention du bonheur, première partie d’une trilogie.
 La philosophie de Platon, deuxième partie de la trilogie.
 Epître sur l’intellect.
 Commentary and Short Treatise on Aristotle’s de Interpretatione.

78
http://www.cosmovisions.com/Alfarabi.htm, consulté le18 /03/2020 à ooh16.

P a g e 79 sur 186
 L’Harmonie entre les opinions de Platon et Aristote.
 Traité des opinions des habitants de la cité vertueuse79, celui qui fait l’objet de notre
réflexion actuelle.
Ainsi, nous allons étudier cette œuvre d’une manière minutieuse pour en connaitre la portée.

2- PRESENTATION DE SON ŒUVRE : OPINIONS DES HABITANTS DE LA CITE


VERTUEUSE.

L’œuvre d’al-Fârâbî intitulée Opinions des habitants de la cité vertueuse est un traité. Elle
est une traduction critique et commentaire d’Amor Cherni. Elle est réalisée par l’Atelier
Graphique Albouraq en 2011. Son impression est achevée en mai sur les Presses de Dar
Albouraq de la même année en Beyrouth-Liban. Elle est composée d’une introduction et de
quatre chapitres. Le premier chapitre traite du Premier, puis le second du monde, ensuite le
troisième de l’homme et enfin le quatrième de la société. Cet ouvrage a un volume de 330
pages avec une double version française et arabe. Il représente l’écrit complet de l’auteur et
représente l’essentiel de sa philosophie. Dans l’introduction, on nous fait mention de quatre
(4) théories qui représentent les chapitres cités ci-haut. Une théorie du Premier (l’être
suprême), une théorie de l’univers (le monde supra lunaire et le monde sublunaire), une autre
théorie de l’homme en tant que corps, laquelle se développe en une théorie du vivant, et en
tant qu’âme (avec un classement et une étude de ses puissances et de leurs fonctions) et, enfin,
une théorie de la société, axée sur la politique et le mode de gouvernement des cités et des
« nations »80.

Dans la théorie du Premier, l’auteur le définit comme la cause première de l’existence de tous
les existants. Il est exempt de toutes formes de défaut. Son existence est donc la meilleure et
la plus ancienne de toutes. Il occupe le sommet de la perfection de l’existence et le plus haut
rang. Il ne peut avoir une existence en puissance et cela d’aucune manière. Il ne peut non plus
ne pas exister et cela d’aucune manière, de la même façon il est éternel et d’une existence
permanente par sa substance et son essence. Aucune existence ne peut ressembler à la sienne
et aucune existence du même rang que la sienne ne lui manque. Il n’est donc point matière, ne
subsiste par aucune matière, ni absolument par aucun substrat. Il n’a pas non plus de forme

79
https://fr.wikipedia.org/wiki/Al-F%C3%A2r%C3%A2b%C3%AE#cite_note-18, consulté le 19/03/2020, à 22h
41mn.

80
Abû Nasr al-Fârâbî, Opinions des habitants de la cité vertueuse, Beyrouth, Dar Albouraq, 2011, p.9.
P a g e 80 sur 186
parce que la forme ne peut être que dans la matière. Son existence n’a pas non plus de but ou
de fin pour laquelle il serait. Au contraire son existence est pour qu’une telle fin ou un tel but
se réalise ; sinon celle-ci serait pour son existence et il ne serait donc pas cause première. Il se
distingue par sa substance de tout autre et l’existence qui est la sienne ne peut être celle
d’aucun autre. Le Premier a les attributs essentiels : unicité, causalité, perfection,

P a g e 81 sur 186
indivisibilité, éternité, science, sagesse81. En d’autre terme, l’Etre premier est la cause
première de l’existence de tous les êtres et se situe dans la perfection de l’être au rang le plus
élevé. Il n’a pas de cause à son existence, par conséquent son existence n’a ni but ni fin.
L’essence de son Etre est en dehors de toute matière, il est donc Intellect en acte. Il diffère en
sa substance de tout autre. Il n’a point de contraire, il est indivisible. Son unité est son essence
même. Il est connaissant, sage, vrai et vie. Il est l’Etre premier de qui procède tout autre. La

81
AbûNasr al-Fârâbî, op. cit. p. 30-76.
P a g e 82 sur 186
théorie de l’univers est accordée à ce que l’auteur appelle précisément les Seconds et à ce qui
en provient. Il s’agit, selon la terminologie d’Aristote reprise par l’auteur, de « choses
séparées », ou d’ « intellects en acte », c’est-à-dire d’esprits purs et « exempts de toute
matière ».Ces seconds sont au nombre de neuf, auxquels s’ajoute un autre « être séparé » ou
un autre « intellect en acte », d’un statut tout à fait particulier, appelé « Intellect agent ». Al-
Fârâbî déduit l’existence des Seconds et celle des « corps célestes » selon le célèbre
mouvement de procession, placé sous le patronage du concept d’émanation de Plotin. Pour

P a g e 83 sur 186
émaner du Premier, chacun des Seconds pense le Premier et pense sa propre essence. De ce
qu’il pense du Premier, résulte un corps céleste. Ainsi, chacun de ces intellects en acte est
responsable d’un corps céleste : le second du premier ciel, le troisième du ciel des fixes, le
quatrième de Saturne, le cinquième de Jupiter, le sixième de Mars, le septième du Soleil, le
huitième de Vénus, le neuvième de Mercure et le dixième de la Lune. Celle-ci est, comme
chez Aristote, la limite entre le supra lunaire, ou monde de l’éternité et le sublunaire, ou
monde de génération et de la corruption. Précisément à cette limite, se situe l’Intellect agent ;

P a g e 84 sur 186
intellect en acte, lui aussi, dont ne résulte aucun « corps céleste », mais dont l’action est
tournée vers le monde sublunaire et, en particulier, vers les affaires humaines82.

Autrement dit, du Premier Etre émanent tous les êtres. Son essence est immuable, par
conséquent l’émanation de tous les êtres n’affecte pas son essence. Le second être, émanant
du Premier, intellige son essence et intellige le Premier. Son intellection du Premier provoque
82
AbûNasr al-Fârâbî, op. cit. p. 10.
P a g e 85 sur 186
l’apparition d’un troisième être. Par l’intellection de son essence résulte un autre être, celui du
premier ciel. De la même manière le troisième être intellige le Premier, de cet acte résulte le
quatrième être. Le troisième être s’intellige lui-même, ce qui provoque aussi la création de la
sphère des étoiles fixes. Le même processus se répète jusqu’au dernier être83. Avec l’Intellect
agent84se termine la lignée des êtres Spirituels, qui ont reçu leur ultime perfection dès le
départ. Chez al-Fârâbî, Dieu crée en pensant ; sa pensée est à l’origine de toute émanation.
Dans le système d’al-Fârâbî, le parcours de la procession néoplatonicienne issue de Plotin est
dédoublé. Les neufs cieux constituent l’échelle de la descente alors que les dix Intellects
forment le câble de la remontée.

La théorie de l’homme en tant que corps ; l’homme a en lui des puissances qui le gouvernent.
La puissance nutritive, celle par laquelle il se nourrit, puis la puissance sensitive, ensuite la
puissance appétitive, et encore la puissance imaginative celle par laquelle il retient ce qui, en
son âme, ait disparu. Vient s’ajouter ensuite la puissance raisonnable par laquelle il peut
penser. La puissance nutritive n’a qu’une seule puissance gouvernante, les autres lui sont
subordonnées et sont ses servantes. La puissance sensitive comporte aussi un gouvernant et
des subordonnées. Cette « puissance gouvernante est dans le cœur ». La puissance
imaginative n’a pas de subordonnées reparties sur d’autres organes. Elle est aussi dans le
cœur. Quant à celle raisonnable, elle n’a ni subordonnées ni servantes de son espèce dans les
différents organes. Elle règne sur les autres puissances, savoir l’imaginative et la gouvernante
de la puissance de chaque genre de « puissances » où il y a gouvernante et gouvernée. Elle est
donc la gouvernante de la puissance imaginative, la gouvernante de celle qui gouverne la
puissance sensitive et la gouvernante de celle qui gouverne la puissance nutritive. La
puissance raisonnable est la gouvernante des gouvernantes et elle gouverne sans être
gouvernée. La puissance appétitive, qui désire une chose ou la repousse, est gouvernante et a
des servantes. C’est par elle que se fait la volonté. La science d’une chose peut se faire par la
puissance raisonnable, comme elle peut se faire par l’imaginative, ou par la sensitive. En
effet, la nutritive gouvernante est comme la matière de la puissance sensitive gouvernante ; la
sensitive est la forme de la nutritive. La sensitive gouvernante est comme la matière de
l’imaginative, et l’imaginative est la forme de la sensitive gouvernante. L’imaginative est la
matière de la raisonnable ; la raisonnable étant la forme de l’imaginative ; mais elle n’est la
matière d’aucune puissance. Quant à l’appétitive, elle dépend de la sensitive gouvernante.
Maintenant après la formation de ses organes et de leurs rangs, qu’en est-il de leur

83
Abu Nasr Al-Farabi, Mabadiàràahlal-madina al-fadila, p.100, 102,104.
84
Herbert A. Davidson, Alfarabi, Avicenne and Averroes, on Intellect, oxford, Oxford UniversityPress, 1992,
p.46, n°11.
P a g e 86 sur 186
gouvernement ? Lequel est le gouvernant, lequel est le serviteur, comment gouverne celui qui
gouverne, comment sert celui qui sert.

Le cœur est l’organe gouvernant qui n’est gouverné par aucun autre organe du corps. Il est
suivi par le cerveau qui est, lui aussi, un certain organe gouvernant ; seulement son
gouvernement il n’est pas premier mais second ; car il est gouverné par le cœur et gouverne
les autres organes. Il sert le cœur en lui-même et est servi par les autres organes selon ce qui
est naturellement exigé par le cœur85.

Enfin, la théorie de la société. L’homme a naturellement besoin, pour sa substance et pour


atteindre sa plus grande perfection, d’autres individus dont chacun lui assure une partie de ce
qui lui manque, qu’il ne peut garantir tout seul. Il ne peut atteindre la perfection pour laquelle
il a été naturellement disposé que par l’association de plusieurs groupes qui s’entraident et
dont chacun assure à chacun une partie de ce dont il a besoin pour sa substance. Certaines
sociétés sont parfaites, d’autres sont imparfaites. Les « sociétés parfaites sont au nombre de
trois : la grande, la moyenne et la petite. La grande est l’association de toutes les sociétés sur
la terre ; la moyenne, l’association d’une nation dans une partie de la terre ; la petite,
l’association des habitants d’une cité dans une partie du territoire d’une nation. La cité où les
hommes s’associent pour s’entraider à acquérir les choses qui permettent d’atteindre le
bonheur en vérité est la cité vertueuse86 ». Alors, nous essayerons de cerner la compréhension
du bonheur dans la cité vertueuse chez al-Fârâbî.

II- ANALYSE APPROFONDIE DU BONHEUR CHEZ AL-


ALFARABI

Beaucoup de religions, de philosophies et de politiques, se sont occupées de la question du


bonheur. Et à ce sujet, les réponses semblent tellement contradictoires qu’on a toujours
tendance à relativiser le débat par rapport à ce concept. Kant par exemple, quant à lui nous
propose de ne pas en faire un sujet de réflexion. Car, selon lui, le bonheur est certes une
nécessité naturelle et une finalité vers laquelle tendent tous les êtres humains. « Mais par
malheur, le concept de bonheur est un concept si indéterminé, que malgré le désir qu’a tout
homme d’arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents

85
AbûNasr al-Fârâbî, op., cit., p. 140-154.
86
Abu Nasr al-Fârâbî, op., cit., p. 214-222.
P a g e 87 sur 186
ce que véritablement il désire et veut87 ». En général, l’on se rend bien compte qu’aucune
chose sensible ne peut faire le bonheur absolu de l’homme. Mais quant à dire exactement ce
qu’est le bonheur, il y a toujours des difficultés ou diverses opinions qui surgissent 88. Il y
avait eu des débats sur le bonheur de l’âme, qui était courant dans les réflexions
philosophiques depuis des siècles. On développait des réflexions philosophiques sur le
bonheur dans le domaine de l’éthique. Il était question de soigner l’âme humaine et de la
purifier pour qu’elle arrive à mener une vie bienheureuse. La question du bonheur était donc
une préoccupation commune entre les écoles philosophiques telles que le Stoïcisme,
l’Epicurisme, le Platonisme, l’Aristotélisme et le Pythagorisme ; et des associations
religieuses telles que les Orphiques etc.89 Le philosophe arabe al-Fârâbî tout aussi platonicien
et aristotélicien, s’inscrit dans le même débat traitant de la question du bonheur dans Opinions
des habitants de la cité vertueuse. Cependant, comment conçoit-il le bonheur ?

1- LE BONHEUR SELON AL-FÄRÄBÏ

Au commencement, al-Fârâbî fait une distinction entre les bonheurs. Pour lui, le « véritable
bonheur » n’est pas celui que nous entendons ou que pensent certains. Le véritable bonheur,
« suivant la tradition platonicienne, l’auteur commence par l’opposer aux « faux bonheurs » et
aux « faux biens » tels que la richesse, les plaisirs, les honneurs, la domination etc.90 » Selon
al-Fârâbî, le véritable bonheur en tant que tel n’est pas du domaine sensible. D’où il apparaît
que le « bonheur en vérité » n’est pas de ce monde ; il concerne la vie dans l’au-delà, celle
que seules connaitront les âmes qui auront réussi, avec l’aide de l’Intellect agent, à survivre à
la matière, destin qui n’est pas donné à toutes les âmes et à jouir de leur présence et de leur
communauté dans l’autre monde91. Bien qu’étant la fin de toutes sociétés ou encore cités,
toutefois certaines n’y ont pas accès. Ce bonheur n’est pas donné à tout le monde, il y a ceux
pour qui cela est destiné. Car son obtention nécessite un certain nombre de sacrifices et de
dispositions. Le bonheur comme finalité de toute action humaine est une idée commune à tous
les philosophes les plus marquants de la philosophie antique, depuis les présocratiques

87
Ngarndiguimal Nelemta, Le bonheur : finalité de l’ascension dialectique chez Plotin, mémoire en vue de
l’obtention d’une maîtrise philosophique, Juin 2002, p.1.
88
NgarndiguimalNelemta, Le bonheur : finalité de l’ascension dialectique chez Plotin, mémoire en vue de
l’obtention d’une maîtrise philosophique, Juin 2002, p.1.
89
Ibid.
90
Abû Nasr al-Fârâbî, op., cit., p.11.
91
Ibid.
P a g e 88 sur 186
jusqu’aux néoplatoniciens qui, en ont fait le but ultime de l’agir moral. Le bonheur suprême
dans cette mentalité philosophique est considéré comme le souverain Bien, une réalité divine
à laquelle l’âme y accède en remplissant certaines conditions. En revanche, comment y avoir
accès ?

a- COMMENT PARVENIR AU BONHEUR VERITABLE ?

Obtenir le bonheur véritable est un défi ardu laissé à la libre volonté humaine. L’être humain a
le choix de se parfaire ou non, en optant pour ce qui est recommandable ou blâmable ; à cause
de cela, il mérite une récompense ou une punition. Il a la capacité de rechercher le bonheur ou
pas92. Par volonté, il peut opter pour le bien ou le mal. Pour se diriger vers le bonheur, il doit
en avoir une connaissance et savoir comment l’atteindre. L’Intellect agent a pour fonction
spécifique d’aider les formes à se débarrasser de la matière. Mais le faylasûf précise qu’une
telle fonction ne convient guère à d’autres êtres que l’homme. C’est donc à lui qu’il revient
d’aider les « animaux raisonnables » à quitter leur animalité et à libérer leurs âmes de
l’emprise du corps et de la matière en général ; condition sine qua non de leur immortalité et
de leur accession à ce que l’auteur appelle bonheur93. Les premiers intelligibles fournis par
l’intellect agent jouent un rôle crucial. Ayant perçu les premiers intelligibles, l’objectif
premier de l’être humain doit être de perfectionner sa faculté rationnelle spéculative, la seule
faculté qui puisse percevoir le bonheur avec certitude. Il doit aussi développer ses autres
facultés, rationnelle, pratique, appétitive, imaginative et sensitive pour atteindre le bonheur.
Lorsque l’être humain cherche à atteindre ce but, tout ce qu’il fait est bon. Lorsqu’il dévie de
ce but, tout ce qu’il entreprend est mauvais94. Celui qui s’est efforcé à atteindre la
connaissance en se fondant sur les premiers intelligibles redevient le récipiendaire de
l’effusion de l’Intellect agent. Lorsqu’il est prêt, son intellect passif ou intelligence en tant
qu’elle reçoit les connaissances devient la matière première pour l’intellect acquis. Ce dernier
sert de matière première à l’intellect agent. L’Intellect agent agit sur la faculté imaginative en
lui fournissant les intelligibles convenant à la faculté rationnelle spéculative et le sensible
convenant à la faculté rationnelle pratique. Au moyen des songes et des visions, l’Intellect
agent communique les particuliers à la faculté imaginative. Par les divinations, il transmet les
intelligibles à la faculté imaginative95. Lorsque l’Intellect agent agit sur la faculté imaginative,
il fait parvenir les idées (intelligences) reçues sous une forme sensible. Ainsi, il communique

92
Abu Nasr Al-FARABI, Kitab al-siyasa al-madaniyya, traduit partiellement par F.M. NAJJAR, « The
politicalRegime » dans Medievalpoliticalphilosophy, p.42.
93
Abû Nasr al-Fârpabî, op., cit., p.11.
94
Abû Nasr AL-FARABI, Mabadiàràahl al-madinaàra al-fadila, p. 208-211.
95
Ibid.
P a g e 89 sur 186
ses idées par l’intermédiaire de cette faculté afin de véhiculer la révélation nécessaire pour
qu’elle s’accomplisse en acte dans l’intellect humain. Al-Fârâbî présente cette intervention
comme entrer en jonction. Dans le Mabadiàràahl al-madina al-fadila, il décrit l’être humain
sur qui l’Intellect agent est descendu, c’est-à-dire l’émanation de l’Intellect agent à l’intellect
passif. Le pouvoir, qui rend l’être humain capable de comprendre les choses et de se diriger
vers le bonheur, émane de l’Intellect agent vers l’intellect passif à travers la médiation de
l’intellect acquis. Ce phénomène constitue une révélation parce que l’Intellect agent est la
Cause première. La révélation, en effet, vient de la cause première. Cette transmission au
monde sensible se fait par les songes ou les visions. Le plus haut degré de l’action de
l’Intellect agent s’accomplit par la transmission des révélations prophétiques (des
connaissances divines) à l’intellect du Messager gratifié par le mandat Spirituel96.

De la dernière sphère qui est celle de la Lune, émane le monde sublunaire, monde des
éléments, monde de la génération et de la corruption que régit la dernière intelligence (la
dixième) qu’al-Fârâbî appelle « l’Intellect agent ». C’est l’intellect agent qui donne aux
éléments de ce monde leur multiplicité formelle et les divise en minéraux, végétaux, animaux,
et humains. C’est pourquoi cet intellect a été appelé « dator formarum » (donateur de
formes) ; c’est lui le dieu direct de ce monde. De lui, émanent les âmes humaines qui viennent
informer les corps suffisamment disposés à les recevoir. Ces âmes d’après al-Fârâbî,
acquièrent leur immortalité dans la mesure où elles s’efforcent d’atteindre les vérités
transmises par cet intellect agent, le premier Etre étant hors de leur portée. Cet intellect agent,
de qui émanent les âmes, est donc leur ultime bonheur. Il contient toutes les variétés acquises
par sa contemplation du premier Etre. Les âmes humaines qui ne se seraient pas efforcées de
connaître les vérités contenues dans cet intellect agent disparaitront avec la dissolution du
corps ; leur destinée sera celle des âmes des bêtes et des plantes ; point de survie pour elles.
Pourquoi survivraient-elles ? Pour contempler une vérité qu’elles n’avaient jamais cherché à
connaître ? Ainsi donc, la survie s’acquiert, conclut al-Fârâbî, et elle appartient aux seules
âmes connaissantes. Quant au corps, il appartient au monde des éléments et n’étant pas
indispensable au bonheur des âmes qui est purement spirituel. Il restera dans son monde, donc
point de résurrection pour les corps. Les vérités que l’homme doit connaître pour que son âme
acquière l’immortalité ne sont, d’après al-Fârâbî, autres que le contenu de la philosophie de
l’émanation : l’existence, d’un premier Etre, la chaîne des émanations, l’origine de l’âme, la
connaissance du bien et une conduite conforme à cette idée de bien et de justice qui est la base
de la cité vertueuse. Pour comprendre ce qu’al-Fârâbî entendait par ce qu’il appelait les

96
Abû Nasr AL-FARABI, op., cit., p.224.
P a g e 90 sur 186
« vérités éternelles contenues dans l’intellect agent », il suffit de se rappeler la théorie
platonicienne des idées ou archétypes, à condition de considérer celles-ci comme regroupées
dans une intelligence. Cette intelligence, qui est l’intellect agent, a acquis les vérités éternelles
par sa contemplation du premier Etre, et elle ne cesse de les diffuser. L’effort qu’une âme
humaine aura déployé pour se rapprocher, dès ici-bas, de ces vérités, lui vaudra une
contemplation dans l’autre vie qui fera son bonheur éternel. Telle est la mystique à laquelle
abouti al-Fârâbî : une mystique contemplative.

Al-Fârâbî soutient que l’intellect agent ne cesse de faire rayonner la vérité dans le monde ;
mais seules les âmes douées d’une imagination limpide, claire et pure, captent cette vérité et
la traduisent dans le langage humain qui la matérialise, pour ainsi dire. Cependant, la vérité
elle-même dépasse le cadre matériel dans lequel le langage l’a enfermée. Seul le philosophe
peut s’élever, par un effort de contemplation et de logique, à la source même de la vérité, à cet
intellect agent, saisir la vérité pure et comprendre les « formes intelligibles ». Ainsi, al-Fârâbî
semble admettre la supériorité de l’intelligence du philosophe sur l’imagination du prophète à
travers laquelle l’intellect agent réfléchit sur les vérités97. Et après avoir passé cette étape,
seules les âmes destinées à ce « bonheur en vérité » acquerront certain nombre de qualités
vertueuses, notamment le philosophe et le prophète.

b- LES QUALITES QUE DOIT AVOIR UN DIRIGEANT DE LA CITE VERTUEUSE

Pour le philosophe al-Fârâbî, l’acquisition de la vertu ne peut être atteinte que par celui qui
réunit, naturellement et dès la naissance, douze (12) qualités :

 Dont l’une est qu’il jouisse naturellement de tous ses membres, que ses membres
soient vigoureux et qu’ils soient en adéquation avec les actions qu’ils sont destinés à
accomplir ; de sorte que lorsqu’il se propose d’accomplir une tâche par l’un de ses
membres, il y parvient aisément.
 Puis qu’il ait naturellement une bonne aptitude à comprendre et à concevoir tout ce
qui lui est dit, et qu’il le saisisse par son entendement selon ce qui est signifié par
l’interlocuteur et ce qui est exigé par la chose même.
 Puis qu’il ait une bonne capacité de retenir ce qu’il comprend, ce qu’il voit, entend et
perçoit, et qu’en somme, il n’en oublie presque rien.

97 ème ème
Albert Nader, Courants d’idées en Islam, Canada, Medias Paul, 6 au 20 siècle, p.66-69.
P a g e 91 sur 186
 Puis qu’il soit perspicace et intelligent, de sorte que dès qu’il aperçoit le moindre
indice d’une chose, il la saisisse telle qu’indiquée par l’indice.
 Puis qu’il ait une bonne élocution, de sorte que sa langue l’aide à exprimer aisément
tout ce qu’il conçoit.
 Puis qu’il aime à apprendre et à s’instruire, qu’il y soit porté, prêt à bien en supporter
« l’effet », sans en ressentir la fatigue, ni être rebuté par l’effort exigé.
 Puis qu’il ne soit pas excessif quant à la nature, à la boisson et au sexe, évitant
naturellement les jeux, méprisant les plaisirs qui en découlent.
 Puis qu’il aime la vérité et ceux qui la défendent, méprisant le mensonge et ceux qui
s’y adonnent.
 Puis qu’il soit magnanime, qu’il aime l’honneur : que son âme méprise naturellement
tout ce qui est bas, et qu’elle s’élève aux plus hautes valeurs.
 Puis qu’il accorde peu de crédit à l’argent et à tous les biens de ce monde.
 Puis qu’il aime naturellement la justice et ses partisans, qu’il méprise l’injustice et ses
adeptes ; qu’il reconnaisse ce qui est dû par lui et par les autres et incite les gens à en
faire autant ; qu’il ait pitié des victimes de l’injustice, appréciant tout ce qu’il trouve
beau ; qu’il soit aussi tempérant et facile à convaincre, non hargneux et acariâtre,
lorsqu’il est appelé à la justice et, au contraire, difficile à convaincre lorsqu’il est
appelé à l’injustice et à tout ce qui est laid.
 Puis qu’il soit ferme dans sa volonté concernant ce qui doit être fait, courageux dans
son exécution, brave, sans crainte et sans faiblesse98.
Nous voyons clairement le lien fort qu’al-Fârâbî établit avec Platon dans La République, Livre
VI où Platon soulève la question de la personne à qui il revient de diriger la cité. Autrement
dit, il est question d’identifier qui pourrait être le meilleur dirigeant ou que seul l’homme juste
plutôt que l’homme injuste pourrait être le meilleur dirigeant de la cité, or il n’y a
probablement que le philosophe qui remplit cette condition en raison d’un certain nombre de
caractères qui s’accommodent à la nature philosophique. D’où la question quels sont ces
caractères ?

Platon opère d’abord une distinction entre le philosophe et le non philosophe : « les
philosophes sont ceux qui sont capables d’atteindre à la connaissance d’immuable 99». Tandis
que les non-philosophes sont ceux qui se perdent dans le multiple et le changeant. Le
philosophe est celui qui est capable de fixer son regard sur le Vrai, le Juste et le Bien de sorte

98
Abû Nasr al-Fârâbî, op., cit., p.242-246.
99
Platon, La République, Livre VI, 484b, France, éditions Gallimard, 1950, p.1062-1063.
P a g e 92 sur 186
qu’il soit toujours porté non seulement à contempler ces valeurs mais aussi à conformer son
agir à elles.

 Le philosophe est épris de connaissance.


 Il est épris de vérité.
 Il est déterminé à chercher le bien de l’âme et non le bien du corps.
 Il est tempérant.
 Il a la maîtrise de soi.
 Il est juste dans son activité.
 Il a besoin d’une bonne mémoire facile à comprendre.
 Il est courageux et sincère, élégant.
Malgré tout, al-Fârâbî nuance son propos concernant les qualités citées ci-haut en disant : la
réunion de toutes ces « qualités » en une seule personne, n’est une chose difficile ; et des
hommes d’une telle nature ne se rencontrent que rarement et ne représentent qu’une infime
minorité. « Cependant », s’il se trouve, dans la cité vertueuse, un homme, qui, à sa majorité
remplisse les six conditions que nous avons citées, ou « au moins » les cinq « premières »,
sans oublier la puissance imaginative, il sera gouvernant100. Mais au cas où si l’on n’en trouve
aucun à ce moment donné, le second gouvernant peut gouverner. Le second gouvernant, qui
succèdera au premier, sera celui qui, dès sa naissance et pendant son enfance, remplira ces
conditions, et il devra satisfaire à sa majorité à six autres :

 La première, qu’il soit sage,


 La seconde, qu’il soit savant, connaisseur des lois, des traditions et des conduites
instituées dans la cité et qu’il s’y conforme dans tous ses actes.
 La troisième, qu’il ait une bonne capacité de déduction concernant ce à propos de
quoi aucune loi n’a été conservée des prédécesseurs, et qu’il suive les premiers guides
(Imam).
 La quatrième, qu’il ait une bonne aptitude délibérative et une puissance déductive
aussi bonnes l’une que l’autre.
 La cinquième, qu’il soit apte à bien orienter, par la parole « ses contemporains » vers
les lois des prédécesseurs, et vers celles qu’il en aurait déduites « lui-même ».
 La sixième, qu’il ait une bonne vigueur physique pour entreprendre les actes de la
guerre, et cela en possédant l’art de la guerre, qui est serviteur de « l’art de »

100
Abû Nasr al-Fârâbî, op., cit., p. 246.
P a g e 93 sur 186
gouverner. Toutefois, la « cité vertueuse » est celle précisément qui permet d’accéder
au « vrai », celui auquel parviennent les âmes vertueuses dans « la vie future101 ».

2- LA CITE VERTUEUSE D’AL-FARABI : CHEMIN DU BONHEUR VERITABLE

La « cité vertueuse » s’oppose aux autres cités, qui s’orientent vers ce qu’elles considèrent
comme le leur et qui n’est qu’un simulacre de bonheur, puisque ce bonheur ne fait
qu’enfoncer les âmes dans la vie sensible et les asservir à la matière. La cité vertueuse
s’oppose d’abord à la « cité d’ignorance », qui comporte plusieurs variétés, puis à la « cité
immorale », à la « cité versatile », à la « cité de l’errance » et, enfin, aux « dissidents ». La
« cité de l’ignorance », qui est la véritable antithétique de la cité vertueuse, comporte, à son
tour, six variantes qui sont respectivement les cités « du nécessaire », « de la scélératesse »,
« de la bassesse », des « honneurs », « de la domination » et la « cité collective »102. Celui qui
dirige la cité vertueuse, il faut en outre qu’il possède un « intellect acquis », qui est la
condition d’entrer en contact avec l’Intellect agent, lequel lui confère alors cette « chose » qui
est « comme la lumière » et qui doit le guider lui et ses concitoyens. Selon qu’il reçoit cette
« chose » par son « intellect acquis » ou par sa « puissance imaginative », il est « philosophe »
et « totalement raisonnable », ou « prophète annonciateur de ce qui sera et informateur de ce
qui est ». C’est donc par cette « chose » qui est soit une philosophie, soit une révélation qu’il
peut « déterminer les opinions » et « prescrire les actions » qui conduisent sa cité vers « le
bonheur en vérité103 ».

Seuls le prophète et le philosophe sont capables d’atteindre les vérités contenues dans
l’intellect agent, ils sont donc les seuls capables de fonder une cité vertueuse. Al-Fârâbî
reprend ici la fameuse thèse platonicienne du philosophe-roi, en lui ajoutant celle du
prophète-roi.

D’après Platon, le philosophe contemple les idées et s’en inspire dans l’organisation et la
direction de la cité, notamment l’idée de justice. Selon al-Fârâbî, le philosophe contemple
aussi ces vérités contenues dans l’intellect agent qui est dans la sphère de la Lune ; et le
prophète s’en inspire. Toute cité fondée sur d’autres principes que ceux émanant de l’intellect
agent est une cité non vertueuse, destinée à la destruction et à la disparition. Et toute cité qui,

101
Abû Nasr al-Fârâbî, op., cit., p.11.
102
Ibid.
103
Abû Nasr al-Fârâbî, op., cit., p.12.
P a g e 94 sur 186
après avoir connu ces principes, s’en éloigne est une cité ignorante ; son sort ne saurait être
que misérable. Comment est constituée alors cette cité vertueuse ?

a- CONSTITUTION DE LA CITE VERTUEUSE

Les gouvernés sont le socle de la cité vertueuse. Comme dans la vie tout choix suppose un
discernement, il va de même que ceux qui veulent opérer un choix soient lucides et vertueux.
Véritablement tout gouvernant est choisi d’une manière ou d’une autre par le peuple. Avoir
donc un dirigeant capable de conduire la cité vers le bonheur, il va falloir que le peuple ait le
désir, le désir de chercher une cité incorruptible, juste, une cité éprise de vérité. En faisant ce
devoir, le peuple devient la fondation sur laquelle est construite la cité vertueuse. On ne peut
atteindre cet objectif que si les gouvernés de la cité vertueuse marchent sur le chemin de la
vérité. En plus le bonheur ne s’obtient pas seul. Dans Opinions des habitants de la cité
vertueuse, al-Fârâbî a mis l’accent sur la masse, le regroupement des citoyens qui ont donné
lieu à des sociétés humaines. L’auteur nous montre que certaines de ces sociétés humaines
sont parfaites, d’autres imparfaites. Les « sociétés » parfaites sont au nombre de trois : la
grande, la moyenne et la petite. Al-Fârâbî soutient que « la grande est l’association de toutes
les sociétés sur la terre ; la moyenne, l’association d’une nation dans une partie de la terre ; la
petite, l’association des habitants d’une cité dans une partie du territoire d’une nation. Les
sociétés imparfaites sont l’association des habitants d’un village, l’association des habitants
d’un bourg, l’association dans une rue, puis l’association d’une maison, la maison étant la
plus petite de toutes 104». Par analogie donc, nous pouvons dire que confier le bonheur de la
cité à une seule personne, aussi vertueuse et puissante, c’est courir vers l’imperfection la plus
basse. Aucun individu n’a encore atteint tout seul à notre connaissance le bonheur. Fort de
cela, nous pensons ensemble avec al-Fârâbî que ce sont les gouvernés qui sont la base de la
cité vertueuse, même s’ils ont eux aussi des limites. Cela peut être fait qu’au moyen d’une
organisation.

b- L’ORGANISATION DE LA CITE VERTUEUSE


La cité vertueuse ressemble à un corps complet et sain dont les organes sont bien hiérarchisés,
chacun accomplissant normalement ses fonctions, et tous collaborant ensemble pour la
conservation de la santé du corps. De même, les différentes classes dans la cité vertueuse
doivent être hiérarchisées et collaborer ensemble pour le bien de toute la cité. Al-Fârâbî pose
donc deux conditions essentielles pour qu’une cité vertueuse soit organisée : La première est
104
Ibid. P. 216-218.
P a g e 95 sur 186
celle de la hiérarchisation des classes. Chaque membre de la cité doit être dans la classe qu’il
mérite ; la deuxième condition est celle de la collaboration entre les différentes classes, depuis
le chef jusqu’à la classe des serviteurs. A défaut de ces deux conditions, la cité n’est plus
vertueuse. Et le chef qui doit veiller à la fondation et organisation de cette cité vertueuse, qu’il
soit prophète ou philosophe, doit satisfaire à douze conditions physiques, intellectuelles et
morales citées ci-haut105.

III- UNE TENTATIVE D’ACTUALISATION DE LA PENSEE D’AL-


FARABI
Jusque-là, nous n’avons fait ressortir que la pensée d’al-Fârâbî sur le concept du véritable
bonheur et de l’homme vertueux pouvant conduire à celui-ci. Nous pouvons comprendre qu’il
ne le conçoit pas indépendamment de la société à laquelle il appartient, mais en lien étroit
avec son entourage. Pour lui, la recherche de la cité vertueuse, qui n’est rien d’autre que la
recherche du bonheur, passe par le travail de tout un chacun, que l’on soit gouvernant ou
gouverné. Voyons à présent si sa pensée est possible, réaliste ou purement utopique.

1- LE BONHEUR SELON AL-FÄRÄBÏ EST-IL UNE REALITE OU SIMPLEMENT


UNE UTOPIE ?
La philosophie d’al-Fârâbî a été en grande partie influencée par celle de Platon et Aristote. En
effet, dans La République106, Livre VI, Platon oppose dans une discussion Glaucon et Socrate
et pose le problème de savoir qui est digne d’être gouvernant de la cité. A ce questionnement,
Platon répond en affirmant que « ceux qui sont capables de garder les lois des Etats et leurs
coutumes, sont ceux-là qu’il faut prendre comme gardiens107 ». Du même extrait, il qualifie,
de philosophe celui-là qui est digne d’être le gardien des lois et coutumes. Il voudrait donc
que le gouvernant soit philosophe, car pour lui, le philosophe est celui qui est épris de
connaissance et grâce à son attachement à la vérité, parvient à la connaissance de l’immuable
et pourrait être capable de gérer dignement la bonne marche vers la cité. A la conception de
philosophe, al-Fârâbî ajoute celle du prophète, que seuls le philosophe et le prophète sont
ceux qui sont capables, grâce à leurs qualités, de gouverner la cité vertueuse qui est le chemin
vers le bonheur véritable. Contrairement à Platon qui s’est appesanti sur les qualités du
philosophe, Aristote quant à lui, connu pour son réalisme, s’est penché sur l’organisation
interne de l’ensemble de la société. Il n’exclut pas cependant les qualités du philosophe
évoquées précédemment, mais s’intéresse davantage à l’aspect plus collectif de la gestion de

105 ème ème


Albert Nader, Courants d’idées en Islam, Canada, Medias Paul, 6 au 20 siècle, p.70.
106
Platon, op., cit., Livre VI, 484b, p.1063.
107
Ibid.
P a g e 96 sur 186
la cité. Nous voyons clairement qu’al-Fârâbî ne constitue pas ex nihilo sa philosophie, mais il
s’est inspiré de Platon quand il énumère les qualités de l’homme vertueux, et d’Aristote
lorsque par une vision métaphorique, il effectue un rapprochement entre l’organisation de la
cité vertueuse et le fonctionnement du corps humain. Si al-Fârâbî est le philosophe qui
effectue une conciliation de la philosophie de deux grands maîtres penseurs de l’antiquité,
Platon et Aristote, cependant, nous pouvons qualifier sa philosophie d’un idéal, d’une
philosophie d’idéo-réaliste c’est-à-dire une philosophie qui associe les réalités intelligibles
aux réalités sensibles.

La théorie de la cité d’al-Fârâbî, dont les principes sont empruntés à la République de Platon,
marque un effort pour retrouver dans la cité l’ordre du monde ; le chef idéal, doué de toutes
les vertus intellectuelles et pratiques, a tous les traits du philosophe de la République. Il
oriente la cité non pas vers des fins terrestres, mais vers une fin surnaturelle : son but est de
préparer le bonheur après la mort108. Dans toute sa démarche philosophique vers le véritable
bonheur, nous remarquons que le philosophe musulman al-Fârâbî est un « aristotélicien dans
sa logique et sa physique, platonicien dans son éthique et sa politique et plotinien dans sa
métaphysique » ; le cachet islamique domine tout son système philosophique. Il a cherché à
travers toute sa doctrine, à réconcilier religion et philosophie, révélation et raison. Son
syncrétisme entre Platon et Aristote est un exemple palpable de cette conciliation. Cette
conciliation entre religion et philosophie paraît clairement dans son explication de la
révélation : « Il n’est pas impossible que l’homme, dont la puissance imaginative atteint son
dernier achèvement, reçoive de l’intellect agent à l’état de veille les particuliers présents et
futurs ou leurs sensibles imitateurs, ainsi que les imitations des intelligibles séparés et de tous
les autres êtres supérieurs et qu’il les voie. Il aura alors, grâce aux intelligibles qu’il reçoit de
la sorte, la prophétie des choses divines ». Al-Fârâbî ne fait donc pas de distinction entre le
prophète et le philosophe qui, tous deux, reçoivent directement inspirations et lumières de
l’intellect agent ; tandis que le premier entre en contact avec cet intellect par son imagination,
l’autre le fait par son intelligence. Pas de différence entre Révélation et la Raison, la source
est une : l’intellect agent ; la vérité est une : c’est ce qui émane de lui, la différence
n’intervient que dans le moyen de transmission aux autres109.

Cependant, cette philosophie qui cherche à donner une explication systématique aux grands
problèmes : cosmographique, moral, social et spirituel, aboutit à certaines conclusions qui ne

108
Emile Bréhier, op., cit., p. 108.
109
AL-FÄRÄBI, Livre de concordance entre les opinions des deux sages : le divin Platon et Aristote, Traduit par
ELIE ABDEL-MASSIH, O.A.M., Beyrouth, Presses de l’Imprimerie Catholique, 1970, p. 6.
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concordent pas avec la foi. En effet, elle admet une émanation éternelle et non création,
comme elle admet une intelligence (l’intellect agent) régissant notre monde en dehors du
premier Etre qui s’en désintéresse. Enfin, cette philosophie n’admet pas de bonheur sensible ;
le bonheur, selon elle, est pure contemplation de la vérité contenue dans l’intellect agent110.
Les défenseurs de la foi révélée ont rejeté violemment cette philosophie car disent-ils : « le
Prophète est l’homme élu en qui se manifeste Dieu, et la foi dans le prophète est le moyen
d’accès vers Dieu. Le continuisme platonicien, qui englobe une explication totale de l’univers
et qui relie la théologie à la cosmologie, se heurte au discontinuisme de l’Islam (qui affirme
une suite d’actes discontinus, explicables par la puissance toute nue de Dieu), création
volontaire, révélation par le Prophète. La foi islamique, au contraire, met Dieu tout près du
croyant, sans s’embrasser d’aucune considération cosmologique ; c’est la révélation opposée à
l’émanation111.

2- LE VECU DU BONHEUR DANS LA SOCIETE ACTUELLE

Pour al-Fârâbî, le véritable bonheur n’est possible que pour l’homme parfait, le philosophe, le
Prophète qui est à la fois Chef suprême, Législateur qui dispose de toutes les qualités. Il est
celui qui par son excellent rôle de guide, conduit la cité vertueuse à sa fin qui est le bonheur
réel. A présent passons en revue dans les sociétés, précisément arabes et notamment la société
marocaine pour examiner si la philosophie du philosophe arabe al-Fârâbî est appliquée.

Nous savons que le Maroc, situé en Afrique du Nord, sur le littoral de l'Atlantique et de la
Méditerranée, se distingue par ses influences berbères, arabes et européennes. C’est un pays
islamique où l’Islam et la politique sont étroitement liés. Son modèle politique a subi
beaucoup de mutations et de successions de dynasties. Actuellement, le roi Mohammed VI
mène une politique inclusive basée précisément sur les questions économiques, et sociales. Il
est préoccupé plus par les questions étatiques que par les questions morales, éthiques etc., qui
constituent même les principaux points d’atteinte au bonheur véritable. Aussi, certaines
sources nous montrent un taux élevé de corruption dans ce pays. Selon le groupe Libre
Afrique, le « Maroc a un niveau de corruption supérieur puisque son score est de 4,1%
dépassant la moyenne pour les 30 pays étudiés qui est de 3,3%112 ». Cela prouve d’une part
que cette cité est loin de la philosophie d’al-Fârâbî et d’autre part l’injustice gagne le terrain
ce qui remet en cause l’existence de la cité vertueuse mentionnée par notre auteur. Ce qui
nous amène à nous posé la question de savoir si réellement, le chef Suprême de ce pays
110
Albert Nader, Courants d’idées en Islam, op., cit., p. 70.
111
Emile Bréhier, op.,cit., p. 99.
112
http:/WWW.libreafrique.org/HEM corruption Maroc 021112, consulté le 02/03/2020 à 21h36mn.
P a g e 98 sur 186
disposé de toutes les qualités évoquées par al-Fârâbî, ou du moins les six autres. En effet on
constate que la grande partie de nos dirigeants politique sont plus porter vers leurs propres
intérêts égoïstes. A cela s’ajoute les injustices sur toutes ses formes constatables non
seulement au Maroc mais un peu partout dans nos divers états.

Nous pouvons, au vu et au su de ces divers constats, affirmer que le véritable bonheur d’al-
Fârâbî ou sa philosophie reste un idéal à atteindre voire utopique113. Il est remarquable
qu’actuellement les valeurs morales, éthiques ou encore les qualités du gouvernant digne en
vue d’une cité vertueuse valent moins car la corruption, l’injustice, l’affinité et la mal
gouvernance remplacent ces qualités à grande échelle.

113
Utopique ici est un idéal à atteindre, André LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie,
p.1181.
P a g e 99 sur 186
CONCLUSION

Au terme de ce travail, nous rappelons que nous sommes partis d’abord du problème du
bonheur véritable chez al-Fârâbî dans Opinions des habitants de la cité vertueuse. Tout au
long de notre démarche, nous avons adopté le plan analytique. Nous avons commencé par un
aperçu général sur al-Fârâbî qui nous a permis de connaître qui est-il et avoir une
connaissance de ses différents ouvrages qu’il a écrits. Une chose remarquable est à constater
qu’al-Fârâbî qui est un philosophe arabe, a développé une philosophie basée sur Aristote et
surtout Platon.

Ensuite selon sa conception du bonheur véritable, il nous mentionne que le bonheur en vérité
se distingue des faux bonheurs, qui sont la richesse, la domination, le plaisir et les biens de ce
monde. Son bonheur véritable concerne la vie de l’au-delà, que seules certaines âmes seront
disposées à y avoir accès seulement si elles remplissent les conditions nécessaires. Al-Fârâbî
propose ainsi aux hommes la condition sine qua non, pour atteindre le bonheur. Cette
condition aidera l’homme à quitter son état d’animalité et à libérer son âme de l’emprise du
corps. Condition sans laquelle l’âme sera mortelle et n’accédera pas à ce qu’il appelle
bonheur en vérité. Pour cela, l’homme doit perfectionner sa faculté rationnelle spéculative
pour percevoir le bonheur avec certitude et ainsi que les autres facultés. Le pouvoir qui rend
l’être humain capable de percevoir les choses et se diriger vers le bonheur, émane de
l’Intellect agent vers l’intellect passif à travers la médiation de l’intellect acquis. Cet
« Intellect agent » est la frontière entre le monde supra lunaire et le monde sublunaire et c’est
lui qui donne la multiple forme des éléments de ce monde. De lui proviennent les âmes
humaines qui viennent informer les corps suffisamment disposés à les recevoir. Ces âmes
acquerront leur immortalité si et seulement si elles se forcent d’atteindre les vérités transmises
par cet intellect agent, premier Etre qui est hors de leur portée, leur ultime bonheur. Une fois
cette étape achevée, seules les âmes destinées au « bonheur en vérité » parviendront à obtenir
certain nombre de qualités. Ce n’est qu’en acquérant ces qualités que l’on peut diriger la cité
vertueuse qui se distingue des autres cités. En outre, il faut aussi que le dirigeant possède un
« intellect acquis », qui est la condition d’entrer en contact avec l’Intellect agent, lequel lui
accorde alors cette « chose » qui est « comme la lumière » et qui doit le conduire, lui et ses
concitoyens vers le bonheur véritable.

Enfin, nous avons essayé de faire une actualisation de cette conception philosophie afin de
réaliser si les dirigeants actuels peuvent avoir les qualités énumérées par al-Fârâbî en vue du

P a g e 100 sur 186


bonheur véritable. Mais il semble qu’il serait difficile de posséder toutes ces qualités. Cette
philosophie d’al-Fârâbî serait donc un idéal à atteindre.

P a g e 101 sur 186


BIBLIOGRAPHIE
Les Ouvrages

 Abû Nasr al-Fârâbî,

2011, Opinions des habitants de la cité vertueuse, Beyrouth, Dar


Albouraq.

 Abu Nasr Al-FARABI,


1976, Kitab al-siyasa al-madaniyya, traduit partiellement par F.M.
 Aristote,

2000, Métaphysique, Tome 1, Livres A-Z, Paris, édition Librairie philosophique


J.Vrin, E, 1, 1025b.

 Albert Nader,
6ème au 20ème siècle, Courants d’idées en Islam, Canada, MediasPaul,
 Christian Godin,

2008, La philosophie, Antiquité, Moyen Age et Renaissance, pour les Nuls,


Paris, First-Gründ.

 Diane Steignerwald,

1999, [La pensé d’al-Fârâbî (259/872-339/950): son rapport avec la


philosophie ismaélienne] érudit, Laval thésologie et philosophie.

 Emile Bréhier,

1949, La philosophie du Moyen Age, Paris, Albin Michel.

 Herbert A. Davidson,

1992, Alfarabi, Avicenna and Averroes, on Intellect, Oxford, Oxfod


University Press.

NAJJAR, “The political Regime” dans Medieval political philosophy.


 Ngarndiguimal NELEMTA,
2002, Le bonheur : finalité de l’ascension dialectique chez
Plotin, mémoire en vue de l’obtention d’une maîtrise philosophique.

 Platon,
1950, La République, Livre VI, 484b, France, éditions Gallimard,
P a g e 102 sur 186
Webographie

 http://www.cosmovisions.com/Alfarabi.htm, consulté le18 /03/2020 à ooh16.

 https://fr.wikipedia.org/wiki/Al-F%C3%A2r%C3%A2b%C3%AE#cite_note-18,
consulté le 19/03/2020, à 22h 41mn.

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TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION .................................................................................................................... 77

I-PRESENTATION GENERALE SUR AL-FARABI


.................................................................................................................................................. 78

1-BIOGRAPHIE ET BIBLIOGRAPHIE D’AL-FARABI .................................................. 78


2-PRESENTATION DE SON ŒUVRE : OPINIONS DES HABITANTS DE LA CITE
VERTUEUSE....................................................................................................................... 80
II-ANALYSE APPROFONDIE DU BONHEUR CHEZ AL-ALFARABI
.................................................................................................................................................. 87

1-LE BONHEUR SELON AL-FÄRÄBÏ ............................................................................. 88


a-COMMENT PARVENIR AU BONHEUR VERITABLE ?
89
b-LES QUALITES QUE DOIT AVOIR UN DIRIGEANT DE LA CITE VERTUEUSE
91
2-LA CITE VERTUEUSE D’AL-FARABI : CHEMIN DU BONHEUR VERITABLE ... 94
a-CONSTITUTION DE LA CITE VERTUEUSE
95
b-L’ORGANISATION DE LA CITE VERTUEUSE
95
III-UNE TENTATIVE D’ACTUALISATION DE LA PENSEE D’AL-FARABI
.................................................................................................................................................. 96

1-LE BONHEUR SELON AL-FÄRÄBÏ EST-IL UNE REALITE OU SIMPLEMENT


UNE UTOPIE ? .................................................................................................................... 96
2-LE VECU DU BONHEUR DANS LA SOCIETE ACTUELLE ..................................... 98
CONCLUSION ...................................................................................................................... 100

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 102

TABLE DES MATIERES ..................................................................................................... 104

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Groupe 6 :
Les cinq voies de Saint Thomas :
cheminement dynamique vers la découverte
de l’existence de Dieu

Présenté par :
ANYOUZOA Julien Stève
MALONGA Litshgi Divinat Heureuxel
NANA NANTCHO Maxime Olivier

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Sommaire
Sommaire .................................................................................................................................. 1

INTRODUCTION ................................................................................................................ 107

I-ZOOM SUR UN ILLUSTRE PERSONNAGE


................................................................................................................................................ 108

II-COMPREHENSION DES CINQ VOIES


................................................................................................................................................ 110

III-POLEMIQUE ET LIMITE DU THOMISTE


................................................................................................................................................ 113

CONCLUSION ..................................................................................................................... 118

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 119

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INTRODUCTION
Le thème qui constitue l’objet de notre travail est un extrait de la somme théologique
de saint Thomas d’Aquin. Ce dernier se trouve à la question II, Article III et s’intitule les cinq
voies. Cela nous a permis de sortir le thème ci-après : Le cheminement dynamique vers la
découverte de l’existence de Dieu. Certains croient que Dieu existe. La plupart des religions
affirment son existence. Mais à côté de cette croyance, d’autres pensent que Dieu n’existe pas.
Ceci montre que dans le monde les positions ne seront jamais unanimes sur un point de vue.

L’existence ou la non existence de Dieu, ne parait pas un problème majeur qu’il faut
résoudre. Le véritable problème est celui de la Foi et Raison. Si la foi est une adhésion ferme
et totale à la parole de Dieu. Elle n’est ni élan aveugle de la sensibilité, ni sacrifice de
l’intellect. La Raison est une lumière naturelle procédant de Dieu : elle illumine l’esprit
humain et soutient l’autorité de la foi. Foi et Raison sont en accord l’une avec l’autre. La foi
apporte des vérités inaccessibles à la raison, que celle-ci conforte (mais ne démontre pas), en
expliquant leur contenu par son enseignement. La raison permet d’acquérir les vérités qui ne
relèvent pas directement de la foi et lui sont inaccessibles. Saint Thomas d’Aquin propose la
Foi et la Raison comme des chemins qui conduisent à la découverte de l’existence de Dieu.
Cette question se pose plus encore en philosophie, en ce sens qu'il nous faut remonter de la
considération de l'être à celle de ses principes et de la Cause Première. Nous pouvons donc
étudier les cinq voies comme des démarches métaphysiques visant à atteindre l'Être Premier,
la Cause Première, l'Être Nécessaire, l'Être le plus Grand, etc. La pensée de Thomas d’Aquin
étant si florissante que l’Eglise Catholique adopte à partir du XVIIè siècle et en fait sa doctrine
officielle. La scolastique, c’est-à-dire la philosophie et la théologie enseigné au moyen-âge en
Europe, sera fortement influencé par le thomisme dès le XIIIè siècle. Qui est Saint Thomas
d’Aquin dont la pensée se veut une découverte de l’existence de Dieu ? Que préconise-t-il
dans sa pensée pour parvenir à cette découverte de l’existence de Dieu ? Cette pensée trouve-
t-elle toujours résonnance de nos jours ? Pour mener à bien se travail, nous donnerons
d’abord la quintessence de ses cinq voies, puis nous ferons un commentaire plus approfondi
de la cinquième voie prouver l’existence de Dieu et enfin nous allons donner les limites et les
positions contraire thomiste.

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I- ZOOM SUR UN ILLUSTRE PERSONNAGE
Il est bien évident que lorsqu’il s’agit de l’étude d’un auteur, il est nécessaire
d’avoir une connaissance de ce personnage en cherchant à découvrir ce qui a
manifestement été au cœur de sa vie avant d’étaler sa pensée. C’est ce que nous allons
voir sur saint Thomas d’Aquin dont la pensée était florissante à l’époque médiévale et qui
continue de marquer l’histoire de la réflexion philosophique et théologique.

1. Biographie

Thomas d’Aquin naquit au temps de l’empereur Frédéric II, dans une région du
royaume de Sicile à la frontière avec les Etats pontificaux, vers 1225. Il grandit dans une
famille de seigneur au service de cet empereur, et son père était le gouverneur de la région,
proche du théâtre sur lequel s’affrontèrent, à cette époque, les armées de l’empereur et celles
qui combattaient pour le Pape. Elevé, jusqu’à l’âge de cinq ans, dans le château fort de
Roccasecca, Thomas fut ensuite conduit à l’abbaye voisine du Mont-cassin, où il reçut sa
première éducation intellectuelle. Probablement en 1239, quand l’abbaye est l’objet d’un
violent conflit entre l’empereur et le Pape, Thomas est envoyé au Studium universitaire de
Naples, fondé par Frédéric II en 1224 et reformé par ce même empereur dix ans plus tard.
Nous connaissons encore très mal cette première étape de la formation de niveau universitaire
du jeune Thomas ; cependant une lettre de 1239, écrite par les maîtres et les étudiants, atteste
qu’à cette époque le Studium était en pleine activité et elle nous informe sur les matières
enseignées à ce moment-là : les sciences du quadrivium (arithmétique, géométrie, astronomie,
musique), la logique, la philosophie (y compris, probablement, la métaphysique) et la
théologie

En 1242 probablement, Thomas d’Aquin entra dans l’ordre des frères prêcheurs, à
Naples et en 1246 il arriva à Paris, où enseignait frère Albert de Cologne, dit Albert le Grand.
C’est pendant les années 1246-1248 que le jeune frère italien entra en contact avec
l’université de Paris (Bataillon 1983), et s’y imprégna- fait décisif pour la suite de sa carrière-
de l’enseignement de la philosophie (surtout morale), dispensé à la faculté des arts. Après une
période de trois ans à Cologne, où il avait été l’assistant de maître Albert, Thomas revint à
Paris pour y lire- c’est-à-dire commenter- les sentences de Pierre Lombard. Cependant, la

P a g e 108 sur 186


lecture « Cursives » de quelques livres de la Bible ; nous conservons le texte de cet
enseignement biblique de Thomas : sa lecture sur les prophéties Isaïe et Jérémie.114

Admis au rang des maîtres, il enseigne en Italie de 1259 à 1268 (Anagni, Orvieto,
Rome et Viterbe) puis à Paris, de 1269 à 1272, et à Naples, en 1273 ; convoqué par le Pape
Grégoire X au concile de Lyon, en janvier 1274, il meurt en route, à Fossanova, le 7 mars
1274, dans sa cinquantième année.115

C’est en 1879, le Pape Léon XIII, dans l’encyclique AEterni Patris, a déclaré que les
écrits de Thomas d’Aquin exprimaient adéquatement la doctrine de l’Eglise. Il est Canonisé
saint le 18 juillet 1323 à Avignon par Jean XXII, puis élevé au rang de docteur de l’Eglise en
1567 par Pie V.

Les principales œuvres de Saint Thomas d’Aquin sont les suivantes : Commentaire sur
les sentences de Pierre Lombard (1252-1257), L’être et l’essence (1255), Somme contre les
Gentilles (1258-1264), Quodlibet (1258), De la puissance divine (1265-1268), Commentaire
sur Aristote (1265-1273), Somme théologique (1266-1273), Des créatures spirituelles (1265-
1273), De l’unité de l’esprit (1269), Du mal (1269-1271), Questions disputées (1271).

Nous pouvons noter que La qualité et l’impact que les écrits de Thomas d’Aquin a
laissé, lui a valu le nom docteur Angélique, qu’est-ce qui a épaté ses contemporains où
l’Eglise pour qu’il reçoit ce titre ?

2. Contexte d’émergence de la pensée de Saint


Thomas d’Aquin

Lorsque Thomas débute sa carrière de maître en théologie vers 1250 à Paris, les
musulmans, toujours installés en Espagne, poursuivent l’état de siège du monde chrétien.
Véritablement hantée par les succès de l’islam, la chrétienté prend conscience des limites de
son influence en même temps qu’elle redécouvre les œuvres d’Aristote, retraduites de l’arabe
en latin et enseignées depuis peu en Italie et à Paris. La philosophie et la théologie à cette
époque paraissaient difficilement compatibles, car, face à ce qui dépasse la compréhension,
l’intelligence devait renoncer à faire valoir ses droits : il ne faut pas, pouvait-on lire alors,
couper le « vin fort de la parole de Dieu » avec « l’eau de la raison ». Thomas se trouvait donc
confronté au choix entre deux visions du monde : celle de la Bible, fondée sur la doctrine de

114
Ruedi Imbach, La philosophie de Thomas d’Aquin, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 2009, p.15-16.
115
Roger Cartini, Vent de Philo sur les chemins de la philosophie…, Paris, Michel Lafon, 1997, p.242.

P a g e 109 sur 186


la création et le caractère surnaturel de la foi ; celle de la philosophie gréco-arabe selon
laquelle le monde est nécessaire et l’esprit impersonnel est seul immortel116. La foi et la raison
ne peuvent jamais se contredire, parce qu’elles ont la même origine : Dieu qui est l’unique
vérité. Ce principe fondamental était communément admis par tous les philosophes du Moyen
Âge ; mais saint Thomas a su, mieux que tous, montrer dans le détail, le plein accord des
doctrines révélées avec la vérité naturelle. Cette harmonie a pour origine les bons offices que
se rendent l’une à l’autre la foi et la raison117. De même, La philosophie ne saurait s’opposer,
selon lui, à la foi biblique. Bien au contraire, la foi a besoin de l’intelligence qui l’éclaire et la
renforce : « Si nous résolvions les problèmes de la foi par la seule autorité, écrit-il, nous
posséderions certes la vérité, mais dans une tête vide ». Sans aucun doute la théologie est le
savoir suprême, mais la raison et la philosophie doivent en être les « servantes ». Thomas
repense donc l’aristotélisme en y intégrant les doctrines de la création, de l’immortalité de
l’âme et de la liberté. Il affirme que le Dieu d’Aristote est le même que celui des prophètes, et
qu’on peut démontrer qu’il n’y a qu’un seul Dieu. Il explique également que la doctrine de la
création, impliquant la contingence du monde, n’est pas incompatible avec les positions
d’Aristote.118

II-COMPREHENSION DES CINQ VOIES


Les cinq voies que nous nous proposons de vous présenter en résumé, ont été
élaborées par saint Thomas d’Aquin. Ses voies ont une portée beaucoup plus théologique.
Alors qu’en philosophie le problème se pose, de l’existence de Dieu ; saint Thomas dans sa
métaphysique propose les cinq voies comme des démarches visant à atteindre l’Être premier,
la Cause première, l’Être Nécessaire, l’Être le plus Grand.

1. Résumé des cinq voies


 Première voie : Elle est fondée sur l’observation du mouvement des
éléments. Le mouvement, est causé par un être qui joue le rôle de moteur ou
d’agent du changement ; celui-ci à son tour est mû par un autre. Mais on ne saurait
remonter à l’infini, c’est-à-dire dans les éternités des mouvements. Il faut donc
poser l’existence d’un moteur premier non mû ; et ce moteur c’est Dieu119.

116
Clement Elisabeth, Philosophie de A à Z, Paris, Hatier, 2000, p.447.
117
François- Joseph. Thonnard, Précis d’Histoire De La Philosophie, Paris, Desclées & Cie, 1974, p.332.
118
Clement Elisabeth, Philosophie de A à Z, Paris, Hatier, 2000, p.447.
119
Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique : Dieu, Question 2, Article III, Paris, Desclée & Cie, 1925, p.76.

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 Deuxième voie : Elle fondée sur la notion et la réalité des causes.
Tout être ou toute modification d’être advient comme l’effet d’un être antérieur,
qui joue à son égard le rôle de cause et de fin en lui-même. L’effet d’un autre et
ainsi de suite. Toutefois, on ne peut aller à l’infini dans la série des causes. Il faut
donc poser l’existence d’une cause première in causée que tous appellent Dieu.120

 Troisième voie : Elle se base sur la distinction de l’être possible ou de


l’être nécessaire (Dieu). On appelle possible un être qui peut exister mais qui n’existera
jamais s’il n’est pas produit par une cause ; on appelle nécessaire ce qui n’a pas de cause
et, en vertu de sa propre essence, ne peut pas ne pas exister. Dans cette troisième voie,
saint Thomas reprend la distinction entre le possible et le nécessaire mais aussi la marche
générale de la preuve qui conduit à poser l’existence d’un Être nécessaire que tous
appellent Dieu.121

 Quatrième voie : elle part de la constatation qu’il y a des degrés


dans les êtres. En effet, il y a des degrés de beauté, de bonté dans les choses, qui ne
s’entendent que par rapport au beau, au vrai, au bon en soi. Cette vie peut être mise
sous la forme syllogistique suivante : des êtres possédant imparfaitement leur
perfection la tiennent d’un être qui la possède par soi, ou sont causés par un être
qui possède cette perfection dans ce genre (du bon, du vrai, du beau). Donc
quelque Être possédant la perfection par soi est existant. En conclusion, « il y a
donc un être qui est, pour tous les êtres, causes d’êtres, de bonté et de toute
perfection. C’est lui que nous appelons Dieu ! »122

 Cinquième voie : Elle part de la constatation de l’ordre du monde.


Elle peut être considérée comme une application de la cause finale d’Aristote. Les
divers êtres que nous voyons, les astres, les plantes, les animaux suivent un ordre
qui délimite leur place, c’est l’ordre statique ou structurel, et leur mouvement ou
évolution, c’est l’ordre dynamique. Il y a donc un Être intelligent par lequel toutes
choses naturelles sont ordonnées à leur fin, et cet Être c’est lui que nous appelons
tous Dieu.123

120
Ibid, p.78.
121
Ibid, p.79.
122
Ibid, p.81.
123
Ibid, p.82.

P a g e 111 sur 186


En résumé, nous pouvons dire que non seulement qu'il y a cinq voies qui conduisent à
la découverte de l’existence de Dieu, que saint Thomas d’Aquin développe et qu’on peut
appeler raisonnement de concordance. Ce raisonnement, suit une gradation ascendante qui
conduit à la manifestation de Dieu. Il appert que le mode utilisé est celui de l’induction, qui
part du particulier au général ; autrement dit, par les choses visibles sont manifestés les
attributs invisibles de Dieu.

2. COMMENTAIRE DE LA CINQUIEME VOIE

La voie sur laquelle nous allons nous engager dans ce travail, est l’une des démarches
entreprise par saint Thomas d’Aquin, pour prouver l’existence de Dieu. Pour parvenir à
prouver l’existence de Dieu, il utilise bon nombre d’outils, dont le syllogisme. Il débute en
posant deux prémisses, qui aboutissent à une conclusion. Le contenu de ses prémisses sont les
suivantes : dans la majeure il dit « les choses privées de connaissance, agissent en vue d’une
fin ; non pas par hasard, mais en vertu d’une tendance déterminée, qu’ils parviennent à leur
fin » ; dans la mineure il est dit « ce qui est privée de connaissance ne peut tendre à une fin
que dirigé par un être connaissant et intelligent » ; il conclut en disant « Il y a donc un être
intelligent, par lequel toutes choses naturelle sont orientées vers leur fin, et cet être, nous le
disons Dieu. »

Ce syllogisme est constitué de trois termes, parmi lesquels :

- Le petit terme : être connaissant et intelligent ;


- Le moyen terme : chose privée de connaissance ;
- Le grand terme : agissent en vue d’une fin.

Après avoir fait ressortir les termes que contienne ce syllogisme, nous nous
sommes rendus à l’évidence qu’on est ici à la figure 3 ; en ce sens que le moyen terme est
sujet dans la majeure et dans la mineure. Et le mode correspondant est DARAPTI.

Dès lors nous partirons de la majeure à la conclusion en passant par la mineure


pour montrer notre compréhension de la cinquième voie en donnant la quintessence de ce que
nous avons perçus comme message qui nous conduit à cette découverte de l’existence de
Dieu. Dans le monde même, les choses qui n’ont pas de conscience agissent toujours pour une
fin. Cela se vérifie par le fait que ces choses agissent de la même manière pour obtenir le

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même résultat. Le cas illustratif est celui des abeilles qui agissent toujours de la même
manière pour obtenir les mêmes fins. Ces résultats ne sont pas le fruit d’un hasard.

Or tout ce qui n’a pas de conscience ne peut se mouvoir vers la même finalité, à moins
qu’on y soit conduit par une entité dotée d’une conscience et d’une intelligence. Exactement
comme une flèche entre les mains d’un archè. Elle est la fin téléologique. L’argument
téléologique nous permet de prouver l’existence de Dieu à partir de l’organisation finaliste du
monde. L’adaptation des « êtres vivants à leur milieu, l’organisation en apparence finaliste
de la nature témoignent de l’existence d’une intelligence suprême qui aurait créé le monde en
vue de certaines fins, la fin par excellence étant la rédemption de l’homme vers cet Être
suprême. On parvient ainsi à l’idée de Dieu, cause finale de l’univers, que les déistes du
XVIIIe siècle ont exalté bien naïvement et que la pensée rationaliste refuse avec la plus
grande vigueur depuis Descartes »124.Cette fin n’est pas le fruit du hasard. La matière elle-
même n’est pas le fruit du hasard et donc l’univers n’est pas le fruit du hasard non plus, il tend
vers un télos qui est lié au commencement tel que présenté dans le livre de la Genèse. C’est
donc une preuve que le monde est gouverné de bout en bout. Il n’y a pas un seul élément qui
échappe à la gouvernance du monde. Même si la perspective de saint Thomas s’inspire
d’Aristote, la conception des choses reste marquée et influencée par le monothéisme chrétien.
De même les Psaumes de David qui prennent à témoin toutes les puissances du monde
(montagnes, cataractes…) sont faites pour exalter la toute-puissance de Dieu qui est
incomparable à la petitesse de l’homme ; soit pour avertir la colère de Dieu qui est plus
grande que les tsunamis.

S’il est vrai que pour Saint Thomas d’Aquin les cinq voies nous conduisent à la
découverte de l’existence de Dieu, il n’en ressort pas moins qu’il y ait des imperfections. Ce
qui nous emmène à voir les limites de cette approche Thomasienne, en nous référant aux
polémiques des philosophes du temps modernes que nous allons découvrir.

III- POLEMIQUE ET LIMITE DU THOMISTE


La philosophie étant une science de l’étonnement, mais un étonnement qui se veut être
un chemin vers la vérité. Cela montre combien il est difficile d’avoir une vérité toute faite.
C’est pourquoi même sur la question de l’existence de Dieu il est évident qu’il y ait des
controverses ; non des oppositions pour opposition, mais une opposition qui cherche des
arguments convaincants pour toujours tendre vers la vérité. C’est ce qui constitue cette partie

124
Roger Cartini, Vent de Philo sur les chemins de la philosophie…, Paris, Michel Lafon, 1997, p.576.

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que nous entamant. Après cette position du thomiste, il s’est avéré que certains penseurs se
sont mis à l’antipode de sa pensée en réfutant l’existence de Dieu. Quel est donc leur apport
sur cette question de grande envergure ?

1- Athéisme Freudien

Sigmund Freud est né en 1856 en République Tchèque, il arrive à Vienne à l’âge de 4


ans. Il fait des études de médecine et s’intéresse particulièrement au système nerveux. En
1885, Freud effectue un voyage d’étude à Paris pour suivre les cours du grand professeur
Charcot, un neurologue et professeur d’anatomie pathologique, qui se consacre à l’étude des
maladies mentales. Ainsi Freud découvre l’hystérie et prend conscience de la réalité des
maladies mentales dont on ne s’occupait pas trop.

Dans son ouvrage intitulé : L’avenir d’une illusion (1927), Il présente


l’illusion dans le domaine psychologique comme étant une erreur de perception, une
interprétation erronée de perceptions sensorielles de faits et d’objets réels. Pour le
psychanalyste, l’illusion n’a pas le même statut d’erreur, mais d’une croyance qui séduit,
abuse l’esprit. En 1919, son ami Romain Rolland publie Liluli, et le lui envoie. Liluli c’est
l’illusion ; « Liluli, reine du monde ». Freud reprend le terme : Les représentations
religieuses sont une illusion. Freud circonscrit l’illusion religieuse aux religions judéo-
Chrétiennes. L’illusion c’est vouloir la véracité de l’existence d’un dieu tout puissant au-
dessus des hommes, la promesse d’une vie après la mort, etc. ; ce n’est pas une « erreur »,
car nous n’en savons rien, mais une croyance, un espoir dont l’homme a besoin.
Contrairement à saint Thomas d’Aquin, Freud l’existence de Dieu n’est pas un acquis chez
Freud, en ce sens que c’est un besoin pressant de l’homme qui le conduit à concevoir dans
son entendement un être transcendant.

Pour l’enfant, le père apparait comme un être tout puissant et protecteur. De cette
représentation infantile découlerait la croyance en Dieu : « Dieu est un père exalté, la
nostalgie du père est la racine du besoin religieux » et non une quelconque existence
rationnelle de Dieu. L’existence rationnelle relèverait des émotions personnelles. A son élève
et ami Sàndor Ferenczi, Il dira en 1910 : « Je vous confie volontiers une idée qui m’est venue
au tournant de l’année : l’ultime fondement des religions c’est la détresse infantile de
l’homme ». Freud croit au progrès de l’homme : un jour il pourra se passer de cette illusion
pour une attitude, une pensée plus scientifique. Un jour, les dogmes et les doctrines
religieuses, dans lesquelles il est plongé depuis l’enfance et auxquelles il adhère

P a g e 114 sur 186


automatiquement, seront critiquées et abandonnées par lui, pour une « science qui n’est pas
une illusion » (Freud). L’homme ne peut rester dans l’infantilisme. On pense à la théorie
d’Auguste Comte et à sa Loi des trois états : théologique, métaphysique et positif, par lequel
l’humanité et les individus passeraient, depuis l’enfance jusqu’à la maturité.

Mais Freud, dans son approche critique de la religion, n’est en rien un Emile Combes,
cet anticlérical forcené. Il reconnaît les valeurs morales, sociales de la religion, sa lutte
contre les instincts, etc. ; même s’il la considère comme névrose collective, économisant
d’ailleurs la névrose individuelle. Reprendrait-il à sa manière la formule de Marx, la religion
comme « opium du peuple » ?125

Freud se propose de démontrer l’Egyptianité de Moïse et de déconstruire les


fondements du judaïsme auquel il ne croit plus. Mais pourquoi Freud peut-il déposséder le
peuple Juif de son prophète et de son Dieu, au moment où il en a le plus besoin ? Il reçoit des
pressions des juifs d’Europe et des Etats-Unis pour renoncer à la publication de son livre.
Mais Freud ne cède pas, même si dans son premier essai il écrivait : « Enlever à un peuple
l’homme qu’il honore comme le plus grand de ses fils, n’est pas une chose qu’on entreprend
volontiers, surtout quand on appartient soi-même à ce peuple. »126

Il commence par désacraliser l’un des plus grands prophètes du Judaïsme, en le


réduisant à une position d’homme, comme le révèle le titre de son livre L’homme Moïse et la
religion monothéiste. Il lui supprime son identité juive, pour en faire un égyptien qui sera
assassiné par les israélites eux-mêmes. Il opère une castration symbolique en privant les juifs
de leur prétention à l’élection. Plus encore, il supprime tous les repères du Judaïsme : « Si
mon hypothèse se confirme, il faudra abandonner toutes ces pieuses fictions. Notre
reconstitution ne laisse aucune place à aucun événement majeur de la narration biblique, les
dix plaies, le Franchissement de la Mer Rouge, le Don Solennel de la Loi sur le Mont
Sinaï. »127 L’inconscient a détruit les fondements mêmes du Judaïsme. Il ne restait plus que
Dieu qu’il interprète comme une invention humaine. L’existence de Dieu ne s’aurait donc
être prouvée, car c’est l’homme qui invente Dieu et lui confère toutes les qualités liées à
celui-ci. Par ailleurs, la religion est le culte rendu à la divinité. Elle repose sur un corps de
doctrine et objet de foi qu’on appelle des dogmes auxquels les croyants adhèrent sans les
remettre en question, car en eux le Divin s’est révélé, qui donne le caractère de compulsion,

125
http://www.garriguesetsentiers.org/article-4650302.html, consulté le 27 mars 2020 à 09h 00mn.
126
Sigmund Freud, Moïse et Monothéisme, Paris, Gallimard, (trad.française), 1939, p.63.
127
Peter Gay, Freud, une Vie, Paris, Hachette, 1991, tome2, p.370.

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interdiction, empêchement qui fait que la religion serait aux yeux de la psychanalyse une
névrose obsessionnelle.128

E. 2- Sartre Et Dieu : l’Existentialisme Athée


Sartre, dans sa conférence L’existentialisme est un humanisme a défini son athéisme :
L’existentialisme athée, que je représente, est plus cohérent. Il déclare que si Dieu n’existe
pas, il y a au moins un être chez qui l’existence précède l’essence, un être qui existe avant de
pouvoir être défini par un concept et que cet être c’est l’homme ou, comme dit Heidegger, la
réalité humaine. Qu’est-ce que signifie ici que l’existence précède l’essence ? Cela signifie
que l’homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu’il se définit après.

La première question posée par Sartre est : qu’est-ce que l’homme ? Il répond que
l’homme n’est rien, “rien” au sens où c’est à l’homme lui-même de se définir. C’est grâce au
néant que la condition humaine, en tant que liberté, peut-être. L’existence, nous dit Sartre,
précède l’essence. Affirmer l’inverse revient à réintroduire Dieu. Réintroduire Dieu serait de
faire un come-back à la philosophie thomasienne qui présente les voies comme un chemin à la
découverte de l’existence de ce Dieu ; cette existence qui n’est point sujet de doute, car elle
est évidente selon Thomas d’Aquin. Notons au passage que le “Dieu” de Sartre est celui des
philosophes (Descartes, Spinoza, etc.) : autrement dit, le créateur de l’univers, omnipotent et
omniscient. Si un tel être existait, alors l’existence de cet être précéderait l’existence de
l’homme ; et les êtres humains seraient par conséquent son œuvre et leur finalité serait dictée
par Dieu. Sartre refuse cette conception : la signification est une création purement humaine.
Si l’homme a un dehors, une nature, alors il sera impossible de donner un sens à son
existence. Par définition même, son existence deviendrait une essence. L’homme est-il alors
sans boussole pour agir, sans morale ? Oui. Aucune morale prédéfinie ne saurait lui être
imposée. Charge à lui de définir ses propres valeurs, dans un univers de liberté pure et de
contingence. C’est la condition de la dignité humaine.129

Le parcourt de la pensée de Freud et de Jean Paul Sartre nous amène à remettre en


cause l’existence de Dieu déjà évidente chez Thomas d’Aquin. Car, pour Freud, l’existence de
Dieu relèverait d’un besoin sentimental et affectif. Dieu est ainsi créé par l’homme pour
combler ce vide intérieur. De son côté, Jean Paul Sartre, affirme que l’idée de l’existence de
Dieu, rend l’homme esclave de ce Dieu, incapable de jouir d’une liberté parfaite. Or, La

128
Sigmund Freud, Totem et Tabou, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1939, p.165.
129
https://la-philosophie.com/sartre-dieu-lexistentialisme-athee, Consulté le 27 mars 2020 à 23h03.

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liberté n’est pas un choix délibéré, c’est un libre arbitre absolu : l’homme est condamné à la
liberté. Car je suis responsable de tout ce qui m’arrive et de tout ce qui arrive au monde sans
en attribuer la cause à un être dont je ne sais pas s’il existe. La position de Freud et Jean Paul
Sartre ne nie totalement la théologie naturelle entreprise par Aristote et poursuivi par Thomas
d’Aquin. Ils font en quelque sorte un dépassement. Faut-il continuer à concevoir l’existence
de Dieu comme une évidence ? La philosophie étant essentiellement un chemin vers la vérité,
le dépassement que font Freud et Sartre de la pensée de Thomas d’Aquin, remet la pensée en
route pour se questionner d’avantage sur l’existence de Dieu.

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CONCLUSION

La pensée de saint Thomas est profondément marquée par la finalité des choses
: il y a pour le saint Docteur un ordre magnifique d'espèces et de genres, dans l'univers
matériel et spirituel. Les différentes substances, à des niveaux inférieurs et supérieurs de la
réalité, sont ordonnées les unes aux autres, comme le sont les parties à l'intérieur d'une
substance et les facultés vis-à-vis de leurs opérations. Cet ordre multiple exige un intellect
ordinateur et l'univers est né de la sagesse et de la lumière divine. Cette conception n’est
partagée par Sartre et Freud ; pour qui, Dieu n’existe pas. Ce n’est qu’une pure illusion et une
machination de la part de l’homme. Ils veulent montrer que si Dieu existe, alors je ne suis pas
libre dans mes actions, en étant conditionné par un être façonné dans notre mentale que Freud
dans sa psychanalyse qualifie de névrose. Bref, nous pouvons en être sûr que parlé de
l’existence ou de la non existence de Dieu fera toujours l’objet des controverses dans le
monde, il serait Judicieux de prendre en compte ce qui est favorable à soi sans imposé à
l’autre d’autant plus que nous lisons dans la Bible que Dieu nous a créé libre.

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BIBLIOGRAPHIE
Saint Thomas d’Aquin,
1925 Somme Théologique, Dieu, Question 2, Article III,
Paris, Desclée & Cie.
Clement Elisabeth,
2000 Philosophie de A à Z, Paris, Hatier.
François- Joseph. Thonnard,
1974 Précis d’Histoire De La Philosophie, Paris,
Desclées & Cie.
Peter Gay,
1991 Freud, une Vie, Paris, Hachette, tome2.
Roger Cartini,
1997 Vent de Philo sur les chemins de la philosophie, Paris,
Michel Lafon.
Ruedi Imbach,
2009 La philosophie de Thomas d’Aquin, Paris,
Librairie Philosophique J. Vrin.
Sigmund Freud,
1913 Totem et Tabou, Paris, Petite Bibliothèque Payot.
Sigmund Freud,
1939 Moïse et Monothéisme, Paris, Gallimard, (trad.française),

http://www.garriguesetsentiers.org/article-4650302.html, consulté le 27 mars


2020 à 09h 00mn.
https://la-philosophie.com/sartre-dieu-lexistentialisme-athee, Consulté le 27
mars 2020 à 23h03.

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Table des matières
Sommaire .................................................................................................................................. 1

INTRODUCTION ................................................................................................................ 107

I-ZOOM SUR UN ILLUSTRE PERSONNAGE


................................................................................................................................................ 108

1. Biographie .............................................................................................................. 108


2. Contexte d’émergence de la pensée de Saint Thomas d’Aquin ......................... 109
II-COMPREHENSION DES CINQ VOIES
................................................................................................................................................ 110

1. Résumé des cinq voies ........................................................................................... 110


2. COMMENTAIRE DE LA CINQUIEME VOIE ................................................ 112
III-POLEMIQUE ET LIMITE DU THOMISTE
................................................................................................................................................ 113

1- Athéisme Freudien ................................................................................................. 114


2- Sartre Et Dieu : l’Existentialisme Athée .................................................................... 116
CONCLUSION ..................................................................................................................... 118

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 119

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Groupe 7 :
Relation Foi et Raison

Présenté par :
ADOUMBEY TIRMADJINGAR
NDONGO EBA YANNICK
NGOL JACQUES

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Introduction
La philosophie est née au VIIème siècle avant J.C. Elle est née par le souci des présocratiques
d’apporté une explication rationnelle du monde. La philosophie de par son objectif
révolutionne ainsi les récits mythiques et théologiques du monde qui se faisait avant son
avènement. Ainsi nous avons les Présocratiques qui ont proposé une explication du monde à
partir des éléments de la nature. Mais le comble est que la philosophie est retombée dans son
propre piège au Moyen Âge. En effet, à l’époque médiévale, la philosophie qui se voulait une
rupture totale avec les récits théologiques, est devenue un outil au service de la théologie au
point de s’en confondre avec elle. A la suite des Médiévaux, les Modernes ont trouvé
inadmissible cette confusion entre théologie et philosophie, entre foi et raison. Pour les
Modernes, la distinction entre foi et raison s’impose. La théologie doit s’occuper des affaires
de la foi et la philosophie doit s’occuper des affaires de la raison. Le combat engagé par la
raison contre la foi nous inspire quelques questions : la foi est-elle dissociable de la raison ? Il
y a-t-il un lien entre foi et raison ? La foi et la raison étant deux facultés qui cohabitent dans
l’être humain, doit-on les séparer ? Ce travail se propose d’apporter quelques lueurs de
réponses aux notions de foi et de la raison. Pour cela, nous commencerons, étant donné que
c’est la première fois que les deux ont cohabité, par la relation qui a existé entre foi et raison
au Moyen Âge. Puis se référant à leur définition et à quelques évènements de l’histoire, nous
aborderons la distinction possible qui existe entre foi et raison. Nous finirons notre travail par
un essai de conciliation des deux notions.

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I. La relation entre foi et raison selon les trois religions monothéistes
Le souci de concilier foi et raison ou de se servir de la raison pour comprendre la foi était
dominant à l’époque médiévale. C’est dans cette optique que plusieurs penseurs des religions
monothéistes, qu’ils soient juifs, chrétiens ou musulmans ont fait usage des méthodes
philosophiques des penseurs antiques pour établir un lien entre foi et raison. Nous notons que
cette conception de relation entre foi et raison n’a pas été sans polémique. Cependant, nous
nous appuierons sur les principales figures de cette période qui ont opté pour une union entre
foi et raison pour élaborer notre travail. Mais avant d’aborder leurs différentes conceptions de
la relation entre foi et raison, nous ferons une brève historique de chaque religion pour
permettre de savoir le fondement de la foi de chacune de ces religions avant d’analyser la
relation qui prévaut entre foi et raison dans chacune d’elles.

1. Conception judaïque de la relation entre foi et raison


La relation entre foi et raison demeure aussi une grande préoccupation dans la religion juive
(judaïsme), et cette partie de notre travail est consacrée à établir ce lien qui peut y prévaloir.
Cependant, notre analyse consistera dans un premier temps à faire un aperçu bref sur l’histoire
du judaïsme selon la foi juive avant de démontrer en nous appuyant sur Maimonide
l’existence de la relation entre foi et raison dans le judaïsme.

a. Aperçue générale sur le judaïsme


Le judaïsme est une religion monothéiste dont la caractéristique essentielle est la croyance en
un Etre Suprême (Dieu). Cette religion est née d’une alliance que Dieu a accomplie avec le
peuple d’Israël en la personne d’Abraham qui est le patriarche et le père des croyants :

« Moi, voici mon alliance avec toi : tu deviendras père d’une multitude des nations. [...]
Je te rendrais extrêmement fécond, de toi je ferai de nations et des rois sortiront de toi.
J’établirai mon alliance entre moi et toi, et ta race après toi, de génération en
génération, une alliance perpétuelle, pour être ton Dieu et celui de ta race après toi.»130.

Le judaïsme a pour constitutions, les commandements reçus par Moïse au mont Sinaï : « Tels
sont les commandements, les lois et les coutumes que Yahvé votre Dieu a ordonné de vous
enseigner afin que vous le mettiez en pratique dans le pays dont vous alliez prendre

130
Genèse 17, 4-7.

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possession »131. Ainsi, la croyance en un Dieu unique, le souvenir de l’alliance de ce Dieu
avec Abraham, le père des croyants et le respect strict des commandements, caractérisent la
religion juive et tous les juifs sont soumis à cette caractéristique. Pour manifester leur
adhésion à leur foi, les juifs récitent tous les jours : « Écoutes, Israël ! L’Eternel est notre
Dieu, l’Eternel est un »132, cela constitue la foi juif qui est récitée normalement deux fois par
jour. Il est un symbole que l’on apprend à l’enfant dès la base de son éducation ; il est aussi
récité par une personne mourante. Au cours de son histoire, la question de la relation entre foi
et raison se pose. Le juif a-t-il besoin de raisonner avant de professer sa foi ? Que dit le
judaïsme par rapport à cette question ? C’est ce que nous allons découvrir à travers la partie
suivante.

b. Conception de la relation entre foi et raison


La question de la relation entre foi et raison a été, comme nous l’avons signalé une grande
question au moyen-âge. Dans le cadre du judaïsme, nous notons que plusieurs penseurs se
sont penchés sur la question, menant ainsi un grand débat entre la compatibilité ou non de la
foi et raison. Ce débat a commencé avec Saadia ben Joseph de Fayoum (892-942)133 et a eu
son prolongement avec d’autres qui ont démontré une étroite relation entre foi et raison. Nous
citons l’école de Cordoue, représentée par Ibn Saddis (1080-1149)134 qui, dit-on démontrait
l’existence de Dieu par un argument cosmologique, et l’école de Tolède, représentée par Ibn
Daud (1110-1180)135, qui parvient à Dieu selon les démarches aristotéliciennes en se fondant
sur le premier Moteur136. Si Ibn Daud procède par la démonstration aristotélicienne du
premier Moteur pour fonder l’existence de Dieu, posant ainsi le lien entre foi et raison, Juda
Halevi passera par cette même méthode pour démontrer l’incompatibilité de la foi avec la
raison. Pour Halevi, l’argument du Premier Moteur chez Aristote nie le dialogue de l’homme
avec Dieu, lorsqu’Aristote montre que ce premier Moteur n’est pas en relation directe avec les
êtres qu’il a créés. Cet argument vient mettre en doute les relations qu’a eu Dieu avec son
peuple par l’intermédiaire d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, de Moïse et les prophètes. Or ce
sont ces relations qui sont à l’origine de la foi juive. Ainsi, Juda pose l’argument selon lequel
la philosophie ne peut pas comprendre les phénomènes religieux, par conséquent, on ne peut

131
Deutéronome 6,1.
132
Deutéronome 6,2.
133
Roger Caratini, vent de philo : sur les chemins de la philosophie, Paris, Lafond, 1997, p. 233.
134
Idem.
135
Roger Caratini, Op. Cit, p. 233.
136
Le premier Moteur selon Aristote est cet Être qui est à l’origine de tout mouvement. Il est celui qui meut sans
être mû, ce principe qui est l’origine de toute chose sans être qui ne peut être en relation directe avec ces êtres
créés. Il a présenté ainsi dans sa métaphysique au livre Λ, 7.

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pas confronter la foi à la raison. Il s’attache beaucoup plus sur la tradition de la Bible pour
affirmer l’existence de Dieu : « Le seul et vrai Dieu est le Dieu d’Abraham et non celui des
philosophes »137. Ainsi, pour Halevi, le juif n’a pas besoin de raison pour croire et démontrer
l’existence de son Dieu. Autrement dit, il ne peut exister aucune relation entre foi et raison.
C’est dans ce contexte de débat autour de la relation entre foi et raison dans la religion juive
que surgit Moïse Maïmonide qui a beaucoup lutté pour établir un lien étroit entre la loi
révélée et la philosophie dans le judaïsme. En d’autres termes, un lien entre foi et raison à
travers son écrit intitulé Guide des égarés.

En effet, dans son ouvrage le Guide des égarés, s’adressant au jeune Joseph ben Judas,
Maïmonide, montre que : « L’on peut être totalement fidèle à la fois à la tradition de la Bible
et du Talmud et à l’investigation intellectuelle entièrement libre telle que la requièrent la
science et la philosophie »138. Cette affirmation pose déjà l’existence d’une relation entre foi
et raison dans la religion juive. Il poursuit dans cette même ligne d’idée pour montrer le bien-
fondé de la relation intrinsèque entre la foi et la raison dans une société organisée où tout le
monde se sent épanouis. Il le dit en ce sens : « Avec la raison seule, cette émanation divine
produit des savants, avec la raison plus l’imagination, elle produit des prophètes
« indispensables pour réunir les hommes en une société parfaite » ».139 Nous percevons
clairement à travers cette citation une grande complémentarité entre foi et raison et
l’importance de cette complémentarité dans la religion juive. Car, par la raison, le juif
parvient à quitter d’une croyance religieuse naïve qui est essentiellement une foi héritée et qui
est professée par cette phrase : « Dieu de mes pères », pour parvenir à une conviction
religieuse rationnelle fondée sur la découverte personnelle de Dieu ; cette découverte
personnelle qui conduirait à cette profession de foi rationnelle qui est : « Mon Dieu ». C’est
pourquoi selon lui, raison et foi sont inséparables, dans la mesure où la raison aide l’homme à
acquérir une méthode forte de raisonnement et de comprendre sa foi. En effet, pour lui,
l’exercice de la rationalité nous permet d’avoir une foi solide, convaincante et nous conduit à
la pratique des œuvres de la foi en connaissance de cause. C’est ce qu’il exprime en ce sens :
« Ce n’est qu’après avoir acquis la connaissance d’axiomes vraies et certaines, après avoir

137
Roger Caratini, Op. Cit.
138
Les énigmes du « guide des égarés », in Dictionnaire des philosophes, Encyclopedia Universalis, Paris, 2006,
p. 1036.
139
Roger Caratini, Op. Cit, p. 233.

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appris les règles du syllogisme et de la démonstration, ainsi que la manière de se préserver
des erreurs de l’esprit qu’il pourrait aborder les recherches sur ce sujet. »140

Nous fondant sur les idées de Moïse Maïmonide, l’un des grands personnages de la
philosophie juive, nous pourrons dire que foi et raison sont complémentaires et sont toutes
indispensables pour la bonne conduite d’un juif. Car la caractéristique d’un juif, c’est la foi en
un Dieu unique qui a parlé à son peuple à travers les prophètes. Mais il est aussi nécessaire
pour un juif d’avoir une connaissance personnelle de ce Dieu en qui il croit, d’où l’importance
de la raison pour avoir une foi acquise. La foi basée sur l’alliance lui permet de garder
souvenir de ses pères dans la foi, et la foi rationnelle lui permet de jouir d’une relation
personnelle à ce Dieu qui le rejoint personnellement.

Il faut dire que le judaïsme n’a pas été le dernier à avoir réfléchir sur la question de la relation
entre foi et raison. Nous citons aussi le christianisme qui aborde cette question.

2. Conception chrétienne de la relation entre foi et raison


Après le judaïsme, naît le christianisme qui est considéré comme fils du judaïsme, mais dont
la conviction sur la foi diffère de celle de la religion mère. Nous allons nous pencher dans la
partie suivante à donner le fondement de la foi chrétienne avant d’analyser la relation qui
prévaut entre foi et raison dans cette religion.

a. Aperçu sur le christianisme


Tout comme le judaïsme, il faut admettre que le christianisme a aussi un début. Ainsi, le
christianisme est issu du judaïsme et partage la même foi fondée sur la révélation faite aux
prophètes. Cependant, une caractéristique fondamentale du christianisme est le témoignage
faisant suite aux événements vécu de la vie de Jésus Christ en qui repose la foi chrétienne. En
effet, le christianisme est né au premier siècle de notre ère avec la naissance de Jésus Christ.
L’événement marquant et le point de départ de cette religion est la mort et la résurrection de
Jésus Christ. C’est cette résurrection qui est le fondement de la foi chrétienne : « Il vit et il
crut »141. Cette foi est fondée sur la conviction personnelle de ceux qui ont participé à cet
événement crucial de la vie de Jésus qui concerne le procès, l’exécution, la mort et la
résurrection de ce dernier. Ses disciples, convaincus de sa résurrection, « Dieu l’a ressuscité ; ce
142
Jésus ; nous en sommes témoins», se sont mis à propager la nouvelle à travers Rome, Antioche,
Perse, et les environs. C’est donc suite à ces témoignages qu’est né le christianisme. Il a été autorisé au

140
Moïse Maimonide, Guide des égarés, Paris, Verdier, 2012, p. 95.
141
Jean 20,8.
142
Actes des apôtres, 2, 32.

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IVe siècle par « l’empereur Constantin Ier à l’édit de Milan qui a mis fin aux persécutions contre ceux
qui se sont converti au christianisme. »143

Cet édit donne la liberté de culte, selon Seneze Nicolas : « Dans ce récit, envoyé à un
gouverneur de province, les deux empereurs permettaient à tout habitant de l’empire
d’ « adorer à sa manière la divinité qui se trouve dans le ciel »144. C’est alors que le
christianisme devient une religion libre et officielle.

La question de relation entre foi et raison a été aussi au cœur de la réflexion dans le
christianisme et beaucoup de penseur chrétien s’y sont intéressés. Cette partie qui suit nous
aidera à analyser la relation entre foi et raison selon le christianisme.

b. Relation entre foi et raison selon le christianisme


Plusieurs penseurs de la religion chrétienne ont abordé la question de la relation entre foi et
raison, notamment saint Augustin et saint Thomas d’Aquin que nous prenons comme figure
principale.

En effet, la relation entre foi et raison dans le christianisme a commencé bien avec saint Justin
qui a vécu vers le IIe siècle et le plus proche des apôtres. Pour la question de relation entre foi
et raison, saint Justin pense qu’on ne doit pas séparer la raison de la foi parce qu’elles
cherchent toutes deux à atteindre la Vérité ; or la raison ne peut atteindre la vérité qu’elle
recherche que si elle atteint le Christ. C’est dans ce même sens quesaint Augustin, deux
siècles après saint Justin inscrit le courant de sa pensée sur cette relation. Il considère la foi et
la raison comme deux réalités qui s’entraident pour conduire l’homme à atteindre la vérité.
C’est ainsi qu’il dit : « Dès que je pense, dès que j’atteins à quelque vérité, dès que je saisie la
nécessité du vrai, je me réfère à quelque chose qui me dépasse »145. C’est pourquoi on le
nomme « quêteur de la vérité ». Nous pouvons dire que c’est cette vérité qui constitue la quête
perpétuelle de la philosophie. Or pour l’évêque d’Hippone, cette vérité a atteint son
accomplissement en la personne de Jésus Christ qui s’est déclaré la Vérité Absolue : « Moi je
suis le chemin, la vérité et la vie »146. Jésus sera ainsi la manifestation du Dieu invisible,
créateur, ce Dieu qui est au-dessus de l’entendement de l’homme : « Il faut qu’il y ait qui me
dépasse et qui fonde le vrai : c’est ce quelque chose que nous nommons Dieu »147. St

143
Gilbert Dragon, L’empereur Constantin le Grand, protecteur du christianisme au Ive siècle, in
http://www.canalacademie.com. Consulté le 08/04/2020 à 14h04mn.
144
Nicolas SENEZE, L’édit de Milan, in Lacroix, consulté sur www.la-croix.com, le 08/04/2020 à 14h30mn.
145
Roger Caratini cite St Augustin dans Vent de philo, Op. Cit, p. 216
146
Jean 14, 6.
147
Roger Caratini, Op. Cit.

P a g e 127 sur 186


Augustin use de ces deux réalités (réalité de la foi et la raison) pour fonder l’existence de ce
Dieu qui est essentiellement l’objet de sa quête : « Connaître Dieu et l’âme, voilà ce que je
désire »148. Ainsi, pour Augustin, la raison aide à la compréhension de la foi : « crede ut
intelligas, intelligas ut crede (croire pour comprendre, comprendre) »149. C’est dans cette
même optique qu’Alain de Libera, dans son ouvrage intitulé La philosophie médiévale,
affirme que : « La philosophie n’est qu’un fait de culture, une figure du passé que le chrétien
utilise pour mieux comprendre sa propre singularité, ou au mieux pour instrumenter sa
théologie. »150 La considération de cette position d’Alain de Libera nous renvoi à cette époque
médiévale qui a vu une grande lutte pour cette complémentarité de la foi et raison.

Dans la suite de Saint Augustin, apparait Saint Thomas d’Aquin (1224-1274) qui a aussi
marqué l’époque médiévale par sa pensée héritée de la doctrine aristotélicienne. En effet, pour
montrer la nécessité d’une complémentarité entre foi et raison, Thomas d’Aquin procèdera par
les méthodes aristotéliciennes pour prouver cette relation. Il utilise ce qu’il appelle les cinq
voies : « Le mouvement, la causalité, la contingence, la gradation et l’ordre »151 pour
parvenir rationnellement à fonder l’existence de Dieu. Jacques Attali soutient que : « Tout
chrétien sait, ou devrait savoir que l’adhésion de foi repose trois piliers : la grâce, la volonté
libre et la raison ».152 Selon lui, la foi est d’abord une grâce divine que l’on obtient, mais pour
la mettre en application, il faut la volonté et ensuite, l’on doit avoir une conviction personnelle
de la pratique de son acte de foi et doit pratiquer de façon rationnelle. Il continue dans la
même lancée en disant : « Si la foi est par la grâce « vertu aidée », elle est par la volonté
« vertu libre » et elle est par la raison « vertu fondée » ».153 Sa manière de concilier ces trois
vertus montre l’importance d’une compatibilité entre la raison et la foi pour aider l’homme à
vivre équilibré dans sa pratique de foi. Il dit ceci pour montrer que foi et raison sont
étroitement unies et sont en mesure de collaborer et de se renforcer mutuellement.

Saint Thomas d’Aquin, pour prouver l’existence de Dieu et parvenir à concilier foi et raison,
pose cette interrogation qu’il se propose lui-même d’éclaircir en se fondant sur ces
prédécesseurs : « Pouvons-nous en cette vie connaître Dieu par la raison pure ? ».154 En
tentative de réponse à cette question, saint Thomas fait recours à Boèce qu’il cite en ce

148
Cf. cours inédits, Dr. Ngono Richard, philosophie médiévale, philo, Licence 1, année académique 2019-2020.
149
Idem
150
Alain de Libera, La philosophie médiévale, Paris, PUF, 2001, p.6.
151
Thomas d’Aquin, Somme théologique, sur Dieu, Tome 1, Paris, Descellée et Cie, 1925, p. 76.
152
Jacques Attali, Raison et foi, in http://books.openedition.org.editionsbnf/1128? lang₌fr. consulté le
18/03/2020, à 09h 50min.
153
Idem.
154
Thomas d’Aquin, Somme théologique, sur Dieu, Tome 2, Paris, Descellée et Cie, 1925, p. 70.

P a g e 128 sur 186


sens : « La raison ne peut saisir une forme pure ; or Dieu est à titre souverain une forme
pure ».155 Puis il poursuit en faisant recours à Aristote qui dit que : « Sans représentation
imaginative, l’âme ne peut rien concevoir ».156 Le but de tous ces exemples empruntés des
autres est de nous amener à comprendre que la foi ne peut être sans la raison. Cependant saint
Thomas passera par une hiérarchisation pour montrer la supériorité de la foi par rapport à la
raison. C’est dans ce sens qu’il considère la raison comme étant au service de la foi. Et c’est
dans cette perspective que Fréderic Morin affirme : « La raison est une lumière procédant de
Dieu ; elle illumine l’esprit et soutien la foi, qui ne peut contredire la raison, puisqu’elles
émanent toutes deux de Dieu. Tout homme, étant créé à l’image de Dieu, peut remonter
jusqu’au créateur par la raison ».157Nous parvenons à cette conclusion pour déduire que foi
et raison dans le christianisme sont complémentaires. Cependant, le christianisme admet bien
un lien entre foi et raison comme étant deux possibilités qui permettent à l’être humain d’être
dans une perpétuelle recherche de la vérité, cette vérité absolue qui est Dieu.

Passé du christianisme, nous abordons la relation entre foi et raison dans l’islam, sachant que
cette question a fait aussi des polémiques dans cette religion.

3. Conception islamique de la relation entre foi et raison


L’islam est l’une des religions monothéistes du Moyen-Age qui ont traité de la question de
relation entre foi et raison. Cependant, nous jetterons un coup d’œil sur l’historique de cette
religion avant d’analyser sa conception de la relation entre foi et raison.

a. Islam et son origine


Tout comme le judaïsme et le christianise, l’islam est reconnu comme une religion
monothéiste fondée sur la foi en un Dieu Unique (Allah). Il est défini comme étant « une
soumission à la volonté de Dieu ». Il est fondé par le prophète Mohammed à travers la
révélation suivante : « J’ai parachevé pour vous votre religion et accompli sur vous mon
bienfait. Et j’agréé l’islam comme religion pour vous».158 La foi islamique est guidée par le
saint Coran dans lequel les révélations ont été transcrites. Le Coran est considéré comme le
Livre de référence pour tous les musulmans et son message est la vérité absolue : « Livre au
sujet duquel il n’y a aucun doute ».159 Le caractère absolu de la vérité coranique semble poser
un souci sur la relation que l’on peut concevoir entre foi et raison dans cette religion.

155
Idem. Boèce, livre cité par saint Thomas d’Aquin, p. 70.
156
Idem. Aristote, livre cité par saint Thomas d’Aquin, p. 70.
157
Jacques Attali, Op. Cit.
158
Sourate 5, 3.
159
Sourate 2,2.

P a g e 129 sur 186


Cependant les grands penseurs comme Averroès prouveront que l’on ne peut être musulman
que lorsqu’il est capable de joindre foi et raison. C’est ce que nous découvrirons dans le
passage suivant.

b. Relation entre foi et raison


« Le Coran est-il un appel à l’usage de la raison ou bien à l’abandon de la raison ? Allah, le
Dieu de l’Islam a-t-il voulu que l’homme réfléchisse à son mystère ? Ou bien qu’il se contente
de croire en lui de façon aveugle ? »160. Ces interrogations fondamentales servent déjà
d’orientation pour notre réflexion sur la relation entre foi et raison dans l’Islam. A analyser
ces interrogations, nous nous sommes rendu compte que le chemin est déjà tracé par le saint
Coran même dès la fondation de l’islam. Voici la référence coranique qui établit déjà ce lien :
« Nous avons fait descendre le Coran en [langue] arabe, afin que vous raisonniez ».161 Nous
voyons déjà clairement la position tranchée par le saint Coran sur la question de relation entre
foi et raison.

Averroès (1126-1198), pour établir ce lien, procède à une analyse juridique et le raisonnement
philosophique pour prouver le lien qui peut prévaloir entre foi et raison dans l’Islam. Pour
commencer son analyse, il voit la place que l’on accorde aux docteurs (Imams) de la loi dans
l’Islam. De son analyse juridique, se dégage un certain nombre de questions auxquelles il
tentera d’apporter des réponses pour montrer à quelle mesure foi et raison sont inséparables
dans l’Islam. Ces questions ont pour but de permettre une affirmation de la position claire de
l’Islam sur cette question de relation entre foi et raison. Les questions consistaient à savoir si
l’exercice de la philosophie est obligatoire, recommandé, permis, blâmable ou interdit. Cela
relativement au rôle des docteurs de la loi qui ont pour mission d’examiner tout ce que dit la
loi sur telle ou telle pratique :

« Ayant loué Dieu de toutes les louanges qui lui sont dues, et appelé la prière et le salut
sur Muhammad, Son serviteur élu et Son envoyé, le propos de ce discours est de
rechercher, dans la perspective de l’examen juridique, si l’étude de la philosophie et des
sciences de la logique est permise par la Loi révélée, ou bien condamnée par elle, ou bien
encore prescrite, soit en tant que recommandation, soit en tant qu’obligation ».162

160
Anonyme, Quels usages de la raison en islam ? In http://www.la-croix.com/Aqrchives/2010-03-20/Quels-
usages-de-la-raison-en-islam-_NP_-2010-03-20-366934, consulté le 18/03/2020, à 09h50min.
161
Sourate 12,2.
162
Averroès, L’Islam et la raison, par Alain de Libera, Paris, GF Flammarion, 2000, p. 80.

P a g e 130 sur 186


Le but de l’analyse d’Averroès est de parvenir à travers les fondements coraniques et
juridiques à donner la position de l’Islam. Nous constatons une réponse satisfaisante à travers
la déclaration suivante :

« Si l’acte de philosopher ne consiste en rien d’autre que dans l’examen rationnel d’être,
et dans le fait de réfléchir sur eux en tant qu’ils constituent la preuve de l’existence de
l’Artisan […] Et si la révélation recommande bien aux hommes de réfléchir sur les êtres
et les y encourage, alors il est évident que l’activité désignée sous ce nom de
[philosophie] est en vertu de la Loi révélée, soit obligatoire, soit recommandée ».163

Etant donné que chercher à connaître les choses du monde revient à la recherche de Dieu qui
est à l’origine de toute chose, l’islam ne peut pas rejeter la connaissance dans sa pratique. Ce
qui revient à dire que foi et raison dans l’islam reviennent à la même chose. C’est ce qu’il
continu d’affirmer ici : « Que la Révélation nous appelle à réfléchir sur les êtres en faisant
usage de la raison, et exige de nous que nous les connaissions par ce moyen, voilà qui appert
à l’évidence de maints versets du livre de Dieu ».164En parcourant les idées d’Averroès qui est
une analyse juridique de la Loi Révélée, nous pouvons conclure avec lui que l’Islam prône
une égalité entre foi et raison, ou encore une complémentarité entre philosophie et religion.
En effet, à l’examen juridique du saint Coran, l’on réalise que l’exercice de la philosophie est
une obligation dans la religion islamique. Ainsi, nier l’importance de la philosophie c’est nier
sa foi de musulman ; c’est ce qui se dégage de sa pensée dans ce sens :

« Etre musulman, c’est croire que le Coran dit la vérité. Or le Coran porte le garant de
la vérité de la méthode démonstrative, même s’il n’en fait pas usage, puisque tout n’a pas
les moyens intellectuels nécessaires pour suivre le raisonnement démonstratif. Dénier le
droit d’exister à la philosophie, c’est dénier le Coran, et donc n’être pas musulman ».165

Cette déclaration montre jusqu’à quel niveau la raison est importante dans l’Islam. En effet,
tout ce qui est demandé est d’avoir une considération à cette faculté qui aide à rechercher la
vérité : la Révélation Divine. Etant donné que tout le monde n’a pas la capacité de
philosopher, ce qui importe c’est d’admettre l’existence de la philosophie pour ne pas
contredire sa foi. Selon lui, la moindre de chose est de confirmer l’existence d’une
philosophie. Pour lui, tout homme n’est pas doué de la capacité de philosopher, mais il faut du
moins, pour faire preuve de la foi musulmane, reconnaître une place capitale à la raison.

163
Idem, p.86
164
Idem.
165
Idem.

P a g e 131 sur 186


De ce qui précède, parcourant les trois religions monothéistes en nous appuyant sur les
personnages marquants, il ressort que foi et raison sont compatibles et complémentaires dans
la quête de l’Absolu. Car, pour ces penseurs, elles sont toutes deux à la quête de la vérité et la
raison sert de lumière pour éclairer la foi et aide le croyant à comprendre ce qu’il croit.
Cependant, il faut dire que cette conception de la relation entre foi et raison n’a pas été admise
par les philosophes révolutionnaires de l’époque Moderne qui ont élaboré plusieurs théories
mettant en cause les vérités de la foi et mettant en doute l’existence d’une philosophie au
Moyen-Age.

II. Analyse critique de la relation entre foi et raison


Après avoir montré le lien qui a existé entre foi et raison dans les différentes religions
monothéistes au Moyen Âge, nous nous intéresserons aux deux notions de foi et de raison
pour évaluer si ce lien a toujours existé. D’abord, nous vérifierons si à partie de leur
définition, la compatibilité établie par les Médiévaux est évident. Ensuite, nous nous
pencherons sur les conflits engendrés par la confusion des deux notions à l’époque moderne.
Nous finirons par une comparaison entre vérités de foi et les vérités de raison.

1. Critique à partir des définitions


La foi comme tous les autres mots, est une notion polysémique. Nous l’utiliserons au sens
religieux du terme. Ainsi la foi est une « adhésion ferme de l’esprit, subjectivement aussi forte
que celle qui constitue la certitude, mais incommunicable par la démonstration »166. Cette
définition met l’accent sur la solidité de la foi. En ce sens, elle s’oppose au doute et à une
quelconque remise en question. La foi se définit aussi comme une « volition [acte par lequel
la volonté se détermine] par laquelle on adopte comme vraie une proposition qui n’est ni
rationnellement démontrable, ni évidente »167. Cette deuxième définition met en évidence le
caractère irrationnel des sujets de foi. Les propositions auxquelles s’applique la foi sont
appelées des vérités révélées. Déjà à partir de ces deux définitions, nous pouvons dire que la
foi s’oppose à la raison. Mais avant de faire une telle déclaration, jetons un coup d’œil sur ce
qu’est la raison.

Tout comme la foi, la raison a plusieurs définitions, mais nous choisirons seulement deux
parmi celles-ci comme nous l’avons pour la foi. D’abord la raison se définit comme la
« Faculté de raisonner discursivement, de combiner des concepts et propositions »168. De

166
André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, Puf, 2010, p. 360.
167
Idem.
168
Idem, pp. 877-878.

P a g e 132 sur 186


cette définition, retenons que la raison discute tout. Raisonner, c’est donc discuter, remettre en
cause. Elle s’oppose à la première définition de la foi selon laquelle la foi est contraire au
doute. Ici, la raison doute de tout, et remet en question tout, d’où on peut dire qu’elle est une
« faculté de raisonner discursivement ». La raison peut être également définir comme la
« faculté de bien juger » […], c’est-à-dire de discerner le bien et le mal, le vrai et le faux […]
par un sentiment intérieur, spontané et immédiat »169. Une fois encore la raison apparaît
comme la faculté d’examiner, d’analyser minutieusement une proposition avant de l’adopter
pour vraie.

De ces définitions, aussi bien celles de la foi que celles de la raison, il ressort que la foi et la
raison sont incompatible. Tandis que la raison examine, cherche à connaître, à comprendre, et
à démontrer une proposition, la foi l’adopte pour vraie sans la moindre analyse critique,
parfois même sans comprendre. De par leur méthode, la foi et la raison sont diamétralement
opposées. C’est après avoir adopté une proposition comme vraie que la théologie (foi) élabore
des théories pour justifier la véracité de celle-ci. De son côté, la philosophie (raison) analyse
et comprend une proposition avant de l’adopter comme vraie. Outre leur méthode qui les
oppose, leur objet les divise. La foi a pour champ d’action les vérités révélées qui ne sont pas
rationnellement démontrable, ni évidente. Quant à la raison, elle s’applique sur le les
principes de la nature. Ceux-ci rationnellement explicable.

Du point de vue de la définition, de la méthode, et de l’objet, la foi et la raison sont


incompatible. Mais comment cette incompatibilité s’est manifestée au fil du temps ?

2. Incompatibilité entre foi et raison à l’époque moderne


Le conflit entre foi et raison s’est manifesté de plusieurs manières à l’époque moderne. Nous
prendrons ici uniquement le conflit de la foi avec l’héliocentrisme de Copernic défendu par
Galilée. En effet, depuis le Moyen Âge, l’Eglise catholique avait adopté le géocentrisme
comme modèle du monde pour deux raisons :

- « Celle d’ordre théologique qui tient à celui de l’image de l’univers apportée par la
Bible, la Torah ou le Coran »170.
- « Celui de l’expérience physique intuitive d’une terre immobile et d’un soleil en
mouvement »171.

169
André Lalande, Op. Cit, p. 879.
170
Gallen Timothée, « Le géocentrisme comme intrusion spiritualiste dans la cosmographie moderne », in
Richard Monvoisin et Clara Egger, CORTECS, Université Grenoble-Alpes, p. 3.

P a g e 133 sur 186


Mais le système héliocentrique remet en question la position de l’Eglise et contredit les
théories qu’elle a accepté pour vraies. Là commence le conflit entre foi et raison. Galilée va
s’ériger comme principal défenseur de l’héliocentrisme. L’héliocentrisme n’allant pas dans la
vision de l’Eglise et celle-ci n’étant pas prêt à réviser sa position taxe Galilée d’hérésie et lui
demande d’abjurer. Mais Galilée étant très sûr de son système, refusa d’abjurer. Il passa au
tribunal de l’inquisition de l’Eglise catholique et fut emprisonné. Galilée rendit l’âme dans sa
prison.

Voilà un bel exemple du conflit entre la foi et la raison. La foi, représentée par l’Eglise, est
statique, n’est pas évolutive, et n’accepte pas de contradiction. La raison quant à elle,
représentée par Galilée, est évolutive, dynamique, remet ces vérités en question pour pouvoir
mieux les appréhender. Une fois encore, l’incompatibilité entre foi et raison est manifeste. En
plus de l’affaire Galilée qui divise foi et raison.

A côté de l’héliocentrisme galiléen, nous citons le darwinisme, une théorie élaborée par
Charles Darwin en 1859 pour rendre compte de l’évolution des espèces. Cette théorie vient
contredire les enseignements de la foi sur l’histoire de l’humanité et montre bien en quoi
philosophie et religion ne peuvent pas aller ensemble. En effet, alors que la loi révélée
enseigne de l’autre côté que : « L’homme est créé à l’image de Dieu »172Darwin soutient dans
la théorie que l’homme n’est que le fruit d’une évolution : « Les humains descendent d’autres
primates, ce n’est pas Dieu qui les a créé à part »173. Voici la une des théories du temps
Moderne qui vient mettre complètement en question les révélations divines et conduit à une
réfutation totale de la relation que l’on peut établir entre et raison.

Cependant, malgré toutes les polémiques autour de la question de relation entre foi et raison,
l’Eglise continue de se battre pour montrer que foi et raison vont ensemble, qu’il n’y a pas
lieu de les séparer. Cette considération s’observe à travers toutes les luttes menées depuis la
réconciliation suite à la condamnation de Galilée et se poursuit avec le pape Jean-Paul II à
travers sa lettre encyclique Fides et Ratio. Nous découvrirons à travers la partie qui suit ces
différents combats.

171
Idem, p. 4.
172
Genèse 1, 27.
173
André Langaney, « La théorie de Charles Darwin », in https://www.rts.ch/découverte/sciences-et-
environnement/animaux-et-plantes/4643689-qu’est-ce-que-la-théorie-de-darwin-.html. Consulté le
25/05/2020 à 21h50mn.

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III. L’Eglise et les combats de réconciliation avec la raison
Le temps moderne a opté pour une séparation totale entre foi et raison, car pour cette époque,
il n’est pas question de les concilier, bien qu’elles soient les deux facultés de l’homme (foi et
raison). La foi relève du domaine de la révélation, alors que la raison relève de la science.
Plusieurs courants de pensées ont été mises en œuvre pour contredire cette compatibilité
prônée par la plus part des philosophes médiévaux. Les deux exemples furent l’héliocentrisme
galiléen et le darwinisme. Cependant, l’Eglise dans ses multiples démarches essaie de
rappeler que quoi qu’elles relèvent de deux domaines différents, foi et raison sont
inséparables. C’est ce que nous découvrirons à travers cette partie.

1. La réconciliation après la condamnation de Galilée


Un siècle après la condamnation de Galilée, l’Eglise rentre dans un état de conscience et s’est
rendu compte de l’erreur qu’elle a commise dans cette affaire qui peut être considérée comme
le refus d’accepter la vérité scientifique. C’est alors qu’une démarche commence à être menée
pour un processus de réconciliation avec la science. Ces démarches ont commencé en 1741
avec le pape Benoit XIV qui, reconnaissant l’erreur de l’Eglise, décide de réparer ce tort causé
à la science en la personne de Galilée, donne par « le Saint-Office l’imprimatur à l’édition des
œuvres complètes de Galilée ».174
Les démarches entreprises par le pape Benoit XIV ont été approfondit lors du Concile Vatican
II où l’Eglise a reconnu officiellement son erreur non seulement sur l’affaire Galilée, mais
aussi tous les tord commis au cours de son histoire en ce sens : « Qu’on nous permette de
déplorer certaines attitudes qui ont existé parmi les chrétiens eux-mêmes, insuffisamment
avertis de la légitime autonomie de la science. Source de tensions, elles ont conduit beaucoup
d’esprit jusqu’à penser que la science et la foi s’opposaient ».175 Cette reconnaissance montre
combien l’Eglise a été prédateur de la science pendant des siècles, l’empêchant de s’affirmer
pour révéler les vérités existentielles sur la nature. C’est dans cette même optique que le pape
Jean Paul II lance dès le début de son Pontificat (1979), à travers une commission qu’il a mise
sur pied pour « approfondir l’examen du cas Galilée ». Pour lui, « les réhabilitations
implicites successives ne suffisent pas, car, Galilée eut beaucoup à souffrir, nous ne saurions
le cacher de la part des hommes et d’organismes d’Eglise ».176 En effet, il s’apercevait que
cette condamnation à cause de la vérité scientifique mérite une reconnaissance officielle pour

174
Gaulimyn Isabelle, l’Eglise et l’affaire Galilée, in « Lacroix », consulté sur http://www.la-
croix.com/Archives/2007-10-20/L-Eglise-et-l-affaire-Galilée.-_NP_-2007-10-20-303894, le 07/04/2020.
175
Gaudium et spes n°36, cité par Gaulimyn Isabelle, idem.
176
Gaulimyn Isabelle, Op. Cit.

P a g e 135 sur 186


affirmer l’erreur de l’Eglise dans son évolution. C’est ainsi qu’il parvient après toutes les
considérations à cette déclaration qu’on peut qualifier de « réhabilitation solennelle » que le
pape Jean Paul II appelle le « douloureux malentendu »177 et la « tragique incompréhension
réciproque » qu’il nomme en ce sens : « Le symbole du prétendu refus de l’Eglise du progrès
scientifique ou bien de l’obscurantisme dogmatique opposé à la libre recherche de la
vérité ».178

Nous pouvons, après observation, conclure que toutes les démarches entreprises par l’Eglise
depuis le XVIIIe jusqu’au XXe siècle ont pour but de parvenir à reconnaître et admettre
l’autonomie de la science et de lui accorder un champ libre d’expression pour s’affirmer.
Cependant, quel pouvait être le résultat de l’évolution de cette science dans notre société
actuelle ? Où place-t-on la foi à l’ère de la modernité ? Dans son Encyclique, le pape Jean-
Paul II nous interpelle sur cette question. La partie qui suit nous permet de présenter la vision
du Saint Père par rapport à la relation entre foi et raison aujourd’hui.

2. Foi et raison aujourd’hui selon Fides et Ratio de Jean-Paul II


Grande polémique autour de la question de relation entre foi et raison, la recherche ardente de
connaissance, le combat de l’égalité tout cela conduitl’homme aujourd’huià se sentir égaré, ne
sachant vers où s’orienter et que faire pour le mieux.Et Jean-Paul II de confirmer dans son
encyclique : « On ne peut nier en effet que cette période de changements rapides et complexes
expose surtout les jeunes générations, auxquelles appartient l’avenir et dont il dépend, à
éprouver le sentiment d’être privées d’authentiques points de repères »179. C’est dans cette
circonstance perplexe d’orientation que le pape Jean-Paul II écrit sa lettre encyclique Fides et
Ratio pour servir de canevas pour une orientation de l’humanité perdue sur le droit chemin,
surtout la jeunesse. C’est ainsi que, dès l’entame de son propos, il dit ceci : « la foi et la
raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la
contemplation de la vérité. »180. Le but de son message n’est pas seulement de conduire
chaque homme à reconnaître l’indissolubilité de la foi et la raison, mais aussi de donner une
place spéciale à la raison dans le vécu de la foi. C’est aussi une invitation à la philosophie de
garder la mission première qui est celle de conduire et éclairer l’esprit humain et l’aider à
découvrir la vraie vérité : « La philosophie qui a la grande responsabilité de former la pensée

177
Idem.
178
Idem.
179
Jean-Paul II, Fides et Ratio, Lettre encyclique, 1998
180
Jean-Paul II, Op. Cit, Prologue § 6.

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et la culture par l’appel permanent à la recherche du vrai, doit retrouver vigoureusement la
vocation originelle »181
Ainsi, faut-il reconnaître que la foi tout comme la raison ont chacune une limite, d’où cette
complémentarité pour aider l’homme à découvrir la vérité dont il à la quête. Car, seule la foi
ne suffit pas pour aider l’homme à vivre les dimensions de la vie humaine et spirituelle, tout
comme la raison ne suffit pour combler l’homme. Toutes deux sont limitées : « Outre la
connaissance propre à la raison humaine, capable par la nature d’arriver jusqu’au Créateur,
il existe une connaissance qui est propre à la foi »182. Cela voudrait simplement dire que quel
que soit l’intelligence de la raison à comprendre les choses, la foi demeure un mystère et il
existe des vérités réservées exclusivement à ce domaine. Surtout qu’il y a des vérités de foi
que l’intelligence n’arrive pas à expliquer et ne pourra jamais parvenir à apporter une
explication rationnelle : « La raison ne peut saisir une forme pure »183. Or, il y a ceux qui
veulent profiter de la raison pour durcir le cœur face à la vérité révélée. Face à cette attitude,
le Pontife Romain dit ceci : « La nature limitée de la raison et l’inconstance du cœur
obscurcissent et deviennent souvent la recherche personnelle »184. Il faut de toutes les façons
admettre que quoi que foi raison soient de domaines différents, le pape dans cette encyclique
prône une compatibilité indissoluble entre les deux. Car, lorsque la raison est limitée, c’est la
foi qui aide l’homme à s’élever et vice versa. C’est en cela que la foi et la raison concourent
ensemble à élever l’âme dans la contemplation de la vérité, comme l’a affirmé le Pape dans le
prologue de son encyclique.

181
Idem, § 6.
182
Idem, § 8.
183
Thomas d’Aquin, Op. Cit, p.70
184
Jean-Paul II, Op. Cit, § 28.

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Conclusion
Foi et raison, voilà deux termes qui ont fait de grandes polémiques à travers les siècles. Dans
notre travail, abordant la question de la relation entre foi et raison, nous avons découvert une
grande compatibilité entre les deux, surtout à l’époque médiévale avec certains grands
penseurs des religions monothéistes. Pour eux, bien que foi et raison aient deux statuts
particuliers, elles vont ensemble en ce sens qu’elles recherchent un but commun, celui
d’atteindre la vérité. Ainsi, pour eux, la raison sert de lumière à la foi, par conséquent tout
croyant doit se servir de la raison pour affirmer sa foi. C’est pour cela que, le Moyen-Age,
prône une compatibilité totale, usant de la philosophie comme servante de la foi.
Or, les temps Moderne considèrent le Moyen-Age comme un temps mort de la philosophie,
car, les philosophes qui y ont vécu ont tendance à théologiser tout en remmenant tout à Dieu.
Ce qui n’a pas permis à la raison de se déployer. Pour eux, il faut séparer totalement
philosophie et théologie ; la philosophie doit s’occupe de la raison et la théologie du domaine
de la foi. Au cours de cette époque (Moderne), plusieurs théories ont été développées qui ont
réfuté cette compatibilité, car ces théories viennent étant scientifique, provenant de la raison,
viennent contredire les vérités de la foi relevant du domaine de la théologie. Nous avons
utilisé l’héliocentrisme galiléen et le darwinisme pour illustrer ces différents combats entre le
Moyen-Age et l’époque Moderne. Considérant le Moyen-Age comme une époque
spéculative, le temps Moderne prône une dissolubilité totale entre foi et raison, car relevant de
deux domaines bien distincts.
Tout de même, il reste à considérer que la foi et la raison sont inséparables bien qu’elles ne
soient du même domaine. Cependant, elles restent deux facultés qui aident l’homme à la
découverte de la vérité dont il est à la quête. C’est la conception contemporaine de la relation
entre foi et raison selon l’encyclique du pape Jean-Paul II, publié en 1998. C’est la lutte de
notre époque pour conduire l’homme qui, embarrassé par toutes les nouveautés de notre
époque perd de repère, ne sachant vers où s’orienter. Ainsi, foi et raison reste indissolubles,
car elles se servent mutuellement à conduire l’homme à la découverte de la vérité.
Si aujourd’hui, pour beaucoup, l’encyclique Fides et Ratio a résolu presque définitivement le
problème de la relation foi et raison, les nouvelles idéologies telle que la négation du genre
viennent poser le problème de la réception entre foi et raison, c’est-à-dire comment est-ce que
la religion et la philosophie se reçoivent mutuellement.

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Bibliographie et webographie

Thomas d’Aquin,
1925 Somme théologique, sur Dieu, Tome 2, Paris, Descellée et Cie.
Moïse Maimonide,
2012, Guide des égarés, Paris, Verdier.
Jean-Paul II,
1998, Lettre encyclique Fides et Ratio.
Alain de Libera,
2001, La philosophie médiévale, Paris, PUF.
André Lalande,
2010, Dictionnaire Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF.
Averroès,
2000, L’Islam et la raison, par Alain de Libera, Paris, GF Flammarion.
Saint Augustin,
1949, La cité de Dieu, Bordas.
Bruno Le Floch et David Perrin,
2008,Sénevé, Journal des aumôneries, Foi et Raison.
Dr KAMAHEU Jean Paul,
2019-2020 Cours magistral de Philosophie ancienne niveau 1.
Dr Ngono Richard,
2019-2020, Cours magistral, philosophie médiévale, niveau 1.
Roger Caratini,
1997, vent de philo, Paris, Lafond.
Fabrice Paradis Béland,
2001, « foi chrétienne et pensée moderne, autour du projet philosophique de
Gerhard Kruger », in Archives de philosophie, Tome I, n°74.
Gilbert Dragon,
« L’empereur Constantin le Grand, protecteur du christianisme au Ive siècle », in
http://www.canalacademie.com.
Jacques Attali,
« Raison et foi », in http://books.openedition.org
La Bible de Jérusalem, Paris, Cerf, 2001.
Le Saint Coran.
Nicolas Seneze,
« L’édit de Milan », consulté sur http://www.la-croix.com.
Revue ATALA n° 8,
2005 «L’objet de la philosophie aujourd’hui», https://www.cairn.info/revue-
transversalites-2009-2-page-53.htm. 21/04/2020 12:53 -© Institut Catholique de Paris.
Jacques Attali,
Raison et foi, in http://books.openedition.org.editionsbnf/1128

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Table des matières
Introduction .............................................................................................................................. 1

I.La relation entre foi et raison selon les trois religions monothéistes
................................................................................................................................................ 123

1. Conception judaïque de la relation entre foi et raison ........................................... 123


a. Aperçue générale sur le judaïsme ........................................................................ 123
b. Conception de la relation entre foi et raison ....................................................... 124
2. Conception chrétienne de la relation entre foi et raison ........................................ 126
a. Aperçu sur le christianisme .................................................................................. 126
b. Relation entre foi et raison selon le christianisme .............................................. 127
3. Conception islamique de la relation entre foi et raison ......................................... 129
a. Islam et son origine ................................................................................................ 129
b. Relation entre foi et raison .................................................................................... 130
II.Analyse critique de la relation entre foi et raison
................................................................................................................................................ 132

1. Critique à partir des définitions ............................................................................... 132


2. Incompatibilité entre foi et raison à l’époque moderne ......................................... 133
III.L’Eglise et les combats de réconciliation avec la raison
................................................................................................................................................ 135

1. La réconciliation après la condamnation de Galilée .............................................. 135


2. Foi et raison aujourd’hui selon Fides et Ratio de Jean-Paul II ............................. 136
Conclusion ............................................................................................................................. 138

Bibliographie et webographie ............................................................................................. 139

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Groupe 8 :
Boèce : La consolation

Exposé non réalisé

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Groupe 9 :
La philosophie et le Judaïsme au moyen âge :
une lecture du Guide des égarés de Moïse
Maïmonide

Présenté par :

ALIMA MEDJA Audrey Karen


HOLONOU Akpédjé Emmanuel
YAKATA David Christophe

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SOMMAIRE

SOMMAIRE ............................................................................................................................. 1

INTRODUCTION ................................................................................................................ 144

I-PHILOSOPHIE ET JUDAÏSME DEPUIS PHILON D’ALEXANDRIE JUSQU’A


MAÏMONIDE ....................................................................................................................... 145

A. La philosophie juive pré-maïmonidéenne ........................................................... 145

B. Maïmonide et son temps........................................................................................ 148

II-PHILOSOPHIE ET RELIGION DANS LA PENSEE MAÏMONIDEENNE


................................................................................................................................................ 152

A. Complémentarité entre judaïsme et philosophie ................................................ 152

B. Les grands thèmes philosophico-religieux abordés par Maïmonide................. 155

III-POSTERITE ET ACTUALISATION
................................................................................................................................................ 160

A. Le Guide des égarés en discussion ........................................................................ 160

B. La pensée maïmonidénne et la croyance aujourd’hui ........................................ 162

CONCLUSION ..................................................................................................................... 164

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 165

TABLE DES MATIERES ................................................................................................... 166

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INTRODUCTION

La philosophie est née vers les années -700 en Grèce mais son développement s’est
fait hors de ce pays. Etymologiquement, la philosophie veut dire « amour de la sagesse » ou
« quête de la vérité » ; une quête de la vérité qui se veut être rationnelle. Depuis sa naissance,
l’évolution de la philosophie est parallèle à l’évolution du monde. Tantôt la pensée
philosophique influence l’évolution du monde ; tantôt c’est l’histoire du monde qui influence
la philosophie. C’est ainsi que l’apparition et la naissance des religions monothéistes a
influencé la pensée philosophique en orientant son objet vers l’Être suprême. En effet, la mère
des religions monothéistes (le Judaïsme), bien qu’existant depuis des siècles, n’a eu aucun
rapport de confrontation directe avec la pensée grecque avant le premier siècle chrétien. Avec
la naissance du Christianisme est né également le souci de faire accepter la foi chrétienne par
tous. Pour ce faire, le discours chrétien s’adapte au rationalisme grec 185. Avec la naissance de
l’Islam au VIIème siècle de l’ère chrétienne, on assiste à une sorte de concurrence entre les
religions et le souci de faire accepter la foi devient de plus en plus accru. La concurrence entre
les religions se faisait par les conquêtes et les découvertes intellectuelles. Dans le
Christianisme et l’Islam, la philosophie est devenue un moyen par lequel on peut comprendre
et exprimer la foi en Dieu. Mais les juifs demeureront dans une indécision complète. Ils
hésitent encore pour s’engager dans la philosophie de peur de s’égarer et de perdre leur foi.
C’est dans cette situation d’hésitation que Moïse Maïmonide, un Rabbin juif, va décider de
concilier, dans son ouvrage principal le Guide des égarés, la philosophie et la foi en Dieu.
Dans ce livre, il invite ses coreligionnaires indécis à avancer vers la philosophie. Mais
Maïmonide est-il le premier juif à avoir concilié philosophie et judaïsme ? Quel lien
Maïmonide établit-il entre la raison et la foi ? Comment l’invitation à la philosophie de
Maïmonide a-t-elle été reçue par les juifs et quel est l’impact de la pensée de Maïmonide
aujourd’hui ?

185
Cf. le discours de Saint Paul devant l’aréopage d’Athènes. Acte des Apôtres, 17, 22-32.
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I- PHILOSOPHIE ET JUDAÏSME DEPUIS PHILON
D’ALEXANDRIE JUSQU’A MAÏMONIDE

Dans cette partie, nous parlerons de la manière dont la philosophie a commencé dans
le Judaïsme et de son développement jusqu’à Maïmonide. Pour cela, nous avons distingué
deux périodes : la période avant Maïmonide (de Philon à Juda Hallévi) et l’époque de
Maïmonide c’est-à-dire sa vie, le contexte social et ses œuvres. Mais avant, il convient de
cerner le sens du concept philosophie dans l’expression « philosophie juive ». La philosophie
prise au sens grec du terme, est comprise comme la recherche de la vérité ou l’amour de la
connaissance. Avec l’évolution et l’ouverture de la pensée, la philosophie prend un sens plus
large et désigne la culture, les idéologies propres à une société ou à un peuple donné. Faut-il
comprendre philosophie juive au premier sens du terme c’est-à-dire au sens de la pensée
grecque ou faut-il l’entendre en son acception plus large ? Nous pensons que la philosophie
juive, malgré qu’elle revête un caractère propre au Judaïsme, ne veut pas d’abord désigner les
idéologies ou la culture juive. Nous ne pouvons non plus affirmer qu’il s’agit d’une
philosophie au sens grec du terme, parce qu’elle n’est pas une recherche désintéressée de la
vérité ; mais plutôt un usage des méthodes et concepts philosophiques grecs pour des fins
religieuses (justifier l’authenticité, la rationalité et l’universalité des révélations divines dont
le Judaïsme est détenteur). Comment donc cet usage de la philosophie a été fait au fil de
l’histoire ?

A. La philosophie juive pré-maïmonidéenne

Le Judaïsme est la plus vieille des religions révélées. La première rencontre entre
philosophie grecque et Judaïsme se fit au Ier siècle de notre ère à travers Philon
d’Alexandrie186. Ce dernier était un juif de la diaspora et l’un des représentants de la
communauté juive d’Alexandrie auprès des autorités romaines (son statut de représentant
nous renseigne déjà sur ces compétences intellectuelles). Car Alexandrie187 était envahie par
l’empire romain. Il côtoya la pensée grecque et trouva en elle une grande richesse, une arme
assez solide pour défendre la Foi juive. Il est un apologète juif pour qui la philosophie n’est

186
Philon d’Alexandrie vécut entre l’an 20 avant J.-C. et l’an 45 après J.-C. Philon d’Alexandrie est différent de
Philon de Larissa qui, lui, est un platonicien et a été à la tête de la nouvelle académie vers -83.
187
Alexandrie est une ville fondée par le Roi Alexandre le Grand en -331. Elle fut d’abord une colonie grecque
jusqu’en -47. C’est une ville qui a hébergé un grand nombre de savants. À partir de -47, la ville tombe dans les
mains des Romains. C’est en cette période où Alexandrie est gouvernée par les Romains que Philon y vécut.
Bien que la ville n’appartienne plus aux Grecs, la sagesse grecque y demeura.

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que méthode et forme, « Le fond de sa pensée reste essentiellement biblique »188. Sa
philosophie repose sur trois thèses que sont : « La transcendance de Dieu, la vacuité de
l’homme, la médiation prophétique entre Dieu et l’homme »189. Mais après lui, le Judaïsme
s’est longtemps fermé sur lui-même : il était méfiant envers la philosophie grecque et envers
les autres religions. Car, la pensée de Philon n’a pas eu de succès chez ses coreligionnaires.
Toutefois, la destruction du Temple de Jérusalem en l’an 70 et l’expansion et la domination
du christianisme constituent des menaces pour ladite religion. Vers la fin du IIIème et le début
du IVème siècle, « […], Le déclin économique et social de l’empire romain poussa les juifs à
émigrer vers la Babylonie perse, et l’empire sassanide zoroastrien, beaucoup plus clément que
l’empire chrétien, fut un refuge pour les juifs qui quittèrent cet empire après la conversion de
Constantin »190. Ce qui faisait la force du Judaïsme était le Talmud191. La conquête
musulmane divisa à nouveau les juifs en deux communautés : les juifs de l’Europe du Nord
(juifs du milieu chrétien) et les juifs du milieu arabe. Le milieu arabe influença très fortement
le judaïsme car la langue scientifique et intellectuelle était désormais l’Arabe. C’est dans cette
langue que fut rédigée la plupart des œuvres philosophiques juives (Le guide des égarés y
compris). Outre cette influence linguistique, nous avons l’apparition du courant karaïte qui
rejette l’autorité du Talmud et l’autorité de toute tradition rabbinique. L’importance se fait
sentir plus que jamais pour le Judaïsme de s’affirmer dans cet horizon religieux. De ce débat
religieux entre les religions révélées, il ressort que seule la raison peut les réunir. Mais la
définition de la raison est aussi diverse. Un premier groupe comprit la raison comme le logos
grec (au nom de ceux-ci nous pouvons citer Al-Kindi et Al-Fârâbî) : c’est le cercle des
philosophes. Le second groupe est le cercle des religieux pour qui « La raison est la loi morale
qui nous fait dire qu’une chose est bonne ou mauvaise, qui nous rend reconnaissants envers
un bienfaiteur et nous porte à ramener le méchant sur le droit chemin »192. De cette conception
de la raison provient un courant apologétique religieux : le kalam193. Les rabbiniques et les

188
André Neher, « Philosophie hébraïque et juive », in Brice Parain, Encyclopédie de la Pléiade : Histoire de la
Philosophie I, Gallimard, Paris, 1969, p. 75.
189
Ibid., p. 76.
190
Colette Sirat, La philosophie juive au moyen âge, édition du centre national de la recherche scientifique,
Paris 1983, p. 23.
191 ème
Le Talmud est le témoin de l’activité intellectuelle des juifs depuis le II siècle. Le Talmud se distingue de la
philosophie. Il comporte deux centres de gravité : la halakha (code de vie et d’action) et l’aggada (doctrine
intellectuelle et spirituelle). Il représente le traité juridique du judaïsme (cf. André Neher, « philosophie juive
médiévale », in Brice Parain, Encyclopédie de la Pléiade : Histoire de la philosophe I, Gallimard, Paris, 1969, p.
1008-1009).
192
Colette Sirat, op.cit., p. 31.
193
Le kalam est l’ensemble des différentes écoles théologiques musulmanes (elles accueilleront les juifs plus
ème
tard) du VIII siècle (l’école principale de ce courant est celle des mutazilites). Il est né de la dissension entre

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karaïtes feront usage de ce courant. C’est précisément à partir de là que commence à se
développer la pensée juive. En effet, dans leur effort d’explication des choses divines, les juifs
font recours quelques fois à la philosophie grecque et aux théories chrétiennes. Ce fut
premièrement David Ibn Marwan (généralement appelé David Al-Muqammis) qui présenta la
théologie juive sous la forme d’une combinaison de la philosophie grecque avec les théories
chrétiennes. A la suite de David, d’autres mutazilites ont essayé cette entreprise qu’il a
commencée jusqu’à Saadia le Gaon194. Saadia Ben Joseph de Fayyoum qui vécut de 882 à
942 est l’une des figures phares de la philosophie juive. Précurseur de Maïmonide, il est le
nouveau Philon. Le mérite de Saadia est qu’il a ouvert les portes du Judaïsme à la philosophie
grecque sans compromettre la foi en Dieu. Il traduit la Bible en Arabe tout comme Philon
avait travaillé sur le texte grec de la Bible195. Saadia écrit deux livres (Amanat et le
Commentaire sur le livre de la création) dans lesquels il aborde la question de la création ex
nihilo du monde. Il y réfute dix-huit conceptions erronées sur la création et prouve la création
ex nihilo du monde196. Pour lui, la « Conviction s’abreuve à trois sources : tout d’abord la
réalité externe ensuite la raison, c’est-à-dire la connaissance du bien et du mal, et, enfin, ce
que le raisonnement déduit nécessairement de la réalité des choses et de la connaissance du
bien et du mal »197. Il pose ainsi les bases de la philosophie juive médiévale de telle sorte
qu’après lui d’autres philosophes juifs s’inscrivent dans la même ligne : Salomon Ibn Gabirol
et Bahya Ibn Paqûda. Salomon Ibn Gabirol vécut au XIème. Il se distingua par sa pratique
philosophique et par sa vie mystique et ascétique. Pour lui la philosophie et la Bible ne sont
pas contraires, et « On avait, en effet, grâce à Gabirol, une possibilité de concilier la Bible et
Plotin »198. Sa vie mystique est la source de ses réflexions philosophiques. Son contemporain
Bahya Ibn Paqûda est, lui aussi, un concordiste ; « Pour lui, la révélation et la raison se
recouvrent ; la Bible et la philosophie sont faites pour s’entendre, et l’Introduction aux
devoirs des cœurs cherche et trouve leurs références tantôt chez l’une, tantôt chez l’autre »199.
Il commence par répondre aux questions religieuses avec l’apport de la philosophie. Saadia,

les sectes au sein de l’Islam et de la discussion entre musulman et les tenants des autres religions de l’empire
islamique. (Cf. Colette Sirat, ibid., p. 29).
194
Un Gaon est à la fois maître spirituel et chef politique de la diaspora juive orientale. Il est aussi l’arbitre de la
vie intérieure de la communauté et le ministre de ses relations avec l’extérieur ; il est le porte-parole des juifs
devant Dieu et le Calife. Il se situe dans la prolongation des prophètes.
195
Cf. André Neher, « Philosophie juive médiévale », in Brice Parain, Encyclopédie de la Pléiade : Histoire de la
Philosophie I, Gallimard, Paris, 1969, p. 1014.
196
Cf. colette Sirat, op.cit., p. 36.
197
Ibid., p. 37.
198
André Neher, « Philosophie juive médiévale », op.cit., p. 1019.
199
Ibid., p. 1021.

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Salomon Ibn Gabirol et Bahya Ibn Paqûda ont donc révolutionné la pensée juive en y
introduisant la philosophie. C’est un progrès qu’a connu la pensée juive.

Mais ce progrès fait par la pensée juive, Juda Hallévi semble ne pas être d’accord
avec. Juda Hallévi est la figure de Tertullien et d’Al-Ghâzâlî dans la philosophie Juive. Il
utilise les armes de la philosophie pour combattre farouchement la philosophie elle-même.
Pour lui, pas question de concilier la révélation et la raison. La religion, à elle seule, peut
atteindre l’Absolu. Dans la philosophie, dit-il, il y une diversité d’écoles et de doctrines et
aucune d’elle ne détient la vérité mais plutôt une parcelle de la vérité. La religion ne saurait
s’engager dans une telle relativité car elle transcende toute démarche philosophique. De plus
le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob est différent du dieu de la philosophie. Il prône donc
une séparation disciplinaire. A l’inverse, Juda Hallévi « Elabore une théologie de la Loi,
comparable en densité et en richesse à la théologie paulinienne de la Foi »200. Pour lui, le
Judaïsme n’a nullement besoin de se défendre contre les menaces des autres religions. Le
Judaïsme doit accepter de souffrir à l’exemple du serviteur souffrant d’Isaïe chapitre 53,
d’autant plus que, toutes les autres religions révélées sont issues de lui. Après lui, s’est
développé un courant de mystiques juive. Mais avant le développement de ce courant, Moïse
Maïmonide fait son entrée dans le débat.

B. Maïmonide et son temps

Après avoir retracé la polémique qui a eu lieu autour de la question d’une


compatibilité ou non entre la philosophie et le judaïsme, nous nous pencherons vers celui dont
la pensée constituera le noyau de notre travail. Nous parlerons d’abord de sa vie puis de ses
œuvres.

 Sa vie

Nous ne connaissons pas grand-chose de la vie de Moïse Maïmonide. Toutefois, nous


savons qu’il est né à Cordoue en 1135201 en Espagne. « Il étudia la Bible et le Talmud avec
son père, Rabbi Maimon, qui était versé dans l’exégèse rabbinique »202. Avec son père, il
acquiert beaucoup de connaissances sur la Loi juive et sur les enseignements des grands
200
Ibid., p. 1025.
201
L’année de naissance de Maïmonide n’est pas acceptée de tous. Certains parlent de 1135 mais d’autres
disent plutôt 1138. Nous avons préféré 1135 parce que les documents qui nous renvoient à cette date
dépassent ceux qui nous renvoient à 1138.
202
Warren Zev Harvey, « De la logique à la Mishneh Torah », in Albin Michel Dictionnaire des philosophes,
Encyclopédie universel, Paris, 2006, p. 1035.

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rabbins du Judaïsme tels que Samuel Ben Hofni et Gueonim qui influenceront sa méthode. En
plus de l’étude de la Bible et du Talmud, il fit des études scientifiques (la médecine
principalement). Par ailleurs, il était un garçon passionné de la lecture et de la connaissance en
général. C’est sa passion de la lecture qui lui fit découvrir la philosophie grecque en
traduction arabe qu’il lut et aima. En 1148, les fanatiques Almohades envahirent l’Espagne et
attaquèrent les non-musulmans. Certains non-musulmans se sont convertis à l’Islam et
d’autres furent tués. Pendant dix ans, la famille du jeune Moïse va effectuer des déplacements
internes à l’Espagne : elle passe de Cordoue pour l’Espagne du Sud ainsi de suite. C’est
seulement en 1158 que la famille du jeune homme quitte l’Espagne pour l’Afrique du Nord où
elle séjourna à Fez (au Maroc). Ils y résidèrent pendant environ cinq ans. Ce temps passé à
Fez, aussi court qu’il soit, permis à Moïse de continuer ses études scientifiques, entreprises à
Cordoue, à l’université d’Al-Quaraouiyine. La rage des Almohades les amena également à
Fez. Maïmonide et sa famille se déplaceront à nouveau pour la Palestine (Israël). En Israël où
ils s’étaient enfuit, le conflit entre le Christianisme et l’Islam fit qu’il ne pourra pas y
séjourner longtemps. Cependant il commença sa documentation pour ses futurs écrits en terre
d’Israël. Il quitta donc la Palestine pour se rendre en Egypte à Caire. Il fit une escale à Hébron
avant d’atteindre le Caire. Mais avant leur voyage, le père de Maïmonide meurt. Le corps de
ce dernier fut enterré à Tibériade. Il fit donc le voyage pour le Caire avec son petit frère David
et sa sœur dont nous n’avons aucune information. A leur arrivée au Caire, Moïse se donna aux
études tandis que son jeune frère assurait la survie de la famille à travers le commerce de la
pierre taillée. Quelque temps après, David rendit l’âme lors d’un naufrage dans l’océan
Indien. Le décès de son père et de son frère furent un tournant décisif dans sa vie. Il « Ecrivit
ses magna opera et se fit connaître à travers le monde juif comme un maître spirituel et une
autorité dans le domaine de la Loi »203. Ses écrits lui permirent de présider « les organisations
charitables »204. Il occupa également les fonctions de juge rabbinique et d’autorité religieuse.
Pareillement à ces services religieux, Maïmonide exerçait le métier de médecin à la cour de
Saladin. Il refusait toute rémunération venant de son service religieux et se contentait
uniquement des revenus de son travail de médecin. En plus de son premier écrit, il écrivit
d’autres ouvrages et épîtres que nous allons découvrir.

 Ses œuvres

203
Idem.
204
Maurice Ruben Hayoun, Maïmonide, PUF, Paris, 1987, p. 10.

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En tant que talmudiste, rabbin, médecin et philosophe, Maïmonide a écrit plusieurs
œuvres. Ces œuvres, qui attestent du caractère encyclopédique de son esprit, sont de trois
ordres : scientifique, théologique et philosophique. Mais faute de sources qui nous renseignent
sur ses œuvres scientifiques, nous nous contenterons de citer quelques œuvres théologiques et
philosophiques.

Œuvres théologiques

- L’épître de la conversion (Iggérét ha-shemad) ;

- L’épître de Yemen (Iggérét Téman) ;

- L’épître de la résurection des morts (Iggéérét téhiyyat ha-métim)

- Introduction au chapitre : « Qui prendra et qui ne prendra pas part au


monde futur ? » ; (Haqdama le péréq héléq) ;

- Le commentaire sur la Mishna (Pérush ha-Mishna) ;

- Le livre des préceptes (Sefer ha-Mitswot) ;

- La répétition de la Loi (Mishné Tora).

Œuvre philosophiques

- Le livre de la connaissance (Sefer ha-madda’) ;

- La terminologie logique (Millot ha-higgayon) ;

- Le guide des égarés (Moré nebukhim).

Le guide des égarés est l’œuvre principale de notre étude. Ce livre fut écrit en arabe
vers la fin des années 1180. Cet ouvrage comporte trois livres subdivisés respectivement en
76, 54 et 72 chapitres. Il fut rédigé pour orienter Joseph Ben Judah Ibn Sham’un (et tous ceux
étaient dans la même situation que lui) qui se trouvait perplexe devant le conflit entre
judaïsme et philosophie.

Dans cette partie, nous avons dit que la rencontre entre philosophie et judaïsme s’est
faite au Ier siècle de notre ère par l’intermédiaire de Philon d’Alexandrie. Ainsi donc est née
une corrélation entre philosophie et judaïsme. Cette confluence sera poursuivie plus tard par

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Saadia le Gaon, Salomon Ibn Gabirol et Bahya Ibn Paqûda. Mais Juda Hallévi utilisera les
armes de la philosophie contre elle-même en condamnant l’usage des notions philosophiques
dans la religion. Au contraire, il prône une séparation radicale de la philosophie du judaïsme
et il développe une théologie très dense, précurseur du courant mystique juif. Maïmonide dont
la vie n’a pas du tout été stable, fait son entrée sur la scène scientifique juive avec plusieurs
ouvrages qui indiquent les types de savoir dont il est détenteur (médecin, juriste, talmudiste et
philosophe). Mais que dit-il dans le Guide des égarés concernant la relation philosophie et
foi ?

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II- PHILOSOPHIE ET RELIGION DANS LA PENSEE
MAÏMONIDEENNE

Nous avons évoqué dans la partie précédente la polémique que la position de Juda
Hallévi a créé dans la relation philosophie et judaïsme. Dans cette partie nous verrons la
position de Maïmonide dans ce débat. Ce dernier va-t-il opérer la séparation que prône Juda
entre philosophie et religion ou bien va-t-il continuer avec la tradition qu’avaient instaurée
Philon et Saadia ?

A. Complémentarité entre judaïsme et philosophie

Comme le titre de ce sous-point l’indique, nous allons ressortir la relation que


Maïmonide établit entre philosophie et loi révélée dans le Guide des égarés. Il ne s’agit
nullement d’une polémique autour du lien qui peut exister entre elles (philosophie et loi
révélée).

 La philosophie, une nécessité pour la foi

Pour Maïmonide, la philosophie n’est pas du tout incompatible au judaïsme. Bien au


contraire, les deux se complètent pour conduire l’âme vers sa perfection. La philosophie
permet de mieux comprendre la loi révélée. Car ce qui distingue l’homme des animaux et le
rapproche plus de Dieu, c’est sa capacité d’élévation d’esprit, la « Forme spécifique »205.
Quand Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance »206, il s’agit
« De la forme spécifique c’est-à-dire de la compréhension intellectuelle, et non de la figure et
des linéaments »207. La raison est fondamentale chez l’homme et il doit l’utiliser pour bien
saisir le vrai sens de la vérité révélée. Faire de la philosophie n’est pas une valeur ajoutée,
mais c’est le déploiement de la spécificité de l’être humain. C’est le non usage de cette faculté
qui a conduit Adam et Eve au péché. La faculté intellectuelle permet à l’homme de faire une
bonne interprétation de la loi révélée afin de se rapprocher plus de Dieu car les interprétations
superficielles et irréfléchies nous éloignent de la vérité même de Dieu. Nous devons
nécessairement utiliser cette faculté qui nous est propre et nous distingue des animaux. La
philosophie permet d’ordonner l’esprit et de le débarrasser de toute imperfection (agitation,
précipitation, erreur, etc.). Bref, elle nous permet d’acquérir la sagesse telle que Platon la

205
M. Maïmonide, Guide des égarés, Verdier, Paris, 2012, I1, p. 84
206
Genèse, chap. 1, v. 26.
207
Moïse Maïmonide, op.cit., p. 85.

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définit dans le Charmide : « Tout faire avec ordre et bien posément »208. Parlant de la sagesse,
Maïmonide fait allusion au Livre des proverbes : « Mange le miel mon fils, car il est bon ; le
miel pur, doux à ton palais. Telle est pour ton âme la connaissance de la sagesse… »209. Cette
sagesse est indispensable pour la connaissance de Dieu. Le verbe « Ra’a, ou haza, ou
habit »210, qui signifie « voir », quand il s’applique à Dieu, ne désigne nullement la vue de
l’œil mais la perception intellectuelle. Elle (la perception intellectuelle) est obligatoire pour
une connaissance juste de Dieu. Celui qui ne fait pas usage de cette forme spécifique n’est pas
un homme, « Mais un animal ayant la figure de l’homme et ses linéaments ; mais il a la
faculté que ne possède pas les autres animaux, de faire toute sorte de dommage et de produire
des maux »211. Le non usage de la réflexion et de la pensée amène « les vulgaires »212 à
utiliser toute sorte de ruses, issue de leur imperfection et de leur manque de réflexion, pour
créer des dommages et des maux autour d’eux. C’est qu’a été le cas de Caïn213.

 Les limites de la raison humaine

La perception intellectuelle, telle que nous venons de voir, est essentielle à l’homme et
le détermine. Elle le rapproche de Dieu, mais ne fait pas de lui un dieu. En ce sens, elle est
limitée. La perception intellectuelle n’arrive pas à démystifier Dieu. Outre le fait qu’elle ne
permet pas une connaissance exhaustive de Dieu, il y a bien d’autres questions très obscures
sur lesquelles la perception intellectuelle de l’homme n’arrive pas à trancher ou a des
difficultés à le faire. Comment justifier par exemple la présence du mal dans le monde malgré
la bonté de Dieu. On perçoit clairement les limites et les insuffisances de la raison humaine.
Nous pouvons alors, sans risque de nous tromper, dire que l’homme est un être limité et donc
sa raison ne saurait tout appréhender. Il y a des questions et des sujets obscurs qui échappent à
la capacité de comprendre de l’homme.

 Caractère dangereux de la métaphysique

Ces questions obscures mettent la confusion entre les savants : ils ont des avis
différents sur le même sujet et ne se comprennent pas. Outre le caractère obscur du sujet,
quatre choses nourrissent leur mésentente :

208
Platon, « Charmide », in Léon Robin et M.-J. Moreau, Œuvres complètes I, Gallimard, Paris, 1950, 159b.
209
Proverbes, 24, 13-14, cité par Maïmonide, p. 145.
210
Ibid., p. 97.
211
Ibid., p. 99-100.
212
Terme utiliser par l’auteur pour désigner les ignorants et les impies.
213
Cf. Genèse 4, 1-16 pour l’histoire de Caïn.

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« 1) Les prétentions ambitieuses et rivales qui empêchent l’homme de
percevoir la vérité ; 2) la subtilité de la chose perceptible en elle-même, sa profondeur
et la difficulté de la percevoir ; 3) l’ignorance de celui qui perçoit et son incapacité de
saisir même ce qu’il est possible de saisir. […]. De nos temps, il y a une quatrième
cause […] : c’est l’habitude et l’éducation, car il est dans la nature de l’homme
d’aimer ce qui lui est familier et d’y être attiré.214 ».

Les désaccords se manifestent beaucoup plus dans la métaphysique, un peu moins


dans la physique et pas du tout en mathématique. La métaphysique se révèle donc comme une
science assez compliquée et dangereuse car la plupart des sujets obscurs et inaccessibles à
l’esprit humain sont dans la métaphysique. Pour cette raison, Maïmonide interdit aux juifs de
commencer la philosophie par la métaphysique. L’entrée dans la philosophie, bien que
nécessaire, doit être progressive. Et la philosophie doit aider l’homme à comprendre le vrai
sens des vérités bibliques et non à l’éloigner de celles-ci. Or, la métaphysique est très
dangereuse quand on commence les sciences par elle ; il peut en résulter « Non seulement un
trouble dans les croyances, mais la pure irréligion »215. La métaphysique en elle-même n’est
pas mauvaise, mais c’est la nature des questions dont elle s’occupe qui la rend dangereuse.
Donc, il faut une préparation avant de l’aborder. Comme on ne peut pas donner du pain dur à
un nouveau-né, de même, on ne saurait donner les notions métaphysiques à un débutant.
Ainsi, cinq causes empêchent de commencer les études philosophiques par la métaphysique :
1°) la subtilité et la profondeur des sujets dont traite la métaphysique ; 2°) le manque de
préparation de l’esprit humain à aborder ces questions. S’il est vrai que la perception
intellectuelle est innée en l’homme, elle demeure en puissance. Il faut la faire venir en acte à
travers de multiples exercices ; 3°) les études préparatoires éprouvent la persévérance du
candidat car elles sont longues et requièrent de la patience et de la persévérance ; 4°) les
dispositions morales de tout le monde ne sont pas propices à l’acquisition des vertus
rationnelles ; 5°) la métaphysique réclame beaucoup de temps pour les recherches 216. Celui
qui est préoccupé par les besoins naturels ne peut pas s’y consacrer.

 Conditions pour faire la métaphysique

214
Moïse Maïmonide, op.cit., p. 150-151.
215
Ibid., p. 157.
216
Cf. ibid., Première partie, Chapitre 34, p. 160-170.

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Pour Maïmonide, les études métaphysiques requièrent une préparation. Pour accéder à
la métaphysique, il faut commencer par étudier la logique, ensuite les sciences mathématiques
et progressivement la physique avant de commencer la métaphysique. Car pendant les études
de la métaphysique, il y a beaucoup de questions obscures217 qui mettent le doute dans l’esprit
de l’individu. Les études préparatoires lui fournissent les armes nécessaires pour faire face à
ces doutes et les vaincre. En plus des études préparatoires, il convient de vérifier si celui qui
veut entreprendre ces études a les dispositions naturelles (être sage et être intelligent) lui
permettant de le faire.

Même après toutes ces mesures, les études de la métaphysique doivent se faire avec
beaucoup de mesures. Nous l’avons signalé plus haut, la raison humaine comporte des limites.
Ne pas reconnaître ces limites peut conduire l’individu dans des dérives graves dans son désir
de tout comprendre et de tout expliquer. Il est bon de chercher la sagesse, mais il faut le faire
avec modération. L’écriture dit en effet : « Ne cherche pas trop de sagesse ; pourquoi veux-tu
t’anéantir ? »218. Ou encore « Si tu trouves du miel, manges-en ce qui te suffit, mais ne t’en
rassasie pas, car tu le vomirais »219. Une grande prudence est nécessaire pour l’équilibre de la
philosophie et de la religion.

 L’enseignement de la loi aux vulgaires

Bien que la perception des choses intelligibles soit présente chez tous les hommes, le
degré n’est pas le même chez tous. De même qu’il y a des hommes très forts (physiquement),
d’autres faibles et d’autres encore moyennement fort, il en va de même pour la perception
intellectuelle. Il y a des gens qui, malgré qu’ils aient l’intelligence en eux, n’ont pas les
dispositions naturelles et morales requises pour le développement de cette faculté. A ceux-là,
tout enseignement préparatif pour la compréhension intelligible de la loi serait inutile. Il faut
tout simplement leur enseigner la loi telle qu’elle se présente dans la bible. Ils se contenteront
de croire et mettre en application celle-ci. Donner le sens caché de ces lois aux vulgaires leur
fera plus de mal que de bien.

B. Les grands thèmes philosophico-religieux abordés par Maïmonide

217
Maïmonide n’a pas mentionné les questions obscures dont il s’agit. Mais nous pensons qu’il s’agit des
questions comme la liberté humaine, l’existence de Dieu, etc.
218
Ecc. 7, 16.
219
Proverbes, 25, 16.

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Nous venons de rendre compte de la conception de Maïmonide sur la compatibilité
entre philosophie et religion. Dans cette sous-partie, nous traiterons à titre illustratif de la
manière dont Maïmonide aborde et traite des questions religieuses par les outils (concepts, la
méthode, etc.) de la philosophie. Nous avons choisi deux thèmes (le mal et la création du
monde) parmi tant d’autres développés dans le Guide des égarés.

 Le mal

La question du mal a préoccupé nombres de philosophes dont Maïmonide. Pour


l’auteur du Guide des égarés, le mal est lié à la matière. S’il n’y avait pas de matière, il n’y
aurait pas le mal. Les anges célestes n’ayant pas de matière, ne subissent pas le mal. En ce
sens on pourrait dire que le mal relève de la privation220. Maïmonide dit qu’on ne crée pas le
mal directement. On ne peut pas par exemple créer les ténèbres mais, le fait d’éteindre la
lumière fait naître l’obscurité. C’est la cessation d’une qualité qui fait naître le mal.
L’intention première n’est pas de créer les ténèbres mais de faire cesser la lumière ; « Tous les
maux sont des privations, auxquelles ne se rattache aucune action »221. Le mal est donc
l’absence ou la privation d’une qualité ou capacité : on parle de la maladie en absence de la
santé, de la cécité en absence de la vue, etc. Il rejoint ainsi saint Augustin qui pense que le
mal « N’est pas une substance »222. Il serait absurde de dire alors que Dieu est l’auteur du
mal ; toutefois, c’est Dieu qui produit « La matière avec la nature qui lui est propre, à savoir
d’être toujours associée à la privation, […] ce qui la rend la cause de toute corruption et de
tout mal »223. Il n’y a point de mal en Dieu, tout ce qu’il fait est bon ; « Et Dieu vit tout ce
qu’il avait fait, et c’était très bien »224 nous dit l’écriture. Mais le mal provient de trois
choses :

- La corruptibilité de la matière, c’est le mal naturel (la maladie, les séismes, le


tremblement de terre, etc.). Ces maux sont liés à la matière et ne peuvent pas ne pas être tant
que la matière demeure. Ils sont indépendants de Dieu et de l’homme mais relève de la nature
corruptible de la matière.

- La méchanceté et l’ignorance de l’homme : les hommes s’infligent des maux


entre eux. Il s’agit des braquages, du viol, du vol, etc. L’écriture dit : « En outre, j’ai trouvé

220
Cf. Moïse Maïmonide, op.cit., p. 858.
221
Ibid., p. 860.
222
Saint Augustin, Les confessions, Livre VII, chap. 12, p. 44.
223
Moïse Maïmonide, Op.cit., p. 861.
224
Genèse, 1, 31.

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ceci, que Dieu a créé les hommes justes, et ce sont eux qui ont cherché beaucoup de pensées
coupables »225. En effet, c’est l’homme de par son ignorance qui produit le mal. La quasi-
totalité des maux sont dus à la privation de la science chez l’homme. L’ignorance pousse les
hommes à mettre fin aux qualités qui sont en eux et donc à produire le mal. « La connaissance
de la vérité fait cesser l’inimitié et la haine et empêche que les hommes se fassent du mal les
uns aux autres »226. Les hommes se font du mal par ignorance. Salomon disait en effet, « La
sottise de l’homme pervertie sa voie, et c’est contre l’Éternel que s’irrite son cœur »227. Pour
que la méchanceté des hommes disparaisse (la disparition de la méchanceté de l’homme
réduira considérablement le champ du mal dans le monde), il faut que tous les hommes aient
une connaissance satisfaisante de Dieu. Alors sera possible, le monde nouveau annoncé par le
prophète Isaïe « Le loup demeurera avec l’agneau et le léopard se couchera avec la chèvre… ;
la vache et l’ours iront paitre ensemble… ; et le nourrisson jouera… »228.

- Les désirs de possessions exagérés de l’homme. L’homme cherche toujours à


posséder au-delà du nécessaire. Dieu dans sa providence donne toujours à l’homme ce qui lui
est nécessaire pour sa survie ; ainsi nous verrons que les choses les plus nécessaires pour
l’homme sont faciles à trouver et coûtent moins chères. L’air par exemple est de nécessité
première pour l’homme, c’est pourquoi nous le trouvons partout et il est gratuit. L’eau par
contre est plus difficile à trouver et plus chère par rapport à l’air, parce qu’elle est moins
nécessaire par rapport à celui-ci. Il en est ainsi pour toutes les choses. Plus une chose est
nécessaire, et plus elle est facile à trouver et moins chère. Mais l’homme s’efforce toujours de
chercher des superflus inutiles. Malheureusement, « En nous efforçant de chercher ce qui
n’est pas nécessaire il nous devient difficile de trouver même le nécessaire »229.

 La création du monde par Dieu

L’un des sujets les plus délicats abordés par Maïmonide dans le Guide des égarés est
de justifier la possibilité du dogme de la création à partir du raisonnement philosophique. Il
est possible que Maïmonide ne soit ni le premier ni le dernier a abordé ce sujet. Mais la
délicatesse de ce sujet se trouve dans le fait qu’il entretient un lien direct avec l’existence de

225
Ecc., 7, 22.
226
Moïse Maïmonide, op.cit., p. 862.
227
Proverbe 19, 3.
228
Isaïe 11, 6-8.
229
Moïse Maïmonide, op.cit., p. 873.

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Dieu. Maïmonide évitera au maximum d’affirmer son adhésion à la théorie de l’éternité du
monde car celle-ci est en contradiction avec le dogme de la création ex nihilo.

En effet, après avoir exploré les différents arguments des Mutakallim sur l’existence,
l’unité et l’incorporéité de Dieu, Maïmonide trouve que leurs arguments sont peu fondés et
que leur raisonnement est sophiste ; mais ils sont élaborés en faveur de la nouveauté du
monde. Tandis que les arguments et le raisonnement d’Aristote sont assez convaincants et
irréprochables ; les arguments des Mutakallim sont sujettes au doute230. Seulement la théorie
d’Aristote opte pour l’éternité du monde qui est en contradiction avec la vérité révélée. La
métaphysique d’Aristote permet également de déduire facilement l’existence, l’unité et
l’incorporéité de Dieu. Maïmonide use donc des théories d’Aristote.

Pour commencer, notre auteur rappelle dans une suite de vingt-six propositions
déduites de la Physique et de la Métaphysique d’Aristote. Maïmonide part de la considération
selon laquelle soit la sphère céleste naît et périt ou soit elle a un mouvement éternel et est
impérissable. Si elle naît et périt, il est clair qu’elle ne peut pas se donner l’existence elle-
même, il faut nécessairement une autre chose pour la faire exister. Et ce qui la ferait exister en
ce moment c’est Dieu231. Mais au contraire, si la sphère céleste ne naît ni ne périt, et que son
mouvement est éternel, il faut que « Ce qui lui imprime le mouvement éternel ne soit ni corps,
ni une force dans un corps ; et ce serait encore Dieu »232. Peu importe que le mouvement de la
sphère céleste soit éternel ou qu’il soit périssable, l’essentiel est de démontrer l’existence,
l’unité et l’incorporéité de Dieu. Toujours pour prouver l’existence, l’unité et l’incorporéité de
Dieu, Maïmonide fait également appel à la théorie d’Aristote selon laquelle « Tout corps est
composé »233. Le corps est toujours divisible car il y a une dualité en lui. Or, l’être nécessaire
n’est pas un corps. Donc il n’y a point de dualité en lui et il n’est pas divisible. De cette
théorie, il ressort clairement et sans doute que Dieu est, qu’Il est un et il est incorporel.

Ensuite, Maïmonide ne voulant pas s’écarter de l’enseignement juif affirme qu’il est
possible que le monde soit créé : « En effet, nous ne voulons pas maintenant établi que le
monde a été créé ; mais ce que nous voulons, c’est [de montrer] qu’il est possible qu’il ait été
créé »234. Etant déjà convaincu des arguments d’Aristote, Maïmonide décide de ressortir tout

230
Cf. ibid., p. 361.
231
Cf. ibid., p. 509.
232
Idem.
233
Ibid., p. 508.
234
Ibid., p.592.

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simplement la possibilité d’une vision créationniste du monde pour ne pas être en contraction
avec la foi juive. Pour ce faire, il affaiblit la teneur de la théorie de l’éternité du monde chez
Aristote. Selon Maïmonide, la théorie de l’éternité du monde n’a pas été démontrée par
Aristote, mais Aristote l’a juste énoncée. Par ailleurs, Maïmonide affirme que le monde est
dans son état parfait. Avant parvenir à cet état parfait, il a existé à l’état brut, puis est passé de
la puissance à l’acte. Nous observons donc trois étapes235 de mouvement pour une chose avant
d’être dans son état parfait236. Etant donné que le monde est dans son état parfait et que nous
ne l’avons pas vu naître, il nous serait difficile de démontrer quoi que ce soit concernant son
origine. C’est pourquoi notre auteur ne se donne pas la mission de démontrer que le monde est
créé, mais que c’est possible que le monde soit créé. Maïmonide prend l’exemple d’un enfant
conçu. Il n’a pas la même présentation dans le sein de sa mère qu’à sa naissance. Et
supposons qu’à sa naissance, sa mère meurt et qu’il fut élevé dans un milieu où il n’y a pas de
femme. Arrivé à l’âge adulte, il commencera par demander comment les humains sont-ils nés.
Quand on lui dira que nous avons été formés pendant neuf mois dans le ventre d’un être
semblable à nous, il verra cette réponse incroyable. Son esprit ne peut comprendre comment
un homme peut rester dans le ventre d’une personne et vivre sans satisfaire ses besoins vitaux
(respirer, boire, manger, déféquer, etc.)237. De même, nous ne pouvons l’appréhender tel qu’il
était. D’où on ne saurait nier la possibilité que le monde soit créé à partir de rien.

235
Les trois étapes sont : l’état brut, l’entéléchie (passage de la puissance à l’acte) et l’état parfait.
236
Cf. ibid., p. 585.
237
Cette considération de Maïmonide se trouve dans le chapitre 17 du deuxième livre du Guide des égarés.

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III- POSTERITE ET ACTUALISATION

Connaissant à présent la pensée de l’auteur du Guide des égarés, nous tâcherons


d’évoquer dans un premier temps, le sort qu’a subi cette pensée et nous finirons par dégager
l’importance de cette pensée dans la vie de l’Eglise catholique et des autres églises.

A. Le Guide des égarés en discussion

Comme nous l’avons dit supra, Maïmonide est la plus grande figure de la philosophie
juive du moyen âge. Etant la plus grande figure, sa pensée a influencé nombres de
philosophes. Nous déclinerons dans les lignes qui suivront la postérité juive immédiate de
Maïmonide.

 Réception juive de la pensée de Maïmonide

La pensée de Maïmonide a créé de grands troubles dans le judaïsme. En effet, la


traduction en hébreux du Guide des égarés fait par Samuel Ibn Tibbon fut agréablement reçu
par certains juifs de la France Méridionale ; mais elle fut farouchement rejetée par les juifs
traditionnalistes de la France Méridionale. Ainsi se forma deux camps dans le milieu juifs :
les adversaires de Maïmonide (les antimaïmonidéens) et les partisans de Maïmonide (les
maïmonidéens). Les adversaires du Guide des égarés lui reprochèrent entre autre de n’avoir
pas parlé du dogme de la résurrection des corps dans son célèbre Guide des égarés238. Pour les
traditionnalistes, Maïmonide avait opté pour une interprétation allégorique et philosophique
très exagérée239. Bien d’autres reproches lui ont été adressés.

« N’avait-il pas dit, par exemple, que l’on pourrait, si besoin était, interpréter le
récit de la création de la Genèse dans le sens de l’éternité ? N’avait-il pas spécifié que
ce qui le retenait de le faire n’était autre que le dogme religieux de l’adventicité de
l’univers ? […]. N’avait-il pas expurgé l’essence de Dieu de toute corporéité au point
de parvenir à un abstrait concept divin plaçant une idée pure là où l’orant avait
coutume de trouver une divinité personnelle ? »240.

Ces questions résument les remontrances qui ont été adressées au Guide des égarés et
à son auteur. Le rejet du Guide des égarés est dû à ces reproches que lui ont adressé ses

238
Cf. Maurice Ruben Hayoun, op.cit., p.106.
239
Cf. Idem.
240
Ibid., pp. 106-107.

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coreligionnaires. En outres, les adversaires du Guide des égarés interdirent sous peine
d’excommunication la diffusion de la pensée philosophique de Maïmonide et l’étude des
sciences profanes241 parce que celles-ci, selon eux, sont dangereuses pour la foi en Dieu. Mais
les partisans de Maïmonide ripostèrent en excommuniant les trois adversaires phares
(Salomon Ben Abraham, Jona Gerundi et David Ben Saül) de Maïmonide. Ceux-ci à leur tour
obtinrent auprès des Rabbins de la France du Nord, une excommunication contre les ouvrages
de Maïmonide. De plus, les œuvres de Maïmonide furent dénoncées aux Franciscains, aux
Dominicains et au cardinal (« Probablement le cardinal Romanus, légat pontifical chargé de
réprimer l’hérésie cathare à Montpellier »242) « Qui les avaient fait brûler en totalité ou peut-
être en avaient détruit quelques pages »243. En réponse à cet acte, les maïmonidéens « Font
subir des sévices corporels »244 à leurs adversaires. Dès lors, le grand conflit cessa et les
philosophes juifs devinrent libres de philosopher.

Ainsi, la pensée du Rabbin Maïmonide s’est imposée à ses successeurs au point où ils
seront traités comme des épigones245. Parmi ces épigones, figure Gersonide (Levi ben Gerson,
246
1288-1344) et Moïse Narbonne. Gersonide a côtoyé à la fois la philosophie
maïmonidéenne et celle d’Averroès (grand contemporain arabe de Maïmonide). Influencé par
l’averroïsme, ce dernier a brisé toute la retenue que Maïmonide autrefois avait mise entre
philosophie et religion. Toute la modération que Maïmonide exigeait concernant la
métaphysique a été supprimée par Gersonide. Il trouve une complémentarité totale en
philosophie et religion. L’un des grands dépassements qu’opère Gersonide sur la pensée de
Maïmonide est que « Le dogme biblique de la création est susceptible d’interprétation
philosophique et il n’est pas inconciliable avec l’affirmation aristotélicienne de l’éternité de la
matière »247.

Quant à Moïse Narbonne, bien qu’étant un commentateur de Maïmonide, il se penche


beaucoup sur la philosophie d’Averroès. Il donne un sens averroïste aux thèses
maïmonidéennes. On pourrait dire qu’il fusionne la pensée de Maïmonide et celle d’Averroès.
Concernant le rapport entre philosophie et religion, Moïse Narbonne s’accorde avec
Maïmonide mais beaucoup plus encore avec Averroès pour soutenir que la philosophie doit

241
Cf. Charles Touati, La pensée philosophique et théologique de Gersonide, Gallimard, Paris, 1973, p. 18.
242
Ibid., p. 19.
243
Idem.
244
Idem.
245
Cf. André Neher, op.cit., p. 1035.
246
Cf. ibid., p. 1036.
247
Idem.

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être réservée aux élites qui ont la capacité de comprendre le sens réel de la Torah. Il pense
aussi que le prophète et le philosophe se valent248. C’est pourquoi le prophète peut rectifier
« Les erreurs qui se seraient glissées dans sa vision du fait de l’imaginative »249. Moïse
Narbonne infléchit la pensée de Maïmonide sur le monde vers le sens de l’éternité 250. Il est
vrai que « Le monde est la création de Dieu, mais Dieu est indispensable au monde qu’il crée
éternellement »251. Pour lui alors, l’éternité du monde n’exclut pas le fait que celui-ci soit créé
par Dieu. Dieu est une cause éternelle et le monde est son effet éternel 252. Le dogme de la
création et l’éternité du monde affirmé par Aristote ne sont point en conflit mais se rejoignent.

B. La pensée maïmonidénne et la croyance aujourd’hui

Maïmonide pense que la philosophie et la loi révélée peuvent aller de pair. Pour lui, si
Dieu est la vérité, la philosophie serait le chemin qui mène vers lui et la loi révélée, le guide
sur ce chemin. La philosophie nous permet de percevoir le sens réel des vérités révélées ;
prendre les vérités révélées dans leur sens littéral peut conduire à beaucoup de dérives. La
philosophie permet de se faire une conviction personnelle de la foi vécue. Toutefois, il faut
une préparation sérieuse au préalable. Car les sujets métaphysiques sont très compliqués voire
obscurs pour l’esprit qui n’y est pas préparé. Nous pensons que cette position de Maïmonide
est encore d’actualité aujourd’hui plus que jamais. En effet, l’Eglise Catholique réclame une
formation philosophique de trois années à ses prêtres avant les études théologiques. Bien que
la philosophie et la révélation s’embrassent, une survie sérieuse est observée au niveau des
facultés de philosophie dans les universités catholique comme la nôtre pour éviter des dérives.
Cette organisation de l’Eglise catholique dessine toute la conception de Maïmonide sur le
rapport entre philosophie et loi révélée.

Par ailleurs, « les Vulgaires » qui n’ont pas accès aux vrais sens des vérités révélées se
limitent tout simplement à la foi reçue. Il manque souvent aux croyants, une conviction
personnelle fondée sur la connaissance réelle des vérités auxquelles ils croient. On entend par
exemple des expressions comme « Le rameau va me protéger contre les démons »253. Les
vulgaires ne perçoivent pas la religion comme un lieu favorable de rencontre entre le Créateur
et la créature ; mais la religion est perçue comme un moyen de protection, une sorte de magie.

248
Cf. Maurice Ruben Hayoun, op.cit., p.115.
249
Idem.
250
Cf. ibid., p. 113.
251
Idem.
252
Cf. idem.
253
Expression de rue souvent entendue.

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Le manque de conviction dans la foi vécue entraine une instabilité de statut religieux. Quand
les vulgaires apprennent qu’un prophète fait des miracles, ils y vont. Ils s’adonnent à une
forme de fétichisme spirituel (surtout en Afrique). C’est l’ignorance du sens réel de la religion
et des pratiques religieuses qui les y conduit. Aujourd’hui encore, l’union entre la philosophie
et la religion doit être renforcée.

Aujourd’hui, on observe une multiplication des églises réveillées dans le monde. La


prolifération des « églises réveillées » est aussi un phénomène dû à l’ignorance des croyants.
Les pasteurs de ces églises n’ont presqu’aucune formation philosophique ou théologique. Ils
n’ont pas une vraie connaissance des vérités révélées. Leur seul souci est de gagner de
l’argent en exploitant l’ignorance de leurs fidèles. Pour le faire, ils proposent des solutions
aux multiples problèmes des croyants. En effet, les fidèles vivent pour la plupart du temps,
des situations difficiles telles que maladies, chômage, stérilité, oppression, etc. Voilà tant de
situations qui constituent les portent d’entrée pour les pasteurs des églises de réveil. Ils
proposent des solutions à tous les problèmes de ces fidèles pour ainsi gagner leur confiance.
N’ayant pas un esprit philosophique, ces fidèles font rapidement confiance à leurs pasteurs
qui commencent par les escroquer. Des propos tels que « L’argent est un mauvais guide, il
faut le confier à Dieu. L’argent que vous avez ne vous appartient pas. Il est à Dieu »254 ne sont
pas rares. Le système est tellement élaboré qu’ « Un simple croyant peut devenir un jour
pasteur s’il a, par le passé, beaucoup apporté financièrement à l’église »255. Le souci premier
du pasteur est de s’enrichir. Beaucoup de désordre sont observés dans ces églises. Nous avons
en exemple, le cas du Rwanda où le gouvernement a fermé 714 églises de réveil256 pour
cause, ces églises ne respectent pas les règles d’hygiènes, ni de sécurité, et sont de grands
promoteurs de la pollution sonore. Certains pasteurs vont jusqu’à interdire à leurs fidèles
d’aller à l’hôpital. Jésus Christ est le médecin des médecins ; il pourra les guérir sans les
médicaments. Leur désastre est si grand que le gouvernement rwandais a exigé une formation
pour tous les pasteurs. Un peu d’esprit critique aurait aidé les fidèles à démasquer ces pasteurs
arnaqueurs.

254
Martin Kouonedji, « Les églises réveillées au Cameroun », in https://www.podcastjournal.net/Les-eglises-
reveillees-au-Cameroun_a9017.html, dernière modification le 31/07/2011, consulté le 21/04/2020 à 13h35.
255
Idem.
256
Cf. africanews, « Plus de 700 églises fermées au Rwanda par le gouvernement »,
in https://www.youtube.com/watch?v=wEhqyyIoNLs, publié le 28 février 2018, consulté le 21/04/2020 à
13h20.

P a g e 163 sur 186


CONCLUSION

Le but de ce travail était de nous renseigner sur le lien que Maïmonide établit entre
philosophie et Torah dans le Guide des égarés. Dans le souci de mieux cerner la pensée de
notre auteur, nous avons reconstitué l’histoire qui a existé entre philosophie et judaïsme avant
Maïmonide. Il s’ensuit que la philosophie et le judaïsme ont commencé leur amitié depuis
Philon d’Alexandrie. Cette amitié sera brisée par Juda Hallévi et reconstruite de façon plus
solide par Maïmonide. La solidité de la relation « philosophie-judaïsme » établie par le
Rabbin se trouve dans la retenu qu’il met dans cette relation. Pour illustrer la manière dont le
philosophe-rabbin fait usage de la philosophie pour défendre les vérités de la foi, nous avons
restitué sa conception sur le mal et nous avons donné sa position sur la création ou l’éternité
du monde. Notre auteur pense, parlant du mal, qu’il ne vient pas de Dieu, mais qu’il est lié à
la nature corruptible de la matière, qu’il résulte de la privation de la science chez l’homme et
qu’il vient du désir exagéré de l’homme de posséder plus qu’il ne doit posséder. Quant à la
question de savoir si le monde est éternel ou créé, Maïmonide après avoir démontré
l’existence, l’unité et l’incorporéité de Dieu à travers la théorie de l’éternité du monde
d’Aristote, se retourne contre cette même théorie, pas pour la déconstruire, mais pour
l’affaiblir. Le lien ainsi établi par Maïmonide a provoqué l’hostilité de certains de ses
coreligionnaires et donc une scission dans la société juive de la Provence. Le conflit entre
juifs traditionnalistes et progressistes dure des années après la mort de Maïmonide. Malgré
cette mésentente, des philosophes juifs comme Gersonide et Moïse Narbonne ont perpétué la
philosophie de Maïmonide. Pour finir, nous avons relevé quelques traces du rapport entre
philosophie et religion fait par Maïmonide dans l’organisation de l’Eglise Catholique et dans
le vécu des croyants. Mais le fait de réserver le privilège de philosopher à ceux qui en ont la
capacité, ne pénalise-t-il pas les vulgaires du fait que cela ne leur permet pas d’avoir une
connaissance réelle de leur foi ? Ne peut-on pas penser un moyen simple de faire accéder les
vulgaires au vrai sens de la révélation biblique ?

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BIBLIOGRAPHIE

Ouvrage principal

M. Maïmonide, Guide des égarés, Verdier, Paris, 2012.

Autres ouvrages

Colette Sirat, La philosophie juive au moyen âge, édition du centre national de la


recherche scientifique, Paris 1983.

Maurice Ruben Hayoun, Maïmonide, PUF, Paris, 1987.

Platon, « Charmide », in Léon Robin et M.-J. Moreau, Œuvres complètes I, Gallimard,


Paris, 1950.

La Bible de Jérusalem

Article

André Neher, « Philosophie hébraïque et juive », in Brice Parain, Encyclopédie de la


Pléiade : Histoire de la Philosophie I, Gallimard, Paris, 1969.

André Neher, « Philosophie juive médiévale », in Brice Parain, Encyclopédie de la


Pléiade : Histoire de la Philosophie I, Gallimard, Paris, 1969.

Warren Zev Harvey, « De la logique à la Mishneh Torah », in Albin Michel,


Dictionnaire des philosophes, Encyclopédie universel, Paris, 2006.

Webographie

Martin Kouonedji, « Les églises réveillées au Cameroun »,


in https://www.podcastjournal.net/Les-eglises-reveillees-au-Cameroun_a9017.html, dernière
modification le 31/07/2011, consulté le 21/04/2020 à 13h35.

africanews, « Plus de 700 églises fermées au Rwanda par le gouvernement »,


in https://www.youtube.com/watch?v=wEhqyyIoNLs, publié le 28 février 2018, consulté le
21/04/2020 à 13h20.

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TABLE DES MATIERES

SOMMAIRE ............................................................................................................................. 1

INTRODUCTION ................................................................................................................ 144

I-PHILOSOPHIE ET JUDAÏSME DEPUIS PHILON D’ALEXANDRIE JUSQU’A


MAÏMONIDE ....................................................................................................................... 145

A. La philosophie juive pré-maïmonidéenne ........................................................... 145

B. Maïmonide et son temps........................................................................................ 148

Sa vie ....................................................................................................................... 148

Ses œuvres .............................................................................................................. 149

II-PHILOSOPHIE ET RELIGION DANS LA PENSEE MAÏMONIDEENNE


................................................................................................................................................ 152

A. Complémentarité entre judaïsme et philosophie ................................................ 152

La philosophie, une nécessité pour la foi ............................................................. 152

Les limites de la raison humaine .......................................................................... 153

Caractère dangereux de la métaphysique ........................................................... 153

Conditions pour faire la métaphysique ............................................................... 154

L’enseignement de la loi aux vulgaires ................................................................ 155

B. Les grands thèmes philosophico-religieux abordés par Maïmonide................. 155

Le mal ..................................................................................................................... 156

La création du monde par Dieu ............................................................................ 157

III-POSTERITE ET ACTUALISATION
................................................................................................................................................ 160

A. Le Guide des égarés en discussion ........................................................................ 160

Réception juive de la pensée de Maïmonide ........................................................ 160

B. La pensée maïmonidénne et la croyance aujourd’hui ........................................ 162

CONCLUSION ..................................................................................................................... 164

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 165

TABLE DES MATIERES ................................................................................................... 166

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Groupe 10 :
Synthèse des exposés

Présenté par :

- NGUEMA-MBA G. Marc
- POUCHE Wilfrid

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PLAN

INTRODUCTION

I. La philosophie et l’Islam.
a. La pensée d’Averroès.
b. Apports d’Al-Fârâbî.
II. Le rapport entre la philosophie et la religion Judéo-chrétienne.
a. La philosophie et le Judaïsme avec la pensée maïmonidienne.
b. La philosophie et la Chrétienté avec la pensée de St Thomas d’Aquin.

III. Incompatibilité de la philosophie et de la foi dans l’idée d’une possible


conciliation.
a. Incompatibilité chez Juda Halevi.
b. Incompatibilité chez Tertullien.
IV. Discordance entre philosophie et foi par la critique de l’existence de Dieu.
a. Critique freudienne.
b. Critique sartrienne.
V. Construction du lien entre Averroès et Derrida par la notion de « Déconstruction ».
a. Construction de la « Déconstruction » dans la démarche d’Averroès.
b. Le rapport entre Averroès et Derrida au sujet de la « Déconstruction ».
VI. Apport personnel par contextualisation.

CONCLUSION

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INTRODUCTION

Alliances et héritages (notamment entre foi et raison), influences plurielles,


violences et apaisements et autres, sont caractéristiques de l’histoire de la philosophie
médiévale. La question de concomitance de la philosophie et de la foi est une préoccupation
qui a traversé de nombreux cieux. Souvent présentée de façon tronquée, la philosophie
médiévale est considérée à tort comme étant une synthèse entre christianisme et raison, entre
philosophie antique et christianisme, mettant surtout l’accent sur l’idée que le christianisme
aurait prédominé à cette période. Or, il serait injuste de ne pas reconnaître qu’au cours de
cette période s’est aussi développée une pensée philosophique juive et même islamique et
que, par ailleurs, cette période a même aussi connu un flanc païen. La contribution de certains
philosophes de cette époque est indéniable, car beaucoup d’entre eux ont largement contribué
à l’essor de la philosophie musulmane et ont beaucoup influencé les philosophes modernes et
contemporains. Ainsi, s’il y a tout de même une vérité sur les jugements dit tronqués de cette
période, c’est bien le fait que les penseurs médiévaux ont réduit, quoi que partiellement, cette
philosophie en une philosophie qui se veut prouver une concomitance ou encore montrer une
incompatibilité entre la croyance et l’intellect. Notre parcours dans cet exposé qui a pour
thème Philosophie et Croyance à l’époque médiévale : entre concomitance et
incompatibilité, nous donnera de réfléchir et de constater de plausibles apports au problème
qui est de savoir s’il peut exister ou non une conciliation entre foi et raison tout en découvrant
les rencontres créatrices et les influences mais aussi les exclusions ainsi que la pluralité des
rationalités religieuses, philosophiques et culturelles de la période médiévale. De fait, il
s’agira dans cet exposé d’être attentif à l’histoire des peuples différents avec leurs langues
diverses, en faisant usage de toutes les œuvres analysées pour être en contact avec la
philosophie médiévale et d’en savoir beaucoup plus sur elle, afin d’analyser la conformité,
voire la validité d’une possible conciliation de la raison et de la foi.

I. La philosophie et l’Islam.
a. La pensée d’Averroès.
 La thèse d’Averroès.

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L’exposé numéro 2 porte sur le rapport entre philosophie et islam dans le
Discours Décisif d’Averroès.
Cet exposé s’intéresse particulièrement à l’un des conflits qui eut lieu,
opposant philosophie et foi, dans l’islam avec Averroès. L’extrait dudit texte qui a fait
« gage » d’objet d’étude pose le problème de la Loi révélée face à l’acte de philosopher ; et la
thèse d’Averroès est que la Loi révélée est favorable à l’acte de philosopher et que, par
conséquent, la philosophie doit être obligatoire au musulman qui en est capable.

L’Islam, avec le Judaïsme et le Christianisme, est l’une des trois religions


monothéistes de l’époque médiévale. Religion simple et sans clergé, elle enseigne que
l’accession au paradis repose sur le respect de cinq obligations, piliers de l’islam, contenues
dans le Coran. C’est face au dogmatisme qu’enseignait la Loi révélée que le « Commentateur
des philosophes »257 se mit à écrire le Discours Décisif dans lequel il insiste sur la nécessité de
pratiquer la philosophie et d’étudier la nature créée par Dieu. Le Discours Décisif est une
œuvre qui cherche à justifier la nécessité d’une interprétation philosophique du Coran, tout en
insistant sur un caractère élitiste, puisque n’étant l’apanage que des savants ; ainsi qu’à plaider
pour une séparation radicale entre la philosophie et la société. Lorsqu’Averroès s’investit dans
la recherche du statut qu’offre le droit musulman à la philosophie, Averroès veut démontrer
que la philosophie peut être aussi bien d’ordre du recommandé qu’une obligation surtout
pour le savant, le fidèle à même de raisonner, de comprendre et d’interpréter certaines
sourates. Son Discours Décisif, Averroès décide de le couper en trois parties dont, la première
contient sa thèse selon laquelle l’acte de raisonner est permis aux savants par l’islam parce
qu’il permet de comprendre les fondements de la foi, la seconde propose une réponse
concernant les objections, adressées dans l’Incohérence des philosophes, qui ont la prétention
de vouloir prouver une discordance entre l’acte de philosopher et le Coran, la dernière
examine les conséquences religieuses et sociales sur tous les destinataires de la Loi révélée, et
même les répercussions politiques. Averroès, en se référant constamment aux raisonnements
des Fuqaha, veut faire ressortir le statut obligatoire que le Coran devrait octroyer à l’étude de
la philosophie et des sciences de la logique. C’est de ce fait qu’il veut prouver qu’il est
indispensable de faire le lien entre la philosophie et la foi, en justifiant la nécessité pour le
musulman de recourir à la réflexion et à la spéculation. Ainsi donc, pour lui : « La philosophie
ne contredit pas la Loi divine qui appelle à étudier rationnellement les choses, on doit ‘’unir

257
En référence à Averroès.

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le rationnel et le traditionnel’’ »258. Il estime encore que la philosophie d’Aristote ne peut
contredire le Coran et l’exprime dans l’idée selon laquelle le Vrai ne peut contredire le Vrai,
et il prouve que la Loi révélée émet de constants appels à la connaissance, lorsqu’il s’agit de
l’interprétation du sens du Coran. Pour cela, il ressort de nombreux versets coraniques qui
défendent l’acte de philosopher dans l’islam et en citera quelques-uns : « Réfléchissez donc, ô
vous qui êtes doués de la clairvoyance »259 ; « Que n’examinent-ils le royaume des cieux et de
la terre et toutes choses que Dieu a créées »260. Il note donc, au regard des verbes d’action
tels que « Réfléchissez » et « Examine » ainsi que du temps de recommandation, de
supplication ou d’ordre auquel ils sont employés, une obligation d’utiliser la philosophie pour
comprendre les textes coraniques. Il montre ainsi que la Loi révélée n’est non seulement guère
contre la philosophie mais surtout qu’elle l’encourage. Par ailleurs, Averroès pense que si la
philosophie est une façon logique de prouver l’existence de Dieu et que le Coran encourage à
réfléchir sur l’univers, c’est qu’il est bon de philosopher. Enfin, de par le verset : « Appelle les
hommes dans le chemin de ton Seigneur, par la sagesse et par la belle exhortation, et dispute
avec eux de la meilleure manière »261 la thèse d’Averroès s’avère d’autant plus plausible.
Encore, présente-t-il les outils indispensables à la pratique de la philosophie, ainsi que les
niveaux d’assentiments à la Loi révélée : « L’acte de philosopher ne consiste en rien d’autre
que dans l’examen rationnel des êtres […en tant] qu’ils constituent la preuve de l’existence
de l’artisan »262. Averroès pense donc au syllogisme comme outils de déploiement de sa
pensée et utilise deux types de syllogisme : juridique et rationnel. Son syllogisme lui sera
reproché plus tard, parce que considéré comme outil païen. Parce que les théologiens ont fait
mauvais usage de l’argument dialectique, ils ont communiqué aux gens du commun des
interprétations infondées semant le trouble dans leurs esprits, nuisant ainsi à la Loi révélée et
à la stabilité sociale. Ainsi, c’est aux philosophes de lire le Coran et de le comprendre par la
méthode démonstrative dans le but de mettre à la disposition de tous, une interprétation
adéquate et facilement accessible. La philosophie est blâmée, faute d’erreurs de certains
philosophes. Mais Averroès considère que les erreurs de certains philosophes ne suffisent pas
à condamner la philosophie en elle-même. Il prend l’exemple du médecin faute de quoi, parce
qu’ayant fait une erreur, la médecine en elle-même serait rejetée. La philosophie est
essentielle, tandis que les erreurs commises par certains dans ce domaine sont d’ordre

258
Averroès, op. cit,p. 80.
259
Coran, LIX, 2, (traduit par Averroès).
260
Coran, VII, 185 ( traduit par Averroès).
261
Coran, XVI, 125 (traduit par Averroès).
262
Averroès, op. cit, p. 81.

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accidentel. On voit donc que, pour une fois encore, il se sert de la logique et des termes
d’Aristote, pour défendre la philosophie.
En faisant cohabiter foi et raison et permettant à philosophie d’éclairer les
peuples, Averroès a le mérite d’avoir laissé une ouverture qui, non seulement se trouve
bénéfique à l’islam, profite le mieux aux chrétiens. Alain de Libera dira : « C’est en lisant
Averroès que les chrétiens ont appris à philosopher » pour démontrer le rôle important et
décisif des penseurs arabo-musulmans qui ont déployé de nombreux efforts à corréler foi et
raison. De nos jours encore, les mérites de la Loi révélée peuvent être interprétés et éclairés
par la lumière de la raison ; d’où les prouesses encore provocantes d’Averroès.

Comme critique à Averroès, Al-Ghazali veut limiter le pouvoir de l’activité


philosophique en dressant l’idée que les outils et auteurs utilisés dans l’interprétation sont
païens. Mais pour Averroès, il ne s’agit pas dans les interprétations de la conformités des
outils employés, mais seule de la conformité des résultats qu’ont permis ces derniers
d’atteindre. C’est en cela que le droit musulman précise la forme ou la matière avec laquelle
doit être fait l’outil, mais ne stipule rien, quant au fait qu’il peut être emprunté à quiconque,
fut il juif ou païen. Al-Ghazali veut aussi défendre les dogmes de l’islam. Ainsi, il veut la
déstabilisation de la philosophie et s’insurge contre les philosophes qu’il considère comme
étant des dépravés. Il vote une étude individuelle du Coran qui permettrait à chaque lecteur de
parvenir à la certitude de l’existence de Dieu sans recourir nécessairement à un intermédiaire.
Averroès lui ne rejette pas l’idée de l’existence d’une poignée de philosophes dépravés, mais
plutôt l’idée que ce soit la philosophie qui les déprave. Pour appuyer cela, il rappelle
l’exemple de l’eau dont il avait déjà fait recours, et qui, en gros, va dans le même sens que
son exemple de la médecine et du médecin. Les scholastiques critiquent Averroès sur l’unité
de l’intellect. Ces critiques poussèrent Albert le Grand à revoir les considérations
anthropologiques d’Averroès. Il distinguera deux types d’intellect : l’intellect agent et
l’intellect possible.

Il a également été prononcé sous cet exposé que, selon une critique personnelle
des exposants, la philosophie d’Averroès est élitiste.

Enfin, fut il notable que, malgré toutes les critiques qui peuvent être avancées à
la pensée d’Averroès, cette dernière reste encore plausible en ce sens que, jusqu’à nos jours,
le caractère actuel de sa pensée reste reconnu. Philosopher reste encore une nécessité vitale à
l’homme, à la religion et à la société.

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 Herméneutique diverse des dogmes musulmans.

Dans son œuvre intitulée Dévoilement de méthodes démonstratives concernant


les dogmes religieux Averroès sous son vrai nom Abû L-Walid Muhammad ibn Ahmad
Muhammad ibn Rush traite de plusieurs points fondamentaux de la foi islamique. L’auteur
apparaît en son temps comme étant à la fois un musulman et un aristotélicien ; ce qui en son
temps était très déplorable. Néanmoins, bien qu’étant déplorable, il cherchera à démontrer que
le Coran n’interdit pas la pratique de la philosophie et des sciences naturelles mais qu’elle
permet plutôt de remonter à Dieu par l’étude des êtres créés par lui-même.
Dans son traité théologique musulman, tiré de Kalam, il oppose ses doctrines
philosophiques à l’école des Ash’arites. L’école des Ash’arites est un système de pensée qui
enseigne la tradition de Mahomet et de la majorité religieuse. Pour concilier foi et raison ils
vont mettre ces deux thèses extrêmes devant trois problèmes théologiques : le problème des
attributs divins, le problème du dogme du Coran incréé, le problème de la liberté humaine.
Les Ash’arites démontrent leurs méthodes de démonstration en trois temps : « Que Dieu
existe », « Que Dieu est un », « Comment est Dieu ». Pour démontrer « Que Dieu existe », ils
passent par la raison. D’après eux la connaissance rationnelle de Dieu est obligatoire pour tout
croyant. Leur méthode de démonstration pour l’existence de Dieu s’appuie sur la révélation.
Ainsi, dans un premier temps, les Ash’arites fondent leur méthode sur l’adventicité du monde
qui résulterait du fait que les corps soient composés d’atomes, qui sont adventices, ce qui fait
que les corps sont adventices et tout ce qui est adventice possède un adventeur qui est Dieu et
qui est la cause du monde. Dans un second temps les Ash’arites fondent leur méthode sur la
contingence du monde qui fait valoir que l’univers est organisé selon un ordre contingent ;
que tout ce qui est aurait pu être autrement que ce qu’il n’est. Pour démontrer « Que Dieu est
un », ils vont détourner leurs esprits de l’argument coranique. Dans le développement de leur
pensée s’il y avait deux dieux ou plus, étant donné leurs puissances en tant que dieu, la
volonté d’un ne saurait primer sur la volonté de l’autre, et il serait impossible qu’aucune des
deux volontés suprêmes s’accomplisse car dans ce cas le monde n’existerait pas. Cela enlève
donc toute possibilité de plusieurs dieux. Enfin, pour démontrer « Comment est Dieu », ils
vont présenter huit attributs appartenant à Dieu notamment : puissant, savant, voulant, vivant,
oyant, voyant, parlant, durant. Ils vont y ajouter un nouvel attribut divin fondamental, qui
conditionne la possibilité de révélation, qu’est la parole.
Averroès dans son interprétation propose également une méthode de
démonstration en trois temps. Pour démontrer l’existence de Dieu, il va tenter de résorber le

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doute que surgit des thèses des Ash’arites selon laquelle : « Le monde est adventice ». Il
conclut qu’ils se contredisent, en soutenant à la fois que l’acte éternel de Dieu pourrait
produire un effet adventice car l’acte opéré par l’agent est à celui-ci que l’accident est à la
substance, quelque chose qui lui arrive. D’après Ibn Rush l’argument de la contingence du
monde également revient à nier la sagesse et à nier une qualité dont Dieu lui-même s’est
réclamé en se nommant « Sage » parce qu’en effet il est le Dieu pensant tout l’ordre de
l’univers sur le mode de l’unité absolue. Ainsi ne saurait-il faire les choses au hasard. L’âme
serait donc la seule forme matérielle qui témoigne qu’il y a un artisan surnaturel
contrairement aux autres formes qui existent depuis l’éternité. D’après Averroès, il faut
reconnaître que tout ce qui est créé a un créateur ; et il incombe donc à celui qui veut
connaître Dieu de connaître la substance des choses, afin d’appréhender la vraie création à
travers l’ensemble des êtres, car celui qui ne connaît pas la réalité des choses ne connaîtra pas
la réalité de la création. Pour démontrer l’unicité de Dieu Averroès dira que s’il y a deux
dieux alors il y a deux mondes. Mais puisqu’il n’y a qu’un monde alors il n’y a qu’un seul
Dieu car un acte ne procède que d’un seul agent : « Il n’est de divinité que Dieu »263. Pour
démontrer comment est Dieu, Ibn Rush présente le premier attribut de Dieu comme étant la
science qui donne l’existence à l’univers le faisant ainsi un attribut pré éternel. Elle est résumé
dans cet énoncé divin : « Ne connaît-il pas ce qu’il a créé, lui qui est le subtil et qui est
parfaitement informé ? »264. Ainsi il est, catégoriquement, contre le fait que les Ash’arites
limitent la science.
Averroès veut alors présenter les différentes conceptions sur les dogmes de
l’Islam avec plusieurs thématiques, en commençant par celles de l’école des Ash’arites et en
les soumettant à une critique philosophique pour, enfin, présenter sa conception.
b. Apports d’Al-Fârâbî.
Al-Fârâbî est un Philosophe Arabe du moyen âge plus exactement du
10ème siècle. Il a développé sa philosophie sur Platon et Aristote. Il fût l’un des
premiers à étudier, commenter et à répandre parmi les Arabes la connaissance
d’Aristote et il a laissé un très grand nombre d’écrit dont Opinions des habitants de la
cité vertueuse où il nous parle du véritable bonheur qui est le sujet qui nous intéresse.

Il dit que le bonheur en vérité se distingue des faux bonheurs que sont : la
richesse, la domination, le plaisir et les biens de ce monde. Le bonheur, d’après lui, est

263
Profession de foi de l’Islam.
264
Coran, LXVII, 14 (traduction Masson).

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dans la vie de l’au-delà et pour y avoir accès, il y a des conditions nécessaires. Pour
atteindre le bonheur, Al-Fârâbî propose une condition sine qua non pour que l’homme
quitte son état d’animalité, libère son âme de l’emprise du corps pour atteindre
l’immortalité de l’âme et accède à ce qu’il appelle « Bonheur en vérité ». L’homme doit
donc perfectionner sa faculté rationnelle spéculative, pour percevoir le bonheur avec
certitude, ainsi que les autres facultés. L’intellect agent est la frontière entre le monde
sublunaire et le monde supra lunaire et c’est lui qui donne la multiple forme des éléments
du monde. C’est de l’intellect agent que les âmes humaines viennent informer les corps
suffisamment disposés à les recevoir. Ces âmes devront atteindre les vérités transmises par
l’intellect agent, premier être qui est hors de leur portée, leur ultime bonheur et acquérir
l’immortalité. Les âmes destinées au « Bonheur en vérité » parviendront à obtenir un
certain nombre de qualités nécessaires pour diriger la Cité vertueuse. La Cité vertueuse
s’oppose à d’autres cités qui s’orientent vers ce qu’elles considèrent comme le leur et qui
n’est qu’une simulation du bonheur. Celui qui dirige la Cité vertueuse doit posséder un
« Intellect acquis » qui est la condition pour entrer en contact avec l’intellect agent, lequel
lui accorde alors cette « Chose » qui est « Comme la lumière » et qui doit le conduire, lui
et ses concitoyens, vers le bonheur véritable.

II. Le rapport entre la philosophie et la religion judéo-chrétienne.


a. La philosophie et le judaïsme avec la pensée maimonidienne.

Moise Maimonide était un Rabbin juif. Il essaie de concilier, dans son ouvrage
principal le Guide des égarés, la philosophie et la foi en Dieu et ce dans un contexte où les
juifs refusaient de faire de la philosophie de peur de s’éloigner de Dieu. Néanmoins, avec
Filon d’Alexandrie, il eut une entente entre philosophie et Judaïsme. Par la suite, celle-ci sera
brisée par Juda Halevi puis reconstruite par Maimonide.

Dans le Guide des égarés Maimonide essaiera de ressortir des


complémentarités entre le judaïsme et la philosophie ; la philosophie aidant dans la
compréhension de la Loi révélée à travers l’élévation de l’esprit qui se fait par la raison. La
raison est l’instrument de la philosophie, alors la philosophie à travers la raison permet à
l’homme d’avoir une meilleure interprétation de la Loi révélée pour se rapprocher de Dieu
sans pour autant faire de l’Homme un dieu, car la raison humaine est limitée notamment dans
la connaissance de Dieu, dans sa totalité et dans la métaphysique que Maimonide caractérise
d’obscure. D’après lui, la philosophie est nécessaire mais elle ne doit pas commencer par la
métaphysique, car elle peut conduire à un trouble dans les croyances mais aussi à l’irréligion

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d’où la nécessité d’une certaine préparation avant de l’aborder. Dans ce sens pour équilibrer
philosophie et religion, il émet des conditions telles que l’étude de la logique, des
mathématiques et de la physique avant de commencer la métaphysique.

Après l’établissement d’une compatibilité entre philosophie et religion nous en


venons aux grands thèmes philosophico-religieux abordés par Maimonide notamment le «
Mal » et la « Création du monde ». L’auteur pense que le mal ne vient pas de Dieu mais plutôt
de trois choses : la corruptibilité de la matière, la méchanceté et l’ignorance de l’homme et
enfin le désir exagéré de l’homme à posséder plus qu’il ne le doit. Par rapport à la question
sur la création et l’éternité du monde, l’auteur après avoir démontré l’existence, l’unité et
l’incorporéité de Dieu à travers la théorie de l’éternité du monde d’Aristote va se retourner
contre cette théorie pour l’affaiblir et ainsi ne pas s’écarter de l’enseignement Juif.

 Le rapport entre philosophie et foi.

Le débat entre foi et raison a toujours été présent dans la philosophie partant de
l’époque de l’antiquité à l’époque contemporaine. Le but de ce débat est de démontrer s’il
existe une compatibilité entre la foi et la raison.
Nous avons pu analyser, dans une certaine mesure, les concepts « Foi » et
« Raison » dans le Judaïsme avec Maimonide, l’Islam avec Averroès et Al-Fârâbî. Mais qu’en
est-il du Christianisme ?
Chez les philosophes de l’antiquité, notamment avec Socrate et Platon qui font
partie de l’âge d’or de la philosophie grecque, il n y a pas de rapport direct entre foi et raison.
Ce débat apparaît sous forme de définition des termes d’où un rapport indirect. C’est chez les
médiévaux que ce rapport fut direct et fut au cœur des grands débats philosophiques et
théologiques. Le Christianisme naît après le Judaïsme et est même issu du Judaïsme et partage
les mêmes fondements sur les révélations faites aux prophètes. Mais le Christianisme ne
s’arrête pas là. Il est aussi fondé sur un témoignage de vie et suite à un événement concret
vécu. Il naît au premier siècle à la naissance de Jésus Christ et le point de départ de cette
religion est la mort et la résurrection de Jésus Christ. C’est cette résurrection qui est le
fondement de la foi Chrétienne.
La question de la relation faite entre la foi et la raison a été au cœur de la
réflexion dans le Christianisme. Alain de Libéra dans l’ouvrage La Philosophie Médiévale
dit : « La Philosophie n’est qu’un fait de culture, une figure du passé que le Chrétien utilise

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pour mieux comprendre sa singularité ou au mieux pour instrumenter sa théologie »265. Cette
position d’Alain de Libéra nous renvoie à l’époque médiévale qui a vu naître une grande lutte
pour cette complémentarité de la foi et la raison. D’après Jacques Attali : « Si la foi est une
grâce divine, pour la mettre en application il faut la volonté ; et la pratique de cette foi doit
être rationnelle »266. Pour l’équilibre de l’homme il faut une conciliation entre foi et raison. La
foi et la raison sont complémentaires.

Saint Thomas d’Aquin, dans Les preuves de l’existence de Dieu et dans une
tentative de concilier la foi et la raison, utilise les cinq voies : le mouvement, la causalité, la
contingence, la graduation et l’ordre. Cependant, il montre que la voie la plus fiable c’est la
foi. En essayant de fonder les preuves de l’existence de Dieu, une question reste pendante :
est-il possible de connaître Dieu avec la raison pure. Saint Thomas va faire recours à Aristote
qui dit : « Sans représentation imaginative, l’âme ne peut rien concevoir », pour démontrer
que la foi ne peut rien sans la raison. Foi et raison dans le Christianisme sont complémentaires
et permettent à l’être humain d’être dans une recherche perpétuelle de la vérité absolue qui est
Dieu.

Dans l’époque contemporaine avec Jean Paul 2 et son encyclique Fides et


Ratio, la foi et la raison permettent à l’homme de s’accomplir pleinement.

Concernant la question de l’existence de Dieu, Averroès pense : « Les


philosophes s’attachent à la connaissance des êtres en faisant usage de leur intellect, sans
s’appuyer sur le discours de ceux qui les invitent à y adhérer sans démonstration ».

b. La philosophie et la Chrétienté avec la pensée de St Thomas d’Aquin.

L’exposé numéro 6 porte sur les cinq voies de St Thomas d’Aquin dont le
thème ressorti est : l’acheminement dynamique vers la découverte de l’existence de Dieu. La
croyance et l’incroyance en Dieu montrent la divergence des points de vue de chacun ; mais,
ici, prouver l’existence divine est moins essentiel que concilier foi et raison. La raison est une
lueur naturelle qui resplendit dans l’esprit humain et soutient l’autorité de la foi. Elle permet
d’acquérir et d’acquiescer à des vérités ne relevant pas directement de la foi et lui resteraient
inaccessibles. La foi, elle, conduit des vérités qui resteraient inaccessibles à la raison que
celle-ci conforte. Thomas d’Aquin concilie raison et foi pour en faire la voie qui conduit à
l’existence de Dieu.

265
Alain de Libera, la philosophie médiévale, Paris, PUF, 2001, p.6.
266
Jacques Attali, Raison et Foi, in http://books. Openedition, org. Editions bnf.

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A une époque, la philosophie et la théologie semblaient incompatibles et le
monde chrétien était hanté par le succès arabe, puisque les musulmans, eux, avaient déjà
réussi à concilier raison et foi. Or, dans la chrétienté, pour ce qui dépasse la compréhension,
l’intelligence devait renoncer à faire valoir ses droits. Ainsi, dans la chrétienté, le dogme de la
foi faisait encore rage. Thomas fait alors face à une difficulté : la bible d’un côté et la
philosophie de l’autre. Or, Dieu est l’unique vérité à rechercher et à comprendre, dans la
chrétienté ou l’islam, la Bible ou le Coran, et dans la philosophie par la raison ; et ce principe
fondamental était d’ordinaire admis par les philosophes du Moyen-Age. Thomas d’Aquin a
mieux su démontrer, et ce dans les détails, le plein accord des doctrines révélées avec la vérité
naturelle. Pour ce dernier, la philosophie ne saurait s’opposer à la foi biblique. Il se montre
quelque peu élitiste en se prononçant sur l’idée que les problèmes de foi doivent se faire
comprendre des savants : « Si nous résolvions les problèmes de la foi par la seule autorité,
nous posséderions certes la vérité, mais dans une tête vide ». Aussi dévoile-t-il la
ressemblance entre le Dieu d’Aristote et celui des chrétiens et explique que la doctrine de la
création n’est pas si lointaine d’avec les positions d’Aristote.
Les cinq voies sont celles proposées par Thomas dans l’aboutissement de la
recherche de l’Etre premier. Ainsi, elles renvoient à une démarche rationnelle aboutissant à
l’Etre infini qui est Dieu. La première voie se fonde sur l’observation des éléments. Elle
convoque l’idée d’un mouvement qui risquerait une exaltation éternelle, d’où l’idée de
l’existence d’un premier moteur non mû ; celui-ci étant Dieu. La seconde voie est fondée sur
la notion de cause à effet. Tout effet naît d’une cause et cet effet deviendra en lui-même la
cause de son effet. Mais, comme dans le cas de la première voie, on risquerait une digression
de cause à effet à l’infini. Il faut donc poser l’existence d’une cause première in causée qu’on
nomme Dieu. La troisième voie se base sur la distinction de l’être possible et de l’être
nécessaire. L’être possible est semblable à un être accidentel ; il provient nécessairement
d’une cause et son existence en est intimement liée. L’être nécessaire est lui-même cause qui
ne ressort d’aucune autre. L’Etre nécessaire est Dieu. La prochaine part de la constatation
qu’il y a des degrés dans les êtres. Il pose donc le syllogisme suivant : Quelque Etre possédant
la perfection par soi existe ; et des êtres possédants imparfaitement leur perfection la tiennent
d’un Etre la possédant parfaitement par soi. Ainsi donc, il existe un Etre qui est pour tous les
êtres cause d’être de toute perfection. Cet Etre est Dieu. La cinquième qui est la dernière voie
part de la constatation de l’ordre des êtres dans le monde. Les êtres existants suivent un ordre
qui délimite leurs places, c’est l’ordre structural, et le mouvement est d’ordre dynamique. Il
existe donc un Etre antérieur et intelligent par lequel toutes choses sont ordonnées à leur fin.

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Celui-ci est Dieu. Par ces cinq voies, il est perçu que d’Aquin fait bel et bien une coercition
entre la raison et la foi ; puisqu’il utilise la raison, en procédant par induction, pour conduire à
découvrir l’existence de Dieu.
Cependant bien que ces cinq voies démontrent bien de l’existence de Dieu, il
n’en demeure pas moins que quelques autres philosophes trouvent des failles quant au but
recherché par ces cinq voies.
III. L’incompatibilité de la philosophie et de la foi dans l’idée d’une
possible conciliation.
a. Incompatibilité chez Juda Halevi.

Juda Halevi passera par la démonstration aristotélicienne pour démontrer


l’incompatibilité de la foi à la raison. Pour Halevi, l’argument du premier Moteur chez
Aristote nie le dialogue de l’homme avec Dieu. Cet argument vient mettre en doute les
relations qu’entretient Dieu avec son peuple par l’intermédiaire d’Abraham, d’Isaac, de Jacob,
de Moïse et les prophètes. Or, ce sont ces relations qui sont à l’origine de la foi juive. Ainsi,
pour Halevi, le juif n’a pas besoin de raison pour croire et démontrer l’existence de son Dieu.
Autrement dit, il ne peut exister aucune relation entre foi et raison.

b. Incompatibilité chez Tertullien.


Pour les pères apologistes de l’Eglise orientale, le christianisme est
l’accomplissement de la philosophie. Mais Tertullien s’oppose à cette conception. En effet,
pour Tertullien, la sagesse païenne, qu’est la philosophie, et le christianisme sont opposés. Il
préconise une nette séparation entre la philosophie et la religion : « Qu’ont de commun
Jérusalem et Athènes, l’Académie et l’Eglise ? »267 . Foi et philosophie n’ont rien en
commun, car pour lui, il ne faut pas confondre la Révélation divine à une sagesse purement
humaine. Aussi, la philosophie n’entraîne que des hérésies : « Toutes les hérésies tirent leurs
origines des ressources de la subtilité du langage et des règles de la philosophie »268. Les
philosophes n’ont rien créé mais tous été inspirés par les prophètes, ils se sont accaparés des
paroles de ces derniers pour en faire quelque chose de personnel. Par conséquent, la
philosophie n’est qu’une hérésie et ne peut donc pas être compatible avec la foi.

267
Tertullien, De proescriptione hoereticorum, VII, 9 : SC 46, p. 49.
268
Tertullien, Contre Marcion, V.

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IV. Discordance entre philosophie et foi par la critique de l’existence de
Dieu adressée à St Thomas.
a. Critique freudienne.
Concernant le psychanalyste E. Freud et son athéisme, il considère les
représentations religieuses comme étant une illusion. Il différencie l’illusion de l’erreur. Il
présente l’illusion comme un besoin, ou encore un état d’esprit dont l’homme a besoin.
L’illusion, ici, c’est vouloir la véracité d’un Dieu tout puissant au-dessus des hommes. Ce
n’est pas une erreur, car nous n’en savons rien, mais c’est une idée dont l’homme a besoin. Il
circonscrit l’illusion religieuse aux religions judéo-chrétiennes. La croyance en Dieu
découlerait de la représentation infantile d’un enfant vis-à-vis de son père : « (…) l’ultime
fondement des religions est la détresse infantile de l’homme ». L’idée de Freud est que ces
religions bloquent l’évolution humaine, car elles le poussent dans l’idée d’un Etre supérieur
qui serait à l’origine de toute chose qui arrive avant même qu’elle ne soit déjà arrivée. [En
effet, cela pourrait pousser les hommes, comme à l’idée de Nietzche, à ne rien faire sinon
d’attendre la volonté et l’action divines]. Freud appel cet état de l’infantilisme. Et même s’il
reconnaît les valeurs morales et sociales de la religion, sa lutte contre les instincts, il la
considère comme névrose. Dans son œuvre L’homme Moise et la religion monothéiste, en
dépit des pressions des Juifs et de l’Europe, il s’attaque à l’un des plus grands prophètes du
Judaïsme, à qui il supprime son identité juive pour en faire un Egyptien qui sera exécuté par
les Israélites eux-mêmes. Il efface tous les repères du Judaïsme en affirmant : « Si mon
hypothèse se confirme, il faudra abandonner toutes ces pieuses fictions. Notre reconstitution
ne laisse aucune place à aucun évènement majeur de la narration biblique : les dix plaies, le
franchissement de la mer rouge, le don solennel de la loi sur le Mont Sinaï »269. Il ne restait
plus qu’il eut fait de Dieu une invention humaine.
b. Critique sartrienne.
Pour ce qui en est de Sartre et de son existentialisme, il pense que l’existence
précède l’essence. Il pratique une philosophie existentielle qui convoque l’idée selon laquelle
si Dieu n’existe pas, il aurait au moins un être dont l’existence précèderait l’essence. Cet être,
pour lui, serait l’homme ou comme pour Heidegger la réalité humaine. Sa conception de
l’homme est qu’il n’est rien, parce que c’est à lui seul de se définir [de par ses actes].
[L’homme n’arrête jamais d’être, parce que se sont ses actes qui le font]. Pour Sartre,
l’existence précède l’essence, et affirmer le contraire revient à réintroduire Dieu. Il refuse

269
Peter Gray, Freud, une vie, Paris, Hachette, 1991, Tome2, p. 370.

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l’idée d’une essence qui précèderait l’existence, parce que ça reviendra à penser l’existence de
l’homme comme une œuvre d’un Dieu omnipotent et omniscient et dont la finalité serait
dictée par ce même Dieu. Il considère également qu’aucune morale ne saurait être imposée à
l’homme ; car, il lui revient de définir ses propres valeurs. Et c’est ici qu’il place la condition
humaine.
Il ressort donc de ces critiques de l’existence de Dieu que la philosophie et la
foi sont incompatibles, car il ressortira la question de savoir comment vouloir une conciliation
entre les deux alors que Sartre et Freud utilisent la raison pour remettre en question les bases
de toute croyance, de toute foi.
V. Construction du lien possible entre Averroès et Derrida par la
notion de « Déconstruction ».
L’exposé numéro 4 a pour thème LA DECONSTRUCTION AVANT LA
LETTRE D’AVERROES DANS : L’Incohérence de l’incohérence. La grande manœuvre de
cet exposé sera de panacher L’Incohérence de l’incohérence et De la grammatologie. Pour
faire court et simple, il s’agit de ressortir les ressemblances philosophiques d’Averroès et de
Derrida en dépit des divergences de ces derniers.
a. Construction de la « Déconstruction » dans la démarche d’Averroès.
L’incohérence de l’incohérence est une réplique faite aux attaques lancées
contre la philosophie et les philosophes dans Incohérence des philosophes d’Al-Ghazali.

Au sujet de l’écriture Averroès procèdera à une analyse sémantique des textes


en cause, dans le but de déconstruire le sens communément admis. Pour ce qui est de la
différence, il s’agit ici de réunir la philosophie et la foi en interprétant les textes du Coran, à la
lumière de la doctrine philosophique. En ce qui concerne la dissémination, Averroès
décontextualise les textes de son principal pourfendeur pour en ressortir un sens qui entre en
contradiction avec le sens initial. Ainsi, la « Déconstruction », à qui on doit le commencement
à Derrida, se remarque chez Averroès dans ces répliques adressées dans L’Incohérence de
l’incohérence.

Al-Ghazali est un théologien musulman assoiffé de comprendre les autres. De


ce fait, il étudiera assez longtemps la philosophie grecque et la philosophie islamique afin de
mieux les réfuter. Ses arguments émis dans L’Incohérence des philosophes s’articulent autour
de deux axes : les questions métaphysiques et les questions physiques. Pour les questions
d’ordre métaphysique, il estime que la plupart des doctrines philosophiques sont contraires à
la vérité. Il pense que les thèses philosophiques ne sont nullement compatibles avec l’islam et

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traite les philosophes de menteurs. Pour les questions physiques, il les résume en des
interrogations qui traitent de la science de l’âme et ses implications eschatologiques, où sont
mêlées vérités et erreurs. Il ne recherche que les vérités théologiques et eschatologiques. Il
réfute les opinions des philosophes en ne montant que leurs incohérences.
D’où L’Incohérence des philosophes. C’est face à ce type de provocations qu’Averroès, pour
déconstruire ce sur quoi se fonde Al-Ghazali, répond par L’Incohérence de l’incohérence.
Pour sa « Déconstruction », Averroès utilise les outils de la logique formelle et vulgarise son
langage afin de démontrer la quiddité des théories philosophiques. Il fait appel aux outils de la
logique formelle en démontrant une certaine contradiction avec Al-Ghazali. En effet, Al-
Ghazali tente de montrer que la démonstration philosophique ne démontre rien ; mais
Averroès remarque un paralogisme dans le raisonnement de ce dernier, du fait que sa thèse ne
repose sur des prémices vraies, bien qu’il reconnaisse une certaine cohérence dans son
raisonnement. Averroès utilise ensuite le syllogisme pour relever et démontrer les défaillances
de compréhension d’Al-Ghazali vis-à-vis des thèses philosophiques. [Il humilie Al-Ghazali]
en se proposant de lui donner des cours de syllogisme afin de démontrer la quiddité des thèses
philosophiques. Ainsi, il évoque les règles en grande partie relative à la rhétorique : la loi
relative aux prémisses rhétoriques, la règle de l’ordre d’apprentissage de la discipline, et j’en
passe. Dans sa « Déconstruction », Averroès utilise un langage vulgarisé pour rendre ces
thèses accessibles à l’opinion et pour faire pièce aux retombés de l’offensive ghazalienne.

Concernant la question de l’existence de Dieu, Averroès pense : « Les


philosophes s’attachent à la connaissance des êtres en faisant usage de leur intellect, sans
s’appuyer sur le discours de ceux qui les invitent à y adhérer sans démonstration ».

b. Le rapport entre Averroès et Derrida au sujet de la « Déconstruction ».


L’Incohérence de l’incohérence et De la grammatologie sont deux ouvrages
rédigés, en grande partie, sous un même style, quand bien même leurs auteurs semblent
différents. L’incohérence de l’incohérence est une réplique faite aux attaques lancées contre la
philosophie et les philosophes dans Incohérence des philosophes d’Al-Ghazali. De la
grammatologie a pour finalité d’ériger une nouvelle pratique qu’est la « Déconstruction »,
concept insaisissable et même indéfinissable. Cependant, au-delà des divergences
préalablement mentionnées, il se peint bel et bien un lien étroit entre les deux œuvres. En
effet, Derrida trouve des assises, dans la période médiévale, qui pourraient se confondre avec
une critique faite par Averroès aux pourfendeurs de la philosophie. La relation entre Averroès

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et Derrida semble être une opération presqu’infaisable mais pourtant bien envisageable ; car,
il est remarqué un certain lien entre les deux, du moins à trois niveaux, surtout dans la
démarche d’Averroès contre ses pourfendeurs : l’écriture, la différence et la dissémination,
qui sont les axes majeurs de la « Déconstruction ».

Averroès inaugurera une nouvelle méthodologie qui consistera à s’attaquer à la


structure sur laquelle reposent les arguments des pourfendeurs de la philosophie et à restaurer
la quiddité de la philosophie. C’est ainsi qu’il posera, en quelque sorte, le socle sur lequel
reposera le temple de la « Déconstruction ». Cette démarche sera reprise par de nombreux
philosophes qui l’utiliseront pour remettre en cause les structures métaphysiques de la pensée.
Mais cette démarche sera beaucoup plus manifeste chez Derrida qui sera considéré comme
étant le commencement.

Par conséquent, s’il est possible d’envisager une corrélation entre


L’Incohérence de l’incohérence et De la grammatologie, en dépit des divergences retrouvées
chez ceux qui en sont les auteurs, c’est bien le fait que la « Déconstruction » tirerait son
origine de l’un et son commencement de l’autre.

VI. Apport personnel par contextualisation.


De nos jours encore, les questions de conciliation et du conflit entre la foi et la
philosophie restent encore des sujets de réflexion. Concernant la conciliation de la foi et la
raison, pour Kierkegaard, la Foi est « saut dans l’irrationnel »270. Kierkegaard dit dans son
propos d’un opuscule de Lessing, Sur la preuve de l’esprit et de la puissance et résume ainsi
l’argumentation du théologien allemand « Lessing a dit […] que des vérités historiques
contingentes ne peuvent jamais devenir preuve pour des vérités de raison éternelle ; et aussi
[…] que le passage par lequel on veut construire une vérité éternelle sur une information
historique est un saut »271. Le Pape Benoît XVI, veut éclairer la foi par la raison. Il appelle les
musulmans à ne pas rester dans le fanatisme. Le Pape Jean Paul II dans Fides et Ratio, lui,
pense : « La foi et la raison sont comme deux ailes qui permettent à l’esprit humain de
s’élever vers la contemplation de la vérité ». Concernant la dissociation entre philosophie et
foi, Jürgen Habermas trouve des paradoxes dans la foi notamment dans la pensée de
Kierkegaard et pense donc que la pensée de Kierkegaard renforce l’établissement d’une
frontière entre la raison et la religion, mais cette fois du côté de la foi en la révélation et que le

270
Miettes philosophiques 1846.
271
Johannes Climacus, Post-Scritum définitif non scientifique aux miettes philosophiques.

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saut proposé par Kierkegaard indique : « C’est l’expérience religieuse qui renvoie la raison à
ses propres limites ».

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CONCLUSION

De tout ce qui précède il ressort qu’on a bien trop souvent, et ce pendant


longtemps, fait un procès négatif de la philosophie médiévale. En effet, la période médiévale
en elle-même a d’abord été considérée comme une période religieuse qui n’a laissé place à
aucune philosophie, mais dont tout ce qui y a trait ne concerne que la croyance. Quand il a
enfin été reconnu une philosophie propre à cette période, celle-ci a bien trop souvent été
présentée de façon tronquée, en ce sens qu’elle a été considérée comme une synthèse du
christianisme et de la raison. En d’autres termes, il s’agit d’un procès rigoureux, procès
monté, le plus, contre les religions juives et islamiques. Or, en effet, à l’instar de Thomas
d’Aquin, d’autres grands penseurs tels qu’Averroès, Abû, Derrida, Al Fârâbî, Al-Ghazali et
j’en passe, qui ne sont pas christianisés, ont bien fait de la philosophie. Mais s’il y a bien
quelque chose de vrai dans cette critique faite à l’époque médiévale, c’est bien le fait que ces
penseurs ont bien fait de la période médiévale, une période de synthèse, non pas du
christianisme et de la raison, mais de la foi en elle-même et de la raison ; car, comme les
prédécesseurs, ils ont tenté de connaître l’élément premier de toute chose. Pour ce faire, ils
ont trouvé une utilité, une nécessité, et même de manière indispensable de concilier la foi et la
raison ou intellect, pour parvenir à la connaissance de cet élément tant recherché depuis les
premiers philosophes. Ils ont su faire preuve de courage et ont pu montrer la corrélation
possible de la philosophie et de la foi, bien que faisant partie d’une époque où une idée
pareille était un blasphème, blasphème pour des penseurs tels que Tertullien et Juda Halevi,
pour ne citer que ceux-là, qui ont vu une impossibilité de concilier la raison à la foi. En outre,
de grands penseurs parmi eux, comme St Thomas d’Aquin, pour ne citer que lui, a su montré
le lien entre philosophie et foi en démontrant l’existence de Dieu avec la raison, et ce bien
qu’il ait eu de grandes critiques venant d’autres philosophes comme Freud et Sartre. Ainsi,
philosophie et foi peuvent se rattachées l’une à l’autre, même si certains pensent qu’elles sont
totalement différentes et ne peuvent être rattachées.

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REFERENCES

Exposé2 : LE RAPPORT ENTRE PHILOSOPHIE ET ISLAM DANS LE DISCOURS


DECISIF D’AVERROES ;

Exposé3 : LE DEVOILEMENT DES METHODES DE DEMONSTRATION DES


DOGMES DE RELIGION MUSULMANE DANS LE DISCOURS
DECISIF D’AVERROES ;

Exposé4 : LA DECONSTRUCTION AVANT LA LETTRE D’AVERROES DANS


L’INCOHERENCE DE L’INCOHERENCE ;

Exposé5 : LE VERITABLE BONHEUR DANS OPINIONS DES HABITANTS DE LA CITE


VERTUEUSE D’AL-FÄRÄBI ;

Exposé6 : LES CINQ VOIES DE SAINT THOMAS D’AQUIN ;

Exposé7 : RELATION ENTRE FOI ET RAISON ;

Exposé9 : LA PHILOSOPHIE ET LE JUDAISME AU MOYEN AGE : UNE LECTURE


DU GUIDE DES EGARES DE MOISE MAÏMONIDE ;

J.P. KAMAHEU, SEMINAIRE DE PHILOSOPHIE MEDIEVALE, IN BROCHURE


D’INFORMATION DE LA FACULTE DE PHILOSOPHIE, p.29 n PC1-10104 ;

J.P. KAMAHEU, DOCUMENT DE COURS DE CLASSE.

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