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LE LANGAGE DE LA VÉRITÉ S’EXPRIME

LA LETTRE DE CHEIKH MBACKE BOUSSO À GALANDOU DIOUF

TRADUIT DE L’ARABE ET PRÉSENTÉ PAR


CHEIKHOUNA AMADOU BOUSSO
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Le langage de la Vérité s’exprime1


(La lettre de Cheikh Mbacké Bousso à Galandou Diouf)

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux.


Le langage de la Vérité s'exprime, prêtez-lui alors une oreille attentive, ô
Sénégalais, ainsi comprendrez-vous, et apprenez son message par œu , ainsi
serez-vous dignes de Sa miséricorde.
Je suis le langage de la Vérité, Je proclame la Vérité tout haut et J'anéantis le
faux, car Je suis la Vérité. Je suis Celui qui donne la vie et Celui qui fais mourir.
Je suis Celui qui donne la puissance et Celui qui humilie. Moi, Je juge et pas de
recours contre Mon jugement. Je suis Celui qui ai déposé Galandou Diouf sur le
trône de la gloire. Quiconque s'en réjouit qu'il soit reconnaissant envers Moi. Et
quiconque s'en attriste qu'il périsse de sa colère. Je l'ai créé et fait de lui un
musulman et l'homme de confiance des habitants de ce pays béni. Il est leur
ambassadeur, leur élu d’hier et d’aujourd'hui, leur représentant dans la gestion
des affaires de l'État et celui qu'ils agréent dans tout cela. Et Je n'ai jamais réuni
toutes ces qualités en qui que ce soit parmi les habitants de ce Sénégal avant
lui. Il s'est prosterné devant Moi dans ses mosquées, dans les mosquées du
Maghreb et dans la mosquée de Paris. Et si Je veux, Je le fais prosterner dans
les deux Saintes Mosquées aux deux Sanctuaires protégés et il en obtiendra le
salut ici-bas et dans l'au-delà. Moi, Je fais ce que Je veux et on ne M'interroge
pas sur ce que Je fais. Nul ne peut empêcher ce que Je donne ou encore moins
donner ce que Je prive. Ils ont tramé leurs intrigues et Je ménage Mes ripostes
qui sont toujours infaillibles. J'hériterai de la terre et de tout ce qui se trouve
sur sa surface, car Je suis le meilleur des héritiers. Je Me suis retourné contre
ses ennemis, J'en ai exilé, anéanti et déjoué la ruse de ceux que J'ai épargnés
parmi eux ; sois reconnaissant alors envers Moi. Je Me suis retourné contre les
piliers de ses ennemis, et J'ai dit au premier : « Sors de cette chambre dans
laquelle tu as commis le forfait que tu sais et va là où tu souhaites aller et
enlève là-bas le manteau de la dignité que Je t'avais fait porter. » Il s'est
exécuté. Puis J'ai élevé le deuxième dans les airs jusqu'à ce qu’il fût vu par l'ami
intime et l'ennemi juré et Je l'ai précipité dans les abysses au vu de tout le
monde, en sommant ses ennemis : « Mettez du sable dessus et foulez-le de vos
pieds de bon ou de mauvais gré. » Ils se sont exécutés sans coup férir. Puis J'ai
dit au troisième : « Reste là où tu es et sois-y malmené sous le manteau de
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celui-là de sorte que les gens puissent découvrir tes parties intimes, de la tête
aux pieds, sans aucun vêtement. » Et il s'est exécuté. Puis J'ai dit au quatrième :
« Sois humilié, éloigne-toi de ce pays béni et disparais loi d’i i. Certes, tu étais
brutal et très sollicité, mais aujourd'hui, personne ne te flatte et personne ne
veut de toi comme mandataire. » Il s’est alors exécuté. Puis J'ai dit aux
autorités : « Venez dénouer les intrigues que vous avez tramées. Qui parmi
vous avait tramé quoi que ce soit contre son gré qu'il le dénoue à œu joie, et
qui parmi vous avait tramé quelque chose de son plein gré qu'il le défasse u’il
le veuille ou non. » Là aussi ils ont suivi mes ordres. Sois donc reconnaissant
envers Moi, Galandou Diouf, en développant Mon pays, en t'occupant de Mes
serviteurs, en ramenant les exilés chez eux, en libérant les prisonniers, en
soutenant les faibles et en aidant les professionnels dans leur profession afin
qu'ils ne soient pas exposés au marasme.
Accorde la priorité aux cultivateurs, aux cultivateurs, aux cultivateurs puis à
leurs semblables, car ils sont les meilleurs moteurs du développement de la
terre, ceux dont l'action est la plus bénie, ceux dont le travail est le plus pur et
le plus licite et ceux dont le revenu est le meilleur, si ie u’ils ne trichent pas
dans leur commerce.
Ne vois-tu pas que J'ai imposé à tout autre négociant de donner son capital
avant d'obtenir son bénéfice. Et quant aux cultivateurs, J'ai accepté que leur
sueur soit leur unique capital. Qu’il te se ve d’exemple : voilà les habitants du
Cayor et ceux du Ndiambour, qui, du fait de leur insolvabilité, sont restés des
années sans avoir payé leurs impôts ; ils se sont ainsi vu frapper et emprisonner
et se sont enfuis vers d'autres contrées. Leurs propriétés ont été saisies, et cela
’a ni donné lieu à un procès ni suscité la moindre indignation. Lorsqu'ils M'ont
demandé les ressources de Ma terre, Je les ai gratifiés des pluies bénies et Je
leur ai sorti les trésors de la terre ; ils ont mangé et bu à satiété, et ils ont payé
leur dû du passé et du présent. Point de frappes donc cette année ni d'autres
choses de ce que J'ai mentionné. Sois alors reconnaissant envers Moi,
Galandou Diouf, en te considérant comme étant un parmi eux et en ne te
voyant pas meilleur qu'eux, mais comme quelqu'un que J'ai choisi parmi eux
afin d'observer comment tu te comporteras. J'élève quiconque se montre
humble et Je rabaisse quiconque se montre orgueilleux. Sois alors
reconnaissant envers Moi, en évitant de Me trahir et de trahir l'État
républicain, car il est bâti sur l'égalité contre le despotisme. Refuse la
corruption, car si tu te laisses corrompre, tu élèves le corrupteur au-delà de ses
mérites et tu traites les autres en dessous de leurs mérites. Et chacun de ces
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deux actes constitue une injustice, or Moi, Je n'aime pas les injustes. Si tu
rejettes la corruption, en te suffisant de ce que Je t'ai donné, Je le bénirai pour
toi et Je te gratifierai d'un contentement, qui est la meilleure des subsistances.
Sois alors reconnaissant, en pardonnant à celui qui te fait du tort, en Me
laissant M'occuper de lui, car Je suis Celui qui rend justice à ceux qui sont lésés,
victimes des injustes. Sois généreux envers celui qui te refuse ses dons et garde
de bonnes relations avec celui qui te snobe. Voilà les qualités que J'agrée pour
les vertueux parmi Mes serviteurs, et particulièrement pour ceux à qui Je
donne le pouvoir sur leurs semblables. Sois reconnaissant, sois reconnaissant,
ne sois surtout pas ingrat !
Quant à vous, qui l'avez élu, soyez reconnaissants, en l'aidant à développer ce
pays béni. Évitez de lui demander des choses n'ayant pas de caractère d'intérêt
général, mais uniquement des choses qui relèvent de l'intérêt général. En
agissant ainsi, Je vous assisterai, Je pérenniserai votre gloire et Je vous ferai
connaitre partout, vous rattraperez alors les peuples qui vous ont devancés et
vous devancerez davantage ceux que vous devancez déjà. Sachez que le passé
n'était ténébreux que par le fait d'élever le partisan au-delà de ses mérites, en
fermant les yeux sur ses torts et ses travers, et de porter préjudice à
l'opposant, quelque nombreux que soient ses mérites. Soyez reconnaissants
envers Moi, ne soyez pas ingrats ! Je suis Celui qui ai révélé : « Si vous êtes
reconnaissants, très certainement J’augmenterai [Mes bienfaits] pour vous. »
[Abraham : 07] et Je ne faillis pas à Ma promesse. Je rends puissant qui Je veux
et J'humilie qui Je veux, Je donne autorité à qui Je veux sur qui Je veux et Je la
retire à qui Je veux, et nul ne peut repousser Mes décisions.
Et puis sachez que Je suis Celui qui ai créé Cheikh Anta, pur, amène et
innocent, Je l'ai façonné ainsi et Je l'ai caractérisé par une générosité qui se
dégage à gauche et à droite, le jour et la nuit, il ne distingue en cela, ni l'ami de
l'ennemi ni le proche de l'étranger, car il est façonné comme cela, il n'y est
pour rien. Si les ennemis de son ami l'avaient abordé de la même manière qu'il
l'a abordé, ils auraient reçu de lui ce qu'il a reçu de lui. Mais, hélas ! La plupart
des gens ne savent pas, et ils l'ont ainsi accusé de ce dont ils ont déjà accusé
son ami, de ce qui n'est pas approprié, de quelque chose que Je ne connais pas
sur lui depuis que Je l'ai créé. Sois alors reconnaissant envers Moi, Cheikh, en
supportant stoïquement ce qui a été dit sur toi et en sachant que tu en es
innocent. Je suis résolument du côté des endurants : « Il récompensera ceux
qui auront été constants à la hauteur de leurs meilleures actions »
[l'Abeille : 96].
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[Sois vivement reconnaissant envers Moi, car Je suis Celui qui t'ai ramené
chez toi où tu avais été sorti de nuit pris de peur et angoissé comme le loup
sort la brebis de sa bergerie. Et Je t'ai ramené chez toi en plein jour rassuré et
content, puis Je suis Celui qui ai dit aux autorités : « Venez défaire les intrigues
et autres mystifications que vous avez tramées contre lui. Qui parmi vous avait
tramé quoi que ce soit contre son gré qu'il le dénoue à œu joie, et qui parmi
vous avait tramé quelque chose de son plein gré qu'il le défasse ’e déplaise à
lui-même. » Et ils ont défait ce qu'ils avaient tramé contre toi et ils ont renoncé
à leurs soupçons d’a i osit qui pesaient sur toi.]2 Sois alors reconnaissant
envers Moi, Cheikh, en étant assidu à Mon adoration au milieu de ta demeure.
Et confie-Moi la question de ta subsistance, car si elle était cachée dans un
rocher ou perdue dans les cieux ou sur terre, Je te l'apporterais. Si tu fais cela,
Je ne te sortirai de ces bienfaits que pour te conduire vers d'autres bienfaits
bien meilleurs et encore plus durables. Or, Je suis Celui que l'on n'interroge
jamais sur Ses actes et aucune parole indignée de la part de Mes créatures ne
Me parvient. Gloire à Moi ! Gloire à Moi ! Combien Je suis sublime !

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Il s’agit d’u e lett e ad ess e pa Son Éminence Cheikh Mbacké Bousso (1864 – 1946) à l’ho o a le d put
Galandou Diouf (1875 – 1941), député du Sénégal à la Chambre des députés française de 1934 à 1941. La lettre
est écrite dans un style un peu particulier. En effet le cheikh s’ fait l’i te p te de Dieu, la V it , ui appelle
au ho es e g al et au S galais e pa ti ulie ue ’est Lui ui do e souve ai e e t le pouvoi à
qui Il veut sur qui Il veut et ue pe so e e peut s’oppose à Sa volo t . Puis Il leur appelle les ie faits u’Il
leu a a o d s afi u’ils soient reconnaissants envers Lui. Il donne ensuite Ses recommandations en matière
de bonne gouvernance, ui so t d’u e po t e u ive selle, à Gala dou ai si u’à tous eu ui so t
gouvernants ou aspirent à le devenir, sans oublier de rappeler les devoirs des gouvernés envers leurs
gouvernants et envers leur pays. Et enfin, Il a o te l’e il de Cheikh A ta M a k à S gou, au Mali, et so
dénouement heureux, en lui rappelant Ses bienfaits afi u’il soit reconnaissant envers Lui.
Dans certains passages du texte, le cheikh fait allusion à des faits historiques réels qui se sont déroulés à
l’ po ue, mais il a jugé utile de ne pas entrer dans les détails, a ’est leu s e seig e e ts ui i po te t.
Ce soutien affiché du cheikh à Gala dou s’e pli ue pa le fait ue l’adve sai e politi ue de e de ie , Blaise
Diagne (1872 – 1934), lui aussi député du Sénégal par le passé à la Chambre précitée de 1914 à 1934, avait une
responsabilité dans ce qui était arrivé à Cheikh Anta. Et à l’i ve se, Gala dou a, lui, travaillé à faciliter son
retour au Sénégal. Cette lettre est en partie une expression de gratitude envers Galandou.
2
Ce passage est omis dans une autre version.

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Un grand merci au p ofesseu A ou Bak i K d’avoi ie voulu eli e e te te.
Traduction et présentation faites par Cheikhouna Amadou Bousso

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