G.V.
Plekhanov
Sochnieinya - Tome II.
Nos différences
https://www.monde-diplomatique.fr/1963/12/FERON/25690 :
Plekhanov fut parmi les premiers à prendre
conscience des faiblesses du populisme. Alors qu’il se
trouvait encore en Russie, il se fâcha avec ses
camarades de « Terre et Liberté ». C’est en exil qu’il
se convertit définitivement au marxisme. Il écrivit
alors deux ouvrages : le Socialisme et la Lutte
politique (1883) et Nos désaccords (1885), qui
marquent sa rupture avec le populisme et la
Introduction
1. Que nous reproche-t-on ?
Ce que j’ai dit plus haut à propos des attaques, des reproches et des
accusations n’est pas un vain mot. Le groupe « Émancipation du travail »
existe depuis très peu de temps, et pourtant nous avons dû entendre tant
d'objections générées uniquement par une réticence obstinée à réfléchir
sur l'essence de notre programme ; que de malentendus ont été causés
par le simple désir de nous suggérer des pensées et des intentions qui
ne nous étaient jamais venues à l'esprit ! Les uns directement, les autres
indirectement, avec des allusions et des demi-indices, évitant de nous
porter des « coups directs », sans citer nos noms, mais utilisant nos
expressions et interprétant nos pensées au hasard, nous dépeignent
comme des scribes secs, des doctrinaires, prêts à sacrifier le bonheur et
bien-être du peuple dans l'intérêt de l'harmonie et de l'harmonie de ses
théories, éclos au bureau. Ces théories elles-mêmes ont été déclarées
comme une sorte de produit d'outre-mer dont la distribution en Russie lui
serait aussi préjudiciable que l'importation de l'opium anglais l'est à la
Chine. Il est grand temps de mettre fin à cette confusion des concepts, il
est grand temps de clarifier ces malentendus plus ou moins sincères.
Je commence par les choses les plus importantes.
Dans le premier chapitre de ma brochure « Socialisme et lutte politique »,
j’ai prononcé quelques mots moqueurs à l’adresse des révolutionnaires
qui ont peur du progrès économique « bourgeois » et arrivent
inévitablement « à la conclusion étonnante que le retard économique de
la Russie est l’allié le plus fiable ». de la révolution, et la stagnation
devraient apparaître comme le premier et unique paragraphe de notre
programme minimum. J'y ai dit que les anarchistes, populistes et
blanquistes russes ne peuvent devenir « des révolutionnaires en
substance, et non en nom », qu'en « révolutionnant leur propre tête, en
apprenant à comprendre le cours du développement historique et en
devenant à sa tête, et en ne suppliant pas les vieilles femmes ». histoire
de piétiner un endroit jusqu'à ce qu'ils lui ouvrent des chemins nouveaux,
plus droits et meilleurs » [1] . À la fin du troisième chapitre de la même
brochure, j'ai essayé de convaincre mes lecteurs que « relier en un seul
deux moments aussi essentiellement différents que le renversement de
naissance du marxisme russe. En même temps il
fondait avec quelques autres exilés le « Groupe de
l’Emancipation du travail ». Engels, qui aurait dû
apprécier cet hommage rendu au marxisme,
commençait à apprécier le zèle des populistes, les
plus révolutionnaires de tous ceux qui se réclamaient
de la révolution.
l'absolutisme et la révolution socialiste, mener une lutte révolutionnaire
dans l'espoir que ces deux les moments coïncideront dans l'histoire de
notre patrie - signifie retarder l'offensive des deux » [2] . J'ai en outre
exprimé l'idée que "la population rurale moderne, vivant dans des
conditions sociales arriérées, est non seulement moins capable d'
initiative politique consciente que les ouvriers industriels , mais est
également moins réceptive au mouvement lancé par notre intelligentsia
révolutionnaire...". « En outre, continuai-je, la paysannerie traverse
actuellement une période critique difficile. Les anciennes « fondations
anciennes » de son économie s’effondrent, la communauté malheureuse
elle-même est discréditée à ses yeux, comme l’admettent même des
organes populistes « anciens » comme « Week », de nouvelles formes
de travail et de vie commencent tout juste à prendre forme, et cela le
processus créatif révèle la plus grande intensité spécifiquement dans les
centres industriels.
Ces lieux - et d'autres similaires - ont donné lieu à la conclusion que mes
camarades et moi-même, convaincus que l'avenir immédiat appartient au
capitalisme dans notre pays, sommes prêts à pousser la population
laborieuse de Russie dans les bras de fer du capital, et nous considérons
toute lutte du peuple comme « inopportune » pour sa libération
économique.
Dans l’article « Que peut-on attendre de la révolution ? M. Tikhomirov,
décrivant le « rôle curieux » de ces personnalités publiques dont les
programmes sont « privés de lien avec la vie », décrit en détail la «
situation tragique » des socialistes qui pensent « que pour développer les
conditions matérielles nécessaires au possibilité d'un système socialiste,
la Russie doit nécessairement passer par l'étape du capitalisme. » Dans
le récit de M. Tikhomirov, cette situation s’avère tout simplement
désespérée.
Chaque pas est une horreur !
Nos socialistes doivent « chercher à créer une classe au nom de laquelle
ils veulent agir, et pour cela ils doivent désirer l’élimination rapide de ces
millions de travailleurs qui existent réellement, mais qui,
malheureusement, n’étant pas des prolétaires, n’ont aucun rôle à jouer ».
dans le schéma scientifique du progrès social. » . Mais la disgrâce de ces
pédants du socialisme ne peut se limiter à la sphère des « troubles » et
des « désirs ». Wer A sagt, muss auch In sagen! « Pour être cohérent et
placer les intérêts de la révolution au-dessus de sa pureté morale
personnelle, un socialiste devrait ici conclure directement une alliance
avec les chevaliers de l'accumulation primitive , dont le cœur et la main
ne trembleront pas pour développer diverses « valeurs excédentaires » et
s'unir. des travailleurs dans la position salvatrice unique d’un prolétaire
pauvre. Le révolutionnaire se transforme ainsi en partisan de l’exploitation
du travail, et M. Tikhomirov demande à juste titre : « où est donc la
différence entre un socialiste et un bourgeois ?
Je ne sais pas exactement à quels « socialistes » le vénérable auteur
pensait dans cette affaire. En général, comme on peut le constater, il
n'aime pas les « attaques directes » et, sans indiquer ses adversaires,
informe simplement les lecteurs que, disent-ils, « les autres et les autres
» pensent ceci et cela. Le lecteur reste dans l’incertitude totale quant à
qui sont ces autres et s’ils pensent vraiment ce que M. Tikhomirov dit à
leur sujet ? Je ne sais pas non plus si ses lecteurs partagent son horreur
face à la situation des socialistes qu’il critique. Mais le sujet qu'il aborde
est si intéressant, les accusations qu'il a portées contre certains
socialistes sont si semblables aux accusations portées plus d'une fois
contre nous-mêmes, la solution négative à la question du capitalisme
détermine à tel point tout le programme de M. Tikhomirov, tout ses
«attentes de la révolution» , - que c'est son article qui devrait servir de
motif pour la clarification la plus complète et la plus complète de cette
question.
Alors, la Russie devrait-elle « devoir » ou non « passer par « l’école » du
capitalisme ?
La solution à cette question est d'une grande importance pour la
formulation correcte des tâches de notre parti socialiste. Il n’est donc pas
surprenant que l’attention des révolutionnaires russes ait été attirée
depuis longtemps sur ce sujet. Jusqu’à tout récemment, la grande
majorité d’entre eux avaient tendance à le considérer de manière
catégorique dans un sens négatif. J'ai également rendu hommage à la
passion générale, et dans l'article de fond n°3 de « Zemlya i Volya », j'ai
essayé de prouver que « l'histoire n'est pas du tout un processus
mécanique monotone », que le capitalisme n'était qu'un prédécesseur
nécessaire du socialisme. en Occident, où la communauté foncière s'est
effondrée dès la lutte contre la féodalité médiévale » ; que dans notre
pays, où cette communauté « constitue le trait le plus caractéristique des
rapports de notre paysannerie à la terre », le triomphe du socialisme peut
se réaliser d'une toute autre manière ; la propriété collective de la terre
peut servir de point de départ pour organiser tous les aspects de la vie
économique du peuple selon des principes socialistes. « Par conséquent,
ai-je conclu, notre tâche principale est de créer une organisation
révolutionnaire populaire militante pour mener à bien un coup d’État
révolutionnaire populaire dans un avenir proche. »
Ainsi, en janvier 1879, j'ai soutenu la même position que défend M.
Tikhomirov, bien que
En des termes un peu différents,
maintenant, en 1884, disant qu'au-delà de cette « ligne mystérieuse où
bouillonnent et écument les vagues du courant historique », c'est-à-dire,
pour le dire plus simplement, au-delà de la chute du système socio-
politique moderne, « ce qui nous attend » n'est pas le royaume du
capitalisme, comme le prétendent « certains », mais « le début de
l’organisation socialiste de la Russie ». La nécessité de créer une «
organisation révolutionnaire populaire de combat » passe au second plan
pour M. Tikhomirov et cède la place à une organisation conspiratrice de
notre intelligentsia, qui doit prendre le pouvoir et donner ainsi un signal à
la révolution populaire. Dans ce cas, ses vues diffèrent de mes vues
précédentes exactement autant que le programme de Narodnaya Volya
diffère du programme de Terre et Liberté. Mais les erreurs commises par
M. Tikhomirov, en ce qui concerne l’aspect économique de la question,
sont presque « identiques » aux erreurs que j’ai commises dans l’article
susmentionné. En conséquence, en m'opposant à M. Tikhomirov, je
devrai souvent apporter des modifications à l'argument qui me paraissait
autrefois tout à fait convaincant et catégorique.
Justement parce que le point de vue de M. Tikhomirov ne se distingue
pas par sa fraîcheur et sa nouveauté, je ne peux pas me limiter à
critiquer ses arguments, mais je dois considérer, de la manière la plus
complète possible, tout ce qui a été dit devant lui en faveur d'une solution
négative à la question qui nous intéresse. La littérature russe des
décennies précédentes nous fournit un matériel critique bien plus
précieux que l’article « Que pouvons-nous attendre de la révolution ?
2. Énoncé de la question
En fait, M. Tikhomirov n’a même pas réussi à poser correctement cette
question.
Au lieu de dire tout ce qu'il pouvait dire en faveur de la possibilité de
poser le « début d'une organisation socialiste » sur les ruines du système
sociopolitique moderne de la Russie, M. Tikhomirov consacre presque un
chapitre entier de son article à critiquer le « une consolation » qui reste
pour les gens qui croient au « caractère historiquement inévitable du
capitalisme russe ». En général, il n'a même pas bougé trop rapidement
et de manière inattendue, mais a sauté du point de vue objectif sur lequel
il se tenait au début du premier chapitre, où il affirmait que « la logique
de l'histoire, le cours historique des événements , et ainsi de suite » est «
une force élémentaire que personne ne peut détourner du chemin qu’elle
a choisi, précisément parce que le chemin lui-même n’est pas choisi
arbitrairement, mais exprime une ligne résultante composée d’une
combinaison de ces forces, en dehors de laquelle société ne contient rien
de réel susceptible de produire une quelconque action. » La question est
de savoir si cette « force spontanée » s’arrêtera à la considération de
l’inconsolabilité des socialistes russes ? Évidemment pas. Cela signifie
qu'avant de discuter de ce qui arriverait aux socialistes russes en cas de
triomphe du capitalisme, il fallait essayer de se faire une « idée correcte
de cette force et de sa direction », une idée « obligatoire pour tout
personnage public, car sans correspondance avec lui, « le programme
politique ne peut avoir aucune signification », comme nous en convainc le
même M. Tikhomirov. Mais il préfère la méthode inverse. Il essaie d'abord
d'intimider ses lecteurs, puis, dans les « chapitres suivants », il expose «
en termes généraux » les « buts et moyens de notre révolution » qui
nous permettent de croire à la possibilité de rejeter la coupe. du
capitalisme de la bouche de la Russie. Sans rien dire encore du succès
de sa tentative d'intimidation de ses lecteurs socialistes, je noterai
seulement qu'une telle méthode d'argumentation ne doit pas être utilisée
pour résoudre de graves problèmes sociaux.
Pour des raisons qu’il serait inapproprié d’aborder ici, l’homme intelligent
russe a dû s’intéresser vivement au « rôle de l’individu dans l’histoire ».
Ils ont beaucoup écrit sur cette « maudite » question, en ont parlé encore
plus dans différents cercles, et pourtant, à ce jour, les personnalités
publiques russes ne savent souvent même pas comment limiter la sphère
du nécessaire de la sphère du souhaitable , et sont prêt, parfois, à
discuter avec l'histoire presque de la même manière que Khlestakov
discutait avec le serviteur de la taverne. "Après tout, j'ai besoin de
manger quelque chose, car de cette façon, je peux devenir complètement
mince !" » parlait l'immortel Ivan Alexandrovitch. - « Après tout, quel
genre de socialiste serai-je après ça ? Après tout, de cette façon, je
devrai directement conclure une alliance avec les chevaliers de
l’accumulation primitive ! - s'exclamera peut-être un autre lecteur sous
l'influence de l'intimidation de Tikhomirov. Mais il faut espérer que le
raisonnement de M. Tikhomirov sur la force irrésistible de la « logique de
l’histoire » contribuera de manière significative à éliminer cette « erreur
majeure d’une pensée immature ».
Le point de vue du groupe Libération du Travail, quant à lui, mène. il me
semble qu’il s’agit d’éliminer ce genre d’abus de la « méthode subjective
en sociologie ». Pour nous, le désirable naît du nécessaire et ne le
remplace en aucun cas dans notre raisonnement. Pour nous, la liberté
personnelle réside dans la connaissance des lois de la nature - c'est-à-
dire d'ailleurs et de l'histoire - et dans la capacité d'obéir à ces lois, c'est-
à-dire d'ailleurs, et de les combiner de la manière la plus avantageuse .
Nous sommes convaincus que lorsque « la société a mis le pied sur les
traces de la loi naturelle de son mouvement, elle ne peut ni sauter les
phases naturelles de son développement ni les éliminer par des décrets
». " Mais cela peut raccourcir et atténuer la douleur de l'accouchement . "
À notre avis, cette « réduction et soulagement des douleurs de
l’accouchement » est l’une des tâches les plus importantes des
socialistes, convaincus du « caractère historiquement inévitable du
capitalisme en Russie ». Leur consolation devrait résider dans la
possibilité d’alléger ce tourment. La séquence que lui impose M.
Tikhomirov est, comme nous le verrons plus loin, la séquence d'un
métaphysicien qui n'a pas la moindre idée de la dialectique du
développement social.
Mais ne nous détournons pas de notre sujet.
3. A.I. Herzen
Au début des années cinquante, A. I. Herzen, prouvant le caractère
inévitable de la révolution socialiste en Occident, présentait déjà à la
démocratie russe naissante le
Une question toujours inquiétante et nouvelle,
qui a depuis
Il a tourmenté tant de têtes agitées...
Il leur a apporté tant de tourments...
et qui a d'ailleurs servi de motif à notre « polémique contre le parti
Narodnaïa Volya ».
« La Russie doit-elle traverser toutes les phases du développement
européen, ou sa vie suivra-t-elle des lois différentes ? [3] , a-t-il demandé
dans ses Lettres à Linton. «Je nie totalement la nécessité de ces
répétitions», s'empresse de répondre le célèbre écrivain. « Nous devons
peut-être traverser des épreuves difficiles et douloureuses du
développement historique de nos prédécesseurs : mais de la même
manière qu'un embryon passe par toutes les étapes inférieures de
l'existence zoologique avant sa naissance. L'œuvre achevée et le résultat
obtenu font partie du bien commun de tous ceux qui comprennent - c'est
la garantie mutuelle du progrès, la primauté de l'humanité... Chaque
écolier doit trouver lui-même la solution aux propositions d'Euclide - mais
quelle énorme différence là se situe entre les travaux d'Euclide, qui les a
découverts, et les travaux de l'étudiant de notre temps !.. « La Russie a
fait son embryongenèse dans la classe européenne. La noblesse et le
gouvernement représentent dans notre pays un État européen dans un
État slave. Nous avons traversé toutes les phases de l'éducation
politique, depuis le constitutionnalisme allemand, depuis le monarchisme
clérical anglais jusqu'au culte de 93... Le peuple russe n'a pas besoin de
recommencer ce dur labeur... Pourquoi devrait-il verser son sang pour
parvenir à ces demi-solutions auxquelles nous sommes parvenus et dont
toute l'importance réside uniquement dans le fait que grâce à elles nous
avons atteint d'autres questions, de nouvelles aspirations. Nous avons
rendu ce dur labeur au peuple – nous l'avons payé avec la potence, les
cachots, l'exil, la ruine et la vie insupportable dans laquelle nous vivons !
Herzen voyait bien entendu dans la communauté et dans les
caractéristiques associées de la vie du peuple le lien, le pont par lequel le
peuple russe pouvait avancer vers le socialisme. « Le peuple russe n’a
réellement commencé à être reconnu, dit-il, qu’après la révolution de
1830. Nous avons été surpris de voir que le peuple russe, indifférent,
incapable de toutes les questions politiques, se rapproche par son mode
de vie du nouveau système social de tous les peuples européens." L'État,
préservant l'unité nationale - telle est la question de l'avenir de La Russie,
c'est-à-dire la question de la même antinomie sociale, qui est la solution
qui occupe et inquiète les esprits de l'Occident" [4] .
Parfois cependant, des doutes surgissaient dans son esprit quant à cette
proximité exceptionnelle du peuple russe « avec le nouvel ordre social ».
Dans la même « Lettre », il demande à Linton : « Peut-être direz-vous
qu'en cela le peuple russe ressemble à certains peuples asiatiques, et
soulignerez-vous les communautés rurales des hindous, qui sont assez
semblables aux nôtres ? Mais, sans rejeter les similitudes peu flatteuses
entre le peuple russe et « certains Asiatiques », il voyait cependant entre
eux des différences qui lui semblaient très significatives. « Ce n’est pas la
structure communautaire qui maintient les peuples asiatiques immobilisés,
mais leur nationalité exclusive, leur incapacité à échapper au patriarcat, à
se libérer du clan ; - nous ne sommes pas dans cette position. Les
peuples slaves... ont une grande impressionnabilité ; ils assimilent
facilement les langues, les mœurs, les coutumes, l'art et la technologie
des autres peuples. Ils s’installent également près de l’océan Arctique et
sur les rives de la mer Noire. » Cette « grande facilité d'impression »,
donnant aux Slaves la possibilité de « sortir du patriarcat, de se libérer du
clan », a résolu tout le problème, selon Herzen. Son autorité était si
grande, le raccourci vers le socialisme qu'il proposait était si tentant que
l'intelligentsia russe du début des années soixante était peu encline à être
sceptique quant à la solution à « l'antinomie sociale » qu'il avait trouvée
et, apparemment, n'y pensait pas du tout. la question de savoir si - Quels
types de domaines traverse cette route historique et qui exactement
dirigera le peuple russe, « indifférent, incapable de toutes les questions
politiques » ? Il était important pour elle, avant tout, de trouver au moins
une sorte de sanction philosophique à ses aspirations radicales, et pour
la première fois elle se contentait de la considération abstraite qu'aucune
philosophie au monde ne pouvait la forcer à accepter « demi-solutions »
bourgeoises.
Mais cette considération abstraite n’était évidemment pas suffisante pour
esquisser une méthode d’action pratique, pour développer des méthodes
appropriées pour faire face à la situation environnante. Les données
permettant de résoudre ce nouveau problème devaient être recherchées
en dehors de la philosophie de l’histoire, même si elle était plus
rigoureuse et scientifique que la philosophie d’Herzen. Entre ses formules
abstraites et les besoins concrets de la vie sociale, il y avait tout un
abîme, qui ne pouvait être comblé que par toute une série de formules
nouvelles, de plus en plus spécifiques, exigeant là encore la familiarité
avec toute une série de phénomènes de plus en plus complexes.
Cependant, la philosophie a ici rendu un service indirect à la pensée
russe, en l'initiant à la méthode dialectique et en lui enseignant cette
vérité, tant de fois oubliée, que dans la vie sociale « tout coule », « tout
change », et que les phénomènes de cette vie ne peut être comprise
qu'en mouvement, en train de son émergence, de son développement et
de sa disparition.
4. N.G. Tchernychevski
La « Critique des préjugés philosophiques contre la propriété foncière
communale » a été et reste l'expérience la plus brillante de notre
littérature dans l'application de la dialectique à l'analyse des phénomènes
sociaux. On sait quelle influence énorme cet article a eu sur le
développement de notre intelligentsia révolutionnaire. Cela a renforcé sa
foi dans la communauté, prouvant que ce type de propriété foncière
pouvait, sous certaines conditions, se transformer directement en une
forme de développement communiste. Mais, à proprement parler, N.G.
Chernyshevsky lui-même et ses partisans ont tiré de la « critique des
préjugés philosophiques » des conclusions plus larges que ne le
permettait la nature des prémisses. La solution trouvée par
Tchernychevski à la question du sort de la communauté était, par
essence, purement algébrique, et il ne pouvait en être autrement, puisqu'il
l'opposait aux formules purement algébriques de ses adversaires. Les
habitants russes de Manchester affirmaient que la propriété foncière
communale était nécessaire et qu'elle devait progressivement céder
partout la place à la propriété foncière privée. C'est le schéma qu'ils
proposèrent pour le développement des relations de propriété. N. G.
Chernyshevsky a prouvé, premièrement, que ce schéma ne couvre pas
l'ensemble du processus de développement, puisqu'à un certain stade de
celui-ci, la propriété publique devrait redevenir la forme dominante ; en
outre, il a très bien souligné le fait qu'il n'y a aucune raison d'attribuer une
durée immuable et déterminée une fois pour toutes à l'intervalle historique
qui sépare l'ère du communisme primitif de l'époque de la réorganisation
consciente de la société sur les principes communistes. . D'une manière
générale, cet intervalle est x, qui dans chaque pays acquiert une
signification arithmétique particulière en fonction de la combinaison de
forces externes et internes déterminant son développement historique.
Puisque cette combinaison de forces doit nécessairement être très
diverse, il n'est pas surprenant que le x qui nous intéresse, c'est-à-dire la
durée du règne de la propriété privée, devienne dans certains cas une
valeur infinitésimale, c'est-à-dire qu'il puisse, sans trop de difficultés,
erreur, soit égal à zéro. Ainsi, la possibilité abstraite d'une transition
directe de la communauté primitive vers une « forme communiste
supérieure » a été prouvée. Mais précisément, grâce au caractère abstrait
de l'argumentation, ce résultat général de la dialectique philosophique et
historique était également applicable à tous les pays et peuples qui
conservaient la propriété foncière communale - de la Russie à la
Nouvelle-Zélande, des Zadruga serbes à l'une ou l'autre tribu de Indiens
à la peau rouge [5] . Par conséquent, cela s’est avéré insuffisant pour
une prévision, même approximative, du sort futur de la communauté dans
chacun de ces pays, pris séparément. Une possibilité abstraite n'est pas
encore une probabilité concrète ; et encore moins peut-il être considéré
comme le dernier argument où la nécessité historique est en cause.. Pour
parler sérieusement de cette dernière, il faudrait passer de l'algèbre à
l'arithmétique et prouver que dans le cas qui nous intéresse - que ce soit
en Russie ou dans l'État Ashanti, en Serbie ou sur l'île de Vancouver - x
sera en réalité égal à zéro, c’est-à-dire que la propriété privée devra
mourir à ses balbutiements. Pour ce faire, il faudrait se tourner vers les
statistiques, vers une évaluation du cours de développement interne d'un
pays donné ou d'une tribu donnée et des influences extérieures sur ceux-
ci, pour traiter non plus d'un genre , mais d' une espèce ou même d'une
espèce. une variété , non pas avec l'immobilier collectif primitif en
général, mais avec la communauté foncière russe, ou serbe ou néo-
zélandaise en particulier, compte tenu à la fois de toutes les influences
hostiles ou favorables à son égard, et de l'état dans lequel il est parvenu.
un temps donné, grâce à ces influences.
Mais nous ne trouvons même pas la moindre trace d’une telle étude dans
« Critique des préjugés philosophiques contre la propriété foncière
communale », dans lequel N. G. Chernyshevsky traitait des « sages
philosophes ». Dans d'autres cas, où il a dû discuter avec les « sages
économistes », pour détruire les préjugés qui « naissent de
l'incompréhension, de l'oubli ou de l'ignorance des vérités générales
relatives à l'activité matérielle de l'homme, à la production, au travail et à
ses lois générales » - dans ces articles, il ne parlait également que des
avantages de la propriété foncière collective en général et, par
conséquent, il ne recevait là encore que des formules algébriques,
uniquement des théorèmes économiques généraux [6] .
Cependant, cela n’a rien de surprenant de sa part. Le critique de Mill ne
pouvait avoir à l'esprit que la communauté d'avant la réforme, qui n'était
pas encore sortie des conditions d'une économie de subsistance et était
réduite à un seul dénominateur par l'influence niveleuse du servage. Bien
entendu, cette influence n’a pas éliminé les « contradictions économiques
» inhérentes à la communauté rurale, mais elle les a gardées cachées et
a ainsi réduit leur signification pratique à un minimum insignifiant. Par
conséquent, N.G. Chernyshevsky pourrait se contenter de considérer que
dans notre pays « la masse du peuple comprend toujours la terre comme
une propriété communale », que « chaque Russe a à la fois sa terre
natale et le droit à une parcelle de celle-ci. Et s’il refuse lui-même ce
complot ou le perd, alors ses enfants conservent le droit, en tant que
membres de la communauté, de revendiquer indépendamment un
complot pour eux-mêmes.» Comprenant bien que la libération des
paysans les mettra dans des conditions économiques complètement
nouvelles, que « la Russie, qui jusqu'ici avait peu participé au mouvement
économique, s'y trouve rapidement entraînée, et notre mode de vie,
jusqu'ici resté presque étranger à l'influence de ces lois économiques qui
ne révèlent leur pouvoir que lorsqu'elles sont renforcées, l'activité
économique et commerciale commence à se soumettre rapidement à leur
pouvoir », que « bientôt nous aussi, peut-être, serons entraînés dans la
sphère du plein effet de la loi » de concurrence », il ne se souciait que de
préserver cette forme de propriété foncière qui aiderait le paysan à
démarrer une nouvelle vie économique dans les conditions les plus
rentables. « Quelles que soient les transformations qui attendent la
Russie, écrivait-il en avril 1857, n'osons pas toucher à la coutume sacrée
et salvatrice que nous a léguée notre vie passée, dont la pauvreté est
plus que compensée par ce seul héritage précieux : n'osons pas empiéter
sur l'usage commun des terres, cet avantage dont dépend désormais la
prospérité des classes agricoles de l'Europe occidentale. Que leur
exemple nous serve de leçon. »
Nous n'écrivons pas ici une analyse de toutes les vues de N.G.
Chernyshevsky sur la propriété foncière communale, mais essayons
seulement d'en souligner les traits les plus caractéristiques. Sans entrer
ici dans des détails inappropriés, nous dirons seulement que les
bénéfices qu'il attend de la propriété foncière communale peuvent se
réduire à deux points principaux, dont l'un relève du domaine juridique, et
l'autre du domaine de la technologie agricole. .
annonce. I. « Le système communal russe », dit-il selon les mots de
Haxthausen, est d'une importance infinie pour la Russie, surtout à l'heure
actuelle, en termes d'État. Tous les États d'Europe occidentale souffrent
d'une maladie dont la guérison reste encore une tâche non résolue [7] :
ils souffrent du paupérisme, du prolétariat. La Russie ne connaît pas ce
désastre ; elle en est protégée par sa structure communautaire. Chaque
Russe a à la fois sa terre natale et le droit à une parcelle de celle-ci. Et
s'il refuse lui-même ce complot, ou le perd, alors ses enfants conservent
le droit, en tant que membres de la communauté, de revendiquer
indépendamment un complot pour eux-mêmes » [8] .
annonce. II. Après avoir décrit, selon le même Haxthausen, la vie des
Cosaques de l'Oural, « dont toute la région constitue une seule
communauté dans les relations économiques, militaires et civiles », N. G.
Chernyshevsky note : « Si l'Oural survit dans sa structure actuelle jusqu'à
ce moment-là " Lorsque les machines seront introduites dans les cultures
arables, les habitants de l'Oural seront alors très heureux d'avoir
conservé un dispositif permettant de consommer de telles machines, qui
nécessitent une exploitation à grande échelle, sur des centaines de
désiatines. Dans le même temps, il note cependant qu'il ne parle qu'à titre
d'exemple de « comment les cosaques de l'Oural penseront à l'avenir,
dont on ne sait toujours pas quand cela arrivera (bien que les succès de
la mécanique et de la technologie prouvent sans aucun doute qu'un tel un
moment viendra) - jusqu'à un futur trop lointain où nous nous en ficherons
: nos arrière-arrière-arrière-petits-enfants pourront probablement vivre
dans le monde avec leur propre esprit, sans nos soucis - ce sera
suffisant si nous prenons soin de nous et de nos enfants.
Un lecteur familier avec les œuvres de Tchernychevski sait, bien entendu,
que de telles réserves ne l’ont pas empêché de beaucoup réfléchir et de
« s’inquiéter » du futur. L'un des rêves de Vera Pavlovna nous montre
clairement la forme sous laquelle les relations sociales d'un « futur très
lointain » étaient représentées dans son imaginaire, tout comme les
activités pratiques de son héroïne nous donnent une idée de la manière
dont cela était possible contribuer à l'approche de cette époque heureuse.
Il serait donc étrange que l’auteur de « Que faire ? n'a pas mis la forme
de propriété foncière paysanne moderne, qui lui est chère, en lien avec
les idéaux du futur, bien que lointains, mais souhaitables et, surtout,
inévitables. En effet, il revient plus d'une fois sur ce sujet dans ses
articles sur la propriété foncière communale, considérant l'influence de
cette forme de rapports de propriété sur le caractère et les habitudes des
paysans. Il n’est bien sûr pas d’accord avec l’opinion selon laquelle « la
communauté tue l’énergie d’une personne ». Cette idée « contredit de
manière décisive tous les faits connus de l’histoire et de la psychologie »,
qui prouvent au contraire que « dans l’union, l’esprit et la volonté d’une
personne se renforcent ». Mais le principal avantage de la propriété
foncière communale réside dans le maintien et l’entretien de cet esprit
d’association, sans lequel l’économie rationnelle du futur est impensable.
« L'instauration d'un meilleur ordre des choses est rendue extrêmement
difficile en Europe occidentale par l'expansion illimitée des droits de
l'individu... il n'est pas facile de renoncer, même à une partie insignifiante,
de ce à quoi on est déjà habitué, mais en Occident, l’individu s’est déjà
habitué au caractère illimité des droits privés. Les avantages et la
nécessité de concessions mutuelles ne peuvent être enseignés que par
une expérience amère et une longue réflexion. En Occident, le meilleur
ordre des relations économiques est lié aux dons et son établissement
est donc très difficile. Il est contraire aux habitudes des paysans anglais
et français. Mais « ce qui semble être une utopie dans un pays existe
dans un autre comme un fait... ces habitudes, dont l'introduction dans la
vie nationale semble une difficulté incommensurable pour l'Anglais et le
Français, existent pour le Russe comme un fait. de sa vie nationale...
L'ordre des choses, vers lequel l'Occident s'efforce maintenant par un
chemin si difficile et si long, existe toujours parmi nous dans la puissante
coutume populaire de notre vie rurale... Nous voyons quelles tristes
conséquences la perte de la propriété foncière communale a généré en
Occident et combien il est difficile pour les peuples occidentaux de
récupérer leur perte . L'exemple de l'Occident ne doit pas être perdu pour
nous" [9] .
Telle est l’évaluation que fait Tchernychevski de l’importance de la
propriété foncière communale dans la vie économique actuelle et future
du peuple russe. Malgré tout notre respect pour la grande écrivaine, nous
ne pouvons nous empêcher de voir en elle des erreurs et une partialité.
Par exemple, la « guérison » des États d’Europe occidentale de « l’ulcère
du prolétariat » pouvait difficilement être considérée comme une « tâche
non résolue » à la fin des années cinquante, bien des années après la
parution du « Manifeste du Parti communiste », « Le Pauvreté de la
philosophie » et « La condition de la classe ouvrière en Angleterre » "
Non seulement la « guérison », mais toute la signification historique de la
« maladie » qui effrayait N. G. Chernyshevsky a été indiquée dans les
œuvres de Karl Marx et de Friedrich Engels avec une intégralité et des
preuves qui restent encore exemplaires. Mais l'économiste russe, comme
tout le montre, n'était pas familier avec ces travaux, et les utopies
socialistes de la période qui les a précédés ont naturellement laissé de
nombreuses questions théoriques et pratiques sans réponse satisfaisante.
La principale lacune dans la vision du monde des utopistes était due au
fait qu'« ils ne voyaient dans le prolétariat aucune initiative historique,
aucun mouvement politique qui en soit caractéristique », qu'ils n'avaient
pas encore adopté le point de vue de la lutte des classes, et que le
prolétariat n'existait pour eux "que comme un plus d'autres de la classe
souffrante" [10] . Remplaçant « l'organisation de classe du prolétariat qui
progresse progressivement par une organisation sociale de leur propre
invention », et en même temps en désaccord entre eux sur la question
des fondements et de la nature de cette organisation du futur, ils ont
naturellement amené leurs lecteurs russes à l’idée que les esprits les plus
avancés de l’Occident n’ont pas encore abordé la question sociale. De
plus, « en réduisant l'histoire du monde à la propagande et à la mise en
œuvre pratique de leurs plans de réforme », ils ne pouvaient pas
satisfaire avec leurs enseignements une personne dotée d'un esprit
critique aussi fort que Tchernychevski. Il a dû rechercher de manière
indépendante les véritables « conditions historiques » pour la libération de
la classe ouvrière d’Europe occidentale et les a trouvées, apparemment,
dans un retour à la propriété foncière communale. On sait déjà que, selon
lui, « de l’acquisition de ce bien dépend désormais la prospérité des
classes agricoles d’Europe occidentale ». Mais quelle que soit la manière
dont on considère l'importance historique de la communauté russe , il est
évident pour presque tous les socialistes qu'en Occident son rôle est
irrévocablement terminé et que pour les peuples occidentaux, la voie vers
le socialisme passe par la communauté et par la propriété privée., et non
l'inverse, non de la propriété privée à travers la communauté. Il me
semble que si N. G. Chernyshevsky avait mieux clarifié par lui-même le «
chemin difficile et long » sur lequel l'Occident s'oriente vers un « meilleur
ordre des relations économiques », s'il avait, en outre, défini plus
précisément les conditions économiques de ce « un meilleur ordre »,
alors il verrait, premièrement, que « l'Occident » s'efforce de convertir les
moyens de production en propriété d'État plutôt qu'en propriété
communautaire, et, deuxièmement, il comprendrait que « l'ulcère du
prolétariat » crée son propre guérir de lui-même. Il apprécierait alors
mieux le rôle historique du prolétariat, ce qui lui donnerait à son tour
l’occasion de jeter un regard plus large sur la signification sociopolitique
de la communauté russe. Expliquons-nous.
On sait que toute forme de relations sociales peut être envisagée sous
des points de vue très différents. Elle peut être envisagée du point de vue
des bénéfices qu’elle apporte à une génération donnée ; on peut, ne se
contentant pas de ces bénéfices, s'intéresser à sa capacité à passer à
une autre forme, plus élevée, plus favorable au bien-être économique, au
développement mental et moral des personnes ; Enfin, on peut enfin,
dans cette capacité même de transition vers des formes supérieures,
distinguer deux faces : passive et active, l'absence d'obstacles à la
transition et la présence d'une force vivante, interne, non seulement
capable de faire cette transition, mais aussi la provoquant, comme
conséquence nécessaire de son existence. Dans le premier de ces cas,
nous considérons une forme sociale donnée du point de vue de la
résistance au progrès apporté de l'extérieur, dans le second - du point de
vue de l'utilité historique. travail . Pour la philosophie de l’histoire comme
pour le révolutionnaire pratique, seules comptent les formes qui sont plus
ou moins capables de ce travail utile. Chaque étape du développement
historique de l'humanité est intéressante précisément dans la mesure où
les sociétés qui s'y trouvent développent, d'elles-mêmes, par leur initiative
interne, une force capable de détruire les anciennes formes de relations
sociales et de construire sur leurs ruines un nouvel édifice social meilleur.
D'une manière générale, le nombre même des obstacles au passage à
un stade supérieur de développement est en relation étroite avec
l'ampleur de cette force vive, car elle n'est rien d'autre que le résultat de
la décomposition des anciennes formes de vie communautaire. Plus le
processus de décomposition est énergique, plus il libère de puissance,
moins les relations sociales dépassées restent stables. En d'autres
termes, l'historien et le révolutionnaire pratique ne s'intéressent pas à la
statique, mais à la dynamique, non pas au côté conservateur, mais au
côté révolutionnaire, non pas à l'harmonie, mais aux contradictions des
relations sociales, car l'esprit de ces contradictions est précisément
l'esprit qui
Vouloir toujours le mal et toujours créer le bien.
Cela a été le cas jusqu'à présent ! Il va sans dire que cela ne devrait pas
toujours être le cas et que tout le sens de la révolution socialiste réside
dans l'élimination de cette loi « de fer et cruelle », selon laquelle les
contradictions des rapports sociaux n'ont trouvé qu'une résolution
temporaire, qui dans est devenue à son tour une source de nouveaux
désordres et de nouvelles contradictions. Mais l’accomplissement de cette
plus grande des révolutions, cette révolution qui doit enfin rendre les
peuples « maîtres de leurs relations sociales », est impensable sans la «
disponibilité » de la force historique nécessaire et suffisante pour cela,
générée par les contradictions de l’actuel système bourgeois. système.
Dans les pays avancés du monde civilisé moderne, cette puissance est
non seulement présente, mais elle augmente d’heure en heure et de
minute en minute. L’histoire est donc l’alliée des socialistes de ces pays
et, à une vitesse toujours croissante, elle les rapproche du but qu’ils
poursuivent. Ainsi, une fois de plus - espérons-le, la dernière fois - nous
voyons que le « doux » ne pouvait venir que de l'« amer », que pour
accomplir une bonne « action », l'histoire devait, pour ainsi dire, révéler
un mal. "volonté". L'économie des sociétés bourgeoises, complètement «
anormale et injuste » dans le domaine de la distribution, s'avère
beaucoup plus « normale » dans le domaine du développement des
forces productives, et encore plus « normale » dans le domaine de la
production des personnes. qui veulent et peuvent, selon les mots du
poète, « fonder ici sur terre le Royaume des cieux ». La bourgeoisie « n'a
pas seulement forgé une arme qui lui porterait un coup mortel », c'est-à-
dire qu'elle n'a pas seulement amené les forces productives des pays
avancés à un degré de développement tel qu'elles ne peuvent plus
accepter la forme capitaliste de l'économie. production, "elle a aussi
donné naissance à des gens qui dirigeront cette arme, c'est des ouvriers
modernes, des prolétaires ".
Il s'ensuit que pour évaluer pleinement la signification politique d'une
forme sociale donnée, il faut prendre en compte non seulement les
bénéfices économiques qu'elle peut apporter à une ou plusieurs
générations, non seulement sa capacité passive à s'améliorer sous
l'influence de l'influence d'une force extérieure bienfaisante, mais aussi,
principalement, sa capacité interne à poursuivre son développement
indépendant dans la direction souhaitée. Sans une telle évaluation
globale, l’analyse des relations sociales restera toujours incomplète et
donc erronée ; une forme sociale donnée peut s'avérer tout à fait
rationnelle d'un de ces points de vue, tout en étant totalement
insatisfaisante de l'autre. Et cela se produira chaque fois que nous aurons
affaire à une population sous-développée qui n’est pas encore devenue «
la maîtresse de ses relations sociales ». Seule la nature révolutionnaire
objective de ces relations elles-mêmes peut conduire les sujets arriérés
sur la voie du progrès. Si une forme donnée de vie communautaire ne
révèle pas ce caractère révolutionnaire, si, plus ou moins « juste » du
point de vue du droit et de la répartition des produits, elle se distingue en
même temps par une grande inertie, l'absence d'un système interne désir
de s'améliorer dans cette direction, alors le réformateur social doit soit
dire au revoir avec ses propres projets, soit faire appel à une autre force
extérieure qui pourrait combler le manque d'initiative interne dans une
société donnée et la réformer, mais pas contre le volonté de ses
membres, mais en tout cas sans leur participation active et consciente.
Quant à N.G. Chernyshevsky, il semble avoir perdu de vue la signification
révolutionnaire de la « maladie » de l’Europe occidentale : le paupérisme.
Il n'est pas du tout surprenant que, par exemple, Haxthausen, dont il a si
souvent dû parler dans ses articles sur la propriété foncière communale,
n'ait vu qu'un côté négatif dans le « paupérisme-prolétariat ». Ses
opinions politiques étaient telles qu’il ne pouvait attribuer l’importance
révolutionnaire du prolétariat dans l’histoire des sociétés d’Europe
occidentale aux aspects positifs et bénéfiques de cet « ulcère ». On
comprend donc qu’il ait décrit avec enthousiasme les institutions qui
pourraient « empêcher le prolétariat ». Mais les opinions qui sont tout à
fait compréhensibles et cohérentes dans les œuvres d'un écrivain
déroutent souvent le lecteur lorsqu'elles apparaissent dans les articles
d'un autre. Nous admettons que nous ne comprenons pas quel sens
donner aux prochains mots de Tchernychevski à propos de Haxthausen.
« En tant qu'homme pratique, il prévoyait très justement, en 1847,
l'imminence d'une terrible explosion de la part des prolétaires de l'Europe
occidentale ; et on ne peut qu'être d'accord avec lui sur le fait que le
principe de la propriété foncière communale est bénéfique, car il nous
protège du terrible ulcère du prolétariat dans la population rurale" [11]. Il
ne s'agit plus ici des malheurs économiques du prolétariat, qui ne sont
pourtant en rien inférieurs aux malheurs de la paysannerie russe ; rien
n'est dit non plus sur les habitudes sociales du paysan russe, avec
lesquelles, de toute façon, l'ouvrier industriel d'Europe occidentale
rivalisera avec son habitude de travail collectif et d'associations de toutes
sortes. Non, nous parlons ici d'une « terrible explosion de la part des
prolétaires », et N.G. Chernyshevsky, même à cet égard, considère
comme « bénéfique » le principe de la propriété foncière communale, «
qui nous protège du terrible ulcère du prolétariat ». .» On ne peut pas
supposer que le père du socialisme russe ait traité les mouvements
politiques de la classe ouvrière avec la même horreur que le baron von
Haxthausen. On ne peut pas penser qu'il puisse être effrayé par le fait
même du soulèvement du prolétariat. Il reste à supposer qu'il était
embarrassé par la défaite subie par la classe ouvrière en 1848, que sa
sympathie pour les mouvements politiques de cette classe était
empoisonnée par la pensée de la futilité des révolutions politiques, de la
futilité du régime bourgeois. Cette explication paraît, sinon fiable, du
moins probable, à la lecture de certaines pages de son article « La lutte
des partis en France sous Louis XVIII et Charles X », précisément celles
où il précise la différence entre aspirations démocratiques et aspirations
libérales. . « Les libéraux et les démocrates ont des désirs fondamentaux
et des motivations fondamentales très différents », dit-il. - Les démocrates
entendent, si possible, détruire la prédominance des classes supérieures
sur les classes inférieures dans la structure étatique, d'une part, réduire la
force et la richesse des classes supérieures, d'autre part, leur donner plus
de poids et de prospérité. pour les classes inférieures, comment changer
les lois dans ce sens et soutenir la nouvelle structure de la société, cela
ne fait presque aucune différence pour elles [12] . Au contraire, les
libéraux n'accepteront en aucun cas de donner un avantage social aux
classes inférieures, car ces classes, en raison de leur manque
d'éducation et de leur pauvreté matérielle, sont indifférentes aux intérêts
les plus élevés pour le parti libéral, à savoir la le droit à la liberté
d’expression et la structure constitutionnelle. Pour un démocrate, notre
Sibérie, où le peuple jouit de la prospérité, est bien plus élevée que
l'Angleterre, où la majorité du peuple souffre d'un grand besoin . De
toutes les institutions politiques, le démocrate est irrémédiablement hostile
à une seule.- l'aristocratie ; un libéral trouve presque toujours que ce
n’est qu’avec un certain degré d’aristocratie que la société peut parvenir à
une structure libérale. C’est pourquoi les libéraux ont une hostilité mortelle
envers les démocrates… Le libéralisme comprend la liberté d’une
manière très étroite et purement formelle. Pour lui, il s'agit d'un droit
abstrait, d'une autorisation sur papier, d'une absence d'interdiction légale.
Il ne veut pas comprendre que l’autorisation légale accordée à une
personne n’a de valeur que lorsque la personne a les moyens matériels
d’utiliser cette autorisation. Ni moi ni vous, lecteur, n'avons l'interdiction
de dîner au service de l'or ; Malheureusement, ni vous ni moi n'avons et
n'aurons probablement jamais les moyens de satisfaire cette idée
élégante, alors je dis franchement que je n'apprécie pas du tout mon droit
à avoir un service en or, et je suis prêt à vendre ce droit pour un rouble
en argent ou même moins cher. Ce sont exactement les mêmes pour le
peuple que tous les droits qui préoccupent les libéraux . Les gens sont
ignorants et, dans presque tous les pays, la majorité est analphabète ;
sans argent pour s’instruire, sans argent pour éduquer ses enfants,
comment va-t-il évaluer le droit à la liberté d’expression ? Le besoin et
l'ignorance privent les citoyens de toute possibilité de comprendre les
affaires publiques et de s'y engager - dites-moi, apprécieront-ils et
pourront-ils jouir du droit au débat parlementaire ?.. Il n'existe aucun pays
européen dans lequel la grande majorité des citoyens ne pas être
totalement indifférent aux droits qui constituent l’objet des désirs et des
préoccupations du libéralisme. Par conséquent, le libéralisme est partout
voué à l’impuissance : peu importe comment on pense, seules sont fortes
les aspirations, seules sont fortes les institutions soutenues par la masse
du peuple » [13] .
Moins de dix ans après la parution de l’article de N. G. Chernyshevsky
que nous venons de citer, le prolétariat européen, représenté par ses
principaux représentants, déclarait qu’il voyait dans ses mouvements
politiques un moyen d’atteindre son grand objectif économique et que « la
libération sociale du la classe ouvrière est impensable sans sa libération
politique. » La nécessité d'une expansion constante des droits politiques
de la classe ouvrière et de sa conquête définitive de la domination
politique a été reconnue par l'Association internationale des travailleurs. «
Le premier devoir de la classe ouvrière est de conquérir le pouvoir
politique », dit le premier Manifeste de cette Association. Il va sans dire
que la population laborieuse d'Angleterre est plus proche et plus capable
de pouvoir politique que le « peuple » sibérien, et pour cela seul,
personne, à l'exception des Proudhonistes, n'aurait dit dans les années
soixante que « la Sibérie est supérieure à l'Angleterre ». Mais même à
l'époque où N. G. Chernyshevsky écrivait son article, c'est-à-dire à la fin
des années cinquante, on pouvait remarquer que parmi les « personnes
ignorantes et analphabètes » de « presque tous » les pays d'Europe
occidentale, il y avait toute une couche - c'est-à-dire encore une fois , le
même prolétariat - qui ne jouissait pas du « droit à la liberté d'expression
et du droit au débat parlementaire » non pas du tout par indifférence à
leur égard, mais seulement grâce à la réaction qui régnait après 1848
dans toute l'Europe et se préoccupait avant tout de l'élimination du peuple
de la possession de ces « droits abstraits ». Défait, pour ainsi dire, sur
toute la ligne, assourdi par les coups de la réaction, désillusionné par ses
alliés radicaux et « démocrates » parmi les partis bourgeois, il tomba
véritablement dans une sorte de léthargie passagère et s'intéressa peu
aux questions sociales. Mais comme il s'y intéressait, il n'a jamais cessé
de voir dans l'acquisition des droits politiques et dans leur usage rationnel
un puissant moyen de sa libération. Même bon nombre de ces sectes
socialistes qui étaient auparavant complètement indifférentes à la
politique ont commencé à s'y intéresser beaucoup précisément au début
des années cinquante. Ainsi, par exemple, en France, les fouriéristes
étaient d'accord avec Rittinghausen et prêchaient avec beaucoup
d'énergie le principe de la législation populaire directe. Quant à
l’Allemagne, ni le « démocrate » Johann Jacobi et ses partisans, ni les
communistes de l’école de Marx et Engels ne diraient que pour eux « la
manière dont les lois sont modifiées » dans le sens d’une réduction du
pouvoir ne fait presque aucune différence. et la richesse des classes
supérieures et assurer le bien-être des classes inférieures. Ils avaient un
programme politique très précis, « irréconciliablement hostile » non
seulement à « l’aristocratie…
La paysannerie d’Europe occidentale restait en effet souvent indifférente
à tout « droit abstrait » et était peut-être parfois prête à préférer l’ordre
sibérien à l’ordre anglais. Mais le fait est que les vrais démocrates non
bourgeois, c'est-à-dire les socialistes démocrates , ne se tournent pas
vers la paysannerie, mais vers le prolétariat. Le paysan d'Europe
occidentale, en tant que propriétaire, appartient aux « couches moyennes
» de la population, couches qui « n'ont de signification révolutionnaire que
dans la mesure où elles sont confrontées au passage aux rangs du
prolétariat, puisqu'elles ne défendent pas leur courant, mais leurs intérêts
futurs, puisqu'ils abandonnent leur point de vue et adoptent le point de
vue du prolétariat " [14] . Cette différence est très significative. Les «
démocrates » d’Europe occidentale n’ont émergé du domaine stérile de la
métaphysique politique qu’après avoir appris à analyser le concept de «
peuple » et commencé à distinguer ses couches révolutionnaires de
celles conservatrices.
Pour compléter l’étude de la question de la propriété foncière communale,
N.G. Chernyshevsky devrait examiner la question précisément de ce
dernier point de vue sociopolitique. Il lui fallait montrer que la propriété
foncière communale n’est pas seulement capable de nous protéger de «
l’ulcère du prolétariat », mais qu’elle ne représente pas seulement de
nombreuses conditions favorables au développement de la technologie
agricole (c’est-à-dire à la culture mécanique de vastes étendues de terre).
, mais il est également capable de créer la même chose en Russie : une
population mobile, aussi réceptive et impressionnable, aussi énergique et
révolutionnaire que les prolétaires d'Europe occidentale. Mais cela a été
entravé par sa vision du « peuple » de « presque tous les pays »
d’Europe occidentale, comme une masse « ignorante » et dans la plupart
des cas « illettrée », indifférente aux droits politiques « abstraits ».
Insuffisamment nuancé selon lui, le rôle politique du prolétariat d’Europe
occidentale ne pouvait être comparé à l’avenir politique des paysans
communaux russes. La passivité et l’indifférence politique de la
paysannerie russe ne pouvaient dérouter quiconque n’attendait pas une
grande initiative politique de la classe ouvrière occidentale. Cette
circonstance est l'une des raisons pour lesquelles N. G. Chernyshevsky a
limité ses recherches sur la propriété foncière communale à des
considérations liées au domaine du droit, de la distribution des produits,
de l'agronomie, mais n'a pas posé la question de l'influence politique de
la communauté sur l'État et le l'État sur la communauté.
Cette question reste floue. En conséquence, la question de savoir
comment passer de la propriété foncière communale à la culture
communautaire et, surtout, au triomphe final du socialisme restait floue.
Comment une communauté rurale moderne va-t-elle devenir une
communauté communiste ou se dissoudre dans un État communiste ?
Comment l’intelligentsia révolutionnaire peut-elle y contribuer ? « Que
devrait faire cette intelligentsia ? Défendre la propriété foncière
communale et mener la propagande communiste, créer des associations
productives, comme les ateliers de couture de Vera Pavlovna, en
espérant qu’avec le temps, ces ateliers et les communautés rurales
comprendront les avantages du système socialiste et se lanceront dans
sa mise en œuvre ? Disons-le ; mais ce chemin est long, pouvez-vous
garantir que sur toute sa longueur il sera droit et lisse, qu'il n'y aura pas
d'obstacles imprévus ni de virages inattendus le long de lui ? Et si le
gouvernement persécutait la propagande socialiste, interdisait les
associations, plaçait leurs membres sous surveillance policière et les
exilait ? Combattre le gouvernement, gagner la liberté d’expression, de
rassemblement et d’association ? Mais alors il faudra admettre que la
Sibérie n'est pas plus haute que l'Angleterre, que les « droits abstraits »
dont « s'agitent » les libéraux constituent une condition nécessaire au
développement national, il faut, en un mot, entamer une lutte politique. .
Mais pouvons-nous compter sur une issue favorable, pouvons-nous
conquérir une liberté politique durable ? Après tout, « peu importe
comment vous y réfléchissez, seules sont fortes ces aspirations, seules
sont fortes les institutions qui sont soutenues par la masse du peuple »,
et cette masse, si ce n'est dans d'autres pays, du moins en Russie, est
forte. n’attache aucune importance au « droit à la liberté d’expression » et
ne comprend absolument rien à la question du « droit au débat
parlementaire ». Si le libéralisme « est donc voué à l’impuissance », alors
d’où viendra la force des socialistes qui lutteront pour « les droits qui
constituent l’objet des désirs et des préoccupations du libéralisme » ?
Comment sortir de cette difficulté ? Inclure dans votre programme, à côté
des « droits abstraits » de la liberté politique, des revendications
spécifiques de réformes économiques ? Mais nous devons familiariser les
gens avec ce programme, c'est-à-dire que nous devons à nouveau faire
de la propagande, et en faisant de la propagande, nous rencontrons à
nouveau la persécution du gouvernement, et la persécution du
gouvernement nous pousse à nouveau sur la voie de la lutte politique,
désespérée en raison de l'indifférence. du peuple, etc. etc. D'un autre
côté, il est très probable que « les habitants de l'Oural, s'ils survivent
dans leur structure actuelle jusqu'au moment où seront introduites des
machines très puissantes pour les cultures arables, seront très heureux
que ils ont conservé un dispositif qui permet l’utilisation de telles
machines, nécessitant une exploitation agricole à grande échelle, sur des
centaines d’acres. Il est également très probable que les sociétés
paysannes qui « vivront pour vivre » seront « heureuses »dans sa
structure actuelle" avant l'introduction des machines agricoles. Eh bien,
de quoi peuvent se réjouir les agriculteurs qui ne vivront pas jusqu’à cette
époque « dans leur structure actuelle » ? De quoi seront heureux les
prolétaires ruraux qui se retrouvent à travailler comme ouvriers agricoles
pour les membres de la communauté ? Ces dernières pourront porter
l’exploitation du travail au même degré d’intensité que dans les
exploitations agricoles privées. Le « peuple » russe sera ainsi divisé en
deux classes : les exploiteurs – communautés et les exploités –
individus . Quel sort attend cette nouvelle caste de parias ? Le prolétaire
d'Europe occidentale, dont les rangs ne cessent de croître en raison de la
concentration du capital, peut se flatter d'espérer qu'un esclave
d'aujourd'hui deviendra demain un travailleur indépendant et heureux ; Le
prolétaire russe, dont la croissance numérique sera ralentie par
l'existence de la propriété foncière communale, peut-il se consoler avec
une telle perspective ? L'esclavage sans espoir, une dure lutte l'attend-il ?
sans célébration, sans réconciliation ?
De quel côté notre intelligentsia socialiste devra-t-elle se ranger dans
cette lutte ? Si elle défendait le prolétariat, ne devrait-elle pas brûler tout
ce qu'elle vénère et écarter la communauté comme rempart de
l'exploitation petite-bourgeoise ?
Si de telles questions ne se posaient pas dans l'esprit de N. G.
Chernyshevsky, qui écrivait sur la propriété foncière communale avant
l'abolition du servage et pouvait espérer que le développement du
prolétariat rural serait rendu impossible - par l'un ou l'autre décret
législatif, alors inévitablement tout ou partie presque tous auraient dû
comparaître devant nos révolutionnaires des années soixante-dix, qui
connaissaient la nature de la fameuse réforme du 19 février. Peu importe
combien il est difficile d'élaborer des lois qui protégeraient la communauté
de la décadence, sans en même temps imposer une oppression
insupportable sur l'ensemble du cours de notre vie industrielle, peu
importe combien il est difficile de combiner le collectivisme de la propriété
foncière paysanne avec une économie monétaire et avec la production de
tous les produits, sans exclure les produits agricoles, les produits des
communautés elles-mêmes, mais tout cela pouvait encore être discuté et
débattu jusqu'en 1861. La réforme paysanne était censée donner à ce
genre de disputes et de conversations un cadre bien défini. Dans leurs
excursions dans une région à l'avenir plus ou moins douteux, nos
révolutionnaires ont dû partir des faits incontestables du présent. Et ce
présent n’avait que très peu de points communs avec l’ancienne image
de la vie paysanne d’avant la réforme, familière à Haxthausen et
Tchernychevski. La « situation du 19 février » a fait sortir la communauté
de l'équilibre stable de l'économie naturelle et l'a livrée au pouvoir de
toutes les lois de la production marchande et de l'accumulation
capitaliste. Le rachat des terres paysannes devait s'effectuer, comme
nous le verrons plus loin, sur des bases hostiles au principe de la
propriété foncière communale. En outre, tout en préservant la
communauté dans l'intérêt du fisc, notre législation accordait cependant
aux deux tiers des propriétaires le droit au partage définitif des terres
communales en parcelles familiales. Les redistributions étaient également
difficiles et, pour couronner le tout, les « agriculteurs libres » étaient
soumis à un fardeau d'impôts et de taxes totalement incompatible avec
leurs capacités de paiement. Toutes les protestations paysannes contre le
« nouveau servage » furent réprimées à coup de bâtons et de
baïonnettes, et la « nouvelle » Russie fut saisie d'une fièvre de
spéculation monétaire. Les chemins de fer, les banques et les sociétés
par actions poussèrent comme des champignons. La prédiction ci-dessus
de N. G. Chernyshevsky concernant les « transformations économiques
significatives » à venir en Russie s’est réalisée avant que le grand maître
de la jeunesse n’atteigne son lieu d’exil. Alexandre II était le roi de la
bourgeoisie, tout comme Nicolas était le roi des soldats et des nobles.
Ces faits irréfutables devaient être pris en compte par notre jeunesse
révolutionnaire, qui, au début des années 1970, s'est dirigée « vers le
peuple » à des fins de propagande et d'agitation sociale-révolutionnaire. Il
ne s'agissait plus désormais de libérer les paysans propriétaires du
servage, mais de libérer toute la population laborieuse de Russie du joug
de l'exploitation de toutes sortes ; désormais il ne s'agissait plus de «
réforme » paysanne, mais de « l'établissement d'une fraternité paysanne,
où il n'y aura ni le mien, ni le vôtre, ni le profit, ni l'oppression, mais il y
aura du travail pour le bénéfice commun et fraternel ». aide entre tous »
[15] . Pour fonder une telle « fraternité paysanne », il fallait s'adresser
non pas au gouvernement, ni à la commission éditoriale, ni même à la «
société », mais à la paysannerie elle-même. En entreprenant une telle
libération des travailleurs, qui devrait être l'œuvre « des travailleurs eux-
mêmes », il était nécessaire d'explorer, de définir et d'indiquer avec une
plus grande précision les facteurs révolutionnaires de la vie des gens, et
pour cela il était nécessaire de transférer en langage arithmétique les
formules algébriques abstraites développées par la littérature avancée
des décennies précédentes, pour résumer le résultat de toutes ces
influences positives et négatives de la vie russe, de la totalité desquelles
dépendaient le cours et le résultat de l'entreprise lancée. Et puisque nos
jeunes savaient grâce aux articles de Tchernychevski que « la masse du
peuple comprend toujours la terre comme une propriété communale, et
que la quantité de terres en propriété communale... est si grande que la
masse des participants qui s'en sont complètement séparés pour devenir
la propriété absolue des individus, en comparaison avec elle, est
insignifiante », c'est donc par la propriété foncière communale qu'il aurait
fallu commencer l'étude des facteurs révolutionnaires de la vie russe.
Comment les décrets controversés du « Règlement du 19 février » ont-ils
affecté la communauté ? Dispose-t-elle d’une stabilité suffisante pour
lutter contre les conditions défavorables de l’économie monétaire ? Le
développement de notre vie paysanne ne s'est-il pas déjà engagé sur la
voie de la « loi naturelle de son mouvement », dont ni la sévérité des lois
ni la propagande de l'intelligentsia ne pourront la séduire ? Et sinon, si
notre communauté paysanne peut encore assimiler les idéaux socialistes
sans trop de difficultés, alors cet acte passif d'assimilation doit être
accompagné d'un acte énergique de mise en œuvre, exigeant une lutte
contre de nombreux obstacles ; Les conditions de vie de nos paysans
contribuent-elles au développement en eux d'une énergie active, sans
laquelle toutes leurs prédispositions « socialistes » resteraient inutiles ?
Différentes factions de notre mouvement ont traité ces questions de
différentes manières. La plupart des révolutionnaires étaient prêts à
reconnaître avec Herzen que le peuple russe était « indifférent et
incapable » de faire de la politique. Mais la tendance à idéaliser le peuple
était si grande, la relation mutuelle entre les différents aspects de la vie
sociale était si mal comprise dans l'esprit de nos socialistes, que dans
cette incapacité « à traiter toutes les questions politiques », ils voyaient
une sorte de garantie contre des « demi-solutions » bourgeoises, comme
si elles étaient la preuve de la grande capacité du peuple à trouver une
solution correcte aux problèmes économiques . L'intérêt et la capacité
pour la politique n'étaient considérés comme nécessaires que pour les
révolutions politiques, qui dans toute notre littérature socialiste de
l'époque s'opposaient aux révolutions « sociales » , comme un mauvais
principe - un bon, comme une tromperie bourgeoise - un équivalent
complet pour le sang. versé par le peuple, pour les pertes qu'il a subies.
Selon nos conceptions d’alors, la révolution « sociale » correspondait à
un intérêt pour les questions sociales , qui se traduisait par les plaintes
des paysans concernant le manque de terres et la pression fiscale. De la
prise de conscience du peuple de ses besoins immédiats à la
compréhension des « tâches du socialisme ouvrier », des plaintes amères
sur ces besoins à la révolution socialiste - le chemin, semblait-il, n'était
pas long et passait encore par la communauté, qui semblait pour nous un
roc solide contre lequel viennent s'écraser toutes les vagues de la vie
économique.
Mais de même qu'un point ne détermine pas la position d'une ligne sur
un plan, de même la communauté terrestre, sur l'idéalisation de laquelle
tous nos socialistes étaient d'accord, n'a pas déterminé la similitude de
leurs programmes. Tout le monde sentait que dans la communauté elle-
même, ainsi que dans la vision du monde et les habitudes de ses
membres, il y avait beaucoup de choses - en partie inachevées et
inachevées, et en partie directement en contradiction avec les idéaux
socialistes. La manière d’éliminer ces lacunes a constitué une pomme de
discorde entre nos factions.
Cependant, il y avait à cet égard un trait qui peut être reconnu comme
commun à toutes nos tendances révolutionnaires.
Ce trait commun à tous était la croyance en la possibilité d’une influence
puissante et décisive de notre intelligentsia révolutionnaire sur le peuple.
L'intelligentsia a joué dans nos calculs révolutionnaires le rôle de la
providence bienfaisante du peuple russe, providence de la volonté de
laquelle dépend la rotation de la roue historique dans un sens ou dans un
autre. Quelle que soit la manière dont l'un des révolutionnaires a expliqué
l'asservissement moderne du peuple russe - que ce soit par un manque
de compréhension chez lui , ou par un manque d'unité et d'énergie
révolutionnaire , ou, enfin, par son incapacité totale à prendre des
initiatives politiques - tout le monde, cependant, ils pensaient que
l'intervention de l'intelligentsia éliminerait la raison qu'ils invoquaient pour
l'asservissement du peuple. Les propagandistes étaient convaincus qu’ils
pourraient facilement enseigner à la paysannerie les vérités du socialisme
scientifique. Les rebelles ont exigé la création immédiate d'organisations
« militantes » parmi le peuple, sans imaginer que cela pourrait rencontrer
des obstacles majeurs. Enfin, les partisans de « l’Alarme » croyaient que
nos révolutionnaires n’avaient qu’à « prendre le pouvoir » et que le
peuple adopterait immédiatement des formes de vie socialistes. Cette
confiance en soi de l’intelligentsia coexistait à côté de l’idéalisation la plus
désintéressée du peuple et avec la conviction – du moins de la majorité
de nos révolutionnaires – que « la libération des travailleurs doit être
l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». On supposait que cette formule
serait appliquée de manière tout à fait correcte dès que notre
intelligentsia accepterait le peuple comme l'objet de son influence
révolutionnaire. Le fait que cette disposition fondamentale du statut de
l'Association internationale des travailleurs a une signification, pour ainsi
dire, philosophique et historique différente, que l'émancipation d'une
classe donnée ne peut être son œuvre propre que dans le cas où il
existe un mouvement indépendant en son sein au nom de son
émancipation - à la fois. Notre intelligentsia en partie n'a pas du tout
pensé à tout cela, et en partie a eu une idée plutôt étrange. Ainsi, par
exemple, pour prouver que notre peuple lui-même, sans l'aide de
l'intelligentsia, avait déjà commencé à comprendre les conditions de sa
véritable libération, on invoqua son mécontentement à l'égard de sa
réforme de 1861. Comme preuve de sa capacité à créer un mouvement
révolutionnaire indépendant, ils faisaient généralement référence à nos «
guerres paysannes », aux émeutes de Razin et de Pougatchev.
Une expérience difficile a vite montré à nos révolutionnaires que des
plaintes concernant le manque de terres il y a un chemin infini jusqu'au
développement d'une conscience de classe définie et que des émeutes
qui ont eu lieu il y a 100 ou 200 ans, on ne peut pas conclure que le
peuple est prêt à se rebeller à tout moment. l'heure actuelle. L’histoire de
notre mouvement révolutionnaire des années soixante-dix a été une
histoire de déceptions dans des « programmes » qui semblaient les plus
pratiques et les plus infaillibles.
Mais nous nous intéressons actuellement à l’histoire des idées
révolutionnaires et non à l’histoire des tentatives révolutionnaires. Pour
notre propos, il est nécessaire de faire le point sur toutes ces opinions
sociopolitiques que nous avons héritées des décennies précédentes.
Voyons ce que chacune des principales factions des années soixante-dix
nous a légué, en l'occurrence.
Les théories de M. A. Bakounine et de P. N. Tkachev nous seront très
instructives. Le programme des soi-disant propagandistes, qui réduisaient
toute l'histoire ultérieure de la Russie, jusqu'à la révolution, à la diffusion
des idées socialistes, souffrait d'un idéalisme trop visible. Ils
recommandaient la propagande aux socialistes russes aussi précisément
qu'ils la recommanderaient parfois aux socialistes polonais, serbes, turcs,
persans, en un mot, aux socialistes de tout pays privé de la possibilité
d'organiser les travailleurs en un parti politique ouvert. La comparaison
évoquée ci-dessus du sort d'Herzen avec l'histoire probable des idées
socialistes pourrait servir d'exemple typique de leur argumentation en
faveur de leur programme. Ils ont compris cette comparaison, en soi
assez risquée, dans le sens abstrait et unilatéral que pour assimiler des
concepts sociopolitiques une fois développés, il suffit de la logique
subjective des personnes, non soutenue par la logique objective des
relations sociales. . Ils ont commis peu d’erreurs dans l’analyse des
relations sociales en Russie, pour la simple raison qu’ils n’ont presque
jamais entrepris une telle analyse.
5. M.A. Bakounine
Ce n’est pas ainsi que raisonnait Bakounine. Il a compris que l'influence
de l'intelligentsia révolutionnaire sur le peuple n'est possible que si
certaines conditions historiques sont réunies, seulement s'il existe un
désir plus ou moins conscient parmi le peuple lui-même d'une révolution
socialiste. Il est donc parti d’une comparaison des « idéaux populaires »
avec les idéaux de notre intelligentsia, bien sûr, de direction anarchiste.
Selon lui, dans le peuple russe existent dans la plus large mesure ces
deux éléments que nous pouvons désigner comme conditions
nécessaires à la révolution sociale. « Il se vante d’une pauvreté
excessive, ainsi que d’un esclavage (sic) exemplaire. Ses souffrances
sont infinies, et il les endure non pas patiemment, mais avec un
désespoir profond et passionné, qui s'est déjà exprimé à deux reprises
historiquement, dans deux terribles explosions : la rébellion de Stenka
Razin et la rébellion de Pougatchev, et qui n'a cessé de se manifester.
jusqu'à ce jour dans une série continue de révoltes paysannes privées"
[16 ] . Ce qui l’empêche de mener une révolution victorieuse n’est pas «
l’absence d’un idéal général capable de comprendre la révolution
populaire et de lui donner un objectif précis ». Si un tel idéal n'existait
pas, « s'il n'avait pas été développé dans la conscience populaire, au
moins dans ses principales caractéristiques, alors il faudrait abandonner
tout espoir en la révolution russe, car un tel idéal vient des profondeurs
mêmes. de la vie des gens, est indispensable Ainsi, le résultat des
épreuves historiques du peuple, de ses aspirations, souffrances,
protestations, luttes et en même temps est, pour ainsi dire, une
expression figurative et généralement compréhensible, toujours simple, de
ses revendications réelles et espoirs... si les gens ne développent pas cet
idéal à partir d'eux-mêmes, alors personne ne pourra le lui donner.» Mais
« il ne fait aucun doute » qu’un tel idéal existe dans l’imaginaire de la
paysannerie russe, « et il n’est même pas nécessaire d’approfondir la
conscience historique de notre peuple pour en déterminer les principales
caractéristiques ».
L’auteur de « Statehood and Anarchy » énumère six « caractéristiques
principales » de l’idéal populaire russe : trois bonnes et trois mauvaises.
Examinons de plus près cette classification, car la vision du monde de M.
A. Bakounine a marqué les opinions de nombre de nos socialistes qui
n'ont jamais été ses partisans ni même agi comme ses opposants.
« La première et principale caractéristique est la croyance populaire selon
laquelle la terre, toute la terre, appartient au peuple, qui l'irrigue avec sa
sueur et la fertilise avec son travail. La deuxième caractéristique tout
aussi importante est que le droit d’en user n’appartient pas à un individu,
mais à toute une communauté, un monde qui le divise temporairement
entre individus ; la troisième caractéristique, tout aussi importante que les
deux précédentes, est l’autonomie quasi absolue, l’autonomie
communautaire et, par conséquent, l’attitude résolument hostile de la
communauté à l’égard de l’État.
« Ce sont là les trois caractéristiques principales qui sont à la base de
l’idéal populaire russe. En substance, ils correspondent pleinement à
l'idéal qui s'est récemment développé dans la conscience du prolétariat
des pays latins, qui sont désormais incomparablement plus proches de la
révolution sociale que les pays allemands. Cependant, l'idéal populaire
russe est éclipsé par trois autres caractéristiques qui déforment son
caractère et extrêmement (Nota bene) compliquent et ralentissent sa mise
en œuvre... Ces trois caractéristiques assombrissantes ; 1) patriarcat ; 2)
absorption du visage par le monde ; 3) la foi au Tsar... On pourrait
ajouter, comme quatrième trait, la foi chrétienne, officiellement orthodoxe
ou sectaire, mais... en Russie cette question est loin d'avoir la même
importance qu'en Europe occidentale. » [17] .
C’est contre ces aspects négatifs de l’idéal populaire que les
révolutionnaires russes doivent lutter « de toutes leurs forces », et une
telle lutte est « d’autant plus possible qu’elle existe déjà au sein du
peuple lui-même ».
La certitude que le peuple lui-même avait déjà commencé à lutter contre
les « traits » négatifs de son idéal était un « trait » très caractéristique de
tout le programme des bakouninistes russes. Elle était la goutte d’eau à
laquelle ils s’accrochaient pour échapper aux conclusions logiques de
leurs propres prémisses et des résultats de l’analyse de l’idéal du peuple
par M. A. Bakounine. « Ni un individu, ni une société, ni un peuple ne
peuvent recevoir ce qui n'existe plus en lui, non seulement à l'état
embryonnaire, mais même à un certain degré de développement », lit-on
dans la « Note A », que nous avons déjà citée. tellement de fois. Restant
cohérent, le bakouniniste russe aurait dû « abandonner tout espoir de
révolution russe » si le peuple lui-même n’avait pas remarqué les « traits
obscurs » de son idéal et si son mécontentement à l’égard de ces traits
n’avait pas déjà atteint « un certain degré de développement." Il est donc
clair que toute la force dialectique du fondateur de la « rébellion » russe
aurait dû être dirigée dans cette direction.
Il convient en outre de noter qu'à ce stade, M.A. Bakounine était très
proche d'une formulation tout à fait correcte de la question des chances
d'un mouvement social-révolutionnaire en Russie et d'une attitude
sérieuse et critique à l'égard du caractère et des « idéaux » de notre
peuple. Ce genre d’attitude critique était précisément ce qui manquait aux
personnalités publiques russes. Même A.I. Herzen était étonné de
l'absence de caractéristiques définies et généralement acceptées du
peuple russe. « Certains ne parlent que de la toute-puissance du roi, de
l'arbitraire du gouvernement, de l'esprit servile de ses sujets ; d'autres
soutiennent au contraire que l'impérialisme pétersbourgeois n'est pas
populaire, que le peuple, écrasé par le double despotisme du
gouvernement et des propriétaires fonciers, porte le joug mais ne le
supporte pas, qu'il n'est pas détruit, mais seulement malheureux, et en
même temps on dit que ce peuple même donne l'unité et la force au
royaume colossal qui l'écrase. D’autres ajoutent que le peuple russe est
une bande méprisable d’ivrognes et de fripons ; d'autres affirment que la
Russie est habitée par une race de gens capables et richement doués »
[18] .
Trente ans se sont écoulés depuis que les lignes que j'ai citées ont été
écrites pour la première fois, et pourtant, jusqu'à ce jour, non seulement
les étrangers auxquels Herzen pensait, mais aussi les personnalités
publiques russes ont des opinions diamétralement opposées sur le
caractère et les « idéaux » du peuple russe. Il n’est évidemment pas
surprenant que chaque parti ait tendance à exagérer la sympathie du
peuple pour ses propres aspirations. Mais ni en France, ni en Allemagne,
ni dans aucun autre pays occidental, on ne peut rencontrer la
contradiction dans les conceptions de la paysannerie qui nous frappe en
Russie. Cette contradiction conduit parfois à des malentendus très drôles.
La différence dans la vision socio-politique du monde des personnes des
directions les plus opposées est souvent déterminée uniquement par la
différence dans la compréhension des « idéaux nationaux ». Ainsi, par
exemple, MM. Katkov et Aksakov seraient d'accord avec M. Tikhomirov
sur le fait qu'« un programme politique... doit prendre les gens tels qu'ils
sont, et ce n'est que dans ce cas qu'il pourra avoir un impact sur leur vie
». .» Alors, le rédacteur en chef de « Rus » pourrait accepter que « pour
100 millions d’habitants » nous « ayons 800 000 travailleurs unis par le
capital », comme l’assure M. Tikhomirov dans son article « Que peut-on
attendre de la révolution ? " ; rédacteur en chef de Moskovskie
Vedomosti« Je considérerais peut-être cette évaluation comme trop basse
et je soulignerais de nombreuses inexactitudes dans les calculs
statistiques de M. Tikhomirov. Néanmoins, tous deux souscriraient sans
réserve à l'opinion selon laquelle la Russie est un pays agricole, que les
résultats de « l'analyse des relations sociales faite... dans les pays
capitalistes d'Europe » ne lui sont pas applicables, que dire sur la
signification politique et économique Il est drôle et absurde pour la
bourgeoisie russe que les sociaux-démocrates russes soient condamnés
à « une situation véritablement tragique » et qu'en fin de compte,
lorsqu'on parle de « ce qu'est le peuple », il faut garder précisément à
l'esprit notre paysannerie. Malgré le fait que la vision du monde des
représentants littéraires de nos partis extrêmes (dans des directions
différentes) « englobe des points de vue qui sont dans une certaine
mesure » identiques les uns aux autres, les conclusions qu'ils tirent de
leurs prémisses s'avèrent diamétralement opposées. Il écrit sur le peuple
de M. Tikhomirov, et nous apprenons avec plaisir que, « désillusionné par
l'autocratie des tsars », notre peuple ne peut passer « qu'à l'autocratie du
peuple », qu'« à un moment révolutionnaire, notre peuple ne peut pas se
retrouver politiquement fragmenté lorsque nous parlons du principe
fondamental du pouvoir d’État. De la même manière, il sera totalement
unanime en termes économiques sur la question foncière, c’est-à-dire sur
la question fondamentale de la production russe moderne » (sic). Une
humeur joyeuse s'empare enfin de nous lorsque nous lisons que « ni en
termes de force morale, ni en termes de clarté de la conscience sociale,
ni en termes de stabilité historique qui en résulte, nous ne pouvons placer
aucune de nos couches sociales à côté du classe ouvrière paysanne »,
que « l'impression de l'intelligentsia ne la trompe pas, et au moment du
dénouement final de la confusion moderne des relations politiques, le
peuple, bien sûr, agira plus uni qu'au moins le célèbre ( par qui ?) la
bourgeoisie.
Nous voyons que le peuple « veut le bien », comme l'a assuré un jour un
écrivain russe aux Français, et, remplis de joie, nous nous préparons à
éclater - « le tonnerre de la victoire se fait entendre, réjouissez-vous,
brave Russe ! », quand tout à coup « "Rus" attire notre attention - et
nous tombons du ciel sur la terre. Il s’avère que ce que les gens «
veulent » est complètement mauvais. Il idolâtre le tsar, prône les
châtiments corporels, ne pense à aucune révolution et est prêt à réduire
immédiatement ces messieurs en poussière. amoureux du peuple, dès
qu’un « télégramme strict » est reçu à son sujet. Les références à la
réalité contemporaine, voire à l’histoire, ne manquent pas ici, comme
dans les articles de M. Tikhomirov. Quelle chose étrange ! Nous nous
tournons vers des chercheurs de la vie populaire connus pour leur
impartialité, comme M. Uspensky, et notre déception ne fait que
s'intensifier. Nous apprenons que notre peuple est sous le « pouvoir de la
terre », ce qui l’oblige à conclure assez logiquement à l’absolutisme, sans
même l’ombre d’une transition vers « l’autocratie du peuple ». Le même
M. Uspensky nous convainc que non seulement aux pôles aussi extrêmes
que MM. Aksakov et Tikhomirov, mais même des personnes ayant à peu
près les mêmes opinions ont des opinions diamétralement opposées sur
le peuple.
Quelle est la raison de tout ce chaos babylonien, de toute cette confusion
des concepts ?
La classification faite par Bakounine des différents aspects de « l'idéal
populaire » nous donne une explication assez plausible. Le fait est que
M. Tiho Mirov fonde son raisonnement socio-politique sur certains « traits
» positifs de cet idéal (les mêmes qui « correspondent en substance
pleinement à l'idéal qui se développe dans la conscience du prolétariat
des pays latins »). : « conviction nationale « que la terre, toute la terre,
appartient au peuple, et que le droit de l’utiliser n’appartient pas à
l’individu, mais à la communauté entière, au monde, en la divisant
temporairement entre individus. » Et bien que l’auteur de l’article « Que
peut-on attendre de la révolution ? Je ne serais pas particulièrement
satisfait du troisième trait, « d'égale importance avec les deux précédents
», c'est-à-dire « une attitude résolument hostile à l'égard de l'État », mais
cette hostilité dans la classification de Bakounine elle-même n'est qu'une
conséquence de « l'attitude quasi absolue » de l'État. l'autonomie de
gouvernement communal », sur laquelle reposent de nombreux espoirs
de la ville. Tikhomirov [19] . Notre auteur ne sait rien, ou ne veut rien dire
à ses lecteurs, des traits « obscurs » de l'idéal populaire (patriarcat,
absorption du visage par le monde, « la superstition du peuple,
naturellement associée en lui à l'ignorance », pauvreté, etc.). G. Aksakov
fait le contraire. Il construit son argumentation précisément sur ces
dernières « caractéristiques », oubliant ou taisant celles qui lui sont
opposées. Les articles de M. Ouspensky cessent également de nous
étonner. Il a comparé Ormuzd à Ahriman, les mauvais côtés de l'idéal
aux bons, et est arrivé à l'impasse du « pouvoir de la terre », d'où,
apparemment, il n'y a d'issue ni pour le paysan ni pour l'ensemble de
l'humanité. La Russie, qui repose sur le paysan, comme la terre « sur
trois piliers » ; Les amants des personnes qu’il représentait voyaient à
nouveau qui étaient brillants et qui étaient des traits « malheureux » du
caractère et de l’idéal du peuple, et ne pouvaient donc parvenir à aucun
accord. Tout cela est tout à fait compréhensible, et on ne peut
s’empêcher de remercier feu Bakounine pour la clé qu’il nous a donnée
pour comprendre le caractère unilatéral de ses propres partisans et de la
majorité de nos populistes en général.
Mais ce n’est pas pour rien que Bakounine a étudié la philosophie
allemande. Il a compris que la classification qu'il proposait des « traits de
l'idéal national » — qu'on en prenne seulement les bons, ou seulement
les « malheureux », ou enfin les « traits heureux » et « malheureux » -
n'explique que le versant chinois de l'idéal national. problème. Il a
compris que le peuple doit être « pris » non pas « tel qu'il est », mais tel
qu'il s'efforce de devenir et de devenir sous l'influence d'un mouvement
historique donné. Dans ce cas, Bakounine était beaucoup plus proche de
Hegel que de M. Tikhomirov. Il ne se contentait pas de la conviction que
c'est précisément « cela » l'idéal national, mais il se souciait d'étudier les
« traits » de cet idéal dans leur développement, dans leurs relations
mutuelles. C’est à ce moment-là que, comme je l’ai dit plus haut, il était
très proche de la formulation correcte de la question. S'il avait
correctement appliqué la méthode dialectique pour expliquer la vie des
gens et leur vision du monde, s'il avait mieux saisi cette « vérité
indubitable prouvée par Marx, confirmée par toute l'histoire passée et
présente de la société humaine, des peuples et des États, que l'économie
Le fait a toujours précédé et précède... la loi politique », et par
conséquent les idéaux socio-politiques des « peuples », s'il s'était rappelé
à propos que « l'un des principaux mérites scientifiques de M. Marx
réside dans la preuve de ce fait ». vérité » [ 20] , alors je n'aurais
probablement pas eu à discuter avec M. Tikhomirov, puisqu'il ne resterait
aucune trace du « bakunisme ».
Mais Bakounine a été trahi par la dialectique, ou plutôt il l'a trahi.
Au lieu de partir des « faits économiques » dans son analyse de l'idéal
sociopolitique du peuple russe, au lieu d'attendre une refonte de ce vieil «
idéal » sous l'influence de nouvelles tendances dans la vie économique
du peuple, l'auteur de « État et anarchie » établit une hiérarchie
complètement arbitraire des « défauts » de l'idéal du peuple, en essayant
de trouver une telle combinaison de ses « traits » « malheureux » dans
laquelle l'un d'eux est neutralisé ou même complètement détruit par
l'autre. Cela transforme tout son argument en un jeu complètement
arbitraire de définitions complètement arbitraires. L'auteur, qui semblait si
proche de la vérité, s'en est soudainement éloigné à l'infini pour la simple
raison qu'il ressentait seulement le besoin d'une évaluation dialectique de
la vision du monde des gens, mais qu'il ne pouvait ou ne voulait pas la
faire. Au lieu de la dialectique attendue, le sophisme est apparu. Le «
bakounisme » a été sauvé, mais la clarification des tâches de
l’intelligentsia révolutionnaire russe n’a pas progressé d’un pas.
La hiérarchie des différents défauts de l’idéal populaire s’établit ainsi.
"L'absorption de l'homme dans le monde et le culte du roi sont en fait des
résultats naturels... du patriarcat." La communauté elle-même s'avère
n'être « rien d'autre qu'une extension naturelle de la famille, du clan »
[21] , et le tsar est « le patriarche et ancêtre universel, le père de toute la
Russie ». C’est pourquoi « son pouvoir est illimité ». Il ressort clairement
de cela que le patriarcat s’avère être le « principal mal historique » contre
lequel nous sommes obligés de « lutter de toutes nos forces ». Mais
comment un anarchiste peut-il lutter « contre le mal historique » s’il n’a «
aucune intention ni le moindre désir d’imposer à notre peuple ou à celui
des autres un idéal d’ordre social, lu dans des livres ou inventé par lui-
même » ? Rien d'autre que de s'appuyer sur le développement historique
de l'idéal du peuple. Mais le développement de l’idéal populaire russe
contribue-t-il à en éliminer le côté obscur du patriarcat ? Sans aucun
doute, et précisément de cette manière : « la guerre contre le patriarcat
est désormais menée dans presque tous les villages et dans chaque
famille, et la communauté et le monde sont devenus à tel point un
instrument du pouvoir étatique et de l'arbitraire bureaucratique, qui est
détesté par le peuple, que la rébellion contre ce dernier devient avec cela
une rébellion contre le despotisme communautaire et mondain [22] . Non
gêné par le fait que la lutte contre le despotisme communal ne peut
qu'ébranler le principe même de la propriété foncière communale, l'auteur
considère la question enfin résolue et assure que « le culte du roi
demeure », qui « est devenu extrêmement ennuyeux et affaibli en la
conscience même du peuple au cours des dix ou douze dernières années
», non même parce que le « patriarcat » a été ébranlé, mais « grâce à la
politique sage et aimante du peuple d’Alexandre II le complaisant ».
Après de nombreuses épreuves, le peuple russe « a commencé à
comprendre qu’il n’avait pas d’ennemi plus grand que le tsar ».
L’intelligentsia n’a qu’à soutenir et à renforcer cette tendance anti-tsariste
de la pensée populaire. En conclusion, il est recommandé à la même
intelligentsia de lutter contre un autre « défaut majeur » qui n’a pas été
mentionné dans l’énumération ci-dessus des caractéristiques de l’idéal
populaire. Cet inconvénient, « paralysant et rendant encore impossible un
soulèvement populaire général en Russie, est l'isolement des
communautés, la solitude et la séparation des mondes paysans »... Si
l'on prend en compte que la « séparation des mondes paysans » est le
du fait que « chaque communauté constitue un tout fermé en elle-même,
de sorte qu'aucune des communautés n'a ni même ne se sent » [23]la
nécessité de n'avoir aucun lien organique indépendant avec d'autres
communautés », qu'« elles ne sont liées les unes aux autres que par
l'intermédiaire du père-tsar, uniquement par son autorité suprême et
paternelle », alors nous devons admettre qu'une tâche difficile est confiée
au intelligentsia. « Relier les meilleurs paysans de tous les villages,
volosts et, si possible, régions... entre eux et, si possible, établir le même
lien vivant entre les ouvriers d'usine et la paysannerie »... pour s'assurer
que « le les paysans les meilleurs ou avancés de chaque village, de
chaque volost et de chaque région connaissaient les mêmes paysans de
tous les autres villages, volosts, régions "... "pour les convaincre qu'une
force indestructible vit dans le peuple, qui n'est puissante que lorsqu'elle
est rassemblée et agit simultanément... et quant à lui, il n'a pas encore
été collecté » ; relier et organiser « les villages, les volosts, les régions
selon un plan général et avec un seul objectif de libération nationale » -
en un mot, ajouter plusieurs nouveaux « traits » très bons au caractère et
à l'idéal du peuple et éliminer plusieurs défauts fondamentaux de leur
part, c'est un travail digne des titans ! Et il faut entreprendre cette
gigantesque entreprise avec la conviction qu'« il faudrait être un imbécile
du roi des cieux ou un doctrinaire incurable pour imaginer qu'on puisse
donner quelque chose au peuple, lui donner n'importe quelle sorte de
bénéfice matériel ou un nouveau contenu mental ou moral, une nouvelle
vérité et donner arbitrairement une nouvelle direction à sa vie ou, comme
le disait feu Chaadaev, écrire ce que vous voulez sur lui, comme sur une
feuille de papier vierge » [24] ... Est-il possible de Imaginez-vous une
contradiction plus flagrante entre les positions théoriques du « programme
» et les tâches pratiques qu'il décrit ?
Les personnes qui ne voulaient pas rompre complètement avec la logique
ont dû soit abandonner la partie pratique de ce programme, en
conservant ses principales dispositions, soit poursuivre les tâches
pratiques indiquées par celui-ci, en essayant de leur trouver une nouvelle
justification théorique. C’est ainsi que cela s’est passé plus tard.
6. P.N. Tkachev
Mais à côté du bakounisme, qui portait en lui-même les éléments de sa
décadence, il existait un autre courant dans le parti révolutionnaire russe.
Extrêmement hostile à la philosophie anarchiste de M. A. Bakounine, elle
était d'accord avec lui - comme je l'ai déjà dit dans la brochure «
Socialisme et lutte politique » - dans son évaluation de la réalité russe
moderne. En même temps, cette direction était assurée contre de
nombreuses erreurs de l'auteur de Statehood and Anarchy. Pour ainsi
dire, avec moins de prétention, un type d'argumentation logique inférieur.
M.A. Bakounine a tenté de trouver une justification à la méthode d'action
qu'il préconisait au cours même du développement de la vision populaire
du monde, mais, après avoir utilisé un critère inapproprié, il a été
contraint de substituer les sauts logiques de sa propre pensée aux sauts
logiques de sa propre pensée. développement de la vie sociale russe. P.
N. Tkachev, le fondateur de la direction vers laquelle nous nous dirigeons
actuellement, n'a pas du tout pensé à l'analyse dialectique de nos
relations sociales. Il déduit son programme directement de la statique de
ces relations. La structure moderne de la vie russe lui semblait avoir été
délibérément inventée pour la révolution sociale (qui, dans sa
terminologie, signifiait socialiste ). Parler de progrès et de développement
signifiait pour lui trahir la cause du peuple. "Maintenant, ou pas très
bientôt, peut-être jamais !" - telle était la devise de son orgue "Alarme". Il
exprime la même idée dans sa brochure « Tâches de la propagande
révolutionnaire en Russie » et elle transparaît dans chaque ligne de sa «
Lettre ouverte à Engels ». Sans s'engager dans la voie difficile de la
dialectique, il n'a pas pris les mauvaises étapes logiques caractéristiques
de Bakounine, dont il se moquait si caustiquement dans son « Anarchie
de la pensée ». Il était plus cohérent que Bakounine dans le sens où il
adhérait plus fermement à ses prémisses et en tirait des conclusions plus
logiques. Le problème était que non seulement ces prémisses, mais aussi
le point de vue qu'il avait adopté en les développant, étaient inférieurs à
celui de Bakounine, pour la simple raison qu'ils n'étaient rien d'autre qu'un
bakounisme simplifié, un bakounisme qui refusait toute tentative de créer
son propre bakounisme. philosophie de l'histoire russe et qui a lancé à de
telles tentatives un anathème révolutionnaire. Quelques extraits des écrits
de Tkachev suffiront à confirmer tout ce qui a été dit.
Commençons par la « Lettre ouverte à M. Friedrich Engels ».
Cette lettre vise à « aider l'ignorance » d'Engels, à lui prouver que « la
mise en œuvre de la révolution sociale ne rencontre aucun obstacle en
Russie » et qu'« à tout moment il est possible d'inciter le peuple russe à
l'unanimité ». protestation révolutionnaire » [25] . La méthode de preuve
de cette thèse est si originale, si caractéristique de l'histoire du
développement de la « pauvre pensée russe », si importante pour la
compréhension et l'évaluation correcte du programme du « Parti de la
volonté du peuple », et anticipe dans une telle mesure le tout l'argument
de M. Tikhomirov, selon lequel il mérite la plus grande attention des
lecteurs.
Selon P. N. Tkachev, il serait puéril de rêver de transplanter l’«
Association internationale des travailleurs » sur le sol russe. Ceci est
entravé par les conditions sociopolitiques de la Russie. « Sachez, dit-il à
Engels, que nous, en Russie, ne disposons d'aucun des moyens de lutte
révolutionnaire qui sont à votre service en Occident en général et en
Allemagne en particulier. Nous n'avons pas de prolétariat urbain, pas de
liberté de la presse, pas d'assemblée représentative, rien qui nous
donnerait l'espoir d'unir (étant donné la situation économique actuelle) en
un syndicat ouvrier bien organisé et discipliné... la masse opprimée et
ignorante des travailleurs. les travailleurs." "La littérature de travail est
impensable dans notre pays, mais même si sa création était possible, elle
serait inutile, car la majorité de notre peuple ne sait pas lire." L'influence
personnelle sur le peuple est également impossible, grâce aux
règlements de police qui s'opposent à tout rapprochement entre
l'intelligentsia et le peuple noir. Mais toutes ces conditions défavorables,
assure l’auteur de la lettre à Engels, « ne doivent pas vous conduire à
l’idée que la victoire de la révolution sociale est plus problématique,
moins sûre en Russie qu’en Occident. En aucun cas !.. Si nous n’avons
pas certaines des chances que vous avez, alors nous pouvons en
souligner beaucoup qui vous manquent.
Quelles sont ces chances ? Pourquoi peut-on s’attendre à une révolution
et que devons-nous en attendre ?
« Nous n’avons pas de prolétariat urbain, c’est bien sûr vrai ; mais nous
n'avons pas de bourgeoisie du tout. Entre le peuple qui souffre et le
despotisme de l’État qui l’opprime, nous n’avons pas de classe moyenne ;
nos travailleurs n’auront à lutter qu’avec la force politique – le pouvoir du
capital en est encore à ses balbutiements. »
« Notre peuple est ignorant, c'est aussi un fait. Mais dans la grande
majorité des cas, elle est imprégnée des principes de propriété
communautaire ; il est, pour ainsi dire, communiste par instinct, par
tradition. »
"De là, il est clair que, malgré son ignorance, notre peuple est beaucoup
plus proche du socialisme que les peuples occidentaux, bien qu'ils soient
plus instruits qu'eux."
« Notre peuple est habitué à l’esclavage et à l’obéissance – cela non plus
ne peut être contesté. Mais il ne faut pas en conclure qu’il est satisfait de
sa position. Il proteste, proteste continuellement. Sous quelque forme que
ce soit, « ces protestations se manifestent, que ce soit sous forme de
sectes religieuses appelées schismes, ou de refus de payer des impôts,
ou sous forme de soulèvements et de résistance ouverte aux autorités –
en tout cas, proteste-t-il, et parfois très énergiquement ». »...
« Il est vrai que ces protestations sont limitées et isolées. Mais, malgré
cela, ils prouvent suffisamment que le peuple ne supporte pas sa
situation, qu'il profite de chaque occasion pour laisser libre cours aux
sentiments d'amertume et de haine qui se sont accumulés dans sa
poitrine. Et c’est pourquoi le peuple russe peut être qualifié de
révolutionnaires instinctifs, malgré son apparente stupidité, malgré son
manque de conscience claire de ses droits. »
"Notre parti révolutionnaire intelligent n'est pas nombreux", cela est
également vrai. Mais d’un autre côté, elle ne poursuit aucun idéal autre
que socialiste, et ses ennemis sont presque encore plus impuissants
qu’elle, et cette impuissance lui profite. Nos classes supérieures ne
représentent aucune force, ni économiquement (elles sont trop pauvres
pour cela), ni politiquement (elles sont trop stupides et trop habituées à
s’en remettre à la sagesse de la police en tout). Notre clergé n'a aucune
signification... Notre État n'apparaît comme une force qu'à distance. En
réalité, sa force est apparente, imaginaire. Elle n’a aucune racine dans la
vie économique des gens. Il n’incarne les intérêts d’aucune classe. Il
opprime également toutes les classes de la société et suscite la même
haine de la part de toutes. Ils tolèrent l’État, supportent son despotisme
barbare avec une totale indifférence. Mais cette patience, cette
indifférence... sont le produit d'une erreur : la société s'est créée l'illusion
de la puissance de l'Etat russe et est sous son influence magique.» Mais
il n’en faut pas beaucoup pour dissiper cette illusion. "Deux ou trois
défaites militaires, un soulèvement simultané de paysans dans de
nombreuses provinces, un soulèvement ouvert dans les résidences en
temps de paix - et son influence se dissipera instantanément, et le
gouvernement se verra seul et abandonné de tous."
« Ainsi, à cet égard, nous avons de meilleures chances que vous (c’est-à-
dire l’Occident en général et l’Allemagne en particulier). Votre État n’est
en aucun cas une force imaginaire. Il repose avec les deux pieds sur le
capital ; elle incarne certains intérêts économiques. Elle n'est pas
seulement soutenue par les soldats et la police (comme chez nous), elle
est renforcée par tout le système des relations bourgeoises... Chez
nous... au contraire - notre forme sociale doit son existence à l'État, un un
État, pour ainsi dire, suspendu en l'air, un État qui n'a rien à voir avec
l'ordre social existant, dont les racines se trouvent dans le passé, mais
pas dans le présent" [ 26] .
C'est la philosophie socio-politique de P. N. Tkachev.
Si, par erreur d'un compositeur, sous les extraits ci-dessus il y avait eu
une référence à l'article « Que pouvons-nous attendre de la révolution ?
», alors M. Tikhomirov lui-même n'aurait guère remarqué cette erreur : à
tel point que la copie paru en avril 1884, semblable à l’original sorti il y a
dix ans. Mais hélas, que signifie la gloire de la première découverte ?! G.
Tikhomirov ne mentionne pas son professeur en un seul mot ! Pour sa
part, l'auteur de la « Lettre ouverte à M. F. Engels » n'a pas jugé
nécessaire de se référer à « État et anarchie », publié en 1873 et qui
contient les mêmes caractéristiques des relations sociales russes et les
mêmes l’assurance que le paysan russe est « communiste par instinct,
par tradition ». Le P. Engels avait tout à fait raison lorsqu’il disait dans sa
réponse à Tkachev que l’argumentation de ce dernier était construite sur
les habituelles « phrases bakouninistes ».
Mais à quoi conduit le bakounisme, ayant perdu confiance dans la
possibilité d’éliminer par une influence directe les « aspects malheureux »
de l’idéal du peuple et concentrant son attention sur l’ heureuse
circonstance que notre État « est suspendu en l’air » et « n’a rien à
faire ? avec l'ordre social existant » ? et « la mise en œuvre de la
révolution sociale ne présente aucune difficulté » ? C’est clair pourquoi. «
Si notre capital en est encore à ses balbutiements » et que « les
travailleurs ne doivent lutter qu'avec la force politique » du tsarisme, si le
peuple, de son côté, est « toujours prêt » au soulèvement, comme
Onéguine de Pouchkine au duel. , alors la lutte révolutionnaire prend un
caractère exclusivement « politique ». Et puisque, en outre, nous n’avons
pas la possibilité « d’unir la masse opprimée et ignorante des travailleurs
en un syndicat bien organisé et discipliné » ; S'il n'y a aucune possibilité
de créer de la littérature ouvrière et qu'il n'y aurait même aucun avantage
à la créer, alors il s'avère que cette lutte politique ne devrait pas du tout
être menée par les travailleurs. Cela doit être pris en charge par ce
même « petit parti révolutionnaire intellectuel », dont la force réside dans
ses idéaux socialistes et dans l’impuissance de ses ennemis. Mais cette
minorité, forte en raison de l'impuissance des autres, tant dans les
conditions russes modernes que dans l'essence même de ses relations
avec toutes les autres forces sociales, n'a d'autre choix que de créer une
organisation secrète et de préparer un coup d'État en prévision de
circonstances favorables à un coup décisif : « défaites militaires » de la
Russie, « émeutes simultanées dans plusieurs provinces » ou «
soulèvement à la résidence ». En d’autres termes, la foi du bakounisme
dans le « progrès » nous conduit très directement à une conspiration
visant à renverser le gouvernement en place, à prendre le pouvoir et à
organiser une société socialiste avec l’aide de ce pouvoir et des
inclinations « naturelles et traditionnelles » de la paysannerie russe vers
le communisme. . Nous avons vu tout cela dans les travaux de P. N.
Tkachev bien plus tôt que dans l’article de M. Tikhomirov.
Mais pour une connaissance complète du programme de Tkachev, ou,
comme il l'a dit, de cette « faction à laquelle appartient tout ce qu'il y a de
courageux, d'intelligent et d'énergique dans notre jeunesse révolutionnaire
intelligente », il faut se tourner vers d'autres ouvrages de l'éditeur de «
Nabat » . , puisque la « Lettre ouverte » ne contient que des assurances
selon lesquelles « la période moderne de l'histoire (russe) est la plus
propice à la réalisation d'une révolution sociale », et une indication des «
caractéristiques générales » du programme comme un « appel direct à le
peuple » et la création d’une organisation révolutionnaire forte et d’une
discipline stricte. De la brochure « Tâches de la propagande
révolutionnaire en Russie », nous tirons l'idée originale selon laquelle «
une révolution violente ne peut avoir lieu que lorsque la minorité ne veut
pas attendre que la majorité réalise ses besoins, mais lorsqu'elle décide,
pour ainsi dire, pour l'imposer à sa conscience". Enfin, dans le recueil des
« essais critiques de P. N. Tkachev », publié sous un titre général «
Anarchie de la pensée », nous, dans le chapitre dirigé contre le
programme de la revue « En avant » et la brochure de la « Jeunesse
social-révolutionnaire russe » , rencontrez déjà directement la prochaine
alternative. « Il faut choisir entre deux choses : soit l'intelligentsia doit
prendre le pouvoir après la révolution, soit elle doit résister, retarder la
révolution jusqu'à ce moment heureux où « l'explosion populaire » ne
présente plus de danger, c'est-à-dire , lorsque le peuple aura assimilé les
résultats des pensées du monde, acquerra des connaissances qui lui sont
inaccessibles. Déjà du fait que la connaissance est reconnue comme «
inaccessible au peuple », il est clair où penchent les sympathies de P. N.
Tkachev.
Organiser un complot pour prendre le pouvoir devient la principale tâche
pratique de propagande du journal, puis du magazine «Nabat».
Parallèlement à cela, il y a la propagande de terreur et l’exaltation de la «
soi-disant conspiration Nechaev » aux dépens des cercles
propagandistes. «Pour nous, révolutionnaires, qui ne voulons plus
supporter les malheurs du peuple, qui ne pouvons plus supporter notre
honteux état d'esclavage, pour nous qui ne sommes pas obscurcis par
les absurdités métaphysiques et sommes profondément convaincus que
la révolution russe, comme toute autre révolution ne peut se passer de
pendaisons et d'exécutions de gendarmes, de procureurs, de ministres,
de commerçants, de prêtres , en d'autres termes, ne peut se passer d'un
« coup d'État violent » ; pour nous, révolutionnaires matérialistes, toute la
question se résume à l'acquisition du pouvoir, qui est maintenant dirigé
contre nous . Ces lignes, publiées en 1878 [27] , alors que personne
n'avait encore songé à créer un « Parti de la Volonté du Peuple »,
montrent avec suffisamment de clarté où il faut chercher la source de ces
idées pratiques, dont la propagande a pris ce parti. sur lui-même. Nous
pensons donc que les rédacteurs du « Nabat » avaient raison à leur juste
titre lorsque, constatant en 1879 le « fiasco complet » de l’aller au
peuple, ils ajoutaient fièrement : « Nous avons été les premiers à
souligner le caractère inévitable de ce fiasco, nous avons été les
premiers... à implorer la jeunesse de sortir de cette voie anti-
révolutionnaire désastreuse et de revenir aux traditions de l'activité
révolutionnaire directe et de l'organisation révolutionnaire militante et
centraliste (c'est-à-dire les traditions du néchaevisme). Et notre voix
n'était pas celle de quelqu'un qui crie dans le désert. »... « L'organisation
de combat des forces révolutionnaires, la désorganisation et la
terrorisation du pouvoir gouvernemental - telles étaient les principales
revendications de notre programme dès le début. Et maintenant, ces
exigences ont enfin commencé à être mises en pratique.» Emportés par
les activités terroristes, les rédacteurs déclarent même qu'« à l'heure
actuelle, notre seule tâche est de terroriser et de désorganiser le pouvoir
gouvernemental » [28] .
7. Résultats
Nous verrons ci-dessous l’importance des extraits que j’ai faits dans «
l’enquête sur « nos désaccords ». Examinons maintenant les programmes
que nous avons décrits d'un point de vue purement historique et
demandons-nous : dans quelle mesure ont-ils posé et résolu de manière
satisfaisante la question de l'état de la communauté russe et de la
capacité du peuple russe à lutter consciemment pour son économie.
libération?
Nous avons vu que M.A. Bakounine et P.N. Tkachev parlaient beaucoup
des instincts communistes de la paysannerie russe. Les références à ces
instincts constituent le point de départ de leur raisonnement socio-
politique, le fondement principal de leur croyance en la possibilité d’une
révolution socialiste en Russie. Mais ni l’auteur de Statehood and
Anarchy, ni le rédacteur en chef d’Alarm n’ont apparemment réfléchi du
tout à la question de savoir si la communauté existe parce que notre
peuple est « imprégné des principes de la propriété foncière communale
» ou parce qu’il est « imprégné » des principes de la propriété foncière
communautaire. ces « principes », c’est-à-dire a-t-il une habitude de
communauté, vivant dans des conditions de propriété foncière collective ?
S'ils avaient prêté plus d'attention à cette question, dont la réponse ne
peut être douteuse, ils auraient alors dû déplacer le centre de gravité de
leur argument du domaine du raisonnement sur les « instincts » et les
idéaux populaires vers le domaine de recherche sur l'économie nationale.
Il leur faudrait alors prêter attention à l'histoire de la propriété foncière et
des droits de propriété en général chez les peuples primitifs, à
l'émergence et à la croissance progressive de l'individualisme dans les
communautés de tribus de chasseurs, de nomades et d'agriculteurs, à
l'influence socio-politique de ce nouveau « principe », qui devient peu à
peu dominant. En appliquant les résultats de ce type de recherche à la
Russie, il leur faudrait évaluer les conditions de désintégration de la
communauté, dont l'importance s'est particulièrement accrue depuis
l'abolition du servage. Cette évaluation les amènerait logiquement à tenter
de déterminer la force et l’importance du principe individualiste dans
l’économie de la communauté rurale moderne en Russie. Ensuite,
puisque l'importance de ce principe - sous l'influence de conditions
hostiles au collectivisme - ne cesse de croître, il leur faudrait connaître
l'ampleur de l'accélération acquise par l'individualisme lors de son
invasion du droit et de l'économie des membres de la communauté.
Après avoir déterminé, avec la plus grande précision possible dans de
tels cas, l'ampleur de cette accélération, il leur faudrait passer à l'étude
des propriétés et du développement de cette force, à l'aide de laquelle ils
pensaient non seulement empêcher le triomphe de l'individualisme et non
non seulement pour restaurer la communauté rurale dans sa forme
primitive, mais aussi pour lui donner une forme nouvelle, plus élevée.
Dans ce cas, une question très importante se poserait, comme nous
l'avons vu, de savoir si cette force serait un produit de la vie interne de la
communauté ou le résultat du développement historique des classes
supérieures [29] . Dans le deuxième des cas hypothéqués, la force qui
nous intéresse s'avérerait être une force purement extérieure par rapport
à la communauté, et il faudrait alors avant tout se demander si les
influences extérieures seules suffisent à réorganiser l'économie et la
société. vie socio-politique d'une classe donnée ? Après avoir traité cette
question, il nous faudrait immédiatement compter avec une autre, à savoir
: où doit-on chercher le point d'application de cette force, dans le
domaine des conditions de vie ou dans le domaine des habitudes de
pensée de notre paysannerie ? Enfin, il leur faudrait prouver queLa force
des partisans du socialisme augmente à un rythme plus rapide que la
croissance de l'individualisme dans la vie économique russe . Ce n'est
qu'en rendant cette circonstance au moins probable qu'ils pourraient
prouver la probabilité de cette révolution sociale qui, à leur avis, ne
pouvait rencontrer « aucune » difficulté en Russie.
Dans chacun des cas ci-dessus, ils devraient s'occuper non pas de la
statique, mais de la dynamique de nos relations sociales, de « prendre »
les gens non pas tels qu'ils sont, mais tels qu'ils deviennent , de ne pas
les considérer comme une situation stationnaire. image , mais qui se
déroule selon les lois connues du processus de la vie russe. Il leur
faudrait utiliser l’instrument même de la dialectique que Tchernychevski
avait déjà utilisé pour étudier la question de la communauté dans sa
forme la plus abstraite.
Malheureusement, ni Bakounine ni Tkachev n’ont pu, comme nous
l’avons vu, aborder la question des chances d’une révolution sociale en
Russie sous cet angle, le plus important. Ils se contentaient de la
conviction que notre peuple est « communiste par instinct, par tradition »,
et si Bakounine accordait l'attention voulue aux côtés faibles des «
traditions » et de l'instinct populaire, si Tkachev voyait que de telles
faiblesses ne peuvent être éliminées que par les institutions. , et non des
arguments logiques, alors néanmoins ni l'un ni l'autre des écrivains cités
n'ont mis fin au travail d'analyse. Faisant appel à notre intelligentsia, ils
attendaient de son activité des miracles sociaux et croyaient que son
dévouement remplacerait l'initiative populaire, son énergie révolutionnaire
remplacerait l'aspiration interne de la vie sociale russe à une révolution
socialiste. Ils considéraient l'économie nationale, le mode de vie et les
habitudes de pensée de notre paysannerie, c'est-à-dire comme une
image fixe, comme un tout complet, susceptible de modifications
mineures seulement jusqu'à la révolution sociale elle-même. Dans l’esprit
de ces mêmes écrivains qui, bien entendu, ne refusaient pas de
reconnaître leurs formes contemporaines de vie populaire comme le
résultat du développement historique, l’histoire semblait « arrêter son
cours ». Depuis la publication de « Statehood and Anarchy » ou « Open
Letter to Fr. Engels »jusqu'au premier ou au « deuxième jour après la
révolution », la communauté rurale, selon eux, aurait dû rester dans sa
forme actuelle, dont la transition vers le socialisme était censée être si
proche. Toute la question était de se mettre au travail le plus rapidement
possible et de suivre le bon chemin. "Nous n'autorisons aucun retard,
aucun retard... Nous ne pouvons et ne voulons pas attendre... Que
chacun fasse rapidement ses valises et se dépêche de prendre la route !"
» a écrit le rédacteur en chef de Nabat. Et bien qu'il y ait eu des
désaccords fondamentaux sur la direction de cette voie entre Bakounine
et Tkachev, en tout cas, chacun d'eux était convaincu que si les jeunes
suivaient la voie qu'il avait indiquée, ils auraient encore le temps de
retrouver la communauté dans l'état souhaité. force. Même si « chaque
jour nous apporte de nouveaux ennemis, crée de nouvelles formes
sociales qui nous sont hostiles », ces nouvelles formes ne modifient pas
les relations mutuelles des facteurs de la vie sociale russe. La
bourgeoisie continue d’être absente, l’État continue de « rester en l’air ».
En sonnant plus fort et en nous engageant plus énergiquement dans le
travail révolutionnaire, nous aurons encore le temps de sauver les «
instincts communistes » du peuple russe et, en nous appuyant sur son
attachement aux « principes de la propriété foncière communale », nous
pourrons mener une révolution socialiste. P. N. Tkachev raisonnait de
cette façon, et l’auteur de « Statehood and Anarchy » raisonnait de la
même manière ou presque.
Notre jeunesse a lu les œuvres des deux écrivains et, divisée en factions,
s'est vraiment empressée de se mettre au travail. À première vue, il peut
sembler étrange que le programme de Tkachev ou de Bakounine ait pu
trouver des adeptes dans cet environnement très intelligent qui a été
nourri par les travaux de N. G. Chernyshevsky et qui, sur cette seule
base, aurait dû développer l’habitude d’une pensée plus rigoureuse. Mais
l'affaire - en substance - est simple et s'explique en partie par l'influence
du même Tchernychevski.
Ce n'est pas pour rien que Hegel a accordé une place aussi importante
dans sa philosophie à la question de la méthode, et ce n'est pas pour
rien que ces socialistes d'Europe occidentale qui sont fières de « tracer
leurs ancêtres », d'ailleurs, « de Hegel et de Kant, « attache beaucoup
plus d'importance à la méthode d'étude des phénomènes sociaux qu'aux
résultats qu'il donne [30] . Une erreur dans les résultats sera
certainement remarquée et corrigée avec l'application ultérieure de la
méthode correcte, tandis qu'une méthode erronée, au contraire, ne peut
que dans de rares cas particuliers donner des résultats qui ne
contredisent pas l'une ou l'autre vérité particulière . Mais une attitude
sérieuse face aux questions méthodologiques n'est possible que dans
une société ayant reçu une éducation philosophique sérieuse. La société
russe ne pourra jamais se vanter d’une telle éducation. Le manque de
développement philosophique nous a frappé avec une force particulière
dans les années soixante, lorsque nos « réalistes pensants », ayant créé
un culte des sciences naturelles, ont lancé une cruelle persécution de la
« métaphysique » philosophique. Sous l'influence de cette propagande
anti-philosophique, les adeptes de N. G. Chernyshevsky n'ont pas pu
assimiler les méthodes de sa pensée dialectique, mais ont concentré leur
attention uniquement sur les résultats de ses recherches. Le résultat de
ces études, comme nous le savons, a été la confiance dans la possibilité
d’une transition directe de notre communauté vers une forme de vie
communiste supérieure. Cette conviction souffrait déjà d'un caractère
unilatéral en raison de son caractère abstrait, et les étudiants qui restaient
fidèles à l'esprit et non à la lettre des œuvres de Tchernychevski, bien
entendu, ne tarderaient pas à passer, comme je l'ai exprimé plus haut, de
l'algèbre à l'arithmétique, de un raisonnement abstrait général sur les
transitions possibles de certaines formes sociales dans d'autres vers une
étude détaillée de la question de l'état actuel et du sort futur probable de
la communauté russe en particulier. Le socialisme dit « russe » serait
ainsi posé sur des bases tout à fait solides. Malheureusement, notre
jeunesse révolutionnaire ne soupçonnait même pas que leur professeur
possédait une méthode de pensée particulière. Rassurée par les résultats
de ses recherches, elle a vu ses semblables chez tous les écrivains qui
défendaient le principe de la propriété foncière communale, et pourtant
l'auteur de la « Critique des préjugés philosophiques » lui-même n'a
jamais pu être d'accord, par exemple, avec Chchapov [ 31], notre
jeunesse n'a vu dans les ouvrages historiques de ces derniers qu'une
nouvelle illustration et de nouveaux arguments en faveur des opinions de
leur maître. Elle pouvait encore moins soumettre les nouveaux
enseignements révolutionnaires à une critique stricte. P. N. Tkachev et M.
A. Bakounine lui semblaient être des personnes exactement dans la
même direction que N. G. Chernyshevsky. Les étudiants de Hegel n'ont
ménagé aucun effort dans son système, adhérant strictement à la
méthode même que le grand penseur leur a léguée. Ils adhérèrent à
l’esprit, et non à la lettre, de son système. Les adeptes de N.G.
Chernyshevsky n'ont même pas osé réfléchir à une attitude critique
envers l'opinion de leur professeur. Tout en adhérant strictement à
chaque lettre de ses écrits, ils ont perdu toute notion de leur esprit. En
conséquence, ils n’ont pas pu conserver même les résultats des
recherches de Tchernychevski dans leur forme pure, et leur mélange
avec les tendances slavophiles a formé cet amalgame théorique unique
dans lequel notre populisme s’est ensuite développé.
Ainsi, la littérature socialiste antérieure nous a légué plusieurs tentatives
(qui n'ont pas trouvé d'imitateurs) pour appliquer la méthode dialectique
pour résoudre les problèmes les plus importants de la vie sociale russe et
plusieurs programmes socialistes, dont l'un recommandait la propagande
socialiste, considérant la paysannerie russe comme réceptive. à lui en
tant que prolétariat d'Europe occidentale ; l'autre insistait sur l'organisation
d'une révolte à l'échelle nationale, et le troisième, ne considérant ni la
propagande ni l'organisation possibles, indiquait la prise du pouvoir par
un parti révolutionnaire comme le point de départ de la révolution
socialiste russe.
La formulation théorique de la question révolutionnaire non seulement n’a
pas progressé depuis l’époque de Tchernychevski, mais, à bien des
égards, elle a reculé vers les vues semi-slavophiles d’Herzen.
L’intelligentsia révolutionnaire russe du début des années soixante-dix n’a
pas ajouté un seul argument sérieux en faveur d’une solution négative à
la question posée par Herzen : « La Russie doit-elle passer par toutes les
phases du développement européen ?
__________________________________
Remarques
1 « Socialisme et lutte politique » ( ici ).
2 Ibid, ( ici ).
3 Iskander, « Le Vieux Monde et la Russie », pp. 31-32.
4 Ibid., p. 37.
5 Remarque à la deuxième éd . A cette époque, il n’était pas encore
clairement établi que la communauté rurale russe n’avait rien de commun
avec le communisme primitif. Maintenant, cela ne fait aucun doute.
6 Remarque à la nouvelle éd . Épouser. mon article « N. G.
Chernyshevsky" dans le n° 1 de la revue "Social-démocrate", Genève
1890.
7 Les italiques sont de moi.
8 Ouvrages de N. G. Chernyshevsky, tome V., Genève 1879. Sur la
propriété communale des terres, p. 135.
9 Ouvrages, Tome V, pp. 16-19.
10 « Manifeste du Parti communiste », pp. 36-37.
11 Idem, p. 100.
12 Dans ces extraits, les italiques sont de moi.
13 « La lutte des partis en France sous Louis XVIII et Charles X. »
Bibliothèque sociale-démocrate russe, troisième édition, pp. 5-8.
14 Voir « Manifeste du Parti communiste », page 14 de ma traduction.
15 Voir « Cunning Mechanics », éd. 1877, p. 47-48.
16 État et anarchie, note A, p. 7.
17 État et anarchie, note A, p. 10.
18 « Le peuple russe et le socialisme », Londres 1868. pp. 7-8.
19 « La paysannerie sait comment organiser son propre gouvernement
autonome, sait comment prendre la terre en possession laïque et en
disposer publiquement », « V. N.V. » N° 2, page 225.
20 « État et anarchie », pp. 223-224.
21 M.A. Bakounine, évidemment, ne soupçonnait même pas que la
communauté apparaît dans l'histoire avant le patriarcat et existe parmi
des peuples qui n'ont même pas l'ombre de « patriarcat ». Cependant, il
partageait cette erreur avec beaucoup de ses contemporains, par
exemple avec Rodbertus, et peut-être aussi avec Lassalle, qui dans son
schéma de l'histoire de la propriété « System der erworbenen Rechte », t.
I, SS 217 - 223 ne mentionne pas du tout la communauté primitive.
Note à la 2ème édition . Je répète que la communauté rurale russe n'a
rien de commun avec la communauté primitive. Mais au début des
années 80, cela n’était pas encore établi. G.P.
22 « État et anarchie », note A, p. 18.
23 Les italiques sont de moi.
24 État et anarchie, note A, p. 9.
25 « Lettre ouverte », p. 10.

26 «Lettre ouverte», SS 4-5-6.

27 Voir revue « Alarme », 1878 (n° et mois non indiqués), article «

Propagande révolutionnaire », p. L.

28 « Alarme », 1879, n° 3, 4, 5 ; p. 2-3.

29 Faute de frappe incontestable, même si Plekhanov lui-même ne l'a

pas corrigée dans la nouvelle édition. Il s'ensuit - conditions extérieures .
D.R.

30 « Nous n'avons pas autant besoin de simples résultats que d'études »,

dit le Père. Anglais ; - on sait depuis Hegel que sans le développement
qui y conduit, les résultats n'ont aucun sens ; ils sont pire qu’inutiles si la
recherche s’arrête là-dessus, s’ils ne deviennent pas les conditions d’un
développement ultérieur. »

31cm . livre Aristova : "A. P. Shapov, vie et œuvre". Saint-Pétersbourg. p.

89-92.

Nos désaccords - Lettre à P.L. Lavrov (au lieu d'une préface)

Sommaire II. volumes

Nos désaccords - Chapitre I. Quelques informations historiques.