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TRI-HEBDOMADAIRE
D I M A N C H E 26 AU MAR DI 28 F EV R IER 2006 126 e an n ée N o 57 à 59
Jurisprudence
S O M M A I R E
PROCÉDURE CIVILE 10
Exécution provisoire – Exécution aux risques du poursuivant – Ordonnance
de référé – Obligation d’exécution – Infirmation de la décision – Réparation
du préjudice
Avis de M. le Premier avocat général Régis de Gouttes sous Cass. ass. plén., 24 février 2006
Actualité 18
RENTRÉE DE LA COUR D’APPEL DE LYON (3 JANVIER 2006)
Chronique
bibliographique 30
Procédure pénale, de Serge Guinchard et Jacques Buisson
par Jean-Philippe Duhamel
RENDEZ-VOUS
LES ENTRETIENS DU PALAIS
Rencontres avocats-magistrats
organisées par la Gazette du Palais
G0687
L e Premier président de la Cour d’appel de
Lyon Pierre Vittaz, le Procureur général Jean-
absolument nécessaire que nous nous rencontrions,
que nous discutions et que nous élaborions ensem-
Olivier Viout et le Bâtonnier de Lyon Adrien- ble un certain nombre de règles communes. C’est
Charles Dana, qui accueillent les 10 et 11 mars ce que nous avons fait à Lyon assez récemment, et
prochains la 3e édition des « Entretiens du Palais » ce à deux reprises. Nous avons notamment eu la
réunissant avocats et magistrats pour débattre de chance de bénéficier de renforts pour dynamiser
l’actualité législative et jurisprudentielle récente, notre Chambre sociale, notre Chambre des affaires
nous livrent leur analyse des relations qu’entre- familiales, et pour que l’opération réussisse, il fal-
tiennent les deux professions à l’aune de leur pra- lait naturellement que les Barreaux soient parties
tique locale (v. également le compte-rendu de la prenantes et fassent un effort pour arriver à mettre
Rentrée solennelle de la Cour d’appel de Lyon, les affaires en état en temps utile. Nous avons donc
infra, p. 18). négocié avec les membres des Barreaux un proto-
Gazette du Palais : Si l’idée qu’avocats et magis- cole de procédure relatif à l’instruction des affaires
trats se rapprochent pour travailler ensemble à en matière sociale, et nous venons d’en conclure un
une justice de meilleure qualité est dans l’air du second qui anticipe le décret de procédure du
temps, il semble de façon paradoxale que cette 28 décembre 2005. Il s’agit d’un protocole qui
tendance fasse ressortir leurs différences, notam- concerne une chambre civile et une chambre com-
ment culturelles. Qu’en pensez-vous ? merciale. Nous avons également élaboré en com-
Pierre Vittaz : Je considère au contraire que nous mun un document diffusé à l’ensemble des avo-
avons une culture commune. D’une part parce que cats du ressort, le Guide de l’audience interactive :
nous sommes formés dans les mêmes Universités, c’est le rappel d’un certain nombre de principes, en
et d’autre part parce que nous sommes attachés aux quelque sorte un code de bonne conduite, que nous
mêmes valeurs. Je n’ai personnellement jamais ren- devons respecter les uns et les autres pour que les
contré de difficultés à dialoguer avec des avocats. audiences se déroulent dans de bonnes conditions.
On ne peut rien construire ni modifier d’utile dans Nous avons toujours considéré à Lyon que les avo-
notre activité sans l’adhésion du Barreau. Il est donc cats étaient nos interlocuteurs privilégiés et nous
De gauche à droite : le Procureur général Viout, le Premier président Vittaz et le Bâtonnier Dana
tation d’un phénomène n’est pas traitée de la tion de Lyon qui ont rendu l’an dernier 1.908 déci-
même façon que le même phénomène lorsqu’il sions. Peut-on sérieusement exiger de ces juridic-
devient qualitativement important. Il y a des exem- tions l’examen en profondeur de dossiers volumi-
ples qui relèvent du droit pénal de fond, pas seu- neux, souvent complexes, de plusieurs centaines de
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lement d’une pure gestion procédurale. C’est de la cotes, quand on sait qu’elles doivent faire face à des
sociologie. On gère quand même une société..., délais souvent restreints ? Il faut, je le répète, qu’il
donc un phénomène de masse. y ait un réexamen des effectifs des chambres de
G. P. : Difficile de ne pas évoquer ces temps-ci le l’instruction. Et puis se pose la question de savoir
naufrage judiciaire de l’affaire d’Outreau. L’ins- s’il ne faudrait pas prévoir des étapes de contrôle
titution pourra-t-elle s’en remettre ? systématique dans les procédures d’instruction
ayant conduit à des détentions provisoires dépas-
A.-C. D. : Bien sûr ! C’est peut-être même une occa-
sant un semestre. La chambre de l’instruction, en
sion de renouveau, de réflexion, d’humilité. J’ai
dehors de toute espèce de contentieux, prendrait la
cette conviction. Pardonnez-moi, c’est un cri du
responsabilité collégiale, à l’issue d’une audience
cœur. Qui ne dérape pas ? Qui ne connaît pas de publique et contradictoire, de statuer sur le bien
catastrophes ? Qui n’a pas de graves maladies ? On fondé de la prolongation de la détention provi-
apprend davantage de ces choses là. Je dirais qu’il soire.
s’agit d’un « traumatisme salvateur ».
A.-C. D. : Je n’aurai pas une voix discordante, mais
P. V. : C’est une affaire qui nous a tous traumati- vous dites que vous ne sortirez pas indemne. Le
sés. Mais on oublie quand même de dire que « nous » nous englobe, englobe tout ceux qui contri-
l’appel, qui n’existait pas aux assises il y a peu, a buent à l’œuvre de justice, et pas seulement les
joué son rôle, et l’audience publique également. Ce magistrats. Mais si ne pas sortir indemne signifie
que l’on peut regretter bien évidemment c’est que également changer un certain nombre de choses,
tout cela soit intervenu trop tardivement. Mais on alors bienvenue à ce changement ! Et tant mieux
retrouve surtout le problème de la détention pré- pour ce traumatisme. Vous dites que si l’on ne pose
ventive. Reste à savoir les leçons qui vont en être pas de questions, l’on est jugé irresponsable. L’autre
tirées, non pas par nous, mais par le législateur et jour, je citais Confucius qui disait : « Je ne peux rien
par la Commission qui va rendre un avis, vraisem- pour celui qui ne se pose pas de questions car
blablement au mois de juin... sans questions, on n’a pas de réponse ». Et si l’on
J.-O. V. : Je crois que l’on ne sortira pas indemne ne se pose pas de questions, c’est que l’on est satis-
de l’affaire d’Outreau. Une institution doit forcé- fait de soi-même, d’où l’humilité. Cela va changer
ment se poser des questions après une telle affaire. nécessairement quelque chose. J’ai un projet d’édi-
Nous serions tous des irresponsables si, sans torial intitulé « Outreau au quotidien » : il y a tous
concession, on ne se posait pas de questions. C’est les jours des dérapages. C’est l’ampleur de l’affaire
le premier point. Le deuxième point, c’est l’inquié- d’Outreau qui pose problème mais nous avons sou-
tude que l’on éprouve lorsque l’émotionnel prend vent l’impression que l’on va de dérapages en déra-
le pas sur la réflexion sereine. On fait apparaître les pages, de confirmations en confirmations. Ce qui
magistrats comme des gens totalement irresponsa- est important, c’est de ne pas toucher au principe
bles. Nous serions au-dessus des lois, nous serions même de l’instruction. Je crois que des chiffres
affranchis de toute responsabilité. Il faut expliquer avaient été donnés pour la Rentrée solennelle : il y
que s’il y a des juridictions d’appel c’est parce que a eu 652 saisines du JLD et 9 % des décisions n’ont
le juge ne fait pas serment d’infaillibilité lorsqu’il pas abouti à une mise en détention. Si une réforme
rentre en fonctions. Bien évidemment, si le mal jugé d’une ampleur comme celle-ci doit aboutir à 9 %
résulte d’une désinvolture, de négligences éviden- du résultat, je dirais - pardonnez moi ce raccourci
tes de la part du juge, celui-ci peut voir sa respon- - que l’investissement n’est pas rentable. Ce n’est
sabilité engagée. Il faut expliquer tout cela mais donc pas seulement une question de modification
aujourd’hui, nous nous situons, je le répète, dans de l’institution. C’est une modification de compor-
un débat totalement irrationnel concernant la res- tement, d’état d’esprit, de relation avec l’avocat. Il
ponsabilité du juge. Certains, d’autre part, pensent faut se poser des questions. Et je pense que de ce
avoir trouvé, en matière pénale, l’ultime espoir et côté-là, encore une fois, le traumatisme sera béné-
le suprême remède dans la suppression du juge fique. On l’acceptera plus facilement. J’ai le souve-
d’instruction... Les choses ne se résoudront pas par nir qu’en 1993, à une époque où on avait introduit
cette problématique binaire. L’effectivité du le contradictoire avant de faire marche arrière,
contrôle de l’instruction par les chambres de l’ins- j’avais demandé dans deux ou trois affaires des
truction exige leur « reformatage » en moyens expertises que je ne pouvais pas demander avant.
humains, afin de leur permettre d’assurer pleine- Elles avaient été pratiquées. Elles avaient boule-
8 GAZETTE DU PALAIS DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006
versé la donne du dossier, parce que tout simple- co-signée. Deux juges prennent leurs responsabili-
ment on avait écouté la défense. L’échange, l’humi- tés au niveau du non lieu ou du renvoi devant la
lité, l’acceptation de se dire : « Après tout, pour- juridiction de jugement, et en cas de désaccord,
quoi pas ? », peuvent être tout à fait bénéfiques. c’est la chambre de l’instruction qui tranche.
P. V. : Quelle va être l’ampleur des réformes ? A.-C. D. : Ce que vous dites rejoint l’argument
Qu’est-ce qui est possible compte tenu du calen- avancé pour justifier le rapprochement des avocats
drier parlementaire ? Certaines des réformes qui dans les structures d’exercice, qui consiste à dire
sont préconisées pourront se réaliser, à supposer que lorsque l’on est plusieurs dans un cabinet, on
que l’on nous donne des effectifs pour pouvoir les appelle le voisin, le supérieur ou le copain et on lui
mettre en œuvre. Il y a dans cette Cour 27 cabinets fait part de ses hésitations. À plusieurs, on est plus
d’instruction qui ont en charge plusieurs milliers intelligent. À condition de respecter les principes et
d’affaires. Or, nous n’avons que trois magistrats à de garder l’esprit ouvert au dialogue.
la chambre de l’instruction ! Il faudrait doubler ces
effectifs ainsi que ceux du greffe. Or je ne suis pas P. V. : Le fil rouge de tout cela, qu’on le veille ou
persuadé que nous aurons ce doublement rapide- non, est quand même politique car on en revient
ment. C’est la limite de toute réforme. Il y a à éga- toujours au problème des moyens d’investigation et
lement des réformes beaucoup plus ambitieuses, du nombre de juges. J’ai suivi comme vous une par-
qu’évoquent notamment Daniel Soulez-Larivière ou tie des débats de la Commission parlementaire à la
encore Mireille Delmas-Marty, qui impliquent une télévision : il y a eu beaucoup de manquements au
modification en profondeur de nos institutions. Je cours des investigations des gendarmes qui n’ont
ne pense pas que l’on soit actuellement mûrs pour notamment pas pu procéder à des enregistre-
ce type de réforme. ments...
A.-C. D. : S’il était avéré que le juge d’instruction se J.-O. V. : La loi de 1998 ne donne pas la faculté mais
présentait comme le bon dieu sur terre, en dou- impose l’enregistrement ; c’est une obligation salu-
blant les juges on aurait doublé le risque d’avoir ce taire. Il est capital d’enregistrer la déposition du
phénomène. Ce n’est pas la quantité qui règle le mineur plaignant pour voir comment celui-ci
problème. Il y a la matière humaine, la façon de exprime sa plainte sur le plan comportemental et
gérer un dossier. Ce n’est pas le nombre qui est la de la parole. Encore faut-il régler les insuffisances
solution. techniques ou matérielles qui peuvent encore être
P. V. : Mais la collégialité permet le débat et peut rencontrées dans certaines juridictions ou services
éviter la crispation sur des certitudes initiales. Je enquêteurs. Mais c’est à nous d’y veiller. On peut
suis favorable à la co-saisine : pour toutes les affai- également s’interroger sur l’effectivité de la consul-
res délicates, il faut la généraliser. Cela pose la ques- tation de l’enregistrement des déclarations du
tion de l’instruction dans les petites juridictions qui mineur par l’expert ayant mission d’examiner celui-
n’ont qu’un seul magistrat instructeur. ci. Voir comment un mineur a révélé les faits, sa
A.-C. D. : Cependant, je persiste à croire que le gestuelle, ses silences, ses hésitations, c’est très
nombre n’est pas nécessairement une solution : s’il important pour éclairer la démarche et les investi-
y avait des comportements inadmissibles, entêtés, gations de l’expert. Il faut enfin que nous n’hési-
ce n’est pas le nombre qui les règlerait. tions pas, à l’audience, à nous astreindre à appré-
J.-O. V. : Néanmoins, pour un certain nombre de hender, par le visionnage des enregistrements
dossiers délicats, il faut absolument un regard vidéo, quels ont été la forme et le contenu exact des
croisé. Dans l’affaire d’Outreau, les choses se révélations liminaires du mineur dans les affaires
seraient sans doute différemment passées s’il y avait contestées. C’est une nouvelle pratique profession-
eu un regard croisé, avec une co-saisine qu’on nelle qu’il faut nous approprier.
aurait pu imposer, car la co-saisine est pour moi
synonyme de co-responsabilité qui se matérialise Propos recueillis par Éric Bonnet
par une ordonnance de clôture d’instruction
• arrêt du 10 juillet 2003, Bull. II, no 244 (arrêt de la M. Perrot rappelle, pour sa part, que « l’exécution
Cour d’appel d’Aix-en-Provence concernant la pré- provisoire est une exécution conditionnelle qui
sente affaire « Alain Martinez contre époux Revel ») ; déroge à l’effet suspensif de l’appel » (9) et « qu’une
• arrêt du 22 janvier 2004, Bull. II, no 18 (démolition certaine prudence est de règle pour éviter un dom-
d’un mur prescrite par une ordonnance de référé) ; mage injustifié » (10).
• arrêt du 21 octobre 2004, pourvoi no 02-20.118 (exé- 4 – On ajoutera, en droit comparé, que la Belgique a
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cution d’un jugement de liquidation judiciaire) ; elle-même intégré cette solution dans son Code judi-
c – pour la troisième chambre civile : ciaire, dont l’article 1398 dispose que l’exécution pro-
visoire du jugement « n’a lieu qu’aux risques et
• arrêt du 2 juillet 1974, Bull. III, no 281 (expulsion périls de la partie qui la poursuit », plusieurs
d’un appartement en exécution d’une ordonnance du autres pays admettant, par ailleurs, le principe de
juge des loyers) ; l’exécution provisoire (11).
• arrêt du 31 mai 1978, Bull. III, no 236 (commande-
5 – Quels sont alors les fondements de cette
ment fait à un locataire de quitter les lieux en exé-
jurisprudence ?
cution d’un jugement exécutoire par provision) ;
• arrêt du 25 avril 1990, pourvoi no 88-19.604 (expul- Il est possible, me semble-t-il, d’en dégager deux
sion poursuivie en exécution d’une ordonnance de principaux : la théorie du risque et le principe de
référé) ; l’exécution provisoire :
• arrêt du 1e juillet 1998, pourvoi no 96-18.930 (paie- a – La théorie du risque
ment d’indemnités d’occupation) ;
Toute exécution immédiate d’une décision provi-
d – pour la chambre commerciale :
soire fait courir un risque à la fois à celui qui la
• arrêt du 30 janvier 1996, pourvoi no 93-20.628 demande et à celui qui la subit.
(déplacement des activités d’une société en exécution
d’une ordonnance de référé). Celui qui obtient l’exécution de la décision à son
profit encourt le risque de voir cette décision ulté-
Cette jurisprudence constante a été appliquée plu-
rieurement infirmée ou cassée. Il doit en avoir plei-
sieurs fois à des ordonnances de référé, revêtues de
nement conscience pour agir avec prudence et, le cas
plein droit du caractère exécutoire (4). Elle a été
échéant, en supporter toutes les conséquences.
appliquée aussi, non seulement aux décisions de jus-
tice frappées d’appel, mais également aux décisions Il lui appartient donc de choisir au préalable s’il
faisant l’objet d’un pourvoi en cassation (5). décide d’attendre que la décision devienne définitive
2 – Au plan législatif, il résulte expressément de l’arti- ou s’il prend le risque de l’exécution immédiate, qui
cle 31 de la loi no 91-650 du 9 juillet 1991 – portant pourra ensuite lui être reprochée si la décision vient
réforme des procédures civiles d’exécution – que à être infirmée en appel ou à être cassée.
« sous réserve des dispositions de l’article 2215 du
Quant à l’autre partie, elle va devoir supporter les
Code civil, l’exécution forcée peut être poursuivie
effets dommageables parfois très graves et peut-être
jusqu’à son terme en vertu d’un titre exécutoire à
irréversibles de l’exécution de la décision provisoire,
titre provisoire » et que « l’exécution est poursuivie
sans que ces conséquences puissent toujours être
aux risques et périls du créancier qui, si le titre est
réparées après l’infirmation de la décision. Il est dès
ultérieurement modifié, devra restituer le débiteur
lors indispensable de protéger cette partie contre les
dans ses droits en nature ou par équivalent ».
conséquences de ce qui peut devenir pour elle une
3 – Quant à la doctrine, elle approuve aussi « erreur judiciaire ».
majoritairement cette jurisprudence (6).
Ainsi, contrairement au cas de figure classique de
Ainsi que l’exprime la note publiée sous l’arrêt de la théorie du risque, où c’est la victime du risque qui
la Cour de cassation du 1er juillet 1998 (7), « il est doit en subir les conséquences, ici, c’est celui qui
sage de ne procéder à des exécutions aux consé- poursuit l’exécution de la décision de justice qui doit
quences irréversibles que si l’on est vraiment sûr de réparer le préjudice éventuel subi par la partie
son fait. L’euphorie de la victoire ne doit pas adverse. Il s’agit, en quelque sorte, d’une application
tourner la tête du gagnant d’un jour ». de la théorie du « risque d’activité » ou du « risque-
M. Toulemon évoque, dans un article du profit », selon laquelle celui qui crée, par son activité,
Jurisclasseur périodique, « la responsabilité du plai- un risque pour autrui doit répondre de ses consé-
deur triomphant et téméraire » (8). quences dommageables et, a fortiori, celui qui tire les
(4) Cf. notamment Cass. 2e civ., 12 mai 1971, Bull. II, no 173 ; 5 avril 1994, (9) Cf. : R. Perrot, Exécution provisoire aux risques et périls du créancier,
Bull. II, no 120 ; 22 janvier 2004, Bull. II, no 18 ; Cass. 3e civ., 25 avril 1990, note sous Cass. 3e civ., 1er juillet 1998, Procédures, novembre 1998, no 240,
pourvoi no 88-19.604 ; Cass. com., 30 janvier 1996, pourvoi no 93-20.628. p. 8.
(5) Cf. : Cass. 2e civ., 8 décembre 1960, Bull. II, no 755 ; 14 février 1963, (10) Cf. R. Perrot, RTD civ. 2004, p. 353 : « Mainlevée et réparation du pré-
Bull. II, no 149. judice. La preuve d’une faute à la charge du prétendu créancier est-elle
(6) Cf. Philippe Malaurie et Laurent Aynès, Les obligations, Coll. Droit nécessaire ? ».
civil, éd. Defrenois 2004 ; M. Toulemon, La responsabilité du plaideur (11) L’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas, notamment, tandis que le
triomphant et téméraire, JCP, 1968-1-2182. Royaume-Uni et l’Italie connaissent le régime de l’exécution immédiate
(7) Cf. : « Procédures », éd. du Juris-classeur, novembre 1998, commen- des décisions des juridictions civiles de première instance, selon l’étude
taires p. 8. de législation comparée du Service des études du Sénat réalisée en 2003
(8) Cf. Toulemon, JCP, 1968-1. 2182. (cf. : site http ://www.senat.fr/IC123/IC123-html).
ment » l’ordonnance de référé. Cette exécution, en anéantie (18). Il serait en effet injuste d’imputer au
l’absence d’acte de contrainte de l’autre partie, vau- plaideur qui a obtenu une ordonnance de référé en
drait donc « acquiescement » à la décision. sa faveur toute la responsabilité des dommages cau-
À l’appui de cette position, peut être invoqué un sés par l’exécution de cette ordonnance lorsqu’elle est
précédent arrêt de la troisième chambre civile de la ultérieurement infirmée, alors que cette situation
Cour de cassation du 26 mars 1997 (16), qui, dans un résulte aussi de l’erreur contenue dans la décision du
cas d’espèce ne concernant pas une ordonnance de juge des référés, à laquelle ledit plaideur a fait
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référé, a exclu la responsabilité en raison de l’absence confiance. En arrière plan, se profile ainsi la respon-
d’actes de poursuites en exécution forcée et de sabilité éventuelle de l’Etat à raison du fonctionne-
l’acquiescement à la décision de la partie perdante. ment défectueux de la justice (article L. 781-1 du
Code de l’organisation judiciaire).
3 – L’absence de faute dans l’exécution
De surcroît, un argument complémentaire peut être
Refuser la possibilité d’une indemnisation au motif tiré du mouvement de généralisation de l’exécution
que l’ordonnance de référé n’a fait l’objet d’aucune provisoire des décisions de justice, qui tend à garantir
exécution forcée et qu’elle a été exécutée spontané- l’effectivité des jugements et ordonnances de pre-
ment par la partie perdante, cela revient mière instance et à lutter contre les recours dilatoires
implicitement à réintroduire la nécessité d’une faute ou abusifs, générateurs d’encombrement des juridic-
ou d’un abus de droit dans l’exécution de la décision tions (19).
pour que la responsabilité de la partie gagnante
Enfin, il reste l’argument découlant du « droit à
puisse être engagée.
l’exécution d’un jugement » consacré par la Cour
Au soutien de cette exigence de la faute, il existe européenne des droits de l’homme comme troisième
un arrêt ancien qui peut être invoqué : celui de la élément du procès équitable garanti par l’article 6 de
troisième chambre civile du 15 novembre 1972 (17), la Convention européenne des droits de l’homme (20).
ayant retenu la faute d’un propriétaire qui, bénéfi- Cet argument ne paraît pas, cependant, pouvoir être
ciant d’une décision de référé autorisant l’expulsion invoqué utilement ici, dès lors que les juges euro-
de son locataire, l’avait exécutée avant même que péens, dans l’arrêt « Ouzinis c/ Grèce » du 18 avril
l’arrêt infirmatif soit rendu. Cet arrêt présente cepen- 2002, ont restreint ce droit à l’exécution aux seules
dant une certaine ambiguïté, car la troisième cham- décisions définitives et obligatoires, définies comme
bre civile, tout en admettant une responsabilité pour celles qui tranchent le fond et contre lesquelles
faute, rappelle aussi le principe selon lequel l’exécu- l’appel n’est pas possible, ce à quoi ne correspondent
tion d’une décision non irrévocable a lieu aux risques pas les ordonnances de référés.
et périls de la partie qui la poursuit. En définitive, on voit donc que ce que nous pro-
Dans le présent cas, l’arrêt attaqué de la Cour pose la Cour d’appel de Lyon, c’est d’infléchir la
d’appel de Lyon, sans se référer expressément à la jurisprudence classique de la Cour de cassation, en
notion de faute pour ne pas contredire la introduisant une limitation de la responsabilité de
jurisprudence de la Cour de cassation, se rapproche celui qui obtient l’exécution d’une ordonnance de
en réalité de la motivation de l’arrêt initial de la Cour référé à son profit, lorsque la décision n’a pas fait
d’appel d’Aix-en-Provence qui était ainsi formulée : l’objet d’une exécution forcée de sa part et lorsqu’elle
« Attendu que le seul fait pour les époux Revel a été exécutée spontanément par l’autre partie.
d’exercer leur droit d’ester en justice et de requérir Il convient alors de rechercher si une telle solution
ensuite l’exécution de la décision rendue en leur peut être approuvée.
faveur ne saurait en lui-même constituer une
faute, justifiant l’allocation de dommages-intérêts ; II. LA RECHERCHE DE LA SOLUTION À
attendu qu’il n’en serait ainsi que si M. Martinez INDUIRE
démontrait l’existence d’un abus de droit à la
charge des époux Revel, ce qu’il n’a pas fait ; que Il s’agit de rechercher si le préjudice subi par M.
cette preuve ne saurait résulter de la seule cir- Martinez du fait de la cessation de son exploitation
constance que la cour a ensuite infirmé l’ordon- commerciale après l’ordonnance de référé doit être
nance de référé motif pris de l’existence d’une laissé à la charge de M. Martinez et si les époux
contestation de fond... ». Revel, de leur côté, peuvent échapper à toute res-
ponsabilité à raison de l’exécution provisoire, pour les
La faute dans l’exécution, ajoute-t-on, est à distin- trois motifs retenus par la Cour d’appel, à savoir :
guer de la faute liée au mal-fondé de l’action en
justice elle-même ou à la mauvaise foi éventuelle du – l’absence d’exécution forcée par la partie gagnante ;
plaideur sur le fond. En règle générale, sauf abus de (18) Cf. Philippe Malaurie et Laurent Aynès, Les obligations, Coll. Droit
droit, celui qui exerce son droit n’est pas responsable civil, Defrénois 2004, § 122.
(19) Cf. : J.-C. Magendie, Célérité et qualité de la justice, rapport au garde
du dommage causé à autrui. des Sceaux, 15 juin 2004, p. 61 et Recueil Dalloz, 2002, Chr. p. 2411 ;
Il devrait en être ainsi dans le cas de la mise en — G. Canivet, Économie de la justice et procès équitable, Sem. Juridi-
que, éd. G., no 46, novembre 2001-1-361 ;
œuvre d’une décision de justice exécutoire condam- – mais contra : S. Guinchard, Les Petites Affiches no 112 du 5 juin 2002,
nant autrui, même si la décision est ultérieurement p. 4 et no 215 du 28 octobre 2002, p. 7 ; Ph. Hoonackker, Rec. Dalloz 2004,
Chr. p. 2314 ; L. Cadiet, JCP, 2002, Act. 346, p. 1489 ; J. Villacèque, Rec.
(16) Cf. Cass. 3e civ., 26 mars 1997, Bull. III, no 74. Dalloz 2002, Chr. p. 1989.
À rapprocher : Cass. 3e civ., 15 décembre 1999, pourvoi no 98-15.290. (20) Cf. Arrêts de la CEDH « Hornsby c/ Grèce » du 19 mars 1997 et
(17) Cf. Cass. 3e civ., 15 novembre 1972, Bull. III, no 615. « Ouzinis c/ Grèce » du 18 avril 2002.
D’autres décisions peuvent être citées dans le M. Martinez est en droit de réclamer aux époux Revel
même sens, qui ont estimé que la situation contrai- la réparation de la perte de son exploitation com-
gnante dans laquelle est placé effectivement le per- merciale, consécutive à l’exécution de l’ordonnance
dant ne permet pas de lui appliquer une présomption de référé.
d’acquiescement (29).
2 – Ainsi que le relève le Conseiller-rapporteur, la
Tel est aussi le cas en l’espèce : l’ordonnance de
renonciation au critère de la faute en cette matière
référé était exécutoire de plein droit par provision et,
pourrait aussi offrir l’avantage d’harmoniser le régime
G0712 de surcroît, elle était assortie de la menace d’une
de réparation du fait de l’exécution provisoire avec la
astreinte de 1.000 F par jour.
tendance actuelle, dans le domaine des voies d’exé-
Si M. Martinez n’avait pas exécuté cette ordon- cution, à exiger une moindre gravité de faute du
nance, relève le mémoire ampliatif, il se serait exposé saisissant pour le rendre responsable des conséquen-
à des demandes de liquidation d’astreinte dont le ces dommageables de la saisie conservatoire injus-
total aurait pu aller jusqu’à 1.487.000 F. tifiée (30).
Peut-on affirmer, dans ces conditions, que M.
Martinez a exécuté « spontanément » l’ordonnance de 3 – La thèse contraire, consistant à refuser la théorie
référé ? À vrai dire, il n’avait pas le choix : en du risque et à limiter au seul cas de la faute la
l’absence de toute certitude sur l’issue de la procé- responsabilité du plaideur qui fait exécuter l’ordon-
dure devant la Cour d’appel, il devait exécuter cette nance de référé, reviendrait enfin à fragiliser la pro-
ordonnance. cédure de référé elle-même : le plaideur condamné en
référé est en effet incité à exécuter l’ordonnance de
C – Le caractère inopérant de l’absence de référé tant qu’il sait qu’il a toutes chances d’être
faute dans l’exécution : le “risque” inhérent à dédommagé si son bon droit est ultérieurement
l’exécution des décisions de justice exécutoires reconnu et si l’ordonnance est infirmée en appel.
à titre provisoire Dans le cas contraire, il pourra préférer prendre le
1 – Comme nous l’avons relevé précédemment, l’une risque d’attendre et de ne pas exécuter.
des justifications de la jurisprudence constante de la
Cour de cassation est que toute exécution immédiate En outre, du côté des plaideurs qui poursuivent
d’une décision à titre provisoire fait courir un risque l’exécution, leur moindre responsabilité risquerait de
grave à celui qui la subit. les pousser à recourir beaucoup plus souvent au
référé, de façon moins prudente, voire abusive, avec
Le plaideur qui poursuit l’exécution par provision
l’effet d’encombrement des juridictions qui pourrait
encourt donc une responsabilité qui est fondée, non
en résulter.
pas sur sa faute ou son abus de droit, mais sur le
« risque-activité » ou le « risque-profit » que représente 4 – Mais, pour autant, cela ne signifie pas que la
sa demande d’exécution provisoire, eu égard aux théorie des « risques et périls » du plaideur gagnant
conséquences dommageables potentielles de sa doive être illimitée dans ses effets : s’il est normal
demande et aux avantages éventuels qu’il peut en que celui qui poursuit l’exécution du référé assume le
tirer. risque d’avoir à restituer son adversaire dans ses
Dans la présente affaire, nous nous trouvons bien droits en nature ou par équivalent afin de le remettre
en présence d’un plaideur qui a manifesté sa volonté dans l’état où il se trouvait avant la décision infirmée,
de poursuivre l’exécution, puisque les époux Revel on il ne faut pas en déduire toutefois que l’on peut faire
fait signifier à M. Martinez, à leur initiative, l’ordon- supporter au plaideur initialement gagnant une
nance de référé en cause. indemnisation illimitée de tous dommages et préju-
Comme tout plaideur poursuivant l’exécution d’une dices allégués par son adversaire, sauf à le justifier
décision exécutoire par provision, les époux Revel par la preuve d’une faute de ce plaideur.
devaient dès lors s’assurer que leur demande était
bien fondée juridiquement et que la décision avait Autrement dit, au delà de l’obligation normale de
toutes les chances d’être confirmée par la juridiction remise en l’état qui découle du simple « risque » de
supérieure. l’exécution, il peut rester une place pour la « faute »
et une responsabilité plus étendue du plaideur qui a
Or, tel ne semble pas être le cas en l’espèce : les
poursuivi l’exécution en cas d’abus ou de fraude de
époux Revel auraient dû avoir conscience de la fra-
sa part.
gilité juridique de leur prétention, qui reposait sur la
prétendue violation d’une clause de non-concurrence, Il est intéressant de rappeler ici que, lors des tra-
figurant dans l’acte d’acquisition du fonds de com- vaux préparatoires de la loi du 9 juillet 1991 portant
merce de station-service, mais ne concernant pas réforme des procédures civiles d’exécution, il avait été
l’activité de vente de fuel domestique de M. Martinez. prévu une disposition, finalement abandonnée, qui
Dans ces conditions, il est normal que les époux précisait que le créancier, obligé de restituer le débi-
Revel, à raison du risque qu’ils ont pris, soient tenus teur dans ses droits en nature ou par équivalent,
de restituer M. Martinez dans ses droits, en nature ou n’était toutefois « pas tenu d’indemniser la priva-
par équivalent, et de le remettre dans l’état où il se tion de jouissance » (pas plus d’ailleurs que les frais
trouvait avant la décision infirmée. Cela signifie que nécessaires de l’exécution forcée).
(29) Cf. Cass. civ., 8 février 1994, pourvoi no 92-11227 ; Cass. 2e civ., (30) Cf. notamment Cass. 2e civ., 29 janvier 2004, Bull. civ. II, no 35,
11 octobre 1995, Gaz. Pal. du 19 octobre 1995, p. 22. contra : Cass. com., 14 janvier 2004, Bull. civ. IV, no 9.
L
ACTUALITÉ
a Rentrée solennelle de la Cour d’appel de Lyon année, comme beaucoup de ses collègues à l’occa-
s’est tenue le 3 janvier dernier en présence de très sion des rentrées solennelles, de s’exprimer sur le
nombreuses personnalités, parmi lesquelles les thème de la responsabilité des juges. Selon lui, « il
membres du corps préfectoral, les élus locaux, les est délicat d’analyser une décision juridiction-
G0507
chefs de juridictions et magistrats du ressort ainsi nelle sous l’angle de la faute personnelle de son
que les représentants des professions judiciaires au auteur sans porter gravement atteinte à sa liberté
premier rang desquels le nouveau Bâtonnier de d’appréciation qui est consubstantielle à la fonc-
l’Ordre Adrien-Charles Dana. tion judiciaire », la lutte contre le risque d’erreur
L’occasion pour le Procureur général Jean-Olivier judiciaire ne se résolvant « évidemment pas dans
Viout et le Premier président Pierre Vittaz de dres- la mise en cause personnelle du juge », mais
ser le bilan d’activité de la Cour pour l’année écou- empruntant de nombreuses formes, parmi lesquel-
lée, par ailleurs évoqué dans l’entretien qu’ils nous les l’utilisation des voies de recours, l’application du
ont accordé en compagnie du Bâtonnier Dana (v. principe du contradictoire, la publicité des débats,
supra p. 2). Une année 2005 qui aura été, selon le l’exigence de motivation et la collégialité. Ce qui
Premier président Vittaz, une bonne année. Une doit se faire dans la mise en œuvre d’une déonto-
opinion partagée par le Procureur général Viout logie exigeante de magistrats animés par un état
dans son bilan statistique de l’activité pénale de la d’esprit caractérisé par une vigilance de tous les ins-
Cour placé sous le signe du « parler vrai » qui cons- tants. Et Pierre Vittaz de conclure en citant le Pre-
titue « aujourd’hui plus que jamais notre impé- mier président Pierre Drai : « Un juge habitué est
rieux devoir face aux légitimes interpellations de un juge mort pour la justice ».
nos concitoyens et de leurs élus en direction de
leur institution judiciaire ». E.B.
Prenant la parole à la suite du Procureur général
Viout, le Premier président Vittaz avait choisi cette
d’arrêt et ont permis la saisie de 27 kilos de cocaïne, financiers, dits de moindre envergure, par les uni-
17 kilos d’héroïne, 20 kilos de pâte d’amphétami- tés territoriales de la police et de la gendarmerie.
nes, 11 tonnes 893 kilos de résine de cannabis, L’effort doit être poursuivi en optimisant encore les
outre 500.000 Q. actions conduites.
G0507 Plusieurs de ces procédures sont en passe d’être Optimiser l’action en assurant une meilleure sélec-
soumises à la juridiction de jugement. On prendra tion des enquêtes confiées à la DIPJ et au groupe
la mesure, dès les prochaines semaines, en DEFI de la section de recherches de la gendarme-
audience publique, du niveau des investigations qui rie, ces unités ne devant pas voir leurs ressources
ont été conduites et du degré de délinquance humaines spécialisées mobilisées dans des investi-
appréhendé par cette nouvelle juridiction. gations n’exigeant pas une technicité particulière.
C’est le sens du travail en équipe, magistrats ins- D’où la demande faite en direction des parquets et
tructeurs et parquet, chacun respectant ses attribu- des responsables régionaux et départementaux des
tions et sphères d’indépendance, qui a été la clef services d’enquêtes pour que le financier dit de
de la réussite dans les actions menées à bien. Je moyenne importance puisse être localement traité
salue les trois juges d’instruction de la juridiction par des enquêteurs sélectionnés pour leur intérêt
interrégionale spécialisée de Lyon qui, travaillant pour la matière et bénéficiant des formations orga-
dans le cadre d’une co-saisine systématique dont nisées au niveau national.
on appréhende chaque jour les vertus, font Optimiser l’action en offrant aux enquêteurs de ter-
démonstration de rigueur procédurale, d’opiniâ- rain l’assistance technique que peuvent apporter les
treté et de méthodologie exemplaires auxquelles experts judiciaires saisis par la voie procédurale de
j’ajouterai le courage propre aux hommes et fem- réquisition à personne qualifiée.
mes occupant des postes exposés. Le tout, dans À ce propos, je me réjouis du projet de la Compa-
cette interaction constructive et confiante avec les gnie des experts près la Cour d’appel de Lyon visant
trois magistrats du parquet de Lyon affectés à cette à proposer, à certains experts en comptabilité inté-
juridiction régionale, que sait générer et nourrir un ressés par cette forme de collaboration, le suivi
sens partagé du service public de la justice. d’une formation nationale sur le blanchiment et la
Toujours ici même, l’an dernier, j’ai appelé de mes criminalité internationale.
vœux, en termes dont la vigueur a pu surprendre, Optimiser l’action aussi en poursuivant inlassable-
l’intensification du traitement de la délinquance ment l’action de persuasion de nos interlocuteurs
économique et financière et l’engagement d’une tenus à des obligations de révélation prévus par les
lutte résolue contre l’économie souterraine. C’est textes, à faire montre d’une diligence témoignant
parce que le degré d’exigence exprimé a été fort, d’une authentique conviction de l’intérêt que repré-
que je veux dire non moins fortement combien j’ai sente l’information de l’autorité judiciaire le plus en
apprécié l’écho qu’a reçu cette invite. amont.
Il convient de souligner le travail effectué par les 30 Optimiser encore l’action en mettant en place ou
fonctionnaires de la division économique et finan- en réactivant dans chaque parquet des cellules éco-
cière de la direction interrégionale de police judi- nomiques et financières réunissant enquêteurs, Tré-
ciaire de Lyon qui ont déféré aux parquets du res- sor public, administrations de l’État concernées,
sort, durant l’année, près d’une centaine de mis en afin de faire un point régulier sur l’état d’avance-
cause entraînant 64 placements en détention pro- ment des enquêtes en cours, dresser le bilan de leur
visoire, à la date du 15 décembre 2005, contre 49 suite judiciaire et analyser toute information de
pour toute l’année 2004. Parmi ses résultats les plus nature à fonder l’engagement d’investigations nou-
significatifs, je veux citer la mise à jour d’une astu- velles.
cieuse escroquerie dans le montage financier visant Et ce, dans la sérénité, la prise de recul, la confi-
l’implantation d’un complexe cinématographique à dentialité et le respect du secret de l’enquête et de
Vaulx-en-Velin ; la mise en lumière d’une entre- l’instruction, s’agissant d’un contentieux pénal où
prise frauduleuse de carrousels de TVA menée par ne peut être ignoré le risque d’instrumentalisation
un société grossiste en téléphones portables, ali- de l’institution judiciaire au profit d’intérêts qui lui
mentant artificiellement un flux financier délic- sont étrangers.
tueux, générateur de crédits fictifs de TVA s’éle- Je n’ai point encore parlé de notre parquet géné-
vant à 19,5 millions d’euros, sans compter l’éluci- ral, tant la réussite de l’action d’un parquet géné-
dation d’escroqueries à la carambouille ou d’impor- ral n’existe que par la réussite des parquets dont il
tants abus de confiance. a la responsabilité.
À cette action s’est adjointe celle conduite par les Je dirai simplement, pour faire bref, que son tra-
six enquêteurs spécialisés de la section de recher- vail a été celui d’une équipe soudée, dynamique et
22 GAZETTE DU PALAIS DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006
volontariste qui a fait porter son effort sur l’anima- nant chose faite, grâce à l’engagement à nos côtés
tion et la coordination de l’action publique ainsi de deux associations rhodaniennes. À nous de pro-
que l’article 35 du Code de procédure pénale lui fait voquer les synergies nécessaires pour que cette ini-
obligation, tout en se montrant attentive à l’aide ou tiative s’étende aux cours d’assises de la Loire et de
assistance aux parquets qui en ont besoin, sans l’Ain.
omettre d’assumer pleinement les fonctions de − Je ne saurais, par ailleurs, passer sous silence
ministère public près la juridiction du second degré, l’investissement de notre parquet général dans la
comme aussi devant les cours d’assises, du Rhône formation des élèves officiers de police judiciaire de
principalement, mais aussi ponctuellement de la la police nationale, par la prise en charge par plu-
Loire et de l’Ain : sieurs de ses avocats généraux et substituts géné-
– Suivi en temps réel de toute procédure présen- raux aidés de deux magistrats du parquet de Lyon,
tant une certaine importance ou une technicité par- de l’ensemble de leur enseignement en droit pénal
ticulière... et procédure pénale.
– Visites de terrain nombreuses dans les parquets, − J’ajouterai enfin la redynamisation de la cellule
maisons de justice, établissements pénitentiaires, Éducation nationale-Justice qui a permis à près de
établissements d’accueil des mineurs pour être à deux mille élèves des lycées et collèges de suivre
l’écoute de la réalité des êtres et des choses, pren- dans nos palais de justice des audiences commen-
dre la mesure des besoins, en hiérarchiser les tées par un magistrat ou un assistant de justice.
urgences et œuvrer pour trouver les moyens d’y Mais l’avènement de l’an nouveau est aussi le
répondre... temps privilégié de la définition de nouveaux objec-
– Expertises des notices semestrielles des magis- tifs sans lesquels l’action ne serait que recommen-
trats instructeurs, en vue notamment de veiller, cement. Ces objectifs, je les résumerai en forme de
voire collaborer, au règlement diligent des procé- vœux, puisque l’époque nous y invite.
dures... ont constitué autant de points forts. Mon premier vœu visera à ce que soit couronné de
À ces activités désormais inscrites dans la durée, je succès l’effort inlassable que je devrai poursuivre
voudrais ajouter trois types d’interventions renfor- avec vous, Monsieur le Premier président, pour
cées ou redéfinies au cours de l’année écoulée : trouver les voies et moyens d’obtenir les apports en
− L’instauration, tout d’abord, d’un véritable par- ressources humaines qu’exige le bon fonctionne-
tenariat avec les professions judiciaires, permet- ment de deux de nos juridictions qui souffrent par-
tant d’entretenir avec elles un constant et construc- ticulièrement.
tif dialogue déontologique. Je me félicite, Messieurs Je veux parler d’abord de l’unique chambre de l’ins-
les bâtonniers, Messieurs les présidents des cham- truction de notre Cour dont les trois magistrats qui
bres et compagnies d’avoués, notaires, huissiers de la composent voient, année après année, leurs char-
justice, experts, de la qualité de nos relations qui ges s’alourdir : 1.662 arrêts rendus en 2004, 1.741 en
dépassent l’échange institutionnel et débouchent 2005 ; 293 ordonnances rendues par son président
sur des avancées concrètes : à preuve, la mise en en 2004, 370 en 2005, soit une progression proche
place, dès la fin 2005, d’une informatisation de la de 27 %.
transmission des comptabilités d’huissiers de jus- À l’heure où l’on rappelle le rôle essentiel de
tice du ressort permettant de moderniser la syn- contrôle et de régulation des procédures d’instruc-
thèse des contrôles annuels mise à la charge des tion que doivent tenir ces juridictions du second
parquets généraux. degré, il est impératif de procéder à un reparamé-
Cette volonté de partenariat constructif s’est illus- trage d’envergure du nombre des magistrats qui
trée pareillement en direction des associations dont leur sont affectés. C’est parler vrai que d’affirmer
le ministère de la justice assure partie du finance- que sans cet apport, tout discours ne demeurera
ment. Elle s’est manifestée par l’établissement de qu’au stade de l’incantation et que toute réforme
contrats d’objectifs, une évaluation plus précise des ne pourra faire l’économie de ce préalable.
modes de financement et des besoins permettant Autres juridictions qui méritent notre attention :
d’optimiser l’usage des crédits limitatifs qui sont nos trois cours d’assises du Rhône, de la Loire et
alloués à notre Cour et de soutenir toutes initiati- de l’Ain. Elles avaient jugé 126 accusés en 2004 ;
ves innovantes. elles en ont jugé 171 en 2005 soit une progression
Au rang de celles-ci, je citerai l’accompagnement de près de 36 %. Mais surtout, au jour où je vous
devant la Cour d’assises du Rhône des victimes de parle, 202 accusés attendent de comparaître devant
crimes d’atteintes aux personnes, notamment ces juridictions criminelles (98 pour celle du Rhône,
sexuelles, qui en expriment le désir. Ce besoin spé- 60 pour celle de l’Ain, 44 pour celle de la Loire). À
cifique d’aide psychologique voire matérielle res- l’heure où la Cour européenne des droits de
senti par certaines victimes n’avait pas jusqu’alors l’homme rappelle nos devoirs en matière de res-
été suffisamment pris en compte. C’est mainte- pect du délai raisonnable, nous devons tout faire
DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006 GAZETTE DU PALAIS 23
pour tenter de faire face à cette situation qui, hélas, nelles des quatre premières classes visant des
risque fort d’empirer en 2006, au vu du nombre de contrevenants impécunieux ou au domicile mou-
ACTUALITÉ
les circonstances, à celle de l’efficacité et de la célé- des 28 cabinets d’instruction du ressort et de plu-
rité. sieurs milliers d’affaires. Ses trois magistrats, je
Nous avions également pour objectif avec M. le pro- devrais dire ses trois galériens, ont rendu en 2005
cureur général d’accélérer le jugement des affaires 1.835 arrêts dans des délais très brefs en applica-
G0542 correctionnelles, en particulier de celles qui ont ten- tion de règles qui fluctuent au gré des faits divers
dance à durer en raison de la priorité absolue don- et des majorités parlementaires.
née aux affaires de détenus et aux affaires plus « Il est de l’inflation juridique comme de la mon-
importantes. naie, disait le doyen Carbonnier, elle fait perdre
La 2e chambre B et le parquet général ont tenu leurs toute crédibilité aux valeurs ». Toute augmenta-
engagements et réduit de près de 500 unités le tion des attributions de la chambre de l’instruction
nombre d’affaires en attente de jugement en fin qui ne serait pas accompagnée de moyens supplé-
d’année. mentaires se réduirait à un effet d’annonce dont il
serait choquant que son inefficacité pratique soit
Ces résultats positifs sont le fruit d’une volonté col-
par la suite imputée à l’institution judiciaire.
lective concrétisée par une somme de travaux indi-
viduels. – Enfin, nous nous efforcerons de renforcer épiso-
diquement le service des assises pour réduire les
Ils ont pu être obtenus grâce à l’excellent état délais séparant la fin de l’instruction de l’audience
d’esprit de collaboration qui s’est développé entre publique qui ont une tendance fâcheuse à s’allon-
la Cour et ses interlocuteurs privilégiés que sont la ger du fait de l’augmentation du nombre des affai-
Chambre des avoués et les Ordres d’avocats. res criminelles.
Je remercie Me Brondel et les bâtonniers qui vien- En matière de gestion administrative et financière,
nent de terminer leurs mandats, Me Eric Jeantet, grâce à la qualité de l’équipe du service adminis-
Georges Maymon, Pierre-Yves Lucchiari, Catherine tratif régional nous avons également rempli notre
Mounier-Fond, Christian Perret et Daniel Bruyère, mission d’expérimentateurs de la loi organique rela-
avec lesquels nous avons travaillé en confiance, en tive aux lois de finances avec la fabrication d’outils
particulier à l’élaboration d’un protocole d’instruc- juridiques et informatiques diffusés aujourd’hui à
tion des affaires et de conduite des audiences qui l’ensemble des cours d’appel. Nous avons même
va entrer en vigueur dès demain et qui est le fruit obtenu des résultats très honorables en matière de
de notre volonté commune de mieux maîtriser maîtrise des dépenses des frais de justice et des frais
notre temps de travail et de construire ensemble de fonctionnement des conseils de prud’hommes.
des débats utiles.
Mais il nous reste encore un long chemin à parcou-
Je ne doute pas qu’avec leurs successeurs récem- rir avant de disposer d’indicateurs pertinents, fia-
ment élus ou réélus, Mesdames et Messieurs les bles et consensuels qui permettront une réparti-
Bâtonniers Dana, Ziegler, Delmas, Chantelot, Poi- tion plus efficiente de nos moyens de fonctionne-
rieux, Corioland et Villefranche et M. le président ment.
Brondel, nous continuerons à travailler dans les
mêmes conditions.
Mesdames et Messieurs,
Ces progrès méritaient d’être mis en exergue mais Le Code de l’organisation judiciaire énonce que
ils ne nous conduisent pas à une autosatisfaction l’exposé des activités de la juridiction auquel il vient
béate. d’être procédé peut être accompagné d’un discours
D’abord parce qu’il nous faut les confirmer en 2006 portant sur un sujet d’actualité ou sur un sujet
et éviter de reconstituer la mauvaise graisse que d’intérêt juridique ou judiciaire.
nous avons eu tant de mal à faire fondre, ensuite J’ai choisi cette année de m’exprimer sur un thème
parce que d’autres travaux nous attendent : qui remplit toutes ces conditions, celui de la res-
– le renforcement de la chambre commerciale qui ponsabilité des juges.
peine à juger dans des délais raisonnables les affai- Des faits divers tragiques comme l’incarcération
res de plus en plus complexes qui naissent de l’acti- provisoire pendant plusieurs années de prévenus
vité économique de notre région ; finalement innocentés ou la commission de cri-
– celui de la chambre de l’instruction, clef de voûte, mes par un condamné admis au bénéfice de la libé-
organe régulateur de la procédure pénale, gar- ration conditionnelle ou par un mis en examen
dienne des libertés individuelles en même temps libéré à la suite d’une erreur de procédure ont
que des exigences de la sécurité publique. Avec ses conduit à la mise en cause de la responsabilité per-
trois magistrats, son unique greffière et ses trois sonnelle de certains magistrats par l’opinion publi-
agents, cette chambre ne dispose manifestement que relayée par la presse et une partie du person-
pas des moyens humains indispensables pour exer- nel politique.
26 GAZETTE DU PALAIS DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006
Cette démarche apparaît d’autant plus légitime leurs obligations déontologiques : abus de fonc-
qu’elle s’inscrit dans un mouvement général de res- tion, relations douteuses, excès de langage, insuffi-
ponsabilisation avec la fin du hasard, de la fatalité sance professionnelle, non déclaration de revenus,
ou de la faute à pas de chance et la vocation de tout etc...
malheur à être indemnisé par un créancier solva- Mais l’émotion justifiée suscitée par des affaires
ble. particulières et l’emballement médiatico-politique
Pourquoi les juges échapperaient-ils à cette recher- qui a suivi ont conduit à poser la question de
che générale de responsabilité ? l’engagement de la responsabilité personnelle du
Comme l’énonce très justement Madame le profes- juge dans des termes différents qui ont pour l’opi-
seur Marie-Anne Frison-Roche, « c’est une perfec- nion publique le mérite de la simplicité.
tion nouvelle qui est demandée au juge : il doit Dans ces affaires, nous dit-on, le juge s’est mani-
être non seulement parfaitement sage, parfaite- festement trompé. Il a mal jugé. Il a commis une
ment savant, mais encore parfaitement humain. faute en prenant une mauvaise décision qui a
En effet, il faut non seulement que le juge ne se entraîné des dégâts considérables, voire irrémédia-
trompe jamais, qu’il connaisse bien sûr le droit bles. Il doit payer, c’est-à-dire être sanctionné dis-
mais encore l’équité, qu’il juge toujours juste. ciplinairement ou pécuniairement par le rembour-
Mais il faut encore qu’il comprenne parfaite- sement à l’État des dédommagements que celui-ci
ment l’être humain qui s’adresse à lui, qu’il a versés aux victimes. C’est la contrepartie nor-
éprouve ce qu’il éprouve, qu’il souffre ce qu’il male des pouvoirs qu’il exerce.
souffre... Face à une telle attente, au lieu de cons- C’est ouvrir ainsi la possibilité de mettre en cause
tater l’incapacité naturelle de l’institution judi- la responsabilité civile et disciplinaire d’un juge,
ciaire à y faire face, la tendance sociale peut être voire d’un collège de juges en raison du contenu ou
alors de vouloir engager la responsabilité de ce des conséquences de leur jugement.
juge qui se révèlera nécessairement décevant au C’est écarter l’application du principe universelle-
regard des miracles que certains attendent ment admis dans les États démocratiques de
aujourd’hui. La responsabilité du juge aura alors l’immunité juridictionnelle selon lequel ni l’acti-
un goût de lapidation pour l’opinion publique ». vité d’interprétation de la loi, ni l’activité d’évalua-
Quoi qu’en disent certains, le juge n’est pas un res- tion des faits et des preuves ne peuvent donner lieu
ponsabilisateur sans responsabilité. à la mise en cause de la responsabilité personnelle
Je signalerai brièvement, car ce n’est pas mon pro- du juge.
pos d’aujourd’hui, que le juge est responsable de Cette règle, Mesdames et Messieurs, ne résulte pas
ses actes pénalement, civilement et disciplinaire- d’une volonté de protection corporatiste, mais
ment. contribue à renforcer l’impartialité du juge dont la
– Il peut naturellement être poursuivi pénalement décision doit se déduire des faits qui lui sont expo-
s’il commet une infraction. Il ne bénéficiera sés ou de ceux qu’il a établis et des principes de
d’aucune mansuétude de la part de ses collègues, droit applicables sans être parasitée par la crainte
bien au contraire. des conséquences négatives qu’elle pourrait avoir
– Sa faute personnelle lourde engage la responsa- sur sa situation personnelle.
bilité de l’État qui est tenu de réparer le dommage La Charte européenne sur le statut des juges dis-
causé par le fonctionnement défectueux du service pose que « l’indépendance et la liberté de déci-
public de la justice, sauf à se retourner contre sion du juge doivent être préservées contre toute
l’auteur fautif par le moyen d’une action récur- pression indue y compris celles susceptibles de
soire. découler d’une menace de responsabilité. »
− Enfin, le juge qui a manqué aux devoirs de son À une époque où la mise en cause personnelle des
état, à l’honneur, à la délicatesse et à la dignité peut magistrats tend à constituer le préliminaire du
être poursuivi disciplinairement devant le Conseil débat judiciaire aussi bien civil que pénal avec la
supérieur de la Magistrature dont je rappelle qu’il multiplication des requêtes en récusation et en sus-
n’est pas un organe exclusivement corporatiste picion légitime et des plaintes avec constitution de
puisque composé certes pour partie de magistrats partie civile ou des citations directes devant les tri-
élus par leurs pairs mais aussi de membres élus par bunaux répressifs qui n’ont d’autre objet que de
le Conseil d’État ou nommés par des personnalités retarder l’échéance du procès et de tenter de dés-
titulaires de fonctions électives éminentes : prési- tabiliser le juge, ce principe lui permet d’exercer
dent de la République, président du Sénat et de sereinement son pouvoir d’appréciation.
l’Assemblée nationale. Ses audiences sont publi- Le Conseil supérieur de la Magistrature saisi disci-
ques et entre le 1er janvier 2000 et le 1er octobre plinairement a toujours refusé de porter une quel-
2005, une trentaine de magistrats ont comparu conque appréciation sur les actes juridictionnels
devant lui pour des manquements personnels à des juges, « lesquels relèvent du seul pouvoir de
DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006 GAZETTE DU PALAIS 27
ceux-ci et ne sauraient être critiqués que par au libre arbitre du condamné et à l’imprévisibilité
l’exercice des voies de recours prévues par la loi de son comportement.
ACTUALITÉ
en faveur des parties au litige », mais après l’affir- Elle implique de la part des personnels pénitenti-
mation solennelle du principe, il en a aussitôt tracé aires, des magistrats du parquet, du juge de l’appli-
les limites : « sauf lorsqu’il résulte de la chose défi- cation des peines, du tribunal collégial de l’appli-
nitivement jugée qu’un juge a, de façon gros- cation des peines une prise de risque, qui repose
G0542
sière et systématique, outrepassé sa compétence pour une grande part sur des éléments subjectifs
ou méconnu le cadre de sa saisine de sorte qu’il comme la volonté d’amendement du condamné.
n’a accompli, malgré les apparences, qu’un acte Elle constitue un pari raisonnable sur l’avenir fondé
étranger à toute activité juridictionnelle ». sur la capacité d’évolution favorable du bénéfi-
Cette limite me paraît singulièrement étroite et ris- ciaire. Son passé judiciaire est naturellement pris en
que d’être comprise comme une irresponsabilité de compte mais se limiter à ce seul aspect conduirait
fait confinant à une impunité qui n’est plus socia- à méconnaître l’esprit de la mesure et la volonté du
lement supportable. législateur.
Appliquée strictement, elle pourrait contribuer à La récidive, beaucoup moins fréquente qu’en cas de
dégrader l’image d’une institution dont la force « sortie sèche », constitue en quelque sorte un ris-
réside d’abord dans la confiance qu’elle doit inspi- que accepté en contrepartie des effets positifs atten-
rer. dus. Elle ne peut être imputée personnellement à
La question de la responsabilité personnelle du faute au décideur, d’autant moins que quand
magistrat pour des actes de sa juridiction est désor- celui-ci s’incarnait dans la personne du ministre
mais posée, tant au plan national qu’européen. Elle avant la loi du 15 juin 2000, la réparation par l’État
ne doit pas être éludée mais mérite une réponse des dommages causés aux tiers par des condam-
réfléchie et prudente au regard de l’importance des nés libérés n’était pas fondée sur la notion de faute
principes en cause, tant pour ce qui concerne la mais sur celle de risque spécial résultant des moda-
définition de la faute sanctionnable que de la pro- lités d’exécution des peines.
cédure et des modalités de la sanction afin d’éviter La stigmatisation personnelle du décideur fragilise-
les dérives et les règlements de compte. rait sa liberté d’appréciation et le conduirait à adop-
D’autant plus que les situations dans lesquelles la ter des solutions protectrices de ses intérêts aux
responsabilité personnelle du juge a été publique- dépens de l’intérêt général.
ment mise en cause en raison des dommages cau- Comme le dit très justement mon collègue Daniel
sés par sa décision ne résultent que très exception- Ludet, « une erreur d’appréciation ne peut cons-
nellement de fautes manifestes qu’un profession- tituer une faute que si elle est apparente ou déce-
nel normalement averti n’aurait pas commises, lable au moment de la décision ».
mais plutôt de la nature de l’intervention judiciaire Il faut également avoir toujours à l’esprit que les
et de la part d’aléa qu’elle implique. situations soumises à l’appréciation des juges des
Rendre la justice, Mesdames et Messieurs, n’est pas enfants, des juges aux affaires familiales, des juges
une science exacte. Elle ne s’applique pas à des des tutelles et plus spécialement en matière pénale,
objets mais à des situations humaines complexes et des magistrats du parquet, des juges d’instruction,
changeantes où les certitudes scientifiques sont voire des juridictions de jugement, ne sont pas
rares. figées.
L’exemple le plus caractéristique qui a donné lieu Une enquête, une instruction, un procès se dérou-
à des propos ministériels controversés est celui de lent pendant une période de temps au cours de
la récidive du condamné admis au bénéfice de la laquelle les positions des protagonistes évoluent au
libération conditionnelle. gré de leurs intérêts, de leurs pulsions, des influen-
La liberté conditionnelle est une institution ces qu’ils subissent. La vérité ou plutôt la vraisem-
ancienne dont l’efficacité dans la prévention de la blance judiciaire est variable et évolutive. Celle du
récidive est démontrée et dont l’application a été jour n’est pas celle de la veille, ni celle du lende-
encore très récemment encouragée par le législa- main.
teur par la loi du 9 mars 2004 qui énonce que l’indi- Elle se dégage progressivement des mensonges
vidualisation des peines doit chaque fois que cela intéressés des prévenus, de leurs déclarations fluc-
est possible permettre le retour progressif du tuantes et contradictoires, de leurs aveux et de leur
condamné à la liberté et éviter une remise en liberté rétractation, de la fragilité des témoignages et de la
sans aucune forme de suivi judiciaire. versatilité de leurs auteurs, des contradictions des
Quelles que soient les précautions prises dans le experts en particulier dans des affaires de mœurs,
respect scrupuleux des règles légales, la décision du intra-familiales où en l’absence de preuves scienti-
juge comporte une part inéluctable d’aléa inhérent fiques l’établissement des faits repose sur le seul
28 GAZETTE DU PALAIS DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006
témoignage des victimes et les dénégations des – l’exigence de motivation qui permet de constater
accusés. que le juge a bien examiné tous les arguments qui
La vérité judiciaire n’est définitivement établie que lui ont été exposés et de connaître les motifs qui
lors de la dernière étape du procès qui étymologi- l’ont convaincu ;
quement implique une marche en avant, un déve- – la collégialité qui organise la confrontation des
loppement, une progression. opinions au sein de la juridiction.
C’est celle retenue par la juridiction supérieure, la Cette lutte requiert également des moyens en per-
cour d’appel ou la cour d’assises d’appel, à laquelle sonnel en rapport avec le volume de notre activité.
s’attache l’autorité de la chose jugée qui ne peut Les progrès réalisés ces dix dernières années méri-
que très exceptionnellement être remise en cause. tent d’être poursuivis si nous voulons nous hisser
C’est pourquoi le respect de la présomption d’inno- au niveau de nos voisins immédiats alors que si l’on
cence doit conduire les juges à une utilisation par- rapporte l’effort consenti par la justice au niveau de
cimonieuse et très temporaire de la détention pro- vie du pays, la France n’arrive qu’au 23e rang en
visoire et les médias à manifester plus de mesure Europe.
dans leur présentation des faits et leur imputation. Mais des procédures et des moyens adaptés
Mais l’application de ces normes raisonnables seraient encore insuffisants s’ils n’étaient pas mis
requiert l’information, l’éducation puis l’adhésion en œuvre par des personnels guidés par une déon-
du corps social. Est-ce possible dans une société où tologie exigeante et plus encore, animés par un état
la préoccupation légitime de sécurité est devenue d’esprit caractérisé par la vigilance – « un juge
un enjeu majeur ? Où le discours politique habitué est un juge mort pour la justice » disait
emprunte de plus en plus au registre de l’émotion très justement le Premier président Pierre Drai –,
plutôt qu’à celui de la rationalité ? Où certains res- caractérisé par l’humilité c’est-à-dire par la cons-
ponsables semblent plus enclins à subir l’opinion cience de ses insuffisances et la prudence qui doit
ou à la flatter plutôt qu’à la guider ? en découler, par l’écoute, par l’attention prêtée aux
Ces exemples, Mesdames et Messieurs, montrent autres, bref par le respect et la considération dus à
combien il est délicat d’analyser une décision juri- ceux qui s’adressent à notre institution, qu’ils le fas-
dictionnelle sous l’angle de la faute personnelle de sent librement pour résoudre leurs difficultés per-
son auteur sans porter gravement atteinte à sa sonnelles ou qu’ils y soient contraints et quelles que
liberté d’appréciation qui est consubstantielle à la soient les turpitudes qui leurs sont reprochées.
fonction judiciaire. J’exclus naturellement les Telle doit être, mes chers collègues, la ligne de
défaillances professionnelles avérées qui méritent à conduite qui nous permettra de bénéficier de la
l’évidence d’être sanctionnées. confiance retrouvée de toutes les composantes du
Le risque d’erreur judiciaire n’est jamais exclu peuple français au nom duquel nous agissons.
même si dans la plupart des affaires pénales, les « Puisque la haine, la sottise, le délire ont des
prévenus ne discutent guère leur culpabilité de plus effets durables, je ne vois pas pourquoi la luci-
en plus souvent établie par des preuves scientifi- dité, la justice, la bienveillance n’auraient pas les
ques. leurs » fait dire Marguerite Yourcenar à l’Empe-
Ce risque est inhérent à la fonction de juger et la reur Hadrien.
lutte contre cette injustice majeure ne se résout évi- Et bien, Mesdames et Messieurs, c’est le vœu que
demment pas dans la mise en cause personnelle du je forme pour l’année qui s’ouvre.
juge. Mesdames et Messieurs,
Elle emprunte de nombreuses formes : Au nom des magistrats et fonctionnaires de la Cour,
D’abord : je vous remercie de nous avoir fait l’honneur et
– l’utilisation des voies de recours dont l’existence l’amitié d’assister à cette audience. Je vous pré-
même suffit à démontrer le caractère relatif de nos sente des vœux plus personnels pour 2006 pour
jugements ; vous-même et ceux qui vous sont chers.
– l’application du principe de la contradiction, c’est- La Cour donne acte à M. le Procureur général de
à-dire la libre discussion par les parties de la tota- ses réquisitions, constate qu’il a été satisfait aux
lité des éléments du dossier ; prescriptions légales et dit qu’il en sera dressé
– la publicité des débats afin que chacun puisse se procès-verbal.
forger une opinion personnelle sur la procédure L’audience solennelle est levée.
suivie comme sur le fond ;
Chronique bibliographique
G0713
Procédure pénale
G0713
3e ÉDITION
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