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LA QUERELLE DE L'HUMANISME

Author(s): Th. Ruyssen


Source: Revue de Métaphysique et de Morale , Janvier-Mars 1951, 56e Année, No. 1
(Janvier-Mars 1951), pp. 99-113
Published by: Presses Universitaires de France

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ÉTUDES CRITIQUES

LA QUERELLE DE L'HUMANISME1

Fidèle à ses traditions hospitalières, Genève accueille depuis


quelques années, vers la fin de l'été, des assemblées intellectuelles
d'un caractère original. Le nom seul en est significatif : « Ren-
contres internationales ». Rien d'un « congrès ». Un thème unique
est arrêté d'avance, sur lequel des penseurs appartenant à des pays
et à des milieux divers sont invités à confronter librement leurs
opinions. D'amples débats sont ensuite ouverts, mais aucun acte
final n'en cristallise les résultats ; aucune majorité ne s'affirme ;
on ne compte ni vainqueurs ni vaincus ; chacun des participants
se retire avec ses convictions propres, mais peut-être aussi avec
les inquiétudes, les doutes salutaires que le choc des doctrines a pu
éveiller dans son esprit.
Les thèmes des précédentes Rencontres avaient été les suivants :
1946, Y Esprit européen ; 1947, Progrès technique et Progrès moral;
1948, Débat sur l'Art contemporain; celle de 1949 avait pour pro-
gramme : Pour un nouvel humanisme ; c'est ce thème qui fera
l'objet du présent article. 2
La méthode de travail des Rencontres est simple et constante.
Des exposés étendus et approfondis sont demandés à des confé-
renciers bien connus pour représenter des tendances diverses ; puis,
après un assez long intervalle laissé à la réflexion, - une journée
1. La rédaction de la Revue rappelle que les prises de position des collabora-
teurs surdes problèmes d'actualité politique leur sont strictement personnelles.
- N. D. L. R.
2. Ajoutons qu'une Ve Rencontre eut lieu à Genève en 1950 ; elle avai
thème : Les Droits de l'esprit et les exigences sociales.

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au moins - des « entretiens » sont engagés, qui comprennent


eux-mêmes deux éléments : une discussion serrée d'une des con-
férences déjà entendues, et un libre échange de vues entre les par-
ticipants des Rencontres, conférenciers ou auditeurs.
Le beau volume consacré à la recherche d'un nouvel humanisme*
permet au lecteur qui n'a pas eu le privilège d'assister à la dernière
Rencontre genevoise d'en apprécier l'exceptionnel intérêt. Ce n'est
pas assez, en effet, de dire que conférences et entretiens ont été
constamment maintenus à un niveau très élevé, qu'on y échangea
les idées à profusion ; en fait, c'est un véritable drame intellectuel
qui se joua dans la paisible cité genevoise vers la fin de l'été 1949.

*
* *

On saisira mieux la signification de ce drame s


la physionomie des protagonistes, nous voulons dir
chargés des exposés fondamentaux, et la substance d
La série fut ouverte par une conférence de l'histo
M. René Grousset, sur ce thème : L'humanisme
monde moderne. Très averti, comme on sait, des sy
sophiques et des diverses cultures de l'Asie, M. Grou
pas de signaler que l'humanisme classique, celui
occidental a hérité des Grecs et des Latins, enric
l'humanisme chrétien, se trouve aujourd'hui en pré
humanismes qui, encore que mal connus de la plu
dentaux, ne laissent pas cependant d'attirer la cu
la sympathie de nombreux esprits, humanismes qui
plus de vingt siècles dans l'Inde, en Chine, au Ja
lam ; il en a souligné les remarquables convergen
a même été faite au passage des « métaphysiques
(p. 33). Au total, M. Grousset a affirmé sa prédilecti
pour une sorte d'humanisme synthétique qui em
amalgamerait les apports essentiels de ces puissante
Le thèm^e suivant : V actualité du message chréti
confié en commun à un théologien calviniste alle
fesseur Karl Barth, et à un dominicain français,
dieu, dont les exposés ont immédiatement mis
1. Pour un nouvel humanisme, 1 vol. in-8°, 400 pages. Éditi
nière, Neuchâtel, 1950.

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une conception radicalement différente de l'humanisme. Les audi-


teurs n'ont pas manqué d'être frappés des égards que se sont
témoignés les deux avocats du « message chrétien » ; M. K. Barth
a plusieurs fois souligné sa sympathie pour son « ami le domini-
cain ». C'est que le théologien calviniste et le disciple de Saint-
Thomas avaient au fond la même cause à défendre : soutenir la
valeur eminente, transcendante de l'humanisme chrétien, menacé
d'être non pas éliminé, mais, ce qui est peut-être plus grave, ab-
sorbé, assimilé et, par là même, dépouillé d'une partie de sa saveur
par l'accueil que lui ménagent les divers humanismes non chré-
tiens.

Des deux orateurs chrétiens, ce n'est pas, comme on aurait pu


s'y attendre, le dominicain qui se montra le plus intransigeant à
l'égard des humanismes rivaux, c'est le professeur calviniste de
l'Université de Bâle. Celui-ci n'a pas craint d'annoncer que l'in-
tervention de la théologie chrétienne dans une sorte de débat
laïco-œcuménique pourrait bien apparaître comme un « trouble-
fête » (p. 39). Au fond, c'est l'objet même de la Rencontre qui
risquait de s'avérer vain, s'il faut admettre avec M. K. Barth qu'il
n'y a pas et ne peut y avoir d'autre humanisme que 1' « humanisme
de Dieu » (p. 39 et suiv.) ; et non pas l'humanisme d'un Dieu abs-
trait en qui les métaphysiciens ont accumulé toutes les perfections
de l'être humain, mais celui qui s'est manifesté dans l'histoire
« en un événement accompli une fois pour toutes, ... au sein du
peuple et du pays juifs, sous le règne des empereurs Auguste et
Tibère » (p. 41). Il n'y a ainsi d'humanisme authentique que celui
de V « homme- Jésus » et, seul, cet humanisme est valable « pour
tous les temps, pour les hommes de toutes les époques, sous toutes
les latitudes » (Ibid.). Chercher un « nouvel humanisme », selon
le programme de la Rencontre, constituerait donc une spécula-
tion stérile. Point d'humanisme en dehors de celui dont T Homme-
Dieu a donné sur le Calvaire le parfait et immuable modèle.
L'exposé du R. P. Maydieu fut, dans l'expression, beaucoup
plus nuancé que celui du professeur bâlois ; si nuancé même qu'on
éprouve quelque peine à en saisir l'unité. Par moments l'orateur
sembla tendre la main à ceux qui allaient le suivre, en exaltant le
pouvoir créateur de l'homme : créateur de vérité, créateur de
valeur, créateur de technique. Mais ce pouvoir ne peut se déployer
que dans un univers déterminé, soumis aux: lois dictées par le

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Maître souverain. Cependant le dominicain avait, dès le début de-


son exposé, fixé sa position, identique à celle du théologien calvi-
niste, en protestant contre tout « souci d'actualité » à propos du
message chrétien. Ce message est « que le Fils de Dieu est mort et
ressuscité pour que tous les hommes deviennent fils de Dieu comme
lui. Il n'est pas actuel ; il est éternel » (p. 49). Impossible dès lors
de confondre les deux humanismes, « celui du mystère de la foi
et celui de l'expérience humaine » (p. 52).
Or, c'est justement sur le plan de l'expérience humaine que vont
se dérouler tous les exposés suivants. Les orateurs chargés de ces
derniers n'ont d'ailleurs pas affiché à l'égard de l'humanisme chré-
tien l'esprit d' « exclusivité » que M. K. Barth avait manifesté à
rencontre des autres systèmes d'humanisme (p. 246) ; la plupart,,
au contraire, ont proclamé avec force que l'apport chrétien, c'est-
à-dire l'affirmation de l'éminente dignité de la personne humaine,,
fait désormais partie intégrante de l'humanisme moderne, tout
au moins dans les pays de culture occidentale ; mais ce dernier,
au cours des âges, et particulièrement depuis un siècle environ,
s'est enrichi d'éléments nouveaux. Lesquels ?
M. Masson-Oursel est, ainsi que M. René Grousset, un connais-
seur très informé des cultures asiatiques ; mais, tandis que celui-ci
avait signalé avec complaisance certaines concordances de celles-ci
et de la culture occidentale, M. Masson-Oursel a plutôt insisté
sur les différences, peut-être même faut-il dire les oppositions,
qu'il résume en ces termes : « L'homme d'Asie exècre ce que nous
aimons le plus en nous ; il exècre la frénésie de l'exploitation du
sol et des hommes ; le capitalisme et l'hostilité ; il exècre nos
inventions scientifiques, même si elles servent la thérapie ou la
salubrité ; il exècre notre physique et notre histoire ; nos indus-
tries mécaniques, tout ce que nous décorons du nom de progrès ;
il exècre encore davantage notre impiété et il craint de perdre son
âme à notre contact » (p. 86). Et voici d'autres précisions fort inté-
ressantes. Les peuples de l'Occident sont tous plus ou moins infes-
tés de platonisme ; ils vivent de plus en plus, par la pensée, dans
un monde d'idées abstraites, voire dans un monde mathématique
et, par cela même,, sont « coupés du reste du monde », voire coupés
d'eux-mêmes ; ils séparent ainsi la religion de la métaphysique.
L'Asiatique, au contraire, ne pense jamais que la métaphysique-
rende la religion superflue ; le monde a toujours pour lui une signi-

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fication vitaliste ; « il apprécie les jugements de valeur, non les


jugements d'objectivité » (p. 85). Et du coup l'idée séduisante
d'un syncrétisme des cultures de F Extrême-Orient et de l'Occi-
dent semble, sinon irréalisable, du moins ajournée à de très loin-
taines perspectives.
L'exposé de M. Maxime Leroy : L'homme des révolutions tech-
niques, nous transporte d'emblée au cœur de l'humanisme occi-
dental sous son aspect le plus moderne. Prenant pour point de
départ des pages vraiment prophétiques de Sismondi, le socio-
logue français nous fait assister à la naissance de cet être nouveau
- nouveau parce qu'il prend conscience de sa situation déses-
pérée dans le monde moderne : l'homo faber industriel, le prolé-
taire. Ce prolétaire, l'usine moderne le groupe par centaines, par
milliers d'individus-machines dans l'enceinte d'ateliers gigan-
tesques. Ainsi se développe l'idée de masse, qui apparaît dans le
vocabulaire de l'époque de Louis- Philippe, amenant à sa suite les
idées de discipline, de docilité aux « mots d'ordre » dictés par les
leaders prolétariens. Et M. Maxime Leroy montre avec force que
les employeurs, qui étaient tous des libéraux, réclamaient pour
leurs intérêts la liberté entière de l'entreprise, mais contestaient
à leurs ouvriers celle de s'associer. Or, et c'est là « le tragique »
de cette histoire, les ouvriers avaient tant pâti de cette liberté
octroyée par la Déclaration des Droits de l'Homme, qu'ils en arri-
vaient eux aussi à renoncer à « la liberté de chacun pour augmen-
ter la force de la masse » (p. 112) et à abriter la sécurité de l'individu
sous la tutelle de la toute puissance syndicale. L'orateur termine
par cette amère conclusion : « II existe un massif né à la fois des
nécessités de la lutte ouvrière et de la technique mécanicienne :
et, ce massif, nous ne savons pas le manier... ; au rassemblement
des hommes de la révolution industrielle... est liée une conception
nouvelle de la liberté, que la classe ouvrière n'a pas encore trou-
vée, que le législateur républicain n'a pas davantage trouvée. Elle
est à trouver. » (P. 113.)
Elle est trouvée ! réplique un autre sociologue français, marxiste
celui-là, M. Henri Lefèbvre, dont l'exposé : L'homme des révolu-
tions politiques et sociales, dans ce riche panorama de vues diverses,
a peut-être offert à ses auditeurs la plus ample matière à réflexion
et à discussion. L'orateur a repris et mis en vive lumière le thème
marxiste de 1' « aliénation de l'homme ». Dans son lent et pénible

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effort pour dominer la nature et se dominer lui-même, Fhomme est


fatalement amené à perdre une partie de lui-même ; il est en
quelque sorte «arraché de lui-même » (p. 118). De cette aliéna-
tion, M. H. Lefèbvre signale notamment les formes suivantes :
aliénation des sexes, la femme étant partout réduite à des fonc-
tions inférieures et privée des avantages que le mâle se réserve ;
c'est ensuite l'aliénation de la ville et de la campagne, l'homme
des champs et celui des cités étant devenus des « étrangers incom-
préhensibles Tun à l'autre » ; c'est encore la division du travail
qui, bienfaisante pour la production, aboutit à la séparation sociale
des diverses catégories de travailleurs, et trouve sa plus saisis-
sante expression dans l'antagonisme des travailleurs manuels et
des intellectuels ; c'est enfin l'opposition bien connue des «classes
sociales». Or, ce déchirement de l'humain, l'Union soviétique l'a
en grande partie réparé ; politiquement et socialement, la femme y
est devenue l'égale de l'homme ; l'industrialisation intensive de
l'agriculture a transformé la campagne en une vaste usine ; à
l'usine même, la perfection de l'outillage libère l'homme au lieu
de l'asservir, et le travailleur, mieux instruit, prend plus exacte-
ment conscience de son rôle dans l'action commune ; quant aux
classes, l'abolition de la propriété privée en a supprimé l'existence
même. Et l'orateur termine par cette citation évidemment oppor-
tune de K. Marx : « Le communisme, c'est le retour de l'homme à
lui-même en tant qu'homme social, c'est-à-dire l'homme enfin
humain, retour complet, conscient, avec toute la richesse du déve-
loppement antérieur... Le communisme coïncide avec l'huma-
nisme. » (P. 135.)
L'exposé suivant du professeur J. B. S. Haldane : L'homme dans
V univers au regard d'un savant, transfère le problème de l'huma-
nisme sur un plan si lointain, qu'il y apparaît quelque peu comme
dilué. Le savant considère l'homme dans la nature, ou plutôt dans
l'univers, celui-ci étant défini comme la totalité du réel, y compris
Dieu lui-même, si celui-ci existe. Or, si l'on réfléchit que la terre
pourrait bien exister depuis quelque trois milliards d'années et
l'homme lui-même depuis dix milliers de siècles, dont une soi-
xantaine seulement appartient à l'ère proprement historique ;
si l'on songe encore que, durant ces soixante siècles d'histoire, de
grandes civilisations ont disparu, qui étaient déjà des formes d'hu-
manisme, on comprend que l'humanisme actuel, et particulière-

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ment celui de demain, se réduisent aux dimensions d'un très mo-


deste accident. En tout cas, « les sciences de la nature doivent être
des constituants importants pour un nouvel humanisme » ; ces
sciences enseignent à l'homme la curiosité et éveillent en lui le
sens de la beauté ; car, vis-à-vis de Funivers, ce que le savant
éprouve, ce n'est pas l'adoration, mais l'admiration (p. 143).
Un autre orateur anglais, M. John Middleton Murry, devait
traiter ce sujet : L'homme dans l'univers d'un écrivain. En fait il
ne l'a qu'effleuré, par acquit de conscience, et a consacré son prin-
cipal effort à des considérations du plus haut intérêt sur la condi-
tion primordiale de tout humanisme, à savoir l'existence de socié-
tés libres reconnaissant aux minorités le droit absolu de manifes-
ter des opinions autres que celles de la majorité ; d'où résulte la
lourde responsabilité des démocraties de type occidental en face
du communisme totalitaire.

C'est au philosophe allemand M. Karl Jaspers qu'était réservé


le dernier exposé : Conditions et possibilités d'un nouvel humanisme.
C'est aussi dans la liberté que ce penseur cherche et croit trouver
la base de l'humanisme. C'est dans la liberté que l'homme découvre
le «sens de son avenir» et la conscience de ses possibilités. «L'homme
est inachevé et inachevable, toujours ouvert sur son avenir »
(p. 187). Mais, de nos jours, la liberté se heurte à des facteurs posi-
tifs qui commandent et circonscrivent la condition humaine : la
technique, la politique, enfin la décadence d'un esprit occidental
commun, c'est-à-dire l'effacement d'un « idéal de l'homme valable
pour tous » (p. 193), et notamment le déclin du catholicisme, qui
« ne satisfait plus aujourd'hui qu'une partie des hommes qui y
sont nés » (Ibid.). De là le « désarroi actuel devant l'avenir », où
l'humanité se sent « menacée dans sa totalité » (p. 196). Cependant
« jamais on ne sait avec certitude qu'on est perdu » ; des forces
souvent cachées subsistent : force d'aimer, héroïsme, profondeur
de la foi », qui permettent de « reprendre courage » (p. 197).
Pour restaurer ce monde en détresse, il faut d'abord s'enraci-
ner dans le passé, dans la tradition représentée par l'humanisme
gréco-romain (p. 198) ; mais il faut aussi s'inspirer de ceux qui,
au sein même de la tradition, ont affirmé « l'indépendance inté-
rieure de l'homme... Depuis Isaïe et Jérémie, depuis Socrate,
Jésus et les Stoïciens, avec Giordano Bruno, Spinoza, Kant, nous
voyons passer à travers l'histoire les grandes figures indépendantes

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de ceux qui supportent de n'être soutenus par aucune commu-


nauté et qui sont capables de devenir eux-mêmes les germes de*
communautés nouvelles, groupant des hommes indépendants et
maintenues par la divinité telle qu'elle leur est apparue » (p. 201-
202).
Dans cette recherche, deux ressources s'offrent à nous : les
religions qui se disent révélées, et la philosophie. A l'égard des
premières, constate M. Jaspers, « c'est un fait que des millions
et des millions d'hommes n'ont plus la foi. La diffusion de l'esprit
rationnel et expérimental rend presque impossible leur retour à
la foi en une vérité révélée » (p. 206). De son côté la philosophie
« ne peut donner la vérité » (p. 207) ; mais elle nous rend
« maîtres de la pensée » et conscients de nos possibilités ; ella
nous enseigne le « courage moderne », que l'orateur définit ainsi :
« Poursuivre une vie faite de tentatives, bien qu'il n'y ait pas de-
certitude ; ne pas exiger un résultat, mais s'exposer à l'échec ;
dire oui à la vie, comme si un secours devait venir de sa profon-
deur, signifiant au moins ceci : ce qu'on a voulu de bien finit par
être recueilli dans l'être » (p. 208)#

* *

Les entretiens qui ont suivi les conférences de


touffus, trop divers pour qu'il soit possible
mais on discerne aisément les problèmes princ
quels se sont engagés les débats les plus animé
Tout d'abord un problème géographique : q
monde actuel, la distribution des cultures qui
au titre d'humanistes ? Remarquons que les or
exposés de base appartenaient tous à l'hum
c'est par personnes interposées qu'ont été men
exposées ni défendues, les formes asiatique
y compris l'Islam ; seul, l'humanisme juif a
fran, grand rabbin de Genève, un interprète d
que le judaïsme ne renvoie pas, comme le christ
de Dieu dans l'au-delà, mais prescrit de le réali
la large confrontation qu'on aurait pu souh
de l'Orient et de l'Occident à l'égard de l'hom
été tentée. On peut le regretter, tout en recon

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TH. RUY8SEN. - LA QUERELLE DE L'HUMANISME. 107

treprise eût été difficile et peut-être décevante. Au total, l'idée


d'un syncrétisme universel des divers humanismes n'a pas retenu
l'attention ; de longtemps sans doute un petit nombre seulement
de lettrés soucieux d'universalisme se mettront simultanément à
l'école des cultures orientales et occidentales, comme le font déjà
bon nombre de théosophes.
On a vu également percer ça et là un autre problème, celui de
l'histoire de l'humanisme occidental, le seul que nous ayons main-
tenant à considérer. Quelles origines attribuer à celui-ci ? Quelles
étapes lui reconnaître ? N'est-ce pas Socrate qui, le premier, a
opposé l'ordre des « choses humaines » à celui des « choses di-
vines » ? Mais l'humanisme d'un Socrate est encore bien étroit ;
c'est celui d'un Athénien du ve siècle pour qui, en dehors de la
culture grecque, il n'y a que « barbarie ». Tout humanisme ne
signifie-t-il pas la fusion d'un minimum de cultures diverses ? En
ce cas l'humanisme occidental serait né, au ne siècle avant notre
ère, de la conquête du monde latin par l'hellénisme. L'humanisme
chrétien surgit sur le sol étroit de la Judée ; mais n'est-il pas lui
aussi, dès l'origine avec le IVe Evangile, et bientôt avec les gnos-
tiques, avec Saint- Justin, Saint-Basile, Saint- Augustin, subtile-
ment imprégné d'éléments helléniques et romains ? L'imprégna-
tion reprend avec une force de pénétration extraordinaire avec le
quattrocento italien, qui prélude à l'humanisme érudit de la Renais-
sance. Au xvie siècle, en partie grâce aux collèges des jésuites, une
remarquable conciliation s'opère entre les humanismes chrétien
et gréco-romain ; synthèse solide qui va durer presque sans faille
pendant environ deux siècles et inspirera d'innombrables chefs-
d'œuvre dans tous les domaines de l'art. Mais, au xviiie siècle,
avec l'Encyclopédie, cette belle harmonie est rompue par la dif-
fusion du rationalisme cartésien et le développement foudroyant
des sciences de la nature ; un nouvel humanisme apparaît qui, s'il
n'attaque pas toujours la religion, en tout cas s'en passe, un huma-
nisme de l'homme pur et simple, ou plntôt un humanisme de l'hu-
manité appelée à réaliser son destin sur terre indépendamment
de toute transcendance. Enfin, dans la première partie du xixe
siècle se dessine l'humanisme des masses prolétariennes qui, elles
aussi, se désintéressent des fins transcendantes de la vie, mais
n'ont ni le loisir ni peut-être la capacité de se hausser aux joies
délicates de l'humanisme encyclopédique.

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Est-ce assez dire ? Nous apercevons, pour notre part, un autre


humanisme que personne ne s'est avisé de signaler à la dernière
Rencontre de Genève, celui que M. André Siegfried a heureuse-
ment caractérisé dans maints de ses ouvrages, celui de Yhomo
industrialisa qui puise ses origines dans le cartésianisme et aussi,
comme Ta montré avec force Max Weber, dans le protestantisme ;
•cet humanisme conquérant qui tend à rendre les hommes « maîtres
et possesseurs de la nature », qui, depuis cinq siècles, a exploré la
terre dans tous ses recoins, s'acharne à la mettre en valeur, mul-
tiplie la richesse, accroît indéfiniment la vitesse des véhicules,
invente la bombe atomique, unifie les marchés et domine mys-
térieusement celui de Fargent. N'est-ce pas cet humanisme qui
trouve aujourd'hui sa plus saisissante expression dans la toute-
puissance de la « technocratie » ?
Si cet humanisme n'a pas trouvé audience à Genève, c'est peut-
être qu'il a mauvaise conscience. Car, s'il a prodigieusement accru
le bien être matériel au bénéfice de tous, c'est bien lui qui est res-
ponsable du malaise et du ressentiment de la classe ouvrière. Il
£st assez fort pour se passer de défenseurs ; on peut le haïr ou le
mépriser, nul ne peut vivre sans lui.

*
* *

C'est donc entre l'humanisme chrétien, l'hum


pédique et l'humanisme marxiste que le débat
crit ; débat sans issue d'ailleurs, puisque, encor
contre n'avait en vue que l'information mutu
l'option entre des thèses. Mais il n'était pas néc
brer partisans ou adversaires des thèses pour
de leur radicale incompatibilité. L'humanisme c
« déchéance de l'homme » (p. 212) ; mais cett
pas un fait d'expérience ; elle est affirmée pa
rables, sans doute, mais qui, après tout, ne s
textes, énonçant des croyances, des traditions,
ni des certitudes expérimentales. Les humanist
reconnaîtront bien la « misère » de l'homme, sa
d'illusion, de lâcheté morale, sans attribuer pou
blesses une origine transcendante. De même
Y « Homme-Dieu » incarné dans la victime tr

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tha, ne peut qu'inspirer le respect à toute âme bien née ; mais, à


cette haute figure manquent d'autres grandeurs auxquelles ne
saurait renoncer Fesprit occidental, la recherche de la beauté, la
conquête passionnée du savoir et le souci de la justice sociale.
Sans doute nombre de chrétiens associent pratiquement l'huma-
nisme encyclopédique à celui de l'Évangile ; les croyants sont
légion parmi les artistes, les écrivains, les savants. Mais, à ces
conciliateurs, M. K. Barth, après Pascal et Kierkergaard, rap-
pelle assez rudement que ces jeux de l'esprit ne sont que de vains
« divertissements » qui ne valent pas « une heure de peine », s'il
est vrai que le seul intérêt de l'homme pécheur est d'assurer son
salut individuel par sa participation volontaire à la passion du
Christ ; et tout récemment, M. Maritain ne montrait-il pas quer
parmi les fidèles qui fréquentent les églises, le nombre est grand
de ceux qui sont athées sans avoir d'ailleurs la moindre con-
science de leur éloignement de Dieu l?
Aussi radicale est l'opposition de l'humanisme marxiste et du
chrétien. Au cours d'un des Entretiens, M. Gillouin a souligné que
l'athéisme militant est « une donnée fondamentale du marxisme »
et qu' « on ne saurait les séparer sans une véritable trahison »;.
que, pour le marxisme comme pour Nietzsche, « Dieu est mort »,
et l'abîme creusé par cette mort comblé par une nouvelle mys-
tique, par « la tentation luciférienne de devenir pareil à Dieu » ;
témoin ce texte de K. Marx : « Pour l'homme socialiste, toute
l'histoire universelle n'étant autre chose que la procréation de
l'homme par le travail humain, qu'est le devenir de la nature pour
l'homme ? Il possède la preuve visible et irréfutable de son enfan-
tement par soi-même, du processus de sa création » (p. 275).
L'opposition du marxisme et de l'humanisme encyclopédique
est sans doute moins brutale dans l'expression ; les marxistes ne
coateetent pas la valeur de l'art ni de la science ; mais, pour les
masses, ces valeurs sont inaccessibles, au point de devenir indif-
férentes et comme inexistantes. Dans une intervention d'une rare
puissance, M. Lefèbvre, répondant à M. K. Barth, disait : « Les
masses humaines, ce sont les quartiers ouvriers, les usines, les
revendications modestes : des ouvriers qui demandent un lavabo
dans une usine, ou qui demandent un abri pour leur vélo, des
1. Jacques Maritain, La signification de l'athéisme contemporain, Paris, Des-
clée-Brouwer, 1949.

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choses très simples, et qui sont terriblement concrètes... Les ou-


vriers oc demandent par exemple un logement..., puis une pièce
pour les enfants ; que tous les enfants - quelquefois trois ou
quatre - ne dorment pas dans le même lit, comme des petits chats.
C'est cela, l'aspiration des masses à la personnalité » (p. 318-319).
*
* *

Au début du dernier Entretien, un des orga


contre, le professeur Marcel Reymond, charg
résumé, n'a pas craint de reconnaître que les d
s'achever risquaient de laisser les participants
de franche « déception » ; les chocs, dit-il, on
souvent infructueux... si l'on s'en tient à l'
Les discordances ont été plus fréquentes, en
avec plus de force que les convergences. Et pe
mieux inspiré en donnant à la Rencontre une
rente de celle qui a été adoptée, car bien habile
des débats de Genève la physionomie de l'hum
N'est-ce pas, au surplus, la notion même d'h
trouvée indécise dès l'origine du débat ? Pour
de demain, n'eût-il pas été utile de définir ce
dait ? Plusieurs orateurs ont insisté sur cette
humanisme » ne peut être qu'un enrichisseme
acquis qui enveloppe des valeurs qu'on vou
rissables : dignité de la personne humaine, cu
« humanités », développement et diffusion de
universalisation du droit. Un Italien, M. E.
cette formule heureuse : « La notion d'humani
avec le passé qu'avec l'avenir. J'envisage un
comme une prise de conscience, une réflexion
de l'homme sur soi-même, sur la condition
Une vive et intéressante discussion s'est eng
d' « homme total », base de l'humanisme mar
rément confuse. S'agit-il de l'homme indiv
libérer celui-ci des diverses « mutilations » qu
sociale, en développant au maximum tout
C'est là sans doute le problème fondamental d
tout éducateur sait bien qu'aider un enfant à

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TH. RUYSSEN. - LA QUERELLE DE L'HUMANISME. 111

^au plein sens du mot, c'est en effet favoriser l'épanouissement de


^certaines tendances, mais c'est aussi en comprimer, en refouler
<d'autres ; de sorte que l'idéal de l'homme total, au sens indivi-
duel, est une pure chimère. Entend-on l'homme total dans sa par-
ticipation à la nature, à la société, ce qui semble bien le fond de la
conception marxiste ? Mais cette participation est-elle simple-
ment un fait actuel que le sociologue se borne à constater, ou un
thème d'avenir ? Pour le moment, dit justement M. Jean Wahl,
nous sommes des hommes partiels et... l'homme total, c'est, soit
l'ensemble de l'humanité, - mais alors, on refuserait à chacun pré-
cisément ce caractère d'être l'homme total - soit l'homme futur »
(p. 367). Cette ambiguïté ne semble pas avoir tté réduite.
Non moins suggestif a été le déba* engagé sur la base de l'hu-
manisme. Celui-ci se réfère-t-il à quelque transcendance ? Plonge-
t-il au contraire sa racine dans l'expérience, dans la nature ? A
cet égard la position de l'humanisme chrétien est la mieux défi-
nie : c'est de sa relation avec Dieu que l'homme reçoit l'empreinte
qui le distingue de tous les autres vivants. Mais la position de l'hu-
manisme marxiste est-elle, en dépit de sa prétention positiviste,
tellement différente ? L' « homme total » n'est-il pas une contre-
façon de F « Homme-Dieu »? Il y a sans aucun doute au fond du
marxisme une mystique plus ou moins consciente ; cette mys-
tique compte même ses victimes dans les camps de soi-disant
« rééducation communiste », et ses martyrs parmi ces grévistes
qui sacrifient leurs salaires à l'espoir d'une « révolution » dont ils
ne connaîtront jamais les bienfats. Quant à l'humanisme moyen,
n'implique-t-il pas, lui aussi, quelque mystique, une conception
optimiste de la grandeur de l'homme, de sa capacité de progrès,
de sa destinée dans l'évolution de l'univers ? Pas d'humanisme
sans finalité, et pas de finalité sans implication de quelque trans-
cendance. On ne forcerait pas beaucoup les termes en affirmant
que la IVe Rencontre de Genève s'est déroulée dans une atmosphère
contenue de frémissante religiosité.

* *

Aussi le bilan de ces belles journées de médita


nous paraît-il nullement négatif ; à défaut de co
qu'on s'est défendu de formuler, il ressort de

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112 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

Entretiens qui ont suivi les Exposés qu'une sorte d'accord tacite
s'est dessiné parmi la grande majorité des participants. On a
reconnu que l'humanisme ne peut se cristalliser en une formule
unique et immuable, qu'il est au contraire un processus dyna-
mique, comme la vie même de l'humanité ; que l'humanisme de
demain, pas plus que celui d'aujourd'hui, ne saurait s'en tenir à la
« vie contemplative » chère aux philosophes grecs, ni aux implica-
tions transcendantales de l'humanisme chrétien, ni aux élégances
raffinées de F « honnête homme » du xvne siècle, pas même à l'hu-
manisme lesté de science des Encyclopédistes, mais que tout ce
qui subsiste de vivant et de vivifiant dans ces grandes tradition»
peut et doit être jalousement conservé et mûri par l'humanisme
moderne, notamment par l'école, laboratoire principal de l'huma-
nisme de demain.

On pourrait dire, pour conclure, que le propre de l'humanisme


occidental est de se refuser à toute fermeture, d'être perméable
à l'influence des autres cultures contemporaines, d'où qu'elles
viennent, et de n'exclure aucun des enrichissements qui pour-
raient surgir du développement même de l'histoire ; libéralisme
qui rend évidemment illusoire toute figuration précise de l'huma-
nisme de demain.

N'est-ce pas cette générosité accueillante qui constitue actuelle-


ment la principale différence de l'humanisme occidental et de l'hu-
manisme marxiste ? Assurément nous connaissons mal ce qui se
passe dans les écoles au delà du « rideau de fer » et cette ignorance
ne peut que commander la prudence dans les appréciations. Cepen-
dant cette ignorance n'est pas absolue et des témoignages concor-
dants assurent que, dans F Union soviétique, les humanités clas-
siques ont été largement sacrifiées à un mode d'enseignement
principalement porté vers l'efficience technique. En tout cas il
est un fait qui échappe à toute contestation et auquel les univer-
sitaires occidentaux sont particulièrement sensibles, c'est la sup-
pression actuelle de presque tout contact entre les jeunesses intel-
lectuelles de l'Orient et de l'Occident européen. Le temps n'est
plus où les étudiants non seulement russes, mais bulgares, you-
goslaves ou hongrois fréquentaient, et parfois même encombraient
les auditoires des Facultés des lettres, des sciences, de médecine,
de Paris, de Montpellier, de Genève, de Zurich, de Leipzig, etc.,
et s'y imprégnaient de cette culture occidentale qui a été la véri-

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TH. RUYSSEN. - LA QUERELLE DE L'HUMANISME 113

table nourrice de la révolution russe. Cette précieuse clientèle


- précieuse pour la pénétration mutuelle des influences civili-
satrices - a, ou peu s'en faut, totalement disparu. D'autre part
il n'est pas à notre connaissance que les pays situés au delà de
l'imperméable « rideau » tentent le moindre effort pour attirer la
jeunesse occidentale. Craint-on que celle-ci n'importe avec elle des
idées et des attitudes qu'on juge corruptrices pour les jeunesses
de l'Europe orientale ? Ou redoute-t-on qu'elle ne constate sur
place certaines réalités qu'on préfère tenir voilées ? Peut-être
l'un et l'autre. Quoi qu'il en soit de ces hypothèses, cette sépara-
tion radicale de millions de jeunes hommes et de jeunes femmes
sur le plan spirituel constitue un des plus graves symptômes du
déchirement du monde actuel ; et si, contre tous nos vœux, elle
devait durer, elle exposerait les prochaines générations à des anta-
gonismes moraux dont les conséquences politiques ne sont que
trop prévisibles.
Ces réflexions, et bien d'autres encore, s'imposent à tout esprit
informé de la IVe Rencontre internationale de Genève. Celle-ci
n'a peut-être pas atteint pleinement son but ; l'humanisme de
demain reste à définir ; mais, en posant le problème dans sa trou-
blante complexité, en dénonçant les idées confuses, en signalant
certaines oppositions momentanément insurmontables, elle a
rendu à la cause même de l'humanisme un service inappréciable.
Th. Ruyssen.

Hev. de Méta. - 56e Année, N<»1, 1951. 8

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