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SPINOZA, CRITIQUE DE L’ISLAM

Alain BILLECOQ
Hon. IPR

SITUATION DE LA RELIGION MUSULMANE DANS LE CORPUS SPINOZISTE


L’objet de mon intervention est, comme son titre l’indique, l’examen critique
effectué par Spinoza de la religion musulmane telle que celui-ci l’observe et la com-
prend. Je ferai donc peu allusion aux rapprochements que l’on peut légitimement
effectuer entre la philosophie de Spinoza et celle de tel ou tel philosophe islamique
comme Avicenne ou Mullâ Sadrâ qui fut d’ailleurs son contemporain – on observera que
des spécialistes de la philosophie musulmane comme Christian Jambet ou Souâd Ayada,
entre autres, leur trouvent des orientations communes. Par ailleurs, j’emploie le terme
de critique, au sens non a priori négatif, mais au sens de passage au crible d’un phé-
nomène, d’une œuvre, d’un propos, d’un discours, etc., en fonction de critères préala-
blement explicités afin d’en déterminer la valeur.
Auparavant quelques mots sur Spinoza. C’est un philosophe hollandais du
XVIIe siècle. D’origine juive portugaise puisque sa famille avait dû quitter le Portugal où
elle avait été contrainte de se convertir au catholicisme (marranisme), il fait ses études
dans la tradition juive à l’école Talmud Torah d’Amsterdam. Mais très tôt il se révèle
rebelle à l’égard de l’enseignement dispensé et, à la suite d’un procès l’accusant de sou-
tenir des thèses jugées provocatrices, il est excommunié en 1 6 5 2 (herem).
Il faut aussi se souvenir que la conversion contrainte était monnaie relativement
courante à cette époque et non pas l’unique fait de la catholicité ibérique puisque, paral-
lèlement, un autre juif Sabbataï Tsevi, messie autoproclamé et inspirateur de l’hérésie
sabbatéenne, vivant dans l’Empire ottoman, est contraint de se convertir mais, quant à
lui, à la religion musulmane en 1 6 6 6 .
Il n’est pas interdit d’ailleurs de supposer que la communauté juive d’Amsterdam ait
eu quelques rapports avec l’hérésie sabbatéenne avant la conversion de son inspirateur.
Cependant, pour comprendre l’opinion de Spinoza à l’égard de l’islam, il faut se sou-
venir que, lorsqu’il étudie le phénomène religieux sa question est simple et, d’un point
de vue non averti du spinozisme, déroutante. Pour lui, la question est de savoir à quoi
servent les religions. Spinoza se demande en quoi la religion est utile à l’homme. Aussi
s’emploie-t-il à les examiner sous l’angle de leur utilité aussi bien individuelle que
sociale. Et plus précisément, en quoi la religion est-elle utile à la réalisation de ce qu’est
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la nature de l’homme, à savoir sa liberté naturelle ? La lecture attentive de la Bible


(Ancienet Nouveau Testaments) selon une méthode exégétique rigoureuse qu’il expose
au chapitre VII du Traité Théologico-Politique lui a appris que la religion n’a pas une
fonction cognitive et théorique – elle ne dit pas le vrai pas plus que le faux d’ailleurs –
mais sa fonction est essentiellement pratique. Et, en tant que telle, elle ne peut que
remplir une mission morale consolatrice et éducative ; elle apprend l’obéissance ;
autrement dit elle apprend à appliquer quelques règles qui permettent aux hommes de
vivre ensemble. Obéissance qu’il convient de distinguer de la soumission (l’obéissance
est active : c’est en connaissance de cause que j’obéis ; la soumission, passive). La consé-
quence est immédiate eu égard donc à ce critère d’utilité.
– Une religion est inutile du point de vue cognitif puisqu’elle n’a pas vocation à livrer
la vérité (elle peut la livrer mais de manière accidentelle) parce que la vérité est de l’ordre
de la raison et non de la croyance. C’est pourquoi dès les Pensées Métaphysiques il affirme
qu’il pourrait réfuter l’Écriture sainte : « avec la même liberté que l’Alcoran et le Talmud »
1
– ce qu’il ne se privera pas de faire dans le Traité Théologico-Politique.
– Une religion est utile dans la mesure où sa rectitude provient de préceptes
enseignés la plupart du temps par les prophètes, préceptes reconnus valables dans la vie
quotidienne menée par chacun. Elle œuvre à l’éducation individuelle, à la sociabilité et
à l’obéissance civile, donc à la paix ; elle œuvre au « salut des ignorants » selon l’ex-
pression d’Alexandre Matheron 2 . Spinoza l’appelle religion universelle ou religion inté-
rieure dont il énumère les dogmes, qui sont des vérités essentiellement pratiques, dans
l’Éthique, ainsi que de manière plus développée dans le Traité Théologico-Politique 3 . À
noter qu’on ne peut s’empêcher de noter la ressemblance des préceptes de cette religion
avec la « charia » musulmane dans l’acception première du terme.
– Une religion est nuisible lorsqu’elle outrepasse sa mission pratique et prétend
détenir, par la voie de révélation, la vérité qu’elle cherche alors à imposer par tous les
moyens. C’est la religion extérieure. Ou plutôt, ce sont les religions extérieures – les
Églises – qui s’efforcent de régenter la vie publique et les pensées individuelles puis-
qu’elles se prétendent les messagères de la Vérité. En ce cas, selon Spinoza, il ne s’agit
plus d’obéir à ses dogmes et à ses préceptes mais de s’y soumettre.
Ainsi les religions du Livre, au mieux se fourvoient lorsqu’elles imaginent être les
dépositaires de la Vérité, au pire fourvoient les hommes lorsqu’elles cherchent à leur
imposer leur vérité. Dès lors on conçoit que les trois grandes religions monothéistes qui
s’appuient toutes trois sur l’AncienTestament sont traitées par Spinoza de religions exté-
rieures lorsqu’il les étudie en historien et en linguiste et doivent être l’objet d’un examen
philosophique critique à partir du moment où elles s’emploient à forcer les consciences
pour raboter les individualités et les disparités :
Les choses sont maintenant venues au point que l’on ne peut reconnaître si quelqu’un
est chrétien, turc, juif ou païen […] 4 .
Spinoza pose ainsi le problème en termes politiques. Une religion, quelle qu’elle
soit, a-t-elle le droit non seulement de régenter la vie sociale mais encore de diriger les
consciences individuelles ? En cela le Traité Théologico-Politique est bien nommé.
Cependant, alors que l’ensemble du Traité Théologico-Politique s’appuie constamment

1 . Pensées Métaphysiques, II, ch. 8 , p. 2 8 3 , in Spinoza, Œuvres Complètes, La Pléiade, Gallimard, Paris 1 9 5 4 .
2 . Alexandre Matheron, Le Christ et le salut des ignorants chez Spinoza, Aubier-Montaigne, Paris 1 9 7 1 .
3 . Éthique I, App., p. 7 9 , trad. Bernard Pautrat, coll. Essais, Points, éd. du Seuil, Paris 1 9 9 9 et Traité Théologico-
Politique, ch. XIV, § 1 0 , p. 4 7 5 -4 7 7 , in Spinoza Œuvres III, coll. Épiméthée, PUF, Paris, 1 9 9 9 dans lesquels
Spinoza énumère ces dogmes.
4 . Traité Théologico-Politique, Préf. § 9 , p. 6 5 .

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sur l’Ancienet le Nouveau Testament, il est très peu fait mention de l’islam, du Coranet
de Mahomet dans l’œuvre de Spinoza (j’aurai l’occasion dans quelques instants de
relever ces passages).

I. L’ISLAM
Pourquoi fait-il cette relative impasse sur l’islam ? Tout d’abord, parce que manifes-
tement Spinoza ne semble pas avoir lu directement le Coranet ne pratique pas l’arabe
(il en existe pourtant une traduction latine dès le XIIe siècle). En revanche, il n’est pas
absurde de penser qu’il en a une connaissance indirecte du fait de son éducation juive
(le Corana très tôt été traduit en hébreu) et de sa lecture critique approfondie de Maï-
monide (médecin, théologien et philosophe juif), lui-même connaisseur d’Averroès
(médecin musulman grand commentateur d’Aristote) et pour cause, puisqu’ils sont
contemporains et vivent tous deux au XIIe siècle à Cordoue. Spinoza a donc pu avoir une
idée des problèmes relatifs à l’exégèse du Coran comme il connaît ceux relatifs à la
lecture de l’Ancienet du Nouveau Testament, problèmes qui, quand on suit les théolo-
giens de ces confessions, furent similaires. Par ailleurs, Spinoza ne distingue pas le
Corandu Hadîth dont le corpus est postérieur au corpus coranique – le Hadîth est l’en-
semble des traditions rapportées du Prophète qu’on appelle aussi la Sunna, la « pratique
normative ». Il semblerait donc que, pour lui, il est superfétatoire de répéter ce que sa
lecture de la Bible a déjà établi quant à la “vérité” dont sont porteurs les textes sacrés.
Mais, raison plus profonde peut-être, de la négligence de Spinoza à l’égard d’une
référence et d’une lecture méthodique du Coran, ce qui l’intéresse dans la religion
musulmane c’est qu’elle renforce la preuve de ce qu’il a montré à propos des religions
judéo-chrétiennes. Ce sont ses effets politiques tels qu’on les observe chez les peuples
dominés par la religion musulmane qui retiennent avant tout son attention et qui suf-
fisent à sa démonstration. Effets qui sont concentrés dans l’Empire ottoman. Le pro-
blème de Spinoza est donc bien politique.

II. LES TURCS


C’est un topos courant au XVIIe siècle de prendre comme exemple l’État turc lorsqu’on
compare les mœurs et la vie quotidienne des peuples chrétiens et musulmans – il n’y a
pas d’État juif. Les Turcs sont désignés comme les représentants du monde musulman –
certes on évoque parfois les Persans (comme plus tard Montesquieu) mais jamais les
Arabes. Autrement dit, Spinoza s’inscrit manifestement dans cette lignée et se contente
de mentionner les Turcs pour dénoncer ce qu’il observe dans la communauté juive ou
chrétienne – que cette dernière soit romaine ou réformée – lorsqu’elle est soumise au
joug commun des pouvoirs politiques et religieux. Les Turcs deviennent la quintessence
des représentants des effets nocifs de l’imbrication théologico-politique des États. Exa-
minons succinctement son argumentation.
– Préface du Traité Théologico-Politique : afin de brider les passions humaines les reli-
gions inventent des dogmes, des rites, des cérémonies le plus souvent d’aspect théâtral
destinés à étouffer la liberté de jugement et d’expression des fidèles et des hommes en
général. Artefacts qui sont particulièrement efficaces dans la religion musulmane :
Cela réussit parfaitement chez les Turcs, qui tiennent même la dispute pour sacrilège
et subjuguent le jugement de chacun de tant de préjugés, qu’ils ne laissent dans l’esprit
aucune place pour la saine Raison, pas même pour formuler un doute 5 .

5 . Traité Théologico-Politique, Préface, § 9 , p. 7 6 .

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– Lettre 7 6 : on retrouve la même idée dans cette réponse à un jeune homme fraî-
chement converti au catholicisme qui fut son élève.
L’organisation de l’Église romaine, que tu loues si fort, est une affaire politique,
d’ailleurs lucrative pour beaucoup, je le reconnais. Et je croirais volontiers que, pour
tromper le peuple et pour contraindre l’âme des hommes, il n’y a pas mieux, s’il n’y avait
aussi l’organisation de l’Église mahométane, qui est encore loin au-dessus, car depuis
l’époque où cette superstition a commencé, aucun schisme n’est né dans cette Église 6 .
Plusieurs remarques : d’abord Spinoza se trompe car il y a bien eu des divisions
dans l’islam qui persistent toujours actuellement, le chiisme et le sunnisme – preuve qu’il
ne connaît pas bien l’histoire de la pensée musulmane. Mais ce qu’il faut surtout noter
ici c’est que l’islam représente à ses yeux l’extrémisme des religions et le régime turc leur
réussite parfaite parce qu’en lui la coercition de la pensée et de la conduite est totale.
Comme le dit le Traité Théologico-Politique dans le passage cité plus haut, ces monarchies
ont réussi à faire en sorte que les hommes « combattent pour leur servitude comme si
c’était pour leur salut » 7 . C’est pourquoi on doit en conclure que la recherche du salut
de l’âme et de la paix entre les hommes qui est la mission revendiquée des religions
n’est, pour Spinoza, qu’un leurre de leur part, une illusion savamment entretenue ainsi
qu’il l’affirme dans un article du Traité Politique où il montre que, s’il est bien vrai qu’on
n’a pas observé la moindre sédition dans le régime turc, ce n’est pas parce que règne la
paix (c’est-à-dire la concorde) mais parce qu’il n’y a plus d’hommes :
Une Cité dont la paix dépend de l’inertie des sujets conduits comme du bétail pour n’ap-
prendre rien que l’esclavage mérite le nom de « désert » mieux encore que celui de
« Cité ».
Il n’y a plus d’hommes mais du bétail. Et au chapitre suivant Spinoza illustre cette
dernière phrase en citant l’État turc comme exemple 8 .

III. MAHOMET
Pour tenter de comprendre le statut théologico-politique particulier que Spinoza
octroie à l’islam, il faut remonter à son fondateur qui s’est exprimé à travers ses paroles
et ses actes recueillis dans le Coran. Pour Spinoza, l’intérêt du Coranest qu’il n’a pu être
déformé par les siècles parce qu’il a été transcrit peu après la mort du Prophète, de sorte
que ses paroles étaient encore vives dans les esprits. Le Coranse donne comme l’immé-
diate parole de Dieu transmise par l’ange Gabriel au Prophète et, par conséquent, il n’a
nullement à être l’objet d’interprétations. Il suffit d’observer et d’appliquer ses comman-
dements. Et c’est pourquoi les régimes politiques dont les institutions sont fondées sur
l’islam perdurent indéfiniment. Ce qui n’est pas le cas du judaïsme et du christianisme
puisqu’on sait que Moïse n’a pas pu écrire le Pentateuque et que les quatre Évangiles
(Matthieu, Marc, Luc, Jean) sont écrits à des époques différentes. De là proviennent les
variantes et, partant, les exégèses et les schismes. De là proviennent leurs histoires res-
pectives.
Qu’en est-il dès lors de Mahomet ? Spinoza considère-t-il Mahomet comme un pro-
phète ? Cette question est posée par un critique violent du Traité Théologico-Politique
qui juge que l’interprétation que Spinoza donne de la Bible le démasque comme un

6 . Lettre 7 6 , § 9 , p. 3 7 4 in Spinoza Correspondance, présentation et traduction par Maxime Rovère, GF-Flam-


marion, Paris 2 0 1 0 .
7 . Traité Théologico-Politique, Préface, § 7 , p. 6 3 .
8 . Traité Politique, ch. 5 , art. IV, p. 1 3 7 & ch. 6 , art. 4 , p. 1 4 3 , in Spinoza, Œuvres V, coll. Épiméthée, PUF, Paris
2005.

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athée qui irait même jusqu’à soutenir que Mahomet fut un prophète (horresco referens !).
La réponse de Spinoza est extrêmement ambiguë 9 . D’une part, en effet, il récuse l’accu-
sation d’athéisme mais surtout (pour notre sujet) il dit considérer Mahomet comme un
imposteur car son enseignement ne s’accorde ni avec la liberté naturelle des hommes
qui, elle, est présente à la fois dans les propos tenus par les prophètes juifs et chrétiens,
ni avec notre commune raison. D’autre part, cependant, si Mahomet a donné des signes
de sa vocation alors lui, Spinoza, n’a aucune raison de nier qu’il fût Prophète car « un
prophète dit la vérité, il ne dit pas ce qu’est la vérité », selon l’expression de Christian
Jambet 1 0 à propos de la lecture de l’islam par la philosophie musulmane, réflexion que
Spinoza pourrait prendre à son compte. Pour lui, un prophète, en effet, est un per-
sonnage très pieux doué d’une grande imagination qui traduit dans ses manières, sa vie
et son langage adapté aux hommes de son milieu et de son temps le message divin qui
est un message de justice et de charité. Spinoza rappelle à maints endroits que telle est
la marque de l’esprit du Christ – que les musulmans considèrent d’ailleurs comme un
prophète. On remarquera en outre que Spinoza s’en tient au conditionnel (« si »). Ce qui
signifie qu’il avoue son ignorance et qu’il ne cherche pas à faire œuvre d’historien
(Mahomet a-t-il réellement existé ou est-il un être de légende ? A-t-il tenu les propos et
accompli les actes qui lui sont attribués ? etc.). Ce qui lui importe, c’est de constater les
effets observables présents au XVIIe siècle de la religion qui se réclame de lui.
Aussi Spinoza élargit-il le débat en soutenant que les musulmans, comme les juifs,
les chrétiens et les athées peuvent très bien posséder cet esprit de justice et de charité –
qui appartient, en fait, du point de vue religieux à la religion intérieure ou universelle.
D’où sa conclusion :
En ce qui concerne les Turcs eux-mêmes et les autres Gentils [les non-juifs et les païens]
s’ils adorent Dieu par le culte de la justice et de la charité envers le prochain, je crois
qu’ils ont l’esprit du Christ et qu’ils sont sauvés, quelles que soient les convictions qui sont
les leurs, et par ignorance, sur Mahomet et sur les oracles 1 1 .
Et l’on peut ajouter que, du point de vue de la philosophie rationaliste, cet esprit de
justice et de charité est l’œuvre de la raison elle-même et que l’Éthique en est l’ex-
pression.

LE PHILOSOPHE SPINOZA ET L’ISLAM


Ainsi Spinoza ne diffère guère de ses contemporains et est bien fils de son temps
quant à sa perception de l’islam qu’il ne connaît pas aussi profondément que le judéo-
christianisme – au XVIIe siècle il n’y a guère que le philosophe anglais Cherbury pour en
donner une présentation légèrement favorable. C’est pourquoi il l’évoque très peu sans
pour autant se refuser d’en parler. Position d’autant plus curieuse, en ce sens qu’elle est
un bel exemple de ce qu’il combat par ailleurs ; à savoir la connaissance du 1 er genre,
c’est-à-dire par expérience vague, par ouï-dire, par imagination et par signes – caracté-
ristiques qui conviennent à sa connaissance de cette religion. En revanche, ce qu’il en
sait et ce qui lui en a été rapporté lui sont intellectuellement utiles car l’islam lui
apparaît comme « l’archétype religieux de la servitude » 1 2 auquel toutes les religions, en
tant qu’Églises, c’est-à-dire les religions extérieures, aspirent : l’imbrication complète et

9 . Lettre 4 3 , p. 2 6 2 .
1 0 . Christian Jambet, Qu’est-ce que la philosophie islamique ?, coll. Folio Essais, p. 6 5 , Gallimard, Paris, 2 0 1 1 .
1 1 . Lettre 4 2 , p. 2 6 2 .
1 2 . Henri Laux, Imaginationet religionchez Spinoza, p. 2 3 9 , Vrin, Paris, 1 9 9 3 , à qui je dois quelques-unes des
réflexions nourrissant la présente étude.

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sans failles du théologique et du politique. Selon lui, l’islam est à mettre sur le même
plan que les autres religions qui se réclament de l’AncienTestament. En revanche, l’islam
élève au plus haut rang l’imbrication recherchée dans la mesure où, dans les faits, il est
parvenu à étouffer la liberté individuelle et à récuser, comme on l’a vu, l’usage de la
raison. Dans l’empire ottoman, l’individu n’a qu’une chose à faire, obéir aux dogmes,
aux ordres et se soumettre. C’est ce que Leibniz appellera un peu plus tard le fatum
mahometanum qui s’exprime dans l’argument dit de la raisonparesseuse : puisque tout
est écrit à l’avance, il n’y a rien d’autre à faire que de se soumettre au destin 1 3 .
En conséquence de ses analyses et par contrecoup de ce qu’il découvre de la réalité
des religions, l’effort philosophique de Spinoza consiste à disjoindre d’une part le poli-
tique du théologique, d’autre part la raison de la foi, afin de reconquérir la liberté natu-
relle de l’homme. C’est pourquoi autant Spinoza critique les religions établies, autant il
ne critique pas les croyants qui ont, naturellement, la liberté de croire et de vivre leur
foi.

JOURNÉE D’ÉTUDE PHILOSOPHIQUE :


« LA DÉMOCRATIE »
vendredi 1 3 mars 2 0 1 5 – Lycée militaire de Saint-Cyr. Salle Lyautey
2 avenue Jean Jaurès 7 8 2 1 0 Saint-Cyr-l’École

PROGRAMME
9 heures – 9 h 2 0 : Présentation par Alain Billecoq, inspecteur honoraire de philosophie. 9 h 2 0
– 1 0 h 2 0 : Henri Élie, inspecteur de philosophie : « Du philosophe-roi à la démocratie tempérée
des Lois : la démocratie à la lumière de l’Idée ». 1 0 h 2 0 – 1 0 h 4 0 : Discussion. 1 0 h 4 0 – 1 1 h 4 0 :
Jean-Paul Jouary, professeur de philosophie en classes préparatoires, lycée Claude Monet à
Paris : « Rousseau, le problème de la démocratie représentative ». 1 1 h 4 0 – 1 2 heures : Discussion.
1 4 heures – 1 5 heures – Hadi Rizk, professeur de philosophie en Première supérieure, Lycée
Henri IV à Paris : « Enquoi le régime démocratique est-il le plus fort ? ». 1 5 heures – 1 5 h 2 0 : Dis-
cussion. 1 5 h 2 0 – 1 6 h 2 0 : Jean Devos, professeur de philosophie en Première supérieure, Lycée
militaire de Saint-Cyr : « Whitehead, la démocratie et la science ». 1 6 h 2 0 – 1 6 h 4 0 : Discussion.
1 6 h 4 0 – 1 7 heures. Conclusion par Alain Billecoq.

Contact : jean-devos@wanadoo.fr

1 3 . Leibniz, Essais de Théodicée, Préface, p. 3 0 , Garnier-Flammarion, Paris 1 9 6 9 . Ironie de l’histoire, Leibniz


reprochera à Spinoza d’être proche de ce fatum mahometanum.

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