Vous êtes sur la page 1sur 243

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.

102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur


du français
Didactique
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
Pratiques pédagogiques
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
Collection dirigée par Jean-Marie DE KETELE et Antoine ROOSEN.

Tous ceux qui, déjà dotés d’une bonne formation théorique, sont amenés à travailler sur le terrain :
formateurs, formateurs de formateurs, chercheurs dans l’action, décideurs, …
vont trouver ici des ouvrages qui ne décrivent pas seulement de nouvelles pratiques
ou de nouveaux outils, mais qui en exposent aussi les fondements.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Fondements
d’une discipline
Didactique
du français

(sous la direction de)


Yves Reuter
Jacques David
Jean-Louis Chiss
Pratiques pédagogiques
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
Pour Blaise, le vrai…

Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine
de spécialisation, consultez notre site web : www.deboecksuperieur.com

© De Boeck Supérieur sa, 2015 3e édition


Fond Jean Pâques, 4 – B-1348 Louvain-la-Neuve

Tous droits réservés pour tous pays.


Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment
par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans
une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de
quelque manière que ce soit.

Imprimé en Belgique

Dépôt légal :
Bibliothèque nationale, Paris: septembre 2015 ISSN 1373-0258
Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles : 2015/13647/097 ISBN 978-2-8073-0044-6
Sommaire
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
Introduction 9
Jean-Louis Chiss, Jacques David, Yves Reuter

Première partie
DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES 13
Chapitre 1 Quelques repères, perspectives et propositions
pour une didactique du français dans tous ses états 15
Michel Dabène
Chapitre 2 Quelle place pour la didactique de la littérature ? 35
Georges Legros
Chapitre 3 De l’utilité de la « transposition didactique » 47
Bernard Schneuwly
Chapitre 4 Interaction : une problématique à la frontière 61
Jean-François Halté

Deuxième partie
DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE 77
Chapitre 5 Sciences du langage : le retour 79
Jean-Louis Chiss
Chapitre 6 Didactique du français langue maternelle :
approche(s) « cognitiviste(s) » ? 95
Dominique-Guy Brassart
Chapitre 7 Socio-logiques des didactiques de la lecture 119
Jean-Marie Privat
Chapitre 8 Développement, compétences et capacités d’action des élèves 135
Jean-Paul Bronckart
6 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

Troisième partie
DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS 149
Chapitre 9 Variations historiques : l’exemple de la « rédaction » 151
André Petitjean
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
Chapitre 10 Langues maternelle, étrangère, seconde :
une didactique unifiée ? 169
Suzanne-G. Chartrand et Marie-Christine Paret
Chapitre 11 Positions actuelles et évolutions institutionnelles et éditoriales 179
Jacques David
Chapitre 12 Au carrefour des métiers d’enseignant,
de formateur, de chercheur 193
Dominique Bucheton

Synthèse
Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition 211
Yves Reuter

Bibliographie générale 235

Index thématique 241

Table des matières 243


Auteurs
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
Dominique-Guy BRASSART, Université Lille 3, Institut universitaire de formation des
maitres du Nord-Pas-de-Calais
Jean-Paul BRONCKART, Université de Genève
Dominique BUCHETON, Institut universitaire de formation des maitres de Montpellier
Suzanne-G. CHARTRAND, Université Laval, Québec
Jean-Louis CHISS, Université Paris 3, Sorbonne Nouvelle
Michel DABÈNE, Université Stendhal, Grenoble 3
Jacques DAVID, Institut universitaire de formation des maitres de Versailles-Cergy
Jean-François HALTÉ, Université de Metz
Georges LEGROS, Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix, Namur
Marie-Christine PARET, Université de Montréal
André PETITJEAN, Université de Metz
Jean-Marie PRIVAT, Université de Metz
Yves REUTER, Université Lille 3
Bernard SCHNEUWLY, Université de Genève
Introduction
Jean-Louis CHISS, Jacques DAVID, Yves REUTER
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
Didactique du français. Fondements d’une discipline est la réédition d’un
ouvrage de référence paru en 1995 dont des restructurations éditoriales ont
rendu la durée de vie trop brève. Les coordinateurs de l’ouvrage et les
auteurs, en accord avec la communauté des chercheurs en didactique du
français réunie au sein de l’AIRDF1, ont considéré que l’essentiel des grandes
orientations et thématiques de ce travail n’avaient rien perdu de leur actualité
et de leur pertinence. La présente édition a été néanmoins entièrement revue
et corrigée et a fait l’objet dans certains de ses chapitres de refontes et de
réécritures destinées à maintenir voire amplifier la cohérence d’ensemble.

Le projet reste inspiré par la nécessité de mieux formaliser les acquis et les
problèmes de cette discipline en plein essor (multiplication des équipes de
recherche, des thèses, des revues, des collections, place dans les concours
de recrutement…), soucieuse de ses fondements épistémologiques et de son
développement historique2.

L’ouvrage est organisé en trois grandes parties confrontant d’abord la didac-


tique du français à sa structuration interne et à sa place au sein des didacti-
ques disciplinaires, ensuite à ce qu’il est convenu d’appeler les « disciplines
de référence », enfin à ses évolutions institutionnelles et praxéologiques.

Dans la première partie, il est question des représentations et des modélisa-


tions de la didactique du français langue maternelle (désormais DFLM) en
relation avec les disciplines scolaires, les disciplines connexes et certains
des concepts clés qui fondent la discipline. Michel Dabène analyse ainsi, au
travers de vingt-cinq années de recherches en DFLM et DFLE (Didactique du
Français Langue Étrangère), l’évolution des modèles proposés et leur ouver-
ture à des théories de référence différentes. Il insiste sur le rejet de l’appli-
cationnisme et sur l’importance de la formalisation des situations
d’enseignement-apprentissage incluant les pratiques langagières et les

1. Association Internationale pour la Recherche en Didactique du Français (nouveau nom de l’AIDR-DFLM, Association Inter-
nationale pour le Développement de la Recherche en Didactique du Français Langue Maternelle). Siège social : Univer-
sité de Lille 3, UFR des Sciences de l’Éducation, Domaine Universitaire du Pont de Bois, F-59650 Villeneuve d’Ascq.
2. De l’organisation des journées d’étude à l’ENS de Fontenay-Saint-Cloud en septembre 1994 en passant par celles de
l’Université de Poitiers en janvier 2000 (cf. Questions d’épistémologie en didactique du français – langue maternelle,
langue seconde, langue étrangère, Textes réunis par M. Marquilló Larruy, Les Cahiers FORELL, Université de Poitiers,
2001), jusqu’au 9˚ Colloque international de l’AIRDF en août 2004 à l’Université Laval (Québec), les réflexions n’ont
pas manqué sur les aspects théoriques, institutionnels et disciplinaires de la didactique du français.
10 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

représentations sociales des enseignants et des apprenants pour aboutir à


« une didactique du français dans tous ses états ». Georges Legros pose,
pour la littérature, la question des relations entre contenus et valeurs et celle
de la prise en compte éventuelle de ces dernières. Il questionne ainsi l’unité
de la DFLM. Peut-on parler d’une seule didactique ou de plusieurs didacti-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
ques spécifiques selon leur objet (orthographe, langue, texte, lecture, écri-
ture… et littérature) ?

À cette interrogation « interne » font écho des interrogations plus transversa-


les. Bernard Schneuwly montre, au-delà des débats nécessaires, l’intérêt de
la notion de transposition didactique en tant que concept opératoire pour
penser les relations entre savoirs savants, savoirs à enseigner, savoirs ensei-
gnés, savoirs appris. Jean-François Halté, quant à lui, explore les rapports
entre didactique du français et didactique générale à partir des concepts de
communication et d’interaction (qui fonctionnent comme cadres des relations
dans la classe, comme cadres de l’apprentissage et comme objets de savoir
possibles) en insistant sur la « matrice disciplinaire » du français (ses objets
et objectifs centraux) qui s’organise de plus en plus autour de la production
et de la réception des discours oraux et écrits.

La deuxième partie du livre concerne les relations entre la didactique du fran-


çais et les disciplines que celle-ci prend comme référence(s). Trois cas sont
examinés de façon précise. Jean-Louis Chiss analyse la relation, classique
dans notre champ, aux sciences du langage et plus particulièrement à la lin-
guistique. Il insiste, au travers de recherches importantes et novatrices, sur la
nécessité de repenser les savoirs linguistiques dans la perspective de l’ensei-
gnement du français et sur le jeu nécessaire entre justesse théorique et perti-
nence didactique. Dominique-Guy Brassart étudie les intérêts et les limites
de la référence – très en vogue depuis plusieurs années – à la psychologie
cognitive. Il soulève ainsi des problèmes liés aux types de connaissances
(procédurales/déclaratives…) et aux modes d’enseignement-apprentissage
(avec notamment le regain d’intérêt pour l’enseignement par instruction
directe). Jean-Marie Privat se situe dans un autre cadre : celui de la sociolo-
gie et de l’ethnologie. Le renouveau des recherches dans ces secteurs per-
met de mieux saisir les pratiques et les objets (lectures, écritures, textes…)
dans leur dimension culturelle, ainsi que les variations de leurs modes
d’appropriation. Ces trois contributions posent, de fait, des questions crucia-
les qui structurent des débats passionnés dans le champ de la didactique du
français. La DFLM doit-elle se référer à une ou plusieurs disciplines ? En
fonction de quels critères ? Selon quelles modalités ?

Jean-Paul Bronckart clôt cette partie par une analyse historique-critique des
grands courants de la psychologie (le behaviorisme, le constructivisme,
l’interactionnisme social) en examinant, à l’aide de critères tels que le type
d’interprétation ou la conception du développement, leur pertinence pour la
didactique. Ce genre d’analyse est sans nul doute nécessaire pour toutes les
disciplines dites de référence.
Introduction ■ 11

La troisième partie est consacrée à l’histoire et au fonctionnement du champ


de la didactique du français. André Petitjean étudie ainsi les permanences et
les modifications de l’exercice de « rédaction », et plus particulièrement du
genre descriptif dans l’entre-deux-guerres. Suzanne-G. Chartrand et Marie-
Christine Paret comparent les fonctionnements et les évolutions de la DFLM,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
de la DFLE et de la DFLS (Didactique du Français Langue Seconde). On ne
peut que s’interroger, à l’issue de ce parcours critique, sur leur autonomie
respective ou leur intégration possible dans une didactique du français
« unifiée » qui fait toujours débat mais dont les bénéfices heuristiques nous
semblent appréciables. Jacques David s’intéresse aux acteurs et aux institu-
tions. Dans cette perspective, il reprend l’évolution actuelle du champ de la
didactique du français en interrogeant les positions et les logiques de fonc-
tionnement d’institutions ou de groupes tels que les centres de recherche
universitaires, l’Institut National de la Recherche Pédagogique, les revues, les
collections, etc. Quant à Dominique Bucheton, elle tente, au travers des
questions liées à l’oral, à la littérature, à la lecture-écriture, de mieux com-
prendre comment la didactique se construit au confluent des métiers
d’enseignant, de formateur et de chercheur. Ces deux contributions expli-
quent sans doute – au moins en partie – les différences de positions, de prio-
rités, voire de modalités de recherche, en relation avec les places, les
pratiques et les formes d’évaluation des acteurs et des groupes concernés.

En conclusion, Yves Reuter propose une double synthèse. D’une part, il


reprend les sept points qui avaient structuré sa réflexion initiale : la définition
de la didactique du français, la question des méthodes, l’histoire, les objectifs
et les pratiques, les concepts spécifiques, les disciplines connexes et les dis-
ciplines de référence ; d’autre part, il évoque les dimensions qui marquent
aujourd’hui la didactique du français : tensions institutionnelles, définition de
la discipline scolaire, relations entre didactique et discipline scolaire, inven-
taire des principaux pôles de recherche.

Cet ouvrage a donc pour ambition de construire une cartographie de la


didactique du français en privilégiant les situations de « langue maternelle »
mais en s’ouvrant aux grands débats de l’ensemble de la didactique des lan-
gues. Les avancées des recherches, les représentations de l’histoire de notre
discipline, l’organisation de ses composantes et de ses relations aux contex-
tes scientifiques et culturels sont au centre des investigations des auteurs de
différents pays (Belgique, France, Suisse, Québec) et de différents courants
qui ont contribué à ce volume. Il pourra ainsi servir d’instrument de référence,
de jalon dans une histoire, voire de cadre pour objectiver les positions dans la
communauté des chercheurs. Il sera surtout utile aux formateurs, aux ensei-
gnants et aux étudiants qui saisiront mieux ainsi les logiques théoriques et
pratiques à l’œuvre dans les revues, les ouvrages de formation et les manuels
d’enseignement.
Première partie
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
Didactique du français :
concepts, modèles, frontières

Les quatre contributions réunies dans cette première partie se situent cha-
cune à leur manière face à la question d’une hypothétique spécificité de la
didactique du français vis-à-vis d’autres didactiques disciplinaires : didacti-
que des disciplines scolaires en général, des langues en particulier. Il s’agit à
la fois de faire le parcours qui va des représentations de la DFLM à ses possi-
bles modélisations et de marquer les places, les frontières, et les recouvre-
ments possibles entre les différents champs. Ce n’est pas d’aujourd’hui que
se travaille la thématique des particularités et transversalités au sein de la
didactique des langues (dont le français langue étrangère), et c’est une ques-
tion récurrente que celle des rapports entre didactique de la langue et didac-
tique de la littérature subsumées ou non dans le projet global d’une
didactique du français. Même si la question littéraire n’est pas la seule à por-
ter les enjeux culturels de notre didactique, il est clair qu’elle interroge plus
fortement et de manière décisive les valeurs qu’implique tout enseignement-
apprentissage du « français » ou d’une autre langue, et plus généralement
toute démarche éducative.

Chacun de manière différenciée et pertinente, les concepts d’interaction et


de transposition didactique apparaissent centraux dans la réflexion ici déve-
loppée. L’interaction parce qu’elle concerne précisément la redistribution
des champs de savoirs (dont les sciences du langage) impliqués par la didac-
tique du français et la position même du problème constitué par le couple
didactique-pédagogie. La transposition didactique parce que nul ne peut
ignorer le besoin d’un concept heuristique dans le dispositif savoirs savants-
savoirs scolaires, concept qu’il s’agit de lire et de traiter à sa mesure et de
confronter éventuellement à d’autres modalités d’appréhension du dispositif.

Cette première partie prétend ainsi, sans comparaison terme à terme avec
d’autres didactiques, sans volonté d’articulation ou de globalisation systéma-
tique, s’interroger, du point de vue de la recherche en DFLM, sur la capacité
de cette didactique à constituer son appareil théorique et méthodologique.
1
Quelques repères,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
perspectives
et propositions
pour une didactique
du français
dans tous ses états
Michel DABÈNE

Le domaine de la didactique du français1 est, depuis des décennies, divisé,


on le sait, en deux grandes propriétés respectivement dénommées français
langue maternelle (dorénavant FLM) et français langue étrangère, cette der-
nière voisinant depuis quelque temps déjà avec français langue seconde
(dorénavant FLE/FLS)2. Parler de « propriétés » n’est pas seulement une
image, tant il est vrai que les préoccupations institutionnelles de délimitation
de territoire l’ont pendant longtemps emporté sur les aspects épisté-
mologiques.

Il s’agira d’examiner ici quelques-unes des conditions dans lesquelles ces


différents domaines pourraient s’articuler au sein d’une même discipline de
recherche, la didactique du français, elle-même sous-ensemble de la didacti-
que des langues.

À cette fin, il ne me paraît pas inutile de rappeler, ne serait-ce que de façon


cavalière et pour mémoire, quelques étapes dans la constitution (ou des ten-
tatives de constitution) de leurs modèles respectifs au cours de ces dernières
années.

1. Version revue et corrigée en janvier 2003 de l’article initialement intitulé dans la première édition de ce livre : Quelques
étapes dans la construction des modèles de la didactique du français.
2. La distinction FLE-FLS ne s’est généralisée que dans les années 1990, notamment sous l’influence des travaux de J.-P.
Cuq (1991). Compte tenu du propos de cet article, il n’est pas utile de distinguer, à ce stade, ces deux sous-domaines
que l’on retrouvera dans le modèle évoqué à la fin de cette contribution.
16 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

Les années 1980-1990 ont été fertiles en mises en perspective historique :


dans le domaine du FLE/FLS en témoigne la création en 1988 de la Société
Internationale pour l’Histoire du français langue étrangère ou seconde (SIH-
FLES). Les travaux de Sophie Moirand (1988), Daniel Coste (1987, 1994),
Christian Puren (1988), et, dans le domaine du FLM, les recherches menées
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
au sein de l’Institut national de recherche pédagogique (INRP), en particulier
dans les équipes pilotées par Hélène Romian ou Jean-Claude Chevalier et,
plus récemment, les travaux, colloques et publications de l’Association pour
le développement de la recherche en didactique du français langue mater-
nelle (DFLM)3, sont autant d’entreprises d’envergure qui permettent aux cher-
cheurs d’aujourd’hui de se situer dans une évolution en tenant compte des
acquis.

Il est vrai que ces mises en perspective se sont construites, la plupart du


temps, séparément, comme si DFLM et DFLE/FLS constituaient deux territoi-
res ne souffrant aucune incursion, pas même de frontaliers. Il est vrai aussi
qu’il fallait mettre d’abord en lumière leurs spécificités pour éviter tout amal-
game et sortir définitivement de l’époque où enseigner le français ici ou
ailleurs était considéré comme une seule et même entreprise.

De ce point de vue, peu de choses ont changé : les spécificités demeurent,


très fortes. Il est cependant devenu possible de ne pas les rigidifier dans des
oppositions irréductibles et de reparcourir ces deux territoires en se plaçant
du point de vue de la diversité des situations d’enseignement-apprentissage.

Pour éclairer l’histoire des relations entre la DFLM et la DFLE/FLS, on peut


prendre, de façon partielle et sûrement partiale4, quelques points de repères,
dans les trente dernières années en France5, en privilégiant ceux qui ont une
valeur épistémologique et qui attestent des tentatives de modélisation et de
structuration disciplinaires. Une approche externe, fondée sur les indicateurs
que constituent quelques formalisations visibles du champ (les schémas et
modèles6) dans les années 1970, puis au cours de la décennie 80 et jusqu’à
aujourd’hui, fournit des pistes de réflexion fécondes. Étant entendu que le
champ disciplinaire se construit aussi à travers l’ensemble des discours des
didacticiens7 et pas seulement dans les tentatives de modélisation qu’en ont
proposées certains auteurs.

3. Pour éviter toute confusion entre la didactique du domaine considéré et l’Association qui le revendique, je parlerai de
DFLM dans le premier cas et de l’Association DFLM dans le second, association aujourd’hui dénommée AIRDF.
4. On aura compris que cette contribution n’est pas œuvre d’historien mais témoignage d’un transfuge (?) qui est passé
d’un domaine (DFLE) à l’autre (DFLM), et s’est donc rendu suspect des deux côtés !
5. Voir aussi ici-même la contribution de S.-G. Chartrand et M.-C. Paret.
6. En gardant en mémoire le propos d’O. Ducrot rappelé par Verrier dans Coste (1994) : « l’inadéquation faisant la force
principale des modèles, l’indiscipline est le secret de leur utilisation » et en faisant, sans doute à tort, l’impasse sur les dis-
tinctions qu’il serait utile d’introduire entre ces deux notions.
7. Comme le soulignait D. Coste (1989), lorsqu’il définissait la didactique comme « un ensemble de discours portant
(directement ou indirectement) sur l’enseignement des langues ».
Quelques repères, perspectives et propositions ■ 17

Cette réflexion rétrospective s’intègre à une démarche prospective et à des


interrogations sur le statut de la (ou des) didactique(s) du français, sur un
fond de remises en questions de la pertinence des notions de langue mater-
nelle et de langue étrangère ou seconde8. J’exposerai, à ce sujet, quelques
hypothèses de travail concernant la constitution d’un champ unifié de recher-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
che en didactique du français ; dans une perspective variationniste et autour
de la notion de situation d’enseignement-apprentissage.

A ■ Histoires d’identités ?

Si les dénominations disciplinaires ont bien une valeur d’annonce, force est
de constater que les domaines de la didactique du français sont aujourd’hui
balisés de façon confuse, comme l’attestent les diverses appellations en
usage et les domaines mouvants qu’elles recouvrent dans leurs usages hexa-
gonaux. Est-ce le signe d’un malaise épistémologique ou simples fluctua-
tions terminologiques ? Entrent aujourd’hui en concurrence au moins quatre
bannières. Deux d’entre elles sont centrales : la didactique du français langue
maternelle et la didactique du français langue étrangère ou seconde. Les
deux autres sont substitutives : la didactique du français et la didactique des
langues. On note cependant des régularités dans la variation terminologique.
L’Association DFLM s’autorise de plus en plus la dénomination générique de
didactique du français9 mais jamais la DFLE/FLS qui, par contre, utilise
volontiers et depuis longtemps la dénomination générique de didactique des
langues10.

Comment interpréter ces flottements ? Indépendamment des revendications


identitaires qui sont sous-jacentes, peut-on y voir aussi un manque de théori-
sation des relations entre discipline de recherche, champs et domaines
d’application ? Il est vrai que la hiérarchisation entre ces trois niveaux met en
jeu des choix épistémologiques rarement explicités tout en renvoyant à des
enjeux institutionnels qui peuvent rendre compte des cloisonnements persis-
tants. On observe cependant des rapprochements significatifs non seule-
ment entre la DFLM et la DFLE/FLS, sur lesquels je reviendrai, mais aussi, et
ce n’est pas étranger à mon propos, entre la DFLE/FLS et la didactique des
langues étrangères enseignées dans l’institution scolaire11, et entre la DFLM

8. Sur ce point, voir entre autres L. Dabène (1994).


9. Voir le titre de l’ouvrage de J.-F. Halté (1992), celui de cet ouvrage et le changement de la dénomination de l’Associa-
tion DFLM qui a abandonné la mention LM.
10. Le Dictionnaire de didactique des langues paru en 1976 n’a pour auteurs que des francisants œuvrant dans le domaine
du FLE, à l’exception de D. Girard et F. Debyser, respectivement angliciste et italianiste de formation. On trouve dans
D. Coste (1994) comme un remords devant cette appropriation lorsqu’il écrit : « l’histoire récente de la didactique des
langues ou, du moins, du français langue étrangère vu de France… »
11. On peut de plus en plus constater la présence de didacticiens du FLE/FLS dans des instances de recherche de didacti-
ciens des langues étrangères comme l’Association des chercheurs et enseignants en didactique des langues étrangères
(ACEDLE).
18 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

et la didactique de ces mêmes langues enseignées dans leurs pays d’ori-


gine12.

C’est, à n’en pas douter, l’annonce d’une nécessaire recomposition du


champ des didactiques qui se donnent pour objets les langues, les textes et
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
les discours.

B ■ Histoires de schémas et modèles13

Un rapide coup d’œil sur quelques modèles de la constitution de la didacti-


que des deux domaines du français nous donne des indications significatives
qui recoupent des analyses faites par ailleurs.

On peut distinguer en gros deux périodes, dans la double perspective de


l’évolution des conceptions de la didactique et de l’évolution de ses deux
domaines constitutifs :

Les années 1970 sont dominées à la fois par le souci de théoriser le champ
de la didactique des langues et par les tentatives de constitution du domaine
de la didactique du FLE (on parle peu alors du FLS). Pendant cette période le
domaine du FLM est peu préoccupé par ces interrogations épistémologiques :
l’enseignement du français en France, s’il doit être réformé, n’est pas consi-
déré comme devant se légitimer en tant que domaine de recherche et d’inter-
vention.

Le souci de rénovation est cependant commun aux deux domaines, qu’il


s’agisse de la percée des nouvelles méthodes d’enseignement du français
aux non-francophones (audio-orales, audio-visuelles, structuro-globales)
dont on accepte alors qu’il soit considéré comme français langue
étrangère14, ou du Plan de rénovation de l’enseignement du français à l’école
élémentaire, dit Plan Rouchette15.

Mais dans le domaine du FLM le concept de didactique n’a pas encore émergé.
Ni les revues spécialisées de cette époque, telles que Le français aujourd’hui,

12. Pour une tentative sommaire et provisoire de clarification, voir M. Dabène (1993-b).
13. Voir note 6.
14. L’appellation « français langue étrangère » ne s’est pas imposée sans mal au cours des années 1960 : on se souvient
des réticences des gardiens de l’Institution à admettre cette dénomination à un moment où, par ailleurs, le français fon-
damental (à l’origine « français élémentaire »), résultat des enquêtes sur le français parlé menées sous la direction de
Gougenheim et Rivenc, avec la collaboration de Michéa et Sauvageot, était considéré par les mêmes comme « français
de la rue ».
15. Du nom du président de la Commission, l’inspecteur général Marcel Rouchette. La préparation de ce Plan (1964-1969)
et sa publication officielle dans la revue Recherches pédagogiques n° 47 (janvier 1971) ont donné lieu à de violentes
polémiques. La version originale, fortement contestée par les tenants du statu quo et plusieurs fois amendée avant publi-
cation, au sein même de la Commission, a été publiée en février 1971 dans L’Enseignement public, organe de la Fédé-
ration de l’Éducation Nationale (FEN) en guise de protestation contre ce que l’on estimait, à juste titre, être des censures.
Quelques repères, perspectives et propositions ■ 19

Repères, les Cahiers du CRELEF ou Pratiques, ni les textes officiels, ni les


auteurs de référence (E. Genouvrier, L. Legrand, F. Marchand, J. Peytard,
H. Romian et al.) ne font mention de la didactique du français langue mater-
nelle. Il faut, certes, se garder de tout nominalisme : pendant cette période
bien des chercheurs travaillant sur la langue maternelle ressentent la néces-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
sité de théoriser leur champ d’activité. L. Legrand (1966) s’interroge, par
exemple, sur la nécessité de passer d’une attitude empirique ou incons-
ciente, « passionnelle ou conformiste » à une technique consciente et raison-
née, nourrie des apports de la linguistique, de la psychologie et de la
« pédagogie expérimentale », ce qui préfigure les premières modélisations de
la didactique des langues. Une décennie plus tard, au terme de cette période
des années 1970, H. Romian (1979) dans sa tentative de théorisation de la
« pédagogie du français » s’inscrit bien dans le courant de la didactique telle
qu’elle est en train de se constituer et telle qu’elle émergera, encore confusé-
ment, lors du Colloque organisé par l’INRP à Sèvres en 1983, où l’on trouve
les principaux acteurs de la future Association internationale pour le dévelop-
pement de la recherche en didactique du français langue maternelle (DFLM)
qui verra le jour à Namur en 1986.

On comprend cependant les réticences des chercheurs en langue mater-


nelle, qui travaillent majoritairement au niveau de l’école élémentaire et des
collèges, à s’inscrire dans un courant qui se caractérise, à l’origine, dans les
langues étrangères et le FLE, par la prédominance de la linguistique appli-
quée (à laquelle ils n’ont pas été totalement insensibles16) et par un dogma-
tisme méthodologique assorti d’une part importante dévolue aux techniques
(audio-visuelles, entre autres). La complexité particulière du domaine fait
redouter les approches réductrices ou technicistes.

Au cours de cette même période, on assiste, dans le domaine du FLE, non


seulement à l’émergence du concept de didactique des langues17 mais aussi
à son évolution. En 1972, paraissent deux esquisses de modélisation venant
de l’horizon du FLE. L’une (M. Dabène, 1972) se réclame de la didactique des
langues conçue comme une interface entre le niveau des disciplines de réfé-
rence (linguistique, sciences de l’éducation, psychologie, sociologie) et la
classe de langue, et articulant méthodologie, méthode, pédagogie, procédés
et techniques. L’autre (R. Galisson, 1972, repris dans R. Galisson, 1990) se
réfère à la linguistique appliquée à l’enseignement des langues tout en distin-
guant ce qui relève proprement de la linguistique appliquée concernée par la
définition de la matière à enseigner, et ce qui relève de la méthodologie de
l’enseignement des langues concernée par la manière d’enseigner et ren-
voyant aux sciences de l’éducation.

16. Les emprunts du Plan Rouchette à la linguistique structurale et à l’usage qu’en proposait la didactique du FLE, depuis
quelques années déjà, sont manifestes. Voir à ce sujet F. Marchand (1989). Et aussi D. Coste (1988) qui analyse les
relations entre linguistique et enseignement du français au début des années 1970, notamment à partir des publications
de l’Association française des enseignants de français (AFEF et sa revue Le français aujourd’hui).
17. Le terme est déjà institutionnellement présent dès 1969, associé à linguistique appliquée dans l’intitulé d’un département
de la nouvelle université de Vincennes : l’Institut de linguistique appliquée et de didactique des langues (ILADL).
20 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

Ces deux exemples illustrent un débat qui n’est pas clos quant à la place de
la linguistique dans la didactique des langues. Ils montrent aussi, à la lumière
des développements ultérieurs, que ces positions initiales, reflets d’un état
embryonnaire de la réflexion, ne se sont pas figées. Le rejet de l’application-
nisme ne signifie pas rupture avec les sciences du langage, pas plus que les
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
applications de la linguistique n’entraînent obligatoirement une impasse sur
l’analyse des situations d’enseignement-apprentissage. Les propositions de
R. Galisson en 1977 (reprises dans R. Galisson, 1990) introduisent à leur tour
les termes de didactique des langues étrangères recouvrant deux sous-
ensembles : la méthodologie de l’enseignement des langues étrangères,
définie comme la substance du contenu à enseigner, et la linguistique appli-
quée à l’enseignement des langues étrangères, définie comme la forme du
contenu. Dans le même temps, sur les quarante numéros de la revue Études
de linguistique appliquée parus depuis sa création en 1964, six seulement
affichent la didactique dans leur titre sans qu’on y trouve, au demeurant, de
définition programmatique ni de justifications approfondies, à l’exception du
n° 31 (1978) entièrement composé de contributions allemandes18.

Période balbutiante et confuse donc, du moins si on ne prend en compte que


les tentatives de modélisations du champ principalement centrées sur les
problèmes d’articulation entre la didactique et les disciplines connexes. Les
recherches de nature didactique sont cependant foisonnantes comme l’ont
montré les travaux des historiens de cette époque. La linguistique constitue
toujours la source privilégiée de la didactique des langues mais il s’agit, de
plus en plus, d’une linguistique qui élargit ses horizons et qui ne rejette plus
hors de son domaine les discours oraux et écrits, l’énonciation, les variations
sociales. La didactique des langues ne peut qu’y trouver son compte, même
si, comme le souligne D. Coste (1994) elle hésite à prendre en considération
l’analyse de discours et la linguistique de l’énonciation, deux domaines qui
émergent dans les années 1970 parallèlement à la didactique des langues.

Par contre, au terme de ces mêmes années, dans le domaine du FLM, outre
le souci, déjà évoqué, de rationaliser la « pédagogie du français » et de distin-
guer, comme le propose H. Romian (1979), parallèlement à la recherche fon-
damentale, la recherche-action avec ses diverses composantes (innovation,
description, validation), on constate une plus large attention accordée à
l’analyse de discours ainsi qu’à la sémiotique littéraire et à la linguistique tex-
tuelle, références encore quasiment absentes du domaine du FLE.

Les années 1980-1990 voient une sorte de renversement de tendance. La


« fièvre modalisatrice » passe d’un domaine à l’autre. La DFLE/FLS, forte de
sa légitimité croissante, grâce à son implantation dans les universités et à la
création de cursus spécifiques ou d’options dans les cursus existants, assor-

18. W. Klein (1978), Perspectives sur la didactique des langues étrangères en République fédérale allemande, Études de
linguistique appliquée, n° 31.
Quelques repères, perspectives et propositions ■ 21

tie de création de postes d’enseignement supérieur ciblés, poursuit son


développement dans deux directions :
– la recherche, avec l’élargissement de ses références, soit dans des
domaines déjà explorés par la DFLM (par exemple, les grammaires de
texte19), soit dans des domaines qui lui sont propres et où se marque sa
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
spécificité : la linguistique acquisitionnelle, la pragmatique, l’analyse con-
versationnelle, les interactions, en attendant l’émergence des sciences
cognitives dans le champ ;
– l’élaboration de contenus d’enseignement et de formation, qui relève
d’une sorte de recherche-action, soit en direction de l’enseignement hors
de France (la production de méthodes de français est abondante au cours
de cette décennie) soit dans les centres universitaires de FLE au contact
du public spécifique des étudiants et chercheurs étrangers en France, ou
encore, mais dans une moindre mesure, dans les différents types de
classe qui accueillent des élèves non francophones.

Ce n’est pas le lieu d’examiner ici les relations entre ces différentes activités.
Pour faire court, disons qu’elles se partagent entre une orientation vers la
didactique générale des langues et un ancrage très marqué dans la spéci-
ficité du FLE, en tant que matière d’enseignement, ce dernier courant étant
prédominant sur le plan institutionnel20.

De son côté, la DFLM se consolide progressivement en tant que telle, au fil


des colloques et journées d’études organisés par l’Association DFLM21 et du
développement des recherches sur l’enseignement-apprentissage du
français à l’Institut national de recherche pédagogique (INRP), dans les Insti-
tuts universitaires de formation des maîtres (IUFM) et dans un certain nombre
d’équipes de recherche universitaires22, sans compter les nombreux travaux
de terrain qui ne revendiquent pas forcément l’appartenance à l’un ou l’autre
courant de cette discipline en « émergence ». On peut en effet parler de cou-
rants, mais sans frontières vraiment étanches : didactique descriptive, expli-
cative, praxéologique, avec références dominantes aux sciences du langage,
ou aux sciences de l’éducation, ou à la psychologie cognitive…, autant de
positionnements qui alimentent beaucoup de débats, non clos aujourd’hui.

Quoi qu’il en soit, comme le souligne M. Mas (1994), « l’apparition puis la dif-
fusion du mot didactique sont des indicateurs de l’émergence et de l’implan-
tation, dans les milieux de l’enseignement du français langue maternelle,

19. Ce sont, semble-t-il, les ouvrages de H. Rück (trad. français, 1980) et de G. Vigner (1979) qui vulgarisent les références
à la linguistique textuelle auprès des enseignants de FLE.
20. Les départements de FLE dans les Universités, lorsqu’ils ne sont pas autonomes, ne sont pas implantés dans les UFR de
langues vivantes mais dans les UFR de Lettres ou de Sciences du langage.
21. Voir les Actes de ces colloques : J.-L. Chiss et al. (1987) ; B. Schneuwly (1990) ; M. Lebrun & M.-C. Paret (1993) ; R.
Bouchard & J.-C. Meyer (1996) ; G. Legros et al. (1999).
22. Telles que le Centre de didactique du français (CDF) – Grenoble III, ou le centre Théories et didactique de l’écrit (Théo-
dile) – Lille III.
22 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

d’une notion déjà répandue dans des domaines voisins (français langue
étrangère, mathématiques, sciences…) ».

On peut ajouter qu’au cours de cette période l’utilisation du terme, dans un


environnement institutionnel pour le moins méfiant sinon hostile, a valeur
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
emblématique et s’inscrit dans la perspective d’une revendication identitaire.

La DFLM s’efforce alors de faire dialoguer ses deux courants fondateurs :


celui, issu de la « pédagogie », des chercheurs institutionnellement proches
du terrain scolaire, incarné par les équipes de l’INRP, et celui des chercheurs
universitaires, plutôt issu, à l’origine, de la linguistique et des sciences du lan-
gage23. Les débats actuels sur les contours de la discipline portent la marque
de cette double origine.

Les discours définitoires de la DFLM se multiplient alors avec, nous l’avons


vu, des variantes notoires dans la conception du champ, mais aussi un souci
commun de prise d’autonomie et le rejet d’un applicationnisme étroit, sans
que, pour autant, soient parfaitement définies les relations avec les discipli-
nes de référence.

Dans la deuxième moitié de la décennie 1980 s’esquissent aussi des ten-


dances aux rapprochements des deux domaines de la didactique du français
(DFLM, DFLE/FLS), le plus souvent sous forme de déclarations d’intentions
ou de références croisées, plus qu’en termes de nouvelle construction
épistémologique. Elles viennent indifféremment des acteurs de l’un ou l’autre
domaine et s’inscrivent dans une recherche commune de transversalités. Les
motivations sont certes différentes. Ainsi, le n° 78 de la revue Le français
aujourd’hui, intitulé « Langue maternelle, langue étrangère », vise à « donner
à nos lecteurs des éléments d’information sur ce qui se fait en didactique du
FLE… les convaincre que les collègues qui enseignent le français à
l’étranger… enseignent le français à des élèves que nous verrons peut-être
bientôt dans nos classes ». Cet argument, de nécessité externe, sera maintes
fois repris, notamment par F. Marchand (1989) qui constate que « la présence
dans de nombreuses écoles d’enfants étrangers ou d’origine étrangère…
conduit à s’interroger à la fois sur les facteurs de différenciation et aussi les
possibles proximités entre FLM et FLE24 » et qui s’interroge sur l’opportunité
d’une didactique « commune aux deux situations ».

Le colloque organisé par le CREDIF en 1987 sur le thème « Didactique des


langues ou didactiques de langue ? Transversalités et spécificités » travaille

23. Ces courants ne sont pas cloisonnés : bien des chercheurs sont venus à la didactique grâce à un contact avec le terrain,
à l’occasion de l’enseignement de la linguistique dans les anciennes Écoles normales. Voir à ce sujet F. Marchand & J.
Hébrard (1978).
24. Dans le numéro de Langue française où paraît l’article de F. Marchand (1989, n° 82), E. Roulet, qui le coordonne avec
R. Galisson, s’interroge déjà : « Faut-il développer une didactique du français (DF) intégrant l’enseignement du français
langue maternelle (FLM) et l’enseignement du français langue étrangère, ou faut-il distinguer deux didactiques du
français ? »
Quelques repères, perspectives et propositions ■ 23

dans l’un de ses ateliers sur les relations entre les didactiques de diverses
langues mais pose de façon relativement marginale25 la relation entre FLE et
FLM, l’essentiel des contributions portant sur les passages et les cloisonne-
ments entre DFLM et didactique des langues étrangères enseignées dans
l’institution scolaire26.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
Le colloque restreint organisé par D. Coste à Genève à la fin 1988 pour mar-
quer les vingt ans de la création de l’École de langue et de civilisation
françaises et dont les Actes ont paru en 1994 sous le titre Vingt ans dans
l’évolution de la didactique des langues (D. Coste, 1994) n’affiche pas explici-
tement une préoccupation de transversalité mais les intervenants relèvent
des deux domaines, le FLE étant cependant majoritaire. Il y apparaît, du point
de vue qui m’intéresse, un renforcement de l’ancrage du FLE dans la didacti-
que des langues et, dans certains cas, le souci de tenir compte de l’évolution
des recherches en DFLM, notamment dans le domaine de la grammaire, de
la lecture et de l’oral27.

Les schémas formalisés de la DFLM qui se développent quelques années


plus tard (entre autres, D.-G. Brassart et Y. Reuter 1992, M. Dabène, 1993a)
ne marquent pas un ancrage exclusif dans une situation d’apprentissage
particulière qui serait celle de la langue maternelle. Ils se situent dans une
perspective plus générale, avec des nuances qui s’expliquent par leurs hori-
zons respectifs de références (sciences de l’éducation, psychologie cogni-
tive, sociolinguistique) et par leurs focalisations différentes. Ils dénotent
cependant le souci de prendre en compte des variables difficilement maîtri-
sables par la recherche en FLE/FLS conduite en France, comme les sujets
locuteurs, les institutions, les dispositifs d’enseignement-apprentissage, les
représentations sociales et les pratiques langagières qui environnent la situa-
tion didactique proprement dite.

Y. Reuter (1992) distingue le niveau des théories et celui des pratiques ainsi
que trois espaces : celui des contenus disciplinaires et de leurs théories de
référence qui appartient en propre aux enseignants de français, « celui des
dispositifs d’enseignement-apprentissage… qui appartient à tous les ensei-
gnants », et « celui des pratiques didactiques du français… qui se constitue à

25. Notamment par M. Dabène : je tente de recenser de façon programmatique tous les contacts possibles entre FLM, FLE
et autres langues étrangères en fonction des lieux institutionnels d’enseignement et des situations d’apprentissage. Le
texte de cette contribution a été repris dans M. Dabène (1993b).
26. On peut regretter que ce Colloque qui, pour la première fois à ma connaissance, réunissait des didacticiens de FLE, de
FLM et de langues vivantes, n’ait pas donné lieu à la publication d’Actes. Les travaux des Ateliers ont paru, de façon dis-
persée, voir : Études de linguistique appliquée n° 72 (J.-C. Beacco & J.-C. Chevalier, éds, 1988) ; Les langues moder-
nes n° 1-1988 (M. Candelier, L. Dabène, éds, 1988). Ces publications éclatées reconstituent, au niveau éditorial, les
réseaux de diffusion propres à chaque domaine et des cloisonnements contradictoires avec l’esprit du Colloque.
27. En ce qui concerne l’oral, il est intéressant de noter que J. Mouchon dans sa contribution, souligne, a contrario, le peu
d’échos qu’ont rencontrés en DFLM les grandes enquêtes sur le français parlé, comme celle d’Orléans dont le corpus est
constitué de 497 enregistrements faits en 1970 à l’instigation d’enseignants de français britanniques. Dans le même
ordre d’idées, les corpus de français parlé recueillis à Montréal par Sankoff-Cedergren ou à Hull par S. Poplack, n’ont
guère été exploités par les didacticiens québecois.
24 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

l’intersection de ces deux espaces et qui, par les élections et les interactions
qu’il opère, réorganise le contour des deux autres ».

D.-G. Brassart (1992) propose un modèle cognitif de la didactique du français


fondé, de façon « largement spéculative » sur une formalisation des différents
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
aspects de l’activité cognitive des enseignants. Il distingue une phase de pla-
nification-préparation hors de la classe, conçue comme une activité de réso-
lution d’un problème mal défini, et une phase interactive de décisions en
classe qui allie mise en œuvre de l’action planifiée et improvisation face aux
imprévus inévitables.

De mon côté (M. Dabène, 1993a), je tente de montrer l’insuffisance de la


notion de « triangle didactique » et la nécessité de son inclusion dans un con-
texte social et éducatif prenant en compte disciplines de recherche et matiè-
res d’enseignement, répertoires verbaux des apprenants, représentations et
pratiques sociales de la langue, des textes et des discours28, tandis que J.-F.
Halté (1992) analyse les problématiques particulières aux trois pôles
concernés : le pôle de l’élaboration didactique (savoirs), celui de l’appropria-
tion didactique (élèves) et celui de l’intervention didactique (enseignant).

En bref, ce qui ressort de cette esquisse de panorama, nécessairement


incomplet, est, par-delà les spécificités des deux domaines concernés, sur
lesquelles je reviendrai, une interrogation progressive sur la légitimité des
cloisonnements, mais aussi des déclarations d’intention ou des silences qui
ne sont pas tout à fait satisfaisants au plan épistémologique.

C ■ Spécificités et transversalités d’aujourd’hui29

Les spécificités et les transversalités des deux domaines, abstraction faite de


leur histoire propre et pour s’en tenir aux affichages explicites, sont bien
connues : aussi n’y insisterai-je pas. Je me contenterai d’en évoquer quel-
ques aspects, complexes et problématiques dans la situation actuelle.

Au plan institutionnel, on peut constater une implantation relativement éten-


due de la DFLE/FLS en milieu universitaire, mais selon des statuts très varia-
bles et la plupart du temps fragiles. Cette implantation concerne à la fois des
activités d’enseignement et de formation (cours de langue aux étudiants
étrangers, spécialistes de français ou d’autres disciplines, cours universitai-

28. Point de vue qui est loin de faire l’unanimité. Ce qu’exprime bien J.-L. Chiss (2001, 162) : « Face aux conceptions
extensives du champ, j’ai toujours plaidé pour une vision réductionniste, convaincu sur le fond que, selon le mot de Judith
Schlanger, le propre de la discipline, c’est de circonscrire et de renoncer. »
29. Est-il nécessaire de rappeler que l’aujourd’hui du scripteur est déjà du passé pour le lecteur, y compris le scripteur lui-
même !
Quelques repères, perspectives et propositions ■ 25

res dans le cadre des cursus FLE, licences, maîtrises, DEA) et des activités
de recherche dans un certain nombre de centres spécialisés.

L’implantation universitaire de la DFLM est plus complexe : elle occupe une


place restreinte, pour ne pas dire inexistante, à l’exception de quelques uni-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
versités, dans les cursus de premier et de deuxième cycle, malgré le déve-
loppement des unités de valeur dites de « préprofessionnalisation »
préparatoires à l’entrée dans les IUFM. Elle se heurte à des résistances qui
s’expliquent par une focalisation souvent exclusive sur des objectifs
différents qui devraient être complémentaires : préparation au métier d’ensei-
gnant/préparation aux concours de recrutement et formation de spécialistes
d’une discipline. S’y ajoutent des conflits de territoire entre départements ou
UFR de lettres et départements ou UFR de sciences du langage.

Ces conflits ont, de toute évidence, une incidence sur les orientations de la
recherche et sur la conception épistémologique du champ. Ils expliquent, en
partie, le rôle de plus en plus central joué par les Instituts de formation des
maîtres (IUFM), au côté de l’INRP, dans le développement des recherches en
DFLM30.

La pression sociale exercée par les questionnements actuels sur l’enseigne-


ment du français ne peut pas, non plus, ne pas avoir de répercussions sur la
conception du champ, selon que les chercheurs choisissent d’ignorer le con-
texte institutionnel ou de s’y investir. Ce qui est en jeu, c’est la place qui doit
être assignée à ce qu’on a appelé l’interventionnisme dans la recherche en
DFLM.

De ce point de vue, les deux domaines ont de réelles spécificités, souvent


paradoxales. La DFLE/FLS en France n’a pas directement accès au terrain, à
l’exception du cas particulier des enseignements dispensés à des non-fran-
cophones. Elle a cependant produit du « prêt à enseigner », sous forme de
nombreuses méthodes à exporter se présentant comme autant de mises en
application des acquis de la recherche31.

La DFLM peut travailler « sur site », même si l’accès au terrain scolaire pose
de nombreux problèmes aux didacticiens. Mais la production de matériel
didactique, sous forme de manuels, n’est pas la préoccupation majeure des
chercheurs et la fonction des supports didactiques n’est évidemment pas la
même selon qu’il s’agit d’une langue « maternelle » ou d’une langue ensei-
gnée à des non natifs.

30. Au cours du premier semestre de l’année 2003, deux colloques de DFLM ont été organisés, l’un sur « Langue et étude
de la langue » par l’IUFM d’Aix-Marseille, l’autre sur « Construction des connaissances et langage dans les disciplines
d’enseignement » par l’équipe de psychologie de l’éducation de Bordeaux II et l’équipe de didactique du français de
l’IUFM d’Aquitaine.
31. Par exemple les méthodes dites notionnelles-fonctionnelles ou celles qui s’inspirent des courants de l’analyse conversa-
tionnelle.
26 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

Par ailleurs, les circulations entre organismes spécialisés, les rencontres au


sein d’instances associatives ou professionnelles, les transferts éditoriaux,
les itinéraires individuels de chercheurs, contribuent de façon conjoncturelle
à des brassages qui tendent à réduire les clivages entre les deux domaines.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
Mais peut-on se satisfaire de transversalités conjoncturelles ? Ou est-il pos-
sible de construire épistémologiquement des transversalités qui seraient
constitutives d’une didactique du français fondée sur la prise en compte de
la diversité des situations d’enseignement-apprentissage ?

D ■ Quelques arguments et conditions


pour une didactique du français

Ce qui guide cette réflexion c’est l’idée simple que spécificités ou transver-
salités, notions qui maintiennent un clivage, peuvent être réinterprétés en ter-
mes de variations32. Je rappellerai ici quelques remarques succinctes qui ont,
depuis leurs premières formulations33, fait l’objet de maints débats. Les
Journées d’études organisées par l’Association DFLM à Poitiers en janvier
2000 proposent explicitement, dans le texte d’orientation, de « réfléchir à la
constitution du domaine en prenant en compte des variations contextuelles »34,
tout en incitant, sous la plume de Y. Reuter (2001), à beaucoup de prudence
à l’égard d’une posture épistémologique « qui serait ingénument revendi-
quée, non seulement parce que cela pourrait témoigner d’une quête plus ins-
titutionnelle… que cognitive mais aussi parce que cette posture est
particulièrement difficile à tenir… ».

J’avancerai ici quelques remarques succinctes que je considère comme pro-


blématiques et ouvertes au débat :
– La transversalité LANGUE est forte mais pas entièrement pertinente au
regard des descriptions qu’on peut en faire dans une perspective d’ensei-
gnement-apprentissage et dont la didactique du français (dorénavant DIF)
a besoin. Il est illusoire de fonder le rapprochement entre les deux domai-
nes sur les mêmes descriptions de la langue, sauf à privilégier le noyau
dur de la linguistique. Outre le fait qu’on en reviendrait aisément dans
cette perspective à une nouvelle linguistique appliquée, il est difficile
d’admettre que, par exemple, la description du système verbal du fran-
çais puisse être strictement la même quelle que soit la langue des appre-
nants, même si les variations nécessaires ne sont que des différences
d’éclairage sur une réalité linguistique dont les recherches fondamentales
permettent d’affiner l’analyse. A fortiori si on prend en compte les compo-

32. La notion de variation apparaît aujourd’hui comme l’un des concepts centraux en sociolinguistique et influence fortement
les conceptions actuelles de l’acquisition des langues.
33. Notamment dans la première édition de cet ouvrage en 1995.
34. Voir M. Marquilló Larruy (2001).
Quelques repères, perspectives et propositions ■ 27

santes sociolinguistiques, pragmatiques et discursives de la description


des textes et des discours.
– La transversalité APPRENTISSAGE n’est pas davantage satisfaisante. Il
s’agit bien, dans les deux domaines, d’apprentissages langagiers, mais ils
ne se construisent pas sur les mêmes substrats.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
– Les oppositions externes entre langue maternelle, langue seconde,
langue étrangère, qui structurent institutionnellement les deux domaines,
sont réductrices. La prolifération actuelle des qualificatifs en usage
(langue nationale, langue d’enseignement, langue vernaculaire, langue
d’appartenance, langue régionale…) montrent la complexité des statuts à
prendre en compte, tant pour l’enseignant que pour les élèves35.

Ces remarques me ramènent inévitablement à la notion de situations d’ensei-


gnement-apprentissage pour caractériser les variables de la situation didacti-
que d’enseignement-apprentissage du français. S’agissant d’enseignement-
apprentissage langagier, on peut estimer qu’une place centrale doit être
accordée aux pratiques langagières de l’enseignant et de l’apprenant ainsi
qu’aux pratiques sociales des discours oraux et écrits et à leurs représenta-
tions dominantes.

La perspective de recherche est alors celle de la définition d’un continuum


d’enseignement-apprentissage qui assure l’unité constitutive du champ et le
relie éventuellement à des champs voisins, et des axes de variation spécifi-
ques qui rendent compte de sa diversité :
– les deux éléments organisateurs du continuum sont, d’une part, les des-
criptions de la langue et des fonctionnements des textes et des discours
oraux et écrits (savoirs savants évolutifs) et, d’autre part, les activités
cognitives à l’œuvre dans les apprentissages-acquisitions langagiers (par
exemple, le rôle des métalangages) ;
– les axes de variation sont au moins de deux types :
- l’axe des situations d’enseignement : statuts formels et informels du
français, politique linguistique des institutions éducatives au sein des-
quels il est enseigné (par exemple types de liens entre langue et littéra-
ture), statut des enseignants de français (natifs, non natifs), types et
niveaux de leur formation, niveaux d’expertise (degrés de sécurité ou
d’insécurité linguistique) ;
- l’axe des situations d’apprentissage-acquisition : répertoires verbaux
des élèves (monolingues, bi- ou plurilingues) types d’exposition au
français, univers de références, représentations et pratiques de la lan-
gue en milieu extra-scolaire profils d’acculturation à l’écrit, etc.

Les relations entre la didactique du français et les disciplines dites


« contributoires » peuvent alors être conçues et hiérarchisées autrement,
selon qu’il s’agit de travailler au niveau des savoirs renvoyant aux éléments
organisateurs du continuum (sciences du langage, sciences de l’éducation,

35. Pour une analyse détaillée, voir L. Dabène (1994).


28 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

sciences cognitives) ou au niveau des axes de variation (sociolinguistique,


linguistique acquisitionnelle, psycholinguistique) renvoyant à la diversité des
situations d’enseignement-apprentissage. Conçue comme une « discipline
d’articulation et d’interactions » (Y. Reuter, 1996, p. 12), la didactique se
construit au confluent de ces différents apports.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
Les deux situations prototypiques extrêmes du continuum sont schémati-
quement constituées :
– d’une part, par la situation d’enseignement-apprentissage du français,
dans son milieu naturel et culturel d’origine, comme langue dans laquelle
s’est fait prioritairement l’accès au langage (langue 1)36 ;
– d’autre part, par la situation, exolingue, dans laquelle l’apprentissage se
fait en milieu institutionnel comme langue autre que celle du vernaculaire
de l’apprenant ou du véhiculaire de la communauté d’appartenance (lan-
gue 2 ou 3 ou 4…) ;
– les situations intermédiaires se situant sur un continuum selon des varia-
bles liées à l’un ou l’autre des axes de variation : par exemple l’apprentis-
sage du français dans l’un de ses milieux naturels et culturels d’origine
par un élève ayant accédé au langage dans une autre langue ou prati-
quant une autre langue dans son milieu extrascolaire ; ou l’apprentissage
du français comme langue d’enseignement ou langue véhiculaire, hors de
son milieu d’origine, etc.

Ainsi conçue la recherche en didactique du français s’ouvre sur de nouvelles


transversalités, encore peu explorées, dans deux directions au moins :
– du point de vue de l’enseignement, les didactiques comparées : recher-
ches comparées sur les didactiques des langues 1 ;
– du point de vue de l’apprentissage, les didactiques en contact : recher-
ches comparées sur la didactique de la langue 1 ou de la langue 2 et la
didactique d’une autre langue aux mêmes apprenants. Soit, par exemple,
en France, la didactique du français et la didactique des autres langues
enseignées à l’école primaire, au collège ou au lycée.

Nul doute que des problèmes aussi centraux que celui du métalangage
grammatical ou du lexique gagnerait à être examinés à la lumière de ces
éclairages diversifiés dont on peut faire l’hypothèse qu’ils favoriseraient aussi
les apprentissages langagiers37.

Les incidences de cette recomposition sont évidentes. Mais peut-on accep-


ter que la discipline de recherche « didactique du français » soit bridée par
des pesanteurs institutionnelles, qui sont certes fondées historiquement mais
qui ont pour effet notoire de borner son horizon sans profit apparent.

36. Cette situation ne recouvre évidemment pas la réalité géographique de tous les pays dits francophones.
37. On n’a pas vraiment évalué les dommages probablement causés lorsqu’on soumet l’élève à un certain type de travail
grammatical en langue 1 et, simultanément, à un tout autre type en langue 2.
Quelques repères, perspectives et propositions ■ 29

Références bibliographiques
BOUCHARD, R. & MEYER, J.-C. (éds) (1996), Les Métalangages de la classe de
français, Actes du 6e Colloque de la DFLM, Lyon, Saint-Cloud, DFLM.
BRASSART, D.-G. & REUTER, Y. (1992), Former des maîtres en français : élé-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
ments pour une didactique de la didactique du français, dans J.-L. Chiss et M.
Dabène, Recherches en didactique du français et formation des enseignants,
Études de linguistique appliquée n° 87, Didier Érudition.
CANDELIER, M. & DABÈNE, L. (éds) (1988), D’une langue à l’autre… la didactique
des langues, Les Langues modernes, n° 1.
CHISS, J.-L., LAURENT, J.-P., MEYER, J.-C., ROMIAN, H. & SCHNEUWLY, B.
(éds) (1987), Apprendre/enseigner à produire des textes écrits, Actes du 3e
Colloque international de didactique du français, Namur 1986, Bruxelles, De
Boeck Université.
CHISS, J.-L. (2001), Didactique des langues et disciplinarisation, dans M. Mar-
quilló Larruy (éd.) (1990), Questions d’épistémologie en didactique du français,
DFLM, Université de Poitiers.
COSTE, D. & GALISSON, R. (1976), Dictionnaire de didactique des langues,
Hachette
COSTE, D. (1987), Institution du français langue étrangère et implications de la lin-
guistique appliquée. Contribution à l’étude des relations entre linguistique et
didactique des langues de 1954 à 1975, Doctorat d’État, Université de Paris
VIII.
COSTE, D. (1988), Linguistique et enseignement du français langue maternelle.
Sur quelques relations au début des années 1970, dans J.-C. Beacco & J.-C.
Chevalier, Didactique des langues : quelles interfaces ?, Études de linguistique
appliquée, 72.
COSTE, D. (1989), Débats à propos des langues étrangères à la fin du XIXe siècle
et didactique du français langue étrangère depuis 1950. Constantes et varia-
tions, Langue française, 82.
COSTE, D. (1994), Vingt ans dans l’évolution de la didactique des langues (1968-
1988), coll. « LAL », Crédif-Hatier.
CUQ, J.-P. (1991), Le français langue seconde, Paris, Hachette.
DABÈNE, L. (1994), Repères sociolinguistiques pour l’enseignement des langues,
Paris, Hachette.
DABÈNE, M. (1972), Le CREDIF en 1972 : les champs de la didactique des lan-
gues, Le français dans le monde, 92, Paris, Hachette.
DABÈNE, M. (1993a), La didactique du français : autonomie et interactivité, M.
Lebrun & M.-C. Paret, L’Hétérogénéité des apprenants, un défi pour la classe
de français, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé.
DABÈNE, M. (1993b), Situations d’enseignement/apprentissage des langues et
didactiques en contact, Mélanges offerts à Jean Peytard, Annales littéraires de
l’Université de Besançon, Les Belles Lettres, tome 2, 705-713.
GALISSON, R. (1990), De la linguistique appliquée à la didactologie des langues-
cultures, Études de linguistique appliquée, 79, Paris, Didier Érudition.
HALTE, J.-F. (1992), La Didactique du français, PUF, coll. « Que sais-je ? ».
HOLEC, H. & PORCHER, L. (éds) (1989), Formations et processus de formation
en français langue étrangère, Paris, Larousse.
30 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

LEBRUN, M. & PARET, M.-C. (éds) (1993), L’Hétérogénéité des apprenants, un


défi pour la classe de français, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé.
LEHMANN, D. (éd.) (1989), La Didactique des langues en face à face, Paris, Cre-
dif-Hatier
LEGRAND, L. (1966), L’Enseignement du français à l’école élémentaire. Problè-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
mes et perspectives, Delachaux et Niestlé.
LEGROS, G., POLLET, M.-C. & ROSIER, J.-M. (éds) (1999), Didactique du fran-
çais langue maternelle : quels savoirs pour quelles valeurs ?, Actes du 7e Collo-
que de la DFLM, Bruxelles, Publication DFLM.
MARCHAND, F. & HÉBRARD, J. (éds) (1978), Enseignement du français langue
maternelle : la formation des maîtres dans les Écoles normales, Études de lin-
guistique appliquée, 32.
MARCHAND, F. (1989), Français langue maternelle et français langue étrangère :
facteurs de différenciation et proximités, R. Galisson & E. Roulet (éds), « Vers
une didactique du français ? », Langue française, 82.
MARQUILLÓ LARRUY, M. (éd.) (2001), Questions d’épistémologie en didactique
du français, DFLM, Université de Poitiers.
MAS, M. (1994), Recherches sur l’évaluation des écrits des élèves, Thèse de Doc-
torat, Université Stendhal, Grenoble III, tome 1.
MOIRAND, S. (1988), Une Histoire de discours… Une analyse des discours de la
revue « Le français dans le monde » 1961-1981, Paris, Hachette.
PUREN, C. (1988), Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues,
Paris, Nathan, CLE International.
REUTER, Y. (1996), Enseigner et apprendre à écrire, Paris, coll. Pédagogique,
ESF éditeur.
REUTER, Y. (2001), Éléments de réflexion à propos de l’élaboration conceptuelle
en didactique du français, dans M. Marquilló Larruy (éd.) (2001), Questions
d’épistémologie en didactique du français, DFLM, Université de Poitiers.
ROMIAN, H. (1979), Pour une pédagogie scientifique du français, Paris, PUF.
RÜCK, H. (1980), Linguistique textuelle et enseignement du français, coll. LAL,
Paris, Credif-Hatier.
SCHNEUWLY, B. (éd.) (1990), Diversifier l’enseignement du français écrit, Actes
du IVe Colloque international de didactique du français langue maternelle,
Neuchâtel, Delachaux et Niestlé.
VIGNER, G. (1979), Lire : du texte au sens, Paris, CLE International.
Quelques repères, perspectives et propositions ■ 31

Annexe
1 Linguistique appliquée à l’enseignement des langues
(Galisson R., 1972, repris en 1990)
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
Première génération Deuxième génération

… générale … générale
linguistique linguistique
connaissances française, connaissances française,
… …
théoriques anglaise, etc. théoriques anglaise, etc.

… MATIÈRE : linguistique … MATIÈRE linguistique


quoi linguistique appliquée pragmatique
enseigner sélective
linguistique actuelle
appliquée + contrastive
… MANIÈRE : sciences
comment de besoins
enseigner l’éducation pratiques

méthodologie … MANIÈRE sciences


de l’enseigne- pédagogie de
ment des psychologie l’éducation
langues sociologie
technologie

* Au cours des années 1970, une première évolution se dessine (de la première à la seconde génération de la linguistique appliquée)
caractérisée par l’apparition de la notion de « méthodologie de l’enseignement des langues » qui, selon Galisson, a désormais
compétence pour répondre à la question du « Comment enseigner ».

2 Didactique des langues (Dabène M., 1972)


SCIENCES DE
LINGUISTIQUE PSYCHOLOGIE SOCIOLOGIE
L’ÉDUCATION

DIDACTIQUE
Contenus DES LANGUES

Méthodologie
Méthode
Pédagogie
Procédés
Objectifs Techniques

CLASSE DE LANGUE
* Contemporain du précédent, ce modèle élargit le champ des disciplines de référence sans toutefois hiérarchiser leurs apports.
32 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

3 Didactique des langues étrangères


(Galisson R., Études de linguistique appliquée, n° 27, 1977)
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
Méthodologie de l’enseignement Linguistique appliquée à l’enseignement
des langues étrangères des langues étrangères

S P T S I P T P K D I E P G L S S E
O S H C D O E R I O C T H R E É T T
C Y É I É L C A N C O C O A X M Y C
I C O E O I H G É I N N M I A L
O H R N L T N M S M O É M C N I
L O I C O I O A I O L T A O T S
O L E E G Q L T Q L O I I L I T
G O S I U O I U O G Q R O Q I
I G A E E G Q E G I U E G U Q
E I P D I U I E E I E U
E P E E E P E E E
R R
E L’ É O
N É D X
T D U É
I U C M
S C A I
S A T Q
A T I U
G I V E
E O E
N

– identification des besoins notionnels des publics


concernés
– conversion des besoins notionnels en formes inventaire des formes
linguistiques linguistiques répondant
– adaptation des besoins notionnels et des formes aux besoins notionnels
linguistiques
• au profil du public, aux objectifs, aux moyens
disponibles
• en vue de la production d’outils pédagogiques
circonstanciés

* Selon les termes de l’auteur, cette « vue panoramique » de la didactique des langues étrangères affine le modèle de 1972 en « subdivisant
la matière (ou contenu) d’enseignement-apprentissage en substance du contenu (besoins notionnels) et en forme de contenu (formes
linguistiques) » (R. Galisson, 1977 repris en 1990). La substance du contenu est du ressort de la méthodologie tandis que la linguistique
sélectionne les formes linguistiques correspondantes.
Quelques repères, perspectives et propositions ■ 33

4 Recherche-Action (Romian H., 1979)


Recherche-innovation Recherche-description Recherche-validation

Essais expérimentaux des Description systématique des Mise en évidence des diffé-
Objectifs au plan
de la recherche

pratiques pédagogiques pratiques en vue d’établir une rences significatives entre les
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
répondant aux hypothèses caractérisation des démar- performances verbales des
du Plan de rénovation, et ches d’ensemble possibles, enfants selon la pédagogie
affinement de ces hypo- au-delà de la diversité appa- pratiquée, à mlieu scolaire
thèses, voire remise en rente des pratiques analogue
question
L’action pédagogique dans L’observation des situations L’observation de situations
les classes expérimentales vécues dans des classes expérimentales permettant le
Champ

diverses recueil de données compa-


rables dans des classes
caractéristiques au plan
pédagogique

– Mise à l’épreuve pratique Établissement de grilles Création de dispositifs expé-


des hypothèses théoriques d’observation des comporte- rimentaux (situations, épreu-
Méthodologie

– Évaluation théorique des ments habituels des maîtres ves, questionnaires, etc.)
pratiques pédagogiques et des élèves (notamment
des productions orales et
écrites des élèves, issues de
la vie des classes)

– Dynamiser la pratique pé- – Dynamiser la théorie péda- Évaluer le « rendement »


dagogique gogique effectif des pratiques péda-
Objectifs au plan
de la rénovation

– « Nourrir » la créativité des – Fournir des outils de travail gogiques en fonction des
enseignants en formation pour la formation des maî- objectifs définis
initiale et continue tres au niveau de :
• l’élucidation des pratiques
• la caractérisation des
pratiques
* À la même époque dans le champ de la langue maternelle, les préoccupations sont autres ; Romian (1979) s’attache à construire la
notion de recherche-action en distinguant ce qui relève de l’innovation, de la description et de la validation. On sent ici la prégnance du
terrain scolaire et des enseignants participant aux recherches de l’INRP.

5 Un modèle du champ de la didactique du français


(Reuter Y., dans Brassart & Reuter, 1992)

Théories
Théories Théories
de référence de
de référence didactiques
l’enseignement
du français du français
apprentissage

Sujets, institutions,
Contenus Pratiques
dispositifs
disciplinaires de didactique
d’enseignement
du français du français
apprentissage

* Selon l’auteur, ce modèle comprend « deux niveaux distincts : celui des pratiques et celui des théories. Il distingue trois espaces : celui
des contenus disciplinaires et de leurs théories de référence qui appartient en propre aux enseignants de français, celui des dispositifs
d’enseignement-apprentissage… qui appartient à tous les enseignants… et celui des pratiques didactiques du français… qui se constitue
à l’intersection de ces deux espaces et qui, par les sélections et interactions qu’il opère, réorganise les contours des deux autres ».
L’auteur précise que les « flèches établissant les relations peuvent être posées entre tous les pôles » (Y. Reuter).
34 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

6 Un modèle cognitif de la didactique du français


(Brassart D.G., dans Brassart & Reuter, 1992)
Phase de planification-préparation hors de la classe
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
MÉMOIRE À LONG TERME PLANIFICATION DÉCISION RÉVISION
DU MAÎTRE Génération Mise en mot Évaluation
Organisation Mise en activité Modification
Connaissances/représentations
– de la matière CONTRÔLE
– des programmes, curricula
– des apprenants
– des contraintes organisationnelles
Paramètres méta-dida : TRACES
Théories scientifiques domaines disciplinaires ÉCRITES
et personnelles curriculum
Expériences antérieures, apprenants, TRACES
plans mémorisés, routines… temps matériel MATÉRIELLES
Support d’activités

* Il s’agit ici de ce que l’auteur nomme la phase « pré-active de préparation conçue comme la résolution d’un problème mal défini » se
fondant sur « une représentation mentale de l’activité et sur une série de traces observables ». Le modèle comporte en outre une
normalisation de la phase interactive (non représentée ici) qui est le « moment de la mise en œuvre de l’action planifiée mais aussi de
l’improvisation… » (voir D.G. Brassart, 1992).

7 La constellation didactique (Dabène M., 1993a)


S

DI RE
N

SC CH
ES IO

C
IP ER
AL AT

LI C

C O
CI NT

NE H
SO SE

O N
S E

OBJETS D’ENSEIGNEMENT
É

DE

N T
PR

T APPRENTISSAGE E
RE

E (Langue, discours, texte) X


X T
T E
E
É
S D
O U
T

APPRENANTS ENSEIGNANTS
EN
NE S

C C
PR NG

G E
LA

M
EI IÈR

I A
AT AG

NS AT
IQ IÈR

A T
UE E

L I
S S

F
E
D’

* Ce modèle montre l’insuffisance, aux yeux de l’auteur, de la notion de triangle didactique et de la nécessité de son inclusion dans le
contexte social et le contexte éducatif prenant en compte non seulement les disciplines de recherche et les matières d’enseignement,
mais aussi les représentations et les pratiques sociales de la langue, des textes et des discours.
2
Quelle place
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
pour la didactique
de la littérature ?

Georges LEGROS

A ■ Professeur de lettres
ou enseignant de français ?

Volontairement provocante dans l’ensemble où elle est ici posée1, la question


n’a d’autre ambition que d’inviter à analyser certaines implications du constat
dressé naguère par Yves Reuter : « Par rapport à d’autres secteurs de la
didactique du français, la didactique de la littérature me paraît indéniable-
ment en retard2. » Plus précisément, elle vise à interroger la part que peut
prendre, dans les raisons institutionnelles et théoriques de ce retard, l’inscrip-
tion même de la problématique littéraire dans le cadre actuel de la DFLM et à
contribuer ainsi à une reprise critique de la réflexion sur les objets et les
objectifs de l’enseignement de la littérature, de façon à ordonner les moyens
à des fins plus explicites et davantage porteuses de sens pour les acteurs.

1. Rappelons qu’il s’agissait, au départ, de journées d’étude organisées par l’Association internationale pour le développe-
ment de la recherche en didactique du français langue maternelle, en septembre 1994. Depuis lors, bien entendu, de
l’eau a coulé sous le pont Mirabeau et sous les autres ! Comme cette republication ne pouvait accueillir que des ajuste-
ments mineurs, je me suis contenté de signaler ici ou là, par une note brève, quelques-uns des changements importants
survenus. Si la réflexion apparaît ainsi datée, rien, à mes yeux, n’a vraiment remis en cause ses principaux arguments ni
sa conclusion : la didactique de la littérature me semble toujours à l’étroit sous l’étiquette englobante de « didactique du
français », où l’ambiguïté du dernier terme tend à réduire la complexité de la discipline scolaire en l’alignant d’abord sur
son volet linguistique (comme l’indiquent d’ailleurs les appellations consacrées pour subdiviser le domaine : « français
langue maternelle [ou langue première] », « français langue seconde », « français langue étrangère », qui, certes, sont
aujourd’hui remises en question, mais généralement pour d’autres raisons) ; elle devrait, au moins, s’enrichir aussi de
rapports avec des didactiques comme celle de l’histoire ou celle des autres arts.
2. Y. Reuter, « Quelques notes à propos de la didactique de la littérature », dans DFLM, La Lettre de l’association, n° 10,
1992, pp. 9-11.
36 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

Dans la longue histoire scolaire, l’enseignement de la littérature et celui de la


langue maternelle ont toujours eu partie liée, étant généralement dispensés,
dans des proportions diverses, par les mêmes professeurs, voire partielle-
ment fondés sur les mêmes textes – non sans quelques malentendus ou con-
flits, toutefois. Le modèle traditionnel faisait de celui-ci un préalable au
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
service de celui-là, appelé à le dépasser, voire à le contredire par la valorisa-
tion des contenus et des « styles » personnels au-delà de la « simple » norme
linguistique ; hiérarchie des objets, mais aussi des élèves et des enseignants,
qui s’est longtemps exprimée dans la distinction entre les « classes de
grammaire », ouvertes à tous, et les « classes de lettres », réservées aux res-
capés d’une sélection sévère3. De ce point de vue, les changements pro-
fonds qui ont, un peu partout, affecté l’enseignement secondaire depuis une
bonne trentaine d’années doivent aussi se lire, toute autre question mise à
part, comme un renversement des rapports de force au sein de la corpora-
tion. Association française des Enseignants de Français, Association québé-
coise des Professeurs de Français, Société belge des Professeurs de
Français… : toutes les associations professionnelles affichent la même éti-
quette, souvent devenue militante, avec parfois l’ambition proclamée de
généraliser « de la maternelle à l’université » une identité disciplinaire définie
par son seul volet linguistique.

Que le conflit ne soit pas que de mots et qu’il puisse encore être vif en dehors
des milieux consensuels, on s’en convaincrait aisément, si c’était nécessaire,
par deux brèves citations, parmi beaucoup d’autres possibles. Ainsi, dans un
« Libre propos » sur une réforme des épreuves orales du CAPES, en France,
Jean-Pascal Simon, relevant que certains textes officiels parlent des « rela-
tions que l’enseignement des lettres entretient avec les autres disciplines »,
s’indigne aussitôt : « L’utilisation du vocable lettres témoigne, une fois de
plus, d’un décalage entre le concours, l’esprit dans lequel il est mis en œuvre
et la réalité enseignante : il n’y a rien de fâcheux à être un enseignant de
français !4 » À quoi pourrait répondre l’envolée inverse d’Alain Finkielkraut,
alerté par un énième discours sur la baisse de niveau : « Il faut rendre à la lit-
térature sa place centrale dans l’enseignement même du français, pour que
nous restions le pays de la conversation et non une province de la communi-
cation planétaire5. »

Sur le mode anecdotique, la première de ces deux réactions contradictoires


rappelle que la DFLM, largement issue des mouvements de réforme de
l’enseignement du français évoqués, n’occupe, dans le conflit, une position
ni neutre ni œcuménique. Au contraire, obligée de conquérir son domaine
propre contre un modèle dominant dont la clef de voûte était un certain
enseignement de la littérature, elle a plutôt cherché appui sur d’autres disci-

3. Sur ces rapports entre la valeur attribuée à la littérature et les effets du dispositif institutionnel scolaire, on se rappellera la
réflexion critique ouverte par R. Balibar, Les Français fictifs. Le rapport des styles littéraires au français national, Paris,
Hachette-Littérature, 1974.
4. J.-P. Simon, « Le CAPES : quoi de neuf ? », dans DFLM, La Lettre de l’Association, n° 13, 1993, p. 32.
5. A. Finkielkraut, « Oui, soyons exigeants », dans Le Nouvel Observateur, n° 1546, 23-29 juin 1994, p. 11.
Quelle place pour la didactique de la littérature ? ■ 37

plines (comme la linguistique ou la psychopédagogie) plus ouvertes au chan-


gement et plus immédiatement liées aux nouvelles urgences suscitées par la
démocratisation des publics scolaires. Évoquant l’ouverture, en janvier 1969,
du « Centre universitaire expérimental » de Vincennes, Jean Verrier note
qu’« au département de littérature française, seuls quelques enseignants
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
s’intéressent à la didactique. Il se trouve que ce sont les “linguistes” » ; et il
ajoute qu’en 1977, la « didactique de la littérature ne se fait plus par les uni-
versitaires mais par des “enseignants-chercheurs”, travaillant en équipes
(issues de l’AFEF, de Pratiques, du lycée de Sèvres), informées des recher-
ches en linguistique, poétique et sciences humaines, et qui essaient de théo-
riser leurs pratiques »6.

Ce sont donc, en bonne partie, les circonstances historiques de l’émergence


progressive de la didactique du français qui expliquent la relative faiblesse,
en son sein, des préoccupations littéraires (toujours minoritaires dans ses
principales « vitrines », que ce soient les colloques internationaux de l’Asso-
ciation de DFLM ou le « Que sais-je ? » de Jean-François Halté7), alors que
les recherches proprement littéraires continuent, en général, d’ignorer le défi
didactique, comme si rien n’avait changé de ce côté. Semblable divorce ins-
titutionnel n’est pas sans exposer la didactique de la littérature à se conce-
voir et à s’élaborer dans une reconnaissance insuffisante des limites et des
spécificités de son objet.

Car – et c’est une première différence fondamentale – l’objet de l’enseigne-


ment de la littérature me paraît beaucoup plus problématique que celui de
l’enseignement de la langue maternelle, non seulement dans son étendue,
mais encore, plus radicalement, dans sa nature.

B ■ Savoirs ou savoir-faire ?

On se rappelle les principales critiques – pédagogiques, scientifiques, socio-


politiques – adressées au modèle traditionnel. Essentiellement transmissif, il
ordonnait chronologiquement des connaissances souvent « gratuites », sans
veiller suffisamment à leur appropriation et à leur intégration dans des prati-
ques réelles, liées aux intérêts et aux besoins des élèves dans le monde

6. J. Verrier, « De l’enseignement de la littérature à l’enseignement de la lecture », p.160 ; dans D. Coste (éd.), Vingt ans
dans l’évolution de la didactique des langues (1968-1988), Paris, Crédif-Hatier, coll. « LAL », 1994, pp. 159-174.
7. J.-F. Halté, La didactique du français, Paris, PUF, « Que sais-je ? », n° 2656, 1992. Depuis lors, la situation a sensible-
ment évolué : l’ouvrage de C. Simard, Éléments de didactique du français langue première, Montréal – Bruxelles, Édi-
tions du Renouveau Pédagogique – De Boeck, 1997, envisage systématiquement les deux composantes du « couple
langue-littérature » ; il arrive que l’Association DFLM organise des journées d’étude consacrées à la seule littérature ; il
s’est même créé un groupe informel de didacticiens de la littérature, qui se réunissent chaque année autour de problè-
mes communs. Au point que le nouveau « Que sais-je ? » parle de « retour du littéraire » (J.-M. Rosier, La Didactique du
français, Paris, PUF, 2002, p. 53). Tout malaise n’est cependant pas dissipé : signe sans doute révélateur, le groupe de
didacticiens de la littérature s’est, jusqu’à présent, maintenu en dehors de l’Association DFLM.
38 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

actuel (les « compétences » visées aujourd’hui) ; d’où le risque de lectures


seulement anthologiques, voire d’un certain psittacisme. Ses conceptions de
la périodisation, du sens du texte et de son explication étaient battues en
brèche par le développement des sciences humaines. Sa hiérarchie des
valeurs, enfin et surtout, reproduisait de façon convenue un consensus cultu-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
rel dépassé, peut-être adapté aux « héritiers » d’hier mais qui excluait les
nouveaux élèves de l’école de masse, en ignorant ou en niant leurs propres
représentations et pratiques culturelles.

On sait aussi comment, dans bien des cas, on a tenté de répondre à cette
critique multiple. D’une façon sans doute plus psychologique que politique,
en cherchant d’abord à susciter l’envie de lire chez les élèves et, dans cette
perspective, en choisissant par priorité des œuvres à leur portée, voire à leur
goût. D’une façon technique, en adoptant des « méthodes », le plus souvent
inspirées de la sémiotique ou de la psychanalyse, censées mieux assurer (ou,
au contraire, « libérer ») la recherche du (ou de) sens, sans d’ailleurs toujours
chercher à vérifier la pertinence de ces méthodes par rapport aux visées
« éducatives » généralement maintenues : comme pour l’influence de la lin-
guistique sur l’enseignement de la langue, une certaine « scientificité » a
d’abord semblé se suffire à elle-même8. Jean Verrier parle à ce propos du
« rêve d’une “science” de la littérature et note que, par un effet pervers, fré-
quent en pédagogie, ce nouveau savoir à prétention scientifique alimente les
pédagogies les plus normatives » (op. cit., p. 162).

Au sein de certains groupes de recherche pédagogique, Jean Verrier distin-


gue ensuite une « troisième vague », sans doute encore assez rare dans les
classes sous la forme exploratoire qu’il lui donne, mais significative pour
notre propos : celle où la confrontation des réceptions réelles, et diverses,
des textes par les élèves prend le pas sur l’analyse de leur fonctionnement.
« Enseigner la littérature n’est plus tant alors transmettre un savoir sur les
textes (vie des auteurs, écoles littéraires, citations…) qu’entraîner à la maî-
trise des effets de sens d’un texte sur un individu appartenant à une culture
donnée. Comme dans d’autres pédagogies, l’“apprenant” est ici placé au
centre de la démarche. […] D’un point de vue civique, sinon politique, l’enjeu
est de taille, et d’une brûlante actualité. […] Enseigner la lecture, de l’école
primaire à l’université, serait donc apprendre à lire, la plume à la main, et
d’abord les textes littéraires parce que c’est eux qui font qu’une langue est
vivante » (ibid., p. 163).

Primum legere : fondamentale, en effet, la consigne n’est pas vraiment nou-


velle, et elle fait facilement l’unanimité. Sous de tout autres formes, certes,
Gustave Lanson notait déjà : « L’étude littéraire se fera par les textes. L’his-
toire littéraire, chose d’enseignement supérieur, est, dans l’enseignement

8. Sur de tels changements « superficiels » de méthodes, qui paraissent n’entamer ni les objectifs visés ni les courants de
pensée dont se réclament les enseignants de littérature, voir notamment S. Bogaerts, B. Dispa & G. Legros, « Profils de
profs : une enquête au secondaire supérieur », dans Enjeux, n° 16, déc. 1988, pp. 27-64.
Quelle place pour la didactique de la littérature ? ■ 39

secondaire, un fléau. […] Jusque-là le maître s’occupera de faire déchiffrer le


plus de textes qu’il pourra9. » Et l’un de ses adversaires les plus déterminés,
en son temps, Servais Étienne, définissait ainsi son programme de formation
au premier cycle universitaire : « Bref, pendant les deux premières années de
leurs études, de dix-sept à dix-neuf ans, les élèves sont priés d’apprendre à
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
lire10. »

C ■ Littérature ou (types de) textes ?

La vraie nouveauté est bien plutôt – avec celle du sens unique, cautionné par
l’autorité du maître ou de la méthode – la fin du « corpus » imposé, au profit
de l’infinité des textes et des lecteurs. Jean Verrier lui-même intitule d’ailleurs
son article De l’enseignement de la littérature à l’enseignement de la lecture
et souligne au passage que « Le numéro 7 de la revue Littérature qu’édite
chez Larousse le département de littérature française de Paris VIII s’intitule :
“Le discours de l’École sur les textes” (1972), et le numéro 19, en 1975 :
“Enseigner le français” (pas la littérature) » (op. cit., p. 160). Sur un autre ter-
rain, Monique Lebrun note que « Dans les programmes du secondaire [au
Québec], le mot “littérature” est occulté au profit de celui de “discours”11. » Et
l’on pourrait en dire autant des programmes belges en vigueur jusqu’il y a
peu, dont l’un déclarait notamment : « Loin de vouloir obtenir une « culture »
littéraire uniforme, savant dosage d’époques et de genres différents, le pro-
fesseur s’attachera plutôt à, stimuler une lecture critique de tous les textes
(ou messages) qui assaillent les étudiants12 ; et l’autre, comme en écho : Ce
que l’on vise, […] ce n’est pas l’acquisition d’un bagage littéraire exhaustif
[…], c’est le développement des aptitudes à lire toutes les espèces de textes,
c’est l’installation d’un savoir-être que caractérisent, principalement : la famil-

9. G. Lanson, « Contre la rhétorique et les mauvaises humanités », dans L’Université et la société moderne, Paris, A. Colin,
1902, repris dans Essais de méthode, de critique et d’histoire littéraire, rassemblés et présentés par H. Peyre, Paris,
Hachette, 1965, p. 59.
10. S. Étienne, Expériences d’analyse textuelle en vue de l’explication littéraire, Liège, Bibliothèque de la Faculté de Philoso-
phie et Lettres, et Paris, Droz, 1935, p. 2.
11. M. Lebrun, « Problématique de l’institutionnalisation d’une littérature nationale à l’école : le cas du corpus québécois »,
dans Enjeux, n° 32, juin 1994, pp. 33-40.
12. Secrétariat national de l’Enseignement catholique, Enseignement secondaire de type I. Français. Troisième degré, sec-
tion de transition, Bruxelles, LICAP, 1980, p. 22. Pour donner toute la mesure du déplacement, ajoutons que le même
programme précisait ailleurs que « le concept de texte a reçu, dans la pensée contemporaine, une extension maximale.
Sont considérés comme textes aujourd’hui, non seulement les énoncés de langage formant un ensemble clos (qu’il
s’agisse de discours oraux ou de discours écrits), mais aussi toutes les autres manifestations humaines qui, en quelque
sens que ce soit, nous “disent quelque chose” : on pourra parler du texte pictural (pour un tableau), du texte d’une ville,
du texte constitué par un ensemble de gestes corporels » (p. 7). Pour une vue comparative des programmes de l’époque
en Belgique, en France et au Québec, voir Enjeux, n° 43-44, « Littérature : les programmes francophones », mars
1999.
40 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

iarité avec les livres, ou, plus largement, les textes ; l’intérêt ou le goût pour
leur contenu ; l’esprit d’accueil et l’esprit critique13. »

Bref, plus l’objectif est le savoir-lire, plus il s’instrumentalise, plus, en somme,


il s’inscrit dans une perspective de didactique du français, et plus la littéra-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
ture, comme ensemble organisé et significatif, tend à s’effacer, devant des
textes littéraires d’abord (mais dont on se garde bien, le plus souvent, d’inter-
roger la « littérarité »), devant des textes non autrement définis ensuite. Dans
une telle perspective – où « Il s’agit moins de l’enseignement de la littérature
que d’un usage de la littérature pour l’enseignement du français », comme le
marque bien Jean Peytard14 –, ce qui devient difficile, en effet, voire impossi-
ble, c’est d’établir la spécificité de « la “littérature” comme sous-ensemble du
domaine “scriptural” » et, bien plus encore, sa nécessité dans la formation
des jeunes. « Lieu privilégié, entre tous, […] moment d’excellence, pour
connaître le mouvement de la langue française », propose Jean Peytard (op.
cit., p. 31), peu avant Jean Verrier ; ou encore : « ensemble essentiel à
l’apprentissage et à l’approfondissement de la langue française. […] “labora-
toire langagier”, où plus qu’en tout autre “discours”, les différents niveaux […]
se trouvent en posture de dévoilement, s’aperçoivent dans leur fonctionne-
ment, jusqu’au détail le plus inattendu (ibid., p. 9)15 ». Mais c’est oublier que
de telles définitions « techniques », qui voient d’abord dans la littérature des
types et des structures de texte, des fonctionnements et des innovations lin-
guistiques16, souffrent de deux défauts majeurs. D’une part, elles ne sont nul-

13. Ministère de l’Éducation, de la Recherche et de la Formation, Enseignement secondaire. Troisième degré de transition.
Français, Bruxelles, Direction générale de l’Organisation des Études, mai 1993, p. 6, sous la rubrique « Lecture ». On
doit cependant à la vérité d’ajouter que le même programme comporte, par ailleurs, une rubrique « Approches de la vie
littéraire et artistique », où l’objectif est, pour « mieux comprendre le XXe siècle et ses productions, d’organiser de
manière réflexive notre patrimoine littéraire et culturel, notamment en se rendant capable de reconnaître les grands mou-
vements européens de la pensée, […] les grands courants artistiques et culturels européens » et d’établir entre eux des
relations (p. 18). Depuis lors, cette tendance a été sensiblement renforcée par un décret qui a fixé, pour tous les établis-
sements, les Compétences et savoirs requis en français à l’issue des humanités générales et technologiques (Ministère de
la Communauté française, Administration générale de l’Enseignement et de la Recherche scientifique, Bruxelles, 1999).
Parmi les acquis à certifier, figure une certaine connaissance (« expliquer les ruptures fondamentales…, reconnaître diffé-
rents traits majeurs… ») de dix « grands courants littéraires et artistiques d’hier et d’aujourd’hui », cités dans l’ordre chro-
nologique (l’humanisme, le baroque, le classicisme…). Pareille contrainte légale a évidemment entraîné la refonte des
programmes, qui, selon les réseaux, invitent davantage à une réflexion critique sur le concept même de littérature ou à
un ordonnancement historique des œuvres et des manières d’écrire.
14. J. Peytard, Les Cahiers du CRELEF, n° 36, « Souvent textes varient », Besançon, 1993-2, p. 31.
15. Même image du littéraire comme simple degré supérieur de la performance langagière dans le programme de français
du troisième degré du réseau catholique belge pour les années 1980, qui se couvre notamment de l’autorité de la revue
de l’AFEF : « Dans la masse des textes, le texte littéraire possède un statut particulier du fait qu’il exploite au maximum les
possibilités de création et de renouvellement de la langue : “Le texte littéraire demeure pour nous essentiel parce que son
fonctionnement pousse à leurs extrémités les possibilités ludiques, symboliques, imaginaires, etc., du langage” (1977 :
“Aujourd’hui le français”, supplément au n° 39 de Le français aujourd’hui, p. 39). C’est pourquoi nous le prendrons
comme référence dans les réflexions qui vont suivre. (Mais ce que nous en dirons vaudra, à des degrés divers, pour tout
type de texte) » (op. cit., pp. 7-8).
16. Au fond, dans leur invocation de « l’excellence », diffèrent-elles autant qu’on veut bien le dire de plus anciennes auxquel-
les on les oppose volontiers (par exemple, la littérature comme « norme du “bon français” », voire « comme ornementa-
tion ou comme objet de plaisir », pour continuer à citer Jean Peytard, ibid.) ? Ne risquent-elles pas, au contraire,
d’exposer rapidement leur objet aux mêmes reproches de luxe, sinon superflu, du moins secondaire par rapport à des
attentes fonctionnelles plus immédiates, trop souvent encore insuffisamment rencontrées ?
Quelle place pour la didactique de la littérature ? ■ 41

lement propres à la littérature elle-même : les débats autour de la célèbre


« fonction poétique » de Roman Jakobson, par exemple, ont montré depuis
bien des années que les discours publicitaires ou politiques, notamment,
peuvent comporter autant de jeux subtils d’équivalences que les plus beaux
poèmes ; et la chronique des faits divers est, tout autant qu’un conte ou
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
qu’un roman, passible d’une analyse narratologique. D’autre part, elles
demeurent muettes sur la question, centrale dans la problématique littéraire,
des valeurs ; plus particulièrement, elles ne permettent en rien de discriminer
un pastiche ou une vulgaire copie de l’original qui a marqué son temps ou
frayé des voies nouvelles pour l’avenir.

Or, c’est un trait spécifique des objets littéraires que le point de la chaîne his-
torique où ils s’inscrivent, tant à la réception qu’à la production, soit une par-
tie constitutive de leur valeur et de leur sens même : il y a longtemps que
Roger Fayolle a montré comment Baudelaire s’est trouvé progressivement
« canonisé » par l’école à la suite d’une période de violences politiques et
culturelles qui ont dû, par contraste, le faire passer pour une sorte de
« classique » plus sage qu’on ne l’avait d’abord cru17 ; par contre, aujourd’hui
où on le lit et on le cite tant dans les classes, quel sens y aurait-il à écrire
encore à la Baudelaire ? D’où la difficulté bien connue de lire d’emblée ses
contemporains, et, du même coup, le soupçon qu’à trop s’en tenir aux inté-
rêts spontanés des élèves, on ne les aide pas nécessairement à mieux com-
prendre la littérature d’aujourd’hui que celle d’avant-hier.

D ■ Refonder l’objet :
extension, spécificité, nécessité

À en croire les souvenirs de jeunes étudiants, c’est pourtant en ce sens que


la contestation de l’histoire littéraire traditionnelle et de son corpus imposé de
« chefs-d’œuvre » aurait conduit bon nombre de pratiques scolaires. Deux
enquêtes parmi des étudiants belges de diverses orientations, mais princi-
palement de Lettres, ont naguère dessiné de curieux portraits des lectures en
classes terminales du secondaire18.

Deux traits principaux y frappent. D’abord, l’extrême réduction des référents


culturels communs : cinq poètes seulement auraient été étudiés en détail par

17. R. Fayolle, « La poésie dans l’enseignement de la littérature : le cas Baudelaire », dans Littérature, n° 7, oct. 1972, pp.
48-72. Dans un tout autre registre, J.L. Borges a démontré pourquoi Pierre Ménard, en récrivant mot à mot, dans l’entre-
deux-guerres, le Don Quichotte, avait nécessairement produit une œuvre toute différente de celle de Cervantes (« Pierre
Ménard, auteur du Quichotte », dans Fictions, Paris, Gallimard, 1983, « Folio » n° 614, pp. 41-52).
18. G. Legros, M. Monballin & M. van der Brempt, « Le cercle des poètes rebattus. Résultats d’une enquête auprès d’élèves
sortants », dans Enjeux, n° 24, « Enseigner la poésie ? », déc. 1991, pp. 5-23 ; M. Monballin & G. Legros, « Œuvres
romanesques et théâtrales en fin de secondaire : un singulier pluriel », ibid., n° 32, « Corpus et lectures littéraires », juin
1994, pp. 7-21.
42 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

plus de la moitié des élèves consultés (par ordre décroissant, Baudelaire, Ver-
haeren, Hugo, Vigny et Lamartine) et un seul roman aurait été lu dans la
même proportion (L’Étranger d’Albert Camus). Ensuite, la disparate des
images selon les genres : alors que la poésie y est d’abord représentée par
les grands « mages » du romantisme et leurs successeurs immédiats, avec
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
une forte concentration sur quelques noms, la prose romanesque et théâtrale
s’y manifeste à 80 % par des titres du XXe siècle, et, cette fois, dans une
spectaculaire dispersion (47 % des mentions d’œuvres sont des hapax et
l’auteur le plus cité, Camus, n’atteint pas les 10 % du total des occur-
rences)19.

Cette double tendance, quelles que soient les réserves et les nuances que
l’imperfection des instruments oblige à y apporter, montre à quel point
l’école, dans la liste infinie des œuvres, se taille un corpus sur mesure. En
fonction, sans doute, d’un critère de lisibilité immédiate : dès lors que l’objec-
tif premier est de faire lire et d’en développer le goût, la logique de la con-
sommation l’emporte sur celle du savoir et impose ses limitations.
L’ensemble, complexe sinon confus, des tentatives multiformes qui compo-
sent l’aventure littéraire est alors renvoyé au statut d’objet virtuel de connais-
sance, que l’élève, le cas échéant, explorera plus tard, au hasard des
rencontres et des inclinations personnelles ; en attendant, règne l’accessible,
donc, nécessairement, le plus familier.

Si la priorité ainsi accordée aux lecteurs, à leurs capacités et à leurs intérêts


réels ou présumés, évoque un « discours de bibliothécaires », elle n’est
toutefois pas incompatible avec le maintien d’un « discours d’école »20 bien
traditionnel, dont on aurait tort de sous-estimer la force constante. Un autre
critère, en effet, semble bien présider à la sélection : celui de la glosabilité,
qui renvoie directement à la question des finalités. Pour être retenue, une
œuvre doit pouvoir être lue par les élèves, mais aussi commentée par le pro-
fesseur dans la perspective qu’il a adoptée. Or celle-ci est bien plus souvent
celle de l’accès immédiat aux grandes « questions morales ou humaines »
posées par le texte que celle de la pertinence et des limites de différentes
méthodes de lecture et d’analyse (malgré les consignes de certains pro-
grammes), ou encore que celle de l’évolution des modes d’écriture (ou de
réception) et de leurs enjeux respectifs21. Visée éducative, en somme,
« humaniste » si l’on veut, que l’on pourrait aisément faire remonter, elle
aussi, au moins à Lanson22, mais qui demeure sans doute dominante

19. Dispersion, y compris géographique et culturelle, qui peut cependant s’accommoder de certaines limitations
significatives ; ainsi, par exemple, les incursions dans le « Nouveau Roman » semblent bien rares : vous aviez dit
« culture contemporaine » ?
20. Pour reprendre les catégories qui structurent une grande partie de l’étude d’A.-M. Chartier & J. Hébrard, Discours sur la
lecture, 1880-1980, Paris, BPI, Centre Georges Pompidou, 1989.
21. Voir notamment S. Bogaerts, B. Dispa & G. Legros, « Profils de profs », op. cit., p.32.
22. Voir, entre autres, la formule de M. Charles : « […] pour Lanson, l’enseignement littéraire a une fonction aussi essentielle
que provisoire. […] Fonction transitoire, pour être précis : en un mot, les lettres assurent un relais entre la religion et les
sciences » (L’Arbre et la Source, Paris, Seuil, 1985, p. 268).
Quelle place pour la didactique de la littérature ? ■ 43

aujourd’hui23. De ce point de vue, en effet, le double portrait évoqué il y a un


instant, de disparate devient singulièrement cohérent : au-delà du décalage
chronologique apparent, n’est-ce pas une contestation identique de la trans-
parence du langage, une interrogation semblable de la littérature sur elle-
même, bref, le même abandon d’un certain « réalisme » qui font négliger lar-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
gement le roman post-camusien autant que la poésie post-baudelairienne ?

Pareille exploitation directement « idéologique » des œuvres souffre, elle


aussi, de deux défauts majeurs. Le premier, on vient de l’apercevoir, est
qu’elle rend aveugle sur des pans entiers, voire sur des périodes entières de
la production24. Le second, plus radical bien que généralement inaperçu, est
qu’au fond, pas plus que l’approche « technique » envisagée d’abord, elle
n’exige vraiment le recours au littéraire comme tel : des discours sur l’homme
qui permettent de soulever de grandes questions existentielles, on en trouve
à suffisance dans les ouvrages de philosophie ou de psychologie, dans les
essais moraux, dans les récits de vie et les témoignages de toute sorte, et
jusque dans les éditoriaux des quotidiens. Et l’on sait quelle place tiennent
désormais, dans certaines lectures scolaires, des genres ou des œuvres
naguère réputés mineurs ou non littéraires, voire de simples articles de
presse25.

Dès lors, qu’est-ce qui justifie, dans de telles pratiques, l’utilisation d’œuvres
littéraires (qui ne sont pas encore nécessairement « la littérature »), fût-ce au
prix d’un certain malentendu constant ? La force d’une tradition et un pres-
tige ininterrogé ? Le goût des professeurs, partagé par beaucoup d’élèves,
notamment pour l’expression sentimentale et la fiction ?… Mais l’exemple de
pays proches suffirait à montrer la fragilité de traditions non fonctionnelles26 ;
et quant aux goûts personnels, s’ils peuvent constituer un puissant moteur

23. Comme l’indique un autre sondage, quelque dix ans plus tard : K. Canvat, G. Legros, M. Monballin & I. Streel,
« L’enseignement de la littérature au secondaire supérieur belge. Une enquête auprès des professeurs », dans G. Legros,
M.-C. Pollet & J.-M. Rosier (éds), D.F.L.M : quels savoirs pour quelles valeurs ? Paris, Association internationale pour le
développement de la recherche en didactique du français langue maternelle, 1999, pp. 215-218.
24. C’est ainsi que certains sont incapables de voir autre chose qu’une décadence dans les œuvres proprement contempo-
raines. « Ce que je refuse d’accepter, c’est que la littérature cesse d’être un discours sur l’homme », s’indignait, voici
trente ans, A. Léonard (La Crise du concept de littérature en France au XXe siècle, Paris, Corti, 1974, p. 15). J.-M.
Domenach disait-il autre chose, vingt ans plus tard (Le Crépuscule de la culture française, Paris, Plon, 1995) ? Et J.-P.
Sartre, à sa manière, n’avait-il pas déjà donné l’exemple par des formules péremptoires comme : « on a écrit pendant
soixante-dix ans pour consommer le monde ; on écrit après 1918 pour consommer la littérature ; on dilapide les tradi-
tions littéraires, on gaspille les mots, on les jette les uns contre les autres pour les faire éclater ; ou L’extrême pointe de
cette littérature brillante et mortelle, c’est le néant. Sa pointe extrême et son essence profonde ; ou encore La littérature
moderne, en beaucoup de cas, est un cancer des mots » (Qu’est-ce que la littérature ?, Paris, Gallimard, 1948, coll.
« Idées », pp. 162, 165 et 341) ?
25. Les témoins de l’enquête de S. Bogaerts, B. Dispa & G. Legros, notamment, déclarent analyser plus volontiers un article
de presse que les œuvres proposées de Molière, Butor ou Kundera (« Profils de profs », Op. cit., p. 31).
26. Au Danemark, l’école considérerait l’enseignement de la littérature davantage comme un moyen mis au service de la
capacité à communiquer que comme une fin culturelle ; aux Pays-Bas, elle l’aurait pratiquement abandonné (A. Benoît,
« Dans l’Europe des Douze », dans les Cahiers pédagogiques, n° 313, avr. 1993, pp. 16-17).
44 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

pour l’apprentissage, ils n’en demeurent pas moins un fondement bien aléa-
toire pour une didactique27.

« Tout projet social d’enseignement et d’apprentissage se constitue dialec-


tiquement avec l’identification et la désignation de contenus de savoirs
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
comme contenus à enseigner », note Yves Chevallard, qui ajoute : « Les con-
tenus de savoirs désignés comme étant à enseigner […], en général préexis-
tent au mouvement qui les marque comme tels »28. Comment la didactique
de la littérature ne serait-elle pas en retard, dans l’incertitude et la confusion
où elle se trouve, depuis le rejet de l’histoire littéraire traditionnelle, sur son
objet et ses contenus de savoirs ? Et comment pourrait-elle espérer progres-
ser si l’on continue à dissoudre ceux-ci dans l’infinité inorganisée des occa-
sions, des problèmes humains, des goûts et des intérêts personnels, voire
dans la virtualité du « laboratoire langagier » ?

E ■ Rendre sens au singulier défini

On peut, certes, utiliser les œuvres littéraires comme « prétextes » : pour


découvrir la richesse des possibilités de la langue, par exemple, ou pour
débattre de quelques grandes questions psychologiques et morales, en sai-
sissant, le cas échéant, cette occasion pour faire éprouver la relativité per-
sonnelle et culturelle de la réception et des interprétations29. Mais, si l’on veut
élaborer une véritable didactique de « la littérature », c’est d’abord à ce sin-
gulier défini qu’il faut rendre sens.

Yves Reuter a bien montré, à plusieurs reprises, que le relativisme nécessaire


en la matière pour éviter le piège d’une définition essentielle de la littérature,
n’empêche pas toute élaboration de savoirs objectifs30. Si la littérature est
« une construction historique », ses variations, du moins, sont significatives.
Éducative, engagée et militante, « scientifique » ou onirique, exploration de la
réalité matérielle et sociale, de la spiritualité indicible ou de ses propres pos-
sibilités et limites, elle n’a, selon les époques et les milieux, ni même statut, ni
même visée, ni même fonctionnement. Les changements de ses modes de
réception comme de ses modes d’écriture portent ainsi témoignage de
l’aventure de l’homme aux prises avec le monde et avec le langage par lequel
il essaie de le (et de se) représenter, de lui (et de se) donner sens. C’est l’intel-

27. De ce point de vue, le succès considérable de l’ouvrage de D. Pennac, Comme un roman (Paris, Gallimard, 1992) est
lourd d’ambiguïtés : tout entier tourné vers une « réconciliation avec la lecture » (p. 51), il indique – et avec quelle cha-
leur communicative ! – comment séduire, entraîner, par mimétisme et non par contrainte, mais il ne résout aucun des pro-
blèmes de contenus d’enseignement.
28. Y. Chevallard, La Transposition didactique, Du savoir savant au savoir enseigné, Grenoble, La Pensée Sauvage, 2e éd.,
1991, p. 39.
29. Peut-être même faut-il commencer par là : je ne dispute pas ici de ce qui est faisable à tel ou tel degré scolaire, dans tel-
les ou telles conditions.
30. Voir notamment Y. Reuter, « Enseigner la littérature ? », dans Recherches, n° 16, Lille, AFEF, 1992-1, pp. 55-70.
Quelle place pour la didactique de la littérature ? ■ 45

ligence de cette aventure, dont nous sommes le produit et qui conditionne


profondément notre perception actuelle du monde et de nous-mêmes, notre
capacité de nous déchiffrer en même temps que de nous inventer31, qui me
paraît être l’enjeu profond d’un enseignement de la littérature. C’est dire que
celui-ci ne peut se concevoir dans le simple émiettement des textes
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
innombrables : pour faire sens, il lui faut tracer des voies convergentes ou
contrastées, marquer des étapes successives, des conflits et des
découvertes…

Dans une telle perspective, Christian Vandendorpe n’hésite pas à proposer, à


contre-courant de la doxa du moment, la lecture obligée d’une sélection
d’œuvres « classiques », redéfinies comme celles qui ont « ouvert un nou-
veau champ d’exploration à la littérature, et parfois même radicalement mod-
ifié l’horizon d’attente à l’égard de l’œuvre littéraire », celles « dont la lecture
constitue le plus court chemin pour amener l’élève à se donner un prototype
d’un genre donné, parce que des centaines d’autres œuvres n’ont fait
qu’exploiter le champ ouvert par elle[s] ou en préparer la venue32 ». À un tel
palmarès d’œuvres individuelles, on peut, pour éviter l’effet toujours discut-
able de panthéon, préférer l’abord par de grandes catégories de l’écriture
comme, par exemple, la représentation du personnage ou le jeu de la voix
narrative, dans le roman, la syntaxe et l’isotopie sémantique, en poésie33 ; tel
semble être le choix, entre autres, de Jean-Marie Schaeffer et de Michael
Werner, qui plaident, en citant Gérard Genette, pour une étude à la fois struc-
turale et historique et qui devrait être transtextuelle34. Mais ce n’est pas ici le
lieu de discuter des moyens dans leur détail concret.

Pour conclure par où j’ai commencé, et dans le même esprit, je dirai que, si
elle veut sortir de son état de matrice disciplinaire insuffisante, la didactique
de la littérature doit commencer par identifier et structurer ses savoirs
constitutifs ; qu’elle doit donner à ceux-ci une dimension historique, « car la
littérature est construite dans une histoire et ne saurait donc s’enseigner en la
refoulant35 » ; enfin, qu’elle doit les ordonner au corpus réel d’œuvres et de
pratiques et non aux virtualités de la langue, sous peine de se retrouver, à
terme, privée de justification profonde36. Ce faisant, elle devra affronter des

31. Autant de « grandes questions humaines » qui, ma foi, en valent bien d’autres.
32. C. Vandendorpe, « L’enseignement de la littérature aujourd’hui », DFLM, La Lettre de l’association, n° 10, 1992, p. 4.
33. Ou, bien entendu, celui par les « grands courants littéraires et artistiques », qu’a choisi la Communauté française de Bel-
gique dans son décret de 1999 (voir ci-dessus, note 13). Notons au passage que ce décret ajoutait ensuite, à titre de
« balise » indicative, un certain nombre de « grandes références littéraires et artistiques » ; comme on pouvait s’y atten-
dre, c’est cette liste d’auteurs et d’œuvres qui a soulevé le plus de critiques.
34. « Pourquoi l’histoire littéraire n’a-t-elle jamais réussi en France à se constituer en discipline scientifique autonome ? »,
dans Le Monde du 18 mars 1993 (propos recueillis par M. Contat). Voir aussi Y. Reuter, « Enseigner la littérature ? »,
Op. cit., p. 68.
35. Y. Reuter, « Enseigner la littérature ? », op. cit., p. 68.
36. On aura compris qu’à mes yeux, le décret de 1999 répond assez largement à cette perspective. Reste à voir si sa mise
en œuvre (notamment par les programmes et par la formation continuée) saura convaincre les enseignants qu’il peut
aussi répondre à leurs objectifs humanistes ; faute de quoi, il risque fort de rencontrer la même résistance que la vague
formaliste issue du structuralisme.
46 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

problèmes (liés à l’interprétation et à l’évaluation de ses objets, à leur inscrip-


tion dans l’histoire, à leur mise en rapport avec d’autres champs : politique,
philosophique, artistique…) différents de ceux de l’enseignement-apprentis-
sage d’une langue. Sans vouloir nier, bien entendu, l’intérêt, la nécessité
d’échanges nombreux, le texte littéraire demeurant légitimement un support
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
d’apprentissages variés en français, il me semble donc que la didactique de
la littérature a tout à gagner à s’affranchir du cadre et des modèles de la
seule DFLM pour repenser à nouveaux frais ce qui fait la spécificité de son
objet et de ses finalités.
3
De l’utilité
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
de la « transposition
didactique »

Bernard SCHNEUWLY

A ■ L’étonnant investissement affectif d’un concept

Quand A. Chervel écrit que le terrain de la réflexion pédagogique « est large-


ment occupé […] par cette transposition didactique qui est devenue dans
bien des endroits la ligne de pensée quasi officielle » (1992, p. 195), ou quand
P. Perrenoud affirme que « les didacticiens, pour avoir droit à l’existence et
imposer leur point de vue à des psychologues, psychosociologues ou péda-
gogues […] ont été obligés d’introduire dans leur discours une forte clôture,
[… qu’il y a] guerre de territoires […] affrontement sur la construction des
objets et des frontières » (1992, p. 349), le lecteur sent un léger frisson le par-
courir. Rares sont les concepts qui peuvent se targuer d’un tel investissement
affectif ; rares aussi ceux qui connaissent une telle « success story » (Y.
Lenoir, 1994). L’histoire nous permettra sans doute un jour de comprendre les
raisons de cet engouement. Je vais beaucoup plus modestement essayer de
réfléchir sur ce concept et son utilisation dans les didactiques disciplinaires,
et plus particulièrement en didactique du français langue maternelle (DFLM).
Le rapport entre cette didactique et les autres – l’un des aspects de la
réflexion sur l’état de la discipline – est donc abordé pour ainsi dire en acte à
travers le travail sur un concept. Le fait que certains problèmes ne peuvent
être pensés qu’à travers le concept de transposition m’amène à conclure
qu’il est indispensable, aussi et surtout en DFLM.
48 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

B ■ Petit (mal-)traité du concept

Inutile de parcourir encore une fois la si courte histoire du concept de trans-


position didactique, introduit d’abord par M. Verret dans sa thèse de 1974
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
pour comprendre le temps des leçons dans une enquête sociologique sur le
temps des études ; repris, développé et précisé dans le sens du passage des
savoirs savants aux savoirs enseignés par Y. Chevallard dès 1980, illustré par
un travail empirique sur la notion de distance par S. Johsua et Y. Chevallard
en 1982 ; rendu accessible enfin à un plus grand public en 1985 dans un livre
qui, depuis, a fait date dans les annales des didactiques. Dans ce qui suit, je
ferai ressortir quelques aspects du concept qui me paraissent particuliè-
rement importants pour le débat en DFLM et entre didactiques (pour d’autres
présentations plus détaillées voir entre autres J.-P. Astolfi et M. Develay,
1989 ; G. Arsac, 1992 ; et surtout l’excellente présentation de S. Johsua et
J.-J. Dupin, 1993).

Partons de la définition suivante : « Le passage du savoir vu comme un outil


à mettre en usage au savoir vu comme quelque chose à enseigner et à
apprendre est précisément ce que j’ai nommé transposition didactique. » (Y.
Chevallard, p. 6 ; voir aussi F. Conne, 1992a, pour une définition analogue).
Pourquoi cette insistance sur les savoirs ? Une thèse fondamentale liée au
concept de transposition est que ne sont enseignables que des savoirs (ce
qui ne veut pas dire que les élèves n’apprennent que des savoirs : c’est une
autre question sur laquelle nous reviendrons). Pour enseigner, il faut savoir ce
qu’on enseigne ; il faut prendre « savoir » ici dans ses deux sens de savoir à
l’avance (il y a un projet d’enseignement, une intention) et savoir dans le sens
de connaître consciemment, avoir une conscience réfléchie de ce qui est à
enseigner. Sans le savoir, il n’y a pas enseignement, mais initiation ou imita-
tion au niveau purement pratique.

Le savoir, ingrédient essentiel de l’enseignement, existe d’abord comme


savoir utile dans les situations avant d’être transposé dans la situation
d’enseignement et devenir savoir enseigné, c’est-à-dire un autre savoir.
Autrement dit : les savoirs n’existent pas en premier lieu pour être enseignés,
mais pour être utilisés dans des situations diverses. En situation, évidem-
ment, on sait en général ce qu’il faut savoir, sinon on ne saurait agir ; un
savoir se justifie par sa pertinence pour l’action dans une situation. Tout autre
est la situation dans l’enseignement. Le savoir est savoir à enseigner, savoir à
savoir, savoir enseigné au lieu d’être savoir à utiliser. La question de la perti-
nence par rapport à la situation ne peut donc pas se poser ; mais se pose
celle, essentielle, de la légitimité : quel savoir enseigner et pourquoi parmi les
nombreux possibles ? Il faut une reconnaissance sociale, une légitimité pour
le savoir à enseigner. Cette légitimité lui est conférée, du moins pour l’essen-
tiel et dans nos sociétés, par des savoirs dits savants, c’est-à-dire « le savoir
utilisé à la fois pour produire un nouveau savoir et pour structurer le savoir
De l’utilité de la « transposition didactique » ■ 49

nouvellement produit dans un ensemble théorique cohérent » (p. 9). C’est un


savoir, pour le dire avec S. Johsua (1994), qui, à un moment historique
donné, est déclaré savant par la société à travers l’attribution de caractéristi-
ques visibles, notamment académiques, à l’institution qui les génère. « Et ces
institutions ont alors vocation à porter “la culture” en ce domaine » (p. 4).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
La transposition didactique du savoir a des effets importants, maintes fois
décrits, d’abord en mathématiques, puis également en biologie, géographie,
physique et plus récemment en langue maternelle (B. Veck, J.-M. Fournier, R.
Lancrey-Javal et M. Robert,1989 ; J.-F. Halté, 1992). De manière générale, on
peut mentionner deux effets nécessaires qui découlent du principe même de
transposition :
– le corps des savoirs qui fonctionne comme un tout en tant que savoir utile
est fragmenté en éléments lors de la transposition, notamment pour des
raisons de séquentialisation des contenus pour l’enseignement et de pro-
gression pour le fonctionnement du système scolaire ;
– les situations d’usage ne peuvent être transposées telles quelles, ne peu-
vent être reproduites fidèlement en classe ; elles se transforment
nécessairement, prennent une autre signification dans le contexte
scolaire ; et cela affecte bien entendu les savoirs enseignés qui ont
nécessairement une tout autre fonction que dans le cadre habituel ; il est
donc nécessaire de construire, éventuellement en imitant les aspects ori-
ginaux, un contexte nouveau pour les savoirs enseignés.

Le processus de transposition est inconscient, non contrôlable, multidéter-


miné. Si, subjectivement, chaque agent – et ils sont nombreux, agissant à
des niveaux très divers, comprenant militants pédagogiques et inspecteurs,
spécialistes intéressés et parents, autorités politiques et administratives et
méthodologues – prend probablement des décisions rationnelles d’adéqua-
tion des contenus par rapport aux finalités scolaires, objectivement le nom-
bre même de niveaux de décisions et surtout l’intégration de chaque savoir
dans un tout solidaire d’une discipline déjà constituée, et plus généralement
des disciplines et du cadre scolaire, font que la signification que prendront
les savoirs dans l’institution échappe largement aux acteurs. Loin de consti-
tuer la simple vulgarisation d’un savoir de départ, loin aussi d’être le produit
appauvri d’un savoir savant ou utile toujours inatteignable, le savoir enseigné
doit être considéré comme une création hautement originale, collective, sou-
vent séculaire de l’institution scolaire en fonction de sa mission première qui
est celle d’enseigner, de transmettre des savoirs et des savoir-faire pour pré-
parer des sujets adaptés à la société. Le juger à l’aune des savoirs savants
ou utiles nous renseigne sans doute sur certains mécanismes à l’œuvre dans
l’élaboration des savoirs, mais ne nous apprend rien sur la logique interne,
didactique, de l’apprêt qui repose en grande partie aussi sur la solidarisation
des contenus et exige donc d’adopter un autre point de vue, celui de l’écolo-
gie des savoirs à enseigner.
50 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

Comme il se doit, le concept de transposition didactique a été rapidement


soumis à une discussion approfondie à partir de plusieurs didactiques. Si
l’intérêt, voire la nécessité du concept ont été reconnus par de nombreux
auteurs, d’autres, notamment dans le champ de la DFLM, sont arrivés à la
conclusion qu’il s’agit d’un concept peu opérant, voire dangereux, nuisant à
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
la bonne compréhension des processus en jeu, tandis que d’autres encore
proposent une transformation, allant très souvent vers un élargissement du
concept pour le rendre plus conforme aux besoins d’une didactique1.

C ■ Les savoir-faire ou les pratiques sociales


de référence : toujours des savoirs

La critique sans doute la plus répandue du concept de transposition didacti-


que tel qu’il a été introduit et discuté par Y. Chevallard s’attaque à ce qui est
annoncé dans le sous-titre de l’ouvrage de référence : Du savoir savant au
savoir enseigné. Comment peut-on parler de savoirs savants comme réfé-
rence, dit-on couramment, pour des disciplines comme le français qui visent
essentiellement des savoir-faire ou comme certains enseignements de physi-
que liés à la formation professionnelle qui visent surtout la création de certai-
nes habiletés techniques complexes ? Comment peut-on a fortiori en parler
dans des disciplines comme l’enseignement de la musique (ou du chant), ou
encore du dessin ? Le concept de transposition ne perd-il pas toute perti-
nence dans un tel contexte de recherche, la discipline s’établissant – telle du
moins est la thèse de A. Chervel (1988) – presque indépendamment de toute
référence, en toute autonomie, en fonction de finalités définies pour l’école
mais dont cette dernière décide seule, librement, les voies d’accès ? L’argu-
mentation peut également prendre une tournure un peu différente, tout en
étant sur le fond la même, notamment dans le contexte de la DFLM. R. Bou-
chard par exemple affirme qu’« il ne s’agit pas en effet de faire de l’élève un
spécialiste des sciences du langage [est-ce le cas pour les mathématiques ?
B.S.], mais de lui faire développer des savoir-faire langagiers largement indé-

1. Il est une attitude normative par rapport au concept de transposition didactique, notamment dans des approches qu’on
peut grossièrement qualifier de « pédagogiques », qui fait qu’il est discuté non pas comme une construction théorique
dont on évaluerait la cohérence, la pertinence, la force d’explication des phénomènes observés, mais comme un outil
ou même une arme dans le combat pédagogique. On ne le traite pas, dès lors, en termes d’accord ou de désaccord
sur fond d’arguments empiriques ou théoriques, mais en termes d’effets bénéfiques ou maléfiques, de mérites ou de limi-
tes qu’aurait le concept. Y. Lenoir, par exemple (p. 24), affirme que la transposition didactique implique la
« revendication » qu’« il appartiendrait aux spécialistes des disciplines et aux didacticiens ce que doit être un cursus de
formation ». P. Perrenoud (1992) dresse une liste des apports « maléfiques » de la transposition didactique et aboutit tout
naturellement à la conclusion que la « notion même de transposition est inadéquate » (p. 353). Parmi ces apports malé-
fiques, il note qu’il y a un risque, notamment dans la formation des maîtres, « de ne retenir qu’une seule question : com-
ment maîtriser la transposition didactique ? » Le concept est ainsi récusé à cause du mauvais usage qu’on pourrait en
faire. Ailleurs, P. Perrenoud pense qu’« on peut soupçonner cette approche de conforter les hiérarchies en place, le
savoir savant valant mieux que les autres » (p. 351), comme s’il n’y avait pas autour de cette question du statut des
savoirs une argumentation complexe qu’on peut certes contester, mais qui n’a rien d’un jugement de valeur, qui dirait
que certains savoirs en soi valent mieux que d’autres.
De l’utilité de la « transposition didactique » ■ 51

pendants des savoirs métalangagiers que nous cherchons à construire dans


nos disciplines scientifiques » (1992, p. 33) et D.-G. Brassart va encore plus
loin en disant que « si apprendre les mathématiques ou les sciences naturel-
les c’est s’approprier, peu ou prou, le savoir du mathématicien ou du biolo-
giste, apprendre sa langue maternelle ne peut consister à s’approprier le
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
savoir du linguiste ou du psychosociolinguiste, qui ne sont pas, en l’occur-
rence des experts “ordinaires” » (1992, p. 19).

Il est utile et nécessaire d’introduire quelques distinctions essentielles, la plus


importante étant la suivante : tout enseignement vise en dernière instance
toujours des savoir-faire, ou plus précisément vise à transformer la capacité
d’agir dans des situations grâce à des savoirs utiles. L’enseignement
mathématique ne vise pas à produire des mathématiciens, pas plus que
l’enseignement du français des écrivains ou des grammairiens. Le savoir
mathématique, tout comme le savoir rhétorique ou grammatical, permettent
de résoudre plus efficacement des problèmes liés à des pratiques particuliè-
res, mais présupposent en même temps et rendent possible des manières
différentes d’aborder des problèmes, changent le mode de pensée. Tout
enseignement vise précisément ces changements nécessaires et tente à
construire chez l’élève certaines manières de penser, de parler ou d’écrire, de
se comporter dans certains contextes, autrement dit des normes de compor-
tement, des « formes idéales » (L. S. Vygotsky) et constitue profondément
dans ce sens une initiation à la culture d’une société, ou comme le dit Y.
Chevallard : « Nous sommes d’abord des êtres sociaux, et, pour cela, des
“scolêtres” » (1991, p. 220). J’oserai donc la thèse que tout enseignement se
réfère toujours à des pratiques sociales, pour utiliser la terminologie de J.-L.
Martinand, à savoir « des activités objectives de transformation d’un donné
naturel ou humain (“pratique”) [… qui] concernent l’ensemble d’un secteur
social, et non des rôles individuels (“social”) » (1986, p. 137).

Le hic – c’est l’essence même du concept de transposition didactique à mon


sens, telle qu’elle apparaît déjà en partie dans la conception de M. Verret –
est que ces savoir-faire, ou plutôt ces manières d’être, de penser et de faire,
pour devenir objet d’enseignement, passent nécessairement par une étape
qu’on pourrait appeler de modélisation. Ce n’est jamais la pratique en tant
que telle de l’écriture, du dessin, du chant ou du calcul qui devient objet
d’enseignement, mais le savoir de l’écriture, du dessin, du chant ou du cal-
cul. Pour être enseigné, un objet doit être su, sinon nécessairement dans le
sens de savoir chanter au moins dans le sens de savoir ce qu’est chanter ;
sinon dans le sens de savoir écrire au moins dans le sens de savoir ce qu’est
écrire. Le paradoxe suprême de l’enseignement est qu’il est parfaitement
concevable qu’on puisse enseigner ce qu’on ne sait pas (faire), mais dont on
sait ce que c’est (au moins scolairement). Ce qui ne présage en rien, bien
entendu, de la qualité de l’enseignement, tant il est vrai que le meilleur ensei-
gnant n’est pas nécessairement le meilleur savant, ni le meilleur écrivain ou
chanteur.
52 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

Illustrons le savoir comme condition de « l’enseignabilité » encore d’un autre


point de vue. Certaines pratiques sont concevables avec peu (pas) de savoir ;
mais il s’agit là de cas limites puisque toute pratique génère presque automa-
tiquement un savoir y correspondant, même s’il n’est pas nécessairement
public, ni publiable au sens d’être apte à être transmis indépendamment de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
cette pratique. Gieseeke (1991) montre que des formes langagières nouvelles
doivent être créées pour rendre par exemple les techniques artisanales
moyenâgeuses publiques et publiables – au sens strict des livres publiés –,
formes développées grâce et à cause de l’imprimerie et qui rendent les tech-
niques enseignables en dehors de la pratique même de la technique.

Restons quelques instants encore sur ces savoirs liés à leur pratique d’ori-
gine et essayons d’en recenser les formes à travers les distinctions introdui-
tes par plusieurs auteurs qui s’y réfèrent pour penser les contenus
d’enseignement. S. Trevisi (1994) propose de parler de « savoir théorique éla-
boré dans des lieux institutionnels de la recherche scientifique et savoir de
sens commun élaboré dans le cadre des pratiques sociales de référence »
(p. 1). F. Conne (1992 a et b) propose une distinction simple entre savoirs
pragmatiques comprenant notamment les savoirs réfléchis où l’on considère
la manière d’obtenir les produits obtenus à travers le savoir-faire, et les
savoirs savants dont la finalité est l’organisation et le développement du
savoir lui-même. S. Johsua (1994) parle de savoirs savants caractérisés par
leur légitimité sociale à dire ce qui est savoir reconnu, incontestable, du
moins temporairement, et savoirs d’experts, c’est-à-dire savoirs de ceux qui
savent faire et savent ce qu’est ce qu’ils font et qui tirent leur légitimité de ces
savoirs qui leur sont reconnus en tant que personnes – savoirs par définition
fragiles puisque liés à leur personne, toujours susceptibles d’être remis en
question. Inutile de lancer ici une polémique sur la nature du savoir savant et
son rapport aux institutions scientifiques. La définition lapidaire de Cheval-
lard, pour qui les savoirs savants sont ceux qui servent à produire de nou-
veaux savoirs, me paraît suffisamment opérationnelle et impliquer, dans notre
société, une pratique de type scientifique, en général dans un cadre institu-
tionnel précis. Les autres distinctions méritent plus de commentaires. Je
défends la thèse que les savoirs communs – si l’on entend par là les savoirs
du commun, de l’homme commun, nécessaires à sa pratique – ne sont pas
transposables, scolarisables parce que faisant partie des savoirs empiriques
dont M. Verret (1974) dit que « leur syncrétisme les voue précisément à
l’acquisition globale et personnelle, par les voies intuitives de la familiarité
mimétique, sans qu’on sache jamais précisément quand on apprend, ni ce
qu’on apprend exactement. Sait-on même quand on apprend à parler, à
écouter, à s’habiller, à plaisanter ? » (p. 147) Je traiterai de la même manière
le savoir pragmatique dont parle F. Conne. Le critère de scolarisabilité serait
en quelque sorte la publicité du savoir, son caractère explicite, son caractère
discutable, peut-être même son caractère écrit. Ne peut devenir savoir à
enseigner et enseigné – objet d’une intention didactique (et je limiterais le
sens de didactique à l’institution scolaire, elle-même liée à l’institution étati-
De l’utilité de la « transposition didactique » ■ 53

que, issue de la nécessité de créer une administration basée sur le calcul et


l’écriture) dans un système didactique où, par définition, la transmission du
savoir se fait indépendamment du lieu de l’utilisation du savoir et du lieu de
production du savoir – que du savoir public écrit, objet de transactions socia-
les qui constituent le processus de transposition, incluant les savoirs
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
d’experts en plus des savoirs savants. Cela ne signifie pas que ne sont appris
que des savoirs – les notions de proto- et paramathématiques de Y. Cheval-
lard montrent qu’il y a du déjà-là et de l’apprentissage incident nécessaire à
l’appropriation de savoirs et de savoir-faire, qui ne font pas objet de l’ensei-
gnement – ni que, dans la relation didactique, ne se réalisent pas d’autres
formes de transmission culturelle (imitation, imprégnation, etc.) pour d’autres
contenus, pratiques ou attitudes. Ces dernières sont cependant à considérer
comme incidentes par rapport aux enjeux fondamentaux.

D ■ Disciplines de référence et transposition


descendante et ascendante :
la DFLM comme prototype

Il est possible maintenant d’aborder un autre ensemble de critiques portées


au concept de transposition didactique et émanant souvent des didacticiens
en FLM. Le concept de transposition didactique n’aurait pas de pertinence
dans leur champ parce que les savoirs savants sont trop disparates, trop fai-
blement reconnus comme faisant foi (ou loi) scientifique. L’enseignement du
français serait donc dans la situation désespérée de devoir choisir au hasard
ses références parmi un grand ensemble de théories possibles. Ou pour le
dire avec les termes de Y. Reuter (D.-G. Brassart et Y. Reuter, 1992) : « Il
s’agit d’une discipline aux contours flous et historiquement mouvants (lan-
gue, texte, discours, littérature, image…), d’une discipline aux multiples réfé-
rents théoriques (en terme de “sciences” ou découpages de savoir :
littérature – française et comparée –, langues anciennes, linguistique, infor-
mation et communication, etc.). De ce point de vue, la discipline “français”
n’est pas le transfert dans le champ scolaire d’une configuration scientifique
précise et sa relative autonomie perturbe les schémas sécurisants de la
transposition didactique. Cela d’autant plus qu’il n’existe aucun consensus
sur les contenus, qu’à l’intérieur des multiples champs théoriques de réfé-
rence différentes théories s’opposent, et que le statut de certaines théories
est très largement débattu [il donne l’exemple des théories de la littérature
B.S.] » (p. 14). Ailleurs, par un saisissant raccourci, Y. Reuter affirme que « le
pôle des pratiques n’est pas réduit à transposer-appliquer ; parmi d’autres
fonctions, il innove, il évalue la pertinence des constructions théoriques et en
signale certaines limites, il met au jour des manques dans les théories de
référence » (p. 15).
54 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

Plusieurs remarques s’imposent. Le concept de transposition didactique,


donc la théorisation du passage de savoirs culturels – considérés comme
légitimes en tant qu’utiles – aux savoirs enseignés, pose de manière centrale
la question de la légitimité de ces derniers. Si ce problème se pose peut-être
de manière moins aiguë dans des disciplines ayant comme référence des
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
sciences avec un objet relativement bien délimité et un corps de concepts
communément accepté – garantissant donc de ce point de vue la légitimité –,
il n’en reste pas moins que les choix possibles parmi les savoirs potentielle-
ment légitimes y sont quand même nombreux, largement imprédictibles et en
cela il n’y a qu’une question de degré dans la différence avec la DFLM ; et
surtout, ces savoirs sont soumis à des processus de transformation, dans le
processus de transposition, qui sont largement les mêmes, quelles que
soient les disciplines.

La différence essentielle entre les disciplines réside donc dans la légitimité


des savoirs transposés, problème que le concept de transposition permet
justement de penser, prouvant ainsi encore une fois sa productivité, son côté
« désécurisant ». La discipline « français » constitue à cet égard un cas proto-
typique en ce qu’elle tire partiellement sa légitimité des systèmes qu’elle a
largement contribué à produire, propager et solidifier, des systèmes aussi
bien de type « savoirs savants » que « savoirs d’experts ». L’orthographe
pourrait être traitée de cette manière-là, mais aussi la grammaire avec ses
rapports très complexes avec la linguistique (voir à ce propos par exemple
les travaux de L. Melis et P. Swiggers, 1992, sur F. Brunot ou de R. Amacker,
1992 sur Ch. Bally2), la lecture (voir les débats sur son enseignement
fortement dépendant des conceptions savantes – philosophiques et théolo-
giques –, enrichies et transformées par les conceptions pédagogiques créant
un véritable objet transposé : la lecture scolaire que l’élève doit savoir ; J.
Hébrard et A.-M. Chartier, 1989), ou encore l’expression écrite (pour utiliser le
terme actuel qui remplace celui de rédaction ou de composition). Dans cette
discipline du français, on voit aujourd’hui une forte poussée traditionnelle-
ment en œuvre comme jamais auparavant : des savoirs savants divers (rhé-
torique, psychologique, linguistique) et des savoirs d’experts (typographes,
écrivains, scripteurs professionnels) se rencontrent et se transforment au
contact des savoirs enseignés traditionnels (genres scolaires, conceptions
représentationnelles de l’écriture ; centralité de la créativité issue des années
1930) pour former peu à peu un nouveau savoir enseigné tout en créant en
même temps en retour des besoins, et dans certains cas même des champs
de recherche nouveaux qui, comme par irradiation, ont des effets importants
dans les disciplines de référence. C’est précisément parce que sa légitimité

2. Sans approfondir l’idée, R. Amacker (1992) postule un lien entre didactique et linguistique aussi pour Saussure, quand
il dit : « … il y a eu à Genève, entre la chaire de linguistique et le Séminaire de français moderne, de nombreux con-
tacts, à commencer bien sûr par le fait que Saussure lui-même, de 1899 à 1908, a donné des cours au Séminaire,
notamment sur la phonologie du français moderne. À part lui toutefois, il ne fait pas de doute que personne n’incarne
mieux que Charles Bally le lien qui a uni dans notre ville, dès la fin du siècle dernier et pour plusieurs décennies, la
didactique du français et la linguistique » (p. 579).
De l’utilité de la « transposition didactique » ■ 55

n’est que partiellement externe que la discipline « français » est fragile,


soumise aux crises perpétuelles. Ce que le regard de la transposition didac-
tique devrait permettre de mieux voir et comprendre est précisément cet
enchevêtrement de mouvements transpositionnels ascendants et descen-
dants, de divers systèmes de savoirs qui forment finalement le savoir
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
enseigné. J.-L. Chiss, dans un article programmatique déjà ancien, l’avait
déjà décrit très précisément : « Reste que la didactique d’une discipline ne
peut construire son rapport à ses “champs de référence” dans le modèle de
la dépendance ou de l’autonomie relative, ne serait-ce que parce qu’il faut
tenir compte des effets structurants du pédagogique et du social sur le
développement scientifique » (1985, p. 10)3.

E ■ Je transpose bien, tu transposes mal


ou la transposition se fait derrière notre dos

Revenons au problème de la transformation du sens du savoir lié à sa trans-


position d’une pratique sociale de référence (pour reprendre la terminologie
bien utile de J.-L. Martinand) à une pratique d’enseignement. Cette transfor-
mation est abordée de deux manières.

La première dénonce les effets de la transposition didactique. Le change-


ment de sens des savoirs est abordé sous l’aspect de la réification, de la
naturalisation, voire de la dogmatisation, vocabulaire critique, qui, bien sûr, a
sa pertinence s’il s’agit de rendre attentif au décalage irréductible entre les
savoirs enseignés et les savoirs de référence et d’éviter de prendre les pre-
miers pour les seconds, mais qui, bien trop souvent, prend la forme d’une
dénonciation facile du scolaire, avec en creux la revendication, par définition
irréalisable – un lieu de critique confortable parce que toujours dans le vrai –,
de s’approcher le plus possible du savoir de référence toujours inatteignable.
« La didactique est un ectoplasme épistémologique qui déforme, en les sim-
plifiant, les savoirs purs qu’elle emprunte, les rendant méconnaissables », dit
en plaisantant D. Bailly (1987, p. 40). La dimension « distance par rapport aux
contenus de départ » est mise au centre et interprétée comme un processus
de dégradation constante des savoirs, cette dégradation étant jugée
négativement : « Ce processus de déhistorisation systématique, de
décontextualisation du savoir, entraîne une dénaturation profonde de la
connaissance » (C. Daudel, 1990, p. 177). Le langage trahit ici une pensée :
l’école pervertirait la vraie nature des connaissances. Faut-il donc chercher le

3. Le concept de « contre-transposition », proposé par Y. Chevallard et discuté pour la discipline « français » dans la post-
face de l’édition 1991 de La Transposition didactique, paraît inadéquat pour comprendre les rapports complexes qui
lient la didactique du français et ses champs théoriques de référence. Ce concept implique une coupure radicale entre
les pratiques scientifiques traditionnelles et actuelles portant sur la langue dont il paraît de plus en plus difficile de faire la
preuve.
56 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

naturel ? P. Clanché (1987) est particulièrement clair à cet égard puisqu’il pro-
pose de combattre la transposition didactique pour justement retrouver la
pureté de l’apprentissage naturel. Il rapproche le concept de celui de
« scolastique », proposé par Freinet, qui désigne un mode d’apprentissage
non vérificationniste, idolâtre du savoir et procédant à des exercices sans
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
signification et qu’il s’agit d’éviter à tout prix. P. Clanché signale par consé-
quent un « risque de transposition didactique » qu’encourent les défenseurs
des nouvelles méthodes d’enseignement de production de texte, parce qu’ils
ne mettraient pas assez l’accent sur « la particularité psychologique des
situations concrètes de production dans la classe » (p. 165).

Une variante plus subtile des approches normatives considère les contraintes
de la transposition didactique comme données, mais pense qu’il est possible
d’en contrôler les effets. A. Tiberghien (in G. Arsac, M. Develay, A. Tiberghien,
1989) en est une bonne illustration. Discutant de l’introduction de l’enseigne-
ment de l’énergie au niveau de la troisième, elle décrit ce processus comme
étant régi d’une part par la prise en compte de finalités, d’autre part par les
possibilités d’apprentissage des élèves de cet âge. Tout se passe comme si
le concepteur de manuels ou de cours décidait rationnellement, en pleine
connaissance de cause, de « proposer un modèle qui n’a pas la même hié-
rarchisation des concepts que le savoir en physique » (p. 53). Dans le con-
texte de la DFLM, H. Romian (1989) défend une approche qui, selon elle,
« procède également d’une intégration critique de la notion de “transposition
didactique” des “savoirs savants” aux “savoirs enseignés” » (p. 245), tout en
récusant le terme parce qu’il « a des connotations qui renvoient au débat sur
la linguistique appliquée qu’il convient aujourd’hui de dépasser ». Le proces-
sus de transposition, appelé traitement didactique, est conceptualisé dans
les termes d’un processus conscient contrôlé (explicitation de notions orga-
nisatrices, cohérence des cadres théoriques pluriréférencés, opérationalisa-
tion des références, etc.). De fait, il s’agit essentiellement de la manière dont
des didacticiens prennent conscience de leur action, du reflet subjectif de
leur intervention dans le processus de transposition, et non pas de ce pro-
cessus en tant que tel. Cela ne veut pas dire, évidemment, que ce reflet soit
faux ou inutile : il guide l’action, lui donne une direction. Mais, pour varier la
belle métaphore de K. Marx, tout comme le processus d’échange pour les
marchands, qui croient le maîtriser – et doivent le croire pour être efficaces –,
le processus de transposition didactique se passe dans le dos des acteurs
sans qu’ils puissent le voir et le contrôler, ou si peu. Ce qui est problématique
dans la conception du traitement didactique n’est donc pas la théorisation de
l’action, mais la croyance de pouvoir ainsi échapper aux effets de transposi-
tion. Ce processus n’est pas rationnel, ce qui ne signifie pas que la rationalité
n’y a pas de part ni qu’il ne soit pas rationnellement reconstructible, ou
compréhensible.
De l’utilité de la « transposition didactique » ■ 57

F ■ L’enseignement comme condition nécessaire


du développement

Il est possible – et sans doute aussi fructueux – de traiter et de considérer le


Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
savoir enseigné, issu du processus de désyncrétisation et séquentialisation,
pour prendre deux des processus sans doute les plus puissants de transpo-
sition, comme la condition sine qua non du développement de certaines
fonctions psychiques supérieures, une hypothèse développée dans le chapi-
tre 6 de Pensée et langage de L. S. Vygotsky (1934/1985). Selon cet auteur,
trois conditions doivent être remplies pour construire à l’école des fonctions
psychiques qui présupposent un rapport conscient et volontaire par rapport
aux processus psychiques propres de l’individu (langage écrit ; algèbre ; con-
cepts scientifiques notamment) :
1. Les nouveaux contenus enseignés se trouvent dans un rapport de géné-
ralité plus grande par rapport aux contenus déjà-là, intégrant ces derniers
dans un nouveau système qui les traite comme cas particuliers.
2. L’entrée dans les systèmes généraux se fait par une voie différente de
celle introduisant aux systèmes particuliers. Très schématiquement, on
peut décrire la seconde comme menant du bas vers le haut, de l’élémen-
taire vers le complexe, du vécu ou de l’empirique vers le systématique, et
la première allant du haut vers le bas, du systématique, du général vers
l’empirique, le vécu. La première voie mène à un fonctionnement dans
des situations où le contrôle volontaire joue un rôle central, où la capacité
de choisir consciemment entre plusieurs possibilités s’impose, tandis que
la deuxième permet d’agir efficacement dans des situations concrètes de
manière spontanée, quasi automatique. Autrement dit : la systématicité
inhérente aux processus d’enseignement n’est pas accessoire, mais
découle de la nature même des processus cognitifs auxquels il faut intro-
duire l’élève.
3. La systématicité des contenus ne peut être appréhendée qu’à travers
l’existence, et éventuellement la construction scolaire, de systèmes relati-
vement cohérents auxquels l’élève est confronté, autrement dit à travers
des « disciplines formelles » dont les configurations et les formes chan-
gent historiquement, mais dont l’existence est la condition pour instaurer
une dialectique entre présent et futur, pour construire, à l’école, la zone de
proche développement (pour approfondissement, cf. B. Schneuwly,
1995). Nous retrouvons ici, cette fois-ci tournée positivement, la nécessité
de la transposition didactique.
58 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

Références bibliographiques
AMACKER, R. (1992), « Le combat de Bally », Cahiers Ferdinand de Saussure, 46,
pp. 37-71.
ARSAC, G. (1992), « L’évolution d’une théorie en didactique : l’exemple de la
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
transposition didactique », Recherches en didactique des mathématiques, 12,
pp. 7-32.
ARSAC, G., DEVELAY, M. & TIBERGHIEN, A. (1989), La Transposition didactique
en mathématiques, en physique et en biologie, Lyon, IREM et LIRDIS.
ASTOLFI, J.-P. & DEVELAY, M. (1989), La Didactique des sciences, coll. « Que
sais-je ? », Paris, PUF.
BAILLY, D. (1987), « À propos de la didactique », Les Sciences de l’éducation
pour l’ère nouvelle, 1-2, pp. 37-51.
BOUCHARD, R. (1992), Pour une didactique descriptive et explicative. Université
Lumière-Lyon 2. Thèse d’habilitation.
BRASSART, D.-G. & REUTER, Y. (1992), « Former des maîtres en français : élé-
ments pour une didactique de la didactique du français ». Études de linguisti-
que appliquée, 87, 11-24.
CHERVEL, A. (1988), « L’histoire des disciplines scolaires. Réflexions sur un
domaine de recherche ». Histoire de l’éducation, 38, pp. 59-119.
CHERVEL, A. (1992), « L’école, un lieu de production d’une culture », dans F.
Audigier & G. Baillat (éds), Analyser et gérer les situations d’enseignement-
apprentissage, pp. 195-198, Paris, INRP.
CHEVALLARD, Y. (1988), À propos de la théorie de la transposition : quelques
notes introductives, manuscrit.
CHEVALLARD, Y. (1991), La Transposition didactique. Du savoir savant au savoir
enseigné, Grenoble, La Pensée sauvage (première édition : 1985).
CHEVALLARD, Y. (1992), « Concepts fondamentaux de la didactique : perspecti-
ves apportées par une approche anthropologique », Recherches en didacti-
ques de mathématiques, 12, pp. 73-122.
CHISS, J.-L. (1985), « Quel statut pour les linguistiques dans la didactique du
français ? » Études de linguistique appliquée, 59, pp. 7-16.
CLANCHÉ, P. (1989), « Méthode naturelle et méthode didactique : peut-on parler
de transposition didactique dans la production de textes ? », dans P. Clanché
& J. Testanière (éds), Actualité de la pédagogie Freinet, Bordeaux, Presses
Universitaires de Bordeaux.
CONNE, F. (1992a), « Savoir et connaissance dans la perspective de la transposi-
tion didactique », Recherche en didactique des mathématiques, 12, pp. 221-
270.
CONNE, F. (1992b), « Un grain de sel à propos de la transposition didactique »,
Éducation et recherche, 14, pp. 57-71.
DAUDET, C. (1990), Les Fondements de la recherche en didactique de la
géographie, Berne, Peter Lang.
HALTÉ, J.-F. (1992), La didactique du français, coll. « Que sais-je ? », Paris, PUF.
HÉBRARD J. & CHARTIER, A.-M. (1989), Discours sur la lecture (1880-1980),
Paris, Centre Georges Pompidou.
JOHSUA, S. (1994), Transposition et contrat : la portée de deux concepts de la
didactique des sciences et des mathématiques, manuscrit.
De l’utilité de la « transposition didactique » ■ 59

JOHSUA, S. & DUPIN, J.-J. (1993), Introduction à la didactique des sciences et


des mathématiques, Paris, PUF.
LENOIR, Y. (1994), Transposition didactique et médiation didactique : Quelle
place accorder à ces deux concepts au niveau de l’intervention éducative ?,
Laboratoire de recherche interdisciplinaire en didactique des disciplines,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
Faculté d’éducation, Université de Sherbrooke.
MARTINAND, J.-L. (1986), Connaître et transformer la matière, Berne, Peter Lang.
MELIS, L. & SWIGGERS, P. (1992), « Ferdinand Brunot contre la sclérose de la
grammaire scolaire », Cahiers Ferdinand de Saussure, 46, pp. 143-158.
PERRENOUD P. (1992), « Formation des maîtres et recherche en éducation :
apports respectifs », dans F. Audigier & G. Baillat (éds), Analyser et gérer les
situations d’enseignement-apprentissage, pp. 339-356, Paris, INRP.
SCHNEUWLY B. (1995), « De l’importance de l’enseignement pour le développe-
ment. Vygotsky et l’école », Psychologie et éducation, 21, pp. 11-35.
ROMIAN, H. (1989), « Éléments pour construire une didactique du français langue
maternelle », dans H. Romian, G. Ducancel, C. Garcla-Debanc, M. Mas, J. Trei-
gnier, M. Yziquel et al. (éds), Didactique du français et recherche action, Paris,
INRP.
TREVISI, S. (1994), La Transposition didactique, papier de travail. Genève, Univer-
sité de Genève.
VECK, B., FOURNIER, J.-M., LANCREY-JAVAL, R. & ROBERT, M. (1989), « Un
concept pour l’analyse didactique des objets d’enseignement en français : la
transposition », Revue française de pédagogie, 89, pp. 47-54.
VERRET, M. (1974), Le Temps des études, Université de Paris 5, Thèse de docto-
rat.
VYGOTSKY, L. S. (1934/1985), Pensée et Langage, Paris, Éditions Sociales.
4
Interaction :
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
une problématique
à la frontière

Jean-François HALTÉ

Le Centre de recherches en didactique des disciplines de l’Université de


Metz s’est lancé dans une recherche concernant les « Interactions langagiè-
res à fonction didactique ». Un premier tour d’horizon, sous la forme d’un
recueil de contributions, a été proposé dans Inter-Actions1.

Je me propose de présenter rapidement, au travers d’un exemple, certains


aspects choisis de la problématique. Dans un second temps, j’utiliserai cette
présentation pour discuter, dans le cadre de cet ouvrage, le positionnement
d’une telle recherche dans le champ didactique.

A ■ Trois approches des interactions


à fonction didactique

Cette recherche répond à plusieurs sortes de préoccupations présentes dans


la conjoncture éducative. En premier lieu, elle prend en compte des constats
établis par l’Inspection générale selon lesquels certains mauvais résultats
d’apprentissage seraient liés à des pratiques communicationnelles peu effi-
caces. En deuxième lieu, elle s’inscrit dans une interrogation résurgente à
propos de la place de l’oral dans la classe et, plus généralement, de la parole

1. Inter-Actions, sous la direction de J.-F. Halté, Cresef et Université de Metz, coll. « Didactique des textes », 1992.
62 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

des élèves2. En troisième lieu, elle projette d’esquisser des éléments de


réponse concernant l’approche de ce que l’on nomme encore trop souvent
« l’enseignement de la langue » et de participer par là à la réflexion entreprise
à l’école élémentaire3.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
L’étiquette « interactions à fonction didactique » prétend recouvrir celles des
interactions langagières qui sont orientées par la visée d’un apprentissage
quelconque. Elles se distinguent, jusqu’à un certain point, des autres interac-
tions, à fonction écologique par exemple.

Le postulat de base est qu’il existe une relation entre interaction et apprentis-
sage. Pour ce qui regarde l’exemple traité ci-dessous, le postulat se décline
hypothétiquement ainsi :
a) Le cadre interactif préconstruit définit des identités sociales et des rôles
communicatifs tels que ces identités et rôles ont des incidences sur
l’apprentissage.
b) L’interaction langagière à l’intérieur de ce cadre constitue « l’activité
même » par laquelle s’effectue l’apprentissage dirigé.
c) L’appropriation des contenus en jeu dans l’interaction langagière est con-
ditionnée par une « histoire interactionnelle » au cours de laquelle se sont
mises en place les conditions de l’appréhension desdits contenus.

J’insisterai particulièrement sur l’explicitation du point b), les deux autres


étant plus familiers.

Un exemple d’interaction langagière guidera le propos de cette première


partie : il s’agit d’une sorte d’« anecdote représentative » fabriquée pour la
bonne cause, assez proche néanmoins de ce qui peut se passer parfois en
classe :

Maître inscrivant au tableau, soulignant et disant :


Maître : Le bûcheron coupe l’arbre. Jacques, qu’est-ce que c’est l’arbre ?
Jacques : COD.
Maître : Le bûcheron coupe l’arbre. Paul, qu’est-ce que c’est l’arbre ?
Paul : Attribut ?

La séquence concerne l’apprentissage à divers titres. Elle peut être appré-


hendée selon différents points de vue. En voici trois.

2. M. Wirthner, D. Martin & P. Perrenoud, Parole étouffée, parole libérée, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1991.
3. Voir La Maîtrise de la langue à l’école, Direction des écoles, Ministère de l’Éducation Nationale, France, 1992.
Interaction : une problématique à la frontière ■ 63

1 L’importance du cadre communicationnel


pour l’apprentissage

L’organisation des communications dans la classe a des effets sur


l’apprentissage. En particulier, les dispositifs de communication favorisent
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
(ou défavorisent) la sécurité et le bien-être, l’attention, l’implication, la motiva-
tion… de telle sorte qu’ils facilitent (ou compliquent) les tâches d’apprentis-
sage. Bref, la communication est génératrice du « climat de travail », de la
« bonne ambiance », etc. Composante de l’événement de communication4,
l’interaction langagière est indifférente à son enjeu de savoir et s’appréhende
dans le cadre de la communication en général. Qu’il s’agisse de COD, de
l’assassinat d’Henri IV ou de la manière de cuire les gaufres ne change rien à
l’affaire. Seul est pris en compte le fait que l’interaction manifeste certaines
options organisatrices des relations entre savoirs, enseignant et élèves : on
repérerait ici, pourquoi pas, des réassertions manifestes de statuts (maître vs
élèves) et de rôles (questionneur vs répondeur), on supputerait aisément
l’existence d’un dispositif frontal et le fonctionnement d’un réseau centra-
lisé…

Cette thèse qui se retrouve un peu partout, dans des manuels scolaires, des
instructions, des articles à caractère didactique-pédagogique, des bilans
d’observation de classe… correspond à ce qui a été essentiellement retenu
de la problématique communicationnelle dans l’institution scolaire. Au fond,
bien que la littérature sur la question ne pose jamais le problème ainsi, cette
thèse considère l’école comme une institution parmi d’autres, siège de com-
munications de toutes sortes (dans la classe mais aussi hors la classe : con-
seils, circulation des informations, etc.). Sous cet angle, l’école est, comme
toutes les institutions, un lieu d’apprentissages incidents : on y apprend au
hasard de ses attentions et de ses besoins, à l’occasion des communica-
tions. Sous cet angle encore, la « bonne » communication apparaît comme
une condition externe de l’apprentissage. Il s’agit là d’une version « faible »
du rapport communication-apprentissage.

2 L’interaction comme « activité même »


de l’apprentissage dirigé

L’école est une institution comme les autres, certes, mais elle est aussi insti-
tuée pour que se communique expressément du savoir. Elle est, par cons-
truction, le lieu de l’apprentissage dirigé et, siège de communications en
général ayant pour fonction prédominante la régulation de ses activités, elle
est en outre le siège des communications très particulières par lesquelles elle
réalise son activité, laquelle, précisément à la différence des autres institu-
tions, est de communiquer afin que s’acquière du savoir.

4. Au sens que lui donne D. Hymes, Vers la Compétence de communication, Paris, Crédif-Hatier, coll. « LAL », 1984.
64 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

Sous ce rapport, un second point de vue s’impose. Il consiste en la saisie de


l’interaction langagière en tant que constitutive du procès d’apprentissage.
Ce point de vue est « de droit ». Reste à montrer qu’il est aussi de fait. De la
version « faible » du lien communication-apprentissage, on passe alors à une
version « forte » qui peut être énoncée ainsi : l’apprentissage s’effectue dans
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
et par les interactions langagières. Cette version heurte certaines positions
couramment admises en matière d’apprentissage.

En voici une, sous la plume d’un spécialiste de l’éducation :


« Le discours magistral est pratiquement inopérant pour les apprentissages.
Seule est productrice d’effets l’activité de l’apprenant parce qu’elle est
génératrice de schèmes. »

Une telle formulation donne à penser que l’apprentissage est un pur proces-
sus intracognitif, propre à l’élève, processus dans lequel l’interaction, quelles
que soient ses formes, n’aurait rien à voir, ou très peu. Si l’élève apprend,
c’est tout au plus par incidence, par le travail cognitif qu’il effectue seul, dans
l’intimité de son esprit, au mieux en appropriant tant bien que mal des frag-
ments du discours magistral.

On comprend bien la portée incitative de ce propos. Il m’est arrivé d’écrire :


« attention, c’est l’enseignant qui enseigne, certes, mais c’est l’élève qui
apprend ». Une telle mise en garde vise ordinairement à stigmatiser les péda-
gogies transmissives, à dénoncer l’illusion selon laquelle un cours bien fait
« autogarantit » son appropriation, etc. Et de fait, dans les situations de com-
munication directives, où l’interactivité est réduite à sa plus simple expres-
sion, voire considérée comme un trouble qu’il importe de réprimer, l’élève est
condamné à l’activité incidente, interne et solitaire. Pour autant, il ne suit pas
absolument que l’élève est seul en cause dans la génération de ses schèmes.
Dans la droite ligne du constructivisme, même dans sa version classique,
piagétienne, la mécanique de l’assimilation et de l’accommodation à l’origine
de la génération de schèmes implique l’extérieur.

Dans cet extérieur, tout particulièrement à l’école, l’activité langagière et


l’activité interactionnelle sont décisives : elles constituent la base (et non pas
seulement le support) de l’activité cognitive de l’apprenant.

Par « activité langagière », il faut entendre ici de façon à la fois très prosaïque
et très saillante l’ensemble de ce que l’on ne peut faire qu’avec le langage.
Dans ce vaste tout figurent aussi bien des jeux (ludiques) de langage5 que
des jeux (moins ludiques) cruciaux pour l’apprentissage scolaire, comme,

5. Jeux de ce type :
Pierre (à Paul) : Dis « bonjour » à la dame.
Paul : Bonjour à la dame.
où Paul joue (?) à ne pas comprendre Pierre.
Interaction : une problématique à la frontière ■ 65

notamment, dans le rapport intracognitif langage-pensée, jeu entre concept


et nom de concept ou, dans la communication, les conduites de définition,
d’argumentation, d’explication, etc. L’activité langagière, loin d’être seule-
ment instrumentale, expressive d’une pensée déjà construite, doit être envis-
agée ici dans le paradigme de la communicabilité6. À ce titre, elle est
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
constitutive du procès d’apprentissage.

L’activité interactionnelle ajoute à l’activité langagière rapportée à l’appre-


nant, l’idée qu’elle se conjugue avec celle de l’autre : des propos interagis-
sent dans des situations de travail imposant des tâches langagières
particulières. L’important alors est ce qui se joue dans (et au cours de) l’inte-
raction. Les contrôles pragmatiques de ce que disent les uns et les autres,
les calculs et les négociations du sens des énoncés ont pour résultat la fixa-
tion du sens. À cet égard, l’exemple de référence, pour simplificateur qu’il
soit, illustre que l’apprentissage – car il y a effet d’apprentissage à l’issue de
l’interaction – résulte d’une négociation de sens. La réponse fautive de l’élève
est directement issue des calculs qu’il accomplit fort justement. Il interprète
en effet la réitération à l’identique de la question posée par le maître comme
une évaluation négative de la réponse précédente et tente de satisfaire à la
fois la disqualification de la réponse et la requête de réponse. Il choisit au
mieux parmi le possible, une fois pragmatiquement éliminée la réponse COD.
Il est clair que pour ne pas produire ce type de réponse il devrait :
1˚ avoir parfaitement construit la notion de COD et donc faire reposer son
choix sur un savoir déjà construit ;
2˚ bien connaître ce jeu de langage particulier que sont les questions et
réponses en situation scolaire ;
3˚ oser utiliser cette certitude quant au COD en s’appuyant sur le savoir du
jeu pour défier le poids des statuts et contrevenir aux règles ordinaires du
contrôle pragmatique.

Si cette approche est correcte, alors les interactions langagières sont consti-
tutives de l’apprentissage et il faut penser ensemble, comme un seul et
même phénomène, l’enseignement et l’apprentissage. Si la mise en garde
« attention, l’enseignant enseigne mais c’est l’élève qui apprend » conserve
de l’intérêt, en ce qu’elle établit l’irréductibilité des positions, elle ne convient
cependant plus tout à fait. Elle rend mal compte du jeu interactionnel auquel
se livrent enseignant et élève et manque la saisie du résultat d’apprentissage
comme coproduction. Encore une fois, c’est la faiblesse de l’interactivité qui
condamne le discours magistral à l’inopérance ou aux seuls effets d’inci-
dence et c’est, corrélativement, dans le contrôle conjoint des énoncés pro-
duits que l’élève apprend.

6. Tel qu’initié par L. Wittgenstein dans ses Investigations philosophiques, repris et travaillé par F. Jacques notamment dans
L’Espace logique de l’interlocution, Paris, PUF, 1985.
66 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

Si l’on rassemble maintenant les considérants de droit et de fait, alors les


interactions langagières apparaissent comme « l’activité même » en quoi
consiste l’apprentissage dirigé. Certes, la formule peut paraître excessive : il
existe nombre de situations scolaires de « travail personnel » qui récusent par
construction l’interactivité. Mais ces situations muettes impliquent « l’activité
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
même » parce qu’elles sont toujours ressaisies, après coup, dans un cadre
interactif. Pourrait-on encore parler d’apprentissage dirigé si les séquences
muettes n’étaient pas interactivement ressaisies ?

3 L’objet du discours et l’histoire interactionnelle

Enfin, un troisième point de vue interroge la séquence dans ses contenus dis-
cursifs, en fonction de sa spécificité disciplinaire. À cet égard, soulignons que
l’expression « COD » entre dans le discours grammatical où elle prend place
parmi d’autres unités pour constituer le métalangage de la grammaire, où,
surtout, elle prend sens par les relations qu’elle entretient avec d’autres
notions et concepts. Peut-on comprendre la notion de COD, pour peu qu’elle
ait de la consistance, sans saisir aussi et nécessairement l’attribut, le circons-
tant, etc. ?

Par ailleurs, peut-on apprendre ces notions sans construire en même temps
ce que parfois l’on nomme « l’esprit grammatical », c’est-à-dire sans que l’on
développe une manière grammaticale de penser, un certain type d’attitude
par rapport au langage, dans laquelle, tout à coup, il convient de prendre le
langage comme objet de pensée, et d’abandonner pour un temps son rap-
port quotidien usuel au langage ? Cette fois, c’est l’histoire interactionnelle7
qui est en jeu, celle qui fait que, parmi les élèves, certains sont de plain-pied
si l’on ose dire dans la réflexion qui se mène, ont les attitudes cognitives et
langagières qu’il convient d’adopter, tandis que d’autres en sont (ou s’en
sentent) exclus.

4 Les champs impliqués dans la recherche

On peut tenter de schématiser ainsi les champs pédagogique et didactique


impliqués :

7. Référence ici, certes, à la notion élaborée par Golopentia, mais aussi à la problématique de « la fuite du sens », B.-N.
Grunig & R. Grunig, La Fuite du sens. La Construction du sens dans l’interlocution, Paris, Crédif-Hatier, coll. « LAL »,
1985.
Interaction : une problématique à la frontière ■ 67

La séquence de classe (supra, encadré § 1)

s’appréhende :
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
en tant que centrée en tant qu’objet en tant qu’événement
sur un contenu déterminé langagier de communication

didactique didactique pédagogie


de la discipline du français générale

élaboration discours discours – relation


didactique interaction… = interaction… = maître/élève
du concept objets d’étude moyens d’étude – situation et
étudié mode de travail
(COD ici)

Si, à partir de l’exemple, on extrapole en étendant aux autres disciplines sco-


laires concernées, si de surcroît on creuse un tant soit peu les notions de
langue, de langage et de communication, le tableau8 suivant est possible :

CADRE 1 : L’établissement scolaire et la classe comme institution


sociale : la communication-en-général et les apprentissages incidents
– dimensions relationnelle et identitaire de l’enseignement
– lieux de parole, identités sociales, statuts, rôles communicationnels
– réseaux de communication, circulation des discours
– modes de travail, style pédagogique
De bonnes « relations » favorisent l’apprentissage des « contenus », la commu-
nication comme moyen, bain, matrice universelle…
Référents théoriques : pédagogie générale, théories de la communication,
sociologie, histoire des institutions, analyse institutionnelle, socioanalyse…

8. Ce tableau est issu d’une série de réécritures. Élisabeth Nonnon en a proposé une première version qui améliorait et pré-
cisait l’un des schémas que j’avais avancés dans l’article de Inter-actions. En son état actuel, compte tenu des remanie-
ments successifs auxquels je l’ai soumis, les éventuelles sottises qu’il contient me sont imputables.
68 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

CADRE 2 : Les interactions langagières comme « l’activité même » de


l’apprentissage dirigé. Rôle de la verbalisation et des interactions dans la
construction des S. et S.F.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
– rôle de la verbalisation dans la formation des compétences cognitives
– rôle des interactions dans le développement cognitif : interaction de tutelle,
étayage, coopération, conflit sociocognitif
– dispositifs d’interactions didactiques (tâches de groupe, différenciation,
groupes de pairs, ens./élève(s)…)
– types de conduites langagières liées au développement de compétences
cognitives
Exemples de tâches langagières ou de situations de travail, aspects
« protodidactiques » de Y. Chevallard
– conduites de définition, de catégorisation, de généralisation/particularisa-
tion, d’induction/déduction, de conceptualisation…
– négociation du sens des énoncés
– gestion des exemples et contre-exemples en construction de concepts
– analyse des composantes d’une situation-problème, élaboration de ques-
tionnements…
– prévision, formulations d’hypothèses, développements d’une situation-pro-
blème…
– mises en relation diverses, exploration de champs notionnels, de réseaux
conceptuels
– retours sur les procédures, évaluation formative, métacognition, règles et
principes d’action…
– méthodologie
L’apprentissage s’effectue dans et par les interactions langagières et leur
gestion : la communication comme moyen, condition sine qua non de
l’apprentissage.
Référents théoriques : pédagogie générale, psychologie cognitive, psycholo-
gie du développement, psychologie sociale, pragmatique, analyse conversa-
tionnelle…
Interaction : une problématique à la frontière ■ 69

CADRE 3 : Les savoirs linguistiques et discursifs spécifiques


Aspects spécifiques des disciplines, à partir des matrices disciplinaires :
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
– sémiotiques spécifiques (schématisation, formalisation, modélisation…)
– élaboration des notions et du métalangage propres à une discipline
– formulation et reformulation des concepts, champs, réseaux…
– objectifs obstacles/de connaissance : repérage, construction, traitement
– métalangage propre à une discipline, termes en contexte spécifié
– modèles des discours disciplinaires (« expliquer » en littérature, disserter,
aspects rhétoriques, modèles méthodologiques, Ohéric de Giordan par
exemple, démonstration en mathématiques, etc.)
Les contenus d’apprentissage sont les enjeux disciplinaires spécifiques des
tâches et situations de travail évoqués dans le cadre précédent.
Référents théoriques : épistémologie, histoire des disciplines, sémiotiques,
analyse des discours, analyse des conceptions (systèmes cognitifs), didacti-
ques disciplinaires…

B ■ Didactique et pédagogie

1 La matrice disciplinaire du français

Le classement du premier tableau se justifie sans difficulté dans ses deux


premières branches.

La caractéristique majeure de la didactique des matières est de s’intéresser


1) aux savoirs et savoir-faire, 2) en tant qu’ils s’enseignent et s’apprennent.
Le premier point établit la ligne de démarcation la plus forte avec la péda-
gogie à laquelle on reproche sur ce plan – il y a d’autres critiques – le (trop)
peu d’attention à la spécificité des savoirs. Le second la sépare des discipli-
nes de référence parce qu’elle prend en charge le couple enseigner/appren-
dre. Si l’on abandonne l’une ou l’autre de ces caractéristiques et la relation
qui les unit, la didactique s’amuit dans la pédagogie ou s’évapore dans la
recherche fondamentale. Dans le principe, ces distinctions suffisent à l’iden-
tité de la didactique.

À l’aune de cette caractérisation, la didactique du français est concernée à


double titre. COD et « discours interaction » désignent des objets d’ensei-
gnement du français ; l’un, habituel, est tout à fait installé dans la tradition
70 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

des pratiques scolaires grammaticales, l’autre, sans doute moins familier,


relève à la fois des objectifs de communication (la parole aisée…) et des
objectifs de connaissance des discours (littérature, presse, etc.) liés à la
matière. La question qui peut (encore ?) faire l’objet d’une discussion est
interne à la didactique du français et concerne la matrice disciplinaire elle-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
même.

Cette notion issue de T. S. Kuhn et reprise par M. Develay9 invite à cerner le


noyau dur d’un paradigme. L’enseignement du français est frappé de longue
date de flous divers autour de ses objectifs, de ses contenus, de ses valeurs,
etc. Cela tient à la multiplicité de ses matières, de ses référents possibles
ainsi qu’à la somme d’enjeux sociaux qu’il représente. Compte tenu des
changements en cours depuis 25 ans dans l’enseignement du français, de la
déstabilisation de la configuration ancienne10 construite autour de la littéra-
ture et la langue au profit des objets texte et discours, il convient de resserrer
ce qui trop souvent s’éparpille en le restructurant autour d’un principe de
cohérence La matrice disciplinaire du français peut être identifiée par ses
objets centraux et ses objectifs décisifs et l’ensemble peut être désigné par
cette formule : production et réception des discours oraux et écrits.

Les linguistes accorderont sans peine que l’on peut y retrouver les objectifs
et les enjeux classiquement reconnus de façon impropre sous les étiquettes
de « langue », d’« expression » écrite et orale, etc. Les littéraires regretteront
sans doute que la littérature soit traitée dans l’ensemble des discours
sociaux. À ce sujet, si s’entend encore l’argument de la défense du patri-
moine culturel, s’entend de plus en plus la référence à l’éducation et aux
valeurs. Résurgence de « l’idéologie » ? Sans doute. Mais crainte aussi, et
plus justifiée, qu’en sa centration exclusive sur les savoirs, qu’en sa neutralité
technique, la didactique ne néglige la formation des personnes et les finalités
d’être. Que répondre à cela ? Pour l’essentiel, que le fait de travailler « avec »
des personnes dans l’enceinte de la classe n’implique pas que les personnes
en question soient l’objet direct du travail : l’enseignant n’est ni thérapeute, ni
prêtre, ni idéologue. Que si les valeurs sont en jeu dans la classe – et elles le
sont toujours, à l’occasion de la moindre entreprise dissertative, de la moin-
dre discussion d’un texte –, elles ne sauraient être enjeu direct des communi-
cations. Bref, que le savoir et sa négociation sont les seules médiations
souhaitables pour le maître vers les personnes.

2 La métadidactique et le travail ordinaire du didacticien

Autant le repérage des deux premières branches paraît évident, autant la


branche « pédagogie » laisse insatisfait. Le didacticien devient-il pédagogue
quand il traite du moyen ? Doit-il cesser d’être concerné et passer le relais

9. M. Develay, De l’Apprentissage à l’enseignement, Paris, ESF, 1992.


10. J.-F. Halté, La Didactique du français, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1992.
Interaction : une problématique à la frontière ■ 71

quand il en arrive là ? Où s’arrête l’entreprise didactique ? La montée en


puissance de la didactique, sa volonté de démarcation d’avec la pédagogie
n’ont-elles pas engendré un certain byzantinisme ?

Les maisons d’édition, elles, ne font pas de détail. Elles ont tranché. Les col-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
lections de « didactique » sont sur les présentoirs, l’étiquette fait vendre et le
mot « pédagogie » se fait discret. La noosphère didacticienne pour sa part
est moins assurée. Elle n’en finit pas de référer prudemment à une « disci-
pline en émergence », à un « champ en voie de constitution », elle hésite
dans ses appellations entre « discipline carrefour », « discipline autonome »,
« science humaine à part entière », « technologie », « ingénierie ». Elle s’inter-
roge sur le statut de la didactique, son territoire institutionnel, ses frontières,
ses méthodes, ses objectifs. Pendant ce temps, indice d’une difficulté réelle,
des termes intermédiaires comme celui de didactique générale se mettent à
circuler.

Est-il intéressant de spéculer un peu sur ces niveaux intermédiaires ? Sans


doute ; le débat est à situer autant sur les plans institutionnel et stratégique
que scientifique ou technique. Si les didactiques des disciplines relèvent pour
l’heure des disciplines universitaires installées, de qui ou de quoi relèvent les
« niveaux intermédiaires » ? Qui en sont les usagers ? les producteurs ? Est-il
pertinent, dans le champ de la formation des maîtres et en particulier des
professeurs d’école, de s’en tenir aux seules didactiques particulières des
disciplines ? Y a-t-il un prix à payer, en matière de formation, au recul (très
relatif) de la pédagogie générale ?

Du point de vue du didacticien de base et de sa tâche ordinaire, on peut


esquisser des débuts de réponse.

En tant que spécialiste d’une matière d’enseignement déterminée, la tâche


du didacticien consiste à « traiter » didactiquement les savoirs de la matière
concernée. Il lui revient, par exemple, d’élaborer un objet d’enseignement, de
l’opérationnaliser en fonction d’un niveau scolaire déterminé, d’envisager son
évolution pour un autre niveau et ainsi de suite. Pour mener ce travail à bien,
le didacticien aura recours à des concepts, des pratiques, des
méthodologies qui dépassent l’objet immédiat de son labeur. Pour juger de la
pertinence de l’objet d’enseignement, il lui faudra construire quelque chose
comme la matrice disciplinaire de la matière ; sauf cas extrême, il n’aura pas
à inventer l’objet d’enseignement, mais, selon les cas, à le transposer d’une
discipline de référence ou à impliquer telle et telle approche disciplinaire dans
une reconstruction d’objet ; en vue du calcul de l’enseignabilité de son objet,
il lui faudra construire le réseau des notions dans lequel il prend place, et
peut-être devra-t-il, s’il cherche à assurer l’intégration de son objet dans la
cohérence d’une matière, parcourir l’histoire scolaire de la matière, celle des
pratiques où son objet est sous telle ou telle forme investi, etc. Toutes ces
tâches constituent la méthodologie didactique. Chaque didactique, en fonc-
72 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

tion de ses préoccupations particulières, produit, chemin faisant, ses con-


cepts propres et sa méthodologie. Se constituent ainsi des métadidactiques
où se rangent, non pas les enseignables qui correspondent au niveau didac-
tique, mais les outils utilisés pour les construire. Chacune des métadidac-
tiques, ainsi cernée, concerne l’élaboration des savoirs didactiques et elle a
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
pour objet d’étude l’ensemble des matériaux, problèmes, méthodes, con-
cepts… intervenant dans l’élaboration didactique des savoirs.

Dans son travail de premier niveau, élaboration didactique des savoirs, le


didacticien aura profité de (et dans certains cas : participé à) l’élaboration des
savoirs didactiques. Les métadidactiques existent dans les faits, de plus en
plus si l’on ose dire, au point que le débat sur l’existence ou la possibilité ou
le bien-fondé d’une métadidactique générale, comporte en réalité des
aspects rhétoriques : c’est un fait que le travail de premier niveau ne peut
s’effectuer sans le second et c’est un fait que d’ores et déjà, les didactiques
des disciplines construisent pour elles-mêmes des concepts généraux et
opératoires, exportent leurs découvertes vers d’autres didactiques, emprun-
tent en retour celles des autres.

3 Didactique générale ?

Au-delà, on entre, me semble-t-il, dans un débat purement spéculatif.

Une première acception de « didactique générale » me paraît concevable.


Elle est même, quoique timidement, en cours de constitution sous l’appella-
tion vague de « méthodologie ». Didactique disciplinaire à part entière, res-
pectant la définition primaire de la didactique, elle identifie des objets de
savoirs et savoir-faire estimés utiles en toutes circonstances scolaires et les
constitue en enseignables. Cette « matière » comprendrait les ingrédients
« protodidactiques » de Y. Chevallard de toutes les disciplines et viserait
l’objectif général « apprendre à apprendre ». Sa mise en ordre impliquerait un
véritable jeu de chaises musicales puisque, par exemple, elle obligerait à un
affinement (à tout le moins !) de la matrice disciplinaire du français, en
récupérant des objets comme « discours et interaction en tant que moyens
d’étude ».

Une seconde acception, plus conforme à ce que l’on entend dire çà et là,
concerne la saisie d’un niveau supérieur au métadidactique. Au stade actuel
de flou artistique, la généralité s’établit à la croisée des didactiques
particulières, comme transversalité de hasard. Elle est un pot commun où
sont relégués sans grand contrôle les innovations heureuses, les reliquats (et
les pépites !) des métadidactiques spécifiques11. Cette « didactique
générale » qui se fait en marchant n’est pas une discipline structurée. On

11. La comparaison pourrait se faire ici autour du statut de la pragmatique en sciences du langage, qualifiée de « dépotoir »
par A. Berrendonner & H. Parret (éds), L’interaction communicative, Berne, Peter Lang, 1990.
Interaction : une problématique à la frontière ■ 73

peut imaginer une exigence plus forte : une méta-métadidactique qui serait à
la didactique du français ce que, par exemple, la linguistique générale est à la
linguistique d’une langue particulière12, c’est-à-dire, en principe, une théorie
fournissant des concepts applicables à des objets particuliers. Prenant appui
sur les transversalités, elle serait un véritable champ de travail visant à la
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
mise en ordre des concepts existants, à la recherche de nouveaux, à leur
organisation dans le cadre d’une théorie unique susceptible d’expliquer et de
prédire.

La question pratique est de savoir si un tel niveau est réellement, et non pas
seulement spéculativement, envisageable, s’il est utile de s’attaquer à sa
construction ou s’il est préférable de le laisser éventuellement advenir…
Compte tenu de l’état des didactiques de base – à mon sens, la masse cri-
tique de faits disponibles n’est pas suffisante –, j’avoue mon scepticisme et
je ne vois pas que l’on puisse atteindre autre chose qu’une espèce d’usine à
gaz furieusement dogmatique. Par ailleurs, je vois mal figurer, à côté du
didacticien primaire, le métadidacticien primaire et le méta-métadidacticien.
Une chose est de distinguer dans le travail ordinaire du didacticien les
niveaux de réflexion, une autre est d’ériger ces niveaux en disciplines consti-
tuées13. Dans l’état actuel des choses, il me semble urgent de ne rien faire et
préférable de s’en tenir au jeu non réglé des métadidactiques.

Au-delà (ou en deçà, comme on voudra) du débat épistémologique, il existe


une demande sociale qui impose des prises de position. Ainsi par exemple,
un Institut Universitaire de Formation des Maîtres engage une réflexion qu’il
profile thématiquement à peu près ainsi : les professeurs d’école sont poly-
valents, ils travaillent en mathématiques et en français, en éducation physi-
que et sportive et en géographie, etc., et recourent à ce titre, autant que faire
ils peuvent, aux didactiques des disciplines. En même temps, polyvalents,
s’adressant en continu aux mêmes élèves, ils ont vraisemblablement des
pans entiers de comportements didactiques magistraux comparables (un
style de préparation, des schémas transversaux de séquence didactique…).
Quels concepts de didactique générale seraient susceptibles de les armer en
didactique des disciplines ?

Dira-t-on benoîtement, à la Ponce Pilate, que la question est mal posée ?

4 Pour une didactique praxéologique

On ne peut s’abstenir de répondre : la demande sociale a, comme il se doit,


le mauvais goût de ne pas attendre que les solutions soient disponibles. La

12. Je pense ici à quelque chose d’analogue aux « Prolégomènes » de Hjelmslev. Je pense aussi à son destin…
13. Imagine-t-on enseigner la méta-métadidactique aux futurs professeurs ? C’est pour le coup que B. Shaw aurait raison :
« Ceux qui le peuvent agissent. Ceux qui ne le peuvent pas enseignent comment agir. Ceux qui ne peuvent ni agir ni
enseigner enseignent comment enseigner ! » cité par L. Schwartz dans le n° 995 du Point des 12-18 octobre 1991.
74 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

didactique praxéologique, celle dont le point d’aboutissement est la pratique


dans la classe, celle, théorique pourtant, dont le but est d’argumenter aussi
rigoureusement que possible, c’est-à-dire sans réductionnisme, des prati-
ques dans la classe, cette didactique-là en tout cas, ne peut demeurer coite
et quiète.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
Son problème, au demeurant, est au moins autant d’explorer ses frontières
avec la pédagogie que de savoir si elle est purement disciplinaire. L’ensemble
du travail de l’enseignant (polyvalent ou non) n’est en effet pas réductible à
ses options didactiques au sens strict. Les choix des enseignants touchant
aux modes de travail, aux réglages institutionnels, au traitement des parti-
tions culturelles… interfèrent à l’évidence avec le traitement didactique des
savoirs dans l’intervention didactique en classe. Où passe la frontière, au
juste ? Peut-on réellement l’établir et la fonder en raison ? Autant il est utile
de conserver à l’esprit la distinction théorie-pratique, autant il est clair que le
travail du didacticien est en amont de la classe et s’arrête à son seuil, autant
il est difficile de borner scrupuleusement l’approche didactique au seul travail
sur les enseignables comme le donne à penser la définition par laquelle on a
commencé. D’une part, parce qu’à côté des enseignables, il y a les
« apprenables » – ces savoirs qui ne sont pas des objets explicites d’ensei-
gnement mais qui conditionnent l’apprentissage des enseignables et ces
savoir-faire très composites comme le savoir-lire ou le savoir-écrire qui ne se
résolvent ni en savoirs savants, ni en simples sommes de savoir-faire –, et
d’autre part parce que, dans le triangle didactique, les pôles de l’intervention
et de l’élève impliquent le recours à des référents non disciplinaires classi-
quement rangés dans le pédagogique. À délaisser comme hors champ, sous
prétexte de pureté territoriale, les problématiques de l’appropriation et de
l’intervention, l’entreprise didactique tout entière perd son sens et abandonne
le terrain à l’ancienne pédagogie.

Dans cette optique, la proposition du schéma classant l’interaction-moyen


d’étude en pédagogie générale n’est pas très satisfaisante : exclus des
didactiques particulières parce que moyens d’étude et non pas objets,
« discours et interaction » rejoignent les choix concernant le mode de travail.
Dans la tradition du discours pédagogique, cela revient à en rester à la ver-
sion faible du rapport entre communication et apprentissage. Le classement
hypothétique évoqué plus haut, dans la discipline nouvelle « méthodologie »,
n’est guère meilleur : dans le fourre-tout que serait (qu’est) cette
« discipline », les finesses se perdent nécessairement. On peut penser à loca-
liser en disciplines particulières, suivant en cela le mouvement d’autonomisa-
tion progressive des didactiques, qui rencontrent de plus en plus des
préoccupations14 propres touchant au langage. Mais la solution serait pour le
moins coûteuse puisque chaque didactique aurait à reprendre le même tra-
vail. De plus, parce qu’interaction et discours, envisagés en tant que « moyen

14. Mouvement net en sciences, voir J.-C. Martinand ou M. Develay.


Interaction : une problématique à la frontière ■ 75

d’étude », ne sont pas des enseignables, c’est la définition même de la


didactique qui se trouve atteinte dans le mélange des « moyens » et des
« objets ». Après tout, ne serait-ce pas, en fin de compte, cette révision de la
définition de base de la didactique qu’il conviendrait d’opérer en précisant
davantage la notion de savoir, en la démarquant notamment des seuls objets
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
d’enseignement prévus par les chartes officielles, en incluant véritablement
les savoir-faire ? C’est ce que prétend faire en réalité la didactique praxéolo-
gique, au risque, assumé, du brouillage des frontières.
Deuxième partie
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur
Didactique du français et disciplines de référence

Les quatre contributions réunies dans cette deuxième partie ne prétendent


aucunement saturer le terrain des « références » aux disciplines savantes/
universitaires qui se trouvent convoquées d’une façon ou d’une autre dans la
réflexion didactique en français langue maternelle. Reste que les sciences du
langage, la psychologie d’inspiration cognitiviste ou interactionniste, la socio-
logie constituent des pôles de travail féconds où s’enracinent des intérêts
didactiques : acquisition et apprentissage ; enseignement et socialisation
scolaires et extra-scolaires.

Chacune des contributions montre les possibles dépassements d’une simple


thématique de l’apport de disciplines extérieures à un champ uniquement
demandeur. En réalité, qu’il s’agisse d’« approcher » la didactique d’une lan-
gue maternelle avec des outils d’analyse élaborés dans un champ discipli-
naire ciblé, qu’il s’agisse de « prendre en compte » non pas une théorie mais
des données du développement des élèves, qu’il s’agisse de contextualiser
les actes scolaires – de lecture par exemple – comme pratiques culturelles ou
qu’il s’agisse de montrer le dépassement nécessaire des dispositifs de
savoirs langagiers-scolaires eu égard aux remaniements intradisciplinaires –
en sciences du langage par exemple –, on s’avance résolument vers la
définition d’un va-et-vient productif entre didactique du français et disciplines
de référence.

Plus encore peut-être esquisse-t-on la pensée de nouvelles configurations où


la préoccupation didactique s’inscrirait au cœur des recherches en sciences
humaines, alors même que le terrain scolaire-social se trouverait investi par
des interrogations proprement théoriques.
5
Sciences
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
du langage :
le retour

Jean-Louis CHISS

On connaît le récit désormais consacré de la naissance de la didactique du


français langue maternelle s’échappant des préhistoires conjointes de la lin-
guistique appliquée et de la psychopédagogie. Construire une discipline –
dont on ferait l’« état » dans le présent volume – suppose l’existence d’une
logique de production intellectuelle et culturelle liée à des formes de profes-
sionnalisation. Ces « produits » qui constituent la didactique du français
appartiennent souvent eux-mêmes à des rationalités disciplinaires d’origine
différente dont on ne mesure pas toujours les cohérences ou les incompatibi-
lités.

Si j’ai souvent attiré l’attention sur la pluralité des lexiques qui « parlent »
notre discipline, c’est dans le souci de vérifier – ou d’invalider – l’idée que se
dégagerait un champ homogène de problèmes susceptibles d’être traités au
sein d’une communauté de chercheurs, ce qui ne signifie justement pas la
quête hâtive d’un consensus de façade. La lucidité épistémologique impose
par exemple de constater que des couples notionnels coexistent ou se
superposent dans la même zone sensible des didactiques disciplinaires :
ainsi les concepts d’habitus vs codification (empruntés à la sociologie de
P. Bourdieu), de connaissances procédurales vs connaissances déclaratives
(empruntés à la psychologie cognitive), de savoir-faire vs savoirs (installés
dans les doctrines pédagogiques) jouent-ils dans le système d’oppositions et
de renvois de leurs univers scientifiques propres, tout en se faisant écho sur
le terrain multiforme de l’enseignement/apprentissage de la langue et des
discours.
80 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

A ■ Penser l’état des lieux :


applications et effets en retour

Faire l’état des lieux, c’est-à-dire ici prendre la mesure des conceptualités
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
régnantes en didactique – du point de vue des didacticiens – apparaît
comme une tâche plus urgente que la reprise des problèmes d’institutionnali-
sation et de statut de scientificité de la discipline. Évidemment, cet état des
lieux ne saurait être envisagé dans le cadre d’une synchronie abstraite et
idéalisante faisant fi du cheminement récent – et plus lointain – d’un certain
nombre de débats : si l’on peut par exemple retrouver aujourd’hui cette évi-
dence que les élèves apprennent dans le dialogue qui se noue avec leurs
enseignants, c’est bien parce que nous avons « usé » la thématique de la
centration sur l’apprenant comme machine de guerre contre les pédagogies
transmissives. C’est alors le détour par l’interaction (ainsi que le montrent
certains travaux de Jean-François Halté) qui redonne vie et consistance à
l’évidence masquée temporairement par le jeu du balancier ; si l’on peut
encore aujourd’hui réévaluer une dimension « communicative » de l’écrit au
sens de traitement – pour l’autre – de l’information, c’est bien parce que nous
avons « usé » la thématique des fonctions expressivo-communicatives de
l’écriture contre les mêmes pédagogies axées sur la transmission, les conte-
nus et l’imitation. C’est alors le détour par son rôle cognitif qui promeut de
nouveau l’écrit au centre de la communication scolaire. Même sur le « temps
court » des travaux de l’association DFLM, on ne peut plus – me semble-t-il –
raconter tout à fait l’histoire de la diversification, et de ses conséquences
dans l’enseignement du français, comme il y a quelques années.

Dans la spirale des préoccupations didactiques, c’est enfin l’étendue du


champ couvert par la discipline qu’il conviendrait d’examiner s’il est vrai que,
face aux adeptes d’une conception extensive et accumulatrice, le propre
d’une discipline serait, selon le mot de Judith Schlanger, de circonscrire et de
renoncer.

Il est rare qu’une question importante dans une des disciplines que nous
appelons « de référence » n’éveille un écho, ne suggère une direction, ne pro-
voque une réflexion dans le domaine de l’enseignement et de l’apprentis-
sage. Forçant le trait dans une voie que j’ai maintes fois empruntée, Bernard
Lahire écrivait : « Les théories les plus “pures” ont nécessairement toutes les
chances d’être des systèmes d’explication théorisant plus ou moins cons-
ciemment les pratiques scolaires » (1993, p. 13). Sans aller jusqu’à cette radi-
calité, on accepte désormais plus volontiers – y compris dans l’univers des
« savants » – l’idée des multiples effets en retour des préoccupations didacti-
ques sur les disciplines de référence : des travaux d’histoire et d’épistémolo-
gie montrent la part prise dans les théories savantes par les contraintes de
transmissibilité, l’intérêt que tout savoir a de son propre développement –
parmi lequel figure l’enseignement de ce savoir – et l’importance qu’ont les
Sciences du langage : le retour ■ 81

contextes de toute invention culturelle ou scientifique. Même s’il n’existait


pas de didactiques disciplinaires, les sciences constituées ne seraient pas
pour autant immunisées contre les sollicitations des sujets qui apprennent et
des maîtres qui enseignent.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
Face à l’école en général et à la classe de langue et de discours en particulier
– pour nous, la classe de français –, les sciences du langage ont sans doute
des implications et des responsabilités spécifiques. Je me ferai ici l’écho –
avant d’y revenir plus longuement – de l’inquiétude de certains linguistes et
des didacticiens dont l’origine disciplinaire est la linguistique, sans querelle
de clocher ou souci de partage de territoire mais avec une volonté de mise au
point dont on pourrait escompter des bénéfices heuristiques. Il me semble en
effet que les modes de circulation entre implications théoriques et effets en
retour du didactique, ou tout au moins du scolaire, commencent à se densi-
fier et à se diversifier pour ce qui concerne des disciplines comme la psycho-
logie ou la sociologie : les échecs scolaires en lecture, par exemple,
fournissent un aliment appréciable aux études sociologiques, ethnologiques,
anthropologiques dont on peut en retour tirer des conséquences éducatives.

Si ce va-et-vient paraît moins bien fonctionner pour ce qui concerne la lin-


guistique, il ne faut sans doute pas analyser cette situation dans les termes
simplistes de la fin de l’impérialisme ou du « mirage linguistique » (selon la
formule qui fait le titre de l’ouvrage de Thomas Pavel, 1988). Il conviendrait
plutôt à la fois de montrer la part de plus en plus grande prise par le travail
sur les pratiques langagières dans les disciplines précitées et de redessiner le
cadre épistémologique nouveau qui est celui des « sciences du langage » (ce
qui dépasse largement le cadre de ce chapitre) ; il conviendrait aussi d’explo-
rer (ce qu’on développera plus avant) les possibilités offertes à la didactique
du français par le renouvellement de certaines démarches et approches des
études linguistiques sans redouter les écueils d’un « applicationnisme » que
certains didacticiens confondent avec le souci de donner une consistance
opératoire à l’enseignement/apprentissage de la langue et des discours.

B ■ Deux questions pour la didactique du français

S’il y a bien ainsi des questions de cette didactique adressées aux disciplines
de référence, il y a évidemment des questions pour la didactique, intrinsè-
quement liées à la culture du langage mais qui s’originent dans des configu-
rations sociales, culturelles et intellectuelles très diverses. Parmi ces
questions qui sont les plus cruciales pour la didactique du français, et dans la
logique des remarques précédentes, on en retiendra deux : la communication
et la culture de l’écrit. Il est certain que ces deux problématiques – sans être,
dans mon optique, constitutives en tant que telles de notre discipline, ce que
signifie le pour – dessinent néanmoins son horizon de projection, c’est-à-dire
82 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

son point de fuite ou si l’on préfère sa mise en perspective dans un ensemble


où se croisent les technologies du travail intellectuel et le développement de
formes spécifiques de la socialité langagière.

Sur la problématique communicative, on pourrait d’emblée s’interroger. Car


Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
si l’interaction conversationnelle est la matrice fondamentale de l’usage du
langage, alors – pourrait-on se demander – qu’avons-nous à apprendre du
langage à l’école ? En réalité, on le sait de mieux en mieux, grâce à l’émer-
gence d’une série de travaux ethnométhodologiques ou ethnographiques,
c’est la place du langage dans la totalité du processus éducatif qui fait pro-
blème et c’est donc aux sciences de l’éducation dans leur ensemble qu’il
faut demander de s’emparer de l’activité langagière à l’école. Ce sont elles
qui sont concernées par les usages rhétoriques de la parole scolaire, les rites
d’interaction propres à l’école. Il est clair alors que le travail sur les interac-
tions verbales, globales ou locales, ne saurait être l’apanage de l’enseignant
de français même s’il a une vocation particulière à s’y impliquer. C’est
d’ailleurs bien d’implication et d’enjeux didactiques dont il est question pour
toutes ces disciplines au sein (ou aux marges) des sciences du langage qui
mettent au centre de leur dispositif le concept d’interaction. L’examen de cer-
tains itinéraires – qu’on songe au cas de Dell H. Hymes, sinon inventeur du
moins théoricien le plus célèbre de la « compétence de communication » –
montrerait comment certaines conceptualités se sont forgées au point de
rencontre entre l’expertise en linguistique et l’intérêt pour les problèmes édu-
catifs des enfants de milieux dits défavorisés.

Pour ce qui concerne la culture de l’écrit, il est tout aussi évident que nous
avons affaire là à une dimension transdisciplinaire : alors que la rénovation de
l’enseignement du français a été placée en partie, dès avant les années 1970,
sous la bannière des fonctions expressive et communicative de l’écrit, c’est
plus récemment (mais combien découvre-t-on de nouveaux convertis !) que
s’est introduite chez les didacticiens l’idée du rôle cognitif de l’écrit, du lien
de la culture écrite à la structuration de la pensée, de l’écriture comme possi-
bilité de l’invention de nouveaux objets intellectuels. Les ethnologues comme
Jack Goody ou les historiens de l’écriture ont ouvert ainsi la voie à des explo-
rations peut-être moins orientées vers la langue et les discours que vers la
géographie et ses cartes, la géométrie et ses figures, l’algèbre et son écriture
symbolique ainsi que tant d’autres savoirs sans doute inconcevables sans le
fondement de l’écrit.

C’est aussi pourquoi, si la didactique du français a en particulier vocation à


travailler la réflexivité langagière qui est à l’œuvre dans l’acculturation écrite
et qui détermine effectivement l’accès au métalinguistique (tant dans l’ordre
historique de la grammatisation des vernaculaires et de la construction de
« grammaires » que dans l’ordre ontogénétique du développement langagier
de l’enfant), elle sait qu’elle a cette tâche en partage avec d’autres didacti-
ques disciplinaires. Ou plus exactement, elle sait qu’elle doit à la fois tracer
Sciences du langage : le retour ■ 83

les chemins d’une répartition des enseignables sur le terrain (intervention-


nisme didactique qui répondra à la question de savoir quel enseignant fait
quoi dans le domaine de l’écrit) et peut-être interroger à son tour les rationali-
tés disciplinaires qui se disputent l’écrit : comment la sociologie et l’ethnolo-
gie traitent-elles les illettrismes qui posent la question des microsociétés
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
sans écriture dans notre univers lettré ? Comment la psychologie cognitive
traite-t-elle l’individuation des processus de lecture-écriture ? Etc.

Tout éloignement de la didactique du français des questions conjointes de la


communication et de l’acculturation à l’écrit aurait pour effet de rendre socia-
lement inaudibles les propositions qu’elle pourrait faire parce que ce sont ces
deux terrains qui polarisent les débats sur les rapports de la démocratie et de
l’école, ce qu’on a coutume d’appeler l’échec scolaire qui est moins un
échec de la culture – et à travers elle de l’école – qu’un échec de la démocra-
tie. La question est donc moins de savoir aujourd’hui si ces deux dimensions
sont susceptibles de constituer des positivités dans l’ordre de notre didacti-
que (faut-il enseigner la communication ou la culture de l’écrit ?) que de
mesurer les effets de leur prise en compte sur les objets de l’enseignement-
apprentissage en français. C’est peut-être là que le bât blesse au sens où il
continue d’apparaître difficile de penser l’indissociabilité dans l’exercice du
langage des aspects linguistiques, cognitifs et culturels.

On ne peut pas intégrer aux problématiques didactiques en langue mater-


nelle les travaux de J. Goody ou D. H. Hymes – pour ne citer que ces deux
noms emblématiques – en laissant intact le mécanisme régnant : si quelque
chose de nouveau advient de l’écrit, dans l’écrit et par l’écrit, alors on ne peut
avaliser les modèles anciens ou nouveaux qui tendent à faire de l’écriture la
planification et la mise en forme d’un vouloir dire préalable ; si quelque chose
de nouveau advient de l’interaction orale, dans et par elle, alors on doit subs-
tituer à la vision expressiviste de la communication une approche qui pren-
drait pour objet l’organisation même de la parole des sujets comme lieu où
s’interpénètrent langue et culture. On sait d’ailleurs, depuis les théoriciens du
langage de la deuxième moitié du XIXe siècle, qu’une espèce de continuité
épistémologique relie le thème de la parole intérieure (en particulier lors de
l’élaboration écrite) à celui de la conversation.

Mais, plus encore, la solidarité heuristique des thèmes de la communication


et de la littératie devrait périmer les conceptions instrumentalistes de la lan-
gue qui restent l’idéologie dominante : si la communication n’est pas un but
mais, selon le mot de D. H. Hymes, un « attribut » du langage, alors il ne faut
pas seulement considérer que les individus – en particulier les enfants – « se
servent » de la langue et des discours mais qu’ils s’y construisent. Si l’écrit
fonde la constitution de certaines rationalités, l’oral est aussi constitutif des
identités personnelles-sociales dans l’interaction. De ce point de vue, la
métaphore si prisée – dans les élaborations didactiques pseudo-modernistes
– de la langue comme outil conduit de fait à marginaliser et/ou à désorienter
84 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

les activités métalinguistiques : leur mise au service de la lecture/écriture en


termes d’adjuvants empêche la reconnaissance pleine et entière de la fonc-
tion métalinguistique et la construction en classe des objets grammaticaux,
lexicaux, énonciatifs fondée sur la description et l’explicitation des fonction-
nements.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
En réalité, le dépassement de la vocation instrumentale de la langue semble
particulièrement délicat dès lors qu’on se situe dans l’ordre de l’exposé
didactico-pédagogique et, parmi les topoi de cet exposé, elle résiste mieux
que la notion de code. C’est ainsi, pour prendre une illustration significative,
que la très remarquable Grammaire méthodique du français (M. Riegel, J.-C.
Pellat & R. Rioul, 1994) place en premier point de son introduction « les lan-
gues, instruments de communication » (p. 2) avec le schéma de Jakobson et
la modulation traditionnelle que constituent les « multiples usages » (p. 3)
matérialisés par les six « fonctions du langage ». Il m’apparaît à l’évidence
plus novateur et productif pour la didactique que, quelques lignes plus haut,
ce soit la notion de point de vue qui constitue la première recommandation
méthodologique pour le travail sur la langue : « C’est un fait connu qu’un
même objet est susceptible de plus d’une description, surtout s’il est com-
plexe. Tout dépend du point de vue auquel on se place, car c’est lui qui déter-
mine le choix des propriétés dites pertinentes » (ibid., p. 1, ce sont les auteurs
qui soulignent). Alors même que certains didacticiens des langues, influencés
souvent par d’autres disciplines que la linguistique, emploient, sans état
d’âme, la notion de code, on veut seulement affirmer ici que le maintien en
didactique du français de certaines « théorisations » du langage, de l’instru-
ment au code et retour, du fait de leur association avec des lieux communs
pédagogiques comme celui de la « boîte à outils », accule la discipline à la
reproduction de l’ancien ou à la suspension du jugement devant l’irruption du
nouveau.

C ■ Traitement des contenus : le malentendu

La question qui est pourtant posée aux didacticiens du français – et dans une
certaine mesure aux spécialistes des sciences du langage – est l’existence
de contenus disciplinaires sur le statut et la validité desquels il faut se pro-
noncer. Il ne s’agit évidemment pas d’instaurer un tribunal épistémologique
mais de reprendre les conceptualisations des rapports entre d’une part
savoirs savants comme l’on dit et d’autre part savoirs et pratiques scolaires,
problème qui constitue l’un des axes majeurs de toute didactique. Le chan-
tier désormais ouvert aujourd’hui est de refondre les curricula, de bâtir des
contenus pour la discipline « français », c’est-à-dire des cadres notionnels et
des systèmes d’explication pour l’étude de la langue et des discours. Certes,
la démarche fondatrice ou refondatrice qui est ici convoquée (ne confondons
pas « rénovateurs » et « refondateurs ») ne saurait surtout pas ignorer la
Sciences du langage : le retour ■ 85

nécessaire critique ou théorisation de l’existant : les modèles de la transposi-


tion didactique sont une source de réflexion tout comme l’histoire des disci-
plines scolaires et le débat reste ouvert sur l’autonomie totale ou très relative
de ces savoirs-pratiques scolaires vis-à-vis des savoirs savants. Reste que
demeure une double inquiétude concernant les dimensions de cohérence et
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
de validité.

Cohérence parce que nous ne pouvons pas encore expliciter une nouvelle
matrice de la discipline scolaire français et que la diversification, souhaitée et
souhaitable, des types de textes et de discours par exemple a objectivement
entravé le processus de globalisation souhaité et souhaitable. Nous avons là
une tension entre deux pôles qui reste à maîtriser et à penser, ainsi que l’illus-
tre la valse-hésitation des didacticiens et des enseignants de français autour
du problème de la place et du statut à accorder à la littérature. Cette tension
reste donc vive ainsi que le montre encore le thème de l’hétérogénéité des
apprenants que nous n’arrivons pas toujours à traiter dans le cadre didacti-
que de l’offre hétérogène de la classe de français où la question de la conti-
nuité entre connaissances portant sur des objets langagiers et
connaissances portant sur des processus (avec les représentations et la mise
en œuvre de pratiques) reste encore largement sans solution. Ce n’est sans
doute pas par hasard si la diversification et l’hétérogénéité ont été au centre
des travaux de l’association DFLM qui leur a consacré deux de ses collo-
ques.

Validité aussi, en prenant la question par le biais d’une réflexion en forme de


rêverie : imaginons un formateur d’enseignants de français ou un enseignant
« éclairé », comme on dit, qui lirait l’article d’Anne-Marie Berthonneau et
Georges Kleiber dans le n° 112 de la revue Langages (décembre 1993), arti-
cle intitulé « Pour une nouvelle approche de l’imparfait : l’imparfait un temps
anaphorique méronomique ». La note 1 de cet article est ainsi rédigée : « La
piste textuelle qui fait de l’imparfait le temps par excellence de l’arrière-plan
semble presque unanimement abandonnée, l’opposition arrière-plan (impar-
fait) premier plan (passé simple) étant considérée comme l’effet ou la mani-
festation d’une opposition supérieure. » Stupeur chez l’intéressé. Avoir
renoncé au système d’explication traditionnel, avoir éliminé le couple duratif/
ponctuel au profit d’une explication que tant d’exemples textuels rendaient
convaincante et que soutenait, sur le plan pédagogique, une métaphorisation
spatiale susceptible de toucher les consciences enfantines les plus rétives…
Et puis voilà en une phrase que se flétriraient tant de lauriers…

S’agit-il seulement de constater l’inéluctable « retard » des propositions sco-


laires sur les découvertes savantes et de se déclarer d’avance vaincu dans
cette course-poursuite infernale au risque d’en tirer la conclusion de mainte-
nir des héritages souvent bien plus contestables ? Faut-il opposer l’efficacité
supposée d’un savoir à son adéquation à la vérité, par définition transitoire
dans un domaine – les « sciences » humaines et les « sciences » du langage
86 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

– réputé particulièrement mouvant ? En deçà de ces débats généraux et par-


faitement estimables, et en restant à l’écart de toute position scientiste, on
tirera seulement de cette petite fable la nécessité de s’interroger tout autant
sur les modes de transmission des savoirs savants que sur une forme de sur-
dité persistante de la didactique du français à des travaux qui remettraient en
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
cause des modalités de présentation et d’argumentation que l’introduction
des linguistiques structurale et générative lors de la première vague rénova-
trice n’a pas fondamentalement modifiées.

L’exemple précédemment allégué – entre autres – nous alerte sûrement


d’abord sur un certain défaut épistémologique et historique de la linguistique
qui n’a pas forcément toujours la mémoire de la discipline, ce qui conduit
parfois à des présentations abruptes en termes d’« abandons », de
« comblement de manques », etc. Si nous ne pouvons ici développer la soli-
darité qu’entretiennent ces conceptions de la théorie avec les difficultés que
rencontrent les didactiques, on insistera sur l’autre versant de ce complexe
biface, à savoir les cadres d’accueil de la didactique pour les « nouveautés »
conceptuelles. C’est – me semble-t-il – parce que la tentation est grande
dans l’univers de la didactique du français de fonctionner aussi dans des
logiques non analysées de substitution – remplacer la grammaire de la langue
par la grammaire de texte – que la condamnation par A.-M. Berthonneau et
G. Kleiber de la « piste textuelle » peut apparaître dérangeante ; or on sait
qu’il n’est pas possible d’éviter, sous peine d’imposer des constats sans les
justifier, de rapporter la bipartition arrière-plan/premier plan à une opposition
aspectuelle. Cette détermination aspectuelle n’est elle-même qu’un des deux
paradigmes explicatifs de l’imparfait, l’autre étant de nature temporelle
(l’imparfait fonctionnant comme renvoi global à une entité temporelle du
passé, d’où son caractère « anaphorique »).

Le problème, en ce cas, est donc moins le recours (plus ou moins actualisé) à


des notions des sciences du langage que la décontextualisation de ces
notions en didactique du français. Alors même que de nombreux linguistes –
mais précisément pas les deux que nous avons cités – ne s’intéressent pas à
l’histoire des problèmes pour lesquels ils proposent des solutions et qu’en ce
sens ils ne facilitent pas la tâche des didacticiens, c’est à ces mêmes didacti-
ciens qu’il revient de faire le travail de contextualisation, de mise en perspec-
tive des concepts et méthodes sous peine d’entretenir, sur le terrain de la
formation et de l’enseignement, malentendus et confusions. Je sais que
d’aucuns trouvent ces partis pris historiques et épistémologiques éloignés de
ce qu’on appelle les « réalités » de la salle de classe qui devraient, nonobs-
tant l’effort théorique, occuper l’horizon du didacticien. Pour ma part, je n’en
crois rien. C’est précisément parce que la classe de français comme réalité
langagière, sociale et culturelle apporte des paramètres de complexité sup-
plémentaire à la complexité et à l’hétérogénéité des objets d’enseignement,
des contenus disciplinaires, que cet effort est tout particulièrement requis de
la part des didacticiens.
Sciences du langage : le retour ■ 87

Cet effort ne saurait être réduit à l’hygiène des métalangues, au coup d’arrêt
donné aux tribulations terminologiques, aspect visible et dérangeant de la
multiréférentialité en didactique. On sait que derrière les hésitations sur
« typologie des textes » ou « typologie des discours », sur genre et type par
exemple, se cache un empilement de problèmes où se trouvent impliquées
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
des conceptions du langage, du social et de l’univers scolaire avec ses
modèles rhétoriques, ses normes d’acceptabilité. À chaque fois, autre exem-
ple, que j’entends critiquer les « approches formalistes du texte littéraire dans
l’enseignement secondaire », je ne pense qu’à une chose : relisons quelques
textes des « formalistes russes » qui ont inspiré ceux qui nous ont inspirés et
on verra qu’ils ne sont pas formalistes, que l’attention aux formes littéraires
est indissociable des questions liées à la valeur de ces formes, qu’ainsi l’assi-
milation formalisme/technicisme permet surtout de construire, de manière
intéressée, le premier terme d’une dualité dont le second terme serait, avec
ses variantes, l’honnête homme, la culture ou le sujet.

D ■ De quelques avancées
pour l’étude de la langue

Nous sommes en fait conduits non seulement à montrer la série des rééla-
borations par lesquelles s’effectuent des passages entre savoirs savants sur
la langue et savoirs et savoir-faire linguistiques-scolaires mais souvent à
repenser les savoirs mêmes, leur consistance et leurs finalités. Si nous
admettons qu’une connaissance de la structure et du fonctionnement de la
langue reste un objet majeur des cours, des séquences dites de « français »,
que l’étude plus ou moins marquée de réflexivité et de conceptualisation des
domaines phonétique, orthographique, morphologique, syntaxique, lexical
avec l’ensemble des implications sémantiques se justifie de quelque manière
que l’on voudra, alors on ne peut échapper aux trois questions suivantes :
quelle langue décrire et enseigner ? Quel statut (de validité en particulier)
conférer aux explications fournies par l’enseignant ? Quel cadre général, quel
type d’organisation choisir pour présenter ces démarches descriptives et
explicatives ? De ce point de vue, la réaction anti-applicationniste des didac-
ticiens et pédagogues vis-à-vis des linguistiques ne saurait plus désormais
justifier un certain éloignement par rapport aux analyses nouvelles de la lan-
gue ou un maintien de catégorisations et explications discutables ou pire
encore le retour à des conceptions appauvries et instrumentalistes identifiant
la langue à du matériel mis en jeu dans des opérations.

Sur le front du corpus travaillé en classe et de son traitement, on constate


que la dichotomie oral/scriptural, sur laquelle Jean Peytard nous avait alertés
il y a trente ans, n’arrive pas à constituer un principe de classement, d’organi-
sation dans les grammaires dites pédagogiques et dans l’écrasante majorité
des pratiques de classe. Nous avons l’idée, depuis les travaux sur la descrip-
88 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

tion du français parlé, en particulier ceux menés par le Groupe aixois de


recherches en syntaxe (GARS), que les productions orales sont analysables
mais aussi que l’outillage grammatical scolaire, qui ne suffit déjà pas pour
faire la description de toutes les tournures de la langue écrite, suffit encore
moins pour décrire l’ensemble des phénomènes qu’apporte l’observation du
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
parlé.

Sur le front des démarches heuristiques dans l’étude de la langue, Bernard


Combettes nous avait alertés il y a vingt ans dans un article de Pratiques sur
ce qu’il appelait le « nouvel esprit grammatical » songeant en particulier aux
« grammaires floues » qu’avaient initiées Georges Lakoff aux États-Unis,
Georges Kleiber et Martin Riegel en France. Dès avant cet article, l’esprit
avait commencé à souffler et il a continué depuis, dans des directions diffé-
rentes sans doute sur le plan intrathéorique mais, pour une lecture didacti-
que, dans un sens relativement homogène et qu’on pourrait doublement
caractériser : d’une part dans le sens de l’introduction d’une perspective
variationniste au sein même du système linguistique ; d’autre part dans le
sens d’une articulation entre composantes syntaxiques, lexicales et
sémantiques. Or cette double perspective heurte d’une certaine manière
l’héritage des grammaires structurale et générative première manière (dont la
pédagogisation fut réelle dans les années 1970) et bien sûr le figement de la
disposition des savoirs et des formulations de la grammaire scolaire. La criti-
que de la grammaire des parties du discours et des fonctions dès la fin des
années 1960 par Maurice Gross par exemple, et l’impulsion de Lakoff reprise
par B. Combettes posaient déjà la question de la nature des explications
grammaticales et du degré d’application des « règles ».

Pour ce qui concerne la variation, on peut se référer au principe polylectal


posé dans la recherche conjointe d’Alain Berrendonner, Michel Le Guern et
Gilbert Puech (1983), principe appliqué à la variation syntaxique mais aussi
lexicale et phonologique. Sans exposer le « modèle », on doit ici rappeler la
définition suivante : une grammaire polylectale est une grammaire qui consi-
dère que la variation est un trait d’organisation pertinent des systèmes lin-
guistiques et qui prend pour objet toutes les variantes que peut comprendre
une langue. Il s’ensuit que les limites du système « langue » doivent être
considérées comme indéterminées, d’abord parce qu’elles ne sont perçues
empiriquement qu’à travers l’ensemble aléatoire des emplois attestés ;
ensuite parce qu’on ne peut, sous peine d’arbitraire injustifiable, faire abs-
traction a priori de certaines variantes, pour des raisons externes, par exem-
ple normatives. Dans cette logique, c’est la notion de grammaticalité qui perd
toute existence au profit du principe d’exhaustivité : est pertinent non pas ce
qui est a priori jugé correct mais tout ce qui est attesté. Au-delà de la faisabi-
lité de l’entreprise, ce qui intéresse le didacticien dans cette tentative de trai-
tement interne de la variation linguistique, c’est une forme de « gain
épistémologique » qui ne consiste pas seulement dans la relativisation de
certaines catégories du discours linguistique-scolaire (la norme, la règle, le
Sciences du langage : le retour ■ 89

couple sens/grammaticalité, etc.) mais dans un changement de point de vue


sur ce que sont une langue et une grammaire. L’indétermination dans un cas,
l’exhaustivité dans l’autre interrogent quelque part la clôture du système – et
son excédent non pensé – ainsi que le principe de sélection, dont il faut
savoir s’ils sont ou non incontournables dès lors que nous avons affaire aux
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
impératifs de la communication pédagogique.

Il est significatif de noter que les linguistes se montrent de plus en plus sensi-
bles à la nécessité de « traiter le flou »1 en constatant d’abord comme une
« impossibilité d’achèvement », un « dérèglement du systématique », dès lors
par exemple qu’on recenserait en français 200 000 noms composés classa-
bles en 500 types… Mais si le travail du linguiste, c’est l’apport permanent de
l’empirique, des « exempliers », la confrontation au « réel de la langue »
(selon l’expression de Jean-Claude Milner), il appartient au fonctionnement
normal de la discipline de pratiquer sans cesse la reformulation des constats
descriptifs, des règles, de fournir de nouvelles définitions aux catégories
grammaticales ; si « tout est flou et mouvance » en particulier dans le
domaine de la locution, si – version épistémologiquement plus forte – l’idio-
maticité et la polysémie sont au cœur même de la langue, sommes-nous
condamnés à révoquer le concept de « système » ? En réalité, la tentation
existe d’utiliser une caricature conceptuelle avec l’opposition simpliste sys-
tème/variations pour mieux disqualifier le système, encore prisonnier du bina-
risme de la structure absolument étranger par exemple à l’édifice saussurien.
La critique exercée contre la méthodologie structuraliste a évidemment sa
pertinence mais elle laisse dans l’ombre la question de savoir exactement ce
qui est « flou » (les catégories peut-être) et où réside la systématicité : sont-
ce les opérations mises en œuvre par le linguiste ? Si l’élaboration d’une
théorie linguistique est dépendante de l’état de langue, du matériel linguisti-
que à disposition, si par exemple elle doit tenir compte d’un développement
sans précédent des clichés langagiers, des rituels, ne met-elle pas en crise
les opérations finalement rudimentaires dont nous nous servons : la substitu-
tion ou la permutation ?

Il y a sans doute à se préoccuper des méthodes de description, des procédu-


res de reconnaissance mais surtout à constater l’écart qui se creuse entre la
complexité des descriptions linguistiques et les contraintes de l’enseigne-
ment des langues. On sait bien que les grammaires comme objets manufac-
turés à destination pédagogique et même universitaire – tout comme les
dictionnaires – ne peuvent couvrir l’ensemble du domaine de la langue. Et à
un moment où les théories linguistiques semblent privilégier leur vocation
descriptive sans vouloir à tout prix conférer à leurs élaborations un pouvoir
prédictif, on se heurte à une difficulté lourde d’implications pour la didacti-

1. Cette expression et les suivantes ont été plusieurs fois employées par divers intervenants lors du Colloque international,
La Locution : entre lexique, syntaxe et pragmatique. Identification en corpus, traitement, apprentissage (ENS Fontenay/
Saint-Cloud, 24-26 novembre 1994), rencontre révélatrice à maints égards des avancées descriptives et d’un certain
« flou » épistémologique de la linguistique française.
90 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

que. Si l’on travaille sur de l’attesté, comment concilier cette visée avec l’idée
de la sélectivité normative, des possibles de la langue entre lesquels le sujet
est censé « choisir » ? Et c’est alors la question de l’enseignable, de sa déli-
mitation qui revient en force, question qui taraude l’esprit des didacticiens
sans que l’on accepte vraiment de l’affronter sur le terrain de la langue, d’une
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
langue donnée. Le « flou » ou la complexité – comme l’on voudra – induit
souvent dans le domaine de l’enseignement/apprentissage de la langue
l’idée d’une vanité de la théorisation au lieu d’inciter au redoublement de
l’effort conceptuel.

Le domaine du vocabulaire semble particulièrement touché par ces formes


de découragement alors même que ce biais du traitement de la variation
pourrait permettre la prise en compte en didactique du français de certaines
recherches lexicales, même si, comme la sémantique du prototype (cf. la pré-
sentation qu’en fait G. Kleiber dans l’ouvrage ainsi intitulé, 1990), elles
dépassent de loin le cadre de la seule étude de la langue. On peut seulement
rappeler, de manière trop rapide pour être suffisamment explicite, que, si
dans la tradition classique, on cherche les propriétés communes à des objets
qui permettent de proposer une définition de ce qui devient la classe de ces
objets, dans l’optique du prototype, le processus de catégorisation n’est plus
la découverte d’une règle de classification mais la mise en relief de covaria-
tions, de similitudes globales et la formation de prototypes de référence, par
exemple « moineau » pour la catégorie « oiseau ». L’un des intérêts d’une
telle conception pour notre domaine est la mise en évidence du faible pouvoir
descriptif de la théorie traditionnelle de la définition à cause de l’étendue des
cas et de l’ampleur des variations ; cette conception porte d’ailleurs tout
autant une critique de l’analyse sémique et en particulier des traits
sémantiques. Elle montre que la polysémie constitue non pas un accident ou
une marginalité mais le processus de dénomination régulier et naturel, carac-
téristique des langues, qui les éloigne encore une fois – et de manière radi-
cale – de toute assimilation à un code.

Nous sommes à un moment où la didactique du vocabulaire cherche des


points d’ancrage théoriquement fondés pour circonscrire, si c’est possible,
une place pour le lexique dans l’enseignement du français. On sait là aussi
qu’il s’agit d’un problème de division des objets à traiter : entre l’apprentis-
sage de la consultation des dictionnaires (et quels dictionnaires ?) et l’ensei-
gnement systématique d’une lexicologie (et laquelle ?), entre la dépendance
du lexical vis-à-vis du textuel, du culturel et son rattachement à l’édifice
grammatical, toutes sortes de solutions didactiques sont explorées, qui se
traduisent sur le versant pédagogique par des prises de position concernant
la gestion des classes de français mais qui ne peuvent être coupées des
grands débats en linguistique sur, par exemple, l’autonomie ou la
dépendance du lexical et du syntaxique.
Sciences du langage : le retour ■ 91

De ce point de vue, on peut essayer, sans aucunement prétendre que les


didacticiens aient vocation à pénétrer la complexité des « modèles » les plus
récents, au moins de se représenter les avancées vers ce qu’Anne Abeillé
nomme, dans son ouvrage de 1993 consacré aux nouvelles syntaxes, les
« grammaires d’unification ». Au moment même où le dispositif grammatical
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
scolaire s’emparait, pour toutes sortes de raisons qu’on peut partiellement
analyser, de la notion de transformation, apport des premières versions du
chomskysme jusqu’à la « théorie standard étendue » de la fin des années
1970, M. Gross se heurtait, pour l’application au français du modèle transfor-
mationnel, à la grande hétérogénéité des items lexicaux et réorientait ses tra-
vaux vers une description systématique du comportement des verbes
français et, plus généralement, vers l’organisation du lexique sous forme de
lexiques-grammaires : la construction de ces lexiques-grammaires par le
LADL (Laboratoire d’Automatique Documentaire et Linguistique à Paris VII)
consiste à donner pour chaque mot (ou groupe de mots significatifs) du fran-
çais une description des phrases types qui caractérisent son fonctionne-
ment, et des relations entre ces phrases. Il n’est pas question d’un simple
catalogue mais d’une organisation des données qui repose sur les travaux
syntaxiques de Harris, auxquels elle ajoute les informations lexicales indis-
pensables sous une forme adéquatement formalisée. C’est qu’il apparaît
impossible d’envisager une règle ou une transformation sans prendre en
compte les unités lexicales mises en jeu. On ne comprendrait pas sans cela
pourquoi certaines transformations comme la transformation passive se trou-
veraient bloquées dans certains cas. D’où le caractère fondamental des traits
sémantiques servant à caractériser les noms dans le lexique-grammaire des
verbes.

Il est évident qu’une réflexion, aussi rapide soit-elle, à partir de ce type de


travaux ne peut pas ne pas questionner la forme même des grammaires et le
mode de fonctionnement des dictionnaires, ne pas non plus affecter les
démarches explicatives. D’ailleurs, la critique du modèle transformationnel
n’a cessé de se développer à partir d’horizons différents et d’abord au sein
même du paradigme chomskyen. La conception de la modularité des théo-
ries grammaticales comme ensembles scindés en plusieurs sous-systèmes
autonomes et cohérents constitue chez Noam Chomsky (1982, traduction
française en 1987) une des réponses possibles à l’interrogation sur les rap-
ports de la syntaxe et du lexique : les formes syntaxiques sont-elles intégra-
lement déterminées par les caractéristiques lexicales des unités ? Ou ont-
elles une définition et un mode de fonctionnement en partie autonomes par
rapport au lexique ? Qu’on soit au niveau de la grammaire universelle qui
situe les sources de la variation des langues entre elles dans les différents
sous-systèmes qui composent le dispositif grammatical ou au niveau de la
grammaire d’une langue qui situe cette variation dans la stratification des lec-
tes, le bénéfice, me semble-t-il, dans tous les cas pour une didactique de la
langue/des langues, c’est la compréhension toujours renouvelée de ce qu’est
une langue comme système, comme « système de systèmes ».
92 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

On n’a pas eu pour ambition de faire un « tour d’horizon » des nouvelles


démarches en sciences du langage mais seulement de souligner que si les
conceptions du langage portent des enjeux didactiques, c’est aussi le fait
des conceptions de la structure et du fonctionnement des langues. On ne
saurait se contenter en didactique du français de poser que la langue est un
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
système pour mieux ne pas en tirer les conséquences sur son usage, sa mise
en œuvre. Les avancées conceptualisatrices dans cette didactique devraient
permettre un effacement de la vindicte anti-applicationniste s’exerçant sur-
tout au détriment de la linguistique pour que se continue une des richesses
intellectuelles de la tradition française et francophone, à savoir l’implication
des spécialistes des sciences du langage dans les problèmes d’enseigne-
ment/apprentissage des langues. La poursuite de ce mouvement suppose en
retour que ces mêmes spécialistes ne restent pas sourds au renouvellement
des problématiques didactiques et ne confondent pas l’état actuel de la dis-
cipline « français » avec leurs lointains souvenirs d’écoliers ou de lycéens…

Alors même que, dans les sciences de la nature et de la vie, on reconnaît


volontiers que le passage par l’enseignement, par la formulation transmissi-
ble des états de la recherche ne reste pas sans effet sur les éventuels inflé-
chissements de ladite recherche, dans les sciences humaines – et
spécifiquement celles où s’interpénètrent langage et éducation –, la recom-
position conceptuelle des savoirs, la redéfinition des objets et de leurs appro-
ches possibles ne sauraient ignorer les contraintes de l’enseignable et les
avatars de la transmission. Qu’il s’agisse des logiques de la « communi-
cation », des fonctions de l’écrit, des « contenus » grammaticaux et lexicaux,
les chercheurs en didactique du français peuvent s’inspirer du mot de D. H.
Hymes selon lequel « ce qui importe à la linguistique va bien au-delà de la lin-
guistique elle-même ».

Références bibliographiques
ABEILLE, A. (1993), Les nouvelles Syntaxes, Paris, A. Colin.
AUROUX, S. (1991), « Lois, normes et règles », Histoire-Épistémologie-Langage,
tome 13, fasc. I, Saint-Denis, PU de Vincennes.
BERRENDONNER, A., LE GUERN, M. & PUECH, G. (1983), Principes de gram-
maire polylectale, Lyon, PU de Lyon.
BESSE, H. & PORQUIER, R. (1984), Grammaires et didactique des langues, Paris,
Hatier/Didier-Crédif.
BESSE, H. (1989), « (Pré)conceptions et finalités de techniques d’enseignement
de la grammaire d’une langue seconde ou étrangère », Triangle 8, Paris, Didier-
Érudition.
BOUCHER, A.-M. (1990), Propositions en vue d’une pédagogie de la grammaire,
Québec, Direction de la Formation générale.
BRASSART, D.-G. et alii (1990), Perspectives didactiques en français. Actes du
colloque de Cerisy, Université de Metz et Pratiques.
Sciences du langage : le retour ■ 93

BRONCKART, J.-P. & CHISS, J.-L. (1990), « Linguistique, psycholinguistique et


didactique du FLM. Réflexions à partir d’un cursus de formation
d’enseignants », Repères, n° 1, nouvelle série, Paris, INRP.
BRONCKART, J.-P., GAGNÉ, G. & ROPÉ, F. (éds), (1991), « État de la recherche
en didactique du français langue maternelle », Études de linguistique appli-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
quée, n° 84, Paris, Didier Érudition.
BRONCKART, J.-P. & CHISS, J.-L. (1993), « La didactique de la langue
maternelle », Encyclopedia Universalis.
Cahiers de L’APLIUT (1991), « Les grammaires : du traité théorique au manuel
pédagogique ; de l’ouvrage de référence au recueil d’exercices », n° spécial,
41, Sèvres, APLIUT.
CHISS, J.-L. (éd.) (1982), « Linguistique et formation des enseignants de
français », Langue française, n° 55, Paris, Larousse.
CHISS, J.-L. & MARCHAND, F. (éds) (1985), « Didactique du français langue
maternelle : théories, pratiques, histoire », Études de linguistique appliquée,
n° 59. Paris, Didier-Érudition.
CHISS, J.-L. (1991), « L’étude de la langue dans les pays francophones. Esquisse
de bilan et perspectives actuelles », Études de linguistique appliquée, n° 84.
Paris, Didier-Érudition.
CHISS, J.-L. & DABÈNE, M. (éds) (1992), « Recherches en didactique du français
et formation des enseignants », Études de linguistique appliquée, n° 87, Paris
Didier-Érudition.
CHISS, J.-L. & DAVID, J. (1992), « La règle orthographique : représentations, con-
ceptions théoriques et stratégies d’apprentissage », Langue française, n° 95,
Paris, Larousse.
CHOMSKY, N. (1987), La nouvelle Syntaxe, Paris, Seuil.
COMBETTES, B. (1982), « Grammaires floues », Pratiques, n° 33, Metz, Prati-
ques.
COULON, A. (1993), Ethnométhodologie et éducation, Paris, PUF.
DESCLÉS, J.-P. (1989), « À la recherche des catégories grammaticales », Le Fran-
çais dans le monde, recherches et applications, n° spécial, « … Et la
grammaire », Paris, Hachette-Edicef.
FRAENCKEL, B. (éd.) (1993), Illettrismes. Variations historiques ci anthropologi-
ques, Paris, Centre G. Pompidou.
GOODY, J. (1994), Entre l’oralité et l’écriture, Paris, PUF.
HALTÉ, J.-F. & PETITJEAN, A. (éds) (1982), Pour un nouvel enseignement du fran-
çais Paris/Bruxelles, Duculot et De Boeck.
HALTÉ, J.-F. (1992), La Didactique du français, Paris, PUF, Coll. « Que sais-je ? »
n° 2656.
HALTÉ, J.-F. (éd.) (1993), Inter-actions. Metz, Université de Metz.
HYMES, D. H. (1984), Vers la compétence de communication, Paris, Hatier-
Didier-Crédif, Coll. « LAL ».
JOB, B. (éd.), (1989), « Enseigner la grammaire des langues », Études de linguisti-
que appliquée, n° 74, Paris, Didier Érudition.
KLEIBER, G. & RIEGEL, M. (1978), « Les grammaires floues », dans R. Martin
(éd.), La Notion de recevabilité en linguistique, Paris, Klincksieck.
KLEIBER, G. (1990), La Sémantique du prototype. Catégories et sens lexical,
Paris, PUF.
LAHIRE, B. (1993), Culture écrite et inégalités scolaires, Lyon, PUL.
94 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

LAHIRE, B. (1993), « Rapport au langage et apprentissage de la lecture et de


l’écriture », Recherche en éducation, théorie et pratique, n° 13, Bruxelles,
CBRDFP.
Langues modernes [Les] (1989), « Théories linguistiques et, pratiques grammati-
cales », n° 3-4, Paris, APLV.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
LECLERE, C. (1989), « Les mots ont-ils une grammaire ? », Le Français dans le
monde, recherches ci applications, n° spécial, « … Et la grammaire », Paris,
Hachette-Édicef.
MAURAND, G. (éd.) (1988), Nouvelles recherches en grammaire, colloque d’Albi,
Université de Toulouse-Le-Mirail.
PARRET, H. (1991), « Sens homogène et sens hétérogène : les domaines de la
sémantique et la pragmatique », Histoire-Epistémologie-Langage tome 13,
fasc. 1, Saint-Denis, PU de Vincennes.
PAVEL, T. (1988), Le Mirage linguistique. Essai sur la modernisation intellectuelle.
Paris, Éditions de Minuit.
RIEGEL, M., PELLAT, J.-C. & RIOUL, R. (1994), Grammaire méthodique du fran-
çais, Paris, PUF.
SCHLANGER, J. (1992), « Fondation, nouveauté, limites, mémoires », Communi-
cations, n° 54, Paris, Seuil.
SCHLANGER, J. (1993), La Mémoire des œuvres, Paris, Nathan.
SCHOENI, G., BRONCKART, J.-P. & PERRENOUD, Ph. (éds) (1988), La Langue
française est-elle gouvernable ?, Paris-Neuchâtel, Delachaux & Niestlé.
VIVES, R. (1989), « La grammaire : quelques repères pour faire le point », Triangle
8, Paris, Didier Érudition.
6
Didactique
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
du français
langue maternelle :
approche(s)
« cognitiviste(s) » ?
Dominique-Guy BRASSART

Les choses semblent ainsi faites que la réflexion de type scientifique sur
l’éducation, sur la transmission-acquisition scolaire des savoirs et des savoir-
faire ne paraît envisageable que grâce aux avancées d’une science ou de
sciences qui n’ont pas comme objet premier et prioritaire les apprentissages
scolaires. Faute d’une science de l’éducation – projet auquel la communauté
des chercheurs en sciences de l’éducation a renoncé –, la légitimité est
recherchée du côté d’une science pilote qui, le plus souvent, considère le
domaine de l’école comme une de ses provinces sur laquelle elle peut exer-
cer ses visées hégémoniques et étendre son empire.

Cette situation n’est pas nouvelle. L’argumentation développée par E.


Durkheim (1922) au profit de la sociologie (telle qu’il la conçoit) est à cet
égard exemplaire. Dans un premier temps, c’est à l’Éducation, et à la psy-
chologie que E. Durkheim réfère la pédagogie, cette « théorie pratique » qui
réfléchit aux pratiques éducatives (scolaires, familiales) non pas seulement
pour les connaître de manière désintéressée (ce que serait la science de
l’éducation à constituer) mais pour les évaluer et déterminer ce qui doit être.
La pédagogie peut prendre appui sur la sociologie pour déterminer les fins de
l’éducation, et sur la psychologie pour tout ce qui regarde les moyens. Mais
bien vite, le propos de E. Durkheim consiste à minorer l’apport possible de la
psychologie au bénéfice de la sociologie. L’éducation étant chose éminem-
ment sociale, par ses origines comme par ses fonctions, la pédagogie
96 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

dépend donc plus étroitement de la sociologie que de toute autre science :


tel est « le postulat même de toute spéculation pédagogique » (E. Durkheim,
1922-1903, p. 92). La psychologie comme science qui a pour objet de décrire
et d’expliquer « l’homme individuel » est une ressource insuffisante pour le
pédagogue, y compris dans la détermination des moyens pour atteindre les
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
fins : « parce que les fins de l’éducation sont sociales, les moyens par les-
quels ces fins peuvent être atteintes doivent nécessairement avoir le même
caractère », c’est la sociologie qui, en tant que science des institutions socia-
les, aide à comprendre ce que sont ou à conjecturer ce que doivent être les
institutions pédagogiques en tant que microcosmes sociaux. Et E. Durkheim
de mettre en garde les « messieurs » à qui il s’adresse à l’égard de la psycho-
logie scientifique naissante et, on peut le supposer, des recherches comme
celles conduites par A. Binet : « Vous voyez donc avec quelle prudence et
quelle mesure, même quand il s’agit de la détermination des méthodes, il
convient d’utiliser les données de la psychologie. À elle seule, elle ne saurait
nous fournir les éléments nécessaires à la construction d’une technique qui,
par définition, a son prototype, non dans l’individu mais dans la collectivité »
(E. Durkheim, 1922, p. 109).

D’une certaine façon, J. Piaget (1969) répond à E. Durkheim. Contre la thèse


soutenue par Dottrens de l’indépendance complète de la pédagogie expéri-
mentale, il milite en faveur d’une nécessaire collaboration avec la psycholo-
gie de l’enfant, dès lors du moins que la pédagogie expérimentale ne se
contente pas de constater « positivement », empiriquement des phénomènes
d’apprentissage scolaire. « Si la pédagogie expérimentale veut comprendre
ce qu’elle fait et compléter ses constatations par des interprétations causales
ou “explications”, il est évident qu’il lui faudra recourir à une psychologie pré-
cise et non pas simplement à celle du sens commun. […] La pédagogie
expérimentale ou l’étude des programmes et des méthodes a besoin de la
psychologie au même titre que la médecine repose sur la biologie ou la phy-
siologie sans se confondre avec elle » (J. Piaget, 1969, pp. 39 et 40). On
notera cependant que J. Piaget adopte une position moins dogmatique et
impérialiste que E. Durkheim. D’une part, la pédagogie expérimentale peut
être une science indépendante quant à son objet d’étude. D’autre part, si elle
peut progresser vers le statut de « vraie science », c’est grâce à des recher-
ches interdisciplinaires, qui impliquent, sans exclusive a priori, la psychologie
et ses domaines.

Nous n’avons pas l’ambition de participer à notre tour à ces disputes presti-
gieuses. Nous voudrions, plus modestement, évoquer l’intérêt que présente
l’approche cognitiviste, telle que nous la concevons, pour la construction de
ce qui pourrait être une didactique théorique ou scientifique du français.
Nous voudrions également montrer que cette approche ne devrait pas se
figer en une posture dogmatique, en une utopie totalitaire, ni dégénérer en un
slogan adressé aux enseignants : « il n’y a qu’à… ». Il nous semble en effet
que la didactique des disciplines ne peut pas tout régler à l’école, qu’elle
Didactique du français langue maternelle : approche(s) « cognitiviste(s) » ? ■ 97

n’est pas la solution miraculeuse aux problèmes éducatifs. La didactique


théorique ne peut réellement prétendre dire ce qu’il faut faire ici et mainte-
nant, régler le détail des pratiques didactiques quotidiennes. En ce sens, la
didactique de terrain n’est pas une application de la didactique de recherche,
mais, au mieux, une transposition interne par des professionnels de l’ensei-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
gnement qui devraient être les concepteurs de leurs pratiques. Et même
quand la didactique théorique imagine des cycles d’interventions didactiques
et les teste dans des classes, la réappropriation des résultats de ces recher-
ches par les enseignants passe par des processus d’affiliation, d’enrôlement
et de croyance, processus sans lesquels l’implication professionnelle et per-
sonnelle ne paraît pas possible, mais qui échappent dans une large mesure
au pouvoir de la didactique théorique.

Ne s’agit-il pas en fait pour la didactique scientifique, comme pour toute


démarche scientifique, de construire des objets de connaissance qui ne pré-
tendent pas « épuiser le réel » en ce qu’ils ne sont pas des copies des objets
« naturels » qu’il suffirait d’observer naïvement, sans modèle théorique ? Et si
le « tout » n’est pas connaissable scientifiquement, c’est-à-dire explicable ou
descriptible dans le cadre d’une structure analytique de variables et de
mécanismes, ne convient-il pas d’accepter, en connaissance de cause, les
simplifications voire le réductionnisme de la distance et de l’abstraction
épistémiques dans le cadre d’un paradigme ?

A ■ « Révolution cognitive »
et didactique des disciplines

Quel est, fondamentalement, le sens du paradigme proposé par la


« révolution cognitive des années cinquante » ? Pour ses « inventeurs »
comme Bruner, « la révolution cognitive […] avait l’ambition de ramener
l’esprit dans le giron des sciences humaines, d’où l’avait chassé le long hiver
glacé de l’objectivisme. […] C’était un effort acharné pour mettre la significa-
tion au centre de la psychologie. [… Ils] voul[aient] découvrir et décrire for-
mellement les significations que l’être humain crée au contact du monde, et
émettre des hypothèses sur les processus à l’œuvre dans cette création. [Ils]
voul[aient)] étudier les activités symboliques que l’homme utilise pour cons-
truire et donner un sens au monde qui l’entoure et à sa propre existence. »
(J.S. Bruner, 1991, pp. 17-18).

Travailler dans le cadre de ce paradigme, c’est en effet souhaiter ne pas limi-


ter l’investigation scientifique aux seuls faits directement observables et plus
ou moins contrôlables – la situation et les stimuli d’entrée auxquels est sou-
mis l’organisme du sujet et les comportements ou conduites qu’il manifeste
en guise de réponse –, et ne pas renvoyer à une « boîte noire » impénétrable
les opérations mentales par lesquelles sont traités les stimuli et produites les
98 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

réponses. Par opposition au paradigme behavioriste classique, l’approche


cognitiviste estime qu’il est possible, sous certaines conditions, de connaître
scientifiquement ce qui n’est pas directement observable. Elle s’intéresse
donc aussi à cette « boîte noire » et cherche à modéliser les processus men-
taux que mettent en œuvre les sujets, conçus comme « systèmes de traite-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
ment de l’information », pour accomplir des tâches (cf. J. Lautrey, 1982 ; P.H.
Lindsay & D.A. Norman, 1980, entre autres).

Ces modélisations sont des constructions hypothétiques, des simulations


par inférence de ce qui se passe réellement dans « la tête des gens » et qui
reste évidemment « intouchable », inobservable directement. Leur plausibilité
psychologique doit être testée, « démontrée » ou « prouvée » par le recours à
des expérimentations, si l’on veut essayer d’échapper aux limites et aux illu-
sions possibles de l’introspection de la psychologie naissante qui avaient
provoqué la réaction behavioriste. Les chercheurs s’efforcent alors de
contrôler aussi finement que possible un grand nombre de paramètres pour
faire jouer quelques variables indépendantes (âge des sujets, type d’organi-
sation ou de présentation de l’information source…) et comparer les effets
prévus par le modèle avec les effets constatés sur des variables dépendan-
tes (temps de réaction, de traitement, de production, rythme temporel du trai-
tement, fréquence, répartition et durée des « pauses », nature et organisation
des informations rappelées dans le protocole de rappel ou de résumé par
rapport à l’information source, réponses à des questions…). Ils peuvent éga-
lement recueillir et analyser des « protocoles verbaux » (J.R. Hayes & L.
Flower, 1980 ; J.M. Hoc, 1984 ; V. Gufoni, 1995 et 1996), des « entretiens
d’explicitation » (P. Vermersch, 1994) en demandant aux sujets d’évoquer et
de dire leurs contenus de pensée en cours de tâche ou après son accomplis-
sement.

Mais même quand les résultats ainsi obtenus confortent sinon confirment les
hypothèses que permet la modélisation et les options qui la sous-tendent,
rien n’autorise à dire pour autant que ces modélisations psychologiquement
plausibles sont « vraies », i.e. qu’elles constituent une représentation réaliste,
une « photographie » de ce qui se passe « dans la tête » des sujets : la carte
n’est pas le territoire. C’est d’ailleurs pourquoi il est possible que deux voire
plusieurs modèles théoriques rendent compte de manière également valide
d’un même traitement cognitif.

On imagine assez facilement comment les didactiques (théoriques) des disci-


plines peuvent tenter de se construire dans le cadre du paradigme cogniti-
viste, grâce à l’articulation de trois types de modèles spécifiques au domaine
disciplinaire (D.G. Brassart, 1990 ; D. Bain & B. Schneuwly, 1993) :
– un modèle de l’expertise qui rendrait compte des divers connaissances et
processus mis en œuvre par les sujets compétents pour accomplir telle
ou telle classe de tâches et qui, en quelque sorte, constituerait l’horizon
plus ou moins lointain des interventions didactiques en classe ;
Didactique du français langue maternelle : approche(s) « cognitiviste(s) » ? ■ 99

– un modèle du développement-apprentissage qui « décrirait » les étapes


par lesquelles les sujets novices passeraient pour se rapprocher plus ou
moins de telle ou telle expertise et expliquerait les modalités de passage
d’une phase à l’autre ;
– un modèle de l’intervention didactique qui, en fonction du modèle du
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
développement-apprentissage, définirait et validerait des « cycles
didactiques », des ensembles d’activités didactiques facilitant le passage
d’une conduite de traitement d’une classe de tâches à une autre conduite
moins « primitive », plus proche des conduites cognitives expertes.

En fait, la réalisation d’un tel programme est, en ce qui concerne du moins la


didactique du français, bien plus complexe qu’on pourrait le penser à la lec-
ture de cette présentation simpliste. D’une part en effet le traitement cognitif
des tâches langagières met en jeu plusieurs types de connaissances qu’il
convient de distinguer et d’articuler à la fois. D’autre part et surtout, contrai-
rement à ce que laisse entendre la vulgarisation rapide de certains résultats
de la recherche en psycholinguistique cognitive, il n’y a pas un mais des
modèles distincts de l’expertise langagière, du développement-apprentis-
sage des conduites langagières, de l’intervention didactique. Cette pluralité
de modèles ne devrait pas être négligée mais au contraire intégrée à une
réflexion didactique qui ne serait pas un simple applicationnisme.

B ■ Connaissances déclaratives,
connaissances procédurales

Depuis les années 1970, l’enseignement du français (à l’école primaire et au


collège, au moins) se donne explicitement comme objectif général premier le
développement des compétences langagières des élèves, de leurs capacités
à produire et comprendre des textes et discours dans des situations variées,
aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. Comme on le dit quasi systématiquement dans
les Instructions officielles des années 1970-1980, il s’agit de « rendre les élè-
ves capables de communiquer et de s’exprimer avec aisance, clarté et cor-
rection, oralement et par écrit, dans la langue d’aujourd’hui ».

Si l’on accepte la distinction entre connaissances ou représentations décla-


ratives (elles sont d’ordre verbal, s’apprennent vite, sont explicites et sont
directement accessibles via leur codage propositionnel en mémoire) et con-
naissances ou représentations procédurales (elles relèvent de l’action – non
pas seulement motrice, mais aussi mentale ou cognitive –, demandent un
apprentissage long, sont implicites ou inconscientes et sont difficilement
accessibles. cf. J.-M. Hoc, 1987, 1990 ; J. Tardif, 1992), il est clair que ce
sont des savoir-faire, des savoir « comment… », des connaissances procé-
durales qui sont visés, et non des connaissances déclaratives propositionnel-
les, des savoir « que… ».
100 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

Le traitement cognitif des textes met bien en jeu des connaissances décla-
ratives « factuelles » relatives au domaine thématique évoqué (C. McCut-
chen, 1986 ; C. Bereiter & M. Scardamalia, 1985, 1987), mais la compétence
textuelle elle-même est de l’ordre des savoir-faire et des connaissances pro-
cédurales, ou stratégiques étant donnée la complexité des tâches (M. Fayol,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
1993 ; M. Fayol & J.-M. Monteil, 1994). Cependant, le développement-acqui-
sition de la compétence textuelle passe sans doute par une ou des phases
métaprocédurales (A. Karmiloff-Smith, 1986, 1993) et s’accompagne d’un
développement métacognitif (J.H. Flavell, 1985, p. 31), même si les effets de
cette « activité méta » ne sont pas nécessairement toujours conscients ni
verbalisables en un « comment j’ai fait pour… » et peuvent rester épilanga-
giers (A. Karmiloff-Smith, 1979, 1993 ; A. Culioli, 1976). La dichotomie
« déclaratif/procédural » doit donc être modulée et complexifiée.

Soit les énoncés suivants (J.-P. Fisher, 1992, p. 22, cités par J. Fijalkow,
1995) :
1. « Un cercle est un ensemble de points équidistants d’un point donné »
(dans un plan, et non dans l’espace…).
2. « Pour construire un cercle, tourner le compas avec un bras fixé jusqu’à
ce que l’autre bras soit revenu à son point de départ » (avec un écarte-
ment constant…).

L’énoncé 1 est présenté comme un exemple type de « définition déclarative »,


l’énoncé 2 comme un exemple type de « définition procédurale ». En réalité, il
nous semble que l’énoncé 2 a un statut ambigu. S’agit-il d’un énoncé produit
par un chercheur-observateur pour nommer une connaissance procédurale
mise en œuvre par un sujet agissant et disponible dans la mémoire à long
terme de ce dernier sous une forme non propositionnelle, non verbale
(schème d’action ou de conduite) ? S’agit-il d’une connaissance déclarative
métaprocédurale produite conjoncturellement par le sujet agissant qui prend
conscience (réflexivement, J. Piaget 1974a et b) de sa conduite effective et la
décrit verbalement ? S’agit-il d’une connaissance déclarative métapro-
cédurale décontextualisée et mémorisée par le sujet agissant suite à une
série d’activités de traçage ? S’agit-il d’une connaissance déclarative objec-
tivement disponible et susceptible d’être transmise verbalement à un sujet
pour guider/contrôler sa conduite (cf. la présentation par J.-P. Bronckart
(1977, pp. 73-79) des travaux de Luria dans le cadre de la théorie Vygotski-
Luria) ?

Pour le domaine des conduites langagières et des objets linguistiques, on


peut essayer de situer et d’articuler les diverses modalités de connaissances
ou de représentations déclaratives à l’aide du tableau suivant :
Didactique du français langue maternelle : approche(s) « cognitiviste(s) » ? ■ 101

SUBJECTIVE OBJECTIVE
connaissance/
(je-vraie) (on/nous-vraie)
représentation
déclarative
Spécifique Générique Générique
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
métalinguistique (x ?) x x

métaprocédurale x x x

On distingue d’abord objets linguistiques (phrase, texte, etc.) et conduites


cognitives (procédures, stratégies) de traitement (production, compré-
hension) des objets langagiers par des sujets et, par extension, les connais-
sances ou représentations déclaratives qui les évoquent : les connaissances
déclaratives métalinguistiques et les connaissances déclaratives métapro-
cédurales.

On identifie ensuite les « agents ou instances cognitifs » qui portent et énon-


cent ces connaissances. Les connaissances « subjectives » sont énoncées,
en son nom personnel, par un sujet qui les considère comme propres à lui et
vraies pour lui. Il peut s’agir de représentations génériques, relatives à des
classes d’objets linguistiques ou de conduites langagières : on peut parler ici
de « conceptions ». Il peut s’agir également de représentations spécifiques
ou « token » évoquées à propos d’un événement langagier circonstanciel.
Les connaissances « objectives » sont considérées ici comme des
« représentations sociales », propres à un groupe socioculturel et vraies pour
les membres de ce groupe (nous-vraies), ou comme des connaissances
scientifiques, par principe universellement vraies (on-vraies) même si elles
sont produites et portées par une communauté scientifique.

Ces catégorisations heuristiques appellent des commentaires et permettent


de poser une série de questions.

La distinction « métalinguistique/métaprocédurale » est issue du fait que des


modèles métalinguistiques des objets ne valent pas modèles du traitement
cognitif de ces objets par des sujets. Cette position est clairement revendi-
quée et assumée par les linguistes « structuralistes » qui, depuis Saussure,
définissent la spécificité de leur objet d’étude par le principe d’immanence,
entre autres. Dans ce cadre épistémologique, les linguistes n’ont pas à se
poser la question de la pertinence psychologique de leurs théories et des-
criptions de la langue. Ce choix est d’ailleurs indépendant de la nature et de
la « taille » des unités qui sont retenues comme linguistiquement
connaissables : il s’applique aussi bien aux linguistiques phrastiques qu’aux
linguistiques textuelles. Par exemple, les « superstructures typologiques » qui
décrivent les propriétés d’organisation interne des objets linguistiques
102 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

« textes » (voir les travaux de J.-M. Adam) ne sont pas directement assimila-
bles aux « schémas textuels prototypiques » comme représentations cogniti-
ves, même si les formalisations « savantes » qui en sont proposées sont très
voisines sinon identiques. Ces deux notions ne relèvent pas du même
« régime » ni du même « mode » de connaissance.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
Du point de vue des connaissances « subjectives », cela signifie que les con-
naissances déclaratives métalinguistiques, acquises socioculturellement et/
ou transmises par l’école, n’ont pas en elles-mêmes valeur fonctionnelle et
procédurale. Elles peuvent sans doute être mobilisées comme critères de
bonne formation plus ou moins explicites dans des opérations d’évaluation
des objets linguistiques produits, et être enseignées dans une perspective
d’évaluation formative (C. Garcia, 1990 ; D. Bain & B. Schneuwly, 1993). En
revanche, la planification du traitement textuel en production, en rappel voire
en compréhension mobiliserait stratégiquement des connaissances schéma-
tiques, des schèmes de conduites textuelles prototypiques, qui, éventuelle-
ment, peuvent donner lieu à prise de conscience et à verbalisation
métaprocédurale (J.R. Hayes & L. Flower, 1980 ; É. Espéret, 1991).

D’autre part, la catégorisation proposée conduit à s’interroger sur les distinc-


tions « intercolonnes », sur les relations possibles entre les différentes moda-
lités de connaissances ou représentations déclaratives métaprocédurales. La
verbalisation des connaissances métaprocédurales subjectives spécifiques
peut être provoquée par la technique des protocoles verbaux (J.R. Hayes &
L. Flower, 1980 ; V. Gufoni, 1995), ou par celle des entretiens d’explicitation
(P. Vermersch, 1994). Les sujets sont invités et encouragés à évoquer ou à se
remémorer verbalement les représentations cognitives « token », les conte-
nus de pensée qui « accompagnent » ou « ont accompagné » leur action au
cours d’une tâche particulière. Il convient cependant de souligner que l’on
n’obtient pas le même type de verbalisation en réponse à une demande
d’explicitation (« comment j’ai fait pour… ») ou d’explication (« comment je
fais en général pour… », « pourquoi j’ai procédé de cette manière… ») qui
déclenche une verbalisation générique.

Les « conceptions » génériques verbalisées par les sujets sont, quant à elles,
à la fois « subjectives » et « objectives » en ce sens qu’elles reflètent une cer-
taine généralisation réflexive des procédures et stratégies effectivement
mises en œuvre par les sujets, et l’influence des connaissances métapro-
cédurales objectives : les représentations sociales ou « ethno-méthodes »
qui « circulent » dans un groupe social, voire les théories ou modèles scienti-
fiques plus ou moins vulgarisés.

Dans ces conditions, les approches cognitivistes (orientées vers les condui-
tes effectives et les représentations subjectives) et sociologiques (orientées
vers les pratiques habituelles et les représentations sociales) ne se recoupent
que partiellement et peuvent ainsi se compléter. On peut cependant se
Didactique du français langue maternelle : approche(s) « cognitiviste(s) » ? ■ 103

demander si l’approche sociologique peut rendre compte des conduites


effectives des sujets. Peut-on définir des compétences scripturales
« opérationnelles » à travers l’analyse de corpus de textes et le dépouillement
d’une enquête sur les représentations sociales, génériques donc, de l’écrit
(M. Dabène, 1987) ? Peut-on définir, comme le fait par exemple B. Lahire
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
(1991, 1993a), des « modes d’appropriation populaires des textes » à partir
de descriptions génériques par les sujets de leurs pratiques de lecture, en
l’occurrence des types de documents lus, des objectifs ou intentions atta-
chés à cette lecture, des conditions matérielles de lecture, etc. ? Il y a, à tout
le moins, ambiguïté sur le mot « appropriation ».

Plus largement, c’est la question de l’influence des représentations sociales


sur les conduites cognitives effectives qui n’est pas pleinement clarifiée,
même dans le cadre d’une possible « psychologie sociale du fonctionnement
cognitif » (J.-M. Monteil, 1991). Des enquêtes sociologiques comme celles de
B. Lahire (1993b, 1994) redécouvrent que certaines représentations sociales
de l’écrit sont des obstacles à l’apprentissage rapide et efficace de la lecture
et de l’écriture. Ces représentations socioculturelles obstacles redoublent les
« conceptions confuses » de l’écrit mises en évidence par les travaux de
E. Ferreiro et peuvent/doivent faire l’objet, à l’école, d’un travail de
« clarification cognitive » (J. Downing & J. Fijalkow, 1984 ; J. Downing, 1986).
Elles ne permettent cependant pas d’affirmer, comme on aurait pu s’y atten-
dre, que les enfants apprennent à lire-écrire différemment en fonction de leur
origine socioculturelle. Les évaluations de B. Lahire (comme celles de M.
Brossard et al., 1987 ; É. Espéret, 1979, M. Brossard et al., 1978, par exem-
ple) enregistrent classiquement des écarts de performance sensibles entre
les groupes d’élèves, mais ces écarts sont interprétés comme des retards
relatifs dans l’apprentissage et non comme la trace de processus d’appren-
tissage différents.

À partir de ces réflexions, deux types d’interventions didactiques sensible-


ment différents voire contradictoires ont été conçus et mis en œuvre pour
viser les objectifs généraux de l’enseignement de la langue maternelle qui ont
été énoncés plus haut. Dans un premier modèle, on considère que les con-
naissances procédurales ne peuvent résulter que de l’activité elle-même, les
verbalisations et connaissances métaprocédurales n’intervenant que secon-
dairement. C’est dans cette perspective que nous avons essayé de définir les
éléments de ce que nous appelions une « didactique cognitive du français
langue maternelle » – « didactique (cognitive) procédurale » est plus juste –,
et de critiquer l’application de la notion de transposition didactique à la
didactique du français (D.G. Brassart, 1987, 1990, 1993). Dans le second
modèle, on estime qu’il est possible d’enseigner directement les procédures
et stratégies cognitives de traitement langagier en misant sur la procédurali-
sation des connaissances déclaratives métaprocédurales savantes transpo-
sées. Il n’y a donc pas, il faut le souligner, un modèle unique et unifié de
l’intervention didactique inspiré par l’approche cognitiviste.
104 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

C ■ « À connaissances procédurales,
didactique procédurale »

L’argumentation sous-jacente au modèle procédural part d’un constat appa-


Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
remment trivial. La didactique du français langue maternelle vise à ce que les
apprenants maîtrisent à terme les compétences langagières des experts, et
non pas à transmettre les théories (même transposées) de l’expertise langa-
gière. Enseigner le français, ce n’est pas faire un cours ni même des travaux
pratiques de psycholinguistique. Former ne se réduit pas à informer. Appren-
dre sa langue maternelle ne peut consister à s’approprier le savoir du lin-
guiste ou du psycho-socio-linguiste, qui ne sont pas, en l’occurrence, des
experts « ordinaires ».

Dès lors qu’enseigner ne se réduit pas à renseigner, former à énoncer des


informations que les élèves se contenteraient de recevoir et de restituer sans
nécessairement les comprendre, dès lors qu’enseigner vise, au moins, à
construire des savoir-faire chez les apprenants, on se trouve nécessairement
confronté à un paradoxe.

Comment acquiert-on un savoir-faire ? Comment l’apprentissage débouche-


t-il sur une compétence, c’est-à-dire sur un savoir-faire intelligent qui n’est
pas seulement une habitude, « la reproduction des conduites acquises, mais
l’aptitude à les adapter à des cas nouveaux, à les modifier en fonction de
situations insolites » (O. Reboul, 1980, p. 42) ? Comment, par exemple, les
enfants « passent-ils » de l’échange conversationnel oral, activité langagière
coopérative, à la composition écrite, activité langagière monologale, travail
solitaire qui impose au scripteur d’assurer sur ses seules ressources cogniti-
ves la construction d’un énoncé en principe complet et autonome, et donc, le
plus souvent, plus long qu’un tour de parole oral (C. Bereiter & M. Scardama-
lia, 1982) ?

Au regard d’une certaine théorie du traitement des textes, il est légitime de


penser que l’on apprend à écrire des textes en apprenant, entre autres, des
connaissances de haut niveau, des schémas textuels étendus qui guident le
rédacteur dans la sélection et l’organisation des éléments pertinents, qui lui
indiquent ce qu’il doit faire pour poursuivre (M. Scardamalia et al., 1982,
p. 189). Pour partie, ces schémas peuvent être acquis à travers l’écoute et la
lecture de textes ou de corpus de textes auxquels les enfants sont exposés,
ou encore par l’internalisation des questions et demandes d’explicitation, de
« dilatation », formulées par des adultes ou des pairs dans les interactions
orales quotidiennes (M. Fayol, 1987, pp. 234-235). Mais, pour que les sché-
mas deviennent fonctionnels dans la production langagière, ils doivent éga-
lement se développer par l’usage, par une activité constructive (M.
Scardamalia et al., 1982, p. 189). Comment dès lors un enfant novice qui
écrit des textes de vingt mots seulement développera-t-il sa pratique des
Didactique du français langue maternelle : approche(s) « cognitiviste(s) » ? ■ 105

schémas textuels ? Variante du paradoxe du forgeron, « pour qu’un enfant


apprenne comment produire plus, il doit déjà produire plus » (M. Scardamalia
et al., 1982, p. 189). C’est en faisant que l’on apprend puisque, à la différence
de l’information, l’apprentissage implique l’activité, mais plus précisément en
faisant ce qu’il convient justement d’apprendre : « il faut faire ce que l’on ne
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
sait pas faire pour apprendre à le faire » (O. Reboul, 1980, p. 42) !

Toute tâche n’est cependant pas en elle-même créatrice d’une situation de


résolution de problème ou d’apprentissage. On observe en effet souvent que
les jeunes enfants ne sont pas bloqués par la tâche qu’on leur propose, mais
au contraire avancent avec confiance des solutions à ce qu’ils perçoivent
comme des problèmes simples. Ils surestiment leurs capacités réelles (D.
Chartier & J. Lautrey, 1992, p. 31). C’est que, placés dans la même situation
« objective » de tâche, les sujets s’en construisent des représentations diffé-
rentes en tant que problèmes, selon leur âge et/ou le niveau de leur dévelop-
pement. « Le développement cognitif est “réfléchi” par des représentations
de problème plus complexes et pas seulement par des stratégies de
résolutions plus complexes » (C. Bereiter & M. Scardamalia, 1982, p. 49). Dès
lors, une des directions majeures de l’intervention didactique procédurale
consiste à proposer aux enfants des aides, des facilitations qui leur permet-
traient de travailler dans des « espaces de problèmes » plus complexes que
ceux dans lesquels ils peuvent normalement agir. Serait ainsi « résolu » le
paradoxe de l’apprentissage.

Deux types de limitations peuvent empêcher les enfants de se représenter la


tâche comme un problème complexe et donc de la traiter avec une efficacité
jugée suffisante (C. Bereiter & M. Scardamalia, 1982). D’une part, des limita-
tions dites « conceptuelles » : certaines variables du problème peuvent ne
pas être connues de l’enfant. D’autre part, des limitations dites « fonctionnel-
les » : l’enfant sait que telle variable est pertinente mais est incapable d’en
faire quoi que ce soit, si bien qu’elle ne joue aucun rôle fonctionnel dans la
représentation et la résolution du problème. Si les élèves sont effectivement
gênés par des limitations conceptuelles, ils possèdent cependant en même
temps certaines connaissances de ce type – sur les structures des textes par
exemple – qu’ils sont incapables d’utiliser fonctionnellement. Aider les élèves
à surmonter ces limitations fonctionnelles apparaît ainsi comme un moyen
possible de développer chez eux des représentations complexes de problè-
mes. Cela devrait leur permettre de tirer parti des capacités qu’ils ont déjà
pour conceptualiser la tâche et ses composantes, mais aussi les rendre plus
à même d’assimiler de nouvelles connaissances conceptuelles sur les
tâches. C. Bereiter et M. Scardamalia appellent « facilitation procédurale »
tout dispositif qui tend à réduire les charges de traitement imposées par
l’exécution d’une tâche et qui permet aux élèves de faire un usage plus com-
plet des savoirs et savoir-faire qu’ils ont déjà en dépassant leurs limitations
fonctionnelles.
106 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

Soit l’exemple classique de l’enfant qui apprend à faire du vélo. Une première
forme de facilitation, fragmentaire, pourrait concerner l’aspect conceptuel du
problème : l’instructeur peut essayer d’enseigner directement de nouvelles
stratégies à l’enfant en lui disant, par exemple, de regarder loin devant lui et
non pas la roue de devant ou le pédalier. Une autre forme de facilitation, dite
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
« substantive », pourrait conduire l’instructeur à entrer dans la tâche au titre
de collaborateur direct : il tiendrait la bicyclette en équilibre pendant que
l’apprenti pédalerait, ou, variante « déshumanisée » possible, il pourrait ajou-
ter deux petites roues à l’arrière et transformer le vélo en quasi tricycle. Le
risque de ce type de facilitation est bien évidemment de ne pas permettre à
l’apprenant de faire face seul, une fois lâché, aux aspects critiques de la
situation.

Une facilitation procédurale consisterait à commencer l’apprentissage avec


une bicyclette qui aurait un centre de gravité très bas et de gros pneus.
L’enfant étant censé déjà maîtriser certaines formes de l’équilibre, il pourrait
mobiliser cette maîtrise partielle dans une action qui consiste réellement à
rouler à bicyclette, c’est-à-dire à faire ce qu’il essaie d’apprendre. Cette maî-
trise serait ensuite développée en relevant le centre de gravité de la machine.

Dans le même ordre d’idée, on parle, pour les activités physiques complexes,
de holon, de « réductions des activités ». Par exemple, on propose aux
débutants des skis plus courts et plus larges que ceux des experts, on joue
au volley-ball à trois après avoir modifié certaines règles, on joue au tennis-
ballon pour développer certaines capacités complexes utiles au football.
« Un holon est une activité réduite, plus simple et plus facile que l’activité-
but. Mais, à la différence des décompositions analytiques des tâches en pha-
ses ou gestes techniques auxquels on entraîne spécifiquement l’apprenant
(avec ensuite de possibles difficultés de « synthèse », d’enchaînement de ces
micro-actes « sémantiquement » pauvres), il garde les caractéristiques de la
tâche-but, en particulier sa fonctionnalité et sa complexité » (B. Pinon, 1980,
p. 54 ; voir aussi J.-L. Le Moigne, 1984, p. 107, note 1).

On retrouve ici certains aspects de la problématique de L.S. Vygotski (1985,


passim) et de ses thèses sur les rapports entre développement et apprentis-
sage scolaire. « La pédagogie, disait-il, (la didactique dirions-nous
aujourd’hui ?) doit s’orienter non sur l’hier, mais sur le demain du développe-
ment de l’enfant ». « L’apprentissage scolaire peut non seulement suivre le
développement, marcher au même pas que lui, mais il peut le devancer, le
faire progresser en suscitant en lui de nouvelles fonctions » ou plutôt
« l’enseignement doit s’appuyer sur la zone de proche développement, sur
les fonctions encore immatures ». En effet, « l’enfant apprend à l’école non
pas ce qu’il sait faire tout seul, mais ce qu’il ne sait pas encore faire, ce qui lui
est accessible en collaboration avec le maître et sous sa direction » car, « en
collaboration et avec l’aide de quelqu’un l’enfant peut toujours faire plus et
résoudre des problèmes plus difficiles que lorsqu’il agit seul ». « Ce que
l’enfant sait faire aujourd’hui en collaboration, il saura le faire tout seul
Didactique du français langue maternelle : approche(s) « cognitiviste(s) » ? ■ 107

demain ». Ainsi, « l’apprentissage devance toujours, pour l’essentiel, le déve-


loppement » et « l’apprentissage scolaire est en quelque sorte la superstruc-
ture de la maturité ». Ces options, qui sont aussi celles d’un J. Bruner (l’inter-
action de tutelle, 1983, 1987), s’éloignent très sensiblement de certaines
dérives d’une « psychopédagogie » attentiste ou purement incitative. Elles
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
sont censées fonder la légitimité de l’intervention didactique procédurale.

D ■ Didactique déclarative : la procéduralisation


des connaissances déclaratives

L’idée même de procéduralisation des connaissances déclaratives n’est


assurément pas nouvelle. Elle fonde les pédagogies transmissives dans les-
quelles le maître fait d’abord une leçon, énonce verbalement les « procédures »
à suivre pour réaliser une tâche, montre leur mise en œuvre sur un exemple,
puis invite les élèves à les pratiquer dans des exercices d’application en
espérant qu’ils pourront les réinvestir dans des devoirs de contrôle voire les
transférer dans des tâches plus complexes.

J.R. Anderson (1982, 1983 ; F. Testu, 1991 ; J. Tardif, 1992, pp. 357-367 ;
J.-M. Hoc, 1987, pp. 70-71) a décrit ce processus de procéduralisation de
connaissances déclaratives métaprocédurales génériques en analysant com-
ment les élèves mettent en œuvre des méthodes (de résolution de problème
mathématique) présentées dans des manuels scolaires. Il distingue trois pha-
ses. La phase « déclarative » se caractérise par une mise en œuvre lente, pas
à pas, avec des retours fréquents à l’énoncé déclaratif de la méthode à sui-
vre, des répétitions mentales et de nombreuses verbalisations. Elle est suivie
par une phase de « compilation » des connaissances déclaratives métapro-
cédurales grâce à l’entraînement et l’application répétée de la méthode. Lors
de cette phase, sont mis en œuvre des processus de « composition » : plu-
sieurs règles qui sont toujours exécutées dans le même ordre, sont rassem-
blées, « résumées » en une seule règle, et des processus de « procédura-
lisation » : des règles d’actions ou procédures sont construites qui permet-
tent d’éviter le rappel en mémoire de travail des connaissances déclaratives.
Enfin, la phase « procédurale » est atteinte qui accélère encore l’exécution de
la procédure.

On l’aura noté, la procéduralisation dont il vient d’être question s’applique à


des problèmes bien définis (comme en mathématiques), qui peuvent se
résoudre à coup sûr par l’application d’un algorithme. Qu’en est-il pour des
problèmes mal définis (comme la composition écrite, la compréhension-inter-
prétation, la construction d’un résumé…) qui impliquent des traitements stra-
tégiques qui ne garantissent pas l’efficacité et le succès ? S.G. Paris
(S.G. Paris & J.E. Jacob, 1984 ; S.G. Paris et al., 1984, S.G. Paris et al., 1986 ;
D.R. Cross & S.G. Paris, 1988 ; cf. M. Fayol, 1993 ; M. Fayol & J.-M. Monteil,
108 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

1994 pour d’autres exemples) est de ceux qui ont tenté, avec succès si l’on
en croit les résultats expérimentaux publiés, d’enseigner directement des
stratégies de compréhension. Son dispositif didactique, l’ISL pour « informed
strategy learning », se caractérise par l’annonce verbale et l’affichage d’une
procédure-stratégie suivis par une série de modélisations ou démonstrations
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
de la stratégie, d’exercices et d’entraînements réalisés par les élèves seuls
ou en groupes (R.J. Stevens et al., 1991). Cependant, l’ampleur et la durée du
cycle didactique sont telles que l’on peut légitimement se demander si l’effi-
cacité de la démarche réside dans l’enseignement direct ou dans l’activité
même des élèves et la réflexion sur cette activité orientée (ce qui rejoindrait le
modèle de l’intervention didactique procédurale…). Les résultats publiés ne
permettent pas de savoir si le parcours d’apprentissage des élèves a réelle-
ment suivi la progression prévue par l’enseignant « ISL » puisque les évalua-
tions sont réalisées seulement avant et après l’intervention et que les élèves
des groupes témoin sont réputés suivre un enseignement « classique » qui
n’est ni décrit ni contrôlé avec précision.

J. Tardif (1992, pp. 368-369), à sa manière, va encore « plus loin » que S.G.
Paris et J.R. Anderson puisqu’il envisage, spéculativement il est vrai, une
procéduralisation de connaissances déclaratives non pas métaprocédurales
mais métalinguistiques. La progression didactique de l’« enseignant
stratégique » commence par la présentation magistrale d’informations théori-
ques sur les propriétés super-structurelles typologiques des textes. Ces con-
naissances déclaratives métalinguistiques permettent aux élèves de
répondre à des questions « théoriques » sur les structures textuelles. Pour
que les élèves puissent, dans des tâches qui restent métalinguistiques, dis-
tinguer, trier et classer des textes en fonction de leurs propriétés super-struc-
turelles typologiques, « ces connaissances déclaratives ont besoin d’être
traduites en connaissances conditionnelles ». Ces connaissances (décla-
ratives et conditionnelles) ne permettent pas encore aux élèves « d’agir sur
les textes pour en reconstruire le sens et en extraire les idées principales. » Ils
ont besoin pour cela « de connaissances procédurales qui encadrent leur
démarche d’extraction des idées principales et de reconstruction du sens. »
La « traduction » des connaissances déclaratives en connaissances condi-
tionnelles et la procéduralisation de ces dernières restent mystérieuses. Seul
est affirmé le principe que ces trois types de connaissances « doivent être
reliées entre elles, non seulement parce qu’elles correspondent à un même
objet de connaissances, mais également parce que leur efficacité dans
l’action n’est assurée que lorsqu’elles sont regroupées dans un schéma
d’action et de réflexion. »

Il est clair qu’un certain nombre de questions importantes restent actuelle-


ment sans réponse : comment se passe l’apprentissage effectif dans les
interventions didactiques déclaratives ? Quels types de connaissances à
visée procédurale sont enseignables déclarativement ? Y a-t-il un âge à partir
duquel l’intervention déclarative est possible, voire préférable à l’intervention
procédurale ?
Didactique du français langue maternelle : approche(s) « cognitiviste(s) » ? ■ 109

Par ailleurs, la conception de l’intervention didactique comme procéduralisa-


tion de connaissances déclaratives, comme enseignement direct des procé-
dures et stratégies, présuppose qu’il n’y a qu’une seule façon de traiter
cognitivement les textes et que l’on dispose d’un modèle unique ou unifié
pour en rendre compte. Or tel n’est pas le cas : il existe plusieurs modèles du
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
traitement cognitif des textes, et en particulier de la compréhension des
récits. Il nous semble qu’il convient de prendre en considération cette plura-
lité, non pas parce qu’elle poserait des problèmes de choix d’un modèle de
référence pour l’intervention didactique, mais parce qu’elle ouvre la perspec-
tive d’une didactique cognitive différentielle.

E ■ De la pluralité des modèles de l’expertise


et du développement-apprentissage
à une didactique cognitive différentielle ?

Un courant de recherches propose de modéliser les processus psychologi-


ques de traitement des textes et en particulier de compréhension en réfé-
rence à la théorie générale des schémas. Ces recherches construisent pour
cela, entre autres, la notion de schémas textuels prototypiques comme
représentations des propriétés superstructurelles des textes canoniques que
telle culture reconnaît et que, souvent, elle dénomme. Au cours de leur déve-
loppement, les sujets identifieraient progressivement ces superstructures par
abstraction et généralisation, et les intérioriseraient sous la forme de repré-
sentations ou schémas textuels prototypiques.

En compréhension, ces représentations schématiques aideraient les sujets à


stocker de façon organisée et cohérente les informations au fur et à mesure
qu’ils les traitent, et ainsi à les retrouver en mémoire à long terme et à les rap-
peler plus facilement ultérieurement. Elles permettraient aussi la recherche
active de blocs d’informations anticipés sur la base des attentes déclenchées
par la « connaissance » de ces séquences typiques : elles rendraient possi-
bles des stratégies d’« anticipation généralisée », de traitement « par
concept ». Ainsi, la non-maîtrise des schémas textuels prototypiques et des
stratégies qu’ils autorisent pourrait expliquer, pour partie au moins, le fait que
les sujets novices ou non experts peinent à comprendre les textes aussi bien
quand ils les lisent eux-mêmes que lorsqu’ils les écoutent lus à haute voix
par quelqu’un d’autre. La différence entre lecteurs lents et lecteurs rapides,
de même, ne serait pas (seulement) liée à des compétences inégales de
déchiffrage mais (aussi et surtout) aux possibilités qu’ils ont à des degrés
divers de se construire, sous le contrôle d’un schéma textuel prototypique,
une représentation organisée et hiérarchisée du contenu sémantique du
texte, une macrostructure sémantique.
110 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

Le modèle qui vient d’être esquissé est encore dominant et sert de référence,
voire de caution scientifique, à des pratiques didactiques qui se sont géné-
ralisées à l’école et au collège. Des critiques ont cependant été énoncées à
l’égard des « grammaires du récit » et, plus généralement, des théories des
schémas textuels prototypiques, entre autres par J.B. Black et G.H. Bower
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
(1980), R.C. Schank et R.P. Abelson (1977) ou J.-F. Le Ny (1989, pp. 116 et
210-221). L’argumentation des détracteurs, qui se situent également dans le
paradigme cognitiviste, est globalement la suivante : les catégories textuelles
comme « épisode », « essai », « résultat », etc., sont inutiles dans un modèle
de la compréhension puisque pour comprendre que X est, par exemple, le
« résultat » d’un « essai » Y, on doit savoir ce que sont X et Y et quelle est la
relation sémantique particulière qui les relie. Autrement dit on ne peut rappor-
ter les informations aux composantes d’un schéma textuel avant de les avoir
comprises. Si tel est le cas, pourquoi un lecteur s’embarrasserait-il de cette
tâche supplémentaire ?

Il suffit donc d’étudier les structures de connaissances générales que le lec-


teur mobilise pour comprendre des textes. Dans les récits, ces connaissan-
ces portent essentiellement sur les actions humaines, les buts, les causes et
les relations temporelles. Le récit (simple) est alors défini comme une
« narration particulière qui relate une séquence causale d’événements perti-
nents par rapport à un protagoniste qui poursuit un but ou résout un
problème » (J.B. Black & G.H. Bower, 1980, p. 279), comme un quasi proto-
cole de résolution d’un problème de transformation d’états. Comprendre un
récit revient à utiliser les (méta)connaissances que l’on a sur les actions,
l’articulation des buts et des actions, la constitution de plans et la résolution
de problème en général, pour identifier ou reconstruire les chemins qui per-
mettent de passer d’un état de départ à un état terminal. Les informations les
mieux retenues seront celles qui sont situées le plus près du « chemin
critique » (i.e. celui qui mène à l’état final) par opposition aux tentatives qui
échouent et aux développements de détail. Dans cette perspective théori-
que, les récits n’ont aucune propriété textuelle ou rhétorique particulière. Ou
plutôt, si des arrangements rhétoriques de surface existent, ils ne sont pas
pertinents pour rendre compte de la compréhension-mémorisation des
récits. La notion de schéma textuel prototypique est inutile.

Il est possible, épistémologiquement, d’interpréter de plusieurs manières les


différences entre ces deux courants de recherches qui essaient l’un et l’autre
de rendre compte de phénomènes largement identiques et qui relèvent du
même paradigme.

On peut d’abord considérer que l’on a affaire à deux théories alternatives. Il


faudrait choisir entre un modèle général de la compréhension applicable,
entre autres, à des textes, et un modèle spécifiquement langagier et textuel.
Les critères de décisions seraient alors en quelque sorte « externes », expéri-
mentaux. Il s’agirait de vérifier que les modèles sont bien psychologiquement
Didactique du français langue maternelle : approche(s) « cognitiviste(s) » ? ■ 111

plausibles, et, si tel est le cas, de déterminer celui qui permet de modéliser le
plus précisément les processus de compréhension. De ce point de vue, les
résultats que nous connaissons indiquent que les deux modèles sont quasi
également performants dans la prédiction des rappels de récits. D’autres
recherches de validation que celles impliquant des épreuves de rappel
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
seraient cependant envisageables, en particulier par le biais du recueil des
commentaires métacognitifs dans des tâches de compréhension. À notre
connaissance, il n’y a pas de résultats disponibles en ce domaine.

On peut estimer, au contraire, que l’on n’a pas affaire à deux modèles dis-
tincts mais, simplement, à des variantes descriptives d’un seul et unique
modèle : seuls divergeraient les métalangages de description forgés par les
chercheurs pour expliciter leur modèle, mais fondamentalement les proces-
sus cognitifs désignés seraient les mêmes dans les deux cas. On se retrouve-
rait alors dans une situation comparable à celle qu’ont connue, par exemple,
les linguistes de l’école générative et transformationnelle pour « départager »
des formalisations concurrentes également capables de modéliser les
mêmes faits de langue : la préférence serait accordée en fonction de critères
purement internes de simplicité, d’économie, voire d’élégance. Cette inter-
prétation ne nous paraît en l’occurrence pas tenable, tant les différences
entre les deux courants sont importantes.

On peut cependant envisager d’autres modes d’articulations théoriques entre


ces deux types de modélisations que l’on considérerait comme également
valides. Cette position épistémologiquement intégrative nous paraît par
ailleurs plus riche que celle qui consiste à rechercher « le » bon modèle.

On peut aborder la question en termes de développement et concevoir les


opérations spécifiques de traitement textuel et les schémas textuels prototy-
piques comme des spécialisations, génétiquement secondes donc, des opé-
rations cognitives générales (« résolution de problème » et enchaînement
causal). La compétence narrative dépendrait en quelque sorte d’une capacité
cognitive et métacognitive de résolution de problèmes. Ce processus déve-
loppemental tiendrait compte du fait que le contact des enfants avec les
« textes » (au sens très large, incluant les textes oralisés par un adulte, les
textes en images fixes ou non…) est (un peu ?) moins précoce que l’expé-
rience de situations-problèmes et d’enchaînement temporel-causal. À titre
purement heuristique, on pourrait envisager une séquence développemen-
tale de ce type :
1. expériences spécifiques non textuelles
2. généralisation de niveau I : méta-opérations I
3. spécialisation-spécification des méta-opérations I pour des expériences
spécifiques nouvelles, non textuelles ou textuelles
4. généralisation de niveau II : méta-opérations II
112 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

5. spécification des méta-opérations II pour des expériences textuelles spé-


cifiques
6. généralisations III sous la « forme » de schémas textuels prototypiques
7. activation spécifique des schémas textuels prototypiques à des objets
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
textuels singuliers

Dans cette perspective, la compréhension des textes narratifs au moyen de


méta-opérations de niveau II apparaîtrait comme une forme relativement pri-
mitive et non experte de traitement. Avec l’âge et le niveau de formation cul-
turelle, les méta-opérations II devraient disparaître ou, du moins, être placées
sous le contrôle des connaissances spécifiquement textuelles.

Mais il est également possible d’avancer l’idée que le développement et la


formation n’aient pas pour conséquence une telle substitution. Un même
texte pourrait ainsi, selon les paramètres de la tâche, faire l’objet de plusieurs
types de traitements cognitifs potentiellement également efficaces, par des
méta-opérations génériques de type II ou par des opérations spécifiquement
textuelles de type III. La dualité des modèles se penserait alors en termes de
vicariance, « chaque individu (disposant) probablement d’une pluralité de
processus adaptatifs lui permettant, dans ces situations comparables,
d’émettre, à des coûts plus ou moins élevés, des réponses adaptatives plus
ou moins efficaces » (M. Reuchlin & F. Bacher, 1989, p. 82 ; J. Lautrey, 1991).
Tel sujet pourrait lire (/écrire) un texte singulier « relevant » de tel ou tel type
(narratif ici) en mobilisant des procédures de traitement cognitif propres à ce
type de texte, en activant le schéma textuel prototypique spécifique qu’il
s’est construit pour traiter les textes de ce type. Mais ce même sujet pourrait,
dans d’autres conditions, faire face à la même tâche en mobilisant des pro-
cédures générales de traitement de l’information langagière et non-langa-
gière, non spécifiques à tel type de texte mais relevant des opérations
générales de la pensée. On perçoit l’impact que des recherches en ce
domaine pourraient avoir sur la diversification des pratiques et des contenus
didactiques.

Enfin, on ne peut exclure que des sujets également compétents ou experts


dans la compréhension des récits se caractérisent par des stratégies de trai-
tement différentes. Les uns auraient une préférence marquée sinon exclusive
pour les traitements spécifiquement textuels, les autres pour l’application
d’opérations génériques non spécifiquement textuelles. Il ne serait pas illégi-
time, dans cette perspective, de parler de styles cognitifs différents (G. Tou-
rette, 1990) et de proposer une psycholinguistique cognitive différentielle.
Didactique du français langue maternelle : approche(s) « cognitiviste(s) » ? ■ 113

F ■ Conclusion

Le débat théorique ou épistémologique que nous avons esquissé peut singu-


lièrement compliquer ou enrichir la tâche des enseignants, et devrait contri-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
buer à prévenir la tentation de concevoir la didactique des textes comme une
(simple) psycholinguistique appliquée, voire une grammaire de texte appli-
quée…

Cet applicationnisme réducteur signifierait que seraient perdus les gains que
les didacticiens du français ont pu enregistrer, grâce aux travaux de la psy-
chologie cognitive du langage, en s’efforçant de devenir des cliniciens des
apprentissages langagiers. Les risques d’une recrudescence du dogmatisme
applicationniste existent aujourd’hui et ils sont d’autant plus forts que la psy-
chologie cognitive jouit encore des charmes de la modernité voire de la
mode. N’y aurait-il pas, cependant, quelque paradoxe à ce qu’une science
qui s’efforce de connaître les processus cognitifs dans leur dynamisme serve
de caution à un aveuglement à l’égard des élèves, à l’égard de ces mêmes
processus ?

Il ne faudrait pas en effet confondre « les mots et les choses » et prendre les
formalisations ou modélisations construites par les chercheurs pour tenter de
rendre compte des objets (construits) textes ou de leur traitement par des
sujets, avec les processus de traitement effectifs. En d’autres termes, ensei-
gner « les arbres textuels ou autres schémas quinaires », comme naguère on
enseignait « les arbres syntagmatiques phrastiques », enseigner un métalan-
gage de description ne peut tenir lieu, a priori et à soi seul, d’une didactique
des textes écrits.

Le métalangage ne vaut pas compétence procédurale ou capacité de traite-


ment, même si, à un moment donné du développement-apprentissage, la
prise de conscience métacognitive et son explicitation verbale peuvent con-
tribuer à la maîtrise contrôlée. Mais, même dans cette dernière perspective,
le dogmatisme formel doit être exclu. D’une part en effet, il est peu probable
qu’on puisse enseigner directement la prise de conscience métacognitive ;
on peut sans doute, au mieux, chercher à la déclencher par des situations
didactiques favorables. D’autre part, si ce que nous avons dit a du sens, il
n’est pas fondé de privilégier à l’école un seul type de verbalisation méta-
cognitive et de censurer l’autre ou les autres. Plutôt que de choisir à la place
des élèves, et du coup, peut-être, de les mettre inutilement en difficulté, il est
sans doute préférable que les enseignants soient attentifs à la diversité des
élèves et de leurs stratégies et qu’ils « montrent » que cette diversité existe,
voire qu’elle est souhaitable.

Plus largement, nous ne croyons pas que les enseignants soient de simples
O.S. de la pédagogie chargés de mettre en œuvre servilement et sans vrai-
114 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

ment les comprendre des dispositifs didactiques pensés par d’autres, fus-
sent-ils spécialistes du domaine. Rien ne serait sans doute plus
dommageable que la didactique du français connaisse à son tour les « effets
Diénes » qu’a connu la didactique des mathématiques (G. Brousseau, 1986,
pp. 307-309). Seuls les militants Diénes étaient susceptibles de faire fonc-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
tionner la méthode avec succès. Tout usage neutre ou servile du matériel Dié-
nes conduisait à des échecs et à des déceptions, en raison du
désinvestissement que provoquait chez les maîtres ordinaires cette méthode
réputée efficace d’elle-même au nom d’une loi psychologique. Elle ne laissait
en effet d’autre place aux maîtres que celle de techniciens présentant les
jeux, attendant que les élèves pensent par eux-mêmes, fournissant éventuel-
lement les réponses accompagnées d’une petite explication, envoyant le jeu
suivant, et ainsi de suite. Le « contrat didactique » ne liait plus les maîtres à
l’évolution des conduites cognitives que le jeu Diénes seul était supposé
prendre en charge, indépendamment de leur investissement personnel dans
la négociation didactique.

Si l’on veut non seulement éviter que la classe (de français) ne devienne un
« goulag didactique » (A. Bouvier, 1987) sous l’effet d’une ingénierie didacti-
que techniciste qui ferait des enseignants de simples exécutants désinvestis
et aveugles qui ne saisissent pas le sens de ce qu’ils font, si l’on veut surtout
que les enseignants fassent ce pas de côté qui leur permette d’observer, de
comprendre et d’agir autrement et plus efficacement, encore faut-il qu’ils dis-
posent d’armes pour observer, de cadres pour comprendre et de perspecti-
ves pour agir. Au cœur de leur travail de conception s’exerce, selon nous, la
capacité des maîtres à être des cliniciens des apprentissages scolaires,
c’est-à-dire, entre autres, à chercher à analyser les tâches proposées aux
élèves en termes d’activités cognitives et de processus intellectuels, à y anti-
ciper les problèmes auxquels les apprenants auront à faire face et qui consti-
tuent les objectifs didactiques spécifiques liés à la tâche, à comprendre les
erreurs des élèves autrement que comme des écarts par rapport aux
réponses des adultes experts.

En ce sens, la recherche scientifique et ses résultats peuvent proposer des


pistes de travail et de réflexion aux enseignants. Mais, parce qu’ils sont des
concepteurs, responsables en tant que tels de leurs pratiques professionnel-
les, il leur revient de se les approprier, de les adapter à leurs classes en fai-
sant jouer variation pédagogique et souplesse didactique.
Didactique du français langue maternelle : approche(s) « cognitiviste(s) » ? ■ 115

Références bibliographiques
ANDERSON, J.-R. (1982), « Acquisition of cognitive skills », Psychological Review
89, 369-406.
ANDERSON, J.-R. (1983), The Architecture of cognition, Cambridge, Mass. Har-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
vard University Press.
BAIN, D. & SCHNEUWLY, B. (1993), « Pour une évaluation formative intégrée
dans la pédagogie du français », dans L. Allal, D. Bain & P. Perrenoud (éds),
Évaluation formative et didactique du français (51-79). Neuchâtel, Delachaux et
Niestlé.
BECHTEL, W. & ABRAHAMSEN, A. (1993), Le Connexionnisme et l’esprit. Intro-
duction au traitement parallèle par réseaux, Paris, La Découverte.
BEREITER, C. & SCARDAMALIA, M. (1982), « From conversation to composition :
the role of instruction in a developmental process », in R. Glaser (ed.), Advan-
ces in instructional psychology, 2 (1-64), Hillsdale, Lawrence Erlbaum Ass.
BEREITER, C. & SCARDAMALIA, M. (1985), « Cognitive coping strategies and the
problem of “inert knowledge” », in S.S. Chipman, J. W. Segal & R. Glaser (eds),
Thinking and learning skills : current research and open questions, 2 (65-80),
Hillsdale, Lawrence Erlbaum Ass.
BEREITER, C. & SCARDAMALIA, M. (1987), The psychology of written composi-
tion, Hillsdale, Lawrence Erlbaum Ass.
BERRENDONNER, A. (1982), Éléments de pragmatique linguistique, Paris, Minuit.
BLACK, J.-B. & BOWER, G.H. (1980), « La compréhension de récits considérée
comme une activité de résolution de problème », dans G. Denhière (éd.) (1984),
Il était une fois… Compréhension et souvenir de récits (275-311), Lille, PUL
(trad.).
BOUVIER, A. (1987), Didactique des mathématiques. Le dire et le faire, Paris,
Nathan.
BRASSART, D.G. (1987), Le Développement des capacités discursives chez
l’enfant de 8 à 12 ans : le discours argumentatif (étude didactique), Thèse, Uni-
versité de Strasbourg, ronéo.
BRASSART, D.G. (1990), « Une didactique cognitive du « Français Langue
Maternelle » (et des textes écrits plus particulièrement) », dans D.G. Brassart et
al., Perspectives didactiques en français (75-99), Metz, CASUM.
BRASSART, D.G. (1993), Éléments de psycholinguistique pour une didactique des
textes écrits, Synthèse des travaux pour l’habilitation à diriger des recherches
(sous la direction de J. Aubret), Université Lille 3, ronéo.
BRONCKART, J.-P. (1977), Théories du langage. Une introduction critique,
Bruxelles, Mardaga.
BROSSARD, M., GELPE, D., LOUBET, .F & NANCY, B. (1987), « Recherches sur la
maîtrise différentielle de la langue écrite à l’école primaire », Enfance, 40, 4,
323-333.
BROSSARD, M., FRANÇOIS, F. & ESPÉRET, E. (1978), « Langage et classes
sociales », Psychologie et Éducation, 2, 4.
BROUSSEAU, G. (1986), Théorisation des phénomènes d’enseignement des
mathématiques, Thèse, université de Bordeaux, ronéo.
BRUNER, J. (1987), Comment les enfants apprennent à parler, Paris, Retz (trad.).
BRUNER, J. (1991), … car la culture donne forme à l’esprit. De la révolution
cognitive à la psychologie culturelle, Paris, Eshel (trad.).
116 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

CHARTIER, D. & LAUTREY, J. (1992), « Peut-on apprendre à connaître et à


contrôler son propre fonctionnement cognitif ? », L’Orientation Scolaire et Pro-
fessionnelle, 21, 1, 27-46.
CHERVEL, A. (1977), Histoire de la grammaire scolaire… et il fallut apprendre à
écrire à tous les petits Français, Paris, Payot.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
CHEVALLARD, Y. (1991), La Transposition didactique. Du savoir savant au savoir
enseigné. Grenoble, La Pensée Sauvage (1re édition 1985).
CROSS, D.R. & PARIS, S.G. (1988), « Developmental and instructional analyses of
children’s metacognition and reading comprehension » Journal of Educational
Psychology, 80, 2, 131-142.
CULIOLI, A. (1976), Séminaire de DEA. Paris, Université Paris 7, ronéo.
DABÈNE, M. (1987), L’Adulte et l’écriture, Bruxelles, De Boeck.
DELCAMBRE, I. & REUTER, Y. (2002), « Le rapport à l’écriture d’étudiants en
licence et en maîtrise : première approche » Spirale, 29, 7-27.
DOWNING, J. (1986), « Clarté cognitive et conscience linguistique » Les Dossiers
de l’Éducation 11/12, 31-42.
DOWNING, J. & FIJALKOW, J. (1984), Lire et raisonner. Toulouse, Privat.
DURKHEIM, E. (1898), « Représentations individuelles et représentations collecti-
ves » Revue de Métaphysique et de Morale, 6 (273-302).
DURKHEIM, E. (1922/1989), Sociologie et éducation, Paris, PUF.
DUPUY, J.-P. (1994), Aux origines des sciences cognitives, Paris, La Découverte.
ESPÉRET, É. (1991), « Psychologie du langage et gestion cognitive des activités
langagières », dans G. Vergnaud (éd.), Les sciences cognitives en débat (207-
217), Paris, Éditions du CNRS.
FAYOL, M. (1987), « Vers une psycholinguistique textuelle génétique : l’acquisi-
tion du récit. », dans G. Piérault-Le Bonniec (éd.), Connaître et le dire (223-
238), Bruxelles, Mardaga.
FAYOL, M. (1993), « Quelques remarques à propos de l’acquisition et de la mise
en œuvre de stratégies », Enjeux, 30, 25-41.
FAYOL, M. & MONTEIL, J.-M. (1994), « Stratégies d’apprentissage/apprentissage
de stratégies », Revue française de pédagogie, 106, 91-110.
FIJALKOW, J. (1995), « Savoir lire : didactique déclarative, procédurale, contex-
tuelle », Spirale, 15 (121-146).
FISCHER, J.-P. (1992), Apprentissages numériques : la distinction procédural/
déclaratif, Nancy, PUN.
FLAVEL, J.H. (1985), « Développement métacognitif », dans J. Bideaud & M.
Richelle (éds), Psychologie développementale. Problèmes et réalités (29-41),
Bruxelles, Mardaga.
GARCIA, C. (1990), « Didactique du français et didactique des disciplines
scientifiques : convergences et spécificités », dans D.G. Brassart et al., Pers-
pectives didactiques en français (41-73), Metz, CASUM.
GARDNER, H. (1993), Histoire de la révolution cognitive. La nouvelle science de
l’esprit, Paris, Payot (trad.)
GUFONI, V. (1995), Les protocoles verbaux dans la production écrite : approche
méthodologique, Thèse, Université de Bourgogne, ronéo.
GUFONI, V. (1996), « Les protocoles verbaux comme méthode d’étude de la pro-
duction écrite : approche critique » Études de Linguistique Appliquée, 101, 20-
32.
Didactique du français langue maternelle : approche(s) « cognitiviste(s) » ? ■ 117

HAYES, J.-R. & FLOWER, L. (1980), « Identifying the organization of writing


processes », in L.W. Gregg & E.R. Steinberg (eds), Cognitive processes in wri-
ting (3-30), Hillsdale, Lawrence Erlbaum Ass.
HOC, J.-M. (1984), « La verbalisation provoquée pour l’étude du fonctionnement
cognitif », Psychologie Française, 29, 231-234.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
HOC, J.-M. (1987), Psychologie cognitive de la planification, Grenoble, PUG.
HOC, J.-M. (1990), « Les connaissances concernant les procédures », dans J.-F.
Richard, C. Bonnet & R. Ghiglione, Traité de psychologie cognitive, 2 (46-50).
Paris, Dunod.
KARMILOFF-SMITH, A. (1979), A functional approach to child language, Cam-
bridge, CUP.
KARMILOFF-SMITH, A. (1986), « From metaprocesses to conscious access : evi-
dence from children’s metalinguistic and repair data », Cognition, 23, 95-147.
KARMILOFF-SMITH, A. (1993), Beyond modularity. A developmental perspective
on cognitive science, Cambridge, MIT Press.
KINTSCH, W. (1982), « Text representation », in W. Otto & S. White (eds), Reading
expository material (87-102), New York, Academic Press.
LAHIRE, B. (1991), La lecture « populaire ». Les pratiques populaires de la lecture,
Lyon, Voies Livres (V54).
LAHIRE, B. (1993a), « Lectures populaires : les modes d’appropriation des
textes », Revue Française de Pédagogie, 104, 17-26.
LAHIRE, B. (1993b), Culture écrite et inégalités scolaires. Sociologie de « l’échec
scolaire » à l’école primaire. Lyon, PUL.
LAHIRE, B. (1994), « L’inscription sociale des dispositions métalangagières »,
Repères, 9, 15-27.
LAHIRE, B. (1998a), « Logiques pratiques : le « faire » et le « dire sur le faire »,
Recherche et Formation, 27.
LAHIRE, B. (1998b), L’Homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan.
LAUTREY, J. (1982), « Le cognitivisme », L’Orientation Scolaire et Professionnelle,
11, 2, 95-106.
LAUTREY, J. (1991), « Les chemins de la connaissance », Revue Française de
Pédagogie, 86 (55-65).
LE MOIGNE, J.-L. (1984), La Théorie du système général. Théorie de la modélisa-
tion, Paris, PUF (2˚ édition).
LE NY, J.-F. (1989), Science cognitive et compréhension du langage, Paris, PUF.
LINDSAY, P.H. & NORMAN, D.A. (1980), Traitement de l’information et comporte-
ment humain. Une introduction à la psychologie, Montréal, Études Vivantes
(trad.)
MAUSS, M. (1991/1924), Sociologie et anthropologie ; IIIe partie : « Rapports
réels et pratiques entre la psychologie et la sociologie » (283-310), Paris, PUF
Quadrige (1e édition 1958 ; extrait d’une communication publiée dans le Jour-
nal de Psychologie Normale et Pathologique, 1924).
MCCUCTCHEN, D. (1986), « Domain knowledge in the development of writing
ability », Journal of Memory and Language, 25, 2043-2058
MONTEIL, J.-M. (1991), « Cognition sociale et psychologie sociale de la
cognition », dans G. Vergnaud (éd.), Les Sciences cognitives en débat (229-
236), Paris, Éditions du CNRS.
NOËL, B. (1991), La Métacognition, Bruxelles, De Boeck.
118 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

PARIS, S.G., CROSS, D.R. & LIPSON, M.Y. (1984), « Informed strategies for
learning : a program to improve children’s reading awareness and
comprehension », Journal of Educational Psychology, 76, 6, 1239-1252.
PARIS, S.G. & JACOBS, J.E. (1984), « The benefits of informed instruction for
children’s reading awareness and comprehension skills », Child development,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
55, 2083-2093.
PARIS, S.G., WIXON, K.K. & PALINSCAR, A.S. (1986), « Instructional approach to
reading comprehension », in E. Rothkopf (ed.), Review of research in education
(91-128), Washington, American Educational Research Association.
PIAGET, J. (1969/1982), Psychologie et pédagogie, Paris, Denoël-Gonthier.
PIAGET, J. et al. (1974a), Réussir et comprendre, Paris, PUF.
PIAGET, J. et al. (1974b), La Prise de conscience, Paris, PUF.
PINON, B. (1980), « Les phénomènes d’apprentissage », dans AFL, Cinq contri-
butions pour comprendre la lecture (49-60), Beauvais, CDDP.
REBOUL, O. (1980), Qu’est-ce qu’apprendre ?, Paris, PUF.
REUCHLIN, M. & BACHER, F. (1989), Les Différences individuelles dans le déve-
loppement cognitif de l’enfant, Paris, PUF.
RICHARD, J.-F. (1990), Les Activités mentales, Paris, A. Colin.
ROMAINVILLE, M. (1993), Savoir parler de ses méthodes, Bruxelles, De Boeck.
RYLE, G. (1949), The concept of mind, New York, Barnes and Noble (trad. 1978
La Notion d’esprit, Paris, Payot).
SCARDAMALIA, M., BEREITER, C. & GOELMAN, H. (1982), « The role of produc-
tion factors in writing ability », in M. Nystrand (ed.), What writers know (173-
210), New York, Academic Press.
SCHANK, R.C. & ABELSON, R.P. (1977), Scripts, plans goals and understanding,
Hillsdale, Lawrence Erlbaum Ass.
STEVENS, R.J., SLAVIN, R.E. & FARNISH, A.M. (1991), « The effect of coopera-
tive learning and direct instruction in reading comprehension strategies on
main idea identification », Journal of Educational Psychology, 83, 1, 8-16.
TARDIF, J. (1992), Pour un enseignement stratégique. L’apport de la psychologie
cognitive, Montréal, Éditions Logiques.
TARDIF, J. (1999), Le Transfert des apprentissages, Montréal, Éditions Logiques.
TESTU, F. et al. (1991), De la Psychologie à la pédagogie, Paris, Nathan.
TOURETTE, G. (1990), « Style cognitif, lecture et utilisation de schéma », dans M.
Reuchlin et al. (éds), Connaître différemment (141-159), Nancy, PUN.
VERMERSCH, P. (1994), L’Entretien d’explicitation en formation initiale et en for-
mation continue, Paris, ESF.
VIGNAUX, G. (1992), Les Sciences cognitives. Une introduction, Paris, La
Découverte.
VYGOTSKI, L.S. (1985), Pensée et langage, Paris, Éditions Sociales.
7
Socio-logiques
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
des didactiques
de la lecture

Jean-Marie PRIVAT

La sociologie et l’ethnologie des pratiques culturelles peuvent aider à cons-


truire, c’est-à-dire en fait à déconstruire partiellement et à reconstruire autre-
ment, les situations didactiques, leurs objets et leurs enjeux. Mais ces
« disciplines de référence » n’ont pas la même nécessité ni a fortiori la même
utilisation selon les modes de travail pédagogique que les enseignants con-
voquent. Je voudrais donc montrer pourquoi les besoins des diverses didac-
tiques sollicitent très diversement et surtout très inégalement la socio-
ethnologie des pratiques lectorales ; je me contenterai d’évoquer in fine quel-
ques problèmes épistémologiques liés à l’appropriation didactique de ces
savoirs savants et vivants.

A ■ Lire, un devoir d’élève

Les modalités les plus traditionnelles de culture scolaire du lecteur trouvent


leur légitimité dans le culte de la littérature. La raison d’être de l’enseigne-
ment est de transmettre un patrimoine (national mais réputé de portée uni-
verselle) qui de droit s’impose à tous. Les grands auteurs de ce panthéon
scolaire sont cités dans les programmes officiels et les plus exceptionnels
d’entre eux font même l’objet d’une obligation réglementaire de lecture : « Au
cours des deux premières années de collège, on fait lire ou étudier au moins
une des pièces suivantes de Molière : Le Médecin malgré lui, Les Fourberies
de Scapin »1.

1. Ministère de l’Éducation nationale (MEN), Direction des Lycées et Collèges, Horaires/Objectifs/Programmes/Instruc-


tions, « Français, langues anciennes, classes des collèges, 6e, 5e, 4e, 3e », Paris, CNDP, 1993, p. 30.
120 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

Ainsi, centrée sur un objet culturel légitime, cette pédagogie est-elle fondée
sur le charisme de l’œuvre2 et vise à « développer le goût de la lecture et de
la culture désintéressée »3. Le discours du maître ou du manuel constitue la
référence culturelle et on attend avant tout des élèves qu’ils communient
avec discernement, sensibilité et émotion avec les œuvres, ou du moins avec
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
le discours sur les œuvres.
« Expliquer, c’est faire revivre », assurait jadis Pierre Clarac, qui précisait que
« de l’école primaire à la Sorbonne, l’objet de l’explication de texte ne change
pas »4. La lecture est ainsi indissociablement un devoir culturel et un devoir
scolaire puisque l’ambition est de ménager un intérêt « durable »5 pour la lit-
térature.
Dans ce type d’enseignement qui institue le « tête-à-texte », les disciplines
sociologiques et ethnologiques n’ont guère de raison d’être convoquées. Ce
légitimiste didactique peut se résumer ainsi : le salut culturel est « dans la
lecture des grandes œuvres, en elles-mêmes et pour elles-mêmes. C’est de
là que tout découle, à commencer par l’intérêt que les élèves portent à la
classe de français ». « La rencontre avec la littérature » n’est donc pas pen-
sée comme problématique puisque par son rayonnement interne l’œuvre doit
rencontrer « le potentiel de réception d’un esprit libre »6. Cette conception
charismatique de la littérature et cette conception magique de son appropria-
tion ne résistent guère à l’épreuve de la réalité quotidienne des classes ni,
comme on verra, aux observations des sociologues et des ethnologues de la
culture.
Ainsi, il n’entre pas dans la pertinence du questionnement légitimiste de
s’interroger sur la sociologie des pratiques diversifiées du livre (littérature/
paralittérature, fréquentation ou non des lieux habituels de circulation des
livres, etc.) ; il ne convient pas non plus de s’interroger dans cette perspec-
tive sur les modalités de lecture des divers lectorats, sur leurs investisse-
ments, enjeux et attentes profondément contrastés. Les lecteurs sont définis
avant tout comme élèves et non par exemple comme des lectrices qui sont
aussi dans un rapport juvénile et populaire à la lecture.
La cohérence de ce modèle dogmatique de transmission culturelle trouve
cependant ses limites dans des effets peu compatibles avec ses ambitions
affichées. De fait, ce système pédagogiquement et culturellement conserva-
teur dans lequel l’autorité des textes est redoublée par l’autorité du langage
du maître a le triste privilège de ne pas… conserver la plupart de ses lecteurs,
une fois passée la contrainte scolaire.

2. P. Clarac, « La foi dans la vertu des beaux textes », L’Enseignement du français, Paris, PUF, 1963, p. 144.
3. M.E.N., Direction des Lycées et Collèges, Horaires/Objectifs/Programmes/Instructions, « Français, langues anciennes,
classes de seconde, première et terminale », Paris, CNDP, 1992, p. 66.
4. P. Clarac, op. cit., p. 67.
5. M.E.N., op. cit., p. 45.
6. H. Mitterand, « Les obsédés de l’objectif. L’enseignement du français en question », Le Débat, 71, septembre-octobre,
1992, pp. 164-172.
Socio-logiques des didactiques de la lecture ■ 121

La brutalité de ce constat a conduit à débloquer la réflexion didactique, voire


à déclencher une polémique culturelle plus ou moins euphémisée. En effet, si
l’instance scolaire de socialisation littéraire n’a d’effets que si précaires, si
limités et socialement si visiblement inégaux sur les comportements, compé-
tences et appétences des jeunes lecteurs, alors l’enseignement de la lecture
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
est en crise.

B ■ Lire, un plaisir personnel

Dans l’école d’aujourd’hui, qui scolarise pendant une douzaine d’années au


moins la quasi-totalité des classes d’âge concernées, la communion cultu-
relle avec les grands textes est le plus souvent aléatoire et contrainte, peu
communicative en somme. Le modèle de la lecture scolaire perdure dans un
mixte d’utilitarisme grognon (« c’est au programme », « il faut bien le lire pour
avoir une note correcte ») et de refus plus ou moins larvé et poli d’intérioriser
les dispositions culturelles convenues. Le désenchantement des professeurs
de lettres se résout en fatalisme professionnel et en misérabilisme culturel
(« de toute façon, ils sont nuls ou pas intéressés maintenant, qu’y faire ? »)
mais aussi, dans le meilleur des cas, en quête de solutions nouvelles.

Le centre de gravité du questionnement didactique se déplace alors de


l’objet – la littérature – à la relation à l’objet et à la personne du lecteur. Le lec-
teur est reconnu (sinon connu) comme un authentique sujet culturel, dès le
plus jeune âge. À ce titre, la hiérarchie des rôles scolaires dans la relation
maître-élèves et l’imposition des valeurs culturelles dominantes perdent logi-
quement de leur légitimité. L’enseignant n’est plus uniquement celui qui pres-
crit et proscrit mais il s’efforce d’être à l’occasion un animateur culturel pour
motiver les jeunes lecteurs à prendre du plaisir à leurs lectures. C’est en effet
le modèle de l’animation culturelle qui prend parfois le relais.

Peu à peu s’est introduit en fait dans le monde scolaire un type de livres et un
modèle de rapport aux livres importés des bibliothèques, et plus récemment
encore des médiathèques publiques. On sait que la lecture publique inscrit
son action dans la logique de la libre concurrence culturelle et qu’elle doit
justifier sinon son existence du moins les moyens qui lui sont accordés. Pour
conquérir son public elle développe une offre qui « cherche à faire la preuve
que le divertissement peut être culturel, qui ne veut plus guider mais accom-
pagner, qui accepte de former mais veut surtout informer, et proposer des
libres parcours où chacun puisera selon ses inclinations et motivations »7.
Dans l’univers scolaire, pareillement, ces pédagogies incitatives visent à pro-
voquer le bien-être culturel du lecteur, par opposition sans doute à l’ascé-
tisme triste et trop continûment contraint des lectures trop « scolaires ».

7. M. Poulain, Histoire des bibliothèques françaises, tome IV, « Les bibliothèques au XXe siècle », sous la dir. de M. Poulain,
Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 1992, pp. 6-7.
122 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

Désormais la quête de l’épanouissement culturel exige que l’on abandonne


au moins de temps à autre « la morale du devoir » pour lui substituer ce
« devoir de plaisir »8 que l’éthique libérale ou permissive revendique avec
insistance. L’acte éducatif « culturel » consiste alors à offrir plus souvent des
situations où le jeune lecteur découvrira, par exploration personnelle et pro-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
gressive socialisation, de légitimes plaisirs. Cette didactique culturelle est
amenée à ouvrir le corpus des livres proposés ou suggérés, voire tolérés (des
bandes dessinées aux romans policiers ou à la littérature de jeunesse), et
tend à privilégier la convivialité entre lecteurs et l’originalité ou même l’inven-
tivité de chaque lecture.

Cette relative déscolarisation de la lecture conduit plus naturellement à


s’interroger sur les conditions favorables à des interactions symboliques heu-
reuses et sur les textes et les contextes qui favorisent une pratique de lecture.
Le recours à la sociologie et à l’ethnologie présente alors une série d’intérêts.

Les statistiques fournies par la sociologie culturelle permettent d’abord de


relativiser les discours catastrophistes sur la baisse de l’intensité et de la
qualité des lectures juvéniles. En ce sens, ces savoirs « bruts » participent de
la clarification ou de la pacification du « climat didactique » et autorisent une
problématisation moins sommairement légitimiste de la lecture. Ce n’est pas
négligeable si en découle une approche culturelle plus relativiste des corpus
fréquentables, de la pluralité des enjeux avouables et conséquemment de la
diversité des modalités de lecture. Ce mode de travail pédagogique
« modernisé » peut encore conduire sinon à véritablement s’interroger sur la
culture des apprenants, leurs référents culturels et la singularité éventuelle de
leurs attentes, du moins à tenter d’accueillir de façon compréhensive cette
diversité dans une sorte d’œcuménisme culturel tolérant.

Ces mêmes sciences peuvent enfin et surtout éclairer les logiques sociales à
l’œuvre dans ces stratégies modernistes de l’offre culturelle, à condition que
l’enseignant veuille bien accepter ce retour critique sur son travail. La socio-
logie-ethnologie des pratiques culturelles permet en effet d’établir, par exem-
ple, que les jeunes filles des milieux populaires et les garçons des couches
favorisées n’engagent ni les mêmes attentes, ni les mêmes compétences,
dans la fréquentation d’une bibliothèque municipale qui est le monde
« naturel » des classes moyennes9. Le sociologue met donc en garde contre
les formes quotidiennes de violence symbolique que recèlent les dispositifs
didactiques les plus anodins, apparemment, et les plus sociocentristes, en
fait, parce que spontanément gratifiants pour le maître et pour une fraction
des élèves. Le modèle libéral s’apparente souvent en effet à « une consom-
mation épisodique de loisirs culturels » et engage donc un rapport aisé,
décontracté, moderne et confiant avec les enjeux d’une pratique culturelle

8. P. Bourdieu, La Distinction, critique sociale du jugement, Paris, Éd. de Minuit, 1979, pp. 422-431.
9. C. Poissenot, « Les raisons de l’absence », Bulletin des bibliothèques de France, tome 38, 6, 1993, pp. 15-27 et
C. Poissenot, Les Adolescents et la bibliothèque, Paris, Centre G. Pompidou/BPI, Études et recherche, 1997.
Socio-logiques des didactiques de la lecture ■ 123

vécue comme faisant partie d’un standing de vie, ni plus ni moins. Ainsi la
didactique à dominante incitative ne remet-elle pas en question les fonde-
ments de la hiérarchie culturelle mais entend faire lire « autrement » en jouant
sur les attitudes pour inculquer en douceur une disposition cultivée « selon
de nouvelles valeurs qui correspondent à l’ethos des nouvelles classes
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
moyennes : l’échange, le plaisir, la créativité ». Aussi, pour que ce mode de
transmission diffuse ne se résume pas en une transmission confuse et sélec-
tive, le sociologue propose par exemple au didacticien de « dépasser l’orga-
nisation ponctuelle d’activités, assimilables trop souvent à des “coups
culturels”, pour les intégrer dans une stratégie générale d’inculcation expli-
cite et systématique des différents codes qui permettent l’appropriation réelle
de l’offre […] »10.

En définitive, si c’est bien la personne culturelle dans sa dimension affective


et ses qualités relationnelles qui est au cœur de ce deuxième dispositif
rénové d’apprentissage, si c’est bien le charisme des situations qui est visé,
c’est plutôt la psychosociologie qui pourra être requise (animation de grou-
pes, phénomènes de leadership, problématique des identifications culturel-
les, etc.). La sociologie ne sera pas ignorée comme dans le dispositif
académique et normatif ordinaire, mais la tentation sera grande de la rejeter
comme grossièrement réductrice et simplificatrice des subjectivités culturel-
les des lecteurs. Même l’ethnologie, plus qualitative par définition et plus res-
pectueuse des trajectoires personnelles, n’est guère convoquée, car le
positivisme didactique libéral porte à croire que l’information culturelle est la
condition nécessaire et suffisante à la pratique et une sorte d’optimisme
sociétal laisse croire qu’une bonne ambiance culturelle peut en être le
déclic11.

C ■ Lire, une pratique culturelle socialisée

Si la sociologie et l’ethnologie des pratiques du livre sont peu sollicitées par


les didactiques traditionnelles ou rénovées de la lecture, cela tient sans doute
autant aux conceptions théoriques du lecteur et des actes d’apprentissages
propres au champ de l’institution qu’aux problèmes – réels – de transfert ou
d’appropriation des problématiques et des savoirs scientifiques spécifiques.
Il est sûr, du moins, que ces savoirs et ces problématiques existent.

10. B. Seibel, Bibliothèques municipales et animation, Paris, Dalloz, 1983, p. 46.


11. V. Isambert-Jamati montre que ce type de « pédagogie de la liberté » est aussi « une pédagogie de l’excellence, qui de
fait s’adresse préférentiellement à la majorité des élèves favorisés », dans « Types de pédagogie du français et différen-
ciation sociale des résultats », Les Savoirs scolaires, enjeux sociaux des contenus d’enseignement et de leurs réformes,
Paris, Éditions universitaires, 1990, p. 224. Le succès médiatique de l’essai de D. Pennac sur « les droits imprescripti-
bles du lecteur » – Comme un roman (Paris, NRF, Gallimard, 1992) – témoigne de l’écho que rencontre cette péda-
gogie culturelle douce auprès des fractions cultivées des petite et moyenne bourgeoisies. Voir sur ce point nos remarques
critiques, J.-M.Privat « L’institution des lecteurs », Pratiques, n° 80, décembre 1993, pp. 10-11.
124 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

Les travaux pionniers de P. Bourdieu et d’A. Darbel sur « les conditions socia-
les de la pratique culturelle cultivée » et sur « les lois de la diffusion cultu-
relle »12 posaient déjà quelques jalons essentiels pour envisager le problème
dans des termes plus conformes au réalisme sociologique (style de l’offre,
arbitraire culturel, capital culturel). Viendront s’ajouter plus tard d’autres étu-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
des ou travaux fondamentaux non moins utiles pour penser didactiquement
les conditions d’une pratique active et gratifiante de la lecture et des livres.

Les concepts de violence symbolique, d’habitus ou de champ de la produc-


tion développés par P. Bourdieu, les travaux de F. Furet et J. Ozouf sur l’his-
toire de la culture et de la scolarisation (et le concept central d’acculturation)13,
les recherches de R. Chartier et de M. de Certeau sur les appropriations diffé-
renciées des objets culturels, les « sommes » enfin sur l’Histoire de l’édition
française et, plus récemment sur l’Histoire des bibliothèques françaises
aident en effet à comprendre ce qui se joue dans les mutations culturelles,
institutionnelles ou non, qui modèlent au fil des siècles le corpus des œuvres,
les régimes de lecture, les pratiques du livre et les usages des lecteurs.

Mais c’est sans doute le déplacement des problématiques sur le lecteur qui a
permis de progresser le plus sensiblement et de façon décisive peut-être, du
moins en termes d’enseignement. Le paradigme didactique s’est en effet
recentré fortement sur l’apprenant, ses stratégies cognitives et linguistiques
de traitement de l’information mais aussi ses propensions culturelles de pra-
tiques des écrits, en situation.

Il y a ainsi, depuis une dizaine d’années, des lignes de convergence forte


entre didacticiens de la lecture et ethnologues de la culture : la recherche
savante est passée d’un intérêt érudit, voire bibliophilique pour les livres, à
une investigation sociologique et quantitative sur le partage inégal des biens
et des pratiques culturelles pour finalement privilégier une approche désor-
mais attentive aux lectorats, aux interactions entre d’une part l’offre structu-
rée de lecture, d’autre part les sociabilités « liseuses » et les braconnages
plus ou moins buissonniers des lecteurs14. Les principales conséquences
éducatives directes de ces études peuvent se résumer en trois points :
1. Les compétences culturelles, quand bien même leurs modes d’acquisi-
tion familiale demeurent pour partie implicites et inconscients, peuvent et
doivent (dans une perspective démocratique) faire l’objet d’apprentissa-
ges plus explicites et plus méthodiques15.

12. P. Bourdieu et A. Darbel, L’Amour de l’art, Paris, Éd. de Minuit, 1969.


13. F. Furet et J. Ozouf, Lire et écrire, l’alphabétisation des Français de Calvin à Jules Ferry, Paris, Éd. de Minuit, 1977, 2
volumes.
14. A. Petrucci, « Lire autrement. Les modes de lecture », dans G. Cavallo et R. Chartier (éds), Histoire de la lecture dans le
monde occidental, Paris, Seuil, 1997, pp. 401-425 ; G. Mauger, F. Poliak & B. Pudal, Histoires de lecteurs, Paris,
Nathan, Essais & Recherches, 1999 ; J.-M. Privat, « Manières d’être et façons de faire », dans A.-M. Bertrand, M. Bur-
gos, C. Poissenot & J.-M. Privat, Les Bibliothèques municipales et leurs publics. Pratiques ordinaires de la culture, Paris,
Centre G. Pompidou/BPI, Études et recherche, 2001, pp. 199-230.
15. P. Bourdieu, « Les trois états du capital culturel », Actes de la recherche en Sciences sociales, n° 30, 1979.
Socio-logiques des didactiques de la lecture ■ 125

2. Les comportements culturels sont le produit d’une croyance sociale cons-


truite qui leur est consubstantielle ; cette croyance par exemple dans
l’importance ou l’intérêt des fictions littéraires « est la condition, presque
toujours inaperçue, du plaisir esthétique »16.
3. Les acteurs culturels ne sont pas l’objet de déterminations sociales ou
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
culturelles mécaniques : ils possèdent une subculture qui les prédispose
ou non aux gestes et aux valeurs de la culture cultivée, mais qui a de
toute façon sa logique spécifique et mouvante, personnelle et interper-
sonnelle.

Or l’École a une conception fondamentalement intellectualiste (ou cogniti-


viste et textualiste dans sa version moderne) et individualiste (ou aimable-
ment conviviale et ludique) du lecteur. Dans le premier cas, l’ambition est que
l’élève accède au sens institué du texte légitime, dans le second que l’enfant
découvre le désir et le plaisir personnels de lire. Le lecteur comme sujet
social et culturel polymorphe n’est qu’entrevu, et la pratique du livre comme
activité de socialisation culturelle peu prise en compte17.

Dans la représentation dominante, le lecteur est comme un pêcheur à la


ligne. Le lecteur lit comme le pêcheur pêche. Il est solitaire, immobile, silen-
cieux, attentif ou méditatif, plus ou moins habile ou inspiré. On considère
comme évident que le lecteur est lecteur quand il lit comme le pêcheur est
pêcheur quand il pêche, ni plus ni moins. Apprendre à pêcher comme
apprendre à lire revient alors à maîtriser quelques techniques de base et à
s’essayer progressivement dans des courants de rivière ou des flots de tex-
tes de plus en plus abondants. Le lecteur de signes pêche de ligne en ligne
des informations comme le pêcheur à la ligne suit les signes du bouchon sur
l’eau. La prise est bonne quand le lecteur ne bredouille pas et quand le
pêcheur ne revient pas bredouille.

Cette vision est à la fois sommaire et idéalisée, commune et stéréotypée : elle


est banalement réductrice. Le pêcheur n’est que rarement ce doux rêveur un
peu marginal et narcissique, être à part largement coupé du monde et dont
les pratiques ont quelque chose de mystérieux et la jouissance quelque
chose de secret. Le pêcheur est aussi membre d’un club ou d’une amicale
dont il assure le secrétariat ou assume la présidence. Il a payé sa cotisation à
la fédération qui règle les usages et dit les droits de la pêche. Il aime bien sûr
discuter de son matériel et raconter des histoires de pêcheurs avec ses amis
au bistrot ou à la pause, au bureau. Il collectionne des cannes à pêche et des
petits trophées gagnés lors de concours locaux ou régionaux. C’est un fidèle
abonné des revues spécialisées et il suit à la télévision la plupart des émis-
sions sur la pêche en France ou dans les pays étrangers, au grand dam de

16. P. Bourdieu, Les Règles de l’art, genèse et structure du chanp littéraire, Paris, Seuil, 1992, p. 455.
17. On pourrait dire de la lecture, en particulier, ce que l’ethnologue américain Clifford Geertz dit de la pensée humaine en
général : « Elle est sociale de bout en bout. Sociale dans ses origines, dans ses fonctions, dans ses formes, dans ses
applications » (C. Geertz, Bali, interprétation d’une culture, Paris, Gallimard, 1983, p. 109).
126 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

son épouse. Il apprend dès le plus jeune âge à son fils à taquiner le goujon et
aime se voir offrir lors de son anniversaire ou à Noël des livres illustrés sur la
pêche écologique en eau douce (il n’a que mépris ou incompréhension pour
la pêche sous-marine suréquipée). Il triomphe enfin quand il peut poser avec
fierté pour le journal local avec « un amour blanc de 6,5 kg et de 83 cm de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
long, capturé à la ligne flottante dans la gravière avec un hameçon n° 10
esché de 6 grains de maïs »18, etc.

Bref, pêche et lecture, loin d’être des actes de pure technique et/ou de pure
intimité individualiste, sont en fait saturées de socialité (gestes appris, dis-
cours et objets échangés, rites appropriés, imaginaires partagés, valeurs
incorporées, stratégies communiquées, etc.), structurées par des réseaux de
socialisation institués ou plus informels, mais que les regards croisés de la
sociologie et de l’ethnologie culturelles peuvent rendre « visibles ». Autrement
dit, si l’on admet que le temps du lecteur déborde largement le temps de la
lecture proprement dite et si « l’illusion de l’intimisme de la lecture privée »19
se dissipe, la didactique ne peut qu’être intéressée par les sciences humai-
nes auxquelles nous faisons référence. En effet, si l’enseignant prend en
compte qu’une pratique de lecteur conjugue une compétence culturelle sans
cesse élargie et une disposition pratique progressivement incorporée, il en
découle au moins deux séries de conséquences didactiques qui touchent au
cœur même du processus de développement lectoral.

1 Les apprentissages culturels

L’ethno-sociologie des pratiques de lecture conduit dans un premier temps à


tracer un programme de travail qui concerne des objets d’apprentissage cul-
turel nouveaux. La lecture n’est pas seulement le moment où celle-ci s’effec-
tue, mais un ensemble structuré de pratiques socialement et culturellement
réglées et la lecture proprement dite n’est que « l’acte ultime d’une série de
manipulations apparemment spontanées et conjoncturelles qui mettent un
livre entre les mains de son lecteur »20.

Dans cette hypothèse, il devient nécessaire que les apprentis lecteurs se


dotent peu à peu d’un capital de gestes codés, de discours techniques, de
savoirs spécialisés, d’habitudes culturelles spécifiques, exigés par le champ
lectoral. Construire cette compétence et cette familiarisation suppose de
multiplier et de diversifier les situations d’interactions entre livres et lecteurs.

Il s’agit ainsi d’introduire, par exemple, des « différences donc des préféren-
ces » dans l’offre livresque en développant une culture du livre : « connais-

18. Pêche Pratique, n° 21, 1994, p. 7.


19. J. Balhoul, Lectures précaires, études sociologiques sur les faibles lecteurs, Services des études et de la recherche, Paris,
BPI, Centre G. Pompidou, 1988, p. 45.
20. M. Poulain, Pour une sociologie de la lecture, lectures et lecteurs dans la France contemporaine, sous la dir. de M. Pou-
lain, Paris, coll. « Bibliothèques », Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 1988, p. 8.
Socio-logiques des didactiques de la lecture ■ 127

sance des auteurs, des éditeurs, des collections, lectures en diagonale de la


quatrième de couverture, évocations de lectures antérieures sur un sujet pro-
che, consultations éventuelles de critiques, conversations avec des
proches »21. Loin de vouloir « déscolariser » la lecture selon le modèle libéral,
loin de méconnaître les enjeux de tels apprentissages comme dans le modèle
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
légitimiste, on considérera que l’insertion pratique dans le fonctionnement
codé et structuré du champ lectoral doit faire l’objet d’un travail précoce,
systématique, régulier. Il s’agit bien dans cette didactique des pratiques des
livres de « tâches scolaires, obéissant à des consignes et dont les progres-
sions s’explicitent peu à peu »22. Cependant, cette progressive affiliation cul-
turelle aux règles en vigueur dans le champ des pratiques lectorales n’exclut
pas une initiation critique où le lecteur se construit petit à petit une identité
culturelle23.

Cette dynamique de la socialisation culturelle se traduit donc en termes


didactiques par des stratégies de médiations qui touchent plus généralement
à la pratique et aux pratiques du champ lectoral. Je me bornerai à quelques
exemples complémentaires.

La littérature la plus lue est la littérature la moins enseignée et la plus déva-


lorisée. Ce premier fait, objectif, lié au fonctionnement du champ littéraire et à
ses instances de consécration et de célébration, suffit à indiquer combien est
nécessaire une réflexion sur le corpus des œuvres proposées dans les clas-
ses. Sauf à se résigner à exclure des lecteurs par le seul jeu, brutal, des
exclusives (et donc des exclusions) culturelles, la réflexion didactique conduit
à ouvrir l’éventail des lectures possibles.

Une deuxième interrogation concerne le type d’œuvres sélectionnées. Si l’on


tient compte, non pas tant des dispositions des élèves que du travail que l’on
pourra mener avec des œuvres de difficultés variées et d’ambition culturelle
inégale, alors le choix des textes se pose en termes d’apprentissage (et non
plus en termes de logique patrimoniale ou de propension personnelle). On
compare des fonctionnements textuels, on construit la hiérarchie des valeurs
dans le champ littéraire, on approche des codes culturels plus ou moins
euphémisés, on identifie des pactes de lecture (et donc des lectorats) parfois
opposés.

21. Ibid., pp. 40-41.


22. A.-M. Chartier, « L’armoire de fer et le coussin », La Bibliothèque, Autrement, n° 121, 1991, pp. 133-134. Sur des
exemples de travaux visant à initier les élèves au fonctionnement du champ, voir pour le premier degré P. Cassagnes,
Cl. Garcia-Debanc & J.-P. Debanc, 50 activités pour apprivoiser les livres en classe ou en BCD, CDDP de Tarbes, CRDP
Midi-Pyrénées, Toulouse, 1994 et la revue Argos (CRDP de Créteil) ; pour le second degré, on se reportera à différents
numéros de la revue Pratiques (n° 27, « L’écrivain aujourd’hui », n° 32, « La littérature et ses institutions », n° 52,
« Pratiques de lecture », n° 63, « L’innovation pédagogique », n° 80, « Pratiques de lecteurs »), à D. Dupont, Y. Reuter &
J.-M. Rosier, Manuel d’histoire littéraire, I, Paris-Bruxelles, De Boeck-Duculot, 1988, et au n° 102 du Français
aujourd’hui sur « Les lieux de lecture », 1993.
23. On se reportera à J.-M. Privat & M.-C. Vinson, « Les intermédiaires de lecture », Pratiques, n° 63, 1989, pp. 63-101.
128 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

Une troisième interrogation touche à l’enjeu du commerce avec des œuvres


littéraires strictement contemporaines. Le « Goncourt des lycéens » est un
bon exemple de l’irruption dans la classe de romans lancés à la conquête de
leurs lectorats. Cette « actualité littéraire », ces « dernières parutions », ces
« vient de paraître », ces « romans de la rentrée » ont l’avantage de solliciter
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
la curiosité intellectuelle des jeunes lecteurs dans la mesure où les commen-
taires d’accompagnement n’existent pas (ou si peu) et ne peuvent donc être
« servis sur un plateau », comme dit R. Hoggart. Voilà par contre un exemple
de lectures vivantes qui provoquent parfois des « conflits d’opinion » fort vifs
dans la mesure où la situation « pose des défis »24. L’un de ces défis est jus-
tement de donner ou non, en fonction de critères à préciser, de la valeur litté-
raire à des textes qui n’appartiennent pas « à l’éternel présent de la culture
consacrée où les tendances et les écoles les plus incompatibles “de leur
vivant” peuvent coexister pacifiquement, parce que canonisées, académi-
sées, neutralisées »25.

Le profit éducatif escompté est bien sûr de rendre les élèves attentifs à la
production romanesque d’aujourd’hui et de les rendre partie prenante dans le
débat littéraire. Il s’agit en somme de « retourner le classico-centrisme et de
faire de l’histoire de la littérature à reculons : au lieu de prendre l’histoire de la
littérature d’un point de vue pseudo-génétique, il faudrait nous faire nous-
mêmes le centre de cette histoire (c’est moi, J.-M. P. qui souligne). De la
sorte, la littérature passée serait parlée à partir d’un langage actuel, et même
à partir de la langue actuelle : on ne verrait plus de malheureux lycéens obli-
gés de travailler en premier le XVIe siècle, dont ils comprennent à peine la lan-
gue, sous prétexte qu’il vient avant le XVIIe siècle, lui-même tout occupé de
querelles religieuses, sans rapport avec leur situation présente »26. Il s’agit
aussi de complexifier les représentations des élèves sur « l’institution
littéraire » faite indissociablement de luttes symboliques, d’instances de
légitimation, de manœuvres économiques, de discours médiatiques, bref de
les initier sur un mode critique au « monde de la littérature »27.

2 Les appropriations culturelles

Mais les apprentissages culturels ne se transforment pas automatiquement


en appropriation culturelle et on peut même nourrir la crainte de fabriquer des
Diafoirus de la culture du livre. Le rôle de l’enseignant – ni maître, ni anima-
teur mais médiateur – dans la mise en place de situations didactiques qui
favorisent l’incorporation en douceur des pratiques et l’intériorisation critique
des enjeux est en effet capital. Autrement dit, ici comme naguère pour la lin-
guistique, l’applicationnisme pur et simple peut causer des dégâts et des

24. R. Hoggart, 33 Newport Street, autobiographie d’un intellectuel issu des classes populaires anglaises, Paris, « Hautes
Études », Gallimard-Seuil, 1991, p. 199.
25. P. Bourdieu, Les Règles de l’art, op. cit., p. 221.
26. R. Barthes, « Réflexions sur un manuel », Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, Paris, Seuil, 1984, p. 55.
27. P. Casanova, La République mondiale des lettres, Paris, Seuil, 1998.
Socio-logiques des didactiques de la lecture ■ 129

dégoûts redoutables : « De ce qu’un savoir est plus juste, plus proche d’une
théorie de référence légitimée, il ne suit pas qu’il soit d’emblée plus ajusté au
système dans lequel il doit s’insérer, ni plus facile à acquérir au plan cognitif,
ni plus accessible culturellement que le savoir qu’il remplace, ni, enfin, à tous
coups plus performant qu’un autre type de savoir »28. La sociologie et l’eth-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
nologie peuvent suggérer quelques réflexions utiles à une didactique des
pratiques culturelles.

Certes, inspirée des travaux savants des historiens et des sociologues de la


culture, l’initiation des élèves aux règles institutionnelles qui régissent la pro-
duction et la circulation des biens culturels (statuts des écrivains, logique
marchande et logique symbolique, histoire du champ) commence à se faire
une petite place dans les classes. Les manuels, particulièrement ceux desti-
nés aux lycéens, abordent parfois ce point. Il semble néanmoins nécessaire
d’attirer l’attention sur deux points.

En effet, organiser des repérages dans le champ de la production des écrits


(sur l’objet-livre, le système éditorial, les codes de l’offre en librairie, les publi-
cités et les prix littéraires), aussi utiles et subtils soient-ils, sans compléter
ces apprentissages par une connaissance du champ de la « consommation »
culturelle et donc d’une reconnaissance des divers lectorats coexistants, me
paraît dommageable. C’est d’abord s’abandonner à la prétention pédagogi-
que, paresseuse et illusoire, d’une conformisation systématique des lecteurs
par leurs lectures. En fait, derrière cette improbable orthodoxie culturelle se
cache souvent « l’activité silencieuse, transgressive, ironique ou poétique,
des lecteurs qui conservent leur quant-à-soi dans le privé et à l’insu des
maîtres »29. C’est ensuite ignorer (et bientôt probablement mépriser ou en
tout cas se méprendre sur) des modalités d’appropriation littéraire (mais pas
seulement) qui ont leur force parce qu’elles ont leur logique. C’est enfin ne
pas faire fond sur ces dénivellations culturelles non seulement pour la
richesse des comparaisons et des confrontations au sein d’une même classe
qu’elles autorisent, mais surtout pour aider chaque jeune lecteur à avoir un
regard réflexif sur sa propre dynamique de lecture, ses vertus et ses limites.

Le deuxième point qui me paraît insuffisamment pris en compte par la didac-


tique de la culture et qui est très fortement corrélé au premier, c’est l’idée que
les processus d’accommodation culturelle (on pourrait dire aussi d’accom-
modement) sont longs, demandent du temps et sollicitent la participation
active du sujet.

Soit l’exemple des représentations que les jeunes lecteurs se font souvent
des écrivains, de leur métier, de leur situation, de leur carrière. Informer sur

28. J.-F. Halté, « Les impasses de l’applicationnisme », La Didactique du français, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1992,
pp. 47-49.
29. M. de Certeau, « Lire : un braconnage », L’Invention du quotidien, Arts de faire 1, Paris, UGE, coll. « 10/18 »,1980,
pp. 289-290.
130 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

les conditions réelles de la pratique d’écriture, informer pour démystifier


(c’est le mot convenu) est fréquemment présenté comme à la fois nécessaire
et suffisant. Je suis loin d’être persuadé de l’efficacité de ce brutal positi-
visme pédagogique. En effet, c’est précisément la teneur mythique (romanti-
que) de cette représentation qui la rend particulièrement enchantée et donc
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
très difficilement modifiable De plus, détruire une illusion par un simple dis-
cours de dévoilement, c’est souvent prendre le risque de détruire la
« croyance » nécessaire à une pratique. Comme le signalait Paul Valéry à pro-
pos d’autres discours d’objectivation : « Une littérature dont on aperçoit le
système est perdue ».

Soit cet autre exemple concernant les modalités de lecture des œuvres litté-
raires. Les sociologues de la lecture ont bien montré comment et pourquoi
les jeunes lecteurs (tout comme le lectorat populaire) privilégiaient un rapport
« crédule » aux romans en confondant délibérément – le temps de leur lec-
ture – fiction et réalité, personnage de papier et personne vivante, effet de
réel et réel. Or la lecture légitime se définit par le refus de cette confusion, par
une mise à distance savante et critique de la lecture naïve. L’attention à la
manière, aux formes, au style, aux influences, etc., se fonde sur une
conquête de tous les instants : « résister à la séduction des fictions ». On
doute fort cependant que cette « ascèse » – la renonciation à l’intérêt a priori
essentiel de l’intrigue – résiste longtemps aux « pièges » d’un récit efficace,
même chez un lecteur expert…30

S’il n’existe pas de lecture préculturelle, hors de tout modèle, il faut sans
doute veiller à ne pas détruire certaines manières de lire et certains enjeux de
lecture sous peine de transformer en résistance agressive ou en abandon
honteux ce qui n’était au départ qu’éloignement culturel ou acculturation pré-
caire. Un des effets du contact moyen avec la littérature savante est de
« détruire l’expérience populaire pour laisser les gens formidablement
démunis, c’est-à-dire entre deux cultures, entre une culture originaire abolie
et une culture savante qu’on a assez fréquentée pour ne plus pouvoir parler
de la pluie et du beau temps, pour savoir tout ce qu’il ne faut pas dire, sans
avoir plus rien d’autre à dire »31.

On voit combien tout dogmatisme en la matière est donc lourd de difficultés.


Pour dépasser l’abandon relativiste qui consisterait à ne pas intervenir sur les
conceptions de l’écriture ou les modes de lecture spontanés ou familiers des

30. Sur les usages sociaux des fictions, voir par exemple, N. Robine, Les jeunes Travailleurs et la lecture, Paris, La Documen-
tation française, 1984, pp. 156-159 notamment, et C. Lafarge, La Valeur littéraire, Paris, Fayard, 1983, pp. 209-281
(citations). Voir aussi l’article très éclairant de G. Mauger & C. Poliak, « Les Usages sociaux de la lecture », Actes de la
recherche en sciences sociales, Paris, Seuil, 123, juin 1998, pp. 3-24 et le chapitre pionnier que B. Lahire consacre
aux « expériences que les lecteurs vivent avec les livres », L’Homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan, coll.
« Essais & Recherches », 1998, pp. 107-118.
31. P. Bourdieu, « La lecture : une pratique culturelle », entretien avec R. Chartier, Pratiques de lecture, Marseille, Rivages,
1985, pp. 227-228. Lire aussi C. Baudelot & M. Cartier, « La lecture au collège. De la foi du charbonnier à une prati-
que sans croyance », Actes de la recherche en sciences sociales, Paris, Seuil, 123, juin 1998, pp. 25-44.
Socio-logiques des didactiques de la lecture ■ 131

sujets en cours d’apprentissage comme pour éviter les impasses du légiti-


misme culturel qui s’arrogerait le droit d’imposer à tous un style de lecture
arbitraire dont les exigences risquent de détourner de la littérature le plus
grand nombre, une double stratégie didactico-culturelle s’impose. Cette stra-
tégie consiste à « didactiser l’offre » et à « accompagner le plus loin possible
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
dans leur culture »32 les apprenants. Cette stratégie essaie ainsi de tenir
compte à la fois des effets d’une réelle distance culturelle (la domination) et
des effets d’une certaine spécificité culturelle (la différence).

La première option consiste à ne pas vouloir généraliser une pratique littéraire


sans universaliser dans le même moment les conditions d’accès à cette pra-
tique33. Ce travail de familiarisation culturelle conduit donc à expliciter les
conditions de l’offre culturelle pour construire cette relation de complicité et
de connivence qui lie tout homme cultivé au jeu culturel : codes d’accès aux
lieux du livre, pactes paratextuels et génériques, technologie du travail intel-
lectuel, maîtrise des métalangages textuels et culturels, constitution d’un
capital de références lecturales qui (re)produisent inséparablement la valeur
de l’œuvre et la croyance en la valeur de la lecture (et du lecteur). Mais ce tra-
vail est à conduire dans le cadre d’un projet qui préserve chez l’élève les pos-
sibilités d’interactions expériencielles en évitant autant que faire se peut tout
forçage culturel.

La deuxième option repose sur l’idée que les chemins qui mènent à la lecture
cultivée sont multiples, même si une censure culturelle habite chacun de
nous : « Qui n’a pensé, un jour ou l’autre, que ce serait déjà une victoire pour
les “vraies” lectures (même virtuelles) si l’on pouvait tarir la lecture (pourtant
actuelle) de la para ou de l’infralittérature ? »34

Je n’insiste pas ici sur l’utilité d’un travail sur la paralittérature puisque la
démonstration de son intérêt didactique a déjà été faite ailleurs35. Je me
borne à en rappeler le quadruple enjeu : ne pas stigmatiser des lecteurs en
stigmatisant systématiquement des lectures (par l’oubli ou le mépris) ; placer
les élèves en situation d’appréhender plus complètement le fonctionnement
du marché littéraire ; travailler les automatismes de lecture de grandes
masses discursives et la reconnaissance des procédés d’écriture sur des
œuvres sémiotiquement moins complexes et plus stéréotypées, dont la
« fabrique » est plus visible, et en ce sens « pédagogique » ; ne pas briser par
excès de légitimisme une éventuelle passion de lire, naissante ou balbutiante,

32. J.-C. Passeron, « Quelques éléments pour contribuer à la réflexion », Actes du Colloque Lecture et bibliothèques publi-
ques, Hénin-Beaumont, Lille, O.R.C., 1982.
33. On sait que ce thème est constant chez P. Bourdieu qui dénonce avec violence la violence symbolique qui s’exerce
immanquablement lorsque l’universalisation des exigences instituées par le fonctionnement d’un champ – culturel ici – ne
s’accompagne pas de l’universalisation de l’accès aux moyens d’y satisfaire. Ce manque « favorise à la fois la monopo-
lisation de l’universel par quelques-uns et la dépossession de tous les autres, ainsi mutilés, en quelque sorte, dans leur
humanité », dans « Esprits d’état, genèse et structure du champ bureaucratique », Raisons pratiques. Sur la théorie de
l’action, Paris.
34. J.-C. Passeron, Le Raisonnement sociologique, Paris, Nathan, coll. « Essais & Recherches », 1991.
35. Voir notamment « Les paralittératures », Pratiques, n° 50, juin 1986.
132 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

peu regardante sur sa matière. Autrement dit, avant d’inciter à la lecture cul-
tivée, il est bien souvent nécessaire de prendre en compte l’encouragement à
lire, tout simplement et d’aider les élèves à se situer dans leur propre par-
cours de lecteurs. En reconstituant, dans ce retour métaculturel, sa trajec-
toire personnelle, le lecteur se constitue en lecteur à ses propres yeux voire
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
aux yeux des autres et dessine généralement des zones de surinvestisse-
ment et de sous-investissement culturels que l’action didactique peut alors
prendre en compte36.

Les observations des sociologues montrent d’autre part que l’espace dans
lequel se formule une proposition de lecture est déjà une proposition de
sens37. « Par leurs aménagements, par l’attitude de leurs personnels comme
par le symbolisme de leurs mobiliers, par l’allure des gens que l’on y croise,
de ceux que l’on y reconnaît ou de ceux que l’on éviterait ailleurs, par toutes
les interactions sociales qu’ils encouragent ou qu’ils dissuadent [les espaces
de lecture mettent inégalement à l’aise ou en état de malaise] »38. C’est cette
raison qui doit inciter à encourager les jeunes lecteurs à fréquenter des lieux
diversifiés d’offre du livre et à les « accompagner » dans leurs cheminements.

Cependant, une appropriation culturelle véritable exige non seulement une


réelle implication du sujet dans sa pratique, mais encore une insertion active
dans un système de communication (sinon de communion) culturelle. La soli-
tude du lecteur n’est-elle pas peuplée de discours et de rencontres qui don-
nent sens et valeurs à sa pratique ? En effet, pas plus que l’auteur n’est
« pensable » dans un superbe isolement, le lecteur négocie sans cesse ses
lectures dans le cadre d’un lectorat réel et imaginaire qui fait de son activité,
selon le lien « du familier et de l’inconnu, du solitaire et du partagé »39. Les
sociabilités, restreintes ou élargies, institutionnelles ou informelles, contri-
buent en effet directement à la production et de l’œuvre et du lecteur40.
Œuvres et lecteurs ne sont pas « faits » une fois pour toutes mais « cent fois,
mille fois, par tous ceux qui s’intéressent, qui trouvent un intérêt matériel ou
symbolique à lire »41, à le dire, le montrer ou le démontrer. Ce sont donc des

36. Sur les entretiens d’explicitation culturels et leurs enjeux didactiques, voir B. Duhamel, « S’entretenir de leurs lectures »,
Pratiques, n° 80, déc. 1993, pp. 56-77 et M. Burgos, « Lectures privées et lectures partagées », id., pp. 78-94.
37. Voir notamment, outre les ouvrages déjà cités de J.-F. Barbier-Bouvet, M. Poulain & E. Véron, les travaux d’E. Véron & M.
Levasseur, Ethnographie de l’exposition, I’espace, le corps, le sens, Paris, BPI, coll. « Études et recherche », Centre G.
Pompidou, 1989 et ceux de M. Grumbach & J.-C. Passeron, L’Œil à la page : enquête sur les images et les bibliothè-
ques, Paris, BPI, coll. « Études et recherche », Centre G. Pompidou, 1988.
38. J.-C. Passeron, op.cit., chap. XIV « Le polymorphisme culturel de la lecture », p. 342.
39. M. Poulain, « La lecture, lieu du familier et de l’inconnu, du solitaire et du partagé », J.-M. Privat & Y. Reuter (éds), op.
cit., pp. 127-136.
40. Les sociabilités sont à considérer comme des médiations particulièrement intéressantes dans la mesure où elles obligent
l’enseignant-médiateur à jouer sur les dynamiques sociocognitives des apprentis-lecteurs eux-mêmes. Les sociabilités sont
par définition à la jonction d’un habitus et d’un champ : elles permettent l’incorporation des structures du monde culturel
et autorisent la reconstruction d’un monde culturel par la mise en œuvre, plus ou moins transformatrice, de ces mêmes
structures (voir P. Bourdieu, « Entretien sur la pratique, le temps et l’histoire », op. cit., pp. 169-173). L’intervention didac-
tique consiste alors à articuler des objets d’enseignement et des conditions d’appropriation dans une perspective propre-
ment praxéologique (sur ce point voir J.-F. Halté, op. cit., pp.16-17, et L. Cornu & A. Vergnioux, La Didactique en
questions, Paris, CNDP-Hachette Éducation, 1992, pp. 69-70).
Socio-logiques des didactiques de la lecture ■ 133

échanges incessants et polymorphes qui sont à susciter entre lecteurs42.


C’est l’idée maîtresse qui préside à un certain nombre de dispositifs didacti-
ques expérimentés soit dans les classes, soit dans les établissements scolai-
res, soit en partenariat culturel avec les librairies et les bibliothèques43.
L’intérêt pour les lieux non scolaires d’offre et de pratique du livre s’origine
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
dans le fait bien établi que les plus grands/gros lecteurs, lettrés ou non, sont
aussi ceux qui connaissent le mieux et fréquentent le plus les bibliothèques
et les librairies. Cette loi du cumul culturel trace un programme de travail et
une réflexion générale sur les conditions et les objectifs précis d’une coopé-
ration entre les partenaires du livre et notamment avec les bibliothécaires de
la lecture publique.

L’appropriation de ses lectures passe enfin par des pratiques de familiarisa-


tion textuelle et d’affirmation du pouvoir du lecteur sur les livres lus. Non seu-
lement noter une référence ou relever une citation mais surtout, par exemple,
s’autoriser à annoter son texte par des appréciations, des jugements, de
remarques personnelles ; en d’autres termes, marquer son passage de lec-
teur, s’écrire, s’inscrire, s’exclamer crayon en main dans le texte pour en
prendre une possession écrite : « nul », « bof », « discutable », « génial », etc.

Comment en effet aider à l’investissement dans une lecture sinon en appre-


nant à relier matériellement, graphiquement, des passages qui sont éloignés
les uns des autres, à faire des renvois internes, à construire des liens, à éta-
blir visuellement des relations. Lire n’est-ce pas lier, relire, relier ? Souligner,
surligner, barrer ce qui déplaît aussi. Insérer des marques, des repères maté-
riels, des petits bouts de papier, faire des cornes. Ces gestes de lecteurs bali-
sent une lecture, la mettent en mémoire, la personnalisent en la matérialisant.

Il s’agit en effet de s’attacher à alléger la tâche de lecture pour diminuer


l’effort cognitif, effort normal pour tout lecteur engagé dans une lecture lon-
gue et/ou difficile. Or les modèles les plus scolaires de la lecture sont extrê-
mement exigeants et largement irréalistes en ce qu’ils imposent de ne lire
qu’avec sa tête, sans l’aide de toute une technologie du travail intellectuel.
Pourtant, il existe un outillage artisanal de la lecture, bricolé de fait par tout
lecteur un peu expert. Cet artisan-lecteur, ce lecteur-bricoleur met en œuvre
des savoir-faire concrets, des micro-actes de structuration et de capitalisa-
tion dont le rendement pratique et symbolique peut être décisif : baliser une
lecture longue par des traces scripturales à même le texte, mener une relec-
ture qui ne se borne pas à être une re-lecture ressassante et docile, savoir à
moindre coût suspendre et reprendre une lecture, apprendre à partager le

41. P. Bourdieu, Les Règles de l’art, op. cit., pp. 242-243. J’élargis au lecteur ce que Bourdieu dit de la « fabrication » de
l’œuvre.
42. M. Burgos et J.-M. Privat, « Le Goncourt des lycéens : vers une sociabilité littéraire ? », Lire en France aujourd’hui, sous
la dir. de M. Poulain, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, coll. « Bibliothèques », 1993, pp. 163-181.
43. Voir l’exemple développé par D. Lelièvre-Portalier & M.-C. Vinson, « La bouquinerie au collège : un nouveau marché de
lecture », Pratiques, n° 80, décembre 1993, pp. 35-55.
134 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

travail de lecture, savoir lire plusieurs livres dans une même période de lec-
ture, etc.

De fait, ces apprentissages que nous qualifions d’artisanaux sont jusqu’à


présent comme les parents pauvres de la maîtrise de la langue écrite. On
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
laisse les élèves se débrouiller… ou s’embrouiller, faute de mettre en œuvre
des habiletés polytechniques qui correspondent à ces compétences artisan-
ales44.

De plus, ces comportements liés à l’exercice de la raison graphique45, loin


d’être tournés vers le passé, sont voués à se développer. En effet, les textes
électroniques vont activer encore plus systématiquement cette économie
pratique du lecteur et de ses lectures ; ils vont multiplier ces stratégies
d’appropriation en décuplant les possibilités d’intervention du lecteur dans le
texte, interventions que l’abolition du texte canonique, la disparition de la
linéarité et l’effacement de l’opposition entre auteur et lecteurs facilitent.
Indexer, annoter, copier, déplacer, recomposer, souligner, barrer, mettre en
mémoire, etc. : « Le lecteur de l’âge électronique peut à tout moment interve-
nir sur les textes, les modifier, les réécrire, les faire siens46. »

Il serait bon que ces opérations du lecteur de demain soient des opérations
encouragées et pratiquées par tout jeune lecteur d’aujourd’hui, quel que soit
le support. À charge pour l’enseignant d’en organiser l’apprentissage rai-
sonné dans la mesure où ces facilitations procédurales – comme en produc-
tion écrite – entrent dans les processus pratiques et symboliques de
régulation, de planification et de révision d’une praxis intellectuelle structurée
par la logique de la literacy.

44. Pour de plus amples développements, J.-M. Privat & M.-C. Vinson, « Médiations culturelles et médiations textuelles au
lycée », Pratiques, n° 107-108, décembre 2000, pp. 205-219, et surtout J.-M. Privat et al., « Vers une didactisation
des médiations textuelles », Cahiers du français contemporain, 7, novembre 2001, pp. 161-177.
45. J. Goody & I. Watt, « The Consequences of Literacy », Literacy in traditional societies, ed. by J. Goody, Cambridge
U.P., 1968, pp. 27-68, et J. Goody, La Raison graphique, Paris, Minuit, 1979.
46. G. Cavallo & R. Chartier, op. cit., p. 37.
8
Développement,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
compétences
et capacités
d’action des élèves
Jean-Paul BRONCKART

Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire des idées pédagogiques, on peut
relever des prises de position didactiques qui, d’une part dénoncent l’« état
des choses » (critique de la surcharge des programmes, des méthodes à
caractère déductif, des relations pédagogiques fondées sur la contrainte,
etc.) et qui, d’autre part manifestent un souci de définir des procédures
d’enseignement adaptées aux capacités naturelles d’apprentissage des
élèves : « l’enseignant serviteur de la nature », selon la formule célèbre pro-
posée par Comenius dans sa Didactica Magna (1638/1981). Généralement
inspirées des principes politico-philosophiques d’éducabilité, de progrès et
de démocratisation, ces prises de position, si elles ont débouché parfois sur
des innovations pédagogiques intéressantes, n’ont cependant guère exercé
d’effets durables sur les démarches d’enseignement à l’œuvre dans les sys-
tèmes éducatifs. Il a fallu en réalité attendre le premier quart du XXe pour
qu’elles soient réellement prises en compte, sous l’effet conjugué de leur
reformulation par les pionniers de l’Éducation nouvelle et/ou de l’Éducation
active, et de l’émergence d’un contexte socio-économico-politique rendant
possible leur opérationnalisation. Depuis cette époque, il est formellement
admis que toute démarche d’enseignement doit se fonder sur l’« état de
développement psychologique des élèves », qu’elle doit notamment s’articu-
ler aux compétences intellectuelles, aux capacités d’action et aux capacités
verbales des apprenants.

Même si elle n’est pas sans poser quelques problèmes délicats (dont notam-
ment celui des rapports entre les besoins des élèves et les besoins de la
136 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

société), cette injonction nous paraît recevable dans son principe, et le pro-
pos de cette contribution sera en conséquence d’analyser les conditions de
sa faisabilité. Deux questions nous retiendront plus particulièrement :
– Comment décrire et conceptualiser le « développement psychologique » ?
– Comment exploiter nos connaissances des caractéristiques de ce déve-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
loppement dans le cadre des activités concrètes d’enseignement d’une
discipline scolaire ?

A ■ La problématique
du développement psychologique

Si l’on excepte les courants d’inspiration exclusivement spiritualiste, qui sont


dans un état de désuétude partielle, on peut identifier dans le champ de la
psychologie contemporaine quatre conceptions majeures du développement :
celle du behaviorisme, celle du constructivisme piagétien, celle du cogniti-
visme et celle de l’interactionnisme social. Pour caractériser ces différents
paradigmes, nous évoquerons plus particulièrement les unités d’analyse
qu’ils se donnent, la (ou les) démarche(s) interprétative(s) qu’ils appliquent à
ces unités, et enfin le rapport qui s’y trouve posé entre développement et
apprentissage.

1 Le behaviorisme

Comme l’indique son appellation même, le behaviorisme commun (parfois


appelé aussi « behaviorisme méthodologique ») se donne comme unités
d’analyse les seuls comportements observables, c’est-à-dire les mouve-
ments du corps humain accessibles, dans le temps et l’espace, à n’importe
quel observateur ; et il exclut de sa problématique les phénomènes mentaux
(états de conscience, représentations, affects, sentiments, etc.) en arguant
du fait que ceux-ci n’étant pas observables, aucun accord ne peut être établi
quant à leur statut et quant à leur existence même. Sur le plan de la démar-
che d’interprétation, ce courant se propose, sur le modèle des sciences de la
nature, de fournir une explication causale des comportements : la cause d’un
comportement x est un phénomène y (stimulus ou renforcement) dont
l’occurrence est nécessaire et suffisante pour la production de ce même x.
Dans d’autres versions de ce même courant, celle du behaviorisme
« radical » de B.F. Skinner notamment, le terme de comportement inclut les
activités mentales (l’unité d’analyse pourrait alors être qualifiée de
« conduite ») et la démarche interprétative tient compte des effets des stimu-
lations verbales et sociales. Mais la conception du développement humain ne
change cependant pas fondamentalement comme l’indiquent trois des thè-
ses soutenues par B.F. Skinner (1974/1979) :
Développement, compétences et capacités d’action des élèves ■ 137

a) l’homme est avant tout un organisme, dont l’équipement génétique est le


produit des contingences de survie auxquelles l’espèce a été exposée au
cours de l’évolution ;
b) cet organisme devient un sujet psychologique lorsqu’il acquiert un répe-
rtoire propre de comportements, sous l’effet des renforcements auxquels
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
il a été exposé au cours de son existence ;
c) les institutions sociales, par le biais du langage, exercent un contrôle
puissant sur les individus, et ces derniers y réagissent en tentant d’exer-
cer un « contre-contrôle », qui est cependant rarement efficace.

L’élément central de cette approche est que l’ensemble des caractéristiques


comportementales ou mentales d’un individu est sous le contrôle des stimu-
lations et des renforcements, physiques ou sociaux, du milieu. L’organisme
individuel est conçu comme un réceptacle vierge, sans véritable dynamisme
propre, qui est ensuite façonné de manière cumulative et linéaire, sous l’effet
du milieu. Dans cette optique, le développement se confond alors avec la
somme des apprentissages réalisés par l’organisme.

2 Le constructivisme piagétien

L’unité d’analyse de la psychologie piagétienne est la conduite, définie


comme le comportement y compris les faits mentaux qui l’accompagnent,
mais l’objectif central de Piaget est moins l’explication des comportements
observables que celle des conditions de construction des connaissances qui
sous-tendent et orientent ces mêmes comportements. Chacun connaît les
deux étapes de cette construction, exposées dans La Naissance de l’intelli-
gence (1936), La Construction du réel (1937) et La Formation du symbole
(1945). Au stade sensori-moteur tout d’abord, sous l’effet des processus
d’assimilation et d’accommodation, les schèmes réflexes innés du bébé se
transforment progressivement en un système de coordination des actions, ou
en un système d’intelligence pratique, permettant une adaptation efficace au
milieu, mais demeurant non accessible au sujet lui-même, ou encore non
conscient. Ensuite, dès le début des stades opératoires, les propriétés de ce
schématisme sensori-moteur sont intériorisées par l’enfant et réorganisées
au plan des représentations, sous l’effet des mécanismes d’abstraction :
l’abstraction empirique d’une part, qui porte sur les propriétés du monde (des
objets, des événements) et les reconstruit en images mentales de plus en
plus stables ; l’abstraction réfléchissante surtout, qui porte sur les propriétés
des comportements adaptatifs des sujets, et qui contribue à transposer au
plan représentatif les structures objectives de coordination des actions, les
transformant par là même en structures opératoires, c’est-à-dire en structu-
res de raisonnement de plus en plus logiques. Désormais le sujet n’opère
plus seulement sur le monde, mais opère aussi sur les représentations qu’il
s’en est forgées, et le système cognitif pratique est ainsi devenu un véritable
« système de pensée ».
138 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

La démarche interprétative du constructivisme combine explicitement l’expli-


cation causale et l’explication par modèles. En ce qui concerne la première
forme, Piaget considère, contrairement au behaviorisme, que les facteurs
externes ne déterminent jamais unilatéralement les conduites, que celles-ci
s’élaborent sous l’effet de mécanismes fonctionnels de coordination des
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
actions, qui ne font eux-mêmes que « traduire » les propriétés fonctionnelles
du système nerveux central ; les causes ultimes du comportement humain
sont donc pour Piaget d’ordre biologique. Mais l’évocation de cette « base
biologique » ne suffit cependant pas à expliquer le développement propre-
ment psychologique du sujet, et pour rendre compte de ce dernier, Piaget a
introduit ce qu’il qualifie d’explication par construction de modèles. Cette
démarche consiste à formuler des hypothèses sur la structure de l’organisa-
tion mentale sous-tendant les comportements, puis à procéder à la validation
de ces hypothèses, et elle se déploie en trois temps. D’abord, le recueil des
données et l’établissement de « lois empiriques » attestant de la généralité de
la dépendance d’un phénomène par rapport à un autre et permettant de la
sorte la prévision (« si x, alors généralement y »). Ensuite, la mise en connexion
des régularités observées et l’identification de nouvelles lois vraisemblables :
les « lois déductives » qui découlent logiquement ou nécessairement de la
combinatoire des lois attestées. Enfin, l’élaboration d’un modèle mathémati-
que (groupement des déplacements, groupe INRC, etc.) intégrant les diffé-
rentes lois selon ses normes propres de composition et construit de telle
manière qu’il permette une mise en correspondance entre les transforma-
tions déductives qui le caractérisent et les transformations observables dans
les comportements d’un sujet. Un tel modèle peut être validé par « retour aux
données empiriques », et il n’est considéré comme explicatif que « dans la
mesure où il permet d’attribuer aux processus objectifs eux-mêmes une
structure qui lui est isomorphe » (1970, p. 114).

Trois aspects des propositions piagétiennes méritent d’être soulignés.


a) Le développement des connaissances s’effectue dans le seul cadre de
l’interaction entre un individu solitaire et le monde en ce qu’il est physique
(ou objectif) ; il repose en dernière instance sur les propriétés du système
nerveux, et les médiations sociales (ou socio-sémiotiques) n’y jouent
aucun rôle déterminant.
b) Le développement est un processus continu de création de structures à
caractère logico-mathématiques, censées rendre compte de l’ensemble
des aspects du fonctionnement comportemental. Chez Piaget, les carac-
téristiques de la « raison pure » suffisent à expliquer tous les aspects des
comportements pratiques, que ces derniers soient d’ordre affectif, social
ou langagier.
c) En conséquence, chez Piaget, c’est le développement bio-logique qui
explique ou rend possibles toutes les formes d’apprentissage, y compris
les apprentissages scolaires ; tout apprentissage dépend du stade de
fonctionnement cognitif d’un sujet.
Développement, compétences et capacités d’action des élèves ■ 139

3 Le cognitivisme orthodoxe

C’est un lieu commun d’affirmer que ce courant se donne pour objet essen-
tiel l’esprit humain, conçu en tant que « système de traitement de
l’information ». Dans la perspective développée notamment par D.E. Rumel-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
hart & D.A. Norman (1988), les comportements observables ne sont que des
« signaux », relevant du milieu ou du « monde représenté », et constituant la
base empirique à partir de laquelle le chercheur effectue des inférences.
Celles-ci permettent d’élaborer des modèles rendant compte des caractéris-
tiques structurales et fonctionnelles du « monde représentant », en l’occur-
rence des deux aspects de ce second monde que constituent, d’une part
l’état physique du cerveau, d’autre part l’état des connaissances du sujet.
Pour le cognitivisme, l’humain est donc essentiellement une mécanique qui
traduit les informations disponibles dans le premier monde en représenta-
tions mentales, qui stocke ces représentations, les organise et les trans-
forme. Les modèles successifs élaborés par ce courant (pour une
présentation plus détaillée, cf. J.-P. Bronckart, 1991) présentent certes des
différences notables : « modèles à base propositionnelle » dans lesquels la
connaissance est représentée par des suites de symboles organisés en
arbres, en réseaux, ou en configurations plus structurées (schéma, frame,
script, plan) ; « modèles analogiques » qui visent à reproduire, de manière
aussi directe que possible (c’est-à-dire tendant à l’isomorphisme), les carac-
téristiques du monde représenté, et dont la forme la plus élaborée est sans
doute celle des « modèles mentaux » de P.N. Johnson-Laird (1983) ;
« modèles procéduraux » qui ont pour but de simuler les savoir-faire prati-
ques, c’est-à-dire ces formes de connaissances « inaccessibles » que les
sujets mettent en œuvre dans des activités concrètes (par exemple, les
divers processus impliqués dans la prononciation du mot métaphysique).
Mais dans tous les cas, ces modèles ont une architecture et un mode de
fonctionnement explicitement inspirés par la « métaphore de l’ordinateur »
(cf. J. McClelland & D.E. Rumelhart, 1986) : prenant appui sur la cybernétique
et sur l’intelligence artificielle (IA), le cognitivisme considère que l’esprit
humain est structuré et fonctionne comme un ordinateur.

Sur le plan de la démarche interprétative, le cognitivisme orthodoxe constitue


de fait une forme de prolongement de la démarche piagétienne d’explication
par construction de modèles, et on peut donc lui appliquer les mêmes criti-
ques générales : le « monde représenté » source des données empiriques est
exclusivement physique (c’est-à-dire a-social et anhistorique) ; l’unité d’ana-
lyse est limitée aux connaissances formelles élaborées à propos de ce
monde ; son champ de validité est celui de la seule raison pure, non celui des
comportements pratiques. Par rapport au constructivisme, le cognitivisme
présente cependant deux différences essentielles, qui nous conduiront à
aggraver encore notre critique. Alors que la démarche piagétienne est
« génétique » (centrée sur la genèse des conduites), et invoque comme
cause ultime du développement des connaissances les lois fonctionnelles de
140 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

la vie organique, le cognitivisme postule de fait un innéisme de structure :


l’architecture des différents modules dévolus au traitement de l’information
serait préprogrammée et reposerait directement sur l’équipement biologique
de l’espèce. Ce retour à une position fixiste a deux conséquences théoriques
capitales. Tout d’abord, il empêche de poser véritablement le problème du
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
statut des informations que traite l’esprit : celles-ci semblent constituer des
universaux déjà là, qui relèveraient d’une logique immanente du monde des
choses. On retrouve ici le paradoxe constant des positions non interaction-
nistes et leur présupposition d’un monde tout entier préconstruit que nos
structures mentales ne feraient que retrouver ; l’impasse à laquelle conduit
cette position a pourtant été démontrée depuis longtemps par le Tractatus et
par l’œuvre de Wittgenstein en général ! Ensuite, s’agissant de la forme
d’organisation des représentations mentales, le cognitivisme, récusant la
logique émanant de l’interaction, postule l’existence d’un système symboli-
que inné dont les unités et la syntaxe ne seraient autres que celles de la
grammaire générative. Le langage de l’esprit serait donc organisé comme le
langage humain, celui-ci n’étant toutefois pas saisi en tant que système
sous-tendant les pratiques verbales à l’œuvre dans les sociétés humaines,
mais, comme le reconnaît benoîtement J.-P. Desclés, en tant que « système
symbolique séparé de son environnement socioculturel et anthropologique »
(1980, p. 82).

En raison du double postulat fixiste sur lequel il repose (préexistence d’infor-


mations dans le monde et innéité des structures de l’esprit), le cognitivisme
peut certes invoquer les compétences mentales dont disposerait chaque
sujet, mais il se révèle en réalité inapte à poser et la problématique du déve-
loppement, et a fortiori celle de l’apprentissage.

Pour synthétiser, le postulat philosophique sur lequel reposent de fait le


cognitivisme modulariste et le constructivisme piagétien est, explicitement
chez le premier, implicitement chez le second, le dualisme cartésien : la dis-
tinction radicale entre d’une part le monde de la matière objective, des objets
inscrits dans l’espace et entre lesquels peuvent être posées des relations
causales, et d’autre part le monde de l’esprit, des pensées radicalement
immatérielles qui se déploient en implications logico-mathématiques, et qui
constitueraient une propriété sui generis du cerveau humain. En d’autres ter-
mes, ces conceptions s’inscrivent dans la lignée de l’idéalisme subjectif ;
elles admettent que l’esprit ou les idées sont une propriété spécifique de
l’âme humaine, en l’occurrence rebaptisée « cerveau ». Et s’il peut être
acceptable d’un point de vue religieux (il suffit d’admettre la spécificité de la
« création » de l’homme), ce principe d’idéalisme subjectif reste pour le
moins problématique d’un point de vue scientifique. Nous ajouterons encore
que si le cognitivisme renvoie aux formes les plus primitives de ce courant de
pensée (il s’articule aux Analytiques d’Aristote, et à leur remise à jour par
Port-Royal), Piaget lui, a au moins intégré Kant et son analyse critique des
conditions de construction de la raison humaine. Mais dans l’une et l’autre
Développement, compétences et capacités d’action des élèves ■ 141

conceptions, aucune place n’est accordée au social dans le processus de


développement ; les constructions historiques des groupes humains n’inter-
viennent ni à titre de fondements de la pensée (celle-ci est biologique en son
origine), ni à titre de facteur de développement de l’enfant ; celui-ci est censé
se développer sans les interventions des adultes, et plus généralement, à
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
l’abri de toutes les formes de médiations socioculturelles. Enfin et en consé-
quence, dans un tel cadre, le telos du développement, ce vers quoi est censé
tendre inéluctablement le fonctionnement psychique humain, est une raison,
de plus en plus pure, de plus en plus abstraite, de plus en plus mathémati-
que. Et à y réfléchir un instant, il n’est pas évident que ce postulat ne puisse
pas être discuté.

À nos yeux, le behaviorisme s’articule à un questionnement philosophique


plus acceptable, précisément en ce qu’il récuse d’emblée l’idéalisme subjec-
tif, en même temps qu’il tente d’inscrire la psychologie dans les sciences de
la nature. Mais l’homme pense, indiscutablement, et le behaviorisme com-
mun a éprouvé la peine que l’on sait à en tenir compte, en niant d’abord la
réalité du fonctionnement psychique, chez Watson ou chez Weiss, en le
réduisant ensuite à un épiphénomène au statut lui aussi bien mystérieux.
Lorsqu’il admet l’existence de la pensée, ce behaviorisme-là bascule de fait
dans l’idéalisme objectif ; il admet la préexistence, de toute éternité, de
l’esprit dans la matière. Position qui n’est guère plus tenable que celle de
l’idéalisme subjectif, et que B.F. Skinner a magistralement récusée, en même
temps qu’il indiquait la seule voie possible pour dépasser cette
contradiction : la pensée humaine est le produit de l’intériorisation du lan-
gage, et donc du social. Mais le social de B.F. Skinner a ceci de particulier
qu’il est anhistorique, a-culturel et homogène : il n’est qu’un ensemble de
règles verbalisées exerçant une action unilatérale sur le devenir de chaque
humain.

4 L’interactionnisme vygotskien

Réalisée en à peine dix années, dans un contexte personnel et sociopolitique


difficile (il se savait condamné par la tuberculose et était en permanence
menacé par le stalinisme naissant), l’œuvre de Vygotski apparaît aujourd’hui
surtout comme un projet : unifier l’objet de la psychologie en même temps
que sa démarche interprétative.

Ce projet s’articule, comme on le sait, à la tradition moniste héritée de


Spinoza : il n’existe pas, comme le soutient le dualisme, d’une part un monde
matériel, d’autre part un monde psychique spécifiquement incarné en
l’homme ; mais la nature matérielle est une et d’un seul tenant et c’est la
seule réalité accessible à notre connaissance. Mais le monisme spinozien
admet également le Cogito de Descartes, à savoir que l’humain témoigne
d’une activité mentale (la pensée) en même temps qu’il témoigne d’une acti-
vité corporelle (le comportement). Le problème qui se pose dès lors au
142 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

monisme est d’expliquer comment la même substance naturelle est suscep-


tible de se réaliser d’une part en mouvement des corps, d’autre part en acti-
vité de l’esprit. Chez Spinoza, comme plus tard chez Hegel (dont la méthode
dialectique a fortement inspiré Vygotski), cette question était résolue par
l’idéalisme objectif, qui n’était lui-même que la conséquence d’un panthéisme
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
explicite : les idées préexistent de toute éternité dans la matière, parce
qu’elles ne sont que la manifestation de l’activité divine, infinie et parfaite.
Rejetant le panthéisme, et plus généralement la question de la déicité,
Vygotski ne pouvait évidemment admettre la thèse de l’idéalisme objectif. Il
lui fallait donc se doter d’une conception du statut et de l’origine de l’idéel qui
soit différente, tout en restant compatible avec le monisme spinozien et avec
la dialectique hégelienne, et c’est dans les écrits de Marx et Engels qu’il iden-
tifiait une voie de solution à ce problème. Dans les Thèses sur Feuerbach, et
dans L’Idéologie allemande, ces auteurs, tout en conservant les principes
mêmes de la dialectique hégelienne, en inversent le postulat de départ : ce
n’est pas la dialectique de la conscience qui explique la vie matérielle et l’his-
toire des peuples, mais c’est la vie matérielle des hommes qui explique leur
histoire, et le fonctionnement psychique humain n’est dès lors qu’un produit
de cette vie matérielle. Et ils affirment en outre que la spécificité de l’essence
humaine, en particulier sa capacité de pensée active, ne peut découler direc-
tement des propriétés du corps humain ; elle ne peut procéder, comme le
montre Engels dans La Dialectique de la nature que de la réintégration, en
l’humain, des propriétés de la vie sociale objective, dans ses aspects de
praxis, d’action et de langage. La voie pour Vygotski était dès lors toute
tracée ; il s’agissait de démontrer comment le social se mue en idéel, et com-
ment ensuite l’idéel interagit avec le corporel.

Dans son œuvre proprement psychologique, Vygotski n’a cependant pu,


pour les raisons évoquées plus haut, donner une forme explicite à cette
démonstration, et nous sommes donc contraints d’inférer, en nous fondant
surtout sur les derniers chapitres de Pensée et langage, le statut même de la
solution qu’il proposait. La thèse des deux racines du développement est
bien connue, mais il ne nous paraît pas inutile de la reformuler. En une pre-
mière étape de l’ontogenèse, on peut observer la coexistence de deux raci-
nes disjointes, l’une qualifiée de « stade préverbal de l’intelligence », l’autre
de « stade pré-intellectuel du langage ». Témoignent de l’existence de la pre-
mière racine les capacités des enfants de moins de 15 mois à résoudre, sans
recourir au langage, divers problèmes cognitifs (notamment la distinction des
moyens et des fins, et leur reconnexion dans le cadre d’actions pratiques).
Témoigne de l’existence de la seconde racine le développement de formes
successives d’interaction avec les partenaires sociaux, qui sont régulées par
les productions vocales (et plus largement sémiotiques : les mimiques et les
gestes y jouent également un rôle), mais qui n’auraient « rien de commun
avec le développement de la pensée » (1934/1985, p. 126). En une seconde
étape, l’apparition du langage, c’est-à-dire l’émergence d’une capacité de
production d’entités sonores reconnues par l’entourage comme des
Développement, compétences et capacités d’action des élèves ■ 143

« signes » d’une langue naturelle, procède de la fusion de ces deux racines.


Une fois apparu, le langage se développe (en une troisième étape) selon deux
axes fonctionnels distincts. Les productions verbales de l’enfant remplissent
d’abord une fonction sociale de communication et d’interaction avec
l’entourage ; en même temps qu’elles s’intériorisent, elles remplissent
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
ensuite une fonction individuelle de planification et de contrôle des actions
propres. Le langage intériorisé devient alors (quatrième étape) l’organisateur
fondamental du fonctionnement psychologique de l’enfant. L’ensemble des
constructions mentales issues de la racine préverbale de l’intelligence est
désormais pris en charge et contrôlé par des unités langagières, dont l’enfant
sait qu’elles sont signifiantes, et sur lesquelles il va donc pouvoir opérer. Le
fonctionnement psychologique devient ainsi fonctionnement conscient, et la
pensée s’instaure comme produit de l’intériorisation des unités et des struc-
tures de la langue de l’entourage social.

Cette conception « en Y » du développement n’est pas sans poser d’impor-


tants problèmes, que nous avons exposés en détail ailleurs (cf. J.-P. Bronc-
kart, 1997). Mais elle permet cependant d’inférer ce que sont les unités
d’analyse, les principes explicatifs et la démarche interprétative d’une psy-
chologie interactionniste. L’unité d’analyse de la psychologie de Vygotski est
l’action médiatisée par le langage, ce qui correspond grosso modo à la notion
d’« action censée » proposée dans un autre contexte par M. Weber (1971),
par P. Ricœur (1986) et par J. Habermas (1987) : une séquence organisée
d’événements imputables à un agent ou à une personne (organisme doté de
capacités d’action), auquel peuvent être attribués des motifs (représentations
rétroactives des raisons d’agir) et des intentions (représentations proactives
de l’effet de l’action). Le principe explicatif de cette unité est l’activité collec-
tive, c’est-à-dire le flux continu d’actions auxquelles participent et collabo-
rent plusieurs agents, dans le cadre structurel d’une ou plusieurs formations
sociales. Cette activité collective étant par ailleurs en permanence soumise
aux évaluations verbales, à un travail d’entente et de négociation ayant trait à
la vérité et à l’efficacité des actions (à leur validité par rapport au monde en
ce qu’il est objectif), à leur conformité sociale, et à leur authenticité subjec-
tive. Dans cette optique, l’action d’un agent humain est essentiellement le
produit de l’intériorisation et de l’autonomisation des propriétés de l’activité
collective, telle qu’elle est évaluée dans le langage. Et pour des raisons tech-
niques que nous ne pourrons développer ici, la relation de dépendance ou de
détermination entre activité collective et action sensée ne peut s’interpréter ni
en termes de causes, ni en termes de modèles ; selon la formule de G.H. von
Wright (1971), elle ne peut faire l’objet que d’une interprétation compré-
hensive, dont P. Ricœur ajoute qu’elle relève de l’herméneutique.

Dans une telle conception, ce sont à l’évidence les médiations sociales qui
entraînent et organisent le développement : de manière strictement inverse à
ce que proposait Piaget, « c’est l’apprentissage (social) qui “cause” le
développement ».
144 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

B ■ Bref retour à la didactique

L’accent qui vient d’être porté sur les problématiques philosophique et


méthodologique peut paraître nous éloigner des questions de didactique.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
Nous pensons qu’il nous y ramène au contraire bien plus sûrement.

La critique que nous adressons au cognitivisme est radicale pour ce qui con-
cerne ses fondements épistémologiques et pour l’avenir qu’elle prétend tra-
cer à la psychologie. Mais, comme ce fut le cas naguère du behaviorisme, la
plupart des chercheurs n’adhèrent à ce courant qu’en tant qu’il constitue une
mode difficilement contournable, et que les postulats épistémologiques n’y
fonctionnent en quelque sorte que « par défaut ». Ce qui signifie que les mul-
tiples données empiriques recueillies dans ce cadre sont, en soi, respecta-
bles et doivent être prises en compte. Mais, pour le didacticien, la question
que posent ces données est celle de leur statut ou de leur interprétation.
S’agissant de la lecture par exemple, si des expériences de psychologie
cognitive démontrent que les processus de bas niveau, comme la cons-
cience phonologique, jouent au départ un rôle plus décisif que les processus
de haut niveau, qu’est-ce que cela implique pour les activités d’enseigne-
ment et d’apprentissage scolaire ? Et la même question peut être posée pour
ce qui concerne les données relatives à la production ou à la compréhension
des textes, ou pour tout autre corpus de données relatives à l’acquisition du
langage. La leçon majeure de trois quarts de siècle de psychologie du déve-
loppement, que celle-ci relève du constructivisme piagétien ou de l’interac-
tionnisme social, est que les caractéristiques d’un état synchronique de
fonctionnement psychologique ne permettent jamais de préjuger directement
des modalités de construction de cet état, c’est-à-dire des processus dont il
est le produit. Et c’est à l’évidence au niveau de ces processus mêmes que
peut intervenir la démarche d’enseignement. Les données élaborées par la
psychologie cognitive doivent donc impérativement être réintégrées à une
conception du développement épistémologiquement crédible et pratique-
ment opérationnelle, ce qui implique notamment l’abandon de l’inutile postu-
lat d’innéité des structures mentales.

Cette psychologie du développement ne peut être à nos yeux le constructi-


visme piagétien, quelles que soient par ailleurs son indiscutable richesse et
son exceptionnelle précision. Historiquement, l’œuvre piagétienne a eu le
mérite de donner une caution scientifique aux injonctions de bon ton que
nous évoquions au début de cet exposé : « il faut tenir compte du stade de
développement de l’élève ». Mais au-delà de cette valeur injonctive, la psy-
chologie piagétienne est de fait peu applicable à l’enseignement des langues,
et ce pour deux raisons principales. La première est que le constructivisme a
comme unique objet le développement de la pensée logico-mathématique,
ou encore l’élaboration des règles de fonctionnement décontextualisées de
la « raison pure ». Or, dans leur principe même, les règles d’organisation et de
Développement, compétences et capacités d’action des élèves ■ 145

fonctionnement de la langue et des discours sont d’un autre ordre, celui


d’une « raison pratique » contextualisée, ou encore fonctionnellement arti-
culée aux caractéristiques de l’activité sociale et culturelle. Et il est d’ailleurs
significatif à cet égard que la problématique du langage soit quasiment
absente de l’œuvre piagétienne. On pourrait penser alors que la psychologie
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
piagétienne est transposable à la didactique des mathématiques, par exem-
ple, mais il s’agit aussi d’un leurre relatif, et ce pour une seconde raison, plus
profonde et plus générale. Les possibilités d’apprentissage sont, dans la logi-
que constructiviste, la conséquence des caractéristiques d’un stade de
développement ; il importe donc de connaître ce stade pour choisir la démar-
che d’enseignement à mettre en œuvre. Or, comment identifier ce stade chez
chacun des élèves composant une classe ? L’expérience montre que, dans
les conditions de travail qui sont les siennes, un enseignant n’a ni le temps ni
les moyens de procéder à l’évaluation de cet état ; de manière plus concrète,
aucun enseignant ne peut administrer régulièrement les multiples tests sus-
ceptibles de fournir un « bilan cognitif » sérieux de chaque élève. Cette
impossibilité est radicale, incontournable, et en conséquence l’enseignant ne
peut que supposer un état théorique, ou un état cognitif moyen, qui est celui
de la classe d’âge à laquelle appartiennent les élèves.

Les rapports entre behaviorisme et enseignement ont fait déjà l’objet de


nombreux commentaires, que nous ne reformulerons pas ici. Nous relèverons
cependant que le behaviorisme a proposé de multiples techniques locales
d’apprentissage, qui méritent d’être sérieusement analysées. D’abord parce
que ces techniques continuent d’être utilisées, concrètement, dans la majo-
rité des situations didactiques, et qu’il y a lieu de se poser la question du
pourquoi de cette efficacité, réelle ou ressentie comme telle. Ensuite, parce
que ce sont vers ces techniques que se tournent de facto, mais sans bien sûr
l’avouer, les démarches d’intervention pratique officiellement inspirées du
cognitivisme, comme en témoignent par exemple certaines des techniques
proposées dans l’ouvrage de X. Seron et Ch. Laterre, intitulé pourtant
Rééduquer le cerveau (1982). Mais le « déficit social » du behaviorisme reste
néanmoins trop important, et les démarches didactiques qui s’en inspirent
prennent le plus souvent l’allure de simples reformulations positivistes des
techniques traditionnelles de transmission des savoirs. D’une part, la signifi-
cation des objectifs visés n’est jamais véritablement questionnée : les com-
portements à promouvoir relèvent des normes en usage, dans la société telle
qu’elle est, et sont de ce fait « réifiés » ou « naturalisés ». D’autre part,
l’apprenant est conçu sur le modèle de la tabula rasa, ce qui interdit la prise
en compte de ses capacités et de ses stratégies propres, tant sur le plan
cognitif que socio-affectif.

Il ne nous reste dès lors que le recours à l’interactionnisme social, en raison


de la justesse de son questionnement épistémologique d’une part, en raison
de l’accent qu’il porte sur la problématique des apprentissages d’autre part
(ces deux aspects étant d’ailleurs profondément liés). Pour être plus explicite,
146 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

si cette option nous paraît la plus adaptée à la solution des problèmes didac-
tiques, c’est d’abord parce qu’elle est délibérément centrée sur l’analyse du
développement humain dans son cadre social, et notamment dans le cadre
scolaire. C’est ensuite parce qu’elle pose que ce sont les interventions
humaines, les activités collectives médiatisées par le langage et les significa-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
tions socioculturelles qui en émanent, qui orientent les apprentissages des
élèves. C’est encore parce qu’elle reconnaît que ces apprentissages sont les
ingrédients constitutifs du développement lui-même, et qu’en conséquence,
étant donné la diversité et la complexité des interventions sociales, ce déve-
loppement s’opère, pour chaque apprenant, à des rythmes différents et selon
des modalités spécifiques (cf. B. Schneuwly, 1994). C’est enfin parce que
cette option propose des ébauches de conceptualisation des conditions
d’apprentissage en situation scolaire qui peuvent être considérées, en droit,
comme des ancêtres des concepts que proposent aujourd’hui les didacti-
ques des disciplines scolaires.

La plus connue de ces ébauches de conceptualisation est évidemment celle


de Zone de Développement Proche (ZDP), cet « espace de développement »
qui se délimite et se construit dans une intervention didactique. Un élève
peut ne pas être capable de réaliser une tâche en mobilisant ses seules
capacités psychologiques actuelles, mais il peut y parvenir lorsque la colla-
boration avec l’adulte (l’enseignant) ou avec certains camarades plus avan-
cés lui apporte de nouveaux contenus, lui fournit des instruments
psychologiques nouveaux, ou encore l’oriente vers une nouvelle procédure
de résolution du problème. Avec M.-J. Besson, nous avons tenté d’élucider
les conditions d’exploitation de cette notion dans le cadre de la didactique de
la grammaire comme dans celle de la production textuelle (cf. M.-J. Besson &
J.-P. Bronckart, 1995). Nous avons notamment mis l’accent sur la nécessité
d’élaborer des unités d’action didactique (les « activités-cadre »), orientées
par un projet. Nous avons également souligné la nécessité de définir les uni-
tés d’apprentissage dans la même perspective actionnelle ou fonctionnelle.
Nous avons encore relevé l’importance du discours autoréflexif de l’élève
pour l’appropriation et la maîtrise de ces objets d’enseignement.

Il faut en convenir cependant, cette exploitation possible de la ZDP ne


débouche sur rien de miraculeux, et elle n’est pas sans présenter même un
caractère de banalité ; en l’état actuel de sa conceptualisation, cette notion
sert surtout à fédérer et à solidifier des pratiques didactiques déjà à l’œuvre
dans ce que nous considérons comme les meilleures des démarches actives
et/ou « rénovées ». En un premier temps, ce constat ne nous étonnera pas
outre mesure. Après tout, si l’on accepte vraiment la réévaluation des rap-
ports entre disciplines scientifiques et disciplines d’intervention, telle qu’elle
émane de la didactique elle-même, à savoir le caractère fondamentalement
dialectique du rapport entre pratiques en situation et « savoir savant », il n’y a
rien de désobligeant pour un concept à constituer un miroir de pratiques déjà
là. Nous ajouterons même que pour ce concept, c’est plutôt bon signe ! Mais
Développement, compétences et capacités d’action des élèves ■ 147

en un second temps, il faut quand même admettre le caractère d’ébauche du


concept de ZDP, et plus généralement, le caractère programmatique, ina-
chevé et insuffisant des propositions de l’interactionnisme social. Et c’est une
des directions qui nous paraît devoir être prise pour dépasser cet état qui
sera évoquée en guise de conclusion.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
La psychologie de Vygotski reste, comme celle de Piaget, et quelles que
soient les hésitations que l’auteur ait pu manifester sur ce point, marquée par
une conception très rationaliste du développement, par l’idée que le devenir
humain est en définitive tendu vers la construction de connaissances tou-
jours plus rationnelles et plus décontextualisées, quand bien même ce sont
des significations contextualisées, des représentations sociales, qui caracté-
risent les phases initiales de ce processus. La conséquence en est que le
développement est censé se produire dans l’interaction et la coopération de
partenaires « de bonne foi », qui ne rencontrent que des obstacles d’ordre
scientifique dans l’élaboration de la connaissance de la vérité du monde.
Mais tout enseignant est, on le sait, quotidiennement confronté à la « mau-
vaise foi », au refus, à l’incapacité inexplicable de comprendre et d’appren-
dre. Et ce parce que les cadres culturels et familiaux, les caractéristiques
socio-affectives des élèves constituent l’obstacle majeur du développement,
ou si l’on préfère, le terrain même en lequel s’élabore ce développement.
C’est dans la compréhension, la négociation et l’exploitation même de ce ter-
rain que doit s’orienter la recherche de solutions didactiques. Ce qui signifie
plus largement que l’interactionnisme social a encore un long chemin à
accomplir pour proposer une conception du développement et des appren-
tissages qui soit véritablement culturelle et véritablement sociale.

Références bibliographiques
BESSON, M.-J. & BRONCKART, J.-P. (1995) : « L’exploitation de la Zone de
Développement Proche en didactique des langues », Psychologie et Éduca-
tion, 21, pp. 39-50.
BRONCKART, J.-P. (1991) : « Représentation », dans R. Doron & F. Parot (éds),
Dictionnaire de psychologie, Paris, PUF.
BRONCKART, J.-P. (1997) : « Action, discours et rationalisation. L’hypothèse
développementale de Vygotski revisitée », dans Ch. Moro, B. Schneuwly & M.
Brossard (éds), Outils et signes. Perspectives actuelles de la théorie de
Vygotski, Berne, Peter Lang.
COMÉNIUS (1638) : Didactica magna ; universale omnes omnia. Trad. fr. partielle,
dans J. Prévot (1981), L’Utopie éducative : Coménius, Paris, Belin.
DESCLÉS, J.-P. (1980) : « Quelques systèmes de représentations linguistiques et
métalinguistiques », dans La Contribution des disciplines scientifiques à la
notion de système, Lyon, CNRS.
HABERMAS, J. (1987) : Théorie de l’agir communicationnel, Paris, Fayard.
JOHNSON-LAIRD, P.N. (1983) : Mental Models, Cambridge, Cambridge Univer-
sity Press.
148 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

MCCLELLAND, J. & RUMELHART, D. (1986) : Parallel Distributed Processing,


Cambridge, M.I.T. Press.
MARX, K. (1845) : Thèses sur Feuerbach. Trad. fr., dans K. Marx & F. Engels
(1951), Études philosophiques, Paris, Éditions sociales.
MARX, K. & ENGELS, F. (1846) : L’Idéologie allemande. Trad. fr. (1972), Paris, Édi-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
tions sociales.
PIAGET, J. (1936) : La Naissance de l’intelligence chez l’enfant, Neuchâtel, Dela-
chaux & Niestlé.
PIAGET, J. (1937) : La Construction du réel chez l’enfant, Neuchâtel, Delachaux &
Niestlé.
PIAGET, J. (1945) : La Formation du symbole chez l’enfant, Neuchâtel, Delachaux
& Niestlé.
PIAGET, J. (1970) : Épistémologie des sciences de l’homme, Paris, Gallimard.
RICŒUR, P. (1986) : Du texte à l’action ; essais d’herméneutique II, Paris, Seuil.
RUMELHART, D.E. & NORMAN, D.A. (1988) : « Representation in Memory », dans
R. Atkinson (ed.), Steven’s Handbook of Experimental Psychology.
SCHNEUWLY, B. (1994) : « Contradiction and Development : Vygotski and
Paedology », European Journal of Psychology of Education, 9, pp. 281-291.
SCHNEUWLY, B. & BRONCKART, J.-P. (éds) (1985) : Vygotsky aujourd’hui, Paris,
Delachaux & Niestlé.
SERON, X. ET LATERRE, C. (1982) : Rééduquer le cerveau ; logopédie, psycholo-
gie, neurologie, Bruxelles, Mardaga.
SKINNER, B.F. (1974) : About behaviorism. Trad, fr. F. Parot (1979), Pour une
science du comportement : le behaviorisme, Paris, Delachaux & Niestlé.
SPINOZA, (1964) : Trad. fr. du Traité de la réforme de l’entendement, Paris, Flam-
marion.
VYGOTSKI, L.S. (1934) : Myschlenie y rech’. Trad. fr. (F. Sève), Le Langage et la
pensée, Paris, Éd. sociales, 1985.
WITTGENSTEIN, L. (1961) : Tractatus logico-philosophique, Paris, Gallimard.
WEBER, M. (1971) : Économie et société, Paris, Plon.
VON WRIGHT, G.H. (1971) : Explanation and Understanding, Londres, Routledge
& Kegan Paul.
Troisième partie
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
Didactique du français :
histoire, institutions, acteurs

Les quatre contributions réunies dans cette troisième partie essaient de cir-
conscrire en diachronie et en synchronie la didactique du français langue
maternelle comme un champ de recherches et d’interventions – double voca-
tion qui fait, semble-t-il, désormais consensus. Si l’on ne peut prétendre
encore faire l’histoire sociale de la discipline, au moins peut-on percevoir les
évolutions institutionnelles, les variations en fonction des contextes géogra-
phico-culturels, les complexités de fonctionnement eu égard à la multiplicité
des acteurs impliqués.

Il est clair que l’histoire des Instructions officielles et programmes, des acti-
vités, des exercices constitue une donnée essentielle pour la compréhension
des dispositifs didactiques tout comme l’examen des lieux de recherche, de
décision et d’édition. L’imbrication des questions épistémologiques et institu-
tionnelles semble aussi un phénomène particulièrement prégnant dans notre
champ et paraît singulièrement s’illustrer dans la figure du formateur soumis
à des injonctions contradictoires qu’il partage partiellement avec l’« ensei-
gnant-chercheur ». Enfin, il est important et fécond que se pose toute une
série de problèmes sur l’amplitude du terrain couvert par la didactique du
français là où les considérations historico-politico-institutionnelles détermi-
nent des cloisonnements (par exemple entre didactique du français langue
maternelle, étrangère et seconde) que ne justifieraient vraiment ni les fonde-
ments théoriques ni l’examen des conditions concrètes des processus
d’apprentissage.

Si cette troisième partie pouvait au moins suggérer la nécessité de ne pas


séparer l’histoire intra-conceptuelle de la discipline de ses contextes culturels
au sens large, le pari serait tenu.
9
Variations
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
historiques :
l’exemple
de la « rédaction »
André PETITJEAN

Je voudrais décrire et interpréter l’évolution de l’enseignement de la


« rédaction » au primaire de 1915 à 1945 et contribuer ainsi, après A. Chervel,
J. Hébrard, A.-M. Chartier, F. Marchand, B. Schneuwly… aux recherches his-
toriques sur la discipline.

J’examinerai l’exercice, sa finalité, ses formes et ses contenus et son évolu-


tion dans la période étudiée.

Pour effectuer ce travail, je me suis appuyé :


– sur les textes officiels (les Instructions officielles de 1923-1924 et de 1938,
ainsi que les décrets et les circulaires qui les accompagnent) ;
– sur les intermédiaires didactiques, en particulier les manuels scolaires et
des écrits didactiques (articles issus de revues pédagogiques, essais
pédagogiques essentiellement écrits pour les inspecteurs) ;
– sur les travaux des élèves (cahier unique, cahier de rédaction, devoirs de
vacances…)1.

Traitant successivement du dispositif de 1923 et de celui de 1938, j’ai adopté


la démarche suivante :
– je pars des Instructions officielles que je compare afin de faire ressortir les
continuités et les innovations ;

1. Je remercie les services de documentation de l’INRP et du Musée national de l’éducation (Mont Saint-Aignan) pour leur
compétence et leur disponibilité.
152 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

– j’analyse les manuels à la fois pour concrétiser les propos programmati-


ques des textes officiels et pour mesurer les écarts pouvant exister entre
ces discours didactiques ;
– j’illustre ponctuellement mon propos par des textes d’élèves figurant en
annexe.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
A ■ 1923

La composition française est placée au sommet du dispositif didactique : elle


« permet de vérifier l’efficacité des autres », elle apparaît comme un bon
moyen « d’apprécier la culture de l’enfant » et elle se voit attribuer une fonc-
tionnalité sociale (elle est l’exercice « qui lui rendra le plus de services dans la
vie »).

Exercice suprême, la composition française est aussi l’exercice qui connaît,


comme le regrettent les Instructions et de nombreux manuels, un degré de
réussite très médiocre pour la majorité des élèves. Les auteurs des Instruc-
tions se livrent à des hypothèses sur ce dysfonctionnement didactique. Selon
eux, pour réussir sa rédaction, il faut :
1. que l’enfant possède un volume suffisant de connaissances encyclopédi-
ques (une « collection d’idées »). Celles-ci sont acquises grâce aux « autres
disciplines (littéraire, historique et scientifique) » et permettent d’enrichir
ce qui correspond à l’inventio dans la tâche rédactionnelle ;
2. que l’enfant ait une maîtrise suffisante de l’elocutio telle qu’il a pu l’acqué-
rir grâce « aux exercices de vocabulaire et d’élocution, aux leçons de
grammaire et d’orthographe » qui lui fournissent une « collection
d’expressions ».

La possession des idées et la maîtrise de l’expression sont considérées


comme des prérequis nécessaires à la rédaction et jamais comme pouvant
être obtenues, rétroactivement, par l’activité rédactionnelle elle-même. C’est
pourquoi l’exercice de composition française, qui ne devrait commencer
qu’au CM, est réservé au cours supérieur (« la véritable rédaction n’apparaî-
tra qu’au cours supérieur »), sachant que dans les années antérieures,
l’apprentissage de l’écriture doit se réduire à des « exercices de composition
de phrases ».

1 La composition de phrases

Cette partition étagée entre composition de phrases et composition de textes


est révélatrice d’une conception mécaniste de l’écriture, à l’intérieur de
laquelle l’enfant est censé progresser linéairement du simple au complexe.
Variations historiques : l’exemple de la « rédaction » ■ 153

Au cours élémentaire, l’exigence scripturale se limite à la production de qua-


tre ou cinq idées exprimées, chacune d’elles dans le moule d’une phrase
simple (« Soit le sujet La pendule. Les élèves du cours élémentaire écriront,
par exemple : « la pendule marque les heures ; la pendule sonne les heures ;
la pendule est sur la cheminée ; la pendule est arrêtée »).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
Au cours moyen, l’élève devra :
1. combiner ses phrases par coordination ou par juxtaposition (« la pendule
marque les heures et une sonnerie les annonce » ; « la pendule est arrêtée,
il faut la remonter ») ;
2. enrichir son idée à l’aide d’une phrase complexe (« Quand la pendule mar-
che, on entend son tic-tac ») ;
3. passer des phrases uniquement déclaratives à d’autres modalités phrasti-
ques (négative et interrogative) ;
4. effectuer des manipulations phrastiques (déplacement par inversion et
condensation de phrases expansées) ;
5. réussir à écrire un paragraphe.

« Moins exigeant à cet égard que l’ancien plan d’études, le nouveau conseille
aux instituteurs de borner l’effort des enfants de dix ans à la construction
d’un paragraphe. Après avoir imaginé quelques phrases sur un sujet déter-
miné, les grouper logiquement en un développement d’une douzaine ou
d’une quinzaine de lignes, voilà tout ce qu’on demande à ces enfants. C’est
tout ce qui est demandé à la première partie de l’exercice du certificat d’étu-
des primaires, à celle qui sanctionnera les études faites au cours moyen. »

Remarquons que les Instructions peuvent d’autant mieux atomiser le savoir-


écrire – même si elles demandent de la souplesse dans l’application de ces
directives (« Quoique nous venions d’indiquer une méthode et même un pro-
gramme pour la construction des phrases, nous recommandons aux maîtres
de n’en pas être trop esclaves ») – qu’elles ne disent rien des modalités de
passage des parties au tout, si ce n’est que le groupement des éléments se
fait logiquement (« les grouper logiquement en un développement »). Les
paragraphes consacrés à la composition de phrases s’achèvent par une liste
de sujets conseillés (le chat, le chien, la poule, le soleil, la lune, la rivière, le
blé, la pendule, la lampe, le maçon, le menuisier, la violette, le repas, la pro-
menade…).

Comme l’illustrent les exercices proposés par Maquet, Flot et Roy, la com-
mande scripturale est de l’ordre de la description, à partir d’une matière réfé-
rentielle supposée connue de l’élève ou présentée à l’aide d’un support
iconique. C’est ainsi qu’à partir de trois vignettes qui représentent une cham-
bre, la boutique de l’épicier et la cour d’une ferme, on demande à l’élève de
réaliser l’activité suivante :
154 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

« Énumérez tous les objets qu’on voit dans cette chambre, en commençant
par les plus importants. Composez deux phrases sur la chambre.
Énumérez les objets qu’on voit dans une cour de ferme. Composez deux
phrases sur :
1˚ la charrette ; 2˚ le puits ; 3˚ la mare. »
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
Cette conception de l’activité d’écriture se caractérise par une survalorisation
du référent (l’objet à décrire) au détriment de la dispositio (rien n’est dit sur la
cohésion interphrastique) et des enjeux communicationnels (décrire à qui,
pour produire quels effets ?).

2 La composition de textes

Indifféremment baptisé « rédaction » ou « composition française », l’exercice


officiel est traité par les Instructions de façon assez générale. Quatre thèmes
sont cependant abordés :
– le type de sujets,
– la préparation,
– l’évaluation,
– la motivation.

Au niveau des sujets, les Instructions de 1923 désavouent la place privilégiée


que le plan antérieur (1887) accorde à certaines descriptions. « Ce que nous
avons délibérément laissé de côté, ce sont les arides descriptions des objets
inertes qui ne suggèrent rien à l’imagination et n’éveillent aucune émotion… »
Ce que vise ici le législateur ce sont des sujets du type « une plume, un sou,
un timbre-poste, une montre, un jouet » que l’élève doit traiter en répondant
aux questions suivantes : « 1) Quel est-il dans l’ensemble, quelles sont sa
forme, ses dimensions, de quoi est-il fait ? Quelles sont ses différentes
parties ? 2) À quoi nous sert-il ou pourquoi êtes-vous content de l’avoir ? »
Remarquons ici que les Instructions n’excluent pas, loin de là, les descrip-
tions, la liste des sujets qu’elles proposent en annexe en témoigne (ex. :
« Votre chat. Son aspect, sa démarche. Ses habitudes » ; ex. : « Description
d’un champ au moment des semailles… » ; « Décrivez le moulin sur la
rivière »), mais accordent leur préférence à des entités référentielles animées
(animal, personne) ou à des scènes qui impliquent des descriptions d’actions
(« un jardin public », « un marché aux légumes »).

La prépondérance est donnée aux narrations qui sont soit des récits d’expé-
riences vécues (« Racontez une maladie que vous avez eue »), soit des récits
« imaginaires » (« Une vieille plume raconte son existence depuis le jour où,
toute brillante, elle est sortie de sa boîte »).

Sont proposées aussi des lettres, au niveau du cours moyen (ex. : « Lettre à
un camarade qui a quitté le village ou la ville ») et, pour le cours supérieur,
des sujets de « réflexion » (« Le travail est-il seulement une nécessité ? Ne
nous procure-t-il pas des joies et lesquelles ? »).
Variations historiques : l’exemple de la « rédaction » ■ 155

Écho feutré des travaux de Célestin Freinet, les Instructions invitent les insti-
tuteurs à favoriser des textes libres au nom d’une représentation positive des
« apprentis-scripteurs » : « […] la rédaction libre mettra en valeur tantôt la
spontanéité et la fraîcheur des sentiments, tantôt le goût littéraire, tantôt
l’ingéniosité intellectuelle de vos élèves. »
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
Au niveau de la préparation du devoir, les Instructions de 1923 prennent leurs
distances par rapport aux pratiques antérieures. Au nom de la liberté imagi-
native des élèves, elles contestent ce qu’elles appellent « la préparation col-
lective trop directe et trop précise » qui fait « à sa place sa besogne », lui
trace « d’avance un plan détaillé » et lui fournit « des idées et des expressions
toutes faites » qu’il se contente de reproduire. Témoignent de cette péda-
gogie directive un exemple de sujet traité par F. Amand, La Pratique de la
Composition française, Cours moyen et supérieur, Nathan, 1913 :

« Vos parents viennent de recevoir une lettre. Décrivez le timbre-poste qui


l’a affranchie et racontez son histoire.

PLAN
I. Description du timbre neuf
II. Le timbre collé sur une enveloppe
III. Son voyage. Ses maculations
IV. Pourquoi l’État impose-t-il l’affranchissement des correspondances ? »
et la rédaction d’un élève de CM1 (voir Annexe 2).

Ce même esprit de libéralisme influence les propos tenus sur les modes
d’évaluation. Rien n’est dit de précis sur les critères de cohérence textuelle ni
sur les normes linguistiques, mais on invite l’instituteur à agir de façon telle
que sa correction soit « ferme et compréhensive » afin de maintenir les élèves
« dans l’état d’alacrité, d’entrain joyeux, de libre élan […] ».

Comme on le voit, les Instructions de 1923 font un portrait idyllique de l’élève


(il possède une « vive sensibilité » et une « fraîche émotion »). Elles insistent
sur le facteur de la motivation dans l’acte d’écriture (« Si en promenade sco-
laire, il s’enthousiasme pour la beauté d’une fleur, il éprouvera le besoin soit
de la dessiner, soit de la décrire »). Elles attribuent à l’apprenant des qualifi-
cations qu’elles empruntent à l’arsenal des représentations romantiques de
l’écrivain (« passion », « enthousiasme », « émotion », « spontanéité », « ima-
gination »). Ce faisant, les auteurs ne s’embarrassent pas de contradictions
internes au texte officiel (dans le préambule, il est écrit, à propos des élèves,
que leur « vocabulaire est pauvre », qu’il « appartient plus souvent à l’argot
du quartier, au patois du village, au dialecte de province qu’à la langue de
Racine ou de Voltaire ») et demeurent silencieux sur les activités à mettre en
place pour satisfaire le goût et l’envie d’écrire. Or il suffit d’observer les
manuels pour mesurer ce qui sépare le discours ostentatoire officiel des pra-
tiques réelles. La planification didactique, en matière de composition fran-
çaise, fait l’objet soit de manuels spécifiques (ex. : L. Bocquet & L. Perrotin,
156 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

La Composition française, Cours moyen et supérieur, A. Colin, 1929), soit de


chapitres particuliers, souvent situés à la fin du manuel (ex. : Maquet, Flot et
Roy (op. cit.), soit emprunte un discours interstitiel qui clôt chaque chapitre
du manuel (ex. : A. Souch). Pour mieux saisir les activités d’écriture effec-
tuées, on peut s’appuyer aussi sur des essais pédagogiques, nombreux à
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
cette époque, et écrits souvent par des inspecteurs (ex. : R. Hamel, Com-
ment enseigner la composition française, Delagrave, 1925).

Faute de place, nous limiterons notre examen des manuels scolaires aux
rédactions dites « descriptives », au détriment des narratives, des dialogues,
des lettres et des sujets de réflexion. À la lecture des dizaines de manuels
que nous avons observés, il apparaît que la description demeure un exercice
très pratiqué.

Ce maintien prépondérant de la description s’explique par le fait que cette


activité textuelle est présentée comme étant sous-tendue par une faculté
jugée essentielle à l’école primaire : le sens de l’observation. L’importance de
cette aptitude est justifiée à l’aide d’arguments d’ordres différents :
– Scolaire d’abord. L’observation est une école de rigueur intellectuelle (elle
favorise « l’attention ») et de probité morale (elle est un gage de
« sincérité »). C’est pourquoi la rédaction de descriptions est rapprochée
de la « leçon de choses ». R. Hamel tient à ce propos un discours que l’on
retrouve dans la majorité des préfaces des manuels : « […] la rédaction,
tout comme la leçon de choses, doit être d’abord et avant tout un exer-
cice d’observation […]. La composition française n’est, après tout, qu’un
prétexte à dresser le jugement droit, l’attention aiguë ; elle n’est qu’un
moyen de former la pensée sincère2. »
Il faut donc se garder d’imposer à l’élève du primaire l’exercice
« d’analyse littéraire » qui nourrit son homologue de l’École normale ou du
lycée « d’une pâture livresque et abstraite » et recourir à la lecture de tex-
tes d’auteurs mais sans lui imposer de modèles stylistiques qui annihilent
sa spontanéité créatrice : « L’observation et la lecture sont pour le degré
primaire, les deux sources de l’art d’écrire, mais tandis que la lecture
seule risque de ne former qu’un mécanisme artificiel, l’observation directe
des choses reste la meilleure éducation de la sincérité. »
Et plus loin encore : « Non, les qualités de style ne sont pas des qualités
de forme. Ce sont des qualités de cœur, d’imagination, de raison. »
– Scientifique ensuite. Si les manuels font rimer raison avec « observation »
c’est qu’ils appliquent à l’art d’écrire la démarche empirique et expéri-
mentale de Claude Bernard, suivant, à ce niveau, les leçons données par
É. Zola dans son Roman expérimental : « Nous, écrivains naturalistes,
nous soumettons chaque fait à l’observation et à l’expérience, tandis que
les écrivains idéalistes admettent des influences mystérieuses qui échap-
pent à l’analyse […]. »

2. Voir les conseils de l’« aiguille » dans le texte 2 de l’Annexe 2.


Variations historiques : l’exemple de la « rédaction » ■ 157

Là encore, les propos de R. Hamel sont éclairants même s’ils sont répé-
titifs par rapport à ceux de M. Roustan – La Composition française (1907)
– qui lui-même reprend A. Albalat (1899)… « Voici une leçon de choses
sur le soufre et voici une rédaction sur le sentiment de la colère ou de la
jalousie. Dans les deux cas, nous essayons d’abord de nous rendre un
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
compte exact des faits, de les connaître intégralement. C’est l’expérience,
la recherche, en un mot l’observation. Nous tentons ensuite un classe-
ment de ces faits. Nous nous efforcerons enfin de formuler nos aperçus,
peut-être nos conclusions. Chercher, classer, exprimer, sont les opéra-
tions primordiales de tout travail intellectuel, qu’il soit scientifique ou litté-
raire. Il semble donc que l’on se trompe en ne basant pas l’enseignement
de la composition française sur l’observation. »
– Littéraire enfin. La réglementation des attendus de la composition fran-
çaise se réfère à l’écriture fictionnelle réaliste dont elle emprunte certains
principes qu’elle systématise. On sait que les romans de Zola étaient pré-
cédés de dossiers dans lesquels il accumulait ainsi bien des savoirs
documentaires élaborés à partir de ses lectures que des notes prises au
cours de ses observations sur le terrain de ses futurs romans. Ces
« choses vues », reproduites de manière minutieuse et « objectale » ou
crayonnées de façon impressionniste, constituent l’une des sources de la
nature descriptive de ses romans. On comprend, de ce fait, les recom-
mandations de R. Hamel : « La première obligation de l’instituteur est de
placer les enfants en contact direct avec le ou les objets à décrire […]. On
connaît le “Crevez-vous les yeux à force de regarder !” de Flaubert. Il faut
que, non seulement par l’œil, mais par tous les moyens d’exploration dont
ils disposent, nos élèves s’emparent de la réalité. »

Il apparaît donc logique, qu’en liaison avec l’observation, les manuels préco-
nisent le recours systématique à la théorie des sens. La tradition est
ancienne, en ce domaine, comme en témoigne Comenius qui écrit dans sa
Didactica magna : « On doit présenter toutes choses, autant qu’il peut se
faire, aux sens qui leur correspondent : que l’élève apprenne à connaître les
choses visibles par la vue, les sons par l’ouïe, les odeurs par l’odorat, les
choses sapides par le goût, les choses tangibles par le toucher. » De même,
J.-J. Rousseau dans L’Émile attribue à l’éducation par les sens une grande
importance : « Exercer les sens, c’est apprendre pour ainsi dire à sentir, car
nous ne savons ni toucher, ni voir ni entendre que comme nous avons
appris. » C’est ainsi que G. Fournier, dans Comment composer mon devoir
de français, écrit :

« Le monde extérieur vient à nous par les sens : retrouver les sensations qui
s’attachent aux détails que vous nommez
sensations visuelles,
sensations auditives,
sensations tactiles,
sensations olfactives et gustatives. »
158 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

Si l’on examine, maintenant, les types de sujets de rédaction que proposent


les manuels, on peut classer ces derniers en deux catégories selon la logique
qui préside à leur programmation.

Les premiers opèrent un classement fondé sur le référent en partant de


Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
« descriptions simples » (objet, animal, personne…) pour terminer par des
« descriptions d’ensemble » (lieu, phénomène, scène)3. C’est ainsi que F.
Amand (op. cit.) hiérarchise ses « rédactions descriptives », des descriptions
d’objets (ex. : « Vos parents vous ont offert une montre. Décrivez-la. ») aux
descriptions de scènes d’après gravure (ex. : « Décrivez le marché aux che-
vaux d’après la gravure ci-dessus. »).

Les seconds croisent le critère du référent avec celui du sens perceptif sus-
ceptible d’être utilisé dans l’appréhension de l’objet à décrire. L’organisation
du L. Bocquet & L. Perrotin (op. cit.) est significative à cet égard comme en
témoigne le seul exemple des « sensations de l’ouïe » et des « sensations de
l’odorat » :

3. Sensations de l’ouïe
Les bruits et les sons
ex. : Vous décrivez deux sonneries de cloches que vous connaissez bien4.

4. Sensations de l’odorat et du goût


Les odeurs et les saveurs
ex. : Vous entrez dans une pharmacie : dites ce que vous sentez.

Concrètement, quels sont les conseils que l’on donne à l’élève pour l’organi-
sation de son devoir ? La phase de l’observation est essentielle au moment
de l’inventio. Elle s’accompagne de mises en garde, au cours desquelles on
précise que décrire ce n’est pas seulement énumérer les parties d’un objet
ou d’une scène, mais c’est aussi opérer une sélection parmi les différents
aspects de l’objet. Le choix se fait en fonction de la subjectivité du descrip-
teur (ses sentiments, son imagination…) et de son activité réflexive.
« Observer en vue de la composition française, c’est en somme, dénommer
et analyser les états de conscience successifs ou simultanés déterminés en
nous pas le sujet à dépeindre […]. Ce sont des produits du libre jeu des sens,
de la mémoire, de l’association, de l’interrogation ou du sentiment, c’est-à-
dire des sensations et des perceptions plus ou moins complexes, des images
anciennes ou neuves, des comparaisons, des émotions. Ils peuvent être des
produits de la réflexion et du jugement : relations du sujet avec le milieu, le
passé, l’avenir ou nous-mêmes (son histoire, son utilité, son but) ; ou encore
des produits de la volonté : résolution d’agir ou de ne pas agir. » (R. Hamel,
op. cit.)

3. Voir respectivement, en annexe 2, les textes 3, 4, 5.


4. Voir le texte 6 en Annexe 2.
Variations historiques : l’exemple de la « rédaction » ■ 159

Pour aider l’élève dans la planification de son texte (dispositio), on lui pro-
pose des grilles de saisie de l’objet qui servent, en fait, de canevas à l’écri-
ture, du type :
– commencer par une impression générale,
– faire suivre par les détails caractéristiques,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
– finir éventuellement par une réflexion.

« S’agit-il de décrire un objet ? Vous répondrez à chacune des questions


suivantes :
1. Quel est-il dans l’ensemble ; quelles sont sa forme, ses dimensions, de
quoi est-il fait ?
2. Quelles sont les différentes parties ? 3. À quoi nous sert-il ou pourquoi
êtes-vous content de l’avoir ?
Pour une plante ou un animal on nous a montré qu’il faut quelque chose de
plus, puisqu’ils vivent et meurent. 1. Où vit-il et où avez-vous l’habitude de
le voir ? 2. Quelles sont ses parties, sa forme, sa physionomie ? 3. Com-
ment se tient-il ou se meut-il ? 4. Est-il utile ou l’aimez-vous ? » (Duval, Bre-
mond & Moustier, op. cit., p. 161)

C’est au niveau de la mise en mots de la rédaction (elocutio) que les manuels


sont assez indigents. Aucun conseil n’est bien sûr procuré à l’époque sur la
composition interphrastique. Il arrive que l’on donne à l’élève un bagage
lexical : vocabulaire lié à un référent traité (l’âtre, le brasier, la braise, la cen-
dre, les flammèches…) ou à un sens perceptif (voir, regarder, apercevoir, sen-
tir…). Plus généralement, à l’intérieur d’un apprentissage par imitation, on
confronte l’élève à des textes d’auteurs en espérant qu’il s’emparera de ces
modèles pour effectuer les opérations de transfert nécessaires. Ces textes
d’auteurs, les élèves les rencontrent soit au début (texte à expliquer), soit au
cours d’exercices préparatoires à la rédaction sous la forme d’extraits
« Quelques réponses d’auteurs », « Quelques notations », « L’écorce de la
bûche se crispa pour éclater » (G. Sand).

Quelques mots, pour finir, sur les normes stylistiques qui gouvernent l’élabo-
ration des rédactions. On valorise en premier lieu la clarté. Ce qui signifie que
l’on préfère les phrases simples aux phrases complexes (« Faites des phra-
ses courtes » conseille F. Amand (La Pratique du vocabulaire et de la compo-
sition française, Cours moyen, F. Nathan, 1913), « supprimez les car, les mais,
les si », « Supprimez les que, les qui ») et que l’on dévalorise à la fois les
incorrections et les « ornements inutiles ». Pour apprécier la notion d’incor-
rection, on peut se référer aux nombreux opuscules du type « Écrivez N’écri-
vez pas », « Ne dites pas… Mais dites… » dont les prescriptions
hypernormatives s’attaquent, comme l’indique le sous-titre du livre d’E. Le
Gal (Ne dites pas Mais dites, Delagrave, 1931) aux « barbarismes », aux
« solécismes » et autres « locutions vicieuses ». Un seul exemple : « Ne dites
pas Il est en bras de chemise mais dites Il est en manches de chemise. » Au
fil des manuels, on apprend aussi (voir Brandicourt & Boyon, La Langue fran-
çaise, Cours moyen et supérieur, Larousse, 1947) qu’il faut s’interdire la répé-
160 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

tition, éviter l’usage de « on », remplacer « il y a » par un autre verbe5… Quant


aux « ornements » qui parasitent la clarté du style, ils renvoient aussi bien aux
« périphrases » du style « noble » et « précieux » d’un Honoré d’Urfé, désor-
mais déprécié, qu’aux accumulations de termes, marques d’un style chargé
et indexées au nom de la concision comme un « bavardage… d’un esprit
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
facile mais superficiel qui se grise de mots ».

On apprécie, en second lieu, le pittoresque, c’est-à-dire le « mot juste » qui


permet d’allier la rigueur des traits « caractéristiques » à la vision
« personnelle » et « originale ». Comme l’écrit, là encore, R. Hamel, à propos
des rédactions modèles : « Les phrases claires et simples se suivent et
s’enchaînent. Notre esprit les suit sans heurt : ce lui est une surprise d’y ren-
contrer parfois un mot qui vibre, ce lui est une jouissance d’être arrêté sur
une expression profondément pensée […]. J’ajouterai seulement que […] le
mot coloré, l’expression jolie […] sont le produit de la sincérité plutôt que de
l’artifice. »

Au total, on retiendra des « rédactions descriptives » :


– qu’elles recourent à un univers de référence familier du scripteur (objets
du quotidien, scènes vécues…) et privilégient l’observation par rapport à
l’imagination ;
– que les exigences stylistiques sont rarement étayées par une connais-
sance du fonctionnement des textes et qu’elles apparaissent paradoxales
(ex. : soumission des élèves aux modèles littéraires et méfiance à l’égard
de la culture littéraire au nom de la sincérité ; éloge de la transparence de
la langue des textes à produire et appel à l’engagement énonciatif
subjectif…) ;
– que les descriptions sont autant de pièces détachées jamais insérées
dans une globalité narrative qui donne sens et fonctionnalité aux descrip-
tions à écrire.

5. On trouve dans G. Gabet, La Grammaire française par l’image, certificat d’études, 1938, un bréviaire condensé de
ces normes classées sous la forme alphabétique :
De la GRAMMAIRE à la RÉDACTION
A. Soyez précis : employez le mot propre. L. Allégez : remplacez la sub.relative.
B. Employez des verbes expressifs. M. Placez le pronom relatif près de l’antécédent.
C. Évitez les répétitions (utiliser les synonymes). N. Équivoques dues à l’emploi du pronom relatif.
D. Équilibrez la phrase (compl. Ie plus court le premier). O. De à la place de des devant un adj. qual.
E. Placez souvent en tête le C. de circonstance. P. Équivoques dues à l’emploi du pronom personnel.
F. Évitez les phrases boiteuses (agencez les compl.). R. Remplacez la subord. par un pron. personnel.
G. Compl. de même rôle : même mot de liaison. S. Emploi de celui-ci et de celui-là.
H. Remplacez et ou par des virgules. T. Équivoques dues à l’emploi des adj. poss.
I. Remplacez car, parce que par deux points. U. Possessions évidente, employez l’article.
J. Allégez : remplacez la sub. conjonctive. V. Allégez la phrase (voix pronom. pour voix passive).
K. Appareillez les compl. unis par et, ni, ou. X. Soyez vivant. Employez le style direct.
Variations historiques : l’exemple de la « rédaction » ■ 161

B ■ 1938

Le texte officiel s’ouvre, comme celui de 1923, par un constat d’échec : « Les
résultats de l’enseignement de la composition française à l’école primaire
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
sont assez décevants. Au certificat d’études, c’est l’épreuve la plus faible. »

À partir de ce diagnostic commun, les Instructions de 1938 développent une


argumentation qui polémique avec le plan d’études précédent. Les désac-
cords sont fondamentaux et portent sur les finalités de l’exercice, les repré-
sentations de l’élève-scripteur et la conception de l’écriture.

1 Les finalités de la rédaction

En cohérence avec les propos tenus sur les autres matières, les Instructions
donnent la priorité à la fonctionnalité sociale de la rédaction et insistent sur
ses enjeux pratiques. « […] on aura la préoccupation de donner à l’apprentis-
sage de la rédaction un caractère essentiellement pratique […]. Ce caractère
pratique ressort suffisamment de la nature des sujets qu’indique le pro-
gramme. On évitera que ces sujets aient un caractère artificiel ; aussi, plutôt
que d’en imaginer les circonstances, on prendra l’occasion d’un fait concret,
d’un événement réel de la vie urbaine et rurale. Par exemple, on fera relater
avec précision les détails d’un accident automobile qui s’est produit près de
l’école […].

À la campagne, les enfants feront un “rapport” sur les dégâts causés par un
orage ; et il ne s’agira en aucune façon de décrire l’orage et d’exprimer les
impressions personnelles ressenties à l’aspect de la terre et du ciel, mais
bien de relater des faits d’une précise objectivité […].

Ils rédigeront des lettres d’affaires précises, diront tout ce qu’il faut dire, sans
détails inutiles. Ils apprendront les formules usuelles par lesquelles on com-
mence ou l’on termine une lettre […]. »

Si l’on en juge par les manuels scolaires, on assiste effectivement à un recul


des sujets dits d’« imagination » (ex. : « Imagine quelle suite pourrait être
donnée à la fable de La Fontaine : Le Renard et le bouc ») au profit des récits
expérienciels. Le vécu de l’élève est continûment sollicité à travers les rédac-
tions descriptives qui perdurent, mais surtout par l’intermédiaire de narra-
tions « d’événement vécu »6. Voici quelques exemples de sujets proposés
par Brandicourt & Boyon, La Langue française, Cours moyen et supérieur,
Larousse, 1947 :
« – Rapportez un vif souvenir de vos dernières vacances (une belle journée
ou une belle sortie).

6. Voir le texte 7 de l’Annexe 2.


162 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

– Racontez votre arrivée à la maison, où votre maman vous attend, le soir


du jour de la rentrée des classes.
– Chez vos grands-parents, vous explorez le grenier (ou une commode),
dites vos trouvailles. »
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
Quant aux écrits épistolaires, ils recouvrent aussi bien la correspondance pri-
vée que publique comme en témoignent les sujets que traite l’ouvrage
méthodologique J’apprends à rédiger, édité par J. Anscombre en 1953 :

LA VIE PRATIQUE
Je sais présenter une lettre
J’écris à ma famille, aux amis
J’écris à un commerçant
J’écris au Maire, au Préfet de…
Je remplis les formulaires des P.T.T.
[…]

2 Les représentations du scripteur

En réaction contre le portrait romantique du scripteur élaboré par les Instruc-


tions de 1923, le nouveau programme revendique un pragmatisme sociologi-
que : « Certains maîtres voudraient que les enfants fissent preuve de
certaines qualités personnelles dans la pensée et dans la forme ; ils sont con-
tents quand ils trouvent dans un devoir “un joli passage” […] Sans doute qu’il
faut encourager et pousser les élèves particulièrement doués, et qui sont
capables de ces trouvailles […j. Mais, dans une classe, ce n’est pas à deux
ou trois élèves seulement qu’il faut penser : c’est aux trente ou aux quarante
élèves de la classe. »

Les Instructions rappellent ensuite que la mission fondamentale de l’école


primaire, contrairement à celle du secondaire, est de former des individus qui
possèdent du « bon sens » et qui sachent, à la fois « observer avec
méthode », « penser clairement » et « raisonner juste ». Les caractéristiques
qui définissent la langue et l’écriture font système avec celles qui configurent
le futur adulte issu du primaire : « […] la langue qui leur sera nécessaire est
non pas une langue subtile, propre à rendre les nuances du sentiment, mais
une langue précise, capable d’exprimer les caractères objectifs des choses
[…] une langue simple, dépouillée de tout ornement de mauvais goût […] il
faut qu’ils sachent écrire avec correction et trouver les mots propres pour
exprimer leur pensée […]. »

En fonction de quoi, on préconise, comme on l’a vu, les écrits utilitaires et


fonctionnels et, pour les narrations, une écriture « transparente » qui se garde
de recourir à l’imitation des modèles littéraires. « […] emprunter d’une façon
systématique à un grand écrivain des comparaisons ou des images, des
constructions syntaxiques ou des rythmes, pour les introduire, comme du
Variations historiques : l’exemple de la « rédaction » ■ 163

dehors, dans une composition nouvelle, c’est risquer de cultiver le mauvais


goût. […] les “jolis passages” qu’on trouve ensuite dans leurs devoirs, loin de
témoigner de qualités personnelles, sont faits de “clichés”, comme on dit.
[…] ces élégances de clinquant n’ont rien à voir avec l’art d’écrire. »
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
Ce qui n’empêche pas les auteurs des Instructions, en parfaite contradiction
avec ce qui précède, de conseiller, au moment de l’apprentissage de la
rédaction, des exercices de « reproduction d’un texte d’écrivain ». Les uns
relèvent très clairement de la pratique du résumé (« résumer en quelques
lignes un texte qu’ils ont sous les yeux »), les autres reconduisent, sans le
dire, la pratique de l’imitation (« reproduire en une page le texte lu et
commenté »).

3 La conception de l’écriture

Le texte de 1938 partage avec son homologue de 1923 la conception natura-


liste de l’écriture qui consiste à faire de la langue une représentation fidèle de
la pensée : « […] une phrase est élégante quand l’ordre des propositions et
des mots reproduit le mouvement de la pensée […] l’élégance du style ne
peut résulter, pour eux, que de l’exacte propriété des mots, du relief de la
pensée dans une phrase qui en suit tous les contours. »

Cette négation de la textualité et de la discursivité est si prégnante qu’elle


autorise les rédacteurs officiels à confondre l’ordre de l’oral et celui du
scriptural : « Apprendre à écrire, comme apprendre à parler, c’est apprendre
à penser. La méthode par laquelle l’enfant apprend à exprimer sa pensée par
écrit ne diffère pas de celle par laquelle il apprend à parler. »

Dans ce mouvement de radicalisation, les exercices d’élocution, qui étaient


autonomes en 1923, se voient maintenant rattachés à la rédaction. Cette
opération de transfert n’enrichit pas pour autant l’expression écrite. En effet,
les contraintes liées à la textualisation écrite et les activités scripturales sub-
séquentes demeurent oblitérées au nom d’une justification qui emprunte ses
arguments à la fois aux conceptions littéraires du réalisme et à celles du
romantisme :
1. on réduit et assimile le travail de l’écriture à l’activité de perception :
« L’ordre dans lequel s’enchaînent les propositions reproduit l’ordre même
selon lequel l’esprit a perçu successivement les divers aspects des
choses » ;
2. on présente l’acte d’écrire comme un jaillissement instinctif : « Ce n’est
donc pas par des exercices de construction “d’imitation ou d’enrichisse-
ment” de phrases détachées qu’on créera l’habitude d’écrire. Au
contraire : on immobilise, ainsi, sous la clarté de la réflexion, une sorte
d’élan vital, qui ne peut se développer qu’à la condition de rester spon-
tané et instinctif. »
164 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

Plus fondamentalement, les Instructions de 1938 contestent explicitement la


conception mécaniste de l’apprentissage de l’écriture du programme de
1923 qui, comme on l’a vu, progresse de façon analytique du simple au com-
plexe. Conscients du fait qu’écrire est une activité qui nécessite la gestion
simultanée d’une planification globale du texte et d’opérations locales de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
mise en texte, les rédacteurs officiels préconisent une démarche
synthétique : « […] la démarche de la pensée va nécessairement du tout à la
partie, c’est-à-dire de la rédaction au paragraphe et à la phrase, de la phrase
à la proposition et au mot […]. Dans la rédaction, on commence par une idée
d’ensemble du sujet : c’est en cherchant à le préciser que l’idée se divise,
s’analyse et trouve par là même son expression. »

Références bibliographiques
ABASTADO, C. (1981) : « La composition française et l’ordre du discours », Prati-
ques, n° 14.
ALBALAT, A. (1899) : L’Art d’écrire, Paris, A. Colin.
CHERVEL, A. (1987) : « Observations sur l’histoire de l’enseignement de la com-
position française », dans J.-L. Chiss et alii (éds), Apprendre/Enseigner à pro-
duire des textes écrits, Bruxelles, De Boeck.
FOURNIER, G. (1942) : Comment composer mon devoir français, J. de Gigord.
HÉBRARD, J. & CHARTIER, A.-M. (1989) : Discours sur la lecture (1880-1980),
Études et recherche, Paris, BPI, centre Georges Pompidou.
HAMEL, R. (1925) : Comment enseigner la composition française, Paris, Dela-
grave.
LE GAL, E. (1931) : Ne dites pas… Mais dites, Paris, Delagrave.
MARCHAND, F. (1971) : Le Français tel qu’on l’enseigne, Paris, Larousse.
PETITJEAN, A. (1999) : « Un siècle d’enseignement de la composition fançaise ou
de la rédaction au primaire (1882-1995) », dans A. Petitjean & J.-M. Privat
(éds), Histoire de l’enseignement du français et textes officiels, Université de
Metz, Didactique des textes n° 9.
ROUSTAN, M. (1907) : La Composition française, Paris, Delagrave.

Annexe 1
Liste des manuels étudiés
AMAND, F. (1913) : La Pratique de la composition française, Cours moyen et
supérieur, F. Nathan.
AMAND, F. (1939) : La Pratique de la composition française, Cours moyen (Livre
du maître), F. Nathan.
BACONNET, G., GRILLET C. (1937) : Exercices français, Pour toutes les classes,
Librairie Emmanuel Vitta.
BOCQUET, L. & PERROTIN, L. (1929) : La Composition française, Cours moyen et
supérieur, Armand Colin.
Variations historiques : l’exemple de la « rédaction » ■ 165

BOUILLOT, V. (1924) : Le Français par les textes, Cours élémentaire et moyen,


Hachette (1924) : Cours moyen, Certificat d’études, Hachette.
BRANDICOURT & BOYON (1947) : La Langue française, Cours moyen et supé-
rieur, Larousse.
BRUNOT & BONY (1921) : Méthode de langue française, Troisième livre, Cours
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
moyen et supérieur, A. Colin.
CALVET, J. & CHOMPRET, C. (1917) : Exercices français, Cours élémentaire,
Librairie Poussielgue.
DUMAS, L. (1918) : Le Livre unique de français, Cours moyen et supérieur et Cer-
tificat d’études, Hachette.
DUVAL, BRÉMOND & MOUSTIER (1918) : Le Français à l’école primaire, Cours
moyen et supérieur, E. André Fils, Éditeur.
GABET, G. : La Grammaire française par l’image,
– (1936), Cours moyen, Hachette.
– (1938), Certificat d’études, Hachette.
GABET, G. & GILLARD, G. (1938) : Vocabulaire et méthode d’orthographe, com-
position française, Cours élémentaire et moyen, Hachette.
GOURDAN, G. & OZOUF, R. : Parler et écrire en français
– (1938), Cours élémentaire, Gedalgue.
– (1939), Cours moyen, Gedalgue.
HARTMANN, L. & Dl-TREUILH, E. (1939) : Cours de langue française, Classe de
7e et Cours moyen, Éditions École et Collège.
LARIVE & FLEURY (1933) : Exercices français de deuxième année, A. Colin.
LAUNAY, F. (1933) : Le Français à l’école primaire, Cours élémentaire et Cours
moyen, A. Colin.
LYONNET, A., Le Français par les choses et par les images
– (1930), Cours élémentaire, 1re année, Istra.
– (1930), Cours moyen, Istra.
MAQUET, FLOT & ROY, Cours de langue française
– (1918), Cours préparatoire, Hachette.
– (1918), Cours élémentaire, Hachette.
– (1920), Cours élémentaire et moyen, Hachette.
– (1920), Cours moyen et supérieur, Hachette.
– (1921), Cours supérieur et cours complémentaire, Hachette.
MARTIN, SCHONE & MORTREUX (1936) : Leçons de français, Certificat d’études
et Cours supérieur, Belin.
SOUCHÉ, A. : La Grammaire nouvelle et le français
– (1934), Cours élémentaire, F. Nathan.
– (1934), Cours élémentaire et cours moyen, F. Nathan.
– (1933), Cours moyen 1re année, F. Nathan.
– (1933), Cours moyen 2e année, Cours supérieur, Certificat d’études, F. Nathan.
THABAULT, R. & YVON, H. (1937) : Langue française, Cours moyen, Delagrave.
VIDAL, L. (1938), La Composition française facilitée aux enfants, Cours moyen et
supérieur, Librairie du Sacré-Cœur.
166 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

ANNEXE 2
Travaux d’élèves
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
Texte 1
Un timbre-poste
Plan :
1) Où est le timbre-poste ?
2) Sa forme sa couleur
3) Le dessin
4) Les inscriptions

Développement
J’ai reçu de mon parrain une carte postale illustrée sur la droite en haut est un
timbre. Ce timbre a la forme d’un rectangle il a une couleur verte, les rebords
sont dentelés. Dessous il y a une femme qui sème on l’appelle la semeuse.
Au-dessous de la semeuse il y a d’écrit République Française à sa droite au
bas est écrit « Poste » et à sa gauche 10 centimes. CM1, 1923

Texte 2
Sujet : Jeudi dernier en cousant une robe à votre poupée vous avez distingué
une petite voix discrète. C’était celle de votre aiguille. Que vous disait-elle ?

Développement
Profitant d’un jour de congé tandis que j’étais en train de confectionner une
robe à ma poupée j’entends une voix fine comme du cristal qui m’appelait :
Denise Denise Je prêtais l’oreille et dit : « Je suis prête à vous écouter : vous
pouvez parler. » Alors elle commença par ces paroles : « Écoute mon enfant
les conseils de ton aiguille. Des hommes ont creusé la terre et ont extrait le
métal grossier qui a servi à me confectionner et qui est l’acier. Ils m’ont fon-
due et creusé dans ma tête un trou appelé le chas par lequel tu passes ton fil
qui sert à réaliser ton ouvrage. Puis ils m’ont donné du brillant et m’ont ran-
gée dans un étui de papier avec plusieurs de mes compagnes… Travaille
donc mon enfant travaille sans relâche souviens-toi de cela ! « Celui qui fuit le
champ du travail est un lâche. » Continue de travailler aie du courage et de la
patience pour donner quelque douceur à ta mère qui peine tant pour te don-
ner le nécessaire travaille pour faire plaisir à ton père qui est toujours si las
lorsqu’il revient à la maison fatigué de son travail du dehors. Qu’il doit être
heureux d’avoir une petite fille courageuse et patiente. Il est heureux car avec
ses deux vertus on arrive à tout dans la vie…
Mais il doit se faire tard et je dois t’empêcher de travailler avec mon
bavardage. »
L’aiguille retomba dans sa torpeur.
Désormais je tiens compte des conseils de mon amie l`aiguille à la grande
joie de mes parents qui sont fiers de moi. Ils sont sûrs maintenant que je
deviendrai une jeune femme accomplie.
CM1, 1924
Variations historiques : l’exemple de la « rédaction » ■ 167

Texte 3

Mon porte-plume
Entrée en matière : J’écris avec mon porte-plume.
En quoi est-il ? Mon porte-plume est en bois.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
La douille ? À un bout il y a une douille en fer qui sert à tenir la plume.
La plume : la plume est blanche. La pointe est sale.
Couleur : mon porte-plume est rouge.
Conclusion : je prends soin de mon porte-plume.
Emploi du pronom qui : on évite de répéter le sujet. Au lieu de « la douille sert
à tenir la plume » on dit : il y a une douille qui sert à tenir la plume.
CP, 1930

Texte 4
Sujet : Avez-vous déjà observé une poule à différentes reprises ? Dites les
actions et les scènes qui ont attiré votre attention et l’intérêt que vous y avez
pris.

Notre voisine avait une belle poule jaune qu’elle avait été cherché chez sa
mère. elle avait été la chercher dans une cage de moyenne grandeur où elle
ne devait pas être très à son aise.
Quand on la quitta pour aller se promener dans le jardin, elle se sauva effa-
rouchée, droite sous son bonnet phrygien, elle cherchait des issues ou bien
elle essayait de voltiger par-dessus les murs mais ils étaient trop hauts.
Quand on venait y donner à manger, elle se sauvait n’importe par où. Mais le
lendemain elle s’enhardit, elle venait même manger dans la main de sa maî-
tresse. Quand elle n’y donnait pas à manger assez vite, elle se mettait à
codaquer. Une semaine plus tard elle avait pondu un œuf dans notre pou-
lailler. Au bout d’un mois elle voulut couver ses œufs. Quand elle eut couché
dessus pendant trois semaines, elle mena derrière elle, dix petits poussins
noirs et blancs.
Vous pensez si notre poule était heureuse.
CM2, 1922

Texte 5
Sujet : Vous vous êtes arrêté devant un atelier de menuiserie ou de forgeron.
Dites ce que vous y avez vu quand les ouvriers étaient en plein travail.

L’autre jour j’étais allée à Neufchâlet chercher du pain pour bonne maman. En
passant je vis un forgeron qui ferrait les chevaux.
J’entendais des ouvriers qui tapaient à grands coups de marteaux. Ils fai-
saient chauffer les fers. Il y en avait qui tenait le pied d’un cheval avec un cor-
don qui était autour de son cou. L’autre mettait de l’eau sur le fer pour le l’eau
sur le fer pour le refroidir et un peu après il le mettait sur le pied du cheval.
CE2, 1925
168 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

Texte 6
Sujet : Les cloches de votre ville résonnent. Vous les avez entendues bien
des fois. Pourquoi ne leur trouvez-vous pas toujours le même son ?

Quels souvenirs, quelles images, quels sentiments éveille en vous le son des
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
cloches de votre église ?
Je suis encore au lit, je ne pense pas à me lever mais les cloches de l’église
me rappellent par son (corr. « leur ») carillon que l’heure de la classe est pro-
che.
Le bruit des cloches tinte joyeusement à mon oreille ; c’est un mariage que le
prêtre va bénir. Au contraire une personne a eu le malheur de perdre un de
ses parents, le très pas des cloches me rappelle alors l’horreur de la mort !
Lorsque j’entends les cloches sonner tristement, je ne peux m’empêcher de
songer au malheur qui afflige une famille : peut-être une personne vient-elle
de voir mourir son fils bien aimé ? Peut-être aussi a-t-elle assisté à l’agonie
de son père ou de son mari ?
Je pense encore au jour, le plus triste de ma vie, où, tout jeune enfant, je sui-
vais le corbillard qui transportait le corps inerte de ma pauvre maman que
j’aimais tendrement. Le son lugubre des cloches me rappelle tous les bien-
faits dont elle m’avait comblé. Quel malheur !
Au contraire, les jours de fête, le gai carillon me rappelle la joie que j’éprouvai
l’heureux jour de ma première communion.
Le son des cloches me rappelle les jours qui suivirent l’armistice et où j’atten-
dais, anxieux, le retour de papa qui se battait pour notre patrie.
J’aime beaucoup entendre le son des cloches. Il me rappelle des souvenirs.
Cours supérieur, 1919

Texte 7
Sujet : Vous avez assisté à un accident sur la route. Quand s’est-il produit ?
Où ? Et dans quelles circonstances ? Quelles ont été les suites ? Faites un
récit vivant.

C’était la noce de Denis Loupain. C’était le soir. Une belle auto belle venait du
bois et l’auto avait beaucoup de petits arbres devant.
L’auto qui venait de Pimont allait vite mais soudain une petite auto venait de
partir au bal. L’auto qui venait de Tourville n’avait pas corné mais tandis que
l’autre avait corné longuement. Les deux véhicules se rentra l’un dans l’autre
mais l’accident ne fut pas grave.
Mais avant que la vieille auto l’aille chercher d’autres gens pour aller au bal,
un homme sorti de l’auto et alla trouver le conducteur qui était resté dans
l’auto et ils se disputèrent avec les yeux.
Fin d’études, 1949
10
Langues maternelle,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
étrangère, seconde :
une didactique
unifiée ?
Suzanne-G. CHARTRAND et Marie-Christine PARET

Conviées à une réflexion sur l’état d’une discipline, la didactique du français,


afin d’orienter son développement1, nous formulons principalement un cer-
tain nombre de questions sur des problèmes conceptuels et épisté-
mologiques qui ne nous semblent pas avoir suffisamment retenu l’attention,
rejoignant ainsi les préoccupations de M. Dabène, sans pour autant reposer
sur le même questionnement.

Parmi toutes les questions proposées, il en est une qui est absente bien
qu’elle soit essentielle : est-ce à la construction, modélisation de la didacti-
que du français que nous travaillons ou à celle de la didactique du français
langue maternelle (DFLM) ? À notre connaissance, cette question n’a pas
encore fait l’objet de débat, soit qu’elle ait été jugée non pertinente, à partir
d’options épistémologiques implicites, soit que certains y ont déjà répondu,
optant résolument pour la constitution de la DFLM comme discipline à part
entière. D’outre-Atlantique, il nous semble que cette DFLM ne peut faire
l’économie d’une mise au point, même transitoire, sur la question suivante :
en quoi la DFLM constitue-t-elle une discipline (un champ disciplinaire) spéci-
fique et autonome en regard d’une discipline (ou champ ?) qui serait la didac-
tique du français et dont la DFLM ne serait qu’une composante à côté de la
didactique du français langue seconde (DFLS) et de la didactique du français
langue étrangère (DFLÉ) ?2

1. C’est bien de didactique du français et non de DFLM dont il est question ici.
2. On utilise indifféremment tantôt le terme de domaine, tantôt celui de discipline ou de champ disciplinaire sans préciser si
on se réfère à la DFLM ou à la didactique du français. Une clarification de ces choix terminologiques apparaît néces-
saire. Quels liens entretiennent ces notions entre elles ? Sont-elles dans un rapport d’extension où d’opposition ? Les
notions de domaine d’études, de domaine disciplinaire et de discipline sont-elles synonymes ? Le champ est-il une partie
constituante d’un domaine ou I’inverse ?
170 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

A ■ En quoi la DFLM
est-elle une discipline autonome et spécifique ?

Y a-t-il des raisons autres qu’historico-politico-institutionnelles qui justifient


Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
la constitution de la DFLM comme discipline (domaine/champ) distincte, des
considérations d’ordre épistémologique, relevant de son « système didacti-
que » (J.-F. Halté, 1992, p. 17), par exemple ? En quoi la DFLM est-elle une
discipline autonome et spécifique ?

Une interrogation semblable a été soulevée au colloque du CRÉDIF tenu à


Paris en 1987 : « Faut-il développer une didactique du français intégrant
l’enseignement du français langue maternelle et du français langue étrangère
ou faut-il distinguer deux didactiques du français : DFLM et DFLÉ ? »3. Des
communications présentées alors, et reprises dans Langue française n° 82
(1989), trois proviennent de didacticiens de la DFLM, J.-P. Bronckart, J.-L.
Chiss et F. Marchand. Or, J.-P. Bronckart et J.-L. Chiss posent d’emblée la
spécificité de la DFLM sans avoir débattu le moindrement de la pertinence de
développer une didactique du français. Quant à F. Marchand, après avoir
analysé certains facteurs de différenciation entre DFLM et DFLÉ, puis de
proximités, il conclut que si on ne peut envisager « de manière totalement
assurée » la possibilité de constituer une didactique qui regrouperait FLM et
FLÉ, « un certain nombre de considérations militent pour un rapprochement »
(p. 80). Il présente plusieurs des avantages théoriques à ce nécessaire rap-
prochement, puis expose les obstacles qu’il y voit, ces derniers étant essen-
tiellement d’ordre pratique (liés aux intérêts et aux habitudes des intervenants
et des institutions). Malgré cela, les obstacles ont prévalu sur les
« avantages », comme nous le savons. E. Roulet, quant à lui, dans la présen-
tation de ce numéro de Langue française, prend catégoriquement position en
ces termes : « S’il convient au mieux d’exploiter ces transversalités [entre
DFLM et DFLÉ], on peut en revanche douter sérieusement qu’il faille con-
stituer une discipline autonome intégrant DFLM et DFLÉ, car elle articulerait
deux situations d’enseignement-apprentissage qui ne sont jamais liées chez
un apprenant » (1989, p. 7). Rappelons enfin qu’un membre fondateur de
l’association DFLM, M. Dabène a, lui aussi, répondu à cette question (1986,
p. 31), soutenant que la DFLÉ avait plus d’affinité avec la didactique des
langues étrangères en France qu’avec la DFLM, car ni les enseignants, ni les
apprenants, ni le milieu n’étaient les mêmes en DFLM et DFLÉ, « le seul
dénominateur commun n’étant, à la rigueur, que l’identité de la matière
enseignée »4.

Ces prises de position méritent pour le moins d’être examinées et confron-


tées à des positions différentes, celles exprimées par R. Richterich et

3. Notons au passage qu’on ne mentionnait pas la DFLS, comme si cette dernière n’existait pas ou qu’elle se confondait
avec la DFLÉ.
4. Notons que plusieurs années plus tard, la position de M. Dabène a sensiblement changé, cf. ici-même.
Langues maternelle, étrangère, seconde : une didactique unifiée ? ■ 171

R. Galisson par exemple, si l’on veut clarifier l’état de notre discipline et les
voies de l’avenir.

Selon R. Richterich, étant donné que de plus en plus les apprenants sont
confrontés à l’apprentissage de langues, successivement ou parallèlement, il
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
faut aller plus loin qu’exploiter les transversalités entre les diverses didacti-
ques des langues, il faut penser l’unité de la didactique des langues. Cepen-
dant comme chaque langue a sa spécificité, il serait nécessaire de fonder
une didactique de chaque langue particulière qui repérerait et décrirait les
actes qui permettent d’enseigner et d’apprendre cette langue. Dans le conti-
nuum DG > DL > DF (où DG = did. générale ; DL = did. de langues ; DF = did.
du français), seule la didactique du français est « pleine », comme la dernière
poupée gigogne (1989, p. 84).

Selon R. Galisson, associé au FLÉ, comme il y a toujours eu des emprunts et


des échanges sauvages entre FLM et FLÉ, il semblerait pertinent de resserrer
les liens institutionnels entre ce qui constitue deux domaines distincts (par
ex. harmonisation/articulation des métalangages, des méthodes et procédu-
res d’analyse). Cela entraînerait un effet de choc et contribuerait aux rappro-
chements souhaitables entre les didactiques des LM et les didactiques des
LÉ (1986, p. 52).

Or, même si certains didacticiens (F. Marchand, R. Galisson, E. Roulet) jugent


nécessaire, voire urgent, d’exploiter les transversalités et d’opérer des rap-
prochements entre DFLM et DFLÉ (et DFLS), on constate que, dans les faits,
le cloisonnement entre DFLM, DFLS et DFLÉ est encore très fort5.

Nous connaissons tous les obstacles institutionnels existants (parallélisme


des organisations scientifiques et professionnelles, des programmes de for-
mation universitaire, des organes de diffusion, des centres de recherche, etc.)
et sommes conscients qu’ils proviennent en bonne partie des parcours histo-
riques différents de l’enseignement du français langue maternelle et langue
seconde ou étrangère, en France notamment. Mais les intérêts institutionnels
suffisent-ils à expliquer ce cloisonnement ?

Comment l’association DFLM, ses acteurs et ses réalisations (colloques,


journées d’études, publications) interviennent-ils dans la dynamique cloison-
nement/rapprochement, que font-ils pour lever les obstacles ? C’est une
question à laquelle nous devrions pouvoir apporter des réponses.

Ajoutons que la diversité des situations particulières, dans la francophonie où


les acteurs de la DFLM interviennent, en particulier les milieux scolaires con-
cernés par leurs recherches, constitue sans doute un autre facteur explicatif
du cloisonnement existant.

5. Depuis une dizaine d’années, la situation a passablement évolué, à preuve la tenue de colloques et symposiums réu-
nissant des didacticiens de LM, LS et LÉ (DFLM, Poitiers, 2000 ; FIPF, Paris, 2000 ; Liège 2002, par exemple ; voir les
références des actes de ces colloques dans la bibliographie en fin de volume).
172 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

En France, politiquement monolingue, n’existe officiellement que l’enseigne-


ment du FLM. En Suisse et en Belgique, coexistent différents systèmes
d’enseignement où domine soit le FLM, soit le FLS, jamais les deux dans la
même institution, voire dans la même région. Au Québec, se côtoient deux
systèmes d’enseignement parallèles où le français est obligatoirement ensei-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
gné, l’un français (où le français est considéré comme langue première),
l’autre anglais (où le français est considéré comme langue seconde). Dans
plusieurs pays d’Afrique (partiellement francophones), le français est ensei-
gné tantôt comme langue maternelle, tantôt comme langue seconde ou
étrangère, ou encore langue d’enseignement ; dans tous les cas, ces
désignations sont assez mystificatrices. Dans ces différents cas de figure,
l’acte d’enseignement-apprentissage du français est-il convenablement
conceptualisé ? Il apparaît plutôt que nous charrions des notions imprécises
et éminemment discutables parce que provenant de critères en partie étran-
gers à leur objet (critères géographiques, politico-scolaires). Ici encore, des
précisions méthodologiques s’imposent.

B ■ Conceptualiser les notions de FLM, de FLS


et de FLÉ ou « dénaturaliser les évidences »

1 Français langue seconde et français langue étrangère

Qu’est-ce qui distingue le français LS du français LÉ ? On admet générale-


ment que la distinction passe par le statut de la langue dans le pays où elle
est enseignée et par l’utilisation que peuvent en faire les apprenants
(H.H. Stern, 1983 ; W.-T. Littlewood, 1984 ; H. Besse, 1985 ; J.-P. Cuq, 1991,
1992 ; Z. De Koninck, 1993). La langue seconde serait une langue ayant un
statut officiel dans le pays des apprenants qui, par ailleurs, sont susceptibles
de la parler de façon significative, « de la pratiquer authentiquement » (H.
Besse) en dehors des cours (pensons au français pour les jeunes anglopho-
nes du Québec ou pour les jeunes néerlandophones en Belgique). La langue
étrangère serait celle qui est apprise en classe mais qui n’est pas parlée par
la communauté environnante et qui ne jouit pas d’un statut officiel dans ce
pays (pensons à l’espagnol ou à l’allemand, au Québec ou en France). Cette
différenciation, très simple et commode au premier abord, pose de très
sérieux problèmes dans la plupart des cas concrets d’enseignement-appren-
tissage du français. Prenons un exemple près de nous. Si l’anglais peut
représenter pour les jeunes Québécois francophones une langue seconde
puisqu’il a un statut officiel et qu’il est parlé par la communauté environnante,
on sait par ailleurs que des facteurs d’ordre affectif, idéologique, culturel et
politique ne leur permettent pas nécessairement de le parler de façon signifi-
cative et de le « pratiquer de façon authentique », alors que ces obstacles
n’interviennent pas autant dans l’apprentissage d’une langue dite étrangère
Langues maternelle, étrangère, seconde : une didactique unifiée ? ■ 173

choisie librement, l’espagnol, par exemple. Bref, en plus du statut officiel de


la langue enseignée déterminé par des contextes politiques et scolaires, il y a
les réalités socio-affectives et les représentations symboliques qui sont atta-
chées à une langue qui devraient être prises en considération dans la situa-
tion didactique et la délimitation du champ concerné par la didactique.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
2 Français langue maternelle

Quant à l’expression langue maternelle, ne faudrait-il pas s’interroger sur le


bien-fondé de la conservation et de la transmission de cette notion par
l’association DFLM, et sur sa pertinence épistémologique6. Si on suit l’es-
quisse de sociogenèse proposée par J.-D. Urbain (1982), la langue mater-
nelle représente la langue de la mère, de la nourrice, de la maison, de la terre
d’origine, donc la langue commune, dévalorisée socialement ; elle désigne ce
qui, depuis le XIVe siècle, s’oppose à la langue du Père, celle de la grammaire
générale, bref celle de la Raison. On peut donc se demander quelle valeur
opératoire peut avoir cette notion pour la constitution de notre discipline7.

On le voit, la clarification conceptuelle des notions de FLM, FLS et FLÉ est


dépendante des autres composantes du « triangle didactique » constituant le
« système didactique ».

C ■ Le « système didactique » du FLM


et ceux du FLS et FLÉ

Afin de tenter de cerner la spécificité de la DFLM (si elle existe) et celles de la


DFLS ou DFLÉ en regard d’une didactique du français, déterminons ce qui
distingue leur « système didactique » en examinant chacune de ses trois
composantes : le pôle des savoirs, le pôle enseignant et le pôle élève.

6. Pour une contribution plus récente, voir M. Marquilló Laruy (1999) « La notion de “langue maternelle” est-elle une valeur
sûre ? », in G. Legros, M.-C. Pollet & J.-M. Rosier (éds), Actes du 7e colloque DFLM : Quels savoirs pour quelles
valeurs ? Université de Bruxelles.
7. Il nous semble aussi inévitable de poser encore cette question corollaire : comment la DFLM prend-elle en charge l’ensei-
gnement du français à des jeunes non francophones dans la classe de FLM ? Pour certains, cette question ne serait pas
une question du ressort de la didactique, mais de la pédagogie. La présence (importante socialement, même si elle ne
l’est pas toujours numériquement) d’élèves non francophones (et souvent à peine francisés) dans les classes de FLM ne
mérite-t-elle pas qu’on réfléchisse collectivement à cette question ? Au Québec, les enfants non francophones de 6 à 16
ans sont accueillis dans une « classe d’accueil » durant 9 à 16 mois, après quoi ils sont intégrés aux classes régulières
de français « langue maternelle » et des autres disciplines enseignées en français. La moitié des écoles de l’île de
Montréal (près du tiers de la population globale du Québec) compte plus de 25 % d’élèves non francophones (nou-
veaux immigrants ou réfugiés en très grande majorité et, en minorité, enfants d’immigrants de plus longue date).
174 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

1 Les savoirs à enseigner et enseignés


dans la classe de français

Parmi tous les savoirs sur la langue et sur les textes, quels sont ceux que les
institutions scolaires et étatiques choisissent de transformer en objets
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
d’enseignement, en savoirs enseignés dans la classe de français LM, LS et
LÉ8 ? Il s’agit bien entendu en premier lieu de la langue française écrite (ou
plutôt des découpages scolaires de ses sous-systèmes), des textes (littérai-
res et non littéraires) et de l’expression orale et écrite « standard » et normée.
Enseigner la langue et ses réalisations socialement valorisées implique
nécessairement de transmettre une culture, que ce soit dans les classes de
français LM ou de LS et de LÉ, la culture littéraire demeurant plus importante
en LM.

Dans l’enseignement de la LM, si l’oral est objet d’enseignement, on sait qu’il


a une part congrue, que cet objectif est le plus souvent peu actualisé et enfin
que l’oral pratiqué pour fins d’évaluation dans les classes ressemble beau-
coup à l’écrit normatif oralisé (c’est du moins ce qui se passe au Québec ;
pour la France, voir Le Français aujourd’hui, n° 101, mars 93). Pour ce qui est
du travail sur la langue écrite, ce ne sont pas toutes les variétés de langue, ni
tous les usages (usage poétique ou ludique) qui doivent être enseignés puis
maîtrisés, mais un sous-système, parfois nommé langue décontextualisée,
parce qu’elle ne prend pas appui sur un contexte extralinguistique, qu’elle est
une langue non redondante et non ambiguë (M. Marland, 1977 ; C.E. Snow,
1987) et qu’elle est entièrement monogérée.

Cette caractéristique de la langue scolaire est lourde de conséquences : la


totalité du sens doit passer par la langue, ce qui requiert un haut niveau
d’explicitation et de désambiguïsation, donc une maîtrise des procédés qui
favorise ce type d’expression et une prise en charge plus fine des besoins de
l’interaction verbale. Cette langue est requise par l’école pour la manipulation
des connaissances et c’est elle qui donne accès aux discours scientifiques
ou abstraits. Ce type d’utilisation de la langue, en plus de présenter des
caractéristiques particulières au plan phrastique (qui détermine en grande
partie un enseignement grammatical normatif), suppose également que
l’élève puisse traiter les dimensions textuelles de l’organisation de l’informa-
tion dans le cadre de types de textes et de conventions rhétoriques
déterminées. Et c’est là qu’interviennent les textes littéraires, moins hégé-
moniques qu’auparavant, mais encore importants et dont une certaine maî-
trise est nécessaire (au Québec, tous les élèves de 4e secondaire (16 ans)
doivent pouvoir rédiger un texte s’apparentant à une nouvelle littéraire). À
l’exception des textes narratifs, la plupart des élèves (francophones d’origine
ou pas) n’ont que fort peu accès à un apprentissage systématique des autres
types de textes (explicatif, expositif, argumentatif) et des diverses dimensions

8. C. Garcia-Debanc (1990) propose de distinguer dans le pôle des savoirs, les savoirs à enseigner, les savoirs enseignés
effectivement et les savoirs appris réellement.
Langues maternelle, étrangère, seconde : une didactique unifiée ? ■ 175

de ce « français public », fort différent du français dit fonctionnel (N. Gueu-


nier, 1978 ; K. S. Foley, 1991) et pourtant essentiel à un épanouissement pro-
fessionnel et social. Ce français-là est un construit social très particulier,
presque une nouvelle langue pour plusieurs élèves dépendant de leur origine
linguistique et de leur milieu social et culturel. Aussi est-ce une illusion de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
croire que le français exigé dans le cours de français correspond à la langue
maternelle de la très grande majorité des élèves, unilingues francophones, ou
pas.

Par ailleurs, en raison des pressions sociales, les finalités et les objectifs
avoués du cours de français LS (et même LÉ selon F. Marchand, 1989, p. 75)
sont de plus en plus proches de ceux de la LM (au Québec pour le moins),
quoique l’enseignement de différentes variétés de langue orale et écrite soit
sans doute plus répandu en LM, mais le point de référence quant à la langue
à acquérir n’est pas pour autant le français parlé dans la communauté envi-
ronnante, mais ce français public, standard, normatif avec souvent une sur-
valorisation des textes littéraires par rapport aux discours courants (voir
certains manuels de FLÉ). Même si la place du littéraire s’est peu à peu
réduite au profit des textes courants, la référence à la norme et l’association
« grands auteurs » culture française imprègne encore fortement les savoirs
enseignés autant en LS ou LÉ qu’en LM9.

Les savoirs à enseigner et les savoirs enseignés semblent donc de plus en


plus proches les uns des autres, en LM et LS ou en LÉ. Le français qu’on doit
et qu’on prétend enseigner est assez semblable ; ne se réfère-t-il pas à la
même norme linguistique, à la même tradition rhétorique, aux mêmes
« grands auteurs », au parler de la même classe sociale, et, au mieux, ne pro-
pose-t-il pas les mêmes descriptions formelles de la langue et des textes ?
Quoi qu’il en soit, ces objets d’enseignement sont pour tous les élèves (fran-
cophones ou pas) des objets construits par et pour l’institution scolaire dont
les effets sinon les objectifs demeurent encore massivement la sélection et la
reproduction sociale.

2 Le pôle enseignant ou la problématique


de l’intervention didactique

Alors si ce ne semble pas d’abord la spécificité des objectifs et des objets


d’enseignement et d’apprentissage qui fonde épistémologiquement la spéci-
ficité de la DFLM par rapport à la DFLÉ et à la DFLS, qu’en est-il des ensei-
gnants ou plutôt de la problématique de « l’intervention didactique » (J.-F.
Halté, 1992, p. 19) ?

Les enseignants sont d’abord des acteurs sociaux, profondément inscrits


dans leur réalité sociale ; enseignant la langue et les textes, ils sont des por-

9. Il faut cependant distinguer les finalités de l’enseignement du français et les pratiques scolaires concrètement réalisées.
176 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

teurs de la culture hégémonique officiellement associée à la langue française,


plus encore que les enseignants des autres disciplines. Ils ont une mission
commune, qu’ils soient de FLM, FLS ou de FLÉ. Bien que la formation univer-
sitaire programme différemment les enseignants de LM, de LS ou de LÉ, ce
n’est que dans la mesure où ils se soucient vraiment de savoir comment leurs
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
élèves apprennent que la dynamique de leur intervention didactique sera
spécifique dans les contextes de FLM (en milieu exclusivement francophone
ou pas) de FLS ou de FLÉ. Car enseigner le FLM, à Dakar, à Marseille ou à
Montréal, comme d’ailleurs enseigner le FLS à Montréal, à Berne ou à
Anvers, devrait imposer des « interventions didactiques » différentes, compte
tenu des différences dans « l’appropriation didactique » par les élèves. Mais
est-ce généralement le cas ?

3 Le pôle élèves ou la problématique


de « l’appropriation didactique »

Finalement, le point d’ancrage qui peut permettre d’établir la spécificité de la


DFLM par rapport à la DFLÉ ou à la DFLS semble être « le travail cognitif de
l’apprenant » (J.-F. Halté 1992, en référence à L.B. Resnick, 1983 et à D.G.
Brassart, 1990). En effet, les distinctions DFLM/DFLS/DFLÉ pourraient pren-
dre toute leur pertinence dans l’examen des processus différenciés de
l’apprentissage du français scolaire selon les différents contextes scolaires,
selon les différentes situations d’apprentissage vécues par l’élève et aussi
selon les représentations attribuées à l’objet d’apprentissage par les élèves.
Quels sont les coûts sociocognitifs de l’apprentissage du français (langue/
textes/culture) dans ces différentes configurations didactiques, quelles sont
les stratégies déployées, quels sont les savoirs et les savoir-faire réellement
appris à l’école par rapport à ceux qui sont enseignés à l’école, à ceux qui
sont acquis au-dehors dans le milieu social ambiant, et à ceux qui sont
hérités par l’appartenance socioculturelle des élèves (C. Garcia-Debanc,
1990, p. 54) ?

L’examen des conditions et des processus d’apprentissage (en LM, LS et LÉ)


et de la dynamique que l’appropriation didactique imprime au système
didactique pourrait étayer la spécificité et la nécessité d’une relative autono-
mie d’une DFLM par rapport à une DFLS ou DFLÉ, encore que la tendance
soit de plus en plus à mettre en lumière les points communs entre LM (L1) et
les autres langues (L2) en ce qui concerne l’acquisition de la lecture et de
l’écriture (Z. De Koninck & E. Boucher, 1993). Pour cela, des rapprochements
soutenus entre DFLM, DFLÉ et DFLS sont nécessaires au plan organisation-
nel et professionnel ; au plan des recherches en didactique ; au plan de la for-
mation des maîtres du primaire et du secondaire.
Langues maternelle, étrangère, seconde : une didactique unifiée ? ■ 177

D ■ Des rapprochements entre DFLM et DFLS ou


DFLÉ sont nécessaires

Pour contrer l’échec et l’abandon scolaires, pour faire face aux changements
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
des populations scolaires dans les sociétés occidentales actuelles, dans la
perspective du renouvellement urgent et nécessaire des pratiques reliées à
l’enseignement du français, et sachant par ailleurs que le français privilégié
par l’école est différent de celui maîtrisé par la très grande majorité des
apprenants (y compris les francophones), des rapprochements entre DFLM
et DFLS et DFLÉ sont nécessaires, car c’est seulement alors, par la confron-
tation des expériences théoriques et pratiques, qu’on pourra évaluer
sérieusement les spécificités des différents domaines et établir la nécessité
de l’autonomie de la DFLM, ou plutôt construire un domaine disciplinaire
appelé didactique du français.

Références bibliographiques
BESSE, H. (1985) : « Remarques sur le statut de la didactique des langues étran-
gères dans le champ des sciences humaines et sociales », Bulletin de l’ACLA,
7, 2, p. 727.
BRONCKART, J.-P. (1989) : « Du statut des didactiques des matières scolaires »,
Langue française, 82, pp. 53-66.
CHISS, J.-L. (1989) : « Revendication d’autonomie et horizon de scientificité en
didactique du français », Langue française, 82, pp. 44-52.
CUQ, J.-P. (1992) : « Français langue seconde : un point sur la question », Études
de linguistique appliquée, 88, pp. 5-26.
CUQ, J.-P. (1991) : Le Français langue seconde : origines d’une notion et implica-
tions didactiques. Paris, Hachette.
DABÈNE, M. (1986) : « Ralentir… Travaux ! Sur quelques évidences en didactique
du français, langue étrangère », Études de linguistique appliquée, 64, pp. 31-
38.
DE KONINCK, Z. (1993) : « Didactique de la langue maternelle et didactique des
langues secondes ou étrangères : deux mondes ? », La Lettre de l’association
DLFM, 13, pp. 3-5.
DE KONINCK, Z. & BOUCHER, E. (1993) : « Écrire en L1 ou en L2 : processus dis-
tincts ou comparables ? », Bulletin de l’AQEFLS, 14, 2/3, pp. 27-51.
FILLIOLET, J. (1990) : Colloque « Recherche en didactique du français et forma-
tion des enseignants », Auteuil, France.
FOLEY, K. S. (1991) : « Decontextualized Language Development in Home and
School Interactions », Revue de l’Association canadienne de linguistique appli-
quée, 13, 2, pp. 69-83.
GALISSON, R. (1989) : « Problématique de l’autonomie en didactique des lan-
gues (contexte français) », Langue française, 82, pp. 95-115.
178 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

GALISSON, R. (1986) : « Éloge de la didactologie/didactique des langues et des


cultures (maternelle et étrangères) – D/DLC », Études de linguistique appli-
quée, 64, pp. 39-54.
GARCIA-DEBANC, C. (1990) : « Didactiques du français et didactique des disci-
plines scientifiques : convergences et spécificités », dans Perspectives didacti-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
ques en français, Metz : CASUM.
GUEUNIER, N. (1978) : Le Français devant la norme. Contribution à une étude de
la norme du français parlé, Paris, Champion.
HALTÉ, J.-F. (1992) : La Didactique du français, Paris, PUF.
HALTÉ, J.-F. (1990) : « Didactique et enseignement du français », dans Perspecti-
ves didactiques en français, Metz : CASUM.
LITTLEWOOD, W. T. (1984) : Foreign and Second Language Learning, Cam-
bridge, Cambridge University Press.
MARCHAND, F. (1989) : « Français langue maternelle et français langue
étrangère : facteurs de différenciation et proximités », Langue française, 82,
pp. 67-81.
MARLAND, M. (1977) : Language Across the Curriculum, London, Heineman.
RICHTERICH, R. (1989) : « De la transversalité et des spécificités : pour une
didactique à imaginer », Langue française, 82, pp. 82-94.
ROULET, E. (1989) : « Des didactiques du français à la didactique des langues »,
Langue française, 82, pp. 3-7.
SNOW, C.E. (1987) : « Beyond Conversation : Second Language Learner’s Acqui-
sition of Description and Explanation », dans J.-P. Lantolf & A. Labarca (eds),
Research in Second Language Learning : Focus on the Classroom, Norwood,
N.J. Ablex.
STERN, H.H. (1983) : Fundamental Concepts of Language Teaching. Oxford,
OUP.
URBAIN, J.-D. (1982) : « La langue maternelle, part maudite de la linguistique ? »,
Langue française, 54, pp. 7-28.
11
Positions actuelles
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
et évolutions
institutionnelles
et éditoriales
Jacques DAVID

Dans cette contribution1, nous nous proposons d’étudier des phénomènes


récents, de porter un regard sur des réalités nouvelles en didactique du
français langue maternelle (dorénavant DFLM). Il ne s’agit pas ici d’établir un
quelconque rapport à l’histoire de la discipline2, mais de pointer des évolu-
tions, des débats, des développements actuellement décelables dans ce
champ.

Pour ce faire, nous nous appuierons sur un corpus de publications, sans


doute partiel, mais qui tentera de restituer les caractéristiques les plus fonda-
mentales des recherches dans le domaine. Dans le cadre limité de cette
étude, nous avons retenu pour l’essentiel la situation des recherches de
DFLM en France, sans écarter toutefois des comparaisons avec des travaux
similaires, conduits dans les autres pays de la francophonie, en Belgique, au
Québec ou en Suisse3. Nous avons enfin centré notre attention sur des
recherches qui s’appliquent tour à tour à l’enseignement-apprentissage du
français à l’école primaire et au collège ; et pour certaines analyses aux
actions de formation et de recherche déployées dans l’enseignement supé-
rieur.

1. Cet article est rédigé en orthographe nouvelle.


2. De fait, ce chapitre entend prolonger celui de M. Dabène qui s’inscrit dans une dimension plus nettement historique.
3. Pour une vision plus complète de ces recherches, il convient de se reporter à la banque de données DAF-INRP, au répe-
rtoire de G. Gagné et al. (1989-1993), Recherches en didactique et acquisition du français langue maternelle. Bruxel-
les, De Boeck-Wesmael, Paris, Éd. Universitaires – INRP, Montréal, Université de Montréal, PPMF ; un répertoire revu et
augmenté dans Recherches en didactique et acquisition du français langue maternelle (1993). Mise à jour III, Montréal,
Services documentaires multimédia ; mais également à la thèse de F. Ropé (1991), Recherches en didactique du fran-
çais – Tendances générales, Paris, INRP… et aux publications qui en sont issues.
180 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

Plus précisément, nous nous sommes attachés à analyser les différents lieux
où s’élabore et circule le discours didactique, ou plutôt les discours didacti-
ques. Nous avons ainsi envisagé d’analyser : i) les lieux de recherche, tels
l’INRP, le CNRS et les universités, qui ont vocation à développer des études
en rapport plus ou moins direct avec l’enseignement-apprentissage des lan-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
gues en général et du français en particulier ; ii) les lieux de décision institu-
tionnels comme le ministère de l’Éducation nationale et ses différentes
directions, l’Inspection générale, le Conseil national des programmes, mais
aussi les organismes officiels ou observatoires plus ou moins dépendants de
ses services ; iii) les lieux de formation au premier rang desquels se situent
les Instituts universitaires de formation des maitres ; iv) et enfin les lieux
d’édition et d’échange avec les revues spécialisées, bien sûr, mais aussi avec
les actes de colloques ou de congrès.

A ■ Les lieux de recherche

Tout d’abord au sein de l’INRP, qui nous semble être le point de départ de
nombreuses actions de recherches avec des méthodologies particulières
comme les recherches-actions qui permettent l’observation précise des pra-
tiques de classes et la formulation de propositions pour des apprentissages
construits dans le domaine. Nous nous devons de reconnaitre que cet institut
a joué et joue encore un rôle déterminant dans la constitution des didacti-
ques des disciplines en général et de la didactique du français en particulier,
à partir notamment de l’expérience cumulée de chercheurs impliqués dans
l’ancien département de « Pédagogie du français 1er degré ».

Une première question surgit quant au glissement terminologique. En effet, le


passage d’une « pédagogie » à une « didactique » du français correspondait-
il à une évolution, voire une rupture liée à la mise en place de nouvelles
recherches, ou révèlait-il une certaine continuité de celles-ci sous une
dénomination différente ? Il semble que l’abandon du terme « pédagogie »
allait de pair avec une réorientation des recherches et plus précisément des
objets de recherche. Notons que le changement d’appellation s’est
accompagné d’une certaine désaffection pour des objets d’études, comme
le langage oral4, pourtant largement développées dans les années soixante-
dix, à partir du plan (dit « Rouchette ») de Rénovation de l’enseignement du
français. À cette époque, les recherches en pédagogie du français reposaient
principalement sur une analyse des pratiques pédagogiques et des compo-
santes linguistiques, surtout syntaxiques et phonologiques, liées à l’étude de

4. Il est tout à fait curieux de constater qu’il a fallu près de trente ans pour voir ressurgir aujourd’hui cette question de l’oral
dans le champ de la DFLM. Il reste qu’elle réapparait pour susciter un renouvellement interne de cette question dans le
champ de la DFLM, mais aussi pour tenter de réponse à un problème externe, à savoir l’ « insécurité linguistique » –
réelle ou supposée – de nombreux écoliers et surtout collégiens, et donc le désarroi de nombreux professeurs face aux
variantes de français parlées par leurs élèves.
Positions actuelles et évolutions institutionnelles et éditoriales ■ 181

la langue et à l’apprentissage de la lecture. Au cours des années quatre-


vingts, ces recherches tournées vers les travaux linguistiques disparaissent
au profit d’autres plutôt marquées par des orientations psychologiques ou
psycholinguistiques. Nous observons ainsi leur influence sur l’émergence des
typologies textuelles et dans l’utilisation de modèles du scripteur-rédacteur
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
pour la production d’écrits.

Dans un passé encore récent, au début des années 1990, certaines recher-
ches conduites à l’INRP – comme celles relatives à l’apprentissage de la lec-
ture – se trouvaient alors réparties dans au moins quatre équipes de
chercheurs appartenant chacune à des départements, et des paradigmes
différents : J. Foucambert responsable de l’unité Didactique des apprentis-
sages de base, G. et É. Chauveau du CRESAS (Centre de recherche de
l’éducation spécialisé et de l’adaptation scolaire), É. Charmeux associée à
l’unité Didactique du français, L. Sprenger-Charolles qui travaillait alors à
l’inventaire thématique des recherches en DFLM, sans oublier J. Hébrard du
Service d’histoire de l’éducation au sein du même INRP. Le moins que l’on
puisse constater c’est que les recherches menées dans le cadre de cette
problématique apparaissaient peu convergentes. Les méthodologies affi-
chées, les référents théoriques dénotaient des conceptions et des implica-
tions pour la didactique du français également très différentes. Symptôme de
cet éparpillement, la quasi-absence de numéros consacrés à cette question
dans certaines revues de l’INRP. Certes, des initiatives éditoriales ont montré
l’importance et l’étendue des recherches de cet institut dans le domaine5 ;
mais elles ne concernaient pas la seule question de l’acquisition de la lecture
et surtout, elles révélaient l’extrême dispersion des recherches que nous
venons de mentionner. De plus, le fait qu’une revue comme Repères, parfai-
tement ciblée en DFLM, n’ait pas inscrit l’apprentissage de la lecture
comme thème de l’un de ses numéros depuis 1973 montre à quel point la
réflexion en didactique du français, au sein de l’INRP, « évitait » de proba-
bles conflits pour se porter sur des thèmes moins dissensuels : la produc-
tion écrite ou l’analyse des faits de langues.

Aujourd’hui, la délocalisation et la restructuration des équipes de l’INRP, la


disparition du CRESAS en tant que centre de recherche autonome, le départ
de plusieurs chercheurs ont accéléré cette désaffection pour l’apprentissage
de la lecture. Conjointement, les thèses idéo-visuelles de l’apprentissage la
lecture ont pratiquement disparu des préoccupations et des discours dans le
domaine. Au point que la place est actuellement occupée presque exclusive-
ment par les sciences cognitives, dont la plupart se sont développées en
marge des recherches didactiques. De fait, les recherches pyscholinguis-
tiques ont renouvelé les approches de la lecture et de son apprentissage. La
multiplication des travaux et des publications accumulés dans le domaine

5. Voir surtout le numéro hors série « Apprendre à lire et à écrire. Dix ans de recherche sur la lecture et la production de
textes » de la Revue française de pédagogie, Paris, CNDP, 1989 ; et postérieurement Lire et écrire à l’école primaire.
État des recherches à l’INRP, Paris, INRP, 1994.
182 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

ont accéléré – sinon définitivement scellé – l’emprise de la psychologie cog-


nitive sur les modèles d’enseignement-apprentissage de la lecture. Le rap-
port de synthèse publiée en 1998 par l’Observatoire national de la lecture6
marque en ce sens une étape décisive ; il a largement influencé la rédaction
des tout derniers programmes de l’école primaire7. Et malgré quelques réac-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
tions critiques8, cette influence est désormais entendue, reconnue, sinon
acceptée. L’élaboration de nouveaux manuels de lecture pour le cycle 2 de
l’école primaire achève de compléter l’emprise de la psychologie cognitive9.
Certains psycholinguistes n’hésitent en effet plus à s’impliquer dans la
réalisation de supports d’apprentissage qui présentent les apprentissages
graphophonologiques et morphologiques, dans des activités qui combinent
désormais la lecture et l’écriture.

À côté de la psychologie cognitive, et de façon complémentaire ou opposée,


d’autres paradigmes de recherche éclairent les apprentissages de la lecture,
et plus encore de l’écriture10. La linguistique génétique11 d’un côté, les
travaux en littéracie12 de l’autre élargissent les approches du langage écrit et
de son acquisition. Il s’agit de montrer que ces apprentissages prennent en
compte le niveau linguistique par la description précises des propriétés des
écritures et des systèmes orthographiques, et leur inscription dans un univers
culturel spécifique, afin d’éviter leur réduction au simple montage de règles
phono- ou morphographiques.

Du côté du CNRS et des universités, l’appartenance de chercheurs à dif-


férentes sections et unités de recherches, permanentes ou associées, a
également donné à la DFLM la vision d’une grande diversité. En fait, les
travaux dans le domaine sont peu pris en compte en tant que tels. Les dif-
férents laboratoires de psychologie, comme ceux de M. Fayol à Dijon puis à
Clermont-Ferrand, d’A. Piolat à Aix, d’É. Espéret à Poitiers, de J.-E. Gombert
à Rennes ont des préoccupations en didactique du français, sans pour
autant inscrire celles-ci dans des programme de recherche spécifiques. Les

6. Morais J. & G. Robillart (éds) (1998), Apprendre à lire au cycle des apprentissages fondamentaux. Analyses, réflexions
et propositions. Paris, CNDP & Odile Jacob.
7. Ministère de l’Éducation nationale (2002), Qu’apprend-on à l’école élémentaire ? Les nouveaux programmes. Paris,
CNDP & XO-éditions
8. Notamment celle de J. Fijalkow intitulée « Un coup pour rien », dans la revue qu’il dirige : Les Dossier des sciences de
l’Éducation, n° 1, 1999, aux Presses universitaires du Mirail.
9. Dans ce mouvement, on peut repérer l’édition d’une collection dirigée par J.-E. Gombert, P. Colé et alii (2001), Crocoli-
vre CP et CE1, Paris, Nathan.
10. Dans cette perspective, voir l’ouvrage collectif dirigé par C. Fabre-Cols (2000), Apprendre à lire les textes d’enfants.
Bruxelles, De Boeck ; et notre article de synthèse « Étudier les textes d’enfants : revue de travaux ».
11. Voir à ce titre, la contribution de J.-P. Jaffré & D. Ducard (1996), « Approches génétiques et productions graphiques »,
Études de linguistique appliquée, n° 101, pp. 87-98 ; et la discussion entamée par J.-L. Chiss & C. Puech (1996), « La
genèse de l’écrit : constitution d’un objet de recherche et frontières disciplinaires », dans la même revue des Études de
linguistique appliquée, pp. 99-111.
12. Depuis les travaux canadiens de D.R. Olson, (1994). The World on Paper : The conceptual and cognitive implications
of writing and reading. Cambridge : Cambridge University Press (trad. franç. L’Univers de l’écrit. Comment la culture
écrite donne forme à la pensée. Paris, Retz, 1998) ; jusqu’à ceux récemment publiés en France, notamment dans les
actes du colloque de Grenoble (octobre 2002), publié par C. Barré-de Miniac et alii (2004). La Littéracie. Conceptions
théoriques et pratiques d’enseignement de la lecture-écriture, Paris, L’Harmattan.
Positions actuelles et évolutions institutionnelles et éditoriales ■ 183

équipes de linguistes présentent sensiblement les mêmes dispositions,


même si dans certaines unités, F. François à Paris 5, R. Delamotte à Rouen,
J.-P. Jaffré au CNRS à Ivry puis à Villejuif…, des chercheurs conduisent leurs
recherches dans des classes de français avec des objectifs didactiques plus
ou moins centraux. Il faut bien reconnaitre également que les initiatives ou les
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
propositions didactiques des uns et des autres ne sont pas toujours recon-
nues ou favorisées par leurs institutions, et cela malgré la volonté affirmée
par certains responsables de « s’impliquer davantage dans la société »13.

Sur un autre plan, l’ouverture des universités à la DFLM va souvent de pair


avec des implications dans la formation des enseignants14. Mais si certaines
actions de recherche apparaissent de plus en plus affirmées en didactique de
manière générale, notons qu’elles restent largement éparpillées dans des
UFR distinctes : les sciences de l’éducation principalement, mais aussi la
psychologie, les sciences du langage, les lettres et/ou la linguistique fran-
çaise, générale ou appliquée. Notons que, dans certaines universités, des
enseignants et des chercheurs ayant une influence en DFLM se sont avant
tout – et parfois prioritairement – investis dans la didactique du FLE. Ils ont
pour cela constitué des équipes ou des laboratoires, associés ou non au
CNRS, à Paris 3, à Lyon 2 ou à Grenoble 3. Certaines de ces équipes ont par
la suite sensiblement élargi leurs projets de recherches à la DFLM, notam-
ment au sein du « Modyco » à Paris 10, du « Lidilem » à Grenoble, ou du
« Dyalang » à Rouen.

De fait, les équipes universitaires qui ont plus que les autres intégré la DFLM
à leurs programmes d’études et de recherches sont souvent liées à des
unités ou des départements de sciences de l’Éducation – par exemple
l’équipe « Théodile » à Lille 315.

Cette dispersion de la DFLM ne permet guère de reconnaissance institution-


nelle. Et au delà de quelques déclarations sans effet, les différentes directions
de recherches – au CNRS comme dans les universités – n’entendent pas
accorder de place, même réduite à la recherche en DFLM. Le plus souvent la
simple mention du terme didactique (nominale ou adjectivale) suffit à écarter
des programmes de recherches ancrés soit dans les sciences du langage,
soit dans les études de lettres-littérature. Au-delà, l’attribution de postes
d’enseignement du supérieur à des candidats dont les compétences en
DFLM sont très marquées reste encore exceptionnelle. Excepté en FLE, ces
postes ne mentionnent que rarement des profils en didactique du français ;
les sections universitaires du Conseil national des universités (CNU) ne
retiennent guère, non plus, ces qualifications particulières.

13. Allocution du directeur général du CNRS développant les orientations scientifiques du centre pour les années à venir (Le
Monde du 6 octobre 1993).
14. La part prise par l’université dans la formation des enseignants est bien entendu liée à l’installation des IUFM ; nous y
reviendrons par la suite.
15. C’est également le cas dans au moins deux pays de la francophonie, le Québec et la Suisse, où la DFLM est adossée
aux sciences de l’Éducation.
184 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

En marge, les bouleversements constatés, notamment dans « l’universitarisa-


tion » de la formation des maitres, suscitent des évolutions, voire des renver-
sements de carrière, sur la base d’une expertise plus ou moins affichée en
DFLM ; celle-ci pouvant constituer en certains endroits un atout considérable
alors qu’ailleurs elle sert largement de repoussoir. Le recrutement actuel des
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
enseignants-chercheurs et professeurs dans les Instituts universitaires de
formation des maitres (IUFM) suit ces évolutions contradictoires : dans cer-
tains IUFM les expériences et publications en DFLM apparaissent indispen-
sables, alors que dans d’autres elles sont écartées au profit des seules
compétences disciplinaires, en linguistique ou en littérature.

B ■ Les lieux de décision institutionnels

En France, au début des années quatre-vingt-dix, le ministère de l’Éducation


nationale et ses différentes directions, l’Inspection générale, le Conseil
national des programmes… se sont manifestés par l’édition de textes offi-
ciels, comme Les Programmes et instructions, mais aussi des textes d’orien-
tation qui n’ont pas le même caractère réglementaire16, des documents de
travail, des projets (cf. le Projet de programme pour l’école, publié dans le
premier Bulletin officiel de l’Éducation nationale de septembre 1994) où le
discours didactique a été diversement pris en compte.

À partir de l’étude de ces textes, nous pouvions souvent observer des évolu-
tions, des changements d’orientation, des phénomènes d’actualisation ou de
focalisation singuliers, bref un ensemble de questions qui trouvèrent un écho
en DFLM. Ainsi, nous avons discerné des tensions entre les textes régle-
mentaires et les textes d’orientation, entre les projets de programme et les
programmes effectivement publiés. Les textes d’orientation ou préparatoires
sont plus nettement marqués par le discours didactique, par la référence aux
sciences contributoires. Les programmes et instructions sont, quant à eux,
généralement liés à des enjeux socio-économiques et politiques. Ils sont
inévitablement pris dans l’histoire de l’institution et obligés de s’inscrire dans
une certaine continuité. À titre d’exemple, les deux composantes de
l’apprentissage de la lecture : « travail sur le code » et « travail sur le sens »,
sont présentées de manière sensiblement égales depuis 1923. Certes, la ter-
minologie a changé : « associer des sons et des formes » se trouve remplacé
par « repérer les correspondances phonographiques ». L’ordre de présenta-
tion de ces apprentissages s’est sensiblement rééquilibré : l’accès au sens,
la question de la compréhension, le recours aux textes et à leur diversité
typologique, apparaissent dès les petites classes. Les indications

16. Voir notamment La Maitrise de la langue à l’école, 1992, coédité par le CNDP et Savoir-Livre, ou plus récemment les
rapports-synthèses de l’ONL (Observatoire national de la lecture), déjà évoqués, et ceux du PIREF (Programme incitatif
de recherche sur l’éducation et la formation) qui sont des organismes plus ou moins dépendants de ce ministère.
Positions actuelles et évolutions institutionnelles et éditoriales ■ 185

méthodologiques insistent plus volontiers sur la prise en compte de maté-


riaux écrits moins morcelés, exit les phrases décontextualisées, les mots seg-
mentés en syllabes plus ou moins artificielles. Mais fondamentalement, ces
textes officiels étaient relativement imperméables aux évolutions didactiques
et aux apports des sciences de référence. En fait, les problèmes de méthode
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
étaient évacués, les techniques d’apprentissage, les exemples de démarches
et surtout de progression étaient volontairement occultés, car c’est aux mai-
tres qu’appartenait le choix d’adopter telle ou telle méthodologie ou support
pour son enseignement. De fait, dans leur enquête sur les pratiques des mai-
tres de CP17 É. et J. Fijalkow ont bien montré qu’elles avaient peu évolué et
qu’elles reposaient principalement sur l’usage de manuels d’apprentissage
avec des principes phonologiques plus ou moins prégnants.

Aujourd’hui, l’importance des manuels comme élément exclusif de choix


didactique est à relativiser. C’est en effet dans ce domaine de l’apprentissage
initial de la lecture que les changements de discours sont les plus manifes-
tes. Les Programmes et instructions de 2002 (voir note 7), concernant notam-
ment le cycle 2 des apprentissages fondamentaux, déclarent plus nettement
que les précédentes instructions que « certaines méthodes proposent de
faire l’économie de l’apprentissage de la reconnaissance indirecte des mots
(méthodes globales, méthodes idéo-visuelles…) de manière à éviter que cer-
tains élèves ne s’enferment dans dette phase de déchiffrage réputée peu effi-
cace pour le traitement de la signification des textes. On considère
aujourd’hui que ce choix comporte plus d’inconvénients que d’avantages… »
(p. 78). Là encore, l’impact des sciences de référence, et plus particuliè-
rement des recherches psycholinguistiques, agit directement sur les directi-
ves ministérielles, puisqu’il n’est plus interdit de dénoncer des dérives liées à
des méthodes menant les élèves et leurs maitres à des impasses péda-
gogiques.

De fait, nous constatons une évolution importante des discours ministériels.


Jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix, les propositions didactiques ne
pouvaient être décelées que dans les manuels d’apprentissage et non dans
les textes officiels ; ce n’est plus vrai aujourd’hui, pour l’enseignement pri-
maire comme pour l’enseignement secondaire. Les programmes et instruc-
tions sont désormais en étroite relation avec les développements récents des
recherches en DFLM, au point que certaines thèses ou modèles provisoires
se trouvent intégrés sans précaution. Il en est ainsi des programmes du cycle
3 du primaire qui obéissent à des propositions contradictoires ou difficile-
ment conciliables : à la fois ressourcer les acquisitions culturelles, littéraires,
esthétiques et en même temps poursuivre les apprentissages instrumentaux
de la lecture ; d’un côté réintroduire l’étude de la langue par son « obser-
vation réfléchie » et de l’autre restreindre les objets d’étude grammati-
17. « Pratiques d’enseignement de l’écrit au cycle 2 », d’E. & J. Fijalkow, Revue française de pédagogie, n° 107, INRP,
1994.
186 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

caux18. Mais dans cette évolution des programmes et instructions du


primaire, comme dans ceux du collège, le problème majeur est assurément le
décalage croissant entre les capacités d’acquisition, de maitrise des nou-
veaux savoirs enseignés et les objectifs de connaissances qui leur sont assi-
gnés. En clair, nous assistons à un phénomène récurrent, un mouvement
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
descendant historiquement répété, qui vise à universitariser le cycle secon-
daire et, par voie de conséquence, à secondariser l’école primaire.

Car au collège, également, les évolutions sont conséquentes, les textes offi-
ciels proposent dorénavant des apprentissages articulés à la didactique de la
langue et des discours – ou des textes –, dont les textes littéraires. Les cor-
pus de textes à étudier, les dispositifs pluridisciplinaires, les activités
intégrant lecture et écriture, la démarche en séquences…, s’ouvrent plus
largement aux apports didactiques dans le domaine. Certes, certaines trans-
positions ou applications peuvent paraitre maladroites ou décalées19, mais
les intentions et les faits sont là ; les recherches en didactique du français ali-
mentent dorénavant les directives ministérielles, jusque dans les examens
terminaux du brevet et du baccalauréat20.

Concernant les autres apprentissages de la discipline « français », nous rele-


vons également des avancées importantes, liées entre autres à la prise en
compte des recherches en DFLM. C’est particulièrement nette dans le
domaine de la production écrite – et plus encore de la production textuelle –
qui se trouve, dans les orientations et les textes ministériels, dégagée des
conceptions plutôt spontanéistes de l’« expression écrite » ou des formes
normées de l’exercice de « rédaction » (voir A. Petitjean, infra). Mais, dans ce
domaine également, il reste des problèmes quant à la présentation des
apprentissages impliqués : sur la question des progressions, sur l’élaboration
des démarches et surtout les articulations possibles avec l’étude de la lan-
gue.

Ainsi, au début des années 1990, on pouvait relever que Les Objectifs de fin
de cycles, (1991) offraient un programme de compétences quasi identique
pour la fin du cycle 1 (élèves de 5-6 ans) et pour le cycle 3 (élèves de 11 ans).
Ces objectifs, nettement inspirés par les recherches sur les typologies des
discours, étaient repris tels quels sous la forme de nomenclatures textuelles
dans lesquelles on ne pouvait discerner ni différencier des acquisitions spéci-

18. Lire à ce sujet les analyses critiques de J. David (2002), « Articulation entre étude de la langue et lecture », dans La For-
mation à l’apprentissage de la lecture, Paris : Observatoire national de la lecture ; J.-L. Chiss & J. David (2003), « Les
nouveaux programmes pour l’école primaire française : questions pour la didactique du français », La Lettre DFLM,
n° 32, pp. 12-15 ; J.-L. Chiss (2004), « Comprendre et interpréter : réflexions sur la lecture littéraire au cycle 3 », dans
Nouveaux regards sur la lecture, Paris, Observatoire national de la lecture, CNPP/Savoir-livre.
19. Notamment pour ce qui concerne la tripartition « phrase-texte-discours », ou la volonté de tout articuler aux activités lan-
gagières orales et écrites, voir la contribution critique de J.-L. Chiss & J. David (1999), « Des relations entre langue et lit-
térature. Éléments pour un débat théorique, institutionnel et didactique ». Le français aujourd’hui, n° hors série, pp. 40-
54.
20. L’épreuve dite d’ « écriture d’invention » au baccalauréat de français en est une illustration singulière.
Positions actuelles et évolutions institutionnelles et éditoriales ■ 187

fiques à un âge ou un cycle donné. De même, l’impact des travaux sur la pro-
duction d’écrits s’est traduit par la volonté affichée de l’articuler à l’étude de
la langue et des discours, voire de la poser comme une condition ou un préa-
lable à l’acquisition de savoirs métalinguistiques.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
Sur cette question, nous devons analyser contrastivement les textes d’orien-
tation qui ont plus nettement intégré les acquis des recherches en DFLM,
avec – dans ce domaine également – une ouverture plus importante aux
apports de la psychologie cognitive et une moindre prise en compte des tra-
vaux linguistiques. Ces avancées sont apparues décisives et l’ouvrage de
synthèse La Maitrise de la langue à l’école, publié en 1992 sous l’égide de la
Direction des écoles, a certainement constitué une synthèse importante des
acquis accumulés en DFLM et dans les sciences contributoires.

Il nous faut cependant relever certains manques assez singuliers et révéla-


teurs de l’orientation des recherches en DFLM. Dans l’ouvrage cité, nous
avions deux textes, l’un présentant des orientations didactiques, l’autre
offrant une synthèse des savoirs disponibles dans les domaines de la lecture
et de l’écriture ; mais sous ce titre, plutôt orienté vers des questions de lan-
gue, il fallait lire en fait maitrise des savoir-faire langagiers, parler, lire et écrire.
De fait, il y était peu question du travail en langue ; l’état des recherches dans
les domaines grammatical, orthographique ou lexical… y était très réduit. Il
s’agissait encore moins de présenter les données de recherches sur les
acquisitions métalinguistiques et de proposer des démarches ou des pro-
gression concernant son enseignement-apprentissage. En fait, plusieurs
questions grammaticales se trouvaient insérées dans le texte sous la forme
d’exemples permettant d’illustrer de possibles difficultés dans l’organisation
des textes sur les deux versants de la réception-compréhension et de la pro-
duction. L’analyse des problèmes de langue était essentiellement présentée
comme dépendant de l’apprentissage de la lecture-écriture. De plus, ces
exemples étaient, dans leur majorité, empruntés à la grammaire de texte et
plus particulièrement aux phénomènes de cohésion nominale et pronominale :
repérage ou articulation des dénominations-reprises, maintien des chaines
anaphoriques.

Une telle focalisation sur les apprentissages du lire-écrire visait bien évidem-
ment à relativiser les apprentissages métalinguistiques et à inverser le cours
des pratiques dominantes, principalement occupées par la maitrise des con-
naissances grammaticales et l’exercice de micro-habiletés décontextualisées
des savoir-faire en lecture-écriture. Cependant, même en intégrant des élé-
ments de linguistique textuelle, des manques apparaissaient. Ainsi, il était
peu fait référence à l’acquisition de l’orthographe liée, ou non, à la production
écrite et aux problèmes de cohésion temporo-verbale sous-jacents à la
compréhension des textes.
188 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

Aujourd’hui, nous l’avons vu les textes ministériels s’appuient résolument sur


les apports en DFLM. Aussi, loin de nous engager dans un inventaire des
inévitables absences inhérentes à ces textes d’orientation ou à vocation pre-
scriptive, nous entendons plutôt montrer que certaines questions, pourtant
vives dans la conduite du cours de français, ne sont pas encore réellement
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
prises en compte. Mais sont-ils plus clairement définis dans les recherches
en DFLM ? Ce n’est pas évident. En fait, nous remarquons que ces manques
révèlent souvent des désaccords sur des notions ou des conceptualisations
encore peu stabilisées, entre autres et pour reprendre les mêmes exemples :
le rapport – ou la fausse opposition – entre grammaire de texte et grammaire
de phrase21, les procédures de mise en mots dans la composition d’un
texte22 ; les valeurs d’emploi des différentes formes temporo-verbales (J.-L.
Chiss, infra).

C ■ Les lieux de formation

Nous les avons déjà évoqués en détaillant certains des effets provoqués par
le rattachement récent des Instituts universitaires de formation des maitres
(dorénavant IUFM) à l’enseignement supérieur. Au-delà de la question institu-
tionnelle, il nous faut analyser les évolutions constatées du côté des acteurs
sociaux concernés.

Tout d’abord, nous observons que les différents formateurs des ex-Écoles
normales, intégrés ou nommés aujourd’hui dans les IUFM, sont, par essence
ou par vocation, des didacticiens de leur discipline. Cependant, les multiples
questions posées en DFLM ne sont pas toujours prises en charge par les
seuls professeurs de la discipline « français ». En fait, il existe depuis l’origine
une partition entre les formateurs de français ou de lettres et les professeurs
de psychopédagogie ou de « formation générale » : les uns et les autres
devant traiter des questions souvent indissociables comme l’étude des tex-
tes et l’acquisition de la lecture. De plus, leur formation respective les
entraine vers des enseignements auxquels ils ne sont pas forcément
préparés : les premiers sont « naturellement » orientés vers l’enseignement
des lettres (classiques ou modernes) alors que les seconds ont une base de
réflexion philosophique. Nous constatons ainsi un double phénomène : une
distribution plus ou moins artificielle des contenus de formation entre deux
catégories de formateurs (au moins !) et un nécessaire recours à l’autoforma-
tion, voire à l’autodidaxie, pour la plupart de ceux qui interviennent auprès
d’enseignants du premier degré.

21. Lire sur cette question le n° 135 de la revue Le français aujourd’hui, intitulé « Et la grammaire de phrase ? », J.-L. Chiss &
S. Meleuc (éds), 2001.
22. Voir notre étude « Orthographe et production de texte », in J. David & S. Plane (éds), L’Apprentissage de l’écriture de
l’école au collège, Paris, PUF, 1996.
Positions actuelles et évolutions institutionnelles et éditoriales ■ 189

Il n’est dès lors pas exagéré d’insister sur l’importance de revues profession-
nelles et/ou militantes comme Pratiques, Repères ou Le français
aujourd’hui dans l’autoformation de ces formateurs. Parce qu’ils en sont à la
fois les auteurs et les lecteurs privilégiés, ces publications sont à la base de
nombreux échanges ; elles permettent la circulation, comme le partage,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
d’informations qui contribuent largement à la constitution de la DFLM.

Ces professeurs d’IUFM se trouvent ainsi à l’interface des recherches en


sciences du langage ou en littérature et des pratiques des maitres. Ils assu-
rent le « traitement » ou la traduction didactique des premières pour les
secondes. De par cette place privilégiée, ils sont également les concepteurs
de guides théoriques et méthodologiques dans le domaine. Ils produisent
massivement des ouvrages de référence, des comptes rendus d’expérience,
des recherches dont la dimension didactique est de plus en plus assumée et
affirmée.

Cette position engendre également des problèmes singuliers. En effet, la


focalisation sur des tendances particulières, des domaines scientifiques privi-
légiés, des références plus ou moins modélisantes de la discipline
« français », provoquent parfois des effets non maitrisés. Il en est ainsi de
l’application directe des principes et méthodes de la grammaire distribution-
nelle, de l’usage des schémas et des superstructures du récit, du recours aux
modèles du sujet lecteur ou scripteur, empruntés tour à tour à la linguistique,
à la narratologie et à la psychologie cognitive, dans des ensembles didacti-
ques « bricolés », plus ou moins cohérents, stables ou provisoires et parfois
éloignés des acquisitions possibles dans les différentes classes de français.

Parallèlement, l’investissement croissant – même s’il est inégal et involontaire


– de l’université dans la formation des maitres fait que cette position privilé-
giée et cette capacité de relais leur sont de plus en plus disputées par les
enseignants de ces universités. Plusieurs phénomènes peuvent être évoqués
face à la redistribution actuelle, ou à venir, de ces compétences en DFLM.
D’un côté la raréfaction des publics d’étudiants de DEA et de maitrise, de
l’autre leur aspiration à rejoindre les carrières de l’enseignement, ont con-
traint les enseignants du supérieur à orienter leur discipline vers leur didacti-
sation. C’était déjà une réalité pour les sciences du langage ; c’est
aujourd’hui une tendance qui s’accentue, en se généralisant à d’autres disci-
plines. Ajoutons à ce phénomène la quasi-disparition des anciens profes-
seurs d’École normale qui ont soit acquis un statut universitaire soit quitté les
IUFM pour réintégrer les établissements du secondaire23.

Autre évolution décisive, la vocation autrefois affichée par ces IUFM de se


constituer comme pôles de recherche, en relation plus ou moins étroite avec

23. On notera bien sûr des différences sensibles d’une académie à l’autre, d’un site universitaire à l’autre. À Grenoble, par
exemple, il n’existe plus de professeur de français issu des anciennes Écoles normales, alors que dans l’académie de
Versailles ils sont encore majoritaires.
190 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

des instituts de recherche, a aujourd’hui disparu. Non que les enseignants-


chercheurs aient abandonné toute perspective de recherche dans leurs
champs disciplinaires respectifs, mais parce que les directives nationales et
locales ont désormais retiré ces fonctions de recherche aux IUFM. Il reste
que les travaux accumulés sur plus de dix années d’existence des IUFM – du
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
moins en DFLM – se trouvent aujourd’hui dilués dans des programmes où
dominent les sciences de l’éducation. Là où, anciennement, les professeurs
d’IUFM de toutes catégories, conseillers pédagogiques, maitres d’accueil,
enseignants, chercheurs, professeurs… pouvaient travailler conjointement à
des recherches en disposant d’heures et de crédits – certes inégalement
répartis –, ils ne peuvent plus aujourd’hui que proposer des recherches sur la
base d’offres floues, et sans qu’une politique d’ensemble puissent vérita-
blement les impulser ou les porter.

De fait, le dernier programme de recherche d’ampleur, associant toutes les


sciences impliquées dans les différents apprentissages scolaires – et donc
les didacticiens de toutes les disciplines – a été lancé par les deux ministères
de l’Éducation et de la Recherche du gouvernement de gauche en avril 2000.
Il s’agit de l’immense programme « École et sciences cognitives », dans
lequel plusieurs équipes des différentes didactiques – dont la DFLM – se sont
trouvés impliquées. Les bilans publiés en avril 2002 et décembre 2003 ont
prouvé qu’une coopération essentielle était possible et pour tout dire indis-
pensable entre les différentes sciences sollicitées. Au-delà de cette entre-
prise d’envergure, l’avenir des recherches en DFLM, et plus largement au
sein des sciences humaines, semble aujourd’hui largement hypothéqué.

D ■ Les lieux d’édition

Concernant ce secteur, nous avons vu se développer plusieurs phénomènes.

Tout d’abord, les universitaires, chercheurs en psychologie ou en linguistique,


se sont impliqués plus directement dans la conception de manuels pour
l’enseignement du français (voir notre § A). C’était une réalité pour
l’enseignement de la grammaire24 selon une tradition déjà ancienne. C’est
dorénavant un fait pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture25, cela
malgré les échecs de transposition de travaux universitaires reconnus dans
les années 1970, comme l’Alfonic d’A. Martinet et ses tentatives de diffusion
d’une méthode de lecture reposant sur les composantes phonologiques du
français.

24. Cf. La nouvelle Grammaire du français de J. Dubois & R. Lagane chez Larousse (1973), L’Enseignement de la langue de
B. Combettes et al. chez Delagrave (1977), ou encore la Grammaire du sens et de l’expression de P. Charaudeau chez
Hachette (1992).
25. Outre la collection de J.-E. Gombert, P. Colé et al. déjà évoquée, d’autres méthodes de lecture ont été auparavant éla-
borées pour l’apprentissage initial : Gafi le fantôme d’A. Bentolila et al. chez Nathan (1991), Mika de G. Chauveau et
al. chez Retz (1993) et Écrit-Livre, Entrer dans l’écrit de J. Fijalkow et al. chez Magnard (1993).
Positions actuelles et évolutions institutionnelles et éditoriales ■ 191

Si l’édition d’articles, d’ouvrages théoriques ou de vulgarisation à l’attention


des enseignants a de tout temps prévalu dans les travaux des universitaires,
en revanche la conception de manuels, de méthodes d’apprentissage pour
les élèves relèvent de leur part d’un effort récent, tout à fait singulier. Dans le
même mouvement, des chercheurs en DFLM – en tout cas ceux qui se sont
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
clairement définis comme tels dans leurs travaux et publications – n’hésitent
plus à publier des manuels pour les élèves26, alors qu’ils se contentaient
auparavant de publier des études, des recherches, des comptes rendus
d’expériences pour les seuls enseignants.

Ensuite, nous constatons une inflation de publications qualifiées de didacti-


ques. Certaines apparaissent comme de simples habillages de travaux
anciennement liés à l’enseignement du français, quand ce ne sont pas des
changements de surface où seuls les titres et les couvertures se trouvent
augmentés du terme didactique. Cette étiquette sert ainsi à définir des ouvra-
ges dont les conceptualisations sont souvent très diffuses, hétérogènes,
empreintes de présupposés théoriques et méthodologiques mal définis, ou
en référence à des concepts apparemment stables alors qu’ils font l’objet de
débats parfois très âpres, comme la transposition didactique (voir les contri-
butions de B. Schneuwly et d’Y. Reuter, infra)

Enfin, nous remarquons une excessive dispersion des savoirs et savoir-faire


liés à la DFLM, notamment dans le champ de l’écriture. Nous voyons ainsi se
déployer des didactiques spécialisées : didactiques de l’écrit ou de l’écriture,
des textes (lus ou produits), de l’oral, de l’orthographe, du vocabulaire, de la
grammaire. Chacune ayant vocation à définir des principes dont on ne peut
toujours trouver l’unité ou le rapport à la didactique du français, ou plus
largement à la didactique des langues et des discours. Il reste que dans ces
publications spécialisées, certaines sont plus importantes que d’autres. La
focalisation récente de la réflexion didactique sur l’enseignement de la littéra-
ture a, par exemple, engendré une multitude de publications : ouvrages de
références, actes de colloques et de journées d’études, articles de revues…
Inversement des objets d’études comme le lexique ont été peu travaillés par
les didacticiens27, sans doute parce que les méthodes et conceptualisations
en lexicologie leur sont encore inaccessibles. Dans d’autres domaines –
notamment sur les pratiques de l’oral –, on voit ressurgir des recherches
éteintes depuis les années soixante-dix. Les colloques et les publications sur
cet oral redécouvert, montre cependant une extrême diversité des appro-
ches, des paradigmes théoriques, des référents scientifiques, et donc la diffi-
culté de mettre en place des méthodologies de recherches spécifiques.

26. Cf. les collections Maitrise de l’écrit – 6e de D. Bessonnat, et al. chez Nathan (1994) ou Expression écrite au Cycle III
de B. Schneuwly & F. Revaz, également chez Nathan (1994).
27. Voir cependant l’ouvrage princeps de J. Picoche, Didactique du vocabulaire français, Paris, Nathan Université, 1993 ;
et l’ouvrage collectif dirigé par É. Calaque & J. David, Didactique du lexique : contextes, démarches, supports, Bruxel-
les, De Boeck Université, 2004.
192 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

Sur un autre plan, nous relevons des manques, des zones d’ombres, des
domaines encore impensés ou peu travaillés. Il s’agit notamment de l’articu-
lation de la réflexion didactique aux recherches en sociologie. Certes des
passerelles, des échanges ont été tentées et le sont encore aujourd’hui28,
mais nous sommes encore loin d’observer une réciprocité des échanges
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
analogues à celle que la DFLM obtenu avec la linguistique ou la narratologie
dans un premier temps, avec la psychologie du langage dans un second
temps.

Enfin, il faut bien constater que l’accroissement des ouvrages, articles, cédé-
roms, dont les différents chapitres du présent volume se font l’écho, masque
en réalité un malaise profond, un malaise qui affecte le secteur éditorial des
sciences humaines en général et des sciences liées à la DFLM en particulier.
Si nombre de revues existent encore, elles ne font généralement que survivre
dans un contexte économique qui raréfie leur diffusion. Si de nombreuses
collections ont vu le jour dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix,
leur avenir est aujourd’hui suspendu à des politiques éditoriales dominées
par des restructurations et des choix financiers peu propices à leur essor.

Sur plus de vingt ans, les recherches en DFLM se sont développées


considérablement : elles ont montré leur efficacité dans des secteurs de
décision clés, qui concernent autant les politiques éducatives que les politi-
ques linguistiques. À l’avenir, et parce qu’elles y sont aujourd’hui contraintes,
il leur faudra assurer leur diffusion pour influer les choix plus largement
sociaux et culturels de ces mêmes politiques.

28. Voir notamment les travaux conduits par les équipes « ESCOL » animées par É. Bautier, B. Charlot et J.-Y Rochex, ou
encore les enquêtes et analyses conduites par B. Lahire, mais là encore les développements didactiques de ces recher-
ches sont corollaires ; les premiers adossent leurs travaux aux sciences de l’Éducation, le second inscrit ses études en
sociologie.
12
Au carrefour
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
des métiers
d’enseignant,
de formateur,
de chercheur
Dominique BUCHETON1

A ■ Un débat largement ouvert

S’interroger sur les rôles des différents acteurs : enseignants, formateurs,


chercheurs, dans le champ de la didactique du français langue maternelle,
amène à poser toute une série de questions auxquelles il est bien difficile de
répondre de manière tranchée et assurée. En effet, si le champ de la DFLM,
son objet, ses finalités sont aujourd’hui institutionnellement à peu près recon-
nus, les rôles spécifiques, complémentaires ou interactifs des différents pro-
tagonistes du champ ne font pas, eux, l’objet d’un consensus, loin s’en faut.
Le débat est largement ouvert. Il est complexe et porte sur des questions qui
s’entrecroisent et se nourrissent les unes les autres. Examinons-les briève-
ment pour dresser le décor.

1. Remarque préliminaire : le texte qui suit date de 1995. Il faisait un état des lieux de la place que jouaient les différents
protagonistes de la discipline pour accompagner ses nécessaires mutations. Il pointait les nouveaux chantiers, possibles
ou déjà ouverts. Sa relecture aujourd’hui, huit ans plus tard, révèle des avancées importantes, des changements dans le
regard porté sur la discipline, dans les manières de la questionner, mais souligne aussi les questions récurrentes sur les-
quelles nous piétinons. Il paraissait donc intéressant de ne pas modifier ce texte mais simplement de souligner de quel-
ques commentaires le parcours accompli.
194 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

1 Un débat banal,
inévitable en termes de places institutionnelles

La tentation est inévitable de définir le champ des compétences de chacun


en termes de positions institutionnelles. Cette perspective ne peut qu’aug-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
menter les malentendus déjà largement installés (« Qui es-tu ? Pour qui te
prends-tu pour me dicter ce qui est bon pour ma classe ? » Et, inversement :
« Qui es-tu ? Pour qui te prends-tu pour oser ériger en théorie des faits
observés localement ? »). La DFLM a mis quinze ans, voire plus, pour com-
mencer à exister institutionnellement à l’université. Progrès important qui
n’est pas sans inconvénients cependant. Certes, il est plus facile aujourd’hui
de conduire des recherches en didactique du français : les thèses, DEA ou
mémoires de maîtrise contribuent à l’objectivation et l’analyse de problèmes
particuliers, développent des savoirs sur la didactique. Mais ces travaux,
aussi riches soient-ils, ne sauraient nous faire oublier que la réussite dans la
conduite d’une classe dépend aussi de toute une série de paramètres diffi-
cilement isolables et mesurables et que le savoir expérienciel des ensei-
gnants peut être tout autant déterminant. C’est pourquoi opposer de manière
dichotomique, comme on l’entend parfois dans certains discours, les didac-
ticiens d’une part, les praticiens et formateurs de l’autre, n’est pas souhai-
table pour l’avenir même de la DFLM2. L’échange, posé en ces termes, n’a
plus d’intérêt ni pour les uns ni pour les autres. Il devient simplement
hiérarchique. De plus, on aperçoit alors très vite qu’il ouvre la voie à une nou-
velle dérive : l’éclatement de la didactique du français. Les didacticiens,
dégagés du souci gênant de la cohérence, de la cohésion et de la mise en
scène du savoir dans la classe, c’est-à-dire de la construction du sens des
apprentissages pour et par les élèves, peuvent subdiviser le champ en autant
de micro-objets de recherche : didactique de la grammaire, didactique de
l’écriture, didactique de la littérature, et pourquoi pas du discours explicatif,
de la description ou de la ponctuation ! C’est une conception autre de la
didactique et du didacticien qu’on défendra dans cet article3.

2 Un débat nécessaire
sur les valeurs et les finalités de la DFLM

En fait, lorsqu’on observe les recherches et pratiques qui se sont


développées ces dernières années, leur diversité, leur évolution, on est
frappé de voir que derrière tout cela un autre débat a lieu qui rend visibles les

2. Ce serait nier l’histoire même de la constitution de ce champ. En France, une grande partie des didacticiens de français
viennent du terrain de la classe et de la formation ou de groupes de recherche, où enseignants, chercheurs et formateurs
confrontent leurs analyses.
3. Plus de dix ans de travail des acteurs de la didactique, côte à côte dans les IUFM, ont en France fortement modifié ces
relations institutionnelles. Les coopérations nécessaires aujourd’hui pour analyser en formation les pratiques des stagiai-
res ont permis de croiser les regards, les savoirs théoriques ou professionnels des uns et des autres. Les travaux qui se
développent actuellement sur les pratiques réelles, ordinaires, « commandées », ou préparées par les chercheurs renfor-
cent encore la nécessité de collaborations.
Au carrefour des métiers d’enseignant, de formateur, de chercheur ■ 195

enjeux institutionnels, idéologiques, sociaux sous-jacents à toute prise de


position, fût-elle théorique. Lorsqu’aujourd’hui certains (dont je suis)
défendent l’idée qu’il faut laisser plus de place à l’approche de la littérature
en maternelle et à l’école primaire, qu’il faut l’aborder autrement en collège et
en lycée professionnel, qu’il ne faut pas en faire un enseignement à part, ce
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
sont des valeurs, des choix idéologiques qui sont discutés4. Tout aussi
idéologiques étaient les positions des Genevois qui, il y a quelques années,
posaient avec force et à juste titre la nécessité de faire entrer dans les classes
le langage dans toute la variété des pratiques sociales. C’est donc bien les
finalités idéologiques de la DFLM qui sont ici toujours en discussion. Notre
discipline, comme l’ont suffisamment montré dans leurs analyses historiques
A.-M. Chartier et J. Hébrard, semble ne pas pouvoir y échapper ! Comment,
en effet, poser la question du sens telle qu’elle apparaît très fortement dans
la plupart des débats, sans poser conjointement celle des valeurs qui con-
struisent le sens ? Cette question a fait l’objet d’un colloque international de
l’association en 19985. Pour autant elle reste un objet insuffisamment travaillé
du point de vue de la recherche. Cette question des valeurs, véhiculées par
nos objets de travail, par les pratiques les mettant en scène, est insuffisam-
ment problématisée, dans la formation et la recherche. Elle est probablement
un des obstacles majeurs pour la transformation des pratiques

3 Des questions épistémologiques

On ne peut pas non plus éviter les questions plus directement épisté-
mologiques sur lesquelles nous avons grand besoin d’approfondir collective-
ment la réflexion. Elles portent notamment sur :
– la nature des savoirs enseignés (que discute ici même B. Schneuwly) ;
– la manière dont certains savoirs théoriques sont sélectionnés, ou carré-
ment laissés de côté sur la façon dont ils sont reconstruits, hiérarchisés,
divisés et par qui ;
– les grandes cohérences ou les artefacts de cohérence6 qui les organisent.
Peut-on ainsi, aussi facilement que dans d’autres disciplines, percevoir
les grands soubassements théoriques qui servent de matrice disciplinaire
à toutes nos constructions didactiques ? (Est-ce la réflexion parfois un
peu fermée sur la typologie des textes ? La problématique déjà plus
ouverte de l’hétérogénéité discursive ? Est-ce le champ plus vaste et inté-
grateur de la communication ?)
– ce qu’on entend exactement derrière la formule : « maîtrise de la
langue » ;
– la gestion du rapport compréhension-interprétation ;

4. La littérature, dans cette perspective, est envisagée comme un vecteur identitaire et culturel puissant qui permet à l’enfant,
à l’adolescent de se trouver des repères, de s’intégrer dans le monde en y jouant des rôles fictifs ; elle sert d’interprétant,
de filtre par lequel le monde est lu. Elle est en même temps le lieu de toutes sortes de positionnements énonciatifs, un
espace où le langage joue.
5. Quels savoirs pour quelles valeurs, Bruxelles, 1998 (textes édités par G. Legros, M.-C. Pollet & J.-M. Rosier.
6. E. Nonnon montre comment la « cohérence typologique malgré son modernisme peut se greffer sur une pratique
ancienne qu’elle conforte et légitime », Recherches, n° 20, « Enseignement et cohérence », 1994.
196 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

– la nécessité de rendre compte du fait que tout, ou presque, dans la disci-


pline passe par des médiations langagières intérieures ou « extérieures » :
les savoirs, les modes de pensée et d’action ;
– les savoirs enseignés en français : sont-ils aussi aisément objectivables et
isolables que dans d’autres disciplines (les Instructions officielles, si elles
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
ont toujours été explicites sur l’enseignement de la grammaire de la
phrase, restent encore aujourd’hui très évasives et confuses en matière
d’enseignement de l’écriture) ?

Sur aucune de ces questions, il n’y a aujourd’hui de consensus ni chez les


chercheurs, ni chez les praticiens. Elles nécessitent un travail collectif. Toutes
ces problématiques restent aussi vives, même si les divers colloques de ces
trois dernières années, montrent des avancées importantes.

4 La question du rôle des acteurs du champ

Une autre question, que le sujet même de cette contribution pose inévitable-
ment, est de se demander qui participe à l’élaboration des savoirs didacti-
ques. Est-ce :
– celui qui, en laboratoire, à l’école, à l’hôpital, dans la famille, dans les
bibliothèques ou ailleurs observe les élèves, produit de nouveaux savoirs
sur la lecture, l’écriture, les textes, les activités orales ?
– celui qui met à jour, transpose, découpe, structure, planifie les savoirs en
fonction des différents niveaux, qui fabrique des instructions, des pro-
grammes, des manuels, des outils d’évaluation ?
– celui qui se demande pourquoi ces savoirs si savamment découpés,
adaptés, enseignés ne sont pas acquis par certains élèves, ou restent
parfois morts, non mobilisables, ni transférables ?
– celui qui cherche à repérer et théoriser, dans les situations didactiques
mises en place, les paramètres à manipuler pour gagner en efficacité
(choix des objectifs de savoir, des thèmes, des textes, des situations de
communication, des types d’interactions verbales mises en place, de la
durée des séquences, etc. ; choix complexes qui vont rendre possible
l’objectivation puis l’intégration des savoirs visés) ?
– celui qui, dans l’espace clos de sa classe, observe très attentivement ses
élèves, cherche à comprendre d’où ils viennent, où ils vont, la nature des
obstacles langagiers, culturels, cognitifs ou sociaux qu’il leur faut surmon-
ter. Qui alors bricole, construit une situation pédagogique très évolutive et
en prise avec les réactions des élèves ? Qui, année après année, classe
après classe, construit des savoirs d’expérience, tout à fait essentiels ?
– ou encore celui qui se trouve dans une position circulante lui permettant
de faire l’état des lieux des pratiques pédagogiques en usage. Qui ainsi
mesure au quotidien les écarts entre les discours institutionnels de quel-
que origine qu’ils soient et le réel des classes ?
Au carrefour des métiers d’enseignant, de formateur, de chercheur ■ 197

On aura reconnu, dans la liste non close qui précède, des positions institu-
tionnelles différentes, des acteurs travaillant dans des métiers voisins. Cha-
cun contribue de manière variée au développement des savoirs, eux-mêmes
hétérogènes, qui constituent le champ. S’agit-il de didactique dans tous les
cas ? Discutons-en. Aux différentes questions qui ont été posées en guise de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
décor, chacun donnerait des réponses différentes. C’est cette variété des
analyses, des problématiques, cette coconstruction des savoirs qui a permis
à la DFLM de se constituer en tant que champ. C’est cette ouverture du dia-
logue qu’il est nécessaire de développer, non pas pour s’autojustifier en tant
que champ ou en tant qu’acteur de ce champ, mais beaucoup plus parce
que c’est la seule manière de répondre de manière raisonnable aux questions
complexes qui sont posées.

Mais, développons un peu plus les postulats qui sous-tendent la conception


de la didactique qui sera ici défendue. Certains chercheurs définissent la
didactique comme un « champ de savoirs », d’autres la pensent plutôt
comme une ingénierie. J’essaierai pour ma part de déplacer un peu cette
opposition, en posant comme tout à fait centrale, la question du sujet.

B ■ Postulats pour une DFLM centrée sur le sujet


et son rapport au langage et aux textes

Pourquoi ces postulats que certains trouveront peut-être un peu utopiques ?


Tout simplement parce qu’il est difficile de bâtir ensemble une maison si on
n’a pas une idée précise d’une part du plan, mais aussi des usages du bâti-
ment, ainsi que des contraintes du terrain sur lequel on va la construire. La
co-construction de la DFLM mérite ce petit arrêt.

1 Premier postulat : l’ancrage social de l’action didactique


et les choix nécessaires

La DFLM est (devrait être !) au cœur des pratiques sociales. Elle est
nécessairement dans l’action sociale. Si on veut « agir » sur le développe-
ment de l’élève, l’aider à transformer, construire son rapport au langage, à la
culture, au savoir, à son identité, bref à son expérience, on ne peut faire l’éco-
nomie d’une réflexion éthique sur les finalités et les effets de notre action
éducative. Veut-on rendre les apprenants conformes, standards, dépendants,
ou les aider à devenir des individus particuliers, libres et créatifs. La question
peut paraître simple, voire simpliste ! Impossible pourtant d’y échapper dès
lors qu’on réfléchit au rôle que joue l’école dans la transmission de normes
langagières et culturelles. Vieux débat qu’A. Touraine pose au centre de sa
réflexion sur la modernité7 et qu’on retrouve implicitement sous toutes sortes

7. A. Touraine (1994), Critique de la modernité, Paris, Fayard.


198 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

de discussions qui, dès lors qu’il s’agit de l’école, deviennent très vite pas-
sionnées. La décision d’imposer une liste réduite et précise d’œuvres littérai-
res au programme du baccalauréat a ainsi fait beaucoup polémiquer : allait-
on pouvoir faire entrer tous les élèves dans le même moule culturel étroit ?
L’épreuve en serait-elle plus démocratique, etc.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
Ce double et difficile ancrage social et individuel de l’action didactique ainsi
que sa dynamique sont gommés dans la modélisation bien connue du
« triangle didactique », modélisation qui a cependant l’immense mérite de
poser conjointement le maître, l’élève et les savoirs ! Le modèle est
aujourd’hui insuffisant et d’une certaine façon dangereux, ce que soulignait
déjà M. Dabène au colloque de Montréal, en 1992.

L’enseignant est au quotidien dans l’action. Sur le terrain, chaque jour, il lui
faut inventer, adapter, cuisiner de fines stratégies. Le public des collèges a
évolué, celui des lycées aussi. Les pratiques de classe se transforment dans
cette immédiateté de l’action et dans l’urgente nécessité de répondre aux
questions nouvelles que les mutations rapides de la société apportent. La
DFLM se trouve nécessairement dans ce bricolage permanent (l’idée n’est
pas nouvelle !). Ce qu’on pourrait davantage souhaiter – et c’est le rôle de la
formation d’en donner les moyens – c’est que ces bricolages soient assis sur
des principes et des choix didactiques objectivables et contrôlables, donc
révocables au besoin.

On constate d’ailleurs en retour que ces bricolages sur le terrain, dans le réel
des classes, interrogent les cadres théoriques, modifient ou nuancent des
affirmations théoriques, parfois trop rapidement érigées en principe didacti-
que, et amènent de nouvelles questions. J’en donnerai ici quelques-unes qui
viennent d’observations d’attitudes et pratiques d’écriture d’élèves dans des
classes très diverses de collège, et lycées professionnels.
– Faut-il ainsi s’appuyer aussi fortement sur le développement méta-
linguistique, la rationalité analytique de la logique formelle comme les
modèles didactiques à dominante cognitive le préconisent massivement
ces dernières années ? Dans des classes en très grandes difficultés, ces
stratégies ne semblent pas très efficaces. Ne vaut-il pas mieux, dans cer-
taines circonstances, par divers biais, prendre le temps de redonner du
sens, redonner l’énergie et le désir d’apprendre à ces élèves, prendre en
compte le vécu social, affectif et aider ces élèves à le mettre à distance,
par le langage, la lecture littéraire ou l’écriture par exemple8 ?
– Comment déclencher le « travail du langage sur le langage » qui se pro-
duit dans et par la réécriture, autrement que par l’objectivation analytique
et critériée du texte déjà écrit ? Quelle part faire jouer au ludique, aux
« jeux » de langage ?
– Quels modes de travail pédagogique privilégier, quelles attitudes péda-
gogiques adopter par le professeur : une tutelle forte ? très souple ? un

8. D. Bucheton (1995), Écriture, réécritures, récits d’adolescents, Genève, Peter Lang.


Au carrefour des métiers d’enseignant, de formateur, de chercheur ■ 199

rôle de simple conseilleur ? de correcteur ? de personne ressource ?9


Quelles situations d’interactions verbales mettre en place, sur quels
objets et pour quelles finalités ? Sur ces questions, la réflexion issue des
courants de la sociologie, comme de la psychologie sociale (cf. les tra-
vaux de Lesne, Ferry, Isambert-Jamati, Monteil, Perret-Clermont, Perre-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
noud, Alté10…) est déjà bien avancée. Elle permet de mesurer les enjeux
didactiques que les diverses situations d’interactions verbales peuvent
faire travailler.

Dans cette urgence de l’action pédagogique11, émergent donc de nouveaux


problèmes jusque-là insoupçonnés et en même temps naissent des solu-
tions. Et ainsi, parce qu’elle est dans l’action qui l’amène à se poser sans
cesse de nouvelles questions, la DFLM produit de nouveaux savoirs.

Mais, pour comprendre l’évolution des questions soulevées ou à la mode, il


faut aussi prendre en compte le fait que la DFLM se trouve et s’est trouvée au
cœur de bouleversements culturels et idéologiques, au cœur de change-
ments de paradigmes interprétatifs, mais aussi au cœur de changements
qualitatifs importants dans les pratiques sociales de lecture et écriture dont
elle traite12. Elle subit directement dans ses objets et supports d’enseigne-
ment, les savoirs et valeurs qu’elle véhicule et transmet, le choc de l’histoire !
Elle est aussi un champ de connaissances en plein « chantier » dont les
savoirs, les modèles théoriques de référence ont subi ces quinze dernières
années des bouleversements considérables. Les transformations sont
rapides. On peut même constater, avec beaucoup d’inquiétude, la manière
dont certaines des pratiques d’évaluation mises en place ces dernières
années (référentiels divers, cahiers d’évaluation de fin de cycle) traduisent la
perméabilité du système éducatif à des modes de pensée, des logiques
économiques et politiques en apparence pourtant, bien extérieures à la disci-
pline13.

Pour ces quelques premières raisons, on postulera donc que les divers
acteurs de la DFLM pourraient avoir, en effet, bien des choses à discuter
ensemble : des responsabilités sociales, des choix idéologiques et théori-
ques. Choix à discuter, à objectiver et à assumer. Cet ancrage « social » de la

9. D. Bucheton (éd.) (1997), Conduites d’écriture au collège et LP, CRDP, CNDP de Versailles.
10. M. Alté (1994), « Note de synthèse : “Comment interagissent enseignant et élèves en classe ?” », Revue francaise de
pédagogie, n° 107.
11. Ainsi, lorsqu’on s’est mis à travailler sur les chaînes de co-référence qu’on supposait mal repérées en lecture, on a décou-
vert que les élèves non seulement ne reconnaissaient pas les personnages lorsqu’ils étaient désignés différemment, mais
en plus qu’ils n’identifiaient pas les relations entre les personnages, et pas davantage leur appartenance à des
« mondes » différents. De ce fait, ils ne décryptaient pas les valeurs et les significations symboliques dont ils étaient
dotés ; la construction des significations qui se situaient à des niveaux de lecture différents, nécessitait donc la levée de
plusieurs obstacles qui n’ont été repérés que progressivement.
12. L’entrée ou non dans l’usage des nouvelles technologies de la communication pourrait bien générer assez rapidement de
nouveaux clivages sociaux.
13. Ce que montrent F. Ropé et L. Tanguy dans Savoirs et Compétences, 1994, Paris, L’Harmattan.
200 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

didactique du français a fait dans notre champ relativement l’objet de peu


d’études.

2 Deuxième postulat :
la DFLM traite du langage et donc du « sujet »
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
Le lien étroit entre le « sujet » (un sujet scolaire avec une histoire sociale,
familiale, scolaire particulière) et le langage n’est plus à démonter14. Ce lien
est sans doute si évident qu’il semble avoir été un peu oublié. Il est vrai que
ce n’est pas une donnée facilement manipulable. Elle semble pourtant tout à
fait fondamentale dès l’instant où l’on cherche à comprendre pourquoi, par
exemple, les savoirs enseignés inlassablement en français ne sont pas inté-
grés chez de nombreux élèves. La didactique « moderne » s’appuie pourtant
très fortement sur l’idée reprise de L.S. Vygotsky qu’on n’enseigne pas le lan-
gage et ses formes culturelles, mais qu’on donne la possibilité à l’élève de se
les « approprier », de les « reconstruire » en les « réinventant », ou les
« réinterprétant » à sa manière. Mais, penser ainsi le sujet et son rapport au
langage comme point d’ancrage central de la didactique du français n’est
pas simple. Cela amène à poser trois conditions qui sont loin d’être en usage
dans les classes :

2.1 Prendre en compte l’hétérogénéité psycho-socio-culturelle


des élèves15 pour permettre la construction du sens des savoirs

En didactique du français, la question ne se pose pas seulement en termes


d’analyse des prérequis de savoir, de contrats didactiques à négocier, ou de
remédiations à des manques (cahiers d’évaluation officiels) ; la question
première est de repérer d’abord quel sens les élèves donnent aux savoirs16,
aux conduites langagières diverses (expliquer, argumenter, raconter, com-
menter, résumer). Quel sens scolaire, quel sens social, quel sens pour eux,
adolescents en train de se construire, de se « repérer » ? Je prendrai deux
exemples à propos de l’enseignement de l’argumentation.
– Le premier se situe dans une classe de 4e d’aide et de soutien (ex-Classe
préparatoire de niveau rebaptisée). Pour ces élèves, donner un point de
vue personnel, c’est trahir le groupe, la bande qui est leur dernier refuge.
Leur identité personnelle a du mal à se dissocier de l’identité collective :
ils veulent bien parler, discuter mais seulement en groupe dans un brou-
haha confus ; à l’écrit, ils déclarent n’avoir « rien à dire ». Comment faire

14. Cet intérêt pour le sujet élève et son activité, et pas seulement pour les objets enseignés, s’est progressivement déve-
loppé dans nos recherches à partir des années 1997 à partir notamment du colloque : Pratiques enseignantes – activité
de l’élève dans la classe de français, Montpellier, 1997. L’étude de cette activité du sujet élève (lisant parlant, écrivant)
dépasse aujourd’hui le cadre strict de la classe de français, voir D. Bucheton & J.-C. Chabanne (éds) (2002), Parler et
écrire pour penser, apprendre et se construire, l’écrit et l’oral réflexifs, Paris, PUF.
15. C’était la thématique du 5e colloque international de didactique du français langue maternelle de Montréal, mai 1992 ;
voir M. Lebrun & M.-C. Paret (éds) (1993), L’Hétérogénéité des apprenants. Un défi pour la classe de français, Neuchâ-
tel-Paris, Delachaux et Niestlé.
16. B. Charlot, E. Bautier & J.-Y. Rochex, (1992), École et savoir dans les banlieues… et ailleurs, Paris, A. Colin.
Au carrefour des métiers d’enseignant, de formateur, de chercheur ■ 201

pour objectiver, voire déconstruire ces conduites langagières de protec-


tion, et pourquoi ? Cherche-t-on à leur inculquer un savoir rhétorique
savant ou un savoir plus complexe qui prendra en compte leurs pratiques
sociales et leur permettra de les dépasser ou de les complexifier. Pour
l’enseignant, s’agit-il de mettre en place des « savoirs », ou s’agit-il
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
d’aider ces élèves à construire, par la parole, leur espace propre d’exis-
tence, de les aider ainsi à affirmer un « JE » particulier qui parle, pense,
écrit, sans lequel il n’est guère possible d’envisager d’enraciner un quel-
conque désir d’apprendre ?
– Autre exemple, presque inverse : une classe de 3e, considérée comme en
difficulté, en Zone d’éducation prioritaire, porte d’Italie, à Paris. Quatre
élèves seulement ont le français comme langue maternelle, ce sont des
élèves à peu près du même âge mais qui n’ont pas du tout le même rap-
port à l’école. Ceux-là viennent des quatre coins de la terre et croient à
l’école comme seule branche de salut. Ils sont désireux de réussir scolai-
rement, très dociles et de bonne volonté, mais ils refusent de communi-
quer entre eux et se méfient les uns des autres, tant les ethnies sont
différentes et les cultures non partagées. Comment alors, construire des
conduites d’argumentation qui ne soient pas seulement formelles,
« cognitivement », « linguistiquement », « scolairement » correctes. Quelle
intériorisation, quelle intégration culturelle de ces pratiques scolaires, quel
usage social feront-ils de ces « formes » apprises ?

La question, on le voit, n’est pas simple : il s’agit bien d’une certaine façon,
dans les deux cas, de déconstruire des systèmes de protection et d’interac-
tion socialement appris pour les ouvrir à d’autres formes de socialisation,
d’autres usages du langage et de la pensée, sans pour autant mettre en dan-
ger leur identité culturelle, aussi instable soit-elle.

2.2 Penser dialectiquement la singularité !

Autre nécessité et non la plus facile à gérer. On touche probablement là la


spécificité de la didactique du français évoquée plus haut : aider au dévelop-
pement d’individus que l’on souhaite différents, à l’émancipation de leur
forme de pensée, de leurs formes d’expression lesquelles, quoique haute-
ment socialisées, ne doivent pas être standardisées. C’est ainsi que se pose
en didactique du français la question du sujet, non un sujet seulement cogni-
tif mais un sujet de chair et d’émotions qui existe dans la classe et dans la
vie. Cet équilibre entre la nécessité d’enseigner des savoirs à tout un groupe
et l’autre, aussi importante, de trouver les situations, les conditions, qui per-
mettront l’intériorisation, la mise à distance et l’appropriation particulière de
ces savoirs, est difficile à trouver. La professionnalité de l’enseignant est là.

Si le chercheur ou le formateur peut contribuer à clarifier, à objectiver les


savoirs à enseigner et les principes didactiques qui président à l’invention et
à la mise en place des situations scolaires, l’observation attentive par le prati-
202 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

cien de sa classe, de ses élèves, de l’établissement est essentielle pour la


« mise en scène » des savoirs. Celle-ci est toujours particulière si on veut
qu’ils aient du sens pour l’élève.

Cette plongée vers la singularité des sujets scolaires, des classes, des étab-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
lissements, est indispensable. Elle nécessite une formation sérieuse des
enseignants. Elle nécessite surtout qu’on peaufine les outils d’analyse17 qui
permettent de rendre compte des productions langagières des élèves, de ce
qu’ils disent et comment ils le disent, de ce qu’ils font ou ne font pas avec le
langage et non seulement des écarts de leurs productions avec diverses
normes formelles18.

2.3 Penser les situations d’enseignement


comme des situations d’échange, des situations de parole
(ce qui est différent d’enseigner la communication)

C’est la troisième condition à poser si on veut parler d’une didactique centrée


sur le sujet. Utilisons une comparaison : donner naissance à un dinosaure
avec le programme génétique retrouvé dans un vieil os est biologiquement
impossible. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’on ne peut pas retrouver
de « mère porteuse », d’ovule de dinosaure, riche en informations génétiques
cytoplasmiques pour piloter le développement de la cellule. Autrement dit le
vivant, le développement, est une chaîne aux maillons entrelacés. On ne peut
l’interrompre sans risque. On peut ainsi faire l’hypothèse que la transmission
du langage et de la culture obéit aux mêmes lois d’échange. Le maître
apporte (importe ?) par des biais divers du savoir, de la culture, des formes
linguistiques. L’élève lui aussi vient avec son capital culturel et linguistique.
Pour que l’information nouvelle apportée par le maître « prenne », devienne
du langage, de la vie, il est nécessaire qu’elle reçoive en retour les informa-
tions du milieu, qu’elle les traite, les incorpore. Selon les « matrices », les
« milieux », la même information prendra des formes différentes. C’est cette
chimie de la classe, la nature et les conditions du mélange que nous ne con-
naissons pas bien. On peut penser qu’une de ces conditions est la parole et
l’écoute partagées dans l’action didactique. La recherche en DFLM aurait
tout intérêt à observer ces différentes « soupes didactiques », au noble sens
du terme, à essayer de les décrire, de les comprendre. On commence un peu
à le faire, mais timidement.

Ces trois conditions, hâtivement listées, montrent bien la complexité de la


situation didactique.

17. Dans ce domaine de l’analyse des productions écrites et orales des élèves, nous n’en sommes probablement qu’aux
balbutiements ; les logiques d’experts, ou les modèles textuels sur lesquels la plupart des outils d’analyse ont été cons-
truits ne permettent pas de décrire suffisamment les tâtonnements langagiers des novices.
18. Voir l’ouvrage co-écrit par J.-C. Chabanne, D. Bucheton et une équipe d’enseignants, Écrire en ZEP, un autre regard sur
les écrits des élèves, Paris, Delagrave, 2002. Nous avons cherché à élaborer de nouveaux instruments d’évaluation de
l’écrit. Voir aussi l’ouvrage dirigé par C. Fabre-Cols, Apprendre à lire des textes d’enfants, Bruxelles, De Boeck & Ducu-
lot, 2000.
Au carrefour des métiers d’enseignant, de formateur, de chercheur ■ 203

C ■ La situation didactique en français :


complexité, spécificité
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
1 Penser ensemble l’interaction de paramètres hétérogènes

Quels que soient les objets ou les activités auxquels elle s’intéresse, la DFLM
doit affronter la complexité, l’hétérogénéité. Les diverses composantes
qu’elle manipule en permanence (les actes de langage, les savoirs qu’ils per-
mettent de construire, le degré d’implication du sujet, les valeurs qu’ils véhi-
culent, les thèmes discutés, les objets et textes culturels, etc.) ne
fonctionnent dynamiquement qu’ensemble. Continuer l’exploration de cha-
cune des composantes est nécessaire mais il nous faut aussi penser l’articu-
lation, l’interaction d’ensemble de ces paramètres hétérogènes, multiples et
spécifiques qui constituent la situation didactique de français et sa
dynamique. On fera remarquer au passage la difficulté, voire le danger, de
plaquer sur l’enseignement du français un modèle général de la situation
didactique19 renvoyant à une sorte de « didactique générale » qui remplace-
rait la défunte psychopédagogie. En effet, le statut des savoirs, leur nature,
leur mode d’objectivation ou de transfert, le type de rationalité qu’ils font
exister varient trop d’une discipline à l’autre. Dès la maternelle, la didactique
du français met en jeu des objets complexes et ne fonctionne que dans la
globalité des opérations de compréhension et d’interprétation nécessaires.

2 Bilan succinct

Cela dit, où en sommes-nous dans l’analyse des composantes de la situation


didactique en français ? L’enseignant de base qui veut se donner la peine de
suivre l’actualité théorique constatera :
– une expansion importante du champ des savoirs sur les textes et les dis-
cours, sur les processus d’acquisition de lecture et d’écriture, sur
l’orthographe ;
– depuis 1995, sur la question de l’oral, les travaux ont été considérables,
les publications nombreuses tant sur la question de l’oral objet d’ensei-
gnement que sur celle de l’oral pour apprendre ;
– plus récemment, sur la littérature, nous constatons que le chantier est
bien ouvert. Plusieurs journées d’étude ont mis en évidence la nécessité
de théoriser ce que pourrait être une lecture littéraire scolaire qui s’appuie
aussi sur la lecture privée. La question de la littérature et de son enseigne-
ment pose en arrière plan une question plus large : penser la didactique
du français dans une anthropologie culturelle plus générale où le dévelop-
pement de gestes culturels dépasse le cadre strict de la classe et de

19. Il se dessine dans les thèses de J.-P. Astolfi défendues dans Enseigner pour apprendre, Paris, ESF, 1992, ou dans celles,
plus proches de notre réflexion par la dimension éthique de l’enseignement qui y est introduite, de M. Develay dans De
l’apprentissage à l’enseignement, Paris, ESF, 1992.
204 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

l’enseignement et donc la participation d’acteurs autres que ceux de


l’école ;
– beaucoup de discours critiques, mais aucune présentation véritablement
satisfaisante du (des) système(s) de la langue et des discours, des fonc-
tionnements en texte, qui puisse remplacer les « grammaires scolaires ».
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
On piétine encore pour construire une vision scolarisable, un peu panora-
mique et en même temps étagée des usages et fonctionnements divers
du langage. D’où le très grand malaise des enseignants sur ces questions
et leur repli prudent sur la grammaire traditionnelle de la phrase.

Le bilan du côté de la clarification des savoirs à enseigner n’est pas maigre


quoiqu’un peu divers et éclaté. On a en effet précisé, objectivé mais aussi
multiplié des savoirs parcellaires : le texte explicatif, le statut de l’exemple, le
personnage, la description, le rôle et le statut des didascalies dans le texte
théâtral, pour ne donner que quelques types d’objets travaillés sur une liste
qui ne cesse de s’allonger. La transposition didactique de ces savoirs nou-
veaux et leur insertion dans des programmes ou progressions ne sont cepen-
dant la plupart du temps qu’à peine pensées.

On a aussi beaucoup avancé dans la théorisation des divers angles d’attaque


possibles de la tâche didactique (à partir de modèles plutôt cognitifs ou plu-
tôt psycho- ou sociolinguistiques, ou plus directement issus de certains cou-
rants littéraires). Mais ces modèles théoriques ne sont pas des modèles
didactiques. Ils ont certes donné de la visibilité aux composantes de la situa-
tion didactique en français. La tâche des formateurs, bien difficile, c’est
d’arriver à théoriser l’ensemble (les théories des textes et discours, les théo-
ries de l’apprentissage, les théories de l’agir communicationnel, les théories
du sujet…), et de montrer qu’elles ne sont pas contradictoires, mais souvent
complémentaires, alternatives, interactives.

Il reste donc à croiser, « cuisiner », approfondir et nuancer ces approches,


ces modèles apportés par les théories de référence. Il s’agit maintenant de
rendre vraiment compte de la complexité, de la diversité et de la spécificité
de la situation didactique en français et tenter d’y introduire des composan-
tes encore relativement peu travaillées dans les recherches qu’on peut lire.
Ce n’est pas ici le lieu d’en faire l’inventaire, on se contentera de définir quel-
ques axes de recherche où l’étroite collaboration des praticiens, des cher-
cheurs et formateurs pourrait s’avérer très fructueuse.

3 Questions en chantier

Pris dans la passion et l’invention d’une recherche didactique pour l’essentiel


prescriptive, on ne s’est encore qu’assez timidement préoccupé (exception
faite pour la maternelle ou l’école élémentaire) de la manière dont l’élève intè-
gre les savoirs sur la langue, le langage et les textes avec le « déjà-là » cons-
truit familialement et socialement ; de la spécificité de ces approches en
Au carrefour des métiers d’enseignant, de formateur, de chercheur ■ 205

fonction de l’âge, du cycle d’enseignement, du milieu social où ils sont ensei-


gnés ou simplement de l’histoire scolaire des élèves. On ne trouve qu’assez
peu posée non plus dans les recherches la question du temps nécessaire à
l’intégration des savoirs (or le temps est un paramètre essentiel de la situa-
tion pédagogique). Enfin, le cloisonnement disciplinaire, y compris dans les
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
champs de recherche universitaire, nous empêche de penser le français
comme vecteur des apprentissages dans les autres disciplines. La question
du transfert des compétences dans d’autres situations didactiques que cel-
les de la classe de français n’est qu’assez peu souvent envisagée. Analysons
un peu plus ces trois questions.

3.1 De la nécessité de penser conjointement le développement,


l’enseignement et l’apprentissage

La séparation, encore trop forte des champs d’analyse de la littérature, de la


linguistique et de la psychologie, nous empêche de penser didactiquement
ces trois pôles pour construire un modèle intégrateur et dynamique qui per-
mettrait, par là même, de penser les processus d’intériorisation des savoirs
(et qui poserait l’évaluation en d’autres termes que sommatifs ou formatifs).
Lorsqu’en effet on observe attentivement dans une classe, sur la durée d’une
année scolaire, le développement des compétences écrites et orales des élè-
ves, on a du mal à discerner :
– ce qui revient à l’enseignement objectivé de savoirs,
– ce qui a été produit par les consignes, les situations-problèmes posées,
les thèmes proposés,
– ce qui est dû au simple besoin, désir, plaisir d’écrire de l’élève,
– ce qui est de l’ordre de son développement psychoaffectif,
– ce qui est de l’ordre du développement métalinguistique que génère
l’activité même d’écriture ou de parole et qui pourrait bien être à l’inter-
section de tous les autres paramètres ci-dessus évoqués. On est en effet
frappé par exemple du développement métalinguistique important, du
mélange des types discursifs (expliquer, raconter, commenter, argumen-
ter) qui se perçoivent dans les textes de jeunes élèves de 6e que l’on a
simplement fait écrire et communiquer très fréquemment et diversement
sans qu’il y ait une forte objectivation en classe de savoirs spécifiques.

Ainsi, l’observation attentive de comportements d’élèves, sur des durées lon-


gues et dans des situations très diverses, pourrait s’avérer très nécessaire
pour comprendre ce triple processus d’enseignement, apprentissage et
développement.

3.2 L’interdépendance des savoirs et des savoir-faire

Autre question, très étroitement liée à la précédente et au cœur de l’interro-


gation sur la nature des liens qui unissent les activités de lecture et
d’écriture : celle de la maturation, de l’intériorisation d’un savoir et sa trans-
206 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

formation en habileté linguistique nouvelle et/ou en instrument d’analyse.


Prenons un exemple fréquent en classe de 3e de collège : la question de
l’usage par l’élève, dans sa propre écriture narrative, de « savoirs littéraires »,
puis l’usage de ces mêmes savoirs comme outils d’analyse pour gloser son
propre texte dans une écriture « théorique », ou l’usage de ces mêmes
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
savoirs pour commenter un texte littéraire. Ce passage de la lecture
« outillée », médiatisée par des savoirs enseignés, jusqu’à l’écriture critique,
paraît très lent, rencontre nombre d’obstacles, mais semble exister. Il reste à
le décrire finement, essayer d’en comprendre les mécanismes et/ou les con-
ditions) voir comment on peut l’accélérer, sauter mieux les obstacles. Le
temps, les thèmes, les types d’interactions, les lieux d’enseignement, sem-
blent autant de paramètres qui entrent en ligne de compte dans les proces-
sus d’intériorisation des connaissances ; du moins de ce type très particulier
de savoirs que nous avons à traiter dans notre discipline.

On ne voit pas comment on pourrait avancer dans la connaissance fine de


ces paramètres et de leur interaction, dans leur mise au point délicate, sans
le metteur en scène des savoirs qu’est l’enseignant et son regard attentif sur
les élèves. La classe et sa durée d’existence d’une année scolaire devien-
draient ainsi une unité d’expérimentation et d’observation de première impor-
tance.

3.3 La question de l’identité de la discipline et de ses contours

Derrière cette question, qui n’est pas nouvelle, s’en cachent plusieurs. Avec
l’implantation dans les collèges et les écoles élémentaires de centres de res-
sources documentaires, le problème du traitement de l’information, de la
diversité des médias est devenu urgent et très apparent. Relève-t-il de la sim-
ple intervention des documentalistes, lorsque toutefois ils existent ?

Des projets interdisciplinaires, transdisciplinaires souvent bien flous com-


mencent à se mettre en place. Quelle place doit y jouer l’enseignant de
français ? Est-ce d’amener les élèves à percevoir, par exemple, que ce ne
sont pas exactement les mêmes activités cognitives et langagières, les
mêmes formes discursives qui sont attendues lorsqu’en cours d’histoire on
commente un document et en cours de français un poème de Baudelaire. Ce
n’est pas la même implication personnelle qui conduira à user d’autres posi-
tions énonciatives.

Ces questions posent la question de l’identité de la discipline, du rôle de


l’enseignant de français, de sa zone d’intervention. Elles ne sont pas
théorisées20. Où commence, où s’arrête la didactique du français ?

20. On pourra trouver un début de réflexion sur ces questions et quelques pistes pédagogiques dans Le Retour des manuels
(À la découverte des manuels scolaires en classe de français), D. Bucheton (éd.), Versailles, CRDP, 1994.
Au carrefour des métiers d’enseignant, de formateur, de chercheur ■ 207

De par la diversité des niveaux d’analyse et de traitement qu’elles


nécessitent, ces questions ont besoin d’être travaillées avec des connaissan-
ces, des savoir-faire, des modes de pensée divers. Il y faut les regards en
surplomb (ou plutôt en abîme) du chercheur et du formateur et le talent de
l’enseignant, sa connaissance et sa compréhension fine du terrain. Il y fau-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
drait aussi le regard des gens dont la tâche est d’évaluer le système, les
corps d’inspection. Leur connaissance du terrain, les comparaisons qu’ils
peuvent faire peuvent être, elles aussi, précieuses.

D ■ De quelques questions polémiques

On vient de voir ce que pourrait être la collaboration des différents partenai-


res de la DFLM, sur quels objets, quels types de question elle pourrait être
efficace et ou pour quelles visées intégratives, théoriques, pratiques et socia-
les. Il reste à aborder deux ou trois questions supplémentaires (et polémi-
ques) concernant l’élaboration du savoir didactique, sa validation, sa
circulation dans la communauté des didacticiens de français.

1 Le nécessaire dialogue entre les acteurs

L’imagerie dominante est la suivante : le chercheur produit des connaissan-


ces, le formateur les transforme, les adapte et les transmet et l’enseignant les
applique en se livrant certes à quelques réglages de détail (c’est le modèle de
la pédagogie en kit, fabriquée par des experts : faites-nous de vrais bons
manuels, de vrais outils de remédiation, entraînez les enseignants et l’affaire
est gagnée). Hélas cela ne marche pas vraiment ! Il faut penser un autre
modèle de la formation des enseignants mais c’est un immense chantier
plein d’embûches, comme on a pu le voir lors de la mise en place des IUFM.

La construction du savoir se fait dans l’interaction, il n’est plus besoin de le


démontrer. « C’est dans la pratique qu’on arrive à la théorie », ajoutait à
Genève21, comme s’il s’agissait là d’une découverte toute nouvelle, Lauren
Resnik, éminente psychologue américaine ! Une pratique qui s’accompagne,
sous la pression et la nécessité sociale, à la fois d’une réflexion sur cette pra-
tique et les théories qui la sous-tendent et sur les pratiques et théories des
autres avec lesquels on travaille, on interagit. Il en va de même pour les
savoirs didactiques. C’est pourquoi les rôles des différents acteurs ne sont
pas seulement complémentaires mais hybrides, interactifs. Nous sommes
tous en même temps dans l’action et dans l’élaboration théorique. Simple-
ment nos actions, nos théorisations, nos modes d’objectivation ne sont pas
de même nature, sur les mêmes plans, ou sur les mêmes espaces. La com-

21. Colloque « Piaget-Vygotsky », septembre 1994, organisé par les archives J. Piaget.
208 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

plexité de l’objet didactique nécessite l’interaction de modes d’action et de


théorisation hétérogènes.

2 Producteurs de savoirs, l’enseignant de terrain


et le formateur le sont aussi, à leur manière
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
On ne l’admet pas suffisamment. Qu’on ne se méprenne pas : mon discours
n’est pas là pour remettre en cause des recherches aux méthodologies expé-
rimentales rigoureuses. Elles sont indispensables. Cependant je voudrais
rappeler qu’une partie des savoirs didactiques est directement sortie du ter-
rain ou de la formation sans que leurs auteurs, des praticiens de terrain,
n’aient été impliqués dans des protocoles de recherche dûment estampillés
voire rémunérés comme tels. Les savoirs didactiques se sont ainsi en partie
historiquement construits de manière très buissonnante. Ils viennent de
l’observation passionnée d’enseignants qui analysant les « nœuds » où les
apprentissages bloquent, les erreurs à répétition, ou au contraire les situa-
tions qui permettent de brusques et imprévus développements, d’ensei-
gnants qui ont « bricolé » des protocoles approximativement expérimentaux
et ont ainsi mis en lumière des phénomènes intéressants ; en se donnant en
même temps la peine – c’est la déontologie du métier – de trouver des solu-
tions pour améliorer ou développer les processus observés (ce qu’on pourrait
appeler l’implication de l’enseignant sous la pression sociale).

Le très grand intérêt de cette démarche du praticien qui part de l’observation


attentive des événements de la classe, des faits langagiers recueillis en situa-
tion sociale, normale, banale d’interaction, c’est :
1. qu’ils sont naturels, car venant d’une interaction ordinaire. Par là, ils sont
probablement plus scientifiquement fiables que n’importe quel fait langa-
gier provoqué (mais c’est là une vaste discussion !)
2. qu’ils ne sont pas filtrés ou déformés par le regard d’un « théoricien » qui
va chercher des faits pour infirmer ou confirmer son hypothèse. Simple-
ment la démarche de pensée n’est pas du tout la même ; elle a l’immense
intérêt, si on veut bien être attentif à ces événements de langage, à ces
conduites parfois surprenantes ou cahotantes, de mettre le doigt sur des
problèmes nouveaux dont les « théories » disponibles ne rendent pas
compte.

3 Le chercheur, à sa façon,
est aussi dans l’intervention didactique

Quelle peut être alors la place du chercheur comme celle du formateur ? Les
savoirs didactiques (théoriques et très concrètement pratiques) arrivent lors-
que le chercheur ou le formateur est très impliqué dans l’accompagnement
proche des actions pédagogiques, lorsqu’un vrai dialogue s’instaure, lorsqu’il
Au carrefour des métiers d’enseignant, de formateur, de chercheur ■ 209

y a un effort réel de la part de chacun pour entrer dans les modes de pensée
et d’expression de l’autre. Ce n’est pas facile, il y faut beaucoup de temps et
de respect mutuel. Le chercheur peut apporter (qu’on veuille bien excuser la
prétention de la formulation) des cadres théoriques divers : sociologie, psy-
chologie, linguistique, sémiotique, stylistique ; des outils d’analyse dont les
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
enseignants – et c’est une immense lacune de la formation – sont dépourvus
pour analyser les faits langagiers rencontrés. On discute alors pour améliorer
l’intervention didactique autour des faits, de l’action dans la classe et non
autour d’une théorie. Il arrive alors qu’en plus on fasse ainsi avancer la con-
naissance fondamentale, par ricochet.

Ajoutons, en outre, que chercheurs et formateurs sont aussi de plus en plus


fréquemment dans l’action didactique dans la mesure où ils s’aventurent
dans la production d’outils pédagogiques, de manuels, de séquences ou
dans l’expertise des politiques de formation.

En fait, le chercheur, le formateur, l’enseignant sont impliqués à des degrés


ou sous des formes en apparence différentes dans un triple processus qui
semble définir la démarche didactique : ils produisent des savoirs, et en
même temps ils sont dans l’urgence de l’action. La croisée de ces deux
dimensions qui peuvent paraître contradictoires dans une conception classi-
que de la science dite fondamentale, fait qu’ils sont aussi en permanence
dans une dynamique de réajustement des savoirs, complexification, révision
des modèles, réajustement, complexification-diversification des entrées
pédagogiques. C’est cette dynamique qui, seule, peut donner des réponses
à un champ qui lui aussi est mouvant de par ses objets d’étude.

Aujourd’hui, les méthodologies issues de l’ergonomie du travail, et qui se


développent pour l’analyse du métier réel de l’enseignant – autoconfrontation
simple du praticien invité à commenter sa pratique et les incidents critiques
qu’elle a rencontrés, ou autoconfrontation croisée de plusieurs praticiens
commentant une prestation – montrent la richesse d’aller chercher le point de
vue des acteurs. Ces méthodologies révèlent aujourd’hui la complexité des
paramètres qui pilotent les décisions didactiques prises dans l’urgence de
l’action. Elles n’ont cependant pas encore abordé la question de la coactivité
maître-élèves, la gestion des dilemmes, malentendus partagés, à la base de
la dynamique de la classe.

4 La question de la diffusion des savoirs

Pour toutes sortes de raisons, les savoirs issus directement du terrain ont
beaucoup de mal à être reconnus et entendus. On devrait pourtant aller
regarder de plus près les trésors d’intelligence, de talent, la diversité des
entrées dans des contextes variés que révèle le récit de ces pratiques. Mais
les chercheurs lisent les chercheurs, les enseignants, quant à eux, cherchent
un peu d’aide dans les revues pédagogiques, ou les publications des Centres
210 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

régionaux de documentation pédagogique souvent sous le seul contrôle


scientifique (ou la censure) des corps d’inspection. Les revues qui se veulent
« scientifiques », à l’exception de quelques-unes, sont pour les enseignants
de terrain très difficilement lisibles ou ne leur paraissent pas intéressantes (et
c’est beaucoup plus grave). Si l’on pose que la DFLM est au carrefour des
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
trois métiers, alors il y a là un problème important à discuter.

Par ailleurs, la plupart des revues sont thématiques et n’ont pas, comme La
Lettre de l’association DFLM, en plus des grands dossiers thématiques, une
rubrique pour accueillir des articles plus divers. Elles modélisent donc d’une
certaine façon la recherche sur des aspects particuliers, pointus, elles la limi-
tent et la censurent : il est difficile de faire entendre sa voix si on n’est pas
dans un créneau à la mode. Cela bloque l’arrivée de nouvelles probléma-
tiques, cela standardise la recherche.

La didactique du français – qu’il n’est pas facile de définir – pourrait bien être
au cœur de cette dynamique, au croisement de ces réajustements constants
entre les savoirs théoriques issus de champs très divers et le réel de la vie, de
la parole, de l’action dans la classe, du temps nécessaire à l’intégration, à la
maturation des savoirs, au temps nécessaire pour qu’ils deviennent à leur
tour des instruments de pensée et des modes d’expression.

Il n’y a pas d’autre perspective pour les acteurs de ce champ que de travailler
en très étroite collaboration, de réajuster en permanence les positions, diver-
sifier les analyses, les regards, les modes de pensée, les méthodes d’élabo-
ration de la connaissance, de validation et surtout de transmission de ces
savoirs. Et c’est un long chemin…

Si bien des aspects soulevés dans cette contribution mériteraient d’être à


nouveau examinés dans le détail pour mesurer l’exact chemin parcouru, le
point de vue général qui y est défendu n’a pas changé. Pas de didactique du
français sans prise en compte du point de vue de ses acteurs divers. Pas de
transformation des pratiques (notre visée générale) sans tenir compte de
l’activité partagée, réelle et dynamique des maîtres et des élèves. Pas de
didactique du français, sans prise en compte des contextes sociaux, scolai-
res, disciplinaires dans lesquels les pratiques langagières scolaires mettent
en travail le sujet dans la globalité de sa personne.
Synthèse
Didactique du français :
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
éléments de réflexion et de proposition

Yves REUTER

Avertissement au lecteur : Au moment de reprendre cette « synthèse


propositionnelle », je me suis trouvé face aux mêmes options que tous les
contributeurs de cet ouvrage : ne rien y changer, la modifier de manière plus
ou moins substantielle, la maintenir en l’état et y ajouter une actualisation.
C’est cette dernière solution que j’ai retenue (en ne modifiant que quelques
points qui me paraissaient obscurs ou mal rédigés), espérant ainsi donner à
lire des strates de l’histoire de la didactique du français (certes filtrées par ma
perspective !). Aux lecteurs de juger si, en fin de compte, ce choix était le
bon…

A ■ La synthèse de 1994

L’écriture de ce dernier chapitre porte sans nul doute les traces des tensions
entre lesquelles il s’est construit. Tension entre une conclusion, sous forme
de bilan nécessairement partiel et partial, de ce livre, et le souhait d’ouvrir
des pistes, de relancer la discussion, de continuer le débat. Tension encore,
entre la synthèse d’écrits divers et de paroles collectives d’un côté et un
point de vue personnel de l’autre. Tension donc entre référence et prise de
distance, pluralité et unicité, passé et avenir. Autant que le lecteur en soit
d’emblée averti.

Cela me paraît d’autant plus important à souligner que cet ouvrage, dont la
nécessité était discutée depuis longtemps au sein de l’association des cher-
cheurs en didactique du français langue maternelle, s’articule à une situation
vécue, elle aussi, de façon contradictoire. Sur le versant positif, on peut dire
que la didactique du français est en pleine émergence. En témoignent aussi
bien l’essor des recherches, des thèses, des ouvrages, des ouvrages
212 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

« méta » (sur le champ et son histoire) que le développement de son ensei-


gnement ou la naissance d’épreuves lui étant consacrées aux concours de
recrutement. De ce point de vue, cet « état des lieux » correspond à la néces-
sité interne à toute discipline de « se réfléchir », de se formaliser, de mieux
comprendre ce qu’elle pense, selon quels modes, etc. Mais sur l’autre ver-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
sant, on peut dire que la didactique du français se trouve dans une situation
conflictuelle. Du mode de résolution de celle-ci dépendent des enjeux histori-
ques importants. Des définitions, des conceptions, des pratiques s’y con-
frontent et s’y affrontent, entre corps d’agents (inspecteurs, formateurs,
chercheurs, praticiens, éditeurs…) ou à l’intérieur de ceux-ci. Dans ces con-
flits se jouent non seulement des débats d’idées mais aussi la place (et les
formes) des recherches, les savoirs enseignés aux futurs enseignants (et aux
élèves) ainsi que leur mode de recrutement, l’évaluation des pratiques etc.
Autant donc en être conscient. C’est en tout cas, dans ce cadre que se
situent les lignes qui suivent.

B ■ Définir la didactique du français ?

De façon assez paradoxale au vu des remarques précédentes, la didactique


du français n’a été ici que peu définie explicitement. Cela me paraît renvoyer
à un relatif consensus fondé, peut-être, sur trois éléments définitoires :
– la didactique serait centrée sur des savoirs et des savoir-faire propres à la
discipline (ce qui la distinguerait de la pédagogie), en tant que ces savoirs
et savoir-faire seraient pris dans des actes d’enseignement/apprentissage
(ce qui la distinguerait des disciplines de référence) ;
– elle se caractériserait par une « matrice disciplinaire »1 articulant ses
objets et objectifs principaux (spécifiée à l’heure actuelle par la produc-
tion/réception des discours oraux et écrits) ;
– elle se construirait dans un réseau de relations et d’interactions entre trois
« plans » : celui des pratiques d’enseignement/apprentissage ; celui –
central en ce qui nous concerne – des théories et des recherches ; celui
des métathéories (de l’histoire et de l’épistémologie de la discipline).

À partir de ce consensus – ce qui n’a rien de spécifique et qui est plutôt de


l’ordre de la réflexion générale sur les didactiques – les dissensus peuvent,
fort classiquement, s’exprimer sur à peu près tous les points, comme il en
sera question par la suite : définition des savoirs et savoir-faire, précision de
la « matrice disciplinaire »2, construction des enseignables, des apprena-
bles… et de leurs écarts, modes de relations entre les trois plans, place éven-
tuelle d’une didactique générale…

1. M. Develay, 1992, pp. 43-50, reprend cette notion à T.S. Kühn pour définir le « principe d’intelligibilité », le « cadre de
référence » d’une discipline.
2. Voir les positions défendues ici par J.-F. Halté et l’écart qu’elles introduisent par rapport aux pratiques et aux textes offi-
ciels.
Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition ■ 213

Néanmoins, en l’état et même insatisfaisant, ce consensus relatif représente


déjà une forme de clarification qui permet, par exemple, de mieux compren-
dre la logique des positions de chacun et/ou certains risques de dérives
(applicationnisme, pédagogisme, scientisme, militantisme, etc.).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
C ■ La question des méthodes

Si cette question est peu débattue, centralement, dans les chapitres précé-
dents, elle est néanmoins constamment présente (types de savoir à cons-
truire, modes de construction, validation…) et pèse fortement sur les
positions de chacun. Il s’agit, sans aucun doute, d’un débat crucial dans
notre discipline, lié notamment aux disciplines de référence convoquées et
aussi aux modes de relations postulées avec celles-ci.

Six problèmes mériteraient – à mon sens – d’être repris dans des débats ulté-
rieurs.

Ne serait-il pas nécessaire de distinguer recherches en didactique et recher-


ches intéressant la didactique (i.e. construites dans d’autres disciplines, à
d’autres fins…) ? Si tel était le cas, où et comment faire passer précisément
les distinctions, au-delà de critères purement institutionnels : centrage plus
ou moins important sur l’enseignement/apprentissage d’une discipline, prise
en compte plus ou moins conséquente du terrain « réel », multi-référentialité,
évaluation des transformations possibles, etc. ?

Peut-on se contenter, sur ce terrain, d’une position de principe « œcuménique » :


acceptation des différents types de techniques et de méthodes des sciences
humaines ? Si oui, à quel titre3 et comment concilier cela avec une spécificité
disciplinaire ? Comment l’organiser aussi pour mieux cerner les apports, les
intérêts et les limites de chacun des modes d’investigation4 ? Si non, au nom
de quoi ?

En relation forte avec le problème précédent, ne convient-il pas, dans notre


champ, de privilégier les recherches « écologiques » (tenant compte au maxi-
mum des situations courantes/réelles d’enseignement/apprentissage) par
rapport aux recherches « en laboratoire » ? Et, dans le cas de ces dernières,
peut-on véritablement parler de recherches en didactique ?

3. Ce serait, par exemple, envisageable au nom de la compréhension « la plus complète » des mécanismes en œuvre en
vue de transformations estimées socialement bénéfiques.
4. C’est ce que tente de faire J.P. Astolfi, 1993, avec sa typologie des recherches en didactique.
214 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

Toujours en relation avec le problème précédent, ne convient-il pas, dans


notre champ, de multiplier les recherches « qualitatives5, « compréhensives »,
dans la mesure où :
– elles permettent sans doute plus de « finesse » dans la description et
l’appréhension des mécanismes en œuvre ;
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
– elles permettent d’éviter les pièges de « l’adultocentrisme » et de
« l’ethnocentrisme » culturel.

Comment, aussi, penser le rapport recherches-pratiques afin d’éviter que les


nécessités, légitimes, de contrôle des variables ou de reproductibilité, ne
mènent :
– d’abord à évacuer du champ des recherches des pratiques riches fon-
dées sur l’articulation de multiples variables (par exemple, la pédagogie
du projet6) ;
– ensuite à transformer cette évacuation méthodologique en position con-
cernant des élèves (i.e. : « ils peuvent faire cela à cet âge », au lieu de :
« dans tel cadre, ils peuvent faire cela à cet âge ») ;
– enfin à nier tout constat issu d’analyses empiriques sur ces pratiques (i.e.
rien ne dit, si ce n’est leurs promoteurs, que les résultats de ces
démarches sont intéressants…).

Un enjeu fondamental est attaché, à mon avis, à cette question : éviter que
les principes de certaines recherches n’entraînent des cadres pédagogico-
didactiques réducteurs en ce qu’ils ne permettent pas aux élèves d’actualiser
ou de développer leurs compétences. Mais sur l’autre versant, cela impose
l’absolue nécessité de revenir – toujours et encore – aux conditions d’opéra-
tionnalisation et de validation de méthodes plus « ouvertes », de la recher-
che-action7, etc.

Tous ces éléments incitent, selon moi, à poursuivre un débat essentiel autour
de la façon (des façons) dont la didactique du français doit (peut) penser la
complexité, en tenant compte d’un côté de l’impossibilité constitutive de la
recherche (ou, plus exactement, de chaque recherche) de tout penser en
même temps et sous tous les angles ou d’entériner ce qui n’est guère qu’un
point de départ : la complexité de l’objet réel ; en tenant compte de l’autre
côté de sa spécificité et du fait qu’elle traite des relations entre des objets et
des sujets, indissociablement cognitifs, affectifs, sociaux, culturels… Cela
impose de penser les unités susceptibles de permettre ce travail, les modes
d’analyse susceptibles de saisir les relations diverses qui s’y investissent,
leur mode de construction, leurs modalités de relations à d’autres unités etc.
Cela nécessite complémentairement de préciser la façon dont on peut
s’emparer de recherches différentes à titres d’indices (plus que de preuves)
pour comprendre les phénomènes étudiés. Cela signifie que la position de

5. Ce qui n’exclut nullement la nécessité de cadrages et d’évaluations quantitatifs.


6. Sur ce point, la thèse de Francis Ruellan soutenue en 1999 a montré qu’un travail précis était parfaitement possible.
7. Voir, en ce sens, J. Fijalkow, 1992, sur la recherche-action et M. Bataille, 1981, sur le « chercheur collectif ».
Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition ■ 215

principe, dans notre champ, me paraît plutôt consister en la volonté de cons-


truire les conditions de possibilité pour penser le complexe plutôt qu’en
l’affirmation préalable d’une impossibilité qui risque de nous « renvoyer » (de
nous enfermer) dans telle ou telle discipline de référence ou, du moins, dans
tel ou tel courant de celle-ci qui, en terme de paradigme, tend à éliminer la
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
pensée du complexe.

D ■ Quant à l’histoire

Une discipline se définit encore en fonction de son histoire (et de son rapport
à l’histoire). Cette dimension est, de fait, récurrente dans cet ouvrage (ce qui
explique que je serai amené à y revenir constamment).

Si l’histoire de la didactique du français fait l’objet d’investigations de plus en


plus importantes dans notre champ (voir Études de linguistique appliquée,
n° 84, 1991, ou F. Ropé, 1990), indice complémentaire de son émergence,
cette histoire est discutée, notamment quant aux origines8, selon que l’on se
fonde, par exemple, sur des éléments cognitifs ou institutionnels, ou que l’on
s’appuie sur l’émergence des termes ou des définitions, ou encore sur les
modèles, les disciplines-mères, connexes, de référence, sur les institutions
ou les acteurs9… Mais – de façon minimale – il est peut-être possible de
s’accorder, au moins pour ce qui concerne la France, sur le fait que la didac-
tique du français émerge véritablement entre les années soixante-dix et qua-
tre-vingt-dix sur la base :
– de disciplines moins « légitimes ou discutées (sciences de l’éducation, lin-
guistique, FLE…) ;
– d’acteurs10 ou d’institutions « dominés » ou discutés : praticiens, INRP…
– d’une augmentation et d’une diversification sensibles du public scolaire ;
– d’une demande sociale accrue quant à la durée de la scolarisation et à la
maîtrise de la lecture et de l’écriture…

Il nous reste, bien sûr (!), à articuler plus précisément ces diverses dimen-
sions.

En tout cas, cet ouvrage devrait contribuer à (ré)attirer notre attention sur
trois éléments, au moins, en relation avec cette histoire. Le premier (voir la
contribution de J.-F. Halté) concerne la mutation de la « matrice disciplinaire »
qui, pour le dire schématiquement, passe d’un centrage sur langue et littéra-
ture (accompagné d’un poids considérable accordé aux (sur)(normes et aux
valeurs et d’une relation forte au mode de travail magistral-transmissif) à un

8. Question fondamentale, réellement et fantasmatiquement, pour les êtres, les institutions et les sciences.
9. Voir Études de linguistique appliquée, n° 84, 1991 ; F. Ropé, 1990 ; et J.-L. Chiss, M. Dabène et J. David ici même.
10. Ces acteurs étant, pour un grand nombre d’entre eux, inscrits dans des débats et des engagements politiques et mili-
tants.
216 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

centrage, tendanciel, sur la production-réception des discours oraux et écrits


(avec la recherche des normes et une attention plus grande portée aux
mécanismes d’appropriation des élèves). Il reste cependant à préciser l’orga-
nisation de ces « états matriciels » ainsi que leurs modes de transformation.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
Le second élément (voir A. Petitjean) concerne la nécessité d’une prise en
compte des pratiques dans leur histoire. Cela impose d’ailleurs – quel que
soit l’objet retenu (ici la rédaction/description) – la saisie méthodologique de
référents divers : théories éventuelles, textes de « loi » (Instructions officiel-
les), manuels, cahiers des élèves etc. Cela peut permettre de mieux percevoir
ce qui sous-tend – souvent inconsciemment – la matrice disciplinaire, les
pratiques, etc., ce qui est de l’ordre des permanences et ce qui est de l’ordre
des mutations (de surface ou profondes). Cela interroge encore la différencia-
tion des pratiques selon les réseaux11 en invitant à ne pas oublier les relations
entre échec/réussite et origine socioculturelle.

Le troisième élément porte sur le rôle de certains concepts. On se référera ici


aux analyses de B. Schneuwly concernant celui de transposition didactique.
Il convient ainsi de remarquer comment certains concepts jouent un rôle
fédérateur et cristallisateur dans l’histoire d’une discipline ou d’un ensemble
de disciplines, fondant, au moins partiellement, le consensus à partir duquel
peuvent émerger les dissensus. Reste, ici encore, à savoir pourquoi et com-
ment celui-ci s’impose à ce moment de l’histoire.

Trois questions complémentaires mériteraient encore, dans cette perspec-


tive, d’être approfondies, même si certains chercheurs12 ont commencé à les
explorer.

En premier lieu, celle des relations entre système social – système scolaire –
discipline français – didactique du français (avec la « pression sociale » sur la
lecture-écriture, la place attribuée au français dans l’échec scolaire etc.) en
prenant en compte, entre autres : l’accélération de cette dernière décennie
que nous évoquions en préambule et les relations avec les disciplines de
référence (par exemple linguistique puis psychologie).

En deuxième lieu, celle de l’autonomisation du champ13 de la didactique du


français avec l’évaluation des « bénéfices » (légitimation en cours ; sépa-
ration des fonctions de praticien – chercheur – formateur avec conséquem-
ment, un risque moindre de confusion des logiques ; des moyens possibles
pour la recherche, etc.) et l’évaluation symétrique des « pertes » (l’occultation
de savoirs issus de pratiques ; l’éloignement des questions des chercheurs
de celle des praticiens ; des difficultés accrues de collaboration…)

11. Minorée aujourd’hui, car considérée comme « politique », cette problématique « portée » par des théoriciens aussi diffé-
rents que C. Baudelot & R. Establet, 1971 et 1975 ; R. Balibar 1994a et 1994b, B. Bernstein, 1975 ; ou W. Labov
1978, gagnerait à être retravaillée en fonction des « avancées » des champs de la didactique et de la sociologie.
12. F. Ropé, 1990 ; D. Bucheton et J. David ici même.
13. Au sens de P. Bourdieu.
Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition ■ 217

Enfin, et complémentairement, la question des logiques différentes des


acteurs du champ qui me paraissent être encore insuffisamment construites :
logiques des décideurs politiques et institutionnels, de l’inspection, des prati-
ciens, des chercheurs, des formateurs, des directeurs de collection et de
revues…
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
Que l’on ne s’y trompe pas, ces deux dernières questions sont loin d’être
anecdotiques ou « externes ». Des réponses que l’on y apporte dépendent
entre autres, la réflexion sur la formation initiale ou continue des enseignants,
ainsi que la possibilité pour ces différents acteurs de véritablement collaborer
entre eux.

E ■ À propos des objets et des pratiques

Je me contenterai sur ce terrain de cinq remarques mais elles me semblent


capitales pour la construction de la didactique du français.

La délimitation de ce qui est à enseigner-apprendre dans notre discipline


(langue, texte, image, culture, lecture, écriture, communication…) demeure,
de fait, très discutée. Cela mériterait d’être précisé car nombre d’enjeux, pra-
tiques et théoriques, en dépendent : temps et formes de la formation, colla-
boration sur le terrain entre la discipline français et les autres, sélection des
théories de référence et relations à celles-ci, place des réflexions théoriques
concernant, entre autres, français « transdisciplinaire », communication (voir
J.-L. Chiss et J.-F. Halté ici même) ou interactions…

En l’état actuel des recherches, et de leur relative hétérogénéité, selon leur


objet, quant aux modes d’investigation et de formalisation, peut-on parler
d’un champ de la didactique du français ou ne vaut-il pas mieux parler de
plusieurs (sous) champs, de plusieurs didactiques ? Existe-t-il véritablement
une unité entre la didactique de la littérature (voir la contribution de G.
Legros, infra) et celles de la grammaire, de l’orthographe, des textes, de la
lecture, de l’écriture ? Cette question serait d’ailleurs à approfondir dans sa
dimension diachronique. Quels sont les objets et les pratiques sur lesquelles
se polarisent les recherches en didactique à tel ou tel moment de son
histoire ? Pourquoi ? Et pourquoi les accentuations se déplacent-elles14 ?
Cela nous renvoie conjointement aux « bougés » de la matrice disciplinaire,
aux mutations des pratiques et à leurs modes de relation. Cela signale aussi
des flottements, pratiques et théoriques, quant aux relations entre objets et
entre objets et pratiques traités par les enseignants et les théoriciens :
« niveaux » micro- et macrostructurels des textes, objets et opérations (lec-
ture-écriture) des sujets, textes et « culture », etc. En d’autres termes et sans
pessimisme aucun, il me paraît que nous en sommes encore à la préhistoire

14. Sur ce point encore, voir F. Ropé, 1990, pour une première investigation.
218 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

d’une formalisation intégrative – et non énumérative15 – de ce qu’il convient


d’enseigner et sous quelles formes, en français ainsi que des théories sus-
ceptibles d’en rendre compte…

Troisièmement, et en relation avec le point précédent, se pose le problème


Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
des compétences complexes enseignées en français (lire, écrire, écouter,
parler), qui articulent des savoirs et des savoir-faire de différentes natures16
et, du coup, des modalités de cet enseignement si tant est que l’acquisition
de connaissances déclaratives, méta-procédurales ou non, ne saurait suffire.
Posée de façon abrupte, la question est la suivante : « comment enseigner –
aider à développer une compétence ? ». Ce qui suppose une réflexion fonda-
mentale – interne à notre didactique – sur les stratégies d’enseignement-
apprentissage et leur articulation. Ce qui suppose encore – comme y invite la
contribution de J.-F. Halté – de construire la relation enseignables/apprena-
bles. Ce qui suppose enfin d’évaluer la place et l’importance de la cons-
cience-conscientisation des démarches (le niveau « méta ») auquel on a
accordé beaucoup de place ces dernières années17 face à d’autres thèses
qui fonctionnent à l’« opposé » d’un détour formaliste et abstrait18. Tout en
essayant de comprendre les effets de stratégies différentes quant à l’ensei-
gnement/apprentissage de procédures, y compris par instruction directe19.
C’est ici un chantier fondamental et incontournable.

Ces recherches ne pourront sans doute pas être menées en minorant la


question des goûts et des valeurs, même si la tentation est forte de l’écarter,
en raison d’une part d’une méfiance pour ce qui a architecturé et finalisé pen-
dant très longtemps l’enseignement du français et de la littérature ; en raison
d’autre part d’une confusion entre le fait que la recherche doit se garder de
s’investir dans les goûts et les valeurs et le fait qu’elle ne devrait pas s’en
occuper20. Il me semblerait en effet catastrophique d’ignorer que goûts et
valeurs sont inscrits aussi bien dans les objets et les pratiques qui s’en
emparent que dans les enjeux et finalités de leur enseignement. S’il est clair
(voir ici encore G. Legros, infra) que ces problèmes surgissent « à l’évidence »
dès qu’il est question de littérature, il devient de plus en plus patent qu’ils se
posent incessamment dès que l’on parle de langue (normes/surnormes,
acceptabilité…), de texte (cohérent, bien formé, intéressant, stéréotypé…),
de lecture (compréhension/interprétation) ou d’écriture. Il est tout aussi clair
qu’à les ignorer, on s’expose à ne rien comprendre à la différenciation sociale
de l’échec ou de la réussite scolaire. Il est en revanche certain qu’à les pren-
dre en compte, on s’expose en tant qu’enseignant, chercheur ou « expert »
positionné dans le système des goûts et des valeurs. On expose ainsi ses

15. C’est dire à quel point les référentiels me paraissent fonctionner de façon illusoire.
16. Cette question est soulevée « frontalement » dans les contributions de D.G. Brassart et J.-F. Halté.
17. Voir, par exemple, J.-E. Gombert, 1990, ou le numéro 9 de Repères, 1994.
18. Voir B. Lahire, 1993.
19. Voir D.G. Brassart, infra.
20. Ce serait oublier que la construction et la différenciation sociale des valeurs sont des objets de recherche classiques en
histoire, psychologie, sociologie, ethnologie…
Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition ■ 219

partis pris et ses impensés, ce que l’on refuse de penser et qui, de ce fait
même, vous fait implacablement penser de telle sorte. La question, cruciale,
consiste donc à construire la place des goûts et des valeurs afin de les pen-
ser pour éviter d’être pensés par eux. On conviendra que, sur ce terrain, il est
difficile de ne pas faire appel à la sociologie ou à l’ethnologie des objets et
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
des pratiques culturelles (voir la contribution de J.-M. Privat).

Il reste encore à savoir en fonction de quelles représentations du « progrès »


cognitif s’effectue l’enseignement. Cela demeure encore trop souvent impli-
cite parce que relativement évident, « prépensé » en quelque sorte. Comme
le remarque ici même J.-P. Bronckart :

« La psychologie de Vygotsky reste, comme celle de Piaget (…), marquée


par une conception très rationaliste du développement, par l’idée que le
devenir humain est en définitive tendu vers la construction de connaissan-
ces toujours plus rationnelles et plus décontextualisées, quand bien même
ce sont des significations contextualisées, des représentations sociales, qui
caractérisent les phases initiales de ce processus. »

Deux conséquences non négligeables sont impliquées par cette conception.


La première, notée par J.-P. Bronckart, consiste en une illusion pratique :

« La conséquence en est que le développement est censé se produire dans


l’interaction et la coopération de partenaires « de bonne foi », qui ne ren-
contrent que des obstacles d’ordre scientifique dans l’élaboration de la
connaissance du monde. Mais tout enseignant est, on le sait, quotidienne-
ment confronté à la « mauvaise foi », au refus, à l’incapacité inexplicable de
comprendre et d’apprendre. »

Il convient donc, ainsi qu’il le signale à la suite de J.-M. Privat, de prendre en


compte les cadres culturels et familiaux et les caractéristiques socio-affecti-
ves des élèves pour élaborer des solutions didactiques opératoires.

La seconde conséquence consiste en la non-appréhension du caractère


arbitraire (culturellement parlant) de cette conception même du développe-
ment qui fonctionne de fait à la prise de distance du « sens pratique » (P.
Bourdieu, 1980) et de certaines formes sociales d’acculturation (B. Lahire
1993 a et b). De ce point de vue, il est urgent, sur notre terrain, d’évaluer si
l’on théorise des fonctionnements et une évolution psychologiques partagés
par tous ou socialement différenciés, i.e. si le mode de pensée lettré ne se
dissimule pas sous le discours théorique. La compréhension de résistances
ou d’échecs scolaires pourrait bien en dépendre.
220 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

F ■ De quelques concepts

Il est assez frappant de constater d’abord que le nombre de concepts


« spécifiques » à la didactique est somme toute assez restreint dans cet
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
ouvrage et dans notre champ en général : transposition didactique, contrat
didactique… D’autres sont sans doute « à cheval » sur le champ de la didac-
tique et sur celui de la pédagogie : situation-problème, objectif-obstacle, pra-
tique sociale de référence. Cela questionne sans nul doute le statut même de
la didactique, sa spécificité ou son état de construction. Est-ce dû à son
degré de constitution, à son émergence encore récente, à son autonomisa-
tion en cours ou au fait qu’il s’agit d’une discipline d’interaction ou encore
que l’on se leurre parfois sur la « pureté » conceptuelle des sciences
humaines ?

J’ajouterai, de surcroît, qu’aucun de ces concepts n’a été véritablement


construit dans l’espace de la didactique du français, ce qui l’interroge par
rapport aux autres didactiques. S’agit-il d’un « retard » et dans ce cas à quoi
est-ce dû ? S’agit-il du sentiment d’inéquation de ces concepts face à une
discipline aux multiples spécificités (Y. Reuter, 1992) ? S’agit-il de la difficulté
à conceptualiser différemment ce qui relève du langage-objet, du langage qui
sert à l’enseignement-apprentissage du français, du langage qui sert à
l’enseignement-apprentissage dans les différentes disciplines, etc. ?

Un concept fait néanmoins incessamment retour, celui de transposition


didactique élaboré par Y. Chevallard (1985), qu’a traité centralement B. Sch-
neuwly ici même. De ce point de vue, sa mise au point est sans doute impor-
tante et j’y adhère à l’encontre de ce que j’avais pu imprudemment écrire
ailleurs (cf. D.G. Brassart & Y. Reuter, 1992 et Y. Reuter, 1992). Il convient cer-
tainement de distinguer un usage détourné et inapproprié (cela doit se passer
comme cela ; comment faire une « transposition didactique ») et un usage de
ce concept comme catégorie d’analyse permettant de décrire des pratiques
et de penser une série de problèmes spécifiquement didactiques. À ce prix, il
devient un concept opératoire précieux. Pourvu sans doute que chacune des
catégories qu’il pose soit interrogée. À ce titre, je maintiendrai qu’il est indis-
pensable, sur le terrain de la didactique du français, de questionner la caté-
gorie de « savoirs savants » qui, en matière d’objets et de pratiques
culturelles, peut recouvrir des catégories aussi différentes que savoirs pro-
pres aux lettrés, propres aux experts, universitairement construits, « scientifi-
quement » construits etc. De la clarification conséquente dépendent sans
doute des relativisations dans les objets et pratiques scolairement proposés,
ainsi qu’un éclairage différent des blocages de certains élèves.

Quant au triangle didactique, je me contenterai de noter son usage ici res-


treint, à l’opposé de sa floraison dans le nombre de manuels de vulgarisation.
Peut-être, mais il faudrait le vérifier et comprendre pourquoi, s’avère-t-il
Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition ■ 221

moins opératoire pour penser des problèmes cruciaux dans notre discipline.
Néanmoins, si l’on s’en sert, pour saisir les « angles d’attaque » dominants
dans ce recueil, on peut faire trois remarques non négligeables :
– le pôle « enseignants » est relativement réduit (cela correspond-il à ce que
nous avons déjà rencontré : la difficulté à penser ses représentations et
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
ses pratiques, à penser ce qui nous fait penser ?) ;
– le pôle « savoir(s) » est relativement bien représenté mais un centrage sur
lui entraîne souvent le risque d’une « abstraction idéalisante » qui cons-
truit les textes comme architextes et le sujet comme apprenant purement
cognitif (dans ce cadre, écrits et élèves réels seraient presque des gênes
méthodologiques…) ;
– le pôle sujets/situations est, lui aussi, relativement bien représenté, avec
une accentuation presque inverse, de la complexité des Sujets (voir D.
Bucheton) et des variations (des pratiques linguistiques, des situations
d’enseignement, des situations d’enseignement et d’apprentissage-
acquisition ; voir M. Dabène).

Il nous reste donc, une fois de plus, à évaluer ce que chacune des entrées
permet ou non d’éclairer, et comment articuler ces perspectives et les acquis
de chacune d’entre elles.

G ■ Les disciplines connexes

Les disciplines « connexes » évoquées ont été de deux ordres : didactiques


d’autres disciplines (mathématique, histoire, physique…) et didactiques de
disciplines dont on se demande si elles sont vraiment différentes (voir M.
Dabène, S. Chartrand & M.-C. Paret, infra) : Français Langue Maternelle,
Français Langue Étrangère, Français Langue Seconde, etc.

Dans le premier cas, les renvois – excepté en ce qui concerne les emprunts
conceptuels déjà évoqués – ont été minimes. Je me demande – sachant que
la situation est symétrique pour les autres disciplines – s’il ne devient pas
urgent de confronter les approches, écueils, avancées… Cela d’autant plus
que le débat sur la nécessité d’une didactique générale se fait récurrent (cf.
J.-F. Halté). De fait, la constitution, même virtuelle, d’une didactique générale
offrirait l’avantage d’objectiver les convergences et les divergences, les
maniements de concepts communs, l’utilité de concepts différents, les con-
tours de l’espace didactique etc. En revanche, cela me paraît engendrer iné-
luctablement deux risques : celui de réduire la part d’une théorie de la
pédagogie et celui d’avancer trop vite par volontarisme en ne prenant pas le
temps de comparer véritablement le mode de constitution, la problématique,
les concepts et les démarches de chaque didactique. C’est pour ces raisons
que je préfère encore, ce que certains trouveront bien jésuitique, la notion de
didactique comparée.
222 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

Dans le second cas, la question posée – et je ne trancherai pas ! – est celle


de véritables spécificités ou de variations (mais selon quels critères
essentiels ?) au sein de la didactique du français entre D.F.L.M., D.F.L.E.,
D.F.L.S. Au-delà des enjeux d’acteurs ou d’institutions, se posent une fois de
plus, d’autant plus finement que cela se joue dans une proximité reconnue,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
les questions des contours de la discipline et de sa didactique et des axes de
variation sous lesquels l’appréhender.

Et pour ne pas conclure sur ce point, je ne résisterai pas à l’envie de soulever


un autre problème. Comment différencier disciplines connexes et disciplines
de référence (surtout si l’on pense aux emprunts conceptuels) ?
« Naturaliser » cette distinction – comme c’est un peu le cas en ce moment –
n’est-ce pas établir des différences de « formes » (disciplines d’interaction
définies par leur objet vs disciplines de référence) en sous-estimant le fait que
c’est, au moins autant, un effet de la construction théorique de chaque disci-
pline que d’en désigner (et d’user) d’autres comme connexes ou de réfé-
rence, voire un effet de statut et de légitimité dans les champs scolaire,
universitaire et scientifique ?

H ■ Les disciplines de référence

À n’en point douter, les disciplines de référence occupent une place considé-
rable dans cet ouvrage. Elles suscitent vraisemblablement les débats les plus
forts dans notre champ, déterminant la forme des modèles (cf. M. Dabène,
infra), les emprunts théoriques et méthodologiques (cf. également D.G. Bras-
sart, J.-P. Bronckart, J.-L. Chiss, J.-M. Privat…), les conceptions mêmes de
la didactique. Je m’y arrêterai donc, l’espace de six remarques.

Il me semble tout d’abord, qu’une opposition nette structure deux types de


position : la première fondée sur une référence unique, la seconde fondée sur
l’appel à de multiples disciplines de référence. Dans le second cas, cela me
paraît reposer sur trois principes, au moins, plus ou moins explicites : la
didactique comme discipline d’interaction ; la prise en compte de la com-
plexité des sujets et des variations ; une volonté praxéologique. Plusieurs ris-
ques sont impliqués par cette position : la confusion tendancielle entre objet
réel et objet construit ; la difficulté de formaliser de façon intégrative les diffé-
rentes dimensions ; le désir (latent) de maîtrise et d’exhaustivité… Dans le
premier cas, cela me paraît aussi reposer sur quelques principes, plus ou
moins implicites, mais d’un autre ordre : primat accordé à telle dimension ;
volonté de scientificité… Dans ce cas en revanche, la place éventuelle
d’autres disciplines de référence et leur mode d’articulation avec la discipline
Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition ■ 223

dominante sont peu théorisés21. Les risques d’applicationnisme sont pré-


sents, malgré les modalisations avancées22.

En second lieu, mais ce point est tout à fait complémentaire du premier, com-
ment (s’il faut le faire) hiérarchiser dans notre champ les disciplines de réfé-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
rence ou, sous une autre forme, légiférer sur leur proximité ? À dire vrai, et si
l’on exclut provisoirement ce qui a trait aux diverses représentations de la
scientificité, les principes posés par les uns ou les autres semblent éga-
lement probants ou intéressants et l’on voit mal comment on pourrait s’en
priver. Soit, à titre de rappels et d’exemples :
– la validité dans le cadre de référence ;
– la plausibilité (épistémologique, linguistico-textuelle, psychologique,
sociologique…) ;
– la pertinence dans le cadre didactique ;
– l’opérationnalité pratique.

Il reste cependant des problèmes épineux car les quatre dimensions ne se


recoupent pas (voir les remarques de J.-L. Chiss sur les distinctions entre
imparfait et passé simple, leur statut et leurs usages) et concernent soit des
emprunts partiels, soit la référence à tel courant dans telle discipline, soit la
référence à la discipline prise « globalement ». En outre, cela engage, selon
les choix effectués, des problématisations différentes ou, sous une autre
forme, des différences dans les dimensions estimées cruciales dans le
champ de la didactique.

Les débats à poursuivre ne sauraient oublier que l’on se trouve de facto, et


quelle que soit sa position, contraint d’effectuer des paris :
– soit quant aux multiples disciplines qui concourent à construire l’objet et
que l’on ne peut toutes maîtriser ;
– soit quant aux théories que l’on privilégie, même au sein d’une seule dis-
cipline (en raison de la nature très « imparfaite » des « preuves » ; des res-
trictions internes à la problématique ; de la relativité historique des
modélisations…).

Cependant, ces paris sont constructibles de façon raisonnée comme le mon-


tre J.-P. Bronckart à partir d’une évaluation précise des courants et des disci-
plines auxquels on emprunte, évaluation référée à la construction du cadre
didactique23…

Tout cela ne peut s’effectuer en sous-estimant la façon dont on pense les


finalités sociales de la didactique, question qui ne recoupe d’ailleurs

21. La conséquence pratique de cet état de fait est de considérer nombre de dimensions, soit comme un « habillage », soit
comme des variations secondaires hors du champ de la théorie.
22. La conquête de places institutionnelles et la revendication « scientifique » contrecarrent, pratiquement, dans nombre de
cas, cette prudence.
23. L’exercice d’évaluation auquel se livre J.-P. Bronckart, à propos de la psychologie, nous inciterait d’ailleurs à effectuer le
même à partir des courants de la didactique et de ses emprunts (voir E. Nonnon, 1994, sur la didactique du récit).
224 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

qu’imparfaitement les clivages précédents. Pour schématiser encore, il me


semble que deux familles de positions sont en présence. Pour la première, la
théorie didactique (ou les théories didactiques ou les théories de référence)
n’a pas à intervenir sur les pratiques. Cela peut être tenu « jusqu’au bout24 »
ou tenu contradictoirement à côté d’une conquête de places dans les revues,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
les manuels, la formation, etc. Pour la seconde famille, la théorie didactique
(ou les théories didactiques, ou les théories de référence) a à intervenir sur les
pratiques. Mais ici encore, surgit un clivage important entre ceux pour qui il
s’agit d’un rôle pilote25 et ceux pour qui ce serait plutôt un rôle adjuvant :
aider à comprendre en décrivant et en évaluant les pratiques et leurs effets :
ouvrir ou affiner la palette des pratiques par une réflexion sur l’intégration
d’apports théoriques, etc.

Mais ce débat est insatisfaisant, voire tronqué, s’il continue à faire l’impasse,
comme c’est encore trop souvent le cas à mon sens, sur les effets en retour
des pratiques et des théories didactiques sur les théories de référence. Ainsi,
en est-il de l’impulsion donnée aux recherches concernant la lecture et l’écri-
ture relativement « en veilleuse » en psychologie ou en sociologie jusqu’à ces
deux dernières décennies ; ainsi en est-il de l’intérêt porté aux écrits sociaux
(voir M. Dabène, 1987 et la revue Lidil, 1990), au personnage ou aux scènes
comme « articulateurs » de la lecture-écriture (Pratiques, 1998 et 1994), aux
interactions lecture-écriture (Y. Reuter, éd., 1994) ou aux savoirs pratiques
des enseignants (cf. D. Bucheton, infra). Cette absence de « dialectisation »
empêche sans doute de voir à quel point la problématisation didactique a
conquis une place certaine dans les sciences humaines et a déplacé ou
remodelé des objets, des questions etc. dans les disciplines de référence.
Bref, en quoi la didactique est – d’une certaine façon – discipline de référence
pour d’autres.

I ■ La didactique du français, 10 ans plus tard

Reprenant cette synthèse près de dix ans plus tard, je souhaite montrer que,
malgré la floraison des recherches, la didactique du français se trouve dans
une situation aussi incertaine que lors de la première édition de cet ouvrage.
J’essaierai donc de préciser en quoi, malgré des déplacements et des recon-
figurations indéniables, certaines tensions restent vives ou certains problè-
mes demeurent en suspens.

24. Ce qui ne règle en rien cependant la question des effets qui se produisent « malgré » cette volonté.
25. Cette position se heurte à mon sens à trois écueils majeurs : la confusion entre science et politique ; l’absence de
réflexion sur l’histoire des sciences jonchée de cadavres de théories « justes » ; le temps que devraient encore attendre
les enseignants avant d’enseigner dans l’espoir de « preuves » suffisantes.
Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition ■ 225

1 Tensions institutionnelles

Concernant la dimension institutionnelle de la didactique du français26, je


m’arrêterai brièvement sur ce qui me paraît être, particulièrement en France,
une période d’accentuation des tensions.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
En effet, sur le versant positif, en moins d’une décennie, cette discipline a
connu une phase d’expansion prodigieuse : multiplication des colloques, des
articles, des ouvrages, des postes d’enseignants-chercheurs, des thèses
soutenues, place accrue dans les formations universitaires et professionnel-
les… Mais, d’un autre côté, plusieurs menaces persistent, notamment les
attaques contre sa légitimité issues aussi bien des décideurs-prescripteurs-
contrôleurs institutionnels qui se sont sentis dépossédés, en vertu de son
existence même, d’une partie de leur autorité, que des chercheurs d’autres
disciplines qui n’ont pas forcément apprécié le développement d’une disci-
pline qui, à certains égards, peut apparaître comme empiétant sur leur terri-
toire ou remettant en cause la validité de leur discours sur le terrain
scolaire27. D’autres menaces sont apparues plus récemment, par exemple la
réduction « ciblée » des postes dans l’enseignement supérieur (et les
I.U.F.M.) ou le retour en force, particulièrement sur le terrain du français, des
discours idéologiques les plus traditionnels.

Tout cela mérite non seulement une vigilance constante mais aussi des ana-
lyses et des débats, relativement mis en veilleuse à l’heure actuelle, quant au
positionnement institutionnel de la discipline : à la fois sur son statut universi-
taire28, sur ses relations avec les autres disciplines et sur ses modalités de
relation avec les instances de prescription, de certification, de contrôle…
Tout cela n’a rien de simple et, de surcroît, est variable selon les pays.

2 La définition de la discipline scolaire

La seconde dimension, sur laquelle je m’arrêterai plus longuement, est celle


des contours de la discipline « français » qui me semble, au vu de l’état des
recherches, en interrogation tant du point de vue des contenus que de celui
des publics.

Du point de vue des contenus, le premier élément que je retiendrai – déjà


évoqué dans la synthèse précédente – porte sur la tension entre une concep-
tion centrée sur les savoirs (qui restent à définir) et une autre, devenue ten-
danciellement dominante, focalisée sur des compétences. Cette tension ne

26. Sur ce point, voir aussi la contribution de J. David.


27. À cela, il conviendrait peut-être d’ajouter les reconversions de certains didacticiens qui, devenus universitaires, préfèrent
se réclamer de disciplines estimées plus légitimes, vérifiant ainsi la pertinence des analyses de P. Bourdieu sur la puis-
sance des mécanismes institutionnels.
28. Je parle ici du rattachement en France des didactiques soit aux sciences de l’éducation, soit à d’autres disciplines (lin-
guistique, littérature…) et de leur autonomisation éventuelle.
226 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

soulève pas seulement la question désormais classique de l’articulation entre


savoirs et savoir-faire. Elle en implique au moins trois autres, cruciales mais
encore insuffisamment pensées à mon sens :
– celle du mode (et du « niveau ») de catégorisation des compétences29 : en
termes d’« activité » (insistant, par exemple en matière de lecture, sur son
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
unicité, via un noyau commun d’invariants et sa décontextualisation) ou
en termes de « pratiques » (insistant alors sur sa diversité, sa contextuali-
sation, ses variations formelles et fonctionnelles…) ;
– celle du mode (et du « niveau ») de catégorisation des objets langagiers :
plus ou moins appréhendés sous l’angle de la généralité ou de la spécifi-
cité, sous celui de la production ou du produit : le récit comme type de
texte, le discours narratif, les genres de récits…
– celle de la congruence entre modèles de compétences et modèles
d’objets langagiers30…

Je poserai volontiers ici que la gestion de ces questions est une des tâches
fondamentales auxquelles est confrontée la construction de modèles didacti-
ques31, justement en ceci que, contrairement aux autres disciplines qui peu-
vent opter, au moins tendanciellement, pour l’un ou l’autre des modes de
formalisation, la didactique a comme spécificité de ne pouvoir se priver
d’aucun des deux, dans la mesure où ils sont structurellement impliqués par
les fonctionnements de la discipline scolaire et par les nécessités de son
analyse.

Ainsi, le recours à la formalisation en termes d’« activité » permet, entre


autres, de poser la permanence des enseignables (face aux effets de mode),
leur progressivité (dans les curricula), leur économie (face à la multiplicité des
formes de pratiques), les finalités (la traductibilité de la compétence dans le
maximum de pratiques scolaires et extrascolaires), ainsi que les composan-
tes susceptibles d’être transférées ou actualisées dans des situations diffé-
rentes.

Ainsi, le recours à la formalisation en termes de « pratiques » permet, entre


autres, d’envisager l’évolution des enseignables, leur diversification, la spéci-
fication des finalités (ou l’analyse de ce que les objectifs retenus révèlent des
finalités), l’analyse de la spécificité des pratiques scolaires, de leurs significa-
tions explicites ou implicites et de leurs effets potentiels au regard des prati-
ques extrascolaires des élèves.

Le second élément d’interrogation quant aux contours renvoie à la tension –


tout aussi classique – entre pôles des discours et pôle de la littérature (voir la

29. Sur cette question, voir Y. Reuter, 2001a et 2003. Par niveau, je désigne le niveau de généralité (produire/écrire/
écrire un récit…).
30. Sur ce point, voir mes remarques (Y. Reuter 2002) lors du colloque « L’écriture et son apprentissage. Questions pour la
didactique, apports de la didactique » organisé par Sylvie Plane, à l’INRP en mars 2002.
31. Sur cette notion et les discussions qu’elle suscite, voir, entre autres, de J.-F. Pietro & B. Schneuwly, 2003 ; B. Schneuwly,
éds, 1998 ; Enjeux, 1996 ; Y. Reuter, 1996, 2000 et 2001b.
Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition ■ 227

contribution de G. Legros, infra), tension reconfigurée incessamment et de


manière hétérogène selon les cycles (voir, en France, les dernières instruc-
tions officielles de l’école primaire et du lycée).

Cette tension me paraît d’autant plus difficile à travailler que chacun de ces
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
pôles a connu une expansion de ses recherches32 mais sans qu’il existe de
véritable communication entre eux. De surcroît, chacun d’eux est traversé de
débats. Ainsi, le pôle des « discours » est confronté aux questions de ses
limites, de la dominante accordée au faire ou aux savoirs linguistiques, au
choix des cadres analytiques (par exemple grammaire de phrase, de texte ou
de discours) et à la réorganisation ou non des sous-domaines de la discipline
(orthographe, grammaire, lexique…). De son côté, le pôle de la « littérature »,
s’il apparaît comme un garde-fou utile pour sauvegarder la spécificité du
français face aux mouvements centrifuges impliqués par le pôle des discours
(sur lesquels je reviendrai immédiatement après), est confronté aux questions
de sa modélisation didactique (comment la définit-on ?), de ses modes de
justification au sein de la discipline français (qu’est-ce qui justifie sa place et
les valeurs qui lui sont attachées ?), de ses spécificités (qu’est-ce que la litté-
rature permet de faire qu’aucun autre ensemble de pratiques culturelles ne
permettrait pas ?)33.

De fait, c’est peut-être une spécificité de la didactique du français que d’être


ainsi à la recherche de son identité entre compétence pratique et expertise
analytique, entre participation à une communauté linguistique et distinction
culturelle…

Le troisième élément d’interrogation quant aux contenus, articulé au pôle des


discours, réfère à la tension entre « français » envisagé comme une discipline
autonome et « français » envisagé comme discipline commune ou transver-
sale via les pratiques langagières34. Du côté de l’autonomie on voit bien que
se pose la question de la spécificité (et donc du recours possible à la littéra-
ture). Mais, du côté de la transversalité se pose la question de la dilution dis-
ciplinaire ou d’un paradoxe redoutable. Comment en effet, sans être
spécialiste des savoirs et des genres disciplinaires dans d’autres disciplines,
ne pas être tenté de rabattre les pratiques langagières sur les points com-
muns les plus généraux de l’argumentation, de l’explication, de la descrip-
tion… C’est-à-dire, par le recours à une formalisation par l’« activité » et les

32. Avec une accentuation assez remarquable des recherches concernant l’enseignement de la littérature à l’école primaire.
Voir, par exemple, Repères, 1996 ou C. Tauveron, 2002.
33. De ce point de vue, il semble que la littérature effectue un « retour en force » mais sans le travail de déconstruction criti-
que qui l’accompagnait lors des décennies précédentes, à quelques exceptions près (par exemple, J.-L. Chiss & J.
David, 1999 ; B. Daunay, 1999).
34. Voir tout ce qui s’est publié depuis quelques années autour du français « transdisciplinaire » ou des relations entre prati-
ques langagières et construction des savoirs, par exemple : D. Bucheton & J.-C. Chabanne, éds, 2002 ; Les Cahiers
pédagogiques (1999 et 2000) ; La Lettre de la DFLM (2002) ; Pratiques (2002) ; Recherches (2002) ; Y. Reuter, éd.,
1998…
228 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

types de textes, d’oblitérer les spécificités langagières qui constituent juste-


ment la qualification disciplinaire.

Peut-être pourrait-on dire, ici encore, que cette tension est une des caracté-
ristiques du « français », modulable selon les niveaux scolaires, liée à son
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
statut de discipline « fondamentale »35 et à son entrée par les capacités et les
objets langagiers. Reste cependant à construire, le plus précisément possi-
ble, les modes de gestion didactiquement viables de cette tension.

Ces tensions, référées aux contenus, ne sont pas indépendantes du dévelop-


pement de recherches qui n’ont cessé d’étendre le champ de la didactique
au-delà de son « public-cible » tel qu’il était, au moins implicitement,
construit : les élèves de langue « maternelle » du primaire, du collège et du
lycée. Cette expansion a ainsi concerné, lors de cette dernière décennie :
– les zones initiale (maternelle) et terminale (université)36 de l’appareil
scolaire ;
– le statut complexe de la situation linguistique de nombre d’apprenants
(remettant en cause les frontières avec le français langue étrangère ou le
français langue seconde)37 ;
– les relations entre pratiques scolaires (orales, écrites…) et pratiques
extrascolaires38 ;
– l’enseignement du « français » dans des dispositifs périscolaires ou
extrascolaires (en entreprise, pour des publics de bas niveau de qualifica-
tion, dans des dispositifs de lutte contre l’illettrisme…) ;
– la formation des maîtres…

Au travers de cette expansion, on perçoit bien que les contours, voire que la
notion même de discipline scolaire est interrogée, questionnant en retour la
didactique en tant qu’elle se définit en relation avec des contenus disciplinai-
res. Mais, ici encore, le morcellement des recherches empêche de penser ce
que leur juxtaposition interroge et qui concerne, outre la manière dont les
recherches en didactique construisent la discipline scolaire, d’autres problè-
mes non négligeables tels :
– la définition d’une « activité de français » (i.e. Quand parle-t-on ? Quand
effectue-t-on une activité de français ?) ;
– la part accordée à la « forme scolaire » dans la spécification de la didacti-
que (i.e. jusqu’où peut-on parler de didactique extrascolaire ou profession-
nelle ?) ;

35. C’est-à-dire initiale et nécessaire pour « entrer » dans nombre d’autres disciplines.
36. Voir, par exemple, D.G. Brassart, éd., 2000, Enjeux (2002 a et 2002 b), Lidil (1998), Lidil (2001), Spirale (2002)…
37. Le changement de sigle (en 2003) de l’Association Internationale pour le Développement de la Recherche en Didacti-
que du Français Langue Maternelle (AIDR-DFLM) en Association Internationale pour la Recherche en Didactique du Fran-
çais (AIRDF) constitue un indicateur non négligeable de ce déplacement. De fait, la question du français langue seconde
avec les élèves issus de l’immigration est abordée frontalement dès 1997 dans l’ouvrage de D. Boyzon-Fradet & J.-L.
Chiss.
38. Voir, notamment M.-C. Penloup, 1999 et Repères (2001).
Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition ■ 229

– la spécificité des objets et/ou de la perspective didactique et en fin de


compte des recherches en didactique (i.e. en quoi des recherches sur les
pratiques extrascolaires des élèves appartiennent au champ de la
didactique ?)…
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
Je dois avouer que, pour moi, ces questions demeurent ouvertes, même si,
sur le dernier point soulevé, j’avancerais volontiers que le fait d’envisager les
pratiques des élèves (et non des enfants, par exemple) et de constituer
l’investigation au travers d’une partition de l’espace social entre espaces
scolaire et extrascolaire me paraît spécifique du regard didactique.

3 Les relations entre didactique et discipline scolaire

Les problèmes de construction de la discipline au travers des recherches en


didactique sont, dans une perspective complémentaire, indissociablement
liés aux modes de relation qu’elles entretiennent avec la discipline scolaire.
Ces modes de relation peuvent peut-être s’appréhender en distinguant trois
pôles de référence39.

Le premier pôle serait celui de l’abstention. La recherche en didactique


revendique son altérité en se voulant absolument étrangère à la discipline
scolaire et à sa mise en œuvre. Elle tient alors une posture descriptive et/ou
explicative en s’attachant à éviter tout jugement de valeur et/ou toute propo-
sition. Cette posture, qui revendique le clivage entre les recherches et prati-
ques scolaires et vise à positionner ainsi la didactique du côté des
recherches « fondamentales » et des représentations classiques de la scienti-
ficité, s’expose à mon sens à trois écueils : celui qui consiste à ne pas s’inter-
roger suffisamment sur la pertinence sociale et les spécificités des
didactiques, celui d’une relation « soumise » aux évolutions de la discipline
scolaire qu’elle se condamne à suivre incessamment, celui d’une validation,
même à son corps défendant, de certains de ses fonctionnements. Tel me
semble être le cas des recherches qui, analysant les performances des élè-
ves face à tel exercice, leur attribue – de manière substantielle – la responsa-
bilité unique des difficultés sans s’interroger sur la validité didactique de ce
qui leur a été proposé40.

Le pôle opposé serait celui de l’intervention. Dans ce cadre, la recherche en


didactique revendique un rôle constituant par rapport à la discipline scolaire
et à sa mise en œuvre. Elle se livre alors soit à un travail de critique, plus ou
moins systématique, soit à un travail d’opérationnalisation, tendant parfois à
la prescription. Cette posture n’est pas non plus sans risque : du militantisme
à la confusion entre didactique et ingénierie, la didactique est souvent réduite

39. Je reprends ici, en les modifiant quelque peu, mes propositions précédentes (cf. notre partie H).
40. Je pense ici à nombre de recherches portant sur les rapports aux savoirs ou au langage.
230 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

au rôle d’intermédiaire entre des convictions, des théories de référence ou


des demandes institutionnelles et les pratiques de terrain.

Il existe à mon sens un troisième pôle possible, tentant de concilier le néces-


saire clivage entre recherches et pratiques disciplinaires tout en évitant les
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
écueils mentionnés. Il s’agit, de la recherche « impliquée41 » inscrivant les
pratiques scolaires comme « horizon praxéologique » (Y. Reuter, 1992). Dans
cette perspective, l’analyse des fonctionnements disciplinaires et des problè-
mes qu’ils suscitent constitue, en grande partie, la référence initiale de
recherches qui inscrivent comme principe constitutif de la production des
connaissances leur possible contribution à des transformations mélioratives.
Cela implique conséquemment de ne se priver ni de la déconstruction criti-
que des contenus et des exercices, ni de la construction de contenus et
d’exercices alternatifs, sous réserve de trois conditions : l’étayage théorico-
empirique de ce travail, l’évaluation des propositions afin de spécifier leurs
intérêts et leurs limites, leur présentation en tant que contribution à une
ouverture des possibles42.

En tout état de cause, il me semble que la tension entre abstention et inter-


vention structure les didactiques et participe donc de leur spécificité. Il serait
cependant illusoire de sous-estimer le poids des mécanismes institutionnels
qui compliquent la position de ce problème et pèsent sur ses modes de réso-
lution. Je pense par exemple au fait que nombre d’acteurs peuvent tenir, syn-
chroniquement, des places et des rôles différents dans les espaces sociaux
concernés (enseignant/formateur/chercheur/expert/prescripteur/auteur de
manuels…) sans bien spécifier les différences que cela implique, sans bien
les rendre visibles non plus. Il me paraît en tout cas difficile de ne pas théma-
tiser la question de la relation à la discipline dans le cadre d’une réflexion
épistémologique sur la didactique.

4 Les pôles des recherches en didactique

Les tensions ou les incertitudes évoquées précédemment peuvent encore se


lire au travers de certains déplacements dans les pôles privilégiés par les
recherches ou, du moins, des manières dont ils sont présentés.

Ainsi, pour n’en prendre qu’un seul exemple, il est de plus en plus fréquent
d’entendre affirmer qu’il serait souhaitable de développer des recherches sur
le travail enseignant, la part du maître, dans la mesure où ce pôle aurait fait
l’objet de moins d’investigations en didactique du français que ceux des
savoirs et des apprenants43. Au-delà des débats sur les fondements de cette
assertion, cela me paraît soulever trois problèmes importants.

41. Je reprends ce terme à J.-F. Halté, sans qu’il y ait, néanmoins, de recouvrement intégral.
42. Et non comme solution à appliquer…
43. Ce que j’écrivais d’ailleurs dans ma synthèse de 1994.
Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition ■ 231

Peut-on sous-entendre que les recherches sur les savoirs sont suffisamment
développées ? Surtout si l’on pense que le prisme disciplinaire caractérise la
didactique et si, on a en tête la question de la modélisation didactique (cf.
I.2), c’est-à-dire de la construction de modèles de savoirs et de savoir-faire
spécifiques à la didactique.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
Peut-on soutenir que les recherches sur les apprenants sont suffisamment
développées ? Surtout si l’on tient compte de l’horizon praxéologique (cf. I.3)
de la didactique et de questions aussi importantes que celles des modes
d’apprentissage, des dysfonctionnements, des obstacles, voire de ce qui
caractériserait une analyse proprement didactique des performances des élè-
ves et de leurs évolutions.

Peut-on enfin penser, sans risquer de réduire la spécificité didactique, que les
recherches peuvent s’effectuer sur ces différents pôles, séparément ? Et non
que la didactique se caractériserait justement dans les modalités de leur arti-
culation (qui restent d’ailleurs à définir).

En d’autres termes, il me semble que se joue en partie ici rien moins que la
question de la spécificité des recherches en didactique, de ce qui fait qu’elles
sont différentes des recherches menées dans d’autres disciplines.

Je ne voudrais pas conclure ici, abruptement, sans signaler les limites de


cette nouvelle synthèse. Ainsi, bien d’autres questions auraient pu être soule-
vées telles celles de la didactique comparée et du travail d’élaboration con-
ceptuelle qui lui est attaché avec, par exemple, le sentiment que,
paradoxalement, les relations entre didactiques demeurent peu pensées44 ou
que certaines notions fonctionnent plus comme des emblèmes que comme
des concepts qui nécessitent une réflexion critique constante45.

D’un autre point de vue encore, si l’on admet que le développement d’une
discipline est tributaire tout à la fois du développement de ses recherches,
des débats du champ et de la réflexion épistémologique qui s’en empare, on
peut penser que la didactique du français est bien vivante entre les Journées
de Saint-Cloud qui constituent le fondement de la première édition de cet
ouvrage, le colloque de Poitiers consacré aux questions épistémologiques
(M. Marquilló, éd., 2001) et le colloque de l’AIRDF tenu en août 2004 à Qué-
bec autour du statut et de l’unité de la discipline français.

44. Voir, sur ce point, le numéro 141 de la Revue française de pédagogie (2002) et la faible part qu’il consacre à ce pro-
blème et à celui des pratiques langagières dans les différentes disciplines.
45. Par exemple celle de contrat didactique qui spécifie sans doute insuffisamment ce qui est de l’ordre de la « forme
scolaire » (G. Vincent, éd., 1994), de l’ordre du mode de travail pédagogique et de l’ordre du didactique.
232 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

Références bibliographiques
ASTOLFI J.-P., « Trois paradigmes pour les recherches en didactique », Revue
Française de Pédagogie, n° 103, pp. 5-18.
BALIBAR R. & LAPORTE D. (1974), Le français national, politiques et pratique de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
la langue nationale sous la Révolution, Paris, Hachette.
BALIBAR R. (1974), Les français fictifs, le rapport des styles littéraires au français
national, Paris, Hachette.
BATAILLE M. (1981), « Le concept de “chercheur collectif” dans la recherche-
action », dans Les Sciences de l’éducation pour l’ère nouvelle, 2-3, pp. 27-37.
BAUDELOT C. & ESTABLET R. (1975), L’École primaire divise, Paris, Maspéro.
BERNSTEIN B. (1975), Langage et classes sociales, codes sociolinguistiques et
contrôle social, Paris, Minuit.
BOURDIEU P. (1980), Le Sens pratique, Paris, Minuit.
BOYZON-FRADET D. & CHISS J.-L. (éds) (1997), Enseigner le français en classes
hétérogènes. École et immigration, Paris, Nathan.
BRASSART D.G. & REUTER Y. (1992), « Former des maîtres en français. Éléments
pour une didactique de la didactique du français », Études de linguistique
appliquée, n° 87, pp. 11-24.
BRASSART D.G., éd. (2000), Pratiques de l’écrit et modes d’accès au savoir dans
l’enseignement supérieur, Université Charles-de-Gaulle – Lille III, coll. « Ateliers ».
CHABANNE J.-C. & BUCHETON D. (2002), Parler et écrire pour penser, appren-
dre et se construire. L’écrit et l’oral réflexifs, Paris, PUF.
Cahiers pédagogiques (1999), « Décrire dans toutes les disciplines », n° 373.
Cahiers pédagogiques (2000), « Écrire pour apprendre », n° 388-389.
CHEVALLARD Y. (1985), La Transposition didactique, Grenoble, La pensée sau-
vage.
CHISS J.-L. & DAVID J. (1999), « Des relations entre langue et littérature. Élé-
ments pour un débat théorique, institutionnel et didactique », Le Français
aujourd’hui, n° hors série, pp. 40-54.
DABÈNE M. (1987), L’Adulte et l’écriture, contribution à une didactique de l’écrit
en langue maternelle, Bruxelles, De Boeck-Wesmael.
DE PIETRO J.-F. & SCHNEUWLY B. (2003), « Le modèle didactique du genre : un
concept de l’ingénierie didactique », Les Cahiers THEODILE, n° 3, pp. 27-52.
DAUNAY B. (1999), « La “lecture littéraire” : les risques d’une mystification »,
Recherches, n° 30, pp. 29-59.
DEVELAY M. (1992), De l’Apprentissage à l’enseignement, Paris, ESF.
DOLZ J. & SCHNEUWLY B. (1998), Pour un enseignement de l’oral : initiation aux
genres formels à l’école, Paris, ESF.
Études de linguistique appliquée (1991), « État de la recherche en didactique du
français langue maternelle », n° 84.
Enjeux (1996), « Vers une didactique de l’oral ? », n° 39/40.
Enjeux (2002 a), « L’écrit dans l’enseignement supérieur I », n° 53.
Enjeux (2002 b), « L’écrit dans l’enseignement supérieur II », n° 54.
FIJALKOW J. (1992), « Action, recherche, recherche-action en lecture-écriture à
l’école », dans J.-M. Besse, M.M. de Gaulmyn, D. Ginet & B. Lahire (éds),
L’« illettrisme » en questions, Lyon, PUL.
GOMBERT J.-E. (1990), Le Développement métalinguistique, Paris, PUF.
HALTÉ J.-F. (1992), La Didactique du français, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? »
Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition ■ 233

LABOV W. (1978), Le Parler ordinaire, la langue dans les ghettos noirs des États-
Unis, Paris, Minuit.
LAHIRE B. (1993a), Culture écrite et inégalités scolaires. Sociologie de l’« échec
scolaire » à l’école primaire. Lyon, PUL.
LAHIRE B. (1993b), La Raison des plus faibles. Rapport au travail, écritures
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
domestiques et lectures en milieux populaires, Lille, PUL.
La Lettre de la DFLM (2000), « Écrire pour apprendre », n° 26.
Lidil (1990), « Des écrits (extra)ordinaires », n° 3.
Lidil (1998), « Pratiques de l’écrit et des modes d’accès au savoir dans l’ensei-
gnement supérieur », n° 17.
Lidil (2001), « Apprendre à citer le discours d’autrui », n° 24.
MARQUILLÓ M. (éd.) (2001), Questions d’épistémologie en didactique du fran-
çais, Actes des journées d’étude 20-22 janvier 2000, Poitiers, Les Cahiers
FORELL – Université de Poitiers.
NONNON E. (1994), « Ordre de l’homogène et cohérence dans la diversité :
niveaux de cohérence dans les pratiques didactiques du récit au collège ».
Recherches, n° 20, pp. 145-179.
PENLOUP M.-C. (1999), L’Écriture extrascolaire des collégiens, Paris, ESF.
Pratiques (1988), « Le personnage », n° 60.
Pratiques (1994), « Scènes romanesques », n° 81.
Pratiques (2002), « Images du scripteur et rapports à l’écriture », n° 113-114.
Recherches (2002), « Français et interdisciplinarité », n° 37.
Repères (1996), « Lecture et écriture littéraire à l’école », n° 13.
Repères (1994), « Activités métalinguistiques à l’école », n° 9.
Repères (2001), « Les pratiques extrascolaires de lecture et d’écriture des
élèves », n° 23.
REUTER Y. (1992), « La didactique du français. Ébauche de définition », Sciences
de l’éducation, n° 3, pp. 13-19.
REUTER Y. (1996), Enseigner et apprendre à écrire. Construire une didactique de
l’écriture, Paris, ESF.
REUTER Y. (2000), La Description. Des théories à l’enseignement-apprentissage,
Paris, ESF.
REUTER Y. (2001a), « La “prise en compte” des pratiques extrascolaires de lec-
ture et d’écriture : problèmes et enjeux », Repères, n° 23, pp. 9-31.
REUTER Y. (2001b), « Éléments de réflexion à propos de l’élaboration concep-
tuelle en didactique du français » dans M. Marquilló (éd.), Questions d’épisté-
mologie en didactique du français, Les Cahiers FORELL – Université de
Poitiers.
REUTER Y. (2002), « Quelques questions à propos des formalisations de l’écriture
en didactique du français », Pratiques, n° 115-116, pp. 29-36.
REUTER Y. (2003), « La construction de la lecture en didactique », dans E. Egger
(éd.), Mobiles et mouvements pédagogiques. Un choix d’itinéraires offerts à
Jacques Weiss, Neuchâtel-Lausanne, IRDPP et Éditions LELP.
REUTER Y., éd., (1994), Les interactions lecture-écriture, Berne, Peter Lang.
REUTER Y., éd., (1998), La Description. Théories, recherches, formation, ensei-
gnement. Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion.
Revue française de pédagogie (2002), « Vers une didactique comparée », n° 141.
ROPÉ F. (1990), Enseigner le Français. Didactique de la langue maternelle, Paris,
Éd. Universitaires.
234 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

RUELLAN F. (1999), Un Mode de travail didactique pour l’enseignement-appren-


tissage de l’écriture au cycle 3 de l’enseignement primaire, thèse de doctorat,
université Charles-de-Gaulle – LILLE III (reproduite en 2003 par l’Atelier Natio-
nal de Reproduction des thèses et les Presses Universitaires du Septentrion).
Spirale (2002), « Lire-écrire dans le supérieur », n° 29.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
TAUVERON C. (2002), Lire la littérature à l’école, Paris, Hatier.
VINCENT G., éd. (1994), L’Éducation prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisa-
tion et socialisation dans les sociétés industrielles, Lyon, PUL.
Bibliographie générale
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
Cette bibliographie recense des ouvrages et revues qui constituent le fonds
commun de la didactique du français en particulier dans le domaine de la lan-
gue maternelle. Elle complète, dans un souci de large initiation, les bibliogra-
phies spécifiques qui suivent certaines contributions.

A ■ Banques de données INRP1


ÉMILE 1 : Éducation et formation.
ÉMILE 2 : Recherches, équipes, chercheurs en éducation et formation.
DAF : Recherches et publications en Didactique et acquisition du français langue
maternelle depuis 1970.
EMMANUELLE : Les manuels scolaires en France de 1789 à nos jours.
EMMANUELLE 5 : Manuels scolaires français (bibliographie).

B ■ Actes de colloques de l’association AIRDF


(ou anciennement AIRDFLM)2
PETITJEAN André & ROMIAN Hélène (éds) (1986), Recherches actuelles sur
l’enseignement du français, Actes du colloque de Sèvres de 1983, Bruxelles,
De Boeck-Duculot.
CHISS Jean-Louis, LAURENT Jean-Paul, MEYER Jean-Claude, ROMIAN Hélène
& SCHNEUWLY Bernard (éds) (1987), Apprendre/enseigner à produire des tex-
tes écrits, Actes du 3e colloque international de didactique du français de
Namur, septembre 1986, Bruxelles, De Boeck-Wesmael.
SCHNEUWLY Bernard (éd.) (1990), La Diversification dans l’enseignement du
français écrit, Actes du 4e colloque international de didactique du français lan-
gue maternelle de Genève, septembre 1989, Neuchâtel-Paris, Delachaux et
Niestlé.
LEBRUN Monique & PARET Marie-Christine (éds) (1993), L’Hétérogénéité des
apprenants. Un défi pour la classe de français. Actes du 5e colloque internatio-
nal de didactique du français langue maternelle de Montréal, mai 1992, Neu-
châtel-Paris, Delachaux et Niestlé.
BOUCHARD Robert & MEYER Jean-Claude (éds) (1996), Les Métalangages de la
classe de français, Actes du 6e colloque international de la DFLM, Lyon, sep-
tembre 1995, DFLM et Université L. Lumière – Lyon II.

1. Accessibles sur le Web : http ://www.inrp.fr/bdd/accueil.htm.


2. Par ordre chronologique.
236 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

LEGROS Georges, POLLET Marie-Christine & ROSIER Jean-Maurice (éds) (1999),


DFLM : quels savoirs pour quelles valeurs ?, Actes du 7e colloque international
de la DFLM de Bruxelles, septembre 1998, Bruxelles, De Boeck.
DOLZ Joaquim & MEYER Jean-Claude (éds) (1998), Activités métalangagières et
enseignement du français. Actes des journées d’études en didactique du fran-
çais de Cartigny, 28 février – 1er mars 1997, Bern, Peter Lang.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
MARQUILLÓ LARRUY Martine (éd.) (2001), Questions d’épistémologie en didacti-
que du français (langue maternelle, langue seconde, langue étrangère), Actes
des journées d’études DFLM de Poitiers, 20-22 janvier 2000, Poitiers, Les
Cahiers FORELL – Université de Poitiers.
DOLZ Joaquim, SCHNEUWLY Bernard, THÉVENAZ-CHRISTEN Thérèse & WIR-
THNER Martine (éds) (2002), Les Tâches et leurs entours en classe de français.
Actes du 8e colloque international de la DFLM de Neuchâtel, 26-28 septembre
2001. Cédérom.

C ■ Actes des autres colloques


en didactique du français3
AEBY Sandrine, DE PIETRO Jean-François & WIRTHNER Martine (éds) (2000),
Français 2000, L’enseignement du français en Suisse romande : un état des
lieux et des questions (dossier préparatoire). Neuchâtel : IRDP.
BARRÉ-DE MINIAC Christine (éd.) (2003). « La littéracie : vers de nouvelles pistes
de recherche didactique ». Actes du colloque « La Littéracie : le rôle de
l’école », Grenoble, octobre 2002, LIDIL, n° 27.
BARRÉ-DE MINIAC Christine, BRISSAUD Catherine & RISPAIL Marielle (éds)
(2004), La Littéracie. Conceptions théoriques et pratiques d’enseignement de
la lecture-écriture. Actes du colloque, « La Littéracie : le rôle de l’école », Gre-
noble, octobre 2002, Paris, L’Harmattan, coll. « Espaces discursifs ».
BOISSINOT Alain (éd.) (2001), Perspectives actuelles de l’enseignement du fran-
çais, Actes du séminaire national de la Sorbonne (Paris) d’octobre 2000, CRDP
de l’académie de Versailles.
BRASSART Dominique-Guy, GARClA-DEBANC Claudine, HALTÉ Jean-François,
LEBRUN Monique, PETITJEAN André, LEGROS Georges & ROPÉ Françoise
(1990), Perspectives didactiques en français, Actes du colloque de Cerisy de
1989, Metz, Centre d’analyse syntaxique de l’université de Metz.
BUCHETON Dominique & CHABANNE Jean-Charles (éds) (1997), « Pratiques
enseignantes / activités des élèves dans la classe de français. Actes des
journées d’études de Montpellier », 23-25 octobre 1997. La Lettre de la DFLM,
n° 21-2.
CALAQUE Elizabeth & DAVID Jacques (éds) (2004), Didactique du lexique : con-
textes, démarches, supports. Actes du colloque international de Grenoble,
mars 2003, Bruxelles, De Boeck Université.
CANVAT Karl (éd.) (2001), « Recherches en didactique de la littérature ». Actes
des journées d’études de Namur, 22-23 mars 2000, Enjeux, n° 51-52.
COLLÈS Luc, DUFAYS Jean-Louis, FABRY Geneviève & MAEDER Costantino
(éds) (2001), Didactique des langues romanes. Le développement de compé-

3. Par ordre alphabétique.


Bibliographie générale ■ 237

tences chez l’apprenant. Actes du colloque international de Louvain-la Neuve,


janvier 2000, Bruxelles, De Boeck-Duculot, coll. « Savoirs en pratique ».
DEFAYS Jean-Marc, DELCOMINETTE Bernadette, DUMORTIER Jean-Louis &
LOUIS Vincent (éds) (2003), Didactique du français. Actes du colloque interna-
tional de mai 2002, Cortil-Wodon (B), Éditions Modulaires Européennes.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
DUFAYS Jean-Louis, GEMENNE Louis & LEDUR Dominique (éds) (1996), Pour
une lecture littéraire, tomes 1 et 2, Actes du colloque « La lecture littéraire en
classe de français : quelles didactiques, pour quels apprentissages ? », Lou-
vain-la-Neuve, 3-5 mai 1995, Bruxelles, Duculot-De Boeck & Larcier.
FRAISSE Emmanuel & HOUDART-MEROT Violaine (éds) (2004), Les Enseignants
et la littérature : la transmission en question. Actes du colloque de l’université
de Cergy-Pontoise, novembre 2002, SCEREN-CRDP de Créteil – Université de
Cergy-Pontoise.
GAUDIN Josiane & LUREAU Serge (éds) (1999), « Lecteurs, littératures, enseigne-
ment. Actes du 11e congrès de l’AFEF à Nantes, mai 1998, Le Français
aujourd’hui, hors série.
HALTÉ Jean-François & PETITJEAN André (éds) (1982), Pour un nouvel enseigne-
ment du français. Actes du colloque de Cerisy de 1979, Bruxelles-Paris-Gem-
bloux, De Boeck-Duculot.
HALTÉ Jean-François, PETITJEAN André & PLANE Sylvie (éds) (2002), « L’écriture
et son apprentissage ». Actes du colloque international de l’INRP à Paris, mars
2002, Pratiques, n° 115-116.
HUYNH Jeanne-Antide & LUREAU Serge (éds) (2003), « Enseigner la langue de
l’école au lycée », Actes du 12e congrès de l’AFEF à Besançon, mai 2002, Le
Français aujourd’hui, n° 141.
JAUBERT Martine, REBIÈRE Maryse, BERNIÉ Jean-Paul (éds) (2003), Construc-
tion des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement, Cédé-
rom des Actes du colloque pluridisciplinaire international, IUFM d’Aquitaine &
Université Victor Segalen, Bordeaux II, 3-5 avril 2003.
LOUICHON Brigitte & ROGER Jérôme (éds) (2003), « L’Auteur entre biographie et
mythomanie ». Actes du colloque de Bordeaux, mars 2002, Modernités, n° 18.
PETITJEAN André & PRIVAT Jean-Marie (éds) (1999), Histoire de l’enseignement
du français et textes officiels. Actes du colloque de Metz, décembre 1997, Uni-
versité de Metz – Centre de recherche de didactique du français.
PLANE Sylvie (éd.) (1999), « Manuels et enseignement du français ». Actes du
colloque de l’IUFM de Caen-Saint Lô, 24-26 octobre 1996, Caen, CRDP de
Basse-Normandie.
PLANE Sylvie (éd.) (2002-2003), « L’écriture et son apprentissage à l’école
élémentaire ». Actes du colloque international de l’INRP à Paris, mars 2002,
Repères, n° 26-27.
POLLET Marie-Christine & BOCH Françoise Karl (éds) (2002), « L’écrit dans
l’enseignement supérieur ». Actes du colloque de Bruxelles, 23-25 janvier
2002, Enjeux, n° 53 (vol. I), n° 54 (vol II).
REUTER Yves (éd.) (1994), Les Interactions lecture-écriture. Actes du colloque
Théodile-Crel à Lille, novembre 1993, Bern, Peter Lang.
VARGAS Claude (éd.) (2004), Langue et étude de la langue. Actes du colloque
d’Aix-Marseille, 5-7 juin 2003. Aix-en-Provence, Publications de l’université de
Provence.
238 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

D ■ Références de base
ASTOLFI Jean-Pierre & DEVELAY Michel (1989), La Didactique des sciences,
Paris, PUF, Coll. « Que sais-je ? ».
BRONCKART Jean-Paul & CHISS Jean-Louis (2002), » Didactique, Didactique
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
des disciplines, Didactique de la langue maternelle ». Encyclopaedia Universa-
lis.
BRONCKART Jean-Paul, GAGNÉ Gilles & ROPÉ Françoise (éds) (1991), « État de
la recherche en didactique du français langue maternelle », Études de linguisti-
que appliquée, n° 84.
CHISS Jean-Louis & DABÈNE Michel (éds) (1992), « Recherches en didactique du
français et formation des enseignants », Études de linguistique appliquée,
n° 87.
CHISS Jean-Louis & MARCHAND Franck (éds) (1985), « Didactique du français
langue maternelle : théories, pratiques, histoire », Études de linguistique appli-
quée, n° 59.
CHISS Jean-Louis & MULLER Maurice (1993), Recherches en didactique de la
langue et des discours, Paris, INRP.
DABÈNE Michel & DUCANCEL Gilbert (éds) (1997), « Pratiques langagières et
enseignement du français à l’école », Repères, n° 15.
GAGNÉ Gilles, LAZURE Roger, SPRENGER CHAROLLES Liliane & ROPÉ Fran-
çoise, (1989) Recherches en didactique et acquisition du français langue
maternelle (1970-1984). Bruxelles, De Boeck-Wesmael, Paris, Éd. Universitai-
res, INRP, Montréal, Université de Montréal, PPMF.
Tome I : Cadre conceptuel, thésaurus et lexique des mots-clés.
Tome II : Répertoire bibliographique.
GAGNÉ Gilles, LAZURE Roger, SPRENGER CHAROLLES Liliane & ROPÉ Fran-
çoise, Recherches en didactique et acquisition du français langue maternelle
(1990). Mise à jour I (1984-1988), Montréal, Services documentaires multimé-
dia.
GAGNÉ Gilles, LAZURE Roger, PASTIAUX-THIRIAT Georgette & SPRENGER
CHAROLLES Liliane, Recherches en didactique et acquisition du français lan-
gue maternelle (1991). Mise à jour II, Montréal, Services documentaires multi-
média.
GAGNÉ Gilles, LAZURE Roger & PASTIAUX-THIRIAT Georgette, Recherches en
didactique et acquisition du français langue maternelle (1993). Mise à jour III,
Montréal, Services documentaires multimédia.
GALISSON Robert & ROULET Eddy (éds) (1989) « Vers une didactique du
français ? », Langue française, n° 82.
GAUDREAULT Monique-N. (éd.) (1997), Didactique de la littérature. Bilan et pers-
pectives. Québec, Nuit blanche éditeur.
HALTÉ Jean-François (1992), La Didactique du français, Paris, PUF, Coll. « Que
sais-je ? ».
HALTÉ Jean-François (éd.) (1993), Inter-actions. L’interaction, actualités de la
recherche et enjeux didactiques, Metz, Université de Metz, Coll. « Didactique
des textes ».
HUYNH Jeanne-Antide & PECHEYRAN Isabelle (éds) (1995), « Didactique du
français : langue et textes », Le Français aujourd’hui, n° 109.
JAFFRÉ Jean-Pierre (1992), Didactiques de l’orthographe, Paris, INRP – Hachette
Éducation.
Bibliographie générale ■ 239

MAURER Bruno (2001), Une Didactique de l’oral. Du primaire au lycée, Paris, Ber-
trand Lacoste.
MELEUC Serge & FAUCHART Nicole (1999), Didactique de la conjugaison. Le
verbe autrement, Paris, Toulouse, Bertrand Lacoste – CRDP Midi-Pyrénées.
PASTIAUX-THIRIAT Georgette (1990), Recherches en didactique des textes et
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
documents, Paris, INRP.
PETITJEAN André (éd.) (1998), « La transposition didactique en français », Prati-
ques, n° 71.
PICOCHE Jacqueline (1993), Didactique du vocabulaire français, Paris, Nathan
Université.
ROPÉ Françoise (1990), Enseigner le français. Didactique de la langue maternelle,
Paris, Éd. Universitaires.
ROPÉ Françoise (1991), Recherches en didactique du français – Tendances géné-
rales, Paris, INRP.
ROSIER Jean-Maurice (2002), La Didactique du français, Paris, PUF, Coll. « Que
sais-je ? ».
ROUXEL Annie, LANGLADE Gérard & FOURTANIER Marie-José (éds) (2001),
Recherches en didactique de la littérature, Rennes, Presses universitaires de
Rennes.
SIMARD Claude (1997), Éléments de didactique du français, langue première,
Bruxelles, De Boeck Université.
TOCHON François Victor (1990), Didactique du français. De la planification à ses
organisateurs cognitifs, Paris, ESF.

E ■ Revues
ENJEUX, revue publiée par le CEDOCEF, Facultés universitaires Notre-Dame de
la Paix – 61, rue de Bruxelles – B 5000 NAMUR.
LA LETTRE DE LA DLFM, revue publiée par la DFLM puis l’AIRDF – Université de
Lille 3 – UFR de Sciences de l’éducation – BP 149 – F 59653 VILLENNEUVE
D’ASCQ.
LE FRANÇAIS AUJOURD’HUI, revue de l’AFEF – 19, rue des Martyrs – F 75009
Paris, publiée par Armand Colin & Larousse – 21, rue du Montparnasse –
F 75006 Paris.
LES CAHIERS THEODILE, revue publiée par l’équipe Théodile (Théorie – Didacti-
que de la lecture-écriture) – Université Charles de Gaulle – Lille 3, UFR de
Sciences de l’éducation – BP 149 – F 59653 VILLENNEUVE D’ASCQ
LIDIL, revue publiée par le LIDILEM – Presses universitaires de Grenoble – BP 47
– F 38040 Grenoble Cedex.
PRATIQUES, revue publiée par le CRESEF – 8, rue du Patural – F 57000 Metz.
RECHERCHES, revue publiée par l’ARDPF – Centre IUFM de Lille – 58 rue de
Londres – BP 87 – F 59006 LILLE CEDEX
REPÈRES, revue publiée par l’INRP – Place du Pentacle – BP 17 – F 69195
SAINT-FONS CEDEX.
TRANEL, revue publiée par l’Institut de linguistique de l’Université de Neuchâtel –
Faculté des lettres et sciences humaines – Espace Louis Agassiz 1 – CH 2000
NEUCHATEL
240 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

Voir aussi :
Babylonia, Cahiers Robinson, Études de linguistique appliquée, Français 2000,
Langage & Pratiques, Langue française, Le français dans le monde, Lettres
ouvertes, Les Cahiers du français contemporain, Les Cahiers pédagogiques,
Littérature, Québec français, Poétique, Raison éducative, Reue française de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:47 - © De Boeck Supérieur
linguistique appliquée, Spirale…
Index thématique
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:48 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:48 - © De Boeck Supérieur
A Didactique des langues : 13, 15, 17-20, 23,
Acteur (chercheur, formateur, enseignant) : 29, 30, 37, 92, 147, 170, 171, 177, 178,
24, 25, 27, 35, 36, 51, 63-65, 70, 74, 82, 191
83, 85, 87, 108, 121, 122, 126, 128, 134, Didactique générale : 21, 71-73, 203, 212,
135, 139, 145-147, 149, 173, 175, 193, 221
198, 199, 201, 203, 206-209, 214, 216, Discipline français : 216, 217, 227, 231
218, 219, 230, 232
Apprenant (élève) : 27, 28, 38, 42, 45, 50, 51, E
54, 57, 64, 65, 67, 68, 74, 80, 104, 106, Écrit (acculturation, acquisition) : 17, 21, 26,
119, 124, 125, 131, 133, 144-146, 153- 27, 30, 39, 43, 47, 52, 57, 77, 80-83, 92,
159, 161, 170, 173, 174, 176, 197, 198, 99, 103, 104, 116, 124, 130, 144, 155,
200, 202, 204-206, 221 157, 160, 163, 166, 174, 176, 179, 181,
Apprentissage : 23, 28, 29, 40, 44, 53, 56, 182, 185-188, 190, 191, 198, 200, 202,
61-70, 74, 77, 79-81, 89, 90, 92-94, 96, 203, 218, 219, 232, 233
99, 103-106, 108, 116, 118, 123, 126, Écriture/rédaction : 42, 44, 45, 51, 53, 54, 80,
127, 131, 134-136, 138, 140, 143-146, 82-84, 93, 94, 103, 116, 130, 131, 151,
149, 152, 159, 161, 163, 164, 171, 172, 152, 154-159, 161-164, 176, 182, 186-
174-176, 181, 184-187, 190, 191, 203- 188, 190, 191, 194, 196, 198, 199, 203,
205, 212, 213, 218, 226, 231-233 205, 211, 215-218, 224, 226, 232-234
Édition, publication : 15, 18, 23, 26, 55, 71,
B 124, 149, 180, 182, 184, 190-192, 224,
Behaviorisme : 136, 138, 141, 144, 145 231
Enseignement : 16, 18-25, 27-30, 35-45, 48-
C 57, 59, 62, 65, 67, 69-71, 74, 75, 77, 79-
Communication : 36, 53, 63-65, 67, 68, 70, 82, 86, 87, 89, 90, 92, 93, 97, 99, 103,
74, 80-84, 89, 92, 93, 117, 132, 143, 195, 106, 108, 109, 115, 118-121, 123, 124,
196, 199, 202, 217, 227 132, 135, 136, 144-146, 151, 157, 161,
Constructivisme : 64, 136-140, 144 164, 170-175, 177-180, 182, 183, 185,
Culture/acculturation : 27, 38, 39, 42, 43, 49, 188-191, 195, 196, 199, 200, 202, 203,
51, 58, 81-83, 87, 109, 115, 119, 120, 205, 206, 212, 213, 218, 219, 221, 225,
122, 124-126, 128-131, 152, 160, 174- 227, 228, 232-234
176, 182, 197, 202, 217, 219 Ethnologie : 83, 119, 122, 123, 126, 129,
218, 219
D
Déclaratif/procédural : 100, 104-109 F
Développement : 16, 19, 21, 25, 35, 38, 39, Formalisation : 24, 69, 217, 226, 227
43, 52, 55, 57, 59, 68, 77, 80, 82, 89, 99, Formation : 17, 21, 24, 25, 27, 29, 30, 39, 40,
100, 105, 106, 109, 111, 112, 115, 118, 45, 50, 68, 70, 71, 86, 90, 93, 102, 112,
126, 135-144, 146, 147, 153, 169, 197, 118, 137, 148, 171, 176, 177, 179, 180,
198, 201-203, 205, 212, 219, 225, 228, 183, 184, 188, 189, 194, 195, 198, 202,
231, 232 207-209, 217, 224, 228, 232, 233
242 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

G 30, 56, 58, 79, 93, 177, 178, 182, 215,


Grammaire : 23, 36, 54, 59, 66, 86, 88, 91- 232
94, 113, 116, 140, 146, 152, 173, 187- Littérature : 13, 27, 35-41, 43-45, 53, 63, 69,
191, 194, 196, 204, 217, 227 70, 85, 119-122, 127, 128, 130, 131, 184,
186, 189, 191, 194, 195, 203, 205, 215,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:48 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:48 - © De Boeck Supérieur
H 217, 218, 225-227, 232, 234
Histoire, épistémologie : 16, 17, 24, 29, 30,
35, 36, 38, 39, 41, 44, 45, 47, 48, 58, 62, M
66, 67, 69, 71, 80, 85, 86, 93, 124, 127- Métalangage : 28, 66, 69, 113
129, 132, 135, 142, 149, 155, 158, 164, Métalinguistique : 82, 84, 101, 198, 205, 232
179, 181, 184, 194, 199, 200, 205, 206, Modèles (didactique, psychologique) : 13, 15,
211, 212, 215-218, 221, 224, 233 16, 18, 46, 69, 83, 85, 87, 91, 98, 99, 101,
102, 109-112, 133, 138, 139, 143, 156,
I 159, 160, 162, 181, 182, 185, 189, 198,
Institution (lieu, cadre, instance) : 18, 23, 49, 199, 202, 204, 209, 215, 222, 226, 231
52, 63, 67, 123, 128, 172, 175, 184
Interaction : 13, 62-65, 67-69, 72, 74, 80, 82, N
83, 107, 138, 140, 142, 147, 174, 201, Norme (linguistique, culturelle) : 36, 40, 88,
203, 206-208, 219, 220, 222 175
Interactionnisme (social) : 136, 141-145, 147
O
L Officiel (texte, discours, orientation) : 154,
Langage (acquisition, activité, pratique) : 21, 155, 161, 172, 184
25, 28, 39, 40, 43, 44, 55, 57, 64-67, 74, Oral (corpus, pratiques d’) : 23, 61, 83, 87,
79, 81-85, 87, 92, 94, 113, 115-118, 120, 99, 104, 163, 174, 180, 191, 200, 203,
128, 137, 140-146, 148, 180, 182, 192, 232
195, 197, 198, 200-204, 208, 220, 229 Outil, manuel : 48, 50, 83, 93, 120, 128, 156
Langage (sciences du) : 13, 20-22, 25, 27,
50, 72, 77, 81, 82, 84, 86, 92, 183, 189 P
Langue étrangère : 13, 15, 16, 17, 18, 22, 27, Pédagogie : 19, 20, 22, 30, 38, 58, 59, 64,
29, 30, 35, 169, 170, 172, 177, 178, 228 67-71, 74, 80, 92, 95, 96, 106, 107, 113,
Langue maternelle : 15-17, 19, 21-23, 27, 29, 115, 118, 120, 121, 123, 155, 173, 180,
30, 35-37, 43, 47, 49, 51, 59, 77, 79, 83, 181, 185, 199, 207, 212, 214, 220, 221,
93, 95, 103, 104, 149, 169, 170-173, 175, 233
177-179, 193, 200, 201, 211, 232, 233 Pratique culturelle, sociale : 55, 122-124,
Langue seconde : 15, 27, 28, 35, 169, 171, 130, 220
172, 177, 228 Psychologie : 19, 21, 23, 25, 43, 68, 77, 79,
Lecture (acquisition, pratique de) : 23, 37-39, 81, 83, 95-98, 103, 113, 115, 117, 118,
42, 44, 45, 54, 58, 77, 81, 84, 88, 94, 99, 136, 137, 141, 143, 144, 147, 148, 182,
103, 104, 117-127, 129-134, 144, 156, 183, 187, 189, 190, 192, 199, 205, 209,
164, 176, 181, 182, 184-188, 190, 196, 216, 218, 219, 223, 224
198, 199, 203, 205, 215, 217, 218, 224,
226, 232, 233 R
Linguistique : 19-22, 23, 26-30, 35-38, 53, Recherche : 13, 15-25, 27, 28, 35, 38, 43, 50,
54, 56, 58, 73, 79, 81, 82, 84, 86, 88-90, 52, 54, 58, 59, 61, 66, 69, 73, 88, 92, 93,
92-94, 115, 116, 128, 175, 177, 178, 180, 97, 99, 109, 114, 122, 124, 130, 132, 147,
182-184, 187, 189, 190, 192, 202, 205, 149, 157, 164, 171, 179-184, 189, 190,
206, 209, 215, 216, 225, 227, 228, 232 194, 195, 202, 204, 208, 210, 214, 216,
Linguistique appliquée : 19, 20, 23, 26, 29, 218, 227, 229, 230, 232
Index thématique ■ 243

S 209, 216, 218, 219, 224


Savoir, contenu d’enseignement : 38, 42, 44,
48-58, 63, 65, 70, 73-75, 80, 83, 85, 86, T
89, 92, 99, 104, 108, 110, 116, 129, 130, Textualité : 163
133, 141, 146, 176, 180, 194, 196, 197, Théorie didactique : 224
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:48 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:48 - © De Boeck Supérieur
200, 201, 202, 205, 207, 213, 216, 219, Transdisciplinaire (français) : 82, 217, 227
221, 226, 232, 233 Transposition (didactique) : 13, 47, 48-51, 53-
Savoir-faire, compétence : 37, 49-52, 63, 69, 59, 85, 97, 103, 116, 190, 191, 204, 216,
72, 74, 75, 79, 82, 87, 93, 95, 99, 100, 220, 232
104, 105, 111, 113, 126, 133, 139, 151, Triangle didactique : 24, 74, 173, 198, 220
176, 187, 191, 205, 207, 212, 218, 226, Type, genre de texte : 28, 39, 40, 52, 54, 64-
227, 231 66, 87, 91, 95, 98, 100, 102, 105, 106,
Situation, pratique de classe : 17, 23, 24, 27, 111-113, 120, 121, 123, 127, 129, 154,
28, 37, 48, 53, 65, 67, 81, 95, 97, 105, 159, 174, 203, 206, 226
106, 111, 124, 128, 129, 131, 146, 171,
173, 179, 196, 202-205, 208, 211, 221, V
224, 228 Valeur (littéraire, culturelle) : 128
Sociologie : 19, 67, 77, 79, 81, 83, 95, 117, Variation (didactique, linguistique) : 88
119, 120, 122, 123, 126, 129, 192, 199,
Table des matières
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:48 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:48 - © De Boeck Supérieur
Sommaire 5

Auteurs 7

Introduction 9
Jean-Louis Chiss, Jacques David, Yves Reuter

Première partie
DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES 13

Chapitre 1 Quelques repères, perspectives et propositions


pour une didactique du français dans tous ses états 15
Michel Dabène
A ■ Histoires d’identités ? 17
B ■ Histoires de schémas et modèles 18
C ■ Spécificités et transversalités d’aujourd’hui 24
D ■ Quelques arguments et conditions pour une didactique du français 26
Références bibliographiques 29
Annexe 31

Chapitre 2 Quelle place pour la didactique de la littérature ? 35


Georges Legros
A ■ Professeur de lettres ou enseignant de français ? 35
B ■ Savoirs ou savoir-faire ? 37
C ■ Littérature ou (types de) textes ? 39
D ■ Refonder l’objet : extension, spécificité, nécessité 41
E ■ Rendre sens au singulier défini 44
246 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

Chapitre 3 De l’utilité de la « transposition didactique » 47


Bernard Schneuwly
A ■ L’étonnant investissement affectif d’un concept 47
B ■ Petit (mal-)traité du concept 48
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:48 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:48 - © De Boeck Supérieur
C ■ Les savoir-faire ou les pratiques sociales de référence :
toujours des savoirs 50
D ■ Disciplines de référence et transposition descendante et ascendante :
la DFLM comme prototype 53
E ■ Je transpose bien, tu transposes mal
ou la transposition se fait derrière notre dos 55
F ■ L’enseignement comme condition nécessaire du développement 57
Références bibliographiques 58

Chapitre 4 Interaction : une problématique à la frontière 61


Jean-François Halté
A ■ Trois approches des interactions à fonction didactique 61
1 L’importance du cadre communicationnel pour l’apprentissage 63
2 L’interaction comme « activité même » de l’apprentissage dirigé 63
3 L’objet du discours et l’histoire interactionnelle 66
4 Les champs impliqués dans la recherche 66
B ■ Didactique et pédagogie 69
1 La matrice disciplinaire du français 69
2 La métadidactique et le travail ordinaire du didacticien 70
3 Didactique générale ? 72
4 Pour une didactique praxéologique 73

Deuxième partie
DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE 77

Chapitre 5 Sciences du langage : le retour 79


Jean-Louis Chiss
A ■ Penser l’état des lieux : applications et effets en retour 80
B ■ Deux questions pour la didactique du français 81
C ■ Traitement des contenus : le malentendu 84
D ■ De quelques avancées pour l’étude de la langue 87
Références bibliographiques 92
Table des matières ■ 247

Chapitre 6 Didactique du français langue maternelle :


approche(s) « cognitiviste(s) » ? 95
Dominique-Guy Brassart
A ■ « Révolution cognitive » et didactique des disciplines 97
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:48 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:48 - © De Boeck Supérieur
B ■ Connaissances déclaratives, connaissances procédurales 99
C ■ « À connaissances procédurales, didactique procédurale » 104
D ■ Didactique déclarative :
la procéduralisation des connaissances déclaratives 107
E ■ De la pluralité des modèles de l’expertise et du développement-
apprentissage à une didactique cognitive différentielle ? 109
F ■ Conclusion 113
Références bibliographiques 115

Chapitre 7 Socio-logiques des didactiques de la lecture 119


Jean-Marie Privat
A ■ Lire, un devoir d’élève 119
B ■ Lire, un plaisir personnel 121
C ■ Lire, une pratique culturelle socialisée 123
1 Les apprentissages culturels 126
2 Les appropriations culturelles 128

Chapitre 8 Développement, compétences et capacités d’action des élèves 135


Jean-Paul Bronckart
A ■ La problématique du développement psychologique 136
1 Le behaviorisme 136
2 Le constructivisme piagétien 137
3 Le cognitivisme orthodoxe 139
4 L’interactionnisme vygotskien 141
B ■ Bref retour à la didactique 144
Références bibliographiques 147

Troisième partie
DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS 149

Chapitre 9 Variations historiques : l’exemple de la « rédaction » 151


André Petitjean
A ■ 1923 152
1 La composition de phrases 152
2 La composition de textes 154
248 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

B ■ 1938 161
1 Les finalités de la rédaction 161
2 Les représentations du scripteur 162
3 La conception de l’écriture 163
Références bibliographiques 164
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:48 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:48 - © De Boeck Supérieur
ANNEXE 1 164
ANNEXE 2 166

Chapitre 10 Langues maternelle, étrangère, seconde :


une didactique unifiée ? 169
Suzanne-G. Chartrand et Marie-Christine Paret
A ■ En quoi la DFLM est-elle une discipline autonome et spécifique ? 170
B ■ Conceptualiser les notions de FLM, de FLS
et de FLÉ ou « dénaturaliser les évidences » 172
1 Français langue seconde et français langue étrangère 172
2 Français langue maternelle 173
C ■ Le « système didactique » du FLM et ceux du FLS et FLÉ 173
1 Les savoirs à enseigner et enseignés dans la classe de français 174
2 Le pôle enseignant ou la problématique de l’intervention didactique 175
3 Le pôle élèves ou la problématique de « l’appropriation didactique » 176
D ■ Des rapprochements entre DFLM et DFLS ou DFLÉ sont nécessaires 177
Références bibliographiques 177

Chapitre 11 Positions actuelles et évolutions institutionnelles et éditoriales 179


Jacques David
A ■ Les lieux de recherche 180
B ■ Les lieux de décision institutionnels 184
C ■ Les lieux de formation 188
D ■ Les lieux d’édition 190

Chapitre 12 Au carrefour des métiers d’enseignant,


de formateur, de chercheur 193
Dominique Bucheton
A ■ Un débat largement ouvert 193
1 Un débat banal, inévitable en termes de places institutionnelles 194
2 Un débat nécessaire sur les valeurs et les finalités de la DFLM 194
3 Des questions épistémologiques 195
4 La question du rôle des acteurs du champ 196
B ■ Postulats pour une DFLM centrée sur le sujet
et son rapport au langage et aux textes 197
Table des matières ■ 249

1 Premier postulat : l’ancrage social de l’action didactique


et les choix nécessaires 197
2 Deuxième postulat : la DFLM traite du langage et donc du « sujet » 200
2.1 Prendre en compte l’hétérogénéité psycho-socio-culturelle
des élèves pour permettre la construction du sens des savoirs 200
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:48 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:48 - © De Boeck Supérieur
2.2 Penser dialectiquement la singularité ! 201
2.3 Penser les situations d’enseignement
comme des situations d’échange, des situations de parole
(ce qui est différent d’enseigner la communication) 202
C ■ La situation didactique en français : complexité, spécificité 203
1 Penser ensemble l’interaction de paramètres hétérogènes 203
2 Bilan succinct 203
3 Questions en chantier 204
3.1 De la nécessité de penser conjointement le développement,
l’enseignement et l’apprentissage 205
3.2 L’interdépendance des savoirs et des savoir-faire 205
3.3 La question de l’identité de la discipline et de ses contours 206
D ■ De quelques questions polémiques 207
1 Le nécessaire dialogue entre les acteurs 207
2 Producteurs de savoirs, l’enseignant de terrain
et le formateur le sont aussi, à leur manière 208
3 Le chercheur, à sa façon, est aussi dans l’intervention didactique 208
4 La question de la diffusion des savoirs 209

Synthèse
Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition 211
Yves Reuter
A ■ La synthèse de 1994 211
B ■ Définir la didactique du français ? 212
C ■ La question des méthodes 213
D ■ Quant à l’histoire 215
E ■ À propos des objets et des pratiques 217
F ■ De quelques concepts 220
G ■ Les disciplines connexes 221
H ■ Les disciplines de référence 222
I ■ La didactique du français, 10 ans plus tard 224
1 Tensions institutionnelles 225
2 La définition de la discipline scolaire 225
3 Les relations entre didactique et discipline scolaire 229
4 Les pôles des recherches en didactique 230
Références bibliographiques 232
250 ■ DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

Bibliographie générale 235


A ■ Banques de données INRP 235
B ■ Actes de colloques de l’association AIRDF (ou anciennement AIRDFLM) 235
C ■ Actes des autres colloques en didactique du français 236
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:48 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:48 - © De Boeck Supérieur
D ■ Références de base 238
E ■ Revues 239

Index thématique 241

Table des matières 245

Vous aimerez peut-être aussi