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Gazettedu Palais

TRI-HEBDOMADAIRE
D I M A N C H E 26 AU MAR DI 28 F EV R IER 2006 126 e an n ée N o 57 à 59

Jurisprudence
S O M M A I R E

PROCÉDURE CIVILE 10
Exécution provisoire – Exécution aux risques du poursuivant – Ordonnance
de référé – Obligation d’exécution – Infirmation de la décision – Réparation
du préjudice
Avis de M. le Premier avocat général Régis de Gouttes sous Cass. ass. plén., 24 février 2006

Actualité 18
RENTRÉE DE LA COUR D’APPEL DE LYON (3 JANVIER 2006)

Chronique
bibliographique 30
Procédure pénale, de Serge Guinchard et Jacques Buisson
par Jean-Philippe Duhamel

LYON : ENTRETIEN AVEC


PIERRE VITTAZ,
JEAN-OLIVIER VIOUT
ET ADRIEN-CHARLES DANA

Propos recueillis par Éric Bonnet


p. 2

RENDEZ-VOUS
LES ENTRETIENS DU PALAIS
Rencontres avocats-magistrats
organisées par la Gazette du Palais

Lyon, 10 et 11 mars 2006

JOURNAL SPÉCIAL DES SOCIÉTÉS FRANÇAISES PAR ACTIONS


CETTE PUBLICATION COMPORTE 3 CAHIERS :
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Entretien avec Pierre Vittaz, Jean-Olivier Viout
et Adrien-Charles Dana
INTERVIEW

G0687
L e Premier président de la Cour d’appel de
Lyon Pierre Vittaz, le Procureur général Jean-
absolument nécessaire que nous nous rencontrions,
que nous discutions et que nous élaborions ensem-
Olivier Viout et le Bâtonnier de Lyon Adrien- ble un certain nombre de règles communes. C’est
Charles Dana, qui accueillent les 10 et 11 mars ce que nous avons fait à Lyon assez récemment, et
prochains la 3e édition des « Entretiens du Palais » ce à deux reprises. Nous avons notamment eu la
réunissant avocats et magistrats pour débattre de chance de bénéficier de renforts pour dynamiser
l’actualité législative et jurisprudentielle récente, notre Chambre sociale, notre Chambre des affaires
nous livrent leur analyse des relations qu’entre- familiales, et pour que l’opération réussisse, il fal-
tiennent les deux professions à l’aune de leur pra- lait naturellement que les Barreaux soient parties
tique locale (v. également le compte-rendu de la prenantes et fassent un effort pour arriver à mettre
Rentrée solennelle de la Cour d’appel de Lyon, les affaires en état en temps utile. Nous avons donc
infra, p. 18). négocié avec les membres des Barreaux un proto-
Gazette du Palais : Si l’idée qu’avocats et magis- cole de procédure relatif à l’instruction des affaires
trats se rapprochent pour travailler ensemble à en matière sociale, et nous venons d’en conclure un
une justice de meilleure qualité est dans l’air du second qui anticipe le décret de procédure du
temps, il semble de façon paradoxale que cette 28 décembre 2005. Il s’agit d’un protocole qui
tendance fasse ressortir leurs différences, notam- concerne une chambre civile et une chambre com-
ment culturelles. Qu’en pensez-vous ? merciale. Nous avons également élaboré en com-
Pierre Vittaz : Je considère au contraire que nous mun un document diffusé à l’ensemble des avo-
avons une culture commune. D’une part parce que cats du ressort, le Guide de l’audience interactive :
nous sommes formés dans les mêmes Universités, c’est le rappel d’un certain nombre de principes, en
et d’autre part parce que nous sommes attachés aux quelque sorte un code de bonne conduite, que nous
mêmes valeurs. Je n’ai personnellement jamais ren- devons respecter les uns et les autres pour que les
contré de difficultés à dialoguer avec des avocats. audiences se déroulent dans de bonnes conditions.
On ne peut rien construire ni modifier d’utile dans Nous avons toujours considéré à Lyon que les avo-
notre activité sans l’adhésion du Barreau. Il est donc cats étaient nos interlocuteurs privilégiés et nous

Photos : Angel Sanhueza / Le Tout Lyon

De gauche à droite : le Procureur général Viout, le Premier président Vittaz et le Bâtonnier Dana

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avons la chance d’avoir eu des Bâtonniers et des
membres du Conseil de l’Ordre très ouverts à la dis-
cussion. Il me semble indéniable que nous avons
une culture commune.
Jean-Olivier Viout : Je me situe pour ma part aux
antipodes de ceux qui estiment qu’il existe entre
nous une différence de culture. Je pense comme le
Premier président Vittaz que nous avons réelle-
ment une culture commune. Être au service de la
justice ne peut pas relever de deux cultures diffé-
rentes. Le service de la justice est l’approche la plus
loyale possible d’une vérité judiciaire pour faire
appliquer la loi. Et dans la prévalence de la loi, qui
est quand même notre objectif commun, il me
paraît difficile d’imaginer que l’on puisse servir cet
objectif avec une culture différente. Chacun de nous
a évidemment des fonctions différentes : l’avocat
défend des parties, le ministère public engage et
soutient l’action publique, le juge tranche impar-
tialement le litige... Cela ne veut pas dire que parce
Pierre Vittaz
que nous occupons des fonctions différentes avec
des finalités différentes, il devrait en résulter une
différence de culture. Je le pense vraiment très pro-
fondément. C’est au contraire ce terreau commun beaucoup sur les trottoirs autour du palais. Et d’une
qui est la garantie de la qualité de la justice. façon générale, il y a une bonne ambiance lors de
Adrien-Charles Dana : Il y a là à l’évidence plus nos rencontres entre avocats et magistrats de la
qu’un consensus : une unanimité. Il faut parler de Cour, comme vous avez pu le constater. Nous avons
nécessaire complémentarité. Nous avons des mis- également des réunions périodiques avocats-
sions communes et un maître commun : la règle de magistrats et parquet, tous les deux mois. Ce sont
droit, la loi. Et c’est comme cela que les choses des solutions de substitution à une véritable salle
fonctionnent. Pour utiliser une image aéronauti- des pas perdus où l’on apprendrait à connaître
que, les deux ailes d’un avion doivent être porteu- l’autre et à avoir un certain nombre de comporte-
ses. Quand une ne l’est pas, l’avion part en vrille ; ments communs, salle qui nous fait actuellement
et le dérapage judiciaire est une sorte de vrille parce défaut.
qu’il intervient lorsqu’il n’y a pas eu mise en har- P. V. : C’est vrai. J’ai connu la salle des pas perdus
monie des deux ailes porteuses de la justice, c’est- du palais de justice historique lorsque le Tribunal
à-dire les magistrats et le ministère public d’une était encore ici. C’était alors un lieu de convivialité
part, et les avocats d’autre part. Sans la conviction extraordinaire, notamment aux heures de début des
des magistrats et du parquet de manière générale, audiences. Tout cela a bien évidemment disparu car
quel serait notre rôle ? On parlerait dans le vide. le public vient peu à la Cour. Les avocats ne font
L’œuvre de justice est commune, ce d’autant que que passer et ont hâte de rejoindre leur cabinet, qui
dans la carlingue de l’avion, il y a des justiciables ! n’est plus situé dans l’environnement proche de ce
G. P. : Aujourd’hui, dans les grandes juridictions, palais mais le plus souvent dans le quartier de la
les salles des pas perdus disparaissent, avec ce Part-Dieu. Ce phénomène de vie collective a dis-
qu’elles apportaient de convivialité, notamment paru. C’est pour cela qu’il faut créer d’autres occa-
dans les relations avocats-magistrats. Qu’en est-il sions de se rencontrer.
à Lyon ? A.-C. D. : Depuis mon élection au dauphinat, j’ai en
A.-C. D. : Nous avons la chance d’avoir conservé à tête un projet immobilier visant à transformer les
la Cour d’appel de Lyon une salle des pas perdus. actuels locaux de l’Ordre des avocats en Maison des
Même si elle n’est pas de dimension satisfaisante avocats. Et à ceux qui me demandent quels sont
ni très conviviale, quand on s’y retrouve, c’est une mes impératifs, je réponds : la proximité visuelle du
réminiscence du passé. Dans le même esprit, je Palais, pour que les confrères viennent à ce qui sera
tiens également à indiquer qu’un samedi par mois, la Maison de l’avocat. Il y a un réel besoin de ren-
j’ai institué une opération « portes ouvertes » afin contre entres les jeunes, les moins jeunes, les civi-
que les confrères puissent venir me voir sans listes, les pénalistes, tout ce qui fait une société
rendez-vous. Nous avons besoin de ces rencon- vivante. On s’enrichit des contacts avec les autres,
tres. D’ailleurs nous nous rencontrons également avocats et bien sûr magistrats, aussi.

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P. V. : Ceci dit, si nous avons des contacts avec les
membres du Conseil de l’Ordre et le Bâtonnier, je
INTERVIEW

ne suis pas certain qu’il y ait beaucoup de contacts


entre les magistrats de première instance et les avo-
cats. Je ne pense pas que la cafeteria du Palais de
Justice soit un lieu de rencontre. Je le regrette un
G0687
peu car il est intéressant que les gens se rencon-
trent et échangent. Cela permet d’écarter beau-
coup de malentendus.
A.-C. D. : Qu’est-ce que ce serait si nous en venions
à la plaidoirie interactive par visioconférence...
G. P. : Une nouvelle approche « qualitative » de
la justice fait aujourd’hui – comme l’illustre le
décret de procédure du 28 décembre dernier – une
large place à l’interaction entre avocats et magis-
trats au stade tant de la mise en état que des
plaidoiries. Que vous inspire cette évolution à
l’aune notamment des initiatives prises au plan
local ?
Adrien-Charles Dana
P. V. : Beaucoup d’idées étaient déjà dans l’air du
temps depuis longtemps et avaient été dévelop-
pées par la conférence des premiers présidents, tel-
les que le dépôt des pièces préalablement à pour nous réunir et essayer de bâtir ensemble un
l’audience, le rapport et les plaidoiries interacti- protocole. Nous avons aussi été aidés parce que le
ves... Mais il fallait que l’on « passe à l’acte » et nous décret de procédure du 28 décembre dernier – dont
avons effectivement saisi une opportunité qui s’est nous allons beaucoup discuter lors des Entretiens
présentée à l’initiative du Barreau de Lyon qui réflé- du Palais – était déjà en préparation et que nous en
chissait de son côté à la perte de temps qu’occa- connaissions en partie le contenu. Nous avons donc
sionnaient les attentes aux audiences. C’est à par- élaboré, en commun avec les sept Barreaux du res-
tir du questionnaire diffusé par le Conseil de l’Ordre sort, ce protocole de procédure, puis nous nous
aux avocats que l’on s’est aperçu qu’il y avait fina- sommes aperçus que ce changement de méthode
lement au sein du Barreau un consensus pour suscitait parfois des tensions, notamment au
modifier les pratiques. Jusqu’à présent, cela n’était moment des audiences, avec des avocats qui se
pas le cas. Nous avons donc saisi cette opportunité sentaient frustrés de n’avoir pas pu s’exprimer
comme ils le souhaitaient et des magistrats assez
mécontents d’avoir fait des rapports, d’avoir effec-
tué un travail de synthèse puis de s’apercevoir que
l’avocat reprenait intégralement ce qui venait d’être
exposé. Nous nous sommes à nouveau réunis et
avons élaboré ce guide de l’audience interactive, qui
formule un certain nombre de préconisations. Son
intérêt réside dans le fait que nous avons travaillé
ensemble avec des délégués de tous les Barreaux du
ressort. Nous disposons donc maintenant d’un texte
approuvé par tous. Il s’agit d’une collaboration vrai-
ment approfondie qui s’est également déroulée en
association avec les avoués.
A-C. D. : Nous avons eu les mêmes besoins et les
mêmes réticences quasi-simultanément. Les cho-
ses progressent considérablement. Encore une fois,
je n’ai perçu aucune réticence dans sa mise en
place. L’institution est harmonieuse. Il faut laisser
parfois à chacun la possibilité d’être ce qu’il est.
G. P. : La contractualisation semble être l’un des
maîtres mots de l’évolution récente de la procé-
Jean-Olivier Viout dure ; c’est le cas de la procédure civile avec les
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contrats de procédure, mais surtout de la procé- chette de peines », car si le juge refusait la plupart
dure pénale avec la CRPC... des homologations qui lui étaient demandées,
J.-O. V. : La contractualisation de la réponse pénale l’intérêt du recours à la CRPC, en terme de célérité
tend à l’adhésion de l’auteur d’une infraction à la de la réponse pénale, disparaîtrait totalement.
sanction que la collectivité estime devoir donner en P. V. : La CRPC s’est mise en place progressive-
retour. Cela dépasse donc le simple problème de la ment mais dans certaines juridictions elle a pris une
défense et le cadre de l’intervention de l’avocat. ampleur considérable avec des peines d’emprison-
Qu’il s’agisse de la composition pénale ou de la nement fermes qui sont prononcées alors que ce
comparution sur reconnaissance préalable de cul- n’est pas le cas partout.
pabilité, il est sûr que nous assistons aujourd’hui à J.-O. V. : Si l’on prend l’exemple du Tribunal de
une évolution considérable de la façon dont nous grande instance de Bourg-en-Bresse, qui est une
appréhendons l’exercice de l’action publique. Nous juridiction sinistrée au niveau des flux, il y a eu 597
assistons à l’émergence d’une justice pénale qui CRPC en 2005, allégeant la charge potentielle de sa
s’impose moins qu’elle n’essaye de se faire accep- chambre correctionnelle de plus de 23 %, celle-ci
ter. Il est certain qu’aujourd’hui nous avons un ayant totalisé 1.936 décisions rendues au cours de
contentieux pénal de plus en plus important qui est l’année.
évacué par le recours à la composition pénale et à
A.-C. D. : Ce qui me paraît intéressant s’agissant de
la CRPC. Tout cela exige bien sûr la collaboration
la CRPC, c’est que l’on parle de justice d’adhésion.
du Barreau car la procédure de CRPC impose la
Au Québec, on parle depuis longtemps du « par-
présence de l’avocat, ce qui du reste n’est pas sim-
don judiciaire ». Le pardon est une rencontre et
ple lorsque l’auteur de l’infraction n’est pas assisté,
c’est une façon d’admettre, d’adhérer effective-
parce qu’il n’a pas droit à l’aide juridictionnelle et
ment. Nous avons au sein du Barreau de Lyon une
qu’il ne veut pas payer d’avocat. Il reconnaît
commission pénale extrêmement vigilante : ce sont
l’infraction, déclare que la peine qui lui est propo-
de véritables vigies du pénal. Je n’ai eu à connaître
sée le satisfait, mais se voit répondre : « Ce n’est pas
d’aucune plainte une fois passée la période que M.
possible ; vous ne pouvez comparaître devant le
le Premier président qualifiait de « période de
juge de l’homologation car vous devez être assisté
rodage ». Les relations avec le parquet jouent un
d’un avocat, les textes imposant la présence de
rôle énorme. Il n’y a pas de problème dans le fonc-
celui-ci ». Je suis très heureux de constater que les
tionnement de la CRPC, dans son principe comme
Barreaux du ressort de la Cour d’appel de Lyon ont
dans ses modalités. Pour le reste, on ne va pas
parfaitement adhéré à la CRPC. Nous ne sommes
entrer dans des cas spécifiques, pas plus que dans
pas montés en puissance du jour au lendemain,
la personnalité de chacun. La mécanique institu-
nous avons fait l’apprentissage de la CRPC pour des
tionnelle fonctionne et nous travaillons pour l’ins-
infractions peu graves, celles pour lesquelles on ne
titution. S’il y avait un problème, nous le ferions
requérait pas de peines d’emprisonnement ferme.
savoir. Le Premier président et le Procureur géné-
Les choses évoluent parce que les avocats ont perçu
ral savent qu’il n’y a pas de refoulement dans la
que nous étions à l’écoute. Entre les débats à l’amé-
transparence : les choses sont dites « bugne à
ricaine où il y a un véritable marchandage, et le dik-
bugne » comme on dit à Lyon. Ce qui est dit ne
tat d’un magistrat du parquet qui, sans rien écou-
peut pas être mal entendu. Nous éclaircissons les
ter, impose une peine, il y a, à mon sens, un juste
choses. Il n’y a pas de problème pour le Barreau de
milieu. Dans le plaider coupable à la française,
Lyon.
l’intéressé confirme sa reconnaissance de l’infrac-
tion puis l’avocat peut exposer la situation, ne P. V. : La mise en place de la CRPC est en effet un
serait-ce que les ressources financières de son bel exemple de collaboration, comme l’avait été
client. Si l’on parle de suspension de permis de celle des audiences de comparution immédiate, qui
conduire par exemple, il peut y avoir des sujétions avait suscité beaucoup d’appréhension de la part du
particulières d’un client par rapport à son travail Barreau de Lyon et qui finalement se sont révélées
qu’il est utile au magistrat du ministère public de très utiles pour juger sans délais des affaires sim-
connaître. Il y a donc une écoute, c’est-à-dire ples dans des conditions convenables et accepta-
qu’avant de s’arrêter sur une peine, le procureur bles par tous.
écoute le prévenu. Ce n’est pas une espèce de plea A.-C. D. : J’ai même le souvenir que le Bâtonnier
bargaining, de discussion à l’américaine mais ce Jeantet a assisté à la première audience de CRPC en
n’est pas non plus la notification administrative et novembre 2004. Nous n’avons pas voulu passer par
hautaine d’une décision du parquet. Cette procé- la presse, nous avons préféré nous pencher sur le
dure s’est parfaitement mise en place et fonctionnement et les rouages de la CRPC en
aujourd’hui ; toutes les juridictions du ressort y interne. Et puis nous sommes des enfants de la
adhèrent. Il doit exister bien sûr une discussion République. Quand une loi est adoptée, c’est la loi
préalable entre le parquet et le juge sur une « four- de la République. On l’applique et on essaye de la
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faire évoluer. Les exemples récents montrent que contre-exemple est l’affaire du Pic de Bure à la Cour
c’est faisable. Mais la loi de la République, c’est la d’appel de Grenoble : nous avons demandé, pour
INTERVIEW

loi de tous. gagner un peu de temps, la limitation du temps de


G. P. : Le rapport Magendie avait préconisé une parole mais le président a dit qu’il n’en était pas
rationalisation de l’audience pénale, ce qui en question : « Plaidez le temps que vous voulez mais
l’état n’est pas suivi d’effet. Pour quelles rai- soyez raisonnables ». Mais nous ne gérons, comme
G0687 sons ? avocats, qu’un ou deux dossiers, là où le parquet
J.-O. V. : Il s’agit d’un réel problème. L’audience gère toute une audience... Le problème n’est tou-
pénale est très difficilement aménageable. On peut tefois pas, me semble-t-il - et je parle sous le
maintenant citer des témoins même devant la Cour contrôle de M. le Premier président - spécifique-
d’appel. La Cour d’assises, n’en parlons pas. Il n’est ment pénal.
pas rare que des demandes d’auditions de plu- P. V. : En matière civile, nous sommes aidés par la
sieurs témoins soient formulées dans la semaine mise en état puisque dorénavant, en application du
précédant l’audience. Nous essayons à Lyon, depuis protocole que nous évoquions à l’instant, au
plusieurs années maintenant, lorsqu’une audience moment de la clôture de la mise en état, les avo-
va s’étendre sur plusieurs jours, d’établir un plan cats, par l’intermédiaire des avoués, doivent nous
d’audience communiqué à toutes les parties. Nous indiquer s’ils vont déposer leurs dossiers, s’ils vont
tentons donc de faire du prévisionnel mais si cela donner de courtes explications ou s’ils veulent plai-
s’avère extrêmement difficile. En matière correc- der, et dans ce cas, ils doivent nous renseigner sur
tionnelle, j’avoue que les avocats lyonnais sont loin le temps de plaidoirie envisagé, ce qui permet
d’abuser de la citation à témoin. Mais les débats d’organiser l’audience. Il n’y a pas, il est vrai, de
prennent aujourd’hui une ampleur beaucoup plus mise en état en matière pénale... mais elle ne me
grande qu’autrefois. Une première explication parait pas impossible à organiser, au moins pour
réside dans la régression notable des procédures certaines audiences et certains types d’affaires.
par défaut due à la généralisation de la convoca-
tion par officier de police judiciaire. Les prévenus A.-C. D. : Vous parlez de contractualisation comme
comparaissent donc en personne beaucoup plus s’il s’agissait d’une obsession. En fait, c’est une
fréquemment qu’autrefois. La plupart sont assistés rationalisation dont les modalités importent peu
d’avocats et attendent naturellement de ces der- dès lors que cela se situe dans la gestion des inté-
niers un minimum de plaidoirie. Et il est certain rêts de tous. Contractualisation, imposition, négo-
que l’oralité des débats au pénal est quelque chose ciation, certes, mais également rationalisation. Je
d’important. Nous allons essayer cette année de pense que cela répond à notre besoin.
proposer aux chambres correctionnelles le décou- P. V. : La rationalisation qui fonctionne est celle qui
page des audiences en deux tranches horaires. C’est est acceptée par les parties. C’est évident. Sinon on
une avancée modeste mais qui impose beaucoup
de discipline car si un avocat a une affaire à 13 h
30 et une autre à 17 h 00, il ne pourra voir évoquer
ses deux affaires l’une après l’autre. Vous avez éga-
lement le problème des nombreux avocats exté-
rieurs qui interviennent à la Cour d’appel de Lyon
et qui font part de contraintes d’horaires de trans-
port. Tout cela est très difficile mais ne doit pas
nous faire renoncer. Je voyais récemment des vic-
times d’accidents de la circulation routière, des
familles avec des jeunes enfants qui, arrivées au
Palais à 13 heures 30 n’ont vu leur affaire évoquée
qu’à 18 heures. Nous avons le devoir de ne pas lais-
ser perdurer de telles situations.
A.-C. D. : J’ai personnellement vécu deux expérien-
ces sur ce point : le dossier du tunnel du Mont-
Blanc au cours duquel la défense a plaidé pendant
une semaine à raison de 45 minutes à 1 heure par
avocat, jamais plus, et nous avons tenu le cap dans
une affaire extrêmement lourde, qui aurait appelé
quand même un peu plus de souplesse. Mais la
nécessité d’organiser l’audience a primé et cela a
fonctionné sans poser le moindre problème. Le Le Premier président Vittaz et le Bâtonnier Dana

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ne peut pas imposer de limites à la durée des plai- dossier, pose les bonnes questions et éventuelle-
doiries. ment les interroge, ils n’exigent pas de leur avocat
G. P. : Vous évoquiez le procès de la catastrophe de longues explications. L’avocat peut très bien leur
du Tunnel du Mont-Blanc à Bonneville. Il y avait dire : « Vous voyez, le juge connaît bien le dos-
là manifestement une volonté d’en faire une sier. Je suis donc allé à l’essentiel ».
« vitrine » de l’adaptation de la justice à un pro- A.-C. D. : Je peux vous assurer que souvent les
cès hors normes, notamment de part ses impli- clients demandent si le juge a bien vu le dossier
cations internationales... avant. C’est une question de confiance. Alors que
A.-C. D. : Pour le ministère de la Justice peut-être, là, Saint-Thomas est parmi nous ! Il connaît le dos-
en tout cas pas pour la défense. Nous ne voulions sier. Il le connaît sur le plan juridique, sur la rela-
pas de vitrine du tout. Il fallait faire notre travail tion des faits, les écritures échangées...
tout simplement, et il fallait le faire dans le cadre J.-O. V. : Au pénal le problème est un peu différent
de cette organisation globale. L’effet « vitrine » nous car la parole doit être portée à l’audience publi-
était indifférent. Il était unilatéral dans cette affaire. que. Le ministère public doit faire comprendre le
J.-O. V. : L’affaire du tunnel du Mont-Blanc est pourquoi d’une réquisition. Se lever, demander une
l’affaire hors norme, où l’on gère une seule procé- peine puis se rasseoir sans autre explication, n’est
dure exceptionnelle. Notre problème quotidien, pas admissible. Il ne s’agit pas de discourir durant
c’est de gérer au cours d’une même audience des heures mais de faire comprendre la logique
d’appel 7, 8 ou 10 procédures, de dimensions, de d’une réquisition. Tout d’abord, les points impor-
complexité et de tonalité différentes. C’est là que tants qui fondent une accusation ; ensuite les élé-
réside toute la difficulté. ments pouvant justifier le bien fondé de la sanc-
G. P. : L’une des conséquences de l’approche tion que l’on requiert. Si les gens ne comprennent
« qualitative » de la procédure que nous évo- pas la logique d’une réquisition, si la défense ne
quions est la prééminence de l’écrit sur l’oralité. peut même pas combattre une réquisition parce
Quelles réflexions ce constat vous inspire-t-il au qu’elle ignore sa motivation, cela n’a pas de sens.
regard notamment de la tenue des audiences, de Il faut certes être le plus synthétique possible, mais
l’éloquence, de la symbolique de la justice ? il y a un minimum de parole à tenir, avec un mini-
mum de forme. L’audience avec distribution de pei-
A.-C. D. : Je suis personnellement très attaché aux
nes, en forme de presse boutons, où l’on évacue des
symboles. Ce n’est pas auprès des professionnels
dossiers avec un empressement fébrile, dans une
que l’image doit être considérée, c’est au niveau du
caricature de débat judiciaire, c’est déplorable...
justiciable. Si celui-ci a le sentiment, quelles que
soient les modalités, que son dossier a été exa- A.-C. D. : C’est la symbolique de la justice pénale,
miné, que le juge le connaît, que son avocat peut c’est-à-dire qu’il y a une dimension relative au titre ;
s’exprimer sur des questions importantes, que le sinon de l’exemplarité, du moins de la pédagogie.
respect mutuel à l’audience est accordé, ce qui est Je reviens d’audiences auxquelles des élèves assis-
d’ailleurs conforme à la définition du procès équi- taient ; on ne peut plus plaider de la même façon.
table, il aura l’impression d’avoir été bien jugé. Il y a des oreilles jeunes qui nous écoutent. La sym-
Cette image doit donc pouvoir être sauvegardée si bolique de la parole et le message au pénal n’ont
on évite les longueurs qui provoquent l’énerve- rien à voir avec le civil.
ment et l’intervention du magistrat. Il y a peut-être J.-O. V. : C’est pour cela qu’il faut réserver
davantage de sérénité même s’il y a apparemment aujourd’hui l’audience pénale aux affaires où la
moins de solennité. Je pense sincèrement que parole est absolument nécessaire, où le débat judi-
l’image de la justice réside dans le sérieux de l’exa- ciaire est incontournable. À défaut, il existe l’ordon-
men d’un dossier pour le justiciable. Nous connais- nance pénale, la composition pénale, la CRPC... Il
sons les ficelles. Nous sommes entre profession- faut utiliser au maximum ces procédures pour ne
nels. Surtout quand le justiciable est présent, en réserver l’audience correctionnelle qu’aux affaires
matière pénale, en matière sociale, en matière de qui exigent vraiment l’échange de paroles.
droit des personnes. En droit des affaires, c’est un P. V. : Il faut se souvenir quand même de ce
peu plus anonyme... qu’étaient les audiences correctionnelles de fla-
P. V. : Il faut bien distinguer le pénal du civil. Au grant délit, notamment lorsque nous avons débuté
civil, c’est d’abord les écritures qui nous lient. Mais dans ce métier. Tout cela est maintenant traité dif-
c’est vrai qu’il est ressorti de l’apport des avocats à féremment. Il est vrai qu’arrivent à l’audience des
nos discussions un point important : ils ont été una- affaires qui méritent une publicité des débats. Et là
nimes à dire que leurs clients étaient surtout sen- nous pouvons à nouveau instituer une certaine
sibles à la perception qu’ils avaient de la connais- solennité, à condition que chacun des acteurs joue
sance de leur dossier par le juge. À partir du son rôle : que le ministère public joue le sien, tout
moment où ils s’aperçoivent que le juge connaît le comme l’avocat.
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A.-C. D. : Le droit n’est pas insensible à la relation ment cette mission fondamentale. Pensez aux trois
du quantitatif et du qualitatif. Une petite manifes- malheureux magistrats de la chambre de l’instruc-
INTERVIEW

tation d’un phénomène n’est pas traitée de la tion de Lyon qui ont rendu l’an dernier 1.908 déci-
même façon que le même phénomène lorsqu’il sions. Peut-on sérieusement exiger de ces juridic-
devient qualitativement important. Il y a des exem- tions l’examen en profondeur de dossiers volumi-
ples qui relèvent du droit pénal de fond, pas seu- neux, souvent complexes, de plusieurs centaines de
G0687
lement d’une pure gestion procédurale. C’est de la cotes, quand on sait qu’elles doivent faire face à des
sociologie. On gère quand même une société..., délais souvent restreints ? Il faut, je le répète, qu’il
donc un phénomène de masse. y ait un réexamen des effectifs des chambres de
G. P. : Difficile de ne pas évoquer ces temps-ci le l’instruction. Et puis se pose la question de savoir
naufrage judiciaire de l’affaire d’Outreau. L’ins- s’il ne faudrait pas prévoir des étapes de contrôle
titution pourra-t-elle s’en remettre ? systématique dans les procédures d’instruction
ayant conduit à des détentions provisoires dépas-
A.-C. D. : Bien sûr ! C’est peut-être même une occa-
sant un semestre. La chambre de l’instruction, en
sion de renouveau, de réflexion, d’humilité. J’ai
dehors de toute espèce de contentieux, prendrait la
cette conviction. Pardonnez-moi, c’est un cri du
responsabilité collégiale, à l’issue d’une audience
cœur. Qui ne dérape pas ? Qui ne connaît pas de publique et contradictoire, de statuer sur le bien
catastrophes ? Qui n’a pas de graves maladies ? On fondé de la prolongation de la détention provi-
apprend davantage de ces choses là. Je dirais qu’il soire.
s’agit d’un « traumatisme salvateur ».
A.-C. D. : Je n’aurai pas une voix discordante, mais
P. V. : C’est une affaire qui nous a tous traumati- vous dites que vous ne sortirez pas indemne. Le
sés. Mais on oublie quand même de dire que « nous » nous englobe, englobe tout ceux qui contri-
l’appel, qui n’existait pas aux assises il y a peu, a buent à l’œuvre de justice, et pas seulement les
joué son rôle, et l’audience publique également. Ce magistrats. Mais si ne pas sortir indemne signifie
que l’on peut regretter bien évidemment c’est que également changer un certain nombre de choses,
tout cela soit intervenu trop tardivement. Mais on alors bienvenue à ce changement ! Et tant mieux
retrouve surtout le problème de la détention pré- pour ce traumatisme. Vous dites que si l’on ne pose
ventive. Reste à savoir les leçons qui vont en être pas de questions, l’on est jugé irresponsable. L’autre
tirées, non pas par nous, mais par le législateur et jour, je citais Confucius qui disait : « Je ne peux rien
par la Commission qui va rendre un avis, vraisem- pour celui qui ne se pose pas de questions car
blablement au mois de juin... sans questions, on n’a pas de réponse ». Et si l’on
J.-O. V. : Je crois que l’on ne sortira pas indemne ne se pose pas de questions, c’est que l’on est satis-
de l’affaire d’Outreau. Une institution doit forcé- fait de soi-même, d’où l’humilité. Cela va changer
ment se poser des questions après une telle affaire. nécessairement quelque chose. J’ai un projet d’édi-
Nous serions tous des irresponsables si, sans torial intitulé « Outreau au quotidien » : il y a tous
concession, on ne se posait pas de questions. C’est les jours des dérapages. C’est l’ampleur de l’affaire
le premier point. Le deuxième point, c’est l’inquié- d’Outreau qui pose problème mais nous avons sou-
tude que l’on éprouve lorsque l’émotionnel prend vent l’impression que l’on va de dérapages en déra-
le pas sur la réflexion sereine. On fait apparaître les pages, de confirmations en confirmations. Ce qui
magistrats comme des gens totalement irresponsa- est important, c’est de ne pas toucher au principe
bles. Nous serions au-dessus des lois, nous serions même de l’instruction. Je crois que des chiffres
affranchis de toute responsabilité. Il faut expliquer avaient été donnés pour la Rentrée solennelle : il y
que s’il y a des juridictions d’appel c’est parce que a eu 652 saisines du JLD et 9 % des décisions n’ont
le juge ne fait pas serment d’infaillibilité lorsqu’il pas abouti à une mise en détention. Si une réforme
rentre en fonctions. Bien évidemment, si le mal jugé d’une ampleur comme celle-ci doit aboutir à 9 %
résulte d’une désinvolture, de négligences éviden- du résultat, je dirais - pardonnez moi ce raccourci
tes de la part du juge, celui-ci peut voir sa respon- - que l’investissement n’est pas rentable. Ce n’est
sabilité engagée. Il faut expliquer tout cela mais donc pas seulement une question de modification
aujourd’hui, nous nous situons, je le répète, dans de l’institution. C’est une modification de compor-
un débat totalement irrationnel concernant la res- tement, d’état d’esprit, de relation avec l’avocat. Il
ponsabilité du juge. Certains, d’autre part, pensent faut se poser des questions. Et je pense que de ce
avoir trouvé, en matière pénale, l’ultime espoir et côté-là, encore une fois, le traumatisme sera béné-
le suprême remède dans la suppression du juge fique. On l’acceptera plus facilement. J’ai le souve-
d’instruction... Les choses ne se résoudront pas par nir qu’en 1993, à une époque où on avait introduit
cette problématique binaire. L’effectivité du le contradictoire avant de faire marche arrière,
contrôle de l’instruction par les chambres de l’ins- j’avais demandé dans deux ou trois affaires des
truction exige leur « reformatage » en moyens expertises que je ne pouvais pas demander avant.
humains, afin de leur permettre d’assurer pleine- Elles avaient été pratiquées. Elles avaient boule-
8 GAZETTE DU PALAIS DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006
versé la donne du dossier, parce que tout simple- co-signée. Deux juges prennent leurs responsabili-
ment on avait écouté la défense. L’échange, l’humi- tés au niveau du non lieu ou du renvoi devant la
lité, l’acceptation de se dire : « Après tout, pour- juridiction de jugement, et en cas de désaccord,
quoi pas ? », peuvent être tout à fait bénéfiques. c’est la chambre de l’instruction qui tranche.
P. V. : Quelle va être l’ampleur des réformes ? A.-C. D. : Ce que vous dites rejoint l’argument
Qu’est-ce qui est possible compte tenu du calen- avancé pour justifier le rapprochement des avocats
drier parlementaire ? Certaines des réformes qui dans les structures d’exercice, qui consiste à dire
sont préconisées pourront se réaliser, à supposer que lorsque l’on est plusieurs dans un cabinet, on
que l’on nous donne des effectifs pour pouvoir les appelle le voisin, le supérieur ou le copain et on lui
mettre en œuvre. Il y a dans cette Cour 27 cabinets fait part de ses hésitations. À plusieurs, on est plus
d’instruction qui ont en charge plusieurs milliers intelligent. À condition de respecter les principes et
d’affaires. Or, nous n’avons que trois magistrats à de garder l’esprit ouvert au dialogue.
la chambre de l’instruction ! Il faudrait doubler ces
effectifs ainsi que ceux du greffe. Or je ne suis pas P. V. : Le fil rouge de tout cela, qu’on le veille ou
persuadé que nous aurons ce doublement rapide- non, est quand même politique car on en revient
ment. C’est la limite de toute réforme. Il y a à éga- toujours au problème des moyens d’investigation et
lement des réformes beaucoup plus ambitieuses, du nombre de juges. J’ai suivi comme vous une par-
qu’évoquent notamment Daniel Soulez-Larivière ou tie des débats de la Commission parlementaire à la
encore Mireille Delmas-Marty, qui impliquent une télévision : il y a eu beaucoup de manquements au
modification en profondeur de nos institutions. Je cours des investigations des gendarmes qui n’ont
ne pense pas que l’on soit actuellement mûrs pour notamment pas pu procéder à des enregistre-
ce type de réforme. ments...
A.-C. D. : S’il était avéré que le juge d’instruction se J.-O. V. : La loi de 1998 ne donne pas la faculté mais
présentait comme le bon dieu sur terre, en dou- impose l’enregistrement ; c’est une obligation salu-
blant les juges on aurait doublé le risque d’avoir ce taire. Il est capital d’enregistrer la déposition du
phénomène. Ce n’est pas la quantité qui règle le mineur plaignant pour voir comment celui-ci
problème. Il y a la matière humaine, la façon de exprime sa plainte sur le plan comportemental et
gérer un dossier. Ce n’est pas le nombre qui est la de la parole. Encore faut-il régler les insuffisances
solution. techniques ou matérielles qui peuvent encore être
P. V. : Mais la collégialité permet le débat et peut rencontrées dans certaines juridictions ou services
éviter la crispation sur des certitudes initiales. Je enquêteurs. Mais c’est à nous d’y veiller. On peut
suis favorable à la co-saisine : pour toutes les affai- également s’interroger sur l’effectivité de la consul-
res délicates, il faut la généraliser. Cela pose la ques- tation de l’enregistrement des déclarations du
tion de l’instruction dans les petites juridictions qui mineur par l’expert ayant mission d’examiner celui-
n’ont qu’un seul magistrat instructeur. ci. Voir comment un mineur a révélé les faits, sa
A.-C. D. : Cependant, je persiste à croire que le gestuelle, ses silences, ses hésitations, c’est très
nombre n’est pas nécessairement une solution : s’il important pour éclairer la démarche et les investi-
y avait des comportements inadmissibles, entêtés, gations de l’expert. Il faut enfin que nous n’hési-
ce n’est pas le nombre qui les règlerait. tions pas, à l’audience, à nous astreindre à appré-
J.-O. V. : Néanmoins, pour un certain nombre de hender, par le visionnage des enregistrements
dossiers délicats, il faut absolument un regard vidéo, quels ont été la forme et le contenu exact des
croisé. Dans l’affaire d’Outreau, les choses se révélations liminaires du mineur dans les affaires
seraient sans doute différemment passées s’il y avait contestées. C’est une nouvelle pratique profession-
eu un regard croisé, avec une co-saisine qu’on nelle qu’il faut nous approprier.
aurait pu imposer, car la co-saisine est pour moi
synonyme de co-responsabilité qui se matérialise Propos recueillis par Éric Bonnet
par une ordonnance de clôture d’instruction

DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006 GAZETTE DU PALAIS 9


Jurisprudence
JURISPRUDENCE

Arrêt attaqué : Arrêt infirmatif de la Cour


La réparation des conséquences dommageables
d’appel de Lyon du 10 janvier 2005, qui, sur
de l’exécution d’une décision de justice exécu-
renvoi après cassation (arrêt de la deuxième
toire à titre provisoire exige-t-elle la constata-
chambre civile de la Cour de cassation du
tion d’une faute ? Telle était la question sou-
10 juillet 2003), a débouté Alain Martinez de sa
mise à l’Assemblée plénière de la Cour de cas-
demande en réparation du préjudice subi du
sation, qui y répond par son arrêt du 24 février
G0712 fait de l’exécution d’une ordonnance de référé
2006 dont l’importance n’échappera à personne,
ultérieurement réformée en appel, qui lui avait
eu égard notamment au fort mouvement actuel,
enjoint, sous astreinte, de cesser toute activité
souligné par le Premier avocat général Régis de
de livraison de fuel, à la demande des époux
Gouttes dans son avis ci-dessous reproduit, en
Revel, concessionnaires d’un fonds de commerce
faveur du renforcement de l’effectivité des déci-
de station-service (la Cour d’appel de Lyon
sions de première instance et de l’extension de
ayant relevé dans ses motifs que les époux Revel
l’exécution provisoire de ces décisions (*).
n’avaient effectué aucun acte d’exécution forcée
de l’ordonnance et que celle-ci avait été spon-
tanément exécutée par Alain Martinez, de telle
COUR DE CASSATION (ASS. PLÉN.) sorte que ce dernier ne pouvait obtenir répara-
24 FÉVRIER 2006 tion d’un préjudice qu’il avait subi du fait de
PRÉSIDENCE DE M. CANIVET son exécution).
AVIS DE M. LE PREMIER AVOCAT GÉNÉRAL
PROCÉDURE CIVILE RÉGIS DE GOUTTES
Exécution provisoire – Exécution aux risques du La question de principe posée par le présent pourvoi
poursuivant – Ordonnance de référé – Obligation peut être formulée de la manière suivante :
d’exécution – Infirmation de la décision – Celui qui exécute une décision de justice exécutoire
Réparation du préjudice à titre provisoire, telle une ordonnance de référé,
L’exécution d’une décision de justice exécutoire à peut-il, en cas d’infirmation ultérieure de cette déci-
titre provisoire n’a lieu qu’aux risques de celui qui sion, exiger de son adversaire, même sans faute de ce
la poursuit, à charge par lui, si le titre est ultérieu- dernier, réparation du dommage causé par l’exécu-
rement modifié, d’en réparer les conséquences tion ?
dommageables. En l’espèce, il s’agit de savoir si et à quelles condi-
Les cessionnaires d’un fonds de commerce ont tions un commerçant (Alain Martinez), qui a été
obtenu une ordonnance de référé enjoignant à un condamné sous astreinte par une ordonnance de
commerçant de cesser toute activité commerciale. référé à cesser son activité commerciale pour cause
de concurrence interdite peut, dès lors que cette
Cette ordonnance ayant été infirmée, ce dernier a
ordonnance a été infirmée par la cour appel, deman-
fait assigner ses adversaires en réparation de son der à la partie adverse (les époux Revel) réparation
préjudice né de l’exécution de l’ordonnance. du dommage qui lui a été causé par l’exécution
Doit être cassé l’arrêt qui, pour rejeter sa d’une telle décision exécutoire par provision.
demande, retient que ses adversaires n’ont effec- À travers cette question, transparaît le débat sous-
tué aucun acte d’exécution forcée de l’ordon- jacent entre :
nance, qui a été spontanément exécutée par lui et • d’un côté, la logique du caractère immédiatement
qu’il ne peut, dès lors, obtenir réparation du pré- exécutoire de l’ordonnance de référé et, plus généra-
judice qu’il a subi du fait de cette exécution. En lement, le fort mouvement actuel en faveur du ren-
statuant ainsi, alors que l’ordonnance de référé lui forcement de l’effectivité des décisions de première
ayant été signifiée par la partie poursuivante, instance et de l’extension de l’exécution provisoire de
l’intéressé était tenu de l’exécuter, la Cour d’appel ces décisions, dans l’objectif de lutter contre les
a violé l’article 31 de la loi du 9 juillet 1991. recours dilatoires ou abusifs et l’encombrement des
juridictions ;
Alain Martinez c. Henri Revel et autres
........................................................................................................................................... • de l’autre côté, la nécessité de maintenir, en pré-
o sence d’une telle dérogation à l’effet suspensif de
Pourvoi n K 05.12.679 c. C. Lyon, 10 janvier l’appel, des garanties suffisantes pour les parties per-
2005 G0712
dantes contre les risques que comporte l’exécution
(*) Mouvement dont l’article 526 nouveau du NCPC issu du décret du 28 provisoire d’une décision de première instance qui
décembre 2005 relatif à la procédure civile, constitue la meilleure illus- peut ensuite être infirmée par une Cour d’appel et
tration. V. sur ce texte : Gaz. Pal. du 5 janvier 2006, p. 9 et suiv. ; présen- révéler ainsi une erreur des premiers juges.
tation par la Chancellerie in Gaz. Pal. du 12 janvier 2006, p. 36 ; B. Lis-
sarrague, Décret de procédure du 28 décembre 2005 : quel cadeau ?, Gaz. S’agissant des faits et de la procédure, ils ont été
Pal. du 31 janvier 2006, p. 2 ; P. Gerbay, L’article 526 du NCPC : premiè- présentés de façon complète dans le rapport du
res approches, Gaz. Pal. du 14 février 2006, p. 3 ; G. Verdun, Décret
no 2005-1678 du 28 décembre 2005 relatif à la procédure civile : réflexions conseiller-rapporteur, et je me bornerai donc à ren-
et commentaires, Gaz. Pal. du 23 février 2006, p. 9. voyer à l’exposé qui en a été fait.

10 GAZETTE DU PALAIS DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006


Je rappellerai seulement que, dans un premier arrêt I. L’EXAMEN DES THÈSES EN PRÉSENCE
du 10 juillet 2003, la deuxième chambre civile de la
Cour de cassation, confirmant sa jurisprudence cons- A – Les justifications de la jurisprudence classi-
tante et cassant un arrêt de la Cour d’appel d’Aix- que
en-Provence du 29 mai 2001, a dit que « l’exécution
1 – Selon une jurisprudence à peu près constante
d’une décision de justice exécutoire à titre provi-
depuis la seconde moitié du 19e siècle, il est de
soire n’a lieu qu’aux risques et périls de celui qui
principe que l’exécution d’une décision de justice
la poursuit, à charge pour lui d’en réparer les
exécutoire à titre provisoire n’a lieu qu’aux « risques
conséquences dommageables », et « qu’en subordon-
et périls de celui qui la poursuit », à charge pour
nant le droit à réparation de M. Martinez à une
lui d’en réparer les conséquences dommageables en
faute des époux Revel dans l’exécution de la déci-
cas d’infirmation de cette décision.
sion frappée d’appel, l’arrêt de la Cour d’appel
d’Aix-en-Provence a violé, par fausse application, La responsabilité de la partie qui poursuit l’exécu-
l’article 1382 du Code civil ». tion est donc, dans cette conception, une responsa-
bilité sans faute, qui échappe à l’application de
Sur renvoi après cassation, la Cour d’appel de l’article 1382 du Code civil. Cela conduit la Cour de
Lyon, par arrêt du 10 janvier 2005, s’écartant à son cassation à casser pour fausse application de l’arti-
tour de la décision de la Cour de cassation, a rejeté cle 1382 les arrêts qui continuent à exiger la consta-
la demande en réparation du préjudice subi par M. tation d’une faute dans l’exécution de la décision.
Martinez, au motif que « les époux Revel n’ont effec-
tué aucun acte d’exécution forcée de l’ordonnance, Cette jurisprudence est très ancienne : hormis quel-
qui a été spontanément exécutée par M. Alain ques arrêts du début du 19e siècle qui avaient fait
Martinez et que, dès lors, ce dernier ne peut obte- application de la faute (2), on trouve dès le 27 avril
nir réparation d’un préjudice qu’il a subi du fait 1864 un arrêt de la chambre des requêtes de la Cour
de cette exécution provisoire ». de cassation qui affirme que « l’exécution, nonobs-
tant appel interjeté, d’un jugement exécutoire par
C’est cet arrêt du 10 janvier 2005 qui est attaqué provision constitue une simple faculté dont la par-
par le pourvoi de Alain Martinez et qui a été soumis tie use à ses risques et périls, et sauf à répondre
à l’Assemblée plénière par ordonnance de renvoi de du préjudice causé par cette exécution en cas
M. le Premier président de la Cour de cassation du d’infirmation » (3).
14 septembre 2005.
Plus récemment, de nombreuses autres décisions
Le moyen de cassation présenté fait grief à la Cour peuvent être citées en ce sens :
d’appel de Lyon d’avoir violé l’article 1382 du Code
a – pour la Première chambre civile de la Cour de
civil en excluant toute responsabilité des époux Revel,
cassation :
alors que l’exécution d’une décision de justice
exécutoire à titre provisoire n’a lieu qu’aux risques et • arrêt du 16 janvier 1963, Bull. I, no 35 (prise de
périls de celui qui l’a obtenue et que Alain Martinez possession d’un jardin par la partie gagnante) ;
était, quant à lui, légalement tenu d’exécuter l’ordon- • arrêt du 6 juin 1990, Bull. I, no 140 (résolution de
nance de référé lui interdisant, sous astreinte, de la vente d’un bateau prononcée par jugement) ;
poursuivre son activité commerciale de livraison de • arrêt du 6 mars 2001, pourvoi no 98-15.512 (exécu-
fuel. tion d’une astreinte) ;
Pour votre Assemblée plénière, il s’agit donc, à b – pour la deuxième chambre civile :
l’occasion de cette affaire, de rechercher : • arrêt du 8 décembre 1960, Bull. II, no 755 (paiement
– s’il y a lieu de maintenir la jurisprudence classique de dommages-intérêts et remboursement de presta-
et quasi constante en la matière, selon laquelle tions sociales) ;
« l’exécution d’une décision de justice exécutoire à • arrêt du 14 février 1963, Bull. II, no 149 (condam-
titre provisoire n’a lieu qu’aux risques et périls de nation au paiement de sommes à la victime) ;
celui qui la poursuit, à charge pour lui d’en répa- • arrêt du 12 mai 1971, Bull. II, no 173 (suspension de
rer les conséquences dommageables en cas d’infir- travaux de construction prescrite par ordonnance de
mation ultérieure de cette décision », référé, sous astreinte comminatoire) ;
– ou s’il existe des éléments qui permettent d’inflé- • arrêt du 17 novembre 1982, Bull. II, no 148 (réduc-
chir cette jurisprudence, comme l’a estimé la Cour tion du montant d’une pension alimentaire par le
d’appel de Lyon (1). juge aux affaires familiales, avec exécution provi-
Pour répondre à cette question, il paraît utile : soire) ;
• d’examiner, dans un premier temps, les mérites • arrêt du 5 avril 1994, Bull. II, no 120 (saisie exécu-
respectifs de la jurisprudence classique et de la solu- tion par une banque en vertu d’une ordonnance de
tion retenue par l’arrêt attaqué (I) ; référé) ;
• pour essayer d’en induire, dans un second temps, • arrêt du 9 janvier 2003, Bull. II, no 3 (dégâts à
la solution qui paraît la plus appropriée en l’occasion d’un inventaire ordonné par un juge aux
l’espèce (II). affaires familiales) ;
(1) Pour l’analyse du droit comparé en matière d’exécution provisoire ou (2) Cf. par ex. : Ch. req., 13 juillet 1852 (Gautier c/ Gérard).
d’exécution immédiate, v. les éléments contenus dans la note préparée (3) Cf. Ch. req., 27 avril 1864, Sirey, 1-157, p. 1014 et, dans le même sens,
par Olivier Naudin du Service de documentation et d’études de la Cour les arrêts des 12 avril 1895 et 11 juin 1903 cités dans le Dalloz Action 2002/
de cassation (p. 6-7). 2003.

DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006 GAZETTE DU PALAIS 11


JURISPRUDENCE

• arrêt du 10 juillet 2003, Bull. II, no 244 (arrêt de la M. Perrot rappelle, pour sa part, que « l’exécution
Cour d’appel d’Aix-en-Provence concernant la pré- provisoire est une exécution conditionnelle qui
sente affaire « Alain Martinez contre époux Revel ») ; déroge à l’effet suspensif de l’appel » (9) et « qu’une
• arrêt du 22 janvier 2004, Bull. II, no 18 (démolition certaine prudence est de règle pour éviter un dom-
d’un mur prescrite par une ordonnance de référé) ; mage injustifié » (10).

• arrêt du 21 octobre 2004, pourvoi no 02-20.118 (exé- 4 – On ajoutera, en droit comparé, que la Belgique a
G0712
cution d’un jugement de liquidation judiciaire) ; elle-même intégré cette solution dans son Code judi-
c – pour la troisième chambre civile : ciaire, dont l’article 1398 dispose que l’exécution pro-
visoire du jugement « n’a lieu qu’aux risques et
• arrêt du 2 juillet 1974, Bull. III, no 281 (expulsion périls de la partie qui la poursuit », plusieurs
d’un appartement en exécution d’une ordonnance du autres pays admettant, par ailleurs, le principe de
juge des loyers) ; l’exécution provisoire (11).
• arrêt du 31 mai 1978, Bull. III, no 236 (commande-
5 – Quels sont alors les fondements de cette
ment fait à un locataire de quitter les lieux en exé-
jurisprudence ?
cution d’un jugement exécutoire par provision) ;
• arrêt du 25 avril 1990, pourvoi no 88-19.604 (expul- Il est possible, me semble-t-il, d’en dégager deux
sion poursuivie en exécution d’une ordonnance de principaux : la théorie du risque et le principe de
référé) ; l’exécution provisoire :
• arrêt du 1e juillet 1998, pourvoi no 96-18.930 (paie- a – La théorie du risque
ment d’indemnités d’occupation) ;
Toute exécution immédiate d’une décision provi-
d – pour la chambre commerciale :
soire fait courir un risque à la fois à celui qui la
• arrêt du 30 janvier 1996, pourvoi no 93-20.628 demande et à celui qui la subit.
(déplacement des activités d’une société en exécution
d’une ordonnance de référé). Celui qui obtient l’exécution de la décision à son
profit encourt le risque de voir cette décision ulté-
Cette jurisprudence constante a été appliquée plu-
rieurement infirmée ou cassée. Il doit en avoir plei-
sieurs fois à des ordonnances de référé, revêtues de
nement conscience pour agir avec prudence et, le cas
plein droit du caractère exécutoire (4). Elle a été
échéant, en supporter toutes les conséquences.
appliquée aussi, non seulement aux décisions de jus-
tice frappées d’appel, mais également aux décisions Il lui appartient donc de choisir au préalable s’il
faisant l’objet d’un pourvoi en cassation (5). décide d’attendre que la décision devienne définitive
2 – Au plan législatif, il résulte expressément de l’arti- ou s’il prend le risque de l’exécution immédiate, qui
cle 31 de la loi no 91-650 du 9 juillet 1991 – portant pourra ensuite lui être reprochée si la décision vient
réforme des procédures civiles d’exécution – que à être infirmée en appel ou à être cassée.
« sous réserve des dispositions de l’article 2215 du
Quant à l’autre partie, elle va devoir supporter les
Code civil, l’exécution forcée peut être poursuivie
effets dommageables parfois très graves et peut-être
jusqu’à son terme en vertu d’un titre exécutoire à
irréversibles de l’exécution de la décision provisoire,
titre provisoire » et que « l’exécution est poursuivie
sans que ces conséquences puissent toujours être
aux risques et périls du créancier qui, si le titre est
réparées après l’infirmation de la décision. Il est dès
ultérieurement modifié, devra restituer le débiteur
lors indispensable de protéger cette partie contre les
dans ses droits en nature ou par équivalent ».
conséquences de ce qui peut devenir pour elle une
3 – Quant à la doctrine, elle approuve aussi « erreur judiciaire ».
majoritairement cette jurisprudence (6).
Ainsi, contrairement au cas de figure classique de
Ainsi que l’exprime la note publiée sous l’arrêt de la théorie du risque, où c’est la victime du risque qui
la Cour de cassation du 1er juillet 1998 (7), « il est doit en subir les conséquences, ici, c’est celui qui
sage de ne procéder à des exécutions aux consé- poursuit l’exécution de la décision de justice qui doit
quences irréversibles que si l’on est vraiment sûr de réparer le préjudice éventuel subi par la partie
son fait. L’euphorie de la victoire ne doit pas adverse. Il s’agit, en quelque sorte, d’une application
tourner la tête du gagnant d’un jour ». de la théorie du « risque d’activité » ou du « risque-
M. Toulemon évoque, dans un article du profit », selon laquelle celui qui crée, par son activité,
Jurisclasseur périodique, « la responsabilité du plai- un risque pour autrui doit répondre de ses consé-
deur triomphant et téméraire » (8). quences dommageables et, a fortiori, celui qui tire les
(4) Cf. notamment Cass. 2e civ., 12 mai 1971, Bull. II, no 173 ; 5 avril 1994, (9) Cf. : R. Perrot, Exécution provisoire aux risques et périls du créancier,
Bull. II, no 120 ; 22 janvier 2004, Bull. II, no 18 ; Cass. 3e civ., 25 avril 1990, note sous Cass. 3e civ., 1er juillet 1998, Procédures, novembre 1998, no 240,
pourvoi no 88-19.604 ; Cass. com., 30 janvier 1996, pourvoi no 93-20.628. p. 8.
(5) Cf. : Cass. 2e civ., 8 décembre 1960, Bull. II, no 755 ; 14 février 1963, (10) Cf. R. Perrot, RTD civ. 2004, p. 353 : « Mainlevée et réparation du pré-
Bull. II, no 149. judice. La preuve d’une faute à la charge du prétendu créancier est-elle
(6) Cf. Philippe Malaurie et Laurent Aynès, Les obligations, Coll. Droit nécessaire ? ».
civil, éd. Defrenois 2004 ; M. Toulemon, La responsabilité du plaideur (11) L’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas, notamment, tandis que le
triomphant et téméraire, JCP, 1968-1-2182. Royaume-Uni et l’Italie connaissent le régime de l’exécution immédiate
(7) Cf. : « Procédures », éd. du Juris-classeur, novembre 1998, commen- des décisions des juridictions civiles de première instance, selon l’étude
taires p. 8. de législation comparée du Service des études du Sénat réalisée en 2003
(8) Cf. Toulemon, JCP, 1968-1. 2182. (cf. : site http ://www.senat.fr/IC123/IC123-html).

12 GAZETTE DU PALAIS DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006


profits d’une activité doit en supporter la charge. Exiger de celui qui subit l’exécution qu’il prouve la
Cette manière de voir est le plus souvent approuvée faute de son adversaire vainqueur en première ins-
par la doctrine (12). tance serait en effet injustifié, alors que cette faute
En d’autres termes, le plaideur qui sollicite l’exé- n’est même pas exigée par l’article 517 du nouveau
cution d’une décision provisoire frappée d’une voie Code de procédure civile.
de recours doit être suffisamment sûr du bien fondé On rappellera également que, si l’exécution provi-
de sa position pour pouvoir pronostiquer à coup sûr soire est de droit et ne peut normalement être inter-
que cette décision sera confirmée par la juridiction rompue, elle peut néanmoins faire l’objet de sécurités
supérieure. ou d’aménagements qui permettent d’en limiter les
b – Le principe de l’exécution provisoire effets néfastes ou les risques : constitution de garan-
L’exécution provisoire, même si on ne peut lui ties ordonnées par le juge des référés (articles 571 à
opposer la règle du double degré de juridiction, qui 522 du nouveau Code de procédure civile), mesures
n’est pas absolue (13), déroge néanmoins au droit de consignation aménagée et de substitution de
d’appel, qu’elle est susceptible de rendre en partie garantie prises par le Premier président de la Cour
inutile, et contredit directement le principe de l’effet d’appel (article 524-2o du nouveau Code de procédure
suspensif de l’appel, lui-même inspiré par la pru- civile). De telles sécurités n’ont cependant pas été
dence et l’idée qu’il est risqué d’exécuter une déci- mises en œuvre en l’espèce.
sion que la Cour d’appel peut ensuite infirmer.
B – Les arguments en faveur de l’arrêt attaqué
Un avantage aussi décisif accordé à la partie
gagnante implique, en contre partie, l’octroi d’une Sans contredire ouvertement l’arrêt de cassation de la
protection plus forte à la partie perdante en ce qui deuxième chambre civile du 10 juillet 2003 et la
concerne la responsabilité du dommage causé par jurisprudence constante de la Cour de cassation, la
l’exécution (14). Cour d’appel de renvoi de Lyon a estimé qu’il n’y
avait pas lieu à indemnisation des conséquences
Cela apparaît encore plus justifié depuis le nouveau
dommageables de l’exécution de l’ordonnance de
décret no 2005-1678 du 28 décembre 2005 qui, renfor-
référé en raison :
çant l’exigence d’effectivité des décisions de première
instance, a institué, à l’article 526 modifié du nouveau – d’une part, de « l’absence d’exécution forcée » de
Code de procédure civile, une possibilité de radiation l’ordonnance de référé ;
du rôle par le Premier président de la Cour d’appel – d’autre part, de « l’exécution spontanée » de
lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la l’ordonnance par la partie perdante ;
décision exécutoire à titre provisoire qui a été frappée
– ce qui revient indirectement, et de façon implicite,
d’appel.
à réintroduire l’exigence d’une « faute dans l’exécu-
L’article 517 du nouveau Code de procédure civile tion ».
prévoit lui-même que « l’exécution provisoire peut
être subordonnée à la constitution d’une garantie, 1 – L’absence d’exécution forcée de l’ordonnance de
réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de référé
toutes les restitutions ou réparations ». Selon la Cour d’appel de Lyon, M. Martinez n’est
Il se déduit de cette disposition que l’exécution pas fondé à obtenir réparation du préjudice qu’il a
provisoire peut dans certains cas ouvrir droit à répa- subi du fait de l’exécution provisoire, car les époux
ration et donc engager une responsabilité sans qu’il y Revel « n’ont effectué aucun acte d’exécution forcée
ait nécessité d’une faute. de l’ordonnance de référé du 18 mai 1992 ».
Tel est le cas dans l’hypothèse, qui nous intéresse, On ne serait donc pas dans le cas de la « pour-
d’une ordonnance de référé : celle-ci est exécutoire de suite » de l’exécution par la partie gagnante, au sens
plein droit à titre provisoire, conformément à l’arti- de la jurisprudence classique de la Cour de cassation,
cle 489 du nouveau Code de procédure civile, et selon laquelle l’exécution d’une décision de justice
l’interruption ou la suspension de l’exécution provi- exécutoire à titre provisoire a lieu aux risques et
soire est normalement impossible (15) (sous réserve périls de « celui qui la poursuit ».
du cas ajouté à l’article 524 du nouveau Code de
Certes, on peut observer que les époux Revel ont
procédure civile par le décret no 2004-836 du 20 août
manifesté leur volonté contraignante, en installant
2004). Il est dès lors normal de permettre la répara-
une clôture grillagée autour de la cuve de M.
tion du préjudice subi du fait de l’exécution d’une
Martinez.
décision ultérieurement infirmée.
L’arrêt attaqué n’a cependant pas retenu cet élé-
(12) Cf. : sur la théorie du risque d’activité : Ph. Malaurie et L. Aynès, Les ment, en considérant sans doute que cette clôture
obligations, Coll. Droit civil, éd. Defrénois, 2004 ; M. Toulemon, JCP 1968-
1-2182. était destinée à éviter que M. Martinez puisse accéder
(13) Cf. Cass. com., 28 septembre 2004, pourvoi no 02.17.943 ; à la cuve enterrée d’alimentation en fuel et se sous-
– Conseil constitutionnel, décision no 2004-491 DC du 12 février 2004 traire ainsi aux exigences de l’ordonnance de référé.
– Conseil d’État, 17 décembre 2003, no 258 253, Rec. Lebon ;
– Cour européenne des droits de l’homme, 15 juillet 2003, « Ernst et autres 2 – L’exécution spontanée de l’ordonnance de référé
c/ Belgique ».
(14) Cf. en ce sens : S. Guinchard, Pour une exécution provisoire à visage De l’avis de la Cour d’appel de Lyon, si M.
humain et le droit de libre critique des choses de la justice, Les Petites Martinez a cessé son activité commerciale et s’est fait
Affiches no 215 du 28 octobre 2002, p. 7 ; Ph. Hoonackker ; Rec. Dalloz,
2004, Chr. p. 2314. radier du registre du commerce dès le 24 août 1992,
(15) Cf. Cass. 2e civ., 13 janvier 2000, janvier 2000, Bull. II, no 5. c’est qu’il a accepté d’exécuter lui-même « spontané-

DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006 GAZETTE DU PALAIS 13


JURISPRUDENCE

ment » l’ordonnance de référé. Cette exécution, en anéantie (18). Il serait en effet injuste d’imputer au
l’absence d’acte de contrainte de l’autre partie, vau- plaideur qui a obtenu une ordonnance de référé en
drait donc « acquiescement » à la décision. sa faveur toute la responsabilité des dommages cau-
À l’appui de cette position, peut être invoqué un sés par l’exécution de cette ordonnance lorsqu’elle est
précédent arrêt de la troisième chambre civile de la ultérieurement infirmée, alors que cette situation
Cour de cassation du 26 mars 1997 (16), qui, dans un résulte aussi de l’erreur contenue dans la décision du
cas d’espèce ne concernant pas une ordonnance de juge des référés, à laquelle ledit plaideur a fait
G0712
référé, a exclu la responsabilité en raison de l’absence confiance. En arrière plan, se profile ainsi la respon-
d’actes de poursuites en exécution forcée et de sabilité éventuelle de l’Etat à raison du fonctionne-
l’acquiescement à la décision de la partie perdante. ment défectueux de la justice (article L. 781-1 du
Code de l’organisation judiciaire).
3 – L’absence de faute dans l’exécution
De surcroît, un argument complémentaire peut être
Refuser la possibilité d’une indemnisation au motif tiré du mouvement de généralisation de l’exécution
que l’ordonnance de référé n’a fait l’objet d’aucune provisoire des décisions de justice, qui tend à garantir
exécution forcée et qu’elle a été exécutée spontané- l’effectivité des jugements et ordonnances de pre-
ment par la partie perdante, cela revient mière instance et à lutter contre les recours dilatoires
implicitement à réintroduire la nécessité d’une faute ou abusifs, générateurs d’encombrement des juridic-
ou d’un abus de droit dans l’exécution de la décision tions (19).
pour que la responsabilité de la partie gagnante
Enfin, il reste l’argument découlant du « droit à
puisse être engagée.
l’exécution d’un jugement » consacré par la Cour
Au soutien de cette exigence de la faute, il existe européenne des droits de l’homme comme troisième
un arrêt ancien qui peut être invoqué : celui de la élément du procès équitable garanti par l’article 6 de
troisième chambre civile du 15 novembre 1972 (17), la Convention européenne des droits de l’homme (20).
ayant retenu la faute d’un propriétaire qui, bénéfi- Cet argument ne paraît pas, cependant, pouvoir être
ciant d’une décision de référé autorisant l’expulsion invoqué utilement ici, dès lors que les juges euro-
de son locataire, l’avait exécutée avant même que péens, dans l’arrêt « Ouzinis c/ Grèce » du 18 avril
l’arrêt infirmatif soit rendu. Cet arrêt présente cepen- 2002, ont restreint ce droit à l’exécution aux seules
dant une certaine ambiguïté, car la troisième cham- décisions définitives et obligatoires, définies comme
bre civile, tout en admettant une responsabilité pour celles qui tranchent le fond et contre lesquelles
faute, rappelle aussi le principe selon lequel l’exécu- l’appel n’est pas possible, ce à quoi ne correspondent
tion d’une décision non irrévocable a lieu aux risques pas les ordonnances de référés.
et périls de la partie qui la poursuit. En définitive, on voit donc que ce que nous pro-
Dans le présent cas, l’arrêt attaqué de la Cour pose la Cour d’appel de Lyon, c’est d’infléchir la
d’appel de Lyon, sans se référer expressément à la jurisprudence classique de la Cour de cassation, en
notion de faute pour ne pas contredire la introduisant une limitation de la responsabilité de
jurisprudence de la Cour de cassation, se rapproche celui qui obtient l’exécution d’une ordonnance de
en réalité de la motivation de l’arrêt initial de la Cour référé à son profit, lorsque la décision n’a pas fait
d’appel d’Aix-en-Provence qui était ainsi formulée : l’objet d’une exécution forcée de sa part et lorsqu’elle
« Attendu que le seul fait pour les époux Revel a été exécutée spontanément par l’autre partie.
d’exercer leur droit d’ester en justice et de requérir Il convient alors de rechercher si une telle solution
ensuite l’exécution de la décision rendue en leur peut être approuvée.
faveur ne saurait en lui-même constituer une
faute, justifiant l’allocation de dommages-intérêts ; II. LA RECHERCHE DE LA SOLUTION À
attendu qu’il n’en serait ainsi que si M. Martinez INDUIRE
démontrait l’existence d’un abus de droit à la
charge des époux Revel, ce qu’il n’a pas fait ; que Il s’agit de rechercher si le préjudice subi par M.
cette preuve ne saurait résulter de la seule cir- Martinez du fait de la cessation de son exploitation
constance que la cour a ensuite infirmé l’ordon- commerciale après l’ordonnance de référé doit être
nance de référé motif pris de l’existence d’une laissé à la charge de M. Martinez et si les époux
contestation de fond... ». Revel, de leur côté, peuvent échapper à toute res-
ponsabilité à raison de l’exécution provisoire, pour les
La faute dans l’exécution, ajoute-t-on, est à distin- trois motifs retenus par la Cour d’appel, à savoir :
guer de la faute liée au mal-fondé de l’action en
justice elle-même ou à la mauvaise foi éventuelle du – l’absence d’exécution forcée par la partie gagnante ;
plaideur sur le fond. En règle générale, sauf abus de (18) Cf. Philippe Malaurie et Laurent Aynès, Les obligations, Coll. Droit
droit, celui qui exerce son droit n’est pas responsable civil, Defrénois 2004, § 122.
(19) Cf. : J.-C. Magendie, Célérité et qualité de la justice, rapport au garde
du dommage causé à autrui. des Sceaux, 15 juin 2004, p. 61 et Recueil Dalloz, 2002, Chr. p. 2411 ;
Il devrait en être ainsi dans le cas de la mise en — G. Canivet, Économie de la justice et procès équitable, Sem. Juridi-
que, éd. G., no 46, novembre 2001-1-361 ;
œuvre d’une décision de justice exécutoire condam- – mais contra : S. Guinchard, Les Petites Affiches no 112 du 5 juin 2002,
nant autrui, même si la décision est ultérieurement p. 4 et no 215 du 28 octobre 2002, p. 7 ; Ph. Hoonackker, Rec. Dalloz 2004,
Chr. p. 2314 ; L. Cadiet, JCP, 2002, Act. 346, p. 1489 ; J. Villacèque, Rec.
(16) Cf. Cass. 3e civ., 26 mars 1997, Bull. III, no 74. Dalloz 2002, Chr. p. 1989.
À rapprocher : Cass. 3e civ., 15 décembre 1999, pourvoi no 98-15.290. (20) Cf. Arrêts de la CEDH « Hornsby c/ Grèce » du 19 mars 1997 et
(17) Cf. Cass. 3e civ., 15 novembre 1972, Bull. III, no 615. « Ouzinis c/ Grèce » du 18 avril 2002.

14 GAZETTE DU PALAIS DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006


– l’exécution spontanée de la décision par la partie tion, dans son arrêt récent de chambre mixte du
perdante ; 16 décembre 2005, a dit qu’une décision judiciaire ne
– l’absence de faute dans l’exécution. peut avoir pour effet de priver une partie d’un droit
tant qu’elle ne lui a pas été notifiée.
L’examen de ces trois séries de justifications va
3 – En troisième lieu, l’obligation d’exécuter est
nous permettre, me semble-t-il, de les écarter comme
encore renforcée lorsque la condamnation est,
inopérantes :
comme dans la présente affaire, assortie d’une
A – Le caractère inopérant de l’absence d’exé- astreinte, ainsi que l’y autorise l’article 491 du nou-
cution forcée par la partie gagnante : l’exécu- veau Code de procédure civile.
tion “de plein droit” de l’ordonnance de référé Si l’on ajoute que, dans notre cas, le montant de
Le point le plus délicat est sans doute l’argument mis l’astreinte avait été fixé à 1.000 F par jour et que sa
en avant par la Cour d’appel et le défendeur selon liquidation pouvait être demandée au bout de plu-
lequel on ne serait pas en l’espèce dans le cas de la sieurs mois ou de plusieurs années, on comprend
« poursuite » de l’exécution par la partie gagnante, que, face à cette menace, M. Martinez ait été
dans la mesure où les époux Revel n’ont effectué contraint d’exécuter l’ordonnance de référé au risque,
eux-mêmes aucun acte d’exécution forcée. sinon, d’avoir à payer des sommes considérables.
Le mémoire ampliatif rappelle, à cet égard, que
1 – Il faut cependant rappeler, en 1er lieu, que
celui qui demande une condamnation en référé sous
conformément à l’article 489 précité du nouveau Code
astreinte doit logiquement répondre des conséquences
de procédure civile, une ordonnance de référé est
de l’exécution et qu’en obtenant ce qu’il avait
exécutoire de plein droit à titre provisoire et son
réclamé, il contraint son adversaire à exécution, peu
exécution ne peut normalement être suspendue ou
important qu’il ne fasse procéder à aucun acte d’exé-
arrêtée (21). Elle peut notamment servir de fondement
cution forcée.
à une saisie-exécution (22) ou à une saisie-vente (23).
Ainsi que le relève le mémoire ampliatif, l’arti- B – Le caractère inopérant de l’exécution pré-
cle 524 du nouveau Code de procédure civile a prévu tendue “spontanée” de la décision par la partie
seulement que, dans le cas d’une décision dont l’exé- perdante : l’effet contraignant inhérent à
cution provisoire est de droit, le premier président de l’ordonnance de référé
la Cour d’appel peut prendre les mesures prévues aux D’une façon générale, comme le rappelle notamment
articles 521, alinéa 2 et 522, à savoir la mise sous le Traité de procédure civile de MM. Glasson et
séquestre d’un capital ou la substitution d’une garan- Tissier (25), l’exécution d’une décision par une partie
tie équivalente. ne peut être considérée comme spontanée ou valant
Un décret récent no 2004-836 du 20 août 2004 a acquiescement de sa part que si elle est volontaire et
ajouté un assouplissement en permettant en outre au sans réserves ; si le jugement est exécutoire par pro-
Premier président de la Cour d’appel d’arrêter l’exé- vision malgré l’appel, l’exécution n’est pas faite alors
cution provisoire de droit « en cas de violation volontairement, mais par suite de contrainte ; l’exé-
manifeste du principe du contradictoire ou de cution sur menace de poursuites n’est pas davantage
l’article 12 et lorsque l’exécution risque d’entraîner un acquiescement.
des conséquences manifestement excessives ». La Cour de cassation a jugé depuis longtemps que
celui qui a fait paiement en vertu d’une ordonnance
Mais il n’est pas nécessaire pour la partie gagnante,
de référé exécutoire de plein droit est réputé avoir
de procéder à des actes d’exécution forcée : la partie
payé contraint et forcé (26).
perdante est tenue de se soumettre à l’ordonnance
exécutoire de plein droit. Cet effet contraignant participe de la finalité même
du référé, qui est d’imposer des mesures d’urgence
2 – En deuxième lieu, l’argument tiré de l’absence pouvant s’avérer indispensables pour prévenir un
d’acte d’exécution forcée de la part des époux Revel dommage imminent ou pour faire cesser un trouble
est d’autant moins justifié, en l’espèce, que l’ordon- illicite.
nance de référé a bien été signifiée à M. Martinez, à À l’appui de cette manière de voir, le mémoire
la requête des époux Revel, dès le 22 mai 1992. ampliatif cite deux arrêts de la deuxième chambre
Il y a là une manifestation claire de la volonté des civile de la Cour de cassation :
époux Revel de mettre en œuvre l’exécution, • l’un du 26 février 1992 (27), rappelant qu’effectuer
contrairement aux énonciations de l’arrêt attaqué à ce un acte procédural qui est la conséquence d’une
sujet. ordonnance de référé exécutoire de plein droit par
Cette signification est un élément déterminant, car provision ne revient pas à acquiescer à celle-ci ;
une ordonnance de référé ne peut être mise en exé- • l’autre du 12 février 2004 ( 28 ), précisant que
cution qu’après signification, hors les cas exception- n’acquiesce pas, non plus, le locataire qui quitte les
nels où le juge la déclare exécutoire sur minute (24). lieux en exécutant une ordonnance de référé qui l’y
Par ailleurs, on peut rappeler que la Cour de cassa- avait condamné.
(21) Cf. Cass. 2e civ., 5 mai 1993, Bull. II, no 163 ; Cass. soc., 12 novem- (25) Cf. E. Glasson et A. Tissier, Traité théorique et pratique d’organisa-
bre 1997, Bull. V, no 374 ; 28 juin 2001, Bull. V, no 237. tion judiciaire et de procédure civile, 3e éd., tome 2, 1926, p. 644 et juris-
(22) Cf. Cass. 2e civ., 5 avril 1994, Bull. civ. II, no 120. prudence citée à l’appui.
(23) Cf. Cass. 2e civ., 28 janvier 1998, pourvoi no 96-10-290. (26) Cf. Cass. civ., 23 mars 1864, DP, 1864. 1. 220.
(24) Cf. C. Paris, 23 mars 1984, D. 1984, IR 248 et 5 novembre 1958, JCP, (27) Cf. Cass. 2e civ., 26 février 1992, Bull. II, no 65.
1958. II 10893, concl. Combaldieu. (28) Cf. Cass. 2e civ., 12 février 2004, Bull. II, no 51.

DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006 GAZETTE DU PALAIS 15


JURISPRUDENCE

D’autres décisions peuvent être citées dans le M. Martinez est en droit de réclamer aux époux Revel
même sens, qui ont estimé que la situation contrai- la réparation de la perte de son exploitation com-
gnante dans laquelle est placé effectivement le per- merciale, consécutive à l’exécution de l’ordonnance
dant ne permet pas de lui appliquer une présomption de référé.
d’acquiescement (29).
2 – Ainsi que le relève le Conseiller-rapporteur, la
Tel est aussi le cas en l’espèce : l’ordonnance de
renonciation au critère de la faute en cette matière
référé était exécutoire de plein droit par provision et,
pourrait aussi offrir l’avantage d’harmoniser le régime
G0712 de surcroît, elle était assortie de la menace d’une
de réparation du fait de l’exécution provisoire avec la
astreinte de 1.000 F par jour.
tendance actuelle, dans le domaine des voies d’exé-
Si M. Martinez n’avait pas exécuté cette ordon- cution, à exiger une moindre gravité de faute du
nance, relève le mémoire ampliatif, il se serait exposé saisissant pour le rendre responsable des conséquen-
à des demandes de liquidation d’astreinte dont le ces dommageables de la saisie conservatoire injus-
total aurait pu aller jusqu’à 1.487.000 F. tifiée (30).
Peut-on affirmer, dans ces conditions, que M.
Martinez a exécuté « spontanément » l’ordonnance de 3 – La thèse contraire, consistant à refuser la théorie
référé ? À vrai dire, il n’avait pas le choix : en du risque et à limiter au seul cas de la faute la
l’absence de toute certitude sur l’issue de la procé- responsabilité du plaideur qui fait exécuter l’ordon-
dure devant la Cour d’appel, il devait exécuter cette nance de référé, reviendrait enfin à fragiliser la pro-
ordonnance. cédure de référé elle-même : le plaideur condamné en
référé est en effet incité à exécuter l’ordonnance de
C – Le caractère inopérant de l’absence de référé tant qu’il sait qu’il a toutes chances d’être
faute dans l’exécution : le “risque” inhérent à dédommagé si son bon droit est ultérieurement
l’exécution des décisions de justice exécutoires reconnu et si l’ordonnance est infirmée en appel.
à titre provisoire Dans le cas contraire, il pourra préférer prendre le
1 – Comme nous l’avons relevé précédemment, l’une risque d’attendre et de ne pas exécuter.
des justifications de la jurisprudence constante de la
Cour de cassation est que toute exécution immédiate En outre, du côté des plaideurs qui poursuivent
d’une décision à titre provisoire fait courir un risque l’exécution, leur moindre responsabilité risquerait de
grave à celui qui la subit. les pousser à recourir beaucoup plus souvent au
référé, de façon moins prudente, voire abusive, avec
Le plaideur qui poursuit l’exécution par provision
l’effet d’encombrement des juridictions qui pourrait
encourt donc une responsabilité qui est fondée, non
en résulter.
pas sur sa faute ou son abus de droit, mais sur le
« risque-activité » ou le « risque-profit » que représente 4 – Mais, pour autant, cela ne signifie pas que la
sa demande d’exécution provisoire, eu égard aux théorie des « risques et périls » du plaideur gagnant
conséquences dommageables potentielles de sa doive être illimitée dans ses effets : s’il est normal
demande et aux avantages éventuels qu’il peut en que celui qui poursuit l’exécution du référé assume le
tirer. risque d’avoir à restituer son adversaire dans ses
Dans la présente affaire, nous nous trouvons bien droits en nature ou par équivalent afin de le remettre
en présence d’un plaideur qui a manifesté sa volonté dans l’état où il se trouvait avant la décision infirmée,
de poursuivre l’exécution, puisque les époux Revel on il ne faut pas en déduire toutefois que l’on peut faire
fait signifier à M. Martinez, à leur initiative, l’ordon- supporter au plaideur initialement gagnant une
nance de référé en cause. indemnisation illimitée de tous dommages et préju-
Comme tout plaideur poursuivant l’exécution d’une dices allégués par son adversaire, sauf à le justifier
décision exécutoire par provision, les époux Revel par la preuve d’une faute de ce plaideur.
devaient dès lors s’assurer que leur demande était
bien fondée juridiquement et que la décision avait Autrement dit, au delà de l’obligation normale de
toutes les chances d’être confirmée par la juridiction remise en l’état qui découle du simple « risque » de
supérieure. l’exécution, il peut rester une place pour la « faute »
et une responsabilité plus étendue du plaideur qui a
Or, tel ne semble pas être le cas en l’espèce : les
poursuivi l’exécution en cas d’abus ou de fraude de
époux Revel auraient dû avoir conscience de la fra-
sa part.
gilité juridique de leur prétention, qui reposait sur la
prétendue violation d’une clause de non-concurrence, Il est intéressant de rappeler ici que, lors des tra-
figurant dans l’acte d’acquisition du fonds de com- vaux préparatoires de la loi du 9 juillet 1991 portant
merce de station-service, mais ne concernant pas réforme des procédures civiles d’exécution, il avait été
l’activité de vente de fuel domestique de M. Martinez. prévu une disposition, finalement abandonnée, qui
Dans ces conditions, il est normal que les époux précisait que le créancier, obligé de restituer le débi-
Revel, à raison du risque qu’ils ont pris, soient tenus teur dans ses droits en nature ou par équivalent,
de restituer M. Martinez dans ses droits, en nature ou n’était toutefois « pas tenu d’indemniser la priva-
par équivalent, et de le remettre dans l’état où il se tion de jouissance » (pas plus d’ailleurs que les frais
trouvait avant la décision infirmée. Cela signifie que nécessaires de l’exécution forcée).
(29) Cf. Cass. civ., 8 février 1994, pourvoi no 92-11227 ; Cass. 2e civ., (30) Cf. notamment Cass. 2e civ., 29 janvier 2004, Bull. civ. II, no 35,
11 octobre 1995, Gaz. Pal. du 19 octobre 1995, p. 22. contra : Cass. com., 14 janvier 2004, Bull. civ. IV, no 9.

16 GAZETTE DU PALAIS DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006


Dans la présente affaire, on doit observer que M. 2005 dans le même sens que la Cour d’appel
Martinez a réclamé, outre la réparation de la perte de d’Aix-en-Provence par des motifs qui sont en
son fonds de commerce (98.538 Q), les sommes de : opposition avec la doctrine de l’arrêt de cassa-
– 118.217 Q au titre de sa perte d’exploitation de 1992 tion ;
à 1994, date d’expiration de la clause de non-
Un pourvoi ayant été formé contre l’arrêt de
concurrence ;
la Cour d’appel de Lyon, M. le Premier prési-
– 30.000 Q à titre de dommages-intérêts en réparation
dent a, par ordonnance du 14 septembre 2005,
de son préjudice moral ;
renvoyé la cause et les parties devant l’Assem-
– 20.000 Q en application de l’article 700 du nouveau
Code de procédure civile.
blée plénière (...) ;
Il appartient, par conséquent, aux juges du fond, de Sur le moyen unique :
contenir dans des limites raisonnables les effets de la Vu l’article 31 de la loi du 9 juillet 1991 ;
théorie du risque, en limitant la responsabilité de Attendu que l’exécution d’une décision de
celui qui a poursuivi l’exécution – sauf faute démon- justice exécutoire à titre provisoire n’a lieu
trée de sa part – à l’obligation de restituer dans ses qu’aux risques de celui qui la poursuit, à
droits le plaideur qui a exécuté l’ordonnance de charge par lui, si le titre est ultérieurement
référé infirmée.
m o d i fi é , d ’ e n r é p a r e r l e s c o n s é q u e n c e s
Il ne faut pas oublier, en effet, que si les consé- dommageables ;
quences dommageables de l’exécution de l’ordon-
nance de référé ultérieurement infirmée peuvent être Attendu, selon l’arrêt attaqué, que les époux
imputées au plaideur qui a fait exécuter, elles trou- Revel, cessionnaires d’un fonds de commerce,
vent aussi leur source dans la décision erronée du ont obtenu une ordonnance de référé enjoi-
juge des référés, susceptible d’engager éventuellement gnant à M. Martinez de cesser toute activité de
la responsabilité de l’Etat en raison du fonctionne- livraison de fioul et d’enlever sous astreinte
ment défectueux de la justice si les conditions pré- tout élément permettant de procéder à cette
vues par l’article L. 781-1 du Code de l’organisation vente ; que cette décision ayant été infirmée, M.
judiciaire sont réunies. Martinez a fait assigner les époux Revel en
réparation de son préjudice né de l’exécution de
CONCLUSION
l’ordonnance ; qu’un jugement a condamné les
Pour l’ensemble des motifs qui viennent d’être expo- époux Revel à payer des dommages-intérêts à
sés, il m’apparaît que c’est à tort que la Cour d’appel M. Martinez ; que par arrêt du 10 juillet 2003
de Lyon a dit qu’il y avait lieu de débouter M. (Bull. civ, 2 e II, n o 244), la Cour de cassation a
Martinez de l’ensemble de ses demandes et d’exclure cassé la décision d’une cour d’appel ayant
toute responsabilité des époux Revel. L’arrêt attaqué
infirmé ce jugement et a renvoyé l’affaire
du 10 janvier 2005 appelle donc, à mon sens, une
cassation pour violation de l’article 1382 du Code devant une autre cour ;
civil. Attendu que pour rejeter la demande de M.
Cette affaire peut ainsi donner l’occasion à l’Assem- Martinez, l’arrêt retient que les époux Revel
blée plénière de confirmer et de compléter la n’ont effectué aucun acte d’exécution forcée de
jurisprudence antérieure de la Cour de cassation en l’ordonnance du 18 mai 1992, qui a été sponta-
la matière, en précisant que celui qui poursuit l’exé- nément exécutée par M. Martinez, lequel, dès
cution d’une ordonnance de référé, en faisant lui- lors, ne peut obtenir réparation du préjudice
même signifier à l’adversaire cette ordonnance, le fait qu’il a subi du fait de cette exécution ;
« à ses risques et périls », en ce sens qu’il s’expose au
Qu’en statuant ainsi, alors que l’ordonnance
risque de devoir restituer dans ses droits son adver-
saire si ladite ordonnance est ultérieurement infirmée.
de référé ayant été signifiée à la requête des
époux Revel à M. Martinez le 29 mai 1992, ce
G0712 dernier était tenu de l’exécuter, la cour d’appel
........................................................................................................................................... a violé le texte susvisé ;
La Cour (...), Par ces motifs,
M. Martinez s’est pourvu en cassation contre Casse et annule, en toutes ses dispositions,
l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence (8 e l’arrêt rendu le 10 janvier 2005, entre les par-
chambre commerciale) en date du 29 mai ties, par la Cour d’appel de Lyon ; remet, en
2001 ; conséquence, la cause et les parties dans l’état
Cet arrêt a été partiellement cassé le 10 juillet où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour
2003 par la deuxième chambre civile de la Cour être fait droit, les renvoie devant la Cour
de cassation ; d’appel de Lyon, autrement composée (...).
La cause et les parties ont été renvoyées M. Blatman, cons. rapp. ; M. de Gouttes, prem. av.
devant la Cour d’appel de Lyon qui, saisie de la gén. − Me Cossa, av.
même affaire, a statué par arrêt du 10 janvier

DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006 GAZETTE DU PALAIS 17


Rentrée de la Cour d’appel de Lyon
(3 janvier 2006)

L
ACTUALITÉ

a Rentrée solennelle de la Cour d’appel de Lyon année, comme beaucoup de ses collègues à l’occa-
s’est tenue le 3 janvier dernier en présence de très sion des rentrées solennelles, de s’exprimer sur le
nombreuses personnalités, parmi lesquelles les thème de la responsabilité des juges. Selon lui, « il
membres du corps préfectoral, les élus locaux, les est délicat d’analyser une décision juridiction-
G0507
chefs de juridictions et magistrats du ressort ainsi nelle sous l’angle de la faute personnelle de son
que les représentants des professions judiciaires au auteur sans porter gravement atteinte à sa liberté
premier rang desquels le nouveau Bâtonnier de d’appréciation qui est consubstantielle à la fonc-
l’Ordre Adrien-Charles Dana. tion judiciaire », la lutte contre le risque d’erreur
L’occasion pour le Procureur général Jean-Olivier judiciaire ne se résolvant « évidemment pas dans
Viout et le Premier président Pierre Vittaz de dres- la mise en cause personnelle du juge », mais
ser le bilan d’activité de la Cour pour l’année écou- empruntant de nombreuses formes, parmi lesquel-
lée, par ailleurs évoqué dans l’entretien qu’ils nous les l’utilisation des voies de recours, l’application du
ont accordé en compagnie du Bâtonnier Dana (v. principe du contradictoire, la publicité des débats,
supra p. 2). Une année 2005 qui aura été, selon le l’exigence de motivation et la collégialité. Ce qui
Premier président Vittaz, une bonne année. Une doit se faire dans la mise en œuvre d’une déonto-
opinion partagée par le Procureur général Viout logie exigeante de magistrats animés par un état
dans son bilan statistique de l’activité pénale de la d’esprit caractérisé par une vigilance de tous les ins-
Cour placé sous le signe du « parler vrai » qui cons- tants. Et Pierre Vittaz de conclure en citant le Pre-
titue « aujourd’hui plus que jamais notre impé- mier président Pierre Drai : « Un juge habitué est
rieux devoir face aux légitimes interpellations de un juge mort pour la justice ».
nos concitoyens et de leurs élus en direction de
leur institution judiciaire ». E.B.
Prenant la parole à la suite du Procureur général
Viout, le Premier président Vittaz avait choisi cette

Au centre, le Premier président Pierre Vittaz

18 GAZETTE DU PALAIS DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006


Discours de Jean-Olivier Viout
Procureur général près la Cour
d’appel de Lyon
(...)

L’ article R. 711-2 du Code de l’organisation


judiciaire fait obligation à chaque juridiction
d’exposer en audience solennelle, aux premiers
jours de janvier, le bilan de ses activités au cours

Photos : Angel Sanhueza / Le Tout Lyon


de l’année écoulée.
Afin de ne point encourir la caricature de « liturgie,
litanie et léthargie » qu’affectionnait le Président
Edgar Faure parlant du débat budgétaire annuel
devant le Parlement, cours et tribunaux se sont
arrogés libre choix de l’ampleur, de la forme et de
la tonalité de leur expression.
Certains s’acquittent laborieusement de leur tâche,
à travers le bénédictin récit de données statisti-
ques. D’aucuns optent pour la digression sur un judiciaire, qu’ils œuvrent au sein de brigades terri-
sujet aiguisant l’inspiration du moment. D’autres toriales de gendarmerie, d’unités motorisées, de
viennent expliciter leurs attentes déçues en moyens pelotons de surveillance et d’intervention ou d’uni-
toujours trop chichement comptés à leurs yeux. tés de recherches.
D’autres enfin viennent distribuer, en une gerbe Pour avoir rencontré nombre d’entre eux, je sais
artistement tressée, fleurs de l’autosatisfaction et quel a été le poids des sujétions qui ont été les leurs
épines de la critique doucereuse. durant l’année écoulée et notamment durant les
Puis-je m’autoriser, pour évoquer l’activité pénale éprouvantes semaines de violences urbaines que
du ressort de notre Cour et de son parquet général nous avons vécues au cours de l’automne. Durant
au cours de l’an échu, à user d’un autre octave : cet épisode de crise, mon souci a été de demeurer
celui du parler vrai ? Parler vrai, car c’est en phase avec eux, eu égard à notre commun et
aujourd’hui plus que jamais notre impérieux devoir incontournable devoir d’assurer l’harmonie et la
face aux légitimes interpellations de nos conci- complémentarité des actions des autorités de l’État
toyens et de leurs élus en direction de leur institu- en charge de la paix publique et de la sécurité indi-
tion judiciaire. viduelle de nos concitoyens.
Parler vrai car, non propriétaires mais débiteurs de Merci à chacun d’eux, merci à leur encadrement
la justice de notre pays, nous avons des comptes à exemplaire, corps des gradés et commissaires, offi-
rendre, des explications à fournir, des préoccupa- ciers de la gendarmerie, d’avoir compris et su faire
tions à faire partager, des perspectives et des logi- comprendre aux hommes et femmes placés sous
ques d’action à rendre lisibles, en un mot, des leur commandement que l’institution judiciaire
ouvertures vers la société civile à instaurer ou était avec eux, en soutien, mais dans le même
pérenniser. Car la justice – est-il besoin de le rap- temps, quelle que soit la prégnance du moment,
pelez à vous tous qui, par votre présence, montrez débitrice du respect de nos principes directeurs du
l’intérêt que vous portez à notre institution ? – est procès pénal et de leurs trois vertus cardinales : la
bien partie intégrante de la Cité dont elle demeure dévolution à la partie poursuivante de la charge de
un des plus fondamentaux facteurs d’équilibre. la preuve, la présomption d’innocence et le res-
Le parler vrai conduit d’abord, en ce début 2006, à pect du contradictoire, par l’exercice d’une défense
rendre un hommage non point protocolaire ou à égalité d’armes. Quel bel exemple de santé démo-
rituel mais empreint de sincérité, à l’ensemble des cratique avez-vous donné, Mesdames et Messieurs
officiers et agents de police judiciaire en fonctions les officiers de police judiciaire, en comprenant
dans les trois départements du ressort de notre cette nécessité.
Cour, qu’ils soient fonctionnaires de la police natio- Ce travail des services de police et de gendarmerie
nale ou militaires de la gendarmerie nationale, que je veux souligner s’est traduit en 2005 par des
qu’ils appartiennent aux directions départementa- chiffres qui ne trompent pas : 30.407 individus mis
les de sécurité publique, à la police de l’air et des en cause par les services de police et de gendarme-
frontières ou à la direction interrégionale de police rie dans le département du Rhône, durant les 11
DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006 GAZETTE DU PALAIS 19
premiers mois de 2005, soit une progression de 8,72
% par rapport à la même période de 2004 ; 8.809
ACTUALITÉ

dans le département de la Loire soit une régres-


sion mineure de 1,84 % : 5.820 dans le départe-
ment de l’Ain soit une progression de 14,93 %, soit
pour l’ensemble de ces départements une hausse
G0507
des individus mis en cause de 7,22 %. Ces données
nous offrent un baromètre de l’activité et de l’effi-
cacité des services d’enquête.
Je ne me risquerai pas dans un tableau d’honneur
de la résolution des affaires les plus importantes ou
médiatiques : chaque direction départementale de
sécurité publique, chaque groupement de gendar-
merie départementale a connu de beaux succès,
couronnant souvent un opiniâtre travail de recueil
du renseignement. Notre section de recherches de
la gendarmerie a fait montre de son savoir-faire,
notamment au sein de la cellule d’enquête « inter-
stup 69 ».
Quant à la direction interrégionale de police judi-
ciaire sans cesse sollicitée et toujours réactive et Le procureur général Jean-Olivier Viout
opérationnelle, lui revient, entre autres mérites,
l’identification et l’arrestation en moins de 5 mois
des membres du commando auteur de la tentative de ces avancées, je veux citer le déstockage massif,
d’évasion par hélicoptère dont la maison d’arrêt de pour user d’un terme à la mode, des centaines de
Villefranche-sur-Saône a été la cible le 4 juillet 2005 procédures correctionnelles en attente de juge-
ainsi que, le 26 décembre dernier, la mise hors ment depuis des mois, voire des années dans cer-
d’état de nuire d’un individu convaincu de 23 vols taines de nos juridictions.
à main armée, en duo ou en solitaire, au préjudice Pouvoir constater avec soulagement l’évacuation
d’établissements bancaires de l’agglomération lyon- par le Tribunal correctionnel de Lyon de dizaines
naise. de procédures, souvent en provenance de cabinets
Évidemment de tels bilans imposent que soit mise d’instruction, touchant des contentieux sensibles
en exergue l’action de nos 58 collègues, procu- qui demeuraient dans l’attente d’un hypothétique
reurs, procureurs adjoints, vice-procureurs et subs- audiencement...
tituts des sept parquets du ressort auxquels j’asso- Pouvoir nous réjouir de la tenue par le Tribunal cor-
cie les quatre substituts placés auprès de notre par- rectionnel de Saint-Étienne de quelque 22 audien-
quet général, pour la haute conscience profession- ces supplémentaires, durant le dernier quadrimes-
nelle et le sens élevé du service public qu’ils ont tre, destinées à l’évacuation de procédures en souf-
continué à manifester tout au long de l’année 2005. france, pour certaines depuis 2003...
Citadelles avancées du bastion judiciaire qui reçoi- Enregistrer pareil effort au Tribunal de grande ins-
vent de plein fouet l’événementiel qui ne saurait tance de Bourg-en-Bresse qui voit poindre, avec l’an
attendre, l’urgence à gérer, la décision que l’on ne nouveau, l’embellie du traitement de son conten-
peut différer, l’option d’action publique parfois irré- tieux pénal grâce à l’apurement de la plus grande
versible qu’il convient d’adopter dans l’heure, nos partie de son passif accumulé depuis plusieurs
parquets ont été au premier rang, souvent sur le années... constitue pour nous tous une source de
terrain, comme je ne cesse de les y inciter. profonde satisfaction. Car une justice dédaigneuse
J’ai conscience, chers collègues des parquets, de la du temps et de l’attente de nos concitoyens, au pre-
hauteur des attentes de notre parquet général qui mier rang desquels les victimes, ne peut prétendre
peuvent vous paraître parfois pesantes et impatien- être justice.
tes. Soyez assurés qu’elles se veulent toujours atten- Ces résultats n’auraient jamais pu être envisagés
tives à vos difficultés et qu’elles n’ont qu’un seul et sans la participation active de nos collègues du
exclusif but : celui d’un service toujours optimisé de siège, en charge de statuer sur les procédures sou-
notre justice, objet de nos convictions et engage- mises à leur jugement. Je voudrais remercier ici les
ments communs. présidents des tribunaux de grande instance, les
Il me plait de saluer les avancées notables enregis- présidents et juges des formations correctionnelles
trées en 2005, dans la pleine réalisation des objec- pour le surcroît de charge qu’ils ont accepté et qui
tifs que nous nous étions assignés. Au premier rang a permis d’atteindre ces résultats quasi inespérés,
20 GAZETTE DU PALAIS DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006
voici un an. Sans leur compréhension, rien n’aurait potentielle de sa juridiction correctionnelle de
été possible. 23,56 %, celle-ci ayant totalisé 1.936 décisions ren-
Et je ne saurais passer sous silence l’effort parallèle dues au cours de l’année.
accompli par les trois chambres correctionnelles de Par ailleurs, l’action publique n’est pas le seul trai-
notre Cour qui en rendant en 2005 1.953 arrêts, tement de la délinquance du quotidien et la ges-
contre 1.640 en 2004, ont largement relayé l’effort tion du flagrant délit. Elle est d’abord la direction
collectif entrepris. de l’exercice de la police judiciaire dans les affaires
Je n’oublie pas, Monsieur le Premier Président, requérant investigations en amont, stratégie
votre implication permanente, attentive, bien- d’enquête et choix des services et unités à action-
veillante, agissante dans cette préoccupation d’éva- ner. D’où l’utilité de structures spécifiques permet-
cuation des flux dans des délais raisonnables, dont tant de mettre en adéquation objectifs et moyens.
nous nous entretenons si souvent. Grâce à une ges- Je voudrais d’abord souligner l’excellence du fonc-
tion affinée de l’affectation des personnels placés, tionnement du Groupe d’intervention régional
magistrats et fonctionnaires de justice, grâce à la Rhône-Alpes qui, dès sa création, a posé comme
mise en place de contrats d’objectifs régionaux pas- règle de fonctionnement une osmose totale entre
sés avec les juridictions, nous avons ensemble et en l’autorité administrative régionale et les quatre par-
pleine harmonie fixé avec elles des caps ambitieux quets généraux concernés. Monsieur le Préfet de
mais toujours réalistes, en rendant crédible notre Région, je me fais l’interprète de mes collègues pro-
discours par la mise à disposition de renforts tem- cureurs généraux des Cours d’appel de Grenoble,
poraires permettant leur phasage dans un temps Chambéry et Nîmes (dont dépend le département
préalablement imparti. de l’Ardèche) pour vous remercier pour la qualité
Et le tout, en faisant litière entre nous du débat sté- de la collaboration que vous avez su instaurer entre
rile sur je ne sais quelle prévalence du civil par rap- nos institutions, dans le strict respect de nos sphè-
port au pénal ou du pénal par rapport au civil, res de compétence.
convaincus que nous sommes que les attentes en Sélectionnées par une cellule que nous formons
direction de notre justice, les urgences qui nous avec vous, ainsi qu’avec Monsieur le Préfet délé-
interpellent ne se situent pas au niveau de cette gué pour la sécurité et la défense et les responsa-
dichotomie là. bles de cette structure, les opérations program-
Notre souci d’accélération du cours de la justice mées chaque quadrimestre résultent de proposi-
nous impose de fournir deux assurances : celle de tions conjointement établies dans chaque départe-
ne pas confondre vitesse et précipitation en privi- ment par le préfet et les procureurs de la Républi-
légiant le quantitatif sur le qualitatif, car rendre la que concernés.
justice n’est pas se contenter de l’à peu près ; celle Cette judiciarisation du recours au GIR démontre
aussi de ne pas tomber dans le mirage d’un stakha- jour après jour ses effets bénéfiques et son effica-
novisme judiciaire qui laisserait accroire que le cité. On vient d’en trouver récemment encore une
« toujours plus » demeure le suprême espoir et éclatante illustration avec le démantèlement fin
l’unique recours. novembre d’un important réseau de proxénètes
Il n’est pas dans la vision de notre parquet général roumains possédant des ramifications dans plu-
de demander toujours davantage à nos juridictions sieurs pays d’Europe, exploitant à Lyon et sur
correctionnelles dont nous connaissons les d’autres points de notre territoire, une cinquan-
contraintes. Nous savons que dans plusieurs des taine de prostituées originaires de ce pays de l’Est,
juridictions du ressort le point de charge de rup- parfois très jeunes, par le recours à des méthodes
ture est atteint et que ce serait irréaliste d’envisa- où la contrainte et la violence, même la plus
ger une progression de l’audiencement des affai- extrême, étaient pratique usuelle. Ce remarquable
res. résultat, dont la presse nationale s’est faite l’écho,
C’est pourquoi, il me plait de souligner combien est à mettre à l’actif d’une collaboration exem-
2005 a vu un recours accru par les parquets aux plaire entre le Groupe d’intervention régional
modes diversifiés de poursuites mis à leur disposi- Rhône-Alpes et la direction départementale de la
tion par le législateur : ordonnance pénale délic- sécurité publique du Rhône, en exécution d’une
tuelle, composition pénale comme aussi comparu- commission rogatoire délivrée par un des magis-
tion sur reconnaissance préalable de culpabilité uti- trats instructeurs de la juridiction interrégionale
lisée par certains parquets comme un moyen effi- spécialisée de Lyon.
cace d’assurer une poursuite digne de ce nom, tout L’an dernier, à cette même place, j’ai exprimé mes
en faisant économie de l’audience correctionnelle. attentes en direction de cette nouvelle juridiction
Je pense, à titre d’exemple, au parquet de Bourg- dont la compétence territoriale franchit les limites
en-Bresse qui en faisant usage à 597 reprises de du ressort de notre Cour. Ces attentes n’ont pas été
cette nouvelle procédure a ainsi allégé la charge déçues. 39 procédures ont été traitées ou sont
DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006 GAZETTE DU PALAIS 21
actuellement traitées par elle. Elles ont conduit à ches de la gendarmerie de Lyon dont j’apprécie la
l’incarcération de 133 individus outre 15 mandats détermination, ainsi que le traitement de dossiers
ACTUALITÉ

d’arrêt et ont permis la saisie de 27 kilos de cocaïne, financiers, dits de moindre envergure, par les uni-
17 kilos d’héroïne, 20 kilos de pâte d’amphétami- tés territoriales de la police et de la gendarmerie.
nes, 11 tonnes 893 kilos de résine de cannabis, L’effort doit être poursuivi en optimisant encore les
outre 500.000 Q. actions conduites.
G0507 Plusieurs de ces procédures sont en passe d’être Optimiser l’action en assurant une meilleure sélec-
soumises à la juridiction de jugement. On prendra tion des enquêtes confiées à la DIPJ et au groupe
la mesure, dès les prochaines semaines, en DEFI de la section de recherches de la gendarme-
audience publique, du niveau des investigations qui rie, ces unités ne devant pas voir leurs ressources
ont été conduites et du degré de délinquance humaines spécialisées mobilisées dans des investi-
appréhendé par cette nouvelle juridiction. gations n’exigeant pas une technicité particulière.
C’est le sens du travail en équipe, magistrats ins- D’où la demande faite en direction des parquets et
tructeurs et parquet, chacun respectant ses attribu- des responsables régionaux et départementaux des
tions et sphères d’indépendance, qui a été la clef services d’enquêtes pour que le financier dit de
de la réussite dans les actions menées à bien. Je moyenne importance puisse être localement traité
salue les trois juges d’instruction de la juridiction par des enquêteurs sélectionnés pour leur intérêt
interrégionale spécialisée de Lyon qui, travaillant pour la matière et bénéficiant des formations orga-
dans le cadre d’une co-saisine systématique dont nisées au niveau national.
on appréhende chaque jour les vertus, font Optimiser l’action en offrant aux enquêteurs de ter-
démonstration de rigueur procédurale, d’opiniâ- rain l’assistance technique que peuvent apporter les
treté et de méthodologie exemplaires auxquelles experts judiciaires saisis par la voie procédurale de
j’ajouterai le courage propre aux hommes et fem- réquisition à personne qualifiée.
mes occupant des postes exposés. Le tout, dans À ce propos, je me réjouis du projet de la Compa-
cette interaction constructive et confiante avec les gnie des experts près la Cour d’appel de Lyon visant
trois magistrats du parquet de Lyon affectés à cette à proposer, à certains experts en comptabilité inté-
juridiction régionale, que sait générer et nourrir un ressés par cette forme de collaboration, le suivi
sens partagé du service public de la justice. d’une formation nationale sur le blanchiment et la
Toujours ici même, l’an dernier, j’ai appelé de mes criminalité internationale.
vœux, en termes dont la vigueur a pu surprendre, Optimiser l’action aussi en poursuivant inlassable-
l’intensification du traitement de la délinquance ment l’action de persuasion de nos interlocuteurs
économique et financière et l’engagement d’une tenus à des obligations de révélation prévus par les
lutte résolue contre l’économie souterraine. C’est textes, à faire montre d’une diligence témoignant
parce que le degré d’exigence exprimé a été fort, d’une authentique conviction de l’intérêt que repré-
que je veux dire non moins fortement combien j’ai sente l’information de l’autorité judiciaire le plus en
apprécié l’écho qu’a reçu cette invite. amont.
Il convient de souligner le travail effectué par les 30 Optimiser encore l’action en mettant en place ou
fonctionnaires de la division économique et finan- en réactivant dans chaque parquet des cellules éco-
cière de la direction interrégionale de police judi- nomiques et financières réunissant enquêteurs, Tré-
ciaire de Lyon qui ont déféré aux parquets du res- sor public, administrations de l’État concernées,
sort, durant l’année, près d’une centaine de mis en afin de faire un point régulier sur l’état d’avance-
cause entraînant 64 placements en détention pro- ment des enquêtes en cours, dresser le bilan de leur
visoire, à la date du 15 décembre 2005, contre 49 suite judiciaire et analyser toute information de
pour toute l’année 2004. Parmi ses résultats les plus nature à fonder l’engagement d’investigations nou-
significatifs, je veux citer la mise à jour d’une astu- velles.
cieuse escroquerie dans le montage financier visant Et ce, dans la sérénité, la prise de recul, la confi-
l’implantation d’un complexe cinématographique à dentialité et le respect du secret de l’enquête et de
Vaulx-en-Velin ; la mise en lumière d’une entre- l’instruction, s’agissant d’un contentieux pénal où
prise frauduleuse de carrousels de TVA menée par ne peut être ignoré le risque d’instrumentalisation
un société grossiste en téléphones portables, ali- de l’institution judiciaire au profit d’intérêts qui lui
mentant artificiellement un flux financier délic- sont étrangers.
tueux, générateur de crédits fictifs de TVA s’éle- Je n’ai point encore parlé de notre parquet géné-
vant à 19,5 millions d’euros, sans compter l’éluci- ral, tant la réussite de l’action d’un parquet géné-
dation d’escroqueries à la carambouille ou d’impor- ral n’existe que par la réussite des parquets dont il
tants abus de confiance. a la responsabilité.
À cette action s’est adjointe celle conduite par les Je dirai simplement, pour faire bref, que son tra-
six enquêteurs spécialisés de la section de recher- vail a été celui d’une équipe soudée, dynamique et
22 GAZETTE DU PALAIS DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006
volontariste qui a fait porter son effort sur l’anima- nant chose faite, grâce à l’engagement à nos côtés
tion et la coordination de l’action publique ainsi de deux associations rhodaniennes. À nous de pro-
que l’article 35 du Code de procédure pénale lui fait voquer les synergies nécessaires pour que cette ini-
obligation, tout en se montrant attentive à l’aide ou tiative s’étende aux cours d’assises de la Loire et de
assistance aux parquets qui en ont besoin, sans l’Ain.
omettre d’assumer pleinement les fonctions de − Je ne saurais, par ailleurs, passer sous silence
ministère public près la juridiction du second degré, l’investissement de notre parquet général dans la
comme aussi devant les cours d’assises, du Rhône formation des élèves officiers de police judiciaire de
principalement, mais aussi ponctuellement de la la police nationale, par la prise en charge par plu-
Loire et de l’Ain : sieurs de ses avocats généraux et substituts géné-
– Suivi en temps réel de toute procédure présen- raux aidés de deux magistrats du parquet de Lyon,
tant une certaine importance ou une technicité par- de l’ensemble de leur enseignement en droit pénal
ticulière... et procédure pénale.
– Visites de terrain nombreuses dans les parquets, − J’ajouterai enfin la redynamisation de la cellule
maisons de justice, établissements pénitentiaires, Éducation nationale-Justice qui a permis à près de
établissements d’accueil des mineurs pour être à deux mille élèves des lycées et collèges de suivre
l’écoute de la réalité des êtres et des choses, pren- dans nos palais de justice des audiences commen-
dre la mesure des besoins, en hiérarchiser les tées par un magistrat ou un assistant de justice.
urgences et œuvrer pour trouver les moyens d’y Mais l’avènement de l’an nouveau est aussi le
répondre... temps privilégié de la définition de nouveaux objec-
– Expertises des notices semestrielles des magis- tifs sans lesquels l’action ne serait que recommen-
trats instructeurs, en vue notamment de veiller, cement. Ces objectifs, je les résumerai en forme de
voire collaborer, au règlement diligent des procé- vœux, puisque l’époque nous y invite.
dures... ont constitué autant de points forts. Mon premier vœu visera à ce que soit couronné de
À ces activités désormais inscrites dans la durée, je succès l’effort inlassable que je devrai poursuivre
voudrais ajouter trois types d’interventions renfor- avec vous, Monsieur le Premier président, pour
cées ou redéfinies au cours de l’année écoulée : trouver les voies et moyens d’obtenir les apports en
− L’instauration, tout d’abord, d’un véritable par- ressources humaines qu’exige le bon fonctionne-
tenariat avec les professions judiciaires, permet- ment de deux de nos juridictions qui souffrent par-
tant d’entretenir avec elles un constant et construc- ticulièrement.
tif dialogue déontologique. Je me félicite, Messieurs Je veux parler d’abord de l’unique chambre de l’ins-
les bâtonniers, Messieurs les présidents des cham- truction de notre Cour dont les trois magistrats qui
bres et compagnies d’avoués, notaires, huissiers de la composent voient, année après année, leurs char-
justice, experts, de la qualité de nos relations qui ges s’alourdir : 1.662 arrêts rendus en 2004, 1.741 en
dépassent l’échange institutionnel et débouchent 2005 ; 293 ordonnances rendues par son président
sur des avancées concrètes : à preuve, la mise en en 2004, 370 en 2005, soit une progression proche
place, dès la fin 2005, d’une informatisation de la de 27 %.
transmission des comptabilités d’huissiers de jus- À l’heure où l’on rappelle le rôle essentiel de
tice du ressort permettant de moderniser la syn- contrôle et de régulation des procédures d’instruc-
thèse des contrôles annuels mise à la charge des tion que doivent tenir ces juridictions du second
parquets généraux. degré, il est impératif de procéder à un reparamé-
Cette volonté de partenariat constructif s’est illus- trage d’envergure du nombre des magistrats qui
trée pareillement en direction des associations dont leur sont affectés. C’est parler vrai que d’affirmer
le ministère de la justice assure partie du finance- que sans cet apport, tout discours ne demeurera
ment. Elle s’est manifestée par l’établissement de qu’au stade de l’incantation et que toute réforme
contrats d’objectifs, une évaluation plus précise des ne pourra faire l’économie de ce préalable.
modes de financement et des besoins permettant Autres juridictions qui méritent notre attention :
d’optimiser l’usage des crédits limitatifs qui sont nos trois cours d’assises du Rhône, de la Loire et
alloués à notre Cour et de soutenir toutes initiati- de l’Ain. Elles avaient jugé 126 accusés en 2004 ;
ves innovantes. elles en ont jugé 171 en 2005 soit une progression
Au rang de celles-ci, je citerai l’accompagnement de près de 36 %. Mais surtout, au jour où je vous
devant la Cour d’assises du Rhône des victimes de parle, 202 accusés attendent de comparaître devant
crimes d’atteintes aux personnes, notamment ces juridictions criminelles (98 pour celle du Rhône,
sexuelles, qui en expriment le désir. Ce besoin spé- 60 pour celle de l’Ain, 44 pour celle de la Loire). À
cifique d’aide psychologique voire matérielle res- l’heure où la Cour européenne des droits de
senti par certaines victimes n’avait pas jusqu’alors l’homme rappelle nos devoirs en matière de res-
été suffisamment pris en compte. C’est mainte- pect du délai raisonnable, nous devons tout faire
DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006 GAZETTE DU PALAIS 23
pour tenter de faire face à cette situation qui, hélas, nelles des quatre premières classes visant des
risque fort d’empirer en 2006, au vu du nombre de contrevenants impécunieux ou au domicile mou-
ACTUALITÉ

procédures criminelles actuellement en voie d’achè- vant.


vement dans les cabinets d’instruction du ressort. Atteindre un recouvrement d’au moins 70 % devrait
Mon second vœu visera encore une croisade : celle être l’objectif. La mise en place de cellules opéra-
tendant à la dotation de nos juridictions de fonc- tionnelles Justice-Trésor Public, dont nous venons
G0507 tionnaires de justice en nombre suffisant. Non pas de convenir avec les Trésoriers payeurs généraux du
pour assurer un meilleur confort des uns et des Rhône et de la Loire, conjuguée avec la généralisa-
autres ou une moindre ardeur au travail mais sim- tion des bureaux de l’exécution des peines dans
plement pour prendre en compte l’accroissement chaque juridiction, devrait permettre d’atteindre ce
permanent des charges endossées par l’institution but.
judiciaire, accroissement dont l’évidence est telle Mon dernier vœu, enfin, à la lumière de l’actualité
qu’elle n’a nul besoin d’être ici explicitée. judiciaire du moment, tendrait à faire de la Cour de
Greffiers en chef, greffiers et fonctionnaires de jus- Lyon un modèle en matière de recueil de la parole
tice savent combien nous apprécions leur dévoue- de l’enfant, à travers deux pratiques professionnel-
ment au service. Nous le leur disons et je le leur les pour lesquelles magistrats des parquets et de
redis ici publiquement et avec force. Mais je sais, l’instruction devraient manifester leur détermina-
chers fonctionnaires de justice, que vous attendez tion :
de nous autre chose que des mots. À nous de vous – imposer que le recueil de la parole de l’enfant ne
démontrer que le surcroît d’effort que nous vous soit effectué que par des unités spécialisées ou par
demandons s’accompagne d’une permanente des enquêteurs ayant reçu une formation spécifi-
implication de notre part pour porter remède aux que ;
indiscutables pénuries constatées ici ou là et que les
– rendre effectif et systématique l’enregistrement
redéploiements de personnel auxquels nous ne
audiovisuel de la parole de l’enfant imposé par la
manquons de procéder ne peuvent seuls juguler.
loi du 17 juin 1998 et en faire un des outils de tra-
Formons le vœu que 2006 réponde aux attentes les
vail de tout homme de l’art – psychologue ou psy-
plus impatientes.
chiatre – en charge d’expertiser cette parole.
Mon troisième vœu ira en direction des parquets
L’affaire d’Outreau dont nous portons le deuil
pour que soient activés au sein de chacun d’eux de
connaîtrait un dommage collatéral supplémentaire
véritables bureaux des enquêtes conduisant à un
et dramatique si à la sacralisation de la parole de
permanent dialogue de gestion avec les services
l’enfant venait à succéder le retour aux temps
enquêteurs.
anciens de l’évanescence de cette parole face aux
Ce dialogue permettra de connaître le plan de clameurs de l’adulte dénégateur.
charge de chaque unité, ses capacités de traite-
Vœux multiples, surabondants, multidirectionnels,
ment des procédures, les délais qui peuvent leur
trop ambitieux, irréalistes ? Refusons-nous ce
être fixés pour mener à bien les diligences deman-
doute ! Mes chers collègues, Mesdames et Mes-
dées et conduira ipso facto à définir, de concert
sieurs les policiers et gendarmes, auxiliaires de jus-
avec les responsables de ces unités, une véritable
tice, animateurs des associations socio-judiciaires,
politique d’emploi des moyens par définition
représentants des administrations de l’État et vous
conjointe des priorités.
tous qui êtes en posture d’apporter votre pierre à
Mon quatrième vœu sera pour l’exécution des pei- ces vastes chantiers, avec votre détermination, votre
nes. Puisse 2006 voir la fin définitive, dans certains volonté d’action, votre soif de progresser, nous pou-
tribunaux, de l’attente durant plus d’une année vons ensemble faire que ces vœux deviennent réa-
voire deux ans, de sanctions pénales définitives, en lité, en nous appropriant cette belle exhortation
souffrance de mise à exécution. Puisse 2006 d’un sage des temps anciens : « Avance sur la route
conduire toutes les juridictions pénales des trois de la justice, car elle n’existe que par ta marche ».
départements, y compris le siège de la Cour, à
Monsieur le Premier Président, Mesdames et Mes-
garantir la mise à exécution de toute condamna-
sieurs les Présidents et Conseillers, j’ai l’honneur de
tion, dans le trimestre de son prononcé. Il y va de
requérir qu’il vous plaise de :
la crédibilité de la justice.
Constater que l’année judiciaire s’étant ouverte avec
Puisse 2006 voir aussi le taux de recouvrement des
l’année civile, il a été régulièrement satisfait aux
sanctions pécuniaires servir cette même crédibi-
prescriptions de l’article R. 711-2 du Code de l’orga-
lité. Moins de 50 % des amendes actuellement
nisation judiciaire ;
recouvrées dans l’Ain et la Loire, moins de 30 %
dans le Rhône, constituent une situation que nous Me donner acte de mes réquisitions ;
ne pouvons laisser perdurer, même si les impayés Et dire que du tout il sera dressé procès-verbal.
concernent souvent des amendes contravention-
24 GAZETTE DU PALAIS DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006
Discours de Pierre Vittaz
Premier président de la Cour d’appel
de Lyon
(...)

V oici revenu avec le temps des vœux, celui des


audiences de rentrée, celui des bilans de l’année
écoulée et des projets pour l’année qui s’ouvre.
Cette tradition séculaire nous donne le plaisir de

Photo : Angel Sanhueza/Le Tout Lyon


vous accueillir une fois de plus dans des condi-
tions d’inconfort dont nous nous excusons.
J’ai malheureusement le regret de vous annoncer
qu’elles ne vont guère s’améliorer dans les prochai-
nes années avec l’ouverture du chantier de l’esca-
lier d’honneur dans le courant de ce mois, puis à
l’automne 2007 de l’important chantier de rénova-
tion et de restructuration de notre palais, qui est en
bonne voie et entre de bonnes mains. Il sera pré-
cédé de la délocalisation temporaire de nombreux
services.
Mais rassurez-vous, Mesdames et Messieurs, vous cultés complémentaires : chômage, surendette-
serez accueillis vers les années 2011-2012 dans des ment, situation de détresse sociale.
conditions enfin dignes de vos responsabilités et de Depuis septembre 2004, les efforts conjugués des
vos qualités. avoués, des avocats des sept barreaux du ressort,
Vous avez trouvé sur vos sièges une brochure qui des magistrats, greffiers et agents de la 2e Chambre
rassemble quelques statistiques relatives à notre civile que je félicite et que je remercie, ont permis
activité pendant l’année 2005. de résorber complètement le stock des affaires
anciennes qui s’est allégé de près de 800 unités avec
Je la compléterai par quelques brefs commentai-
une durée moyenne d’instance de l’ordre de l’année
res.
(et une prévision de 10 mois voire 6 mois pour cer-
L’année 2005 a été pour la Cour d’appel de Lyon tains dossiers pour 2006) au lieu des 16,8 mois des
une bonne année. années antérieures.
Des effectifs augmentés depuis septembre 2004 – En matière prud’homale et de sécurité sociale, les
quoiqu’encore insuffisants, surtout pour ce qui progrès sont encore plus spectaculaires puisque
concerne les fonctionnaires du greffe –, des moyens nous avons dégonflé notre stock de 2.232 affaires
matériels corrects, la volonté manifestée par tous de dont beaucoup stagnaient depuis près de 3 années.
tenir les engagements négociés avec notre admi- La durée moyenne de traitement a été réduite de
nistration centrale ont conduit à un renversement plus du tiers et nous avons bon espoir qu’elle s’éta-
spectaculaire de tendance. blira autour de 12 mois à la fin du 1er semestre 2006
Alors que pendant de trop nombreuses années, quand le ménage des procédures lyonnaises sera
l’équipage sous-dimensionné de ce majestueux terminé, ce qui est l’objectif que nous a assigné le
navire des bords de Saône s’épuisait vainement à législateur. D’ores et déjà, les appels interjetés en
ramer pour résister au courant des affaires qui octobre et novembre de l’an dernier sont audien-
l’emportait, il a pu l’an dernier, enfin renforcé, ren- cés en septembre 2006 soit dans les 8 mois de notre
verser la tendance, plus particulièrement dans deux saisine.
domaines qui concernent la vie quotidienne de nos Bravo mes chers collègues des quatre formations
concitoyens. sociales, Mesdames et Messieurs les greffiers en
Celui des affaires familiales avec les problèmes nés chef, greffiers, agents, assistants de justice dont le
de la séparation des couples : divorces, pensions ali- travail soutenu a permis ces excellents résultats
mentaires, prestations compensatoires, gardes sans que la qualité des décisions rendues en ait
d’enfants, droit de visite et d’hébergement qui exi- souffert.
gent une réponse rapide avant que ne s’infectent les Bravo, Mesdames et Messieurs les avocats spécia-
plaies ouvertes par des séparations mal assumées. lisés en droit social avec lesquels nous avons négo-
Celui des licenciements avec son cortège de diffi- cié et conclu un protocole d’instruction et de
DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006 GAZETTE DU PALAIS 25
conduite des affaires qui nous a permis de réussir cer dans la sérénité la plénitude des attributions
le passage d’une culture de la lenteur, imposée par que la loi lui confère. Elle a la charge du contrôle
ACTUALITÉ

les circonstances, à celle de l’efficacité et de la célé- des 28 cabinets d’instruction du ressort et de plu-
rité. sieurs milliers d’affaires. Ses trois magistrats, je
Nous avions également pour objectif avec M. le pro- devrais dire ses trois galériens, ont rendu en 2005
cureur général d’accélérer le jugement des affaires 1.835 arrêts dans des délais très brefs en applica-
G0542 correctionnelles, en particulier de celles qui ont ten- tion de règles qui fluctuent au gré des faits divers
dance à durer en raison de la priorité absolue don- et des majorités parlementaires.
née aux affaires de détenus et aux affaires plus « Il est de l’inflation juridique comme de la mon-
importantes. naie, disait le doyen Carbonnier, elle fait perdre
La 2e chambre B et le parquet général ont tenu leurs toute crédibilité aux valeurs ». Toute augmenta-
engagements et réduit de près de 500 unités le tion des attributions de la chambre de l’instruction
nombre d’affaires en attente de jugement en fin qui ne serait pas accompagnée de moyens supplé-
d’année. mentaires se réduirait à un effet d’annonce dont il
serait choquant que son inefficacité pratique soit
Ces résultats positifs sont le fruit d’une volonté col-
par la suite imputée à l’institution judiciaire.
lective concrétisée par une somme de travaux indi-
viduels. – Enfin, nous nous efforcerons de renforcer épiso-
diquement le service des assises pour réduire les
Ils ont pu être obtenus grâce à l’excellent état délais séparant la fin de l’instruction de l’audience
d’esprit de collaboration qui s’est développé entre publique qui ont une tendance fâcheuse à s’allon-
la Cour et ses interlocuteurs privilégiés que sont la ger du fait de l’augmentation du nombre des affai-
Chambre des avoués et les Ordres d’avocats. res criminelles.
Je remercie Me Brondel et les bâtonniers qui vien- En matière de gestion administrative et financière,
nent de terminer leurs mandats, Me Eric Jeantet, grâce à la qualité de l’équipe du service adminis-
Georges Maymon, Pierre-Yves Lucchiari, Catherine tratif régional nous avons également rempli notre
Mounier-Fond, Christian Perret et Daniel Bruyère, mission d’expérimentateurs de la loi organique rela-
avec lesquels nous avons travaillé en confiance, en tive aux lois de finances avec la fabrication d’outils
particulier à l’élaboration d’un protocole d’instruc- juridiques et informatiques diffusés aujourd’hui à
tion des affaires et de conduite des audiences qui l’ensemble des cours d’appel. Nous avons même
va entrer en vigueur dès demain et qui est le fruit obtenu des résultats très honorables en matière de
de notre volonté commune de mieux maîtriser maîtrise des dépenses des frais de justice et des frais
notre temps de travail et de construire ensemble de fonctionnement des conseils de prud’hommes.
des débats utiles.
Mais il nous reste encore un long chemin à parcou-
Je ne doute pas qu’avec leurs successeurs récem- rir avant de disposer d’indicateurs pertinents, fia-
ment élus ou réélus, Mesdames et Messieurs les bles et consensuels qui permettront une réparti-
Bâtonniers Dana, Ziegler, Delmas, Chantelot, Poi- tion plus efficiente de nos moyens de fonctionne-
rieux, Corioland et Villefranche et M. le président ment.
Brondel, nous continuerons à travailler dans les
mêmes conditions.
Mesdames et Messieurs,
Ces progrès méritaient d’être mis en exergue mais Le Code de l’organisation judiciaire énonce que
ils ne nous conduisent pas à une autosatisfaction l’exposé des activités de la juridiction auquel il vient
béate. d’être procédé peut être accompagné d’un discours
D’abord parce qu’il nous faut les confirmer en 2006 portant sur un sujet d’actualité ou sur un sujet
et éviter de reconstituer la mauvaise graisse que d’intérêt juridique ou judiciaire.
nous avons eu tant de mal à faire fondre, ensuite J’ai choisi cette année de m’exprimer sur un thème
parce que d’autres travaux nous attendent : qui remplit toutes ces conditions, celui de la res-
– le renforcement de la chambre commerciale qui ponsabilité des juges.
peine à juger dans des délais raisonnables les affai- Des faits divers tragiques comme l’incarcération
res de plus en plus complexes qui naissent de l’acti- provisoire pendant plusieurs années de prévenus
vité économique de notre région ; finalement innocentés ou la commission de cri-
– celui de la chambre de l’instruction, clef de voûte, mes par un condamné admis au bénéfice de la libé-
organe régulateur de la procédure pénale, gar- ration conditionnelle ou par un mis en examen
dienne des libertés individuelles en même temps libéré à la suite d’une erreur de procédure ont
que des exigences de la sécurité publique. Avec ses conduit à la mise en cause de la responsabilité per-
trois magistrats, son unique greffière et ses trois sonnelle de certains magistrats par l’opinion publi-
agents, cette chambre ne dispose manifestement que relayée par la presse et une partie du person-
pas des moyens humains indispensables pour exer- nel politique.
26 GAZETTE DU PALAIS DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006
Cette démarche apparaît d’autant plus légitime leurs obligations déontologiques : abus de fonc-
qu’elle s’inscrit dans un mouvement général de res- tion, relations douteuses, excès de langage, insuffi-
ponsabilisation avec la fin du hasard, de la fatalité sance professionnelle, non déclaration de revenus,
ou de la faute à pas de chance et la vocation de tout etc...
malheur à être indemnisé par un créancier solva- Mais l’émotion justifiée suscitée par des affaires
ble. particulières et l’emballement médiatico-politique
Pourquoi les juges échapperaient-ils à cette recher- qui a suivi ont conduit à poser la question de
che générale de responsabilité ? l’engagement de la responsabilité personnelle du
Comme l’énonce très justement Madame le profes- juge dans des termes différents qui ont pour l’opi-
seur Marie-Anne Frison-Roche, « c’est une perfec- nion publique le mérite de la simplicité.
tion nouvelle qui est demandée au juge : il doit Dans ces affaires, nous dit-on, le juge s’est mani-
être non seulement parfaitement sage, parfaite- festement trompé. Il a mal jugé. Il a commis une
ment savant, mais encore parfaitement humain. faute en prenant une mauvaise décision qui a
En effet, il faut non seulement que le juge ne se entraîné des dégâts considérables, voire irrémédia-
trompe jamais, qu’il connaisse bien sûr le droit bles. Il doit payer, c’est-à-dire être sanctionné dis-
mais encore l’équité, qu’il juge toujours juste. ciplinairement ou pécuniairement par le rembour-
Mais il faut encore qu’il comprenne parfaite- sement à l’État des dédommagements que celui-ci
ment l’être humain qui s’adresse à lui, qu’il a versés aux victimes. C’est la contrepartie nor-
éprouve ce qu’il éprouve, qu’il souffre ce qu’il male des pouvoirs qu’il exerce.
souffre... Face à une telle attente, au lieu de cons- C’est ouvrir ainsi la possibilité de mettre en cause
tater l’incapacité naturelle de l’institution judi- la responsabilité civile et disciplinaire d’un juge,
ciaire à y faire face, la tendance sociale peut être voire d’un collège de juges en raison du contenu ou
alors de vouloir engager la responsabilité de ce des conséquences de leur jugement.
juge qui se révèlera nécessairement décevant au C’est écarter l’application du principe universelle-
regard des miracles que certains attendent ment admis dans les États démocratiques de
aujourd’hui. La responsabilité du juge aura alors l’immunité juridictionnelle selon lequel ni l’acti-
un goût de lapidation pour l’opinion publique ». vité d’interprétation de la loi, ni l’activité d’évalua-
Quoi qu’en disent certains, le juge n’est pas un res- tion des faits et des preuves ne peuvent donner lieu
ponsabilisateur sans responsabilité. à la mise en cause de la responsabilité personnelle
Je signalerai brièvement, car ce n’est pas mon pro- du juge.
pos d’aujourd’hui, que le juge est responsable de Cette règle, Mesdames et Messieurs, ne résulte pas
ses actes pénalement, civilement et disciplinaire- d’une volonté de protection corporatiste, mais
ment. contribue à renforcer l’impartialité du juge dont la
– Il peut naturellement être poursuivi pénalement décision doit se déduire des faits qui lui sont expo-
s’il commet une infraction. Il ne bénéficiera sés ou de ceux qu’il a établis et des principes de
d’aucune mansuétude de la part de ses collègues, droit applicables sans être parasitée par la crainte
bien au contraire. des conséquences négatives qu’elle pourrait avoir
– Sa faute personnelle lourde engage la responsa- sur sa situation personnelle.
bilité de l’État qui est tenu de réparer le dommage La Charte européenne sur le statut des juges dis-
causé par le fonctionnement défectueux du service pose que « l’indépendance et la liberté de déci-
public de la justice, sauf à se retourner contre sion du juge doivent être préservées contre toute
l’auteur fautif par le moyen d’une action récur- pression indue y compris celles susceptibles de
soire. découler d’une menace de responsabilité. »
− Enfin, le juge qui a manqué aux devoirs de son À une époque où la mise en cause personnelle des
état, à l’honneur, à la délicatesse et à la dignité peut magistrats tend à constituer le préliminaire du
être poursuivi disciplinairement devant le Conseil débat judiciaire aussi bien civil que pénal avec la
supérieur de la Magistrature dont je rappelle qu’il multiplication des requêtes en récusation et en sus-
n’est pas un organe exclusivement corporatiste picion légitime et des plaintes avec constitution de
puisque composé certes pour partie de magistrats partie civile ou des citations directes devant les tri-
élus par leurs pairs mais aussi de membres élus par bunaux répressifs qui n’ont d’autre objet que de
le Conseil d’État ou nommés par des personnalités retarder l’échéance du procès et de tenter de dés-
titulaires de fonctions électives éminentes : prési- tabiliser le juge, ce principe lui permet d’exercer
dent de la République, président du Sénat et de sereinement son pouvoir d’appréciation.
l’Assemblée nationale. Ses audiences sont publi- Le Conseil supérieur de la Magistrature saisi disci-
ques et entre le 1er janvier 2000 et le 1er octobre plinairement a toujours refusé de porter une quel-
2005, une trentaine de magistrats ont comparu conque appréciation sur les actes juridictionnels
devant lui pour des manquements personnels à des juges, « lesquels relèvent du seul pouvoir de
DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006 GAZETTE DU PALAIS 27
ceux-ci et ne sauraient être critiqués que par au libre arbitre du condamné et à l’imprévisibilité
l’exercice des voies de recours prévues par la loi de son comportement.
ACTUALITÉ

en faveur des parties au litige », mais après l’affir- Elle implique de la part des personnels pénitenti-
mation solennelle du principe, il en a aussitôt tracé aires, des magistrats du parquet, du juge de l’appli-
les limites : « sauf lorsqu’il résulte de la chose défi- cation des peines, du tribunal collégial de l’appli-
nitivement jugée qu’un juge a, de façon gros- cation des peines une prise de risque, qui repose
G0542
sière et systématique, outrepassé sa compétence pour une grande part sur des éléments subjectifs
ou méconnu le cadre de sa saisine de sorte qu’il comme la volonté d’amendement du condamné.
n’a accompli, malgré les apparences, qu’un acte Elle constitue un pari raisonnable sur l’avenir fondé
étranger à toute activité juridictionnelle ». sur la capacité d’évolution favorable du bénéfi-
Cette limite me paraît singulièrement étroite et ris- ciaire. Son passé judiciaire est naturellement pris en
que d’être comprise comme une irresponsabilité de compte mais se limiter à ce seul aspect conduirait
fait confinant à une impunité qui n’est plus socia- à méconnaître l’esprit de la mesure et la volonté du
lement supportable. législateur.
Appliquée strictement, elle pourrait contribuer à La récidive, beaucoup moins fréquente qu’en cas de
dégrader l’image d’une institution dont la force « sortie sèche », constitue en quelque sorte un ris-
réside d’abord dans la confiance qu’elle doit inspi- que accepté en contrepartie des effets positifs atten-
rer. dus. Elle ne peut être imputée personnellement à
La question de la responsabilité personnelle du faute au décideur, d’autant moins que quand
magistrat pour des actes de sa juridiction est désor- celui-ci s’incarnait dans la personne du ministre
mais posée, tant au plan national qu’européen. Elle avant la loi du 15 juin 2000, la réparation par l’État
ne doit pas être éludée mais mérite une réponse des dommages causés aux tiers par des condam-
réfléchie et prudente au regard de l’importance des nés libérés n’était pas fondée sur la notion de faute
principes en cause, tant pour ce qui concerne la mais sur celle de risque spécial résultant des moda-
définition de la faute sanctionnable que de la pro- lités d’exécution des peines.
cédure et des modalités de la sanction afin d’éviter La stigmatisation personnelle du décideur fragilise-
les dérives et les règlements de compte. rait sa liberté d’appréciation et le conduirait à adop-
D’autant plus que les situations dans lesquelles la ter des solutions protectrices de ses intérêts aux
responsabilité personnelle du juge a été publique- dépens de l’intérêt général.
ment mise en cause en raison des dommages cau- Comme le dit très justement mon collègue Daniel
sés par sa décision ne résultent que très exception- Ludet, « une erreur d’appréciation ne peut cons-
nellement de fautes manifestes qu’un profession- tituer une faute que si elle est apparente ou déce-
nel normalement averti n’aurait pas commises, lable au moment de la décision ».
mais plutôt de la nature de l’intervention judiciaire Il faut également avoir toujours à l’esprit que les
et de la part d’aléa qu’elle implique. situations soumises à l’appréciation des juges des
Rendre la justice, Mesdames et Messieurs, n’est pas enfants, des juges aux affaires familiales, des juges
une science exacte. Elle ne s’applique pas à des des tutelles et plus spécialement en matière pénale,
objets mais à des situations humaines complexes et des magistrats du parquet, des juges d’instruction,
changeantes où les certitudes scientifiques sont voire des juridictions de jugement, ne sont pas
rares. figées.
L’exemple le plus caractéristique qui a donné lieu Une enquête, une instruction, un procès se dérou-
à des propos ministériels controversés est celui de lent pendant une période de temps au cours de
la récidive du condamné admis au bénéfice de la laquelle les positions des protagonistes évoluent au
libération conditionnelle. gré de leurs intérêts, de leurs pulsions, des influen-
La liberté conditionnelle est une institution ces qu’ils subissent. La vérité ou plutôt la vraisem-
ancienne dont l’efficacité dans la prévention de la blance judiciaire est variable et évolutive. Celle du
récidive est démontrée et dont l’application a été jour n’est pas celle de la veille, ni celle du lende-
encore très récemment encouragée par le législa- main.
teur par la loi du 9 mars 2004 qui énonce que l’indi- Elle se dégage progressivement des mensonges
vidualisation des peines doit chaque fois que cela intéressés des prévenus, de leurs déclarations fluc-
est possible permettre le retour progressif du tuantes et contradictoires, de leurs aveux et de leur
condamné à la liberté et éviter une remise en liberté rétractation, de la fragilité des témoignages et de la
sans aucune forme de suivi judiciaire. versatilité de leurs auteurs, des contradictions des
Quelles que soient les précautions prises dans le experts en particulier dans des affaires de mœurs,
respect scrupuleux des règles légales, la décision du intra-familiales où en l’absence de preuves scienti-
juge comporte une part inéluctable d’aléa inhérent fiques l’établissement des faits repose sur le seul
28 GAZETTE DU PALAIS DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006
témoignage des victimes et les dénégations des – l’exigence de motivation qui permet de constater
accusés. que le juge a bien examiné tous les arguments qui
La vérité judiciaire n’est définitivement établie que lui ont été exposés et de connaître les motifs qui
lors de la dernière étape du procès qui étymologi- l’ont convaincu ;
quement implique une marche en avant, un déve- – la collégialité qui organise la confrontation des
loppement, une progression. opinions au sein de la juridiction.
C’est celle retenue par la juridiction supérieure, la Cette lutte requiert également des moyens en per-
cour d’appel ou la cour d’assises d’appel, à laquelle sonnel en rapport avec le volume de notre activité.
s’attache l’autorité de la chose jugée qui ne peut Les progrès réalisés ces dix dernières années méri-
que très exceptionnellement être remise en cause. tent d’être poursuivis si nous voulons nous hisser
C’est pourquoi le respect de la présomption d’inno- au niveau de nos voisins immédiats alors que si l’on
cence doit conduire les juges à une utilisation par- rapporte l’effort consenti par la justice au niveau de
cimonieuse et très temporaire de la détention pro- vie du pays, la France n’arrive qu’au 23e rang en
visoire et les médias à manifester plus de mesure Europe.
dans leur présentation des faits et leur imputation. Mais des procédures et des moyens adaptés
Mais l’application de ces normes raisonnables seraient encore insuffisants s’ils n’étaient pas mis
requiert l’information, l’éducation puis l’adhésion en œuvre par des personnels guidés par une déon-
du corps social. Est-ce possible dans une société où tologie exigeante et plus encore, animés par un état
la préoccupation légitime de sécurité est devenue d’esprit caractérisé par la vigilance – « un juge
un enjeu majeur ? Où le discours politique habitué est un juge mort pour la justice » disait
emprunte de plus en plus au registre de l’émotion très justement le Premier président Pierre Drai –,
plutôt qu’à celui de la rationalité ? Où certains res- caractérisé par l’humilité c’est-à-dire par la cons-
ponsables semblent plus enclins à subir l’opinion cience de ses insuffisances et la prudence qui doit
ou à la flatter plutôt qu’à la guider ? en découler, par l’écoute, par l’attention prêtée aux
Ces exemples, Mesdames et Messieurs, montrent autres, bref par le respect et la considération dus à
combien il est délicat d’analyser une décision juri- ceux qui s’adressent à notre institution, qu’ils le fas-
dictionnelle sous l’angle de la faute personnelle de sent librement pour résoudre leurs difficultés per-
son auteur sans porter gravement atteinte à sa sonnelles ou qu’ils y soient contraints et quelles que
liberté d’appréciation qui est consubstantielle à la soient les turpitudes qui leurs sont reprochées.
fonction judiciaire. J’exclus naturellement les Telle doit être, mes chers collègues, la ligne de
défaillances professionnelles avérées qui méritent à conduite qui nous permettra de bénéficier de la
l’évidence d’être sanctionnées. confiance retrouvée de toutes les composantes du
Le risque d’erreur judiciaire n’est jamais exclu peuple français au nom duquel nous agissons.
même si dans la plupart des affaires pénales, les « Puisque la haine, la sottise, le délire ont des
prévenus ne discutent guère leur culpabilité de plus effets durables, je ne vois pas pourquoi la luci-
en plus souvent établie par des preuves scientifi- dité, la justice, la bienveillance n’auraient pas les
ques. leurs » fait dire Marguerite Yourcenar à l’Empe-
Ce risque est inhérent à la fonction de juger et la reur Hadrien.
lutte contre cette injustice majeure ne se résout évi- Et bien, Mesdames et Messieurs, c’est le vœu que
demment pas dans la mise en cause personnelle du je forme pour l’année qui s’ouvre.
juge. Mesdames et Messieurs,
Elle emprunte de nombreuses formes : Au nom des magistrats et fonctionnaires de la Cour,
D’abord : je vous remercie de nous avoir fait l’honneur et
– l’utilisation des voies de recours dont l’existence l’amitié d’assister à cette audience. Je vous pré-
même suffit à démontrer le caractère relatif de nos sente des vœux plus personnels pour 2006 pour
jugements ; vous-même et ceux qui vous sont chers.
– l’application du principe de la contradiction, c’est- La Cour donne acte à M. le Procureur général de
à-dire la libre discussion par les parties de la tota- ses réquisitions, constate qu’il a été satisfait aux
lité des éléments du dossier ; prescriptions légales et dit qu’il en sera dressé
– la publicité des débats afin que chacun puisse se procès-verbal.
forger une opinion personnelle sur la procédure L’audience solennelle est levée.
suivie comme sur le fond ;

DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006 GAZETTE DU PALAIS 29


CHRONIQUE BIBLIOGRAPHIQUE

Chronique bibliographique

G0713

Procédure pénale
G0713
3e ÉDITION
de Serge GUINCHARD et Jacques BUISSON

LITEC dries en matière de terrorisme et de trafic de stupé-


1.098 pages – 40 Q fiants, ou encore les nouvelles règles de l’application des
peines.
Trop modestement qualifié de manuel, cet ouvrage de
référence, publié pour la première fois en 2000, appré- La théorie des nullités de l’instruction est toujours aussi
cié des praticiens et des universitaires, connaît déjà une clairement exposée et mise en perspective, de même
troisième édition, gage de son succès et témoin du souci que la théorie de l’unique objet de l’appel, la notion
de ses auteurs d’offrir à leurs lecteurs une source sûre d’ordonnance complexe, ou encore le pouvoir de fil-
et à jour. trage du président de la chambre de l’instruction. Les
praticiens auront la confirmation du domaine et de la
Assurément, la collaboration d’un professeur, Serge portée de plus en plus restreints des nullités d’actes de
Guinchard, et d’un président de chambre de l’instruc- procédure, en particulier par le recours à la notion de
tion, Jacques Buisson, est fructueuse. support nécessaire.
Elle se manifeste tout d’abord, avec éclat et richesse, Au total, un ouvrage précieux dans la bibliothèque d’un
dans la présentation et l’appréciation du mérite et des pénaliste.
inconvénients respectifs des procédures accusatoire et JEAN-PHILIPPE DUHAMEL
inquisitoire, puis du régime mixte choisi par le législa- Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation
teur français. Les débats actuels, qui font suite à une af-
faire judiciaire douloureuse hautement médiatisée, ga-
gneraient certainement à y puiser la source de leur ré-
flexion.

Elle se traduit également par une analyse omnipré-


sente des règles de la procédure pénale à la lumière de
la Convention européenne des droits de l’homme et de
la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. La confron-
tation du souci de protection des libertés individuelles
et de la nécessaire efficacité des autorités d’investiga-
tion et de poursuite y gagne en densité.

Elle s’exprime ensuite avec une grande clarté dans


l’étude des différentes phases du déroulement d’une
procédure pénale : enquête de flagrance ou prélimi-
naire, rôle des différentes parties au procès pénal, pro-
cédure d’instruction, jugement, voies de recours et enfin
exécution de la sentence.

Sont notamment minutieusement analysés la garde à


vue, les auditions et confrontations, l’expertise, la dé-
tention provisoire, le rôle de la chambre de l’instruc-
tion, sans oublier celui de la chambre criminelle de la
Cour de cassation. On le voit, cet ouvrage n’est pas seu-
lement une référence pour les juristes ; il mérite égale-
ment d’être lu par les citoyens préoccupés par le fonc-
tionnement de leur justice pénale et soucieux du res-
pect des droits fondamentaux.

Cette troisième édition rend compte des réformes et


évolutions jurisprudentielles récentes, notamment l’ex-
tension du domaine de la composition pénale, les in-
fléchissements des droits et libertés permis par le re-
cours à la qualification de délinquance organisée, l’ex-
péditif mandat d’arrêt européen, la refonte de la pro-
cédure par défaut, les garanties procédurales amoin-

30 GAZETTE DU PALAIS DIMANCHE 26 AU MARDI 28 FEVRIER 2006


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